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Caroline Quine

Alice et l’ancre brisée


Traduit de l’américain
par Dominique Rousset

Illustrations de Philippe Daure

Hachette
L’édition originale de ce roman
a paru en langue anglaise
chez Wanderer Books (Simon and Schuster),
New York, sous le titre :
THE BROKEN ANCHOR

© Stratemeyer Syndicale, 1983.


© Hachette, 1988.
Hachette, 79, boulevard Saint-Germain, Paris VIe
Chapitre 1
Premier prix !

« Aurais-tu participé à un concours, ma chérie ? demanda Sarah à


la jolie jeune fille de dix-huit ans qui déjeunait dans la cuisine, un
matin d’été.
— Non, pas dernièrement, pourquoi ? répondit Alice en levant les
yeux vers la vieille servante.
— Parce que ceci est arrivé dans le courrier », répondit Sarah. Elle
lui tendit une grande enveloppe brune, chargée de timbres
multicolores.
Alice considéra avec surprise les mots écrits à la main en travers,
barrant à demi son nom et son adresse dactylographiés : « Numéro
gagnant ». Elle déchiffra le cachet de l’expéditeur : “Station balnéaire
de Sweet Springs, Île de l’Ancre, les Bahamas.”
« C’est curieux, murmura-t-elle en fronçant les sourcils, je suis
certaine de n’avoir jamais envoyé de lettre là-bas !…
— Ouvre-la quand même, et voyons ce que tu as gagné ! » conseilla
Sarah avec impatience.
Alice allait s’exécuter quand la sonnette de la porte d’entrée
retentit. Sarah introduisit Bess Taylor et Marion Webb, les deux
meilleures amies d’Alice.
« Alors, qu’as-tu gagné ? s’écria Bess en s’asseyant auprès d’elle.
Sarah vient de nous raconter ; c’est formidable !
— Quand donc as-tu fait ce concours ? » s’étonna Marion. Grande,
mince et brune, elle était l’opposée de sa blonde cousine aux joues
rondes. « Tu ne nous en a jamais parlé ! »
Alice se mit à rire : « À vrai dire, je crois que c’est une erreur,
rétorqua-t-elle.
— Mais, que disent-ils ? » demanda encore Marion.
Alice lui donna le papier, et la jeune fille lut :

« Chère Mademoiselle Roy,


Vous avez été sélectionnée par la station balnéaire de Sweet
Springs pour venir passer une semaine avec la personne de votre
choix sur notre belle île. Des réservations ont été faites dans notre
hôtel de luxe et vous trouverez ci-joints deux billets d’avion. Nous
vous souhaitons un merveilleux séjour dans ce site enchanteur et
exotique. Nous serons ravis de vous accueillir à votre arrivée à
Nassau, vendredi, et nous vous adressons, en attendant, toutes nos
félicitations,
Les organisateurs. »

Marion considéra avec attention l’en-tête, puis fit une moue :


« C’est signé par les propriétaires et le personnel de l’hôtel, mais il
n’y a aucun nom.
— Ça alors, c’est une histoire incroyable ! s’exclama Bess, très
excitée. Quand pars-tu ? »
Alice consulta les billets d’avion : « Ils sont pour demain !
répondit-elle soudain pensive. Que faire ?
— Es-tu sûre qu’il s’agisse d’une offre sérieuse, Alice ? intervint
Sarah, qui revenait avec des boissons pour les deux cousines.
— Peut-être est-ce seulement une astuce publicitaire, renchérit
Marion. Après tout, ton père et toi, êtes assez connus. Et ceci semble
bien mystérieux…
— Oh, Alice, il faut y aller, tu verras bien ! s’écria Bess en riant.
Cela doit être tellement chouette de se trouver dans une île des
Bahamas !
— Je ne sais pas trop, murmura Alice, à la fois tentée par cette
perspective et sceptique sur le déroulement. Il faut que je réfléchisse
à tout ça ; et en plus, papa n’est pas là…
— Où est-il ? demanda Marion en s’emparant de la brochure qui
accompagnait la lettre.
— Il a été appelé à Miami, tôt, ce matin, répondit la jeune fille.
J’ignore pour quelle affaire.
— Cet endroit a l’air vraiment magnifique, remarqua Sarah
penchée sur l’épaule de Marion. Si c’est une offre sérieuse, ce serait
folie de la laisser passer.
— Comment en être certaine ? » Alice admirait à son tour la
photographie d’un élégant bâtiment rose au toit de tuiles rouges,
entouré d’une végétation luxuriante.
« Tu pourrais déjà appeler un agent de voyage pour te renseigner
sur l’existence du lieu, suggéra Marion.
— Et la compagnie d’aviation pourrait me confirmer la réservation
des billets », approuva Alice. Elle sauta sur ses pieds, oubliant son
déjeuner, et courut vers le téléphone.
« Je me demande pourquoi elle perd son temps en précautions
inutiles ! plaisanta Bess en dévorant une tranche de pain, les yeux
rivés au cliché d’une plage de sable blanc. À sa place, je
commencerais par faire mes bagages, et je m’occuperais des détails
ensuite ! »
Marion secoua la tête. « Au fait, ce doit être la basse saison, là-bas,
non ? Je pensais que la plupart de ces endroits fermaient dès le mois
de mai. » Elle survola plusieurs paragraphes de la brochure : « Je ne
vois pas de dates ! Seulement la description de belles plages, de
promenades en mer, de parties de pêche, de choses comme ça. »
Bess soupira, rêveuse : « Pourquoi ne m’arrive-t-il jamais de telles
surprises ? J’aimerais tant y aller ! »
À ce moment, Alice rentra dans la pièce : « Alors, qu’as-tu
trouvé ? »
La jeune détective s’amusa à conserver quelques secondes un air
mystérieux, puis elle éclata de rire : « Eh bien, cela semble on ne
peut plus sérieux, répondit-elle. Les billets d’avion sont confirmés
jusqu’à Nassau, et bien qu’il fût un peu tard pour des vacances aux
Bahamas, l’agent de voyage m’a dit que c’était un très bel hôtel et que
l’île était superbe. Il pense qu’il doit s’agir d’une offre
promotionnelle.
— C’est bien ce que je disais, triompha Marion. Iras-tu ?
— Je ne peux rien dire tant que je n’aurai pas eu un entretien avec
papa.
— Téléphone-lui », proposa Sarah.
Mais Alice secoua la tête : « Impossible, il ne savait pas en partant
où on pouvait le joindre. Il doit m’appeler bientôt. »
Les jeunes filles poursuivirent leur repas, discutant avec
animation des vêtements qu’Alice devrait emporter, et plaisantant
sur un éventuel mystère à résoudre dans l’Île de l’Ancre. Elles
achevaient une glace accompagnée de biscuits au chocolat quand le
téléphone sonna.
« J’y vais, Sarah, cria Alice en se levant d’un bond.
— Allô, ma chérie, dit son père à l’autre bout du fil. Comment ça va
à la maison ?
— Oh, c’est très compliqué ! fit Alice.
— Pourquoi, qu’est-ce qu’il se passe ? demanda James Roy d’une
voix soudain inquiète.
— Rien de grave », le rassura-t-elle. Elle raconta l’épisode de la
lettre et l’offre qui lui était faite, concluant : « Le seul ennui c’est que
les billets d’avion sont pour demain, et je ne crois pas qu’ils puissent
être changés.
— Que disent Bess et Marion de ce voyage ? questionna James Roy
après un silence.
— Euh, eh bien, elles pensent que nous devrions y aller. » Elle
hésita et poursuivit : « Qu’en dis-tu, papa ? Peux-tu quitter ton
travail dès demain ?
— J’ai bien peur que ni toi ni moi ne puissions partir aussi vite, ma
chérie. Je vais avoir besoin de toi ici, répondit son père. Mais, j’ai une
suggestion à te faire : pourquoi ne donnerais-tu pas ces billets et ces
réservations à Bess et Marion ? Toi, tu prendrais l’avion pour Miami
demain, et elles, elles pourraient continuer jusqu’aux Bahamas et
retenir des chambres pour nous. Nous les rejoindrions dès que nous
aurions fini ici.
— Oh, papa, cela serait extraordinaire ! s’écria Alice. Je suis sûre
qu’elles seront enchantées. Mais, crois-tu que cela ne pose pas de
problèmes pour les gens de l’hôtel ? »
James Roy se mit à rire : « Je ne vois pas pourquoi ! Puisqu’ils ont
offert des chambres gratuites, je suis certain qu’ils seront très
heureux d’avoir deux hôtes payants en plus ! De toute façon s’il y a la
moindre difficulté, Bess et Marion pourront nous joindre dès leur
arrivée.
— Bien sûr, approuva Alice. Parle-moi maintenant de cette affaire
dont tu t’occupes, reprit-elle avec curiosité, se rendant compte que
son père ne lui avait encore rien dit. Tu aurais besoin de mes
services ?
— En effet, répondit-il. Et c’est d’ailleurs la principale raison de
mon appel. J’ai été appelé ici pour élucider un véritable mystère.
— Ah, et quelle sorte de mystère ? demanda Alice, l’esprit aussitôt
en éveil.
— Eh bien, les autorités du port m’ont contacté pour une sombre
histoire de bateau abandonné. Ils pensaient que je pourrais identifier
les propriétaires.
— Et tu le peux ? insista la jeune fille, percevant son hésitation.
— C’est-à-dire que je n’ai pas encore vu le bateau, reprit James
Roy. Il n’est pas à Miami, mais un peu plus haut sur la côte. Ce
matin, ils désiraient surtout des détails sur ma carrière et sur toi. En
fait, ils aimeraient que tu te joignes à moi pour l’enquête.
— Moi ? Mais pourquoi donc ?
— D’après le chef de la police, le bateau aurait été soigneusement
nettoyé de toute marque d’identification avant d’être abandonné ; ils
n’ont pu trouver à bord qu’un seul indice : une liasse de coupures de
presse.
— Des coupures de presse ?
— … qui toutes concernaient des affaires que tu m’as aidé à
résoudre, acheva l’avocat.
— Ce qui signifie que les propriétaires du bateau s’intéressaient à
nous ? » Alice fronça les sourcils. « Voilà la seconde énigme de la
journée.
— La seconde ?
— Oui, je ne vois toujours pas comment j’ai pu gagner un concours
auquel je n’ai pas participé, et maintenant il semble que nous ayons
des “admirateurs” fantômes !
— Crois-tu pouvoir venir ici demain ? » demanda James Roy.
Alice promit de faire l’impossible pour trouver une place dans le
même avion que ses amies, puisqu’il faisait escale à Miami, puis elle
raccrocha.
Chapitre 2
Le bateau fantôme

Bess et Marion furent naturellement ravies de la proposition.


Après une série de coups de téléphone pour régler toutes les
formalités, et obtenir l’autorisation de leurs parents, les deux
cousines prirent congé de leur amie pour aller préparer leurs
bagages. Le soir, Sarah vint retrouver Alice dans sa chambre pour
l’aider à faire ses valises.
« Quelque chose ne va pas, ma chérie ? demanda-t-elle, en
remarquant son front soucieux.
— Je continue à ne pas comprendre pourquoi j’ai été choisie,
répondit la jeune fille. Je sais que ce n’était pas un concours, mais je
ne crois pas non plus à une opération publicitaire, alors qu’est-ce que
c’est ?
— Les gens te connaissent, ma chérie ! répondit Sarah. C’est
comme ces coupures de presse trouvées sur le bateau, dont a parlé
ton père. Peut-être que les gérants de la station ont pensé que c’était
une bonne occasion de te rencontrer. »
Alice sourit. « Ils vont faire une drôle de tête quand ils vont
découvrir Bess et Marion à ma place !
— Espérons que ton père et toi résoudrez assez vite votre affaire en
Floride. Vous pourrez ensuite demander aux propriétaires de l’hôtel
toutes les explications que vous voudrez.
— Ça, j’y compte bien ! » assura Alice en ajoutant une serviette de
bain et des sandales de plage sur la pile de vêtements.

Le vol jusqu’à Miami se passa sans encombre, et Alice laissa ses


amies continuer avec une légère pointe de regret : « Promettez de
nous appeler dès votre arrivée, leur recommanda-t-elle en leur
donnant le numéro que son père lui avait communiqué la veille.
— Et vous, dépêchez-vous de venir nous rejoindre ! répondit Bess.
Ce ne sera pas la même chose sans vous. » En disant cela son joli
visage trahissait une légère appréhension.
Alice ne put s’empêcher de rire : « Vous pourrez toujours vous
promener sur la plage au clair de lune et prendre des bains dans une
eau délicieusement chaude. Ce n’est pas si mal ! »

James Roy était venu accueillir sa fille. Ils attendirent ensemble


que l’avion fût reparti pour Nassau, puis il prit son bras :
« Maintenant, il faut nous dépêcher, Alice. » Son visage devint,
soudain, grave : « Le chef de la police est un homme impatient, et il
lui tarde de t’emmener à bord de ce bateau.
— Y aurait-il quelque chose de nouveau depuis que tu m’as parlé,
papa ? Tu me parais inquiet.
— C’est-à-dire, je déteste être soupçonné à tort. Le chef de la police
n’a pas été capable de trouver le moindre élément au sujet de ce
bateau, et il semble croire que je lui cache quelque information.
— Hum, eh bien, espérons que nous trouverons un indice
aujourd’hui pour le tranquilliser. Où ont-ils découvert ce bateau
exactement ?
— Il a été repéré par un groupe de jeunes garçons qui pêchaient
dans une crique déserte, raconta l’avocat, tandis qu’ils prenaient
place dans le véhicule de location. C’était une grosse vedette, dotée
d’un moteur puissant, tout à fait le genre que l’on voit couramment
naviguer entre les îles côtières. C’est d’ailleurs pourquoi le shérif a
tant de mal à situer son propriétaire. Beaucoup de gens par ici ont
des bateaux similaires, et il lui faut parcourir d’interminables listes
d’embarcations portées disparues… et pas seulement aux États-
Unis !
— Tu veux dire qu’il pourrait venir d’un autre endroit ? » sursauta
Alice.
Son père hocha la tête : « Oui, d’une île des Caraïbes, par exemple,
ou des Bahamas, ou de n’importe quel port de cette région.
— Où allons-nous maintenant ? demanda la jeune fille tout en
admirant le paysage alentour.
— Je te propose de déposer tes bagages à l’hôtel puis de nous
rendre à Palm Cove. C’est la ville la plus proche de la crique en
question. Nous y sommes déjà allés hier, mais en hélicoptère, aussi le
shérif m’a-t-il dit qu’il laisserait un plan à son assistant pour nous et
qu’il nous retrouverait là-bas. Qu’en dis-tu ?
— Parfait, répondit Alice, en souriant. Est-ce loin ?
— Palm Cove doit être à une heure de route environ. Ensuite, nous
verrons bien. »
Le trajet leur parut très agréable. L’autoroute longeait la côte, et ils
purent s’émerveiller sur la succession de longues plages de sable
doré, doucement caressées par les vagues. On était en juin, et une
profusion de fleurs et de plantes donnait aux lieux l’aspect d’un
paradis tropical, bien différent de celui de River City.
Il était près de midi lorsqu’ils atteignirent Palm Cove. Ils
s’arrêtèrent dans un restaurant pour déguster des fruits de mer avant
de se rendre au commissariat de police.
« C’est drôle, cette petite ville ne me paraît pas très vivante »,
remarqua James Roy en suivant des yeux trois chiens errants qui
trottinaient le long d’un trottoir désert.
Alice se mit à rire : « En tout cas l’arrivée d’un étranger ne doit pas
y passer inaperçue ! » Ils commandèrent leur repas et s’extasièrent
sur la petite baie bordée de palmiers, à leurs pieds.
Alice ne s’était pas trompée, car un jeune homme en uniforme
s’approcha de leur table, alors qu’ils achevaient leur repas. « Maître
James Roy, je suppose ? »
L’avocat inclina la tête, surpris.
« Le shérif m’a demandé de vous remettre ceci, dit le jeune
policier. Je vous ai vus arriver, et j’ai pensé vous faire gagner du
temps en vous l’apportant ici. » Il lança un regard admiratif en
direction d’Alice, puis reprit : « Mon chef est impatient de voir votre
fille à bord !
— A-t-il pu progresser dans son enquête ? demanda James Roy en
invitant l’assistant à s’asseoir.
— Je n’en sais rien, il faudra le lui demander », répondit celui-ci,
puis il déplia devant eux un plan, tracé à la main. Alice et son père
écoutèrent attentivement ses explications. Leur déjeuner terminé, ils
se remirent en route. Malgré le mauvais état des petites voies qu’ils
durent emprunter dans les derniers kilomètres, ils n’eurent pas trop
de difficultés à trouver la petite crique isolée et ombragée. Ils
découvrirent le break poussiéreux de la police garé à côté d’un vieux
bateau gris, au pont de bois très endommagé, qui avait été
solidement amarré à l’unique bitte du ponton.
Le shérif Boyd était un homme corpulent d’une quarantaine
d’années, aux cheveux châtain foncé et aux yeux noirs perçants…
« Ah, vous voilà enfin, ce n’est pas trop tôt, s’exclama-t-il, non
sans mauvaise humeur. Alors est-ce que vous reconnaissez ce bateau,
mademoiselle ? »
Alice considéra son père avec surprise, mais elle ne put rien lire
sur son beau visage lisse, aussi le suivit-elle sur le ponton, et monta-
t-elle à bord.
« Eh bien ? reprit le shérif, aussitôt que James Roy lui eut
présenté sa fille.
— Je n’ai jamais vu ce bateau de ma vie, shérif, répondit
fermement la jeune fille.
— Moi non plus, ajouta James Roy en écho. Je vous l’ai déjà dit
hier. »
Le shérif fronça les sourcils, l’air agacé et les entraîna à l’intérieur
de la cabine : « Alors, comment expliquez-vous la présence de
ceci ? » demanda-t-il en tendant à Alice une chemise cartonnée.
À l’intérieur se trouvaient une demi-douzaine de coupures de
presse, provenant de différents journaux. Toutes parlaient
d’enquêtes menées les années précédentes, et vantaient les qualités
de détective de la jeune fille.
« Que penses-tu de tout ça ? » lui demanda son père en
parcourant à son tour les articles.
Alice secoua la tête : « Je ne vois aucun rapport entre ces
différentes affaires, répondit-elle. Elles se sont toutes passées dans
des lieux différents, je ne vois pas en quoi elles auraient quelque
chose à voir avec le cas présent…
— Mais elles ont été trouvées sur ce bateau », objecta le shérif
Boyd.
Alice lui rendit le dossier refermé.
« Ses propriétaires s’intéressent peut-être à la carrière de mon
père ou à la mienne, mais cela ne signifie pas que nous les
connaissions. Ils ont pu découper les articles dans n’importe quels
journaux. Ils nous contacteront peut-être, mais pour l’instant… »
M. Boyd soupira : « C’est exactement ce que m’a affirmé votre
père, avoua-t-il.
— Avez-vous appris autre chose ? intervint James Roy.
— J’ai un nom qui pourrait conduire à une piste. J’ai découvert
que certains accessoires du bateau proviennent d’un magasin de
Miami. Les acheteurs en sont Jeff et Lena De Foe. Cela vous dit-il
quelque chose ?
— De Foe ? » James Roy interrogea sa fille du regard.
Elle réfléchit, puis secoua la tête. « Je ne crois pas avoir entendu
ce nom.
— Désolé, shérif, conclut l’avocat. Y a-t-il autre chose ? »
M. Boyd secoua la tête. « Pas pour l’instant. J’aimerais pourtant
que vous examiniez à votre tour le bateau, maintenant que nous
avons relevé les empreintes. Moi je rentre à Palm Cove. Peut-être
mon assistant aura-t-il du nouveau. »
Alice attendit que le shérif eût quitté le bord pour se tourner vers
son père : « Que faisons-nous, papa ?
— Voyons s’ils n’ont pas oublié un détail, veux-tu ? répondit-il. Par
où veux-tu commencer ?
— Par l’intérieur. » Alice rentra dans la cabine, et commença à
sortir les quelques assiettes enfermées dans un placard.
« Maître Roy ! » La voix forte du shérif Boyd appelait de
l’extérieur. Alice ouvrit les tiroirs, et fouilla toutes les cachettes
possibles. Elle s’apprêtait à descendre dans la cabine inférieure
lorsque son père réapparut.
« T’a-t-il appris quelque chose de grave ? interrogea-t-elle en
voyant son expression.
— Son assistant vient de le contacter par radio pour lui dire que
Jeff et Lena De Foe possèdent un hôtel aux Bahamas. Ils n’ont pas
encore son nom, mais il serait situé sur l’Île de l’Ancre. »
Alice sursauta : « Oh, papa, mais c’est là que se trouve la station de
Sweet Springs ! Et Bess et Marion vont y arriver maintenant ! Crois-
tu qu’il puisse se passer quelque chose d’anormal ? »
Chapitre 3
Un indice ancien

Pendant plusieurs secondes, aucun des deux ne put prononcer une


parole, puis Alice réprima le frisson que ses propres mots avaient fait
naître.
« Faut-il en parler au shérif ? demanda-t-elle d’une voix étranglée.
Du concours et de l’île, je veux dire.
— Naturellement, nous le devons. Mais, il est parti maintenant. Il
m’a dit que nous pourrions repasser par son bureau si nous
trouvions quelque chose, avant de rentrer à Miami.
— Mais Bess et Marion ? insista Alice, très inquiète pour ses deux
amies.
— À l’heure qu’il est, elles ont atterri à Nassau, et elles sont en
route pour leur hôtel. Mieux vaut poursuivre nos recherches. S’il
existe un lien entre ce bateau et ce mystérieux concours auquel tu
n’as jamais participé… » Il n’acheva pas.
Alice inspira profondément. « Penses-tu que ces De Foe auraient
pu envoyer ce faux lot pour m’attirer dans une sorte de piège ?
— S’ils ont collectionné tous ces articles, ils ont bien dû penser que
tu étais susceptible de répondre à ce genre d’invitation.
— Ils auraient pu téléphoner, tout simplement. Pourquoi crois-tu
qu’ils veulent me faire venir à l’Île de l’Ancre ? »
Son père haussa les épaules : « Peut-être aurons-nous un
semblant de réponse lorsque Bess et Marion seront sur place.
— D’ici là, nous n’avons qu’à continuer nos recherches sur le
bateau, approuva Alice.
— As-tu terminé dans la cabine ? » Elle opina. « Bien, poursuivit-
il, dans ce cas, je monte inspecter le pont pendant que tu fouilles le
bas.
Alice descendit les quelques marches qui menaient au niveau
inférieur. Il y avait trois portes dans l’étroit couloir. L’une donnait
accès à une petite salle de douche, les autres à deux cabines
parfaitement identiques. Alice entra dans celle de droite, meublée de
couchettes jumelles aux draps fraîchement tirés. Quelques vêtements
pendaient à des cintres dans la penderie, mais leurs poches étaient
vides. Par contre, la tablette, entre les deux lits, offrait quelques
indices : une brosse à cheveux, avec plusieurs cheveux blonds, un
bâton de rouge à lèvres, quelques vieux bonnets marins en laine, rien
d’autre. Elle eut beau examiner avec minutie le contenu de chaque
tiroir, tâtant avec sa main le fond et les côtés, elle ne découvrit rien.
Elle alla même jusqu’à défaire les lits, mais dut remettre draps et
couvertures, sans résultat.
La fouille de l’autre cabine fut encore plus décevante, car elle ne
renfermait aucun objet personnel.
La jeune détective chercha encore dans la petite salle de douche
mais les menus objets de toilette des De Foe ne lui apprirent rien non
plus. Elle se dirigeait vers les marches qui conduisaient à la sortie
quand elle s’arrêta, hésitante. Elle était persuadée d’avoir regardé
dans tous les endroits possibles et imaginables, et pourtant, elle avait
l’impression qu’il ne fallait pas encore abandonner.
« Allons, allons, à quoi jouez-vous donc ? murmura-t-elle.
Pourquoi m’avez-vous envoyé cette invitation à laquelle vous saviez
que je ne pourrais résister ? Pourquoi me faites-vous faire tout ce
chemin jusqu’en Floride pour vous évanouir ensuite dans la
nature ? »
Le bateau tanguait doucement, au rythme paresseux du clapotis
des vagues. Alice retourna dans la première cabine, et se penchant
sur une des couchettes, glissa ses doigts entre le bois du lit et le mur,
cherchant un défaut, une éventuelle cachette. À ce moment-là, le
bateau remua de nouveau, elle perdit l’équilibre, et sa tête alla
heurter la paroi.
Elle entendit alors un léger bruit, comme un objet métallique qui
aurait roulé sur le sol. Elle porta la main à son oreille. Elle avait
perdu l’une de ses boucles. Elle se pencha juste à temps pour la voir
disparaître dans un coin sombre.
« Oh, non, s’exclama-t-elle à mi-voix, reviens ici ! »
Ses doigts cherchèrent à reconnaître dans l’obscurité la forme
familière. Soudain, elle fronça les sourcils. Son index venait
d’effleurer un trou assez étroit, vide à première vue. Lorsqu’elle retira
sa main, la pièce de bois entière se détacha sans résistance : « Tiens,
tiens », murmura-t-elle, en la considérant avec attention. L’espace
n’était pas très large, mais la boucle d’oreille s’y trouvait bien, posée
sur une sorte de pochette de cuir. Alice les sortit toutes deux avec
précaution, puis regarda de nouveau à l’intérieur pour s’assurer qu’il
n’y avait plus rien. Elle replaça alors la pièce de bois, et remit sa
boucle d’oreille avant d’ouvrir la sacoche.
« As-tu trouvé quelque chose ? » demanda son père, en la
rejoignant. Elle sursauta et faillit laisser échapper le lourd médaillon
qui glissait hors de la pochette.
« Je crois que oui, répondit-elle. Regarde-moi ça ! » Elle tendit le
bijou, et lui raconta brièvement l’histoire de sa boucle d’oreille.
James Roy émit un sifflement admiratif en soupesant l’objet.
« J’ai l’impression que c’est de l’or pur, Alice ! »
La jeune fille se leva, et le suivit devant le hublot de la cabine.
C’était une pièce d’environ dix centimètres de diamètre, mais dont la
face était si sale et endommagée qu’ils ne purent en deviner le dessin.
« Elle a l’air très ancienne, papa », remarqua Alice en la frottant
légèrement du bout du doigt.
James Roy acquiesça : « En effet, le travail de la chaîne date très
certainement de plusieurs dizaines d’années, et la médaille elle-
même a une forme très pure. Dommage qu’elle soit si abîmée.
— On dirait une sorte de crochet ou quelque chose comme ça.
Peut-être un expert en bijoux anciens pourrait-il nous renseigner ? »
Les yeux de son père s’éclairèrent : « Je connais justement la
personne idéale. Te souviens-tu d’Avery Yates ? »
Alice réfléchit : « Le bijoutier spécialisé dans la restauration des
bijoux anciens ? En effet. Mais, comment le joindre ?
— Il a pris sa retraite, il y a quelques années dans la région. Je
pense avoir son numéro de téléphone dans mon carnet à l’hôtel.
— Crois-tu que nous pourrions lui apporter ceci ce soir ? demanda
Alice que l’étrange pendentif intéressait de plus en plus. Cela nous
donnerait peut-être une clé… »
Le sourire disparut du visage de James Roy :
« Je ne suis pas certain que le shérif soit d’accord, remarqua-t-il.
— Ce n’est pas lui qui l’a trouvé ! » protesta Alice.
Son père parut hésiter un moment, puis haussa les épaules. « Tu
as raison, après tout. Nous lui montrerons ce médaillon après avoir
vu Avery Yates. Sinon, il risque de ne pas le faire restaurer, ce qui
nous priverait peut-être d’un élément important dans notre
enquête. »
Alice embrassa son père avec effusion : « Bravo ! Vite, rentrons à
l’hôtel. Je veux savoir si Bess et Marion sont bien arrivées.
— Il faut aussi parler au shérif de cette station balnéaire, lui
rappela son père.
— Nous en saurons bien davantage après avoir parlé aux filles »,
rétorqua Alice.
Il approuva : « Au fait, tu n’as rien trouvé d’autre ? » Alice secoua
la tête. « Non, et toi ?
— Non, le shérif avait raison. Il est impossible d’identifier quoi que
ce soit. Le journal de bord a disparu, tous les numéros et toutes les
marques des instruments ont été effacés. La seule chose que je puisse
te dire, c’est que quelqu’un ici, probablement M. De Foe, a fumé la
pipe. »
Alice soupira, puis reprit le médaillon, et l’étudia de nouveau avec
attention : « Il y a sûrement quelque chose là-dedans, murmura-t-
elle, c’est pour cela qu’il avait été caché.
— Partons-nous ?
— Oui. Il n’y a plus rien à faire ici, nous avons cherché partout.
— Je vais fermer la cabine, décida James Roy, bien que je ne pense
pas qu’il y ait beaucoup de passage par ici. »
Alice monta sur le pont, et s’étonna du silence et de la solitude du
paysage alentour. L’eau clapotait doucement contre les piliers du
ponton, et une brise légère agitait les palmiers.
Où ont-ils bien pu aller ? se demanda-t-elle.
« Quelqu’un les a probablement vus, dit son père. C’est l’une des
premières choses que le shérif m’ait dites, et il ne cesse de le répéter.
D’autre part cette crique est vraiment un curieux endroit pour
abandonner un bateau puisqu’on ne peut ensuite la quitter à pied. »
Le trajet du retour parut interminable à Alice qui ne songeait qu’à
ses deux amies. Aussitôt à l’hôtel, ils se ruèrent au bureau de la
réception pour savoir si on leur avait laissé un message.
« Non, monsieur, mademoiselle, rien au nom de Roy, répondit
l’employé. Je regrette.
— Nous allons appeler là-bas, décida l’avocat. Gagnons nos
chambres. Nous arriverons bien à les joindre. »
Ils eurent de grosses difficultés à obtenir la liaison avec l’Île de
l’Ancre, malgré les efforts de la standardiste. Au bout d’une heure
enfin, le téléphone sonna. Alice se précipita, le cœur battant. Mais
c’était toujours la standardiste.
« Mademoiselle Roy ? Écoutez, je n’ai pu encore joindre ce
numéro. La ligne a été coupée par deux fois, et maintenant plus
personne ne répond. Maintenez-vous votre appel ? »
Alice consulta son père, et lui tendit le récepteur, découragée. Il
annula leur demande, disant qu’ils essaieraient de nouveau un peu
plus tard. Son visage était grave lorsqu’il raccrocha.
« Papa, où sont Bess et Marion ? » murmura Alice.
Il secoua la tête.
« J’aimerais bien le savoir. »
Chapitre 4
Le galion d’or

« Qu’allons-nous faire ? demanda Alice.


— Écoute, nous ne pouvons joindre l’île pour le moment, répondit
son père. Alors, pourquoi n’appellerions-nous pas Avery
maintenant ? Nous pourrions lui porter le médaillon aujourd’hui ?
— Mais… commença Alice.
— Ma chérie, il est de plus en plus évident que ces vacances
t’étaient très personnellement réservées. Je veux dire que si, comme
nous le pensons, ce sont les mêmes personnes qui t’ont envoyé les
billets d’avion, et qui ont collectionné cette liasse d’articles, ils
espéraient sans doute que toi et moi, serions leurs seuls invités. »
Alice fronça les sourcils : « Je suis d’accord, mais alors pourquoi
ne répondent-ils pas au moins au téléphone ?
— Peut-être ont-ils tout simplement donné congé à leur personnel
pour l’été. À cette heure-ci ils doivent être encore en route entre
Nassau et l’île.
— Tu es sûr que Bess et Marion sont en sécurité ?
— Mais oui. Va te reposer un peu. Tu dois être fatiguée après ce
long voyage, et tu t’es levée très tôt. »
Alice se rendit docilement dans sa chambre, et s’étendit sur son
lit ; à travers la cloison, elle entendit son père demander le numéro
de M. Yates. Il l’obtint bientôt, et elle devina que l’interlocuteur
semblait heureux de cet appel.
Un moment après, James Roy frappa à sa porte : « Avery nous a
invités à dîner », annonça-t-il en souriant.
Alice s’assit sur son lit : « Et si Bess et Marion appellent ?
demanda-t-elle anxieusement.
— J’ai préféré lui proposer de nous rejoindre sur la terrasse de
l’hôtel, qui est superbe. Nous laisserons un mot au concierge, pour
qu’il puisse nous appeler à tout moment.
— Merci, papa », soupira Alice en se rejetant en arrière sur son
oreiller.

Après sa sieste, elle prit tout son temps pour se préparer. Elle fit
couler un bain de mousse, puis passa une jolie robe couleur corail qui
mettait en valeur sa carnation délicate et ses yeux clairs. Elle brossa
soigneusement ses cheveux, et fixa deux peignes dorés de chaque
côté de son visage.
Son père entra à ce moment :
« Es-tu prête ? Avery est en bas. Je lui ai demandé de monter un
instant voir le médaillon avant d’aller dîner.
— Si seulement il pouvait nous apprendre quelque chose »,
répondit Alice, tandis qu’on frappait doucement à sa porte.
M. Yates était semblable en tout point au portrait qu’elle avait
conservé dans ses souvenirs : c’était un homme grand et mince, au
regard bleu, très vif malgré ses soixante-dix ans : « Mademoiselle
Alice, vous êtes plus jolie à chacune de nos rencontres, lui dit-il en lui
serrant amicalement la main. Vous avez l’air d’une jeune femme
maintenant, mais je sais que vous résolvez toujours des mystères ! »
Alice rougit légèrement : « J’espère, en tout cas, être capable de
résoudre celui-ci », sourit-elle. Son père et elle expliquèrent alors au
vieil homme tout ce qui s’était produit depuis le coup de téléphone à
James Roy, à propos du bateau abandonné, jusqu’à l’arrivée du
mystérieux prix d’Alice, en passant par le départ des deux amies vers
Nassau.
Il les écouta avec attention et secoua la tête en apprenant qu’ils
avaient été dans l’impossibilité de joindre l’Île de l’Ancre.
« Voici enfin ce que nous avons trouvé, Alice et moi, sous le
plancher de la cabine », conclut James Roy. Il dénoua les cordelettes
du petit sac de cuir, et fit glisser le médaillon dans la paume de
M. Yates.
« Ah dites donc ! » murmura celui-ci en caressant le métal brillant
du bout des doigts. Il le soupesa, puis l’éleva devant ses yeux, au bout
de sa lourde chaîne. « C’est une découverte, mademoiselle Alice, une
belle découverte…
— Pensez-vous que ce soit de l’or pur ? demanda la jeune fille.
— Très probablement, répondit-il. Mieux que cela, je crois que
vous avez mis la main sur une véritable pièce de musée. » Il
s’approcha de la lampe, et observa de plus près la face gravée du
médaillon. « Il faudrait que je fasse quelques travaux pour découvrir
ce qui est inscrit là, mais d’ores et déjà, je peux dire qu’il s’agit sans
doute d’une pièce d’un trésor espagnol. J’ai souvent eu l’occasion
d’examiner des objets datant de l’époque où les galions sillonnaient
ces mers, et ceci leur ressemble beaucoup.
— De l’or espagnol, murmura James Roy, songeur.
— Un trésor de pirates ? » renchérit Alice sur le même ton.
M. Yates hocha la tête : « L’un ou l’autre, ou peut-être les deux,
répondit-il.
— Mais qu’est-ce que cela signifie ? insista Alice. Cela peut-il nous
aider à savoir ce que Marion, Bess et les De Foe sont devenus ? »
Le vieil homme secoua la tête en signe d’impuissance.
« Allons, nous ferions bien d’aller dîner maintenant, intervint
James Roy. Je meurs de faim. »

Le repas fut excellent, et la vue que l’on avait de la terrasse sur la


magnifique plage doucement éclairée par le clair de lune était
spectaculaire, mais Alice eut du mal à y prendre plaisir. Elle ne
cessait de penser à ses deux amies. Où pouvaient-elles donc bien
être ? Pourquoi n’appelaient-elles pas, si elles étaient bien arrivées ?
Elle fut soulagée quand le repas s’acheva. Son père proposa de
regagner leurs chambres, pour y revoir le médaillon.
M. Yates ne s’attarda pas longtemps. Il se leva bientôt avec un
soupir : « Je serai enchanté de restaurer votre précieuse trouvaille,
leur dit-il. Voulez-vous que je vous appelle lorsque j’aurai terminé ? »
L’avocat acquiesça : « Nous vous téléphonerons avant de quitter
Miami, et nous nous reverrons avant.
— Dans ce cas, j’aimerais vous avoir à dîner chez moi.
— Nous en serons ravis, assura James Roy. Nous espérons que
vous pourrez nous apprendre quelque chose. Ne serait-ce qu’un
détail infime… »
Aussitôt la porte refermée, l’avocat se précipita sur le téléphone
pour appeler la standardiste. Alice attendit, le cœur battant. Mais son
père reposa bientôt le récepteur.
« Toujours rien ? »
Il secoua la tête : « Je lui ai dit de maintenir l’appel toute la nuit
s’il le fallait.
— Nous pourrions peut-être contacter l’aéroport de Nassau ?
suggéra Alice.
— Si personne n’était venu les chercher, elles nous auraient
appelés, remarqua son père.
— Mais alors où peuvent-elles bien être ? » Alice avait envie de
pleurer. « Si quelque chose est arrivé, ce sera ma faute !
— Allons, allons, ne dis pas de bêtises, dit James Roy doucement.
Attendons encore jusqu’à demain ; tu verras qu’elles nous
appelleront et nous donneront une explication tout à fait logique.
Dans le cas contraire, nous prendrons une décision. »
Alice approuva de la tête, mais elle restait inquiète. Elle se coucha
le cœur lourd, et ne parvint que tard dans la nuit à sombrer dans un
lourd sommeil sans rêves.
La sonnerie du téléphone l’éveilla en sursaut le lendemain, et elle
bondit hors de son lit pour courir dans la chambre de son père,
prenant à peine le temps d’enfiler sa robe de chambre. Il raccrochait
au moment où elle entra, et la regarda en secouant la tête : « C’était
seulement le shérif. Il est en route et paraît furieux ! »
Chapitre 5
Coup de théâtre

« Mais pourquoi donc ? s’exclama Alice.


— Il n’a pas donné d’explications. Mais nous ferions bien de nous
habiller en vitesse. Il sera là dans quelques minutes. »
Ils achevaient un rapide petit déjeuner dans leur chambre quand
un coup sur la porte annonça leur visiteur. James Roy ouvrit au
shérif Boyd et celui-ci entra en trombe.
Son regard étincelait de colère.
« Où est-il ? » cria-t-il.
Alice baissa les yeux, pensant aussitôt au médaillon d’or.
« De quoi parlez-vous donc ? demanda calmement James Roy.
— Du bateau bien sûr ! rétorqua le shérif Boyd. Il est parti. Je suis
allé là-bas ce matin. Il avait disparu !
— Shérif, je puis vous assurer que le bateau était encore
solidement amarré à quai quand Alice et moi l’avons quitté hier,
répondit M. Roy. Et je l’ai fermé comme vous me l’aviez demandé. »
Les yeux noirs le fixèrent un moment, puis se tournèrent vers
Alice : « Est-ce votre version aussi ?
— C’est la vérité, shérif, répondit la jeune fille, rougissant sous
l’accusation qu’impliquait cette question.
— Vous êtes les derniers à être montés à bord, grogna l’homme.
— Ce qui était une excellente raison pour ne pas le prendre !
répliqua l’avocat. Puisque vous saviez que nous étions là-bas, nous
aurions été stupides de voler ce bateau, vous ne croyez pas ? »
Le shérif l’affronta un moment puis se détourna, un peu penaud.
« Qui d’autre que nous était au courant de sa présence dans la
crique ? reprit Alice.
— Au moins la moitié des habitants de Palm Cove, admit le
policier avec un soupir. Difficile de garder un secret dans une ville de
cette importance.
— Pourrait-ce être le fait d’un des résidents ? questionna James
Roy.
— Non, je ne le pense pas. S’il s’en servait, ou tentait de le vendre,
il serait immédiatement repéré et m’aurait aussitôt à ses trousses !
— Peut-être les De Foe sont-ils revenus le prendre ? suggéra Alice
avec espoir.
— C’est fort improbable, répondit encore le shérif. J’ai découvert
qu’ils possèdent un établissement nommé “Sweet Springs”, dans une
île des Bahamas. J’ai essayé de les joindre là-bas toute la nuit, sans
succès. Je me demande s’il ne se passe pas quelque chose d’anormal,
et si le bateau ne se trouvait pas ici pour permettre à quelqu’un de
s’échapper, après je ne sais quel mauvais coup. »
Alice déglutit, et rencontra le regard inquiet de son père.
« Nous sommes également préoccupés à ce sujet, shérif »,
commença James Roy. Il raconta alors à M. Boyd toute l’histoire du
concours, et signala le silence surprenant de Bess et Marion depuis
leur départ pour l’Île de l’Ancre. Le visage du shérif s’assombrit
davantage.
« Pourquoi ne m’avez-vous pas dit tout cela plus tôt ? s’exclama-t-
il, furieux. Je croyais que vous ignoriez tout de ces gens-là. C’est ce
que vous m’aviez dit !
— C’était la vérité, répondit Alice. La lettre annonçant le prix ne
portait aucune indication, et je n’avais pas dit à mon père le nom de
l’île où j’étais invitée ; il ne pouvait donc pas savoir qu’il s’agissait du
même endroit. Vous étiez déjà parti lorsqu’il me l’a dit.
— Vous auriez pu passer à mon bureau », insista-t-il, l’air
soupçonneux.
Alice regarda son père, se demandant s’il allait parler du
médaillon. Elle savait qu’ils auraient dû le faire, mais l’attitude du
shérif la persuadait que cela entraînerait des complications non
seulement pour eux mais aussi pour M. Yates.
« Nous étions impatients de rentrer à l’hôtel pour joindre les filles,
expliqua James Roy. Je pensais qu’elles auraient donné toutes les
informations souhaitées sur les De Foe et sur l’hôtel. Et
naturellement, je vous aurais appelé aussitôt après.
— Bien évidemment. » Le shérif Boyd ricana.
« Je vous assure, répéta James Roy avec un peu d’agacement, qu’il
n’était nullement dans mes intentions de garder ces informations
secrètes. J’ai également essayé d’appeler l’île de l’Ancre. Nous nous
tourmentions pour ces deux jeunes filles.
— Et moi, plus pour le bateau ! répliqua brutalement M. Boyd. Je
veux que vous veniez tous les deux à mon bureau donner votre
emploi du temps d’hier après avoir quitté le bord.
— Vraiment shérif ? commença James Roy qui sentait la colère le
gagner. Mais…
— Une déposition complète sur tous vos faits et gestes, coupa le
shérif. Avant midi ! »
Il sortit sur ces mots sans leur laisser le temps de s’expliquer
davantage. Alice soupira : « Qu’allons-nous faire papa ? Pour le
médaillon ? »
Son père grimaça un sourire : « Je suppose qu’il est un peu tard
pour lui dire quoi que ce soit, remarqua-t-il. Si nous lui en parlons
maintenant, il est capable de nous arrêter tous les deux, et nous
aurons du mal à aider Bess et Marion en prison !
— Mais nous n’avons rien fait de mal ! protesta Alice.
— Crois-tu que M. Boyd soit d’humeur à écouter nos justifications,
si plausibles soient-elles ? sourit son père.
— Il faudra bien lui dire que nous avons vu M. Yates.
— J’avertirai Avery de ne pas faire mention du médaillon s’il est
interrogé. C’est tout simplement un vieil ami qui nous a rejoints, hier
soir, pour dîner.
— En attendant, nous devrions vite appeler Nassau, et demander
qu’une enquête soit ouverte. Si nous réussissons à convaincre
M. Boyd que nous n’avons rien à voir dans cette histoire de bateau
volé, nous pourrons partir à notre tour pour l’Île de l’Ancre, et savoir
ce qu’il s’y passe.
— Tu as raison, le plus tôt sera le mieux, approuva James Roy. Et
puis… »
La sonnerie du téléphone l’interrompit. Alice se précipita pour
répondre.
« Mademoiselle Roy, j’ai enfin obtenu votre numéro à l’île de
l’Ancre, annonça l’opératrice.
— Oh, vite, merci.
— Allô, ici la station de “Sweet Springs”, cria une voix d’homme.
— Allô, j’aimerais parler à Bess Taylor ou à Marion Webb, s’il vous
plaît, monsieur.
— Comment ? » La voix lointaine n’était pas très amicale.
« Je désirerais m’entretenir avec l’une de vos clientes, répéta Alice.
Mlle Marion Webb ou Mlle Bess Taylor. Elles ont dû arriver hier.
— Il n’y a personne de ce nom-là, ici.
— Mais elles avaient une réservation ! »
Son père lui toucha le bras pour attirer son attention.
« À ton nom, chérie, chuchota-t-il.
— Les réservations étaient faites au nom d’Alice Roy, reprit-elle.
— Vous devez faire erreur, madame, répondit-on avec
indifférence.
— Y a-t-il quelqu’un d’autre pour me renseigner ? insista Alice
désespérément. Quelqu’un du bureau des réservations ou quelque
chose comme ça ?
— Il n’y a personne d’autre ici pour vous répondre. L’hôtel est
fermé ! Je suis le gardien.
— Mais… c’est impossible ! » s’exclama Alice. Elle s’interrompit.
L’homme avait raccroché.
Chapitre 6
Disparues !

« Qu’y a-t-il, Alice ? demanda James Roy en prenant le récepteur


des mains tremblantes de sa fille.
— Il… il a dit que l’hôtel était fermé, balbutia la jeune fille. Il n’y a
personne là-bas, il est seul !
— Comment ? » Son père la regardait avec stupéfaction. « Attends,
laisse-moi passer quelques coups de fil. Je parlerai ensuite au shérif
Boyd. »
Alice lui céda sa place, et se laissa tomber dans le fauteuil le plus
proche, rongée d’inquiétude. Elle n’en pouvait plus ; elle devait agir,
partir pour Nassau et l’île de l’Ancre, ne pas attendre ainsi dans une
chambre d’hôtel.
Son père appela d’abord Avery Yates pour le prévenir de la
prochaine visite du shérif, et le préparer à sa probable mauvaise
humeur. Alice l’entendit s’exclamer : « Ah oui, vraiment ? C’est
magnifique ! En effet, c’est tout à fait surprenant. Quand dites-vous ?
Bravo, vous n’aurez qu’à nous joindre. »
Il raccrocha, et se tourna vers sa fille : « Avery a passé la moitié de
la nuit à travailler sur notre médaillon. Il est persuadé qu’il s’agit
bien d’une pièce provenant des galions espagnols.
— Est-il parvenu à déchiffrer ce qui était gravé sur l’or ?
— Pas encore, mais il pense qu’il aura terminé ce soir.
— Formidable, soupira Alice sans grand enthousiasme.
— Maintenant, j’appelle Nassau, reprit son père. Il y aura bien
quelqu’un à l’aéroport pour me dire ce qui est arrivé aux filles. »
Mais près d’une heure plus tard, il raccrocha d’un air exaspéré :
« Le prochain qui me répond qu’il me rappellera s’il entend parler de
quoi que ce soit, je lui fais avaler le téléphone », gronda-t-il.
Alice soupira de nouveau, puis jeta un coup d’œil à sa montre.
« Si nous voulons arriver à Palm Cove avant midi, nous ferions
bien de partir », remarqua-t-elle. Son père parut hésiter quelques
instants à se rendre au bureau du shérif, mais convint finalement que
s’ils voulaient aller sur l’île de l’Ancre le plus vite possible, le plus
simple serait de se débarrasser de cette obligation, et d’obtempérer.
« Crois-tu qu’il nous laissera embarquer pour l’Île de l’Ancre ?
— Il n’a aucun motif de nous en empêcher, dit aussitôt James Roy.
Il nous a interrogés sur ce bateau abandonné, et nous lui avons
répondu. Je suis étranger à sa disparition, et je suis certain qu’il l’a
compris.
— Il était furieux, ce matin, murmura Alice.
— Oui, mais quand il sentira qu’une visite à l’Île de l’Ancre peut
être fructueuse, il sera certainement content de nous laisser nous y
rendre.
— Puisses-tu avoir raison ! » soupira de nouveau la jeune fille.
Le trajet jusqu’à Palm Cove se fit sans incident, et le shérif les
reçut avec plus d’amabilité que le matin. Il les interrogea de nouveau
sur le bateau et sur leur emploi du temps depuis sa disparition. Il ne
parut intéressé que lorsque Alice mentionna leur coup de téléphone à
l’hôtel de « Sweet Springs » :
« Avez-vous demandé à parler aux De Foe ?
— Bien sûr, répondit Alice, j’ai demandé à parler aux propriétaires
de l’hôtel, mais le gardien m’a dit qu’il n’y avait personne et que
l’hôtel était fermé.
— Vous croyez cela ? » La question du shérif la fit sursauter.
« Eh bien,… c’est-à-dire, balbutia-t-elle, je voulais lui poser
d’autres questions, mais il a coupé la communication et…
— Voilà pourquoi nous aimerions aller dans l’île dès cet après-
midi, intervint M. Roy. J’ai déjà prévenu l’aéroport de Nassau, et leur
ai demandé d’enquêter au sujet de nos deux amies, mais je suis
convaincu que la meilleure solution est de nous rendre en personne
dans l’Île de l’Ancre pour savoir la vérité. »
Le shérif Boyd les dévisagea longuement avant de répondre. Alice
eut le sentiment désagréable qu’il les soupçonnait toujours de lui
cacher quelque chose : « Et les De Foe ? demanda-t-il enfin.
— Nous ferons notre possible pour les retrouver eux aussi, dit
calmement James Roy. Je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe, mais
j’ai l’intuition que tout ceci est lié à cet étrange concours que ma fille
aurait remporté, et qui a entraîné la disparition de Bess et Marion. »
Le shérif hocha la tête : « En tout cas, prévint-il, je veux être
informé de vos moindres découvertes ; et en priorité si elles
concernent le bateau.
— Vous le serez, je vous en donne ma parole, répondit l’avocat.
— Vous désirez partir aujourd’hui ?
— Cela dépendra des horaires des vols et des appels que je veux
faire à Nassau. »
Ils quittèrent le shérif en lui promettant de l’avertir de leur départ,
et se retrouvèrent dehors, sous un magnifique soleil.
« Veux-tu que nous déjeunions, maintenant ? » proposa James
Roy à sa fille, en lui désignant un restaurant tout proche.
Celle-ci haussa les épaules : « Si tu veux, répondit-elle sans
entrain.
— Je vais passer quelques coups de téléphone pendant que tu
commandes. Prends ce que tu veux pour moi. »
Alice rit nerveusement : « De toute façon, aucun de nous deux
n’aura beaucoup d’appétit, mais il faut bien se nourrir. »
Son père lui entoura affectueusement les épaules de son bras :
« Nous les retrouverons vite, ma chérie, je te le jure », la réconforta-
t-il.
Quelque temps après, il s’asseyait à la table.
« Alors ?
— Aucun appel de Nassau pour l’instant, répondit-il. Mais j’ai pu
trouver quelqu’un qui loue des avions et qui pourrait nous emmener
à l’île de l’Ancre.
— Quand ?
— Le plus tôt possible. Il m’a dit qu’il était dangereux d’atterrir de
nuit, et qu’il préférait y arriver avant la fin de la journée.
— Et s’il n’y a personne là-bas ?
— Nous aviserons, répliqua James Roy. Pour l’instant, dépêchons-
nous de déjeuner et d’aller chercher nos affaires à l’hôtel.
Alice prit docilement sa fourchette mais son estomac était noué.
De retour à leur hôtel, elle fit les bagages pendant que son père
appelait une fois de plus la police de l’aéroport de Nassau. La
conversation dura longtemps, et l’avocat avait l’air soucieux en
raccrochant.
« Alors, les ont-ils trouvées ? questionna Alice.
— Non, ils ne savent pas où elles sont. Mais j’ai parlé avec une des
hôtesses qui les a vues pendant le vol.
— Sait-elle quelque chose ?
— Eh bien, selon elle, après avoir passé la douane, elles ont été
accostées par un homme qui devait les mener à l’Île de l’Ancre.
— Comment ? s’exclama Alice. Mais…
— Elle n’a pas pu me donner une description très précise de cet
homme. Je sais seulement qu’il était jeune, et qu’il portait le genre de
vêtements que l’on met sur un bateau : des chaussures de pont, un
teeshirt, etc.
— Mais, si l’hôtel est fermé, où peut-il les avoir emmenées ? »
demanda Alice avec angoisse.
Son père secoua la tête, en signe d’impuissance : « C’est la
première chose que nous demanderons au gardien en arrivant.
— Quand partons-nous ?
— Dès que tu seras prête, j’appellerai l’aéro-club. »
Chapitre 7
L’Île de l’Ancre

Le téléphone sonna au moment où Alice bouclait ses valises. Elle


se précipita, espérant des nouvelles de Bess et de Marion, mais son
père secoua la tête négativement tout en poursuivant sa
conversation :
« Parfait, Avery. Nous passerons en allant prendre l’hydravion. »
Il raccrocha presque aussitôt. « Ça y est. Notre médaillon est prêt.
— Nous avons le temps ? demanda Alice, uniquement préoccupée
de ce qui se passait dans l’Île de l’Ancre.
— Nous le trouverons, répondit son père doucement. Tu sais, ce
médaillon pourrait bien nous être utile, plus tard. »
Alice acquiesça, elle savait qu’il avait raison, mais était trop
inquiète au sujet de ses deux amies, pour s’intéresser à autre chose.
Elle retourna dans sa chambre prendre ses bagages, et rejoignit son
père sur le palier.
« Prête ? » sourit-il.
Elle hocha la tête.
Le trajet ne fut pas très long jusqu’à la petite maison d’Avery
Yates, située au bord de la mer, et Alice apprécia beaucoup cette
courte visite. Le brave homme leur fit promettre de passer une
journée entière, chez lui, à leur retour pour voir sa collection de
bijoux anciens. Elle paraissait très belle. Il y avait aussi
d’innombrables photographies des pièces de valeur qu’il avait eu à
restaurer dans sa carrière.
« Je suis désolé, je n’ai pas pu terminer tout à fait mon travail sur
votre médaillon », leur dit-il en tendant à Alice un petit coffret de
bois poli. À l’intérieur, reposait le pendentif, sur un petit coussin de
velours noir. Il brillait de mille feux.
« Il est splendide ! s’exclama Alice.
— Oui. Comme vous voyez, il y a le dessin d’une ancre sur l’une
des faces. Mais l’autre a dû être endommagée ; je n’ai pas réussi à
faire apparaître la seconde moitié de l’ancre.
— Peut-être l’artiste l’a-t-il laissée inachevée ? suggéra Alice.
— C’est possible, en effet, approuva M. Yates, mais il semble tout
de même y avoir un dessin sur cette partie ; je crois qu’il a dû
représenter quelque chose d’autre, mais je ne sais pas quoi. »
Sur le métal brillant, Alice retraça, du bout des doigts, la moitié
visible de l’ancre.
« Une ancre brisée, murmura-t-elle. Peut-être était-ce cela que
l’artiste avait en tête.
— C’est une possibilité, approuva M. Yates. J’essaierai d’en savoir
davantage durant votre absence. Il existe plusieurs récits de trésors
disparus dans cet endroit du monde. Cette pièce-ci est assez insolite
pour avoir été mentionnée quelque part…
— Voilà une recherche qui doit être passionnante à faire, dit Alice.
Je pourrais peut-être, quand nous aurons retrouvé Bess et Marion…
— Vous serez la bienvenue ici, mademoiselle Alice, assura le vieil
homme. J’ai une petite bibliothèque dans laquelle vous pourrez
puiser à votre guise.
— Nous vous appellerons à notre retour, promit James Roy, et
nous vous remercions beaucoup pour le beau travail que vous avez
fait.
— J’espère que cela vous aidera à trouver vos jeunes amies »,
sourit gentiment le joaillier.

L’hydravion était déjà amarré à une sorte de quai improvisé au


lieu qui leur avait été indiqué. Alice s’engagea sur la passerelle avec
un sentiment de malaise ; le pilote les accueillit froidement, et
chargea leurs bagages à bord sans un sourire.
« Je n’aime pas beaucoup décoller à une heure si tardive déclara-t-
il, d’un ton rogue.
— Excusez-nous, répondit M. Roy, nous avons été retardés. Mais
on m’a dit que nous pouvions atterrir de nuit à l’île de l’Ancre ?
— Si nous partons tout de suite, oui », fit l’homme pour toute
réponse.
James Roy fit un clin d’œil à sa fille, et l’aida à grimper à bord. À
leur grande surprise, ils trouvèrent deux hommes déjà installés dans
la cabine.
« Je ne savais pas qu’il y aurait d’autres passagers ! s’exclama
l’avocat. J’espère que nous ne vous avons pas fait trop attendre,
messieurs. »
Les deux hommes sourirent poliment. « Nous allons à Swallow
Cay, expliqua le plus âgé. Jim nous a dit qu’il pourrait nous déposer
après vous ; c’est à quelques miles de l’Île de l’Ancre. Cela ne vous
ennuie pas ?
— Bien sûr que non. » James Roy se présenta avec sa fille.
L’homme qui avait parlé s’appelait M. Perkins et son ami, M. Graves.
Aussitôt après le décollage, Alice s’adressa aimablement à
M. Perkins qui était assis auprès d’elle :
« Connaissez-vous l’île de l’Ancre ?
— À vrai dire, j’ai souvent pêché dans le coin, mais je n’y ai jamais
débarqué, répondit-il.
— Avez-vous entendu parler des De Foe ? demanda M. Roy à son
tour.
— Jeff et Lena, bien sûr ! Nous avons souvent pêché avec eux sur
le “Polka”. Vous leur rendez visite ?
— Nous avons des amis qui sont descendus à leur hôtel de “Sweet
Springs” », répondit prudemment James Roy, et Alice comprit qu’il
ne tenait pas à en dire davantage
« Vraiment ? C’est curieux, je croyais que l’endroit était fermé à
cette époque de l’année, remarqua M. Perkins avec surprise. La
saison est pratiquement terminée maintenant, sauf pour quelques
pêcheurs invétérés comme nous !
— Ce “Polka” dont vous parlez, est-ce le bateau des De Foe ?
questionna Alice, intriguée par le nom.
— Oui. C’est un joli petit yacht, répondit M. Perkins. Deux cabines,
un carré très confortable à l’arrière et deux fauteuils très bien
équipés pour la pêche au gros – le bateau idéal pour une bonne
partie en mer. Et en plus, Lena est un parfait cordon-bleu, ajouta-t-il
en souriant. Pas comme Ben, en tout cas !
— Dis donc, répliqua son ami, tu feras la cuisine tout seul puisque
c’est comme ça ! »
Ils continuèrent à plaisanter entre eux, et à raconter
d’interminables histoires de pêche pendant le reste du vol.
Alice les écouta un moment avec intérêt, mais très vite ses pensées
revinrent à Bess et Marion. Elle était si occupée à réfléchir une fois
de plus au mystère de leur disparition qu’elle ne sentit pas l’avion
ralentir et amorcer une courbe.
« Voici l’Île de l’Ancre, lui dit M. Perkins en lui touchant le coude.
Vous voyez là-bas, la petite anse dans laquelle nous allons nous
poser ? C’est un excellent mouillage pour les bateaux. C’est
probablement ce qui a valu ce nom à l’île. Les jours de tempête, on
n’y compte pas les bateaux de pêche. »
Alice se pencha en avant pour mieux voir à travers le hublot,
tandis que l’avion virait au-dessus d’une longue et étroite bande de
terre, et perdait de l’altitude pour entrer dans la baie. Elle reconnut
la plage dont elle avait contemplé plusieurs photographies sur le
dépliant touristique ; elle était déserte et le cœur d’Alice se serra
quand elle découvrit l’hôtel au sommet d’une petite colline : il avait
l’air absolument désert, portes et fenêtres closes.
« Il semble fermé, en effet », reconnut James Roy, le front
soucieux. L’hydravion se posa doucement sur l’eau, et se dirigea vers
le quai en béton qui s’avançait dans l’eau verte.
Il stoppa enfin, et le copilote qui ne paraissait guère plus amène
que le pilote vint ouvrir la porte de leur cabine. « L’Île de l’Ancre »,
annonça-t-il d’une voix morne.
Alice détacha sa ceinture, et sortit en hésitant un peu. Le parfum
des fleurs apporté par une brise légère l’accueillit à la porte. « Nous
ne sommes pas sûrs… », commença-t-elle. Mais à ce moment
quelque chose, au sommet de la colline, attira son attention.
« Je vous donne vos bagages », dit le copilote en sautant à terre
pour amarrer l’avion. Il lui tendit ensuite la main.
« Un moment, dit James Roy, à son tour. Nous allons peut-
être… »
Mais Alice ne le laissa pas achever sa phrase. Elle s’élança vers la
colline, et elle était déjà au milieu de la plage quand la silhouette
qu’elle avait discernée près de l’hôtel apparut de nouveau entre deux
magnifiques hibiscus.
« Marion ! hurla Alice, en agitant les bras avec frénésie ; Marion,
est-ce bien toi ?
— Alice ! » Impossible de se tromper sur la voix, ni sur le corps
mince et le visage encadré de cheveux noirs.
Alice s’arrêta pour l’attendre, les bras tendus. Elles s’étreignirent
longuement avant de pouvoir se parler.
« Nous nous sommes tant inquiétés pour vous ! s’exclama la jeune
détective en surmontant enfin son émotion. Pourquoi ne nous avez-
vous pas appelés pour nous dire que vous étiez arrivées ?
— Oh ! Alice, si tu… » Marion n’acheva pas sa phrase. Le
ronronnement du moteur s’était soudain transformé en rugissement.
Les deux jeunes filles regardèrent l’hydravion quitter le quai en se
dandinant, et prendre la direction du large ; il traversa la crique en
sens inverse, et prit de plus en plus de vitesse avant de s’élever au-
dessus de l’eau.
« Alice, écoute… » reprit Marion. Mais Alice l’arrêta de la main :
« Attends, ne dis rien avant que papa ne soit là. Il s’est fait beaucoup
de souci, tu sais. »
M. Roy arrivait en courant avec les bagages. « Mais où est le
personnel de l’hôtel, Marion ? s’exclama-t-il, en posant les valises
pour s’éponger le front.
— C’est justement ce que j’allais dire à Alice, répondit la jeune fille.
Il aurait fallu garder l’avion.
— Nous pouvons appeler Swallow Cay par radio et leur demander
de revenir. Je m’en suis assuré avant leur départ. »
Mais Marion secoua la tête : « Cela ne sera pas si facile. Jusqu’à
présent, nous n’avons pas eu beaucoup de chance avec la radio. Peut-
être réussirez-vous mieux.
— Où sont donc tous les gens ? demanda Alice en scrutant l’hôtel
et ses alentours.
— Il n’y a personne, à part Penny. L’hôtel est fermé. Penny était
seule quand nous avons débarqué hier. Elle est très gentille et…
— Comment cela, vous êtes ici depuis hier ? coupa Alice. Nous
avons appelé ici ce matin, et on nous a dit qu’aucun client n’était
arrivé, que tout était fermé !
— Vous avez parlé avec quelqu’un ? » Marion les regarda avec
stupeur.
« Bien sûr. Nous n’avons cessé d’essayer de vous contacter !
— Alors ce n’est pas “Sweet Springs” que vous avez eu, affirma
Marion. Tous les téléphones sont hors d’état depuis notre arrivée.
Sinon, nous vous aurions téléphoné depuis longtemps.
— Mais… » Alice s’interrompit au milieu de sa phrase, les sourcils
froncés. « Au fait, où est Bess ? »
Marion regarda autour d’elle. « Je ne sais pas. Elle est partie faire
une promenade à pied, pendant que Penny et moi essayions de faire
fonctionner la radio. Mais il y a bien une heure de cela.
— Elle est peut-être rentrée dormir, suggéra Alice. C’est tout de
même curieux qu’elle n’ait pas entendu le moteur de l’avion. Et qui
est Penny ? »
À ce moment, une jeune fille rousse apparut sur la plage, et se
dirigea vers eux avec un large sourire. « Bonjour, leur dit-elle en
plissant ses yeux verts. Vous êtes sans doute les Roy. Bess et Marion
m’ont beaucoup parlé de vous. Je m’appelle Penny De Foe. »
Alice et son père lui tendirent la main, surpris et intrigués
d’entendre le nom de De Foe. Mais déjà Marion lui demandait :
« Dis-moi, Penny, as-tu vu Bess ?
— Non, je la croyais avec toi. Elle n’est pas dans votre chambre, en
tout cas. »
Il y eut un moment de silence, et ils se regardèrent les uns les
autres, frappés soudain par le calme étrange autour d’eux. Où était
passée Bess ?
Chapitre 8
À la recherche de Bess

« Portons d’abord vos affaires jusqu’à l’hôtel, proposa Penny.


Ensuite, nous nous mettrons à la recherche de Bess. Elle n’a pas dû
aller bien loin, et elle ne court pas un très grand danger puisque nous
sommes seuls sur l’île.
— Seuls sur l’île ? s’exclama James Roy. Mais il y a sûrement
quelqu’un d’autre… »
Penny secoua ses boucles rousses. « Non, j’étais complètement
seule avant l’arrivée de Bess et Marion.
— Mais, et les De Foe ? demanda Alice à son tour. Jeff et Lena. Ce
sont vos parents ?
— Mes grands-parents, corrigea la jeune fille. À vrai dire, je ne sais
pas où ils sont. Je suis arrivée avant-hier, et j’ai trouvé une note
qu’ils avaient laissée pour moi, me disant de m’installer, que j’aurais
bientôt de leurs nouvelles. Rien d’autre. »
Alice se tourna vers son père d’un air interrogateur.
« Est-ce qu’ils ont déjà agi de cette manière ? demanda celui-ci.
— Non, c’est la première fois », répondit Penny. Alice comprit, à
cet instant, qu’elle était passablement inquiète. « Ils m’avaient
invitée à passer les vacances avec eux. La dernière fois que je les ai
eus au téléphone, nous avons fait plein de projets ensemble, sur ce
que nous ferions… » Elle poussa un soupir. « J’avoue que j’ai été très
surprise. Personne ne m’attendait à Nassau, mais je me suis
débrouillée quand même pour venir avec le ferry.
— Au fait et vous, Marion ? demanda Alice. Comment avez-vous
fait pour arriver jusqu’ici ?
— Eh bien, il y avait un homme du nom de Tom à l’aéroport. Il a
demandé à Bess si elle était bien Alice Roy. Nous lui avons expliqué
que nous étions venues à ta place. Il a eu l’air un peu ennuyé, mais il
nous a annoncé qu’il avait été envoyé de “Sweet Springs” pour nous
prendre. » Elle haussa les épaules. « En tout cas, quand nous
sommes arrivés, il ne s’est pas attardé, il nous a débarquées tout au
bout du quai avec nos valises, et il est reparti aussitôt ! »
Penny sourit. « J’étais bien contente de les voir. Je ne savais pas
du tout ce que mes grands-parents avaient prévu ni quand ils
reviendraient, et j’avais bien envie de compagnie ! » Elle
s’interrompit, car ils arrivaient devant l’hôtel. « Et voilà. Bienvenue à
“Sweet Springs”, malgré tout !
— Bess ! hurla Marion, les mains en porte-voix. Bess, où es-tu ?
Alice et son père sont arrivés ! »
Mais ses mots se perdirent dans le vaste hall de réception
confortablement meublé. Seul leur répondit le chuchotement des
branches de palmiers tout près d’eux et le murmure des vagues sur le
sable de la plage.
« J’espère que vous ne verrez pas d’inconvénient à occuper les
chambres voisines de celle de Bess et Marion, reprit Penny en se
tournant vers ses hôtes. Il y en a de plus belles, mais je n’ai pas eu le
temps de les préparer. Le personnel les avait fermées, et avait
recouvert tous les meubles avant de quitter l’île.
— Est-ce toujours ainsi ? questionna James Roy après l’avoir
assurée que cela n’avait aucune importance. Je veux dire que tout le
monde quitte l’île, après la haute saison ?
— Oh oui, tout à fait, répondit Penny. La plupart des gens qui
travaillent dans l’hôtel vivent dans les îles voisines. Ils rentrent donc
chez eux aussitôt que mes grands-parents ferment. »
Les chambres étaient petites, mais joliment décorées et très
confortables. Alice constata avec satisfaction que l’une et l’autre
communiquaient avec celle de Bess et Marion par un étroit balcon
sur lequel s’ouvraient de larges portes-fenêtres.
Après avoir déposé ses bagages, l’avocat se tourna vers Penny :
« Marion a parlé tout à l’heure d’un radio-téléphone. Serait-il
possible de l’utiliser ? Je voudrais tenter de joindre l’hydravion pour
lui demander de venir à notre rescousse.
— Bien sûr, il est à votre disposition, répondit Penny. Peut-être
aurez-vous plus de succès que nous. Marion et moi n’avons pas
encore réussi à le faire fonctionner.
— Quelqu’un s’est entretenu avec nous d’ici, pourtant, intervint
Alice. Du moins, nous avions appelé cet hôtel ; je suppose que
l’homme qui nous a répondu était bien ici… Il nous a dit qu’il était
seul sur l’île, et qu’il était chargé de la surveillance de la propriété. »
Penny fronça les sourcils, visiblement surprise : « Non, Alice, c’est
impossible.
— On vous a probablement contactés d’une autre île », ajouta
Marion.
Alice allait protester que l’homme avait bien parlé de cet hôtel et
donné son nom, mais elle y renonça et haussa les épaules.
« Pendant que papa va demander de l’aide, si nous commencions à
chercher Bess ? proposa-t-elle. Elle s’est peut-être foulé la cheville,
quelque part… »
Marion approuva : « Oh oui, et elle ne tient sûrement pas à passer
la nuit dehors ! »
Le jour commençait en effet à tomber, et Alice savait que le
crépuscule était de courte durée dans cette région.
« Où a-t-elle bien pu aller ? demanda-t-elle encore.
— Aucune idée. Elle a passé la journée sur la plage, à se faire
bronzer. »
Alice soupira, les yeux rivés à l’épais bois de plantes tropicales,
tout proche. S’il avait été un peu moins bien disposé, on eût pu le
prendre pour une jungle.
« Je serais étonnée qu’elle se fût beaucoup éloignée de l’hôtel »,
ajouta Marion, rejoignant exactement les pensées d’Alice.
Celle-ci sourit : « Ce n’est pas son genre de s’aventurer en terre
inconnue. »
Penny les entraîna à sa suite : « Si vous exploriez toutes les deux la
plage ? Moi, je regarderai les bungalows et les jardins alentour
puisque je les connais mieux.
— Bonne idée », approuva Alice. Elle s’engagea aussitôt sur le
chemin qui menait à la plage. « Nous nous retrouverons ici quand
nous aurons terminé. Peut-être que, d’ici là, papa sera parvenu à
obtenir un contact radio.
— Je l’espère », répondit Penny, mais il y avait de l’incertitude
dans sa voix.
Alice et Marion gagnèrent la plage qui n’était pas très grande. Elles
s’arrêtèrent au milieu, et regardèrent de part et d’autre.
« Je suppose qu’il est impossible de repérer des traces de pas dans
le sable, remarqua Marion. Le sable sec ne les garde pas, et la mer
emporte celles qui sont sur le sable mouillé.
— De toute façon, nous la verrions si elle était sur le sable,
répondit Alice. Par contre, si nous suivons le bord de mer, nous
pourrons trouver l’endroit où ses empreintes quittent le sable pour ce
terrain qui est au-delà.
— Tu as raison, approuva Marion. Dépêchons-nous tant qu’il y a
encore de la lumière. Cet endroit devient vraiment lugubre la nuit.
— Tu trouves ? » Alice s’étonna de cette réflexion dans la bouche
de son amie habituellement si intrépide.
« C’est sans doute parce qu’il n’y a personne d’autre dans l’île,
expliqua Marion. Pas de lumières, aucun bruit, rien que le murmure
des vagues, le vent, les oiseaux et quelques chats qui vivent à l’état
sauvage. Il y a des poulets aussi mais au moins, ils se taisent la nuit !
— Tu as raison, cela n’est pas très gai, admit Alice. Raison de plus
pour découvrir Bess avant la nuit. »
Les deux amies suivirent donc le rivage, longeant une rangée de
massifs de fleurs. Alice ne tarda pas à ôter ses chaussures pour
goûter le plaisir du sable chaud sous ses pieds nus. Au-delà, il y avait
encore du sable, mais le sol était plus ferme et on distinguait
plusieurs traces. Aucune cependant ne ressemblait à une empreinte
de pas.
Plus loin, le banc de terre se rétrécissait et, ici et là, apparaissaient
quelques rochers. Plusieurs palmiers ombrageaient les plantes
éparses. Soudain, Alice aperçut tout au bout un objet bleu au milieu
des herbes.
Elle se dirigea vers cet endroit où les buissons étaient plus épais, et
saisit sur une branche basse un lambeau d’étoffe bleue. Elle reconnut
aussitôt une des jupes préférées de Bess. Elle aperçut les empreintes
sur le sol.
« Marion ! cria-t-elle à son amie accroupie un peu plus loin, en
train d’examiner un coquillage. Viens vite, je crois que j’ai trouvé
quelque chose d’important !
— Alice, as-tu retrouvé Bess ? clama James Roy, du haut de la
colline.
— Non, seulement des traces de pas, répondit-elle, les mains en
porte-voix.
— Nous arrivons ! »
Alice et Marion le regardèrent dévaler la pente avec Penny. Aucun
d’entre eux ne souriait.
« Avez-vous pu faire fonctionner la radio ? » demanda Alice.
Son père secoua la tête. « Non, il y a une panne quelque part, mais
je ne l’ai pas encore localisée. Ce soir, peut-être. Et toi qu’as-tu
découvert ?
— Ceci. » Elle lui tendit le bout de tissu.
« C’est bien la jupe de Bess, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle à
Marion.
Celle-ci acquiesça : « Elle la portait aujourd’hui.
— Les traces de pas s’en vont par là », reprit Alice. Elle enjamba
les buissons ras, et suivit la piste sur la zone ombragée de la plage.
Mais, presque aussitôt elle stoppa, et se retourna d’un air découragé.
« Où vont-elles ? demanda Penny, qui l’avait suivie.
— Nulle part, gémit Alice. Elles s’arrêtent net, là ! » Elle montra du
doigt les rochers dressés contre lesquels les vagues venaient se
briser.
Chapitre 9
Fantômes indésirables

Les empreintes s’arrêtaient bien contre les rochers. Alice les


examina avec attention. « Elle est certainement montée par là »,
murmura-t-elle, comme pour elle-même. Elle grimpa sur la plus
proche pierre, et regarda autour d’elle.
« Mais où s’est-elle dirigée ensuite ? demanda Marion.
— Je n’en ai pas la moindre idée, reconnut Alice en secouant la
tête.
— Nous pourrions peut-être rentrer à l’hôtel en longeant ces
rochers, suggéra son père. Elle n’a pas pu aller dans l’autre sens de
toute façon. »
Elles suivirent son regard. Les rochers s’étendaient sur quelques
centaines de mètres le long de la mer, et s’arrondissaient autour de
l’entrée de la baie. Au-delà, l’on ne retrouvait plus ni les arbres ni les
buissons.
« Je vais marcher sur les rochers, décida Alice. Vous surveillerez
les empreintes éventuelles, sur le sable. »
La végétation était beaucoup moins abondante, et elle était sûre
que les pas de Bess seraient parfaitement visibles, si d’aventure elle
avait brusquement quitté ces rochers.
Elle partit donc en direction de l’hôtel, sautant d’une pierre à
l’autre, comme Bess l’avait peut-être fait avant elle. Au début, ce fut
plutôt facile mais ensuite les rochers devinrent plus escarpés et
moins rapprochés les uns des autres. À un moment, son pied glissa,
et elle n’eut que le temps de se rattraper, pour ne pas tomber dans
l’eau.
« Fais attention, ma chérie, s’exclama son père, en faisant un
mouvement vers elle.
— Bess n’aurait jamais pu sauter ainsi, remarqua Marion. Elle
déteste ce genre d’exercice.
— Tu as raison, je me disais justement la même chose.
— Mais alors, où a-t-elle pu aller ? demanda Penny, en regardant
en arrière le chemin qu’ils avaient suivi. Il n’y a aucune trace, Alice. »
La jeune détective suivit son regard, cherchant une explication au
mystère de cette disparition, mais elle ne put en trouver aucune. Il y
avait partout de petites zones de sable humide entre les rochers, mais
sur aucune on ne pouvait voir la moindre marque de passage.
« Croyez-vous qu’elle ait pu se baigner à cet endroit ? » interrogea
James Roy.
Marion secoua aussitôt la tête : « Non, Penny nous avait bien
recommandé de faire attention aux courants, de ce côté-ci de l’île,
assura-t-elle. Nous ne nous sommes baignées que dans la crique de
l’autre côté, où il n’y a aucun danger. D’ailleurs Bess n’aurait pas
nagé tout habillée… Son maillot de bain est étendu sur le balcon de
sa chambre. »
Ils cherchèrent encore de longues minutes, et se décidèrent
finalement à suivre Penny à travers l’épais massif d’hibiscus et autres
plantes tropicales, jusqu’au sentier dallé qui conduisait à l’hôtel. Là,
Alice s’arrêta.
« N’y a-t-il vraiment aucun autre endroit où nous pourrions
fouiller ? » insista-t-elle.
Penny soupira. « Autour de la plage, non, répondit-elle. Nous
pouvons encore retourner voir dans les bungalows, et chercher des
empreintes sur les chemins qui y mènent, mais j’en viens. Je ne vois
pas d’autre endroit possible de ce côté-ci de l’île.
— Et de l’autre côté ? demanda lames Roy.
— Eh bien, si l’on suit la petite route qui traverse l’île de bout en
bout, on arrive jusqu’à un petit village. C’est là que se trouve le port
où le ferry, qui fait la navette entre les îles, dépose les gens qui
viennent à l’Île de l’Ancre.
— Quand doit-il repasser ? » demanda vivement Alice.
Penny haussa les épaules : « Quand il y aura un passager pour ici.
Ou bien du courrier pour nous. En hiver, il stoppe trois fois par
semaine ; mais durant la basse saison, il peut très bien ne pas faire
escale pendant plusieurs semaines. »
Alice regarda son père, et lut sur son visage l’inquiétude qu’elle
ressentait elle-même.
« Êtes-vous bien sûre qu’il n’y a personne actuellement dans l’île,
Penny ? Ce village par exemple, n’est-il pas habité ? »
La jeune fille secoua ses cheveux roux : « Non, nous n’avons vu
personne. Et il n’y a aucune raison pour qu’il y ait quelqu’un, à vrai
dire. Au village, il n’y a que des maisons qui sont occupées par le
personnel en hiver et personne d’autre que nous n’habite l’hôtel, j’en
suis absolument certaine. »
Marion renchérit : « C’est vrai, nous avons visité toute cette partie
de l’île avec Bess lorsque nous sommes arrivées, mais nous n’avons
vu que Penny.
— Bien, dans ce cas, il ne nous reste qu’à rentrer à l’hôtel, admit
Alice à contrecœur. Peut-être Bess nous y attend-elle ? »
Les autres sourirent à ces mots, mais aucun n’y croyait. Bess ne les
aurait jamais attendus tranquillement à l’hôtel, sachant qu’ils étaient
partis à sa recherche.
« Penny, tu dis que tu n’as trouvé aucun indice non plus dans les
étages ou dans les caves de l’hôtel ? demanda Marion tandis qu’ils
gagnaient la maison. Ni aux alentours ?
— Non, répondit la jeune fille, rien du tout. Toutes les chambres
sont fermées à clef, et je n’ai rien vu d’anormal nulle part.
— Alors, où peut-elle être ? murmura Marion d’une voix angoissée.
— Nous pourrions aller jusqu’à ce village de l’autre côté de l’île et…
commença James Roy.
— Pas avant demain, coupa Penny.
— Pourquoi donc ? s’étonna Alice, surprise par ces mots, si Bess…
— Nous pouvons y aller si vous voulez, reprit Penny rapidement,
mais il n’y a pas d’électricité là-bas ; alors je ne vois pas comment
nous pourrions chercher dans l’obscurité.
— Comment cela, pas d’électricité ? insista James Roy.
— Les deux parties de l’île sont alimentées par des générateurs
différents, expliqua Penny. Mes grands-parents ont heureusement
laissé l’un en marche, mais je ne sais pas du tout comment brancher
l’autre.
— Papa, crois-tu que tu pourrais… » commença Alice.
Son père la serra contre lui : « Je pourrais essayer, ma chérie, mais
je ne crois pas que je réussirai dans le noir. » Il lui sourit pour la
réconforter. « Je ne vois pas Bess entreprendre une aussi longue
marche. Cette île ne doit pas faire loin de trois ou quatre kilomètres
de longueur. »
Alice acquiesça reconnaissant qu’il avait raison : l’exercice
physique n’était pas l’activité favorite de Bess. Mais son sourire
s’évanouit bientôt, alors qu’ils parvenaient au bout du petit sentier,
et qu’elle levait les yeux vers le bâtiment principal de l’hôtel.
Le soir tombait rapidement, et l’aspect des lieux n’avait plus rien
d’attrayant maintenant : le lourd silence était plutôt menaçant, et
aucune lumière ne brillait à l’intérieur.
« Il faut que j’aille à la cuisine pour tâcher de vous préparer
quelque chose pour le dîner, déclara Penny d’un air embarrassé.
Mais j’ai bien peur de ne pas être très bonne cuisinière, et…
— Ne t’inquiète pas, nous venons avec toi, la rassura Alice. Quelle
que soit la situation ici, il est évident que nous ne sommes pas venus
en invités.
— Oh, mais si mes grands-parents étaient ici… » commença
Penny. Elle s’interrompit, regarda le père et la fille, puis Marion, à
tour de rôle : « Où sont-ils ? balbutia-t-elle, je ne comprends pas. »
Alice se tourna vers son père, ne sachant que répondre. Celui-ci
s’éclaircit la gorge : « Hum, je crois que Bess et Marion vous ont
raconté comment Alice avait reçu cette lettre à propos d’un concours
qu’elle aurait gagné ? » commença-t-il.
Penny hocha la tête.
« Eh bien, la raison pour laquelle Alice et moi-même ne sommes
pas venus tout de suite ici, est liée d’une certaine manière à vos
grands-parents. Nous avons été appelés en Floride pour examiner un
bateau abandonné ; d’après ce que nous avons pu découvrir, il leur
appartiendrait.
— Le “Polka” ? » s’exclama Penny. Elle avait l’air abasourdi. « Ils
ne l’auraient jamais délaissé, c’est impossible, maître Roy. Et
pourquoi auraient-ils été en Floride ?
— Je ne connais vraiment pas les réponses à ces questions,
répondit l’avocat. Nous avons été appelés parce qu’il y avait à bord
un certain nombre de coupures de presse concernant Alice. Tout
autre moyen d’identification du bateau avait été soigneusement
effacé.
— En ce cas, comment savez-vous qu’il appartient à mes grands-
parents ?
— Nous n’en sommes pas certains, reconnut Alice. C’est le shérif
qui l’a identifié mais…
— Penny pourrait probablement le faire mieux que lui, remarqua
Marion.
— Elle aurait pu, en effet, corrigea Alice. Malheureusement, il a
disparu la nuit dernière. Le shérif nous a même accusés au début
d’en être responsables. Il ne voulait même pas que nous venions ici
vous chercher, Bess et toi. »
L’évocation du nom de Bess interrompit la conversation un
moment, puis Penny reprit : « Mais enfin où peuvent bien être mes
grands-parents ? Ils n’ont pas pu disparaître comme cela !
— Je vous ai dit tout ce que nous savions, et j’espère que nous en
apprendrons vite davantage, répondit James Roy en entourant les
épaules de la jeune fille d’un bras protecteur.
— Allons préparer le dîner », suggéra Marion entraînant Alice vers
la cuisine.
Elles allumèrent toutes les lampes en chemin, et l’aspect de la jolie
salle à manger puis de l’immense cuisine les réconforta un peu, mais
l’absence de Bess les tracassait. « Voyons, qu’allons-nous faire cuire ?
murmura Alice regardant autour d’elle.
— N’importe quoi, répondit son amie. Il y a un grand congélateur
rempli de viande et de poisson, et des tonnes de boîtes de conserve.
La seule chose qui manque, ce sont les fruits et les légumes frais.
Penny nous a dit qu’ils viendraient par le prochain bateau. Alice, dis-
moi, que se passe-t-il, à ton avis ? Que signifie tout cela ? »
Alice haussa les épaules. « À mon avis, si le bateau en question est
bien le “Polka”, ce prétendu concours était bel et bien destiné à nous
faire venir mon père et moi pour une affaire très mystérieuse.
Quelqu’un a lu des articles dans les journaux à notre sujet, et a pensé
que c’était le meilleur moyen de nous attirer. »
Marion sourit : « Mais à votre place, c’est nous qui sommes
arrivées !
— Oui, mais de toute façon, il y a encore plus compliqué que cela.
Je veux dire que si c’étaient bien les De Foe, ils n’avaient aucune
raison d’aller en Floride au moment où ils nous attendaient, avec
Penny, dans l’Île de l’Ancre. »
Marion hocha la tête : « C’est vrai. Il y a aussi ce mot que Penny a
trouvé en arrivant. Elle a dit que c’était bien l’écriture de sa grand-
mère, mais elle a trouvé le contenu étrange. Drôle de message en
effet, à laisser à quelqu’un qu’on a invité pour l’été !
— Me serait-il possible de le lire ? demanda soudain Alice, à l’affût
du moindre indice.
— Essayons d’abord de faire quelque chose pour dîner. Nous
demanderons ensuite à Penny de nous le montrer. » Marion se
dirigea avec assurance vers le congélateur. « Bon, as-tu envie de
cuisiner, ou bien préfères-tu que nous réchauffions un plat préparé ?
— Il y en a ? demanda Alice levant un sourcil étonné.
— Le congélateur en est plein, et ils sont très bons, paraît-il. Penny
m’a expliqué que le chef les confectionne pendant la saison avec les
restes des repas, et qu’il les conserve pour l’été.
— Cela me va très bien, dit Alice. Je suis si inquiète pour Bess que
je n’ai pas très faim.
— Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu lui arriver. Il faisait
très chaud dans le bureau lorsque nous y étions avec Penny, et Bess a
dit qu’elle sortait un moment pour prendre l’air. » Marion avait l’air
désolé. « J’aurais dû aller avec elle.
— Voyons Marion, tu n’y es pour rien, intervint rapidement Alice
en l’aidant à sortir les produits du freezer. Tu ne pouvais pas deviner
qu’elle allait s’évanouir comme cela.
— Oui, mais j’aurais pu… » Un hurlement venu de l’extérieur de la
cuisine interrompit Marion au milieu de sa réponse. « Penny ? Que
se passe-t-il ? »
Alice se rua dans le couloir, traversa la salle à manger puis l’entrée
jusqu’à la petite pièce d’où était venu l’appel. Elle y trouva son père
et Penny, immobiles devant le grand bureau qui faisait l’angle.
« Pourquoi avez-vous ?… Oh ! » Alice s’arrêta net en découvrant le
spectacle qui s’offrait à ses yeux. « Qu’est-ce que c’est ?
— La radio, répondit son père en se tournant vers elle.
Complètement sabotée.
— Mais comment ? s’exclama Marion, arrivée sur les talons
d’Alice. Qui a pu faire cela ?
— Il semble que nous ne soyons pas seuls sur l’île comme nous le
supposions. »
Chapitre 10
La légende des pirates

« Mais enfin, balbutia Penny, qui a bien pu faire une chose


pareille ?
— Quelqu’un qui veut nous empêcher d’entrer en communication
avec l’extérieur, répondit rapidement Alice. N’est-ce pas, papa ? »
Son père approuva de la tête, et fit la grimace : « Ce qui
m’inquiète, c’est le motif de ce sabotage.
— Ce sera une catastrophe pour mes grands-parents, en tout cas,
reprit Penny. Cet appareil leur a coûté très cher, et ils en ont
absolument besoin pour l’hôtel.
— Nous devons trouver l’auteur et la raison de cet acte »,
murmura Marion.
James Roy vit passer sur le visage de sa fille une expression de
découragement. Il lui effleura doucement la joue.
« Alice, nous sommes tous anxieux pour Bess, lui dit-il, mais nous
ne pouvons rien faire pour l’instant, surtout depuis que nous savons
qu’il y a quelqu’un dehors.
— Que décidez-vous alors ? demanda Penny.
— Je crois que nous ferions bien de verrouiller toutes les portes,
suggéra Alice. Il est trop tard désormais pour protéger ceci. » Elle
montra du doigt le matériel endommagé. « Mais nous devons faire
attention cette nuit.
— Et s’il y a déjà quelqu’un dans l’hôtel ? s’inquiéta Penny.
— Nous fermerons d’abord les ouvertures, puis nous fouillerons la
maison de fond en comble, expliqua James Roy.
— Comment a-t-on su que nous avions l’intention d’utiliser cet
appareil ? murmura Alice perplexe.
— C’est peut-être Tom ! s’exclama Marion. L’homme qui est venu
nous chercher. Nous avons d’abord pensé que les De Foe nous
l’envoyaient ; mais, à présent, je me le demande. Ils l’auraient
également envoyé pour Penny, ne croyez-vous pas ? »
Alice approuva. « Il devait aussi être au courant pour les billets,
rappela-t-elle. Tu ne savais pas que nous venions, n’est-ce pas,
Penny ? »
La jeune fille secoua la tête. « Si mes grands-parents lui ont
effectivement dit d’aller vous rencontrer, il doit savoir où ils sont,
remarqua-t-elle. J’aimerais comprendre ce que tout ceci signifie.
— Nous aussi, assura James Roy. Allons, maintenant, montrez-
nous tout ce qu’il y a à clore, de façon à ce que nous soyons en
sécurité. C’est ce qu’il y a de plus urgent à faire.
— Pendant ce temps, je vais à la cuisine continuer de préparer le
repas, approuva Alice.
— Je t’accompagne, ajouta Marion.
— À tout à l’heure », conclut l’avocat en quittant la pièce le
premier, après un dernier regard au poste de radio inutilisable.
« Je me demande ce qui peut bien attirer quelqu’un dans cet
endroit », déclara Marion songeuse.
Alice secoua la tête. « Tu connais les lieux mieux que moi. Tu les
as visités ce matin.
— C’est très beau, mais il n’y a rien à voler. Je veux dire que c’est le
paysage qui fait tout l’attrait. La station n’a pas d’autre valeur, à mon
avis. Tout cela n’a pas de sens, Alice. »
La jeune détective ne put que renchérir. « L’ensemble de la
situation est absurde, depuis que j’ai reçu ces billets, de toute
façon. »
La fouille complète de l’hôtel ne dura pas longtemps, et les plats
étaient pratiquement prêts quand James Roy et Penny rejoignirent
les jeunes filles dans la cuisine. Une délicieuse odeur flottait dans
l’air. Marion la renifla avec appétit : « Si Bess est dans les parages, je
vous parie qu’elle va arriver en courant ! » plaisanta-t-elle, mais
chacun put lire dans ses yeux qu’elle était loin d’être rassurée.
« Pensez-vous qu’elle puisse être retenue contre son gré par cette
personne, quelle qu’elle soit, qui se trouve dans l’île ? » demanda
Alice, traduisant par ces mots la pensée de tous depuis la découverte
du sabotage du poste de radio-émetteur.
— Pourquoi l’aurait-on faite prisonnière ? demanda Penny.
— Peut-être les a-t-elle surpris, suggéra James Roy. Vous avez
bien dit qu’elle était sortie seule ?
— Mais quel intérêt y aurait-il eu à l’enlever ? »
Personne ne pouvait répondre à cette question. Ils commencèrent
à manger en silence. Penny soupira en voyant la nourriture que
Marion et Alice avaient sortie du réfrigérateur.
« Je suis désolée de ne pouvoir vous offrir des fruits et des
légumes frais, dit-elle. Mes grands-parents ont un accord avec le
ferry qui leur en livre toutes les semaines, mais il n’a rien laissé cette
fois. Je suis allée voir sur le quai.
— Peut-être lui ont-ils passé la consigne de ne rien apporter
pendant leur absence, suggéra Marion.
— Mais pourquoi seraient-ils partis alors que Penny devait
arriver ? demanda Alice. Nous voici une fois encore revenus au point
de départ.
— Penses-tu que la ou les personnes qui sont sur l’île, quelles
qu’elles soient, puissent habiter au village ? reprit Marion, changeant
légèrement de sujet.
— Je crois qu’elles le pourraient en effet », répondit Penny.
Alice se tut un moment, réfléchissant. Puis elle eut un léger
sourire : « S’ils sont venus dans l’île aujourd’hui, nous pourrions
peut-être retrouver le bateau qui les a amenés. L’un de nous pourrait
ainsi partir réclamer de l’aide.
— Ou lancer un message par la radio, ajouta Penny. La plupart des
bateaux en ont une.
— J’espère que nous pourrons vite le trouver », soupira Marion.
Alice approuva de la tête, puis se tourna vers Penny : « As-tu une
idée de la raison pour laquelle tes grands-parents souhaitaient notre
présence ici, à mon père et moi ? Est-ce qu’ils auraient déjà fait
allusion à une énigme quelconque au sujet de cette île ou de
l’hôtel ? »
Son interlocutrice réfléchit un moment, puis secoua la tête.
« Non, je ne me souviens de rien. Naturellement, je n’ai pas passé
beaucoup de temps ici, ces dernières années, mais quand j’étais plus
jeune, j’ai exploré cette île de bout en bout. Elle ne possède aucun
mystère particulier, que je sache.
— Il n’est pas impossible que quelqu’un d’autre que les De Foe ait
envoyé les billets, remarqua James Roy, songeur.
— Mais pourquoi notre présence était-elle désirée ? Le problème
demeure entier, insista Alice.
— Peut-être cela a-t-il quelque chose à voir avec le médaillon ?
— Quel médaillon ? » s’exclamèrent en chœur Penny et Marion.
Alice eut un sursaut en se rendant compte que dans l’inquiétude
de la disparition de Bess, elle avait totalement oublié le splendide
collier d’or ancien. Elle bondit sur ses pieds, et courut jusqu’à sa
chambre, effrayée, soudain, à l’idée qu’il eût pu disparaître lui aussi.
Elle fut presque surprise de le retrouver à sa place dans son sac, et
elle le sortit pour l’admirer de nouveau avant de l’emporter dans la
salle à manger. « Penny, connais-tu ceci ? Cela te dit-il quelque
chose, par hasard ? »
Les yeux de Penny s’agrandirent de stupeur tandis qu’elle tendait
la main vers le bijou.

« Qu’est-ce que c’est ? s’exclama Marion.


— Je ne savais pas qu’il existait, murmura Penny, comme pour
elle-même. Je veux dire, reprit-elle plus haut, grand-papa m’a
souvent raconté des histoires à son sujet, quand j’étais petite, mais
j’ai toujours cru… Il me disait que ce n’était qu’une légende. » Elle
leva les yeux vers Alice. « Où avez-vous eu ceci ? »
Alice raconta brièvement comment elle l’avait trouvé dans le
yacht, en recherchant sa boucle d’oreille égarée. Tandis qu’elle
parlait, le visage de Penny passait de l’excitation de la découverte à
l’inquiétude et à la peur.
« Qu’y a-t-il Penny ? demanda James Roy, en se penchant vers
elle.
— Le bateau abandonné est bien le “Polka”, cela ne fait plus aucun
doute à présent, répondit-elle d’une voix angoissée. L’endroit où
Alice a trouvé le médaillon le prouve. C’est là que mon grand-père
avait coutume de dissimuler ses objets de valeur ou l’argent qu’il
transportait avec lui. Il appelait cette cachette son “tiroir secret”. Il
disait qu’elle était plus sûre que son portefeuille ou le sac de ma
grand-mère.
— Tu penses donc que ce sont tes grands-parents qui ont caché le
médaillon là ? »
Penny acquiesça. « Mais je me demande où ils ont pu obtenir cet
objet…
— Que sais-tu exactement de ce collier ? reprit Alice, décidée à en
savoir plus sur le mystérieux bijou.
— Eh bien, d’après la légende, trois bateaux espagnols qui
croisaient au large de ces îles ont été pris dans une terrible tempête,
et se sont perdus. Deux d’entre eux ont réussi à se maintenir à flot, et
ont pu reprendre leur route à travers les écueils, en se suivant l’un
l’autre. Mais le troisième a disparu corps et biens. » Penny se tut un
instant, attendant une question, mais comme nul ne dit mot, elle
reprit : « Les deux autres bateaux le cherchèrent en vain pendant des
jours, jusqu’à ce qu’ils découvrent une minuscule île sur laquelle était
échouée une épave. Des marins accostèrent alors en barque, et
comprirent que les débris provenaient du galion égaré. Ils trouvèrent
aussi, non loin de là, plusieurs survivants, mais aucun ne put leur
dire ce qui était arrivé. » Penny s’arrêta de nouveau, les yeux
brillants.
« Comment cela : ce qui était arrivé ? » questionna Alice, captivée
par le récit. « Est-ce que leur navire ne s’était pas fracassé sur ce
rocher ? »
Penny secoua ses boucles rousses. « En fait, l’épave échouée était
bien issue du galion, mais ce n’était qu’une chaloupe. Les survivants
qui avaient embarqué à bord avaient quitté le bateau sans savoir s’il
allait couler. » Elle sourit et se tut de nouveau.
« Vous voulez dire qu’il est possible que des pirates s’en soient
ensuite emparés ? intervint James Roy.
— Oui, ce collier est censé faire partie du butin volé. C’est la seule
pièce qui ait jamais été signalée depuis la disparition du galion. Mais
le trésor serait beaucoup plus important, conclut-elle.
— C’est donc cela la légende ? » Alice était intriguée et un peu
déçue.
« C’est, en tout cas, une des légendes qui courent sur ce bijou. Il en
existe beaucoup d’autres. Pour ma part, je n’avais jamais cru à
l’existence d’un collier… Celui-ci pourrait d’ailleurs ne pas être celui
du récit. Il existe certainement un grand nombre d’autres bijoux
anciens, dans cette région, alors… »
Le sourire de Penny s’évanouit.
« C’est, en effet, ce que nous a dit l’homme qui a réparé celui-ci,
admit Alice.
— Par contre, je pense que mes grands-parents connaissaient
exactement sa provenance. Ils devaient savoir s’il était authentique
ou non. Grand-père lisait beaucoup de livres sur la piraterie
d’autrefois, et écoutait souvent les histoires des vieux marins. C’est la
raison pour laquelle il en avait tant à me raconter. »
Alice tendit la main vers le médaillon, et le reprit des mains de
Penny. Elle l’examina attentivement une fois de plus, regrettant que
M. Yates n’ait pu faire apparaître le dessin entier, mais seulement
cette ancre étrange.
« Crois-tu que cette affaire ait pu inciter tes grands-parents à
m’envoyer ces billets d’avion ? demanda-t-elle. Autrement dit qu’ils
étaient convaincus que le collier était bien celui de la légende ?
— Je serais prête à parier là-dessus, répondit aussitôt Penny.
Je… » Elle s’interrompit dans un cri, car la lumière venait
brusquement de s’éteindre, plongeant l’hôtel dans les ténèbres.
Chapitre 11
Panne de courant

« Que se passe-t-il encore ? s’exclama Alice, en crispant


machinalement ses doigts sur le médaillon d’or.
— Quelqu’un a coupé le courant, j’imagine, répondit calmement
son père. Où est le générateur, Penny ?
— Il est près de la plage, dans une petite cabane qui le protège. Les
fils alimentent tous les bungalows et le bâtiment principal.
— Il est donc facile à quiconque de couper le courant dans toute la
station, murmura Alice.
— Restez ici, proposa Penny. Je sais où ma grand-mère garde des
bougies et des lampes-tempête. Elle les utilise souvent, car les orages
sont violents par ici, et font tomber les lignes. J’en ai pour une
minute. »
Ils attendirent dans le noir, tandis qu’elle repoussait sa chaise,
traversait la pièce sur ses espadrilles souples en se frayant un chemin
entre les meubles, et ouvrait un tiroir non loin d’eux. Enfin, une
allumette craqua, et bientôt la flamme d’une bougie brilla.
Au début, la lumière leur parut très faible, mais au fur et à mesure
que leurs yeux s’y habituaient, ils purent à nouveau distinguer les
objets autour d’eux. Ils allumèrent ensuite quatre lampes-tempête et
d’autres bougies.
« Voilà qui est mieux », sourit Penny, cherchant à détendre
l’atmosphère. Sa main tremblait légèrement tandis qu’elle posait une
lampe sur la table, révélant les visages soucieux de ses compagnons.
« Est-ce que ce générateur dessert autre chose encore ? »
demanda James Roy.
Penny hésita un instant : « Non, je ne crois pas. Seulement les
appareils électriques. L’eau vient de la source qui donne son nom à la
station. Le chauffe-eau et la cuisinière sont alimentés au gaz.
— Il s’agit donc d’une panne, tout simplement, résuma Marion.
— Je le crois, en effet », acquiesça Penny.
Alice, cependant, considérait les fenêtres derrière eux, attirée par
l’obscurité à peu près totale, dans laquelle on devinait pourtant la
crique et l’océan au-delà. Soudain, elle frissonna, persuadée d’avoir
aperçu des yeux dans la nuit, qui les observaient.
« Qu’y a-t-il, Alice ? demanda gentiment son père. Aurais-tu
froid ?
— Ils sont dehors, j’en suis sûre, répondit-elle sans cesser de
regarder la fenêtre. Ils nous écoutent, ils nous espionnent…
— Et ils ont repéré le collier, s’effraya Marion, recouvrant
prestement le bijou de sa serviette.
— Croyez-vous que c’est ce qu’ils cherchent ? J’aimerais en être
certain », observa James Roy, en se levant pour faire glisser le store
de bambou qui avait été soulevé.
Penny s’empressa de l’aider à masquer toutes les fenêtres. « Je
n’en sais rien, reconnut-elle. Il est assez beau pour être convoité par
des voleurs qui connaîtraient son existence.
— Mais nous l’avons trouvé en Floride, rappela Alice.
— Sur le “Polka” », ajouta son père, d’un ton songeur.
Ils restèrent un moment silencieux, enveloppés dans la pénombre
qui créait autour d’eux une intimité angoissante. Alice regardait le
médaillon à demi caché, et se rappelait comment elle l’avait montré à
Marion et Penny… et à ceux qui se trouvaient peut-être à l’extérieur.
« Auriez-vous un coffre ou un endroit sûr où nous pourrions
enfermer ce bijou, Penny ? demanda James Roy.
— Il y a bien un coffre dans le bureau, mais je ne connais pas sa
combinaison. Nous pouvons essayer avec une épingle à cheveux, je
ne crois pas qu’il soit très difficile à ouvrir.
— Dans ce cas, cela ne me paraît pas assez sûr, observa Marion.
— Les gens qui vivent ici sur l’île ne se préoccupent pas trop des
questions de sécurité, reconnut Penny. Tout le monde se connaît, et
un voleur, après un forfait, ne pourrait se cacher nulle part.
— Ton grand-père n’a pas de “tiroir secret” comme sur le “Polka”,
dans l’hôtel, n’est-ce pas ? »
Penny haussa les épaules : « S’il en a un, il ne me l’a jamais dit. »
Alice soupira : « Je regrette de ne pas avoir laissé le médaillon
chez le shérif Boyd.
— Nous trouverons bien une place, assura son père, réfléchissons.
— Que diriez-vous de le mettre dans de la glace ? suggéra
doucement Marion.
— Comment ? » Penny se tourna vers la jeune fille comme si elle
était devenue folle.
« Tu veux dire avec les plats congelés ? demanda Alice, les yeux
soudain brillants.
— Nous ferions bien de fermer tous les volets auparavant, rappela
son père. Mais cela me paraît une bonne idée.
— Tu as raison, j’ai l’impression d’être observée tout le temps !
— J’y vais, décida Penny. Pendant ce temps vous apporterez toutes
deux un gâteau et des glaces pour le dessert. »
James Roy approuva.
« Et prenez aussi un plat et un peu de papier plastique. Nous
allons mélanger notre médaillon au reste de la nourriture et
l’enfermer dans le congélateur. Bien malin qui pourra le dénicher… »
Alice sourit, réconfortée. Enfin, ils agissaient, et se battaient
contre leurs adversaires invisibles ! « Allons-y ! » s’écria-t-elle
entraînant son amie.
Tout se passa comme ils l’avaient voulu. Le collier fut
soigneusement enveloppé dans son sac de plastique, et ils
décidèrent, après une courte discussion, de l’enfouir dans une miche
de pain congelée.
« Si nous le mettions dans un emballage neuf à part, ils pourraient
penser à l’ouvrir, remarqua Alice, mais qui aurait l’idée de le
chercher dans un paquet de tranches de pain déjà gelées ?
— Génial, approuva Penny avec enthousiasme. Maintenant, il nous
faut vite réparer l’électricité avant que les produits ne commencent à
dégeler…
— Combien de temps avons-nous ?
— Sans doute un jour ou deux, si nous n’ouvrons pas le
congélateur trop souvent. Par contre, le lave-vaisselle est d’ores et
déjà hors service ! »
Alice se mit à rire : « Pour cela, nous devrons revenir à la vieille
méthode et laver nous-mêmes les assiettes ! Ensuite, je propose que
nous regardions de nouveau la lettre de ta grand-mère pour tenter de
découvrir un indice sur ce qui lui est arrivé.
— … Et ce qui est arrivé à Bess », murmura tristement Marion.
L’optimisme d’Alice s’effondra instantanément :
« J’ai bien peur qu’il nous faille admettre qu’elle est prisonnière
quelque part dans l’île, dit-elle lentement.
— Mais où ?
— C’est ce que nous essaierons de savoir dès demain. » Alice tenta
de son mieux de se montrer confiante pour rassurer son amie, mais
elle-même n’était pas convaincue.
« La nuit sera longue… » conclut Marion avec un soupir. « Nous
aurons du mal à dormir. »
Bien qu’Alice fût d’accord avec son amie, toutes deux avaient tort.
Épuisée par tous ces événements, et bercée par le doux murmuré du
vent au-dehors, elle tomba dans un profond sommeil aussitôt
couchée. Elle ne s’éveilla que lorsque les premiers rayons du soleil
entrèrent dans sa chambre.
Bess ! La pensée de son amie disparue la fit bondir sur ses pieds.
Elle fit une toilette rapide, s’habilla puis se pencha longuement à la
fenêtre mais ne put découvrir aucune trace de la présence des intrus
qui les avait tant troublés la veille. Personne en vue dans le lumineux
matin.
Elle sortit sur son balcon et huma le parfum des fleurs qui montait
jusqu’à elle. Si elle n’avait pas été si inquiète elle aurait été charmée
par la beauté tranquille et les mystères de cette île.
« Tu vois quelque chose, Alice ? » demanda la voix de Marion à
son côté.
À cet instant, un coq chanta sur leur droite et presque aussitôt un
autre lui répondit, quelques centaines de mètres plus loin.
« Qu’est-ce que c’est que cela ?
— Penny les appelle les réveille-matin de l’île, sourit Marion. Ce
sont des coqs sauvages, descendants de ceux qui ont été abandonnés
sur l’île, un printemps, alors que tout le monde partait passer l’été
ailleurs.
— Tout est si calme, murmura Alice, les yeux perdus sur le
magnifique jardin s’étalant à ses pieds.
— Du moins, c’est ce que nous pensions en arrivant, corrigea
Marion. Nous étions vraiment enchantées par ce décor. »
Alice soupira puis, se ressaisissant, toucha l’épaule de son amie.
« Allons déjeuner, lui dit-elle. Ensuite, nous pourrons reprendre nos
recherches pour retrouver Bess. Le plus tôt sera le mieux…
— D’accord », approuva Marion.
Elles étaient à mi-chemin de la cuisine quand James Roy les
rejoignit. « Avez-vous entendu quelque chose cette nuit ? », leur
demanda-t-il, après les avoir saluées.
Les deux jeunes filles secouèrent la tête. « Et toi, papa ?
— Pas un bruit. Je suppose que nos précautions de sécurité se sont
avérées utiles !
— Nous devrions tout de même vérifier les portes, pour en être
sûrs, proposa Marion. Je vais voir si celle de la cuisine est toujours
verrouillée. Voyez les autres.
— Je vais à l’entrée principale », approuva Alice. Elle courut
jusque dans le vestibule, et vérifia la lourde porte. Elle fit ensuite
trois pas en direction de la salle à manger et s’arrêta net.
Courant vers les fenêtres, elle repoussa les rideaux qu’ils avaient
tirés la veille et poussa une exclamation étouffée. La porte du bureau
était ouverte, et la pièce était sens dessus dessous. Quelqu’un s’était
introduit dans l’hôtel pendant la nuit !
Chapitre 12
Une intrusion incompréhensible

« Papa ! appela Alice à voix basse, en sentant une présence


derrière elle.
— Tu as trouvé quelque chose, ma chérie ? » répondit son père la
rejoignant devant le grand bureau de bois clair.
Elle montra du doigt le coffre contre le mur, sans répondre. Il
l’inspecta un moment, puis alla vérifier la serrure de la porte
principale de la pièce ; elle était hermétiquement close. Alice regarda
dans le petit cabinet de toilette attenant, puis revint examiner plus
attentivement le vestibule et la salle à manger avant de se rendre à la
cuisine.
« Pourquoi as-tu mis si longtemps ? demanda Marion en la voyant
entrer. Penny et moi préparons le déjeuner depuis déjà un bon
moment !
— Tout va bien ici ? s’enquit Alice sans lui répondre, indiquant
clairement avec les yeux qu’elle voulait parler du collier caché dans le
congélateur.
— Tout va bien, répondit Marion. Pourquoi cette question ?
— Parce que le coffre est ouvert, et que le bureau a été fouillé »,
répondit la jeune détective. Elle jeta un bref regard à Penny, se
demandant si celle-ci saurait garder le secret sur le lieu qu’ils avaient
choisi pour cacher le médaillon. « Nous ne savons pas du tout si ces
gens sont encore dans la maison ou non.
— Mais c’est impossible ! Comment auraient-ils pu entrer ?
s’exclama Penny. La porte de derrière était fermée ainsi que toutes
celles de devant. J’ai vérifié moi-même, ce matin.
— Papa cherche une explication, répondit Alice. Ces portes
ferment avec des clefs, n’est-ce pas ? Je veux dire qu’on ne peut
seulement pousser un loquet de l’intérieur ? »
Penny porta la main à la poche de son short : « Non, en effet, et
j’ai tout le trousseau avec moi.
— Comment es-tu entrée la première fois, lorsque tu es arrivée ? »
demanda Marion.
Penny parut hésiter un moment, puis elle secoua la tête :
« J’étais tellement bouleversée de ne trouver personne que je n’y
ai même pas songé sur le moment, commença-t-elle. La porte n’était
pas fermée. La clef était accrochée à un clou, là avec les autres. » Elle
montra du doigt le tableau où pendaient plusieurs autres clefs,
marquées de petites étiquettes : générateur, garage ou numéros des
bungalows dispersés au milieu des arbres et des buissons du parc.
« Tu veux dire que tes grands-parents sont partis comme ça en
laissant la porte ouverte ? s’étonna Alice.
— En fait, j’ai simplement pensé qu’ils étaient sortis pêcher ou
quelque chose comme ça. Comme il n’y a personne d’autre sur l’île,
ils n’avaient pas à tout verrouiller.
— La nuit dernière, puisque les portes étaient bien fermées et
qu’aucune d’entre elles n’a été fracturée, comment se fait-il qu’on ait
pu pénétrer ici et ouvrir le coffre ? insista Marion.
— Le coffre n’était pas très difficile à ouvrir, intervint James Roy
de la porte. Penny avait raison à ce sujet quoique je sois étonné
qu’aucun d’entre nous n’ait entendu le moindre bruit, cette nuit. À
mon avis, ces gens ont les clefs de la maison et du bureau. J’ai vérifié
toutes les fenêtres : il n’y a aucun signe d’effraction.
— Qui a les clefs de l’hôtel, Penny ? En dehors de tes grands-
parents, bien sûr », questionna Alice.
La jeune fille haussa les épaules.
« Je n’en ai aucune idée. Je suppose que plusieurs membres du
personnel en ont un jeu, mais je ne saurais dire lesquels. »
Alice soupira. « Déjeunons, maintenant. Ensuite, nous irons
jusqu’au village chercher des indices.
— Et trouver Bess, ajouta Marion.
— Rien d’autre à signaler ? demanda James Roy.
— Rien de spécial, répondit rapidement Marion avec un clin d’œil
significatif. Le congélateur est plein de bonnes choses… »
M. Roy hocha la tête : « Parfait, c’est important, car nous ne
savons pas du tout combien de temps nous allons rester ici. Bien,
maintenant, je vais aller voir s’il y a moyen de réparer cette panne
d’électricité avant que tous nos aliments ne dégèlent…
— Crois-tu que nous puissions utiliser un autre poste de radio
dans l’île ? demanda Alice à Penny après le départ de son père. Il
serait nécessaire d’entrer en contact avec l’extérieur.
— Nous tâcherons de le savoir tout à l’heure », répondit la jeune
fille. Puis, elle ajouta avec un sourire qui se voulait réconfortant :
« J’espère que tout le monde aime les pancakes avec de la confiture
de groseilles ?
— Cela me paraît alléchant, assura Alice avec gourmandise. Mais
je me demande ce que Bess aura mangé depuis hier…
— Je ne cesse de penser à elle », soupira Marion.
La lumière revint juste au moment où elles commençaient à laver
les assiettes, mais leur inquiétude au sujet de leur amie disparue
avait assombri le plaisir du repas, et atténua aussi le succès de James
Roy. Elles étaient impatientes de partir vers le village, et de fouiller la
petite île jusque dans ses moindres recoins.
« Alors, comment comptez-vous procéder pour nos recherches ?
demanda Penny à ses compagnons, tandis qu’ils sortaient dans la
chaude lumière du matin.
— Combien y a-t-il de surface à explorer, à peu près ?
— Tu peux en voir la plus grande partie depuis la route », répondit
Penny en montrant du doigt le sentier qui menait de l’hôtel à une
longue route bordée de palmiers. « C’est le point le plus élevé de l’île.
C’est une sorte d’épine dorsale qui parcourt tout le terrain depuis
l’hôtel, de ce côté-ci jusqu’à une petite vallée au creux de laquelle le
village est construit.
— Il serait donc possible de voir quelqu’un d’un côté ou de l’autre
de la route, s’il était à découvert ? demanda, à son tour, James Roy.
— Je le pense, oui. Moi, j’avais l’habitude de me promener plutôt
le long de la mer, d’un côté ou de l’autre, mais c’est assez difficile
d’accès car il y a beaucoup de rochers.
— Nous pourrions peut-être fouiller de nouveau par ici avant de
partir », suggéra James Roy, en montrant les petits chemins qui
partaient du bâtiment principal de l’hôtel, et conduisaient aux
bungalows, disséminés dans le parc. « Il se peut que quelqu’un se
soit servi des clefs pour entrer dans l’une des maisonnettes, et s’y soit
installé. »
Elles approuvèrent et tous visitèrent les bungalows un à un : ils
étaient charmants, chacun enfoui dans son berceau d’hibiscus et
ombragé de palmiers et d’autres plantes tropicales, mais tous étaient
désespérément vides, et le tapis de feuilles et de bourgeons qui
recouvrait leurs minuscules porches prouvait qu’ils n’avaient pas été
visités depuis longtemps.
Alice regarda longuement la plage toute proche et le ponton
auquel étaient amarrés deux petits bateaux. Elle se souvint de son
excitation lorsqu’elle était arrivée la veille en avion, et qu’elle avait vu
Marion courir à leur rencontre. Si seulement Bess avait pu être là
aussi !
« Voici ce que nous allons faire, proposa-t-elle. Nous marcherons
deux par deux, de part et d’autre de la route, pour être certains de ne
rien laisser au hasard. Lorsqu’il y aura des arbres ou des buissons
trop épais, nous descendrons la pente, et nous les contournerons. À
nous quatre, nous sommes sûrs de tout contrôler de cette manière. »
Ils se mirent en route avec courage, et progressèrent lentement sur
le chemin, prenant le temps de regarder partout.
Au fur et à mesure qu’ils approchaient de l’autre bout de l’île, leur
confiance s’émoussait, et ils ne purent s’empêcher d’exprimer leur
désappointement lorsqu’ils découvrirent la dernière pente qui
conduisait au petit village. Alice s’arrêta au sommet de la colline, et
contempla le paysage avec surprise.
« Je sais que ce n’est pas vraiment un village, expliqua Penny
devinant ses pensées, mais je ne savais quel autre nom lui donner. »
Une demi-douzaine de maisons, tout au plus, étaient assemblées
autour d’une petite place, sur laquelle un grand figuier ombrageait
quelques bancs. Des poules, sans doute à demi sauvages, picoraient
dans les jardins qui avaient été plantés derrière les habitations, et un
énorme chat dormait sous un porche.
« Cela paraît plutôt désert, en effet », remarqua Marion..
Ils descendirent lentement tandis qu’Alice étudiait du regard le
petit bâtiment peint à neuf et bien entretenu qui devait être la
capitainerie du minuscule hameau.
« Avons-nous les clefs de quelques maisons, Penny ? demanda-t-
elle.
— Non, mais nous ne devrions pas en avoir besoin. La plupart des
gens ne se donnent pas la peine de fermer lorsqu’ils s’en vont. »
Ils se séparèrent sur la place, chacun choisissant une demeure à
visiter, tant était grande leur impatience de trouver Bess et aussi une
trace de la personne qui avait ouvert le coffre pendant la nuit. Mais
leurs espoirs furent rapidement déçus.
Les maisons étaient de tailles différentes mais toutes plus ou
moins bâties de la même manière, deux chambres au fond, une pièce
principale sur le devant avec une véranda. Le mobilier était en
général ancien et confortable et on devinait à de nombreux signes
que les occupants n’allaient pas tarder à revenir. La seule chose qui
manquât, était, en fait, un signe d’un passage récent.
« Je n’ai pas l’impression que Bess soit jamais venue ici,
commenta Marion lorsqu’ils se retrouvèrent tous devant la dernière
maison visitée.
— Mais, alors où est-elle ? demanda Alice pour la centième fois en
regardant désespérément autour d’elle.
— Et où est notre voleur d’hier soir ? ajouta Penny.
— Y a-t-il un autre endroit où quelqu’un puisse s’abriter dans cette
île ? » questionna James Roy.
Penny réfléchit un instant, puis secoua la tête. « Non, je ne vois
que l’hôtel et le village.
— Mais alors… » commença Marion, mais elle s’arrêta en
surprenant le regard d’Alice posé sur le petit bâtiment près du quai.
« Je ne crois pas que quelqu’un… » s’écria Penny, les voyant
soudain partir en courant vers l’escalier qui conduisait à la large dalle
de ciment. Alice y parvint la première, et traversa au pas de course le
quai. Elle contourna le bâtiment, et s’arrêta, le cœur battant. Ce
qu’elle avait pris de loin pour une petite habitation n’était en fait
qu’un abri à trois murs, ouvert sur la mer. Il y avait bien des volets
protecteurs, mais ils étaient largement ouverts. À l’intérieur, il y avait
un amoncellement de boîtes, des caisses et un long comptoir plat.
« Quel désordre là-dedans ! murmura Marion.
— Toujours, expliqua Penny. Chacun s’en sert pour y entreposer
diverses choses pendant la basse saison. En hiver, le vieux Joe
l’entretient à peu près, mais là…
— On ne dirait pas que Bess ou d’autres soient venus ici non plus,
remarqua Alice, après avoir glissé sa main sur le comptoir
poussiéreux.
— Et pourtant si, quelqu’un est venu ! » s’exclama Penny, d’une
voix toute transformée. Elle se précipita au fond de l’abri, et arracha
du mur un bout de papier blanc qu’elle rapporta dans la lumière.
« Qu’est-ce que c’est ? demanda Alice.
— C’est la note de l’épicier qui livre mes grands-parents ! La liste
des denrées qui ont été laissées pour eux par le ferry. » Elle tendit le
papier à Alice et à son père. « Des produits qu’ils n’ont certainement
jamais eus ! »
Alice consulta la liste, et un frisson la parcourut :
« Il y a de quoi nourrir au moins une demi-douzaine de
personnes… »
Marion regarda nerveusement autour d’elle.
« Où est passé tout ce ravitaillement ? »
Chapitre 13
Le « Polka » est repéré

« Y a-t-il d’autres îles à proximité ? demanda James Roy à Penny.


— Oh oui, plusieurs, répondit la jeune fille. On les appelle les îles
sèches. Elles n’ont pas d’autre approvisionnement que l’eau de pluie.
— Il est donc presque impossible d’y habiter, reprit Marion.
— Non, à moins de venir ici pour faire provision d’eau. » Penny
désigna un gros robinet sur le quai. Elle s’approcha, et le tourna.
L’eau jaillit aussitôt sur le sol desséché.
« Il faut donc également un bateau pour faire le trajet », ajouta
Alice, après un temps.
Marion fronça les sourcils : « Croyez-vous que Bess ait pu être
emmenée sur une de ces îles ? »
Penny haussa légèrement les épaules : « Puisqu’elle n’est pas ici…
— Comment pourrions-nous nous rendre là-bas ? questionna
Alice.
— L’unique moyen, c’est un bateau, et nous n’en avons pas,
répondit Penny.
— Et les deux petites barques qui se trouvent dans la crique,
devant l’hôtel ? »
Penny commença par secouer négativement la tête, puis réfléchit :
« C’est-à-dire que par très beau temps, il serait possible d’approcher
de Seashore Island, puis ensuite de Blue Cove qui n’est pas très
éloignée. Mais, à moins de connaître parfaitement l’océan et les
abords des îles, je ne le conseillerais pas, il y a de nombreux récifs.
J’y suis allée avec mon grand-père sur le “Polka”, mais je ne serais
pas capable de vous y conduire sans risque.
— Alors il n’y a aucune possibilité d’aller chercher Bess ? » Marion
paraissait à la fois furieuse et désolée.
« Et le ferry-boat ? demanda soudain Alice, en montrant la note
qu’elle avait rendue à Penny.
— Il ne reviendra sans doute pas avant plusieurs jours. Et encore,
ce n’est pas sûr, puisque nous ne lui avions laissé aucune
commande… »
Alice soupira : « Pourvu que ce ne soit pas trop long, tout de
même.
— Que faisons-nous maintenant ? intervint James Roy. Est-ce que
nous continuons nos recherches ? »
Sa fille regarda autour d’elle, d’un air abattu.
« Je crois que cela ne sert pas à grand-chose, et toi ?
— Moi aussi, malheureusement », répondit l’avocat. Il tourna les
talons, et commença à gravir la petite colline vers la route de la crête.
Alice le suivit tristement, absorbée dans ses pensées ; s’ils
pouvaient seulement retrouver le « Polka » ou n’importe quel autre
bateau susceptible d’avoir amené les intrus dans l’île, grimper à bord,
assez longtemps pour utiliser le poste de radio-émetteur. Elle tenta
de se réconforter : il y aurait bien une occasion, elle en était sûre, de
sortir de cette impasse. Ce n’était qu’une question de temps. Il fallait
se tenir prêt à toute éventualité.
Ils parvinrent à l’hôtel un peu plus tard, écrasés de chaleur, mais
ils furent vite rafraîchis par un bain dans la petite crique. Les filles
partirent ensuite préparer le repas dans la grande cuisine.
« Je crois que tu aurais mieux fait de donner ton prix à Sarah,
Alice, soupira Marion, tout en s’appliquant à tourner la salade. Elle
aurait pu au moins nous aider, car je suis vraiment une piètre
cuisinière !
— Moi aussi, renchérit Penny. Ma grand-mère est un véritable
cordon-bleu, mais je n’ai jamais fait la cuisine que pour moi !
— Ce qu’il nous faudrait, c’est un bon poisson frais pour ce soir,
suggéra Alice. Est-ce qu’il y a beaucoup de poissons par ici, Penny ?
— Oui, c’est un bon coin. J’y suis souvent allée avec une des
barques et une simple canne à pêche. Je n’ai jamais pu
approvisionner tous les occupants de l’hôtel, mais j’ai toujours
rapporté au moins trois ou quatre poissons.
— Que tu avais pris dans la baie ? »
Penny secoua la tête : « On peut en prendre dans la crique, mais le
meilleur endroit est au large. C’est un peu long d’y aller à la rame,
mais c’est plus poissonneux.
— Cela pourrait être un bon programme pour cet après-midi,
qu’en pensez-vous ? proposa Alice.
— Moi, je me contenterai de vous envier de loin, répondit son père
qui préparait des boissons fraîches. J’ai l’intention de passer
quelques heures auprès de ce radio-téléphone. Je finirai peut-être
par le remettre en état.
— Je peux vous servir d’assistante, proposa aussitôt Marion. J’ai
toujours aimé les puzzles compliqués, et celui qui a saboté cette radio
en a sûrement fait un bon !
— Alors, nous n’irons que toutes les deux, Alice, déclara Penny.
Nous pourrons prendre deux barques, et essayer plusieurs endroits,
pour être sûres d’attraper quelque chose pour le dîner.
— Tu vas devoir m’apprendre à utiliser une canne à pêche
correctement, sourit Alice.
— Ne t’inquiète pas, rien n’est plus facile. »

Après le déjeuner, Alice courut se changer dans sa chambre, et


enfila une chemise de coton pour protéger sa peau de l’ardent soleil
de l’après-midi. Elle retrouva dehors Penny qui l’attendait avec les
lignes, les hameçons et les appâts.
« Nous allons d’abord ramer hors de la crique, proposa la jeune
fille, quand elles furent chacune à bord d’une petite embarcation,
leurs avirons bien en main. Je vais te montrer mon coin préféré, à
l’extrémité de l’île. Tâche de ramer le plus près possible de l’entrée de
la crique, d’accord ? »
Alice inclina la tête, un peu nerveusement. Il y avait très
longtemps qu’elle n’avait pas ramé, et elle avait un peu
d’appréhension à partir sur un esquif aussi frêle à la rencontre des
vagues de l’océan : « Soyons prudentes, murmura-t-elle. De toute
façon, il y en aura toujours une pour aider l’autre en cas de difficulté,
mais nous ne pourrons appeler personne à l’aide… »
Le sourire de Penny s’effaça brièvement, mais elle n’ajouta rien.
« S’il t’arrive quoi que ce soit avec le bateau, tu n’auras qu’à te diriger
vers le rivage, n’importe où dans l’île. Même s’il y a des rochers, cela
n’a pas d’importance. Mon grand-père dit toujours qu’un bateau peut
se remplacer… »
En fait, les petites barques étaient très maniables et elles n’eurent
aucun mal à traverser la crique. Alice préféra même s’attarder autour
des rochers de l’entrée, admirant la vue de l’hôtel, déjà lointain, et de
ses jardins aux magnifiques couleurs contre le ciel très bleu.
Comment se pouvait-il qu’il y ait tant de problèmes en cet endroit
si paisible ? se demandait la jeune détective tandis qu’elle abordait
l’entrée de la crique, et ramait plus vigoureusement pour entrer dans
la pleine mer.
Bientôt la petite embarcation rencontra les courants, et se mit à
tanguer dangereusement. Alice ralentit son allure, et chercha Penny
des yeux, mais elle l’avait laissée partir trop en avant, elle était trop
loin. Elle tenta de se souvenir du lieu que lui avait conseillé la jeune
fille, et en profita pour reposer ses bras et ses épaules. Finalement,
elle décida de rentrer les avirons dans la barque, et de se laisser
bercer au gré des flots en trempant sa ligne un peu au hasard.
Elle attendit, sans grand enthousiasme, avec l’espoir de ne pas
rentrer bredouille. La première prise vint assez vite, un poisson de
taille respectable qu’elle remonta fièrement à bord : J’ai l’impression
que j’ai trouvé la bonne place, se dit-elle. J’espère que Penny fait
aussi bien ! Un deuxième poisson suivit, puis un troisième. Mais le
quatrième mit longtemps à mordre. Après une dernière prise, Alice
rassembla sa ligne au fond de la barque, et se redressa pour étirer ses
membres engourdis.
Une légère brise s’était levée, et caressait les mèches humides de
son front. Quand elle leva les yeux, un mouvement sur sa droite
attira son attention. Un bateau se dirigeait vers elle à une assez vive
allure. Elle l’identifia presque aussitôt : le « Polka » !
Alice s’assit sur le banc, et saisit ses rames, pour s’approcher du
rivage, et se placer ainsi hors de vue des occupants du yacht. Elle
rama le plus vigoureusement possible, mais se rendit compte au bout
d’un instant qu’elle ne progressait nullement ; les courants contraires
l’en empêchaient.
Un petit frisson de peur la parcourut, la terre dans son dos restait
à la même distance. Ses épaules lui faisaient mal maintenant, et elle
dut stopper pour les soulager. Le bateau approchait rapidement de sa
petite embarcation, et elle ne savait que faire. Fallait-il appeler ? Ou
au contraire se cacher au fond de la barque ? Elle regarda autour
d’elle, et eut la surprise de découvrir que la plage cette fois semblait
plus proche.
Mais, au même moment, quelque chose attira son attention : de
l’eau était entrée et trempait ses pieds. Alice promena ses doigts
frénétiquement sur le plancher, cherchant le trou dans la légère
coque, mais ne le trouva pas ! Une chose était sûre, il était important,
et le bord était affreusement loin ! Alice chercha des yeux le bateau :
il avait disparu ! Il n’y avait plus de temps à perdre, il fallait ramer le
plus fort possible pour gagner la terre ferme, en priant pour que ce
mystérieux courant qui était tout à coup dans le bon sens, ne
l’abandonnât pas !
Chapitre 14
Une terrible découverte

Alice ramait de toutes ses forces, les membres douloureux, les


yeux fixés sur le niveau d’eau au fond de la barque. Si seulement elle
n’avait pas été seule, s’il y avait eu quelqu’un avec elle pour écoper,
ou pour tenter de colmater l’ouverture. Mais elle ne devait compter
que sur elle-même pour sortir de cette situation périlleuse.
Il y eut soudain un fort raclement, et elle fut projetée en avant.
Elle tomba au fond de la barque, dans l’eau jusqu’à mi-corps, tandis
que l’embarcation tanguait violemment de part et d’autre sous
l’assaut des vagues. Ce ne fut que lorsqu’elle parvint à se rasseoir
qu’elle se rendit compte qu’elle avait touché terre.
Elle se laissa alors aller un moment en arrière sur le banc de bois
dur pour reposer son dos et ses épaules, puis reprit son souffle, et
regarda autour d’elle.
Elle avait échoué sur le rivage rocheux, quelque part sous la crête
qui formait l’épine dorsale de l’île. De l’endroit où elle se tenait, elle
pouvait voir la colline qui protégeait la petite baie, mais l’île décrivait
une telle courbe qu’il lui était impossible d’en discerner l’entrée ni la
sortie.
Elle se redressa, les jambes un peu tremblantes, et descendit de la
barque pour monter sur le rocher, et étirer ses membres engourdis.
Elle prit, ensuite, le seau qui contenait les poissons, et le mit au sec,
ainsi que la ligne et les appâts qui flottaient lamentablement.
« Maintenant, voyons ce qu’il s’est passé », murmura-t-elle, et
s’arc-boutant sur un côté de la barque, elle réussit à la retourner, le
fond dressé vers le ciel.
Il y avait bien un trou, un trou assez petit mais si nettement
pratiqué qu’il ne pouvait avoir été percé accidentellement. Alice
l’effleura du doigt, et rencontra quelque chose de poisseux ; elle
chercha autour d’elle et sous la coque s’il n’y avait pas quelque objet
susceptible d’avoir été enfoncé dans le trou, avant de sauter sous la
pression de la mer. Mais elle ne trouva rien. En soupirant, elle tenta
de tirer plus haut son embarcation, avec l’intention de l’amarrer
solidement, à l’abri des vagues, en attendant de venir la reprendre.
Elle leva ensuite les yeux vers la colline, bien d’aplomb sur la mer.
Il serait certainement plus pratique de rentrer à l’hôtel par la route
que d’escalader ces rochers escarpés. Elle se souvint subitement du
bateau entrevu un peu avant son naufrage. Qu’était-il devenu ? Elle
abandonna son matériel, et grimpa sur les rochers les plus élevés.
Les vagues s’y jetaient avec violence, et elle sentit le goût salé des
embruns sur ses lèvres. Les mains en écran sur ses yeux pour les
protéger du soleil, elle scruta longuement la mer, mais elle ne put
découvrir la moindre trace d’un navire, ni entendre le grondement
lointain d’un moteur.
Alice revint alors là où elle avait laissé les poissons et son attirail
de pêche. Il lui fallait se dépêcher maintenant pour regagner l’hôtel,
si elle voulait nettoyer et préparer sa pêche avant le dîner. Cela ne fut
pas chose aisée de gravir la pente jusqu’à la route, aussi lourdement
chargée, mais elle y parvint néanmoins. Elle courut jusqu’au point le
plus élevé d’où l’on pouvait voir la crique à travers les palmiers qui
l’ombrageaient. Un petit bateau s’approchait lentement de la plage.
Penny rentrait, elle aussi.
« Alice ? » La voix stupéfaite de son père l’accueillit à son
approche, et il se précipita à sa rencontre. « Mais que diable
fabriques-tu ici ? »
Elle raconta brièvement son aventure, tandis qu’il lui ôtait des
mains le lourd seau rempli de poissons.
« Crois-tu qu’il y eût une sorte de bouchon qui s’est dissous dans
l’eau salée ? » lui demanda-t-il quand elle eut fini.
Elle haussa les épaules : « En tout cas, c’était certainement un trou
fait intentionnellement, répondit-elle. J’ai eu de la chance de
rencontrer un courant favorable qui m’a aidée à regagner le rivage à
temps.
— Et Penny ?
— Elle va arriver. Je l’ai vue de la route. Il y a autre chose, papa,
reprit la jeune fille, j’ai vu le “Polka”.
— Comment ?
— C’était juste avant que mon bateau ne commence à prendre
l’eau. Je suis certaine que c’était bien le “Polka”, et il paraissait se
diriger vers la crique.
— Ah non, je suis sûr qu’il n’y est pas entré.
— Pourquoi donc ?
— Parce que je l’aurais vu. Nous avons abandonné notre travail sur
le radio-émetteur presque aussitôt après votre départ : il n’y avait
rien à faire, il était entièrement détruit. Nous sommes donc allés sur
la plage avec Marion, et nous y avons passé une bonne partie de
l’après-midi. Puis, je suis allé me changer, et j’ai décidé de me
promener sur la route pour tenter de vous voir, Penny et toi, en mer,
et aussi de repérer les petites îles voisines dont elle nous a parlé.
— Les as-tu vues ?
— Non, il y avait trop de brume, mais au large, pas le moindre
yacht, non plus.
— Combien de temps es-tu resté là-haut ? insista Alice, les sourcils
froncés.
— À peu près une demi-heure avant que tu n’arrives.
— Alors, tu as forcément vu le “Polka”.
— Ma chérie, je t’assure que non. »
Alice leva les yeux vers son père, profondément troublée. Elle n’y
comprenait plus rien. Elle était sûre et certaine d’avoir aperçu le
bateau. Pourtant, d’après ses calculs, son père aurait dû le distinguer
également, puisqu’il venait dans sa direction, au large de l’île. Et s’il
s’était approché de la côte, il ne pouvait être que dans la crique. Or, il
n’y avait personne.
« Il y a des boissons fraîches dans le réfrigérateur, lui dit son père,
comme ils approchaient de l’hôtel. Je vais nettoyer le poisson
pendant que tu te changeras et que tu prendras une douche. »
Alice sourit : « Je me sens un peu sale en effet ; j’ai l’impression
que celui qui a utilisé la barque avant moi avait tout simplement
déposé son poisson au fond au lieu de le mettre dans un seau !
— Tu es saine et sauve, c’est l’essentiel. Mais je veux examiner
cette embarcation de près. Penny saura peut-être nous dire ce
qu’était ce trou, et pourquoi il s’est ouvert de cette façon.
— Je t’accompagnerai, je veux le revoir aussi », répondit Alice.
La porte de derrière de l’hôtel s’ouvrit à ce moment devant Marion
qui se précipita à la rencontre de son amie : « Alice, que t’est-il
arrivé ? »
Alice raconta une fois encore son aventure, tout en gagnant sa
chambre pour se rafraîchir. Marion secouait ses boucles brunes : « Je
n’y comprends rien ; pourquoi voudrait-on te mettre en danger ? »
Alice haussa les épaules : « Je ne sais pas ; je suis contente que ce
soit mon bateau et non celui de Penny qui ait pris l’eau. Car elle est
allée beaucoup plus au large que moi.
— Es-tu sûre qu’elle est de retour ? demanda Marion soudain
inquiète.
— Oui, je l’ai vue, il y a quelques instants. Elle ramait vers l’entrée
de la baie.
— Bon, je descends à sa rencontre pour lui raconter tout cela.
— Demande-lui si elle a vu aussi le “Polka” », cria Alice de la salle
de bains avant de se glisser sous la douche avec délice.
Penny était déjà en bas quand Alice revint, vêtue d’une jolie robe
rouge. Les yeux verts de la jeune fille se tournèrent aussitôt vers elle
avec anxiété.
« Tout va bien, tu en es sûre ?
— Mais oui, tout à fait maintenant, la rassura Alice. Je serai sans
doute pleine de courbatures demain en me levant !
— Marion m’a tout raconté, reprit Penny. Tu as dû avoir très peur.
— J’ai eu de la chance que cela se soit passé près du rivage,
reconnut Alice. Mais je veux absolument revoir ce trou dans la
coque : il semble avoir été fait avec une grosse perceuse. Peut-être un
colmatage manqué…
— Personne ne ferait ce genre de réparation sans prendre des
précautions, murmura Penny songeuse. Mon grand-père prend
toujours le plus grand soin de ses bateaux.
— Comment s’est passée la pêche ? As-tu pris quelque chose ?
— Oui, et je crois qu’à nous deux nous en avons assez pour nous
nourrir pendant plusieurs jours, répondit Penny. Ton père a tenu à
nettoyer les miens aussi ; j’allais me mettre à les cuisiner.
— Tant mieux, conclut Alice en riant, je meurs de faim !
— J’espère que nous aurons de la lumière, ce soir, reprit Penny
après un moment.
— Cela ira très bien, si nos charmants visiteurs ne reviennent pas,
répondit Alice. Au fait, Penny, as-tu vu le gros bateau qui croisait au
large, au milieu de l’après-midi ? »
Penny parut surprise.
« Non, il n’est pas venu de mon côté. À vrai dire, je n’ai vu
personne. Et, pourtant, je surveillais. J’avais l’intention d’appeler la
première embarcation pour leur demander de l’aide. »
Alice secoua la tête, perplexe. Quand elles arrivèrent à la cuisine,
Marion les accueillit en grimaçant devant l’évier : « La prochaine
fois, c’est nous qui partirons pêcher avec James, et vous qui
nettoierez les poissons au retour, d’accord ? lança-t-elle.
— À propos de prochaine fois, qu’allons-nous faire avec le bateau
d’Alice, Penny ? demanda l’avocat. Il faudrait le ramener ici pour
l’examiner. Voyez-vous un moyen de le remorquer ? »
La jeune fille réfléchit :
« Il n’y a pas de voiture, ni de remorque, mais nous pourrions
peut-être utiliser le kart de golf, ne croyez-vous pas ?
— Es-tu sûr que nous pourrons porter le bateau jusque sur la
route, papa ? demanda Alice à son père.
— Je crois, oui. Il ne doit pas être si lourd. Si nous y allions
maintenant ?
— Vous avez tout le temps avant le dîner, leur assura Penny. Je
vais mettre les poissons au four. Le kart de golf doit être rangé sous
l’abri que vous voyez là-bas, et la clef est dessus, je pense. »
En quelques minutes, le père et la fille atteignirent la route à bord
du petit kart. Alice arrêta celui-ci juste au-dessus de l’endroit où elle
avait accosté un peu plus tôt. « Voilà, la barque est exactement là,
dit-elle en désignant du doigt un point entre deux palmiers. Je me
souviens de cet hibiscus rose. Il ne doit pas y en avoir d’autres,
autour. »
Son père inclina la tête, puis commença à descendre la côte en
glissant fréquemment sur le sol sablonneux. Ils étaient presque
arrivés en bas quand Alice leva les yeux vers les rochers où son
embarcation avait brutalement échoué. La marée avait monté, mais
les rochers étaient toujours bien visibles sous les vagues.
« Ça alors, il n’y est plus ! » s’exclama la jeune fille stupéfaite. Elle
allait s’élancer sur le rocher plat quand elle se pencha brusquement
pour désigner une empreinte de pas dans le sable humide :
« Quelqu’un a pris mon bateau ! »
Chapitre 15
Enlevée !

Alice et son père se regardèrent pendant quelques secondes. Puis,


il soupira : « Eh bien, je suppose que ceci a quelque chose à voir avec
le “Polka”. »
Alice acquiesça : « Sans doute voulait-on nous empêcher de
découvrir ce qui avait été fait. »
James Roy lui prit le bras : « Viens, inutile de rester dans les
parages. Rentrons le dire aux autres. »
On ne pouvait pas faire grand-chose, en effet, mais Alice s’attarda
encore sur la trace à demi effacée dans le sable avant de regagner la
route : « Je ne comprends pas qui a pu prendre le “Polka” ici, pour
l’emmener en Floride et l’y abandonner, avant de le ramener ici, une
nouvelle fois… » murmura-t-elle.
Son père écarta les bras en signe d’impuissance : « J’aurais aussi
bon nombre de questions à poser à ceux qui ont opéré de la sorte,
ajouta-t-il. Et pour commencer, pourquoi t’ont-ils ainsi menacée ?
— Pourquoi ont-ils enlevé Bess… et peut-être aussi les De Foe ?
— Et où les ont-ils séquestrés ? »
Ils réfléchirent tous deux en silence pendant de longues minutes,
sur le chemin du retour vers l’hôtel. « La première chose à savoir,
reprit enfin Alice, c’est pourquoi tout ceci a eu lieu. Cela nous
donnera certainement une idée ensuite de ceux qui sont derrière.
— J’espère seulement que le shérif Boyd sera bientôt impatient
d’avoir de nos nouvelles, dit soudain James Roy, et qu’il va envoyer
quelqu’un à notre recherche.
— Il est tout à fait du genre à nous dépêcher les gardes-côtes !
ajouta Alice en riant.
— Alors, qu’est-il arrivé au bateau ? s’enquit Marion en venant à
leur rencontre. Avez-vous pu le tirer jusque sur la route ?
— Non, il n’y était plus, répondit Alice. Quelqu’un l’a retiré des
rochers sur lesquels je l’avais laissé.
— Sans doute les occupants du “Polka”, ajouta James Roy.
— Vous pensez donc que ce sont eux aussi qui ont percé le trou
dans la coque ?
— S’ils avaient l’intention de nous retenir ici, sans aucune
possibilité de quitter cette île, le sabotage des bateaux était
certainement la meilleure solution, répondit Alice.
— Mais ils n’ont pas touché à celui de Penny, rappela Marion.
— Nous devrions peut-être nous en assurer avant de nous en
servir à nouveau, répondit l’avocat.
— Après le dîner, alors. C’est prêt. »
En dépit de toutes les difficultés de la journée, ils mangèrent de
bon appétit, discutant sans fin de la situation. Puis, ils se rendirent
tous ensemble au quai pour vérifier l’état de l’autre bateau. À leur
grande surprise il n’était pas abîmé.
« Ils n’ont sans doute pas eu le temps de saboter les deux, suggéra
Marion.
— Ou bien, ils ont pensé qu’un naufrage serait un avertissement
suffisant.
— Du moins, sommes-nous tous en sécurité, leur rappela James
Roy. Et nous possédons des éléments qui en disent un peu plus long
sur nos adversaires.
— J’aimerais en avoir davantage, murmura Alice. Et plus
rapidement. Pour pouvoir retrouver Bess plus vite.
— … Et mes grands-parents », ajouta Penny. Son visage d’habitude
si ouvert, s’assombrit un moment : « J’ai vraiment peur pour eux. Ils
n’auraient jamais laissé prendre le “Polka” comme ça.
— Il faudrait trouver un moyen de donner l’alerte, reprit James
Roy, de retour à l’hôtel. Comment pourrions-nous agir ?
— Et si nous essayions d’allumer un feu ? suggéra Penny. Mon
grand-père m’a raconté que les habitants des îles l’utilisaient
autrefois, avant d’avoir des radios pour communiquer. Il faudrait le
faire à l’autre bout de l’île, parce que c’est la partie la plus proche de
“Swallow Cay”, le seul endroit d’où nous pouvons être vus, à mon
avis. De plus, il y a là-bas des membres du personnel de l’hôtel, ils
seront sûrement curieux de savoir ce qui se passe ici.
— Cela me paraît une excellente idée, approuva Alice aussitôt
prête à passer à l’action. Qu’en penses-tu, papa ?
— C’est notre meilleure chance pour le moment. Il faut essayer.
— Mais nous risquons aussi d’être aperçus par nos “ennemis”,
reprit Penny, après un moment de réflexion.
— J’aimerais bien, en fait, qu’ils nous voient, répondit James Roy.
Je ne serais pas fâché de les rencontrer en face pour une fois !
— Nous saurions peut-être, enfin, ce qu’ils nous veulent, renchérit
Marion.
— Alors, comment faisons-nous ? demanda Alice à Penny.
— Commençons par ramasser du bois, et par préparer un bûcher
sur le point le plus élevé de la crête : mon grand-père m’a toujours
dit que c’était le meilleur emplacement. Je ne pense pas qu’il ait
jamais lui-même utilisé un signal de ce genre, mais il aimait tant
raconter ces histoires… »
Sa voix se brisa sur ces derniers mots, et Alice comprit qu’elle se
tourmentait beaucoup pour ses grands-parents.
« Je suis sûre qu’ils pourront encore t’en raconter beaucoup,
assura-t-elle en lui souriant gentiment.
— Où pourrions-nous prendre ce bois ? s’enquit James Roy.
— Il y a généralement du bois sec dans les massifs là-bas, et j’ai vu
aussi un palmier mort, près du village.
— Parfait. S’il y a une hache quelque part, je vais voir si je peux
m’occuper du palmier, proposa l’avocat. Vous pourriez, pendant ce
temps, ramasser les branchages des sous-bois, et ceux des plages
éventuellement. Nous aurons vite ce qu’il nous faut. »
Ce soir-là, Alice vit arriver avec soulagement la tombée de la nuit :
le tas de bois était prêt, et ils avaient même prévu une importante
réserve pour pouvoir entretenir le feu aussi longtemps que possible.
La chaleur était intense malgré la brise légère qui venait de la mer,
et la jeune fille sentait douloureusement la fatigue dans son dos
après avoir ramé aussi longtemps, puis porté tout ce bois.
« Combien de temps devrons-nous attendre encore avant
d’allumer le feu ? demanda-t-elle à ses compagnons.
— La nuit noire », conseilla Penny.
Marion soupira :
« J’espère que les gens qui verront notre feu ne vont pas penser
que nous faisons un barbecue géant ! »
Penny se mit à rire : « Heureusement, la plupart d’entre eux
doivent savoir qu’un barbecue se tient plutôt sur une plage que sur la
crête d’une colline !
— Espérons surtout que quelqu’un nous verra », murmura James
Roy.
Alice approuva de la tête, et scruta longuement la mer, se
demandant où pouvaient se trouver « Swallow Cay » et les autres
îles, puisqu’elle n’avait jamais pu les localiser. Le temps lui parut
infiniment long avant que son père et Penny ne missent enfin le feu à
l’énorme tas d’herbe sèche et de feuilles qu’ils avaient rassemblé sous
le bois.
Le feu prit instantanément et même plus fort qu’ils ne l’avaient
prévu. Ils reculèrent de quelques mètres pour le surveiller ; ils
avaient préparé plusieurs seaux d’eau, à proximité.
« Nous ne devrions pas en avoir besoin, remarqua Penny. Il a plu
cette nuit, rappelez-vous, et les sous-bois sont encore mouillés.
— Il serait plus prudent, quand même, de ne pas nous éloigner
tant que tout n’a pas brûlé. Je n’aimerais pas voir ce feu descendre
jusqu’au village, ou atteindre les arbres voisins… »
Marion soupira et se laissa tomber sur le sol, le dos contre le tronc
d’un palmier. « Je suis si fatiguée, je pourrais m’endormir ici,
murmura-t-elle.
— Pas moi, il fait trop chaud, rétorqua Alice. J’ai envie de faire
quelques pas sur la route. Je verrai peut-être un autre feu, en
réponse au nôtre ou quelque élément intéressant.
— Il est plus probable que l’on nous répondra par des fusées de
détresse, remarqua Penny. C’est ce que nous aurions fait si nous
avions été en possession de celles du “Polka”. »
Alice approuva, et partit le long de la route. Elle marchait sans se
presser, sans s’attendre vraiment en fait à apercevoir un quelconque
message d’une île voisine. Elle voulait surtout se détendre un peu, et
jouir de quelques minutes de solitude pour réfléchir. Un fait
l’obsédait depuis déjà plusieurs heures, mais elle ne pouvait s’en
souvenir.
Elle était si absorbée dans ses pensées qu’elle ne perçut pas tout de
suite le ronronnement lointain d’un moteur de bateau. Était-ce enfin
de l’aide ? se demanda-t-elle, le cœur battant. Ou bien leurs ennemis
revenaient-ils les tourmenter encore ?
Prudemment, elle se mit à l’abri des buissons qui longeaient la
route, et se dirigea ainsi à couvert vers l’hôtel. Elle supputa que des
amis venus à leur recherche iraient plus vraisemblablement
s’amarrer près du quai du village, tandis que leurs poursuivants
iraient sans doute dans la petite crique, afin de les épier. Alice sourit,
et accéléra encore l’allure. Si elle parvenait à monter à bord de leur
bateau pendant qu’ils étaient à terre, elle pourrait utiliser leur poste
de radio-émetteur, et donner l’alarme.
Impatiente de mener son projet à exécution, elle courut au bord de
la route, ne prêtant attention qu’à ce qu’elle avait devant elle, le
virage au-delà duquel se trouvait le petit sentier, vers le quai
d’appontement. Elle était si concentrée qu’elle ne vit pas une ombre
se faufiler derrière elle et la suivre, jusqu’à ce qu’une main brutale la
bâillonne pendant qu’un bras autour de sa taille la stoppait net dans
sa course !
Chapitre 16
La fuite

« Alors, où vous précipitiez-vous comme ça, hein ? » ricana une


voix dure contre son oreille.
Alice tenta de lutter, et de se dégager à coups de pied de cette
étreinte. Mais en vain ; son agresseur était beaucoup plus fort qu’elle.
Il l’entraîna dans l’obscurité au bas de la colline, tout près de l’eau
qui chantait doucement contre les rochers. La main était toujours sur
sa bouche, et elle avait du mal à respirer.
« Qui est-ce ? demanda une voix, lorsqu’ils s’arrêtèrent.
— J’ai l’impression que nous avons l’insigne honneur d’avoir
parmi nous la grande Alice Roy, mon cher Tom ! plaisanta l’homme.
Il faisait très sombre là-haut. Nous allons nous en assurer sur le
bateau.
— Et ensuite ?
— Eh bien, je pense qu’ensuite son père ne fera aucune difficulté à
l’échanger contre le beau médaillon, tu ne crois pas ?
— Mais ce collier, sauras-tu t’en servir une fois que tu l’auras,
Jack ? » La voix de Tom parut étrangement familière à Alice.
Soudain, elle la reconnut : c’était le « gardien » de l’hôtel à qui elle
avait parlé lorsqu’elle avait appelé de Miami.
« Je sais que c’est la clef du trésor, maugréa l’homme en réponse.
Je trouverai bien la suite !
— Peut-être qu’elle sait quelque chose ? »
Tom s’approcha d’Alice, et l’examina à la lueur de la lune qui se
levait.
« On verra bien. Aide-moi à la faire monter dans le canot. Il faut
l’emmener d’ici avant que les autres ne s’aperçoivent de sa
disparition.
— Qu’est-ce qu’ils fabriquent là-haut, je me demande », ajouta
Tom, tandis qu’ils poussaient Alice à bord d’un gros canot
pneumatique, et le mettaient aussitôt en marche.
Alice essaya à nouveau de se libérer pour appeler au secours, mais
Jack resserra encore son étreinte, et de son pouce lui boucha le nez,
coupant sa respiration.
« Ces idiots ont allumé un feu, ricana-t-il méchamment. Ils
doivent commencer à paniquer !
— Nous pourrions peut-être les laisser quitter l’île maintenant. On
serait débarrassés d’eux. »
Jack retira sa main, et Alice put, enfin, reprendre son souffle. Il
émit un rire bref : « Tu crois qu’ils abandonneraient les deux vieux et
la fille blonde ? Non, si on les laissait entrer en contact avec
quelqu’un, l’île serait envahie par les flics en quelques heures. Et
nous n’aurions plus aucune chance de mettre la main sur le trésor.
— Alors, qu’est-ce qu’on va faire ? demanda encore Tom d’un ton
sceptique comme s’il avait perdu toute confiance dans le succès de
l’entreprise.
— Je viens justement d’imaginer un plan formidable, répondit
Jack. Tiens-toi prêt à m’aider, aussitôt que j’aurai mis au point tous
les détails.
— Mais… » commença Tom. À ce moment, le canot se mit
brusquement à tanguer sur les vagues devenues plus grosses. Alice
sentit que le bras autour de sa taille se relâchait, quand Jack,
déséquilibré, dut se cramponner pour ne pas tomber.
La jeune détective n’attendit pas davantage. Profitant de
l’incident, elle se laissa rouler sur elle-même, et plongea dans l’eau
sans hésitation, en prenant seulement le temps de repérer la
direction du rivage, avant de se dégager d’un vigoureux coup de pied.
À bord de l’embarcation, les deux hommes juraient et s’injuriaient,
frappant l’eau de furieux coups d’avirons tout près d’elle. Mais, cette
fois encore, le fort courant qui l’avait déjà ramenée à terre la sauva,
et elle se laissa porter par lui en l’accompagnant de mouvements
aussi silencieux que possible. Bientôt, elle comprit qu’elle était
presque tirée d’affaire.
« Où a-t-elle bien pu passer ? Je ne l’entends même pas nager !
— Je ne la vois nulle part. Tu crois qu’elle s’est noyée ? »
Quelques jurons suivirent cette remarque. Puis il y eut encore
quelques manœuvres dans un sens et dans l’autre. Enfin, le bruit des
avirons s’éloigna, avec plus de régularité. Alice releva la tête qu’elle
avait tenue le plus longtemps possible immergée.
Elle vit qu’elle avait dérivé non loin du gros bateau vers lequel les
deux hommes voulaient l’emmener. Mais ceux-ci en étaient encore
très éloignés, ayant perdu du temps à la poursuivre dans la nuit.
Oserait-elle monter à bord avant eux ? Alice hésita. Elle s’était
remise à nager, et pouvait facilement remonter le courant. L’idée
était tentante : si elle pouvait parvenir jusqu’au poste de radio, elle
pourrait donner l’alerte, envoyer un SOS…
Soudain elle entendit de nouveau la voix de Tom, très distincte
dans la nuit : « Elle a dû couler à pic.
— Partons d’ici, répondit Jack. Ils vont se lancer à sa recherche.
Nous n’avons pas intérêt à être remarqués dans le coin. »
Alice jugea plus prudent de regagner le rivage et de ne pas prendre
le risque d’être surprise à bord du bateau. Elle avait découvert un
grand nombre de choses dont elle était impatiente de discuter avec
son père. Si ces deux hommes quittaient maintenant l’Île de l’Ancre,
elle aurait toute la nuit avec ses amis pour chercher la signification
du médaillon, et pour mettre au point un plan pour venir à la
rescousse de Bess et des De Foe.
Une brusque pénombre tomba soudain sur elle, et la sortit de ses
pensées. Elle cessa de nager, cherchant à distinguer où elle se
trouvait. Autour d’elle, se tenaient de hautes parois avec seulement
une petite corniche où elle put se réfugier.
« Ouf, je n’en peux plus ! » murmura-t-elle en grimpant sur la
corniche, encore tremblante sous l’effet de l’eau glacée et de sa peur.
De là où elle se trouvait, elle voyait la faille par laquelle elle était
passée, et elle comprit qu’elle se trouvait dans une espèce de grotte.
En d’autres circonstances, elle aurait aimé pousser un peu plus
loin son exploration, mais l’obscurité était presque totale, et elle ne
pouvait même pas deviner la profondeur de la cavité. Elle poussa un
soupir et, rassemblant ses forces, se dressa pour tenter de ressortir,
en escaladant à pied les rochers. Mais bientôt, il lui fallut retourner
dans l’eau, et se remettre à nager vers l’entrée de la crique. Elle était
presque à bout de forces quand elle parvint enfin jusqu’à une petite
plate-forme rocheuse où elle réussit à se hisser avant de tomber sur
le sol, grelottante et transie, mais heureuse d’être libre, et d’avoir pu
échapper à ses ravisseurs.
« Alice, Alice, où es-tu ? » La voix de Marion résonna lugubrement
dans la nuit noire, du haut de la colline.
« Ici, Marion, je vais bien ! cria-t-elle en écho. Je suis en bas. »
Quelques minutes plus tard, la lumière réconfortante d’une lampe
de poche se balançait devant elle, et Marion la rejoignait dans un
vacarme de sable et de pierres déboulant sous ses pieds, le long de la
pente. « Alice ! enfin, mais où étais-tu donc ? Que t’est-il arrivé ? »
Alice expliqua le plus rapidement possible sa mésaventure, tandis
que Marion l’aidait à remonter la colline. « Qu’avez-vous fait ? »
ajouta-t-elle, en parvenant à l’endroit où ils avaient dressé le tas de
bois auparavant. « Où sont les autres ? Pourquoi le feu est-il mort ?
— Je te cherchais partout, répondit Marion. Ton père et Penny
sont en bas au village. Nous avons dû l’étouffer car le vent s’était
brusquement levé. Tu n’as pas dû t’en apercevoir depuis la mer, mais
Penny dit que c’est un vent d’orage, et qu’il va certainement
augmenter. »
Alice tremblait de froid, maintenant qu’elles avaient quitté l’abri
des arbres : « Heureusement que vous avez pu l’éteindre, dit-elle.
Est-ce que quelque chose a brûlé ?
— Non, pas vraiment. Penny a trouvé un long tuyau qu’elle a pu
brancher à un robinet du village, et nous l’avons rapidement
maîtrisé. Ils sont restés là-bas pour veiller à ce qu’aucune flammèche
emportée par le vent ne vienne toucher quelque chose au village.
— Papa doit se tracasser énormément pour moi, murmura Alice
partagée entre son besoin de revêtir vite des vêtements secs et l’envie
d’aller rassurer son père.
— Ne t’en fais pas, je vais aller lui dire que je t’ai retrouvée. Toi,
cours vite à l’hôtel te changer et te reposer. Nous viendrons te
rejoindre dès que possible.
— Merci Marion, lui dit Alice reconnaissante. Ce vent est vraiment
glacial avec des vêtements mouillés. »
Marion sourit : « Au début, nous l’avons trouvé plutôt agréable à
cause de la chaleur du feu, mais je commence à comprendre ce que
Penny voulait dire. Il est, en effet, très frais et très humide : cela va
sans doute tourner à l’orage.
— Je vais préparer du chocolat chaud en vous attendant », promit
Alice. Elle quitta son amie, et partit en courant dans ses espadrilles
détrempées. Par chance, elle avait débarqué assez près de l’hôtel, et
elle n’eut pas une trop longue distance à parcourir.
La lampe brillait dans la cuisine, et elle en conclut que Tom et
Jack, cette fois-ci, ne s’étaient pas attaqués au générateur, ce qui la
soulagea. Que pouvaient-ils bien vouloir ici ? se demanda-t-elle
encore, tout en ôtant ses sandales, et en traversant l’hôtel jusqu’à sa
chambre dans ses vêtements dégoulinants.
Elle prit une douche rapide et délicieuse pour se rincer de l’eau
salée. Puis, elle noua une serviette en turban sur ses cheveux
humides, enfila un pantalon sec et un chemisier, et courut à la
cuisine où elle mit du lait à chauffer sur le réchaud.
Quand tout fut prêt, elle ouvrit le congélateur, et sortit le pain qui
contenait le médaillon.
Le splendide collier d’or étincela de tous ses feux lorsqu’elle le
découvrit. « La clef du trésor ». C’est ainsi que les deux hommes en
avaient parlé. Cela semblait rejoindre la légende rapportée par
Penny.
Alice garda longtemps le médaillon dans sa main, ses doigts
couvrant le côté qui avait été abîmé, les yeux fixés sur l’autre partie.
Elle avait la forme d’une ancre, réalisa-t-elle, soudain. Un frisson
d’excitation la parcourut, tandis qu’elle posait le bijou sur la table
pour l’examiner, le comparant à une image qu’elle avait en tête. Elle
était toujours dans cette position quand les autres arrivèrent dans la
pièce sans qu’elle les eût entendus.
« Alice, qu’as-tu ? » s’écria son père, avec inquiétude.
Alice leva les yeux sur lui, le visage illuminé : « Je crois que j’ai
trouvé ce que signifie ce médaillon ! leur dit-elle. J’ai découvert le
secret de l’Île de l’Ancre ! »
Chapitre 17
À la recherche d’indices

Penny alla prendre le chocolat qui attendait sur le feu tandis que
les autres entouraient Alice, et se penchaient avec elle sur le collier.
« Regardez ! leur dit la jeune détective, vous voyez ?
— Non, rien du tout, avoua son père. Qu’est-ce que c’est ?
— C’est une ancre brisée, expliqua Alice. Et cette île, aussi, a la
forme d’une ancre brisée.
— C’est vrai, renchérit Penny en s’approchant à son tour. Je crois
que c’était même le premier nom de l’île, mais elle a été débaptisée,
et est devenue l’Île de l’Ancre.
— Tu veux dire que ce médaillon n’a pas été endommagé ? Que
c’est son dessin initial ? demanda James Roy, en prenant le bijou
dans sa main pour l’examiner avec attention. Dans ce cas, qu’est-ce
que tout cet or sur l’autre face ? » Ses doigts suivaient les lignes qui
avaient été tracées sur le disque.
« Je pense qu’il s’agit d’une carte, répondit calmement la jeune
fille. La carte du trésor !
— Le trésor du pirate ! s’exclama Penny. Ça alors ! Toutes ces
légendes seraient vraies, alors ?
— En tout cas, c’est ce que Tom et Jack semblent croire. Et c’est la
raison pour laquelle ils nous gardent ici. Ils ont l’air persuadés que le
trésor est quelque part dans l’île et que ce médaillon en est la clef.
— Mais ces traits sont absolument illisibles, protesta Marion. Ils
n’ont aucun sens. »
Alice sourit : « C’était aussi mon avis : pourquoi n’essaierions-
nous pas d’en faire un calque avec un fusain, ou une mine de crayon
gras ? Il nous serait plus facile de le déchiffrer sur du papier.
— J’en ai, intervint Penny. J’ai apporté ma boîte de peinture, ici, et
tout mon matériel. J’ai également du papier qui conviendra
parfaitement pour décalquer un dessin aussi fin.
— Tu ne m’as pas donné les détails de ce qui t’est arrivé tout à
l’heure, Alice », intervint James Roy, tandis que Penny sortait de la
cuisine et que Marion emplissait les bols de chocolat chaud, et
disposait quelques gâteaux secs sur une assiette.
Alice raconta alors son enlèvement sur la route, et sa rencontre
avec les deux hommes qu’elle décrivit suffisamment bien pour que
Marion hoche la tête : « C’est bien le Tom que nous avons connu,
assura-t-elle. Mais, il était seul à bord du bateau, j’en suis sûre. »
Alice soupira : « Sans doute Jack était-il encore en Floride ou
quelque part avec le “Polka”. Je ne comprends toujours pas pourquoi
ce bateau a été emmené d’ici, puis ramené un peu plus tard. Mais je
suis certaine que c’est bien celui que j’ai vu cet après-midi et ce soir.
— Mais, où pourrait-il s’être évaporé aussi vite ? demanda soudain
Marion, se souvenant de ce que son amie lui avait raconté. L’un de
nous l’aurait certainement vu s’il avait rôdé autour des îles.
— J’y ai pensé, admit Alice, et je crois savoir la réponse : il est
possible qu’il se soit dissimulé dans cette grotte.
— Celle que tu as vue ce soir ?
— Quelle grotte ? » intervint Penny qui rentrait dans la cuisine
avec son matériel de peinture.
Alice lui raconta sa découverte, tandis que la jeune fille
commençait à travailler sur le médaillon.
« C’est curieux, je ne me souviens d’aucune grotte dans ce coin »,
murmura Penny, les sourcils froncés sur son calque.
Le dessin était assez difficile à reproduire, et elle dut s’y reprendre
à trois fois avant de s’en montrer satisfaite. Elle éleva sa feuille de
papier devant ses yeux, et la présenta à Alice.
« Je pense que je ne peux pas faire mieux.
— C’est parfait, sourit la jeune détective. Mais, dis-moi, es-tu sûre
de ne rien savoir sur cette grotte, Penny ?
— Je vois une sorte de passage assez étroit, à l’endroit que tu me
décris, mais rien d’assez large pour laisser passer un bateau, même à
marée basse. » Elle se tut un instant puis reprit : « À moins que
certaines cavités ne se soient ouvertes pendant les orages. Mes
grands-parents m’ont écrit qu’à la suite d’orages très violents ce
printemps dernier, il y avait eu beaucoup de glissements de rochers
dans l’eau et que cela avait créé plusieurs ouvertures importantes le
long de la côte.
— En tout cas, il faudra aller voir cela demain. Celle dans laquelle
je me trouvais était assez grande pour un bateau de la taille du
“Polka” et assez profonde aussi. Lorsque je suis retournée dans l’eau,
je n’ai pas touché le fond, et j’ai dû nager longtemps pour regagner la
sortie.
— D’après ce que tu dis, il s’agit peut-être d’une grotte
naturellement large, mais qui avait une petite entrée jusqu’à ce que
la tempête fasse tomber le rocher qui faisait obstruction. »
Alice approuva de la tête. James Roy, cependant, avait pris le
dessin dans sa main, et le considérait avec attention.
« Avez-vous une idée de ce que ces lignes peuvent signifier,
Penny ? Y-a-t-il un rapport à votre avis avec le relief de l’île ?
— Je ne vois pas de chemins ou de sentiers qui correspondent à ce
tracé, répondit la jeune fille, en sirotant son chocolat. Les seuls
endroits où pourrait se trouver un tel croisement de chemins, sont
les abords de l’hôtel, ou le village de l’autre côté. Le reste est
beaucoup trop étroit pour cela. »
Alice prit à son tour le dessin, et le compara à l’ancre brisée du
médaillon. Il y avait un minuscule « V », inscrit à l’envers sur l’ancre.
Elle revint au dessin, et au bout d’un instant trouva la même marque,
au milieu du calque. Elle les compara longuement, et son cœur se mit
à battre plus vite.
« C’est la grotte ! Bien sûr, c’est certainement elle ! s’écria-t-elle.
— Qu’est-ce qui est la grotte ? demanda James Roy, posant son bol
sur la table pour se pencher à son tour sur le médaillon.
— Là, répondit Alice, montrant les deux lettres semblables, vous
voyez, les lignes semblent partir de ce même point ! Là, cette sorte de
“V”.
— Tu veux dire qu’il s’agirait d’une carte souterraine des grottes
qui se trouvent sous nos pieds ! » s’exclama l’avocat comprenant tout
à coup.
Alice hocha la tête, très excitée par sa découverte. « Serait-ce
possible, Penny ? demanda-t-elle, les yeux brillants.
— Il est vrai qu’un grand nombre de ces îles sont truffées de
grottes et de passages souterrains, commença-t-elle, mais… »
Un grand bruit dehors l’interrompit. Alice regarda vivement
autour d’elle, craignant que les hommes ne soient revenus pour
mettre la main sur le précieux collier et sur le secret qu’elle était en
train de découvrir. Mais le vacarme continuait, et Penny reconnut
rapidement un volet qui claquait, au premier étage.
« Nous ferions bien de fermer tous les volets et les fenêtres, dit-
elle aux autres. Je crois que nous allons avoir une belle tempête.
— Je vais t’aider, dit aussitôt Marion, en sautant sur ses pieds.
Alice, continue à examiner la carte avec ton père, tu me parais sur la
bonne voie.
— Et ceci, qu’est-ce à ton avis ? demanda James Roy lorsqu’ils
furent seuls, en pointant la mine de son crayon sur un autre signe,
également repérable sur les deux faces.
— Une autre entrée sans doute, s’exclama Alice. Mais où ? »
Ils étudièrent la carte en silence pendant plusieurs minutes, la
comparant avec le dessin de l’ancre brisée et avec le relief réel de l’île,
tel qu’ils le connaissaient.
« Autant que je puisse imaginer, cela devrait être du côté du
générateur d’électricité », dit enfin l’avocat.
Marion et Penny les rejoignirent, les cheveux ébouriffés mais
souriantes. « Nous voici en sécurité, annonça Marion. Mais cela ne
veut pas dire que le vent va se calmer. Il souffle si fort que nous nous
demandions si nous n’allions pas barricader les grandes fenêtres
pour les protéger.
— Penny, coupa Alice, plus préoccupée par la carte mystérieuse
que par l’ouragan qui approchait, y a-t-il des grottes souterraines
autour du bâtiment du générateur ?
— Oui, il y a le “Rocher chantant”, répondit Penny sans hésiter.
J’adorais y aller quand j’étais plus jeune, les jours où le vent ne
soufflait pas trop, mais mes grands-parents n’aimaient pas beaucoup
cela. Ils disaient que ces grottes étaient dangereuses.
— Crois-tu que nous pourrions nous y rendre ?
— Maintenant ? » s’exclama la jeune fille avec surprise.
Alice inclina la tête, sans bien savoir elle-même pourquoi elle avait
le sentiment qu’il fallait faire vite. Il y avait quelque chose
d’important autour de ces grottes, elle ne savait quoi, mais elle était
sûre de ne pas se tromper. « Oui, je crois que nous ne devrions pas
tarder, insista-t-elle.
— Nous aurons besoin de lampes de poche et même d’une
lanterne », objecta son père, un peu sceptique, lui aussi.
Penny partit à la recherche de matériel pour l’expédition, et revint
avec des torches électriques, une lanterne et des allumettes. Elle leur
montra encore une grosse pelote de ficelle. « Nous pourrons nous en
servir pour ne pas nous perdre, expliqua-t-elle. J’ai un ami
spéléologue qui passe son temps à explorer des grottes, et il utilise
toujours ce procédé pour pouvoir retrouver son chemin au retour.
— C’est encore mieux que les miettes de pain du Petit Poucet ! »
plaisanta Marion, tandis qu’ils se glissaient dans la nuit où rugissait
un vent violent. Ils suivirent Penny sur la route jusqu’au petit
monticule sur lequel se trouvait le transformateur électrique.
Il ne leur fut pas facile de trouver l’entrée : Alice sentait que les
autres trouvaient son entêtement un peu imprudent, mais elle ne
pouvait s’empêcher de continuer, c’était plus fort qu’elle. Quelque
chose la poussait à entrer coûte que coûte dans ces vastes cavités
qu’elle devinait sous la jolie petite colline fleurie où était bâti l’hôtel.
« Ça y est, la voilà ! » s’écria enfin Penny. Ils l’entendirent à peine
au milieu des hurlements du vent. « C’est la plus grande, du moins
parmi celles que j’ai visitées. Vous entendez le “chant” à
l’intérieur ? »
Des sifflements et des murmures impressionnants venaient, en
effet, de l’intérieur. Des sons tristes, solitaires, et en même temps
étrangement beaux : le chant du vent dans les couloirs, qu’Alice
imaginait sans fin, de la grande grotte sombre.
« Et maintenant ? » demanda Marion un peu impressionnée
tandis qu’ils s’éloignaient de quelques pas.
Alice prit le dessin dans sa poche, et le présenta sous le rayon de sa
lampe électrique. « Nous sommes ici, dit-elle en montrant du doigt
les lignes entrelacées. Cette ligne-ci semble conduire jusqu’au centre
de ce qui me paraît être un vrai labyrinthe.
— Surtout, il ne faut pas oublier la pelote de ficelle, conseilla
James Roy. Je n’aimerais pas beaucoup me perdre ici, ce soir, avec
cet orage qui résonnera à l’intérieur.
— Je vais attacher l’extrémité à ce petit pilier », répondit Penny en
désignant une sorte de borne en pierre contre l’entrée de la grotte.
Alice s’engouffra la première à l’intérieur. Elle n’eut pas de
difficulté à avancer, car le plafond était haut et le sol relativement
lisse. Tout en marchant, elle promenait le faisceau de sa lampe de
poche essayant de repérer les angles et les différents chemins
indiqués sur le médaillon ; mais sa torche n’était pas assez puissante,
et tandis qu’ils avançaient, ils découvraient sans cesse de nouvelles
ouvertures dans le tunnel principal.
« Crois-tu que nous risquons d’arriver jusqu’à la grotte où tu as
nagé tout à l’heure, Alice ? souffla Marion.
— J’aimerais bien le savoir, répondit la jeune fille.
— Il va falloir nous arrêter bientôt, intervint Penny. Je n’ai
presque plus de ficelle.
— Oh non, pas déjà ! » gémit Alice. Elle avait toujours cet étrange
sentiment d’être sur le point de faire une découverte importante. Une
intuition qui augmentait plutôt qu’elle ne diminuait à mesure qu’ils
progressaient dans le tunnel de plus en plus étroit. Maintenant les
murs étaient humides et le sol devenait glissant, mais la jeune fille
voulait toujours aller plus loin.
« Ça y est ! dit enfin Penny.
— Je crois vraiment qu’il faut nous arrêter, dit James Roy. Il serait
imprudent d’insister. Nous pouvons laisser notre ficelle ici, et en
apporter une nouvelle bobine, demain. Comme cela nous pourrons
visiter aussi les tunnels latéraux et… »
Il ne put achever, Alice lui avait saisi le bras qu’elle pressait
fortement. « Chut ! Écoutez !
— Quoi ? Qu’y-a-t-il ? »
Alice mit un doigt sur ses lèvres, et tous tendirent l’oreille, mais
seul leur répondit le bruit des gouttes d’eau qui tombaient une à une
du plafond humide.
« Tu as entendu quelque chose ? demanda Marion en
s’approchant de la jeune fille et de son père. Qu’est-ce que c’était ? »
Alice les regarda, les yeux agrandis par la surprise et l’inquiétude.
« Je crois que j’ai entendu appeler au secours ! »
Chapitre 18
Sauvetage dans la grotte

Dans le silence qui suivit ces mots, ils entendirent tous,


distinctement cette fois, le même appel. L’espace d’un instant, on
aurait pu le confondre avec les lamentations du vent dans les
rochers, mais c’était différent. C’était un cri de désespoir, tout à fait
humain et il n’était pas très éloigné !
« Penny, vous restez ici ! cria James Roy. Il faut au moins
quelqu’un pour contrôler le bout de notre fil, et nous guider si nous
sommes obligés de prendre des tunnels latéraux. »
Alice s’était précipitée dans la direction des cris : « Nous arrivons !
Continuez à appeler ! »
L’écho de ses paroles résonna étrangement contre les murs
détrempés, mais lorsqu’il eut disparu, elle perçut de nouveau des
voix, et cette fois, plus fortes que précédemment. Elle suivit cette
piste, empruntant deux couloirs puis tournant à angle droit vers un
passage où la grotte se divisait à nouveau.
Elle parvint enfin devant une vieille porte de bois, défendue par
des barres de fer, qui bloquaient tout un côté du passage. Les appels
venaient bien de derrière cette porte, et Alice n’eut aucun mal à
identifier l’une des voix.
« Bess ! cria-t-elle. C’est nous ! Est-ce que tu vas bien ?
— Alice, oh Alice, vite ! Sortez-nous d’ici ! Je vous en supplie, vite
avant que nous ne soyons noyés ! répondit Bess, terrifiée.
— Nous allons ouvrir, tout de suite », cria James Roy en tentant
d’ôter le lourd étai qui se trouvait en travers du montant. Mais
l’humidité avait fait jouer le bois, et ils eurent beaucoup de mal à le
faire glisser. Enfin, après de terribles secondes d’efforts, il céda sous
leur pression, et quitta les rivets métalliques qui le retenaient.
La porte s’ouvrit brusquement, et Alice poussa un hurlement : un
flot d’eau glacée les submergea, manquant de les renverser sur son
passage. L’instant d’après, ils recevaient dans leurs bras trois corps
grelottants et trempés qu’ils aidèrent à se tenir debout. L’eau derrière
eux coulait, plus lentement, leur montant jusqu’aux chevilles.
« Qui… » commença Alice, mais elle n’eut pas à formuler sa
question : « Madame De Foe ? »
Le visage hagard qui lui faisait face s’éclaira d’un faible sourire :
« Oui, et vous devez être Alice Roy, répondit-elle. Bess nous avait
assuré que vous nous trouveriez, mais j’avoue que nous
commencions à perdre confiance.
— Oh Alice, gémit Bess, les yeux emplis de larmes, en quittant les
bras de Marion dans lesquels elle s’était jetée. Une heure de plus, et
nous aurions péri noyés. L’eau dégouttait des murs et du plafond, et
ne pouvait s’échapper par-dessous la porte. Nous la voyions s’élever
de plus en plus haut et… » Elle éclata de nouveau en sanglots, brisée
par l’émotion.
« Elle a raison, vous savez, intervint le vieil homme à son tour.
Nous n’aurions pu tenir bien longtemps. Mais comment diable avez-
vous fait pour nous retrouver ? J’ai vécu dans cette île une bonne
partie de ma vie, et je ne soupçonnais même pas l’existence de cet
endroit.
— Nous vous expliquerons tout, aussitôt que vous serez en sécurité
à l’hôtel, promit M. Roy. Pour l’heure, il est temps de rejoindre
Penny. Elle doit être très inquiète. »
Heureusement, le retour à l’air libre, à travers le dédale de tunnels
fut plus rapide que la première exploration, et la joie de Penny
lorsqu’elle retrouva ses grands-parents récompensa Alice de ses
efforts bien que son esprit fût toujours occupé par les questions qu’il
restait à résoudre.
Quand ils atteignirent la grotte la plus élevée, ils s’arrêtèrent
brusquement, saisis par ce qu’ils découvraient. Le vent ne chantait
plus contre la paroi des rochers : il rugissait maintenant, et hurlait
avec violence. De grands paquets de pluie, mêlés d’eau de mer,
s’engouffraient dans l’entrée.
« Voilà donc pourquoi l’eau entrait ainsi dans notre prison,
murmura M. De Foe. Avec ce vent si fort, les vagues doivent être très
hautes, et en plus, il pleut beaucoup.
— Qui vous a enfermés là, grand-père, et quand ? demanda Penny.
— Cela s’est passé quelques jours après la fermeture, répondit-il.
Nous t’attendions, quand deux hommes assez jeunes sont arrivés à
l’hôtel. Ils étaient sympathiques, et nous les avons même invités à
déjeuner avec nous. Ils nous posaient beaucoup de questions sur
l’histoire de l’île, sur les habitudes des gens, etc.
— Ils semblaient aussi très intéressés par nos projets pour l’été,
poursuivit Mme De Foe, toujours glacée de froid et de peur malgré
les bras réconfortants de Penny autour de ses épaules. À la fin, cela
m’a intriguée. Ils m’ont paru contrariés quand je leur ai dit que nous
attendions du monde. »
Il y eut un moment de silence, et Mme De Foe se tourna vers
Alice : « Je dois m’excuser auprès de vous pour vous avoir attirée
dans ce guet-apens, mais je vous avoue que je suis bien heureuse tout
de même de vous voir ici ! » Elle eut un gentil sourire un peu confus.
Alice se mit à rire : « Ainsi, le prix gagnant du concours, était
seulement une astuce pour nous faire venir ? »
M. De Foe acquiesça : « J’imagine que j’aurais aussi bien pu vous
appeler, mais je n’étais pas certain que vous vous déplaceriez, vous
une jeune fille si occupée. J’ai pensé qu’un prix comme celui-ci vous
allécherait davantage, et vous intriguerait !
— Vous comprenez, renchérit sa femme, nous avions lu tant de
choses au sujet des affaires que vous aviez résolues avec votre père
que nous avons pensé… enfin que nous imaginions qu’une fois dans
l’île, vous vous intéresseriez certainement à la légende du trésor des
pirates, et que vous voudriez retrouver celui-ci. »
M. De Foe soupira : « Mais bien sûr, il est trop tard maintenant.
Ces jeunes gens vont s’en emparer aussitôt que l’orage aura cessé. Il
n’y a plus aucun moyen de les arrêter, puisqu’ils n’ont pas hésité à
saboter une des barques pour vous empêcher de quitter l’île. Ils nous
l’ont raconté.
— Êtes-vous sûr qu’ils l’ont découvert ? demanda Alice, sceptique.
— Je n’en sais rien, reconnut le vieil homme. Ce soir, en nous
apportant à manger, ils ont affirmé qu’ils pourraient bien ne pas
revenir avant longtemps, ou bien seulement pour nous délivrer. Je
serais surpris qu’ils abandonnent maintenant, si près du but.
— Moi, je crois qu’ils n’ont aucune idée de l’endroit où le trésor est
caché », intervint Marion. Elle raconta alors la rencontre d’Alice avec
Tom et Jack, et parla du fameux médaillon.
« Comment ? Vous avez le médaillon ? s’exclama M. De Foe,
stupéfait.
— Oui, le voici ! sourit Alice en sortant l’objet de sa poche. C’est
d’ailleurs grâce à lui que nous vous avons trouvés. »
Elle leur montra aussi le dessin que Penny avait reproduit, et
expliqua comment elle était entrée en possession du bijou.
James Roy intervint au bout d’un moment : « Il faudrait nous
dépêcher de rentrer à l’hôtel, maintenant. Vous avez tous les trois
besoin de repos et de vêtements secs.
— Je suis désolée, s’excusa Alice aussitôt. C’est vrai, vous devez
être épuisés, et je ne cesse de discuter !
— Je crois que nous devrions attendre encore un peu, remarqua
M. De Foe, après être allé à l’entrée de la grotte examiner le temps
au-dehors. Des orages de cette nature ne durent jamais plus d’une
heure. Celui-ci a commencé il y a déjà longtemps, il ne va pas tarder
à faiblir.
— Où aviez-vous eu ce médaillon, grand-père ? demanda Penny à
M. De Foe, tandis que tous retournaient au fond de la première
grotte, et s’asseyaient sur le sol. Je ne l’avais jamais vu auparavant.
— Je l’ai trouvé après un orage comme celui-ci. Le dernier, en fait.
Il avait été très violent aussi, et avait passablement bouleversé le
relief dans une partie de l’île. Plusieurs arbres avaient été déracinés,
et des rochers avaient roulé dans la mer. Le lendemain, je longeais la
côte à bord de ma barque quand je remarquai que l’orage avait
ouvert une nouvelle, grotte. J’entrai alors dedans, et trouvai ceci, sur
une pierre plate.
— Nous l’avons montré à quelques personnes, poursuivit Mme De
Foe, et tous nous ont dit que c’était certainement celui dont parlait la
légende des pirates. C’est alors que j’ai eu l’idée d’appeler Alice Roy,
pour qu’elle nous aide à découvrir ce qu’il signifiait. Seulement…
— Seulement, les voleurs sont arrivés les premiers », termina
Penny à sa place.
Mme De Foe acquiesça : « Ils m’ont fait écrire cette note que nous
avons laissée pour toi, puis ils nous ont emmenés sur le “Polka”.
Nous avons passé quelques nuits là-bas, en Floride, mais ils
craignaient que nous ne fussions entendus par des pêcheurs, alors ils
nous ont ramenés ici, et nous ont enfermés dans cet horrible
tunnel. » Elle se mit à trembler au souvenir de sa prison.
« Combien de temps êtes-vous restés là-dedans ? » demanda à son
tour James Roy.
Les grands-parents de Penny haussèrent les épaules en même
temps. « Je ne sais pas exactement, répondit le vieil homme mais
cela m’a paru un siècle. Probablement pas plus d’un jour ou deux
avant que Bess ne nous rejoigne.
— Et toi, Bess, comment as-tu été prise ? questionna Marion. Je ne
m’étais même pas rendu compte de ta disparition avant l’arrivée
d’Alice et de son père.
— Eh bien, je marchais sur la plage, raconta Bess, quand j’ai
aperçu le bateau assez près de la côte. Au début, je n’y ai pas prêté
attention, mais j’ai reconnu Tom sur le pont. Peut-être ont-ils eu
peur que je ne parle de leur présence à quelqu’un, car ils m’ont
proposé de m’emmener avec eux visiter les criques voisines. J’ai
pensé que cela devait être amusant, et j’ai accepté. » Bess fit une
pause ; elle semblait plus calme, pour la première fois depuis leur
délivrance.
« J’ai bien pensé que c’était quelque chose de ce genre, murmura
Alice.
— J’étais sûre que vous finiriez par nous trouver, reprit Bess, mais
quand l’eau a commencé à monter, j’ai eu très peur que vous
n’arriviez pas à temps ! » De nouveau, ses yeux se remplirent de
larmes.
« N’y pense plus », lui dit gentiment Marion en lui touchant la
main.
Alice était sur le point de poser une nouvelle question quand elle
se rendit compte que les hurlements du vent avaient baissé, et que la
pluie ne ruisselait plus sur le sol : « On dirait que l’orage est passé »,
dit-elle en se levant d’un bond, et en se dirigeant vers l’entrée de la
grotte.
M. De Foe la suivit, et le vent ébouriffa ses cheveux gris, quand il
passa la tête au-dehors pour regarder les arbres. « Vous avez raison,
c’est sans doute le moment d’y aller.
— Je meurs d’envie d’un bain chaud et d’un bon repas ! s’écria
Bess en se précipitant vers la sortie. Pour eux, je braverais n’importe
quelle tempête !
— Nous allons faire vite. » M. De Foe revint chercher sa femme et
lui tendit la main tandis que Penny la prenait par l’autre bras. « Le
mieux serait de nous tenir les uns les autres, conseilla le vieil
homme, car cela ne va pas être facile de grimper cette colline. »
Il ne se trompait pas. Ce fut au prix d’énormes difficultés qu’ils
escaladèrent la côte gorgée d’eau, et atteignirent la route qui menait
à l’hôtel. Le vent continuait à souffler violemment, plaquant cheveux
et vêtements contre leurs corps, et leur coupant la respiration. Enfin,
ils parvinrent devant l’entrée accueillante du bâtiment. Ils étaient
tous haletants et épuisés quand ils pénétrèrent dans la cuisine, et se
laissèrent tomber sur les chaises, autour de la grande table. Alice se
releva, cependant, pour s’approcher de la fenêtre de la salle à manger
voisine d’où l’on apercevait toute la baie sous la lumière pâle de la
lune dans un ciel dégagé. Elle plissa les yeux et sursauta : à quelques
centaines de mètres, le « Polka » dansait sur les vagues, comme
abandonné à lui-même, menaçant de se fracasser contre les rochers !
Chapitre 19
Un beau piège

Alice observa le bateau pendant de longues minutes, sans


s’apercevoir que ses vêtements dégoulinaient sur le sol, et que l’eau
formait une mare grandissante à ses pieds. Il y avait toujours du vent
dehors, et le « Polka » se balançait fortement. Alice cherchait à savoir
s’il y avait quelqu’un à bord, ou s’il était réellement livré à lui-même
quand une main se posa sur son épaule. Elle se retourna vivement.
« Que fais-tu là, ma chérie ? » demanda son père.
Pour toute réponse, elle montra la crique du doigt.
« Le “Polka” ! Ça alors !
— J’ai la très nette impression qu’il est abandonné, dit la jeune
fille. Il n’y a personne sur le pont, et il n’est pas ancré.
— Peut-être avait-il été amarré sur le quai, et les amarres ont-elles
lâché à cause de l’orage.
— En ce cas, où seraient Jack et Tom ? » demanda Alice,
préoccupée.
Elle rencontra le regard de son père, et vit qu’il partageait son
inquiétude. Ils revinrent ensemble dans la cuisine où les autres
s’apprêtaient à monter se changer, après avoir hâtivement glissé
quelques plats préparés au four, car Bess et les grands-parents de
Penny avaient très peu mangé durant leur captivité. Tous comprirent
en les voyant entrer qu’il se passait quelque chose.
M. Roy s’éclaircit la gorge : « Je voudrais que vous sachiez que le
“Polka” se trouve dans la baie, en perdition, semble-t-il.
— Comment ? Et les hommes ? s’exclama M. De Foe.
— Nous ne savons pas où ils sont, répondit Alice, mais ils sont
certainement cachés quelque part dans l’île.
— Nous devrions essayer de monter à bord du bateau, suggéra
M. De Foe. Nous pourrions ainsi nous enfuir, et donner l’alerte avec
la radio du bord.
— Mais nous n’avons aucun moyen de le rejoindre, rappela Alice.
La seule barque qui reste a disparu, elle a dû s’écraser contre le quai
ou couler. Je l’ai justement cherchée des yeux, tout à l’heure.
— Pour le moment, malheureusement, je crois qu’il n’y a pas
grand-chose à faire, ajouta James Roy, sauf surveiller le bateau à
distance. S’il approche assez près de la côte, nous pourrons peut-être
jeter un filin et grimper à bord. »
Le grand-père de Penny soupira avec découragement. « Au train
où vont les choses, j’ai bien peur que le prochain coup de vent ne
l’emporte hors de la baie ou, pire encore, ne le jette contre les
rochers.
— Mais s’il s’échoue sur la plage, nous pourrons au moins utiliser
la radio, remarqua Penny.
— En attendant, nous ferions bien de nous changer avant de
tomber malades ! » conclut James Roy.
Alice se mit à rire, cherchant à détendre l’atmosphère : « Si cela
continue, je n’aurai plus rien à me mettre ! J’ai passé la journée à
mettre des vêtements secs !
— Il faudrait peut-être penser à dormir aussi ! remarqua Marion.
Vous rendez-vous compte que nous sommes au milieu de la nuit ? »
Ils se regardèrent tous, puis Bess murmura : « Moi, je n’ai pas du
tout sommeil. J’ai surtout faim.
— Et je ne crois pas que nous puissions dormir en songeant à ces
hommes qui rôdent en ce moment autour de l’hôtel, dans je ne sais
quel but », ajouta Mme De Foe en frissonnant.
Son mari était devenu grave : « À ce sujet, il serait prudent de
vérifier que personne ne s’est introduit dans la maison avant notre
arrivée. Qu’en pensez-vous M. Roy ? »
L’avocat approuva, et les deux hommes sortirent tandis qu’Alice
s’approchait de la fenêtre pour surveiller le bateau ballotté par les
vagues, sous un vent encore violent. Puis lentement, la scène
s’assombrit, car de gros nuages envahissaient de nouveau le ciel, et
voilaient la lune.
La visite minutieuse de toutes les pièces se révéla positive. Au
grand soulagement de tous, personne n’avait pénétré dans le
bâtiment.
« Ils doivent se terrer dans quelque abri, remarqua Alice.
Personne ne resterait dehors par un temps pareil.
— Le dîner sera prêt dans un peu plus d’une demi-heure, annonça
Penny, en quittant la cuisine. Pensez-vous que vous aurez le temps
de vous préparer d’ici là ? »
Alice monta comme les autres dans sa chambre, et après une
douche chaude, passa un pantalon et une chemise propres, y
ajoutant un léger pull-over, car le vent avait sensiblement rafraîchi
l’air, ces dernières heures. Elle était épuisée par cette longue journée,
mais son esprit demeurait vif, et elle n’avait pas la moindre envie de
dormir.
Sans cesse, elle revoyait dans sa tête les lignes qui se croisaient
comme un écheveau sur le dessin de la carte des pirates. Y avait-il
réellement un trésor caché au bout de l’un de ces tunnels ? Et si cela
était vrai pourquoi Jack et Tom ne l’avaient-ils pas découvert, alors
qu’ils semblaient se diriger suffisamment bien dans ce dédale de
grottes pour l’utiliser comme prison ? Où se trouvaient-ils
maintenant ? Cette angoissante question la faisait trembler bien plus
que le mauvais temps. Quand elle redescendit au rez-de-chaussée
elle trouva M. De Foe dans l’entrée, cherchant à travers la fenêtre à
repérer son bateau dans la nuit.
« Où pensez-vous que Jack et Tom se cachent ? lui demanda-t-
elle.
— Probablement dans l’un des bungalows, répondit le vieil homme
en haussant les épaules.
— Mais pourquoi viendraient-ils ici pendant l’orage ?
— À vrai dire, ils n’ont guère le choix. L’île de Seashore n’a pas de
bon point d’ancrage pour un bateau de cette taille, et avec un temps
comme celui-ci, la terre peut même être purement et simplement
recouverte par l’eau. C’est une île au relief très plat ; à marée haute
ou avec une mer comme maintenant, elle perd la moitié de sa
superficie. » Il soupira. « Je suis heureux qu’ils nous aient amenés
ici… et plus encore que vous nous ayez trouvés au bon moment. Nous
n’aurions eu aucune chance de survie, cette nuit, dans ce tunnel, et
pas davantage sur l’île de Seashore. »
À table, ils narrèrent encore leur aventure en détail, et Alice eut le
sentiment qu’ils avaient maintenant dévoilé une grande partie du
mystère. Mais il manquait encore un point essentiel : personne
n’avait la moindre idée de l’endroit où pouvait se cacher le trésor des
pirates.
« Rassurons-nous, Tom et Jack n’en savent pas plus que nous,
remarqua Bess en se laissant aller contre le dossier de sa chaise,
rassasiée par le bon repas et sommeillante. Quand nous étions sur le
bateau, ils ne cessaient de se disputer. Tom disait à Jack que sa carte
était fausse, qu’ils avaient visité l’un après l’autre tous les tunnels, et
qu’il n’y avait de trésor nulle part.
— N’empêche qu’ils sont restés pour chercher encore, objecta
Marion.
— Jack était persuadé que cette carte ne suffisait pas, qu’il
manquait un élément indispensable pour la compléter mais il ne
savait quoi.
— Le médaillon, certainement ! compléta Alice. Il le sait
maintenant !
— Mais qu’est-ce que cela signifie ? » M. De Foe semblait perplexe.
Alice sourit, et secoua la tête : « J’avoue que je n’en ai pas la
moindre idée.
— Allons, il est temps d’aller dormir, intervint James Roy.
Verrouillons bien portes et fenêtres auparavant. Nous y verrons
certainement plus clair, demain matin. »
Ils étaient tous si fatigués que personne ne s’opposa à ce sage
conseil. Ils laissèrent la table comme elle était, et montèrent dans
leurs chambres achever cette nuit agitée.
Mais, malgré l’heure tardive, Alice eut beaucoup de mal à
s’endormir, et s’éveilla très peu de temps après. Tout de suite, elle fut
frappée par le silence qui l’entourait, un contraste impressionnant
avec les furieuses rafales de vent de la veille contre les volets de
l’hôtel. Elle sauta à bas de son lit, et enfila ses vêtements. Elle fit
glisser la porte-fenêtre pour regarder au-dehors. La scène qui
s’offrait à ses yeux était d’un calme presque ironique après les
événements de la veille. Le soleil brillait, et illuminait l’océan, agité
seulement de vagues légères. Ce ne fut que lorsqu’elle contempla les
branches des palmiers brisées sur le sol, les buissons d’hibiscus
durement malmenés dont beaucoup de fleurs étaient tombées,
qu’elle se souvint du terrible orage.
Soudain, elle perçut un mouvement sur sa gauche, et elle sursauta
en reconnaissant Jack qui sortait prudemment de l’ombre des arbres,
juste derrière le bungalow le plus proche. L’instant d’après, Tom le
rejoignait, et tous deux se dirigeaient vers le sentier qui conduisait à
la plage.
Alice bondit hors de sa chambre, et se précipita dans la salle à
manger, cherchant frénétiquement à repérer le « Polka » dans la
baie : il était bien là, apparemment intact, mais échoué sur le sable,
les vagues léchant paresseusement sa coque !
La radio ! Elle se rappela le sabotage du poste qui se trouvait à
l’hôtel. À n’en pas douter, ils allaient aussi détruire celui du bateau,
maintenant qu’ils savaient que tous étaient bloqués dans l’île.
« Alice ? Que fais-tu ? » appela Marion qui arrivait au moment où
la jeune détective ouvrait un à un les verrous de la porte.
« Vite ! Va chercher papa, et dis-lui que j’ai vu Jack et Tom partir
vers le bateau, cria-t-elle. Je vais tenter de les arrêter. » Sans laisser à
son amie le temps de réagir, Alice se jeta dehors, et se mit à courir
dans la fraîcheur matinale vers le sentier. Mais une fois en route, elle
vit qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose contre les deux hommes
sans prendre de gros risques. Elle n’avait pas d’arme pour les
menacer, et n’était pas de taille à lutter contre eux ; elle ralentit
l’allure, et se cacha pour les épier, sans trop savoir ce qu’elle ferait.
Ils étaient parvenus à la plage, et se dirigeaient droit vers le
bateau, comme elle l’avait prévu. Alice hésita une seconde, puis se
décida. Marion allait arriver avec son père et les autres pour lui
prêter main forte ; pour l’instant, il lui fallait entraîner Tom et Jack
loin du bateau.
Elle ramassa une pierre sur le sol, et l’envoya de toutes ses forces
dans un tas de débris rocheux amassé par l’orage. La pierre heurta le
sol avec un bruit mat, et rebondit bruyamment dans la pente comme
elle l’avait espéré, juste dans le dos des deux hommes. Ceux-ci se
retournèrent brusquement, et cherchèrent autour d’eux d’où
provenait le bruit. Alice attendit un moment, puis se redressa, et
s’assurant qu’elle avait bien été aperçue, partit en courant dans la
direction opposée, vers la presqu’île qui marquait l’entrée de la baie.
L’espace d’un moment affreux, elle craignit que les deux hommes
ne la suivissent pas, mais elle ne tarda pas à entendre leurs pas et
leurs voix qui se rapprochaient d’elle, tandis que, lancés à sa
poursuite, ils trébuchaient dans le sable et les pierres.
« Mais où va-t-elle, bon sang ?
— J’en sais rien, mais il faut la rattraper. C’est elle qui a le
collier ! »
Alice leva les yeux vers l’hôtel, prête à se réfugier auprès de son
père et de Marion qui allaient certainement arriver, mais son sang se
glaça dans ses veines. Le petit sentier était bloqué par un énorme
palmier abattu pendant la nuit par le vent.
Pour la première fois, elle sentit la panique s’emparer d’elle.
Impossible d’avancer, encore moins de reculer, ses poursuivants
étaient trop près. Elle était prise au piège !
Il n’y avait plus de sable maintenant, seuls les rochers battus par
les vagues qui apportaient des débris de planches, et autres épaves
arrachées par l’orage. Alice hésita, puis n’ayant d’autre choix,
entreprit d’escalader la falaise escarpée qui tombait sur la presqu’île.
Le vent redevenait vif à cet endroit, puisqu’elle n’était plus protégée.
« Nous l’avons ! Elle ne peut plus nous échapper ! » hurla Jack
avec triomphe dans son dos, d’une voix qui la remplit de terreur,
tandis qu’elle s’accrochait de toutes ses forces aux pierres acérées, et
risquait à tout instant de perdre l’équilibre et de glisser vers les deux
hommes. En quelques secondes, elle eut les mains et les pieds
ensanglantés, mais elle n’avait d’autre ressource que de lutter encore
contre le sol instable qui se dérobait sous ses pieds, pour échapper à
une nouvelle capture.
Chapitre 20
Le trésor découvert

« Cela suffit maintenant ! Arrêtez-vous tout de suite ! » La voix de


James Roy claqua fortement, et Alice entendit deux cris de surprise.
Elle interrompit son escalade désespérée, et se laissa doucement
tomber jusqu’à la plage, n’osant regarder derrière son épaule avant
que ses pieds n’eussent touché la terre ferme. Quand, enfin, elle put
regarder ce qui se passait, elle éclata de rire.
Le visage de son père conserva un moment encore son air
menaçant, puis il se détendit et lui aussi se mit à rire, en même
temps que Marion et M. De Foe. Une énorme hache brillait entre les
mains de l’avocat, dans le soleil. Il s’approcha de Jack et Tom,
immobiles à trois mètres de lui, puis se tourna vers sa fille :
« C’est la seule arme que j’aie pu trouver, avoua-t-il. Tu ne nous as
pas laissé beaucoup de temps, Alice !
— J’avais trop peur qu’ils n’aillent saboter le radio-émetteur sur le
bateau, il fallait les en empêcher à tout prix, répondit la jeune fille.
Bravo pour ton intervention ! »
Penny arrivait haletante de l’hôtel, avec une grosse corde. James
Roy, aidé de M. De Foe attacha solidement les mains des deux
hommes dans leur dos, puis les lia l’un à l’autre sans se soucier de
leurs regards furieux.
« Et maintenant ? demanda le vieil homme, quand tout fut fini.
— Y a-t-il un endroit sûr où nous pourrions les enfermer ?
demanda Alice.
— La cave devrait convenir, répondit aussitôt M. De Foe. Elle n’est
pas très grande mais suffisamment aérée, et j’ai un très bon cadenas !
— Cela me semble parfait, sourit l’avocat. Si Penny peut nous y
conduire, nous les emmènerons. Pendant ce temps, les autres, vous
pourriez aller tout de suite sur le bateau, et tenter de joindre la
police. Il doit y avoir pas mal de gens qui se demandent ce que nous
devenons, maintenant. »
M. De Foe approuva. Après cette nuit de repos, il ne paraissait pas
trop affecté par ce que sa femme et lui avaient subi : « En tout cas,
dit-il, je suis bien content de revoir mon bateau, mon cher “Polka”.
J’ai bien eu peur de le perdre quand ils ont parlé de l’emmener en
Floride…
— Quand l’avez-vous ramené ici ? demanda Alice aux deux
hommes qui écoutaient cette conversation d’un air maussade.
Pourquoi ne l’avez-vous pas laissé là-bas ?
— Parce que le bateau de Tom était trop petit ; j’ai pensé qu’il ne
suffirait pas pour charger tout le trésor, répondit Jack, et que nous
aurions besoin du “Polka”.
— Savez-vous où se trouve le trésor ? » ne put s’empêcher de
demander Penny.
Jack la regarda avec une sorte de mépris, sans répondre, mais
Tom se mit à rire avec amertume : « Pensez-vous, il n’en a aucune
idée ! répondit-il à la place de l’autre. Il a une espèce de carte, mais
nous n’avons découvert que des grottes, toutes vides ! Quelqu’un a
dû prendre le magot, il y a bien longtemps !
— Ce n’est pas vrai, je suis sûr qu’il est toujours là, protesta Jack.
Nous n’avons pas eu assez de temps pour le chercher. N’empêche que
nous avons trouvé l’entrée de la grotte sur l’océan les premiers ! »
ajouta-t-il avec défi. À ce moment, il vit Mme De Foe qui descendait
de l’hôtel avec Bess. « Tout ça, c’est votre faute ! Pourquoi n’avez-
vous pas quitté l’île comme tout le monde à la fin de la haute saison ?
Vous vous êtes attiré tous ces ennuis !
— Cela suffit, intervint James Roy. Nous allons vous conduire
dans la cave. Ensuite, nous avons encore à faire, et nous n’aurons pas
besoin de vous ! » Il fit un clin d’œil à Alice, et partit vers l’hôtel en
tirant les deux prisonniers au bout de sa corde.
L’heure suivante fut riche de péripéties. Alice rejoignit tous les
autres dans la cuisine où ils prenaient un solide petit déjeuner, et les
informa qu’elle avait réussi à joindre par radio un bateau de pêche
qui croisait non loin, et que la police serait sur place avant le soir.
Elle rapportait aussi la carte qui avait conduit Tom et Jack à l’île de
l’Ancre.
« Eh bien, ma chérie, à toi de jouer maintenant ! déclara James
Roy, en aidant sa fille à étaler la carte sur la grande table, à côté du
médaillon et du calque effectué par Penny. Que vas-tu faire de ça ? »
Alice examina la carte avec attention, constatant mieux encore
qu’auparavant à quel point l’île avait la forme d’une ancre brisée. Elle
retraça la côte avec son doigt, et repéra l’ouverture qu’elle avait elle-
même trouvée quand elle avait échappé aux deux brigands.
« Leur carte ne montre qu’une seule entrée, murmura-t-elle au
bout d’un instant, un peu désappointée. Il n’y a presque pas
d’indications sur les tunnels que nous avons vus hier soir. »
Elle prit le dessin et l’approcha de la carte afin de les comparer,
tâchant de retrouver dans sa tête la représentation des différents
passages. Il y en avait beaucoup sur le dessin, plus qu’elle n’en avait
vu en explorant les souterrains à la recherche de Bess et des De Foe.
« Je crois qu’il faudrait retourner dans les grottes, dit-elle en
relevant la tête. Il y a quelque chose là-bas, au centre, que je ne
comprends pas. »
Ils décidèrent de se mettre en route sans tarder. Il faisait beau et
chaud sur la route, tandis qu’ils marchaient vers l’entrée principale
de la grotte. La ficelle attachée la veille était toujours là, et ils ne
perdirent pas de temps à se déplacer dans les étroits tunnels,
jusqu’au point où ils avaient cessé leurs recherches. Penny noua,
alors, une nouvelle pelote à la première, et ils poursuivirent leur
marche, soulagés de constater que l’eau avait disparu, et ne coulait
plus de l’étroite prison dans laquelle Bess et les De Foe avaient été
enfermés. Ils virent encore plusieurs tunnels, de tailles différentes,
mais tous étaient désespérément vides.
Et puis, soudain, ils parvinrent au fond de l’immense grotte. À
leurs pieds, l’océan venait mourir doucement, et ils apercevaient, au
loin, le four qui indiquait l’ouverture d’un passage sur la mer.
« Mais enfin, où peut-il être ? se plaignit Bess que la fatigue
gagnait. Alice, où est ce trésor ?
— Peut-être l’avons-nous manqué dans l’un ou l’autre de ces
tunnels ? » suggéra Penny.
Nul ne répondit, mais Alice devinait qu’ils étaient déçus. Elle sortit
une fois de plus le médaillon de sa poche, et l’étudia à la lumière de
leurs lampes électriques. Il y avait bien quelque chose…
Craignant de leur donner de faux espoirs, Alice quitta un moment
ses compagnons qui fouillaient cette dernière caverne dans les
moindres recoins. Elle grimpa lentement vers les premiers couloirs
latéraux, et se retrouva devant la porte qu’ils avaient ouverte la nuit
précédente.
Elle pouvait voir les minuscules points sur la carte qui marquaient
le passage de la prison. De l’autre côté du passage principal, se
trouvaient par contre de curieux signes qu’elle ne pouvait déchiffrer.
Le rayon de sa lampe de poche commençait à faiblir, mais elle
l’orienta lentement vers la paroi rocheuse, sans trop savoir ce qu’elle
cherchait.
Malgré son extrême attention, elle faillit manquer son but : les
années et le poids de l’eau avaient presque fait disparaître la niche
pratiquée dans le mur. Le cœur battant, Alice promena sa main sur la
pierre, trouva la cavité, et sentit bientôt sous ses doigts un minuscule
levier. Elle tira d’un coup sec et attendit.
Le déclic retentit nettement dans la grotte silencieuse. Soudain un
pan de mur parut grossir et se déplacer vers elle. Elle recula, effrayée,
et le vit pivoter sur lui-même. Alors dans le rayon de sa lampe
apparut une profonde cave obscure, puis l’éclat éblouissant de l’or !

Alice ouvrit la bouche, mais ne put émettre un son. Fort


heureusement, Marion arriva à ce moment, et s’empressa d’aller
avertir les autres. Stupéfaits, ils se rassemblèrent tous devant le pan
de mur qui s’était écarté, et pénétrèrent dans la chambre du trésor.
Des malles, des caisses, des cassettes de bijoux et de pierres
précieuses, des lingots d’or et des montagnes de pièces de monnaie
étaient entassés là, comme dans un rêve. Il y avait même tout un
ensemble de vaisselle et de plats en or et vermeil qui étincelait
aussitôt qu’on ôtait la poussière. Ils étaient si émerveillés qu’ils
passèrent près d’une heure avant de se décider à quitter la pièce.
« Qu’allons-nous faire maintenant ? Allons-nous laisser tout cela
ici ? » demanda Bess en reposant à contrecœur un merveilleux collier
d’émeraudes dans sa cassette. « C’est si beau ! »
Alice se mit à rire : « Personne n’y a touché pendant des siècles,
rappela-t-elle à son amie. Il ne pourra rien lui arriver pendant que
nous attendrons la police !
— En tout cas, sourit Mme De Foe malicieusement, moi j’ai hâte
de raconter tout cela à Tom et Jack ! Cela leur montrera à quel point
ils ont été stupides !
— Il faut reconnaître que j’ai eu de la chance, remarqua Alice. Et
puis nous avions le médaillon, c’était l’indice qui leur manquait.
— N’empêche, cela ne leur aurait servi à rien, assura Bess. Ils
n’auraient jamais été capables de comprendre ce qu’il signifiait ! Il
n’y avait que toi pour y arriver ! »
Alice rougit légèrement, tandis que les autres la complimentaient à
leur tour. Elle adorait résoudre les mystères, mais elle était toujours
gênée lorsqu’elle se voyait félicitée pour sa perspicacité. « Alors
qu’allons-nous faire maintenant de ce trésor ? reprit-elle d’un ton
enjoué pour changer de sujet.
— Je suis certain que le musée d’Histoire sera impatient de le voir,
et d’en dresser l’inventaire avant de le retirer de la grotte, répondit
M. De Foe. D’ailleurs, aussitôt que notre radio-émetteur sera réparé,
je crois que je vais contacter les membres du personnel de l’hôtel, et
leur demander s’ils voudraient venir travailler pendant la saison
d’été. Je ne serais pas surpris que l’hôtel se remplisse rapidement dès
que cette histoire sera connue !
— Ça oui, c’est certain, approuva Mme De Foe en souriant. Mais
cela serait encore mieux si le personnel pouvait venir tout de suite…
car j’aimerais beaucoup vous garder tous les quatre ! » Ses yeux
brillaient dans la pénombre quand elle ajouta d’un air malicieux :
« Bien sûr je ne peux pas vous promettre autant d’aventures, mais si
vous voulez profiter du soleil, des parties de pêche et même de
l’exploration des grottes, vous êtes plus que bienvenus ! »
Alice remercia en souriant, et chercha les yeux de son père pour y
lire son accord. Celui-ci se montra naturellement enchanté de la
proposition ainsi que Bess et Marion, qui poussèrent des cris
d’enthousiasme à l’idée de vacances enfin tranquilles dans ce
paradis. Alice, de son côté, repoussa le léger regret qu’elle ressentait
toujours au terme d’une enquête et partagea la joie des autres.
IMPRIMÉ EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN
Usine de La Flèche, 72200.
Dépôt : mars 1988.

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