COMMENTAIRE DES LECTURES du Dimanche 1er août 2021 (XVIIIème Dimanche du
Temps ordinaire – Année B –
Par Mgr Follo Ex 16,2-4.12-15; Ps 77; Eph 4,17.20-24; Jn 6,24-35). 1) Jésus ne demande pas, Il donne ; Jésus ne prétend pas, Il s’offre ; Jésus n’exige rien, Il se donne tout à nous L’Evangile de dimanche dernier nous proposait le miracle de la multiplication des pains et des poissons. En contemplant Jésus qui donne du pain à la foule, nous avons appris de Lui à partager la nourriture avec compassion. L’évangile d’aujourd’hui nous montre Jésus qui ne donne plus du pain, mais se donne comme Pain. Jésus Christ est le vrai Pain, qui donne la vie éternelle et permet d’appliquer la loi de la vie, qui est le don de soi : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » (Jn 12, 23-26). « Je suis le bon pasteur …; et je donne ma vie pour mes brebis. » (Jn 10,14s). Aujourd’hui Jésus nous redit sa volonté de se donner, répétant haut et fort : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif… Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle … En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 32.35.54.55). Et à la messe nous redisons ses paroles les plus fortes : « Prenez, mangez : ceci est mon corps donné pour vous » (cf. Mt 26,26; Lc 22,19). Donc, notre existence chrétienne, comme celle de Jésus, doit être vécue comme un don d’amour qui va jusqu’au sacrifice, un don complet de soi pour servir le monde. A ce propos Saint Paul écrit: « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu [1]; c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rm 12,1-2). Ces paroles peuvent paraître paradoxales car le sacrifice exige normalement qu’il y ait mort de la victime. Saint Paul, lui, affirme au contraire que les personnes qui se sacrifient sont vivantes et que c’est pour elles « la juste manière de lui rendre un culte » Par cette expression, l’apôtre décrit un nouveau mode de vie: le sacrifice dont il parle n’est pas moins concret que celui des temps anciens. Bien au contraire, il s’agit pour lui de rendre un culte plus concret et plus réaliste – un culte où l’homme, dans sa totalité, c’est-à-dire un être doté de raison et de cœur, devient « adoration », « glorification » du Dieu vivant. En disant cela, l’apôtre des Gentils nous aide à comprendre ou à approfondir le sens et la valeur d’une vie offerte à Dieu, base de toute notre existence chrétienne. L’exhortation à « présenter son corps » se réfère à la personne tout entière ; en effet, dans Rm 6, 13 saint Paul dit « je vous invite à présenter votre corps ». Par ailleurs, l’explicite référence à la dimension physique du chrétien coïncide avec l’invitation à « rendre gloire à Dieu dans votre corps » (1 Cor 6,20): il s’agit d’honorer Dieu dans la vie quotidienne, en menant une existence la plus concrète possible. En effet, plus que vouloir dire souffrir, mourir, ou faire quelque chose de particulier, offrir sa personne en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu veut dire se donner à la charité de Dieu, vivre comme Dieu le veut, consacrer à Dieu nos corps, mais aussi nos sentiments, les personnes que nous aimons et le travail que nous faisons. Cela veut dire laisser Dieu entrer dans nos vies et donner ainsi une valeur profondeur à tout ce que nous faisons. Si « se donner » veut dire rendre un culte, alors nous ne pourrons plus vivre l’eucharistie comme quelque chose de détaché de notre vie, de ce que nous faisons dans la journée. Au contraire, notre journée devrait être un prolongement de l’eucharistie. Comment ? Nous devons tout simplement apprendre à faire dans la journée les mêmes pas que nous sommes appelés à faire à chaque eucharistie. Celle-ci est un sacrifice de communion qui permet de faire la communion, en recevant la présence du Christ en nous. Cela implique que nos cœurs soient ouverts et nous portions à l’autel le « oui » de notre amour. Ce « oui » ( = Fiat, Amen) apporte sur l’autel notre don qui est le don de nos vies à l’Amour. Cette ouverture à vivre une rencontre profonde et réelle avec Jésus à la messe, nous permet de nous ouvrir les uns aux autres, de rencontrer notre prochain en Dieu. Vivre le moment de la consécration eucharistique, nous apprend à consacrer à Dieu tout ce que nous faisons, chaque rencontre, chaque pensée ou projet. Puis recevoir la bénédiction de Dieu doit réveiller en nous l’appel à devenir « bénédiction » pour tout le monde. Chacun de nous devrait pouvoir transmettre la bénédiction de Dieu aux personnes, que nous rencontrons tous les jours. Si nous parvenons à faire ces pas dans la vie quotidienne, nous verrons comme il est beau et merveilleux de se donner comme Jésus à la sainte Messe, et nous sentirons que Jésus élève réellement au Père tout ce que nous avons vécu et cherché à offrir dans notre journée. 2) Imiter l’Hostie, Pain de vie et de miséricorde Pour développer un peu plus l’invitation de saint Paul à offrir nos corps en sacrifice capable de plaire à Dieu, nous pouvons méditer le passage d’un texte de saint Grégoire Palamas dans lequel, à la question « quand vivons-nous ce don ? », celui-répond: « Lorsque nos yeux ont un regard doux, lorsqu’ils nous attirent et nous transmettent la miséricorde d’en haut, lorsque nos oreilles sont attentives aux enseignements divins, non pas seulement pour les entendre, mais, comme le dit David, « pour se souvenir des commandements de Dieu, afin de les accomplir » (Psaumes Cil, 18) …, lorsque notre langue, nos mains et nos pieds sont au service de la volonté divine ». On peut puiser aussi au patrimoine des théologiens latins. Là nous trouvons saint Thomas d’Aquin qui offre un excellent point de départ pour approfondir notre imitation de l’hostie: « La petitesse de l’Hostie signifie l’humilité, sa rondeur l’obéissance parfaite, sa minceur l’économie vertueuse, sa blancheur la pureté, l’absence de levain la bienveillance, sa cuisson la patience et la charité. (Sermon pour la Fête-Dieu) Il est évident que Jésus ne propose pas qu’une simple dévotion au Très Saint Sacrement. Il propose la vie du Fils, que nous célébrons dans le saint sacrement du pain de vie. Ce pain est la marque d’amour du père pour tous ses enfants, symbole du corps du Fils donné à tous ses frères. Il est le signe de notre vie partagée avec tous. Le pain de vie est un aliment vivant, impérissable. Pour expliquer l’importance de manger de ce Pain de miséricorde, pour devenir ce que nous mangeons et pouvoir nous offrir en don en même temps que Jésus, on peut citer l’exemple de l’enfant qui a commis une faute et dans les yeux duquel domine non pas l’image de celui qui a brisé quelque chose, mais de la mère qui le regarde en souriant et du père qui le prend dans ses bras. Plus que se regarder soi-même et regarder ses propres fragilités de pécheurs, il est plus juste de regarder le Christ s’offrir à nous comme Pain de Vie, riche en miséricorde. Plus que nous regarder nous-mêmes, il est plus juste de se tourner vers ( = se convertir) le Christ, qui pardonne et nourrit en se donnant comme vrai Pain. Ce qui fait la grandeur de l’homme, à l’image de celui qui l’a créé, c’est sa capacité à se donner. La loi de l’existence humaine, comme la loi divine, exprime l’amour dans sa réalité dynamique, c’est-à-dire le don de soi. Comme Jésus avait dit: « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera » (Lc 9, 24), soulignant le caractère paradoxal de cette loi: atteindre le bonheur par le sacrifice. Mais plus on acceptera cela, plus on arrivera à élargir notre champ d’application. Les Vierges consacrées dans le monde en sont un bel exemple. Ces femmes, en offrant leur vie tout entière par le biais de la virginité consacrée, annoncent au monde entier que le Christ peut vraiment combler toute leur (et la nôtre) vie. Jésus est l’homme divin qui fait fleurir l’homme. Le Pain renferme tout ce dont la vie à besoin – amour, sens, liberté, courage, paix, beauté – pour être entretenue et durer jusqu’à l’éternité. Raison pour laquelle l’évêque, au cours de la prière de consécration, élève cette invocation : « O Dieu, Toi qui aimes demeurer dans le corps des personnes chastes comme dans un temple et qui privilégient les âmes pures et intactes …Pose ton regard, o Seigneur, sur ces filles qui déposent dans tes mains leur volonté de rester pures et chastes, volonté dont tu es l’inspirateur et qu’elles t’offrent purement et dévotement » (Rituel de Consécration des Vierges, n. 64). Les Vierges consacrées montrent par leur vie que croire c’est comme manger du pain, il faut le goûter dans la bouche, et l’assimiler intimement afin qu’il se répande dans tout le corps. En vivant à l’image de Jésus, comme des hosties vierges, elles montrent que Jésus est un corps qui sanctifie et se transforme en cœur, chaleur, énergie, pensées, sentiments, chant. Le christianisme n’est pas un corps doctrinal auquel puiser quelque nouvelle définition dogmatique ou morale, mais une vie divine à assimiler, l’Amour à faire entrer, afin que l’homme céleste qui est en nous arrive à maturation, afin que l’amour et la liberté naissent dans le temps et dans l’éternité. (Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris Méditation pour le Dimanche 1er août 2021)