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67 - Alice Et L'ancre Brisée - (Quine)
67 - Alice Et L'ancre Brisée - (Quine)
Hachette
L’édition originale de ce roman
a paru en langue anglaise
chez Wanderer Books (Simon and Schuster),
New York, sous le titre :
THE BROKEN ANCHOR
Après sa sieste, elle prit tout son temps pour se préparer. Elle fit
couler un bain de mousse, puis passa une jolie robe couleur corail qui
mettait en valeur sa carnation délicate et ses yeux clairs. Elle brossa
soigneusement ses cheveux, et fixa deux peignes dorés de chaque
côté de son visage.
Son père entra à ce moment :
« Es-tu prête ? Avery est en bas. Je lui ai demandé de monter un
instant voir le médaillon avant d’aller dîner.
— Si seulement il pouvait nous apprendre quelque chose »,
répondit Alice, tandis qu’on frappait doucement à sa porte.
M. Yates était semblable en tout point au portrait qu’elle avait
conservé dans ses souvenirs : c’était un homme grand et mince, au
regard bleu, très vif malgré ses soixante-dix ans : « Mademoiselle
Alice, vous êtes plus jolie à chacune de nos rencontres, lui dit-il en lui
serrant amicalement la main. Vous avez l’air d’une jeune femme
maintenant, mais je sais que vous résolvez toujours des mystères ! »
Alice rougit légèrement : « J’espère, en tout cas, être capable de
résoudre celui-ci », sourit-elle. Son père et elle expliquèrent alors au
vieil homme tout ce qui s’était produit depuis le coup de téléphone à
James Roy, à propos du bateau abandonné, jusqu’à l’arrivée du
mystérieux prix d’Alice, en passant par le départ des deux amies vers
Nassau.
Il les écouta avec attention et secoua la tête en apprenant qu’ils
avaient été dans l’impossibilité de joindre l’Île de l’Ancre.
« Voici enfin ce que nous avons trouvé, Alice et moi, sous le
plancher de la cabine », conclut James Roy. Il dénoua les cordelettes
du petit sac de cuir, et fit glisser le médaillon dans la paume de
M. Yates.
« Ah dites donc ! » murmura celui-ci en caressant le métal brillant
du bout des doigts. Il le soupesa, puis l’éleva devant ses yeux, au bout
de sa lourde chaîne. « C’est une découverte, mademoiselle Alice, une
belle découverte…
— Pensez-vous que ce soit de l’or pur ? demanda la jeune fille.
— Très probablement, répondit-il. Mieux que cela, je crois que
vous avez mis la main sur une véritable pièce de musée. » Il
s’approcha de la lampe, et observa de plus près la face gravée du
médaillon. « Il faudrait que je fasse quelques travaux pour découvrir
ce qui est inscrit là, mais d’ores et déjà, je peux dire qu’il s’agit sans
doute d’une pièce d’un trésor espagnol. J’ai souvent eu l’occasion
d’examiner des objets datant de l’époque où les galions sillonnaient
ces mers, et ceci leur ressemble beaucoup.
— De l’or espagnol, murmura James Roy, songeur.
— Un trésor de pirates ? » renchérit Alice sur le même ton.
M. Yates hocha la tête : « L’un ou l’autre, ou peut-être les deux,
répondit-il.
— Mais qu’est-ce que cela signifie ? insista Alice. Cela peut-il nous
aider à savoir ce que Marion, Bess et les De Foe sont devenus ? »
Le vieil homme secoua la tête en signe d’impuissance.
« Allons, nous ferions bien d’aller dîner maintenant, intervint
James Roy. Je meurs de faim. »
Penny alla prendre le chocolat qui attendait sur le feu tandis que
les autres entouraient Alice, et se penchaient avec elle sur le collier.
« Regardez ! leur dit la jeune détective, vous voyez ?
— Non, rien du tout, avoua son père. Qu’est-ce que c’est ?
— C’est une ancre brisée, expliqua Alice. Et cette île, aussi, a la
forme d’une ancre brisée.
— C’est vrai, renchérit Penny en s’approchant à son tour. Je crois
que c’était même le premier nom de l’île, mais elle a été débaptisée,
et est devenue l’Île de l’Ancre.
— Tu veux dire que ce médaillon n’a pas été endommagé ? Que
c’est son dessin initial ? demanda James Roy, en prenant le bijou
dans sa main pour l’examiner avec attention. Dans ce cas, qu’est-ce
que tout cet or sur l’autre face ? » Ses doigts suivaient les lignes qui
avaient été tracées sur le disque.
« Je pense qu’il s’agit d’une carte, répondit calmement la jeune
fille. La carte du trésor !
— Le trésor du pirate ! s’exclama Penny. Ça alors ! Toutes ces
légendes seraient vraies, alors ?
— En tout cas, c’est ce que Tom et Jack semblent croire. Et c’est la
raison pour laquelle ils nous gardent ici. Ils ont l’air persuadés que le
trésor est quelque part dans l’île et que ce médaillon en est la clef.
— Mais ces traits sont absolument illisibles, protesta Marion. Ils
n’ont aucun sens. »
Alice sourit : « C’était aussi mon avis : pourquoi n’essaierions-
nous pas d’en faire un calque avec un fusain, ou une mine de crayon
gras ? Il nous serait plus facile de le déchiffrer sur du papier.
— J’en ai, intervint Penny. J’ai apporté ma boîte de peinture, ici, et
tout mon matériel. J’ai également du papier qui conviendra
parfaitement pour décalquer un dessin aussi fin.
— Tu ne m’as pas donné les détails de ce qui t’est arrivé tout à
l’heure, Alice », intervint James Roy, tandis que Penny sortait de la
cuisine et que Marion emplissait les bols de chocolat chaud, et
disposait quelques gâteaux secs sur une assiette.
Alice raconta alors son enlèvement sur la route, et sa rencontre
avec les deux hommes qu’elle décrivit suffisamment bien pour que
Marion hoche la tête : « C’est bien le Tom que nous avons connu,
assura-t-elle. Mais, il était seul à bord du bateau, j’en suis sûre. »
Alice soupira : « Sans doute Jack était-il encore en Floride ou
quelque part avec le “Polka”. Je ne comprends toujours pas pourquoi
ce bateau a été emmené d’ici, puis ramené un peu plus tard. Mais je
suis certaine que c’est bien celui que j’ai vu cet après-midi et ce soir.
— Mais, où pourrait-il s’être évaporé aussi vite ? demanda soudain
Marion, se souvenant de ce que son amie lui avait raconté. L’un de
nous l’aurait certainement vu s’il avait rôdé autour des îles.
— J’y ai pensé, admit Alice, et je crois savoir la réponse : il est
possible qu’il se soit dissimulé dans cette grotte.
— Celle que tu as vue ce soir ?
— Quelle grotte ? » intervint Penny qui rentrait dans la cuisine
avec son matériel de peinture.
Alice lui raconta sa découverte, tandis que la jeune fille
commençait à travailler sur le médaillon.
« C’est curieux, je ne me souviens d’aucune grotte dans ce coin »,
murmura Penny, les sourcils froncés sur son calque.
Le dessin était assez difficile à reproduire, et elle dut s’y reprendre
à trois fois avant de s’en montrer satisfaite. Elle éleva sa feuille de
papier devant ses yeux, et la présenta à Alice.
« Je pense que je ne peux pas faire mieux.
— C’est parfait, sourit la jeune détective. Mais, dis-moi, es-tu sûre
de ne rien savoir sur cette grotte, Penny ?
— Je vois une sorte de passage assez étroit, à l’endroit que tu me
décris, mais rien d’assez large pour laisser passer un bateau, même à
marée basse. » Elle se tut un instant puis reprit : « À moins que
certaines cavités ne se soient ouvertes pendant les orages. Mes
grands-parents m’ont écrit qu’à la suite d’orages très violents ce
printemps dernier, il y avait eu beaucoup de glissements de rochers
dans l’eau et que cela avait créé plusieurs ouvertures importantes le
long de la côte.
— En tout cas, il faudra aller voir cela demain. Celle dans laquelle
je me trouvais était assez grande pour un bateau de la taille du
“Polka” et assez profonde aussi. Lorsque je suis retournée dans l’eau,
je n’ai pas touché le fond, et j’ai dû nager longtemps pour regagner la
sortie.
— D’après ce que tu dis, il s’agit peut-être d’une grotte
naturellement large, mais qui avait une petite entrée jusqu’à ce que
la tempête fasse tomber le rocher qui faisait obstruction. »
Alice approuva de la tête. James Roy, cependant, avait pris le
dessin dans sa main, et le considérait avec attention.
« Avez-vous une idée de ce que ces lignes peuvent signifier,
Penny ? Y-a-t-il un rapport à votre avis avec le relief de l’île ?
— Je ne vois pas de chemins ou de sentiers qui correspondent à ce
tracé, répondit la jeune fille, en sirotant son chocolat. Les seuls
endroits où pourrait se trouver un tel croisement de chemins, sont
les abords de l’hôtel, ou le village de l’autre côté. Le reste est
beaucoup trop étroit pour cela. »
Alice prit à son tour le dessin, et le compara à l’ancre brisée du
médaillon. Il y avait un minuscule « V », inscrit à l’envers sur l’ancre.
Elle revint au dessin, et au bout d’un instant trouva la même marque,
au milieu du calque. Elle les compara longuement, et son cœur se mit
à battre plus vite.
« C’est la grotte ! Bien sûr, c’est certainement elle ! s’écria-t-elle.
— Qu’est-ce qui est la grotte ? demanda James Roy, posant son bol
sur la table pour se pencher à son tour sur le médaillon.
— Là, répondit Alice, montrant les deux lettres semblables, vous
voyez, les lignes semblent partir de ce même point ! Là, cette sorte de
“V”.
— Tu veux dire qu’il s’agirait d’une carte souterraine des grottes
qui se trouvent sous nos pieds ! » s’exclama l’avocat comprenant tout
à coup.
Alice hocha la tête, très excitée par sa découverte. « Serait-ce
possible, Penny ? demanda-t-elle, les yeux brillants.
— Il est vrai qu’un grand nombre de ces îles sont truffées de
grottes et de passages souterrains, commença-t-elle, mais… »
Un grand bruit dehors l’interrompit. Alice regarda vivement
autour d’elle, craignant que les hommes ne soient revenus pour
mettre la main sur le précieux collier et sur le secret qu’elle était en
train de découvrir. Mais le vacarme continuait, et Penny reconnut
rapidement un volet qui claquait, au premier étage.
« Nous ferions bien de fermer tous les volets et les fenêtres, dit-
elle aux autres. Je crois que nous allons avoir une belle tempête.
— Je vais t’aider, dit aussitôt Marion, en sautant sur ses pieds.
Alice, continue à examiner la carte avec ton père, tu me parais sur la
bonne voie.
— Et ceci, qu’est-ce à ton avis ? demanda James Roy lorsqu’ils
furent seuls, en pointant la mine de son crayon sur un autre signe,
également repérable sur les deux faces.
— Une autre entrée sans doute, s’exclama Alice. Mais où ? »
Ils étudièrent la carte en silence pendant plusieurs minutes, la
comparant avec le dessin de l’ancre brisée et avec le relief réel de l’île,
tel qu’ils le connaissaient.
« Autant que je puisse imaginer, cela devrait être du côté du
générateur d’électricité », dit enfin l’avocat.
Marion et Penny les rejoignirent, les cheveux ébouriffés mais
souriantes. « Nous voici en sécurité, annonça Marion. Mais cela ne
veut pas dire que le vent va se calmer. Il souffle si fort que nous nous
demandions si nous n’allions pas barricader les grandes fenêtres
pour les protéger.
— Penny, coupa Alice, plus préoccupée par la carte mystérieuse
que par l’ouragan qui approchait, y a-t-il des grottes souterraines
autour du bâtiment du générateur ?
— Oui, il y a le “Rocher chantant”, répondit Penny sans hésiter.
J’adorais y aller quand j’étais plus jeune, les jours où le vent ne
soufflait pas trop, mais mes grands-parents n’aimaient pas beaucoup
cela. Ils disaient que ces grottes étaient dangereuses.
— Crois-tu que nous pourrions nous y rendre ?
— Maintenant ? » s’exclama la jeune fille avec surprise.
Alice inclina la tête, sans bien savoir elle-même pourquoi elle avait
le sentiment qu’il fallait faire vite. Il y avait quelque chose
d’important autour de ces grottes, elle ne savait quoi, mais elle était
sûre de ne pas se tromper. « Oui, je crois que nous ne devrions pas
tarder, insista-t-elle.
— Nous aurons besoin de lampes de poche et même d’une
lanterne », objecta son père, un peu sceptique, lui aussi.
Penny partit à la recherche de matériel pour l’expédition, et revint
avec des torches électriques, une lanterne et des allumettes. Elle leur
montra encore une grosse pelote de ficelle. « Nous pourrons nous en
servir pour ne pas nous perdre, expliqua-t-elle. J’ai un ami
spéléologue qui passe son temps à explorer des grottes, et il utilise
toujours ce procédé pour pouvoir retrouver son chemin au retour.
— C’est encore mieux que les miettes de pain du Petit Poucet ! »
plaisanta Marion, tandis qu’ils se glissaient dans la nuit où rugissait
un vent violent. Ils suivirent Penny sur la route jusqu’au petit
monticule sur lequel se trouvait le transformateur électrique.
Il ne leur fut pas facile de trouver l’entrée : Alice sentait que les
autres trouvaient son entêtement un peu imprudent, mais elle ne
pouvait s’empêcher de continuer, c’était plus fort qu’elle. Quelque
chose la poussait à entrer coûte que coûte dans ces vastes cavités
qu’elle devinait sous la jolie petite colline fleurie où était bâti l’hôtel.
« Ça y est, la voilà ! » s’écria enfin Penny. Ils l’entendirent à peine
au milieu des hurlements du vent. « C’est la plus grande, du moins
parmi celles que j’ai visitées. Vous entendez le “chant” à
l’intérieur ? »
Des sifflements et des murmures impressionnants venaient, en
effet, de l’intérieur. Des sons tristes, solitaires, et en même temps
étrangement beaux : le chant du vent dans les couloirs, qu’Alice
imaginait sans fin, de la grande grotte sombre.
« Et maintenant ? » demanda Marion un peu impressionnée
tandis qu’ils s’éloignaient de quelques pas.
Alice prit le dessin dans sa poche, et le présenta sous le rayon de sa
lampe électrique. « Nous sommes ici, dit-elle en montrant du doigt
les lignes entrelacées. Cette ligne-ci semble conduire jusqu’au centre
de ce qui me paraît être un vrai labyrinthe.
— Surtout, il ne faut pas oublier la pelote de ficelle, conseilla
James Roy. Je n’aimerais pas beaucoup me perdre ici, ce soir, avec
cet orage qui résonnera à l’intérieur.
— Je vais attacher l’extrémité à ce petit pilier », répondit Penny en
désignant une sorte de borne en pierre contre l’entrée de la grotte.
Alice s’engouffra la première à l’intérieur. Elle n’eut pas de
difficulté à avancer, car le plafond était haut et le sol relativement
lisse. Tout en marchant, elle promenait le faisceau de sa lampe de
poche essayant de repérer les angles et les différents chemins
indiqués sur le médaillon ; mais sa torche n’était pas assez puissante,
et tandis qu’ils avançaient, ils découvraient sans cesse de nouvelles
ouvertures dans le tunnel principal.
« Crois-tu que nous risquons d’arriver jusqu’à la grotte où tu as
nagé tout à l’heure, Alice ? souffla Marion.
— J’aimerais bien le savoir, répondit la jeune fille.
— Il va falloir nous arrêter bientôt, intervint Penny. Je n’ai
presque plus de ficelle.
— Oh non, pas déjà ! » gémit Alice. Elle avait toujours cet étrange
sentiment d’être sur le point de faire une découverte importante. Une
intuition qui augmentait plutôt qu’elle ne diminuait à mesure qu’ils
progressaient dans le tunnel de plus en plus étroit. Maintenant les
murs étaient humides et le sol devenait glissant, mais la jeune fille
voulait toujours aller plus loin.
« Ça y est ! dit enfin Penny.
— Je crois vraiment qu’il faut nous arrêter, dit James Roy. Il serait
imprudent d’insister. Nous pouvons laisser notre ficelle ici, et en
apporter une nouvelle bobine, demain. Comme cela nous pourrons
visiter aussi les tunnels latéraux et… »
Il ne put achever, Alice lui avait saisi le bras qu’elle pressait
fortement. « Chut ! Écoutez !
— Quoi ? Qu’y-a-t-il ? »
Alice mit un doigt sur ses lèvres, et tous tendirent l’oreille, mais
seul leur répondit le bruit des gouttes d’eau qui tombaient une à une
du plafond humide.
« Tu as entendu quelque chose ? demanda Marion en
s’approchant de la jeune fille et de son père. Qu’est-ce que c’était ? »
Alice les regarda, les yeux agrandis par la surprise et l’inquiétude.
« Je crois que j’ai entendu appeler au secours ! »
Chapitre 18
Sauvetage dans la grotte