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Master

Le phéno-meme: comment l'évolution du meme a marqué les


générations

DUBIN, Lisa

Abstract

Ce travail de mémoire se penche sur l’omniprésence du meme dans la culture virtuelle, en


réponse à l’émergence du Web 2.0 et du rôle de producteur-consommateur qu’y occupe
désormais l’internaute. Il tente de comprendre les raisons derrière le succès de ce
phénomène et de sa propagation massive, ainsi que les motivations derrière le fait de
consommer, de créer, de partager et d’altérer du contenu mémétique (sous forme d’images,
de vidéos, de GIFs ou de texte). Pour ce faire, il compare les habitudes liées à la technologie
et aux réseaux sociaux chez les quatre générations les plus actives sur le Web : génération Z,
milléniaux, génération X et baby-boomers, dans le but de déceler l’impact qu’a le meme au du
point de vue sociodémographique, et son rôle dans la production culturelle.

Reference
DUBIN, Lisa. Le phéno-meme: comment l’évolution du meme a marqué les
générations. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150393

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LE PHÉNO-MEME
COMMENT L’ÉVOLUTION DU MEME A MARQUÉ LES
GÉNÉRATIONS

Mémoire en Journalisme et Communication

Dr. Philippe Amez-Droz

Lisa DUBIN

N° d’étudiant : 12318176

Session Janvier 2021


REMERCIEMENTS

Je souhaiterai remercier du fond du cœur toutes les personnes de mon entourage qui m’ont aidé
et soutenue lors de la rédaction de ce mémoire.

Je voudrais tout d’abord remercier mon directeur de mémoire, Dr. Philippe Amez-Droz, pour sa
patience, sa compréhension, sa disponibilité et son encadrement. Je souhaiterai également
remercier Dr. Sébastien Salerno pour son encouragement et ses judicieux conseils, qui ont su
m’aiguiller quant à un sujet complexe et peu traité. Je profite du fait que ces remerciements soient
rédigés à posteriori pour remercier Dr. Virginie Zimmerli pour sa qualité en tant que juré et pour
les critiques constructives et l’écoute dont elle m’a fait part lors de la soutenance de ce mémoire.

Je tiens également à remercier tous les enseignants de Medi@lab qui m’ont supporté lors de ces
deux dernières années, et qui n’ont fait que confirmer la passion que j’éprouve pour le
Journalisme et la Communication, grâce à leur enseignement de qualité.

Enfin, je souhaite remercier ma famille et mes amis pour tout l’amour dont il m’ont témoigné, à
travers leur soutien et leurs encouragements. J’aimerai particulièrement remercier ma maman,
qui a mis sa vie de côté pour m’apporter toute son aide lors de la rédaction de ce travail et mon
frère David qui a relu ce mémoire beaucoup trop long et a su apporter des réflexions pertinentes
et un regard extérieur – et, soyons honnête – corriger mes (quelques) fautes d’orthographe.
J’aimerai aussi remercier mon papa, qui m’a donné envie de faire ce master pour un jour, devenir
une aussi bonne journaliste que lui, et ma grand-maman qui reste persuadée que je suis la
personne la plus parfaite sur cette terre (après mon grand-frère). Enfin, je souhaiterai de tout
cœur remercier ma psychologue, Mme. Muriel Bonin, pour son aide, dans tous les sens du terme,
sans qui la rédaction de ce travail n’aurait simplement pas été possible.

Cela ne se fait sans doute pas, mais je vais le faire quand-même :

A mon grand-papa et à mon beau-père, qui ne sont malheureusement plus là pour me voir
terminer mon master, mais qui m’inspirent au quotidien à donner du meilleur de moi-même.

2
Table des Matières
I. INTRODUCTION 7

1.1 Problématique 9

1.2 Questions de recherche 11

II. THÉORIE 12

2.1 Concepts 12
2.1.1 L’évolution des médias 12
2.1.1.1 Le Web 2.0 12
2.1.1.2 La convergence des médias 12
2.1.2 La culture participative 13
2.1.2.1 La démocratisation du partage 14
2.1.2.2 Le folklore moderne 14
2.1.3 Les memes 15
2.1.3.1 Le modèle traditionnel de Dawkins 15
2.1.3.2 Premier Internet meme : le cas du « Dancing Baby » 18
2.1.3.3 Les memes aujourd’hui 19
2.1.3.4 Classification des memes selon la base de donnée Know Your Meme 20
2.1.3.4.1 Dank memes 20
2.1.3.4.2 Image-Macro memes 21
2.1.3.4.3 Advice Animal memes 21
2.1.3.4.4 Rage Comic memes 22
2.1.3.4.5 LOLcat memes 23
2.1.3.4.6 Reaction memes 24
2.1.3.4.7 Relatable memes 24
2.1.3.4.8 Twitter memes 25
2.1.3.5 Typologie des memes selon Limor Shifman 25
2.1.3.5.1 Real-Life Moment memes 26
2.1.3.5.2 Remix memes 26
2.1.3.5.3 Digital Native memes 26
2.1.4 Les plateformes du Web 2.0 27
2.1.4.1 Les Réseaux Sociaux 27
2.1.4.1.1 Facebook 28
2.1.4.1.2 Twitter 28
2.1.4.1.3 Instagram 29
2.1.4.2 Les Forums 29
2.1.4.2.1 Tumblr 29
2.1.4.2.2 4chan 30
2.1.4.2.3 Reddit 31
2.1.4.3 Les plateformes d’hébergement vidéo 31
2.1.4.3.1 YouTube 31

3
2.1.4.3.2 Vine 32
2.1.4.3.3 Tik Tok 33
2.1.5 Les usages des médias 34
2.1.5.1 Les catégories d’utilisateurs : le modèle de Horowitz 34
2.1.5.2 Théories de production et de partage 34
2.1.5.2.1 Le « meaning-making » 35
2.1.5.2.2 La théorie des usages et gratification 36
2.1.5.2.3 La gratification émotionnelle 37
2.1.5.2.4 La gratification personnelle 38
2.1.5.2.5 La réassurance en cas de crise 40
2.1.5.3 La production et le partage mémétique 40
2.1.5.3.1 Le potentiel mémétique : la notion de facilité 41
2.1.5.3.2 Le besoin de complément 41
2.1.5.3.3 Le devoir civique 41
2.1.5.3.4 L’appartenance au groupe 42
2.1.5.3.5 L’économie de l’attention 42
2.1.6 Classes générationnelles 44
2.1.6.1 La génération Silencieuse 44
2.1.6.1.1 Caractéristiques 44
2.1.6.1.2 Technologie 45
2.1.6.2 La génération des baby-boomers 45
2.1.6.2.1 Caractéristiques 45
2.1.6.2.2 Technologie 46
2.1.6.3 La génération X 46
2.1.6.3.1 Caractéristiques 46
2.1.6.3.2 Technologie 47
2.1.6.4 Les génération des milléniaux (génération Y) 47
2.1.6.4.1 Caractéristiques 47
2.1.6.4.2 Technologie 48
2.1.6.5 La génération Z 48
2.1.6.5.1 Caractéristiques 48
2.1.6.5.2 Technologie 49
2.1.7 La division digitale 49

III. ENQUÊTE 52

3.1 Hypothèses 52

3.2 Méthodologie 53
3.2.1 Données et niveau d’analyse 53
3.2.2 Googlisation du meme 54
3.2.2.1 Failles dans la recherche de Cary Huang 55
3.2.3 Opérationnalisation des variables 55

4
3.3 Méthode et technique : enquête en ligne 57
3.3.1 Le questionnaire 57
3.3.1.1 Problèmes rencontrés lors de la récolte de résultats 59
3.3.1.1.1 Tranches d’âges 59
3.3.1.1.2 Biais de représentativité 59
3.3.1.1.3 Formulation des questions 59
3.3.2 Les participants 60
3.3.3 Les échelles 60

IV. ANALYSE 61

4.1 Résultats 61
4.1.1 Les habitudes liées au web et aux réseaux sociaux 61
4.1.1.1 Les habitudes technologiques 61
4.1.1.2 Les habitudes liées au partage 63
4.1.1.2.1 Le partage au niveau émotionnel 64
4.1.1.2.1.1 La correlation entre l’humeur et le contenu 65
4.1.1.2.1.2 Du contenu qui reflète l’individu 65
4.1.1.2.1.3 Du contenu en réaction à un message 67
4.1.1.2.1.4 Reception de contenu de la part de son entourage 67
4.1.1.2.2 Le partage en dehors des réseaux sociaux 68
4.1.1.2.3 Le partage en masse 70
4.1.2 Habitudes liées au concept du meme 71
4.1.3 Connaissances liées au corpus mémétique 74
4.1.3.1 Memes en format vidéo 75
4.1.3.1.1 « Oogatchaka Baby » 75
4.1.3.1.2 « Dramatic Chipmunk » 76
4.1.3.1.3 « And I oop- » 78
4.1.3.2 Memes en format image 79
4.1.3.2.1 « I can haz cheeseburger » 79
4.1.3.2.2 « Philosoraptor » 81
4.1.3.2.3 « Success Kid » 83
4.1.3.2.4 « Grumpy Cat » 84
4.1.3.2.5 « Bad Luck Brian » 85
4.1.3.2.6 « Rage Comics » 86
4.1.3.2.7 « Trollface » 88
4.1.3.2.8 « Be like Bill » 89
4.1.3.2.9 « Jealous Girlfriend » 90
4.1.3.2.10 « Relatable memes » 92
4.1.3.2.11 « Twitter meme » 94
4.1.3.2.11.1 Image et Texte 94
5.1.3.2.11.2 Texte uniquement 95
4.1.4 Habitudes liées aux memes 97
4.1.4.1 L’identification personnelle 98

5
4.1.4.2 Le partage avec l’entourage 99
4.1.4.3 La création de ce type d’image 100
4.1.4.4 La compréhension de ce type d’image 101
4.1.5 Analyse en temps de crise 102
4.1.5.1 Identification personnelle en temps de crise 105
4.1.5.2 Identification d’autrui en temps de crise 106
4.1.5.3 Partage en temps de crise 107
4.1.5.4 Production mémétique en temps de crise 108
4.1.5.5 Sentiment de communauté en temps de crise 109
4.1.5.6 Augmentation du partage de contenu en temps de crise 109
4.1.5.7 Augmentation de la réception de contenu en temps de crise 111
4.1.5.8 Partage de contenu en lien avec la crise 112
4.1.5.9 Réception de contenu en lien avec la crise 113
4.1.5.10 Compréhension du contenu mémétique en lien avec la crise 114

V. DISCUSSION 116

5.1 Observations 116


5.1.1 Les classes d’âge et la technologie 116
5.1.1.1 La génération Z 116
5.1.1.2 La génération des milléniaux (ou génération Y) 117
5.1.1.3 La génération X 118
5.1.1.3 La génération des baby-boomers 119
5.1.2 Catégories d’utilisateurs : retour sur le modèle d’Horowitz 120
5.1.3 Le partage de contenu : retour sur les usages et les gratifications 121
5.1.4 Les connaissances liées aux memes 124

5.2 Connaissances liées au corpus mémétique 124


5.2.1 Connaissances générales 124
5.2.2 Habitudes liées aux memes 126

5.3. Analyse en temps de crise 128

5.4 Reprise des hypothèses 131


5.4.1 Tableau récapitulatif des Hypothèses 136

5.5 Apports et limites de la recherche 137

VI. CONCLUSION 140

VII. ANNEXES 144

VIII. BIBLIOGRAPHIE 153

6
I. Introduction
Couramment appelé le “bug de l’an 2000” (Rutledge, 2020), le passage au 21e siècle
a suscité beaucoup d’anxiété et de crainte pour le grand public, particulièrement les
informaticiens. Ces derniers avaient prédit qu’une obsolescence systémique aurait
lieu au niveau de l’informatique, entrainant de pannes dans tous les domaines de la
société, dont celui des nouvelles technologies. La crainte était que cela puisse à son
tour entrainer une perte d’information et une régression non négligeable sur le plan
technologique, provoquant la fin du monde tel qu’il avait été connu jusqu’à lors.
Ce passage tant anticipé a effectivement été accompagné d’un bouleversement qui a
révolutionné notre mode de vie, mais pas de la manière dont on l’avait imaginé. Il n’y
a en effet pas eu de grand ‘bug’, mais plutôt un réel changement de paradigme au
niveau de la technologie. Alors qu’internet avait été conceptualisé et mis en marche
au milieu des années 1980 par Tim Berners-Lee, les nouveaux outils mis à disposition
à partir du 21e siècle ont permis une démocratisation du produsage, c’est-à-dire de
production de contenu par, et pour le grand public (Bruns, 2007). Dès lors, la création
et le partage de contenu ont explosé, ainsi que les diverses plateformes permettant
leur dissémination – donnant lieu à ce que Tim O’Reilly a adéquatement nommé le
“web 2.0” (O’Reilly, 2007).
Le web est donc aujourd’hui synonyme de communication, de partage et de création,
mais cela n’a pas toujours été le cas. Avant ce changement de paradigme, sur lequel
nous reviendrons, les sites étaient composés de pages statiques, pouvant relayer de
l’information au lecteur, mais ne lui permettant pas d’interagir avec la plateforme, ou
ses autres visiteurs. internet était donc semblable à d’autres technologies de l’ordre
du média froid (McLuhan, 1964) comme la télévision et la radio. Alors que les médias
au 20e siècle avaient opté pour une communication massive, impersonnelle et
unidirectionnelle autrefois considérée comme étant comparable à une seringue
hypodermique (Lasswell, 1927), le changement de paradigme du début des années
2000 a introduit une nouvelle notion d’interactivité, de production et de partage liée
aux nouveaux médias.
De nouvelles plateformes sont apparues, encourageant une utilisation “sociale”
d’internet ainsi qu’une communication dite “peer to peer” (Bruns, 2007) qui implique le
partage des moindres faits et gestes, des préférences, des centres d’intérêt, des
opinions et des humeurs des internautes. L’apparition du réseau social Facebook en

7
2004 a démocratisé cette activité, déjà présente sur internet par le biais des “weblogs”
de l’époque, et a pavé le chemin pour d’autres plateformes sociales comme YouTube,
Instagram ou encore Twitter.
En parallèle, alors que la production, la distribution et la consommation de contenu
étaient autrefois trois domaines séparés (la production étant réservée aux grands
acteurs commerciaux et culturels, distribuée ensuite massivement aux
consommateurs), ces trois secteurs ont convergé pour former ce qu’Axel Bruns
qualifie de “produsage”, c’est-à-dire un mode d’engagement hybride qui fait du
consommateur le producteur et le distributeur de son contenu. Si l’on ajoute à cela
l’idée selon laquelle il y a eu une résurgence d’intérêt dans le concept du “DIY” ou
“Do-It-Yourself” c’est-à-dire de créer soi-même des choses que l’on peut se procurer
sur le marché (Gauntlett, 2018) en réponse au monopole de la production massive du
20e siècle, il semblerait que l’avènement du 21e siècle ait battu un terrain
extrêmement fertile et propice à la création et au partage de contenu avec autrui.
Cela fait donc quelques années que cette démocratisation de la production, du
partage et de la consommation s’est emparée du web, donnant lieu à un véritable
phénomène culturel. Le produsage fait désormais partie intégrante de la manière dont
on communique sur les réseaux aujourd’hui et ses qualités se retrouvent dans un
concept omniprésent sur internet qui a émergé lors des vingt dernières années: il s’agit
du meme.
Faussement amalgamé avec le mot « même », le terme est en réalité issu du concept
grec de « mimeme ». Ce mot qui signifie « imitation » a été altéré par le biologiste
Richard Dawkins en 1976 dans son ouvrage The Selfish Gene pour former le
néologisme meme que l’on connait aujourd’hui (Dawkins 1976: 248). Dans son livre,
l’auteur s’est centré sur le rôle du gène dans l’évolution humaine. Traçant un parallèle
entre l’évolution biologique et l’évolution culturelle, il a proposé d’utiliser le mot meme
pour définir tout ce qui a trait à la réplication de la culture. Alors que les gènes servent
à répliquer l’espèce humaine, les memes servent à répliquer la culture.
Bien qu’on y trouve des éléments du meme que l’on connait d’aujourd’hui, la définition
de Dawkins est bien plus complexe qu’une simple image partagée sur les réseaux
sociaux et n’a d’ailleurs pas été conçue pour s’appliquer à du contenu produit et
disséminé sur internet. Il n’empêche que le concept du meme de Dawkins illustre bien
le tri qui se fait au niveau du contenu sur les réseaux ainsi que les facteurs qui
déterminent s’il se propagera ou non. Comme pour les gènes, une sélection naturelle

8
a lieu sur les réseaux sociaux. Elle trie le contenu mémétique selon sa pertinence et
son potentiel de popularité. Alors que certains memes tombent dans la désuétude,
d’autres sont propagés massivement jusqu’à atteindre la viralité. Dans le cadre de ce
travail, le terme meme servira donc à définir le contenu publié et décliné en masse sur
internet.
Lors d’un recensement effectué en 2019, il a été estimé que plus de cinq milliards de
personnes utilisent internet (Global Digital Overview, 2019). Le web fait donc partie
intégrante du quotidien des trois quarts de la population mondiale et semble exercer
un réel monopole sur la société, que ce soit pour y puiser de l’information, écouter de
la musique, regarder des séries ou des films, ou encore communiquer avec son
entourage proche ou lointain. Alors qu’autrefois la culture dictait le contenu présent
sur internet, aujourd’hui la tendance semble inversée, car la culture créée et partagée
sur internet déborde dans notre vie de tous les jours, la rendant aussi présente sur la
toile que dans notre vie quotidienne – une idée que nous aborderons plus tard dans
ce travail. Il est donc important de se questionner sur le contenu que l’on y consomme,
et de comprendre quel effet ce contenu a sur nous-mêmes, ainsi que sur nos relations
sociales. C’est pour ces raisons qu’il est important de déceler les mécanismes
socioculturels derrière transmission des memes sur le web 2.0.

1.1 Problématique
Aujourd’hui selon le journaliste Perry Kostidakis (2019) les memes sont devenus une
des manières principales de communiquer sur internet. Qu’ils soient partagés par des
célébrités, des politiciens, des amis ou des membres de la famille, ils ont percé dans
la culture populaire – on pourrait même dire qu’ils en sont à la base. Nous nous
trouvons dans un contexte socioculturel qui a été complètement bouleversé par le
monopole d’internet. Alors que le web est une technologie qui est nouvelle pour les
générations antérieures aux milléniaux, celle d’aujourd’hui n’a pas connu un monde
sans la présence du numérique. Les plus jeunes générations communiquent
majoritairement par ce biais, avec des outils tels que les réseaux sociaux et les
applications comme Whatsapp ou Skype. En 2019, 58% de la population mondiale a
accès à internet (Global Digital Overview). En Europe occidentale et aux États-Unis,
le chiffre s’élève à plus de 95%. Cela démontre la concentration massive qu’il y a sur
internet, et particulièrement sur les réseaux sociaux.

9
Tandis que les memes de l’époque constituaient un contenu de niche, réservé aux
internautes les plus initiés lorsqu’ils ont fait leur apparition sur le web, ils font
désormais partie intégrante des réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils sont créés, modifiés
et partagés au quotidien par des milliers d’internautes (Kostidakis, 2019). Leur
contenu provient de films, de bandes dessinées, de photos libres de droits tirées
d’internet, d’archives personnelles et plus encore. Ce contenu peut être créé dans le
but spécifique de faire un meme, ou repris, modifié et partagé massivement à l’insu
d’une personne - un aspect qui a été documenté par BuzzFeed dans leur série de
vidéos intitulées « I accidentally became a meme »1.
La propulsion du meme au statut de déterminant culturel coïncide avec l’augmentation
massive du nombre d’individus présents sur internet et le monopole des réseaux
sociaux tels que Facebook, Twitter et Instagram. Tandis que nous passons de plus en
plus de temps sur internet, les memes sont devenus les véhicules parfaits pour faciliter
l’information, l’humour et l’opinion. Autrefois des simples images avec du texte
superposé, ils sont désormais des outils de rhétorique et de communication pour
disséminer de l’information envers des millions de personnes.
Le fait que le web ait développé des aspects communicationnels plus étroits et
personnels à partir de la fin des années quatre-vingt-dix peut être attribué, en partie,
à l’émergence du phénomène memetique qui est synonyme des forums, des blogs et
de la collaboration – trois aspects déterminants du web 2.0.
Ce travail cherche à connaitre les motivations derrière la production et le partage de
contenu mémétique et tâchera de démontrer la manière dont les memes ont
révolutionné́ la communication sur les réseaux sociaux, sur internet et même dans la
vie de tous les jours - particulièrement chez les personnes ayant grandi avec ce
phénomène.
Pour cela, il s’agit de comprendre comment le concept du meme a affecté́ la culture
d’internet, la communication interpersonnelle, les références culturelles et l’humour
des internautes. Pour cette raison, il est important de comparer les comportements
des internautes avec l’évolution des plateformes digitales et des outils disponibles, et
par conséquent, avec l’évolution du meme en tant que tel. Ce travail de recherche se
focalisera sur la manière dont les memes ont évolué depuis leur apparition il y a plus

1
« I accidentally became a meme : Hide The Pain Harlold », BuzzFeed 2020.
https://www.youtube.com/watch?v=a3WnvDtDD2M

10
de vingt ans, pour se démocratiser et devenir un outil essentiel à la
cybercommunication. Il s’agira également de comprendre les variances
intergénérationnelles concernant leurs habitudes liées aux memes, afin d’en déceler
les utilisateurs primaires et comprendre si l’âge d’un individu impacte la
consommation, la production et le partage de contenu mémétique. Ce travail tentera
aussi de démontrer comment les memes ont révolutionné la communication sur les
internet et dans la vie de tous les jours pour toutes les générations, même celles qui
n’ont pas grandi avec l’avènement d’internet et du contenu mémétique.
Plusieurs questions se posent donc : comment est-il possible d’expliquer l’évolution
de meme ? Comment est-il utilisé pour communiquer ? Qui l’utilise ? Et surtout, dans
quel but, et avec quels effets ?

1.2 Questions de recherche


Afin de mieux comprendre les mécanismes inhérents à la création, la consommation
et le partage de meme sur les réseaux sociaux et ailleurs, nous nous poserons les
questions de recherche suivantes:

QR1 : Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à consommer et partager un meme?

QR2 : Est-ce que la consommation et le partage de memes varient selon les


générations ?

QR3 : Les habitudes liées aux memes changent-elles en fonction des


évènements qui sortent de l’ordinaire ?

11
II. Théorie
2.1 Concepts
2.1.1 L’évolution des médias
2.1.1.1 Le Web 2.0
La notion du web 2.0 a été introduite par Tim O’Reilly en 2005, après avoir constaté
que le web semblait plus puissant que jamais, et qu’il avait pris une nouvelle forme en
réaction au krach boursier de la Bulle Internet en Mars de l’an 2000 (O’Reilly, 2005 :
5). Plusieurs éléments différencient le web 1.0 du web 2.0. On remarque que les pages
web statiques, typiques des années quatre-vingt-dix ont été remplacées par des
pages dynamiques : « data base-backed sites with dynamically generated content
replaced static web pages well over ten years ago. What's dynamic about the live web
are not just the pages, but the links, with "permalinks" for any individual entry, and
notification for each change. » (O’Reilly, 2005 : 9). Cela a eu comme effet une
intensification de la discussion et du sentiment de communauté sur les sites web, car
il était désormais possible de partager une publication ou une page précise d’un site
ou d’un weblog avec son entourage avec l’introduction de ces « permalinks » qui ont
pu, comme O’Reilly le note, relier les blogs les uns aux autres. Ce nouveau système
a favorisé la mise en relation des internautes et le partage mutuel de contenu,
marquant ainsi le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire du web.

2.1.1.2 La convergence des médias


Dans les années qui ont suivi l’explosion du Web 2.0, les spécialistes ont remarqué
un changement lié à la consommation des médias par les individus. En effet, ces
derniers semblaient passer d’un médium à un autre avec grande fluidité, un nouveau
mode d’utilisation que l’auteur Henry Jenkins a attribué à la convergence des médias.
Selon lui, ce changement de paradigme lié aux habitudes des consommateurs de
médias est à la source de ce qu’il caractérise comme une nouvelle « Culture de
convergence » où les frontières entre les médias sont brouillées, permettant aux
consommateurs de puiser du contenu issu de divers médiums afin d’optimiser
l’information qu’ils en tirent. Il explique que « each of us constructs our own personal
mythology from bits and fragments of information extracted from the media flow and

12
transformed into resources through which we make sense of our everyday lives »
(Jenkins, 2006 : 8).
Lorsque la télévision s’est démocratisée au milieu du 20e siècle, l’industrie des médias
redoutait la concurrence que son omniprésence pouvait avoir vis-à-vis des médias
écrits et radiophoniques. Il en a été de même avec la popularisation du web, qui
semblait menacer le monopole de la télévision : « The digital revolution paradigm
presumed that new media would displace old media », explique l’auteur. Cependant,
« the emerging convergence paradigm assumes that old and new media will interact
in ever more complex ways. » (Jenkins, 2006 : 12). En effet, il est aujourd’hui possible
de lire un livre, regarder un film ou une série, écouter une émission de radio ou
feuilleter un album photo sur internet, le tout simultanément. Cette notion de
convergence des médias véhicule donc l’idée selon laquelle contrairement à la
télévision, le web n’a pas détrôné ses prédécesseurs, mais a plutôt provoqué un
changement de paradigme vis-à-vis de la consommation des divers media channels
à disposition aujourd’hui, qui s’entremêlent désormais à notre quotidien.

2.1.2 La culture participative


L’arrivée du Web 2.0 et la convergence des médias ont provoqué ce que divers
auteurs ont nommé « culture participative » (Jenkins, 2009 ; Burgess, 2008 ; Bruns,
2007 ; Miltner, 2017). Depuis quelques années, la création et la consommation
massive de contenu par les internautes ont permis d’éradiquer la barrière entre le
producteur et le consommateur, faisant naitre l’ère de la culture participative.
Intrinsèquement liée au changement de paradigme des médias, la notion de
participation est en réalité une réaction aux médias de masse du 20e siècle, rendue
possible par la technologie. Alors qu’autrefois, il n’était pas possible pour un
téléspectateur, ou un auditeur de participer activement à la production de ces grands
médias, le Web 2.0 a permis à ses utilisateurs de produire, consommer et partager
leur propre contenu et celui des autres internautes : « Personalized media was one of
the ideals of the digital revolution in the early 1990s: digital media was going to
"liberate" us from the "tyranny" of mass media, allowing us to consume only content
we found personally meaningful » (Jenkins, 2006 :245). Aujourd’hui, les médias push
et froids (MacLuhan, 1962) tels que la télévision ou la radio sont obligés de se faire
une place sur Internet et proposer du contenu participatif s’ils ne veulent pas devenir

13
obsolète, comme l’explique Jenkins : « Many industry leaders argue that the main
reason that television cannot continue to operate in the same old ways is that the
broadcasters are losing younger viewers, who expect greater influence over the media
they consume » (2006 : 244).

2.1.2.1 La démocratisation du partage


Selon Henry Jenkins, la démocratisation du partage est la conséquence directe de la
culture participative. Il explique qu’une culture participative est une culture qui
encourage l’expression artistique et l’engagement civique, et qui soutient le partage
et la création de contenu (Jenkins, 2007). La multiplication des réseaux sociaux a
largement contribué à cette démocratisation du partage, car le partage est inhérent à
ces plateformes. Michele Zappavigna explique qu’une fonction essentielle des
réseaux sociaux est l’expérience du partage au quotidien, qui est relayée en temps
réel par les utilisateurs et qui leur permet de créer des liens notamment autour de
constatations ou de plaintes concernant des problèmes de la vie de tous les jours
(2012 : 5). Aujourd’hui, le partage est un des piliers de la logique culturelle d’internet
(Laineste, 2016) et n’est donc plus réservé aux géants médiatiques, mais à tous les
utilisateurs. En effet, surfer sur internet n’est plus une expérience passive. Cette
interactivité induit une distinction entre les générations qui ont grandi avec des médias
froids, et celles qui ont grandi avec internet, et selon Lynne McNeil, cette interactivité
a permis à un nouveau type de folklore de se développer dans ce milieu digital. (2009 :
82).

2.1.2.2 Le folklore moderne


Le mot « folklore » désigne un ensemble d’anecdotes, de pratiques et de traditions
culturelles que l’on a pour habitude d’apprendre, d’enseigner et d’utiliser lors de nos
interactions en face à face. Le folklore est transmis à travers l’espace-temps depuis
les débuts de l’humanité et représente une continuité liée à la pensée, la croyance ou
encore les émotions humaines. Cette pensée peut être répétée, modifiée et multipliée
(McNeil, 2009 : 83).
Le folklore émerge donc lors d’interactions physiques et informelles de la vie
quotidienne. Cependant, les générations qui ont grandi avec internet et les réseaux
sociaux sont tellement habituées à ce médium qu’elles ne reconnaissent pas de réelle

14
différence entre une interaction en ligne ou une interaction en personne : la
communication par message est désormais interchangeable avec la communication
en face à face. (McNeil, 2009). Ce rapprochement entre les différents modes de
communication a fait naître un nouveau type de folklore moderne qui se propage en
ligne et qui déborde souvent dans la vie réelle.
Si le folklore est synonyme de transmission d’information et de contenu, et qu’il est
désormais présent en ligne sous forme de folklore moderne, il est aisé de se
questionner sur la nature de son contenant. Limor Shifman propose l’idée selon
laquelle le folklore moderne serait véhiculé par les memes, entre autres : « memes
are seemingly trivial and mundane artifacts, but they actually reflect deep social and
cultural structures. In many senses, Internet memes can be treated as (post)modern
folklore, in which shared norms and values are constructed through cultural artifacts
such as Photoshopped images or urban legends » (2009 : 13). Le folklore survit à
l’épreuve du temps grâce à plusieurs paramètres qui ensemble, lui permettent une
transmission culturelle fructueuse. Ce processus ressemble beaucoup à celui du
meme, décrit par Richard Dawkins comme une sélection naturelle, liée en partie à la
pertinence culturelle de son sujet. Comme le folklore, le meme occupe la fonction d’un
vaisseau contenant une information qui sera, ou non, partagée en masse.

2.1.3 L’évolution des memes


2.1.3.1 Le modèle traditionnel de Dawkins
La recherche au sujet du meme débute avec l’auteur et biologiste Richard Dawkins.
En 1976, il écrit The Selfish Gene, un livre qui stipule que le gène est l’élément central
et constitutif de l’évolution humaine et que les humains sont donc essentiellement
égoïstes et individualistes, car ils favorisent la reproduction de leur propre lignée à
celle du groupe dans lequel ils se trouvent. Cette idée s’oppose à la pensée des
évolutionnistes qui considèrent que c’est le groupe qui permet d’évoluer. Selon
Dawkins, les Hommes vont s’unir afin de transmettre les meilleurs gènes à leur lignée,
une stratégie qui est motivée par un désir de sécurité et qui a pour but de garantir une
évolution stable au sein des sociétés.
Dans le onzième chapitre de l’ouvrage, intitulé « memes », l’auteur fait un parallèle
l’évolution génétique et l’évolution culturelle. (Dawkins 1976 : 246). L’évolution est le
fruit d’une multiplication de versions d’une même chose. Selon lui, il faut éliminer l’idée

15
selon laquelle seul le gène est à la base de l’évolution humaine. Il faut aussi prendre
en considération l’élément derrière l’évolution culturelle, car ont permis aux hommes
de construire et de faire évoluer les différentes sociétés qui peuplent le monde
aujourd’hui . Les différences culturelles entre les sociétés seraient donc le produit de
‘mutations culturelles’, qu’il nomme les memes. À travers ce néologisme, Dawkins
souhaite véhiculer cette idée de transmission et d’imitation culturelle si essentielle à
l’évolution des êtres humains. En effet, la loi de Dawkins veut que la vie évolue par la
survie différentielle de réplication d’entités (Dawkins 1976 : 249). Il donne d’abord le
mot « mimeme », ce qui signifie « imitation » en grec ancien, puis décide de l’abréger
pour qu’il soit monosyllabique et qu’il ressemble plus à son homologue, gène. Il donne
quelques exemples d’un meme: une mélodie, une idée, un slogan, une mode.
Alors que les gènes se propagent par le biais du gene pool (patrimoine génétique) par
le sperme ou les ovules, les memes se propagent par le biais du meme pool
(patrimoine mémétique) de cerveau en cerveau. Si par exemple un scientifique entend
ou lit une nouvelle idée intéressante, il en parlera à l’ensemble de son réseau, ou le
mentionnera dans ses articles et dans ses cours. Si l’idée suscite de l’intérêt, elle se
propagera en passant de cerveau en cerveau. À travers ce partage, le cerveau est
parasité, car il est utilisé comme véhicule pour la propagation du meme – comme un
virus.
Un exemple percutant serait celui du sujet concernant la vie après la mort. Selon
Dawkins, le meme « vie après la mort » a été multiplié des milliards de fois au point
d’être devenu une image qui fait partie intégrante de la structure physique du monde
et affecte même le système nerveux des êtres humains en raison du stress qu’il peut
provoquer. Il en est de même pour l’idée de Dieu – on ne sait pas comment cette idée
est arrivée dans le meme pool mais elle s’est répliquée de manière exponentielle à
travers la parole orale et écrite et la musique, les mélodies ou encore l’art. Si ce dernier
a survécu aussi longtemps, ce n’est pas un hasard. Pour l’auteur, la survie d’un meme
est attribuable à son attrait psychologique. Si le meme « Dieu » a réussi à survivre
aussi longtemps, c’est parce qu’il a permis à l’être humain de ressentir un certain
apaisement, une stabilité dans son environnement culturel (Dawkins 1976 : 250). Pour
lui, la survie d’un meme est attribuable à son attrait psychologique. La vie après la
mort et le concept de Dieu sont deux exemples de memes qui donnent une réponse
caractérisée par l’auteur comme étant “superficiellement plausible” (Dawkins 1976:
250) à une question profonde et troublante concernant l’existence.

16
Certains memes ont donc plus de succès dans le meme pool que d’autres, ce qui est
logique lorsque l’on compare les memes aux gènes : Il s’agit du mécanisme de la
sélection naturelle. En plus de ces aspects psychologiques, un meme doit aussi faire
part d’une longévité, d’une fécondité et d’une fidélité de copie pour survivre et se
multiplier de manière optimale. La fécondité est l’aspect le plus important, car elle va
déterminer à quel point un meme va pouvoir pénétrer la culture populaire. En effet,
l’espace dédié aux memes est limité. Comme les gènes qui se disputent contre des
allèles, les memes se disputent pour l’attention du cerveau humain – que ça soit à la
radio, à la télévision, dans les tops musicaux ou dans les journaux (Dawkins 1976 :
256). L’idée de cette propagation culturelle peut être applicable en toute circonstance.
Alors que la propagation du meme se faisait autrefois par des moyens physiques et
donc limités, l’émergence du web et ses qualités de réseau informatique ont créé une
nouvelle voie propice à la transmission culturelle et un terrain extrêmement fertile en
matière de production personnelle et de partage massif. Bien que la théorie de
Dawkins ait été élaborée avant l’avènement d’internet, elle peut être appliquée à ce
nouveau médium.
Dans son article « What was the first meme ever ? An exhaustive investigation », le
journaliste Will Fulton admet, tout comme Dawkins, qu’il y a quatre caractéristiques
que les memes ont besoin d’avoir pour être considérés en tant que tel : il s’agit d’un
message, d’une évolution, d’une maniabilité et d’un effet. En qui concerne le message,
il donne quelques indicateurs importants: « There needs to be a clearly definable,
central message or reference that’s understood, and relatable by commonly shared
knowledge or experience. The medium of the message isn’t relegated to an image
and text; it can be either, or both. Or video, or solely audio » (Fulton, 2019). Au niveau
de l’évolution, pour lui, le meme ne peut rester statique. Il doit être remanié et modifié
par une communauté de personnes. Concernant la maniabilité du meme, il explique
que: « It must aid in its own evolution by having defined characteristics that can be
changed while maintaining and preserving some semblance of the original message
». Enfin, au niveau de l’effet, il faut selon lui qu’il atteigne un certain niveau de
popularité et de compréhension, ou le message n’aura pas de sens et donc pas
d’impact, empêchant sa viralité. En effet, l’aspect le plus important du meme est cette
viralité qui permet de toucher un maximum d’internautes. Ces caractéristiques font
écho à celles émises par Dawkins 40 ans plus tôt et permettront d’élaborer les critères
de ce travail qui serviront à déterminer si un contenu est mémétique ou non.

17
2.1.3.2 Premier internet meme : le cas du « Dancing Baby »
Dans son article sur les premiers memes, Ashley Hamer explique que le premier «
meme » tel qu’on le conçoit aujourd’hui est celui du Dancing Baby en 1996. À cette
époque Michael Girard et son collège Robert Lurye, des animateurs pour l’entreprise
de logiciels Autodesk ont voulu montrer qu’il était possible d’exécuter un même
mouvement animé par différents personnages avec l’aide du logiciel qu’ils venaient
de créer. C’est alors là qu’ils ont mis au point l’animation d’un bébé dansant le cha-
cha. Lorsqu’ils l’ont envoyée à d’autres entreprises dans le but de prouver les
compétences de leur nouveau logiciel, cette animation fut rapidement transformée en
format “GIF” par un de ses récepteurs pour en faciliter la transmission par e-mail.
Selon Hamer, ce fut la première modification connue d’un meme sur internet. Ce
format allégé de l’animation permit à ses destinataires de la renvoyer à leur tour à
leurs propres contacts, jusqu’à ce que le Cha-Cha baby atteigne la viralité.
Ce succès s’est confirmé lors de l’apparition du « cha-cha baby » sur le feuilleton Ally
McBeal en janvier 1998 – un an et demi après qu’il ait fait son grand début sur internet.
Le bébé y apparaît sous forme d’hologramme lorsque la protagoniste fait un rêve en
rapport avec son horloge biologique qui lui provoque un empressement d’avoir des
enfants. Dans l’extrait, le bébé danse non sur du cha-cha, mais sur la chanson
“hooked on a feeling” par Blue Suede – un élément qui changera à son tour ce meme,
en le liant étroitement à cette chanson et aux paroles de l’introduction, “oogatchaka
oogatchaka”. A partir de ce moment, le meme sera connu sous le nom d’“Oogatchaka
baby”. En l’an 2000, on observe à nouveau un détournement du meme dans un
épisode des Simpsons, lorsqu’une animation de Jesus qui fait les pas de danse du
“oogatchaka baby” figure sur l’écran. Ce clin d’oeil a toute son importance, car il
montre l’utilisation des premiers memes sur les plateformes de type “weblog” de
l’époque – la voie principale par laquelle les premiers memes ont circulé, comme nous
le verrons plus tard. Cela démontre également l’omniprésence de cette image dans la
culture populaire et les diverses formes qu’elle a pu adopter.
Le principe de “longévité” de Richard Dawkins qui est essentiel à la genèse d’un meme
peut-être observé dans l’exemple du oogatchaka baby: En effet, on le retrouve en
2018, soit 22 ans plus tard dans un clip de la chanteuse Charli XCX pour sa chanson
“1999”, dans laquelle figurent également d’autres éléments phares des années 90.
Cela démontre parfaitement le processus décrit par Dawkins qui explique que malgré

18
le fait qu’un meme puisse aisément tomber dans les oubliettes de la culture collective,
il suffit d’une personne pour qu’il refasse surface et qu’il génère une nouvelle viralité.
Le meme du cha-cha (ou plutôt, du oogatchaka) baby remplit tous les critères
proposés par Dawkins. Psychologiquement, il provoque des rires, de la joie et de la
légèreté à celui qui le regarde. Il a une longévité, comme nous l’avons vue, car il a
réussi à se perpétuer sur plus de deux décennies ; il est fécond dans le sens où il est
possible d’en créer des dérivés en tout genre, et par conséquent il a une bonne fidélité
de copie, car il est simple, mais efficace.

2.1.3.3 Les memes aujourd’hui


Le contenu et la manière dont les memes se créent et se propagent ont changé avec
l’évolution du Web. Le premier meme a été transmis et a atteint la viralité par le biais
de l’e-mail. Pendant les années qui ont suivi, cette transmission a évolué avec
l’avènement des premières plateformes du type messageries instantanées
(Kostidakis, 2019). En parallèle, le développement du Web 2.0 et l’ère « post-AOL »,
des sites du type « forums 2.0 » tels que 4chan, Reddit et SomethingAwful sont
apparus et ont facilité la communication ainsi que le partage de contenu
entre internautes.
Depuis le début des années 2000, un nouveau phénomène a pu être observé par les
internautes. Ces derniers ont commencé à se piéger en s’envoyant le clip du chanteur
Rick Astley pour sa chanson “Never gonna give you up” – cette action si populaire a
même obtenu son propre nom : le fait de “rick roll” quelqu’un. Selon Perry Kostidakis
(2019 : 24), cette vidéo a été une des premières vidéos à atteindre la viralité et le
statut de meme sur internet. Pendant ce temps, l’apparition de YouTube en 2006 a
alimenté l’émergence des memes vidéos. Lorsqu’un jeune homme a voulu partager
l’incident du Superbowl 2004 (où Justin Timberlake a malencontreusement dévêtu
Janet Jackson pour afficher sa poitrine devant toute la nation), il a réalisé qu’il n’existait
pas de plateformes permettant le téléchargement et le visionnement de vidéos en
ligne. C’est alors qu’il a créé YouTube - un outil qui a contribué à la popularisation et
à la propagation du meme. Suite à la viralité de la vidéo de Rick Astley, les internautes
ont réalisé qu’avec YouTube il était possible de générer eux-mêmes du contenu vidéo
afin de le rendre viral. Nous remarquons cela avec Google Trends, qui nous montre

19
que le terme “viral video” a atteint un pic en 2006, soit une année après la création de
YouTube.
Les memes sont devenus les fondements du discours public sur les reseaux sociaux.
Les memes et la culture populaire sont désormais étroitement liés – ils ne sont plus
cachés dans les forums obscurs d’internet, comme ils l’étaient à une époque.
Aujourd’hui, ils se trouvent partout et sont accessibles à tous. Selon l’auteur, “memes
have gone from a somewhat underground form of casual humor to becoming an
everyday part of social interaction. They still get used as comedic devices more often
than not, but they’ve also become such a recognized communicative method that
they’re capable of spreading ideas, opinions and information” (Kostidakis, 2019).

2.1.3.4 Classification des memes selon la base de donnée Know


Your Meme
Know your meme est une base de données qui recherche et rapporte des informations
sur les memes internet et les phénomènes viraux au grand public. Trois ans après sa
création en 2009, le site a atteint le seuil de 9,5 millions d’internautes par mois. Les
sources d’informations proviennent de divers horizons, dont des chercheurs en
sociologie, des « experts » d’internet et même des internautes voulant aider à la
collecte d’information sur les memes. Cette base de données sera utilisée à plusieurs
reprises dans ce travail pour estimer les memes les plus populaires du 21e siècle.

2.1.3.4.1 Les Dank memes


Les mêmes forment, par définition, un microcosme souvent réservé aux initiés comme
l’explique Laineste : « Not everything in a meme can be understood by all potential
repicipents: its complex multi-layered structure consists of references that are
accessible to most, side by side with those that are unfamiliar and remain “closed” »
(2016 : 20). Victimes de leur popularité, les mêmes sont devenus de réels outils dans
le cadre du markéting de masse (annexe : figure A). Cela illustre la prolifération du
phénomène mémétique. Selon Kostadikis, l’appropriation capitaliste des mêmes a
provoqué leur division en deux catégories: les normie mêmes et les dank memes. Les
normie mêmes sont des mêmes qui ont été employés et rediffusés dans le cadre d’une
stratégie de markéting de masse. Une fois entrés dans le domaine du corporate, ces
mêmes deviennent obsolète pour les internautes. Il utilise l’exemple de la vidéo

20
“Charlie bit my finger” qui date de 2007 et qui a plus de 868 millions de vues sur
YouTube aujourd’hui. La vidéo a notamment été utilisée pour la marque de téléphone
américaine Sprint et pour Google (ABC News, 2019). Les dank memes (annexe :
Figure B) sont décrits par la base de données Know Your Meme comme “term used
to describe online viral media and in-jokes that are intentionally bizarre or have
exhausted their comedic value to the point of being trite or cliché”. Kostadikis émet
l’hypothèse selon laquelle les mêmes vont continuer à évoluer et grandir malgré le fait
que les méthodes par lesquelles ils sont consommés vont inévitablement changer.

2.1.3.4.2 Les Image-Macro memes


Les Image-Macro memes, aussi connus sous le nom Image Macros sont des images
légendées, constituées typiquement d’une image et d’une phrase humoristique qui est
superposée sur le bas – et parfois le haut – de l’image (annexe : figure C). Les images
représentent le plus souvent des situations incongrues comme une petite fille qui
sourit devant un incendie, ou bien des images tirées de films ou de situations
historiques/contemporaines comme Ben Laden photoshoppé aux côtés du Muppet
Kermit la Grenouille. Elles sont le plus souvent accompagnées de phrases décalées,
voire cocasses, qui rendent la photo d’autant plus comique. Ce style de meme
reconnaissable de par son image humoristique et sa légende incorporée en grandes
lettres blanches a fait son apparition au début des années 2000. La base collective de
données “Know Your Meme” explique que le terme est apparu sur le forum Something
Awful en 2004, définissant le mot comme “derived from the computer scientific
definition of a macro: a rule or pattern that specifies how a certain input sequence
should be mapped to an output sequence according to a defined procedure” (KYM,
2019). Know Your Meme explique qu’au fil du temps, la définition d’image-macro a
englobé toute image ayant du texte superposé.

2.1.3.4.3 Les Advice Animal memes


Les « Advice Animals » (annexe : figure D) est un type de meme qui est similaire aux
Image Macros. La différence est qu’il est constitué de tout un canon de personnages
représentant divers stéréotypes (animaux et humains confondus) et dont les variantes
sans texte (appelées « templates ») sont proposées aux internautes qui souhaiteraient
créer leur propre version du meme. Selon Know Your Meme, le succès des memes

21
« advice animals » a commencé suite à un image macro nommé « Advice Dog »,
partagé pour la première fois en Septembre 2006 sur le forum Mushroom Kingdoms.
Par la suite, un site spéficiquement destiné à la création de memes de l’ordre des
Advice Animals a été conceptualisé en 2009 sous le nom de « Memegenerator ».
Cette plateforme a contribué à la propagation massive de memes du type Image
Macro, et donc des Advice Animals. Parmi eux, on peut trouver des personnages tels
que « Scumbag Steve », « Bad Luck Brian », « Creepy Wonka », ou encore
« Philoseraptor ». Les Advice Animals sont constitués d’un personnage de base, qui
correspond généralement au texte partagé en haut et en bas de sa photo : une photo
de « Bad Luck Brian » sera donc accompagnée d’un texte qui relate une histoire ou
une blague liée à la malchance, alors qu’une photo de « Philoseraptor » sera
encadrée de pensées philosophiques pour accompagner la figure pensive du
protagoniste de l’image, un Vélociraptor dans la même position que le Penseur
D’auguste Rodin.
Selon Marta Dynel, « Advice Animals are seen as cycles of visual – verbal jokes –
widespread humorous units typical of participatory new media, which flourish via
individual users’ creative contributions » (2016 : 660). Cependant, la particularité des
Advice Animals se trouve dans le fait que son contenu n’est pas explicitement drôle
(contrairement au Oogatchaka Baby ou à Grumpy Cat) à moins d’être accompagné
par une légende humoristique. Il faut donc avoir l’image et son texte pour en déceler
l’humour au risque de sembler incomplet. Ce besoin de complément est un facteur qui
peut encourager les internautes à produire des variantes mémétiques de l’image de
base. C’est un aspect du meme qui sera approfondi plus tard dans notre travail.
Ces personnages se sont emparés des réseaux sociaux à partir des années 2008
avant de devenir relativement obsolètes aujourd’hui. Ils ont également pavé le chemin
pour d’autres types de memes tels que les LOLCatz et les Rage Comics qui, selon
Know Your Meme, peuvent être considérés comme faisant partie du canon des Advice
Animals.

2.1.3.4.4 Les Rage Comic memes


Les Rage Comics sont des memes constitués de dessins à l’aspect amateur,
typiquement crées avec des outils digitaux basiques comme MS paint (annexe : figure
E). Ils représentent des personnages avec des expressions faciales variées, illustrant

22
chacun une émotion et un type de comportement. Il semblerait que ce meme ait
émergé sur 4chan en 2008 lorsqu’un utilisateur a publié une série de quatre dessins
représentant la caricature d’un personnage visiblement enragé nommé « Rage Guy.
Par la suite, différents personnages ont été créés par d’autres internautes pour former
le canon mémétique des Rage Comics. Ce type de meme est représentatif du côté
amateur et accessible de ces images, dessinées grossièrement avec un programme
gratuit et accessible à tous.
Ces comics relatent des expériences de la vie de tous les jours avec, pour la plupart
du temps, une punchline humoristique. Tout comme pour les images-macros, il existe
des sites générateurs de rage-comics qui permettent au grand public d’en créer. Ryan
Milner explique que, malgré le fait que les Rage Comics et les Image Macros aient
des formats différents, les thèmes abordés sont les mêmes. En effet, ils illustrent des
« winners and losers in social life » (2016 : 117), c’est-à-dire de personnages
chanceux, et moins chanceux que l’auteur qualifie aussi de « ‘fail’, ‘what the fuck’ and
‘win’ memes ». Ces memes représentent donc des situations dans lesquels les
internautes peuvent se retrouver, et sont un biais par lequel les internautes peuvent
partager leurs propres expériences ou illustrer leurs réussites et leurs défaites avec
leur entourage. Cela confère un aspect cathartique que l’on retrouve souvent dans les
memes, et que l’on détaillera plus tard.
Selon google trends, l’apogée du succès des rage comics a été atteinte en février
2012, avec une courbe augmentant particulièrement depuis novembre 2010, c’est à
dire une année après que reddit ait crée un fil de discussions sur les rage comics. Les
Rage Comics sont aujourd’hui relativement obsolètes tout comme les image-macros
en général, mais cela n’empêche qu’ils ont joué un rôle crucial dans la propagation du
meme au début du 21ème siècle.

2.1.3.4.5 Les LOLcat memes


Les LOLcats sont des images de chats qui sont systématiquement accompagnés de
légendes mal-orthographiées, dans le but d’illustrer la pensée du chat lorsqu’il se
retrouve dans les situations cocasses illustrées par l’image (annexe : figure F). Leur
présence sur internet peut être retracée au forum « I can haz cheeseburgers » dédié
à la publication de photos, qui date de 2007. Par la suite, ce forum s’est entièrement
dévoué à la publication de memes LOLcats, fabriqué et partagé par ses membres.

23
Malgré une baisse dans la popularité de ce type de meme, la plateforme de « I can
haz cheeseburgers » est toujours active et, selon Kate Miltner, forme une
communauté niche qui a développé son propre language, le « Lolspeak », ne
permettant qu’aux initiés de comprendre les légendes de ces memes : « Enjoying the
genre involves the sweet scent of an inside joke, understood by those who are
immersed in the digital cultural landscape » (2017 : 111).

2.1.3.4.6 Les Reaction memes


Les Reaction Memes (ou « memes de réaction ») sont des images utilisées par les
internautes dans le but de faire part de leurs émotions, que cela soit en réponse à une
publication sur les réseaux sociaux, ou bien en réaction à une situation sur un forum
(annexes : figure G). C’est donc l’usage, plutôt que le contenu de l’image en soi, qui
fait d’une image un reaction meme. Il peut s’agir d’un image-macro, d’un advice
animal, d’un rage comic ou simplement d’une photo sans connotation mémétique –
avec ou sans texte. Cette pratique a pour but de véhiculer une émotion que l’on
ressent sur le moment, afin de partager son ressenti avec autrui. Malgré le fait que les
Reaction Memes n’aient pas de canon particulier, on remarque tout de même que les
mêmes images sont souvent réutilisées. Au début des années 2010, l’émergence
d’une grenouille nommée Pepe the Frog sur les réseaux sociaux a beaucoup fait
parler. Dessinées grossièrement dans diverses situations comme mettant une
fourchette en métal dans une prise, pleurant devant le miroir ou encore couché dans
un cercueil, ces images dépeignant un personnage foncièrement malheureux ont été
publiées par les internautes, souvent dans le but d’illustrer des émotions comme la
tristesse, la désillusion ou la déception. Ce personnage (désormais devenu emblème
du mouvement suprémaciste blanc aux USA) n’en est qu’un parmi tant d’autres. Le
concept du Reaction Meme a évolué au fil du temps, et peut-être comparable
aujourd’hui à l’envoi de GIF, une habitude répandue chez les milléniaaux et la
génération Z.

2.1.3.4.7 Les Relatable memes


Les Relatable Memes sont des memes dont le contenu dépeint une situation à laquelle
l’internaute peut s’identifier (annexes : Figure H). Il peut s’agir de situations du
quotidien (le fait de courir après le bus et de le rater, le fait de passer du temps sur

24
internet au lieu de se mettre au travail, le fait de se taper le doigt de pied contre un
meuble) ou de sentiments (l’angoisse du futur, l’anxiété liée à une situation, la
frustration dûe à un acte manqué). Ce type de contenu permet à l’individu qui le crée
de s’exprimer et de faire part de son ressenti. Son partage provoque une sorte de
communion entre les individus qui éprouvent un même ressenti et contribue à souder
les liens sociaux entre les internautes.

2.1.3.4.8 Les Twitter memes


Ce type de meme est défini par la plateforme sur laquelle il a été créé et propagé. Il
contient donc toujours du texte, qu’il soit seul ou accompagné de contenu médiatique
(annexes : Figure I). La plateforme de Twitter et les propriétés qui en découlent fait
qu’un Twitter Meme est reconnaissable par une ou deux phrases qui, contrairement
aux Image Macros et aux Advice Animals, ne sont pas superposées sur une image,
mais utilisées pour légender une image ou une vidéo. Il se peut que le Twitter Meme
soit constitué uniquement de texte, généralement humoristique (sous forme de
boutade) ou parfois de l’ordre du commentaire sociologique. Lorsque le contenu est
partagé sur d’autres plateformes que Twitter, il prend la forme d’une capture d’écran
(contenant parfois le pseudonyme de son créateur). On observe une croissance du
nombre de comptes Twitter (@FATJEW2, @RespectfulMemes3) et Instagram
(@FuckJerry4, @Best_of_Grindr5) entièrement dédiés à ce type de contenu
mémétique. Selon Google Trends, le nombre de recherches liées au terme « Twitter
Meme » ne cesse d’augmenter depuis 2012 et a atteint le pic de sa popularité en
novembre 2020 (sans doute dans le cadre des élections présidentielles américaines),
une tendance qui démontre que, contrairement à ses prédécesseurs (du type Image
Macro, Rage Comics ou Advice Animals), il est encore très à la mode aujourd’hui,
particulièrement chez les générations Millénariales et Z.

2.1.3.5 Typologie des memes selon Limor Shifman


Pour mieux comprendre l’émergence et l’impact du meme dans la culture populaire, il
est important d’en comprendre les différents composants, ainsi que leur classification.

2
https://twitter.com/fatjew
3
https://twitter.com/RespectfulMemes
4
https://www.instagram.com/fuckjerry
5
https://www.instagram.com/best_of_grindr

25
Les types de memes explicités ci-dessus font partie de ce que Limor Shifman divise
en trois grands groupes : les real-life moment memes, les remix memes et les digital
native memes (2015 :117).

2.1.3.5.1 Real-Life Moment Memes


Le premier groupe cité par Shifman désigne un type de meme basé sur la
documentation de « Real-life moments », ou d’événement du quotidien qui a eu lieu
dans un espace non digital et concret. Il donne l’exemple des « photo fads » (des défis
lancés aux internautes, à exécuter dans leur vie en dehors du web) comme le
« planking » (qui vient du mot « planche »), un mouvement lancé sur Reddit qui
encourage les internautes à se coucher sur une surface dans un lieu public et à ne
plus bouger, ou bien les « flash mobs », une idée venant du même forum, qui incite
les internautes à réunir des groupes de personnes pour exécuter une même
chorégraphie, ou une même action dans des lieux publics. Le but est de se prendre
en photo ou de se filmer, puis de le publier sur les réseaux afin de porter sa pierre à
l’édifice de cette initiative de groupe.

2.1.3.5.2 Remix Memes


Le deuxième groupe cité par Shifman englobe tous les memes qui sont le fruit d’une
manipulation de contenu médiatique de masse, qu’il soit visuel ou audiovisuel, appelé
« remix memes ». Ces memes transforment ce contenu issu de la culture populaire,
que cela soit pour critiquer, ou applaudir des faits de culture contemporaine. Ce
deuxième groupe concerne entre autres les « reaction photoshops » (détaillés ci-
dessus, et souvent issus de photos de célébrités ou bien d’images de stock) et les
« lip dubs » (le fait de se filmer en train de faire du playback sur des chansons
mondialement connues, comme avec l’exemple du « Numa Numa guy » qui danse sur
la chanson « Dragosta Din Tei » du groupe O-zone).

2.1.3.5.3 Digital Native Memes


Enfin, le troisième groupe cité par Shifman est celui sur lequel ce travail se focalise. Il
s’agit de contenu né sur le web, et fabriqué par les internautes dans le but de
contribuer à l’univers digital – que cela soit à des fins d’expression personnelle ou

26
humoristique. Popularisés en 2007, ces memes sont connus par une grande partie
des digital-natives (c’est à dire des générations qui ont grandi en parallèle à
l’émergence du web 2.0), car ils représentent l’apogée du produsage. Selon l’auteur,
« these genres embody the development of a complex grid of signs that only those ‘in
the know’ can decipher. Thus, in order to produce and understand LOLcats, users
need to master LOLspeak ; to create a rage comic, the user requires familiarity with a
broad range of new symbols » (2015 : 118). Alors que le deuxième groupe des
« Remix Memes » est constitué de photos et de vidéos jouant sur du contenu produit
par les médias de masse, le contenu de ce troisième groupe est essentiellement
fabriqué par des amateurs.

2.1.4 Les Plateformes du web 2.0


2.1.4.1 Les réseaux sociaux
Une augmentation nette du rôle proactif des internautes a été constatée lors de cette
dernière décennie, autant au niveau de la production et du partage de contenu. Selon
Richard Jenkins, cela a facilité l’émergence d’une culture participative, encouragée
par la technologie (2015 : 3). Les réseaux sociaux se sont développés avec le
changement de paradigme du web 1.0 au web 2.0. Cette transition s’est ressentie au
niveau de l’expérience en ligne, notamment au niveau des pages web qui sont
passées de statiques à interactives. On considère que c’est l’émergence du web en
« temps réel » (Weitz, 2016). Il y a aussi eu un changement au niveau du modèle de
performance d’internet. Initialement, il était possible de visiter des pages web, lire du
contenu et visionner des vidéos, sans pour autant y participer activement. La présence
des internautes sur le web n’avait pas d’effet proactif. Le web 2.0 a permis un
avancement en technologie qui a rompu le quatrième mur, permettant aux utilisateurs
d’interagir en temps réel, et de créer, modifier et partager du contenu avec autrui.
L’émergence de plateformes a encouragé cette interaction entre internautes par le
biais de plateformes dites de « microblogging » (MySpace, Bebo, Orkut) sur lesquelles
les utilisateurs peuvent se créer un profil, publier et partager du contenu et inviter
d’autres personnes à faire partie de leur cercle d’amis. C’est ce que Weitz caractérise
de « monde sémiotique » où les utilisateurs ont un accès immédiat à ce qui est en
train d’être fait et dit sur internet, à n’importe quel moment : c’est le début des réseaux
sociaux. Par la suite, de nouvelles plateformes de « microblogging 2.0 » telles que

27
Facebook, Twitter et Instagram se sont emparées du web et exercent aujourd’hui un
monopole sur les réseaux sociaux. La popularisation de ces réseaux a provoqué de
nouvelles manières de communiquer et a encouragé l’interaction sociale par le biais
de contenu multimodal comme le texte, les photos, la musique et les vidéos.
Selon le Digital Report, plus de 3,5 milliards de personnes sont sur les réseaux sociaux
en 2019 – ce chiffre n’est cependant pas homogène, et la concentration d’utilisateurs
présents sur les réseaux varie entre les pays. Le mode de consommation sur ces
réseaux sociaux est de l’ordre de ce que Brooks et Churchill appellent l’ « information
snacking » (2010, 4), où les utilisateurs se connectent lorsqu’ils ont un peu de temps
devant eux – que cela soit chez le médecin, dans une salle d’attente ou lors d’une
pause au travail – pour consulter le contenu (texte, photo, vidéo, musique) qui les
intéresse, disponible au moment où ils se trouvent connectés.

2.1.4.1.1 Facebook
Le réseau social américain Facebook a été créé en 2004 par Mark Zuckerberg et fait
aujourd’hui du Big Four (ou « GAFA », acronyme donné par Eric Schmidt, ancien CEO
de Google), constitué des compagnies considérées comme ayant provoqué un
changement radical dans la société à cause de leur rôle dominant dans le quotidien
des humains. D’origine destinée aux étudiants de l’université de Harvard, puis d’autres
universités à travers le monde dans le but de connecter les étudiants entre eux,
Facebook s’est démocratisé en 2006 lorsqu’il a permis à toute personne de plus de
13 ans de s’y inscrire gratuitement. À partir de 2010, Facebook est devenu la plus
grande plateforme de partage d’images, détrônant la concurrence comme Flickr et
MySpace. Aujourd’hui, Facebook compte plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs par
mois (Digital Report), faisant de la plateforme le réseau social le plus populaire au
monde.

2.1.4.1.2 Twitter
Développée en 2006, la plateforme Twitter permet aux utilisateurs de publier des
messages sous forme de textes de 140 caractères maximum (environ deux phrases).
Appelées des « tweets », ces phrases peuvent être partagées avec le grand public de
Twitter, ainsi que les personnes qui décident de s’abonner au compte (connu sous le
nom de « followers »). Ce réseau a pour but d’imiter le flux de la conscience de ses

28
utilisateurs, qui peuvent publier leurs pensées et leurs réflexions à tout moment. Ces
tweets sont accessibles en dehors de Twitter, envoyé et reçu par mail, SMS (short
message service) ou au moyen d’un moteur de recherche, si le profil n’est pas
privatisé. Ils peuvent également contenir d’autres formes de contenu multimédia
comme des photos, des vidéos ou des liens. Aujourd’hui, on compte plus de 340
millions d’utilisateurs actifs sur twitter – un chiffre bien moins élevé que celui de
Facebook, mais tout de même conséquent. Dans les dernières années, les Tweets
sont devenus des memes à part entière lorsqu’ils ont commencé à être partagés en
masse sur d’autres réseaux sociaux, un phénomène dû en partie à la créativité
qu’engendre le fait de devoir restreindre son message à un chiffre maximum de
caractères, et poussant les utilisateurs à faire preuve d’imagination pour produire des
boutades courtes et humoristiques. Souvent mêlés à des images, des vidéos et des
GIFS – les tweets constituent un format non chronophage, facile à consommer et facile
à partager. Cette popularisation de memes sous la forme de tweets a fait resurgir le
succès des « canned jokes » (Dynel, 2016), c’est-à-dire des blagues orales, dites
traditionnelles.

2.1.4.1.3 Instagram
Instagram est un réseau de partage de photos et de vidéos lancé en 2010 par Kevin
Systrom et Mike Krieger. Initialement conçu uniquement pour la publication de photos
et de vidéos, le réseau a suivi ses prédécesseurs en y incorporant un service de
messagerie en 2015, ainsi que la possibilité de publier du contenu multimédia
éphémère et de ne partager du contenu qu’avec des abonnés désignés comme « amis
proches ». Le réseau a donc pris exemple sur ses concurrents pour affiner la
possibilité de lien entre ses utilisateurs. Instagram compte aujourd’hui plus d’un
milliard d’utilisateurs et se situe quantitativement parlant entre Twitter et Facebook.

2.1.4.2 Les forums


2.1.4.2.1 Tumblr
La plateforme en ligne Tumblr a été créée en 2007 par David Karp. Le site est
constitué par un réseau de blogs personnels, auxquels on peut s’abonner. C’est un
réseau particulièrement visuel avec du contenu issu de divers médias ou créé par les
utilisateurs. Ce contenu peut ensuite être partagé sur les autres blogs et légendé ou

29
détourné par des commentaires (notes) que l’on peut publier en sus du contenu
partagé. La popularité de la plateforme a atteint son apogée en 2013, puis a décliné
dans les cinq dernières années. Des comptes entièrement dédiés aux memes ont
commencé à apparaitre et ont accumulé un public massif - un aspect dont la relève a
été prise, selon Kostidakis par des plateformes telles que Facebook et Twitter. Il est
important de noter que l’aspect d’annotation des reblogs (l’outil de partage de Tumblr)
a également contribué au développement du meme, en permettant aux utilisateurs
d'en transformer le contenu.

2.1.4.2.2 4chan
L’auteure Caitlin Dewey caractérise le site 4chan comme “the internet’s own
bogeyman”, car c’est de là que proviennent des délits des plus notoires d’internet
(partage d’informations secrètes, hackathons etc..). Ce site est un forum
complètement anonyme, fragmenté en différentes sous-discussions (sub-topics) où
les utilisateurs peuvent discuter de tout genre de sujet, partager des anecdotes, des
images, des vidéos. Selon elle, plus de 22 millions d’utilisateurs y participent
mensuellement (Dewey, 2014). Ce qui différencie 4chan d’autres forums c’est qu’il n’y
a d’abord pas besoin de créer un compte ni de choisir un pseudonyme. Les
participants peuvent par conséquent dire et faire ce qu’ils veulent sans se soucier
d’une quelconque responsabilité. Cela implique également qu’il n’est pas possible de
prendre contact avec un autre utilisateur par le biais d’un système de messagerie car
il faut que cette personne révèle sa véritable identité pour garder contact. De plus, les
fils de discussions ont un temps d’expiration de quelques jours, ce qui donne un aspect
d’impermanence à la plateforme et fait que les utilisateurs du site voient rarement les
mêmes publications. La plateforme est complexe et à la fois extrêmement minimaliste,
les publications étant organisées dans une chronologie inversée et Dewey relève cet
aspect qui fait de 4chan un forum très différent des autres. Cette interface le rend
difficile d’accès et de compréhension pour les non-initiés - un aspect sans doute
prémédité par ses concepteurs. Ce qui différencie donc 4chan des autres forums c’est
le fait qu’il n’y ait pas d’identité, peu de règles, et peu de conséquences. 4chan est
l’antithèse de la majorité des autres plateformes “mainstream” du web. Il en découle
que les personnes peuvent donc y faire et dire tout ce qu’elles veulent ou presque:
c’est donc un des terrains les plus fertiles d’internet. Selon les statistiques propres du

30
site, la majorité de ses utilisateurs sont des jeunes hommes avec une éducation
universitaire avec un intérêt particulier pour la culture japonaise, les jeux vidéo, les
comics et la technologie. La plupart d’entre eux vivent dans des pays anglo-saxons
(États-Unis, Grande Royaume-Uni, Canada, Australie), mais il y a également
beaucoup de trafic provenant d’Allemagne, de Suède et de France. L’auteur explique
que 4chan est l’incubateur originel d’un grand nombre de memes et de
comportements que nous considérons aujourd’hui “mainstream”.

2.1.4.2.3 Reddit
Reddit est une plateforme web qui se revendique comme la « page de couverture
d’internet ». Selon Jake Widman, le site est le 18ème site le plus populaire du monde.
Il fonctionne comme une version améliorée de 4chan - c’est-à-dire que dans son
forum, il a plus d’un million de communautés, communément appelées des
“subreddits” qui couvrent des sujets différents. La page principale du site affiche une
liste de posts qui sont “trending” - c’est-à-dire des publications les plus populaires
tirées de toutes les communautés du site. Contrairement à 4chan, il faut un compte
pour poster sur Reddit, et lorsque l’on en a un, il est aisé de créer des “subreddits”
selon nos goûts et nos passions - pour autant qu’ils respectent les règles du site.
Chaque publication peut être “upvoted” ou “downvoted” par les autres utilisateurs
suivants s’ils aiment ou n’aiment pas le contenu apporté, attribuant aux publications
une certaine notoriété qui peut les amener jusqu’à la page principale, en “trending”.
C’est généralement sur cette dernière que l’on trouve les memes les plus populaires,
qui se propagent ensuite à travers les réseaux sociaux sur le reste du web.

2.1.4.3 Les plateformes d’hébergement vidéo


2.1.4.3.1 YouTube
Youtube est une plateforme de vidéo-partage lancée en 2005 dans le but de créer,
publier, partager et consommer du contenu audiovisuel, qu’il soit fait par des amateurs
ou par des médias de masse. Il est possible de visualiser des vidéos YouTube sans
avoir de compte, mais les utilisateurs qui sont inscrits sur la plateforme ont davantage
de possibilités, comme commenter sur les vidéos, s’abonner à d’autres utilisateurs
(communément nommées « chaines YouTube »), répertorier ses vidéos préférées
dans des playlists, « liker » des vidéos et bien évidemment en produire soi-même.

31
Cette plateforme a permis à certains créateurs comme Justin Bieber ou The Weeknd
d’accomplir des carrières d’artistes internationales, et à d’autres comme
Normanfaitdesvidéos ou Raphael Carlier et David Coscas de devenir des comédiens
avec un succès notoire.
Le contenu produit par des amateurs constitue plus des trois-quarts des vidéos
présentes sur YouTube. On estime que plus de 500 heures de contenu vidéo sont
publiées par minute sur YouTube depuis 2019, faisant de la plateforme le deuxième
site le plus populaire au monde, après Google.
Au niveau de son contenu mémétique, cela fait depuis les débuts de YouTube que
certaines de ses vidéos atteignent la viralité. D’abord, parce que cette plateforme a
permis aux internautes de « remixer » et modifier du contenu audiovisuel tel que des
bandes-annonces ou des publicités produites par des médias de masse. Ensuite,
parce que la démocratisation de la production de vidéos a donné aux amateurs la
possibilité de partager leurs créations avec le monde – que ce soit en faisant du
playback sur une chanson (comme Numa Numa guy, mentionné ci-dessus), ou en
partageant du contenu jugé humoristique (que ce soit délibéré, comme des parodies
ou pas, comme la célèbre chanson « chocolate rain » du musicien Tay Zonday). Dans
tous les cas, les vidéos qui y sont publiées peuvent être reprises, modifiées et
transformées en image ou en GIF, pour en faciliter le partage. C’est le cas du Dramatic
Chipmunk, une vidéo propagée massivement au début des années 2000, mais plutôt
connue sous forme de GIF aujourd’hui.

2.1.4.3.2 Vine
Bien qu’elle n’existe plus aujourd’hui, la plateforme vidéo de Vine a considérablement
altéré la production de memes et a eu un impact considérable sur leur contenu. La
plateforme était caractérisée par le fait que les vidéos ne pouvaient pas être
téléchargées au préalable – il fallait donc filmer avec l’application, pour une durée
maximum de 7 secondes. Les utilisateurs ont donc dû faire preuve d’innovation et de
créativité en matière de contenu. Vittorio Marone explique que cela a contribué à
l’usage mixte de plusieurs médiums tels que le texte, la photo et la vidéo : « Similar to
cartoons, Vine embodies a “condensed” medium that features different and
interconnected modes that dynamically contribute to the construction of meaning. »
(2018 : 4). Ainsi, Vine a contribué à la création de tout un canon mémétique. Leur

32
contenu est de l’ordre de l’humour décalé et parfois difficilement compréhensible par
les “non-initiés” tel que le simple fait de mal prononcer des mots. L’auteur continue en
expliquant que « the humour conveyed on Vine is not always easy to grasp and
process because of its short form, its multimodal delivery (e.g. some Vines start with
a written title and then continue the discourse in the video), and frequent endogenous
and exogenous references (pointing at other Vines or external sources) ». Il semble
que le contenu de Vine entre dans ce que Limor Shifman caractérise de memes
« digital natives », nés sur internet et produits par des amateurs avec du contenu qui
n’est pas tiré des médias de masse. Marone confirme cela lorsqu’il explique que “user-
enacted humour, as opposed to captured comical scenes or bare samples taken from
TV shows or movies” (2018 : 5).

2.1.4.3.3 Tik Tok


TikTok est une plateforme qui permet à ses utilisateurs de créer et de partager des
vidéos de courte durée (jusqu’à 60 secondes), et incarne la relève de Vine. Crée en
2017, Tiktok est l’adaptation occidentale de l’application chinoise « Douyin » qui a le
même principe. Lorsque l’utilisateur crée son compte sur la plateforme, il peut choisir
d’être producteur, ou simple consommateur de vidéos, en s’abonnant à d’autres
personnes et en « likant » des vidéos. Plus il interagit avec la plateforme, plus elle lui
propose des vidéos qu’il aura tendance à apprécier sur la page principale de
l’application, c’est-à-dire la « For You Page » qui mêle vidéos de personnes
auxquelles il est abonné, et vidéos de parfaits inconnus. Contrairement à Twitter et
Instagram, le contenu de TikTok ne s’épuise jamais – l’interface fait en sorte qu’il y ait
toujours des vidéos à regarder, car le « scroll » (le fait de faire défiler les vidéos) est
infini. Il existe également un autre aspect de TikTok qui le différencie des réseaux
sociaux concurrents : celui des défis. En effet, les utilisateurs peuvent créer des défis
sur la plateforme (des blagues à faire à son entourage, des transformations physiques,
des concours d’anecdotes) et donc participer à un mouvement global, rappelant le
concept de « real-life memes » explicité ci-dessus. Avant Tiktok, ce type de meme
(Shifman, 2016) avait largement perdu en popularité comparé aux remix-memes et
aux memes digital-natives. Comme pour Twitter qui a repopularisé une forme
d’humour qui était devenue devenue obsolète (les canned-jokes) suite au succès des

33
Image-Macros, TikTok a repopularisé les « real-life memes » en encourageant le
concept des défis exécutés en dehors d’internet.

2.1.5 Les usages des Médias


2.1.5.1 Les catégories d’utilisateurs : le modèle de Horowitz
Selon Bradley Horowitz et Jean Burgess (2008 : 15), il existe trois catégories
d’utilisateurs des réseaux sociaux : les créateurs, les synthétiseurs et les
consommateurs. Les créateurs produisent du contenu de base, par exemple une
image et du texte, qui circulera par la suite et dont d’autres utilisateurs produiront du
contenu modifié ou remixé. Selon Horowitz, les créateurs forment à peu près 1% des
utilisateurs de réseaux sociaux. Viennent ensuite les synthétiseurs, qui participeront à
la propagation de contenu, en modifiant et en remixant celui d’un créateur – formant
environ 10% des utilisateurs de réseaux sociaux. Enfin, les consommateurs
composent la plus grande partie des utilisateurs de réseaux sociaux avec 100% de
personnes, qui selon Burgess « benefit from the activities of the above groups
(lurkers) » (ibidem). Il est important de noter que ces rôles n’excluent pas les autres –
on peut donc être créateur à certaines occasions, et consommateur le reste du temps.
Les chiffres indiquent cependant qu’une grande partie de consommateurs ne créent
et ne synthétisent jamais, ce qui génère une inégalité participative qui sera à prendre
en considération lors de l’analyse des résultats de notre enquête.

2.1.5.2 Théories de production et de partage


Afin de saisir la complexité des motivations qui se cachent derrière la production et le
partage de contenu sur Internet, il est important d’en examiner les différentes théories.
Lorsque l’on parle de partage, on se réfère à la théorie de Limor Shifman selon laquelle
le partage implique la distribution (c’est-à-dire le fait de transmettre un contenu sans
le modifier) et la communication (c’est-à-dire le fait de faire part d’un message
personnel ou d’une position particulière en rapport avec une problématique politique,
dans le but de créer ou de renforcer une identité de groupe) (2015 : 9). Pour Lisii
Laineste, autre théoricienne du net, le partage sur Internet est devenu une logique
culturelle centrale (2016 : 2). Elle explique qu’à travers le partage, les internautes
s’engagent dans une collectivité dans le but de contribuer à ce qu’elle appelle la
« mémoire sociale ». Le web 2.0 a apporté au partage l’élément de l’intertextualité,

34
c’est-à-dire un contenu mixte qui peut contenir du texte, des images, des vidéos et de
la musique à la fois, le tout en temps réel (ibidem).

2.1.5.2.1 Le « meaning-making »
Aujourd’hui, lorsqu’un contenu est partagé sur le Web, il traverse généralement un
processus de resémiotisation, c’est-à-dire le fait de prendre du contenu amateur ou
médiatique et de le repartager sous une forme modifiée. Ce processus est
essentiellement utilisé pour rendre un contenu cohérent face à des situations et des
problématiques actuelles. L’une des motivations premières derrière le partage sur
internet serait donc de réajuster du contenu culturel afin de le rendre plus cohérent et
pertinent pour son entourage : il s’agit de ce que Shifman caractérise de meaning-
making (2015 : 3). Selon elle, « this notion helps to describe how different groups and
individuals interpret de de- and retextualise the same cultural units ». Cette
modification de contenu dépend donc de l’environnement culturel dans lequel un
internaute se trouve, et peut expliquer la raison derrière les milliers de modifications
d’un même meme. Cela rejoint la théorie de Walter Lippman, exprimée dans le
chapitre douze de son œuvre Public Opinion, intitulé « Self-Interest Reconsidered ».
Il prend l’exemple d’un fait relaté par une personne : la version du narrateur initial,
c’est à dire, la première version, ne maintient pas sa forme et ses proportions. En effet,
au fil de la transmission de ce fait, il est modifié par les personnes qui le partagent à
leur tour, suivant leur perspective personnelle. Pour lui, « the more mixed the
audience, the greater will be the variation in the response. For as the audience grows
larter, the number of common words diminishes. Thus, the common factors in the story
become more abstract. This story, lacking precise character of its own, is heard by
people of highly varied character. They give it their own character. » (1922 : 110). Alors
que la théorie de Lippman a été conçue bien avant l’avènement du Web 2.0 et du
meme, elle peut facilement être appliquée aux phénomènes de modification et de
transmission de contenu sur les réseaux. En donnant l’exemple d’un consommateur
de médias de masse, il explique que « what reaches him of public affairs, a few lines
of print, some photographs, anecdotes, and some casual experience of his own, he
conceives through his set of patterns and recreates with his own emotions. (…) He
takes his stories of the greater environment as a mimic enlargement of his private life »
(1922 : 111). L’idée première de Lippman concerne les objets tangibles, comme une

35
photo ou une phrase lue dans un journal papier, ainsi que les objets immatériels
comme une anecdote ou une expérience personnelle et implique un partage et une
transmission orale d’un contenu modifié par le consommateur. Cependant, le
processus est le même sur les réseaux, avec comme seule différence le fait de pouvoir
être transmis en temps réel, à tout moment, et à un plus large public grâce au simple
clic d’une souris.

2.1.5.2.2 La théorie des usages et gratifications


Même si cette théorie est principalement utilisée dans le but de déterminer les
motivations à consommer un média, elle peut nous éclairer sur les motivations de
partage. Initialement émise par Katz et Al. (1973), elle explique que les raisons de la
consommation (et par analogie, le partage) de contenu médiatique sont en lien avec
l’individu même. En effet, les auteurs illustrent la gratification dichotomique que
procure un média à son audience. L’audience voit un contenu média comme étant soit
« fantasist-escapist », soit « informational-educational » (Katz et Al., 1973 : 512): le
premier est un contenu produit dans le but de divertir, et qui offre une gratification
immédiate au consommateur en lui permettant de s’échapper de la réalité. Le second
propose un contenu plus soutenu, qui offrira de la gratification au consommateur sur
le long terme de par l’information et les connaissances qu’il peut lui procurer. Katz et
Al. vont plus loin dans cette analyse, en revisitant l’interprétation des médias de
Laswell (1948) qui postule que la fonction des médias peut être répartie en quatre
catégories : la surveillance, la corrélation, le divertissement et la socialisation. Ces
quatre catégories représentent, comme la théorie l’indique, des sources de
gratification intrinsèques aux médias. Ces gratifications constituent également des
besoins primaires de l’humain, que l’on retrouve dans la pyramide de Maslow (1954).
En prenant l’exemple de la surveillance, un consommateur va tout d’abord chercher à
se protéger, en se tenant à jour sur ce qui se passe autour de lui afin d’être prêt à
réagir s’il le faut – un aspect qui rappelle le « besoin de sécurité » exprimé par Maslow
(1954). Mais cette fonction va également satisfaire sa curiosité concernant des faits
divers et variés, lui procurant de la gratification instantanée.
La corrélation va lui permettre d’établir des liens entre le contenu qu’il consomme,
ainsi qu’entre des aspects dans sa vie de tous les jours, lui offrant ce que Katz
caractérise de « cognitive mastery of the environment » (1973 : 512). Cette confiance

36
en ses capacités constitue un aspect fondamental du besoin humain, le « besoin
d’accomplissement de soi » illustré également par Maslow dans sa pyramide. En
parallèle, la gratification proviendra de cette meilleure connaissance de lui-même et
de son entourage. Un contenu médiatique divertissant lui permettra de réduire la
tension ou l’anxiété accumulée au quotidien – un besoin de base qui se retrouve dans
le « besoin de sécurité » de Maslow, et qui se transforme en gratification lorsqu’il lui
permet de voyager en s’échappant de sa vie de tous les jours.
Enfin, un contenu médiatique pourra être partagé avec son entourage,
instantanément, ou différé dans le temps lorsqu’il en discute avec ses proches. Ce
partage remplit deux besoins fondamentaux cités par Maslow : Le « Besoin d’estime »
accomplit par le fait de prendre parti dans des conversations groupées en partageant
ses connaissances avec son entourage, et le « Besoin d’appartenance » qui est
comblé l’intégration dans une communauté d’individus qui consomment le même
contenu.
Cette théorie des usages et gratifications a de nombreux points communs avec les
nouvelles théories sur la production et le partage de contenu en ligne : en effet, il
semble que les besoins primaires qui poussent un individu à produire et partager du
contenu, ainsi que les gratifications qui en résultent sont les mêmes. Louis Leung a
tenté d’appliquer la théorie de Katz et. Al. au cas d’internet (2013). Il a trouvé que les
motivations principales qui poussent un individu à aller sur internet, soit de partager
sur les réseaux sociaux et de produire son propre contenu, est motivé par un grand
nombre de besoins et de gratifications : « these motivations include information
exchange, conversation and socializing, information viewing, entertainment,
information and education, escape and diversion, reassurance, and fashion and
status » (2013 : 998). Elles entrent dans les quatre grandes catégories mentionnées
ci-dessus.

2.1.5.2.3 La gratification émotionnelle


Dans son analyse de la plateforme sociale Vine, Vittorio Marone émet l’hypothèse
selon laquelle une grande partie du contenu de Vine est créé dans le but d’apporter
du bonheur et de faire rire son public. Selon lui, 44.1% des Vines publiés sur la
plateforme se trouvent dans la catégorie « Just for fun » et ne semblent pas contenir
d’autres messages sous-jacents. Limor Shifman corrobore cette théorie en émettant

37
l’idée selon laquelle les personnes partagent majoritairement du contenu qui les
stimule émotionnellement de manière positive. Le contenu positif génère « a feeling
of elevation in the face of something greater than oneself » (2018 : 67). Elle utilise
l’exemple du contenu humoristique, ou bien de contenu qui illustre des personnes
surmontant l’adversité, des photos et des vidéos de merveilles du monde, ou encore
des découvertes scientifiques pour le bien de l’humanité. Cette catégorie de contenu
a tendance à procurer une sensation de bien-être à celui qui le visualise, et lui donne
envie de le partager avec son entourage pour, à son tour, leur procurer le même effet.
Selon Leung, le besoin de divertissement (« entertainment needs ») lié à sa théorie
des usages et des gratifications sur internet est essentiel aux utilisateurs. C’est la
quatrième raison principale liée à la production et au partage de contenu sur le Web,
dans le but de se relaxer, de s’amuser, ou de passer le temps (2013 : 999). En plus
d’augmenter les chances d’être partagé, un contenu humoristique a plus souvent
tendance à être imité ou reproduit par ses consommateurs « given its association with
playfulness, incongruity and feelings of superiority » (Shifman, 2016 : 96). Si l’on suit
la théorie du Meaning-Making, le contenu reproduit par le destinataire sera
inévitablement modifié. Cela explique en grande partie pourquoi les memes, qui
véhiculent essentiellement des émotions positives, sont aussi rapidement transmis et
aussi aisément modifiés. Au contraire, le contenu négatif tel que les vidéos
choquantes dépeignant de la violence ou de la maltraitance aura moins tendance à
être partagé, à moins de contenir des notes d’humour (des critiques humoristiques
d’un régime injuste ou des parodies d’un gouvernement mauvais ou d’une situation
désagréable par exemple). Mais d’une manière générale, elle explique que « stories
that made people sad (but not angry or anxious) did not propagate well (…) because
sadness is a deactivating emotion » (2018 : 68).

2.1.5.2.4 La gratification personnelle


Les destinataires ne sont pas les seuls à profiter des apports psychologiques du
partage de contenu positif sur les réseaux. Limor Shifman explique que « four criteria
seem to be applicable to the act of sharing content on social media : the provocation
of strong emotions, creativity, prestige and positioning » (2016 : 94). L’émetteur
bénéficie également d’émotions positives lorsqu’il partage du contenu avec son
entourage. Shifman explique qu’un utilisateur va plutôt publier du contenu étonnant,

38
intéressant ou utile par exemple, parce que le bonheur que ce contenu provoque
envers son entourage se reflète sur la personne l’ayant partagé. Cette personne se
sentira plus confiante, plus importante, et aura l’impression d’avoir un impact positif
au sein de son réseau lorsqu’un contenu qu’elle a partagé a du succès : « they prefer
spreading content that makes others feel good and at the same time reflects on
themselves as upbeat and entertaining » (Shifman, 2016 : 67). Dans l’étude faite par
Louis Leung sur les motivations derrière le partage et la production de contenu sur les
réseaux sociaux, il a trouvé que la majorité des participants prétendaient le faire pour
des raisons liées à leurs besoins sociaux et d’affection (« social and affection needs »)
(2013 : 999). Un internaute gagne aussi à partager son contenu pour se démarquer
des autres en se montrant créatif et connecté. (Shifman, 2016 : 31). L’auteur Vittorio
Marone explique qu’alors qu’une majorité du contenu publié sur Vine est humoristique,
la plateforme est également utilisée comme « confessional » pour ses utilisateurs, qui
leur permet d’exprimer des émotions, des idées ou des réactions. Il semblerait donc
que la création et le partage de contenu jouent le rôle d’une échappatoire et aient un
impact cathartique sur son producteur. Le sondage de Leung (999 : 2013) corrobore
cette idée en montrant que les répondants ont prétendu partager et produire du
contenu afin de se libérer d’émotions négatives (« venting negative feelings »).Alors
que Shifman émet l’hypothèse selon laquelle un utilisateur ne va pas forcément
produire du contenu (comme un meme) dans le but d’obtenir une certaine notoriété
ou de devenir célèbre, le prestige est tout de même un aspect non négligeable dans
la création et le partage de contenu. Comme vu ci-dessus, certaines plateformes telles
que YouTube ou TikTok ont propulsé des créateurs au statut de célébrité, leur
permettant par la suite d’en tirer de substantiels revenus (comme avec l’exemple du
jeune chanteur Justin Bieber, qui a commencé en publiant du contenu amateur sur
YouTube et qui fait parti des dix des célébrités les plus influentes d’aujourd’hui, selon
Forbes Magazine). De plus, un utilisateur qui partage du contenu à succès gagnera
en prestige auprès de son entourage, et obtiendra un type de label de qualité
métaphorique auprès de son audience. Il exercera donc une plus grande influence.
Partager du contenu avec autrui peut aussi jouer en la faveur de l’utilisateur qui en est
la source. De cette manière, il pourra montrer son soutien et son alliance envers une
cause particulière, ce que Shifman caractérise de positionnement. Ce positionnement
offre à l’utilisateur une gratification liée au « besoin d’estime », car il sera reconnu par
son entourage comme étant un citoyen engagé. Ce dernier critère est étroitement lié

39
à la théorie de l’engagement civique sur les réseaux que l’on abordera plus tard. Par
le fait que cet engagement civique est étroitement lié au « besoin d’estime » cité par
Katz et. Al, il n’est pas forcément le fruit d’une réelle envie de faire changer les choses
(bien que cela puisse être le cas dans certaines situations). En effet, l’étude de Leung
(2013) montre que la troisième raison la plus citée concernant le partage et la
production de contenu est le besoin de reconnaissance (« recognition needs »)
motivée par l’envie de promouvoir ou publiciser leur expertise liée à un sujet, établir
une identité personnelle forte, et gagner le respect et le soutien de ses paires.
Leung cite le besoin cognitif (« cognitive needs) comme la cinquième principale
motivation derrière le partage et la production de contenu sur internet. Selon lui, un
usager aura recours à de telles pratiques dans le but d’élargir ses connaissances et
de perfectionner son mode de pensée (2013 : 999).

2.1.5.2.5 La réassurance en cas de crise


Une motivation moins commune, mais très actuelle derrière le fait de créer, de
consommer et de partager du contenu mémétique est ce que Liisi Laineste nomme
« Règle des 3 C » (2016 : 1030). Cette règle suit l’idée de la sélection émotionnelle
de contenu, qui illustre le besoin de ressentir ou de véhiculer certaines émotions à
travers son activité sur les réseaux. Selon l’auteur, certains évènements de crise ou
de catastrophe poussent les internautes à produire, à consommer et à partager du
contenu sur les réseaux dans le but de se sentir unis avec leur entourage face à l’objet
de la crise: « The emphasis of the previous literature on the Three C’s contains an
important insight – that for social selection to occur, ideas must tap into an emotional
reaction that is consistent across people. Indeed, one way to create strong, consistent
emotional reaction is to have people confront a common external crisis, conflict of
catastrophe » (ibidem).

2.1.5.3 La production et le partage mémétique


Bien que le cas de la production et du partage de contenu sur internet implique le cas
du meme, il est important de comprendre les mécanismes spécifiques liés à cette
pratique. Pour Limor Shifman, deux facteurs principaux contribuent à la production et
au partage de contenu mémétique sur les réseaux. Le premier facteur est ce qu’elle
appelle « manifesting memetic potentiel », c’est-à-dire le potentiel mémétique d’un

40
contenu présent et accessible sur le web. Le deuxième est ce qu’elle caractérise de
« introducing a puzzle or a problem », ou plus simplement, le besoin de compléter un
contenu qui semble avoir une pièce manquante (2014 : 54).

2.1.5.3.1 Le potentiel mémétique : la notion de facilité


Plus un contenu est simple, plus il est apte à être reproduit ou modifié. En effet, une
scène de film de grande production hollywoodienne ou un tableau aussi complexe que
Guernica de Pablo Picasso seront infiniment plus difficiles à imiter qu’une vidéo qui a
été tournée avec webcam dans une chambre, ou qu’un dessin amateur fait avec l’aide
d’un logiciel de base comme MS paint. Selon Shifman, « the memetic potential of
many photographs is embedded in their photoshop-like appearance. When the initial
photograph already looks as if it has been photoshopped, it elicits further
photoshopping and creative modifications. » (2016 : 97). Le potentiel mémétique d’un
contenu est donc défini par sa facilité de reproduction et de répétition.

2.1.5.3.2 Le besoin de complément


Lorsqu’une chose est incomplète, l’individu ressent le besoin de la rendre entière –
c’est le concept des puzzles, des rébus, d’équations et de problèmes mathématiques,
de collections en tout genre. Il semblerait que le contenu mémétique ne déroge pas à
cette règle. En effet, selon Shifman, le deuxième facteur contribuant à la production
et au partage de memes est le fait que ce contenu ait l’apparence d’un puzzle ou d’un
problème, dans le sens où il a besoin d’être complété par ce qu’elle caractérise de
« creative reponses » (2016 : 97). Dans ces cas de figure, l’aspect « puzzle » du
meme se trouve dans les incongruités qui caractérisent les textes, images ou vidéos
mémétiques – comme une phrase sortie de son contexte, un personnage placé devant
un arrière-fond inexistant, ou encore une photo ou une vidéo capturant une situation
incongrue ou inexpliquée, qui semble solliciter l’intervention des internautes afin de
replacer ces éléments dans un contexte cohérent.

2.1.5.3.3 Le devoir civique


Selon Marone, 55,9% des vidéos présentes sur Vine sont publiées dans le but de
dénoncer diverses problématiques économiques, politiques ou sociales (le racisme,
l’homophobie, le management des multinationales ou le sexisme, par exemple). Cela

41
démontre une autre tendance liée à la production et au partage de contenu, celle du
civisme sur les réseaux.
Nicholas Johns explique que « in the last few years, sharing, imitating, remixing and
using popularity measurements have become highly valued pillars of participatory
culture, part and parcel of what is expected from a digitally literate netizen » (2015 :
23). Cela signifie qu’un internaute peut créer et partager du contenu dans le but
d’appartenir à une cause et d’exercer son devoir en tant que citoyen-internaute instruit.
Les observations de Henry Jenkins contribuent à confirmer cette idée. L’auteur a
observé que les internautes se saisissent des thématiques politiques complexes les
rendent plus accessibles au public en les intégrant dans la culture populaire par le
biais de contenu. Il justifie cette action par le fait qu’elle donne l’impression aux
internautes d’exercer leur droit civique (2006 : 223). Ce phénomène combine plusieurs
besoins primaires de l’humain, soit le « Besoin d’estime » (en montrant à son
entourage que c’est un bon citoyen), le « Besoin d’accomplissement de Soi » (en se
donnant l’impression d’avoir un impact sur son entourage), ainsi que le « Besoin de
Sécurité » (qu’il se crée en s’informant sur les problématiques actuelles et en les
dénonçant) (Katz et. Al, 1973).

2.1.5.3.4 L’appartenance au groupe


Comme vu précédemment, le fait de produire et de partager du contenu sur internet
est avant tout une manière d’appartenir à une communauté. Cela va de pair avec la
théorie de la gratification personnelle, selon Limor Shifman : « Users who upload a
self-made video or a Photoshopped image signify that they are digitally literate,
unique, and creative ; on the other hand, the text that they upload often relates to a
common, widely shared memetic video, image or formula. By this referencing, users
simultaneously indicate and construct their individuality and their affiliation with the
larger Youtube, Tumblr, or 4chan community. » (2015 : 34).

2.1.5.3.5 L’économie de l’attention


Alors que l’ancien système économique se focalisait sur les choses matérielles,
aujourd’hui ce n’est pas tant l’information qui a de la valeur, mais plutôt l’attention
qu’on y porte (Shifman, 2015). L’économie du web 2.0 est avant tout une économie
de l’attention. Il est aujourd’hui facile de se procurer des ressources matérielles, du

42
capital, de la main-d’œuvre et de la connaissance pour produire en masse. Le
problème réside plutôt dans l’attention limitée que l’être humain peut lui accorder.
Cette notion d’économie de l’attention n’est pas nouvelle, mais s’est retrouvée au
centre du débat lié à internet lors de ces dernières années : « Previous generations of
citizens didn't have an attention problem, at least not compared to ours. They didn't
have the Internet with its ever-increasing number of Web sites. At most, they had a
few channels of broadcast television, a local newspaper, and a few magazines. »
(Davenport & Beck, 2001).
Plus un produit ou un contenu attirera de l’attention, plus il aura du succès dans
l’économie d’aujourd’hui. Mais comme l’ont prédit Davenport et Beck en 2001,
l’émergence constante de nouvelles technologies a démultiplié le nombre de contenus
sollicitant notre attention, qui en tour a augmenté la compétition pour attirer l’attention
des internautes. Cela provoque un problème de taille car « There is only so much
attention to go around, and it can only be increased marginally by somehow exercising
the brain or by adding new sentient beings to the planet ». En effet, contrairement au
capital et à la main-d’œuvre, il est impossible d’augmenter l’attention disponible chez
l’être humain – ce qui est fort problématique dans un climat où les supports nécessitant
son attention se sont massivement démultipliés.
Cette théorie implique qu’une des motivations principales derrière la production de
contenu est le fait qu’il soit repartagé en masse, afin de retenir l’attention d’un
maximum d’internautes. Selon l’auteure, « the number of derivatives spawned by a
certain video is an indicator of attention, which, in turn, draws attention to the initial
memetic video in a reciprocal process » (2015 : 32). Un meme sera donc créé d’une
manière à attirer l’attention des internautes de manière optimale. Pour cela, il
contiendra des éléments qui optimisent le partage et la réplication : Shifman élabore
ces critères essentiels à la captation d’attention et donc de réplication : « A video
structured for easy replication has a chance to succeed in YouTube’s attention
économy ». Une vidéo faite dans le but d’attirer l’attention et d’être répliquée
contiendra de l’information claire et concise ou des blagues simples pouvant être
comprises et partagées par un large public (2015 : 69).

43
2.1.6 Classes générationnelles
Afin d’analyser les attitudes des différentes classes d’âge en lien avec le contenu
mémétique, nous allons suivre le schéma classique générationnel : silent generation,
baby-boomers, génération X, milléniaux (parfois appelés génération y) et génération
Z. Au niveau de la catégorisation de ces classes d’âges, nous nous basons sur les
résultats de l’institut américain du Pew Research Center, car c’est la classification la
plus souvent citée dans les articles à ce sujet. Il est important de comprendre que,
selon le président de cet institut, « Generational cutoff points aren’t an exact science.
They should be viewed primarily as tools, allowing for the kinds of analyses detailed
above. But their boundaries are not arbitrary » (Dimock, 2019). Il explique que les
générations doivent englober une certaine envergure – d’au moins 16 ans en ce qui
concerne les générations X et les milléniaux, et de 19 ans en ce qui concerne les
baby-boomers.
L’auteur explique que la technologie est également un critère qui a contribué au
renforcement de ces catégories générationnelles : « Technology, in particular the
rapid evolution of how people communicate and interact, is another generation-
shaping consideration » (Dimock, 2019). Pour ces raisons, nous allons également
nous pencher sur les caractéristiques générationnelles liées à la technologie.

2.1.6.1 La génération Silencieuse


2.1.6.1.1 Caractéristiques
Nés entre 1928 et 1945 (Pew Research Center, 2018) et ayant actuellement entre 75
et 92 ans, cette génération est née avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Selon Neil Howe, journaliste pour Forbes, elle est souvent oubliée, car elle est logée
entre deux générations plus connues : la génération GI (1910-1927) et les baby-
boomers (1946-1964). Il explique que « They were born just too late to be World War
II heroes and just too early to be New Age firebrands » (Forbes, 2014). Selon lui, la
caractéristique principale de cette génération était la sécurité financière,
professionnelle, et familiale, ce qui a fait d’eux une génération fiable et terre à terre.
Alors que ces qualités ont souvent été considérées par les autres générations comme
un manque de prise de risque, selon Howe, « they are without doubt the healthiest
and most educated generation of elders that ever lived—and, of course, the
wealthiest » (Forbes, 2014).

44
2.1.6.1.2 Technologie
Du point de vue technologique, selon le Pew Research Center cette génération est
celle qui s’y connaît le moins en technologies modernes, avec seulement 40%
possédant un smartphone et moins de 28% à être présente sur les réseaux sociaux.
Ce chiffre démontre la nette augmentation du taux d’individus de la génération
silencieuse présents sur les réseaux sociaux lors des dernières années : depuis 2012,
le nombre de personnes de 75 à 92 ans inscrites sur Facebook est passé de 21% à
27%. En dehors des réseaux sociaux, 62% utilisent internet (PRC, 2019). Comme
prévu, ce chiffre est très bas lorsqu’on le compare aux autres générations. Emily
Vogels explique que « Previous Pew Research Center surveys have found that the
oldest adults face some unique barriers to adopting new technologies – from a lack of
confidence in using new technologies to physical challenges manipulating various
devices » (Vogels, 2019). Cela peut également être attribué au fait que cette
génération ne perçoit pas forcément de bienfait à l’utilisation d’internet, contrairement
aux millennials qui soutiennent à 73% que l’internet a plutôt eu un impact positif sur la
société (PRC, 2019).

2.1.6.2 La génération des Baby-Boomers


2.1.6.2.1 Caractéristiques
Nés entre 1946 et 1964 et ayant aujourd’hui entre 56 et 74 ans, les baby-boomers
sont la génération d’après-guerre, surnommée ainsi grâce à l’accroissement radical
du nombre de naissances pendant la période. Au vu de la taille de cette période et
des évènements qui l’ont marquée, les spécialistes la divisent en deux : les« early
boomers » entre 1946 et 1955 et les « late boomers » entre 1956 et 1964 (Hughes,
2006). Selon Michael Dimock, cette génération est « the only generation officially
designated by the U.S. Census Bureau, based on the famous surge in post-WWII
births in 1946 and a significant decline in birthrates after 1964 » (Dimock, 2019) – c’est
donc la seule qui a une délimitation officielle au niveau de la classe d’âge. Hughes
émet l’idée selon laquelle cette génération est connue comme celle des innovateurs,
qui s’est reconstruite dans l’après-guerre : « Boomers are frequently described as
pioneers ; rewriting the rules, reinventing each life stage they pass through, and
remaking society». La génération des baby-boomers a été formatrice dans le sens où

45
elle a pavé le chemin pour les générations à suivre. Selon Mary Elizabeth Hughes
dans son article The lives and times of the babyboomers, « the boomers are pivotal
because they responded to historical change by living in new ways that set patterns
for succeeding cohorts » (2006).

2.1.6.2.2 Technologie
Selon Dimock, les « Babyboomers grew up as television expanded dramatically,
changing their lifestyles and connection to the world in fundamental ways », et qu’ils
ont par conséquent appris à s’adapter au fur et à mesure de l’évolution technologique.
Nous pouvons constater cela en regardant les chiffres donnés par le Pew Research
Center en 2019. En effet, 60% des baby-boomers possèdent un smartphone, et 59%
sont sur les réseaux sociaux, cela forme un écart considérable avec la génération qui
les précède. Selon Emilie Vogels du Pew Research Center « Boomers are now far
more likely to own a smartphone than they were in 2011 (68% now vs. 25% then) »
(Vogels, 2019).

2.1.6.3 La génération X
2.1.6.3.1 Caractéristiques
Les membres de la génération X sont nés entre 1965 et 1980 et ont aujourd’hui entre
40 et 55 ans. Dans son article «Understanding Generation X ... Boom or bust
introduction », Mark-Andrew Mitchell explique que la génération X a grandi dans une
période de grands changements : que ce soit par rapport aux contraceptifs, à
l’épidémie du SIDA, la libéralisation de certains idéaux conservateurs comme le
divorce, l’avortement ou encore l’entrée en force des femmes dans le monde du
travail, et par conséquent des changements liés aux rôles des genres (2005). Dans
son article « Differences in generation X and Generation Y: implications for the
organization and marketers », Timothy Reisenwitz explique que malgré l’amalgame
souvent fait entre cette génération et celle des milléniaux (ici appelés « génération Y
»), la génération X se retrouve, dissonante, entre deux générations qui se ressemblent
davantage : « Generation Y has been characterized as less cynical, more optimistic,
more idealistic, more inclined to value tradition, and more similar to baby-boomers
than Generation X » (Marketing Management Journal, 2009).

46
2.1.6.3.2 Technologie
C’est la première génération à grandir avec des technologies comme le
magnétoscope et les jeux vidéo, ainsi que les ordinateurs personnels et du
développement des médias interactifs. Le président du centre de recherche explique
que « Generation X grew up as the computer revolution was taking hold » (Dimock,
2019). C’est donc une génération qui a été forgée par l’invention des ordinateurs et
leur évolution, autant sur le plan technologique qu’au niveau de l’apparition d’outils
révolutionnaires comme internet.
La génération X « are credited with moving the Internet into the mainstream »
(Reisenwitz, 2009). L’auteur explique également que cette génération a une
préférence pour la communication par e-mail. Selon Mitchell, la génération X « has
been pushing the line toward interactivity and away from mass communication since
they first discovered how to turn on the television set and how to control its content
with a remote control » (2005). Selon le Pew Research Center, 90% des personnes
appartenant à la génération X possèdent un smartphone et 76% sont sur les réseaux
sociaux – dont 74% sur Facebook, le réseau le plus prépondérant au sein de cette
classe d’âge (2019). Ils se montrent beaucoup plus orientés vers la technologie que
la génération qui les précède, avec une vitesse d’adoption des nouvelles technologies
qui suit les milléniaux et la génération Z de près.

2.1.6.4 La génération des Milléniaux (génération Y)


2.1.6.4.1 Caractéristiques
Les milléniaux sont nés entre 1981 et 1996 et ont aujourd’hui entre 24 et 39 ans. Selon
Michael Dimock, président du Pew Research Center, « Millennials are well into
adulthood, and they first entered adulthood before today’s youngest adults were born
» (2019). Le centre de recherche se base sur l’élection de Barack Obama, premier
président afro-américain élu en 2008, comme l’événement phare ayant forgé la
génération des millennials : « most Millennials were between 12 and 27 during the
2008 election, where the force of the youth vote became part of the political
conversation and helped elect the first black president » (Dimock, 2019). Cet
événement n’a pas seulement marqué les jeunes Américains, il a eu un impact dans
le monde entier, contribuant à la grande ouverture d’esprit de cette génération. Les
millennials font aussi partie d’une tranche d’âge qui est entrée dans le monde du travail

47
lors de la crise économique de 2008, ayant eu un effet sur les États-Unis, mais aussi
sur toute l’Europe. Selon l’auteur, « Many of Millennials’ life choices, future earnings
and entrance to adulthood have been shaped by this recession in a way that may not
be the case for their younger counterparts » (Dimock, 2019).

2.1.6.4.2 Technologie
En matière de technologie, il explique que cette génération « came of age during the
internet explosion ». Selon Timothy Reisenwitz, elle communique surtout par
messagerie instantanée et par téléphone portable, avec une utilisation relativement
faible du système d’e-mail (en dehors du cadre professionnel). Il soulève le fait que la
« Generation Y is the first generation in which Internet consumption is exceeding
television consumption », ce qui la différencie radicalement de la génération X.
Selon lui, cette génération est beaucoup plus à l’aise que les précédentes quand il
s’agit de la technologie. C’est une génération axée sur le multimédia et le multitasking
(qui utilise plus de deux médias en même temps).
Le Pew Research Center indique que 93% des milléniaux possèdent un smartphone
– avec un avantage de seulement 3% sur la génération X. Cela corrobore les résultats
de l’étude de Timothy Reisenwitz qui démontre que cette génération partage des
points communs avec la génération X, liés à l’utilisation d’internet : « Both groups
primarily accessed the Internet via their own computer (65% for Generation X and 67%
for Generation Y), used the Internet 5-9 hours per week (29%for Generation X and
28% for Generation Y), accessed the Internet daily (67% for Generation X and 77%
for Generation Y) » (Reisenwitz, 2019). Au niveau des réseaux sociaux, ils sont 86%
à y être présents, un chiffre qui selon le Pew Research Center, est stable depuis 2012.
L’étude démontre que le réseau le plus utilisé par cette génération est Facebook, avec
84% des milléniaux qui sont présents sur la plateforme.

2.1.6.5 La génération Z
2.1.6.5.1 Caractéristiques
Les personnes issues de la génération Z sont nées après 1997 et ont moins de 23
ans aujourd’hui. Selon Dimock, « Most are in their teens, or younger » (2019). Il
explique que contrairement à la plupart des autres générations, il n’y a pas de coupure
claire entre celle-ci et celle des millennials, et qu’il a donc fallu en créer une : « we

48
believe 1996 is a meaningful cutoff between Millennials and Gen Z for a number of
reasons, including key political, economic and social factors that define the Millennial
generation’s formative years » (Dimock, 2019).
Le centre de recherche s’est donc basé sur la catastrophe du 11 septembre, un
événement qui eut un impact planétaire, pour trancher entre les deux générations. La
génération Z englobe toutes les personnes qui sont trop jeunes pour se souvenir de
cet événement. Pour Dimock, cette génération est « the most racially and ethnically
diverse adult generation in the nation’s history » (Dimock, 2019).

2.1.6.5.2 Technologie
Sur le plan technologique, la génération Z est singulière, car c’est la première à avoir
grandi après le boom d’internet : « what is unique for Generation Z is that all of the
above have been part of their lives from the start » (Dimock, 2019). En effet, les
membres les plus âgés de cette génération n’avaient que 10 ans lorsque le premier
iPhone est sorti en 2007. À partir de cette époque, les jeunes ont donc principalement
communiqué par le biais de cette nouvelle génération de téléphones, équipés de 3G,
de WiFi et de tous les outils nécessaires pour accéder au web. Dimock explique
qu’alors que les générations antérieures (milléniaux inclus) ont dû s’adapter aux
réseaux sociaux, à la communication constante et la connectivité instantanée, la
génération Z n’a pas connu autre chose. Selon Louis Leung, la génération Z (qu’il
surnomme Net Generation, car ils ont grandi avec internet) se sent beaucoup plus à
l’aise que leurs parents face à un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Ils sont
plus enclins à régulièrement fréquenter et utiliser divers réseaux sociaux. Il explique
le fait que cette génération qui a été bombardée dès leur tendre enfance avec des
informations liées à la technologie, est fondamentalement plus apte à comprendre
l’économie digitale. Leur environnement exerce également sur eux une lourde
pression d’être « media savvy » (2013 : 998), c’est-à-dire d’avoir de grandes
compétences liées aux médias et surtout, à y être présents.

2.1.7 La division digitale


Dans Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, l’auteur Henry
Jenkins fait part d’un problème lié au web 2.0 et à cette nouvelle culture participative.
Il explique que tous les internautes n’ont pas les mêmes capacités digitales, et que

49
l’aisance vis-à-vis de la production de contenu varie selon les générations : il s’agit du
« digital divide » (2006 : 23). Selon lui, « not all consumers have access to the skills
and resources needed to be full participants in online cultural practices ». Cette
division digitale donne lieu à une inégalité vis-à-vis de la participation sur le web. Alors
que dans l’ère du web 1.0 cette inégalité était une conséquence du fait de ne pas avoir
accès à un ordinateur ou à internet, aujourd’hui, plus de 4 milliards de personnes ont
accès à internet (Global Digital Report, 2019) – l’inégalité se trouve désormais dans
les compétences digitales. Pour produire du contenu sur internet, même avec la
démocratisation du produsage et les outils faciles d’accès comme MS Paint ou
MemeGenerator, un minimum de connaissances liées à la technologie est requis pour
être à l’aise sur les réseaux sociaux. Les générations considérées comme « digital
natives » tel que les milléniaux et la génération Z, qui sont nées et qui ont grandi dans
un environnement étroitement lié aux nouvelles technologies, ainsi que tous les
enfants d’aujourd’hui savent instinctivement utiliser des outils technologiques comme
les Smartphones et les Tablettes. La génération X, surnommée les « Media-actives »
par Henry Jenkins (2006 : 245) n’a pas grandi avec les réseaux sociaux, mais avec
d’autres technologies phares comme la télévision, le magnétoscope, les CDs et les
premiers modèles d’ordinateur. Cela fait d’eux une génération qui a appris à s’adapter
aux nouvelles technologies en réponse à la convergence des médias, et donc plus à
l’aise sur le web que les baby-boomers. Selon Louis Leung, les baby-boomers ont su
s’adapter en partie, mais leurs préférences se tournent plutôt vers les blogs ou les
forums que les réseaux sociaux (2013 : 1003). La génération dite silencieuse qui a
plus de 75 ans n’est que très peu présente sur le web, et encore moins sur les réseaux
sociaux. Leurs compétences liées aux nouvelles technologies paraissent très limitées.
Selon Eszter Hargittai et Gina Walekjo, cela pourrait être problématique sur le long
terme : « As online content becomes increasingly important in social setting, political
and cultural agendas, the existence of such a participation gap will have increasing
implications for social inequality » (2008 :16). Ceux qui ont l’éducation, les
compétences, les ressources financières et le temps requis pour consommer et
partager l’information mise à disposition sur le web et qui en produisent à leur tour
auront un meilleur accès à ce que Jean Burgess qualifie de « nouvelles opportunités
culturelles » (2006 :125).
Selon l’auteure, cette longueur d’avance permettra aux plus jeunes générations (ainsi
qu’aux populations ayant un meilleur accès au web et à ses outils) de découvrir « new

50
forms of cultural expression that engage their passions and help them forge their own
identities, and will be the curators of their own expressive lives », alors que les
personnes n’ayant pas ces capacités ou cet accès aux ressources sont obligées de
dépendre des médias traditionnels de masse et des géants du divertissement, qui
partagent une information positionnée et triée. Selon elle, ces personnes se trouvent
du mauvais côté de cette division digitale et culturelle. Cela crée une inégalité
flagrante entre les générations plus âgées et les générations plus jeunes - qualifiées
par Jean Burgess de « the new cultural elite ».

51
III. Enquête
3.1 Hypothèses

Hypothèse 1 : Un meme sera partagé s’il permet à la personne de ressentir un


apaisement émotionnel ou une stabilité dans son environnement culturel.

Cette hypothèse reprend l’idée selon laquelle le contenu positif ou humoristique aura
plus de chances d’être partagé par un internaute, que cela soit pour des gratifications
personnelles ou sociales (Shifman, 2018).

Hypothèse 2 : Les habitudes de création, de consommation et de partage de memes


varient entre les générations

Hypothèse 2a : Les « digital natives » (c’est-à-dire les générations Y et Z)


savent définir un meme et en partagent régulièrement.

Hypothèse 2b : La génération Z est la plus grande productrice de memes

Hypothèse 2c : La génération X s’est adaptée avec l’évolution du web et des


réseaux et sait probablement ce qu’est un meme. Elle en partage et en reçoit
régulièrement.

Hypothèse 2d : La génération des baby-boomers ne sait pas ce qu’est un


meme, malgré le fait d’en recevoir d’en partager. Elle y est confrontée à
une fréquence plus basse que les autres classes d’âge.

Cette hypothèse et ses quatre sous-hypothèses partent du principe que la relation


qu’entretient une génération avec les nouvelles technologies aura un effet sur son
activité sur les réseaux sociaux. Elle prend en compte la problématique du « gap
générationnel » (Hargittai & Walejko, 2018) qui soulève des inégalités liées aux
compétences des diverses générations et englobe les 4 hypothèses qui suivent
concernant les habitudes de production, de consommation et de partage de contenu

52
mémétique sur les réseaux sociaux, selon les caractéristiques générationnelles et
technologiques citées ci-dessus.

Hypothèse 3 : Les générations connaissent essentiellement les memes qui ont atteint
l’apogée de leur popularité lorsqu’elles étaient régulièrement présentes sur les
réseaux sociaux.

Cette hypothèse stipule que le contenu mémétique sur les réseaux sociaux évolue et
se multiplie au fil des années et que selon la théorie de l’économie de l’attention
(Davenport, 2001) il est impossible pour un utilisateur d’être familier avec tout le
contenu mémétique. Pour ces raisons, nous partons du principe qu’un internaute
saura essentiellement reconnaître les memes ayant atteint le pic de leur succès au
moment où l’internaute a le plus fréquenté les réseaux sociaux.

Hypothèse 4 : La création, la consommation et le partage de memes augmentent lors


d’évènements marquants ou de situations de crise.

Hypothèse 4a : La majorité du contenu partagé pendant la crise du Covid-19


a un rapport avec la situation pandémique.

Ces dernières hypothèse et sous-hypothèse stipulent que les évènements marquants


(élections présidentielles, attentats, injustices sociales) et les situations de crise
(épidémies, pandémies, catastrophes naturelles) provoquent un besoin accru de
partage et un besoin de se sentir compris au sein d’un groupe, et favorisent donc la
création, la consommation et le partage de contenu mémétique. Elle se base sur la
« Règle des 3 C » (Laineste, 2016) et observe le phénomène dans le cadre de la crise
épidémique du Covid-19. Elle émet également l’idée selon laquelle le contenu partagé
en situation de crise est majoritairement en lien avec cette dernière.

3.2 Méthodologie
3.2.1 Données et niveau d’Analyse
Cette recherche se focalise sur 4 générations : Les baby-boomers, la génération X,
les milléniaux (aussi appelés « génération y ») et la génération Z. Initialement,

53
l’enquête devait inclure la génération « silencieuse » (les personnes de 75 ans et
plus), mais elle n’y est finalement pas représentée car il n’a pas été possible de trouver
suffisamment de répondants issus de cette tranche d’âge.
Les individus ayant participé à l’enquête sont issus de pays francophones. Malgré le
fait que le corpus ne traite pas le cas de la Suisse en particulier, il est tout de même
possible en raison de la nature globale du web d’appliquer les concepts du corpus à
notre échantillon. L’échantillon est de nature « boule de neige », c’est-à-dire qu’il a été
partagé avec des individus remplissant les critères de l’échantillonnage souhaité, en
leur demandant à leur tour de partager le questionnaire avec des personnes de leur
entourage qui remplissent également ces critères.
Le questionnaire a été distribué en ligne entre mars et avril 2020, dans le but d’obtenir
environ 30 réponses pour les 4 catégories d’âge susmentionnées. Le nombre total de
réponses s’élève donc à 120 participants, afin d’entamer une recherche quantitative
plutôt que qualitative. L’enquête a pour but de questionner les participants sur leurs
habitudes liées à la production, à la consommation et au partage de contenu sur les
réseaux, puis de tenter de comprendre leurs connaissances liées aux memes en
proposant divers exemples connus sous formats photo et vidéo.

3.2.2 Googlisation du meme


Afin d’analyser l’évolution du meme en parallèle avec son utilisation par les
générations différentes, il s’agira de s’appuyer sur l’étude de Cary Huang concernant
les memes les plus populaires de chaque mois depuis l’année 2004 – prenant en
considération des détails tels que la plateforme de publication et la plateforme de
dissémination ainsi que l’accessibilité du contenu.
Cary Huang s’est basé sur Google Trends et sur la base de données Know Your
Meme car il est trop difficile d’estimer la popularité d’un meme en regardant toutes les
plateformes sur lesquelles il a été posté. Il y en a bien trop, et ces plateformes fluctuent
en popularité.
La meilleure approximation quant à la popularité d’un élément peut être le nombre de
fois ou cet élément a été cherché au moyen du moteur de recherche Google. Pour
cela, Huang a utilisé un code Python qui enregistre l’indice de recherches sur Google
Trends concernant tous les memes répertorié dans la base de données de Know Your
Meme. Le problème avec Google Trends est que l’outil ne donne pas de précision

54
quant au nombre exacte de recherches – il les classe simplement de 1 à 100 (100
étant l’apogée du succès d’une recherche). Par conséquent, Huang s’est également
basé sur les chiffres de Know Your Meme qui affiche le nombre de vues d’un meme
précis. Il a ensuite comparé les résultats de google trends avec ceux de Know Your
Meme pour confirmer la pertinence du nombre de vues affichées par le site.

3.2.2.1 Failles dans la recherche de Cary Huang


Il faut cependant prendre en considération une faille de Google Trends : la différence
en matière de popularité concernant les memes qui ont un nom précis, et ceux dont
le nom désigne également autre chose. Pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de
déséquilibre entre les memes ayant des noms précis (par exemple « grumpycat » qui
est un terme qui a été inventé pour le meme qu’il désigne) et ceux ayant des noms
homonymes de quelque chose de plus global (par exemple « loss » qui est le nom
d’un meme mais également un terme qui englobe tout ce qui a affaire avec la perte)
et dont l’indice de popularité serait faussé par les recherches effectuées pour ce mot,
il est important de comparer les résultats de Google Trends avec ceux de Know Your
Meme car ces derniers seront plus précis en cas d’homonymie. Une autre faille dans
le système de Huang est le fait que Know Your Meme existe depuis 2009 seulement,
soit douze ans après l’apparition du premier meme – et que Google Trends ne donne
que des chiffres à partir de l’année 2004. Il faudra donc trouver un autre moyen de
calculer la popularité des memes issus des années 1997 à 2003, ou simplement ne
pas en mettre dans le corpus.

3.2.3 Opérationnalisation des variables


L’opérationnalisation de ce travail a été effectuée à partir des hypothèses choisies afin
d’en dégager les indicateurs clés qui permettront de mesurer les différences
intergénérationnelles et de répondre à ces suppositions. Cette opérationnalisation des
variables se base essentiellement sur les diverses recherches effectuées par Limor
Shifman au sujet du meme et qui relèvent des concepts et des questions clés à la
compréhension de ce sujet de recherche.

55
Hypothèse 1 : Un meme sera partagé s’il permet à la personne de ressentir un
apaisement émotionnel ou une stabilité dans son environnement culturel.

Variable 1 : l’émotion
L’émotion qui pousse un utilisateur à produire, consommer ou partager du contenu
peut être multiple. Il s’agira ici de comprendre quelle émotion en particulier pousse un
utilisateur à produire, consommer ou partager du contenu sur les réseaux sociaux.

Variable 2 : l’entourage
Un utilisateur peut produire, consommer ou partager du contenu avec différentes
catégories de personnes. Il s’agira de déterminer avec qui l’utilisateur vise à travers
ses publications – amis, famille, inconnus.

Hypothèse 2 : Les habitudes de création, de consommation et de partage de memes


varient entre les générations

Variable 1 : les memes


D’après les recherches de Limor Shifman (2013), ce qui est considéré comme étant
un meme varie et englobe une multitude de facteurs. Il s’agira ici de déterminer quel
type de meme est partagé. Un aspect essentiel de la recherche traitera aussi la
question de la connaissance du concept : lorsqu’un meme est partagé, l’utilisateur qui
le produit, le partage et le consomme sait-il qu’il est en train de participer à la
propagation d’un meme ? Connait-il le mot, et sa définition ?

Variable 2 : l’âge
Les répondants seront répartis dans 4 catégories de générations (baby-boomers,
génération X, milléniaux et génération Z). Il s’agira donc de faire une distinction entre
les <16-23>, les <24-39>, les <40-55> et les <56-74>.

Hypothèse 3 : Les générations connaissent essentiellement les memes qui ont atteint
l’apogée de leur popularité lorsqu’elles étaient régulièrement présentes sur les
réseaux sociaux.

56
Variable 1 : les réseaux sociaux
La popularité des réseaux sociaux fluctue avec le temps et ne cesse de changer
depuis leur conceptualisation au début des années 2000. Il s’agira ici de comprendre
sur quel réseau social l’individu a produit, consommé et partagé des memes.

Hypothèse 4 : La création, la consommation et le partage de memes se feront


davantage lors d’événements marquants ou de situations de crise.

Variable 1 : La situation de crise


Les raisons qui motivent la production, la consommation et le partage de memes sont
multiples – en particulier lorsqu’il s’agit d’un événement marquant ou d’une crise
importante. Il s’agira de comprendre les raisons qui se cachent derrière une
multiplication de création, de consommation et de partage de contenu et d’identifier
l’événement marquant ou la crise qui en est la cause.

3.3 Méthode et technique : enquête en ligne


3.3.1 Le questionnaire
Les résultats issus de la recherche faite dans le cadre de ce travail proviennent d’un
questionnaire en ligne – une méthode choisie, car c’est un moyen direct, peu couteux,
mais tout de même efficace pour atteindre un grand nombre d’individus provenant de
milieux et de générations différents. L’enquête en ligne est une méthode relativement
flexible en raison de la nature de son interface, qui est facilement accessible et
modifiable sur internet. De plus, cette méthode n’est pas chronophage pour le
répondant, un aspect qui encourage les individus à participer à l’enquête et qui en tour
permet d’obtenir un plus large échantillon. Selon Bryman, l’enquête en ligne rend la
récolte de données plus simple pour l’enquêteur, et n’a également aucune contrainte
géographique (2012 : 675) – un aspect qui est important dans le cadre de notre
recherche. Enfin, l’enquête en ligne semble être la meilleure option pour obtenir des
réponses sur les habitudes de production, de consommation et de partage sur les
réseaux sociaux, car les personnes qui y répondent sont – pour la plupart – actives
sur les réseaux sociaux, et sont toutes capables d’accéder au web. Le questionnaire
a été effectué sur Google forms en mars 2020 et distribué en avril 2020.

57
Le partage de cette enquête se fera selon la technique « snowball » (boule de neige),
qui cible d’abord un échantillon remplissant les critères de la recherche, puis qui leur
demande de partager l’enquête à leur tour, avec des membres de leur entourage qui
remplissent également les critères de l’étude afin d’atteindre un échantillon plus large
que celui initialement sélectionné. Le partage de cette enquête s’est majoritairement
fait sur les réseaux sociaux, mais a également été fait sur des services de messagerie
comme Whatsapp ou Gmail, afin d’obtenir des réponses de personnes qui n’étaient
pas forcément présentes sur les réseaux sociaux, ou qui n’y allaient pas suffisamment
pour avoir accès à l’enquête.
Le questionnaire en tant que tel comporte soixante-six questions et est divisé en
quatre points. Tout d’abord, une partie est dédiée aux informations sur le participant
en matière de démographie, d’appartenances et d’habitudes technologiques, de
consommation sur internet et sur les réseaux sociaux puis d’habitudes de partage. La
deuxième partie du questionnaire est consacrée à tester les connaissances et les
habitudes de partage en ligne du participant en lui proposant diverses images et
vidéos phares du web 2.0, issues des vingt dernières années. La troisième partie du
questionnaire regroupe des questions liées à la relation entre l’individu et le concept
du meme. Il s’agit ici de réellement comprendre sa compréhension et ses
connaissances vis-à-vis du phénomène mémétique, ainsi que son ressenti par rapport
à la consommation, à la production et au partage de memes. Enfin, la quatrième partie
tente de comprendre les mécanismes derrière la consommation, la production et le
partage mémétique en situation de crise, et se penche sur les changements liés aux
habitudes mémétiques dans le cadre de la pandémie du Covid-19.
Comme expliqué précédemment, ce questionnaire a été publié en ligne, sur diverses
plateformes comme Facebook et Instagram, ainsi que par message et e-mail. Afin
d’obtenir un échantillonnage générationnel qui est représentatif de la méthode de
classement traditionnelle, nous avons décidé de diviser les catégories d’âges dans le
questionnaire avec les 4 générations principalement actives sur le web : baby-
boomers, génération X, milléniaux et génération Z.

58
3.3.1.1 Problèmes rencontrés lors de la récolte de résultats
3.3.1.1.1 Tranches d’âges
Nous avons obtenu 271 réponses, mais ces dernières semblaient inégalement
réparties. À cause de la nature aléatoire de la méthode « snowball », certaines classes
d’âge ont répondu plus présentes que d’autres. Celle des milléniaux, par exemple, a
constitué presque la moitié des réponses, alors qu’aucun membre de la « silent
generation » n’a répondu présent.
Au vu de ce décalage technologique, la génération silencieuse a donc été omise de
l’enquête. Nous avons ensuite effectué une sélection en deux temps dans le but de
recueillir un échantillon plus représentatif et plus complet. D’abord, sur la base des
classes d’âge en prenant 30 individus pour chacune des génération (Z, millénariale,
X et baby-boomer). Ensuite, selon le genre, afin de pouvoir éventuellement déceler
des tendances différentes liées à la consommation et le partage de memes chez les
femmes et les hommes. Quinze hommes et quinze femmes ont donc été sélectionnés
pour constituer chacun des échantillons générationnels. Le processus de sélection a
été effectué sur Google Forms. Les 271 répondants ont été classés par tranche d’âge
et par genre puis sélectionnés au hasard au sein de ces catégories.

3.3.1.1.2 Biais de représentativité


Comme mentionné précédemment, les résultats de la recherche ne sont pas
représentatifs d’une démographie en particulier. En effet, la méthode de partage
« Snowball » n’est pas reconnue pour ses vertus quantitatives (Bryman, 2012), car
son échantillon est relativement aléatoire. Pour ces raisons, cette méthode s’inscrit
entre le quantitatif et le qualitatif – en effet, il contient des questions fermées, ainsi que
des questions ouvertes. Ce choix a été retenu, car il semblait important de laisser une
marge de réponse aux participants, afin d’en déceler les facteurs explicatifs du partage
mémétique, sans en orienter la réponse des sondés.

3.3.1.1.3 Formulation des questions


Ainsi, le questionnaire est constitué en majorité de questions fermées, mais contient
également quelques questions ouvertes. Dans les deux cas, la formulation de la
question est un exercice déterminant, car elle peut orienter la réponse. Cela est
particulièrement applicable aux questions fermées, car les réponses sont plus

59
fortement orientées. Il est donc important de prendre en compte cet aspect-là, qui peut
affecter la qualité et le contenu et donc la qualité des réponses.

3.3.2 Les participants


Les répondants sont des francophones dont on ne connaît pas le pays d’origine (le
critère géographique n’a pas été retenu comme variable dans cette étude, fondée sur
la seule activité au sein des réseaux sociaux disponibles dans toutes les régions
francophones). La tranche d’âge des répondants va de 16 à 74 ans et est répartie
selon le modèle classique générationnel (baby-boomers, génération X, milléniaux,
génération Z) proposé par le Pew Research Center afin de comparer et de contraster
les habitudes des usagers liées au web et à la production, la consommation et le
partage de contenu mémétique.

3.3.3 Les échelles


Les échelles choisies pour évaluer les réponses du questionnaire sont multiples.
D’abord, une échelle sous forme de catégories (âge, genre), ainsi qu’une échelle
binaire (oui, non), puis une échelle avec 5 éléments gradués sur un continuum (dans
ce cas : Très souvent ; souvent ; pas très souvent ; rarement ; jamais) afin d’établir
une appréciation temporelle. Ensuite, une échelle qui permet au répondant de se
positionner de manière plus flexible quant aux affirmations données (tout à fait
d’accord ; plutôt d’accord ; plutôt pas d’accord ; Pas du tout d’accord).
Enfin, une échelle plutôt qualitative en cas de questions ouvertes, permettant au
répondant de rédiger sa propre réponse, et la formuler de la manière qui lui semble la
plus juste. Une réponse a été sollicitée pour presque toutes les questions, hormis
celles traitant d’un meme avec lequel un participant a prétendu ne pas être familier.
Ces différentes échelles permettent de focaliser l’analyse et les résultats de la
recherche sur la production, la consommation, le partage, la moyenne, la variance et
le mode d’une manière qualitative et quantitative.

60
IV. Analyse
4.1 Résultats
Ces résultats ont été analysés avec l’aide de Google Sheets. Afin de croiser des
résultats comme l’âge et la connaissance mémétique, l’outil « countifs » a été
employé. Certaines questions ouvertes ont été comptabilisées à la main. Comme
explicité précédemment, les 120 réponses par question sont réparties entre les
générations et les genres: c’est-à-dire 30 réponses par génération, dont 15 hommes
et 15 femmes afin de tenter d’obtenir une représentation équilibrée.

4.1.1 Les habitudes liées au web et aux réseaux sociaux


4.1.1.1 Les habitudes technologiques
Avant de commencer l’analyse des résultats concernant les memes, il est important
de comprendre les habitudes des répondants liées à leur présence sur internet et sur
les réseaux sociaux. Le nombre de personnes sur les réseaux sociaux a un lien
indéniable avec l’âge des participants. Chez la génération Z, 100% des répondants
sont sur au moins un réseau social (figure 1). Les milléniaux sont 97% à être présents
sur les réseaux sociaux. En ce qui concerne la génération X, 87% se trouvent sur les
réseaux comparé à 84% chez les baby-boomers. Cela illustre l’omniprésence des
réseaux sociaux dans la vie quotidienne des générations plus jeunes (millénariale et
Z) ainsi que l’adaptation à la technologie par les générations qui n’ont pas grandi avec
les réseaux (baby-boomers et génération x).

Figure 1 : présence
100%

sur les réseaux


97%

84%
87%

sociaux

61
La quasi-totalité des participants possède un smartphone (figure 2), c’est-à-dire 100%
chez les générations Z, X et baby-boomers, et 97% chez les milléniaux. La majorité
possède également un ordinateur, soit 97% dans chaque classe d’âge. Sur les 120
répondants, seule une personne de la génération X a signalé ne pas avoir de
connexion internet chez elle.

100%
97%

97%
97%

100%
97%

100%
97%

Figure 2 : Objets connectés

En ce qui concerne les réseaux sociaux (figure 3), le réseau le plus fréquenté par la
génération des baby-boomers est Facebook, avec 80% d’entre elle qui prétend être
présente sur ce réseau social. Il en est de même pour la génération X, qui est 76% à
avoir un compte Facebook. Les milléniaux suivent cette tendance, et sont 96% à être
présents sur cette même plateforme. Cela change cependant avec la génération Z,
qui n’est que 70% à être sur Facebook, comparé aux 100% qui sont sur Instagram.
Ces résultats démontrent une différence générationnelle au niveau du réseau de
préférence. Cela s’explique entre autres par le fait que les trois démographies les plus
actives sur Facebook ont grandi, ou se sont adaptées en réponse à l’élaboration et la
démocratisation du premier réseau social (Facebook) alors que la génération Z a
grandi lors de la popularisation d’Instagram, qui a été provoquée en partie par la
baisse de popularité de Facebook. Pour ces raisons, il est aisé d’envisager le fait que
les références mémétiques de la génération Z seront différentes de celles des
générations qui la précèdent, car les memes ne sont pas issus de la même plateforme.

62
100%

75%

50% Figure 3 : Préférence des réseaux

25%

4.1.1.2 Les habitudes liées au partage


En ce qui concerne les habitudes sur les réseaux, l’activité la plus citée par toutes les
catégories d’âge est celle de « liker » (ou de mettre un « j’aime » sur) les publications
produites, publiées ou partagées par les autres (figure 4).

100%

75%

Figure 4 : habitudes sur les


50% réseaux

25%

Cela corrobore le modèle de Horowitz (2008) concernant les catégories d’utilisateurs,


qui divisent ces derniers en trois groupes : les créateurs, les synthétiseurs et les
consommateurs. Selon ce modèle, les personnes qui créent et qui partagent du
contenu sur les réseaux ne forment que 11% des internautes. Les 89% restants,
appelés « consommateurs » ont une utilisation passive liée au contenu produit par les
autres. Bien que les résultats obtenus lors de notre enquête ne soient strictement pas
identiques, la tendance générale de nos données va dans le sens de la théorie de
Horowitz.

63
On décèle ensuite des variations entre les classes d’âge en ce qui concerne les
activités de production, de publication, de commentaire et de communication. La
génération Z est celle qui produit le plus de contenu : 27 personnes sur 30 prétendent
que c’est la deuxième activité qu’ils pratiquent le plus sur les réseaux. Les milléniaux
utilisent essentiellement les réseaux pour communiquer, tout comme la génération
des baby-boomers. La génération X prétend utiliser les réseaux sociaux pour partager
du contenu plutôt que pour communiquer. On décèle cependant une grande tendance
liée au partage de publications dans toutes les classes d’âge.

4.1.1.2.1 Le partage au niveau émotionnel


En ce qui concerne les raisons de partage d’une publication, on remarque que
les motifs derrière cet acte ne varient que très peu selon les catégories (figure 5).

50%

100%

75%

Figure 5 : le partage
en lien avec l’impact
50% émotionnel

25%

La majorité des personnes sondées partagent essentiellement des publications


humoristiques, pour des motifs personnels ou pour faire rire leur entourage. Le
partage de publications jugées intéressantes est également très élevé. Les
publications choquantes ne sont que très peu partagées. Cela fait écho à l’idée de
Limor Shifman selon laquelle le contenu négatif n’est que très peu consommé et
partagé sur les réseaux sociaux (2013 : 15). En effet, selon de nombreux auteurs
(Miltner, Burgess, Jenkins et Shifman), le contenu humoristique et positif est le
contenu le plus partagé sur les réseaux, car, comme vu précédemment, il gratifie non
seulement le destinataire, mais également la personne qui partage ce contenu avec
son entourage.

64
4.1.1.2.1.1 La corrélation entre l’humeur et le contenu
Les répondants ont ensuite été sondés sur une question importante liée aux
nombreuses théories mémétiques vues ci-dessus : le contenu mémétique (qu’il soit
produit, consommé ou partagé) reflète l’humeur ou l’état d’esprit de la personne (figure
6).

20% 33% 26% 13% 7%

17% 40% 26% 7% 10% Figure 6 : Le contenu


reflète l’humeur

3% 33% 26% 33% 6%

33%
7% 7% 20% 26% 40%

Au vu des résultats, la majorité des générations sondées aiment, commentent et


partagent du contenu qui reflète leur humeur avec pour seule exception la génération
des baby-boomers. En effet, il semblerait que les répondants issus de cette génération
n’aient pas l’habitude de partager du contenu qui reflète leur humeur. Plus de 40%
des baby-boomers qui ont répondu au questionnaire ont prétendu que le contenu
qu’ils partagent ne reflète jamais leur humeur. Cela pourrait être le résultat d’un
manque de réflexion lié aux habitudes sur les réseaux – car, comme nous le savons,
cette génération a dû radicalement s’adapter à l’avènement et l’évolution du web, et
cette adaptation est loin d’être terminée. On pourrait considérer que cela fait partie du
« gap » générationnel dont parle Jenkins quand il explique que les internautes n’ont
pas tous les mêmes compétences technologiques, et que cela peut provoquer un
fossé au niveau de la compréhension et de la communication (2006).

4.1.1.2.1.2 Du contenu qui reflète l’individu


Dans l’ensemble, on remarque chez la génération Z une tendance à partager du
contenu qui reflète l’individu, autant au niveau de son humeur, des situations dans
lesquelles il se trouve (figure 7) ou encore du contenu qu’il regarde (figure 8). Or, dans
son essai sur les différences générationnelles dans la production de contenu, Louis

65
Leung a observé que la génération z (appelée également « net-geners ») a davantage
tendance à publier sur les réseaux, car c’est une habitude qu’ils cultivent depuis leur
enfance, et qu’ils se sentent extrêmement à l’aise sur le web (998 : 2013). Cela
pourrait donc expliquer cette forte tendance chez la génération Z : ils sont 96% à
répondre qu’ils ont déjà partagé du contenu en lien avec une situation dans laquelle
ils se trouvaient. Presque un tiers d’entre eux ont répondu qu’ils le faisaient très
souvent. Cette tendance est consolidée par les réponses à la question concernant le
fait de partager du contenu en rapport avec une série ou un film (figure 8).

10%
13% 13% 23%
17% 10%
30%
10%
30% 36% Figure 7 : le contenu
reflète la situation
26% 43%
17%
37%
30%
20% 23%

30%

17%
30% 37%
47%
23%
Figure 8 : Le contenu
33%
reflète un film ou une série
17%
43%
36%
20% 33%

17% 13% 17%


10%

Il semblerait donc qu’il y ait une différence entre les générations qui ont grandi en
parallèle à l’émergence des réseaux sociaux (milléniaux et génération Z) et celles qui
ont dû s’adapter à cette nouvelle technologie (baby-boomers et génération X). Alors
que les « digital-natives » semblent utiliser les réseaux sociaux de manière
majoritairement cathartique, pour partager des expériences et des ressentis
personnels avec leur entourage, les générations qui les précèdent – et en particulier

66
les baby-boomers, ne semblent pas employer les réseaux sociaux de cette même
manière.

4.1.1.2.1.3 Du contenu en réaction à un message


Comme vu précédemment, le partage de contenu avec autrui peut-être motivé par
plusieurs raisons. Nous avons remarqué qu’un contenu est souvent partagé pour
refléter un état d’âme ou une humeur. Il peut également être partagé en réaction à un
message (ce qui rentre dans la catégorie de « reaction memes » vue ci-dessus).

17%
20% 37%
27%
20% Figure 9 : partage de contenu
20% lié à l’émotion ou la réaction
17%
23% 30%
33% %
23%
30%
23%
23% 23%
13% 10%

Dans notre échantillon, le partage de contenu avec autrui est souvent motivé par une
humeur, un état d’âme ou bien envoyé comme réaction à un message (figure 9). Ceci
est particulièrement le cas chez la génération Z et les milléniaux. La génération X et
les baby-boomers, eux, ne semblent pas avoir recours à cette pratique très
fréquemment. En effet, nous avons vu qu’il ne semble pas y avoir de fortes corrélations
entre l’humeur et le type contenu partagé chez les baby-boomers. Il se pourrait
également que ces derniers n’aient pas pour habitude d’envoyer des images, des
vidéos ou des «GIFS » en réaction à un message, car c’est une pratique étroitement
liée à Twitter, un réseau social très peu fréquenté par cette génération.

4.1.1.2.1.4 Réception de contenu de la part de son entourage


Enfin, il a semblé pertinent d’analyser si les répondants reçoivent à leur tour du
contenu de la part de leur entourage (figure 10). Si l’on imagine qu’ils sont entourés
en majorité par des personnes de la même tranche d’âge, cela peut nous donner de

67
plus larges indications quant aux habitudes de partage liées aux différentes
générations.

10% 13%
17% 20%
20%

50% Figure 10 : Réception de contenu


43% 70%
40%

30% 33% 27%


16%

Il semblerait que toutes les tranches d’âge reçoivent souvent du contenu (images et
vidéos de genres différents). Seuls 4% des répondants ont prétendu ne jamais ou
rarement recevoir du contenu de la part de leur entourage et 17% des répondants ont
prétendu ne pas recevoir du contenu de leur entourage très fréquemment. Cela
signifie que 79% des répondants reçoivent souvent, ou très souvent du contenu sous
forme d’image ou de vidéo de la part de leur entourage.

4.1.1.2.2 Le partage en dehors des réseaux sociaux


Le partage de contenu ne se fait pas uniquement sur les réseaux sociaux. Comme vu
précédemment, les internautes partagent également du contenu par le biais de
messageries instantanées, ou bien en personne avec leur entourage. Partager du
contenu hors des réseaux sociaux exige un minimum de compétences technologiques
liées à l’enregistrement du contenu, qui peuvent justement faire défaut chez certaines
générations. Par conséquent, les tendances vis-à-vis de cette question peuvent déjà
nous démontrer les compétences technologiques des répondants du questionnaire.
Comme le montre la figure 11, la sauvegarde de contenu issu des réseaux sociaux se
fait majoritairement par les milléniaux, suivis de près par la génération Z. Une fois de
plus, on remarque que la génération X et les baby-boomers ne sauvegardent que très
peu des images ou des vidéos trouvées en ligne ou sur les réseaux sociaux. Cela peut
aller de pair avec les tendances liées au partage d’émotion ou de situation, qui est
plus rare chez ces deux générations.

68
6% 13%
13% 20% 27%

20% 43% Figure 11 : Sauvegarde du


33% contenu en ligne
% 40%
30%

33% 27% 13%

27% 13%
13% 17%

Il a ensuite été question de comprendre quel type de contenu était sauvegardé par les
répondants (figure 12).

100%

75%

Figure 12 : Type de
50%
contenu sauvegardé

25%

Le contenu le plus sauvegardé par toutes les générations est le contenu drôle, suivi
du contenu auquel ils arrivent à s’identifier, ou à identifier autrui, puis le contenu
touchant (ces deux derniers sont inversés chez la génération Z). Le contenu choquant,
lui, est le moins souvent sauvegardé, en particulier chez les générations Z et X.
En ce qui concerne le partage de publications en dehors des réseaux sociaux, les
résultats sont relativement similaires entre catégories (figure 13). Alors que ce partage
externe se fait en majorité par WhatsApp, ce moyen est suivi de près par le partage
en face à face, toutes générations confondues. Seule une minorité des participants
partagent des publications par SMS, et les baby-boomers sont quasiment les seuls à
partager des publications avec leur entourage par mail.

69
100%

75%

50%
Figure 13 : le partage en
dehors des réseaux

25%

Selon les réponses obtenues à la question concernant la fréquence du partage de


contenu en dehors des réseaux sociaux, les répondants semblent participer à cette
pratique relativement fréquemment (figure 13). Seuls 5% des répondants prétendent
ne jamais partager de contenu en dehors des réseaux sociaux. Cela montre l’impact
d’internet dans le quotidien de ses utilisateurs – la propagation de son contenu n’étant
pas limitée au web.

33% 17%
23% 33%

Figure 14 : la fréquence de partage


27%
en dehors des réseaux
30% 40% 30%

27%
13%
27%
17% 26%
17%

Concernant les pratiques des répondants liés à l’activité de la propagation de contenu,


il était nécessaire de comprendre les habitudes de partage de photos/vidéos sur et en
dehors des réseaux sociaux (figure 14).

4.1.1.2.3 Le partage en masse


Un des concepts clés liés au contenu mémétique est sa transmission massive sur les
réseaux. Il est donc important de questionner les participants vis-à-vis de leurs

70
habitudes de partage, afin d’observer les éventuelles différences intergénérationnelles
concernant le partage de contenu en masse.

7%
10%
30% 13%
23% 23%
% 20% Figure 15 : partage de
% contenu en masse
17%
27%
40%
40%
43%
27%

20% 20%
10% 7%

On remarque d’abord que seuls très peu de répondants (environ 10% de l’échantillon)
ne prétendent jamais envoyer le même contenu à plusieurs personnes. En effet, la
majorité des participants ont répondu qu’ils l’avaient déjà fait au moins une fois (figure
15). Plus de 50% de chaque tranche d’âge semblent l’avoir fait plusieurs fois, voire
relativement souvent – en particulier les milléniaux. Selon les résultats, cette pratique
de partage en masse se fait également fréquemment chez les baby-boomers, qui
jusqu’à lors ne semblaient pas suivre les tendances générales liées aux réponses des
autres générations. Étrangement, l’échantillon qui représente la génération Z se
trouve derrière les trois autres tranches d’âge en matière de partage de masse – une
tendance qui sera analysée au point 5.1 concernant l’analye des résultats.

4.1.2 Habitudes liées au concept du meme


Après les questions concernant les habitudes liées au partage et à la réception
d’images et de vidéos sur les réseaux sociaux, la question centrale de la connaissance
du meme et de son concept a été posée (figure 16). Jusqu’à ce stade de l’enquête,
les participants avaient répondu à des questions liées au partage de contenu en
général, sans utiliser le mot « meme ». Cela a été fait pour ne pas biaiser les
générations qui connaitraient ce concept, afin d’éviter qu’ils aient une longueur
d’avance sur les participants issus de générations qui ne sont pas des digital natives,
comme la génération X et les baby-boomers. Cela a également été fait dans le but de
ne pas exclure les participants ne connaissant pas ce thème : en effet, un meme est

71
une forme de contenu partagé sur les réseaux. Les répondants qui ne savent pas ce
qu’est un meme partagent et reçoivent tout de même du contenu envers et de la part
de leur entourage. Le contenu partagé et reçu est majoritairement (comme nous le
verrons plus tard) mémétique. Or, si nous leur avions demandé s’ils recevaient ou
partagaient des memes avec leur entourage, ils auraient sans doute répondu non, car
une des hypothèses de ce travail est le fait que les générations plus âgées partagent
des memes, sans s’en rendre
compte.

Figure 16 : connaissance du
concept
51%
66%

96% 86%
% 16%
10%
33% 86%
23%

Les réponses à cette question n’ont fait que confirmer notre hypothèse de travail.
Concernant la génération Z, 96% ont dit connaitre connaître le terme meme. Chez les
milléniaux, le nombre de personnes qui savaient ce qui était un meme était légèrement
plus bas, mais tout de même élevé à 86%. La tendance change nettement avec la
génération X, où seuls 33% des personnes savent ce qu’est un meme, 16%
prétendant avoir déjà entendu ce mot mais ne sachant pas le définir. Pour les baby-
boomers, seuls 23% prétendent savoir ce qu’est un meme, et 10% en ont déjà entendu
parlé, mais ne sont pas capable de le définir.

Cela illustre le « gap » générationnel lié à la technologie et aux réseaux sociaux, et


solidifie la séparation entre deux plus larges groupes générationnels : ceux qui ont
grandi avec les réseaux et le web (les milléniaux et la génération Z), et ceux qui ont
dû s’y adapter, et qui s’y adaptent encore (la génération X et les baby-boomers).
En ce qui concerne la production mémétique, rares ont été les répondants qui ont
prétendu avoir déjà créé un meme (figure 17).

72
Ces réponses se recoupent avec celles liées à la création de contenu (figure 4,
habitudes sur les réseaux), mais les répondants qui affirment produire des memes
sont beaucoup moins nombreux que ceux ayant répondu qu’ils publiaient du contenu
sur les réseaux – alors qu’il s’agit, le plus souvent, de la même chose. En effet, alors
qu’ici la génération X et les baby-boomers ont majoritairement répondu qu’ils n’avaient
jamais, voire rarement crée un meme, ils étaient environ 50% et 20%, respectivement,
à avoir répondu qu’ils produisaient du contenu sur les réseaux. On remarque donc à
nouveau un manque de familiarité de ces générations-là avec le concept du meme au
sens large. En ce qui concerne les digital natives (génération Z et milléniaux), ils
étaient plus de 50% à prétendre produire et publier du contenu sur les réseaux (figure
4), contre environ 45% et 30%, respectivement, à produire des memes. Il est
également important de prendre en considération le fait que les générations Y
(milléniaux) et Z ont eu accès à des plateformes génératrices de memes comme
« meme generator » ou « know your meme » qui leur ont permis de produire du
contenu mémétique beaucoup plus aisément que les générations précédentes.

53%
40% Figure 17 : création d’un
meme

20% 56% 60%

17%

En ce qui concerne la reception d’un meme crée par une personne de l’entourage,
les réponses sont très claires suivant les générations (figure 18). Les baby-boomers
sont une majorité à prétendre ne jamais, ou très rarement recevoir des memes
produits par des membres de leur entourage. Il en est de même pour la génération X,
malgré une infime exception. Les milléniaux sont ceux qui ont répondu le plus souvent
avoir déjà reçu du contenu mémétique de la part de leur entourage, avec environ 50%
des réponses se trouvant entre « souvent » et « très souvent ». Il se pourrait que cela
soit dû à l’effervescence des générateurs de memes au début des années 2010,

73
lorsque les milléniaux étaient très actifs sur Facebook et d’autres plateformes de
microblogging. Enfin, l’échantillon de membres de la génération Z ne semble pas
recevoir beaucoup de memes créées par des personnes de leur entourage.

13% 23%
37%
46%
33%
30%
27%
30% 17%
36%
33%
23%
17%
10%

Figure 18 : réception d’un meme crée par une personne de l’entourage

4.1.3 Connaissances liées au corpus mémétique


Avant d’examiner les connaissances des répondants liés au corpus mémétique, il est
important de savoir quelles plateformes ces derniers fréquentent, ou connaissent
(figure 19).
Les sites proposés (détaillés
ci-dessus) ont été
100%
sélectionnés par rapport à
l’impact qu’ils ont eu dans le
développement et la
50%
production mémétique. La
connaissance et la
fréquentation de ces derniers
impliquent donc une
familiarité avec les memes. Figure 19 : Connaissance des sites producteurs de memes

On remarque d’abord le succès de certains de ces sites chez les plus jeunes
générations, notamment de Tumblr, de Vine et de Reddit. Tumblr reste le site le plus
connu chez la génération X, mais les autres plateformes n’ont pas ce succès. Enfin,
les baby-boomers sont une majorité, soit 76% à n’en connaître aucun. On remarque

74
également que 4chan est le site le moins connu de toutes les générations – ce qui
peut être expliqué par son inaccessibilité en matière de la configuration de la
plateforme, qui est difficile à appréhender. Cette dernière est connue des internautes
comme étant réservée aux « initiés ».

Pour mieux comprendre les connaissances mémétiques des différentes générations,


nous avons produit un échantillon des memes les plus populaires des vingt dernières
années.

4.1.3.1 Memes sous forme de Vidéos


Les participants ont d’abord été sondés sur trois memes de type format vidéo. Ils
avaient la possibilité de cocher l’option « vu sous format image » ou « vu sous format
GIF » afin de nous aider à appréhender les formats les plus populaires en matière de
memes et de leurs dérivés. Trois vidéos ont été séléctionnées, car elles ont eu un
formidable retentissement sur les réseaux à trois époques différentes. D’abord, le
« oogatchaka baby », considéré comme le premier meme, et qui est apparu sur le web
à la fin des années 1990. Ensuite, le « dramatic chipmunk » qui s’est emparé des
réseaux sociaux en 2007, et qui a été partagé en masse sous différents formats
(vidéos, images, GIF). Enfin, le « and i oop- » qui a rencontré un franc succès sur les
réseaux en 2019. Cette approche permet de comprendre l’impact du temps sur la
connaissance d’un meme par un internaute, afin d’établir un lien entre l’apogée de la
présence d’une génération sur internet et sa connaissance d’un meme diffusé à cette
période.

4.1.3.1.1 « Oogatchaka Baby »

Le « Oogatchaka baby », ou « cha- cha


baby » (figure 20) est une vidéo animée
d’un bébé qui danse le Cha-Cha. Elle a
été publiée sur YouTube en 2006,
propulsant l’animation dans la culture
populaire des internautes, sous forme de
GIF.
Figure 20 : Oogatchaka Baby

75
Il semble logique de commencer l’enquête avec celui qualifié de « premier meme »
de tous les temps, apparu en 1996, et montré aux répondants sous forme de vidéo.
Ils avaient la possibilité de cocher les options « vu sous forme de GIF » ou « vu sous
forme de photo » dans le but de comprendre s’ils ont été confrontés à son format initial
(vidéo) ou à un de ses dérivés (photo ou GIF). Le choix de réponses pouvait être
multiple.

Figure 21 : Résultats
pour le « Cha-Cha
Baby »

Peu de répondants ont semblé connaître ce dernier (figure 21). Ce sont les milléniaux
qui ont donné le plus de réponses positives avec 43%, comparé à 13% chez la
génération Z, le chiffre le plus bas recueilli. Le taux de réponses positives liées à ce
meme est identique pour la génération X et les baby-boomers, avec 26% des deux
échantillons ayant répondu favorablement à la question. Cela corrobore l’idée émise
ci-dessus selon laquelle les générations connaissent majoritairement les memes qui
sont apparus sur le réseau social qu’ils fréquentent. Comme vu précédemment, le
« oogatchaka baby » a été transformé en format « gif » (Graphics Interchange Format)
et partagé sur les réseaux au début des années 2000. Les personnes qui étaient donc
présentes sur Facebook à ce moment-là l’ont inévitablement déjà vu (bien que cet
échantillon soit petit, vu que Facebook s’est réellement démocratisé en 2007). La
génération Z, présente tardivement sur les réseaux et en particulier sur Instagram, n’a
donc probablement pas été confrontée à ce meme.

4.1.3.1.2 « Dramatic Chipmunk »

Toujours dans la progression du temps, nous avons montré le meme « dramatic


chipmunk » (figure 22), apparu en 2007 sous forme de vidéo sur YouTube, puis encore
courant aujourd’hui sous forme de GIF.

76
Le « Dramatic look », ou « dramatic chipmunk » est tiré de l’émission japonaise ‘Hello
Morning !’. L’extrait de l’émission a été modifié lorsque l’utilisateur Magnets99 y a
rajouté un sample audio issu du film Young Frankenstein (arrangement musical par
John Morris, 1974). C’est sous cette forme-là qu’il a été publié sur YouTube en 2007.
Par la suite, il a été transformé en GIF et en image.

Figure 22 : Dramatic
Chipmunk
2

À nouveau, les répondants avaient la possibilité de signaler avoir déjà vu ce meme


sous une autre forme. Concernant les résultats (figure 23), ce sont à nouveau les
milléniaux qui ont été une majorité à prétendre l’avoir déjà vu, suivi cette fois de très
près par la génération Z. On observe un grand contraste avec la génération X dont
seuls 16% des participants ont prétendu avoir déjà vu ce meme, ainsi que la
génération des baby-boomers qui n’ont été que 10% à répondre favorablement. Cela
pourrait être attribué au fait que la génération des milléniaux ait rencontré cette vidéo
sur YouTube et Facebook, à l’apogée de sa popularité, et que la génération Z l’ait
côtoyé sous sa forme de GIF, accessible depuis le logiciel GIF de Facebook,
Instagram et Whatsapp.

Figure 23 : Résultats pour le


« Dramatic Chipmunk »

77
En effet, selon Google Trends, le meme dramatic chipmunk a atteint son pic de
recherches en juillet 2007, puis a baissé radicalement dans les mois qui ont suivi.
Aujourd’hui, les chiffres indiquent que son nombre de recherches a baissé de 99%.
Cela explique pourquoi les milléniaux ont été les plus nombreux à prétendre le
connaître ; il a atteint son apogée lorsque ces derniers se trouvaient en masse sur les
réseaux sociaux.

4.1.3.1.3 « And I oop »

Le dernier meme que nous avons proposé sous format vidéo est beaucoup plus
récent. Dans le but de tenter de mieux comprendre la variation entre les
connaissances de la génération Y de la génération Z, nous avons sondé les
répondants avec le meme « and I oop » qui a atteint l’apogée de sa popularité en
2019. Le « And I oop » ou « Anna Ou » (figure 24) est un extrait d’une vidéo publiée
en 2015 par la drag queen Jasmine Masters, dans laquelle elle se cogne en plein
milieu d’un discours. En 2019, l’extrait de la vidéo a été republié sur YouTube puis
partagé sur Twitter et Instagram sous forme d’image, de vidéo et de GIF.

Figure 24 : « And I Oop »

Ce meme semble être connu en majorité par la génération Z (Figure 25), avec 53%
de réponses positives, soit 33% de plus que dans l’échantillon des milléniaux. Les
membres de la génération X ne sont que 10% à avoir déjà aperçu ce meme, contre
0% chez les baby-boomers.

78
Figure 25 : Résultats pour
« And I Oop »

Ce meme a fait son apparition sur les réseaux récemment, soit au moment où la
génération Z s’est trouvée en âge de côtoyer les réseaux sociaux en masse. Selon
Google Trends, c’est en septembre 2019 que ce meme a atteint son pic de recherche,
et a été partagé massivement sur Twitter et Instagram – deux réseaux majoritairement
côtoyés par la génération Z. Cela explique son succès auprès de cette dernière.

4.1.3.2 Memes sous forme d’Images


Les participants ont ensuite été sondés sur un corpus mémétique de 12 images qui
ont été partagées et modifiées en masse lors des vingt dernières années. En plus des
options « je connais cette image » et « non, je ne connais pas cette image », les
répondants avaient la possibilité de cocher l’option « Je connais une image
semblable » afin de prendre en compte toutes les variantes d’un meme. Tous les
memes présents dans ce corpus ont de nombreuses variantes que les répondants
auraient pu voir – les images exposées dans le questionnaire ayant été sélectionnées
pour leur contenant (le style de meme), plutôt que pour leur contenu.

4.1.3.2.1 « I can haz cheeseburger »

La première image sur laquelle les participants ont été questionnés (figure 26) est à
l’origine du canon mémétique des « Lolcats » (explicité ci-dessus) selon la base de
données Know Your Meme. Ce meme a instigué tout un mouvement autour de la
création de montages issus de photos humoristiques de chats, avec un texte en
« lolspeak » (se référer au point 2.1.3.4.5) qui est sensé refléter le dialogue interne du
chat en question.

79
Figure 26 : I can haz
Cheeseburger

La connaissance de ce meme varie selon les générations (figure 27). Chez la


génération Z, seuls 20% des participants ne connaissent pas cette image, ou un de
ses dérivés mémétiques (c’est-à-dire, une image du type « lolcatz »). Les milléniaux
étaient plus nombreux à ne pas connaître l’image, et ce chiffre n’a fait qu’augmenter
au fil des générations pour atteindre les 73% de participants ne connaissant ni l’image
ni une image semblable, chez les baby-boomers.

100%

Figure 27 : Connaissances
liées à « I can haz
cheeseburger »
50%

Nous avons ensuite sondé les participants vis-à-vis du partage de ce meme, ou d’une
de ses déviations (un processus qui a été reproduit pour les 12 images constituant le
corpus mémétique proposé). En effet, il semble important de comprendre l’impact qu’a
le contenu d’un meme sur sa propagation. Sur les 108 répondants qui ont prétendu

80
connaître ce meme ou un meme semblable, 18 d’entre eux l’ont déjà partagé avec
leur entourage.

100%

50% Figure 28 : Habitudes de


partage lié aux LolCatz

Les tendances liées à la consommation et au partage de ce meme semblent contre-


intuitives (figure 28). Alors que l’outil Google Trends indique qu’il a atteint l’apogée de
sa popularité sur les réseaux en mai 2009, ce sont les participants issus de la
génération Z qui ont été les plus nombreux à connaître ce meme – alors qu’une grande
partie d’entre eux n’étaient pas en âge d’être actifs sur les réseaux à cette époque.
Cependant, les résultats montrent que la majorité d’entre eux n’ont pas vu cette image
en question, mais une autre image du type « Lolcatz ». Il est donc possible qu’ils aient
côtoyé des variations plus récentes de ce type d’image lors de leurs parcours sur les
réseaux. La plateforme « I can haz cheeseburgers », un forum entièrement dédié aux
photos du type Lolcatz, est encore très active aujourd’hui, et la popularité de ce type
de meme ne s’est donc pas estompée avec le temps, contrairement à d’autres memes
vus ci-dessus.

4.1.3.2.2 « Philosoraptor »

Les participants ont ensuite été questionnés


sur le meme « philosoraptor » (figure 29). Ce
meme rentre dans la catégorie des « Advice
Animals » et dépeint un velociraptor « deeply
immersed in metaphysical inquiries or
unraveling quirky paradoxes » (Know Your
Meme, 2009). La première instance de ce
meme provient du forum 4chan en 2009, et Figure 29 : Philosoraptor

81
selon Google Trends, il a atteint l’apogée de sa popularité sur les réseaux en février
2012.

Au niveau des échantillons,


75% des milléniaux et 70%
100%
de la génération Z ont
prétendu connaître ce meme
ou un meme semblable –
50%
une différence notable avec
les générations plus
anciennes, qui étaient une
majorité à ne pas connaître
ce meme (figure 30). Figure 30 : Connaissances liées à « philosoraptor »

Prenant en considération le fait que l’image a atteint son pic en 2012, il se peut que
les deux générations aient côtoyé ce meme au même moment, ce qui expliquerait la
popularité du Philosoraptor chez l’une comme chez l’autre.

Au contraire, les générations plus anciennes ont été nombreuses à affirmer ne pas
connaître cette image ou une image semblable. Il se pourrait qu’elle n’ait pas eu
beaucoup de succès auprès de la génération X et des baby-boomers en raison de sa
nature abstraite, peut-être plus difficilement compréhensible qu’une photo. En effet,
comme beaucoup de memes du style « Advice Animals », le Philosoraptor est issu de
4chan – qui comme nous l’avons vu, est une plateforme difficilement accessible et
produisant du contenu relativement niche.

Cela se voit également au niveau des habitudes de partages du Philosoraptor


(annexes : figure 31), majoritairement partagé par la génération des milléniaux avec
35% de réponses positives à la question concernant le partage de cette image ou
d’une de ses déviations avec autrui. La tendance est légèrement à la baisse chez la
génération Z avec environ 20% de partages, comparée à moins de 5% chez la
génération X et les baby-boomers.

82
4.1.3.2.3 « Success Kid »

L’image suivante sur laquelle les


participants ont été questionnés est
celle du « Success Kid » (figure 32),
qui fait partie du canon mémétique
des « images macros » (abordé ci-
dessus). L’image originale, illustrant
un enfant avec un poing serré date de
2007. Elle a été partagée en masse
sur les réseaux, jusqu’à ce qu’elle soit
transformée en « image macro »
(c’est-à-dire superposée sur un
arrière-fond coloré, avec du texte en
Figure 32 : Success Kid
haut et en bas de l’image) par un
utilisateur de Reddit en 2011.

Selon Google Trends, le nombre de recherches pour « success kid » a atteint son pic
en février 2012 – un tournant au niveau de la fréquentation générationnelle des
réseaux, qui a vu des membres de la génération Z s’y installer progressivement.

On remarque ici une tendance similaire à celle du « Philosoraptor ». En effet, les


milléniaux ont été une majorité à prétendre connaître cette image, ou une image

semblable avec plus de 80% de réponses positives (figure 33). La génération Z a


également été une majorité à connaître cette image avec le même pourcentage de

100%

Figure 33 :
Connaissances
liées à « Success
50% Kid »

83
réponses positives. Les membres de la génération X connaissaient cette image à
56%, suivis de loin par les baby-boomers qui étaient plus de 75% à ne pas connaître
cette image, ou une image semblable. Cela démontre que ce type de meme, au
contenu plutôt abstrait, est peu accessible aux générations qui n’ont pas grandi avec
l’émergence des memes.

Enfin, les tendances de partage liées à cette image étaient plus élevées que pour le
« Philosoraptor », particulièrement chez les milléniaux et la génération Z avec plus de
21% et 40% de partages, respectivement (annexes : figure 34). Il est intéressant de
noter que les baby-boomers qui connaissaient l’image ont été plus nombreux que la
génération X à l’avoir partagée avec leur entourage. Il se pourrait que cette image leur
ait paru plus accessible, ou attendrissante que la précédente, car son protagoniste
n’est pas un personnage fictif abstrait, mais un humain qui fait preuve d’émotions
auxquelles il est possible de s’identifier.

4.1.3.2.4 « Grumpy Cat »

Grumpy Cat (figure 35) est un meme du


type « Image Macro » qui est apparu sur
les réseaux sociaux en 2012 lorsque son
maître a partagé des clichés de lui sur la
plateforme Reddit. Des remix de l’image
initiale avec du texte superposé ont fait
surface dans les semaines qui ont suivi la
publication originale. Selon Google
Trends, la popularité de ce meme a atteint
son apogée en décembre 2012.
Figure 35 : Grumpy Cat

Selon les réponses au questionnaire (figure 36), les milléniaux sont les plus nombreux
à connaître ce meme, soit plus de 80%. Comme pour les memes étudiés
précédemment, la génération Z suit cette tendance de près, alors que la génération X
est loin derrière. Seuls 20% des baby-boomers ont prétendu connaître ce meme. Au
niveau du partage (annexe, figure 37), Grumpy Cat a été peu partagé, mais suit la
tendance des memes précédents, avec le plus de partages provenant des milléniaux,

84
suivi de la génération Z. Cette fois-ci, les baby-boomers se retrouvent en dernière
position au niveau du nombre de partages liés à « Grumpy Cat », derrière la
génération X. Ce résultat est surprenant, car « Grumpy Cat » est devenu un
personnage connu des internautes, et du monde entier lorsque le chat, Tardar Sauce,
a fait la une des médias et a figuré dans de nombreuses publicités.

Il a intégré le statut de
« normie meme » (point
100% 2.1.3.4.1) suite à ses
nombreuses apparitions
dans les médias de masse,
50% et devrait par conséquent
être connu par une grande
partie des répondants, peu
importe leur génération ou
leurs habitudes liées au
Figure 36 : Connaissances liées à Grumpy Cat
web.

4.1.3.2.5 « Bad Luck Brian »

« Bad Luck Brian » (figure 38) est un meme


classifié par Know Your Meme dans la catégorie
des Advice Animals. Cette image, qui représente
le portrait photo d’un adolescent qui sourit avec
des bagues, a fait sa première apparition sur les
réseaux en janvier 2012 sur Reddit. Selon
Google Trends, le meme a atteint le pic de sa
popularité en juin 2012.

Selon les résultats du questionnaire, ce meme est


connu par les plus jeunes générations,
particulièrement chez les milléniaux avec 97% de Figure 38 : Bad Luck Brian

réponses positives.

85
La génération Z suit derrière, avec 75% de réponses prétendant connaître le ce meme,
ou une image semblable. La tendance s’inverse à nouveau avec la génération X, puis
la génération des baby-
boomers, dont 75% ne
100%
connaissent ni « Bad Luck
Brian » ni un de ses dérivés.
Le contraste entre la
50% génération des milléniaux et
celle des baby-boomers est
frappant, mais suit la
tendance observée jusqu’à

Figure 39 : Connaissances liées à Bad Luck Brian présent (figure 39).

En matière de partages (annexes : figure 40), Bad Luck Brian a eu plus de succès
chez les jeunes générations que les memes abordés précédemment, avec 50% de
milléniaux ayant répondu qu’ils avaient déjà partagé cette image, ou une image
semblable, contre 30% chez la génération Z. Le nombre de partages chez les
générations X et baby-boomers reste très bas, conformément aux autres publications
abordées.

4.1.3.2.6 « Rage Comics »

Les participants ont ensuite été sondés sur un personnage tiré des « Rage Comics »
(point 2.1.3.4.4), connu communément sous le nom de « Rage Guy » (figure 41). La
première mention de ce personnage date
de 2008, sur 4chan. Par la suite, d’autres
personnages dessinés de la même
manière (majoritairement avec l’aide de
l’outil MS Paint) ont commencé à
apparaître sur les réseaux. Le pic de
popularité de « rage guy » a été atteint en
novembre 2010, et celui du terme « rage
comics » a été atteint en mars 2012.
Figure 41 : Rage Comics (Rage Guy)

86
Cela montre l’évolution et la
transformation du
100%
meme « rage guy » en
véritable canon mémétique
que forment les « rage
50%
comics ».

Figure 42 : Connaissances liées à Rage Comics

Les résultats concernant la connaissance de cette image et de ses semblables sont


particulièrement édifiants (figure 42). On observe que les milleniaux et les baby-
boomers sont sur deux spectres différents. En effet, les milléniaux sont plus de 95%
à connaître cette image ou une image semblable, alors que moins de 5% des baby-
boomers prétendent connaître le « Rage Guy ». À nouveau, la génération Z suit les
milléniaux de près, et la génération X se démarque avec une connaissance mitigée
d’environ 50% par rapport à ce meme. De tous les memes examinés jusqu’ici, celui-
ci est le plus abstrait. En effet, il n’a pas de sens lorsqu’il n’est pas inscrit dans un
contexte (c’est-à-dire en réponse à un commentaire, ou bien en réaction à une
situation), ce qui lui donne une fonction de « reaction meme ». Sans contexte, il ne
fait de sens qu’aux initiés des rage comics. Cela peut expliquer le contraste flagrant
des différentes générations liées à la connaissance de ce meme et de ses semblables.

Le pic de la popularité des Rage Comics a été atteint en 2012, lors de l’effervescence
des multiples réseaux sociaux présents aujourd’hui. Lorsque l’on observe les
habitudes de partage en lien avec ce meme (annexes : figure 43), on remarque une
vaste différence entre celles des jeunes générations, et celles des générations plus
âgées. En effet, plus de 50% des milléniaux et de la génération Z ont dit avoir déjà
partagé le meme du Rage Guy, ou un meme semblable issu des Rage Comics, contre
moins de 10% pour la génération X, et 5% pour la génération baby-boomer. Ce meme
a donc été largement partagé par, et entre, les générations dites « digital-natives »,
contrairement aux autres générations, qui n’ont donc pas rencontré ce meme lors de
leur présence sur les réseaux.

87
4.1.3.2.7 « Trollface »

Le meme « trollface » illustre un personnage au


sourire machiavélique, dessiné à l’ordinateur
avec le logiciel MS Paint (figure 44). Le meme a
fait son apparition en 2008 sur 4chan, publié par
un utilisateur dans le but d’illustrer les fameux
« trolls » d’internet – un mouvement
d’internautes qui sèment le chaos sur les forums
et les réseaux sociaux avec pour seul et unique
but le fait d’énerver ou de taquiner leurs
contemporains.
Figure 43 : Trollface

Selon les réponses au questionnaire, ce meme est connu par tous les répondants de
l’échantillon de la génération Z (avec 100% de réponses positives) et d’environ 95%
des répondants de la génération des milléniaux.

À nouveau, on observe
un contraste flagrant
100% avec la génération des
baby-boomers, qui sont
95% à prétendre ne pas
connaître ce meme,
50%
suivi de la génération X
avec environ 50% de
réponses positives
liées à la connaissance

Figure 44 : connaissances liées à Trollface


de Trollface (figure 44).

La popularité de ce meme a atteint son pic en mars 2012 (Google Trends) mais
contrairement aux memes qui ont été abordés précédemment, ce dernier a
régulièrement rencontré de nouveaux pics de popularité dans les dernières années
(annexe : figure 45). Cela pourrait expliquer la connaissance de ce meme à l’unanimité
chez les membres de la génération Z. À nouveau, une explication pour le manque de

88
connaissances liées à ce meme ou un meme semblable chez les baby-boomers
pourrait être lié à la nature de l’image, qui est très abstraite et quasiment
incompréhensible lorsqu’elle est sortie de son contexte.

Au niveau du partage de ce meme (annexe : figure 47), environ 40% de l’échantillon


de la génération Z et de celui des milléniaux ont prétendu l’avoir déjà partagé avec
leur entourage, comparé à environ 5% pour la génération X et les baby-boomers. En
effet, si l’on n’est pas initié à la signification de ce meme et à ce qu’il implique (l’acte
de « troller » les autres internautes) il ne fait aucun sens au niveau de son contenu. Il
n’y aurait donc pas de raisons de le partager avec autrui, puisque selon la théorie des
Usages et des Gratifications abordée ci-dessus, il ne contient pas d’humour qui
pousserait l’individu à le partager avec son entourage, et n’offre donc pas de
gratification émotionnelle. Chez les plus jeunes générations par contre, il offre un sens
d’appartenance à la communauté d’internautes initiés à ce type d’image (comme pour
le cas des rage comics).

4.1.3.2.8 « Be like Bill »

« Be like Bill » (figure 48) est une image


caractérisée « d’exploitable meme »
par Know Your Meme. Cela implique
que c’est une image initialement
dépourvue de texte, qui invite les
internautes à la modifier afin d’y donner
le sens qu’ils veulent et pour convier un
message particulier – cet aspect
rappelle l’idée du « besoin de
complément » (point 2.1.5.3.2) émise
par Limor Shifman (2016) selon laquelle
un individu sera plus enclin à modifier et
Figure 48 : Be like Bill
partager du contenu qui nécessite
d’être complété.

89
Selon la base de données, ce meme a fait son apparition sur Reddit en 2015, dans le
but de dénoncer les pratiques des « social justice warriors », c’est-à-dire des
internautes qui s’offusquent et qui s’insurgent lorsqu’ils sont confrontés à des
publications qui ne suivent pas leurs préceptes et leurs croyances. Selon Google
Trends, le meme a atteint son pic de popularité en janvier 2016, pour tomber dans la
désuétude dans les années qui ont suivi.

Selon les réponses, la connaissance de ce meme (figure 49) est mitigée entre
générations. La génération Z a donné environ 95% de réponses positives, suivie par
90% chez les milléniaux. L’échantillon de la génération X a été un peu plus de 55% à
prétendre connaître le meme, la génération des baby-boomers, suivant la tendance
des images précédentes,

100%
n’étaient que 25% à
connaître le meme, avec
une tendance tout de
même plus élevée pour
50%
cette image que pour les
memes sondés ci-dessus.

Figure 49 : Connaissances liées à Be like Bill

Au niveau du partage (annexes : figure 50), les tendances sont plus élevées pour Be
like Bill que pour les memes du style Rage Comics ou Trollface. En effet, environ 50%
des milléniaux et de la génération Z ont prétendu avoir déjà partagé ce meme ou un
meme semblable, et les membres de la génération X et des baby-boomers ont été
plus nombreux en matière de partage de ce meme, avec environ 15% chez la
génération X et 10% chez les baby-boomers. Il se pourrait que cela soit lié à la fonction
« exploitable » de Be Like Bill, et au fait qu’il n’ait pas besoin d’être placé dans un
contexte spécifique pour être compris par les internautes.

4.1.3.2.9 « Jealous Girlfriend »

« Jealous Girlfriend », aussi connu sous le nom de « Distracted Boyfriend » (figure 51)
est un meme issu d’une image illustrant un homme qui se retourne pour observer une

90
femme alors qu’il tient
la main de sa conjointe.
D’origine, cette image
provient de « iStock »,
une base de photos de
libre droits (aussi
appelées des « stock
photos »). La première
modification de l’image
date de 2017, lorsqu’un
Figure 51 : Jealous Girlfriend
utilisateur Facebook y a
superposé du texte. Par la suite, des variantes avec d’autres messages textuels ont
commencé à circuler sur les réseaux. Le texte qui figure sur l’image illustre
typiquement un conflit d’intérêts, représenté par l’homme qui se retourne pour
regarder quelque chose qu’il ne devrait pas regarder, alors que sa conjointe se trouve
juste à côté.

Selon Google trends, l’image a atteint l’apogée de son succès en aout 2017, ce qui
coïncide avec le moment où un utilisateur de Reddit a publié une variante liée aux
éclipses solaires (figure 51), qui a été partagée en masse sur les réseaux,
particulièrement sur Instagram (Know Your Meme, 2017).

Face à cette image, (figure 52), la génération Z a prétendu connaître cette image, ou
une image semblable à l’unanimité avec 100% de réponses positives, suivies par 95%
chez les milléniaux.
Tout comme pour
100%
l’image précédente, la
génération X est
divisée, mais une
50% majorité, soit 63%, a
prétendu connaître le
meme ou un meme
semblable. Enfin, la
Figure 52 : Connaissances liées à Jealous Girlfriend tendance chez les

91
baby-boomers augmente légèrement comparée aux images précédentes, avec
environ 20% de réponses positives.

Les tendances liées au partage de cette image (annexes : figure 53) indiquent que
« Distracted Boyfriend » est le meme qui, jusqu’à présent, a été le plus partagé par la
génération Z. En effet, plus de 60% des répondants issus de cette catégorie ont
prétendu l’avoir déjà partagée. Cette tendance s’inverse chez les milléniaux, qui ne
sont que 30% a avoir déjà partagé ce meme ou un meme semblable. La génération X
et les baby-boomers n’ont été que 10% à donner une réponse positive, mais
proportionnellement aux nombres de personnes ayant prétendu connaître le meme,
les baby-boomers sont plus nombreux à l’avoir partagé. En ce qui concerne les
résultats de partage pour la génération Z, cela peut être expliqué par l’omniprésence
de cette image sur Instagram, le réseau le plus fréquenté par cette génération (Global
Digital Overview, 2019). Les résultats de partage relativement élevés des baby-
boomers peuvent être expliqués par l’aspect accessible de l’image, qui contrairement
à d’autres memes vus ci-dessus, n’a pas besoin de s’inscrire dans un contexte précis
pour être appréciée.

4.1.3.2.10 « Relatable memes »

Pour tenter de comprendre l’impact du contenu mémétique sur sa propagation


massive, il est important d’établir un lien entre le contenu et la manière dont il peut
affecter les personnes qui le
visionnent. Alors que certains des
memes étudiés ci-dessus étaient
plutôt liés à l’humour, et produits ou
propagés dans le but de rire, ou de
faire rire de par leur nature absurde
(les Advice Animals, ou les Images
macros), les « relatable memes »
sur lesquels nous nous attardons à
présent sont plutôt crées et

Figure 55 : Relatable memes

92
consommés dans le but de représenter des situations quotidiennes, auxquelles les
internautes pourraient s’identifier eux-mêmes, ou bien des personnes de leur
entourage. Ce type de meme s’est popularisé dans les dernières années et leur
succès reste relativement stable comme le montre Google Trends (annexes : figure
54). Pour représenter le canon des images qui rentrent dans la catégorie des
« relatable memes », nous avons choisi un des memes les plus populaires de ce style,
selon Know Your Meme. Il s’agit ici du personnage de Kermit la grenouille couchée
sur un lit, avec un texte qui représente la fainéantise et la procrastination que l’on peut
ressentir au quotidien (figure 55).

Les réponses positives concernant la connaissance de cette image ne sont pas aussi
nombreuses que pour les images précédentes (Figure 56). Il se pourrait que cela soit
parce que ce n’est pas tant l’image en soi qui est connue, mais plutôt la catégorie
« relatable » dans laquelle elle se trouve. Environ 90% de la génération Z prétend
connaître cette image, suivie des milléniaux qui sont moins nombreux avec 70% de
réponses positives. La
génération X n’est pas loin
100%
derrière les milléniaux, avec
45% de participants qui ont
dit connaître cette image.
50% Enfin, les baby-boomers
suivent à la hausse la
tendance observée jusqu’à
présent, avec 15% de
réponses positives.
Figure 56 : Connaissances liées au Relatable Memes

Les tendances liées au partage de ce meme, ou de memes semblables (annexes :


figure 57) sont à la baisse comparées au meme précédent (« Distracted Boyfriend »).
En effet, 46% de l’échantillon de la génération Z a répondu avoir déjà partagé cette
image ou une image semblable. Le taux de partages baisse ensuite progressivement
au fil des générations : 26% des milléniaux ont prétendu qu’ils avaient déjà partagé
cette image ou une image semblable, suivis de 10% chez la génération X et de 5%
chez les baby-boomers. Ce bas taux de connaissance et de partage chez la

93
génération X et les baby-boomers pourrait être attribué au fait que ce type de meme
est plutôt présent sur des plateformes sociales plus récentes et plus fréquentées par
la génération Z et les milléniaux comme Instagram et Twitter, comme nous allons le
voir.

4.1.3.2.11 « Twitter Meme »


4.1.3.2.11.1 Image et Texte

Dans son article, intitulé The


Evolution of Memes, Perry
Kostidakis explique que dans les
dernières années, le phénomène
mémétique a migré depuis les
forums, puis Facebook, envers
des plateformes sociales plus
modernes comme Instagram et
Twitter. Selon lui, il y existe de
plus en plus de comptes dédiés
exclusivement à la production et
au partage de memes qui ont
Figure 58 : Twitter Meme (image et texte)
accumulé un public massif (2019).

Cela a contribué à la création d’un type particulier de memes, les « twitter memes »,
provenant en majorité de cette plateforme. Les « twitter memes » existent sous de
nombreuses formes, et peuvent contenir des images avec du texte, ou simplement du
texte – un nouveau format de contenu mémétique qui est apparu sur les réseaux dans
les dernières années. Ces memes sont généralement de l’ordre du « relatable
meme », c’est-à-dire qu’ils illustrent des situations du quotidien auxquelles l’internaute
peut s’identifier. La première image du type « twitter meme » qui a été montré aux
participants de l’enquête contient du texte et deux photos. On y voit un garçon qui fait
une grimace humoristique (les deux images semblent être le même garçon à quelques
années d’écart). Le texte superposé sur l’image représente un échange entre un
auxiliaire de vente et un client, qui donne une réponse absurde lorsque l’auxiliaire de
vente lui demande s’il peut faire quelque chose pour lui (figure 58). Ce type de

94
scénario illustre l’incongruité entre le client, qui se croit drôle, et l’auxiliaire de vente
qui semblablement a souvent à faire à ce genre de réplique.

Confrontés à cette image, 80% de l’échantillon de la génération Z a prétendu l’avoir


déjà vu, ou avoir vu une image semblable, contre 65% pour les milléniaux (figure 59).

La génération X a été peu nombreuse à connaître ce meme ou un meme semblable,


avec seulement 35% de réponses positives. Enfin, aucun des répondants du groupe
des baby-boomers n’a prétendu connaître cette image, alors que seuls 10% d’entre
eux ont dit avoir déjà vu une image semblable. Cela revient sans doute à leur présence
en faible nombre sur Twitter et Instagram (Global Digital Report, 2019), qui explique
le fait qu’ils n’aient pas ou peu été confrontés à ce type de meme.

100%

Figure 59 : Connaissances liées


au Twitter Meme (image et texte)
50%

Au niveau du partage lié à cette image ou à une image semblable (annexes : figure
60), la génération Z a été nombreuse à répondre de manière positive. Environ 45%
d’entre eux ont prétendu avoir déjà partagé cette image ou une image semblable avec
leur entourage, contre 23% chez les milléniaux. La génération X a été peu nombreuse
à donner une réponse positive liée au partage, avec seulement 6% de répondants
ayant prétendu qu’ils avaient déjà partagé cette image ou une image semblable. Enfin,
tous les participants issus de la génération des baby-boomers ont prétendu ne jamais
avoir partagé cette image ou une image similaire. Cela peut-être expliqué par le fait
que ces derniers sont peu nombreux sur Twitter et Instagram.

5.1.3.2.11.2 Texte uniquement

Comme mentionné précédemment, les Twitter Memes peuvent avoir différents


formats. C’est pour cette raison que les participants ont été sondés sur les deux

95
formats les plus répandus sur les réseaux en ce moment : les memes constitués
d’images avec du texte, et les memes avec du texte uniquement. Ce deuxième
« Twitter Meme » fait donc partie de la deuxième catégorie. La popularisation des
memes textuels est due à leur provenance : ils sont pour la majeure partie issu de
Twitter, un réseau dont la caractéristique principale fait que les publications ont un
nombre limité de caractères, comme explicité dans le point 2.1.4.1.2. Cela invite ses
utilisateurs à faire preuve de créativité pour s’exprimer de la manière la plus concise
possible – contrairement à d’autres réseaux comme Facebook ou Instagram. Twitter
partage des similitudes avec 4chan, Reddit ou encore Vine dans le fait d’avoir un type
d’humour très précis, souvent en rapport avec l’autodérision. C’est un lieu où la
génération Z et les milléniaux peuvent partager leur ressenti, leurs problèmes ou leurs
expériences avec une communauté d’utilisateurs capables de compatir.

Figure 61 : Twitter Meme


(texte)

Dans le cas du Twitter Meme ne contenant que du texte (figure 61), la génération Z a
été la plus nombreuse à prétendre connaître ce meme, ou un meme semblable avec
65% de réponses positives (figure 62). La génération des milléniaux a suivi ce résultat

100%

Figure 62 : Connaissances
liées au Twitter
50%
Meme (texte)

96
de très près, avec 60% de réponses positives. Enfin, les résultats de la génération X
et celle des baby-boomers se suivent également, mais dans la tendance inverse, avec
25% de réponses positives et 15% de réponses positives, respectivement. Ces
résultats étaient prévisibles au vu du réseau sur lequel ce type de meme se propage.

Les plus jeunes générations, davantage actives sur Twitter et Instagram, y ont sans
doute été plus souvent confrontées.

En ce qui concerne le partage de ce type de meme, la génération Z et les milléniaux


ont été nombreux à prétendre en avoir déjà partagé avec environ 50% de réponses
positives dans les deux échantillons (annexes : Figure 63). La génération X se trouve
loin derrière, avec seulement 10% de personnes ayant déjà partagé ce meme, ou un
meme semblable. Enfin, aucun des baby-boomers issus de l’échantillon n’a déjà
partagé ce meme ou un meme semblable. Selon Limor Shifman, les memes à base
de texte et qui ne contiennent pas d’images sont plus difficiles d’accès, car ils semblent
moins attrayants en raison de leur format plus monotone (2016). De plus, l’algorithme
de plateformes telles que Facebook, Instagram ou Twitter favorisent les publications
contenant des photos. Les Twitter Memes constitués uniquement par du texte seront
donc moins visibles, à moins d’être explicitement recherchées par les internautes, ou
partagés en masse par la suite sur d’autres réseaux. De manière générale, les
résultats indiquent que ce type de publication a plus de succès auprès des plus jeunes
générations.

4.1.4 Habitudes liées aux Memes

La troisième partie du questionnaire a


pour but de comprendre les raisons
derrière la consommation, la production
et le partage de memes afin de voir si ces
aspects varient selon les générations.
Pour cela, les répondants ont été
présentés avec une image du style
« Relatable Meme » qui a pour but
d’illustrer une situation à laquelle les

Figure 64 : Relatable Meme

97
internautes pourraient s’identifier (figure 64). Le meme représente deux photos d’un
homme avec des écouteurs – une prise de loin, et une prise de plus près. On y voit
l’homme qui semble écouter de la musique en regardant à sa gauche de manière
suspecte. Le texte au-dessus des images décrit une situation dans laquelle une
personne a ses écouteurs, mais éteint la musique afin d’écouter une conversation qui
se passe à côté de lui. On observe d’abord une incongruité entre le texte et l’image –
un aspect typique des memes que l’on a abordé précédemment. En observant la
photo, on imagine que l’homme écoute de la musique, mais lorsqu’on lit le texte on se
rend compte que ce n’est pas le cas. La tournure de la phrase est faite de manière à
aider l’internaute à se projeter personnellement dans la situation, car elle le vise
directement en commençant par « when you » (« quand tu ») – un autre aspect central
aux « relatable memes » car cela participe à établir une relation entre l’internaute et
l’image qu’il visualise.

Il a été demandé aux participants de cocher les affirmations auxquelles ils s’identifient
le plus par rapport à ce type d’image. Ils pouvaient choisir entre « Tout à fait
d’accord », « Plutôt d’accord », « Plutôt pas d’accord » et « Pas du tout d’accord ».

4.1.4.1 L’identification personnelle

La première question qui a été posée aux participants vis-à-vis de cette image
concerne l’identification personnelle. On remarque un grand contraste entre les
réponses issues des Digital Natives, et celles issues des générations plus âgées. En
effet, environ 80% des répondants issus de la génération Z ont répondu être « Tout à
fait d’accord » ou « Plutôt
d’accord » avec le fait de
100%
s’identifier à ce type
d’image. Les milléniaux
suivent cette tendance

50%
avec environ 75%
réponses positives. En
revanche, la génération X
et celle des baby-boomers
ont toutes deux exprimé un
Figure 65 : Identification personnelle liée au meme

98
désaccord avec cette affirmation, en étant plus de 70% pour la génération X et 90%
pour la génération des baby-boomers à répondre « Plutôt pas d’accord » et « Pas du
tout d’accord » concernant le fait de s’identifier à ce type d’image.

4.1.4.2 Le partage avec l’entourage

Selon Limor Shifman, un usager aura tendance à partager du contenu mémétique


avec son entourage dans un but de gratification personnelle ou de gratification sociale
(122 : 2018). Lorsqu’un internaute partage un contenu auquel le destinataire peut
s’identifier, il obtient un sentiment de gratification personnelle parce qu’il a su déceler
du contenu qui a plu à son entourage, ainsi qu’un sentiment de gratification sociale
parce qu’il contribue au renforcement de son lien avec le destinataire en lui envoyant
quelque chose qui lui a procuré une émotion positive de l’ordre du bonheur ou de la
rassurance. Nous avons vu que la deuxième raison donnée par toutes les générations
concernant le partage de contenu mémétique était le fait que les répondants arrivaient
à y reconnaître des personnes de leur entourage (figure 5). Cependant, les réponses
à la question concernant le fait de partager un « relatable meme » avec leur entourage
sont très divisées (figure 66). Les générations Z et Millénariales semblent mitigées par
rapport à cette affirmation. En effet, les deux échantillons ont été 60% et 53% à
répondre « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » au fait de partager ce type
d’image avec leur entourage. Comme pour l’affirmation précédente, le contraste avec
les deux générations qui les précèdent est flagrant. Plus de 70% de la génération X
et 90% des baby-boomers
ont prétendu ne pas être
100%
d’accord du tout concernant
le fait de partager de type
d’image avec leur
50%
entourage.

Figure 66 : Le partage avec l’entourage

99
4.1.4.3 La création de ce type d’image

Les résultats liés à cette affirmation (figure 67) se recoupent avec ceux concernant la
production de memes en général (figure 17). La majorité des répondants, toutes
générations confondues, ont prétendu ne pas être d’accord avec le fait de créer ce
type d’image et de le partager avec leur entourage. Comme dans le cas de la figure
17, la génération Z est celle qui a répondu avec le plus de réponses positives. Environ
45% de cet échantillon a prétendu être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord »
avec cette affirmation, un taux égal à celui ayant répondu favorablement au fait de
produire des memes en général. L’échantillon des milléniaux a été moins nombreux
avec environ 26% de réponses « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord »
concernant le fait de créer un meme de ce type, soit 4% de moins que dans le cas de
la figure 16. Alors que 10% des répondants de la génération X et des baby-boomers
avaient prétendu avoir déjà créé un meme, ici la tendance est à la baisse avec
seulement 7% de réponses positives liées à la création d’un meme du type
« relatable » chez la génération X, contre 4% pour l’échantillon issu des baby-
boomers. Il semblerait donc que la génération Z soit tout aussi capable de créer un
meme du type « relatable » que n’importe quel autre type de meme, alors que les
milléniaux, la génération X et les baby-boomers sont moins enclins à créer un meme
du style « relatable », dans le but de partager un ressenti ou une émotion avec leur
entourage, que de créer quelconque autre type de meme.

100%

Figure 67 : la création de
50% ce type d’image

100
4.1.4.4 La compréhension de ce type d’image

L’idée de l’accessibilité mémétique qui a été abordée ci-dessus joue un rôle indéniable
dans la compréhension de certains memes. Alors que l’image (figure 64) sur laquelle
les participants ont été sondés n’a pas besoin d’être inscrite dans un contexte
spécifique pour avoir du sens contrairement à d’autres memes que nous avons étudié
ci-dessus (Rage Comics, Trollface), elle n’est tout de même pas forcément accessible
à toutes les générations d’internautes. D’abord, de par le fait qu’elle s’inspire d’un style
d’image communément partagé sur des réseaux tels qu’Instagram et Twitter, et que
pour réellement en comprendre tout son sens, il faut avoir des connaissances liées au
style des« Twitter Memes » ou « Relatable Meme ». Ensuite, en raison de la
formulation qu’elle emploie, souvent familière, qui s’adresse directement à son public.
Enfin, parce qu’elle illustre la plupart du temps des situations auxquelles pas toutes
les générations peuvent s’identifier. On remarque ici le « digital divide » évoqué par
Henry Jenkins (2006) : en effet, les habitudes des diverses générations liées à la
technologie diffèrent. Prenant le cas de l’image sur laquelle les participants ont été
sondés concernant la compréhension de ce type de meme (figure 64), on peut noter
des différences liées aux habitudes d’écoute de musique dans les lieux publics. Les
plus jeunes générations effectuent souvent des activités quotidiennes en écoutant de
la musique sur leur smartphone (dans les transports en commun, en faisant les
courses, en marchant dans la rue) alors que les baby-boomers, par exemple, n’ont
pas ce réflexe (Reuters, 2020). Confrontés à cette image, non seulement les baby-
boomers d’arriveront pas forcément à s’y identifier, mais ils seront donc moins
nombreux à la comprendre.

100%

Figure 68 : 50%
Compréhension de ce
type d’image

101
On constate en effet que l’échantillon des baby-boomers est celui qui contient le plus
de réponses « Tout à fait d’accord » et « Plutôt d’accord » avec plus de 60% de
réponses concernant le fait de ne pas comprendre ce type d’images (Figure 68). En
revanche, la tendance s’inverse chez les plus jeunes générations. Les participants
issus de la génération Z ne sont que 13% à ne pas comprendre ce type d’image,
comparé à 3% chez les milléniaux. Enfin, la génération X est mitigée, avec environ
50% des répondants qui sont « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt pas d’accord »
concernant le fait de ne pas comprendre ce type d’image. Dans l’ensemble, les
participants prétendent comprendre ce type d’image, hormis la majorité des baby-
boomers – sans doute pour les raisons explicitées ci-dessus.

4.1.5 Analyse en temps de crise

Le questionnaire a été produit en mars 2020, et distribué sur les réseaux en avril 2020,
lors du premier semi-confinement lié au Covid-19 en Suisse. Il a donc semblé propice
de tenter de tester la théorie de la « Règle des 3 C » émise par Lisii Lainest, selon
laquelle les internautes produisent, consomment et partagent plus de contenu lors de
crises, de conflits ou de catastrophes (1030, 2016). Il s’agirait d’un mécanisme
psychologique qui consiste en une sélection émotionnelle de contenu afin d’affronter
une situation anormale en partageant son ressenti et son vécu avec autrui.

Pour tester cette théorie, les participants ont été confrontés à quatre memes du type
« relatable » en lien avec diverses situations provoquées par le Covid-19. Il leur a été
demandé de cocher les affirmations qui leur semblaient pertinentes de manière à
établir un comparatif entre leurs réponses liées à la production, au partage et à la
consommation de memes en général versus en temps de crise sanitaire.

102
Figure 69 : « relatable meme » en
lien avec le semi-confinement

Figure 70 : « relatable meme »


en lien avec la désinfection des
mains

103
Figure 71 : « relatable meme » en
lien avec les cours sur Zoom

Figure 72 : « relatable meme » en lien


avec la fermeture des écoles, de la
perspective d’un parent

104
Les quatre memes présentés ci-dessus ont été choisi, car ils représentent des
situations auxquelles presque tous les participants ont été confrontés lors de la
première vague de cas Covid-19 en Suisse. La figure 57 illustre le contraste flagrant
qui a été constaté vis-à-vis des habitudes du quotidien. En effet, les restrictions liées
aux activités en groupe et aux déplacements ont provoqué en véritable essor dans les
activités sportives et les promenades dans les lieux publics en Suisse. La figure 58
illustre l’impact (exagéré) de la désinfection fréquente des mains au quotidien. La
figure 59 illustre l’adaptation des étudiants aux plateformes de cours en ligne comme
Zoom, et la possibilité de débuter la journée de cours chez soi, en pyjama, ou bien
tout fraichement levé du lit, ainsi que la panoplie de visages des différents élèves,
souvent en décalage les uns avec les autres (certains bien habillés, d’autres en
jogging, certains avec une mauvaise connexion, ou une webcam de piètre qualité). La
figure 60 illustre le ressenti des parents, confrontés au fait de devoir garder leurs
enfants à la maison et veiller à ce qu’ils suivent les cours en ligne, et donc obligés de
passer leurs journées avec, contrairement au fait de pouvoir les déposer à l’école.

4.1.5.1 Identification personnelle en temps de crise

Lorsque les participants avaient été sondés vis-à-vis des « relatable memes » du
quotidien (figure 64), les générations semblaient être divisées concernant le fait de
s’identifier au contenu mémétique. Tandis que 80% de la génération Z et 75% de la
génération des milléniaux avaient répondu qu’ils arrivaient à s’identifier au contenu du
type « relatable memes », seuls 30% de la génération X et 10% de la génération des
baby-boomers avaient prétendu pouvoir s’identifier à ce type de contenu.

Les réponses liées au fait


de pouvoir s’identifier à du
100%
contenu mémétique en lien
avec la crise du Covid-19
ont bouleversé la tendance
50%
chez les générations plus
âgées (figure 73). En effet,
60% des répondants issus
de la génération X ont
Figure 73 : Identification personelle en cas de crise

105
signalé être « Tout à fait d’accord » et « Plutôt d’accord » avec l’affirmation liée à
l’identification personnelle, contre 50% de réponses positives chez les baby-boomers.
On remarque donc une augmentation non négligeable du taux de répondants qui
arrivent à s’identifier à du contenu lorsqu’il est en rapport avec une crise actuelle.
Concernant les plus jeunes générations, les chiffres sont similaires à ceux recueillis
dans la figure 64, avec 80% de réponses positives du type « Tout à fait d’accord » et
« plutôt d’accord » chez la génération Z et chez la génération des milléniaux.

4.1.5.2 Identification d’autrui en temps de crise

On observe dans la figure 12, en rapport avec les motivations derrière la sauvegarde
de photos et de vidéos, que l’identification d’autrui est une des raisons principales
derrière le fait de sauvegarder du contenu mémétique. En effet, selon Limor Shifman,
l’individu obtient une gratification personnelle lorsqu’il partage un contenu du type
« relatable » avec des membres de son entourage – comme vu précédemment.
Lorsque les participants ont été sondés sur la question concernant l’identification de
leur entourage à des images du type « relatable meme » en rapport avec la crise du
Covid-19 (figure 74), la majorité d’entre eux ont répondu qu’ils étaient « Tout à fait
d’accord » et « Plutôt d’accord » avec le fait que leur entourage pourrait s’identifier à
ce type de contenu mémétique. En effet, 80% des répondants de la génération Z et
86% des répondants issus de la génération des milléniaux ont répondu de manière
positive à cette question. La génération X n’était pas loin derrière avec 66% de
réponses de l’ordre du « Tout à fait d’accord » et « Plutôt d’accord », suivie par la
génération des baby-
boomers qui étaient 53%

100%
à répondre de manière
positive à cette question.
Il semble donc qu’un
50% grand nombre des
participants de l’enquête
soit plutôt d’accord avec
le fait que leur entourage
puisse s’identifier à du
Figure 74 : Identification d’autrui en cas de crise
contenu mémétique en

106
rapport à la crise du Covid-19. Comme vu précédemment, reconnaître quelqu’un de
son entourage dans un contenu mémétique encourage l’individu à le partager. Cela
pourrait donc en partie expliquer pourquoi le contenu mémétique en rapport avec une
catastrophe, un conflit, ou une crise, se propage aussi massivement.

4.1.5.3 Partage en temps de crise

Lorsque les participants ont été sondés sur le fait de partager du contenu mémétique
ordinaire avec leur entourage (figure 66), les générations Z et milléniaux ont été 60%
et 53%, respectivement, à répondre qu’ils partageraient des images du type
« relatable meme », comparé à 30% de réponses positives chez la génération X et les
baby-boomers. Cette tendance a largement augmenté lors de la crise du Covid-19,
particulièrement chez les générations plus âgées (figure 75). En effet, 50% des
répondants issus de la génération X et 60% des répondants issus de la génération
des baby-boomers ont prétendu être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord »
avec le fait de partager des images du type « relatable memes » en rapport avec la
situation du Covid-19 avec leur entourage – soit presque le double de réponses
positives qu’en temps normal. Environ 70% de la génération Z et des milléniaux ont
répondu « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait de partager ce type
de meme avec leur entourage, avec un taux légèrement plus positif chez les
milléniaux.

Ces tendances démontrent


100%
le fait que le partage
mémétique augmente en
temps de crise – il reste à
comprendre les 50%

mécanismes derrière cette


augmentation.

Figure 75 : Partage de contenu mémétique en temps de crise

107
4.1.5.4 Production mémétique en temps de crise

Nous nous sommes déjà attardés sur la production de contenu mémétique par les
différentes générations. Il est cependant intéressant de voir si le taux observé jusqu’à
présent varie lorsque les individus se trouvent en situation de crise. Lorsque les
participants ont été sondés sur le fait de produire et partager du contenu mémétique
du type « relatable meme » (figure 67), la majorité des participants a prétendu ne pas
participer à ce genre d’activités. Chez la génération Z, environ 45% de répondants ont
prétendu être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait de créer un
même du type « relatable », contre 26% chez les milléniaux. En ce qui concerne la
génération X, seuls 7% des répondants ont été « Tout à fait d’accord » ou « plutôt
d’accord » avec le fait de créer du contenu mémétique auquel leur entourage pourrait
s’identifier. Enfin, la génération des baby-boomers a donné le taux de réponses
positives le plus faible des divers échantillons, où seuls 4% des répondants ayant
prétendu qu’ils pourraient créer du contenu du type « relatable meme » et le partager
avec leur entourage.

Il semblerait que la tendance change légèrement dans le cadre de la crise du Covid-


19 (figure 76). Le taux de réponses de l’ordre du « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt
d’accord » avec le fait de créer un meme du type « relatable » en cas de crise était le
même que dans le cas d’une situation normale (figure 67) chez la génération Z avec
45%. La tendance de production mémétique chez les milléniaux a augmenté de 10%
en cas de crise avec 36% de réponses favorables. Chez la génération X, le nombre
de répondants « Tout
à fait d’accord » ou
« Plutôt d’accord » a 100%

doublé, avec 14% de


réponses positives.
Enfin, la plus grande
50%
augmentation est liée
à la génération des
baby-boomers.

Figure 76 : production mémétique en temps de crise

108
Les participants de cet échantillon ont été 20% à répondre qu’ils pourraient créer un
meme du style « relatable » en cas de la crise du Covid-19, soit cinq fois plus
nombreux qu’en temps normal.

4.1.5.5 Sentiment de communauté en temps de crise

Selon Lisii Laineste, le partage mémétique en temps de conflit, de catastrophe ou de


crise est multiplié, entre autres, car le contenu mémétique peut contribuer à la création
d’une communauté ou au sentiment d’appartenance à un groupe qui affronte une
épreuve ensemble (1031 : 2016). Il peut donc aider l’individu à se sentir plus connecté,
et moins seul face à ses émotions et son ressenti lors d’évènements qui sortent de
l’ordinaire. Pour cette raison, il a semblé important de questionner les participants sur
cet aspect (figure 77). Selon les résultats, la génération Z a été celle qui a répondu
avec le plus de réponses positives. Les répondants issus de cet échantillon ont été
plus de 80% à répondre qu’ils étaient « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » à
trouver que les images du type « relatable memes » liées à la crise du Covid-19 les
aidaient à savoir qu’ils n’étaient pas seuls à ressentir certaines émotions provoquées
par la situation. Les milléniaux ont été légèrement plus nombreux à répondre la même
chose, avec 86% de
réponses positives.
Enfin, les générations
100%
X et des baby-
boomers ont tous deux
été 43% à répondre
50%
« Tout à fait d’accord »
ou « Plutôt d’accord »
avec l’affirmation de la
figure 77.
Figure 77 : Sentiment de communauté en temps de crise

4.1.5.6 Augmentation du partage de contenu en temps de crise

Nous avons observé au point 4.1.5.3 que les participants ont été plus nombreux à
prétendre partager du contenu de type « relatable meme » en rapport avec la crise du

109
Covid-19 (figure 75) comparé à leurs habitudes de partage en temps ordinaire (figure
66). Il est donc important de comprendre s’ils sont conscients de cette augmentation,
et s’ils ont constaté une augmentation dans leurs habitudes de partage pendant la
pandémie.

Les résultats montrent qu’une partie non négligeable des répondants ont prétendu
avoir partagé davantage de contenu mémétique depuis le début de la crise du Covid-
19 (figure 78).

La moitié de
100%
l’échantillon de la
génération Z (50%) a
répondu être « Tout à

50% fait d’accord » ou


« Plutôt d’accord »
avec cette
affirmation. Les
milléniaux ont été
Figure 78 : augmentation du partage de contenu en temps de crise
moins nombreux à
manifester un accord avec cette affirmation – seuls 40% d’entre eux ont répondu que
leurs habitudes liées au partage de contenu avaient augmenté lors de la crise. La
génération X a suivi cette tendance de près, avec 43% de réponses positives liées à
l’affirmation. Enfin, l’échantillon des baby-boomers a été celui contenant le plus de
réponses positives, avec 53% des répondants ayant exprimé être « Tout à fait
d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait d’avoir envoyé davantage d’images et de
vidéos à leur entourage en lien avec la pandémie depuis le début de la crise. C’est la
première fois que les résultats donnés par les différentes générations sont aussi
homogènes.

En effet, jusqu’à présent, les tendances de la génération X, mais surtout de la


génération des baby-boomers, étaient relativement opposées à celles des plus jeunes
générations. Il semblerait donc que la situation de crise actuelle ait augmenté les
habitudes de partage des quatre générations, en particulier chez les baby-boomers.
Alors que ces derniers n’étaient que 36% à prétendre partager du contenu sur les

110
réseaux (figure 4) et 10% à prétendre partager une image du type « relatable meme »
ordinaire, ils ont été les plus nombreux des quatre générations sondées à affirmer
qu’ils partageaient plus de contenu depuis le début de la crise du Covid-19.

4.1.5.7 Augmentation de la réception de contenu en temps de crise

Afin d’obtenir une


meilleure idée des
tendances liées à
100%
l’augmentation du
partage mémétique
en temps de crise, il
50%
est important de
connaître les
tendances liées à la
réception de contenu
mémétique chez les Figure 79 : Augmentation de la réception de contenu en temps de crise

répondants. Pour cette raison, les participants ont été sondés sur l’augmentation de
la quantité de contenu reçu par leur entourage depuis le début de la crise du Covid-
19. Selon les résultats illustrés par la figure 78, tous les échantillons générationnels
ont constaté une augmentation au niveau de leurs habitudes de partage. Cela devrait
donc se ressentir dans les résultats liés à l’augmentation du contenu reçu.
En effet, plus de la moitié des échantillons issus de toutes générations ont répondu
qu’ils avaient reçu davantage de contenu mémétique de la part de leur entourage
depuis le début de la pandémie (figure 79). Les répondants issus de la génération Z
ont été les plus nombreux à être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord », avec
un taux de 83% de réponses favorables concernant l’affirmation. Les répondants issus
de la génération des milléniaux ont été 60% à constater une augmentation au niveau
du contenu mémétique reçu de la part de leur entourage. La génération X a suivi cette
tendance de près, avec 66% de réponses positives liées à l’augmentation du contenu
reçu. Enfin, les répondants issus de la génération des baby-boomers ont été 70% à
être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait d’avoir reçu un nombre
plus élevé d’images et de vidéos depuis le début de la pandémie.

111
4.1.5.8 Partage de contenu en lien avec la crise

Les résultats concernant le partage et la réception de contenu mémétique analysés


ci-dessus montrent qu’ils augmentent, en moyenne, de 46% concernant le partage de
contenu, et de 70% concernant la réception de contenu. Il est désormais temps de
tenter de comprendre la nature de ce contenu, et s’il a un rapport intrinsèque avec la
crise même. Pour cette raison, les participants ont été sondés sur le contenu partagé
lors de la pandémie.

Les tendances liées au contenu partagé en temps de crise varient entre les
générations (figure 80). En effet, les répondants de la génération Z ont été 56% à être
« Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec l’affirmation selon laquelle le
contenu qu’ils ont partagé depuis le début de la crise avait le plus souvent un lien avec
la pandémie du Covid-19, contre seulement 36% pour l’échantillon des milléniaux. La
génération X, elle, a été 56% à prétendre partager en majorité du contenu en rapport
avec la crise. Enfin, les tendances mémétiques en temps de crise chez les baby-
boomers continuent à être plus élevées que les autres générations : 70% de
l’échantillon a prétendu être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait
que la majorité du contenu qu’ils ont partagé en période de crise avait un rapport avec
la pandémie. Il
semblerait donc que
la situation de crise
100%
ait radicalement
modifié les habitudes
de partages des
50%
baby-boomers, ce
qui suit la tendance
démontrée jusqu’à
lors.
Figure 80 : Partage de contenu en lien avec la crise

112
4.1.5.9 Réception de contenu en lien avec la crise

Les participants ont ensuite été questionnés sur la nature du contenu mémétique qu’ils
ont reçu depuis le début de la crise du Covid-19, afin de comprendre s’il était différent
du type de contenu reçu en temps normal. Comme l’illustre la figure 80, une grande
partie des participants ont prétendu envoyer davantage de contenu en lien avec le
Covid-19 depuis le début de la pandémie. Il est donc aisé d’imaginer que le contenu
qu’ils ont reçu de leur entourage suit cette même tendance.

Selon les résultats, plus que de 70% des répondants, générations confondues, a
prétendu avoir reçu en majorité du contenu ayant un rapport avec la pandémie du
Covid-19 depuis le début de la crise (figure 81). Les participants de génération Z ont
été les plus nombreux, avec 83% à répondre être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt
d’accord » avec l’affirmation selon laquelle le contenu mémétique qu’ils ont reçu de
leur entourage depuis le début de la crise avait un rapport avec le Covid-19. Les
milléniaux ont été les moins nombreux à exprimer un accord avec cette affirmation,
avec 63% de réponses positives – un chiffre tout de même non négligeable.
L’échantillon de la génération X a été plus nombreux à être en accord avec
l’affirmation, avec 73% de réponses positives. Le taux de participants qui étaient
« Tout à fait d’accord » ou « plutôt d’accord » chez les baby-boomers est légèrement
plus élevé, avec 76% de réponses positives – ils étaient cependant les plus nombreux
à prétendre être
« Tout à fait
d’accord » avec le
100%
fait de recevoir
davantage de
contenu concernant
50%
le Covid-19 depuis le
début de la crise.

Figure 81 : Réception de contenu en lien avec la crise

113
4.1.5.10 Compréhension du contenu mémétique en lien avec la
crise
Comme constaté précédemment, les résultats corroborent l’idée selon laquelle la crise
du Covid-19 a davantage impliqué les générations plus âgées, particulièrement celle
des baby-boomers, dans la consommation et le partage mémétique. Lorsque les
répondants (toutes générations confondues) ont été sondés sur leur compréhension
vis-à-vis de « relatable memes » qui illustre des situations ordinaires (figure 68), 60%
des participants issus de l’échantillon baby-boomer ont prétendu ne pas comprendre
ce type d’image, suivi dans cette même tendance par 50% des répondants issus de
la génération X. En revanche, seuls 13% des membres de la génération Z ont
prétendu être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec le fait de ne pas
comprendre le contenu mémétique du style « relatable meme, contre seulement 3%
pour la génération des milléniaux.

Lorsque l’on compare ces résultats avec la compréhension de contenu mémétique lié
à la crise du Covid-19, on observe un changement radical au niveau de la
compréhension de ce type de contenu, particulièrement chez les générations X et des
baby-boomers (figure 82). En effet, 96% de l’échantillon de la génération X prétend
être « Plutôt pas d’accord » ou « Pas du tout d’accord » avec le fait de ne pas
comprendre ce type de contenu mémétique, un taux de réponse égal à celui de la
génération des milléniaux. Cette tendance est suivie, à la baisse, par les participants
issus de la génération des baby-boomers, avec 76% de réponses qui affirment ne pas
être en accord avec le fait de ne pas comprendre les memes en rapport avec la crise
du Covid-19 (Figures
69, 70, 71 et 72). Enfin,
100%
90% des répondants
issus de la génération
Z sont « Plutôt pas
50%
d’accord » ou « Pas du
tout d’accord » avec le
fait de ne pas
comprendre ce type
d’image.
Figure 82 : Compréhension du contenu mémétique en lien avec la crise

114
Ces résultats démontrent qu’un contenu mémétique semble mieux compris lorsqu’il a
un rapport avec une situation vécue. En effet, si l’on compare la compréhension de
mêmes « ordinaires » (figure 68) avec celle de memes liés à une situation de crise
(figure 82) les résultats de la génération X et des baby-boomers vis-à-vis de la
compréhension de contenu mémétique sont démultipliés de manière exponentielle.

La compréhension des générations Z et millénariale, dites Digital Natives, ne change


que très peu concernant le contenu mémétique, ce qui peut être expliqué par un
rapport plus étroit avec le web et les réseaux sociaux, et par conséquent avec un
corpus mémétique plus large. De plus, alors que des memes ordinaires dits
« relatable » peuvent provoquer un sentiment d’identification chez les plus jeunes
générations, ils illustrent souvent des situations auxquelles la génération X et les baby-
boomers n’arrivent pas à s’identifier – contrairement au contenu en lien avec la
pandémie du Covid-19 qui a un impact global et donc intergénérationnel.

115
V. Discussion
5.1 Observations
5.1.1 Les classes d’âge et la technologie

Le nombre de personnes présentes sur les réseaux selon les classes d’âge est
prévisible. Il va en décrescendo suivant l’augmentation de l’âge, malgré le fait que la
majorité des participants se trouvent sur au moins un réseau social. Tous les
participants issus de l’échantillon de la génération Z ont prétendu être sur un réseau
social (figure 1).

5.1.1.1 La génération Z

Le réseau le plus fréquenté par cette génération est Instagram, avec la présence de
100% des participants sur ce réseau – soit 30% de plus que leur présence sur
Facebook. Il semblerait qu’Instagram ait servi de remplacement, ou d’une alternative
plus moderne que Facebook. Elle offre le même type de fonctions (production,
publication, messagerie instantanée, like et partage de contenu) avec en plus, un
aspect plus interactif lié à la possibilité de faire des Stories (du contenu éphémère) et
des Lives (une diffusion en direct). Lorsque l’on observe les habitudes de cette
génération liées aux réseaux (figure 4), on remarque qu’ils sont les plus nombreux à
produire du contenu (soit 90% d’entre eux) vis-à-vis des autres générations. Les
nombreux outils de production de contenu proposés par Instagram en font donc la
plateforme idéale pour eux.

Le deuxième réseau le plus populaire au sein de cette génération est Facebook, avec
70% de l’échantillon présent dessus, faisant d’elle la génération la moins présente sur
ce réseau social. Selon le Digital Report, Facebook a atteint l’apogée de sa popularité
en 2010 alors que les membres les plus âgés de la génération Z n’avaient que 13 ans
– l’âge minimum requis pour se créer un compte sur la plateforme. De plus, les outils
proposés par Facebook ne permettent sans doute pas le même potentiel d’interaction
que les deux réseaux susmentionnés. Ces aspects pourraient donc expliquer pourquoi
ils ne sont pas plus nombreux à être sur ce réseau social.

Twitter se trouve en troisième place en matière de popularité chez la génération Z,


avec une incidence bien plus élevée que chez les autres générations. Ce réseau

116
propose des aspects semblables aux fonctions d’Instagram, avec la possibilité d’une
communication directe avec les célébrités ou les influenceurs. Il permet aussi aux
utilisateurs d’interagir librement (et publiquement), sans avoir besoin d’être « amis »
ou de faire partie du même cercle. Cela a favorisé le développement des Fandoms,
c’est-à-dire des groupes de fans d’une même célébrité (La «Beyhive » de Beyonce,
les « Little Monsters » de Lady Gaga, les « Bieliebers » de Justin Bieber etc..) qui a la
possibilité de se faire remarquer par les célébrités qu’ils vénèrent et de partager avec
les autres membres d’un même groupe de fans.

Twitter et Instagram proposent en plus des comptes dédiés entièrement aux memes
(dont quelques-uns ont été mentionnés ci-dessus). Les memes qui y sont publiés sont
de l’ordre des « relatable memes », abordant des thématiques auxquelles les jeunes
utilisateurs peuvent s’identifier, ou identifier leurs amis avec qui ils ont la possibilité de
partager et de s’envoyer ce contenu mémétique par le biais des messageries
instantanées disponibles sur les deux plateformes.

Le taux de présence sur TikTok et égal à celui pour Twitter, soit 60% de l’échantillon.
Cette plateforme cible essentiellement la génération Z – il suffit de regarder quelques
une de ses vidéos pour le comprendre. Selon le Pew Research Center (2019), 75%
des utilisateurs de TikTok ont moins de 20 ans (2019). De plus, ce réseau requiert
certaines compétences technologiques pour comprendre son interface plutôt
complexe, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’outil « création de vidéo » qui propose
des milliers d’effets et de possibilités de postproduction, ainsi qu’en matière
d’interaction avec les autres utilisateurs. Le taux de présence sur TikTok (figure 1)
recueilli en mars 2020 serait sans doute bien plus élevé aujourd’hui, car la plateforme
a subi un véritable boom lors de cette dernière, à cause de la pandémie du Covid-19.

5.1.1.2 La génération des milléniaux (ou génération Y)

Le réseau le plus côtoyé par l’échantillon, avec une présence de 96% des milléniaux
est Facebook. De toutes les générations, les milléniaux sont les plus présents sur la
plateforme. En 2010, lors de l’apogée de Facebook (Digital Report, 2019), les plus
jeunes milléniaux étaient en âge de s’inscrire sur le réseau, mais la majorité de cette
génération y était sans doute déjà présente. Selon le Pew Research Center, les
membres plus âgés de cet échantillon étaient d’ailleurs déjà adolescents lorsque le

117
Web 2.0 et les plateformes sociales se sont popularisés. Ils sont également la
première génération à avoir privilégié Internet aux médias traditionnels, comme la
télévision (Reisenwitz, 2019).

Instagram est le deuxième réseau le plus fréquenté par cette génération malgré le fait
qu’elle soit 30% plus basse que dans le cas de la génération Z. La plateforme a fait
ses débuts en 2010, lorsque Facebook était en plein essor, et a atteint le pic de sa
popularité lorsque les plus jeunes milléniaux étaient déjà adultes. Selon la figure 4 liée
aux habitudes sur les réseaux, cette génération privilégie la communication au-delà
de la publication ou du partage de contenu (contrairement à la génération Z). Or, l’outil
de messagerie instantanée proposé par Instagram est très minimaliste en
comparaison à celui Facebook qui propose « Messenger », une plateforme très
complète, et entièrement dédiée à la communication. Ces raisons pourraient
également contribuer à la basse fréquentation de Twitter chez les milléniaux, soit
seulement 25%.

Linkedin est cité comme le troisième réseau le plus populaire au sein de cette
génération, sans doute parce que tous les milléniaux sont aujourd’hui adultes, et
qu’elle facilite le contact professionnel. La présence des milléniaux sur TikTok était
très basse lorsqu’ils ont été sondés en mars 2020, mais cette tendance a sans doute
changé aujourd’hui, nous y reviendrons.

5.1.1.3 La génération X

Les résultats obtenus concernant cette génération corroborent la théorie de


Reisenwitz (2009) selon laquelle Facebook est le réseau préféré de la génération X.
En effet, c’est de loin le réseau le plus fréquenté avec environ 75% d’entre eux qui
occupent une présence sur la plateforme. Alors que les milléniaux ont occupé une
place centrale dans la démocratisation des réseaux sociaux, la génération X, elle, a
largement contribué à la démocratisation d’Internet et du Web 2.0 en général. En effet,
ils étaient déjà jeunes adultes lorsque les premiers weblogs et autres plateformes
interactives ont fait leur grande apparition. Pour cette raison, cette génération partage
beaucoup de points communs avec celle qui la précède en matière de ses habitudes
en ligne, car toutes deux ont été pionnières du Web tel qu’on le connaît aujourd’hui.

118
La différence majeure est que c’est Linkedin qui occupe la deuxième place en termes
de popularité au sein de l’échantillon de la génération X (sans doute pour des raisons
professionnelles, similaires à celles expliquant la présence des milléniaux sur cette
plateforme).

Instagram se trouve en troisième place dans le classement, avec environ 50% de


l’échantillon qui prétend fréquenter le réseau. La génération X est moins présente sur
Instagram que les générations qui lui succèdent, ce qui peut être expliqué par le fait
qu’elle était déjà avancée dans la vie d’adulte lorsque le réseau a atteint le pic de sa
popularité.

Twitter est légèrement moins populaire qu’Instagram chez la génération X, mais le


nombre d’individus présents sur la plateforme est plus élevé que dans le cas de la
génération des milléniaux. Alors que la communication était une des motivations
principales derrière la présence des milléniaux sur les réseaux sociaux, la génération
X semble favoriser le partage et la consommation de contenu (figure 4). C’est d’ailleurs
la génération qui prétend partager le plus de contenu. Cela pourrait expliquer sa large
présence sur Instagram et Twitter, en plus de Facebook.

5.1.1.3 La génération des baby-boomers

Comme pour les deux générations précédentes, Facebook est le réseau social préféré
des baby-boomers. Ils sont même plus nombreux que la génération X à y être
présents, soit à 83%. Cela illustre l’idée de Dimock (2019) selon laquelle cette
génération a appris à s’adapter aux diverses technologies qui ont émergé au cours de
leur vie (télévision, ordinateur, smartphones, réseaux sociaux). Cependant, leur
présence sur les autres réseaux sociaux est moins répartie que pour les générations
qui leur succèdent.

En effet, seuls 30% d’entre eux prétendent être sur Instagram. Bien que ce résultat
soit relativement bas, il montre que cette génération a fait preuve d’un effort
adaptation. Ce pourcentage est le même qui celui lié à leur présence sur Linkedin, un
résultat qui pourrait être justifié par le fait que les baby-boomers étaient déjà en plein
dans la vie active et professionnelle en 2003, au moment où Linkedin a été créé.

Étonnement, leur taux de présence sur Twitter n’est pas loin de celui de la génération
des milléniaux. Il est cependant important de noter que contrairement à Facebook et

119
Instagram, un internaute n’a pas besoin de se créer un compte sur Twitter pour
visualiser son contenu (en revanche, il doit en avoir un pour en produire et en partager,
ainsi que pour interagir avec les autres utilisateurs de la plateforme). Lorsque l’on
prend en compte les résultats liés aux habitudes sur les réseaux (figure 4), on
remarque que la génération des baby-boomers est celle qui publie, qui partage et qui
commente le moins. En effet, elle semble favoriser la communication avec son
entourage et le fait de liker du contenu. Son utilisation des réseaux sociaux liée au
contenu est donc majoritairement passive. Cela pourrait contribuer à expliquer cette
présence sur Twitter.

5.1.2 Catégories d’utilisateurs : Retour sur le modèle d’Horowitz

Si l’on analyse les résultats concernant les habitudes des générations sur les réseaux
(figure 4), il est possible d’en déceler les tendances principales et d’y appliquer le
modèle d’Horowitz explicité ci-dessus. Selon cette théorie, les utilisateurs des réseaux
peuvent être classés dans trois catégories : les créateurs (production de contenu),
les synthétiseurs (partage et modification de contenu) et les consommateurs
(consommation et like de contenu) (15 : 2008). Comme nous l’avons vu, 90% de
l’échantillon de la génération Z a répondu qu’ils publiaient du contenu sur les réseaux
(notamment sur Instagram), faisant d’eux une génération constituée en majorité de
Créateurs. Les milléniaux ont été beaucoup moins nombreux à prétendre créer du
contenu, soit 60% - un pourcentage égal à ceux d’entre eux ayant prétendu partager
du contenu. Ils se trouvent donc dans une catégorie de Créateur-Synthétiseur. Les
participants de la génération X ont été 73% à prétendre essentiellement liker du
contenu sur les réseaux, une habitude suivie de près, à 70%, par celle de partager du
contenu. Ils se trouvent donc, comme la génération des milléniaux, entre deux
catégories : ce sont pour la plupart des Synthétiseurs-Consommateurs. Enfin, la
génération des baby-boomers ont été une majorité (60%) à prétendre liker du contenu
– ce qui fait d’elle une génération de Consommateurs.

Les quatre générations sondées entrent donc dans des catégories différentes en
matière de leur activité sur les réseaux sociaux, et par conséquent en termes de leurs
habitudes et connaissances liées aux memes.

120
5.1.3 Le partage de contenu : Retour sur les Usages et Gratifications

Les questions liées aux raisons derrière le partage de contenu sur les réseaux ont été
posées dans le but de déceler les motivations derrière cette habitude. En effet, un des
postulats de ce travail est le fait que le contenu mémétique se propage massivement,
car il permet à l’internaute de remplir des besoins fondamentaux autant sur le plan
émotionnel (compréhension, communication et partage de son ressenti avec autrui)
que social (gratification liée à son image, intégration sociale). Cette impression est
renforcée par l’idée de Limor Shifman, selon laquelle un internaute bénéficie
d’émotions positives autant lorsqu’il partage du contenu avec son entourage que
lorsqu’il en reçoit (14 : 2018).

Selon la figure 5, qui concerne le lien entre le partage de contenu et l’impact


émotionnel qu’il a sur l’individu, la génération Z, les milléniaux et la génération X
partagent le plus souvent du contenu qui les a fait rire. La raison principale derrière le
partage de contenu chez la génération des baby-boomers est le fait qu’ils soient
intéressés par ce contenu. L’intérêt représente également une des motivations
principales liées au partage de contenu chez les trois autres générations. Ici, le
contenu « choc » n’est que très peu partagé par les 4 générations. On retrouve donc
les deux types de gratifications liées à l’usage (Katz & al, 1973) avec un partage lié
essentiellement à l’humour (fantasist-escapist) et à l’intérêt (informational-
educational). En ce qui concerne les résultats très bas liés au partage du contenu
choc, ils corroborent l’idée émise par Louise Leung (2018) selon laquelle le contenu
négatif et choquant a tendance à ne pas être propagé par les utilisateurs des réseaux
sociaux. Le fait que le contenu positif prône sur le contenu négatif illustre le besoin de
gratification émotionnelle qui motive la création, la consommation et le partage de
contenu sur les réseaux.

La tendance générale des résultats obtenus montre également qu’un contenu est
partagé essentiellement lorsqu’il a suscité une émotion positive et forte chez le
répondant – par opposition au fait de susciter une émotion positive et forte chez le
destinataire. En effet, le nombre de participants ayant prétendu partager un contenu
parce qu’il pourrait faire rire ou intéresser leur entourage est bien moins élevé que
ceux ayant prétendu partager un contenu pour des raisons liées à la gratification
personnelle. Dans le cas du partage pour des raisons liées à l’entourage, le fait de
partager un contenu intéressant prime sur le fait de partager du contenu humoristique.

121
Cela appuie l’idée selon laquelle un individu partage du contenu essentiellement pour
des raisons centrées sur lui-même: En effet, Shifman explique qu’un utilisateur aura
tendance à publier du contenu étonnant, intéressant ou utile plutôt qu’humoristique
(démontrée par les résultats obtenus lors de cette enquête), car cela lui donnera
l’impression d’instruire ou d’éduquer son entourage et satisfera donc son besoin
d’estime, car il se sentira important (Maslow, 1943), son besoin civique, s’il s’agit de
contenu lié à une cause importante (Johns, 2015) ainsi que son besoin
d’appartenance au groupe (Leung, 2018).

Ces tendances, plutôt égocentriques, de l’internaute sont appuyées par les résultats
des figures 6, 7 et 8 en lien avec le contenu servant de reflet à l’individu. Les
générations ont d’abord été sondées sur la fréquence du partage de contenu reflétant
leur humeur (figure 6) : une moyenne de 90% des participants issus des générations
Z, millénariale et X a prétendu avoir déjà partagé du contenu en lien avec leur humeur.
En revanche, cette tendance est moins élevée pour la génération des baby-boomers,
avec 60% de réponses positives liées à la question. En ce qui concerne le fait de
partager du contenu qui reflète une situation vécue par l’individu (figure 7), environ
80% des répondants – toutes générations confondues – ont prétendu l’avoir déjà fait
au moins une fois, bien que la tendance soit légèrement plus basse chez la génération
des baby-boomers. Enfin, lorsque les individus ont été sondés sur le fait de partager
du contenu en lien avec un film ou une série qu’ils ont regardés, 100% de l’échantillon
de la génération Z a répondu l’avoir déjà fait, suivis de près par les milléniaux. On
remarque ici une dissidence avec les générations X et des baby-boomers où environ
40% des participants en moyenne ont répondu n’avoir jamais partagé de contenu en
lien avec un film ou une série.

De manière générale, on observe chez la génération des baby-boomers, des


habitudes moins individualistes, et moins liées à des besoins tels que la gratification
ou l’estime. En effet, cette génération semble partager du contenu plus neutre, moins
lié à l’humeur, à la situation ou aux loisirs personnels. Cela pourrait être dû à une
différence générationnelle de par le fait qu’ils se trouvent plus avancés dans la vie,
plus expérimentée, plus mature et ne nécessitant pas forcément un besoin de
rassurance ou de validation sur les réseaux sociaux. Le fait que les générations Z et
millénariale aient des résultats si opposés confirme, en partie, cette idée. Si l’on

122
observe les graphiques (figures 6, 7, et 8) on remarque que le partage de contenu en
lien avec soi-même diminue au fil des générations.

Cette théorie est appuyée par la figure 9 concernant le fait d’envoyer du contenu à
quelqu’un dans le but d’illustrer son humeur ou son état d’âme. À nouveau, la
génération Z a été 96% à prétendre l’avoir déjà fait, suivie de la génération des
milléniaux avec 83% de réponses positives. Les répondants issus de la génération X
ont été 67% à répondre qu’ils avaient déjà envoyé du contenu à quelqu’un dans le but
d’illustrer une humeur ou un état d’âme, comparé à 63% pour la génération des baby-
boomers. Il semblerait donc que de manière générale, les plus jeunes générations
créent, consomment et partagent du contenu en lien avec leurs émotions, leurs
humeurs ou leur situation de manière plus fréquente que les générations X et des
baby-boomers.

Les résultats observés jusqu’ici laissent donc penser que l’usage de la génération des
baby-boomers lié aux réseaux sociaux est différent que celui des autres générations.
Ils ont tendance à partager du contenu qui leur semble intéressant, à titre informatif,
généralement pas définie par une humeur ou une situation dans laquelle ils se
trouvent, et participent donc à un partage peut-être plus objectif et moins centré sur la
personne que les générations Z et milléniariaux (il semblerait que la génération X se
trouve dans un entre-deux). Lorsque l’on observe les tendances liées au partage en
masse (figure 15) - c’est-à-dire le fait d’envoyer le même contenu à plusieurs de ces
contacts, on remarque que les baby-boomers sont à la tête du classement avec 94%
de réponses prétendant avoir déjà envoyé le même contenu à plusieurs personnes.
On remarque également qu’ils sont les plus nombreux à prétendre recevoir du contenu
de la part de leurs contacts, et ce à une fréquence plus élevée que les autres
générations (figure 10). On décèle donc une habitude de partage informative et
massive liée à cette génération en particulier – un mode de partage qui évoque
l’époque des chaînes de messagerie. Alors que la génération X semble s’être adaptée
à Internet en optant pour une utilisation qui se calque sur celle des plus jeunes
générations, les baby-boomers semblent s’y être adaptés en leurs propres termes.

123
5.1.4 Les connaissances liées aux memes

Lorsque l’on observe les résultats liés à possession d’objets connectés (figure 2), le
niveau élevé des répondants possédant un smartphone (99%), un ordinateur (96%)
et une connexion Internet (99%) nous indique que les participants sont très connectés
en matière de technologie, toutes générations confondues.

En ce qui concerne les plateformes qui ont occupé un rôle clé dans l’évolution et la
diffusion mémétique, la génération des milléniaux semble en connaître le plus grand
nombre (figure 19). Cela peut être expliqué par le fait que les sites tels que Reddit,
4chan, Tumblr – ayant contribué au succès du meme, ont émergé entre 2003 et 2007
et se sont popularisés dans les années qui ont suivi, soit au moment où la présence
milléniaux s’est intensifiée sur le Web 2.0. La génération Z suit cette tendance de près,
et connaît également un grand nombre de ces plateformes, mais d’une manière plus
passive, car aujourd’hui la production et la diffusion mémétique ont migré en grande
partie sur des réseaux comme Twitter et Instagram. On note ensuite un léger écart
avec la génération X qui prétend connaître une partie de ces plateformes, hormis
4chan – une tendance qui peut être expliquée par le côté obscur de cette plateforme
explicité précédemment, qui difficilement compréhensible et accessible à moins
d’avoir grandi avec ou d’avoir les outils générationnels pour la comprendre. Enfin, 73%
de l’échantillon des baby-boomers prétend ne connaître aucune de ces plateformes,
un résultat qui n’est pas étonnant, mais qui a sans doute un impact sur les
connaissances et la compréhension mémétique de cette génération.

5.2 Connaissances liées au corpus mémétique


5.2.1 Connaissances générales
Une analyse précise concernant les résultats des connaissances liées aux memes a
été faite lors de la partie 4.1.3 intitulée Connaissances liées au corpus Mémétique
dans laquelle les participants ont été questionnés sur 15 memes issus de plateformes
et de périodes différentes. Il s’agit ici de relever les tendances générales de ces
résultats. De manière générale, sur les 15 memes du corpus, les générations Z,
millénariale et X ont prétendu en connaître la totalité, qu’il s’agisse du meme en
question, ou l’un de ses dérivés. La génération des baby-boomers a prétendu
connaître 10 memes du corpus et 4 de leurs dérivés.

124
En moyenne, la génération Z est celle ayant répondu le plus favorablement, avec 75%
de réponses positives liées à la connaissance du corpus, suivie de 73,4% pour la
génération des milléniaux. La moyenne de réponses favorables pour la génération X
est de 34,7%, contre seulement 15% pour la génération des baby-boomers.
Ces chiffres illustrent les tendances globales liées au corpus. Les générations Z et
millénariale se sont chevauchées en matière de connaissances mémétiques :
cependant, on décèle une tendance selon laquelle une génération connaîtra mieux un
meme ayant été produit ou diffusé en masse lors de l’apogée de sa présence sur les
réseaux sociaux, comme démontré par les résultats liés aux trois vidéos du corpus
(figures 20, 22 et 24) c’est-à-dire « Cha-Cha Baby » (2006), « Dramatic Chipmunk »
(2007) et « And I Oop » (2015). Les participants issus de l’échantillon des milléniaux
ont été les plus nombreux à prétendre connaître « Cha-Cha Baby » et « Dramatic
Chipmunk » de manière générale et particulièrement en format vidéo – le format sous
lequel ils ont été diffusés en premier sur les réseaux. Bien que ces vidéos soient
encore présentes aujourd’hui, particulièrement sous format « GIF », elles ont atteint
le pic de leur popularité sur les réseaux avant 2010. À cette époque, les individus les
plus âgés de la génération Z n’étaient pas encore en âge d’y être présents,
contrairement à la génération des milléniaux qui s’y trouvaient déjà en masse. Les
résultats pour « And I Oop » confirment cette idée : publiée en 2015 et atteignant le
pic de sa popularité en 2019, elle est majoritairement connue par la génération Z, qui
se trouve plus nombreuse sur les réseaux que quelconque autre génération (Global
Web Index, 2019), alors que le taux de présence des milléniaux sur les réseaux baisse
progressivement depuis 2017 (ibidem).
La tendance concernant le contenu mémétique sous forme d’image (soit les 12
memes restants) soutient cette idée, avec quelques exceptions. Le quatrième meme
de la liste « I can haz cheeseburger » (figure 26) est connu en majorité par la
génération Z, alors qu’il a atteint le pic de sa popularité avant 2010. Cela peut être
expliqué par le fait que le mouvement des Lolcatz (explicité ci-dessus) est encore
d’actualité aujourd’hui, et il existe encore toute une communauté active qui produit et
qui partage du contenu dérivé de ce meme. Cela rajoute donc à notre théorie le fait
qu’un meme sera connu en majorité par la génération qui l’a côtoyé sur les réseaux à
son pic, à moins qu’il soit encore pertinent aujourd’hui. Un autre meme qui rentre dans
cette catégorie est celui du « Trollface », apparu sur les réseaux pour la première fois
en 2008, mais encore utilisé et pertinent aujourd’hui, comme le montre Google Trends

125
(annexes : figure 46). Cela peut justifier le fait qu’il soit connu par 100% des
répondants issus de la génération Z, bien que ce taux soit comparable à celui de la
génération des milléniaux.
En ce qui concerne le reste du corpus, les résultats suivent les tendances évoquées
jusqu’ici. On remarque même une division temporelle liée à la connaissance de
memes chez la génération Z et la génération des milléniaux : les memes ayant atteint
le pic de leur popularité avant 2012 sont connus en majorité par la génération des
milléniaux – tandis que les memes ayant atteint le pic de leur popularité après 2015
sont connus en majorité par la génération Z (nous n’avons pas de memes datant de
2013 ou 2014 dans le corpus). Alors que « Philosoraptor » (figure 29), « Success Kid »
(figure 32), « Grumpy Cat » (figure 35), « Bad luck Brian » (figure 38 ) et « Rage
Comics » (figure 41) – tous parus avant 2012 et devenus relativement obsolètes
aujourd’hui, sont connus en majorité par la génération des milléniaux, « Be like Bill »
(figure 48), « Jealous Girlfriend » (figure 51), « Relatable memes » (figure 55),
« Twitter Memes – Image et Texte » (figure 58) et « Twitter Memes – Image
uniquement » (figure 61) ont tous fait leur apparition après 2015 et sont connu en
majorité par la génération Z. Les tendances liées aux générations X et baby-boomers
restent constantes pour l’entièreté du corpus : alors que la génération des baby-
boomers se démarque en raison de son manque de connaissances liées au corpus
mémétique, la génération X se trouve entre les deux extrêmes. Ces tendances
reflètent les résultats du Global Web Index (Viens, 2019) qui expliquent que
« Babyboomers currently rank last in nearly every category and metric when it comes
to technology and social media use » et que la génération X passe moins de temps
sur les réseaux sociaux que la génération Z et les milléniaux, mais plus de temps que
la génération des baby-boomers.

5.2.2 Habitudes liées aux Memes


Il est important de souligner le fait que les « Relatable Memes » et « Twitter Memes »
ne représentent pas un meme en particulier, puisqu’ils servent à illustrer le nouveau
type de contenu qui a émergé sur Instagram et Twitter lors des dernières années. Il a
donc paru important de sonder les participants sur ce nouveau type de meme (figure
64, analysée en détail au point 4.1.4) qui a pour but d’illustrer une situation ou une
humeur à laquelle l’internaute peut s’identifier. Il semblerait en effet que l’émergence

126
de ce type de relatable meme est en corrélation avec l’utilisation plus personnelle et
individualiste des réseaux et de la production de contenu. Cette partie du
questionnaire sert également à mieux comprendre les habitudes liées aux memes de
manière générale.
La génération Z est la plus nombreuse à prétendre pouvoir s’identifier à ce type
d’image (80%), suivie de très près par la génération des milléniaux (75%). Les
répondants issus de l’échantillon de la génération X sont beaucoup moins nombreux
à être d’accord avec cette affirmation (30%), un résultat tout de même trois fois plus
élevé que chez la génération des baby-boomers (10%). Au niveau du partage de ce
type de contenu avec l’entourage (figure 66), la tendance est la même. Les répondants
issus de la génération Z sont les plus nombreux à prétendre pouvoir partager ce style
de meme avec leur entourage (60%), suivis de très près par la génération des
milléniaux (53%). Concernant les générations X et des baby-boomers, les résultats
sont les mêmes que pour l’identification personnelle (30% et 10%, respectivement).
En ce qui concerne le fait de créer ce type d’image (figure 67), la génération Z est
celle qui a répondu le plus favorablement à cette affirmation (45%), soit un taux deux
fois plus élevé que chez les milléniaux. Les générations X (7% de réponses positives)
et des baby-boomers (4% de réponses positives) ont été pour la majeure partie, en
désaccord avec cette affirmation. Ces résultats illustrent les divers rôles qu’occupent
les générations au sein des réseaux sociaux : La génération Z rentre dans la catégorie
des créateurs, la génération des milléniaux dans celle des créateurs-synthétiseurs, la
génération X rentre dans la catégorie des synthétiseurs-consommateurs et la
génération des baby-boomers dans celle des consommateurs. Ils corroborent
également les concepts abordés ci-dessus concernant les différentes gratifications
générationnelles liées au contenu mémétique. Les plus jeunes générations, qui ont
pour habitude de consommer et de partager du contenu dans un but de gratification
personnelle et sociale, s’identifient plus facilement à ce type de meme que les baby-
boomers – tandis que la génération X se trouve entre les deux extrêmes. Ces mêmes
buts vont motiver les plus jeunes générations à créer et partager du contenu de ce
type avec leur entourage, dans le but d’améliorer leur estime de soi ou pour signaler
une appartenance au groupe, alors que les générations plus âgées, particulièrement
celle des baby-boomers, vont favoriser un contenu plus pragmatique et objectif et une
utilisation plus passive des réseaux.

127
5.3. Analyse en temps de crise

Le questionnaire de ce travail a été élaboré et distribué en mars et avril 2020, soit au


début de la pandémie du Covid-19. Les répercussions liées à cette crise sanitaire ont
obligé les individus à rester chez eux et ont radicalement changé leurs habitudes,
provoquant un bouleversement social et une scission entre anciennes routines et
nouvelle réalité. En plus d’avoir un impact sur le quotidien des individus, il semblerait
que la crise ait largement impacté leurs habitudes liées à internet et aux réseaux
sociaux. Entre le mois de février et le mois d’avril 2020, le taux de fréquentations sur
Facebook a augmenté de 27%, de 16% pour YouTube, et les plateformes de
messagerie instantanées comme Whatsapp et Messenger ont été assaillies au
quotidien (Koeze & Popper, 2020). Il a donc semblé intéressant de voir si ce
bouleversement a affecté les habitudes de création et de partage mémétique, en se
basant sur la théorie des Trois C de Lisii Laineste (2016) selon laquelle les situations
de conflit, de catastrophe et de crise augmentent le partage et la propagation de
contenu.

Comme dans le cas du corpus mémétique, les résultats liés aux habitudes de
production et de partage en temps de crise ont été analysés en profondeur au point
4.1.5. Il s’agira ici d’en déceler les tendances générales. Les affirmations sur
lesquelles les participants ont dû se baser pour cette partie du questionnaire sont en
lien avec les figures 69, 70, 71 et 72, quatre memes avec du contenu lié à la crise ou
à ses différentes répercussions.

De manière générale, la situation de crise du Covid-19 a bouleversé les tendances


liées aux memes, particulièrement chez les générations plus âgées. Concernant
l’identification avec le contenu mémétique (figure 73), deux fois plus de répondants
issus de la génération X ont prétendu pouvoir s’identifier aux memes en lien avec la
crise du Covid-19 qu’en temps normal, soit 60% en tout. Les participants issus de la
génération des baby-boomers ont été cinq fois plus nombreux à prétendre s’identifier
avec le contenu mémétique présenté, soit 40% de plus qu’en temps normal. Il
semblerait donc que la situation de crise ait rompu cette barrière entre les usagers
plus âgés et le contenu mémétique pour en faciliter l’identification chez ces derniers.
L’effet de la pandémie semble avoir éliminé toute hiérarchie entre les générations, car
tous les individus en ont subi les conséquences, peu en importe leur âge ou leurs
compétences.

128
Alors que le taux d’identification des générations Z et millénariale en cas de crise est
du même ordre que d’habitude, le nombre de participants issus de ces deux
générations qui ont prétendu y reconnaître des personnes de leur entourage est très
élevé (figure 74). Tandis que ces derniers étaient peu nombreux à prétendre partager
du contenu qui pourrait faire rire, toucher ou intéresser autrui, il semblerait que la crise
ait provoqué un changement au niveau des habitudes individualistes de ces plus
jeunes générations, et donc un bouleversement dans les gratifications en lien avec
l’usage des médias. Il paraît en être de même pour la génération des baby-boomers,
dont 60% des répondants ont prétendu partager ce type de contenu, soit deux fois
plus qu’en temps normal (figure 75). Le changement lié aux usages et aux
gratifications de cette génération se fait donc au niveau du contenu qu’elle partage :
alors que d’ordinaire elle privilégie le contenu objectif et informatif, la situation de crise
semble augmenter l’incidence au niveau du partage de contenu plus personnel. Cela
va de pair avec l’idée selon laquelle ce type de contenu mémétique, toujours en lien
avec la crise du Covid-19, permet aux internautes de se sentir moins seuls face à une
telle situation. Les générations Z et millénariale sont très nombreuses à être d’accord
avec cette affirmation, ce qui n’est pas étonnant au vu de leurs besoins de gratification
personnelle et émotionnelle. Cependant, les répondants issus de la génération des
baby-boomers ont été aussi nombreux que la génération X (43%) à être d’accord avec
cette affirmation. Alors que leur côté plutôt pragmatique et leur maturité font qu’ils ne
ressentent pas forcément le besoin d’être rassurés au quotidien, la situation de crise
provoque une incertitude globale et un besoin de réconfort qui peut être trouvé dans
ce type de contenu mémétique.

La tendance liée à la production de memes en cas de crise (figure 76) n’est pas très
différente que d’habitude, si ce n’est une augmentation chez la génération X et les
baby-boomers. En effet, en cas de crise, les participants issus de la génération X sont
deux fois plus nombreux à prétendre créer du contenu mémétique (soit 14%). En ce
qui concerne la génération des baby-boomers, elle semble passer de consommateur
à créateur-consommateur car le nombre de réponses prétendant créer du contenu
mémétique est cinq fois plus élevé (20%) en cas de crise qu’en temps normal.
L’augmentation de la production mémétique en période de Covid-19 se voit également
chez les milléniaux, qui sont 10% de plus à créer du contenu mémétique que
d’habitude. La génération Z reste cependant celle avec le plus grand nombre de

129
réponses positives liées à la production de memes, soit le même taux qu’en temps
normal (45%). Il est difficile de connaître les raisons exactes derrière cette
augmentation de création de contenu que l’on constate chez trois des quatre
générations sondées. Il se pourrait que cela soit dû au fait d’avoir plus de temps libre
(l’augmentation a lieu chez les trois générations qui, théoriquement, sont déjà lancées
dans la vie active et professionnelle ). En effet, nous avons vu que le trafic sur internet
a radicalement augmenté depuis le début de la crise, sur les réseaux sociaux ou sur
les plateformes de messagerie instantanée. Étant donné que la majorité de la
génération Z n’a pas encore l’âge de travailler et occupe une présence quotidienne
sur internet, cette augmentation pourrait être en partie due à l’accroissement du
nombre d’internautes issus des générations millénariale, X et baby-boomer. Ainsi, il
se pourrait que des générations qui d’habitude n’ont pas beaucoup de temps à
consacrer à la production de contenu mémétique se retrouvent dans une configuration
qui pousse l’individu vers une participation plus active. Nous avons également
constaté que la génération des baby-boomers opte généralement pour un partage
massif de contenu, destiné à plusieurs contacts en même temps. En situation de crise,
il pourrait donc leur sembler plus propice de créer, puis d’envoyer du contenu en lien
avec la pandémie du Covid-19.

La plupart des répondants, toutes générations confondues, ont constaté une


augmentation autant dans le partage que dans la réception de contenu mémétique en
période de crise (figure 78). En moyenne, 57% des répondants ont constaté une
augmentation dans leurs habitudes de partage de contenu (figure 79). Les participants
issus de la génération des baby-boomers ont été les plus nombreux à prétendre
partager du contenu depuis le début de la crise. Cela soutient l’idée selon laquelle les
tendances générales liées à la consommation, à la production et au partage de
contenu de cette génération ont subi une nette augmentation depuis le début de la
pandémie.

On observe donc une augmentation intergénérationnelle au niveau du partage (et


donc de la réception) de memes. En effet, 70% des participants de l’enquête ont
prétendu recevoir plus de contenu mémétique en temps de crise que d’habitude.

En ce qui concerne la nature du contenu partagé par les participants (figure 80), 55%
d’entre eux ont répondu qu’il était en lien avec la pandémie du Covid-19,
particulièrement chez les baby-boomers (70%) qui ont été deux fois plus nombreux

130
que la génération X, ainsi que les générations Z et milléniaux, à prétendre partager du
contenu en lien avec le Covid-19. Au niveau de la nature du contenu reçu (figure 81),
74% des participants ont répondu qu’il était en lien avec la crise – en particulier la
génération Z et les baby-boomers.

Lorsque l’on compare les résultats liés à la compréhension d’un meme ordinaire
(figure 68), avec ceux liés à la compréhension d’un meme en rapport avec la crise du
Covid-19 (figure 82), on constate un grand écart au niveau des réponses données par
les générations plus âgées. La compréhension de contenu mémétique par les
générations Z et millénariale est du même ordre en temps de crise qu’en temps
normal, tandis que cette tendance est deux fois plus élevée (96%) chez les répondants
issus de la génération X lors d’une situation de crise comme celle du Covid-19. Malgré
le fait que ce taux soit plus bas au sein de l’échantillon des baby-boomers, il est
également démultiplié en temps de crise, pour atteindre 76% de réponses favorables
au fait de comprendre le contenu d’un meme. Cela signifie que les compréhensions
mémétiques des générations X et les baby-boomers ont doublé depuis le début de la
pandémie. Cette augmentation a un lien indéniable avec la nature du contenu reçu et
partagé, qui représente ici des situations humoristiques, énervantes et frustrantes,
provoquées par la pandémie et qui touche, en raison de ce fait, un public beaucoup
plus massif que le contenu des « relatable memes » ordinaires. Le contenu des
memes qui ont un rapport avec la situation du Covid-19 peut s’appliquer à quiconque,
car cette situation est mondiale, et ne discrimine ni l’âge, ni les compétences ni encore
le milieu socioculturel de l’internaute qui le consomme. Pour ces raisons,
l’identification personnelle est beaucoup plus probable, peu importe la génération.

L’augmentation de la production, de la consommation et du partage de contenu


mémétique semble donc étroitement liée à la nature de ce contenu, essentiellement
et inévitablement en lien avec la crise du Covid-19.

5.4 Reprise des Hypothèses


Hypothèse 1 : Un meme sera partagé s’il permet à la personne de ressentir un
apaisement émotionnel ou une stabilité dans son environnement culturel.

Les participants ont été nombreux à prétendre partager du contenu lié à des émotions

131
positives telles que l’humour ou l’intérêt (figure 5). Très peu des répondants ont
prétendu partager du contenu choquant ou lié à des émotions négatives.
Plus de la moitié des participants issus des plus jeunes générations (Z et milléniaux)
ont répondu plutôt partager du contenu qui reflète une humeur ou une situation
personnelle (figures 6 et 7), une tendance suivie à la baisse par la génération X. Au
contraire, la génération des baby-boomers a été peu nombreuse à prétendre favoriser
le partage de contenu qui reflète une humeur ou une situation dans laquelle ils se
trouvent, et privilégient le partage de contenu qui suscite un intérêt, autant sur le plan
personnel que pour leur entourage.
De manière générale, les générations Z et millénariale ont exprimé le fait de pouvoir
s’identifier à du contenu en lien avec des situations de la vie quotidienne et de le
partager avec leur entourage, dans le but de véhiculer une émotion ou un ressenti
individuel (figures 65 et 66). Ces deux générations ont également été plus
nombreuses à prétendre créer du contenu mémétique lié à leurs humeurs, leurs
émotions ou des situations dans lesquelles ils se trouvent. L’identification personnelle
en rapport avec du contenu mémétique du type « relatable » est en revanche
quasiment inexistante chez les générations X et particulièrement chez la génération
des baby-boomers qui ne prétend ni créer ni partager ce type de contenu.
Il semblerait donc que les gratifications liées au partage de contenu soient différentes
entre les deux extrêmes générationnels. Les plus jeunes générations (Z et
millénariale) vont prôner le partage de contenu en lien avec leurs expériences. Cette
tendance semble liée aux gratifications personnelles et émotionnelles qui en
découlent, ainsi qu’aux sentiments de rassurance et de validation, procurés par un
ressenti commun avec d’autres internautes. Les générations plus âgées (X et baby-
boomers) privilégient le partage d’information et de contenu plus détachés de leurs
ressentis et de leurs vécus personnels – sans doute en raison leur plus grande
expérience de vie qui fait qu’ils ressentent moins le besoin de partager du contenu
dans le but de se rassurer ou de s’apaiser émotionnellement.
Cette hypothèse est donc partiellement validée : Un meme sera plus susceptible d’être
partagé par un individu issu de la génération Z ou milléniale s’il permet à cet
individu de ressentir un apaisement émotionnel ou une stabilité dans son
environnement culturel.

Hypothèse 2 : Les habitudes de création, de consommation et de partage de memes

132
varient entre les générations

La génération Z est celle qui produit le plus de contenu sur les réseaux, suivie de la
génération millénariale qui partage surtout, mais qui prétend tout de même en produire
de temps en temps (figures 4 et 67). La génération X partage du contenu et en
consomme passivement à titre égal. La génération des baby-boomers prétend
consommer du contenu en majorité. Selon le modèle de Horowitz (2008) concernant
les habitudes liées au contenu sur les réseaux, les quatre générations se trouvent
dans des catégories différentes : si l’on se base sur les tendances générales, les
individus issus de la génération Z sont des créateurs. Ceux de la génération
millénariale sont des créateurs-synthétiseurs. Les membres de la génération X sont
des synthétiseurs-consommateurs. Enfin, les individus issus de la génération des
baby-boomers sont des consommateurs. L’hypothèse 2 est donc validée. Concernant
les quatre sous-hypothèses, on décèle effectivement des tendances différentes chez
les générations sondées.

Hypothèse 2a : Les « digital natives » (c’est-à-dire les générations Y et Z)


savent définir un meme et en partagent régulièrement.

La majorité des répondants issus des échantillons Z et milléniaux savent définir


un meme (figure 16) et sont les plus nombreux à avoir partagé les memes du
corpus (point 4.1.3). La sous-hypothèse 2a est validée.

Hypothèse 2b : La génération Z est la plus grande productrice de memes

Comme vu précédemment, la génération Z a été la plus nombreuse à prétendre


produire du contenu mémétique. L’hypothèse 2b est également validée.

Hypothèse 2c : La génération X s’est adaptée à l’évolution du web et des


réseaux et sait probablement ce qu’est un meme. Elle en partage et en reçoit
régulièrement.

Seul un tiers des répondants issus de la génération X ont prétendu savoir ce


qu’était un meme (figure 16). Cette génération consomme plus de contenu

133
qu’elle n’en partage – un résultat confirmé par ses réponses liées au corpus
mémétique. Bien que la majorité des répondants ait prétendu connaître les
memes du questionnaire, seule une fraction prétend en avoir déjà partagé avec
leur entourage. La génération X est également la moins nombreuse à prétendre
recevoir du contenu de la part de son entourage (figure 10). L’hypothèse 2c est
donc infirmée.

Hypothèse 2d : La génération des baby-boomers ne sait pas ce qu’est un


meme, malgré le fait d’en recevoir d’en partager. Elle y est confrontée à une
fréquence plus basse que les autres classes d’âge.

Seuls 23% de l’échantillon des baby-boomers prétend connaître le concept du


meme. Le taux de répondants qui prétend avoir déjà reçu un meme de leur
entourage est également le plus faible des quatre échantillons (figure 18).
Cependant, les baby-boomers sont les plus nombreux à prétendre recevoir des
images et des vidéos de la part de leur entourage, à une fréquence bien plus
Élevée que chez les autres générations (figure 10). Cette génération partage et
reçoit donc du contenu mémétique sans pour autant l’identifier en tant que tel.
En ce qui concerne les réponses liées au corpus mémétique du questionnaire,
c’est effectivement la génération qui en connaît le moins de memes,
particulièrement ceux produits dans les cinq dernières années et issus de
plateformes telles qu’Instagram et Twitter.
L’hypothèse 2d est donc validée : la majorité de cette génération ne sait pas ce
qu’est un meme alors que c’est celle qui prétend recevoir le plus de contenu, à
une fréquence plus élevée que les autres générations. C’est également la
génération qui a le moins de connaissances liées aux memes du corpus, ce qui
semble indiquer qu’elle y a été moins confrontée que les autres générations.

Hypothèse 3 : Les générations connaissent essentiellement les memes qui ont atteint
l’apogée de leur popularité lorsqu’elles étaient régulièrement présentes sur les
réseaux sociaux.

Les résultats du questionnaire montrent que les milléniaux sont plus nombreux à
connaître les memes du corpus qui ont atteint un pic de popularité avant 2012, lorsque

134
la génération Z n’était pas encore en âge de fréquenter les réseaux sociaux.
Inversement, les individus de la génération Z sont plus nombreux à connaître les
memes du corpus qui ont atteint un pic de popularité entre 2015 et aujourd’hui, une
période où la présence des milléniaux sur les réseaux sociaux est en baisse, selon le
Global Web Index (Viens, 2019). L’hypothèse 3 est donc validée.

Hypothèse 4 : La création, la consommation et le partage de memes augmentent lors


d’évènements marquants ou de situations de crise,

Cette hypothèse est liée à la théorie de Lisii Laineste (1030, 2016) selon laquelle une
situation de catastrophe, de conflit ou de crise favorisera une sélection émotionnelle
liée au contenu qui poussera les individus à en créer, en partager et en consommer
davantage.
Lorsque les participants ont été questionnés sur leurs habitudes liées aux réseaux en
temps normal (point 5.1.4), les tendances entre les plus jeunes générations (Z et
milléniau) et les générations plus âgées (X et baby-boomers) étaient diamétralement
opposées. Alors que les plus jeunes générations ont été une majorité à prétendre
créer et partager du contenu mémétique en lien avec une situation à laquelle ils
s’identifiaient, les générations X et des baby-boomers ont été une majorité à répondre
qu’ils n’avaient pas pour habitude de créer, de partager ou de consommer ce type de
contenu. En revanche, lorsque les participants ont été confrontés à du contenu
mémétique en lien avec la crise du Covid-19 (point 5.1.5), les réponses issues des
échantillons X et baby-boomers ont radicalement changé. En effet, deux fois plus des
répondants issus de la génération X ont prétendu s’identifier à ce type de contenu et
être susceptible de produire du contenu mémétique qu’en temps normal, alors que le
taux de participants prétendant partager ce type d’image est le même en cas de crise
qu’en temps normal. En ce qui concerne l’échantillon des baby-boomers, ils ont été
cinq fois plus nombreux à prétendre s’identifier au contenu mémétique en temps de
crise et à en créer. Le nombre de partages issus de cette génération a également
doublé pendant la crise. Les habitudes de la génération Z et millénariale liées à la
production, le partage et la consommation de contenu mémétique ne sont pas si
différentes qu’en temps normal, hormis au niveau des habitudes de production
mémétique chez les milléniaux qui ont augmenté de 10% en situation de crise.
L’hypothèse 4 est donc partiellement validée : la situation de crise a augmenté le taux

135
de partage, de consommation et de production chez la génération X et les baby-
boomers. Les habitudes de la génération Z et des milléniaux, elles, demeurent
relativement inchangées.

Hypothèse 4a : La majorité du contenu partagé pendant la crise du Covid-19 a


un rapport avec la situation pandémique.

Environ 55% des participants (toutes générations confondues) ont constaté qu’ils
avaient essentiellement partagé du contenu en lien avec la crise du Covid-19
depuis le début de la pandémie. Au niveau du contenu reçu, 74% des
participants ont prétendu qu’il était en lien avec le Covid-19. Ces résultats
confirment l’hypothèse 4a.

5.4.1 Tableau récapitulatif des Hypothèses


H1 Un meme sera partagé s’il permet à la personne de ressentir un Partiellement
apaisement émotionnel ou une stabilité dans son validée
environnement culturel.
H2 Les habitudes de création, de consommation et de partage de Validée
memes varient entre les générations
H2a Les « digital natives » (c’est à dire les générations Y et Z) savent Validée
définir un meme et en partagent régulièrement.
H2b La génération Z est la plus grande productrice de memes Validée
H2c La génération X s’est adaptée à l’évolution du web et des Non-Validée
réseaux et sait probablement ce qu’est un meme. Elle en
partage et en reçoit régulièrement de son entourage.
H2d La génération des baby-boomers ne sait pas ce qu’est un Validée
meme, malgré le fait d’en recevoir d’en partager. Elle y est
confrontée à une fréquence plus basse que les autres classes
d’âge.
H3 Les générations connaissent essentiellement les memes qui ont Validée
atteint l’apogée de leur popularité lorsqu’elles étaient
régulièrement présentes sur les réseaux sociaux.
H4 La création, la consommation et le partage de memes Partiellement
augmentent lors d’évènements marquants ou de situations de validée
crise,
H4a La majorité du contenu partagé pendant la crise du Covid-19 a Validée
un rapport avec la situation pandémique.

Figure 83 : Récapitulatif des hypothèses

136
5.5 Apports et limites de la recherche
Un des principaux apports de cette recherche est qu'il n'existe pas d'autres travaux
sur les habitudes des générations issues de la francophonie concernant la production,
la consommation et la partage des memes. Alors même qu'il existe des études
similaires concernant des pays anglophones, notamment les États-Unis, encore était-
il nécessaire de vérifier si certaines des conclusions tirées dans des environnements
culturels et linguistiques différents s'appliquaient également dans un pays
francophone comme la Suisse. Bien que le concept du meme soit né outre-Atlantique
et concernait, jusqu'alors des problématiques étrangères à la culture francophone, il
est possible d'affirmer qu'il s'est désormais démocratisé et implanté dans des pays
francophones.
En découle de cela la première limite de ce travail, liée au manque de ressources
concernant les habitudes mémétiques des pays francophones. En effet, il n’existe que
très peu d’articles de recherche à ce sujet. Les nombreuses théories qui ont contribué
à l’analyse des résultats obtenus sont donc issues de pays majoritairement
anglophones et ont parfois fait part d’idéaux qui n’étaient pas applicables aux
échantillons sélectionnés.

Une autre limite concernant ce travail est liée à la représentativité des échantillons –
d’abord en raison du choix de la technique boule de neige explicitée ci-dessus, ainsi
que par les grands écarts entre les participants d’une même génération. En effet, une
partie de la génération Z est encore trop jeune aujourd’hui pour fréquenter les réseaux
sociaux. Les répondants du questionnaire issus de cette génération se trouvent donc
sans doute dans l’extrême plus âgé. Les limites générationnelles ont également posé
des problèmes au niveau de la représentativité des participants. Il se pourrait qu’une
partie des répondants milléniaux n’aient qu’une année de différence avec la
génération qui les précède ou qui les succède. Il en est de même pour toutes les
autres générations. Enfin, la nature même de ce travail a posé un problème au niveau
de la représentativité des individus plus âgés que la génération des baby-boomers,
mentionnés ci-dessus comme la génération Silencieuse, parce que les répondants
issus de cette génération ont largement manqué à l’appel – un manque sans doute lié
au fait que ce questionnaire a été distribué en grande partie sur les réseaux.

137
Une troisième limite liée à ce travail est celle du corpus mémétique. Bien que les
memes qui le composent aient été choisis dans le but de représenter divers types
mémétiques issus de différentes époques, il existe en réalité bien trop de memes pour
pouvoir tous les prendre en considération. La sélection des memes du corpus s’est
basée sur les chiffres issus de la base de données mémétiques Know Your Meme afin
de prendre les memes les plus populaires des vingt dernières années, mais la nature
de cette sélection reste relativement arbitraire.

La quatrième limite est celle de la barrière de la langue. En effet, les memes les plus
populaires sont tous en anglais. Or, il se pourrait que certains participants ne
maîtrisent pas cette langue. Cette limite pose également un souci lié au domaine
socioculturel, car elle implique que le contenu des memes est issu de pays
anglophones et qu’il est n’est donc pas forcément toujours en lien avec le contexte
dans lequel se trouvent les participants, issus de pays francophones. Enfin, elle pose
un problème au niveau des plateformes qui ont contribué à la production et à la
propagation des memes (4chan, reddit, tumblr). Elles restent pour la plupart des
plateformes américaines (4chan, Reddit) probablement moins fréquentées par les
individus francophones.

La dernière limite concerne le changement d’habitudes en situation de crise. En effet,


le questionnaire a été produit et distribué en mars et avril 2020, tout au début de la
situation pandémique en Suisse et en France. Il se pourrait donc que les réponses et
surtout les habitudes des participants aient changé depuis. Si l’on prend l’exemple de
TikTok, très peu de participants en dehors de l’échantillon de la génération Z ont
prétendu connaître ou fréquenter l’application. Cependant, le concept derrière cette
application incarne à la perfection celui du meme car il a pour but d’encourager les
utilisateurs à produire du contenu et à remixer celui produit par leur entourage, abritant
par conséquent d’innombrables vidéos dérivées les unes des autres et accumulant
une popularité et un succès conséquents. Or, cette dernière a subi un véritable boom
lors des derniers mois lorsque la population mondiale s’est retrouvée coincée chez
elle. En mai 2020, TikTok a surpassé les deux milliards de téléchargements, faisant
d’elle la plateforme la plus téléchargée depuis le début de la pandémie (Business
Standard Agency, 2020). Les réponses liées à la connaissance et à l’utilisation de
cette application seraient sans doute très différentes aujourd’hui.

138
Cette limite introduit cependant un autre apport de ce travail, lié au contexte de crise
dans lequel il a été partiellement effectué. Il est basé sur des données récoltées en
mars-avril 2020, soit au tout début de la crise du Covid-19 en Suisse. De ce fait, les
données récoltées et les conclusions qu'elles permettent de tirer constituent une
photographie de la situation à un moment t, "pré-Covid-19". Ces données pourront,
dans le futur, servir de point de référence pour déterminer l'ampleur des
bouleversements sociétaux créés par cette crise, notamment l'utilisation de
technologies et de méthodes de communication par divers groupes de générations.
Certaines des questions de notre questionnaire portant sur les conséquences de la
crise du Covid-19 (à son début), nous ont déjà permis de constater une tendance à la
hausse en matière de partage et d'identification des memes pour les générations plus
âgées. Il sera très intéressant de constater si, dans un futur proche, les tendances
actuelles auront radicalement changé, en partie en raison de la crise du Covid-19 et
des confinements qu'elle a provoqué.

139
VI. Conclusion
L’objectif de ce travail était de déceler l’impact du meme sur l’individu, qu’il soit lié à la
gratification personnelle, émotionnelle, sociale, civique ou bien d’autres encore, afin
de comprendre le succès de ce phénomène, et les raisons qui poussent les
internautes à y participer. Il avait pour objectif de répondre à trois questions, dont la
suivante : « Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à consommer, produire et partager un
meme ? »

En fonction de l’hypothèse selon laquelle la production et le partage de memes se fait


essentiellement chez les plus jeunes, ce travail s’est focalisé sur quatre générations
d’internautes : la génération Z, la génération millénariale, la génération X et la
génération des baby-boomers afin de tracer des tendances liées au phénomène
mémétique et voir si les facteurs sociodémographiques et socioculturels jouaient un
rôle dans la popularité de ce concept, ce qui a motivé la question suivante : « La
consommation et le partage de meme varient-ils selon les générations ? ». La
situation provoquée par la pandémie du Covid-19 a permis de comprendre l’impact
potentiel que pourrait avoir une situation de crise sur les habitudes liées aux memes.
La troisième question qui a été posée lors de l’élaboration de ce travail est donc la
suivante : « Les habitudes liées aux memes changent-elles en fonction des
évènements qui sortent de l’ordinaire ? ».

Ce travail a permis de répondre aux trois questions de recherche posées.


Un individu sera motivé à consommer, créer ou partager un meme afin d’assouvir ses
besoins personnels, comme l’indique la théorie des usages et des gratifications (Katz
et Al., 1973). L’individu consommera du contenu mémétique afin de se sentir moins
seul face à une situation qu’il traverse ou une émotion qu’il éprouve. Cela lui procurera
un sentiment d’appartenance au sein d’un groupe d’internautes qui ressentent des
choses similaires. Les générations plus jeunes gravitent en effet autour de contenu
mémétique du type « relatable », afin de satisfaire un certain besoin d’identification
personnelle. Un individu partagera du contenu mémétique dans le but de s’exprimer,
que cela soit pour faire part d’un ressenti personnel ou pour donner son avis sur une
problématique sociopolitique. Cela contribuera à combler son besoin d’estime, en lui
donnant l’impression de faire rire ou d’instruire son entourage. Le fait de provoquer

140
des émotions positives chez les personnes avec qui il partage un certain contenu se
reflètera sur lui, lui procurant également une gratification personnelle. Enfin, un
individu produira du contenu mémétique dans l’optique de rajouter sa pierre à l’édifice
des réseaux sociaux. Il le fera dans le but de s’exprimer, tout en démontrant sa
créativité et ses compétences – un acte qui contribuera à son besoin d’estime.

On remarque effectivement des différences générationnelles liées aux habitudes


mémétiques. Les générations Z et millénariales connaissent, consomment, partagent
et créent largement plus de memes que la génération X et les baby-boomers. Cela
peut être expliqué par plusieurs facteurs. D’abord, les plus jeunes générations ont
grandi en parallèle à l’émergence et à la démocratisation des réseaux sociaux. Le
contenu qui y a été créé fait donc intrinsèquement partie de leurs connaissances. Ils
ont également été confrontés aux nouvelles technologies dès leur plus jeune âge, leur
permettant d’en employer les outils avec bien plus d’aisance et d’intuition que les
générations qui les précèdent. Ensuite, parce que la gratification personnelle liée aux
memes est bien plus présente chez elles. La consommation, le partage et la
production mémétique sont comme cathartiques pour les plus jeunes générations. Elle
leur permet de s’exprimer et de communier avec leur entourage, avec des individus
de la même tranche d’âge, confrontés aux mêmes problèmes et ayant les mêmes
préoccupations. Le meme est devenu un outil de rassurance mutuelle, dont le contenu
étonne parfois, tellement il semble pertinent avec une émotion dont l’individu pensait
être le seul à ressentir.
Les générations X et des baby-boomers se sont indéniablement adaptées aux
technologies qui ont émergé lorsqu’ils étaient déjà adultes. Ils sont une majorité à être
dotée d’objets connectés, et à être présente sur les réseaux. Il semblerait cependant
qu’ils ne comprennent pas forcément l’intérêt du meme en tant que tel, sans doute lié
au fait que leurs besoins sont bien différents en matière de gratification. Ces
générations sont déjà bien lancées dans leur vie active et familiale – dans leur
parcours vital en général. Leurs incertitudes liées au futur sont sans doute moindres
comparées à celles des plus jeunes générations. Ils ne semblent pas éprouver un tel
besoin de rassurance, d’intégration sociale ou d’estime personnelle. Lorsqu’ils
partagent du contenu mémétique, c’est généralement dans le but d’instruire ou de
provoquer un débat avec leur entourage, concernant des choses plus objectives que
les « relatable memes ».

141
Mais lorsqu’elles sont confrontées à une situation de crise comme celle du Covid-19,
les besoins de gratification des générations plus âgées semblent changer
radicalement. On remarque une nette augmentation dans l’intérêt qu’elles portent au
contenu mémétique. Leurs habitudes de consommation, de partage et de production
décuplent pour atteindre des taux comparables à ceux des plus jeunes générations.
Il semblerait donc qu’en période de crise, le meme passe d’un contenu qui leur paraît
relativement obsolète, à un contenu qui leur sert d’échappatoire, de soutien moral, de
consolation ou encore de distraction, et qui élimine les barrières entre générations afin
de leur permettre de se confier, de s’exprimer, de se rassurer, et de s’informer ou de
s’unir face à une situation menaçante à laquelle il n’y a pas de réponses ni de
remèdes.

Ce travail s’est appuyé sur de nombreux concepts dans le but de constituer un cadre
conceptuel qui a permis d’émettre quatre grandes hypothèses et cinq sous
hypothèses, dont la majorité a été validée. Elles ont démontré que l’âge d’un individu
a une corrélation indéniable avec le fait de consommer, de partager et de produire des
memes, et qu’il est possible de catégoriser les différentes générations en ce qui
concerne leurs habitudes mémétiques, en y appliquant le modèle créateur-
synthétiseur-consommateur de Horowitz (2008). En effet, la génération Z démontre
des tendances de créateur, car c’est celle qui produit le plus de contenu. La génération
millénariale produit autant de contenu qu’elle n’en partage et se trouve donc entre
deux catégories, créateur-synthétiseur. La génération X partage du contenu en
majorité, mais est aussi nombreuse à prétendre qu’elle en consomme de manière
passive, faisant d’elle une génération plutôt synthétiseur-consommateur. Enfin, la
génération des baby-boomers est celle qui consomme le plus de contenu de manière
passive : c’est une génération consommateur. Ces différentes catégories sont sans
aucun doute le fruit des disparités socioculturelles entre les générations et servent à
expliquer, en partie, les différences intergénérationnelles liées au partage mémétique.
Les disparités se résorbent en période de crise, comme il a été démontré avec le cas
du Covid-19, une conséquence qui découle sans doute de l’incertitude globale vis-à-
vis d’une telle situation.
Dans un climat où même les plus grands acteurs mondiaux sont dans l’incertitude, les
êtres humains vont chercher de l’information et de la rassurance auprès de leur
entourage, à travers le partage et l’unification face à la menace du Covid-19. Les

142
réseaux sont donc pour eux un moyen d’obtenir du soutien psychologique, en partie
grâce au contenu mémétique qui facilite le partage d’émotions et de ressentis. La
relation qu’ils ont avec le web s’est renforcée lors des derniers mois parce qu’il a
permis aux individus de s’unir virtuellement, à défaut de pouvoir le faire en personne.
Même s’il reste encore beaucoup à découvrir de son impact sociétal profond, les idées
qui ressortent de cette enquête démontrent le rôle unificateur du phéno-meme qui
aujourd’hui défie les ruptures générationnelles.

143
VII. Annexes
7.1 Exemples de memes

2.1.3.4.1 Dank Memes


Figure A : Exemple d’un Normie Meme

Figure A : le meme « Success Baby » utilisé à des fins de marketing de masse. (Source : Virgin Media)

Figure B : Exemple d’un Dank Meme

Figure B : un Dank Meme dont le contenu critique les utilisateurs qui


consomment des Normie Memes. (Source : UpJoke)

144
2.1.3.4.2 Image-Macros
Figure C : exemple d’un Image-Macro meme

Figure C : un Image-Macro Meme dont le contenu illustre un jeu


de mots lié à la bombe nucléaire. (Source : QuickMeme)

2.1.3.4.3 Advice Animals


Figure D : exemple d’un Advice Animal meme

Figure D : un Advice Animal Meme dont le contenu critique les


habitudes nocives à l’environnement. (Source : Know Your Meme)

145
2.1.3.4.4 Rage Comics
Figure E : exemple d’un Rage Comic meme

Figure E : un Rage Comic meme dont le contenu reflète une situation


du quotidien. (Source : Rebloggy)

2.1.3.4.5 LOLcats
Figure F : exemple d’un LOLcats meme

Figure F : un LOLcats meme dont le contenu illustre le discours


interne d’un chat. (Source : Wikipedia)

146
2.1.3.4.6 Reaction Memes
Figure G : exemple d’un Reaction meme

Figure G : un reaction meme qui représente une


personne dans l’incompréhension. (Source :
Pinterest)

2.1.3.4.7 Relatable Memes


Figure H : exemple d’un Relatable meme

Figure H : un relatable meme qui illustre le fait de faire des projets à l’avance
mais de changer d’avis le jour J. (Source : Imgur)

147
2.1.3.4.8 Twitter Memes
Figure I : exemple d’un Twitter meme

Figure I : un Twitter meme qui traite du Binge-Watching (Source :


Twitter/@TravusHertl)

7.2 Compléments d’enquête


4.1.3.2.2 « Philosoraptor »

Figure 31 : Habitudes de partages


liées au « Philosoraptor »

4.1.3.2.3 « Success Kid »

Figure 34 : Habitudes de partage liées au


« Success Kid »

148
4.1.3.2.4 « Grumpy Cat »

Figure 37 : Habitudes de partage liées au


« Grumpy Cat »

4.1.3.2.5 « Bad Luck Brian »

Figure 40 : Habitudes de partage liées à « Bad


Luck Brian »

4.1.3.2.6 « Rage Comics »

Figure 33 : Habitudes de partage


liées à « Rage Comics »

149
4.1.3.2.7 « Trollface »

Figure 46 : Popularité de Trollface au fil du temps (Google Trends, 2020)

Figure 47 : Habitudes de partage liées à


Trollface

4.1.3.2.8 « Be like Bill»

Figure 50 : Habitudes de partage liées


à Be like Bill

150
4.1.3.2.9 « Jealous Girlfriend »

Figure 53 : Habitudes de partage


liées à Distracted Boyfriend

4.1.3.2.10 « Relatable memes »

Figure 54 : popularité des « Relatable Memes » au fil des années (Google Trends)

Figure 57 : Habitudes de partage liées aux


« Relatable memes »

151
4.1.3.2.11.1 « Twitter memes » : Texte et image

Figure 60 : Habitudes de
partage liées aux « Twitter
Memes » (texte et image)

4.1.3.2.11.2 « Twitter memes » : Texte uniquement

Figure 63 : Habitudes de partage liées aux


« Twitter Memes » (texte)

152
Lisa DUBIN Travail de Mémoire Janvier 2021

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