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COMPRENDRE LES PARTIS ET LES SYSTÈMES DE PARTIS AFRICAINS

Entre modèles et recherches empiriques

Giovanni M. Carbone, Traduit de l’anglais par Annabelle Larouche St-Sauveur

Editions Karthala | « Politique africaine »

2006/4 N° 104 | pages 18 à 37


ISSN 0244-7827
ISBN 9782845868618
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2006-4-page-18.htm
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LE DOSSIER
18 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

Giovanni M. Carbone

Comprendre les partis


et les systèmes
de partis africains
Entre modèles et recherches empiriques

L’introduction de réformes démocratiques depuis les


années 1990 a entraîné en Afrique une résurgence du
multipartisme, qui a produit une rupture dans la vie
politique du continent ainsi que dans son étude. De
nouvelles analyses ont été produites, articulées aux
théories et concepts de la science politique « clas-
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sique ». Quels résultats ont été obtenus ? Quels sont
les enjeux soulevés par ce retour au pluralisme ? Quelle
est la pertinence des modèles, des théories et des
approches utilisés pour les comprendre ? Les recherches
récentes ont fait avancer la connaissance des change-
ments politiques en Afrique, mais des progrès restent
à faire dans l’élaboration des cadres théoriques comme
dans la collecte des données empiriques.

L es partis politiques et le multipartisme ont longtemps occupé une place


secondaire dans l’analyse politique de l’Afrique. On comprend le peu
d’attention qui a pu être accordé à ces questions si l’on note que, alors que les
partis sont supposés jouer un rôle important dans l’organisation et la régu-
lation des systèmes démocratiques modernes, les vies politiques africaines
sont généralement considérées comme marquées par la violence, le désordre,
la personnalisation du pouvoir et la faiblesse des règles constitutionnelles.
Le pluralisme partisan est apparu en Afrique à la fin des années 1950 et au
début des années 1960, à la fin de l’époque coloniale. Les partis, organisations
d’origine occidentale, semblent avoir eu du mal à s’enraciner dans les vies
politiques africaines, à l’instar d’autres importations occidentales comme le
constitutionnalisme libéral ou le gouvernement représentatif.
Politique africaine n° 104 - décembre 2006
19

Il a fallu attendre le début des années 1990 pour voir de nouvelles tentatives
de mise en place de systèmes multipartites dans un continent où la tendance
a été à la dénaturation ou au refus des règles démocratiques. L’accroissement
du nombre de pays concernés a donné lieu à l’apparition de nouvelles analyses
des partis et des systèmes de partis, qui s’inspirent largement des théories et
des concepts généraux de la science politique, contribuant ainsi à intégrer
l’analyse de l’Afrique à celle des autres régions du monde.
Cet article tente de faire ressortir les avancées réalisées par ces études
récentes en mettant l’accent sur les questions principales soulevées par ce
retour au multipartisme en Afrique et sur la capacité des théories, modèles
d’analyse et approches existants à l’appréhender.

La genèse des partis politiques en Afrique


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Le premier parti politique africain, le True Whig Party libérien, remonte aux
années 1860. C’est un siècle plus tard que les partis se généralisent, avec la
démocratisation partielle des régimes coloniaux : selon une estimation pro-
bablement basse, 150 partis auraient été créés entre 1943 et 1968 1, période
pendant laquelle les sociétés africaines se mobilisent en vue d’accéder à
l’indépendance, d’acquérir le suffrage universel et d’élire des gouvernements
nationaux.
Toutefois, le pluralisme révèle sa faiblesse puisque les partis uniques et
les régimes militaires dominent rapidement la scène politique presque partout
sur le continent. Des années 1960 aux années 1980, le multipartisme ne survit
qu’au Botswana, en Gambie et à l’Île Maurice ; il est réintroduit au Sénégal
et au Zimbabwe dans les années 1970 et 1980, sous les auspices de partis
dominants. Ce n’est qu’à la faveur de l’entrée de l’Afrique dans la troisième
vague de démocratisation que la situation commence à changer. Dans les
années 1990, pratiquement tous les pays africains s’engagent dans la démo-
cratisation et le multipartisme. Dans des pays confrontés à des contraintes
structurelles (comme la pauvreté, la faiblesse de l’État, l’illettrisme) et marqués
par des pratiques politiques cristallisées (comme l’autoritarisme et la corrup-
tion), des doutes sont rapidement exprimés quant à la réalité des changements
démocratiques. S’il est vrai que ces changements sont parfois cosmétiques,
il n’en demeure pas moins que les réformes entreprises ont conduit à une
réintroduction significative du multipartisme en Afrique subsaharienne.

1. S. Mozaffar, « Introduction », Party Politics, vol. 11, n° 4, 2005, p. 395-398.


LE DOSSIER
20 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

L’étude des partis politiques africains : le rôle


croissant de la science politique classique

L’analyse politique des pays africains a commencé dans le cadre des recherches
sur le « développement politique », menées pendant les années 1950 et 1960.
Même si ces recherches minimisent souvent le rôle des institutions politiques,
elles ont accordé une réelle importance aux partis politiques, à la fois en tant
que manifestations et en tant qu’instruments du développement politique 2.
Toutes ces recherches avaient pour point commun de mettre l’accent non
pas sur les progrès démocratiques accomplis par les pays mais plutôt sur leur
« développement politique ». Cette notion, controversée puis tombée en
désuétude, n’a jamais coïncidé exactement avec celle de démocratisation.
Bien sûr, des éléments comme l’« égalité » ou la « participation » étaient
parfois utilisés pour caractériser le développement politique, mais le plus
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souvent, d’autres types de changements étaient considérés comme l’essence
du développement politique, notamment la « différenciation » des structures
politiques, la construction d’une « capacité » étatique permettant d’exercer
une autorité réelle et « l’institutionnalisation » des organisations et des pro-
cédures 3. La démocratie n’était pas la préoccupation principale de ces travaux.
En fait, les partis uniques et les dictatures militaires qui prenaient racine
en Afrique étaient souvent vus comme des options légitimes, puisqu’elles
semblaient être la voie la plus sûre vers une croissance économique rapide
et une intégration nationale.
Les recherches plus récentes sur les partis africains sont en rupture avec
cette tradition : les réformes des années 1990 sont liées à l’importance de la
démocratie comme une valeur et un objectif intrinsèques, qui ne sauraient
être « troqués » contre le progrès économique ou l’unité nationale. Ainsi, les
réformes démocratiques ont opéré une rupture dans la vie politique du
continent mais aussi dans l’étude de cette réalité. Elles ont contribué de la
sorte à l’intégration de l’étude de la politique africaine à la science politique
classique. Cette intégration a d’abord été stimulée par les recherches sur les
transitions démocratiques du continent, puis favorisée par une série d’autres
éléments, notamment les analyses des systèmes et des résultats électoraux,
les études sur la consolidation démocratique des pays réformés et sur les
opinions publiques des électeurs africains, l’examen des résultats politiques
des nouveaux régimes 4, etc. En témoigne l’utilisation de plus en plus fréquente
des outils (par exemple, la notion de « nombre effectif de partis » ou de « vola-
tilité électorale ») et des théories (par exemple la notion de « parti dominant »
ou d’« institutionnalisation des systèmes de partis », l’impact des lois électorales)
de la science politique.
Politique africaine
21 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

Les partis sont des organisations ; les partis


africains sont-ils organisés ?

Les réformes des années 1990 ont littéralement donné naissance à des
centaines de nouveaux « partis politiques ». Dans leur diversité, les partis
africains contemporains relèvent de quatre origines principales.
D’abord, certains des partis d’aujourd’hui sont le prolongement des partis
uniques ; beaucoup, comme le Movimento popular de libertação de Angola,
le Zimbabwe African National Union-Patriotic Front, le Parti démocratique
gabonais ou le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, ont
su se maintenir au pouvoir 5. D’autres anciens partis au pouvoir ont survécu
en passant dans l’opposition, à l’image du United National Independence
Party de Zambie et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire.
De nouvelles forces politiques sont apparues selon trois modèles principaux.
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Dans des pays tels que l’Ouganda, le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Kenya,
les nouveaux partis ont été mis sur pied ou pris en main par des hommes

2. Voir S. P. Huntington, Political Order in Changing Societies, New Haven et Londres, Yale University
Press, 1968 ; J. La Palombara et M. Weiner (eds), Political Parties and Political Development, Princeton,
Princeton University Press, 1966 ; J. Coleman et C. Rosberg (eds), Political Parties and Pational Integration
in Tropical Africa, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1966 ; A. Zolberg, Creating
Political Order. The Party-States of West Africa, Chicago, Rand Mc Nally, 1966.
3. Voir J. S. Coleman, « The development syndrome : differentiation-equality-capacity », in L. Binder,
J. S. Coleman et al., Crises and Sequences in Political Development, Princeton, SSRC’s Committee on
Comparative Politics, Princeton University Press, 1971, p. 74 ; S. P. Huntington, Political Order…,
op. cit., p. 12 et G. Sartori, « Political development and political engineering », in J. D. Montgomery
et A. O. Hirschman (eds), Public Policy, Cambridge, Harvard University Press, 1968, p. 262-263.
4. Parmi les études comparatives de ce type, voir M. Bratton et N. Van de Walle, Democratic Experiments
in Africa. Regime Transitions in Comparative Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ;
Afrobarometer Network, Afrobarometer Round 2 : Compendium of Results from a 15-Country Survey,
Working paper, 2004 <www.afrobarometer.org> ; D. Nohlen, M. Krennerich et B. Thibaut (eds),
Elections in Africa. A Data Handbook, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; S. I. Lindberg, « Conse-
quences of electoral systems in Africa : a preliminary inquiry », Electoral Studies, n° 24, 2005, p. 41-64 ;
M. Bratton et R. Mattes, « Support for democracy in Africa : intrinsic or instrumental ? », British Journal
of Political Science, vol. 31, n° 1, 2001, p. 447-474 ; M. Kuenzi et G. Lambright, « Party systems and
democratic consolidation in Africa’s electoral regimes », Party Politics, vol. 11, n° 4, 2005, p. 423-446 ;
V. Randall et L. Svåsand, « Introduction : the contribution of parties to democracy and democratic
consolidation », Democratization, vol. 9, n° 3, 2002, p. 1-10 ; N. Van de Walle, African Economies and the
Politics of Permanent Crisis, 1979-1999, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; D. Stasavage,
« Democracy and education spending in Africa », American Journal of Political Science, vol. 49, n° 2, 2005,
p. 343-358.
5. M.-C. Ercolessi, « Stato-partito del MPLA e nomenklatura nell’Angola degli anni ‘90 », et M. Zamponi,
« Zimbabwe : nazionalismo, patriottismo e anti-imperialismo nella strategia della ZANU-PF
(2000-2005) », Afriche e Orienti, vol. 8, n° 1, 2006, p. 29-48 et 49-68.
LE DOSSIER
22 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

politiques qui étaient déjà des figures publiques connues – opposants his-
toriques ou apparatchiks en rupture de ban. Parmi ces organisations figurent
le Forum for Democratic Change de Kiiza Besigye, le People’s Democratic
Party d’Olusegun Obasanjo, le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo
et le Democratic Party de Mwai Kibaki. Ailleurs, des partis ont été fondés par
des organisations ou des réseaux de la société civile, comme le New Patriotic
Party du Ghana, le Movement for Multiparty Democracy de Zambie ou le
Movement for Democratic Change du Zimbabwe. Enfin, la victoire ou l’inté-
gration politique de certains mouvements de guérilla dans les années 1980
et 1990 se sont traduites par l’apparition de nouvelles forces partisanes ; on pense
ici au Front patriotique rwandais ou à l’Ethiopian People’s Revolutionary
Democratic Front, qui ont pris le pouvoir suite à des insurrections armées, mais
aussi à la Resistência nacional moçambicana (Renamo), guérilla qui s’est trans-
formée en un mouvement d’opposition légitime.
Malgré la rareté des études empiriques, hormis en Afrique du Sud 6, les
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observateurs semblent convenir que la plupart des partis africains sont carac-
térisés par leur faiblesse organisationnelle. Une deuxième exception partielle
est celle des guérillas transformées en partis politiques au cours des dix
ou quinze dernières années ; dans ce cas, les analyses plus anciennes des
mouvements rebelles ont pu fournir les bases de recherches sur les trans-
formations organisationnelles subséquentes 7. Ces cas mis à part, il n’existe
en fait aucune analyse approfondie de partis spécifiques comme s’ils étaient
si mal organisés qu’ils ne sauraient faire l’objet d’une étude. Au-delà de leur
existence formelle, ils sont très centralisés et caractérisés par des pratiques
personnalistes et informelles difficiles à saisir. Les actions sont souvent mal
coordonnées et incohérentes. Ajoutons que les partis africains sont rarement
analysés en termes d’idéologie, de programmes et de plate-forme politique.
Dans le meilleur des cas, des chercheurs qui travaillent sur les systèmes de
partis examinent les publications électorales ou d’autres sources 8, et ils
concluent à l’absence de véritables clivages idéologiques.
Compte tenu de leur faiblesse organisationnelle, on peut à la limite se
demander s’il est approprié de qualifier les nouveaux acteurs politiques
africains de « partis politiques ». Combien de ces nouvelles formations cor-
respondent vraiment aux définitions classiques d’un parti politique ? Les noms
de ces partis sont-ils simplement des étiquettes pour désigner des organisa-
tions qui sont en fait des factions désorganisées et personnalistes, rassemblées
en hâte et de façon incohérente autour de dirigeants politiques ? Mais peut-on
analyser ainsi l’African National Congress sud-africain, le Frente de libertação
de Moçambique (Frelimo) ou le New Patriotic Party (NPP) ghanéen ? C’est grâce
à des efforts d’organisation considérables que le NPP, par exemple, a réussi à
Politique africaine
23 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

défaire le National Democratic Congress au pouvoir lors des élections de 2000,


alors qu’au Mozambique, le Frelimo a fait preuve d’une autonomie réelle
lorsqu’il a choisi le successeur du président Chissano 9. Il serait erroné de
réduire l’histoire des partis africains à celle de leurs dirigeants. En fait,
malgré toutes leurs lacunes, les partis africains restent « le véhicule principal
pour accéder au pouvoir. Sur ce point fondamental, il n’y a aucune différence
avec […] les démocraties occidentales 10 ».

Les modèles de partis existants et les partis africains

Devant la prolifération des partis africains, les chercheurs ont tenté de les
étudier par le biais de modèles élaborés à l’origine pour l’étude de partis
politiques occidentaux, courant ainsi le risque d’étirer excessivement la portée
de ces modèles en les appliquant à des démocraties émergentes. Gunther et
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Diamond ont tenté d’éviter cette « élasticité abusive des concepts » en élargissant
les typologies classiques pour créer une classification exhaustive des partis
politiques qui pourrait être appliquée également à l’étude de régions non
européennes (voir le tableau à la page suivante). La typologie proposée s’appuie
sur trois critères – organisation formelle, contenu des programmes et engage-
ments, et stratégie (selon le rapport au pluralisme et la volonté hégémonique)
éventuelle. Gunther et Diamond définissent ainsi cinq classes de partis
politiques, et quinze sous-classes. On discutera ici de l’applicabilité de cette
ambitieuse tentative typologique.

6. Voir par exemple T. Lodge, « The ANC and the development of party politics in modern South
Africa », Journal of Modern African Studies, vol. 42, n° 2, 2004, p. 189-219 ; A. Butler, « How democratic
is the African National Congress ? », Journal of Southern African Studies, vol. 31, n° 4, 2005, p. 719-736 ;
R. Thiven, « The Congress party model : South Africa’s African National Congress (ANC) and India’s
Indian National Congress (INC) as dominant parties », African and Asian Studies, vol. 4, n° 3, 2005,
p. 271-300.
7. C. Clapham (ed.), African Guerrillas, Oxford, James Currey, 1998.
8. L. Rakner et L. Svåsand, « From dominant to competitive party system. The Zambian experience
1991-2001 », Party Politics, vol. 11, n° 4, 2005, p. 56 ; M. K. C. Morrison, « Political parties in Ghana through
four Republics : a path to democratic consolidation », Comparative Politics, vol. 36, n° 4, 2004, p. 431.
9. Sur le Ghana, voir P. Nugent, « Living in the past : urban, rural and ethnic themes in the 1992 and
1996 elections in Ghana », Journal of Modern African Studies, vol. 37, n° 2, 1999, p. 287-319, et
« Winners, losers and also rans : money, moral authority and voting patterns in the Ghana 2000
election », African Affairs, n° 100, 2001, p. 405-428. Sur le Mozambique, voir A. M. Gentili, « Staying
power : il Frelimo dal marxismo al liberismo », Afriche e Orienti, vol. 8, n° 1, 2006, p. 5-28.
10. G. Erdmann, « Party research : Western European bias and the “African labyrinth” », Democratization,
vol. 11, n° 3, 2004, p. 66.
LE DOSSIER
24 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

Classification des partis politiques 11

PARTIS PLURALISTE PROTO-HÉGÉMONIQUE


élitiste notable local traditionnel
clientéliste
de masse
idéologique/socialiste classe masse léniniste
idéologique/nationaliste pluraliste nationaliste ultranationaliste
religieux confessionnel fondamentaliste
ethnique ethnique
congressiste
électoral attrape-tout (catch-all)
programmatique
personnaliste
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de mouvement libertaire de gauche
postindustriel d’extrême droite

La notion de « parti de notables » a été utilisée en Europe pour mettre en relief


le rôle clé joué individuellement par des personnages politiques éminents,
particulièrement jusqu’au début du XXe siècle. D’une certaine manière, ce
terme est évocateur pour les africanistes, car il correspond souvent à la
description qui est faite du « big man », c’est-à-dire un personnage influent et
bien entouré, principalement grâce au recours systématique au clientélisme.
Mais le big man africain semble bien loin du « notable » européen : alors que ce
dernier était un particulier disposant de ressources personnelles propres,
matérielles ou symboliques, qu’il pouvait « dépenser » dans l’arène politique,
transformant ainsi sa prééminence sociale en influence politique, les big men
africains opèrent à rebours, puisqu’ils puisent leur pouvoir (y compris
économique) dans leur capacité à contrôler et à utiliser les structures et les
ressources publiques 12. Si les partis de notables européens étaient des
partis basés sur des élites, les pays africains connaissent plutôt des élites basées sur
les partis – mais peut-être donne-t-on ce faisant trop de crédit à des structures
dont la performance est souvent médiocre.
Entre la Seconde Guerre mondiale et les années 1960, l’étiquette de « parti
de masse » a été utilisée pour qualifier les partis africains émergents, ce qui
élargissait encore une fois la portée d’un terme très en vogue pour décrire
les organisations politiques occidentales. Nombre de partis africains étaient
apparus en tant que mouvements anticoloniaux, et ils présentaient des
Politique africaine
25 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

structures complexes et diversifiées. Mais dans les deux décennies qui ont
suivi l’indépendance, les partis de masse nés des mouvements nationalistes,
plutôt que de consolider et de développer leurs organes, ont subi une atrophie
progressive 13. Les ressources matérielles et humaines nécessaires pour faire
fonctionner ces organisations n’étaient tout simplement pas disponibles.
De plus, la naissance des gouvernements indépendants a entraîné le transfert
des cadres du parti vers l’État. Les organes partisans, privés de leur personnel
le plus qualifié, ont été affaiblis. Au fur et à mesure que les élections multi-
partites étaient abandonnées en faveur de régimes à parti unique ou de régimes
militaires, les efforts organisationnels se sont raréfiés. Dans ce contexte, seuls
quelques partis au pouvoir ont mis sur pied des appareils efficaces, notamment
le Tanganyika African National Union ou le Mouvement révolutionnaire
national pour le développement du Rwanda 14.
Pendant les années 1970, suite aux guerres anticoloniales au Mozambique
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et en Angola et aux coups d’État en Éthiopie et en Somalie, un certain nombre
de régimes sont apparus, adoptant des variantes plus strictes du marxisme-
léninisme. Le retour au « socialisme scientifique » devait pallier les défaillances
des méthodes inspirées du « socialisme africain ». Puisque le parti unique
devait devenir l’avant-garde du changement révolutionnaire, il fallait renoncer
à bâtir un parti sur la participation populaire et sélectionner un nombre
restreint de militants extrêmement motivés. Au Mozambique, le Frelimo
s’est proclamé parti révolutionnaire d’avant-garde en 1977, ce qui a donné
lieu à des changements concrets, notamment l’adoption de critères de
recrutement plus stricts, la primauté du parti sur l’État et la suppression des
partis d’opposition 15.
En dehors des mouvements de libération et des gouvernements post-
indépendance, le « nationalisme » en Afrique était en grande partie synonyme
de la politisation des demandes formulées par les groupes subnationaux

11. R. Gunther et L. Diamond, « Species of political parties. A new typology », Party Politics, vol. 9,
n° 2, 2003, p. 167-199 (p. 173 pour le tableau).
12. R. Sklar, « The nature of class domination in Africa », Journal of Modern African Studies, vol. 17,
n° 4, 1979, p. 531-552.
13. N. Kasfir, The Shrinking Political Arena. Participation and Ethnicity in African Politics with a Case Study
of Uganda, Berkeley, University of California Press, 1976, p. 244.
14. N. Kasfir, The Shrinking Political Arena…, op. cit., 1976, 25 et suiv. ; et G. Prunier, The Rwanda cri-
sis. History of a genocide, Londres, Hurst, 1997 [1995], p. 76.
15. G. M. Carbone, « Continuidade na renovação ? Ten years of multiparty politics in Mozambique :
roots, evolution and stabilisation of the Frelimo-Renamo party system », Journal of Modern African
Studies, vol. 43, n° 3, 2005, p. 424.
LE DOSSIER
26 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

ou ethniques, demandes qui, ici comme ailleurs, sont fortement teintées de


populisme. Dans certains cas, les demandes formulées par les groupes ethniques
concernaient l’autonomie ou l’indépendance régionale, thèmes que Gunther
et Diamond considèrent comme l’élément qui distingue les partis ethniques
(dont on parle plus bas) des partis pluralistes nationalistes à part entière.
En Afrique du Sud par exemple, au cours des longues et troubles années de
la transition, l’Inkatha Freedom Party (IFP) a brandi la menace de la sécession
s’il n’obtenait pas l’autonomie du peuple zoulou. Il n’y a jamais eu à pro-
prement parler de « partis populaires ultranationalistes » sur le continent
africain. Les « partis populaires religieux », qu’ils soient confessionnels ou
fondamentalistes, ont également brillé par leur absence de la vie politique
postcoloniale africaine, particulièrement quand on compare la situation à
l’importance prise par ce type de partis en Europe de l’Ouest. Cependant,
on peut relever quelques exceptions. En Ouganda, la course électorale du
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début des années 1960 et des années 1980 a été largement modelée par l’anta-
gonisme entre catholiques et protestants, chaque groupe ayant son instrument
politique propre – respectivement le Democratic Party et l’Uganda People’s
Congress 16. Quant au concept de « parti de mouvement », il ne semble pas s’ap-
pliquer à la situation africaine, à moins de le tordre pour qualifier la
transformation d’anciens groupes de guérilla en partis hégémoniques ou
dominants, qui s’engagent formellement dans la compétition électorale
pour obtenir des sièges parlementaires dans des pays comme l’Ouganda
ou le Rwanda.
L’apparition de « partis électoraux » en Occident doit beaucoup aux vastes
transformations socio-économiques et technologiques qui se sont produites
pendant la seconde moitié du XXe siècle. Selon Kirchheimer et Panebianco,
ces changements ont conduit les partis politiques à procéder à des adaptations
organisationnelles et stratégiques décisives 17. Les sociétés africaines ont
également vécu d’importants changements pendant la même période, mais
les innovations économiques, sociales et technologiques n’ont pas été aussi
profondes et généralisées que dans les sociétés occidentales. Par conséquent,
elles n’ont pas favorisé de transformation radicale dans l’organisation et les
stratégies des partis. Cependant, les partis africains adoptent parfois certaines
caractéristiques des partis électoraux. Dans les années 1990, à Madagascar,
Albert Zafy avait l’appui d’un cartel électoral si vaste (Hery Velona), que les
observateurs l’ont décrit comme un « parti attrape-tout » (catch-all), alors que
le parti Tiako i Madagasikara de Marc Ravalomanana était désigné à juste
titre de « parti personnaliste électoral » 18.
Mais d’entre toutes les catégories analytiques proposées dans la classification
de Gunther et Diamond, ce sont bien sûr les catégories de « parti ethnique »
Politique africaine
27 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

et de « parti clientéliste » qui sont les plus présentes aussi bien dans les médias
que dans les analyses universitaires. La présence en Afrique de partis reposant
sur l’identité ethnique n’est pas étonnante dans la mesure où l’hétérogénéité
est une caractéristique qui s’applique à pratiquement toutes les sociétés de cette
région, certaines combinant ce trait à des divisions religieuses profondes.
Dans un grand nombre d’États subsahariens, les partis politiques semblent
refléter la diversité des communautés. On peut prendre pour exemple le Parti
du mouvement de l’émancipation hutu, et son adversaire, l’Union nationale
rwandaise, dans les débuts de la Première République ; le National Develop-
ment Party, soutenu par les Luos (renommé Liberal Democratic Party en 2002,
après l’échec de sa fusion avec le parti kenyan au pouvoir) ; ou l’Inkatha
Freedom Party sud-africain, cité plus haut. En théorie, si les partis ethniques
se forment et cristallisent leur base électorale, les élections risquent de devenir
de simples exercices permettant de mesurer la dimension démographique
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d’une ethnie, une sorte de recensement. Si les segments d’une communauté
restent en quelque sorte compartimentés, cela risque de nuire au déroulement
d’élections compétitives et de rendre difficiles l’acceptation mutuelle et la
consolidation démocratique 19. Cependant, il serait faux de dire que les partis
africains sont systématiquement et exclusivement liés aux groupes ethniques ;
Erdmann affirme même que les vrais partis ethniques, loin d’être la règle en
Afrique, sont plutôt une exception 20. Beaucoup de partis ont été montés et
soutenus par des gens de différentes cultures. Ils prennent parfois la forme
de partis transethniques (ce que Gunther et Diamond appellent un « parti
congressiste »), caractérisés par la volonté de promouvoir l’intégration et le
rassemblement d’électeurs, ou de partis formés de différentes communautés.
L’exemple le plus connu est l’African National Congress. Dans ce cas, le
projet de « libération » a contribué à préserver l’unité des différentes compo-
santes sociales de l’électorat (exception faite des Zoulous qui soutenaient, en

16. G. M. Carbone, « Political parties in a “no-party democracy”. Hegemony and opposition under
“Movement democracy” in Uganda », Party Politics, vol. 9, n° 4, 2003, p. 485-502.
17. O. Kirchheimer, « The transformation of the Western European party system », in J. LaPalombara
et M. Weiner (eds), Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press,
1966, p. 177-200 ; A. Panebianco, Modelli di partito. Organizzazione e potere nei partiti politici, Bologne,
Il Mulino, 1982.
18. R. Marcus et A. Ratsimbaharison, « Political parties in Madagascar. Neopatrimonial tools or
democratic instruments ? », Party Politics, vol. 11, n° 4, 2005, p. 497.
19. D. Horowitz, A Democratic South Africa ? Constitutional Engineering in a Divided Society, Berkeley,
University of California Press, 1991 ; V. Randall et L. Svåsand, « Party institutionalization in new
democracies », Party Politics, vol. 8, n° 1, 2002, p. 5-29.
20. G. Erdmann, « Party research… », art. cit., p. 71.
LE DOSSIER
28 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

partie seulement, l’IFP). L’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front


affichait le même objectif, même si l’influence prédominante du Tigrayan
Peoples’ Liberation Front sur ses alliés ne fait aucun doute. Au Kenya, la
Kenya African National Union, qui recrute dans tous les groupes ethniques,
même si les Kalenjins étaient privilégiés sous le règne de Daniel arap Moi,
et la National Rainbow Coalition, qui a remporté les élections en 2002 en
rassemblant quinze partis dont un grand nombre de partis ethno-régionaux,
offrent un contraste intéressant 21.
Plutôt que les clivages ethniques, on souligne volontiers que ce sont les
réseaux clientélistes qui permettent de comprendre les partis politiques en
Afrique : les partis clientélistes s’appuient sur la capacité d’un patron à exploi-
ter sa position intermédiaire dans une chaîne de relations qui lient le centre aux
éléments de la périphérie 22. Dans ce contexte, un parti politique peut servir
à connecter les différents niveaux d’un système politique par l’intermédiaire
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d’une série de réseaux patron-client. C’est la méthode utilisée par le parti
de Didier Ratsiraka, Antoky ny Revolisiona Malagasy-Avant-garde de la
Révolution malgache, entre 1975 et 1992, puis encore une fois entre 1997 et 2001 :
un outil personnel pour gérer les réseaux clientélistes, prenant appui sur les
liens familiaux 23.
Le clientélisme et l’ethnicité, d’un point de vue conceptuel, sont des
phénomènes qui « s’appuient sur des liens fondamentalement différents de
solidarité ; le clientélisme faisant appel à une relation personnalisée alors
que l’ethnicité est intrinsèquement un phénomène de groupe. Ainsi, il n’y a
pas de motif valable de s’attendre à des variations concomitantes entre les
solidarités ethniques et les solidarités client-patron 24. » Par exemple, les réseaux
clientélistes au Sénégal, sous Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, ont
reposé sur des bases non ethniques, faisant intervenir les marabouts et les
cadres du parti 25. Et pourtant, les notions de partis ethniques et de partis
clientélistes se recoupent d’une certaine façon en Afrique. D’une part, les
partis ethniques ne développent généralement pas de structures formelles
sophistiquées, mais s’appuient plutôt sur les réseaux clientélistes existants,
et par conséquent adoptent une hiérarchie interne qui ressemble à celle des
partis clientélistes, à l’exception du fait que les clients sont plus rigoureusement
associés à un groupe ethnique donné 26. D’autre part, les partis clientélistes
sont souvent ancrés à une base ethno-régionale. Des facteurs comme la pauvreté
extrême, l’analphabétisme, la distance entre les campagnes et les villes et les
profondes divisions ethniques favorisent des échanges politiques où « les
gens, c’est-à-dire les familles ou la majorité des habitants d’un village, d’une
chefferie, d’un district ou même d’une région, donnent leur appui à celui qui
peut s’occuper d’eux 27. »
Politique africaine
29 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

Quel type de système de partis ?

L’examen des systèmes de partis africains suit différents chemins analytiques,


la plupart s’appuyant sur des outils théoriques et conceptuels dérivés de la
science politique occidentale. Plus particulièrement, trois approches, soit les
approches sociologique, électorale et morphologique, dérivent directement
de l’étude des systèmes de partis dans les pays développés. Finalement, un peu
à l’écart des autres théories, on trouve des méthodes de recherches élaborées
pour comprendre les récents processus de démocratisation qui se déroulent
en Amérique latine, avec une emphase sur l’institutionnalisation des systèmes
de partis. On discutera ici plus en détail de ces quatre approches, qui offrent
des entrées intéressantes et complémentaires28.

Les sociétés et les systèmes de partis africains : une approche sociologique


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Les études sur l’origine des partis politiques dans les démocraties euro-
péennes font une grande place aux clivages sociopolitiques issus de ruptures
historiques majeures 29. Des processus comme la sécularisation de l’État et
l’industrialisation ont contribué à l’apparition de profondes divisions sociales
et à l’émergence ultérieure de partis politiques représentant les minorités
nationales, les identités religieuses, le secteur agraire, les intérêts de la classe
ouvrière, etc. Ces clivages historiques et sociopolitiques ont des conséquences

21. S. Ndegwa, « Kenya : third time lucky ? », Journal of Democracy, vol. 14, n° 3, 2003, p. 147.
22. M. Dogan et D. Pelassy, How to Compare Nations. Strategies in Comparative Politics, Chatham,
Chatham House, 1990, p. 87 et 90.
23. R. Marcus et A. Ratsimbaharison, « Political parties in Madagascar… », art. cit., p. 497 et 503.
24. R. Lemarchand, « Political clientelism and ethnicity in tropical Africa : competing solidarities in
nation-building », American Political Science Review, vol. 66, n° 1, 1972, p. 83.
25. P. Manning, Francophone sub-Saharan Africa, 1880-1995, Cambridge, Cambridge University Press,
1998, p. 153 ; C. Boone, « The making of a rentier class : wealth accumulation and political control in
Senegal », Journal of Development Studies, vol. 26, n° 3, 1990, p. 425 ; J. Barker, « Political factionalism
in Senegal », Canadian Journal of African Studies, vol. 7, n° 2, 1973, p. 287-303.
26. R. Gunther et L. Diamond, « Species of political parties… », art. cit., p. 167-199.
27. Dennis Austin, cité par R. H. Jackson et C. Rosberg, Personal Rule in Black Africa. Prince, Autocrat,
Prophet, Tyrant, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 43.
28. La théorie du choix rationnel, pourtant largement employée pour décrire les démocraties
industrielles, n’a pratiquement jamais été utilisée pour étudier les partis africains. Parmi les
exceptions figurent S. Mozaffar et J. Scarritt, « The puzzle of African party systems », Party Politics,
vol. 11, n° 4, 2005, p. 399-421 et S. A. Block, K. E. Ferree et S. Singh, « Multiparty competition, founding
elections and political business cycles in Africa », Journal of African Economies, vol. 12, n° 3, 2003,
p. 444-468.
29. Sur la théorie de S. Rokkan, voir P. Flora, S. Kuhnle et D. Urwin, State Formation, Nation-Building
and Mass Politics in Europe. The Theory of Stein Rokkan, Oxford, Clarendon Press, 1999.
LE DOSSIER
30 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

sur les systèmes de partis : une fois qu’une certaine forme d’antagonisme
émerge entre les partis, ce phénomène se cristallise et peut structurer la lutte
politique sur une longue période 30. Dans sa version originale, la théorie des
clivages s’appuie sur l’expérience historique de l’Europe de l’Ouest et ne peut
pas a priori être directement appliquée à d’autres zones géographiques ou
culturelles. Cette approche peut s’avérer utile pour comprendre la politique
en Afrique, soit pour chercher des traces des clivages définis par Rokkan,
soit pour identifier d’autres clivages qui seraient spécifiques aux pays africains.
Si les processus de formation de l’État ont été très différents en Europe et
en Afrique, de nombreux pays africains montrent eux aussi des signes de
tension évidents entre un centre politique et une périphérie, tension qui prend
bien souvent la forme d’une rivalité ethnique. On trouve des exemples de
ces antagonismes dans des partis comme l’Uganda People’s Congress ou
l’Inkatha Freedom Party. De même, si la question de la sécularisation de
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l’État n’a pas été aussi marquée et problématique en Afrique qu’elle l’a été en
Europe, la politisation croissante de l’Islam dans des pays tels que le Soudan
ou le Nigeria, et la façon dont les musulmans voient les relations entre
l’État et la religion, sont des éléments à prendre en compte pour comprendre
les systèmes partisans. Au Nigeria par exemple, l’opposition All Nigerian
People’s Party (ANPP) jouit d’un vaste soutien parmi la communauté musul-
mane, même si la base du parti n’est pas confinée uniquement au Nord
musulman. En 2003, le candidat de l’ANPP à l’élection présidentielle a,
semble-t-il, explicitement appelé au « vote musulman » et s’est prononcé en
faveur d’une extension de la charia 31. Quant au clivage entre villes et zones
rurales, il se fait sentir dans bien des pays – on sait ainsi que certains partis
trouvent leur base dans les zones urbaines, comme le Movement for Demo-
cratic Change au Zimbabwe, tandis que d’autres s’appuient sur des zones
rurales, comme la Renamo au Mozambique. Par opposition, l’absence d’une
réelle révolution industrielle en Afrique rend le clivage entre les propriétaires
capitalistes et la classe ouvrière peu pertinent pour étudier l’Afrique.
Une autre façon d’utiliser la théorie de Rokkan serait de concevoir les partis
de la région comme le résultat et l’expression de clivages historiques spécifi-
quement africains. À l’époque de l’indépendance, la vie politique de nombreux
pays africains a commencé à se structurer autour de l’opposition au pouvoir
colonial (un clivage « anticolonial »), et les mouvements de libération, de même
que les partis principaux, ont souvent joui d’un soutien électoral puissant
pendant une longue période. Cependant, d’importantes failles sont apparues
dans les décennies qui ont suivi. Au Ghana, le New Patriotic Party est lié à l’une
des traditions politiques historiques du pays, et le National Democratic
Congress s’appuie sur la « révolution » de 1981 de Jerry Rawlings 32.
Politique africaine
31 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

Le rôle des institutions : une approche par les systèmes électoraux


L’étude des systèmes électoraux et de leur impact sur les systèmes de partis
est l’un des champs de connaissances les plus étoffés de la science politique
contemporaine. L’unité d’analyse utilisée pour les travaux de cette nature est
la distinction entre les systèmes électoraux majoritaires et proportionnels.
Si l’on en croit Van de Walle, l’impact des systèmes électoraux en Afrique
n’est pas différent de celui mis en lumière dans les études qui portent sur
les démocraties avancées 33. Mozaffar et Scarritt s’entendent également pour
affirmer que les systèmes proportionnels produisent généralement des systèmes
de partis plus fragmentés et compétitifs. Ils soutiennent cependant qu’il
n’y a pas de différence marquée par rapport aux systèmes majoritaires :
peu importe le système électoral adopté, les partis qui raflent une large
majorité prennent de l’avance et les disproportions demeurent relativement
élevées pour les systèmes proportionnels également (bien qu’elles soient
deux fois moindres que dans les systèmes majoritaires) 34. Lindberg fournit
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une analyse plus nuancée : les « majorités manufacturées » (c’est-à-dire une
majorité de sièges obtenue grâce à un nombre de votes minoritaires) sont
plus courantes dans les systèmes majoritaires, alors que l’alternance du
pouvoir, contrairement à ce qu’on pourrait croire, se produit plus souvent
dans un système proportionnel 35.
Selon une analyse novatrice, la distinction entre les systèmes majoritaires
et proportionnels pourrait ne pas constituer l’enjeu principal : « en Afrique, les
systèmes de pluralité ne génèrent pas une forte opposition institutionnalisée
et la représentation proportionnelle ne mène pas à la multiplication des partis
et à la fragmentation de l’opposition 36. » Peu importe le système électoral
en vigueur, les systèmes de partis africains tendent presque toujours vers la

30. S. M. Lipset et S. Rokkan (eds), Party Systems and Voter Alignments. Cross-National Perspectives,
New York, The Free Press, 1967.
31. E. Obadare, « In search of a public sphere : the fundamentalist challenge to civil society in
Nigeria », Patterns of Prejudice, vol. 38, n° 2, 2004, p. 181-182 ; P. Lewis, « Nigeria : elections in a fragile
regime », Journal of Democracy, vol. 14, n° 3, 2003, p. 141.
32. P. Nugent, Big Men, Small Boys and Politics in Ghana. Power, Ideology and the Burden of History,
1982-1994, Londres, Pinter, 1995.
33. N. Van de Walle, « Presidentialism and clientelism in Africa’s emerging party systems », Journal
of Modern African Studies, vol. 41, n° 2, 2003, p. 303-304.
34. S. Mozaffar et J. Scarritt, « The puzzle… », art. cit., p. 413.
35. S. I. Lindberg, « Consequences of electoral systems… », art. cit., p. 56 et 59.
36. M. Bogaards, « Crafting competitive party systems : electoral laws and the opposition in Africa »,
Democratization, vol. 7, n° 4, 2000, p. 168 et 170.
LE DOSSIER
32 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

domination stable du parti capable de remporter la majorité « naturelle » (par


opposition à la majorité « manufacturée »), tandis que les minorités fragmentées
demeurent souvent trop petites pour renverser la situation. Afin de favoriser
l’alternance au sein du gouvernement, Bogaards propose de concevoir les
systèmes de partis au moyen d’instruments qui vont au-delà de la distinction
majoritaire-proportionnel. Par exemple, l’introduction combinée de plafond
pour la majorité et de primes pour la minorité (par exemple, en attribuant
55 % des sièges au parti le plus important et 35 % au deuxième parti en
importance, et en accordant le reste des sièges aux groupes minoritaires)
contribuerait à contrer la domination des partis importants ainsi que la faiblesse
et la division des groupes d’opposition, tout en encourageant la formation
de systèmes à deux partis 37.

La dynamique interne des systèmes de partis : une approche


morphologique
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La majorité des analyses sur les systèmes de partis africains portent sur la
dominance des partis. Cette question s’inscrit dans une perspective plus large
qui ne tient pas compte des relations entre le système de partis et certaines
variables externes (par exemple les normes électorales ou les clivages sociaux),
mais met plutôt l’accent sur les formes et les dynamiques internes du système
lui-même. Il faut donc s’interroger sur le nombre de partis contenus dans
le système, leur taille et leur poids relatifs, et la dynamique de l’alternance au
pouvoir ou son absence.
Dans les pays industriels, il est assez rare que des partis politiques se
maintiennent très longtemps au pouvoir. La littérature de science politique
qualifie d’ailleurs ces partis d’anomalies démocratiques 38. En revanche,
malgré les réformes adoptées au début des années 1990, de nombreux régimes
politiques africains sont dominés par des partis qui raflent une vaste majorité
lors de deux, trois ou même quatre élections successives. La singularité de
l’Afrique réside donc dans la fréquence élevée de ce type de phénomène :
dans bien des cas, le parti ayant remporté les élections de la « transition » ou
les élections « fondatrices », qu’il s’agisse d’un ancien parti unique (comme au
Mozambique ou en Tanzanie) ou d’une nouvelle formation venue de l’oppo-
sition (comme en Zambie ou au Malawi), a réussi à se maintenir au pouvoir
lors des élections subséquentes.
Ces épisodes de pouvoir prolongés ont donné lieu à des analyses sur un
thème généralement qualifié de « dominance » des partis. Les questions relatives
à ce phénomène sont nombreuses : à quel moment un parti devient-il dominant ?
Y a-t-il une distinction entre la dominance et l’hégémonie ? Quelles sont les
racines de la dominance et quelles sont ses conséquences 39 ?
Politique africaine
33 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

L’un des problèmes soulevés par l’utilisation de la « dominance » pour


qualifier les partis politiques africains est la large utilisation qui est faite de
cette notion regroupant des cas très différents : certains partis sont qualifiés
avec justesse de « partis dominants », alors que d’autres sont en fait des
« partis hégémoniques » (c’est-à-dire des partis dominants autoritaires 40).
Or, dans le premier cas, il existe un certain degré de compétition (même
minimal), alors que dans le deuxième cas, le système est non compétitif.
En d’autres mots, un parti dominant est un parti qui gagne une série de
mandats populaires consécutifs (au moins trois, selon Sartori) dans le cadre
de véritables élections, soit des élections qui sont exemptes de fraudes
majeures. Dans ce cas, les partis d’opposition échouent simplement à
modifier le choix des électeurs et à déloger le parti au pouvoir. Dans le
cas des partis hégémoniques, des élections sont organisées mais leur résultat
l’est également (par la fraude électorale ou d’autres moyens) : « les autres
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partis ont le droit d’exister, mais […] la possibilité d’une rotation du pouvoir
n’est en aucun cas envisagée 41 ».
Les partis dominants et les partis hégémoniques (ou « partis dominants
autoritaires ») naissent généralement suivant différents enchaînements de
causalité. Comme l’affirme Basedau :

« Les partis dominants autoritaires ne jouent pas franc jeu, leur origine est teintée de
coercition (conflits armés, coup militaire ou parti unique), et ils sont caractérisés par un
système de gouvernement fortement présidentiel et un faible degré de gouvernance
dans les affaires socio-économiques et politiques. À l’inverse, les partis dominants
non autoritaires ont une origine moins empreinte de violence et de coercition et ils ont
généralement un bon rendement ou se caractérisent par une combinaison de clivages
sociopolitiques et d’institutions électorales. »

37. Ibid., p. 177 et suiv.


38. T. J. Pempel, Uncommon Democracies. The One-Party Dominant Regimes, Ithaca, Cornell University
Press, 1990.
39. Voir H. Giliomee et C. Simkins, « The dominant party regimes of South Africa, Mexico, Taiwan
and Malaysia : a comparative assessment », in H. Giliomee et C. Simkins (eds.), The Awkward Embrace.
One-Party Domination and Democracy, Amsterdam, Harwood Academic, 1999, p. 1-45 ; M. Bogaards,
« Counting parties and identifying dominant party systems in Africa », European Journal of Political
Research, vol. 43, n° 2, 2004, p. 173-197 ; M. Basedau, « A preliminary inquiry into the causes of one-
party dominance in contemporary sub-Saharan Africa », communication orale à la conférence ECPR
de Budapest, septembre 2005 ; J. Ishiyama et J. J. Quinn, « African phoenix ? Explaining the electoral
performance of the formerly dominant parties in Africa », Party Politics, vol. 12, n° 3, 2006, p. 317-340.
40. G. Sartori, Parties and Party Systems. A Framework for Analysis, Cambridge, Cambridge University
Press, 1976, p. 230, tableau 30.
41. Ibid., p. 230-231.
LE DOSSIER
34 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

Le caractère disproportionnel du système électoral favorise ainsi la domi-


nance de partis qui ne peuvent compter sur une majorité ethnique 42.
L’impact de la dominance d’un parti sur une démocratie naissante fait
l’objet de controverse. D’une part, certains se préoccupent du fait que
« dans les pays pauvres, le parti dominant établit généralement une […] tête
de pont pour instaurer un régime autoritaire et un système de parti hégé-
monique. 43 » Selon Bogaards, « contrairement à ce qu’on pourrait penser,
le défi principal des systèmes de partis africains n’est pas la fragmentation
mais plutôt la concentration. 44 » Mais l’auteur a peut-être été trop prompt
à formuler des solutions à la tendance à la dominance, car dans des pays
tels que le Ghana, le Sénégal, le Mali, le Cap-Vert et São Tomé e Príncipe,
qu’il a qualifiés d’États à parti dominant, l’opposition a gagné des sièges
et l’alternance au pouvoir s’est produite dans les années qui ont suivi,
entre 2000 et 2002. Dans tous ces pays, les partis n’ont pas dominé le pays
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plus de dix ans et leur domination était loin d’être inébranlable ou per-
manente.
Certains défendent cependant une fragmentation limitée des partis. Des
pays tels que le Botswana ou le Sénégal semblent avoir tiré un certain
profit du rôle joué respectivement par le Botswana Democratic Party et le
Parti socialiste depuis la fin des années 1960 et les années 1970. De plus, il est
possible que la suprématie d’un parti s’érode pour favoriser l’apparition
d’un système de plus en plus compétitif. Au Mozambique ou en Zambie
par exemple, la présence temporaire d’un parti dominant pourrait avoir des
retombées positives, notamment la modération politique, la clarté des choix,
la durabilité de l’exécutif et la cohérence politique 45.

L’enjeu de la consolidation démocratique : l’approche


de l’institutionnalisation des systèmes de partis
Depuis que Rokkan a mis en relief la tendance des systèmes de partis
occidentaux à gagner et à maintenir une certaine stabilité au cours des années
(c’est-à-dire à se « figer »), les chercheurs qui travaillent sur les systèmes de partis
européens ont donné la priorité au changement 46. Compte tenu de l’existence
de systèmes de partis extrêmement stables, il était légitime de s’interroger
sur la façon dont cette stabilité pourrait être ébranlée. Dans le cas des nouvelles
démocraties souvent caractérisées par des formes précaires de multipartisme
et un univers politique très axé sur la personnalité des dirigeants, la question
qui se pose plutôt est de savoir comment institutionnaliser les systèmes de
partis. Les analystes des partis et des processus de consolidation démocratique
de l’Amérique latine ont ainsi élaboré un cadre théorique qui a influencé
l’analyse des systèmes de partis africains 47.
Politique africaine
35 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

L’institutionnalisation d’un système de partis est définie par Mainwaring


comme un processus à quatre dimensions 48. Lorsque les partis politiques
deviennent des organisations durables, ancrées dans la société, légitimes et
efficaces sur le terrain, ils sont plus susceptibles de contribuer de façon posi-
tive à la consolidation démocratique. Un « système de partis institutionnalisé »
est un système dans lequel « l’existence des partis principaux et la façon
dont ils agissent est empreinte de stabilité. Ainsi, le changement n’est pas
entièrement exclu, mais il est limité 49 ». Cette situation permet également de
réduire les problèmes associés aux systèmes de partis non institutionnalisés
(inachevés), notamment l’éclosion d’un pouvoir personnaliste, les influences
et la politique populistes, les tendances néopatrimoniales et la marginalisation
du parlement dans une vie politique centrée sur l’exécutif. L’approche décrite
ci-dessus a guidé un grand nombre de réflexions théoriques sur l’institu-
tionnalisation des partis et des systèmes de partis africains (notamment sur la
tension possible entre les deux entités) 50, ainsi que des analyses comparatives 51
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et des études de cas 52.
Dans deux études comparatives quantitatives, Kuenzi et Lambright ont
mis l’accent sur deux des dimensions définies par Mainwaring, soit la stabilité
de la compétition entre les partis et le degré d’ancrage des partis dans la
société. Cependant, après avoir débattu du cadre de Mainwaring, ils ont
modifié l’hypothèse selon laquelle une faible volatilité favorise la stabilité,
affirmant plutôt que les nouvelles démocraties sont avantagées par des degrés

42. M. Basedau, A Preliminary Inquiry…, op. cit., p. 26.


43. H. Giliomee et C. Simkins, « The dominant party regimes… », art. cit., p. 2.
44. M. Bogaards, « Crafting competitive party… », art. cit., p. 184 ; M. Kuenzi et G. Lambright,
« Party systems and democratic consolidation… », art. cit.
45. L. Rakner et L. Svåsand « From dominant to competitive party system… », art. cit., p. 52 ;
M. Basedau, A Preliminary Inquiry…, op. cit., p. 22-23.
46. P. Mair, Party System Change. Approaches and Interpretations, Oxford, Oxford University Press, 1997.
47. S. Mainwaring et T. Scully (eds), Building Democratic Institutions : Party Systems in Latin America,
Stanford, Stanford University Press, 1995.
48. Ibid., p. 1.
49. S. Mainwaring, « Party systems in the third wave », Journal of Democracy, vol. 9, n° 3, 1998, p. 68.
50. V. Randall et L. Svåsand, « Party institutionalization… », art. cit.
51. M. Kuenzi et G. Lambright, « Party system institutionalisation in 30 African countries », Party Politics,
vol. 7, n° 4, 2001, p. 437-468 ; V. Randall et L. Svåsand, « Political parties and democratic consolidation
in Africa », Democratization, vol. 9, n° 3, 2002, p. 30-52 ; M. Kuenzi et G. Lambright, « Party systems
and democratic consolidation… », art. cit.
52. L. Rakner et L. Svåsand, « From dominant to competitive party system… », art. cit. ; R. Marcus et
A. Ratsimbaharison, « Political parties in Madagascar… », art. cit. ; G. M. Carbone, « Continuidade
na renovação ?… », art. cit.
LE DOSSIER
36 Partis politiques d’Afrique : retours sur un objet délaissé

élevés de volatilité, car cette dernière est propice à la compétition et à l’alternance


du pouvoir. Mozaffar et Scarritt ont également mené des recherches sur le
terrain en s’appuyant sur des mesures quantitatives de la volatilité et de la
fragmentation des systèmes de partis 53. Selon eux, la particularité de l’Afrique
réside dans une combinaison de hauts degrés de volatilité électorale (20 à 30 %
en moyenne, selon différentes sources 54) associés à de faibles degrés de
fragmentation (à l’opposé, dans les nouvelles démocraties d’Amérique
latine et d’Europe de l’Est, les degrés élevés de volatilité s’accompagnent de
degrés élevés de fragmentation 55). Soulignons tout de même que Bogaards
remet en question l’idée selon laquelle les deux phénomènes coexistent
dans le même pays. Il affirme plutôt qu’en règle générale, seul l’un ou l’autre
des phénomènes est présent. En d’autres termes, les systèmes de partis
dominants ne connaissent pas des degrés de volatilité élevés, mais bien à
l’inverse de degrés de volatilité plus faibles que les systèmes de partis non
dominants 56.
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Peu de systèmes de partis africains semblent en voie de consolidation,
qu’il s’agisse de ceux qui sont issus des plus anciens systèmes multipartites
(Botswana et Sénégal) ou des systèmes nouvellement réformés (ceux du
Ghana, de l’Afrique du Sud ou de la Namibie par exemple). Si l’on prend
le cas du Ghana, toutes les élections ont mis en scène le New Patriotic Party
et le National Democratic Congress, deux partis forts et stables. Cependant,
les systèmes de partis de la région sont généralement caractérisés par un
faible degré d’institutionnalisation, la plupart d’entre eux étant des systèmes
« inachevés », selon la terminologie de Mainwaring, comme le confirment
les études quantitatives et les études de cas 57. Si l’on considère que la mise
sur pied d’organisations autonomes est l’une des composantes de l’insti-
tutionnalisation d’un système de partis, il faut se rendre à l’évidence que
de nombreux partis africains sont défaillants sur ce point. En Zambie par
exemple, l’United National Independence Party, qui a dirigé le pays entre
les années 1960 et 1990, est toujours sous le joug de la famille Kaunda 58.
De même, à Madagascar, le Tiako i Madagasikara de Marc Ravalomanana
a été mis sur pied quelques mois avant les élections et ses membres ont souvent
été choisis parmi les employés de la célèbre entreprise du président, Tiko,
afin de garantir leur allégeance 59.

L a mise en œuvre de réformes démocratiques depuis les années 1990 a


suscité un retour au multipartisme dans la majorité des systèmes politiques
africains. La résurgence des partis politiques, quant à elle, a eu pour effet
de créer une rupture non seulement dans la vie politique du continent mais
également dans l’étude qui en est faite. Des nouvelles analyses ont été faites
Politique africaine
37 Comprendre les partis et les systèmes de partis africains

sur les partis et les systèmes de partis, ce qui a contribué à une intégration plus
poussée de l’étude de la politique au sud du Sahara et de la science politique
classique. Il est indéniable que les travaux récents ont fait avancer notre
connaissance des changements dans la vie politique africaine. Par exemple, de
nouvelles études mettent en lumière la large diffusion des systèmes dominés
(mais non monopolisés) par un seul parti, la fragmentation récurrente des
groupes d’opposition en un grand nombre de partis faibles et volatiles, le rôle
des identités ethniques et des réseaux clientélistes dans la mobilisation des
électeurs, les limitations structurelles vécues par les partis lorsqu’il s’agit de
mettre sur pied des organisations efficaces, la faible capacité des nouveaux
partis en matière d’élaboration de politique et le faible degré général d’insti-
tutionnalisation des systèmes de partis sur le continent. En dépit des progrès
réalisés, les travaux de recherche sur les partis africains sont demeurés
insuffisants. Bien sûr, les récentes études ont fait avancer notre connaissance
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des changements politiques sur le continent africain, mais ni l’élaboration de
cadres théoriques ni la collecte de données empiriques n’ont atteint un degré
de développement satisfaisant. Les théoriciens doivent s’interroger sur
l’applicabilité des modèles de la science politique contemporaine aux réalités
africaines et approfondir leur connaissance de questions spécifiques, notamment
la relation entre les bases ethnique, clientéliste et personnaliste des partis
politique et les schémas de transformation suivis par les systèmes de partis
dans la région. La recherche empirique doit quant à elle combler en tout
premier lieu les lacunes qui existent dans les données sur le fonctionnement
des partis (programme, organisation, développement) ; une tâche colossale
mais indispensable pour enrichir les connaissances existantes et contribuer à
l’élaboration de nouvelles théories ■
Giovanni M. Carbone
Università degli Studi, Milan

Traduit de l’anglais par Annabelle Larouche St-Sauveur

53. S. Mozaffar et J. Scarritt, « The puzzle… », art. cit.


54. M. Bogaards, « Dominant party systems and volatility in Africa : a comment on Mozaffar and
Scarritt », Party Politics, à paraître, p. 7 et 10 ; M. Kuenzi et G. Lambright, « Party system institutiona-
lisation…», et « Party systems and democratic consolidation…», art. cit.
55. N. Van de Walle, « Presidentialism and clientelism… », art. cit., p. 300 et suiv. ; S. Mozaffar et
J. Scarritt, « The puzzle… », art. cit.
56. M. Bogaards, « Dominant party systems… », art. cit., p. 11.
57. M. Kuenzi et G. Lambright, « Party system institutionalisation… », art. cit.
58. L. Rakner et L. Svåsand, « From dominant to competitive party system… », art. cit., p. 54, 59 et 64.
59. R. Marcus et A. Ratsimbaharison, « Political parties in Madagascar… », art. cit., p. 506 et suiv.

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