Pierre de Marbeuf (1596-1645), « Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage »
ou « A Philis », Recueil de vers, 1628.
Élève du collège de La Flèche où il a été le condisciple de Descartes, le chevalier Pierre
de Marbeuf est juriste de formation. Il exercera aussi la fonction de maître des eaux et forêts comme Jean de La Fontaine. Son Recueil des vers est publié à Rouen en 1628. Auteur de sonnets baroques, il met en œuvre les thèmes de la nature, de la fragilité de la vie et de l'amour. Connu tardivement, il est apprécié non seulement pour ses qualités de poète, mais aussi pour ses talents satiriques. Recherchant la perfection, il joue avec les mots et les sonorités dans un style baroque.
Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer, L'on s'abîme1 en l'amour aussi bien qu'en la mer, Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer, Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer, Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau, Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux, Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
La Naissance de Vénus, Boticelli, 1482.
1. Fait naufrage. Texte complémentaire : Marbeuf, Recueil de vers, 1628 « Je disais l'autre jour ma peine et ma tristesse »
Je disais l'autre jour ma peine et ma tristesse
Sur le bord sablonneux d'un ruisseau dont le cours Murmurant s'accordait au langoureux1 discours Que je faisais assis proche de ma maîtresse2.
L'occasion lui fit trouver une finesse3 :
Silvandre4, me dit-elle, objet de mes amours, Afin de t'assurer que j'aimerai toujours, Ma main dessus cette eau t'en signe la promesse.
Je crus tout aussitôt que ces divins serments5,
Commençant mon bonheur, finiraient mes tourments, Et qu'enfin je serais le plus heureux du monde.
Mais, ô pauvre innocent, de quoi faisais-je cas ? Étant
dessus le sable elle écrivait sur l'onde, Afin que ses serments ne l'obligeassent6 pas.
1. Qui exprime l'abandon.
2. Amante. 3. Ruse. 4. Nom du jeune homme qui parle. 5. Promesses. 6. Obliger quelqu'un : le contraindre à respecter sa parole.