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CONTRIBUTION DU TRANSPORT LAGUNAIRE ET DES ACTIVITÉS INDUITES

AU DÉVELOPPEMENT DU DÉPARTEMENT DE DABOU

Dr AKA Kouadio Akou


Université de Cocody, Abidjan (Côte d’Ivoire)
Centre de Recherches Architecturales et Urbaines (CRAU)

RESUME ABSTRACT
L’étude examine l’apport du transport lagunaire The study examines the contribution of lagunaire
et des activités économiques induites au dévelop- transport and the induced economic activities to the
pement potentiel du département de Dabou. Elle potential development of the department of Dabou.
est organisée autour de trois points principaux. Le It is organized around three principal points. The first
premier point décrit, à grands traits, les rapports point described, rapidly, the relationship between
entre le département de Dabou et la lagune Ebrié the department of Dabou and the Ebrié lagoon and
et met en exergue la composition démographique puts forward the demographic composition and the
et les potentialités économiques dont bénéficie la economic potentialities from which the area profits.
région. Le deuxième point présente l’évolution du The second point presents the evolution of lagunaire
transport lagunaire et identifie les causes de la baisse transport and identifies the causes of the fall of the
des activités. Enfin, le troisième point est relatif aux activities. Lastly, the third point is about the economic
activités économiques liées au transport lagunaire activities related to lagunaire transport which could be
qui pourraient être redynamisées ainsi que celles redynamised as those which could be created.
qui pourraient être créées.
Key words  : Dabou, lagunaire transport, redy-
Mots-clés  : Dabou, transport lagunaire, redy- namisation, economic activities, regional develop-
namisation, activités économiques, développement ment
régional

intéressés au transport et à la polarisation urbaine


à Dabou. Koby A T (1993) a également démontré
INTRODUCTION que Dabou est une ville-marché qui a une influence
sur son environnement. Sur le plan administratif,
De nombreux auteurs ont réalisé des travaux de
le département de Dabou, situé au sud de la Côte
recherche sur le département de Dabou. On peut
d’Ivoire fait partie de la Région des Lagunes (figure 1).
citer, entre autres, Berron H (1979) qui a étudié
La ville de Dabou, chef-lieu du département du même
la basse Côte d’Ivoire en mettant l’accent sur les
nom, a une population de 53 633 habitants (RGPH,
activités lagunaires entreprises dans la région
1998) et une superficie lotie de 1 515 ha en 1997
de Dabou. Traoré M et Moussa D (1989) se sont
selon la Mairie.

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Figure 1 : Localisation du département de Dabou en Côte d’Ivoire et dans la Région des Lagunes

A l’instar des autres régions lagunaires de étude concerne l’apport du transport lagunaire et des
Côte d’Ivoire, le transport par voie d’eau dans le activités induites au développement du département
département de Dabou permet à la population de de Dabou. Elle s’article autour de trois points. Dans
se déplacer. Il assure également la cohésion de un premier temps, elle examine le rapport entre le
l’espace départemental à travers les échanges de département de Dabou et la lagune Ebrié. Dans un
produits divers, ce qui a pour corollaire la mise en second temps, elle s’intéresse à l’univers du transport
place d’activités économiques induites. La présente lagunaire qui date de l’époque coloniale. Enfin la

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troisième partie a trait au développement potentiel du I /- DABOU, UN DEPARTEMENT QUI
département de Dabou à travers la redynamisation et
JOUXTE LA LAGUNE EBRIE
la création d’activités économiques liées au transport
lagunaire. Du point de vue méthodologique, le travail La ville de Dabou est construite sur un plateau qui
repose à la fois sur des investigations documentaires surplombe la lagune Ebrié, à 50 kilomètres d’Abidjan.
effectuées dans les institutions qui œuvrent pour le Autour de cette ville gravitent un ensemble de petits
développement du département de Dabou et sur des villages intégrés dans la commune. Ce sont Agnéby,
enquêtes de terrain réalisées auprès des transpor- Alaba, Armébé, Débrimou, Gbougbo, N’gatty et Pass
teurs, des autorités politiques et administratives, des (figure 2).
commerçants et des riverains.

Figure 2 : Dabou et les localités environnantes

La population de la ville de Dabou qui était de 46 des étrangers originaires des pays de la sous-région
214 habitants en 1985 est passée à 53 633 âmes en ouest africaine (Ghana, Burkina Faso, Bénin, Mali,
1998, soit une croissance démographique de 16% Togo, etc.) que l’on retrouve dans les secteurs de la
en 13 ans. Cette population est composée de 52% pêche, de l’agriculture et du commerce. Les étran-
d’hommes et 48% de femmes. Le département de gers qui sont pêcheurs, notamment les Béninois et
Dabou a une population de 138 869 habitants dont les Ghanéens, habitent dans les campements1 som-
67 061 résident dans le secteur communal et 71 808 maires établis aux abords des villages. Ils pratiquent
dans les zones rurales. Les Adjoukrou, populations la pêche aux crevettes mais s’adonnent à d’autres
autochtones, cohabitent depuis de nombreuses
décennies avec des Ivoiriens venus des autres ré- 1- Le campement est un groupement d’abris généralement
gions de Côte d’Ivoire, notamment les Appoloniens, provisoire localisés sur les plantations et les champs de
les Baoulé, les Malinké, les Ahizi, les Abidji, etc. et pêche. Ils peuvent devenir des formes d’habitat permanent.

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types de pêche avec les éperviers, les filets maillants 434 pêcheurs ont été recensés à Dabou et 248
et les lignes dont ils connaissent l’usage. à Songon, soit 682 pêcheurs au total dont 474 sont
ivoiriens, ce qui représente 69,5% de l’ensemble des
Dans les années 1975, des coopératives villageoi-
pêcheurs recensés. Tous les pêcheurs pratiquent la
ses, créées surtout à l’est de Dabou, embauchaient
pêche individuelle avec des filets maillants, des éper-
des pêcheurs étrangers afin d’élargir leur champ
viers et des lignes à hameçons multiples. Contrai-
d’action à des formes de pêche spéculative. A l’ori-
rement aux étrangers qui pratiquent uniquement la
gine, les pêcheurs étrangers étaient très nombreux
pêche, les Ivoiriens s’adonnent tantôt à la pêche,
du fait de l’abondance de poissons et de crustacés
tantôt à l’agriculture. Cette seconde activité s’effec-
dans la lagune. D’après la Direction des Produits
tue surtout pendant la saison sèche, de décembre
Halieutiques, 26 Ivoiriens et 532 étrangers soit 558
à avril, au moment où les pêcheurs capturent moins
pêcheurs au total ont été recensés en 1999. La même
de poissons. Sur 87 pêcheurs ivoiriens interrogés,
source fait état de 45 Ivoiriens et 1 450 étrangers soit
16 d’entre eux, soit 18% sont propriétaires terriens.
un total de 1 495 pêcheurs recensés en 2004. De nos
Ils cultivent de l’hévéa, du palmier à huile, des noix
jours, il y a moins d’étrangers. Comme le montre le
de coco et du manioc. Ils alternent la pêche et les
tableau 1, de plus en plus d’Ivoiriens s’adonnent à
travaux champêtres. 42 soit 48% des pêcheurs
la pêche dans toute la région de Dabou.
interrogés pratiquent l’agriculture pendant la saison
sèche. Les 29 autres, soit 33% de l’ensemble des
Tableau 1 : Nationalité des pêcheurs de Dabou pêcheurs interrogés s’adonnent à diverses activités
et de Songon pendant la saison sèche, à savoir le tissage de filets
maillants, la fabrication de pirogues et les travaux
agricoles de temps en temps.
Localités En ce qui concerne les 208 pêcheurs étrangers,
Dabou Songon Total 163 sont Béninois, soit 78% de l’ensemble des
Nationalité
des pêcheurs pêcheurs étrangers. En effet, les Béninois ont une
Ivoirienne 318 156 474
bonne maîtrise des techniques de pêche aux crevet-
tes, produits halieutiques très prisés par les Ivoiriens.
Ghanéenne 9 3 12
Du fait de la rentabilité de la pêche aux crevettes,
Burkinabé 8 - 8 les Béninois font venir leurs compatriotes en grand
Béninoise 84 79 163 nombre avec lesquels ils travaillent.
Malienne 14 10 24
Togolaise 1 - 1 Sur le plan spatial, la ville de Dabou a une super-
Total 434 248 682 ficie de 1 515 ha. Quant à la commune, elle couvre
Source : Direction Départementale de la Production Animale
6 300 ha. A l’instar de nombreuses villes de Côte
et des Ressources Halieutiques de Dabou, aout 2009 d’Ivoire, la croissance spatiale de Dabou est liée
à la création de quartiers périphériques destinés
Selon la Direction Départementale de la Pro- essentiellement aux logements. Les emplois moder-
duction Animale et des Ressources Halieutiques de nes sont surtout concentrés au cœur de la ville. Le
Dabou, le comptage des pêcheurs en 2009 a eu lieu petit commerce se retrouve un peu partout. D’après
dans les localités où la pêche est intensive. Il a été Koby A T, op. cit., le grand marché de Dabou avait
effectué à Dabou-ville (à côté du débarcadère situé en 1987 un effectif de 1 655 stands éclatés sur un
au bord de la lagune Ebrié) et dans 12 autres villa- vaste espace. Ce marché s’est agrandi au fil des ans
ges rattachés au département de ladite ville. Il a été du fait de l’augmentation du nombre de vendeurs. Il
également réalisé à Songon-ville et dans 13 localités est particulièrement animé le samedi, jour le plus im-
riveraines. Notons que Songon ne fait pas partie du portant de la semaine pour les échanges de produits
département de Dabou. Cependant, l’encadrement commerciaux et de grande affluence.
technique des pêcheurs est assuré par les agents de
la Direction Départementale de la Production Animale Au plan économique, le département de Dabou
et des Ressources Halieutiques de Dabou. bénéficie de la proximité de la lagune, de la qualité de

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son sol couvert par la forêt humide, de la bonne plu- se déroulent dans un espace malsain où les produits
viométrie annuelle variant entre 1 200 et 1 700 mm, halieutiques en putréfaction dégagent une mauvaise
du dynamisme de sa population et de ses rapports odeur. L’accumulation de déchets dans la lagune fa-
privilégiés avec Abidjan, la capitale économique de la vorise tout de même la prolifération des moustiques,
Côte d’Ivoire. Les cultures d’exportation sont le café, le vecteurs du paludisme. Au regard des problèmes
cacao, le palmier à huile et l’hévéa (Lélépo K. H, 2007). environnementaux invoqués, il serait opportun pour
L’agro-industrie est prépondérante et fournit des emplois les opérateurs économiques et les responsables
agricoles et industriels. Les structures agro-industrielles, communaux de Dabou de se pencher sur la question
Palm-Afrique, PHCI2, CNRA3, SAPH4 et CCP5 exploitent car la lagune participe au développement de l’ensem-
de vastes parcelles. Elles jouent un triple rôle : création ble du département à travers des activités telles que
de plantation et collecte de la production ; transformation la navigation, la pêche et autres.
primaire des produits agricoles en huile de palme et
en caoutchouc sec ; et commercialisation de l’huile de
palme et du caoutchouc. Au plan des vivriers, on note
les cultures du manioc, très prisé par les Adjoukrou, la
banane, l’igname et le riz irrigué. Le manioc est cultivé
par la quasi totalité des paysans. La tubercule de manioc
est transformée en attiéké6 et vendue sur les marchés de
Dabou ainsi qu’à Abidjan, grand centre de consomma-
tion. L’attiéké est préparé à Dabou et dans les villages
environnants. C’est un produit de consommation cou-
rante en Côte d’Ivoire. Comme le fait remarquer Koby
A T, op. cit., « la puissance publique n’a pas encore
eu de stratégies d’intervention pour encourager cette
production en milieu paysan dans le but d’en faire une
importante activité commerciale chez les peuples de
la région lagunaire». Photo 1 : Vue de la lagune, en face du marché
Il n’y a pas d’activités industrielles au bord de la relais de Dabou.
lagune pouvant accentuer la pollution de l’eau. Ce- Cliché de l’auteur, août 2009
pendant, l’utilisation de produits toxiques par certains
pêcheurs constitue un véritable danger puisqu’ils II /- L’EVOLUTION DU TRANSPORT
polluent la lagune. Il est à noter également que les LAGUNAIRE DANS LA REGION DE
eaux pluviales qui tombent dans la ville de Dabou DABOU
ruissellent vers la lagune. Un marché relais où se D’après Berron H op. cit. « le transport lagunaire
commercialise une partie des produits halieutiques est pratiqué dans la région de Dabou depuis l’époque
débarqués par les pétrolettes7 est créé au bord de coloniale, dans les années 1900. A cette époque, les
la lagune. Les déchets produits dans ce marché graines produites dans les vastes palmeraies natu-
souillent l’environnement en raison du mauvais en- relles servaient à la préparation de l’huile de palme
tretien des lieux (photo 1). Les activités économiques par les Adjoukrou. Cette huile était contenue dans
2 PHCI : Plantations et Huileries de Côte d’Ivoire des calebasses et transportée par des pirogues sur
3 CNRA : Centre National de Recherche Agronomique la lagune Ebrié. Les navigateurs portugais, anglais et
4 SAPH : Société Africaine de Plantations d’Hévéa. français proposèrent aux indigènes de leur échanger
5 CCP : Compagnie des Caoutchoucs de Pakidié-Dabou de l’huile de palme contre les produits manufacturés
6 Attiéké : semoule de manioc cuite à la vapeur. L’attiéké venus d’Europe. Dans la région de Jacqueville, les
est une spécialité culinaire des populations lagunaires Allandjan qui étaient en contact avec les bateaux
(Adjoukrou, Ahizi, Ebrié, Alladjan...). en haute mer s’offrirent comme intermédiaires pour
7 La pétrolette ou la pinasse désigne le même type acheminer les produits de l’arrière-pays vers les riva-
d’embarcation. Il s’agit de bateau-mouche de fabrication ges. Un trafic important se développa alors entre les
locale dont le moteur est importé des pays développés. villages Adjoukrou et les villages Alladjan ».

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Outre le transport de l’huile de palme, le transport
lagunaire a été organisé au fil des années par les po-
pulations pour assurer les déplacements en pirogue
des biens et des personnes vivant dans les localités
riveraines. Les pirogues sont fabriquées sur place là
où l’on trouve de grands arbres susceptibles d’être
utilisés. A ce jour, le prix d’acquisition de la pirogue
varie de 40 000 à 150 000 francs8 selon la capacité.
La pirogue a une longueur de 6 à 12 mètres et une
largeur de 0,50 à 2 mètres. Sa capacité est de 2 à
20 places. La pirogue sert à voyager mais également
à faire la pêche et à aller au champ. Les personnes
moins nanties utilisent une pagaie et dans certains
cas une voile pour faire avancer leur pirogue. Celles Photo 2 : Traversée de la lagune en pirogue de
qui le peuvent font installer un moteur sur leur pirogue Lahou Panda à Epossa
pour pouvoir aller plus vite. Pour ce qui est du trans-
port en commun, les pirogues ont été remplacées par Cliché de l’auteur, juin 2009.
des pétrolettes à Dabou du fait de leur plus grande Dans le département de Dabou, le transport
capacité et de leur vitesse supérieure à celle des lagunaire a pris de l’ampleur avec l’avènement des
pirogues traditionnelles. Cependant, on effectue de pétrolettes. Ce sont des engins de 10 à 20 mètres
nos jours, le transport des biens et des personnes de long et 3 à 4 mètres de large. Contrairement à la
avec des pirogues dans de nombreuses régions pirogue, la fabrication de la pétrolette s’effectue en
de Côte d’Ivoire, notamment à Grand-Lahou, à 72 ville. Elle nécessite du bois, un moteur, un gouver-
kilomètres de Dabou. Là-bas, les pirogues assurent nail, des bâches, des bouées de sauvetage et autres
la traversée de la lagune, permettant ainsi la liaison accessoires qui sont vendus en ville. La pétrolette a
entre l’ancienne ville, Lahou Panda, quasiment aban- un toit posé sur quelques montants et des bâches
donnée à cause de l’avancée de l’Océan Atlantique, qui peuvent être déployées pour protéger l’intérieur
et la nouvelle ville de Grand-Lahou située à 18 km de l’engin, permettant ainsi la navigation par tous
du littoral. La navette des pirogues s’effectue entre les temps y compris les fortes averses de la grande
Lahou Panda et Epossa où se trouve le débarcadère saison des pluies. Sa capacité varie de 40 à 100
(photo 2). Les passagers, une vingtaine de person- places. Le personnel navigant est de 4 à 8 membres
nes, s’installent sur des bancs placés dans le sens de selon la capacité de l’embarcation mais également
la largeur de l’embarcation. Les bagages, composés par rapport aux travaux de manutention à effectuer
de produits de la pêche et d’objets divers, sont empi- pendant le voyage. La pétrolette permet de parcourir
lés à l’avant de l’appareil. Le personnel naviguant, le de longues distances, parfois supérieures à 100 km.
pilote assis à l’arrière où se trouve le gouvernail, et En mai 2002, nous avons effectué un voyage à bord
son apprenti à l’avant, effectuent la traversée. d’une pétrolette qui assurait la liaison Abidjan-Ebo-
nou, longue de 150 km. Le départ d’Abidjan a eu lieu
un mardi à 22 h. La pétrolette est arrivée à Lahou
Panda, située à 115 km, le lendemain, mercredi à 13
h, soit 15 h plus tard. C’est le jeudi, à 1 h du matin,
soit 27 h après le départ d’Abidjan que nous sommes
arrivés à Ebonou (Aka K A, 2005). Le voyage dure
longtemps parce que les pétrolettes font escale dans
8 Les valeurs en francs sont exprimées en CFA. US$1 plusieurs villages et campements pour embarquer et/
est égal à 500 FCFA mais il peut y avoir des fluctuations. ou débarquer les voyageurs et les marchandises.
La valeur du dollar américain par rapport au franc CFA
varie généralement de 400 à 700 FCFA. 1 € est égal à Les embarcations qui desservent Dabou arrivent
655,957 FCFA entre 3 h et 6 h du matin de différentes localités
de la Région des Lagunes, à savoir Toukouzou,

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Couvé, Attoutou B, Temen, Ahikakro et Tiébiessou Toukouzou à destination de Dabou sont facturés aux
(figure 3). Sur le toit de ces embarcations sont empilés prix suivants : 1 500 à 3 500 francs le panier ; 600 à
des bagages (photo 3). La pétrolette «M’sa Ankouan» 700 francs le sac de semoule et 3 000 à 4 000 francs
qui veut dire  Dieu merci  en avikam assure la liaison la caisse isotherme. Les paniers de poissons et de
Toukouzou –Dabou. Elle est arrivée à 5 h 53 le jour de crustacés qui ne sont pas accompagnés portent un
l’enquête. Elle avait transporté 32 passagers dont 23 signe, soit un bout de pagne noué sous l’osier, soit une
commerçantes et 9 autres voyageurs, 41 paniers de marque de peinture. Par ces signes, la correspondante
poisson fumé, 20 paniers de poisson frais, 5 caisses les reconnaît et les réceptionne à Dabou sous le regard
isothermes contenant du poisson frais, 22 paniers de vigilant du capitaine de l’embarcation à qui ces paniers
crabes frais, 19 paniers de crabes fumés, 10 paniers ont été confiés. De nombreuses femmes acheteuses de
de crevettes fraiches, 14 paniers de crevettes fumées, poissons et de crustacés venues d’Abidjan et d’ailleurs
30 sacs de semoule de manioc et 12 paniers d’attiéké. attendent sur le quai les pétrolettes dont les heures
Avant de fixer le prix de transport des marchandises, le d’arrivée sont étroitement liées à celles du marché de
capitaine de la pétrolette tient compte de la distance, Dabou, permettant ainsi aux passagers qui ont des
du poids et du volume. Les bagages embarqués à produits à vendre de les écouler plus facilement.
  

Figure 3 : Quelques localités riveraines de la région des Lagunes

Photo 3 : Les bagages empilés sur le toit de la pétrolette « M’sa Ankouan »
Cliché de l’auteur, août 2009

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Le retour a lieu entre 11 h et 15 h avec des passa- en quantité importante, des gens qui vont assister à des
gers en nombre moins important qu’à l’aller du fait des funérailles ou des salariés d’Abidjan rentrés au village
différents motifs de déplacement. La pétrolette «M’sa pour le week-end et qui, en raison du mauvais état
Ankouan» est repartie à 14 h 35 avec 27 passagers des routes ou de l’enclavement de leur cité, veulent
comprenant les 23 commerçantes et 4 autres voyageurs retourner en ville via Dabou dès le dimanche soir. Le
dont 2 qui sont arrivés avec la même pétrolette et 2 nou- prix de la location dépend de la distance, du nombre de
veaux passagers qui sont boutiquiers, l’un à Taboutou et passagers, du poids des marchandises etc. La location
l ‘autre à Téfrédji, deux villages situés sur l’axe lagunaire pour le transport de matériaux de construction de Da-
Dabou-Toukouzou. En dehors des commerçantes, 7 des bou à Toukouzou par exemple est de 250 000 francs.
9 passagers débarqués le matin ne sont pas retournés Toutefois, le client peut marchander afin que ce prix soit
le même jour. 4 sont venus rendre visite à des parents à revu à la baisse. Somme toute, il n’y a pas de prix fixe
Dabou, 2 sont allés à Abidjan et 1 est parti à Divo. Outre pour la location d’une embarcation.
les passagers, «M’sa Ankouan» a transporté au retour
Dans les années 1975, période de forte croissance
des produits alimentaires composés de 24 sacs de riz,
de l’économie ivoirienne, le trafic de voyageurs et de
16 sacs de farine, 1 fût d’huile de table, 23 casiers de
marchandises était plus élevé. Un important commerce
boisson (vin, bière, jus de fruit), 12 régimes de banane,
de poisson animait chaque jour le quai de Dabou. 15 pé-
5 sacs d’igname et 2 sacs de taro. Il y avait également
trolettes desservaient Dabou à cette époque-là (Berron
88 paniers vides qui contenaient le matin même le pois-
H, op. cit.). Elles circulaient tous les jours de la semaine.
son, les crustacés et l’attiéké, 20 paquets de ciment, 1
Un syndicat regroupant les propriétaires des bateaux
vélo, 8 cartons de savon et 17 planches. D’après les
organise les mouvements de ceux-ci en essayant d’ar-
commerçantes, le nombre de paniers vides au retour
ranger au mieux les intérêts de tous ses membres, ce
est inférieur au nombre de paniers transportés le matin
qui ne va pas toujours sans heurts.
parce que tous n’ont pas été rendus par les clients à qui
elles ont l’habitude de vendre leurs produits. A partir des années 1980, le nombre d’embarcations
a commencé à diminuer de manière drastique. En 1994,
La diversité de produits transportés dans un sens
les bateaux venaient à Dabou seulement le lundi, le mer-
comme dans l’autre témoigne du rôle important que
credi et le samedi. Depuis 1995, ils viennent uniquement
jouent les pétrolettes dans les échanges commerciaux.
le samedi, jour de marché à Dabou. Le Tableau 2
Notons que les pétrolettes sont occasionnellement
montre la situation du transport lagunaire à Dabou
louées pour transporter des matériaux de construction
en 2009 par rapport à 1982.
Tableau 2 : Situation du transport lagunaire à Dabou en 2009 par rapport à 1982
1982 2009
Nom des Nom des
destination Tarif destination Tarif
embarcations embarcations
Hosana Amidou Campement
Coco 700
Aka Wourmane Abrako 150
Dieu ne dort pas n°1
Jacqueville Zaki Bébé
Dieu ne dort pas n°2 300 Ahikakro 1 000
et Goyer
Tchava n°1
Tiébiessou 300 Nigui-Saff Temen 1 000
Tchava n°2
Tchobié Ahikakro 400 Jérusalem
Atoutou B 1 000
Qui connais Temen 400
Gloire à Dieu Couvé Couvé 1 500
Tiagba 500
Donne à Dieu M’sa Ankouan  Toukouzou 1 800

Source : Synthèse des enquêtes menées par l’auteur en 1982 et 2009

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De 15 pétrolettes dans les années 1975, il y en - le voyage dure plus longtemps en pétrolette
avait 10 en 1982 (aka, 1982) et 6 aujourd’hui, soit qu’en automobile. Les embarcations sont vétustes
une réduction du nombre de pétrolettes de 60% en et les conditions de sécurité sont déplorables. Un
34 ans. Les pétrolettes « Hosana, Aka Wourmane, voyageur qui emprunte la pétrolette à Toukouzou
Tchava n°1, Tchava n°2, Gloire à Dieu, Donne à 19 h arrive à Dabou à 6 h soit 11 heures après.
à Dieu …» exploitaient les lignes lagunaires qui Celui qui emprunte le mini car à 1 h du matin arrive
relient Dabou à Abrako, Tiébiessou et Tiagba. Ces à Dabou à 6 h soit 5 heures plus tard. En effet, pour
pétrolettes ont fait faillite à cause de la baisse des une même destination, la pétrolette met 2 à 3 fois
activités qui a engendré à son tour la baisse des plus de temps que l’automobile. Qui plus est, l’auto-
recettes. Qui plus est, le tarif évolue en fonction de mobile a l’avantage de débarquer les usagers et leurs
l’augmentation du prix du carburant. Il est de 150 bagages au cœur de la ville. D’après le capitaine
à 500 francs en 1982 et de 700 à 1 800 francs en de la pétrolette «M’sa Ankouan», 4 mini-cars de 22
2009. La majoration du tarif oblige les personnes places chacune assurent le ramassage des usagers
qui ont un faible revenu à voyager moins. Comme de 1 h à 6 h du matin. Lorsque la pétrolette quitte
les embarcations, le nombre de passagers et le vo- Toukouzou à 19 h avec seulement 5 passagers, les
lume de marchandises diminuent au fil des ans. Les autres voyageurs, 9 à 10 fois plus nombreux, atten-
principales raisons de cette diminution peuvent être dent les mini-cars qui vont à Abidjan. Les passagers
résumées comme suit : à destination de Dabou prennent la correspondance
à la descente du bac, après le village de Ndjem. Le
- le volume des produits de la pêche a baissé prix de transport Toukouzou-Dabou par voie routière
alors que ces produits représentent la plus grande est de 2 800 francs.
part des marchandises transportées par les pétro-
lettes. La taxe perçue sur le transport des bagages Malgré la baisse du trafic de voyageurs et de mar-
augmente considérablement la recette. S’agissant de chandises, le transport lagunaire demeure important.
la pétrolette « M’sa Ankouan », cette taxe est estimée Il permet d’éviter les détours, les ruptures de charge
à 350 000 francs. La diminution des produits halieu- et les routes impraticables. Il permet également
tiques a engendré la baisse du trafic de voyageurs d’accéder plus facilement aux localités enclavées
dont plus de 70% sont acheteurs de poissons et de et d’initier des activités touristiques, en l’occurrence
crustacés et épouses de pêcheurs commercialisant dans le domaine de l’éco-tourisme. Afin d’améliorer
elles-mêmes les produits de la pêche de leurs maris. le transport des biens et des personnes dans le
Le tarif de 1 800 francs ne s’applique pas à tous les département de Dabou, il est nécessaire de mettre
voyageurs puisqu’ils ne sont pas embarqués dans la l’accent sur le transport multimodal. Le transport
même localité. Si tous venaient de Toukouzou, le prix routier et le transport lagunaire doivent être perçus
de transport payé par les voyageurs serait de 57 600 comme deux modes de transport complémentaires. Il
francs au total, ce qui représente seulement 16% de convient donc de redynamiser le transport lagunaire.
la taxe perçue sur le transport des bagages ; Cette redynamisation doit se faire par l’acquisition
d’embarcations modernes, plus rapides, offrant plus
- la création de routes a permis de désenclaver de confort et respectant les normes de sécurité.
les localités isolées et de consacrer le recul du
transport lagunaire. Actuellement, aucun village de III /- REDYNAMISATION ET CREATION
la sous-préfecture de Dabou n’est en marge de la D’ACTIVITES LIEES AU TRANPORT
circulation automobile. Désormais, le voyageur a le LAGUNAIRE 
choix entre l’automobile et la pétrolette. L’axe bitumé
Dabou-San Pedro dénommé « la Côtière », ouvert La pêche et la commercialisation de poisson et
en 1990, facilite l’accès à de nombreux villages qui, de produits divers constituent les principales activités
jadis, n’avaient que le transport lagunaire comme économiques liées au transport lagunaire dans le
mode privilégié de déplacement ; département de Dabou. Les produits de la pêche sont

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essentiellement composés de poisson, de crabes et
de crevettes. Comme le décrit Berron H, op. cit., « la
pêche est une activité très importante dans la région
de Dabou où les pêcheurs se sont équipés de filets à
crevettes, de forme conique, qui sont maintenus dans
l’eau par des perches de bambous, les crevettes s’y
prennent en suivant les mouvements des eaux lagu-
naires. Cette pêche s’effectue d’octobre-décembre
à mai-juin. Le travail des pêcheurs se fait en liaison
avec les marées. Ils restent en général 6 heures sur
l’eau, chaque pirogue est montée par deux hommes,
l’un conduisant l’embarcation, l’autre s’occupant du
filet duquel il retire du poisson, des crabes et des
crevettes. Ces filets ont une prise moyenne de 1 à
2 kg de crevettes par jour ». En raison de la baisse
Figure 5 : Evolution du tonnage de poisson,
des activités de la pêche, les fournitures annuelles
de poisson frais sur le marché de Dabou qui étaient
de crabes et de crevettes capturées
de 3 177 en 1976 et 1 425 tonnes en 1983 (Weigel, à Songon de 2005 à 2008
1989) sont passées à 243,92 tonnes de produits Source  : Direction Départementale de la Pro-
frais (poissons et crustacés confondus) en 2008 duction Animale et des Ressources Halieutiques de
selon la Direction Départementale de la Production Dabou, aout 2009
Animale et des Ressources Halieutiques de Dabou.
Les figures 4 et 5 indiquent l’ampleur de la baisse
du volume des produits halieutiques à Dabou et à Il s’agit des produits de la pêche enregistrés à
Songon de 2005 à 2008. Dabou-ville et à Songon-ville. Ils proviennent des
deux villes et des villages riverains qui y sont ratta-
chés. En plus des produits halieutiques acheminés
les samedis à Dabou par les pétrolettes, les camions
débarquent chaque matin les mêmes produits à la
gare dénommée «gare des villages», située au cœur
de la ville de Dabou. Le volume total de poisson à
Dabou et à Songon est passé de 136,85 tonnes en
2005 à 80,91 en 2008 soit une réduction de 41% en 3
ans. Il en est de même pour le volume de crabes qui
est passé de 243,55 tonnes pour les deux localités
en 2005 à 135,76 tonnes en 2008 soit une baisse
de 44%. Enfin, le tonnage de crevettes connaît la
même chute, 387,2 tonnes en 2005 à 233,8 tonnes
en 2008, ce qui correspond à une baisse de 39%. A
l’exception du tonnage de poisson de Dabou qui a
augmenté en 2006 par rapport à l’année précédente,
Figure 4 : Evolution du tonnage de poisson, de les figures 4 et 5 affichent clairement la réduction du
crabes et de crevettes capturés à Da- volume des trois produits aussi bien à Dabou qu’à
bou de 2005 à 2008 Songon. Les investigations effectuées en août 2009
Source  : Direction Départementale de la Pro- auprès des agents de la Direction Départementale
duction Animale et des Ressources Halieutiques de de la Production Animale et des Ressources Ha-
Dabou, aout 2009 lieutiques de Dabou ont révélé que deux problèmes
essentiels se posent dans le domaine de la pêche :
l’utilisation de produits toxiques pour pêcher et la

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surexploitation des secteurs de pêche. En effet, outre de cause du fait de leur influence. Compte tenu de la
la pollution de l’eau, les produits toxiques utilisés diminution de stock des produits halieutiques, les in-
tels que le Tiodan 50 E qui sert à traiter les plants vestissements, de l’ordre de trente millions de francs,
d’hévéa, détruisent la population de poissons et de voire plus, ne sont plus rentables. De nos jours, tous
crustacées. Par ailleurs, les espèces capturées sont les villages lagunaires du département de Dabou
de mauvaise qualité et constituent un danger pour la sont concernés par la surexploitation des eaux pour
santé humaine. La consommation de poisson pêché le ravitaillement des marchés ruraux. Beaucoup de
avec des produits toxiques provoque, entre autres poissons se vendent à la criée sur l’eau, de pirogue
maladies, la colique et l’avortement chez les femmes à pirogue. Les crevettes sont vendues fraîches ou
enceintes selon les médecins. fumées. Des filets, on retire aussi de grosses quan-
tités de crabes des lagunes qui sont vendus frais.
Pour ce qui est de la surexploitation des sec-
La pêche s’organise à partir des possédants afin de
teurs de la pêche, jusque dans les années 1995,
répondre à l’importante demande d’un marché qui
elle se faisait avec de grands filets acquis par des
s’étend sans cesse avec le bitumage des principaux
personnalités politiques ou de riches commerçants
axes de circulation et les facilités de transport que
étrangers à la région. Ils employaient, par le biais
cela permet. Les produits de la pêche achetés par
d’un gestionnaire embauché sur place, un grand
les commerçants sont revendus en détail dans de
nombre de pêcheurs allochtones et autochtones à
nombreuses villes de l’intérieur du pays. Le tableau
qui ils payaient un salaire. Des conflits opposaient
3 indique la destination du poisson et de crabes
souvent les riverains aux propriétaires de grands
commercialisés au marché de Dabou en 1989.
filets mais ces derniers obtenaient généralement gain

Tableau 3 : Destination du poisson et de crabes commercialisés au marché de Dabou


Villes Poisson fumé Poisson frais Crabes
Tonnes Pourcentage Tonnes Pourcentage Tonnes Pourcentage
Divo 231 18,6 - - - -
Adzopé 194 15,7 - - 38 3
Toumodi 190 15,3 9 3,0 50 4
N’douci 66 5,3 7 2,3 37 3
Gagnoa 90 7,2 - - 87 7
Sikensi 46 3,7 5 1,6 - -
Tiassalé 38 3,0 - - - -
Daloa 66 5,4 - - 62 5
Bouaflé 30 2,4 - - 25 2
Bouaké 48 3,8 - - 75 6
Yamoussokro 75 6,0 - - 75 5
Dabou 60 4,8 17 5,6 62 4
Abidjan 95 7,6 123 40,7 660 53
Autres 17 1,2 18 6 101 8
Total 1246 100 302 100 1272 100

Source : Tiré de Weigel J. Y, 1989, page 38

A titre de comparaison, la figure 6 présente les Tiassalé (1,3 t)


villes importatrices ainsi que le tonnage de produits Toumodi (0,06 t)
fumés (poissons, crabes et crevettes confondus) Sikensi (1,1 t)
en 2009. Yamoussokro (0,5t)
Abidjan (10 t) Source  : Direction Départementale de la Pro-
Abengourou (0,02 t) duction Animale et des Ressources Halieutiques de
Adzopé (0,005 t) Dabou, aout 2009
Agboville (0,006 t) Figure 6 : Villes importatrices et tonnage de pro-
Agnibilékro (0,004 t) duits fumés
Dabou Daloa (0,001t)
N’douci (2,7 t)

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Il y a trois groupes de villes : (1) les villes qui
importent des produits de la pêche de Dabou depuis
1989. Ce sont Abidjan, Adzopé, Daloa, N’douci,
Tiassalé, Toumodi, Sikensi et Yamoussokro ; (2) les
villes qui n’importent plus de produits de la pêche
de Dabou. Il s’agit de Divo, Bouaké et Bouaflé. Les
commerçants de ces villes se ravitaillent désormais à
Abidjan; (3) les nouvelles villes importatrices comme
Abengourou, Agboville et Agnibilékrou. Le poisson
fumé est vendu dans des villes plus éloignées parce
qu’il pose moins de problème de stockage. C’est
pourquoi en 2009, on observe l’arrivée sur le marché
de Dabou des commerçants venus d’Abengourou et
d’Agnibilékrou, situées respectivement à 260 et 320
kilomètres de Dabou.
L’analyse du tableau 3 et de la figure 6 permet de
comprendre le rôle important que joue Dabou dans
le ravitaillement des autres villes de Côte d’Ivoire
en produits halieutiques. En 1989, Abidjan recevait
40,7% du tonnage de poisson frais et 53% du ton-
nage de crabes contre 77% de produits fumés en
2009. En 1989, 50% du tonnage de poisson fumé
étaient envoyés à Divo, Adzopé et Toumodi. La
figure 7 indique l’amplitude de l’espace de relation Figure 7 : Espace de relation du marché de
du marché de Dabou qui est une importante place poisson et de crustacées de Dabou en
de transaction de poissons et de crustacés. Amon Côte d’Ivoire
Kothias J. B (1981) et Weigel J.Y (1989) ont montré
que le commerce des produits de la pêche demeure
Au delà des liens commerciaux qui existent entre
prépondérant dans le marché de Dabou, Ce marché
la ville de Dabou et l’espace qui l’entoure, l’ensemble
est avant tout un lieu de rassemblement des femmes.
du département dispose de potentialités économi-
D’après Koby A T, op. cit., « l’effectif des vendeurs
ques, capables d’impulser le développement de la
est de 1 278 femmes et 377 hommes, soit respec-
région. La localisation à proximité d’Abidjan, grand
tivement 77,4% et 22,6%. L’explication du poids
centre de décision et de consommation, est un atout
prépondérant de femmes sur les marchés s’explique
indéniable. En effet, le département de Dabou peut
par le fait que pour entrer dans cette activité, on n’a
se développer en s’appuyant à la fois sur sa richesse
besoin que de petites sommes d’argent et que l’on
propre et sur celle de la capitale économique. En
peut faire appel au crédit (personnel) accordé en li-
considérant trois types d’espace que sont l’arrière-
quide ou en marchandises, qu’il n’est pas nécessaire
pays destiné à l’agriculture ; le littoral réservé
d’avoir de l’expérience, et qu’il est aisé d’échapper
au payement des impôts ».

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au jardinage maraicher et la lagune pour la navigation, la lagune est une entrave à leur métier. Il est nécessaire
la pêche, l’aquaculture, le tourisme etc., de nombreuses de procéder par des campagnes d’information et de sen-
activités peuvent être entreprises. Ces activités peuvent sibilisation. Par ailleurs, un appui technique et financier
générer des fonds nécessaires pour le développement doit être apporté aux pêcheurs qui veulent pratiquer
du département. Ils peuvent permettre également d’offrir l’aquaculture, l’agriculture ou autre activité pouvant leur
des emplois aux jeunes dont une bonne partie est au procurer un revenu. En ce qui concerne l’utilisation des
chômage comme dans la plupart des villes de Côte produits toxiques, phénomène qui s’observe malheu-
d’Ivoire. Le nombre de jeunes déambulant dans les reusement dans différentes régions de Côte d’Ivoire,
rues ou s’adonnant à divers jeux de hasard dans les plusieurs dispositions ont été prises par le Gouvernement
gares routières renseigne éloquemment sur l’oisiveté ivoirien dont l’application de la loi n° 86 563 du 25 juillet
de la jeunesse. 1996 relative à l’inspection sanitaire et qualitative des
denrées animales et d’origine animale. Cette loi prévoit
Certes, quelques-unes des activités sus-citées sont
une peine de 8 jours à 6 mois d’emprisonnement ferme
pratiquées de manière artisanale à Dabou. Malheureu-
et 500 000 à 1 000 000 de francs d’amende. Malgré la
sement, les résultats obtenus sont souvent en-deçà des
sanction, il existe encore des pêcheurs qui opèrent la
attentes. Les défis du temps moderne sont difficiles à
nuit ou à des endroits éloignés des lieux habités. D’après
relever parce que la compétition est de mise et le nom-
la Direction Départementale de la Production Animale
bre de demandeurs d’emplois augmente compte tenu
et des Ressources Halieutiques de Dabou, la pêche
de l’ampleur de la crise économique que connaît tout le
avec des produits toxiques se pratique dans tous les
pays. Les discussions avec les vendeuses Adjoukrou
villages lagunaires du département de Dabou (Téfrédji,
du marché de Dabou ont montré qu’elles ont un ex-
Toukouzou, Ahikakro etc.) et même du département de
traordinaire pouvoir économique malheureusement
Grand-Bassam. Face à la complexité de la situation,
insuffisamment exploité.
il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs, à savoir
Dans le cadre de la réalisation des projets de déve- les responsables administratifs, politiques et coutu-
loppement, en plus des ressources locales ainsi que miers, les cadres et les pêcheurs afin de démasquer
celles octroyées par l’Etat de Côte d’Ivoire, les possibili- les contrevenants. A l’instar de la surexploitation des
tés d’accords de partenariat pourraient être examinées. champs de pêche, des campagnes d’information et de
Dans les années 1990, la commune de Dabou avait noué sensibilisation doivent être menées.
des relations avec des institutions telles que l’Ambassade
du Canada, l’Agence Canadienne de Développement CONCLUSION
International (ACDI) et le Centre Canadien d’Etudes et
de Coopération Internationale (CECI) en vue de valori- Le département de Dabou possède des poten-
ser la production de l’attiéké. Des démarches similaires tialités économiques insuffisamment exploitées.
pourraient être effectuées pour promouvoir les activités Le transport lagunaire, jadis prépondérant, bat de
liées au transport lagunaire. Le Fonds Interprofessionnel l’aile en raison de la baisse du volume de produits
pour la Recherche et le Conseil Agricole (FIRCA) vient de la pêche. Cette baisse cause un préjudice à
d’initier une politique d’aide aux pêcheurs. Cette politi- toute la région. Le transport terrestre et le transport
que consiste à regrouper les pêcheurs en coopérative lagunaire sont complémentaires, c’est pourquoi la
afin de les aider financièrement et matériellement sur la modernisation des embarcations s’avère nécessaire
base de la cotisation de ces pêcheurs. En effet, l’initiative pour satisfaire la demande de transport des usagers
est louable et mérite d’être étendue à d’autres secteurs dans son ensemble. Concernant la sauvegarde et la
d’activités. reproduction des espèces halieutiques, il convient
d’observer une période de repos biologique. Par
Des mesures draconiennes doivent être prises pour ailleurs, la lutte contre l’utilisation de produits toxiques
lutter contre la surexploitation des champs de pêche doit être renforcée en impliquant les acteurs locaux.
et l’utilisation de produits toxiques. Pour ce qui est de Enfin, en plus de la pêche et de la navigation, des ac-
la surexploitation des champs de pêche, l’observation tivités telles que l’agriculture, le jardinage maraicher,
d’une période de repos biologique s’avère nécessaire. l’aquaculture, le tourisme etc. peuvent contribuer au
Pour cela, il faut emmener les pêcheurs à comprendre développement du département de Dabou.
que la baisse drastique des produits halieutiques dans

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