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Irene Bono
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Irene Bono
L’article propose une lecture en termes d’économie politique des pratiques d’inclusion
des « pauvres » par le marché à travers la promotion des Activités génératrices de
revenus (AGR), dans le contexte particulier d’El Hajeb au Maroc. Cette promotion
des AGR est révélatrice de l’émergence d’une nouvelle conception du marché reposant
sur la valorisation de l’activisme associatif comme pourvoyeur d’opportunités d’inclusion
économique. La normalisation sociale et politique qui en dérive dévoile à la fois des
traits typiques de l’exercice du pouvoir au Maroc et de la gouvernance néolibérale.
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1. L’Association nationale des diplômés chômeurs du Maroc (ANDCM) fut créée en 1991, avec pour
objectif principal l’intégration de ses adhérents dans la fonction publique, au nom du « droit au
travail ». Voir M. Emperador, « El movimiento de los diplomados en paro de Marruecos : desafíos
a la improbabilidad de una acción colectiva », Revista internacional de sociología, vol. 67 n° 1, 2009,
p. 29-58.
2. Entretien avec un animateur social, membre d’une association de soutien à l’enfance, ici fictive-
ment nommé Ahmed, El Hajeb, 4 mai 2008.
le Dossier
26 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
3. Pour une conceptualisation de l’individu comme acteur du marché qui « va entreprendre et, en
entreprenant, […] apprendre », voir P. Dardot et Ch. Laval, La Nouvelle Raison du monde. Essai sur la
société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 226. Pour une analyse de cette orientation des
politiques de développement, voir A. J. Bebbington, M. Woolcock, S. guggenheim et E. A. Olson
(dir.), The Search for Empowerment. Social Capital as Idea and Practice at the World Bank, Bloomfield,
Kumarian Press, 2006.
4. Expressions issues de P. Dardot et Ch. Laval, La Nouvelle Raison du monde…, op. cit., p. 153
et 233.
5. Ibid.
6. Pour une présentation institutionnelle, voir <indh.gov.ma>. Pour une analyse critique de cette
initiative, je me permets de renvoyer à I. Bono, « Pauvreté, exception, participation. Mobilisation
et démobilisation dans le cadre de l’INDH au Maroc », in M. Catusse, B. Destremau et é. Verdier
(dir.), L’État face aux débordements du social au Maghreb. Formation, travail et protection sociale, Paris/
Aix-en-Provence, Karthala/Iremam, 2010, p. 229-250.
7. Les deux autres sont l’élargissement de l’accès aux équipements et services sociaux de base des
quartiers et des communes rurales les plus pauvres et l’aide aux groupes les plus « vulnérables ».
Voir « Discours de Mohammed vi à la Nation », 18 mai 2005.
8. Sur l’organisation des Beni M’tir avant le Protectorat, voir A. R. Vinogradov, « The Socio-Political
Organisation of a Berber “Taraf” Tribe : Pre-Protectorate Morocco », in E. gellner et Ch. Micaud
(dir.), Arabs and Berbers. From Tribe to Nation in North Africa, Londres, Duckworth, 1972, p. 67-83. Sur
l’occupation de la ville, voir P. Azan, L’Expédition de Fez, Nancy/Paris/Strasbourg, Berger Levrault,
1924. Sur l’influence française pendant le Protectorat, voir A. Thabault, L’Influence française
sur l’évolution sociale des Guerouanes du Sud et des Beni M’Tir, mémoire de stage, Paris, ENA, 1947.
Sur l’organisation administrative, voir A. Taghbaloute, « La circonscription administrative
d’El-Hajeb : du cercle à la province », Revue MarocEurope. Histoire, économie, sociétés, n° 12, 1999-2000,
p. 119-132.
Politique africaine
27 L’activisme associatif comme marché du travail
Selon la définition proposée par l’INDH, « une AGR est une activité qui
consiste à produire des biens ou des services et/ou à transformer des produits
en vue de les vendre 9 ». Cette approche fait écho à celle de l’Agence du déve-
loppement social (ADS), établissement public fondé en 1999 avec le soutien
de la Banque mondiale et sous la tutelle du ministère du Développement
social, de la famille et de la solidarité, qui définit les AGR comme de « très
petites activités économiques, portées par des populations pauvres et vulné-
rables, qui leur engendrent un revenu régulier 10 ». À côté de leurs promoteurs,
de telles activités impliquent un ensemble de figures professionnelles : des
fonctionnaires, des consultants, des formateurs, des agents de microfinance…
Ainsi Ahmed, qui se définit aujourd’hui comme un « agent de développement
social », a-t-il commencé son insertion économique autour des AgR. Il a rejoint
une association de soutien aux enfants de la rue, puis s’est proposé comme
enquêteur pour des recherches sur le développement local et comme animateur
dans des parcours de formation destinés aux militants associatifs.
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9. INDH, Activités génératrices de revenus. Manuel de procédures, décembre 2009, p. 13, disponible sur
<indh.gov.ma>.
10. Site de l’ADS, <ads.ma>, page « Activités génératrices de revenus » de la section « Stratégie ».
11. Comme le suggère I. Martin, « Morocco Wakes up to Human Development », Mediterranean
Politics, vol. 11, n° 3, 2006, p. 433-439.
12. Selon M.-A. Roque (dir.), La Société civile au Maroc. L’émergence de nouveaux acteurs de développement,
Barcelone, Publisud/Sochepress/IEMed, 2004.
13. C’est la thèse de C. de Miras, « INDH et économie solidaire au Maroc », Revue Tiers Monde, n° 190,
2007, p. 357-377.
14. J.-P. Chauveau, « Le “modèle participatif” de développement rural est-il “alternatif” ? éléments
pour une anthropologie de la culture des “développeurs” », Bulletin de l’APAD, n° 3, 1992,
p. 20-30.
le Dossier
28 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
15. Pour reprendre une expression issue de B. Hibou, « économie politique du discours de la Banque
mondiale en Afrique subsaharienne. Du catéchisme économique au fait (et méfait) missionnaire »,
Les Études du Ceri, n° 39, mars 1998, que l’auteure développe en ces termes (p. 17) : « (…) la vulgate
de la Banque mondiale est un catéchisme économique, comme le suggère la propension des
catéchistes à utiliser des adjectifs normatifs comme “bon” ou “mauvais” ; les volontés de “faire le
bien” et de “développer” trahissent une naïveté que partageaient les mouvements religieux et
rappellent leur ambition civilisatrice ; la capacité à établir des vérités, non par démonstration mais
par répétition et jeu de pouvoir, fait étrangement penser à l’attitude des missions protestantes
du xixe siècle ».
16. Compris ici comme l’engagement pour défendre une cause collective dans un cadre associatif.
Sur les théories de l’action collective, voir D. Cefaï, Pourquoi se mobiliseton ? Les théories de l’action
collective, Paris, La Découverte/Mauss, 2007.
17. Cette étude se base sur une recherche de terrain menée depuis avril 2007 dans la province
d’El Hajeb en vue de la préparation d’une thèse de doctorat en science politique. La méthode de
travail s’est fondée sur des entretiens semi-directifs répétés avec des acteurs aux profils différents
concernés par la mise en œuvre de l’INDH, ainsi que sur l’observation participante des activités
promues par les associations, des cours destinés aux cadres associatifs, et de la gestion du
« dossier participatif » au sein de l’administration provinciale d’El Hajeb. Les entretiens ont été
réalisés en alternant le français et des rudiments de darija (arabe dialectal marocain). Voir I. Bono,
Cantiere del Regno. Associazioni, sviluppo e stili di governo in Marocco, thèse de doctorat en science
politique, université de Turin, 2009, disponible sur <fasopo.org>.
Politique africaine
29 L’activisme associatif comme marché du travail
Le manuel de procédures des AgR établit, tout d’abord, que ces activités
doivent émaner « obligatoirement de la population cible de l’INDH 20 ». Les
outils d’identification d’une telle « population cible » ont été définis en com
binant les données sur la consommation des ménages et celles du recensement
18. K. Polanyi, La Grande Transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris,
gallimard, 2009 [1944].
19. J. Elyachar, Markets of Dispossession : NGOs, Economic Development and the State in Cairo, Durham,
Duke university Press, 2005. Bien que l’auteure en propose une définition spécifique à son approche,
elle fait référence à la notion d’« accumulation par dépossession » de D. Harvey, The New Imperialism,
Oxford, Oxford university Press, 2003.
20. INDH, Activités génératrices de revenus…, doc. cit., p. 8.
le Dossier
30 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
21. Plus précisément, en combinant les données du recensement de 1994 avec celles de l’enquête
sur le niveau de vie des ménages de 1998-1999. une première mise à jour des estimations a été
effectuée sur la base du recensement de 2004 et de l’enquête sur la consommation des ménages
de 2001. La mise à jour la plus récente se fonde sur les données du recensement de 2004 et celles
de l’enquête sur le niveau de vie des ménages de 2007. Pour une reconstruction de la procédure de
calcul, voir Banque mondiale, Royaume du Maroc. Rapport sur la pauvreté : comprendre les dimensions
géographiques de la pauvreté pour en améliorer l’appréhension à travers les politiques publiques, rapport
n° 28223-MOR, 2004, p. 18-31.
22. Consultables sur le site <omdh.hcp.ma>.
23. En milieu rural, sont ciblées 403 communes, dont 348 ayant une population vivant sous le seuil
de pauvreté estimée à plus de 30 % et 55 ayant un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale,
qui est de 22 %. En milieu urbain, sont ciblés 264 quartiers manquant d’infrastructures de base et
dont le taux de population pauvre dépasse également la moyenne nationale.
24. Pour d’autres exemples de « constructions » de la pauvreté, voir B. Destremau, A. Deboulet
et F. Ireton, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du nord et au MoyenOrient, Paris, Karthala/
urbama, 2004.
25. Entretien avec le président d’une association de développement rural, El Hajeb, 9 mai 2008.
Politique africaine
31 L’activisme associatif comme marché du travail
est réservée aux moins pauvres des zones pauvres 26. De fait, il existe des
barrières financières difficiles à contourner. Suivant la logique de la « respon
sabilisation» de l’«entrepreneur», 10 % du coût du projet – qui est au maximum
de 25 000 dirhams (soit un peu plus de 2 000 euros) – doivent provenir de la
contribution personnelle de ce dernier, et 20 % doivent être couverts par un
financement de microcrédit. Ces exigences peuvent barrer l’accès au
financement des plus pauvres. Ainsi, les porteurs illégaux de la ville d’El Hajeb,
constitués en association, n’arrivent pas à assurer le pourcentage de contri-
bution personnelle demandé dans le montage des AgR pour motoriser leurs
charrettes : « L’INDH a dit que nous devons donner 4 500 dirhams chacun
mais personne d’entre nous n’a cette somme : un porteur ne gagne pas plus
de 35 dirhams dans son meilleur jour de travail ! 27 ».
La pauvreté est ici comprise comme une propriété d’un territoire ; elle est
dès lors conçue comme le résultat d’une mauvaise gestion de celui-ci. C’est
pourquoi une part importante et croissante des fonds pour le développement
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26. L’accès à l’inclusion peut aussi être facilité par le fait d’être une femme, comme le suggère
y. Berriane, « The Complexities of Inclusive Participatory governance : The Case of Moroccan
Associational Life in the Context of the INDH », Journal of Economic and Social Research, vol. 12, n° 1,
2010, p. 89-111.
27. Entretien avec les membres de l’Association des porteurs, El Hajeb, 29 avril 2008.
28. Cette « technicisation du gouvernement local » est notée dans des contextes différents par
M. Catusse et K. Karam, « Le “développement” contre la représentation ? La technicisation du
gouvernement local au Liban et au Maroc », in M. Camau et g. Massardier (dir.), Démocraties et
autoritarismes : fragmentation et hybridation des régimes, Paris, Karthala, 2009, p. 85-120.
29. Entretien avec un ancien élu local de la province d’El Hajeb, Rabat, 21 mai 2008.
30. Comme cela est également souligné, pour le Lesotho, par J. Ferguson, The AntiPolitics Machine :
« Development », Depoliticization and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, university of
Minneapolis Press, 1994.
le Dossier
32 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
39. Entretien avec un fonctionnaire de la division des Affaires générales, El Hajeb, 14 mai 2008.
40. INDH, Activités génératrices des revenus…, doc. cit., p. 15.
41. Pour un exemplaire de la convention entre les parties, voir ibid., p. 30 et suiv.
42. Voir D. Osborne et T. gaebler, Reinventing Government. How the Entrepreneurial Spirit is Transforming
the Public Sector, Reading, Addison-Wesley, 1992; P. Dardot et Ch. Laval, La Nouvelle Raison du
monde…, op. cit.
le Dossier
34 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
Selon cette logique, chaque individu doit pouvoir s’approprier des connais-
sances procédurales et des techniques de gestion pour sortir de sa condition
de pauvre et devenir auto-entrepreneur. L’état ne disparaît pas de la scène,
mais son rôle se modifie : il se doit d’éduquer à l’autoentrepreneuriat. Pour
ce faire, les pouvoirs publics mettent en place un appareil de formation à
l’auto-emploi qui, en dernière instance, devrait être à même d’aboutir à sa
sécurisation. Là encore, on n’assiste pas à une privatisation de l’action publique
mais à un renouvellement du processus de centralisation étatique : il est ainsi
fréquent que dans les formations destinées aux membres d’associations, le
caïd 48 intervienne pour les « encourager ». Le président d’une association
promotrice d’AgR en milieu rural raconte ainsi que, à la veille du troisième
anniversaire du lancement de l’initiative royale, l’agent d’autorité du territoire
a convoqué toutes les associations pour les inviter à s’engager dans le déve-
loppement, « sans attendre les derniers mois de l’INDH pour venir se
lamenter 49 ». Autrement dit, la nouvelle politique sociale centrée sur les AgR
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48. « Les caïds sont, en vertu du dahir du 20 mars 1956, les représentants du pouvoir exécutif dans
leur circonscription territoriale. Ils y assurent l’exécution des lois et règlements, y maintiennent
l’ordre, la sécurité et la tranquillité publique et dirigent les services placés sous leurs autorités.
Ils sont, en outre, investis de pouvoirs d’officiers de police judiciaire », in M. Bahi, Les Compétences
du Wali, du Gouverneur et d’autres agents d’autorité, Casablanca, Najah el Jadida, 2005, p. 8.
49. Entretien avec le président d’une association de développement rural, El Hajeb, 19 mai 2008.
le Dossier
36 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
50. Cette sauvegarde de l’image militante en dépit de rôles désormais « professionnalisés » n’est
pas une spécificité marocaine, mais elle peut se manifester dans toutes les situations où des « pro-
fessionnels de la participation » sont impliqués dans des modes de gouvernement. Pour un exemple
à partir du cas français, voir M. Nonjon, « Professionnels de la participation : savoir gérer son image
militante », Politix, vol. 22, n° 70, 2005, p. 89-112.
51. Expressions tirées des noms de certaines associations promotrices d’AgR à El Hajeb.
52. Cette rationalité n’est pas une spécificité marocaine, mais plutôt une constante de la prise en
charge par les associations des fonctions autrefois assurées par l’état. Voir B. Jobert (dir.) Changing
Images of Civil Society. From Protest to Governance, New york, Routledge, 2008 et, pour le cas italien,
O. De Leonardis, In un diverso welfare. Sogni e incubi, Milan, Feltrinelli 1998.
53. Voir D. gaxie, « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Swiss Political
Science Review, vol. 11, n° 9, 2005, p. 160, ainsi que D. gaxie, « économie des partis et rétributions
du militantisme », Revue française de science politique, vol. 27, n° 1, 1977, p. 123-154.
54. Voir entre autres M. Bennani-Chraïbi, « Parcours, cercles et médiations à Casablanca. Tous les
chemins mènent à l’action associative de quartier », in M. Bennani-Chraïbi et O. Fillieule (dir.),
Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 293-352 ;
J. N. Sater, Civil Society and Political Change in Morocco, Londres, Routledge, 2007.
55. Voir entre autres M.-A. Roque (dir.), La Société civile au Maroc…, op. cit.
Politique africaine
37 L’activisme associatif comme marché du travail
56. Voir le dossier dirigé par Richard Banégas et Jean-Pierre Warnier, « Figures de la réussite et
imaginaires politiques », Politique africaine, n° 82, juin 2001.
57. Entretien avec Mustapha, promoteur d’AgR, El Hajeb, 9 juillet 2007.
58. La cohérence entre participation militante et participation néolibérale est également notée dans
le cas philippin par J. Hutchison, « The “Disallowed” Political Participation of Manila’s urban
Poor », Democratization, vol. 14, n° 5, 2007, p. 853-872.
59. Entretien avec les membres d’une association pour la promotion des langues vivantes, El Hajeb,
27 avril 2008.
le Dossier
38 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
60. Ibid.
61. Ibid.
62. Celle-ci va ici de pair avec la porosité entre champ du travail et champ associatif. Il ne s’agit
pas d’une spécificité marocaine, ni des pays en développement, mais plutôt d’une caractéristique
typique des transformations du marché de travail à l’époque néolibérale. Voir, pour le cas anglais,
R. F. Taylor, « Extending Conceptual Boundaries : Work, Voluntary Work and Employment », Work,
Employment & Society, vol. 18, n° 1, 2004, p. 29-49.
63. INDH, Activités génératrices des revenus…, doc. cit., p. 14.
64. g. Cazzetta, « una consapevole linea di confine. Diritto del lavoro e libertà di contratto », Lavoro
e diritto, vol. 21, n° 1, 2007, p. 143-173.
65. Telle que la pensée de Friedrich Hayek est interprétée par P. Dardot et Ch. Laval, La Nouvelle
Raison du monde…, op. cit., p. 261.
Politique africaine
39 L’activisme associatif comme marché du travail
66. Sur l’évolution du mouvement associatif marocain sous Hassan ii, voir J. N. Sater, Civil society
and Political Change…, op. cit., notamment les chapitres 3 et 4. Sur l’expérience contestataire des
années 1960-1980, voir z. Daoud, Les Années Lamalif, 19581988. Trente ans de journalisme au Maroc,
Casablanca/Naples, Tarik éditions/Senso unico, 2007.
67. Entretien avec un ancien militant du ciné-club qui est aujourd’hui fonctionnaire, El Hajeb,
10 mai 2008. La nouvelle répartition administrative qui amène à la création de la province d’El
Hajeb en 1991 permet de créer de nombreux postes dans la fonction publique pour les jeunes
diplômés. À l’époque, le mouvement des diplômés chômeurs négociait des recrutements avec les
autorités sur la base d’un principe valorisant la participation : celui qui avait à son actif le plus
grand nombre d’années de militantisme, la plus grande assiduité aux manifestations et dans
l’organisation de la protestation avait la priorité. À El Hajeb, quelques dizaines d’anciens militants
de l’association des diplômés chômeurs ont été embauchés de cette manière au sein de l’adminis-
tration locale. Sur cet aspect, au niveau national, voir M. Emperador, Le Mouvement des diplômés
chômeurs au Maroc : l’idéologisation comme source d’éclatement et de pérennisation d’un mouvement social,
mémoire de master, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 2005.
68. Voir I. Bono, « Du Ciné-club à la “communication sociale” : le cas de la province d’El-Hajeb
(Moyen-Atlas marocain) », in K. Boissevain et P.-N. Denieuil (dir.), Socioanthropologie de l’image au
Maghreb, Tunis/Paris, IRMC/L’Harmattan, 2010, p. 221-235.
le Dossier
40 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
elle peut aussi s’apprendre ; elle implique des militants-consultants qui tirent
leur expertise d’une expérience concrète, mais aussi des apprentis-participants
qui s’approprient des compétences grâce à des programmes de formation.
L’expertise associative peut être demandée dans des secteurs totalement
distincts du développement participatif, telles les activités économiques
productives (comme la microfinance ou la commercialisation), l’administration,
voire les activités de contrôle et de surveillance du secteur associatif !
Il peut aussi y avoir des agents de développement qui cherchent à contenir
le mécontentement des jeunes chômeurs : alors qu’autrefois, ils auraient mené
des mobilisations dans les associations, ils invitent aujourd’hui ces jeunes à
promouvoir des AgR au sein des associations, et ce en vertu du fait que « les
agents d’autorité se sont transformés en acteurs de développement », comme
me l’expliquait un caïd de la province d’El Hajeb 79. Dans le même temps, les
associations peuvent servir de canal de contrôle, à travers les principes d’in-
clusion et de contractualisation précédemment analysés, mais aussi à travers
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Ahmed quand je l’ai rencontré dans les locaux de son association. «Maintenant
ce n’est plus le cas : il va venir me rendre visite après, pour s’informer sur ce
qu’on s’est dit, de façon plus amicale. étant donné que je ne fais rien contre
l’état, je peux lui répondre car je n’ai rien à cacher ». L’activisme associatif, en
tant qu’il est susceptible de constituer une « carte de visite », peut ainsi
apparaître comme un élément fondamental de la normalisation politique, et
la participation comme un espace d’autodiscipline qui transforme les modalités
de la coercition.
84. Pour une analyse du « phénomène participatif » marocain avec une telle approche, je me permets
de renvoyer à I. Bono, « Le “phénomène participatif” au Maroc à travers ses styles d’action et ses
normes », Les Études du Ceri, n° 166, juin 2010.
85. un peu plus de 865 000 dirhams (environ 75 000 euros) sur un budget total de 3,6 millions.
Voir ADS, De l’approche guichet à l’approche territoriale. Une nouvelle stratégie 20082010, Rabat, s.d.,
disponible sur <ads.ma>.
86. Sur un volume de crédit d’environ 4 millions de dirhams en 2008, seuls 208 400 dirhams
(environ 18 250 euros) ont été mobilisés pour les AgR. Voir Igat/IgF, Audit des opérations réalisées
dans le cadre du programme de l’INDH. Exercice 2008, Rabat, 2009, dont la synthèse est disponible sur
<indh.gov.ma>.
le Dossier
44 Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique
Irene Bono
Département d’études politiques, Université de Turin
Abstract
Associational activism as a labour market. Social and political normalization
through «Income generating activities» at El Hajeb
Based on a political economy analysis, this article examines the practices of
inclusion of the « poor » into the market through the promotion of Income generating
activities (IGA), in the specific context of El Hajeb, Morocco. IGA’s promotion is
interpreted as a sign of the emergence of a new conception of market, in which the
opportunities of integration are related to associational activism. The social and
political normalization engendered by such a process sheds light over some patterns
of the exercise of power in Morocco, as well as of neoliberal governance.
87. Sur le remodelage engendré par le processus de libéralisation, voir B. Hibou et M. Tozy, « De
la friture sur la ligne des réformes. La libéralisation des télécommunications au Maroc », Critique
internationale, n° 14, 2002, p. 91-118. Sur la centralité des associations dans le processus électoral,
voir L. zaki (dir.), Terrains de campagne au Maroc. Les élections législatives de 2007, Tunis/Paris, IRMC/
Karthala, 2009, notamment la partie intitulée « Les associations au cœur des élections ».