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Didié Armand ZADOU

Université Jean Lorougnon Guédé


Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire
didiedesjardins@yahoo.fr

DU NOMADISME CULTUREL A LA SEDENTARISATION DES


DIOULA A DALOA AU CENTRE-OUEST IVOIRIEN : QUELLES
LOGIQUES ?

Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, n° 21 - 2016

RESUME
En Côte d’Ivoire, l’arrivée et l’installation des grands groupes
ethnoculturels qui la peuplent se sont faites à partir des grandes
vagues migratoires dans le pays. Ainsi, l’histoire de la migration des
mandés du Nord, va connaitre plusieurs phases ayant un ancrage
dans la culture de ceux-ci. Installés au Nord de la Côte d’Ivoire, ces
derniers constitueront le point de départ des Dioula qui depuis lors,
parcourent les villes ivoiriennes pour le « dioulaya » ou le commerce,
leur activité principale. Daloa, une ville cosmopolite, n’échappe pas
aux Dioula dans leur nomadisme culturel. Cependant, fort est de
constater que paradoxalement à leur habitude culturelle, les Dioula
ont développés une sédentarisation manifeste à Daloa.
Ce présent travail vise à comprendre les logiques qui sous-tendent
cette sédentarisation des Dioula à Daloa. Cette étude essentiellement
qualitative a permis d’appréhender, d’une part, les raisons de
la migration des Dioulas vers la ville de Daloa. D’autre part, elle
élucide les facteurs explicatifs de leur sédentarisation dans la ville.
En somme, ce travail démontre que les avantages qui s’offrent aux
Dioula sur les plans économique, politique et social, justifient leur
sédentarisation à Daloa.
Mots-clés : Nomadisme culturel, Sédentarisation, Dioula, Daloa,
Côte d’Ivoire.
didié armand zadou

ABSTRACT
In Côte d’Ivoire, the arrival and settlement of the large ethnocultural
groups that inhabit it were made from the great waves of migration
in the country. Thus, the history of the migration of the Mande of the
North, will know several steps having an anchor in the culture of these.
Installed in the North of Côte d’Ivoire, these will be the starting point
of the Dioula who have since traveled through the Ivorian cities for
“dioulaya” or trading, their main activity. Daloa, a cosmopolitan city,
does not escape the Dioula in their cultural nomadism. However, it is
clear that paradoxically their cultural habit, the Dioula have developed
a sedentary settlement in Daloa.
This work aims to understand the logic underlying this settlement
of the Dioula in Daloa. This essentially qualitative study made it
possible to understand, on the one hand, the reasons for the migration
of the Dioula to the city of Daloa. On the other hand, it elucidates the
explanatory factors of their sedentarization in the city. In sum, this
work shows that the economic, political and social advantages offered
to the Dioula justify their settlement in Daloa.
Keywords: Cultural nomadism, Settlement, Dioula, Daloa, Côte
d’Ivoire.

INTRODUCTION
La Côte d’Ivoire est historiquement une terre d’immigration
(Beauchemin, 2005). Les cinq groupes ethnoculturels autochtones
(Krou, Akan, Gur, Mandé du Sud et Mandé du Nord) qui composent
le pays sont arrivés par grandes vagues migratoires à partir du XIVème
siècle. Cette tradition migratoire s’est perpétuée tout au long du XXème
siècle par des mouvements, à la fois transfrontaliers et internes,
orientés vers les villes ou vers les campagnes.
Ces flux migratoires internes et externes furent perpétués et
renforcés par le développement de l’économie de plantation. En
effet, la politique migratoire qui prévalait à cette époque en Côte
d’Ivoire était caractérisée par une ouverture à la libre circulation des
hommes et des biens et une accession facile à la propriété foncière,
consacrée par l’expression d’alors : « La terre appartient à celui qui
la met en valeur » (INS, 2002a).

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Tous ces mouvements migratoires ont favorisé la cohabitation de


peuples dont les territoires et les identités ethniques avaient été forgés
et figés aux premières heures de la colonisation. On trouve désormais
dans tout le pays des villages dont le nom se termine par « kro » (suffixe
baoulé, parfois même adopté par des non-Baoulé) ou par « dougou »
(suffixe dioula) (Chauveau, 1987 cité par Beauchemin, 2005).
Pour Marabet (2006), l’historique de la migration en Côte d’Ivoire
remonte au premier millénaire, avec l’installation des Sénoufo dans le
Nord. Il met l’accent sur l’origine du peuple Malinké qu’il situe dans
le grand groupe Mandingue présent dans l’ancien empire du Mali.
Le peuple Malinké agrège un ensemble de six groupes ethniques
habitant la partie septentrionale du pays. Les Mandinka, littéralement
« ceux qui parlent la langue du Mandé ». Les Mandinka constituent,
avec trois autres groupes, à savoir les Koyaka, les Mahouka et
les Bambara, les « Malinké occidentaux » que l’on retrouve dans
les régions d’Odienné, Touba, Séguéla et Mankono. Les « Malinké
orientaux », situé plus à l’Est, sont composés de deux groupes : les
Dioula et les Camara.
Pour Marguerat (1982), la civilisation Mandingue correspond aussi
à un genre de vie bien particulier, celui de commerçants urbains et
musulmans, au point que le mot « dioula » (commerçant en langue
malinké) en est venu à désigner communément à la fois les Malinké
urbains (commerçants ou non), et leur langue (une version simplifiée
par rapport aux formes dialectales plus pures, qui est devenue le
moyen de communication essentiel dans les villes ivoiriennes), et
aussi le peuplement des environs de la vieille cité de Kong.
« Ils forment le groupe marchand autochtone le plus puissant » a fait
remarquer en 1993 Dominique Harre dans une étude sur l’insertion
des Malinké dans l’économie contemporaine. L’influence économique
des Malinké est largement perceptible dans les secteurs tels que
le commerce, le transport et l’agriculture. Elle s’est bâtie sur les
réseaux économiques déjà existant durant la période précoloniale.
Au cours de la période coloniale, l’administration a renforcé l’activité
commerciale des Malinké en encourageant et favorisant son ancrage
dans les zones forestières du pays.

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Cette forte présence dans l’économie (agriculture, commerce


et transport) transforme concomitamment le paysage socio-
démographique des zones forestières. Des pans entiers de
communauté malinké se sont ainsi installés dans le Sud et ont
contribué par le dynamisme de leurs activités à l’émergence des
grandes villes du Sud. Les Malinké occidentaux par exemple, venus
d’Odienné, de Touba et Séguéla ont bâti des communautés influentes
à Man, Daloa, Gagnoa et Sassandra en pays Krou. Toutes les villes du
Sud ont vu naître des quartiers « dioula » portant le nom générique
de « Dioulabougou » (Koné, 2017).
Le commerce, pratiqué en général par les clans malinké islamisés,
et surtout par les communautés « Dioula » de Kong dont le nom
signifie «commerçant» en langue malinké, va émerger comme l’activité
économique majeure, faisant des villes précitées des carrefours
incontournables du système économique précolonial. L’or, la noix de
cola, le sel, les tissus et les défenses d’éléphant sont les principaux
produits échangés. Ces produits favorisent, grâce au dioulaya (pratique
du commerce itinérant) des Malinké, la mise en connexion des zones
soudanaises plus au Nord avec les zones forestières et côtières plus
au Sud du pays. L’efficacité du dioulaya va reposer sur les liens de
solidarités claniques et d’alliances ethniques, rendant possible la
circulation régulière des hommes, des biens et des messages sur un
vaste marché régional brisant les frontières ethniques (Koné, 2017).
Daloa, ville située au Centre-ouest de la Côte d’Ivoire, n’échappe pas
aux Dioula dans leur dynamisme migratoire et devient un important
centre de transaction pour ceux-ci. On assiste ainsi à la création de
quartier à forte occupation dioula. Cette sédentarisation est aussi
marquée par une florescence d’édifices religieux musulmans à savoir
les mosquées, donnant ainsi à la ville un caractère soudanais. Depuis
leur sédentarisation dans la ville de Daloa, les Dioula se sont intégrés
tant au niveau socioculturel qu’au niveau économique et politique.
Bon nombre de Dioula se sont reconvertis dans d’autres secteurs
d’activités économiques telles que le transport et l’agriculture. Ainsi, le
« dioulaya » tel que pratiqué à l’origine, se transforme en un commerce
sédentaire au détriment du commerce nomade. Le présent travail de
recherche, dans une perspective anthropologique, vise à comprendre
les logiques qui sous-tendent la sédentarisation des Dioula à Daloa.

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Après avoir situé le champ géographique de la présente étude,


il s’agira dans une approche qualitative, d’appréhender les raisons
de la migration des Dioulas vers la ville de Daloa. En outre, les
facteurs explicatifs de la sédentarisation des Dioula dans la ville
seront élucidés.

1-MÉTHODOLOGIE
L’étude s’est déroulée au Centre-ouest de la Côte d’Ivoire dans la
région du Haut-Sassandra. De façon précise, l’étude a eu lieu dans
la ville de Daloa (Voir carte 1).
Dans une approche qualitative, cette étude a mobilisé comme
techniques de production de données, la recherche documentaire,
l’observation directe et les entretiens semi-directifs individuels. A cet
effet, un guide d’entretien, un dictaphone, une grille de lecture, une
grille d’observation et un appareil photo numérique ont été utilisés
comme outils de production de données.
Les personnes ressources de la présente étude étaient constituées
de la notabilité des différents villages bété de la ville de Daloa :
Tazibouo, Labia, Gbeuliville et Lobia. Les Dioulas exerçants dans
le commerce, le transport, l’administration, et autres activités
socioéconomiques ont été interviewés. A ceux-ci, s’ajoute les guides
religieux et la chefferie de la communauté Malinké de Daloa.

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2-RÉSULTATS ET DISCUSSION

2.1- Raisons de la migration des Dioula vers la ville de Daloa

2.1.1- Daloa, une ville aux atouts naturels favorables aux


activités des Dioula
Pour les personnes interrogées, la ville de Daloa présente de
nombreuses conditions naturelles favorables au développement des
activités économiques des Dioula. En effet, les Dioula, du fait de leurs
activités commerciales vont vers les localités où les conditions naturelles
leur permettent d’échanger leurs marchandises avec d’autres régions.
C’est dans cette optique que la ville de Daloa trouve son importance
aux yeux des Dioula. Car, la ville de Daloa apparait, géographiquement,
comme un carrefour donnant accès à certaines grandes villes de la Côte
d’Ivoire à savoir Man, Vavoua, Bouaflé et Issia (Voir carte 2).

Source : Mairie de Daloa, 2017

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Cette situation géographique permet aux Dioula d’accéder à


plusieurs zones agricoles, de conquérir d’autres marchés dans la
région et d’accroître leurs gains économiques.
En outre, la ville de Daloa est perçue par les Dioula comme une
zone favorable au développement des produits agricoles. En effet,
les conditions environnementales de leur localité d’origine, le Nord
de la Côte d’Ivoire, ne sont pas trop propices à l’agriculture. Par
conséquent, la ville de Daloa était une zone riche et convoitée par les
peuples du Nord notamment les Malinké pour sa forte pluviométrie
et son couvert forestier. C’est en cela qu’un responsable de la
communauté Malinké souligne : « Ici, on peut faire le maïs, deux fois
dans l’année pourtant au Nord ce n’est pas le cas ».
Dans la même veine, certains informateurs avancent que la ville de
Daloa était à l’époque une zone de forte production de la noix de cola.
Or la noix de cola occupait à cette époque une place de choix dans
le dioulaya (pratique du commerce itinérant). Raison pour laquelle
le Chef du village de Lobia affirme : « Daloa était la capitale de la
cola ». La richesse faunique de la zone, principalement en antilope,
lui a valu le nom de « cité des antilopes » aujourd’hui.
Tous ces atouts naturels ont favorisé la migration des Dioula vers la
ville de Daloa pour acheter et vendre des marchandises. C’est dans ce
cadre que Bruneau (2004) souligné que les zones les plus convoitées
et celles les plus aptes au développement des activités économiques
sont celles dites « zone carrefour » ou « ville cosmopolite ». Daloa ne
saurait s’écarter de cette logique eu égard à son aspect carrefour dans
la région du Haut-Sassandra. Sa richesse que lui garantissent tous
ces atouts et certaines ressources naturelles comme la noix de cola,
fait d’elle une ville qui exerce une attraction sur les Dioula. Selon le
rapport de l’AFD (2013), l’état de l’environnement et des ressources
naturelles, essentielles à la survie des espèces terrestres, humaines
ou non, influence le besoin de migration vers des lieux plus riches
en ressources. Kouadio (2015), citant Jean Claude Arnaud, corrobore
cette idée par la thèse qui soutient que le milieu de vie originel des
Malinké est une zone défavorisée. C’est ce qui les pousse donc à
migrer vers des zones où l’environnement naturel est plus favorable
et ces zones aptes, sont celles des zones forestières. Tamsir (1993)
renchérit pour dire que les Dioula s’y installent à cause de la noix de
cola produite dans ces zones.

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2.1.2-Daloa, un environnement favorable au développement


des activités des Dioula
De l’analyse des données produites, il ressort que la ville de Daloa
présente de nombreux avantages pour le développement d’activités
économiques. « Si tu as deux millions à Daloa, tu peux facilement faire
le commerce contrairement à Abidjan, tu ne peux pas faire grande chose
avec deux millions », affirme un commerçant Dioula. En effet, la localité
de Daloa était désignée comme un pôle économique important en ce
sens qu’elle constituait un centre d’approvisionnement des populations
issues de plusieurs horizons. C’est dans ce contexte que de nombreux
convois ont été organisés avec pour objectif principal, les échanges
commerciaux entre les zones de production de noix de cola, produit
prisé par les Malinké pour sa valeur sociale et culturelle, et les zones de
production du sel. Cela a entrainé des mouvements extrêmes de ce groupe
de commerçants dans toute la sous-région. Le commerce de noix de cola,
un marché alléchant pour les Dioula, va les pousser à cibler les grandes
zones de production de cette denrée précieuse notamment la région du
Haut-Sassandra. Cette idée peut être illustrée par la récurrence du mot
commerce dans les propos des acteurs économiques Dioula (Figure 1).

Figure 1 : Mots clés du discours de l’entretien avec les Dioula à Daloa

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De ce qui précède, on pourrait dire que les opportunités


économiques qu’offrait la ville de Daloa ont été déterminantes dans
l’immigration des Dioula dans cette localité. Ces résultats confirment
la thèse de Zanou et Nyankawindemera (2001). En effet, pour ces
auteurs, en Côte d’Ivoire, les courants migratoires internes partent
globalement des zones économiquement faibles (la moitié Nord du
pays) vers les zones où le développement économique a été amorcé.
Avec le développement des cultures de café et de cacao dans les
années 1960, les mouvements se sont orientés vers le Centre-est
du pays, devenu plus tard la boucle du cacao. Il y a eu aussi un
mouvement vers le Sud, le Centre-ouest et le Sud-ouest en raison
des terres disponibles pour l’agriculture, mais aussi vers le Centre à
cause de l’Aménagement de la Vallée du Bandama (MEMPD, 2008).
En effet, l’économie de plantation, avec les cultures de rente comme
le café, le cacao, l’hévéa et le palmier à huile, a constitué le facteur
le plus important des mouvements en direction du milieu rural.
Dans les décennies 1960 à 1970, la croissance des activités
urbaines avec la création d’un nombre important d’emplois ne
nécessitant pas une qualification préalable, ont intensifié les
mouvements migratoires internes (MEMPD, 2008). Ceci a favorisé
l’exode rural vers les principales villes régionales. Selon Dozon (2000),
les raisons économiques et psychologiques expliquent l’attirance de la
capitale perçue par les jeunes déscolarisés comme le lieu d’espoir et du
possible. Pour les ruraux, venir dans la ville d’Abidjan est synonyme de
réussite sociale, et le simple fait de la connaître est une fierté en soi.

2.2- Facteurs explicatifs de la sédentarisation des Dioula


à Daloa

2.2.1-L’hospitalité des bété, une opportunité


L’arrivée des Dioula à Daloa s’est inscrite dans l’optique du
commerce de noix de cola. C’est donc dans cet élan que le tout
premier Dioula nommé El Hadj Lacina Diaby aurait été accueilli par
le patriache Zokou Gbeuli, un Chef coutumier. Il s’établit alors un
rapport de tutorat entre ces deux acteurs. Diaby étant de passage,
il aurait été marqué par l’hospitalité de Zokou Gbeuli qui lui aurait
donné par la suite une terre. L’attitude de ce dernier traduirait la
culture d’hospitalité du peuple bété en général. C’est en cela que le
Chef du village de Tazibouo dit : « le bété aime tellement qu’il fait des

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libations pour avoir des étrangers chez lui ; il fait des libations pour
que l’étranger soit prospère ». Cette assertion est traduite par les
informateurs en langue locale : « nanh n’yé’nin yéh munh ».
Cette hospitalité serait donc le point focal de la sédentarisation
des Dioula à Daloa. Car, les Dioula venu du Nord de la Côte d’Ivoire
jouissaient d’un certain avantage de la part de leur tuteur bété dans
le mode d’accès à la terre.
Par ailleurs, l’hospitalité des bété se présente comme un cadre
favorable d’un précepte culturel pour les Dioulas. En effet, dans la
culture Malinké, la dignité d’un homme provient du fait que celui-ci
arrive à se réaliser à l’étranger. « Chez nous les Malinké, quand un
enfant va en basse-côte avec la bénédiction de ses parents, s’il revient
après au village avec même des millions, s’il n’a pas construit là où
il est quitté, il n’est pas un fils digne pour la famille. C’est une honte
pour le Malinké devant ses parents si ce dernier loue une maison.
C’est pourquoi il lutte pour être propriétaire et s’installer là où il vit ».
Cette assertion du Chef de la communauté Malinké de Daloa
ouvre une piste de compréhension du point de vue culturel sur
la sédentarisation des Dioula à Daloa. Ainsi, le désir de réaliser à
l’étranger chez les Dioula, encouragé par la culture, fait d’eux, des
hommes présents au cœur de tous types d’activités économiques.
On assiste, par conséquent, à une redéfinition du Dioula. Selon un
opérateur économique Malinké : « le dioula c’est le têtu, le combatif,
le chercheur ; le dioula quitte chez lui pour aller ailleurs. Il fait tout
pour gagner de l’argent ».
Le caractère débrouillard du Dioula forgé par la culture serait donc
compatible avec les atouts de la ville. Raison de plus pour s’y installer.
Daloa est une ville qui offre une large possibilité d’exercer plusieurs
types de commerce et aussi plusieurs activités économiques. Les Dioula,
étant opportunistes, y trouvent une véritable arène économique.
Après Diaby, l’arrivée des autres Dioula s’est faite par vague
migratoire successive. Selon un informateur, « le Dioula, il vient, il
s’assoit, quand c’est bon il va petit à petit chercher son frère et plus
tard, ils créent des quartiers dioulabougou ». Ajoute un chef de famille
Malinké : « les Diaby accueillent les Diaby venu du Nord, les Cissé
accueillent les Cissé et puis ça continue ».

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L’hospitalité des autochtones bété de Daloa a été très déterminante


dans la sédentarisation des Dioula. Ces derniers y ont trouvé un
cadre paisible et des ressources à proximité pour leur négoce. Aussi,
l’histoire des patriarches Zokou Gbeuli et Lacina Diaby révèle-t-elle
une phase pionnière de cette sédentarisation. Cette étude a aussi
démontré qu’outre le mobile de commerce de la noix de cola, le désir
de réalisation est aussi un élément ancré dans la culture Malinké. De
toutes ces analyses, il ressort que la sédentarisation des Dioula à Daloa
n’est pas fortuite. Elle obéirait à des logiques culturelles intrinsèques
non seulement des autochtones bété, mais aussi des migrants Dioula.
L’analyse des facteurs de sédentarisation de ces commerçants
Malinké à Daloa révèle une connotation culturelle contrairement au
cas de ceux de Dimbokro pour qui, selon Kouadio (2015), cette fixation
s’est faite progressivement non seulement à partir de la pacification de
la colonie qui a débuté en 1907, mais aussi par la politique coloniale
qui contribua fortement à l’épanouissement du commerce.

2.2.2- Liens sociaux entre les bété et les Dioula à Daloa :


la fraternité et la solidarité
La sédentarisation des Dioula à Daloa fut possible grâce aux
liens de fraternité et de solidarité établis avec les bété. Les mariages
entre Dioula et Bété sont des preuves de cette fraternité. Comme le
souligne le Chef du village de Tazibouo : « j’ai ma petite nièce qui a
marié un Dioula ».
Les unions entre ces deux groupes ethnoculturels différents ont
constitué un facteur d’intégration sociale et culturelle de ceux-ci, à
telle enseigne qu’ils partageaient les mêmes espaces et s’entraidaient
quand le besoin se présentait. A titre illustratif, il ressort des
entretiens réalisés que deux cadres bété ressortissants de Daloa dont
le Professeur Jean Lorougnon Guédé et le Maire Dénis Bra Kanon,
auraient vécu avec des Dioula à Daloa.
Cette solidarité, se manifeste aussi tant dans les moments de
malheur que de joie vécu par l’un de ces groupe. Cela expliquerait
l’implication des Dioula dans l’organisation des obsèques du Chef
du village de Gbeuliville Naounou Semian, petit-fils de leur tuteur
Zokou Gbeuli.

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Ces relations de fraternités et de solidarités ont permis aux Dioula


d’occuper une place de choix dans plusieurs secteurs d’activités.
Dans le secteur du transport, on assiste à la création de syndicats
tels que le Syndicat des Taxi-Ville de Daloa (STVD), le Syndicat des
Transporteurs Terrestres de Côte d’Ivoire (SYNTTCI) et la florescence
des gares routières. A l’instar des autres villes de la Côte d’Ivoire, le
secteur du transport à Daloa est dominé par les Dioula. Cette réalité
s’explique par le fait que les Dioula seraient les premiers à initier
le transport à Daloa : « nous les Dioula, on est les premiers dans le
transport à Daloa » affirme un chef de syndicat de transporteur à Daloa.
Dans le domaine de la politique, on note une forte implication
des Dioula. Ce qui fait dire à un Dioula ceci : « Aujourd’hui à Daloa,
si un bété veut gagner, qu’il vienne nous voir. Si on est d’accord, il va
gagner les élections ».
Par ailleurs, l’harmonie qui régnait entre les bété et les Dioula a
favorisé ces derniers à s’organiser en communautés à la demande de leur
tuteur Zokou Gbeuli. Etant donné que la tâche de chef de communauté
Malinké doit être assurée par un Touré conformément à leur tradition,
les Diaby auraient fait appel à l’un de leur frère qui était à Man. Il s’est
agi de Bachirou Touré, premier chef de la communauté Malinké de
Daloa. Cette organisation des Malinké demeure toujours à Daloa. Elle
témoigne donc des liens étroits existants entre les patriarches et qui
se sont pérennisés aux générations présentes. Les Dioula de Daloa
évoluent dans une atmosphère d’harmonie avec les autres communautés
allochtones de Daloa. Comme preuve de cette harmonie, on note la fusion
de toutes les communautés allochtones de Daloa en une association
unique dénommée Union des Chefs des Communautés Allochtones de
Daloa (UCCAD). Ainsi, les Dioula ont pu s’établir à Daloa et posséder
de grande richesse, du fait de leur intégration dans plusieurs secteurs
d’activités. Cette richesse trouve son origine des liens de fraternités et de
solidarités entre les Dioula et les Bété. Il va s’en dire que l’installation des
migrants dans une zone étrangère n’est pas toujours source de conflit
selon la nature des relations qui y prévalent.
A Daloa les Dioula vivent dans des quartiers bien isolés des
autochtones mais à l’intérieur de la ville. Depuis leur installation,
ils entretiennent des relations pacifiques et d’harmonie avec les
autochtones et autres allochtones de la ville. Le brassage culturel par

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les liens du mariage est très souvent issu de ce contact. Ce brassage


a été un facteur déterminant de l’intégration des Dioula à Daloa. En
outre ces unions véhiculent au-delà des liens ordinaires, un sens de
transmission de culture. Cette idée va de pair avec celle véhiculée par
Cissé et Ouattara (2009). Selon eux, la multiplication des mariages des
Dioula avec les autochtones, leur permettait de varier les stratégies
d’islamisation. Cette intégration a été un facteur de positionnement
des Dioula dans divers secteurs. Depuis, le commerce n’est plus le
seul domaine d’exercice des négociants Malinkés. Leur présence
dans le domaine de l’agriculture et du transport illustre bien cette
reconversion. Cette assertion semble confirmer le cas des Dioula du
Kabadougou dans l’étude de Harre (1996). En effet, au lendemain de
l’époque coloniale, ils se sont adonnés à d’autres activités notamment
le transport, l’immobilier et l’agriculture.

CONCLUSION
Au terme de cette étude, retenons que les Dioula sont une
catégorie socioprofessionnelle du groupe ethnoculturel Malinké.
Commerçant nomade à l’origine, les Dioula vont migrer, dans le cadre
de leur activité, vers de grandes villes de Côte d’Ivoire en générale et
en particulier à Daloa, jusqu’à s’y sédentariser.
Le choix de Daloa, par eux, s’explique par les atouts naturels
dont dispose cette ville. De par sa position géographique, Daloa
offre l’opportunité aux Dioula de développer leur commerce en
approvisionnant d’autres grandes villes de Côte d’Ivoire. En plus de
sa position géographique, la disponibilité de terres cultivables, la
couverture forestière et la forte pluviométrie que connaissait cette région
à l’époque, seront des indicateurs clés dans le choix des Dioula pour la
ville de Daloa. A ces différents atouts naturels, il faut ajouter la position
économique qu’a occupée la ville de Daloa. Autrefois désignée comme
un pôle économique dans la région, il ne fait aucun doute que la ville
de Daloa soit la destination de nombreux opérateurs économiques.
Par conséquent, les Dioula, dans l’optique de développer leurs
activités économiques vont choisir comme un marché la ville de Daloa.
Toutefois, le constat est que les Dioula, qui pratiquaient leurs activités
de commerce de façon nomade, commencent à se sédentariser.
L’analyse des facteurs explicatifs de cette sédentarisation a permis de

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mettre en évidence la culture d’hospitalité des bété. Cette hospitalité


a été un moyen pour les Dioula d’accomplir un devoir culturel, se
réaliser à l’étranger. Cette hospitalité envers les premiers Dioula arrivés
à Daloa sera renforcée par les liens de fraternités et de solidarités qui
seront établis par les Bété et Dioula. Devant de telles opportunités,
il n’y a aucun doute que les Dioula aient envie de se sédentariser à
Daloa. De l’analyse des différents résultats, l’on pourrait donc dire
que les avantages qui s’offrent aux Dioula sur les plans économique,
politique et social justifient leur sédentarisation à Daloa.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BONNECASE Vincent, 2001, Etranger et la terre en Côte d’Ivoire à l’époque
coloniale, IRD REFO.
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Malinké en Afrique de l’Ouest », Phare-Patrimoine et Histoire en Afrique :
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