Vous êtes sur la page 1sur 314

Dédicaces

Aux êtres les plus chères de ma vie, ma mère, mon père et mon frère

source d’amour et de bonheur, qu’ils trouvent dans ce travail le couronnement de

plusieurs années de sacrifice, de soutien et d’encouragement.

À mes chères amies SAFAA et MERYEM qui n’ont jamais cessé de me soutenir et me

supporter dans les moments difficiles.

A mes collègues qui m’ont toujours encouragé.

1
Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce

travail doctoral et qui m’ont aidée lors de la rédaction de cette thèse.

En premier lieu, je tiens à remercier mon Directeur de thèse, le Pr. Mohammed

MSALHA de la FSJES Mohammedia, pour la confiance qu'il m'a accordée en

acceptant d'encadrer ce travail doctoral, pour ses multiples conseils et sa disponibilité

pendant toutes ces années de recherche.

Je tiens à remercier le Pr. Mohamed ABOULHOUCINE de la FSJES Mohammedia, le

Pr. Imane OUALJI de la FSJES Settat et le Pr. Mehdi MOUNIR de la FSJES Souissi,

pour l’honneur qu’ils m’ont fait d’être dans mon jury de thèse et pour leur

participation scientifique ainsi que le temps qu’ils ont consacré à mon humble

recherche et ce malgré leurs préoccupations, notamment universitaires.

Il m’est impossible d’oublier Mr. Mustapha RACHAMI, Directeur Juridique à l’ANP

pour avoir accepté de porter son regard professionnel à ce travail et de l’enrichir par

ses conseils.

Aussi, je tiens à remercier Mlle Meryem SOUSSIA pour son aide précieuse pour ma

recherche bibliographique.

2
Sommaire

PREMIERE PARTIE : INTERFERENCES ENTRE L’INTERET SOCIAL ET


LES INTERETS DES ACTIONNAIRES

Titre I : La portée de l’intérêt social

Chapitre I : L’intérêt social, au regard de la loi

Chapitre II : L’intérêt social, au-delà de la loi

Titre II : Intérêts des actionnaires : champs d’interférences avec l’intérêt social

Chapitre I : La détermination des intérêts des actionnaires

Chapitre II : Le non-respect de l’intérêt social par les actionnaires

DEUXIEME PARTIE : LA LUTTE CONTRE LES INTERETS DES


ACTIONNAIRES PREJUDICIABLES A L’INTERET SOCIAL

Titre I : Le contrôle de l’exercice des prérogatives des actionnaires dans la société


anonyme

Chapitre I : Le contrôle de l’exercice du droit de vote

Chapitre II : Le contrôle de la gestion des dirigeants

Titre II : Alternatives permettant la protection de l’intérêt social contre les


intérêts préjudiciables des actionnaires

Chapitre I : Mécanismes de prévention des conflits entre les actionnaires

Chapitre II : Mécanismes de résolution des conflits d’intérêts

Abréviations
3
AMMC : Autorité Marocaine du Marché des Capitaux
Ann. Dr. : Annales de droit
Art. : Article
B.O. : Bulletin Officiel
BRDA : Bulletin Rapide de Droit des Affaires
Bull. : Bulletin
Bull. IV : Bulletin des Arrêts de la Cour de Cassation, Chambre commerciale
Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambre criminelle
Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambre civile
Bull. civ. III : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, troisième Chambre civile
Bull. mensuel d’informations des sociétés : Bulletin mensuel d’informations des sociétés
Bull. Joly : Bulletin Joly sociétés
C/ : Contre
CA. : Cour d'appel
Cah. chr : Cahiers chroniques
Cass. civ. : Cour de cassation, Chambre civile
Cass. com. : Cour de cassation, Chambre commerciale
Cass. crim. : Cour de cassation, Chambre criminelle
Comm. : Commentaire
Crim. : Criminel
C. civ. : Code civil
C. com. : Code de commerce
C. Trav. : Code du travail
C.pén. : Code pénal
C. pr. civ. : Code de procédure civile
C.civ.fr. : Code de procédure civile française
Ch. : Chambre
Chr. : chronique
Coll. : colloque
D. : Recueil Dalloz
D.A. : Dalloz analytique
D.A.O.R. : Revue internationale du droit des affaires (droit luxembourgeois)
Déc. : décision
Doct. : doctrine
Dos. : dossier
Dos. com. : dossier commercial
Dr. : Droit
Dr. Sociétés : Droit des sociétés
Dr. Soc. : Droit social
Dr. pén. : Droit pénal
Ed. : édition
EJ. : Etudes juridiques
Fasc. : fascicule
Gaz. Pal. : Gazette du Palais
GTM : Gazette des Tribunaux du Maroc
Ibid : ibidem
J.-Cl. : Juris-Classeur

4
JCP : Semaine Juridique, édition Générale
JCP E. : Semaine Juridique, édition Entreprise
JCP G. : Jurisclasseur périodique, édition générale
Journ. Soc. : Journal des Sociétés
J.T. : Journal des Tribunaux
L.R.C. : Lois révisées du Canada
LMA : Lettre mensuelle des affaires
N°. : numéro
N°. spec. : numéro spécial
Obs. : observations
Op. cit. : opere citato
p. : page
P.A. : les Petites Affiches
RCF : Revue comptable et financière
RD : Revue de droit
RD. Sirey : Receuil Dalloz Sirey
RD bancaire : Revue de droit bancaire
Rép. Pen : Encyclopédie Dalloz (Pénal)
Rev. : Revue
Rev. Sociétés : Revue des sociétés
Rev. Prat. Soc : Revue pratique des sociétés civiles et commerciale
REMADAE : Revue marocaine de droit des affaires et des entreprises
RFC : Revue française de comptabilité
RISS : Revue internationale des sciences sociales
RIDC : Revue internationale de droit comparé
RJ : Revue de jurisprudence
RJ com. : Revue de jurisprudence commerciale
RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires
RJSS : Revue juridique semestrielle spécialisée
RMDAE : Revue marocaine de droit des affaires et des entreprises
RMDED : Revue marocaine de droit et d’économie du développement
RMC : Revue marocaine des contentieux
RPDP : Revue pénitentiaire de droit pénal
RSG : Revue des sciences de gestion
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
S. : suivants
S. : Recueil Sirey
SA : Société anonyme
SARL : Société à responsabilité limitée
SAS : Société par actions simplifiée
SCA : Société en commandite par actions
SCS : Société en commandite simple
Sec. : section
SNC : Société en nom collectif
T. : Tome
Th. préc. : Thèse précitée
TPI : Tribunal de première instance
Trib. com. : Tribunal de commerce
T.R.V. : Magazine pour Personne morale et Compagnie (en Néerlandais)

5
Trim. : Trimestre
V : Volume
V. : Voir

6
INTRODUCTION

De par les textes qui la régissent, la société anonyme est caractérisée dans sa gestion par
une démocratie instituée pour offrir plus de protection pour les actionnaires. Dès lors, il parait
paradoxal de parler de la protection de l’intérêt social contre les intérêts des actionnaires. Il
s’agit là de deux notions qui devraient plus s’enchevêtrer qu’être antinomiques, si tant il est
vrai que les actionnaires, pierre angulaire de toute société quelle qu’en soit la forme, doivent,
au demeurant, être animé par « l’affectio societatis ».

Ce sont d’ailleurs, et sans conteste ces deux notions (intérêt social conjugué à l’affectio
societatis des associés) qui constituent le gage pour que la société naisse, se développe et
prospère dans son milieu. Une société anonyme ne peut se développer que lorsque ses
actionnaires partagent la même vision et prennent des décisions qui respectent cet intérêt. De
même, les actionnaires ont pour intérêt leur enrichissement qui résulte de l’enrichissement de
leur société. L’intérêt social dépend donc de l’alliance des actionnaires en vue de promouvoir
le développement de la société. Or, il arrive qu’au cours de la vie sociale, les intérêts de
certains actionnaires commencent à accabler la société et à porter atteinte à l’intérêt social.

La société anonyme est qualifiée, d’après la formule du Doyen Ripert, de « merveilleux


instrument du capitalisme moderne »1 dont elle assure la continuité. Dès sa création, elle
regroupe des capitaux plus qu’elle ne rassemble d’intuitu personae des actionnaires. En plus,
elle représente un excellent moyen d’attraction des capitaux, notamment par la possibilité de
faire appel public à l’épargne. C’est la structure sociétaire la mieux adaptée pour les
entrepreneurs ambitieux.

Le succès de la société anonyme est également dû à son mode de gestion et


d’organisation : formation des organes la composant, hiérarchisation et séparation des
pouvoirs, détermination des responsabilités, loi de la majorité...

Toutefois, la société anonyme n’était pas aussi répandue. Plusieurs étapes législatives ont
marqué son parcours, permettant ainsi son évolution.

1
G. RIPERT, Les aspects juridiques du capitalisme moderne, 2e éd. LGDJ, Paris, 1951, cité par Yves DE CORDT, L’intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociale,

Bruylant –Academy, Louvain-la-Neuve, 2008, p. 11.

7
La première réglementation de la société anonyme au Maroc est prévue par le dahir du 11
aout 1922 relatif aux sociétés de capitaux 2 rendant applicable sur le territoire marocain, la loi
française du 24 juillet 18673. Cette loi renvoyait elle-même au code de commerce français de
18074 qui a interdit aux associés de ce type de société d’indiquer leur nom dans la
dénomination sociale, d’où d’ailleurs sa qualification en société anonyme. Aussi, le code
français exigeait-il l’autorisation du Roi pour que la société anonyme existe.

Toutefois et dans un souci de stimuler le développement de la société anonyme, la loi


française de 1867 l’a libéré de l’autorisation du Roi, en favorisant sa libre constitution dans un
carde réglementé. Dès lors, la structure s’est répandue et devenue l’une des principales formes
utilisées par les entrepreneurs, alors qu’elle était réservée auparavant aux grandes entreprises.

En effet, la loi de 1867 a apporté une réglementation remarquable à la SA, notamment par
l’exigence du nombre minimal de 7 associés et la mise en place des organes et concepts que
l’on connait aujourd’hui (tels que les assemblées générales, conseil d’administration, conseil
de surveillance, le commissaire aux comptes, la majorité simple et qualifiée, le quorum).

Au Maroc, le Dahir de 1922, avec ses cinq articles, s’est appliqué durant trois quart de
siècle où la société anonyme est restée en stagnation. Il fallait attendre 74 années pour que le
législateur marocain se décide à consacrer une réglementation propre à la SA et à abroger par
la même occasion le dahir de 1922, et ce par la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes 5,
largement inspirée de la loi française de 1966 sur les sociétés commerciales.

La loi n° 17-95 avec ses 454 articles a été mise en place pour donner un nouvel élan aux
sociétés anonymes en renforçant, notamment, la sécurité des affaires. Néanmoins, elle a été
marquée par une multitude de règles impératives et contraignantes qui ne s’accommodaient
pas avec la fluidité des affaires. Aussi, elle a été caractérisée par une sévérité particulière
quant à la responsabilisation pénale des dirigeants, engendrant ainsi le délaissement de ce type
de société pour la SARL.

C’est ainsi que plusieurs amendements ont été apportés à la loi 17-95, notamment la loi n°
20-05 du 23 mai 20086 qui avait pour objectif de réorganiser le pourvoir au sein de la société

2
Dahir du 11 aout 1922 (17 hija 1340) relatif aux sociétés de capitaux.
3
Loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales.
4
Code de commerce français, promulgué le 15 septembre 1807.
5
Dahir n° 1-96-124 du 14 rabii II 1417 (30 aout 1996) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux SA, tel qu’il a été modifié par la loi n° 81-99 promulguée par le dahir

n° 1-99-327 du 21 ramadan 1420 (30 décembre 1999).


6
Dahir n° 1-08-18 du 17 joumada I 1429 (23 mai 2008) portant promulgation de la loi n° 20-05 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.

8
anonyme, d’apporter plus de souplesse à la rigidité de son formalisme et la dépénalisation de
ses textes.

Aussi et suite à la volonté du Maroc de moderniser l’environnement juridique du monde


des affaires, il y a eu la promulgation, le 18 aout 2015, de la loi n° 78-12 7 qui a introduit
plusieurs nouveautés, dont le but est de rendre les sociétés anonymes plus attractives sur
l’échelle internationale et à relancer l’investissement étranger au Maroc.

Les principaux amendements de cette loi s’articulent autour de l’amélioration de la


transparence et de la gouvernance dans la gestion des SA, le renforcement du contrôle et la
simplification des procédures.

Plus récemment, la nouvelle loi n° 20-198 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative
aux SA initiée par le Ministère de l’Industrie, de l’investissement, du Commerce et de
l’Economie et publiée au bulletin officiel le 29 avril 2019 a pour principaux objectifs
l’amélioration de la protection des actionnaires minoritaires, la concordance avec les normes
internationales et la consolidation du classement du Maroc dans le classement international du
climat des affaires (Doing Business).

L’ensemble de ses amendements mettent l’accent sur l’importance de la société anonyme


en tant qu’acteur dynamique dans les flux de capitaux et de drainage de l’épargne publique et
tendent à assurer la protection des actionnaires et de la société contre les menaces venues de
l’extérieur. Qu’en est-il cependant des menaces émanant de ses propres actionnaires?
D’autant plus que si les actionnaires ont créé ou font partie d’une société, c’est pour la voir se
développer et prospérer et non pas pour l’altérer.

La société anonyme est définie par le législateur marocain dans la loi n° 17-95 relative
aux sociétés anonymes comme étant une société commerciale à raison de sa forme et ce, quel
que soit son objet, dont le capital est divisé en actions négociables et la responsabilité des
actionnaires est limitée à leur mise. C’est ce qui d’ailleurs la différencie des sociétés de
personnes telle que la société en nom collectif et la société en commandite simple, qui se
caractérisent par l'aspect prédominant du facteur personnel "intuitu personae" et dont les
associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales, et les parts
sociales ne sont pas librement cessibles.

7
Dahir n° 1-15-106 du 12 chaoual 1436 (29 juillet 2015) portant promulgation de la loi n° 78-12 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.
8
Dahir n° 1-19-78 du 20 chaabane 1440 (26 avril 2019) portant promulgation de la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.

9
En exerçant une activité commerciale, la société anonyme est devenue le centre de
l’économie de production et de circulation des richesses. Sa finalité est orientée vers la
réalisation de bénéfices et l’actionnaire a pour intérêt d’en recevoir sa part. C’est un lieu de
regroupement, en plus des capitaux, de personnes qui partagent le même but qui se traduit par
le partage des gains et éventuellement des pertes, et ce comme prévu dans l’article 982 du
Dahir des Obligations et des Contrats (D.O.C) 9 : « la société est un contrat par lequel deux ou
plusieurs personnes mettent en commun leurs biens ou leur travail, ou tous les deux à la fois,
en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter ».

Ainsi, la société, anonyme est un contrat dont la validité est tributaire de la réunion de
plusieurs conditions, principalement la mise en commun des apports afin de partager les
bénéfices entre les actionnaires.

L’actionnaire, dont le législateur n’a pas donné de définition, peut être qualifié d’une
personne physique ou morale qui, animée par l’affectio-societatis, fait partie d’une société de
capitaux en y faisant un apport. En investissant dans le capital de la société anonyme,
l’actionnaire, qu’il soit majoritaire ou minoritaire, actif ou passif dans la vie sociale, devient
détenteur de titres négociables dont la responsabilité est limitée au montant de son apport. Les
actions détenues confèrent aux actionnaires des prérogatives politiques (droit de vote, droit à
l’information), pécuniaires (droit aux dividendes, droit au boni de liquidation) et
patrimoniales (droit de céder les actions, etc.).

De ce qui précède, la société est bien une création des actionnaires. C’est à travers eux
qu’elle prend naissance et qu’elle jouit ainsi d’une personnalité morale, et ce par son
immatriculation au registre de commerce. C’est ainsi qu’elle dispose d’une autonomie par
rapport à ses actionnaires et a des droits et des obligations comme toute personne physique.
Cette autonomie suppose qu’elle a un intérêt propre à elle, à savoir l’intérêt social. Toutefois,
ne disposant pas de définition législative, l’intérêt social est souvent perçu de façon différente,
ce qui a entrainé une difficulté quant à son interprétation.

La précision de la notion d’intérêt permettra de mieux cerner les différents contours de


l’intérêt de la société, duquel découle l’intérêt de l’actionnaire. Dès lors, remonter le fil du
temps devient nécessaire pour mieux comprendre cette notion.

9
Dahir du 9 ramadan 1331 (12 aout 1913) formant Code des Obligations et des Contrats, B.O. le 12 sept. 1913.

10
Historiquement, la notion d’intérêt est difficile à distinguer, dans la mesure où les mots la
composant sont à l’origine de plusieurs évolutions. En effet, le mot interest qui signifie
« dommage, préjudice »10 est apparu au milieu du treizième siècle. Par la suite, le mot
signifiait non seulement « dommage » mais également réparation du dommage, d’où
l’expression « dommages et intérêts »11.

Au quinzième siècle, le mot a pris un autre sens proche des précédents, il s’agit du
dédommagement suite au prêt d’une somme d’argent 12, puis surgissent des expressions telles
que « avoir intérêt » ou « porter de l’intérêt à » qui signifient « prendre soin de » ou
« affectionner »13, puis le mot s’imprègne de politique « intérêt public » et d’esthétique
« intérêt de l’Etat », ce qui a permis à l’intérêt de connaitre un grand succès14.

En droit, le mot a connu plusieurs utilisations, allant des éléments patrimoniaux


(dommages intérêts, prêt à intérêt…), passant des éléments supérieurs (intérêt général) et des
éléments relatifs aux personnes sujets de droit (intérêt de l’enfant, intérêt du
consommateur…) et arrivant aux éléments collectifs à un groupe (intérêt de la famille, intérêt
du syndicat…)15.

Il semble qu’il est difficile d’avoir une définition unitaire de la notion d’intérêt, tant elle
intervient dans différents domaines et est susceptible de plusieurs significations. Néanmoins,
il est possible de dégager un aspect de ressemblance entre toutes ses acceptions : l’intérêt « est
une idée de valeur, d’avantage. L’intérêt c’est ce qui motive les individus à agir »16.

Pour ce qui est de l’intérêt social, la première référence législative à cette notion apparait
au Maroc depuis 1913 dans le D.O.C, notamment l’article 1021, et ce en utilisant la notion
d’intérêt général de la société. La loi n°15-95 17 formant Code de commerce marocain a
également cité cette notion en utilisant l’intérêt de l’entreprise, dans les articles 577 et 706.
Toutefois, l’intérêt de la société est apparu discrètement dans quelques articles de la loi n°17-

10
G.BRAIVE, « L’historien et l’équivocité du concept d’intérêt, aspects critiques et sémantiques » in Droit et intérêt, sous la direction de P.GERARD, F.OST, M.Van

KERCHOVE, vol.1, Approche interdisciplinaire, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1990, p.28, cité par Monique Aimé MOUTHIEU épouse
NJANDEU, L’intérêt social en droit des sociétés, éd. L’Harmattan, Paris, 2009., p. 17.
11
P.GERARD, F.OST, M.Van KERCHOVE, cite par ibid.
12
Ibid.
13
Ibid.
14
Ibid.
15
Monique Aimé MOUTHIEU, op.cit., p. 18.
16
T.HASSLER, « L’intérêt commun » RTD com. 1084, p.582, cité par Monique Aimé MOUTHIEU, op.cit., p. 18.
17
Dahir n°1-96-83 du 15 rabii I 1417(1e août 1996) portant promulgation de la loi n° 15-95, formant Code de commerce tel qu’il a été modifié et complété par la loi n° 24-04.

11
95 relatifs aux sociétés anonymes, ainsi que dans des articles relatifs à la loi 5-96 18 sur les
autres types des sociétés commerciales, sans pourtant lui allouer une définition.

En France, l’intérêt social est utilisé par le décret-loi du 8 aout 1935 19 qui a qualifié l’abus
de biens sociaux d’infraction pénale. Le code de commerce issu de la loi française du 24
juillet 1966 fait également référence à l’intérêt social.

De son côté, la jurisprudence marocaine et française, n’a pas apporté une grande clarté à
cette notion, qui lui alloue une signification en fonction du litige qu’elle traite. Dans l’absence
de définition de l’intérêt social, la doctrine, en se basant sur la nature juridique de la société
qui adopte soit l’approche contractuelle ou la version de l’institution, s’y est penchée en
déclenchant plus d’ambiguïté que de clarté. En effet, tantôt l’intérêt social est assimilé à
l’intérêt des actionnaires, tantôt à celui de la personne morale, ou encore à celui de
l’entreprise. Des assimilations qui sont parfois contradictoires, rendent difficile la recherche
d’un compromis.

Cette ambigüité ne rend pas la tâche facile, car il faut bien procéder à la détermination de
cette notion afin de pouvoir la préserver des intérêts des actionnaires. Cette détermination est
d’autant plus primordiale, dans la mesure où les actionnaires ont, par nature, des intérêts qui
se complètent avec l’intérêt social et aspirent vers une même finalité, à savoir
l’épanouissement de la société.

En effet, le caractère particulier de ce thème repose sur les difficultés liées à la définition
de la notion de l’intérêt social et à ses composants. Plus clairement, il s’agit de se demander
comment peut-on protéger l’intérêt social des actionnaires qui sont placés dans un cadre
spécial tendant à la promotion et au développement de ce même intérêt.

C’est dans ce sens que notre sujet s’enregistre, dans la mesure où il est question de
déterminer comment est-il possible de protéger l’intérêt social de la société anonyme contre
les intérêts de ses propres actionnaires ? Et dans quelle mesure les intérêts des actionnaires,
supposés liés à l’intérêt social, peuvent nuire à ce dernier ? Aussi, dans l’absence de définition
de l’intérêt social, le législateur assure-il une protection satisfaisante à cet intérêt ?

18
Loi n° 5-96 sur la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en commandite par action, la société à responsabilité limitée et la société en

participation
19
Décret-loi du 8 août 1935 portant application aux gérants et administrateurs de sociétés de la législation de la faillite et de la banqueroute et instituant l'interdiction et la

déchéance du droit de gérer et d'administrer une société.

12
Ainsi, à travers l’appréhension d’une notion non encore standardisée, nous serons amenés
à s’interférer avec les intérêts des actionnaires susceptibles de nuire à l’intérêt social. Cette
interférence nous permettra de déterminer les intérêts nuisibles à la société et d’assurer ainsi
sa protection. C’est à ce stade que l’intitulé de notre thèse trouve son essence.

Même si toutes les sociétés commerciales disposent d’un intérêt propre à elles, cette thèse
se limitera à la société anonyme, structure juridique privilégiée par les entreprises de grandes
tailles et où le risque de conflits d’intérêts est élevé. En effet, la société anonyme, qu’elle soit
ouverte ou fermée, est souvent menacée par l’émergence de conflits qui peuvent être issus
aussi bien de l’exercice du pouvoir sociétaire, que de motivations externes à la société.

Mais, il reste que la problématique de la protection de la société anonyme est paradoxale


lorsqu’il s’agit de la protéger contre ses propres actionnaires. Toutefois, elle s’explique par le
rôle fondamental des actionnaires, dont le comportement est susceptible de devenir la cause
certaine de dysfonctionnements sociétaires. Les actionnaires seraient ainsi les propres
ennemis de leur création.

En effet, dans tout groupement, les alliés peuvent devenir antagonistes, suite à la
satisfaction de leurs intérêts individuels. La fin de cette alliance supposée entre les
actionnaires peut entrainer une paralysie au niveau du fonctionnement de la société, sinon sa
disparition alors qu’elle est économiquement saine. Ainsi, cantonner les intérêts des
actionnaires pouvant nuire à l’intérêt social devient vital pour la continuité et la survie de la
société.

A cet effet, il convient de préciser que notre sujet n’est pas le résultat d’un choix
hasardeux. Il s’agit d’un terrain fertile d’importance grandissante, en raison de la place
importante qu’occupent les sociétés anonymes dans le monde des affaires et la possibilité
qu’elles offrent de regrouper un nombre illimité d’actionnaires. L’intérêt social se trouve
souvent menacé et préjudicié par les comportements frauduleux d’actionnaires ou de
dirigeants qui, au lieu de le servir, favorisent leurs intérêts personnels.

D’ailleurs, plusieurs scandales ont rapportés l’existence de tels agissements, où les


actionnaires et dirigeants voient la société comme un simple instrument consacré à la
satisfaction de leurs intérêts personnels en dépit de l’intérêt social.

13
De plus, le fonctionnement de la société anonyme fait intervenir plusieurs organes
(assemblées générales, conseils d’administration ou de surveillance, directoire, commissaires
aux comptes) dont le but est d’assurer la bonne gestion du patrimoine social.

Dès lors, il est inconcevable qu’un dirigeant profite de la situation avantageuse que lui
offre son statut pour faire prévaloir son intérêt personnel sur celui de la société, dont il assure
la direction. L’opposition entre ces deux intérêts ne doit pas être résorbée aux dépens de la
société. Aussi, un actionnaire ne peut user de sa quote-part dans le capital social pour orienter
les décisions sociales et s’octroyer des avantages au détriment de la société.

Conscient du risque d’abus pouvant résulter des décisions sociales et de son impact sur
l’avenir de la société, le législateur marocain a mis en place des dispositifs ayant pour
vocation de contrôler et de sanctionner ce type d’agissement. C’est ainsi que la gestion
déloyale des dirigeants est sanctionnée par l’abus de biens sociaux et que les conventions
conclues entre dirigeants ou actionnaires avec la société sont rigoureusement contrôlées.

Ces dispositifs ont été renforcés par des créations prétoriennes comme l’abus de majorité
et l’abus de minorité afin de faire face au risque d’abus qui peut animer certains actionnaires
décideurs, lors de la prise de décisions.

Néanmoins, il reste que l’efficacité de ces mécanismes est à discuter, dans la mesure où
certains actionnaires peuvent affectionner et satisfaire des intérêts nuisibles à l’intérêt social
sans qu’ils soient découverts ou réprimer.

Défendre l’intérêt social et le protéger contre la menace que représentent les intérêts
personnels des actionnaires devient, ainsi, essentiel pour éviter la détérioration de la société et
l’écroulement de tout un système capitaliste qu’elle a contribué à rendre prospère.

Mais, Convient-il de stopper des aspirations personnelles, juste pour mettre en valeur
l’intérêt social ? Faut-il assumer que la recherche d’un intérêt personnel est toujours contraire
à l’intérêt social ? Cette contradiction est-elle toujours source de conflits d’intérêts
préjudiciables à l’intérêt social ?

À cet effet, nous avons posé une question centrale, à savoir : Dans quelles mesure les
intérêts des actionnaires deviennent nuisibles et source de menace à l’intérêt social dans la
société anonyme ?

14
Cette question représente le cadre de notre recherche, de laquelle vont se dégager
plusieurs questions directrices, à savoir :

Comment est-il possible d’assurer une protection à l’intérêt social contre les intérêts de
ses propres actionnaires ?

Les dispositions juridiques actuelles assurent-elles une protection satisfaisante à l’intérêt


social ?

Quelles sont les limites de la protection de l’intérêt social face aux intérêts des
actionnaires ?

Quels sont les moyens qui permettent à la société de se prémunir contre les intérêts
néfastes des actionnaires et de les détecter à l’avance ?

Notre objectif, à travers la réponse à ces questions, est d’essayer de dégager des lignes
directrices permettant de développer un cadre protecteur de l’intérêt social contre les intérêts
néfastes des actionnaires.

Pour y parvenir, il sera question de se baser sur la législation marocaine en sus de la


législation française, qui demeurent des systèmes juridiques en perpétuelle mutation, dont
l’ambition est de faire face aux exigences grandissantes du monde des affaires.

Aussi, il sera question d’essayer de détecter les éventuelles lacunes de notre législation à
assurer une protection à l’intérêt social de la société contre ses propres actionnaires, ce qui
nous conduira à proposer des mécanismes préventifs contre les intérêts néfastes des
actionnaires.

Il s’agit, dans un premier temps, de cerner l’intérêt social et d’évaluer les risques
conflictuels avec d’autres intérêts qui pourront animer les actionnaires, dirigeants ou non, et
qui sont souvent dissimulés par des montages complexes. Ceci fait, nous pourrons par la suite
explorer les moyens que peuvent utiliser la société et les actionnaires loyaux, pour se
prémunir et se défendre contre les répercussions que peuvent provoquer ces intérêts néfastes.

Cette approche sera traitée à travers deux principales parties, à savoir :

Première Partie : Interférences entre l’intérêt social et les intérêts des actionnaires

15
Deuxième Partie : La lutte contre les intérêts des actionnaires préjudiciables à l’intérêt
social

16
Première partie :

Interférences entre l’intérêt social et les


intérêts des actionnaires

En faisant partie de la société anonyme, l’actionnaire adhère à un groupement qui partage


le même objectif, à savoir la réalisation et le partage des bénéfices. L’intérêt que les

17
actionnaires ont dans la société est leur enrichissement qui résulte de la réalisation du bénéfice
social. Actionnaires et société affectionnent le même objectif. Pour y parvenir, ils sont tenus
ainsi d’adopter des résolutions et prendre des décisions conforment à l’intérêt social.

La réalisation de cet objectif dépend de l’alliance entre les actionnaires et l’harmonisation


des relations qui les lient. Cependant, « la vie d’une société n’est pas toujours celle d’un long
fleuve tranquille. Comme celle d’un couple ou celle de toute autre institution humaine, elle
connait des crises, qui sont plus au moins aigues »20. Dans notre cas, il s’agit des crises
internes qui surviennent entre les actionnaires, notamment, lorsqu’ils se trouvent animés par
des intérêts personnels opposés à leur intérêt dans la société.

Lorsque les actionnaires favorisent leurs intérêts personnels, les conflits d’intérêts
surgissent et les dysfonctionnements s’affichent, ce qui nuit à l’intérêt social. Dès lors, la
complémentarité qui est supposée entre l’intérêt social et l’intérêt des actionnaires fait défaut
et laisse place à une interférence qui risque de provoquer la disparition de la société. En effet,
tant que les actionnaires poursuivent le même objet et ont les mêmes intérêts, l’intérêt social
est protégé. Dans le cas contraire, l’intérêt social se trouve menacé et nécessite protection.

Il convient dès lors, de déterminer les cas où les intérêts des actionnaires peuvent se
confronter à l’intérêt social, au point que ce dernier ait besoin d’une protection. Pour y
parvenir, il sera question de se pencher sur la portée de la notion de l’intérêt social, afin de
détecter ses contours et mieux la cerner (Titre1), pour ensuite s’intéresser à l’interférence qui
peut avoir lieu, entre les intérêts des actionnaires et l’intérêt social (Titre2). Etape
indispensable à notre thèse pour essayer de déterminer les cas où les intérêts des actionnaires
deviennent nuisibles à l’intérêt social.

Titre I : La portée de l’intérêt social

20
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, 17é éd., LexisNexis LITEC, Paris 2004, p.163.

18
L’intérêt social ne dispose d’aucune définition issue de la loi. Cette notion fait partie de
ces concepts à « contenu variable »21 voire « mous »22, que le législateur a préféré laisser sans
définition et c’est au juge de l’employer selon la nature du litige qui lui est présenté.

Cette absence de définition est également présente dans la jurisprudence. Néanmoins, la


doctrine n’est pas restée indifférente. En effet, les débats doctrinaux n’ont pas cessé de
prospérer, essayant de dégager une signification exacte à cette notion.

Toutefois, et vu l’importance de ce concept dans le droit des sociétés en général et dans la


société anonyme en particulier, il est curieux que notre législateur ne le mentionne que
rarement dans ses textes et ce malgré leur multitude. Ceci nous conduit à décortiquer les
différents textes de loi ayant cité l’intérêt social afin d’en dégager une signification (Chapitre
1), avant de s’intéresser à la position de la doctrine vis-à-vis de cette notion pour mieux la
cerner (Chapitre 2).

Chapitre 1 : L’intérêt social au regard de la loi

21
Idem, p. 165.
22
Marie-Angèle HERMITE, « Le rôle des concepts mous dans les techniques de déjuridicisation, l’exemple des droits intellectuels », in A.P.D. 1985, p. 331, cité par ibid.

19
Malgré le rôle central que joue l’intérêt social dans le droit des sociétés, il ne bénéficie
d’aucune définition législative et il n’est mentionné que rarement par le législateur.

En effet, cette notion est évoquée de façon éparse à travers un nombre limité de textes
législatifs. La quasi-absence de ce concept dans les textes législatifs suscite une justification.

L’objet de ce chapitre n’est nullement de dresser les différents articles qui mentionnent
l’intérêt social. Nous allons plutôt chercher la cause de ce vide juridique, en puisant dans les
différents textes de loi, à savoir le Dahir des obligations et des contrats et le Code de
commerce (Section 1), ainsi que le droit des sociétés commerciales (Section 2), et ce afin de
mieux interpréter cette notion.

Section 1 : La notion de l’intérêt social dans les dispositions du D.O.C et dans


le Code de commerce

Même si le législateur marocain n’a pas prévu une définition à la notion de l’intérêt
social, il en a fait mention afin d’assurer sa protection à la société. Toutefois, la mention de
cette notion diffère, selon qu’il s’agisse du D.O.C. 23 (sous-section 1) ou du code de
commerce24 (sous-section 2).

Sous-section 1 : L’intérêt social dans le D.O.C.

Le Dahir des Obligations et des Contrats contient un ensemble d’articles relatifs aux
sociétés civiles et commerciales. Une analyse des différentes dispositions ayant cité l’intérêt
social nous semble opportun, avant d’évoquer des lois plus spécialisées en la matière.

Si la notion de l’intérêt social a été parfois reconnue par le D.O.C (paragraphe 1) afin de
préserver la pérennité de la société, elle a été souvent ignorée par celui-ci dans certaines
étapes de la vie de la société (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La reconnaissance de l’intérêt social par le D.O.C en vue de préserver la


pérennité de la société
23
Dahir des Obligations et des Contrats du 9 ramadan 1331 /12 Aout 1913 formant Code des obligations et des contrats (publié au B.O le 12/09/1913).
24
Dahir n° 1-96-83 du 15 rabii I 1417 (1er aout 1996) portant promulgation de la loi 15-95 formant code de commerce (publié au B.O. n° 4418 du 3/10/1996) tel qu’il a été

modifié et complété par la loi n° 24-04 promulguée par le dahir n° 1-06-170 du 22 novembre 2006 (publié au B.O. n° 5480 du 07/02/2006).

20
Parmi les rares cas où le législateur a évoqué l’intérêt social dans le D.O.C., il y a le cas
de la préservation de la pérennité de la société contre la concurrence nuisible de l’un des
associés (A) ainsi que contre le retard dans la gestion des gérants (B).

A- Contre les comportements concurrentiels des associés :

Le législateur marocain a cité l’intérêt social, à travers l’article 1004 25 du D.O.C., d’une
manière indirecte, lorsqu’il s’agit de protéger les actionnaires d’une société. En effet, cet
article a utilisé les termes suivants : intérêts de la société, au lieu de l’intérêt social, en
évoquant l’accord des associés comme critère indispensable pour que l’un d’eux puisse se
livrer à des opérations concurrentielles pouvant nuire auxdits intérêts, au risque de se faire
exclure.

Ainsi et en d’autres termes, lorsque les opérations concurrentielles ne sont pas nuisibles à
la société, le consentement des associés n’est pas requis et l’associé concerné peut faire
concurrence à la société, dont il est membre.

De ce qui précède nous pouvons déduire que le législateur fait référence aux intérêts de la
société afin de protéger les associés, dans la mesure où lorsqu’un associé entreprend des
opérations concurrentielles et nuisibles aux intérêts de la société, il risque de réduire le gain
de celle-ci, ce qui impactera négativement les associés et leur communauté d’intérêts qui se
traduit par la réalisation des bénéfices afin de les partager.

D’ailleurs, lorsque l’un des associés envisage de faire des opérations concurrentielles et
nuisibles aux intérêts de la société, son champ d’action est limité par l’imposition du
consentement de l’ensemble de ses coassociés.

Ceci nous permet de constater que le législateur assimile l’intérêt social à l’intérêt
commun des associés, du moins lorsqu’il s’agit de comportements concurrentiels provenant
de l’un des associés.

Ce constat est d’ailleurs renforcé par le législateur, lorsqu’il permet aux associés
préjudiciés par le comportement concurrentiel de l’un d’eux de « prendre à leur compte les
affaires engagées par l’associé et se faire verser les bénéfices par lui réalisés »26, et ce afin de
25
Cet article dispose qu’ : « un associé ne peut, sans le consentement des autres associés, faire d’opération pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, ou s'immiscer

dans des opérations analogues à celles de la société, lorsque cette concurrence est de nature à nuire aux intérêts de la société. En cas de contravention, les associés peuvent à
leur choix répéter les dommages-intérêts ou prendre à leur compte les affaires engagées pas l’associé et se faire verser les bénéfices par lui réalisés, le tout sans préjudice du
droit de poursuivre l’exclusion de l’associé de la société… ».
26
Ibid.

21
réparer le dommage qu’ils ont subi, alors qu’il écarte la société de cette possibilité. De plus, le
législateur est allé plus loin en ouvrant la possibilité aux associés d’exclure l’associé
concurrent afin de se protéger contre cet associé malintentionné.

Ainsi et en permettant uniquement aux associés de profiter des bénéfices de l’associé


concurrent et en excluant la société de cette possibilité, nous estimons que le législateur
considère que seuls les associés ont subi un préjudicie, ce qui confirme sa volonté de protéger
l’intérêt commun des associés, et ce même s’il fait référence aux intérêts de la société.

B- Contre le retard dans la gestion des gérants :

À l’instar de l’article 1004 du D.O.C., l’article 1025 27 mentionne également les intérêts de
la société afin de protéger l’intérêt des associés. Toutefois, cet article combine entre deux
enseignements. D’une part, il protège les associés contre la gestion des dirigeants, en
interdisant à un des gérants d’agir seul sans l’accord des autres gérants. D’autre part, il
protège la société et ses intérêts contre la non rapidité des gérants dans la gestion, en
élargissant leur champ d’intervention.

En effet, cet article permet à l’un des gérants d’agir seul, en cas d’urgence et dans le cas
où le retard dans la gestion aura pour conséquence des effets nuisibles sur les intérêts de la
société.

L’interdiction que le législateur fait à un des gérants d’assurer la gestion de manière


individuelle tend à limiter les abus dans la gestion et permet de ce fait, d’assurer une
protection à la fois aux associés et au patrimoine social contre une potentielle gestion abusive.
Toutefois, une exception à cette interdiction est admise par le législateur lorsque le retard dans
la gestion aura des conséquences néfastes sur les intérêts de la société.

Encore une fois, nous pensons que le législateur tend à protéger l’intérêt des associés,
dans la mesure où le retard dans la gestion ainsi que la gestion unilatérale d’un gréant nuira à
la société, ce qui affectera instantanément l’intérêt commun des associés.

De ce qui précède, il est à conclure que l’intérêt de la société est assimilé à l’intérêt
commun des associés de manière implicite, étant donné que les dispositions de l’article
suscité veillent à la protection de leur intérêt. Faut-il pour autant assimiler l’intérêt de la

27
Cet article dispose que : « Lorsqu’il y a plusieurs gérants, aucun d’eux ne peut agir sans le concours des autres, à moins que le contraire ne soit exprimé dans l’acte qui le

nomme et sauf les cas d’urgence où le retard produirait un préjudice notable aux intérêts de la société… ».

22
société à l’intérêt commun des associés/actionnaires ? Une réponse positive parait hâtive
lorsqu’on sait que d’autres conceptions de l’intérêt social sont envisageables.

Paragraphe 2 : La méconnaissance de l’intérêt social par le D.O.C dans certaines étapes


de la vie de la société

Le législateur marocain a élaboré le D.O.C., notamment les dispositions générales


relatives aux sociétés civiles et commerciales, en s’inspirant de son homologue français 28.

Néanmoins et contrairement à ce dernier qui a clairement évoqué l’intérêt commun des


actionnaires comme palliatif à l’intérêt de la société au sein de sa texture, et ce
particulièrement lors de la constitution (A) et la nullité de la société (B). Le législateur
marocain s’est retenu de mentionner l’intérêt social au moment de la rédaction des articles
relatifs à ces deux phases29.

N’aurait-il pas été plus convenable de la part du législateur marocain de suivre les pas de
son homologue français et faire mention de l’intérêt commun des actionnaires ?

A- Dans la constitution de la société :

La société anonyme, en plus des capitaux, permet de regrouper des actionnaires qui
partagent le même but, à savoir le partage des bénéfices qui résultent de l’exercice de
l’activité sociale30. Ce but est un élément commun des parties au contrat de société.

En effet, l’intérêt de tout actionnaire investi dans la société est de s’enrichir en recevant sa
part du bénéfice réalisé. Une part qui est déterminée selon les prescriptions de l’article 1033 31
du D.O.C. Ce constat découle clairement de l’article 982 du D.O.C32.

D’ailleurs, le même raisonnement est également présent dans la législation française 33. Le
Pr. Schmidt estime que l’article 1832 du Code civil français « assigne au contrat de société

28
Azzedine KETTANI, « Le code civil et le DOC : Quelle filiation ? », Bicentenaire du code civil 1804-2004, La présence du Code Civil dans le Monde Arabe, Marrakech, 20

Mai 2004, p. 125.


29
V. Pascal HAINAUT-HAMEND et Gilbert RAUCQ, Les sociétés anonymes, constitution et fonctionnement, éd. Larcier, Bruxelles, 2005
30
Hassania CHERKAOUI, Droit des affaires : l’entreprise commerciale, éd. Casablanca, 2003, p. 79.
31
Cet article dispose que : « la part de chaque associé dans les bénéfices et dans les pertes est en proportion de sa mise… ».
32
Cet article dispose que : « La société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs biens ou leurs travail, ou tous les deux à la fois, en vue de

partager le bénéfice qui pourra en résulter ».


33
V. art.1832 du C. civ. fr. qui dispose que : « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par contrat d’affecter à une entreprise commune des

biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».

23
un but : partager entre les associés le bénéfice réalisé par la société. Aussi le gouvernement
de celle-ci doit-il être conduit dans l’objectif du partage du bénéfice »34.

L’article 1833 du Code civil français tel que modifié par la loi n° 2019-486 du 22 mai
2019 relative à, la croissance et la transformation des entreprise s’inscrit dans le même sens
en attribuant aux associés un intérêt commun. Cet article dispose que « toute société doit
avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Doit-on dès lors,
comprendre que l’intérêt social est l’intérêt commun des actionnaires ? Certains auteurs 35
n’ont pas hésité à le faire en tout cas.

Alors que le législateur français a clairement précisé que la société est constituée dans
l’intérêt commun des associés, qui se traduit par la volonté de chaque associé de bénéficier du
profit social. Le législateur marocain n’a quant à lui, nullement fait référence à cet intérêt.
Celui-ci s’est seulement contenté de mentionner que « toute société doit avoir un but licite »36.

Ce silence peut s’expliquer par la volonté du législateur marocain de ne pas limiter la


définition de l’intérêt social à l’intérêt commun des actionnaires, afin d’éviter que les
actionnaires gouvernent la société d’une manière abusive, sans prendre en considération les
intérêts des autres parties intervenantes dans la société, telles que les créanciers, salariés,
fournisseurs, clients….

Toutefois, à la lecture de l’article 982 37 du D.O.C., il parait que le législateur a fait


référence d’une manière indirecte à l’intérêt commun des actionnaires, puisque la mise en
commun des biens ou du travail suppose a fortiori un intérêt commun des actionnaires à
sauvegarder.

Cependant et malgré le fait que le législateur français a précisé d’une manière directe que
la société est constituée dans l’intérêt commun des associés et que son homologue marocain
l’a prévu d’une manière tacite, il parait logique d’observer que ni l’un ni l’autre n’ont
mentionné les termes qui nous intéressent, à savoir l’intérêt social.

34
Dominique SCHMIDT, « De l’intérêt social », in JCP E, 1995, n°35, p. 361, cité par Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ?,

Mélange en l’honneur de Dominique SCHMID, éd. JOLY, Paris, 2005, p. 361.


35
Ibid.
36
V. Art. 985 du D.O.C.
37
Cet article dispose que : «la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs biens ou leur travail… ».

24
Ceci peut se justifier d’une part, par le fait que le législateur français a assimilé l’intérêt
social à l’intérêt commun des actionnaires38 et d’autre part, que le législateur marocain ne
voulait pas faire mention directe de cette notion afin de ne pas lier la société à une notion qui
n’arrête pas de changer de contenu39.

De ce qui précède, une question demeure persistante dont la réponse est essentielle pour
notre thèse : pourquoi le législateur n’a pas défini l’intérêt social ?

B- Dans la nullité de la société :

La communauté d’intérêts entre les actionnaires est un élément fondamental du contrat de


société. L’article 1833 du Code civil français l’énonce clairement en disposant que : « toute
société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Cet
intérêt se traduit par le fait que chaque actionnaire doit récupérer sa part légitime du bénéfice
social.

La raison de l’introduction de l’intérêt commun des actionnaires40 dans cet article, est de
faire face à certains actionnaires majoritaires qui peuvent gouverner la société en fonction de
leur propre intérêt, en prenant des décisions qui favorisent leurs intérêts personnels au
détriment des autres actionnaires.

En effet, au cas où l’assemblée générale ou le conseil d’administration adoptent une


décision contraire à l’intérêt commun des actionnaires, en favorisant un intérêt personnel, la
communauté d’intérêts sera dissoute et l’alliance des actionnaires sera compromise.

Cette situation produira des dysfonctionnements qui auront des conséquences néfastes sur
l’intérêt social. D’ailleurs, le législateur français, dans le premier alinéa de l’article 1844-10 41
du même Code, a précisé que le défaut d’intérêt commun des associés constitue une cause de
nullité de la société.

De son côté, le législateur marocain a fait du non-respect des bonnes mœurs, de la loi et
de l’ordre public des causes de nullité de la société, sans faire mention de l’intérêt commun

38
D’ailleurs la source principale de l’émergence de la conception doctrinale qui trouve que l’intérêt social ne peut être que l’intérêt commun des actionnaires est l’Art. 1833 du

C. civ. fr..
39
En effet, l’absence de définition de l’intérêt social a produit plusieurs conceptions doctrinales qui seront traitées dans ce qui suit.
40
Nous avons préféré utiliser actionnaires au lieu d’associés, vu que nous traitons la société anonyme dans notre thèse.
41
Cet article dispose que : « La nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des arts. 1832, 1832-1 al. 1 et 1833, ou de l'une des causes de nullité

des contrats en général ».

25
des associés comme l’une des causes de nullité 42. Toutefois, il prévoit, même si d’une manière
implicite, la nullité du contrat de société et des clauses ou stipulations statutaires qui rompent
la communauté d’intérêt, dans les articles 103443 et 103544 de D.O.C.

Encore une fois, le législateur marocain a préféré ne pas évoquer l’intérêt commun des
actionnaires contrairement à son homologue français. Ce constat confirme à notre sens, ce qui
a été dit précédemment : Le législateur marocain n’a pas voulu que l’intérêt social soit
assimilé uniquement à l’intérêt commun des actionnaires, chose qui limitera amplement le
champ d’intervention des juges et augmentera le pouvoir des actionnaires.

Cet agencement d’idée est fortement renforcé par d’autres articles du Code de commerce
et des lois sur les sociétés commerciales 45, dans lesquels l’intérêt social est cité afin de
protéger d’autres parties que les actionnaires.

Sous-section 2 : L’intérêt social dans le livre V du code de commerce

Le contexte des crises et de récession économique par lequel est passé notre économie, a
rendu vulnérables nombres d’entreprises marocaines. En pratique, ces entreprises qui
constituent la trame du tissu économique rencontrent quotidiennement des incidents de
fonctionnement qui risquent d’avoir un impact financier irrémédiable sur leur exploitation.

C’est dans cette logique que s’inscrit la philosophie du droit marocain des entreprises en
difficultés, en mettant l’accent sur la sauvegarde de l’entreprise en tant qu’entité viable et
génératrice d’emploi46.

A cet effet, le livre V de la loi n° 73-17 abrogeant et remplaçant les dispositions relatives
aux difficultés des entreprises, se préoccupe de la santé de l’entreprise et prévoit différents
remèdes pouvant l’aider à traverser les moments de turbulences et à rester en bonne forme,
afin d’éviter la liquidation47.
42
L’article 985 du D.O.C. dispose que : « toute société doit avoir un but licite. Est nulle de plein droit toute société ayant un but contraire aux bonnes mœurs, à la loi et à

l’ordre public ».
43
Cet article dispose dans son 1e alinéa que : « Est nulle, et rend nul le contrat de société, toute stipulation qui attribuerait à un associé une part dans les bénéfices ou dans les

pertes, supérieur à la part proportionnelle à la mise ».


44
Cet article dispose que : « Lorsque le contrat attribue à l’un des associés la totalité des gains, la société est nulle, et le contrat constitue une libéralité de la part de celui qui a

renoncé aux bénéfices. La clause qui affranchirait l’un des associés de toute contribution aux pertes est nulle mais n’annule pas le contrat ».
45
La loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes, les lois n° 20-05 et n°78-12 complétant et modifiant la loi 17-95, la loi n° 5-96 régissant les autres types des sociétés
commerciales.
46
Lamyae SAHRANE, « Droit des sociétés et droit des entreprises en difficulté : interférences pour une appréciation critique », in RD, RJSS, n°16-17 Févr.-Déc. 2014, p. 52.
47
V. Nabil BOUAYAD AMINE, Diagnostic financier et prévention des entreprises en difficulté, éd. Universitaires Européennes, Berlin, 2011, p. 8. Cet auteur affirme

que : « le nombre d’entreprises marocaines ayant fait l’objet d’une procédure de règlement judiciaire ou de liquidation des biens ont plus que doublé » ; Voir également Didier
e
R. MARTIN, Droit commercial et bancaire marocain, Société d’Edition et de Diffusion AL MADARISS, Casablanca, 1 éd.1999, p. 318. Cet auteur qualifie la courbe

26
Bien évidemment, cette partie du Code de commerce a fait référence à l’intérêt social,
puisqu’elle se préoccupe du sort de l’entreprise. Cependant, le législateur marocain mentionne
cette notion d’une manière tout à fait différente à celle faite dans les dispositions du D.O.C.,
que ça soit au niveau des procédures de traitement des difficultés de l’entreprise (paragraphe
1), ou au niveau des sanctions prévues à l’encontre de ses dirigeants (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’intérêt social dans la continuation de l’exploitation de l’entreprise

Dans le titre consacré aux procédures de traitement des difficultés de l’entreprise. Plus
précisément le chapitre dédié à la gestion de l’entreprise, le législateur a prévu dans l’article
593 de la loi 73-17 que : « Le syndic peut en toute circonstance faire fonctionner les comptes
bancaires de l’entreprise dans l’intérêt de celle-ci ».

D’après cet article, le syndic est investi de pouvoirs qui lui permettent d’utiliser les
comptes bancaires de l’entreprise dans l’intérêt de celle-ci. En effet, cet organe dispose de
pouvoirs importants afin d’assurer la continuation de l’exploitation de l’entreprise48.

Cependant, l’évocation faite par le législateur de l’intérêt de l’entreprise comprend deux


volets. Le premier est lié à l’appréciation de l’intérêt social par le syndic (A) et le deuxième
est relatif à l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise (B).

A- L’appréciation de l’intérêt social par le syndic :

Le Code de commerce marocain a prévu tout un arsenal juridique permettant le traitement


des difficultés des entreprises.

Dans cette phase cruciale du parcours de l’entreprise, apparait un acteur important : le


syndic, mandataire du Tribunal et de la loi 49. Celui-ci joue un rôle essentiel lorsque
l’entreprise est en cessation de paiement. En effet, comme le contrôleur ou le chef
d’entreprise, le syndic a le pouvoir de demander la liquidation judiciaire 50, d’exiger
l’exécution des contrats en cours, et par voie d’un jugement, surveiller les actes de gestion,
assister le chef d’entreprise dans les opérations de gestion ou assurer seul cette gestion 51.

ascendante des entreprises annuellement mises en liquidation de « désastre économique et social ».


48 e
Hassania CHERKAOUI, Droit commercial, 3 éd., Casablanca, 2010, pp. 290, 291 et 295.
49
V. Art. 566 de la loi n° 73-17 abrogeant et remplaçant les dispositions relatives aux difficultés des entreprises.
50
V. Art. 587 ibid.
51
V. Art. 592 ibid.

27
La désignation du syndic intervient au cas où une société commerciale n’est pas en
mesure de payer ses dettes exigibles à l’échéance 52. D’ailleurs, c’est dans l’intérêt de
l’entreprise que le législateur a prévu tout cet ensemble de dispositifs, et ce afin d’assurer la
pérennité et la continuation de l’entreprise.

En ce sens, les notions inscrites au livre V relatives à la prévention des difficultés de


l’entreprise, ont pour but de permettre une détection précoce des difficultés effectives ou
potentielles, de provoquer une réaction des dirigeants de l’entreprise et même de ses
partenaires53, afin d’assurer la protection de l’intérêt de l’entreprise.

L’article 593 dévoile clairement que le syndic agit dans l’intérêt de l’entreprise, en faisant
fonctionner les comptes bancaires de celle-ci. Un intérêt qui n’est pas défini et qui revient au
syndic de le déterminer et d’agir en fonction de la conception qu’il a sur cet intérêt.

En effet, ce mandataire de justice est investi de larges pouvoirs lui permettant d’assurer la
gestion de l’entreprise et sa continuation. Au cours de cette période, il exécute sa mission
selon l’intérêt de l’entreprise qu’il trouve adéquat.

Toutefois et malgré la complexité de ses taches qui se traduisent par la détermination du


sort de l’entreprise, en dressant un bilan économique, financier et social avec le concours du
chef d’entreprise ou l’assistance éventuelle d’un ou plusieurs experts et en proposant au juge
commissaire soit un plan de redressement assurant la continuation de l’entreprise ou sa
cession à un tiers, soit la liquidation judiciaire 54, il n’est pas formé pour assister le juge
commissaire et le chef de l’entreprise dans la gestion, encore moins pour assurer seul la
gestion.

Outre le juge qui nomme le syndic et qui peut sanctionner tout écart de conduite de sa
part, il n’y avait pas de cadre institutionnel ou réglementaire fixant les normes
professionnelles ou imposant une discipline aux syndics 55. Toutefois, la modification du livre
V relatif aux difficultés d’entreprises par la loi 73-17 a édicté dans son article 673 les
conditions de l’exercice du métier de syndic, qui seront détaillées par un décret.

52
V. Art. 575 ibid.
53
Nabil BOUAYAD AMINE, op. cit., p. 9 ; 2006 ،‫ الدار البيضاء‬،‫ مطبعة النجاح الجديدة‬،‫ وضعية الدائنين في مساطر صعوبات المقاولة‬،‫انظر امحمد لفروجي‬
54
V. Art. 595 de la loi n° 73-17.
55
Rapport sur « La réforme des procédures de traitement des difficultés de l’entreprise au Maroc », réalisé par USAI (United States Agency For International Développent),

décembre 2008, disponible sur l’adresse suivante :


file:///C:/Users/Administrator/Downloads/LA_REFORME_DES_PROCEDURES_DE_TRAITEMENT_DES_DIFFICULTES_DE_L_ENTREPRISE_AU_MAROC.pdf,
consulté le 28/5/2016.

28
Mais, il reste que le pouvoir qui lui est donné par le biais de l’article 593 lui permet
d’orienter la gestion de l’entreprise selon sa propre conception de l’intérêt de l’entreprise.
Ainsi, comment peut-on justifier le fait que le législateur lui permet d’assurer la gestion de
l’entreprise selon un intérêt qui n’est pas défini ?

Une réponse nuancée est possible dans la mesure où cet organe profite de
l’accompagnement d’un ou de plusieurs experts ainsi que du chef d’entreprise. Cet
accompagnement lui permet d’être plus proche de la vie sociale et d’orienter sa gestion vers
une politique sociale plus adéquate, afin de sortir la société de sa situation critique.

En effet, le législateur a accordé au syndic le pouvoir d’agir dans l’intérêt de l’entreprise,


un intérêt que lui seul peut déterminer. Mais, puisqu’il reste un organe extérieur à la société et
qu’il ne peut à lui seul connaitre cet intérêt, le législateur lui a permis de bénéficier du
concours du chef d’entreprise et d’experts qui vont l’accompagner dans sa gestion et l’orienter
vers l’intérêt de l’entreprise. Ceci va permettre au syndic de ne pas dévier et éviter qu’il
adopte un intérêt pouvant être néfaste pour l’entreprise et sa continuation.

B- L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise :

L’article 593 est un des rares articles ayant mentionné l’intérêt social au sein du livre V
du Code de commerce, et ce en l’assimilant à l’intérêt de l’entreprise.

En effet, à la lecture des différentes dispositions législatives relatives au traitement des


difficultés d’entreprise, à savoir la loi 73-13 et plus particulièrement à la lecture de l’article
593, il est évident que le législateur cherche à protéger l’intérêt de l’entreprise et non pas
l’intérêt des actionnaires comme le fait le D.O.C. Cette idée trouve sa raison d’être lorsqu’on
sait que le législateur, à travers le livre V, a pour vocation de protéger tous les intérêts liés à
l’entreprise et à son fonctionnement.

L’entreprise, qu’un auteur définit comme « un ensemble de moyens en capital et en


travail destinés à assurer la production de biens et de services »56, permet la réunion de
plusieurs intérêts catégoriels, à savoir l’intérêt des actionnaires, l’intérêt des dirigeants,
l’intérêt des créanciers, l’intérêt des fournisseurs, l’intérêt des clients, l’intérêt des salariés et

56
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 319.

29
l’intérêt de toute autre partie contribuant dans le fonctionnement de l’entreprise. « Il s’agit
donc de l’intérêt d’un organisme économique, point de rencontre de multiples intérêts »57.

Ainsi, en assurant la protection de l’entreprise, le législateur assure systématiquement la


protection des intérêts catégoriels. D’ailleurs, cela est l’essence même du livre V du Code de
commerce tel que modifié et complété par la loi 73-17.

Un auteur explique ce mécanisme en précisant que « la protection de l’intérêt de


l’entreprise-ou des intérêts dont la société est la cause et le support-est le meilleur garant de
la protection de l’ensemble des intérêts catégoriels. Il est évident que si l’entreprise est la
cause de l’existence de tous ces intérêts, sa prospérité est aussi le dénominateur commun de
leur protection. C’est dans la perspective de son expansion et de sa rentabilité, que des
associés lui ont apportés des fonds, que des tiers lui on accordés du crédit, que des dirigeants
la conduisent, que des salariés et des cadres y travaillent, que des partenaires l’admettent
dans une centrale d’achats ou dans un groupement d’intérêt économique… »58.

Dans le même ordre d’idées, une décision rendue par le Tribunal de première instance de
Marrakech a considéré que : « le but de la procédure des entreprises en difficulté est de
protéger l’institution en premier lieu et de remédier à ses difficultés et d’une manière
indirecte protéger les créanciers et plus spécifiquement la création de l’emploi »59.

D’ailleurs, en assurant la protection des intérêts catégoriels, l’intérêt de l’entreprise assure


également la protection de l’intérêt de la société, qui est la structure d’accueil de l’entreprise 60.
De ce fait, l’intérêt de l’entreprise constitue le support sur lequel le législateur marocain se
base afin de protéger les différents intérêts catégoriels, et ce en assurant la pérennité, la
stabilité et la continuation de l’entreprise.

D’après ce qui précède, il s’avère que le législateur adopte l’intérêt de l’entreprise, afin
d’assurer la protection de la société et des intérêts des différentes parties qui participent dans
le fonctionnement de celle-ci. Pour lui, un seul intérêt compte, à savoir celui de l’entreprise.

Paragraphe 2 : Le rôle de l’intérêt social dans la sanction des dirigeants

57
Ibid.
58
Jean PAILLUSSEAU, « L’efficacité des entreprise et la légitimité du pouvoir », in P.A., 19 juin 1996, n°74, p. 23, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, La protection des

actionnaires minoritaires en droit marocain, (étude de droit comparé), Thèse en droit, Université de Nice Sophia-Antipolis, Décembre 2001, p. 105.
59
Trib. com. de Marrakech, doss.com. n°1/98, déc. n° 7/4/99, in GTM, n°81, p.195 (en arabe), cité par Ilham MAMOUNI, L’intérêt social en droit des sociétés commerciales,

Thèse en droit des affaires, Université Mohammed V Rabat-Agdal, 2010, p. 27.


60
Jean PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit des sociétés commerciales », in D.1996, Chr., p. 289, cité par Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence

DEBOISSY, op. cit., p. 169.

30
Dans la même optique dans laquelle s’inscrit la volonté du législateur à protéger l’intérêt
de l’entreprise et les différents intérêts catégoriels contre les difficultés qu’elle peut
rencontrer, l’article 740 de la loi 73-17 modifiant et complétant les dispositions relatives aux
difficultés des entreprises, prévoit des sanctions à l’encontre des dirigeants de l’entreprise qui
mettent en péril l’intérêt de celle-ci.

Le régime des sanctions contre les dirigeants est un élément essentiel dans le
fonctionnement du droit des entreprises en difficultés 61. Il permet d’appréhender les
comportements des dirigeants pouvant être la cause de ces difficultés. L’article 740 s’inscrit
dans cette optique et sanctionne les dirigeants ayant commis des abus lors de leur gestion.

D’après cet article, le législateur a fait du non-respect de l’intérêt social un élément


déclencheur de la sanction patrimoniale. Cependant, cet intérêt est mentionné à la fois d’une
manière tacite (A) et d’une manière expresse (B).

A- Référence tacite de l’intérêt social :

Le législateur ne mentionne l’intérêt social que d’une manière indirecte dans les alinéas 1,
2 et 4 de l’article 740 de la loi 73-17. Ces alinéas citent les cas dans lesquels une procédure de
redressement ou de liquidation sera ouverte à l’encontre du dirigeant, et disposent que :

« … le tribunal doit ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à


l’égard de tout dirigeant contre lequel peut être relevé un des faits ci-après :

1. avoir disposé des biens de la société comme des siens propres ;

2. sous le couvert de la société masquant ses agissements avoir fait des actes de
commerce dans un intérêt personnel ;(…) ;

4. avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui
ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la société ;… ».

A la lecture de ces alinéas, il s’avère que le législateur fait de l’intérêt personnel un


élément déterminant pour le déclenchement de la procédure de redressement ou de liquidation
judiciaire à l’égard du dirigeant.

61
Nicole FERRY-MACCARIO, Jan KLEINHEISTERKAMP, François LENGLART, Karim MEDJAD et Nicole STOLOWY, Gestion juridique de l’entreprise, Pearson

Education France, Paris, 2006, p. 168.

31
En effet, lorsque le dirigeant utilise les biens de la société, fait des actes de commerce,
poursuit abusivement une exploitation déficitaire dans son intérêt personnel, il est présumé ne
pas agir dans l’intérêt de la société et il est sanctionné sévèrement par le législateur.

Ainsi, lorsque la société est en redressement ou en liquidation judiciaire et lorsque le


dirigeant a agi dans un intérêt personnel, en confondant le patrimoine social avec son
patrimoine personnel, le juge est tenu d’ouvrir une procédure de redressement ou de
liquidation à son encontre. Le but du législateur, ici, est de protéger l’intérêt de l’entreprise
contre tout agissement de l’un des dirigeants, en violation de l’intérêt social.

En d’autres termes, afin de protéger la société et son intérêt contre la gestion nuisible du
dirigeant, le législateur sanctionne le dirigeant qui agit dans le but de satisfaire son intérêt
personnel. Tel est le cas de la décision du Tribunal de commerce de Casablanca 62 qui a
prononcé l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, ainsi que la déchéance
commerciale à l’encontre du dirigeant d’une entreprise qui exploitait abusivement les biens de
celle-ci.

Le juge avait motivé sa décision comme suit : « attendu que l’entreprise ne tient pas une
comptabilité complète et régulière et que l’absence d’équilibre et de conformité entre les
livres comptables et la réalité pratique des équipements de l’entreprise prouve que le
dirigeant a disposé de l’actif de la société comme ses biens propres ;… ».

De plus, le juge commissaire avait affirmé que « conformément au rapport du syndic, les
comptes de l’entreprise sont irréguliers et il y a un manque dans son actif, car l’entreprise
disposait de dix machines à coudre alors que dans le rapport de l’expert et selon la
déclaration de l’entreprise il n’y avait que trois, sans que celle-ci justifie ce manque ».

Ainsi « le dirigeant fait l’objet de deux faits mentionnés à l’article 706 : avoir disposé des
biens de la société comme ses siens propres et avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt
personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des
paiements de la société ».

Malgré le fait que le législateur n’a pas mentionné l’intérêt social d’une manière expresse
dans l’article précité, il lui a fait référence tacitement, en sanctionnant les dirigeants qui ne le
respectent pas, en se référant à l’intérêt personnel.

62
Trib. com. Casablanca le 19/11/2001, dos. n° 141/2001/10, déc. n° 330/2001 (en arabe), jugement disponible à l’adresse suivante :

http://www.jurisprudence.ma/content/tccasablanca19112001264200110-et-277200110, consulté le 10-03-2015.

32
Ainsi, pour le législateur, tout dirigeant qui agit et satisfait son intérêt personnel est
présumé agir contre l’intérêt de la société. Cette analyse n’est pas sans conséquence. Elle
indique que le législateur fait de l’intérêt personnel l’antonyme de l’intérêt social.

B- Référence expresse de l’intérêt social :

Dans la même perspective de la responsabilisation du ou des dirigeants fautifs, l’alinéa 3


de l’article 740 de la loi 73-17 dispose que : « … le tribunal doit ouvrir une procédure de
redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard de tout dirigeant qui a fait des biens ou du
crédit de la société un usage contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
… ».

Contrairement aux alinéas 1, 2 et 4, l’intérêt de la société est présent dans cet alinéa. Il est
mentionné comme étant l’élément qui permet de distinguer entre l’usage normal des biens ou
du crédit de la société et l’usage nuisible à la société et à son intérêt.

De plus, le législateur fait également référence à l’intérêt personnel comme un des critères
déterminant l’usage nuisible à l’intérêt de la société. Ainsi, le dirigeant est dans l’obligation
d’user des biens et du crédit de la société dans l’intérêt de celle-ci et en aucun cas dans son
intérêt personnel.

Ce constat ne fait que renforcer la conclusion précédemment faite, qui précise que le
législateur considère l’intérêt personnel comme étant l’antonyme de l’intérêt social.

Néanmoins, dans l’absence de définition de l’intérêt social, comment le juge peut-il


savoir si un tel ou tel usage est conforme ou contraire à cette notion ? Est –il possible que
tout usage fait dans l’intérêt personnel est systématiquement contraire à l’intérêt social et par
conséquent répressible ? La réponse à ces questions est possible, lorsqu’on sait que l’intérêt
personnel est l’opposé de l’intérêt social.

En effet, le législateur se base sur la poursuite de l’intérêt personnel pour détecter les
usages contraires à l’intérêt social. Toutefois, tout usage fait dans l’intérêt personnel du
dirigeant n’est répressible que lorsqu’il nuit à l’intérêt de l’entreprise63.

63
V. infra, p. 112.

33
Au final, il convient de préciser qu’afin d’assurer la protection de l’entreprise, le
législateur a adopté une conception plus économique et comptable que juridique de la notion
des difficultés de l’entreprise64, surtout que l’un des objectifs assignés au droit des entreprises
en difficulté est la protection de l’entreprise et des différents intérêts qui en découlent. Afin de
contenir cette large approche de l’entreprise, le législateur a adopté la conception la plus large
de l’intérêt social, en l’occurrence l’intérêt de l’entreprise.

En effet et comme l’explique un auteur, le livre V « vise la protection d’intérêts aussi


divers que ceux des créanciers, des travailleurs, des concurrents de l’entreprise, de ses
dirigeants et actionnaires et de l’économie dans son ensemble »65.

Il est évident que si le législateur avait adopté l’intérêt des actionnaires à la place de
l’intérêt de l’entreprise, il n’aurait pas pu assurer la protection de tous les intérêts catégoriels.
Or, nous pensons que seul l’intérêt de l’entreprise est capable d’atteindre ce but.

Section 2 : L’intérêt social en droit des sociétés commerciales

Tenant compte de la place importante qu’occupe l’intérêt social dans le droit des sociétés
commerciales, tellement il détermine la légalité des décisions relatives à la vie sociale. Il
paraissait logique de s’attendre à une référence claire et continuelle de ce concept dans les
différentes lois régissant les sociétés commerciales. Mais aussi surprenant soit-il, le législateur
n’a fait que des renvois éparpillés dans la législation régissant ces sociétés, sans y introduire
un indice sur sa définition.

Afin de découvrir la signification d’un tel renvoi, il s’avère inéluctable d’analyser dans un
premier lieu les dispositions de la loi relative aux sociétés anonymes (sous-section 1) et en
second lieu les dispositions de la loi régissant les autres types de sociétés commerciales (sous-
section 2).

Sous-section 1 : L’évocation de l’intérêt social dans la loi n° 17-95 relative aux


sociétés anonymes

64
Nabil BOUAYAD AMINE, op. cit., p. 44.
65
Christine SCHURMANS, Le traitement judiciaire des entreprises en difficultés est-il un choix judicieux ? , éd. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1995,

p. 121.

34
Même si l’intérêt social constitue une notion essentielle du droit des sociétés en général et
de la société anonyme en particulier, dans la mesure où il « domine le fonctionnement de la
société »66, la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes67 ne le mentionne que de manière
réduite au niveau de la constitution des conventions de vote (paragraphe 1) et au niveau de la
protection du patrimoine social (paragraphe 2) sans toutefois le définir, ce qui donne lieu à
une complexité quant à son interprétation.

Paragraphe 1 : La constitution des conventions de vote

Dans notre quête sur les articles qui ont mentionné l’intérêt social de manière directe ou
indirecte, l’article 144 de la loi 17-95 figure dans la liste médiocre de ces articles.

L’alinéa 2 de cet article dispose qu’ : « une société est considérée comme contrôlant une
autre (…), lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en
vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires qui n’est pas contraire à
l’intérêt de la société ». Cet alinéa renvoie aux conventions de vote conclues entre les
actionnaires dans le but de former une majorité.

En principe, l’organisation du pouvoir au sein de la société anonyme est aménagée par la


loi, à travers les assemblées générales. Ce pouvoir s’interprète par le droit d’assister aux
assemblées et le droit de vote. Cette dernière prérogative a une place capitale dans le
fonctionnement de la société anonyme, car elle est étroitement liée au contrôle de la société.
D’ailleurs, le moyen le plus efficace pour que les actionnaires puissent organiser le pouvoir au
sein de la société anonyme est de recourir aux conventions de vote68.

Ces conventions doivent néanmoins, respecter l’intérêt social. Il faut donc admettre que
cet intérêt prend une place primordiale dans la validité des conventions de vote (A), et ce afin
de protéger la société (B).

A- L’intérêt social, élément de validité des conventions de vote :

66
Philippe BISSARA, « L’intérêt social », in Rev. Sociétés, n° 3008, mai 1999, éd. D., p. 9, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 423.
67
Dahir n° 1-96-124 du 14 rabii II 1417 (30 aout 1996) portant promulgation de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes (publié au B.O. n° 4422 le 17/10/1996) tel qu’il a

été modifié par la loi n° 81-99 promulgue par le dagir n° 1-99-327 du 21 ramadan 1420 (publié au B.O. n° 4758 le 06/01/2000).
68
.François PASQUALINI, « Les conventions extrastatutaires, outils de modulation de la rémunération des associés », in Rev. Sociétés n° 2, avr. 2010, éd. D., p. 79

35
Une convention de vote permet à plusieurs associés de « s’engager réciproquement à
voter dans un sens déterminé lors des scrutins d’où sortiront les décisions sociales, ou
renoncent à prendre part à certains votes, ou s’engagent à voter dans un sens déterminé »69.

Toutefois, et vu qu’elles affectent l’un des droits fondamentaux de l’associé, à savoir le


droit de vote, ces conventions doivent être limitées dans le temps et justifiées par l’intérêt
social, pour être validées70.

La durée déterminée de la convention s’explique par le fait que cette dernière ne doit pas
interdire à l’actionnaire promettant de voter ou de l’obliger à toujours voter dans un sens
prédéterminé. D’ailleurs, c’est pour cette raison que ce type de conventions ou de clauses ne
figure pas dans les statuts.

Ainsi, la convention de vote doit avoir un champ limité et déterminé, telle une
augmentation ou réduction de capital, changement de commissaire aux comptes, choix des
dirigeants, exclusion d’un actionnaire, etc. Selon un auteur, la durée convenable varierait en
fonction de « la nature de l’intérêt collectif que la convention de vote est destinée à protéger
ou à promouvoir et de l’utilité que présente la convention pour la satisfaction de l’intérêt
social »71.

En revanche, les conventions de vote liées à des décisions générales peuvent être
contestables puisqu’elles ne sont pas toujours compatibles avec l’intérêt social. Il en découle
que les conventions de vote ne doivent être ni générales ni continues72.

Pour la deuxième condition qui nous intéresse le plus, à savoir la conformité à l’intérêt
social, elle constitue une exigence principale pour la validité des conventions de vote par le
tribunal. Le respect de l’intérêt social a été confirmé par le jugement rendu dans les années
1970 dans le cadre de l’affaire MARINE-FIRMINY73.

Les faits sont les suivants : Les sociétés SCHEIDER SA et MARINE-FIRMINY ont créé
une filiale commune Creusot Loire dans laquelle elles détiennent une participation majoritaire

69
Charles FRREYRIA, « Les conventions de vote », in La stabilité du pouvoir dans les sociétés, RJ. 1990, n° spéc. nov. p. 124, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p.

221.
70
Olivier CAPRASSE, Le statut des actionnaires, (SA. SPRL, SC) - questions spéciales, Commission Université-Palais, Université de Liège, éd. LARCIER, Bruxelles, 2006, p.

135.
71
Michel JEANTIN, « Les conventions de vote », Coll. de Deauville, RJ. com., n° spéc. nov. 1990, p.124, cité par Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Du contrat en droit des

sociétés, Essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, éd. l’Harmattan, Paris, 2008, p. 246.
72
Ibid.
73
Trib. Com. Paris, 1er août 1974, in Rev. Sociétés 1974, p. 685, note B. OPPETIT, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 223.

36
de 50,8% du capital social, à travers une société MARINE-SCHNEIDER qui a pour but de
gérer la filiale. Les deux sociétés partageaient entre elles le capital de cette dernière et
détenaient chacune 50%.

De même, les décisions importantes devaient être prises à l’unanimité et le président


n’avait pas de voix prépondérante. Également, le protocole convenait la répartition des sièges
d’administration de la société MARINE-SCHNEIDER entre les deux sociétés et précisait
qu’elles devaient rester avec une participation égalitaire dans le capital de Creusot Loire et de
ne pas prendre de participation dans le capital l’une de l’autre.

Par la suite, SCHEIDER SA n’a pas respecté sa promesse et elle a acquis 34% du capital
de MARINE-FIRMINY74. MARINE-FIRMINY a saisi l’arbitre prévu dans le protocole, mais
SCHEIDER a refusé la sentence arbitrale rendue en faveur de MARINE-FIRMINY et a
demandé la nullité du protocole pour cause qu’il porte atteinte à la liberté du droit de vote, en
raison de ses nombreuses clauses75. Le juge a rejeté les revendications de SCHEIDER en
affirmant que « lorsqu’il s’agit de faire des opérations de rapprochement de sociétés et de
groupe, il fallait effectuer une appréciation de l’ensemble de l’opération et de prendre en
considération l’intérêt du groupe »76. Il a pareillement précisé que les clauses qui avaient pour
but d’assurer une gestion commune et égalitaire étaient valides, en ajoutant que ce protocole
compensait le vide juridique du droit des sociétés quant à l’évolution de l’économie77.

Une autre démonstration jurisprudentielle évoque l’intérêt social comme une condition de
validité des conventions de vote. Il s’agit de l’arrêt de la Cour de Douai 78, rendu le 24 mai
1962 et qui a eu à connaitre de la licéité d’une convention de vote conclue entre des
actionnaires majoritaires et un actionnaire minoritaire.

Les faits sont comme suit : une société qui se trouvait dans un état critique suite à une
sérieuse impasse financière, s’est adressée à un groupe financier avec qui elle était en relation
d’affaires, afin qu’il prenne une participation dans son capital. Ce groupe a ainsi pris une
participation de 40% du capital social de ladite société. En contrepartie de cette participation,
les deux sociétés ont conclu un protocole qui précisait que les postes du conseil
d’administration seraient répartis de façon égalitaire entre les anciens actionnaires

74
Ibid.
75
Ibid.
76
Idem, p. 224.
77
Ibid.
78
Douai, 24 mai 1962, in J.C.P., 1962, II, note D. Bastian, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 329.

37
majoritaires qui détenaient 60% du capital et les nouveaux actionnaires qui avaient 40% du
capital social79.

Malgré le fait que cette convention permettait à l’actionnaire minoritaire de bénéficier de


la moitié des postes du conseil d’administration, le juge a validé cette convention car elle
permettait à la société d’en tirer un profit financier, ce qui satisfaisait son intérêt social.

L’intérêt social est donc la condition de validité des conventions de vote, en plus du
respect des règles impératives de la société anonyme. Cette condition a autorisé la validité de
conventions qui, à première vue, semblaient être conclues pour satisfaire uniquement l’intérêt
personnel de certains associes.

Comme le cas de l’arrêt rendu par la Cour de Douai suscitée, ou encore le jugement du
Tribunal de commerce de Paris80, rendu le 4 mars 1981 qui a validé une convention conclue
entre un groupe d’actionnaires majoritaires qui possédaient 67% du capital social et un
actionnaire minoritaire qui n’avait que 2% du capital. Cette convention avait pour objectif
d’organiser l’exercice du vote dans l’assemblée générale, de sorte que l’augmentation du
capital qui était fixée dans le plan de redressement sera réservée dans sa totalité à l’actionnaire
minoritaire. Le juge a validé cette convention, car elle avait pour finalité de ressourcer la
société, ce qui était conforme à son intérêt social.

Les conventions de vote sont donc nulles lorsqu’elles sont contraires à l’intérêt social,
notamment parce qu’elles empêchent les actionnaires d’opérer librement les choix qui
s’imposent81.

Pour un auteur, les conventions de vote qui sont contraires à l’intérêt social sont
dépourvues de cause. Elles ont une cause illicite 82. Un autre auteur83 est allé plus loin en
proposant de déclarer toutes les conventions de vote illicites. Cet auteur trouve que le droit de
vote est « un droit-fonction qui doit être exercé non dans l’intérêt de son titulaire, mais dans
celui de la société et qu’en tant que tel, il ne peut faire l’objet de convention ».

79
Ibid.
80
Trib. Com. De Paris, 4 mars 1981 : Rev. jurisp. Com., 1982, p. 7 et s. note de Fontbressin, cité par ibid.
81 e
Paris 4 mai 1960 : D. 1960, 637 note DALSACE, cité par Yves GUYON, Traité des contrats, Les sociétés, Aménagements statutaires et conventions entre associés, 5 éd.,

L.G.D.J., Paris, 2002, p. 420.


82
Idem, p. 151.
83
D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Thèse, Sirey. 1970, p. 421, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 222.

38
Mais, il reste que l’alinéa 2 de l’article 144 84 précédemment cité, admet la validité des
conventions de vote à condition de respecter l’intérêt social. Ce critère a le mérite d’être
malléable, il accorde au juge un pouvoir considérable d’appréciation.

Mais, cette appréciation doit-elle intervenir au moment de la conclusion de la convention


de vote, ou tout au long de son exécution ? Surtout que le mouvement de la vie sociale peut
influencer la validité de ces conventions : au moment de sa constitution, une convention de
vote qui est conforme à l’intérêt social, peut devenir contraire à cet intérêt au cours de la vie
sociale.

Cette interrogation prend source de l’absence d’orientation sur la signification de cet


intérêt. D’ailleurs, l’incertitude qu’englobe le défaut de définition de l’intérêt social permet
une immixtion des juges dans la gestion de la société. Afin de limiter cette intervention, nous
pensons que les conventions de vote doivent seulement ne pas être opposées à l’intérêt social
sans pour autant être conforme à celui-ci. En d’autres termes, dès que la convention de vote
ne porte pas atteinte à l’intérêt social elle doit être validée, sans aller jusqu’à vérifier si elle lui
y est conforme85.

De ce qui précède, les conventions de vote ne doivent pas mener à des votes contraires ou
nuisibles à l’intérêt social et être motivées par la volonté de léser l’une des parties de la
convention.

En effet, de telles conséquences représentent l’expression d’un abus de droit de vote.


Pour renforcer la protection de la société et éviter tout abus, il convient de valider les
conventions de vote dès qu’elles sont limitées dans le temps et qu’elles respectent l’intérêt
social, les règles d’ordre public et les règles impératives relatives à la société. Toutefois, le
critère de l’intérêt social demeure principal pour leur validité.

B- L’intérêt social, élément de protection de la société :

84
Cet article est la transcription de l’article L. 233-3 al. 2 du C. de com. français qui dispose que : « Une société est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent

chapitre, comme en contrôlant une autre : (…) 2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés
ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ».
85
Telle que la décision de la mise en réserve des bénéfices. Cette décision est souvent, pour ne pas dire toujours, votée par les majoritaires, n’est pas contraire à l’intérêt de la

société, même si elle n’est pas conforme à l’intérêt commun de tous les actionnaires.

39
L’intérêt social est nettement évoqué comme une condition essentielle de la validité des
conventions de vote, mais de quel intérêt s’agit-il exactement ? D’autres interrogations
formulées par l’éminent auteur Guyon reflètent parfaitement notre embarras, que nous
n’avons pu que les adopter.

Cet auteur estime que : « l’incertitude est à son comble dans les groupes de sociétés,
c’est-à-dire dans la situation où les conventions de vote sont les plus couramment pratiquées.
En effet si l’intérêt d’une société isolée est déjà difficile à définir, il en va « a fortiori » bien
davantage de celui du groupe. Est-ce l’intérêt de la société mère ou celui de toutes les
sociétés du groupe, ou celui de tous les associés de toutes les sociétés composant le groupe ?
Quelle est exactement la composition du groupe dont l’intérêt doit être pris en
considération ? »86.

Cette ambigüité reflète l’inconvénient que pose l’absence de définition de l’intérêt social,
car personne ne peut affirmer avec certitude, que représente l’intérêt qui doit être respecté lors
de la constitution d’une convention de vote ?

En effet, ce critère de validité, qui découle du devoir de l’actionnaire d’agir dans l’intérêt
commun soulève régulièrement « une question légendaire : celle de sa définition et de son
contenu »87. Lorsqu’on évoque l’intérêt social, doit-on comprendre qu’il s’agit de l’intérêt
commun des actionnaires, de l’intérêt de la société personne morale ou de celui de
l’entreprise, entité économique ? Laquelle de ces conceptions doit être prise en considération
lors de la constitution d’une convention de vote ?

Il est évident que dans cette situation, l’intérêt social ne peut s’assimiler, ni à l’intérêt
commun des actionnaires, ni à celui de l’entreprise. Ce constat s’explique d’un côté, par le fait
que c’est pour faire face aux intérêts personnels des actionnaires qu’ils peuvent satisfaire à
travers les conventions de vote, que le respect de l’intérêt social a été introduit comme critère
de validité de ces conventions, et de l’autre côté, qu’il est difficile d’imaginer que les
actionnaires ne peuvent constituer une convention de vote que s’ils respectent les différents
intérêts catégoriels liés au fonctionnement de l’entreprise.

86
Yves GUYON, op. cit., p. 420.
87
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, op. cit., p. 249.

40
Compte tenu du contexte de l’emploi de cette notion imprécise, à savoir le
fonctionnement et la gestion de la société, il convient de voir dans l’intérêt social « l’intérêt
bien compris d’une gestion sociale efficace », afin de valider ces conventions88.

Pour conclure, nous estimons que l’intérêt social est employé ici, comme critère de
validité des conventions de vote afin d’assurer une meilleure protection à la société et à son
intérêt, contre les abus du droit de vote que peuvent exercer les actionnaires.

Un auteur avec lequel nous partageons son point de vue avance que : « les conventions de
vote doivent être tenue pour licite dès lors que leur application n’aboutit pas à un abus du
droit de vote »89. Ainsi, en adoptant l’intérêt social, le législateur cherche à protéger la
personne morale contre les comportements abusifs des actionnaires. Pour lui, cet intérêt n’est
autre que l’intérêt de la personne morale.

Paragraphe 2 : La protection du patrimoine social

Le patrimoine social représente un atout primordial pour la continuité et l’évolution


économique de l’entreprise. Mis à part les règles du droit civil et du droit commercial,
l’introduction de normes pénales est entièrement légitimée dans le but de préserver et de
combattre les agissements portant atteinte au patrimoine social 90. C’est dans cette optique que
s’inscrit l’article 384 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes.

En instaurant la protection du patrimoine social, le législateur a évoqué l’intérêt social


dans le 3e et 4e alinéa du même article91 d’une manière différente à laquelle il nous a habitué.
Ces alinéas affichent deux détails : la répression des comportements contraires à l’intérêt
social et préjudiciables à la structure sociale (A), et la particularité des termes employés, à
savoir intérêts économiques (B).

Afin de mieux comprendre l’interprétation que le législateur a attribué à l’intérêt social, il


est tout à fait normal d’examiner successivement ces deux éléments.

A- La répression des comportements préjudiciables à la structure sociale :

88
Ibid.
89
Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, Mémento pratique, éd. Francis LEFEBVRE, Levallois, 1998, p. 915.
90
V. Loïc EYRIGNAC, La protection pénale du patrimoine social, Ed. Institut Universitaire Varenne, Paris, 2007.
91
Ces alinéas disposent que « seront punis d’un emprisonnement de un à six mois et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement les membres des

organes d’administration, de direction ou de gestion d’une société anonyme : (…) ; 3°.qui, de mauvaise foi, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire aux
intérêts économiques de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ; 4°.qui, de mauvaise
foi, auront fait des pouvoirs qu’ils possédaient et/ou des voix dont ils disposaient, en cette qualité, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de la société, à des fins
personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».

41
Tous les membres de gestion de la société disposent de pouvoirs afin de la diriger dans
son intérêt. Les dirigeants assurent la direction économique de l’entreprise pour la faire
fonctionner : embaucher les salariés, assurer la production et la commercialisation des stocks,
gérer la trésorerie, établir les plans de financement 92etc., et d’une manière générale ils
procèdent à « la réalisation de son objet, qui est de réaliser des bénéfices en exerçant
l’activité commerciale définie dans les statuts et d’en faire profiter les associés ou
actionnaires qui financent la société »93.

Également, ils assurent la direction juridique de la société, structure d’accueil de


l’entreprise, à travers la représentation de la société, la conclusion des contrats, l’engagement
des actions en justice…

Toutefois, ces pouvoirs sont limités et les dirigeants ne doivent pas outrepasser les
prérogatives des autres organes de la société : conseil d’administration, conseil de
surveillance, assemblées générales. De plus, les statuts peuvent prévoir des limitations aux
pouvoirs des dirigeants, comme par exemple leur imposer une autorisation obligatoire de
l’assemblée pour tout engagement dépassant un certain montant94.

Outre le respect de l’objet social, les dirigeants doivent agir dans l’intérêt social. Le
dirigeant qui ne respecte pas la ligne de conduite qui lui a été dictée, s’exposerait 95 aux
sanctions prévues à l’article 384 relatif à l’abus de biens sociaux96.

Selon la volonté du législateur de responsabilisation des dirigeants de l’usage qu’ils font


des pouvoirs qui leurs sont attribués97, ces sanctions ont pour vocation la répression de l’abus
de biens sociaux. Cette répression doit permettre, sans limiter les pouvoirs des dirigeants, de
sanctionner leurs actes ou faits juridiques, faits dans leur intérêt personnel et portant atteinte
au patrimoine social.

À travers ces dispositions, le législateur cherche à assurer une large protection de la


société et de son patrimoine, contre les agissements des dirigeants contraires à l’intérêt de
celle-ci, en qualifiant d’abus tout acte ayant pour conséquence d’enrichir les dirigeants au
détriment de la société. L’abus de biens sociaux constitue donc une sanction aux

92
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 122.
93
Pierre-Louis PERIN, La société par actions simplifiée, L’organisation des pouvoirs, éd. Joly, Paris, 2000, p. 89.
94
V. Art. 70 de la loi n° 17-95.
95
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 122.
96
V. infra, p. 173.
97
Pierre-Louis PERIN, op. cit., p. 109.

42
dépassements que les dirigeants font dans la gestion de la société, et c’est l’intérêt social qui
permet de réprimer les comportements préjudiciables à la marche sociale.

Ainsi, le législateur utilise l’intérêt social comme critère de détermination de la bonne


gestion des organes de gestion et utilise l’abus de biens sociaux, afin de protéger cet intérêt
contre les actes irréguliers des dirigeants.

En d’autres termes, l’intérêt social constitue l’un des éléments déterminants du délit
d’abus de biens sociaux. Encore faut-il identifier de quel intérêt s’agit-il ? Surtout que le
législateur a utilisé cette fois-ci des termes bien particuliers, à savoir intérêts économiques.

B- La substitution de l’intérêt social par les intérêts économiques :

Les dirigeants sont souvent tenter d’abuser de leurs pouvoirs et se trouvent face à des
accusations sérieuses. En effet, « la tentation d’obtenir des avantages personnels en profitant
de la fonction est parfois grande. Certaines personnes ont tout à fait conscience de se placer
dans une situation irrégulière. D’autres cependant n’en mesurent pas toujours les
conséquences (...) »98.

A cet effet, la constitution de l’abus de biens sociaux trouve son fondement dans l’usage
contraire à l’intérêt social et à des fins personnelles. En effet, afin de pouvoir déterminer un
abus de biens sociaux, le législateur fait référence à l’intérêt personnel. Pour lui, l’usage
contraire à l’intérêt social, est évident lorsqu’il est fait dans l’intérêt personnel du dirigeant.

Par conséquent, l’usage dans un but personnel est contraire à l’usage dans un but social.
C’est la contradiction entre les deux buts qui sécrète le caractère personnel du but poursuivi.
Ainsi, tout usage personnel et intentionnel contraire à l’intérêt social constitue un abus de
biens sociaux.

Cependant, l’article 384 a repoussé l’utilisation des termes : intérêt social ou intérêt de la
société et a employé à la place, des termes plus vagues : intérêts économiques de la société 99.
A cet égard, parmi les éléments sur lesquels doivent se fonder les tribunaux pour qualifier
l’abus de biens sociaux, il y a le critère de la contrariété aux intérêts économiques de la

98
Jean-François BULLE, Le statut du dirigeant de société, SARL et SA, éd. Les Publications Fiduciaires, Paris, 1996, p. 424.
99
Contrairement à son corolaire français qui s’est contenté d’utiliser l’intérêt de la société dans l’article L 241-3, al. 4 : « Est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une

amende de 375 000 euros : (…) Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à
des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

43
société. Mais que signifient ces termes ? Signifient-ils l’optimisation de la situation
patrimoniale de la société ? Ne correspondent-ils pas aux intérêts des actionnaires ?

Malgré cette confusion, ces termes nous rappellent les termes utilisés par le législateur
dans les articles 593 et 740 de la loi 73-17 abrogeant et remplaçant les dispositions relatives
aux difficultés des entreprises. Ils ont la même connotation.

En effet, la protection du patrimoine social assure systématiquement la protection des


intérêts des actionnaires ainsi que des intérêts catégoriels. Ainsi, nous pensons qu’à travers
l’incrimination d’abus des biens sociaux, le législateur a pour but de protéger non seulement
le patrimoine de la société, mais également l’intérêt des actionnaires et les intérêts des tiers
qui contractent avec la société. C’est-à-dire, une protection globale de tous les intérêts liés au
fonctionnement de la société, ce qui justifie l’utilisation du législateur de termes généraux tels
que les intérêts économiques. Ainsi, lorsque le législateur parle d’intérêts économiques, il vise
la conception la plus large de l’intérêt social, à savoir l’intérêt de l’entreprise.

D’un instrument de régulation des relations internes dans la société, l’intérêt social
devient, dans ce contexte, un outil de protection de l’épargne des tiers contractants 100.

Aussi, l’utilisation d’intérêts économiques au lieu d’intérêt social peut se justifier par le
fait que fréquemment, le délit d’abus de biens sociaux est constitué par un avantage
financier au profit du dirigeant : prélèvement sur la trésorerie de la société, une avance en
compte courant101, un détournement de prêt102, des rémunérations excessives103, etc.

Ainsi, l’évocation économique de l’intérêt social est faite pour pouvoir être en conformité
avec le caractère financier du délit. D’ailleurs, cette philosophie du législateur est la même qui
se trouve dans les articles104 de la loi 73-17. D’un côté, il se base sur l’intérêt de l’entreprise
point de rencontre de multiples intérêts 105 afin d’assurer la protection des différents intérêts
catégoriels liés à son fonctionnement, et de l’autre côté, il utilise les termes intérêts
économiques afin de protéger le patrimoine social, en faisant allusion au sens économique de
la société, qu’est la structure d’accueil de l’entreprise106.

100
Thierry FAVARIO, L’intérêt de l’entreprise en droit privé français, Essai sur l’appréciation d’un standard, éd. Universitaires européennes, Berlin, 2010, p. 226.
101
Cass. crim. 19.10.1978, in Rev. Sociétés 1979, 872, note B. BOULOC, cité par Jean-François BULLE, op. cit., p. 426.
102
Cass. Crim. 17.10.1973, in Rev. Sociétés 1974, 145, cité par ibid.
103
Cass. Crim. 19.101971, in Bull. Joly 1973, p.332, cite par ibid.
104
V. arts. 593 et 740.
105
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 319.
106
Jean PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit…», op. cit., p. 289.

44
De ce qui précède, nous pensons qu’intérêt de l’entreprise et intérêts économiques ont la
même signification et visent à protéger les mêmes intérêts, en l’occurrence les différents
intérêts liés au fonctionnement de la société. C’est pourquoi, il est compréhensible de dire que
l’intérêt social est assimilé, ici, à l’intérêt de l’entreprise.

Sous-section 2 : L’évocation de l’intérêt social dans la loi n° 5-96 régissant les


autres types des sociétés commerciales

Après avoir passé les articles de la loi 17-95 sous le peigne fin, il est évident que l’étape
suivante est la décortication de la loi 5-96 régissant les autres types des sociétés commerciales
à savoir, la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en
commandite par actions, la société à responsabilité limitée et la société en participation.

Ceci fait, il apparaît sans aucune surprise que le législateur n’a mentionné que rarement
l’intérêt social lors de l’élaboration des dispositions relatives à la gestion de ces sociétés
(paragraphe 1) et au niveau des sanctions prévues à l’encontre de la mauvaise gestion de
leurs gérants (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La place de l’intérêt social dans la gestion

La lecture des dispositions de la loi 5-96 dévoile une utilisation contrastée de l’intérêt
social, lorsqu’il s’agit de la gestion des sociétés susmentionnées. Cette disparité se traduit par
le fait que dans certaines sociétés, l’intérêt de la société est présent distinctement comme étant
une limite aux pouvoirs des gérants (A) et dans d’autres types de sociétés, cette limite est
supposée (B).

A- L’intérêt social, limite incontestable aux pouvoirs des dirigeants :

Le premier alinéa de l’article 7 de la société en nom collectif dispose que : « dans les
rapports entre associés, et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, le
gérant peut faire tout acte de gestion dans l’intérêt de la société ».

D’après cet article, l’intérêt de la société est une limite aux pouvoirs des dirigeants dans la
gestion de la société. Ainsi, si les associés non rien prévues dans les statuts en ce qui concerne
les pouvoirs attribués au dirigeant, l’intérêt de la société prend la place d’un éventail afin de
réprimer le gérant qui sera séduit par des actes dépassant l’intérêt de la société. Ceci, montre
que la notion d’intérêt social joue un rôle important dans la protection des associés et de la
société contre une gestion abusive des dirigeants.

45
Encore faut-il savoir quel acte de gestion rentre dans l’intérêt de la société et lequel lui est
contraire ? Peut-être pouvons-nous nous baser sur les articles précédemment 107 cités et dire
que tout acte qui satisfait l'intérêt personnel du gérant et qui nuit aux intérêts économiques de
la société est condamnable ? Cette proposition nous semble satisfaisante dans la mesure où le
législateur est resté vague.

Néanmoins, le premier alinéa de l’article 8 de la même loi dispose que : « dans les
rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ».
Qu’en est-il des actes entrant dans l’intérêt social ? Est-il juste de dire que ces actes-là
n’engagent pas la société ?

Une réponse positive semble possible dans la mesure où l’objet social est défini par le
type d’activité déterminée, dans un premier temps par les fondateurs dans les statuts et
ultérieurement par les associés, que la société est tenue en principe d’exercer 108. Alors que
l’intérêt social est « un impératif de conduite qui s’impose aux organes de la société »109. Ils
doivent non seulement respecter l’objet social, mais également ne rien faire qui serait
contraire à l’intérêt social110.

Donc, l’objet social est connu par les gérants et les tiers, il est limité et surtout défini,
alors que l’intérêt social est inconnu, illimité et surtout indéfini. Ainsi, si le législateur avait
prévu que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant
dans l’objet social et dans l’intérêt de la société », la société allait se trouver engager par un
nombre illimité d’actes entrant dans l’intérêt de la société et on allait peut être, assister à un
harcèlement de la société par les tiers.

Ceci explique à notre avis pourquoi le législateur n’a mentionné que l’objet social pour
assurer la protection des tiers. L’ajout de l’intérêt de la société allait certes assurer une large
protection des tiers contre la gestion du gérant, mais cette protection allait se faire au
détriment du bon fonctionnement de la société.

En plus de la société en nom collectif, la société à responsabilité limitée contient un


article qui mentionne l’intérêt de la société. Il s’agit de l’article 63 qui dispose dans son
premier alinéa que : « dans les rapports entre associés, les pouvoirs des gérants sont

107
Notamment, l’art. 384 de la loi n°17-95.
108
Jean Pierre RENARD, Guide du gérant de la SPRL, Guide pratique, Ed. Edipro, Liège, 2005, p. 63.
109
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 47.
110
Ibid.

46
déterminés par les statuts, et dans le silence de ceux-ci, chaque associé peut effectuer tout
acte de gestion dans l’intérêt de la société ».

Cet article est une reprise semblable de ce qui est prévu dans l’article 7 de la société en
nom collectif. Dans la crainte de nous exposer à une redite, nous n’allons pas récapituler ce
qui a été dit précédemment, mais nous allons évoquer l’idée directrice de cet article : le
législateur laisse une grande liberté aux associés pour déterminer les pouvoirs du gérant d’une
société à responsabilité limitée. Toutefois, ses pouvoirs ne doivent nullement dépasser la
limite posée par le législateur, à savoir l’intérêt de la société.

B- L’intérêt social, limite présumée aux pouvoirs des dirigeants :

Après avoir trouvé l’intérêt de la société dans des articles épars de la société en nom
collectif et la société à responsabilité limitée, aucune trace de cette notion n’a été trouvée dans
les dispositions de la loi en commandite simple et en commandite par actions.

Toutefois, le législateur a utilisé l’intérêt de la société implicitement dans l’article 21


relatif à la société en commandite simple en disposant que : « les dispositions relatives aux
sociétés en nom collectif sont applicables aux sociétés en commandite simple, sous réserve
des règles prévues au présent chapitre », sans mentionner l’intérêt social.

Dès lors, l’article 7 de la société en nom collectif est légalement applicable à la société en
commandite simple. Ainsi, si les pouvoirs du gérant non pas étaient fixés par les associés dans
les statuts, ce dernier a le champ libre pour faire tout acte de gestion, à condition que cet acte
ne soit pas contraire à l’intérêt de la société.

Une autre remarque nous interpelle, liée à l’article 35 de la société en commandite par
actions. Cet article dispose que : « le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir
en toute circonstance au nom de la société… ». De ce fait, le gérant bénéficie de larges
pouvoirs dans sa gestion de la société. Mais à notre avis, aussi large que ses pouvoirs soient-
ils, le gérant ne peut contrarier l’intérêt de la société.

C’est dire que l’intérêt de la société reste une limite incontournable aux pouvoirs du
gérant dans sa gestion, même si le législateur ne le mentionne pas expressément.

Paragraphe 2 : La place de l’intérêt social dans la sanction des gérants

47
Comme dans la société anonyme, le législateur se réfère à l’intérêt social afin de protéger
les associés et la société contre la mauvaise gestion des gérants des autres types de sociétés
commerciales.

L’utilisation faite de cette notion par le législateur se présente dans la gestion des gérants
(A), ainsi que dans la protection du patrimoine social (B).

A- l’intérêt social, dans la gestion des gérants :

Les fonctions du dirigeant entrainent attribution de divers pouvoirs, mais elles comportent
également des obligations pour celui qui en est titulaire. Ainsi, le dirigeant peut engager sa
responsabilité lorsqu’il ne fait pas face à ses obligations dans la gestion de l’entreprise 111.
L’article 8 de la société en nom collectif s’inscrit dans cette vision et dispose dans son dernier
alinéa que : « les gérants sont responsables individuellement ou solidairement vis-à-vis des
associés des actes accomplis contrairement à la loi ou aux statuts ».

Par conséquent, tout acte contraire à la loi et aux statuts engage la responsabilité des
gérants. Quand est-il alors de l’intérêt social ? Doit-on comprendre que les actes faits par les
gérants et qui sont contraires à cet intérêt n’engagent pas leur responsabilité ? Une réponse
positive est impensable et semble illégitime, car elle laissera porte ouverte aux abus dans la
gestion.

Même si le législateur ne le cite pas, le non-respect de l’intérêt de la société engagera


certainement la responsabilité du gérant. Cette justification trouve sa raison d’être dans
l’article 7112 précédemment mentionné, qui fait de l’intérêt de la société une limite à la gestion
du gérant.

Il y a toutefois lieu de préciser que dans la société à responsabilité limitée, le législateur a


adopté une autre approche. En effet, l’article 67 relatif à cette société dispose dans son
premier alinéa que : « les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon
le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions légales
applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes
commises dans leur gestion ». Cet article se justifie par le fait qu’une mauvaise gestion de la

111
Jean-François BULLE, op., cit., p. 378.
112
Art. 7 de la société en nom collectif.

48
société peut être à l’origine de préjudices importants pour les associés et pour les créanciers
sociaux113.

Certes, le législateur n’a pas évoqué l’intérêt de la société textuellement dans cet article,
mais il y a fait référence, puisque la mention des infractions aux dispositions légales nous
renvoie vers l’article 63 qui cite l’intérêt de la société comme limite à la gestion du gérant.
Ainsi, les gérants de la société à responsabilité limitée seront responsables, individuellement
ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, lorsqu’ils ne respectent pas
l’intérêt de la société.

B- l’intérêt social, générateur de la responsabilité des gérants :

L’article 107114 relatif aux infractions et sanctions communes, mentionne clairement dans
son 3e et 4e alinéa l’intérêt de la société. Cependant, il convient de signaler que cet article est
une reprise de l’article 384 de la loi n°17-95 relative à la société anonyme. Tous deux font
référence aux intérêts économiques de la société afin de caractériser les abus de biens sociaux.

Ainsi, le délit d’abus de biens sociaux est constitué lorsque les gérants agissent dans leur
intérêt personnel au détriment des intérêts économiques de la société.

Le délit d’abus de biens sociaux assure ainsi, la préservation du patrimoine social qui est
au service de l’activité de l’entreprise. C’est à travers cette préservation que la protection des
intérêts des tiers est assurée115.

Cependant il est à signaler que ce constat trouve sa raison d’être lorsqu’il s’agit des
sociétés de capitaux. Mais, dans les sociétés de personnes, cet article ne joue pas un grand rôle
dans la protection des intérêts des tiers, dans la mesure où les associés sont tenus au passif, ce
qui permet aux tiers d’être protégés par défaut. Pas besoin d’assurer la protection du
patrimoine social afin de protéger les tiers, puisque ces derniers sont suffisamment protégés
par l’engagement indéfini de la responsabilité des associés. Ici, c’est la situation des associés
qui doit être prise en compte.

113 e
Georges RIPERT et René ROBLOT, Traité de droit des affaires, les sociétés commerciales, T. 2, 20 éd. L.G.D.J., Paris, 2011, p. 465.
114
L’article 107 dans son 3e et 4e alinéa dispose que : « seront punis d’un emprisonnement de un à six mois et d’une amende de 10.000 à 100.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines

seulement : (…) 3°.les gérants qui, de mauvaise foi, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt économique de celle-ci à des fins personnelles ou

pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ; 4°.les gérants qui, de mauvaise foi, auront fait des pouvoirs qu’ils possèdent ou des
voix dont ils disposent, en cette qualité, un usage qu’ils savent contraire aux intérêts économiques de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans
laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

115 e
Jean PAILLUSSEAU, « Le droit moderne de la personnalité morale », in RTD civ. 1993, p. 705, cité par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, 2 éd., Casablanca,

2011, p. 97.

49
Chapitre II : L’intérêt social, au-delà de la loi

L’intérêt social est un concept majeur dans le droit des sociétés commerciales 116. C’est un
élément constitutif d’abus de majorité, d’abus de minorité et d’abus de biens sociaux. Les
juges l’utilisent également, lors de la désignation d’un administrateur provisoire en cas de
crise grave, ou lors de la nomination d’un expert de gestion. Pourtant, c’est l’une des notions
les plus mal définie. D’ailleurs, l’auteur Strowel le souligne en précisant que « comme tout
concept, celui de l’intérêt est entaché d’une certaine ambigüité »117.
116
Alexis CONSTANTIN, Droit des sociétés, Dalloz, 4e éd., Paris, 2014, p. 103.
117
Alain STROWEL, « A la recherche de l’intérêt en économie. De l’utilitarisme à la science économique néoclassique », in Droit et intérêt : Approches interdisciplinaires,

vol. I, Publications F.U.S.L., Bruxelles, 1990, p. 37, cité par Frédéric MAGNUS, Les groupes de sociétés et la protection des intérêts catégoriels, LARCIER, Bruxelles, 2011, p.
52.

50
Aussi, les tentatives de définition de cette notion sont récentes 118 et sont à l’origine de
controverses. En effet, face à l’absence de définition légale, la doctrine a tenté de cerner les
contours de l’intérêt social en produisant trois conceptions.

Ainsi, l’intérêt social renvoi à l’intérêt propre d’une entité, qui peut correspondre à deux
conceptions en particulier. La conception qui assimile l’intérêt social à l’intérêt de la
personne morale (section1) et la conception qui l’assimile à l’intérêt de l’entreprise
(section2).

Quant à la troisième conception qui assimile l’intérêt social à l’intérêt des actionnaires,
elle sera traitée dans le titre qui suit.

Section 1 : L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de la personne morale

L’aspect juridique de la société renvoi à la personne morale. Ce renvoi a permis


d’assimiler l’intérêt social à l’intérêt de la personne morale.

Certains auteurs précisent à cet effet que « l’intérêt social ne se confond pas
nécessairement avec l’intérêt des associes, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires, la
société a un intérêt propre qui transcende celui des associés »119.

Il convient dès lors, de démontrer les causes de l’émergence de cette conception (sous-
section1), avant de la déterminer (sous-section2).

Sous-section 1 : Les causes de l’émergence de l’intérêt de la personne morale

L’émergence de la conception qui assimile l’intérêt social à celui de la personne morale


repose essentiellement sur la particularité de la personne morale (paragraphe1) et sur la
théorie qui trouve que la société est une institution (paragraphe2).

Paragraphe 1 : La particularité de la personne morale

Déterminer la particularité de la personne morale suppose d’abord, de traiter sa naissance


(A), puis son indépendance vis-à-vis des personnes physiques qui l’ont constitué (B).

Ce traitement ainsi fait, la question de la particularité de la personne morale devient


beaucoup plus simple à concevoir : la personne morale conçoit bel et bien des éléments qui
justifient l’émergence d’un intérêt qui lui est propre.
118
Annie MEDINA, Abus de biens sociaux, prévention, détection, poursuite, éd. Dalloz, Paris, 2001, p. 80.
119
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 175.

51
A- La naissance de la personne morale :

La personne morale est « un groupement doté, sous certaines conditions, d’une


personnalité juridique plus au moins complète ; sujet de droit fictif qui, sous l’aptitude
commune à être titulaire de droit et d’obligation, est soumis à un régime variable, notamment
selon qu’il s’agit d’une personne morale de droit privé ou d’une personne morale de droit
public »120.

La personnalité morale est attribuée à un groupement de personnes, en l’occurrence la


société, dès lors qu’elle est immatriculée au registre du commerce121.

Ainsi, tant que la société n’est pas immatriculée, elle n’existe qu’en tant qu’acte juridique,
à travers notamment, les statuts et ne peut avoir la personnalité morale. Les rapports des
associés qui naissent dans la période qui dure entre la constitution de la société et son
immatriculation sont régis par le contrat de société et les règles du D.O.C.

Il s’ensuit que la personnalité morale qui s’acquiert par l’immatriculation, permet à la


société de produire ses effets à l’égard des tiers et d’être connue par eux. En d’autres termes,
elle permet l’opposabilité de la société aux tiers, ce qui explique que son existence soit
soumise à une formalité de publicité.

La personnalité morale n’est cependant attribuée qu’après avoir achevé plusieurs étapes :
la conclusion d’un contrat, la réalisation des apports, la rédaction des statuts, la désignation
d’organes, etc.122. Il en résulte que l’attribution de la personnalité morale ne peut intervenir
qu’après avoir assemblé tous ces éléments. La personnalité morale ainsi acquise permet de
percevoir la société commerciale autrement.

B- L’indépendance de la personne morale vis-vis des actionnaires :

Conformément à la définition donnée par le lexique des termes juridiques 123, la personne
morale est « un groupement de personnes ou de biens ayant la personnalité juridique, et étant
par conséquent, titulaire de droits et d’obligations ». Cette définition illustre parfaitement une
différence entre l’intérêt de la société et celui des actionnaires. En effet, être titulaire de droits

120
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, éd. Quadrige PUF, Paris, 2000, p. 667.
121
V. Art. 7 de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.
122
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 65.
123 e
Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Termes juridiques, 10 éd. Dalloz, Paris, 1995, p. 410.

52
et d’obligations traduit le fait que la personne morale est un sujet de droit distinct de celle des
fondateurs, des actionnaires et des personnes qui assurent sa gestion.

Dire que la personne morale est un véritable sujet de droit, c’est lui attribuer un intérêt
propre qui ne peut être confondu avec l’intérêt d’une telle ou telle catégorie d’actionnaires, ni
être réduit à l’intérêt de l’ensemble des actionnaires. La société serait ainsi « plus qu’un
contrat ou qu’un nœud de contrats, elle serait un sujet de droit autonome, titulaire d’une
volonté et, corollaire incontournable, d’un intérêt propre »124.

En effet, pour que la personnalité morale soit reconnue à un groupement, il faut « qu’il
existe au sein de ce groupement un intérêt distinct des intérêts individuels et que ce
groupement ait une organisation capable de dégager une volonté collective qui le
représentera dans les rapports juridiques »125.

Pour les partisans de cette conception, l’intérêt social est l’intérêt exclusif de la société
sujet de droit, disposant d’un patrimoine propre et autonome de celui des personnes physiques
qui lui ont donné naissance.

Ainsi, les actionnaires dirigeants ne peuvent puiser abusivement dans les caisses sociales
au risque de se rendre coupable sur le plan pénal de délit d’abus de biens sociaux 126. De
même, les créanciers sociaux ne peuvent exercer leur droit de gage sur le patrimoine
personnel des actionnaires de la société anonyme.

Cette indépendance de la personne morale est d’ailleurs confirmée par Carteron qui
trouve que « ces notion (abus de droit, détournement de pouvoirs) ont été introduites dans le
droit des sociétés pour permettre aux tribunaux d’annuler au nom même de la personne
morale distincte de ses membres, certaines délibérations »127.

En d’autres termes, le fait de reconnaitre à la société la personnalité morale lui permet de


se distinguer des actionnaires et d’avoir son propre intérêt qu’elle doit défendre. C’est ce que
Jaufret et Mestre démontrent : « En constituant une société, les associés donnent naissance à
une personne morale autonome, distincte d’eux. Cette société a ensuite une vie propre, elle
embauche des salariés, joue un rôle économique. Elle a dès lors un intérêt propre qui mérite
124
Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires…, op. cit., p. 361.
125 e
Léon MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 3 éd., L.G.D.J., Paris, 1932, p. 116, cité par Marie-Christine

MONSALLIER, op. cit., p. 319.


126
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 67 ; V. Art. 384 de la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes.
127
M. CARTERON, « L’abus de droit et le détournement de pouvoirs dans les assemblées générales des sociétés anonymes », in Rev. Sociétés 1964, p. 161, cité par Monique

A. MOUTHIEU, op. cit., p. 64.

53
protection lorsqu’il vient éventuellement en conflit avec l’intérêt personnel de tel ou tel
associé… »128.

La jurisprudence anglaise a reconnu quant à elle, qu’une firme constitue une entité
distincte de ses membres, bien avant que son homologue français le fasse. C’est dans le
célèbre arrêt Salomon129 du 16 novembre 1896 que the house of lords a rejeté la thèse du juge
de première instance voulant que la compagnie ne soit qu’un simple agent qui administre les
affaires des actionnaires et énonce pour la première fois qu’ : « au regard de la loi, la société
est une personne différente de ses souscripteurs figurant au memorandum ; (…) et la
compagnie dans la législation n’est ni l’agent de ses souscripteurs ni leur trustee »130. Cette
décision a permis ainsi, de dissocier entre actionnaires et société.

La jurisprudence canadienne s’est également exprimée à ce sujet lors de la décision du


juge Saint-Pierre, à la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Duquenne c. La Compagnie
Génerale des Boissons Canadiennes131. Cette décision énonce que : « (…) pour former une
compagnie par actions il est bien vrai qu’il faut des souscripteurs qui, plus tard, deviendront
des actionnaires, mais il n’est pas exact de dire que les actionnaires sont la compagnie. Une
compagnie à fonds social est un être morale, créé par la loi et composé d’un certain nombre
de personnes, mais distinct de chacune d’elles ».

La société est de ce fait, non seulement une entité distincte de ses membres, mais elle a un
intérêt qui lui est propre et qu’il convient de protéger.

Paragraphe 2 : La théorie de la société-institution

L’émergence de la conception de l’intérêt de la personne morale se base, en plus de la


dissociation entre actionnaire et société, sur la théorie de l’institution.

En effet, la société anonyme emprunte deux éléments essentiels à l’institution. Le premier


est la volonté de tous les membres de l’entité d’atteindre un but commun et de « réaliser

128 e
Alfred JAUFFRET et Jacques MESTRE, Droit commercial, 21 éd. L.G.D.J., Paris, 1993, p. 181.
129
Salomon. A. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.), cité par Stéphane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, « L’intérêt social en droit des sociétés : Regards transatlantiques ». Cet

article fait partie d’un projet scientifique réalisé à la Chaire de droit des affaires et du commerce international (C.D.A.C.I.) sur le thème de : La responsabilité sociale des entreprises cotées,
Université de Montréal, Fac de droit, 2009, p. 19.

130
Ibid.
131
Duquenne c. La Compagnie Générale des Boisons Canadiennes (1907) 31 C.S. 409 (C.R.), cité par idem, p. 21.

54
ensemble une idée commune »132. Cette idée commune ou idée mère133 se traduit par la
satisfaction d’un intérêt supérieur du groupement. Le deuxième élément est l’existence des
règles impératives et son acceptation par les membres de l’entité.

Assimiler la société anonyme à l’institution secrète un intérêt supérieur du groupement


distinct de celui des actionnaires. La définition donnée à l’institution le démontre
expressément. L’institution est « une organisation sociale, c’est-à-dire une organisation faite
d’une collectivité d’individus. En même temps, cette organisation doit avoir elle-même une
individualité assez forte pour être connue et nommée. Par ce double fait qu’elle intéresse une
collectivité et qu’elle a une existence propre due à son organisation, elle dépasse l’individu
humain. Elle subsiste malgré les mutations qui peuvent se produire dans son intérêt
personnel. Cela lui donne une réalité sociale, l’institution est la véritable réalité sociale
séparable des individus »134.

Appréhender la société comme une institution, engendre que l’intérêt social sera l’intérêt
de la personne morale considérée comme une entité indépendante. Cette conception de
l’intérêt social reproduit l’organisation de l’Etat, qui admet que l’intérêt général est supérieur
à l’intérêt des individus135. « Ce modèle a été transposé en droit des sociétés où la société a
pour citoyens les associés et le dirigeant y jouent un rôle politique. La société est une réalité
sociale séparable des individus »136.

En définitive, l’institutionnalisation de la société 137 trouve que l’intérêt social ne peut être
celui des actionnaires parties au contrat, il est plutôt l’intérêt de l’entité autonome que les
actionnaires ont créé.

Sous-section 2 : La détermination de l’intérêt de la personne morale

Déterminer l’intérêt de la personne morale se fait par l’étude de son contenu


(paragraphe1), afin de pouvoir mieux réfuter les critiques établies à son égard
(paragraphe2).

Paragraphe 1 : Le contenu de l’intérêt de la personne morale

132
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 314.
133
Ibid.
134
M. HAURIOU, Les principes de droit public, éd. Sirey, Paris, 1910, p. 123 et s. spé. p. 129, cité par idem, p. 315.
135
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 63.
136
Ibid.
137
Ibid.

55
La conception qui assimile l’intérêt social à l’intérêt de la personne morale assume qu’il y
a une dissociation entre cet intérêt et celui des actionnaires (A) dont le résultat permet de
mieux la concevoir (B).

A- La dissociation entre l’intérêt de la personne morale et l’intérêt des actionnaires :

L’intérêt social est défini par une partie de la doctrine comme l’intérêt propre de la
personne morale distinct de l’intérêt des actionnaires ou de l’intérêt personnel de l’un d’eux.
M. Paillusseau qui a développé cette conception avec Champaud 138 dans les années 60, précise
que « l’intérêt social ne se confond pas obligatoirement avec la somme des intérêts des
associes »139. Ici, on n’applique pas la formule qui estime que l’intérêt général d’un
groupement est la traduction des intérêts particuliers de ses membres140.

Dans ce sens, M. Paillusseau affirme que « dans le droit positif actuel, toute construction
- la société – repose pour l’essentiel sur l’idée que la société – et donc l’entreprise qu’elle
organise – est une personne morale indépendante et autonome. C’est la conséquence même
de la personnalité morale. Aussi, les dirigeants doivent-ils exercer leur pouvoir en respectant
cette base fondamentale de l’organisation de la société. S’ils ne la respectent pas,
l’organisation conçue est imposée par le législateur et l’équilibre de protection des intérêts
catégoriels qu’il institue seraient-ils en défaut, plus ou moins gravement. A cet égard, la
notion d’intérêt social revêt une grande importance. C’est l’intérêt propre d’une entité
autonome et indépendante »141.

Cette dissociation entre les deux intérêts est souvent constatée dans le cas de distribution
des bénéfices dans les sociétés anonymes. L’intérêt de la personne morale commande la
constitution des réserves pour les besoins ultérieurs de financement de la société, susceptible
d’augmenter sa capacité concurrentielle, tandis que l’intérêt des actionnaires exige la
répartition immédiate des bénéfices.

Cette distinction a été également constatée par un auteur qui s’exprimait sur l’abus de
biens sociaux. Pour lui, « l’intérêt à prendre en considération est celui de la société et non
celui des actionnaires, même de la majorité ou de la totalité de ceux-ci. Cette distinction
traduit une notion fondamentale du droit des sociétés : le principe selon lequel la société est
138
V. Claude CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par actions, Paris, Sirey 1962.
139
Jean PAILLUSSEAU, La société anonyme technique juridique d’organisation de l’entreprise, Thèse, éd. Sirey, Paris, 1970, p. 196, cité par Marie-Christine

MONSALLIER, op. cit., p. 318.


140
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 317.
141
Jean PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit…», op. cit., p. 291.

56
une personne morale indépendante de la masse des personnes physiques qui la
composent »142.

Aussi, Cozian, Viandier et Deboissy voient dans l’intérêt social un « un standard, un


concept à contenu variable. C’est un impératif de conduite, une règle déontologique, voire
morale, qui impose de respecter un intérêt supérieur à son intérêt personnel »143.

Ainsi, pour les partisans de cette doctrine, la personne morale dispose d’un intérêt propre
a elle, qui ne peut nullement être confondu avec celui de ses actionnaires.

B- Le résultat de la dissociation :

L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de la personne morale permet de se détacher


de la seule satisfaction de l’intérêt des actionnaires et de favoriser l’intérêt de la personne
morale.

En effet, comme toute entité juridique qui exerce une activité économique, la société
cherche à se positionner dans le marché. Pour y arriver, elle ne peut se contenter de servir
uniquement l’intérêt des actionnaires. Afin de garantir sa prospérité, elle doit prendre en
considération son intérêt propre et maintenir une bonne relation avec ses parties prenantes.

D’ailleurs, le droit des sociétés commerciales, et plus précisément la loi 17-95 relative
aux sociétés anonymes ainsi que la loi°78-12 complétant et modifiant la loi 17-95 utilisent
l’intérêt de la société et non pas l’intérêt des actionnaires ou celui de l’entreprise. Sans doute
cela révèle-t-il sa préférence pour l’intérêt de la personne morale.

La doctrine canadienne a également constaté que l’intérêt social ne peut se limiter


uniquement à l’intérêt des actionnaires et que l’intérêt de la personne morale doit entretenir
des relations favorables avec les parties prenantes, afin de favoriser la prospérité de la société.

C’est ainsi, que Gower affirme que : « (…) même si l’intérêt de la société est celui des
actionnaires (…) leurs intérêts ne seront pas bien servis lorsque la compagnie ne satisfait pas
ses consommateurs, fait face à des relations antagoniques avec le gouvernement et présente
une relation conflictuelle avec ses groupes de pression susceptibles de déranger son
assemblée générale »144.

142
Ch. PINOTEAU, « Le délit d’abus des biens et du crédit de la société », in Gaz. Pal. 1969, doct., p. 165, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., note 63, p. 70.
143
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 169.
144 éme
Paul DAVIES, Gower’s Principles of Modern Company Low , 6 éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1997, spé. p. 604, cité par Stéphane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p.

20.

57
Pour la doctrine canadienne, les administrateurs et les dirigeants ne doivent pas favoriser
et satisfaire les intérêts des actionnaires dans leur gestion. Leurs pouvoirs doivent être exercés
dans l’intérêt de la société qui est d’ailleurs la seule limitation à leurs pouvoirs 145. L’intérêt de
la société ainsi conçu, favorise la continuité, l’expansion et la prospérité de la société.

De plus, l’intérêt de la personne morale permet d’assurer une protection de la société et de


son intérêt, notamment en cas d’abus de biens sociaux. L’article 384 de la loi 17-95 dispose
que seront sanctionnés par les peines prévues par ce texte : « les membres des organes
d’administration, de direction ou de gestion d’une société anonyme qui de mauvaise foi
auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire aux
intérêts économiques de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ». Sera ainsi
contraire à l’intérêt de la société, tout acte qui cause pour la société « un risque sans
contrepartie d’une chance raisonnable de gain ou même la prive d’avantages plus conformes
à ses intérêts »146.

Dans cette optique, l’intérêt social, est celui d’une entité distincte de l’intérêt des
actionnaires et c’est cette conception qui permet de protéger la société contre les intérêts
individuels des actionnaires et dirigeants.

Cette conception permet également de protéger la société en cas de conflit entre les
actionnaires, notamment en cas d’abus de majorité. Une définition de l’abus de majorité qui a
été donnée par la jurisprudence qualifie ce dernier par « toute décision prise contrairement à
l’intérêt général et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au
détriment de ceux de la minorité »147.

L’intérêt général de la société qui s’accommode ici avec l’intérêt de la personne morale,
permet de faire face aux cas de rupture d’égalité qui peuvent intervenir entre les actionnaires
et nuire à l’intérêt social. C’est ainsi que l’abus de majorité est constaté lors de la réunion de
ces deux éléments : la contrariété à l’intérêt social et la rupture d’égalité.

Toutefois, cette conception de l’intérêt social nous pousse à nous interroger sur la manière
avec laquelle doivent être combinés ou traités les différents intérêts des parties prenantes. La

145
Idem, p. 21.
146
Jacques MESTRE, Sylvie FAYE et Christine BLANCHARD, Lamy Sociétés commerciales, éd. Lamy, Paris, 1995, p. 285, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit.,

p. 333.
147
Cass. Com. 18 avril 1961, in J.C.P., II, 12164, note D. BASTIAN, cité par idem, p. 332.

58
réponse à cette interrogation nous conduira à une autre conception de l’intérêt social qui sera
traitée ultérieurement148.

Paragraphe 2 : La résistance de la théorie de l’intérêt de personne morale face à


certaines réserves

Malgré la logique avec laquelle a été élaborée la thèse institutionnelle de la société et la


conception de l’intérêt de la personne morale, elle n’a pu échapper à des réserves (A) que
nous allons essayer de réfuter (B).

A- Réserves formulées quant à la théorie de l’intérêt de la personne morale :

La conception qui assimile l’intérêt social à celui de la personne morale n’a pas échappé à
des réserves qui trouvent que la personne morale est une fiction juridique qui ne peut être
indépendante des personnes qui l’ont créé, dans la mesure qu’ils sont libre de provoquer à leur
gré la dissolution prématurée149 de la société sans motivation ni préoccupation des intérêts
catégoriels. C’est le cas par exemple, lorsque la situation nette de la société devient inférieure
au quart du capital social, le législateur permet à l’assemblée générale extraordinaire de
décider la dissolution de la société150.

En effet, la théorie qui suppose que la société est une personne morale distincte et
indépendante des membres du groupement, a fait l’objet de plusieurs discussions qui ont
essayées de l’écarter. Ainsi, un auteur précise qu’« il n’y a pas dans un groupement une
personne morale, mais plusieurs personnes humaines reliées par un contrat valable »151.

C’est dans ce sens qu’un auteur avait jadis expliqué, que le droit ne voit dans la
collectivité, en l’occurrence la société, « que des juxtapositions de personnes, (…) et que la
juxtaposition de plusieurs droits parallèles est incapables de créer un droit nouveau et
distinct de celui des individus qui composent la collectivité »152.
148
V. supra, pp. 56 et s.
149
Art. 1051 du D.O.C.
150
Art. 356 de la loi 17-95.
151
Gabriel DE LABROUE de VAREILLES-SOMMIERES, Les personnes morales, LGDJ, Paris, 1919, p.352, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 111.
152 e
Raymand SALLEILLES, De la personnalité juridique, Histoire et théories, 2 éd. Librairie Arthure ROUSSEAU, Paris, 1922, pp. 3 et 4.

59
Par conséquent, seules les personnes physiques sont sujettes de droit. Dans notre cas, les
actionnaires sont les sujets de droit, tandis que l’entité qu’ils ont créée, n’est qu’une technique
juridique destinée à la réalisation d’une activité commune, dont le destin est lié à la volonté de
ses membres.

Toutefois, le même auteur admet que « lorsque ces collectivités s’organisent à l’état
d’institutions durables, lorsqu’elles présentent une véritable unité d’administration et de
décision, le droit est bien obligé de les accepter comme une réalité qui s’impose à lui.
Seulement, il ne peut la définir qu’au moyen de symbole et de comparaisons. Il la compare à
des personnes réelles, ayant une individualité distincte et des droits distincts »153.

En conclusion, les critiques de cette conception estiment que la société ne peut avoir une
vie indépendante de ses membres, elle est créé par eux et n’existe que pour eux et cesse de
l’être quand ils le décident.

B- La réfutation des réserves :

Les critiques qui ont étaient formulées à l’encontre de l’intérêt de la personne morale
semblent négliger une donnée intéressante : Lorsque les intérêts personnels de certains
actionnaires ou dirigeants menacent la continuité de la société, son intérêt surgi et prévôt sur
les intérêts des actionnaires. D’ailleurs, l’abus de majorité, l’abus de biens sociaux, la
désignation d’un administrateur provisoire en cas de crise grave entre les actionnaires, ne
sont-ils pas autant de procédés juridiques destinés à protéger l’intérêt de la société contre les
conflits qui naissent entre ses membres ?

C’est dans ce sens que les auteurs Jauffret et Mestre s’expriment en expliquant qu’ «en
constituant une société, les associés donnent naissance à une personne morale autonome,
distincte d’eux. Cette société a ensuite une vie propre, elle embauche des salariés, joue un
rôle économique. Elle a dès lors un intérêt qu’il mérite protection lorsqu’il vient
éventuellement en conflit avec l’intérêt personnel de tel ou tel associé…»154.

Ce constat est affirmé par un autre auteur qui trouve que « l’intérêt de la société découle
directement de la nature de la société : créée par un contrat, elle devient une institution, une

153
Idem, p. 3.
154
Alfred JAUFFRET et Jacques MESTRE, op. cit., p. 181.

60
fois immatriculée, c’est une personne morale. Même si elle n’est qu’une abstraction, elle
existe sur le plan juridique, elle a des droits et son existence produit des effets »155.

Il s’ensuit que l’attribution de la personnalité juridique à la société a pour conséquence de


donner à la société-personne morale- la qualité de sujet de droit qui a un patrimoine propre, ce
qui lui permet juridiquement de faire valoir un intérêt personnel156.

Toutefois, il est à préciser que le fait que la société dispose d’un intérêt propre à elle, ne
signifie pas que cet intérêt peut empiéter sur les intérêts des actionnaires. L’intérêt de la
société ne peut porter atteinte aux droits propres des actionnaires, tel que le droit de vote, le
droit à l’information, le droit aux dividendes et aux réserves, le droit à l’intangibilité des
engagements, le droit de rester associé et le droit de quitter volontairement la société.

De même, les actionnaires ne doivent pas confondre leur patrimoine personnel avec le
patrimoine social. C’est ainsi, que les dirigeants qui puisent dans le patrimoine de la société
afin de satisfaire leur intérêt personnel sont poursuivis pour abus de biens sociaux. Ceci
montre que la société est « un être juridiquement protégé »157.

Voici une décision qui montre clairement que l’intérêt de la société ne peut se limiter à
l’intérêt des actionnaires, ni même à l’intérêt de l’associé unique : la chambre criminelle de la
Cour de cassation158 a rejeté le pourvoi de l’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à
responsabilité limitée. Selon cet associé, l’abus de biens sociaux ne pouvait être retenu en cas
d’EURL puisqu’il ne porte atteinte a aucun associé.

La chambre criminelle soulève que l’EURL n’est qu’une variante de la SARL et confirme
que le délit d’abus de biens sociaux est légitimement applicable dans ce cas 159 du moment
qu’il porte atteinte à l’intérêt de la société.

Pour conclure, la société-personne morale dispose d’un intérêt propre qui est l’intérêt de
la société indépendamment de l’intérêt des actionnaires. Les deux intérêts doivent cohabiter
sans que l’un préjudicie l’autre, afin d’assurer le bon fonctionnement de la société.

155
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, « La définition de l’intérêt social, retour sur cette notion après les évolutions législatives récentes », in RTD com., Jan/Mars 2004, p.

39, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 95.


156
Olivier CAPRASSE et Roman AYDOGDU, Les conflits entre actionnaires, prévention et résolution, éd. LARCIER, Bruxelles, 2010, p. 8.
157
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 72.
158
Cass. Crim., 14 juin 1993, in Rev. Sociétés 1994, p. 90, note B. BOULOC, cité par ibid.
159
Idem, p. 70.

61
Section 2 : L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise, entité
économique de la société

Comme il a été précédemment développé, l’institutionnalisation de la société fait de


l’intérêt social, l’intérêt de l’entité. L’école de Rennes a adhéré à cette théorie tout en
délaissant le cadre strictement juridique de la société pour une approche plus économique, où
l’intérêt social devient l’intérêt de l’entreprise.

Appréhender cette notion passe nécessairement par l’étude de son contenu qui se penche
sur le côté économique de l’entité (sous-section1), ainsi que sur les interrogations qu’elle a
déclenché, quant à la légitimité du juge dans l’intervention des affaires sociales (sous-
section2).

Sous-section 1 : Le contenu de l’intérêt de l’entreprise

La vision qui assimile l’intérêt de la société à l’intérêt de l’entreprise en prenant en


compte l’intérêt de toutes les parties qui participent à l’existence et au fonctionnement de
l’entreprise a été essentiellement développée par les professeurs Champaud et Pailllusseau, en
se basant sur plusieurs éléments (paragraphe1).

Cette conception a engendré des conséquences sur le fonctionnement de la société qu’il


convient d’analyser et d’en vérifier la portée (paragraphe2).

Paragraphe 1 : Les éléments à l’origine de l’émergence de l’intérêt de l’entreprise

Sur la base de la thèse institutionnelle de la société, la doctrine a pu développer une vision


étendue de l’intérêt de la société. Pour les partisans de cette approche, l’entité doit agir dans
l’intérêt de toutes les parties qui participent à la réussite et au fonctionnement de l’entreprise,
que la société organise. Les actionnaires majoritaires et les dirigeants doivent ainsi prendre en
considération l’intérêt supérieur de l’organisme économique.

Le développement de cette approche s’est basé sur la nature économique de l’entité (A) et
sur la présence des intérêts catégoriels, qui participent au fonctionnement de l’entreprise (B).
La pertinence des arguments évoqués par les défendeurs de cette approche lui a voué un
succès auprès des juristes et a pu se trouver une place dans certaines décisions de justice.

62
A- La nature économique de l’entité :

M. PAILLUSSEAU précise que « dans le droit positif actuel, toute cette construction- la
société- repose pour l’essentiel sur l’idée que la société –et donc l’entreprise qu’elle
organise- est une personne morale indépendante et autonome. C’est la conséquence même de
la personnalité morale. Aussi, les dirigeants doivent-ils exercer leur pouvoir en respectant
cette base fondamentale de l’organisation de la société. S’ils ne la respectent pas,
l’organisation conçue et imposée par le législateur et l’équilibre de protection des intérêts
catégoriels qu’il institue seraient-ils en défaut, plus au moins grave. A cet égard, la notion
d’intérêt social revêt une grande importance. C’est l’intérêt propre d’une entité autonome et
indépendante »160.

L’intérêt de la société serait ainsi, l’intérêt de l’entreprise qui réunit l’ensemble des
intérêts catégoriels sans s’assimiler à eux.

L’apparition de l’intérêt de l’entreprise est de ce fait, intimement liée à la version


économique de la société qu’est l’entreprise. La référence à l’entreprise a été faite par un
auteur en matière d’abus de droit dans les assemblées générales, en écrivant qu’ « il ne s’agit
pas seulement de protéger certains actionnaires contre d’autres. Il convient d’assurer la
protection de l’entreprise elle-même »161 qui est définie comme « un ensemble de moyens en
capital et en travail destiné à assurer la production de biens et de services »162.

Pour les représentants de cette approche, la société est le support juridique de l’entreprise,
ce qui fait de l’intérêt social, l’intérêt de l’entreprise. Selon Paillusseau, « la société est une
structure d’accueil de l’entreprise (…) : ou bien la société a été spécialement constituée pour
recevoir une entreprise individuelle qui existe et qui fonctionne, et elle est la structure
d’accueil, de l’organisation juridique de cette entreprise ; ou bien la société est créée pour
exercer une activité économique (…) et une entreprise naît et se développe, la société est
l’organisation juridique de cette entreprise »163.

Cette conception qui est orientée vers les nécessités économiques, différencie entre
l’entrepreneur (sujet de droit) et l’entreprise (entité où véhiculent les intérêts de plusieurs
parties de l’activité économique). L’entrepreneur symbolise la personne physique ou la

160
Jean PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit…», op. cit., p. 102.
161
Noëlle LESOURD, « L’annulation pour abus de droit des délibérations d’assemblées générales », in RTD com., 1962, p. 14, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 99.
162
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 319.
163
Jean PAILLUSSEAU, « La modernisation du droit…», op. cit., p. 292.

63
société qui, bénéficiant de la personnalité juridique, elle dispose de pouvoirs lui permettant de
s’approprier des biens de production et contracter avec des tiers afin d’exploiter une
entreprise164.

L’entreprise est de ce fait la conséquence de la participation de l’entrepreneur dans la


création et le développement d’une activité économique 165. Ainsi, l’entreprise ne peut être
conçue comme une chose appartenant à l’entrepreneur. Elle doit s’analyser comme une entité
économique comprenant plusieurs éléments, notamment du personnel, des moyens techniques
et des capitaux, organisés dans le but de réaliser une activité économique prospère et durable.

Cette conception de l’intérêt social prend en compte le fonctionnement de l’entreprise qui


œuvre pour la société, afin d’appréhender cette dernière. Il en résulte que l’entreprise, entité
économique, complémente le côté juridique de la société, ce qui fait que l’intérêt social ne
peut se limiter seulement à l’intérêt de la personne morale.

L’intérêt social englobe l’intérêt de l’entreprise qui est la réalité économique, financière et
humaine à laquelle la société sert d’enveloppe juridique 166. Il s’agit donc de l’intérêt d’« un
organisme économique, point de rencontre de multiples intérêts »167. Il s’ensuit, que tout acte
qui contrarie la fonction de l’entreprise est contraire à son intérêt.

A cet effet, en optant pour la continuité et la prospérité de l’entreprise, l’intérêt de


l’entreprise assume que les dirigeants adoptent une gestion sur le long terme, ce qui justifie la
mise en réserve du bénéfice social afin d’assurer la prospérité de la société dans le futur. Cette
démarche ne s’accommode pas avec l’intérêt commun des actionnaires qui se traduit par la
répartition immédiate du bénéfice social.

En effet, cette conception large de l’intérêt social a pour vertu de combattre le péril
économique et social de la gestion de la société qui se fait par la maximisation du profit à
court terme au profit des actionnaires, et ce en encourageant la continuité économique de
l’entreprise à long terme, tout en prenant en considération les intérêts catégoriels impliqués
dans l’entreprise168.

164
23.‫ص‬،‫ المرجع السابق‬.‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
165
Jean PAILLUSSEAU, « L’efficacité des entreprises… », op. cit., p. 23.
166
36.‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬.‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
167
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 319.
168
Olivier CAPRASSE et Roman AYDOGDU, op. cit., p. 10.

64
Pour conclure, il est primordial de dire que le caractère économique de l’entreprise a
largement influencé la définition de l’intérêt social, de sorte à assimiler ce dernier à l’intérêt
de l’entreprise. Ce dernier, assure la continuité de l’entreprise, afin de réaliser sa finalité, et ce
par la prise en considération des intérêts catégoriels.

B- La prise en compte des intérêts catégoriels :

L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise, assume que cette notion


engloberait des intérêts plus larges que ceux des seuls actionnaires ou uniquement celui de la
personne morale.

En effet, cette conception de l’intérêt social comprend non seulement l’intérêt des
actionnaires, mais également ceux d’autres parties qui participent à son fonctionnement, en
l’occurrence les parties prenantes ou les stakeholders.

Les stakeholders de la société commerciales sont « les individus, les agents, les entités,
les groupes, qui sont susceptibles d’affecter des activités ou d’être affectés par des activités.
Ils contribuent- volontairement ou involontairement- à la réalisation de l’objet social de la
société commerciale, qui tend à la création de richesses, et sont dès lors, ses bénéficiaires, ses
preneurs de risques ou ses victimes potentielles »169. Parmi ces parties prenantes, il y a les
salariés, les clients, les fournisseurs, les créanciers, le fisc... A contrario, l’intérêt social inclus
toutes les parties qui entrent en relation avec la société. Cette dernière ne serait plus, dans ce
cas, considérée comme une chose appartenant aux actionnaires.

L’intérêt de l’entreprise s’explique par le fait que les actionnaires ne peuvent être les
propriétaires de l’entreprise. Ils ne peuvent être les propriétaires des fournisseurs ou des
salariés…Mais, ils disposent d’un pouvoir de gestion et de contrôle qui doit être exercé en
fonction de l’intérêt de la personne morale structure d’accueil de l’entreprise.

Selon cette théorie, l’intérêt social ne peut se limiter à l’intérêt de l’une des parties
prenantes. Il est l’intérêt propre de l’entreprise qui transcende tous ces intérêts. C’est ainsi que
les auteurs du rapport Vienot170, définissent l’intérêt social comme : « l’intérêt supérieur de la
personne morale elle-même, c’est-à-dire l’entreprise considérée comme un agent économique
autonome, poursuivant des fins propres, distinctes, notamment de celles de ses actionnaires,
169
Yves DE DORDT, op. cit., p. 28.
170
Ce rapport intitulé « Le conseil d’administration des société cotées » a été publié par un comité de dirigeants créé par le Conseil National du Patronat Français (CNPF) et

l’Association française des entreprise privés (AFEP) et diriger par Marc Vienot, le PDG de la Société Générale. Selon ce rapport, le rôle du conseil de l’administration ne se
limite pas à maximiser la valeur de l’action, mais doit être guidé par l’intérêt de l’entreprise.

65
de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui
correspond à leur intérêt général commun qui est d’assurer la continuité et la prospérité de
l’entreprise »171. L’entreprise permet ainsi, la fusion de l’intérêt des actionnaires et des
intérêts des autres parties prenantes afin d’assurer la créativité de l’économie.

Cette conception permet non seulement une protection à l’ensemble des intérêts
catégoriels, mais également la protection de la société, ce qui assure son bon fonctionnement
et sa continuité à long terme.

C’est dans ce sens que Paillusseau définit l’intérêt social comme « l’intérêt propre d’une
entité autonome et indépendant » en ajoutant que «la protection de l’intérêt de l’entreprise-où
des intérêts dont la société est la cause et le support- est le meilleur garant de la protection de
l’ensemble des intérêts catégoriels. Il est évident que si l’entreprise est la cause de l’existence
de tous ces intérêts, sa prospérité est aussi le dénominateur commun de leur protection. C’est
dans la perspective de son expansion et de sa rentabilité que des associés lui ont apportés des
fonds, que des tiers lui ont accordés du crédit, que des dirigeants la conduisent, que des
salariés et des cadres y travaillent, que des partenaires l’admettent dans une centrale d’achat
ou d’un groupement d’intérêt économique (…) »172. En effet, l’entreprise est conçue comme
un tout173 et ne peut être une combinaison des actionnaires uniquement.

La doctrine étasunienne a également adhéré à cette conception, à travers Stout qui trouve
que subordonner l’objectif de la firme à la satisfaction de l’intérêt des actionnaires est une
erreur174. Un autre auteur affirme que le fait de prendre en considération les intérêts des
partenaires de la société est indispensable pour les sociétés anonymes, dont la mesure où ses
partenaires sont inévitables et essentiels pour leur existence175.

Au final, l’intérêt de l’entreprise se traduit par la continuité et le développement de


l’entité économique. Respecter cet intérêt, c’est garantir la pérennité de la société et par le
même biais combler l’intérêt des actionnaires et celui des autres parties prenantes.

Plus précisément, l’entreprise poursuit un intérêt distinct de l’intérêt des actionnaires, l’un
vise la prospérité à long terme, l’autre vise le profit à court terme. Les deux intérêts ne
171
Rapport VIENOT, éd. ETP, juillet 1995, p. 9.
172
Jean PAILLUSSEAU, « L’efficacité des entreprises… », op. cit., p. 23.
173
Margaret BLAIR, « Ownership and control : Rethinking corporate governance for the twenty-first century », in The Brookings Institution, Washington D.C., 1995, spé., p. 231, cité par

Stephane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p. 16.


174
Lynn STOUT, « Why We Should Stop Teaching Dodge v. Ford ? », in UCLA School of Law, Law-Econ Research Paper n° 07-11, 2007, p. 3. Cet auteur décline la

conception qui assimile l’intérêt social à l’intérêt des actionnaires, cité par idem, p. 25.
175
Lawrence MITCHEL, « A Theorical and Practical Framework for Enforcing Corporate Constituency Statutes », in Texas Law Review, 1992, Vol. 70, p.579, cite par idem, p. 26.

66
peuvent être amalgamés. Toutefois, poursuivre l’intérêt de l’entreprise finira par générer du
profit aux actionnaires, alors que l’inverse est difficile à réaliser.

Du côté de la jurisprudence marocaine, une décision a énoncé que la désignation d’un


administrateur provisoire est faite dans l’intérêt de l’entreprise. En effet, la Cour d’appel de
commerce176 a indiqué que « attendu que le mandat des membres du conseil d’administration
a pris fin et que la confiance fait défaut entre les parties ; ce qui entraine une paralysie totale
de la vie de la société du fait que les organes de gestion ne sont plus fonctionnels, la
désignation d’un administrateur provisoire pour la vente de la cargaison des navires de la
société est largement justifiée et le juge des référés est compétent, sans qu’il y ait besoin d’un
texte spécial (…), cette compétence provient de l’état d’urgence justifié par la protection de
l’entreprise et la garantie de sa pérennité, et ce à travers la réalisation de la vente de la
cargaison dans le temps imparti permettant, ainsi à la société de s’acquitter de ses dettes et
l’aménagement des navires, de manière à ce que ces derniers ne ratent pas les expéditions de
pêche suivantes ».

Une autre décision de justice a montré que c’est l’intérêt de l’entreprise qui est pris en
considération lors de la procédure des entreprises en difficulté. Le Tribunal de première
instance177 a précisé que « le but de la procédure des entreprise en difficulté est de protéger
l’institution en premier lieu et de remédier à ses difficultés et d’une manière indirecte
protéger les créanciers et plus spécifiquement la création de l’emploi ».

Néanmoins, il convient de signaler que quelle que soit la finalité de l’activité économique
de la société, les actionnaires comme les juges ne peuvent porter atteinte au fondement de la
société qui consiste en la distribution du bénéfice social entre les actionnaires, et ce selon les
termes des articles 1033 et 1034 du D.O.C.

Mais, lorsque le report du bénéfice social est plus bénéfique pour la société que sa
distribution, l’intérêt de l’entreprise surgit afin de protéger l’intérêt de la société et la mise en
réserve du bénéfice l’emporte sur sa distribution. Ce cas est l’un des cas où l’intérêt de la
société et l’intérêt des actionnaires se trouvent opposites.

Cette situation a été traitée par la Cour d’appel de Paris 178 ou l’intérêt de l’entreprise a été
adopté afin de protéger l’intérêt de la société contre les intérêts des actionnaires. En l’espèce,

176
CA. Com. Marrakech, 7 jan. 1999, n° 24, doss. n° 98/210, in GTM, n° 92 jan. fév., 2002, p. 179.
177
Trib. Com. Marrakech, doss. com., n° 1/98, déc. n° 7/4/99, in GTM, n° 81, p. 195 .
178
CA. Paris, 22 févr. 1959, in JCP 1959, II, n° 11175, note D.B., cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., pp. 70 et 76.

67
la bonne gestion de la société avait permis de concentrer les réserves durant les exercices
précédents et d’atteindre deux fois et demie le capital social. Suite à une délibération,
l’assemblée générale des actionnaires décida de reporter à nouveau les bénéfices, afin de ne
pas recourir à une augmentation de capital. La Cour de Paris a annulé cette délibération suite à
une action engagée par certains actionnaires insatisfaits, en se basant sur la violation du pacte
social qui assume la distribution des réserves.

Cet arrêt a été par la suite cassé par la Cour de cassation qui a reconnu que la libre
utilisation des réserves par l’assemblée générale ordinaire est conforme à l’intérêt de
l’entreprise et l’évolution du droit des sociétés selon les mutations économiques179.

Cette décision montre, encore une fois, que la prise en considération de l’intérêt de
l’entreprise assure l’autofinancement de la société et sa continuité, ce qui permet de la
prévenir contre les aléas du futur, contrairement aux intérêts des actionnaires qui se traduisent
par la distribution immédiate du bénéfice social. Ceci prouve également, qu’en cas
d’interférence entre les intérêts des actionnaires et l’intérêt de la société, c’est ce dernier qui
l’emporte.

Dans le même parcours jurisprudentiel, l’intérêt de l’entreprise a été utilisé afin de


protéger l’intérêt de la société, l’intérêt des actionnaires et ceux des tiers contre les dirigeants.
Ainsi, la chambre criminelle180 a déclaré que « l’incrimination d’abus de biens sociaux a pour
objectif de protéger non seulement les intérêts des associés, mais aussi le patrimoine de la
société et les intérêts des tiers qui contractent avec elle ». Dans un autre arrêt181, la même
chambre a affirmé que « les abus de biens sociaux portent atteinte non seulement aux intérêts
des associés, mais aussi à ceux des tiers qui contractent avec elle ».

La vision large de l’intérêt de la société a été reconnue par la jurisprudence française,


notamment, par le célèbre arrêt Fruehauf qui a pris en considération l’intérêt de l’entreprise
lors de la nomination d’un administrateur provisoire.

Il s’agit de la société Fruehauf France, contrôlée par un groupe financier américain qui
avait passé, en décembre 1964 un marché portant sur la construction de semi-remorques avec
la société des Automobiles Berliet. Ce matériel était destiné à l’équipement de camions
vendus par la société des Automobiles Berliet à la République Populaire de la Chine, qui était

179
Ibid.
180
Cass. Crim., 12 déc. 1971, in Bul. crim., n° 272 cité par Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires…, op. cit., p. 364.
181
Cass. Crim., 26 mai 1994, in Bul. crim., n° 206, cité par ibid.

68
à l’époque sous embargo des Etats-Unis. Lorsque la société mère américaine (Fruehauf
international détenant 60% du capital de Fruehauf France) a appris la destination de ce
matériel, elle a donné l’ordre au conseil d’administration de sa filiale d’annuler l’exécution de
ce contrat, jugé contraire à l’intérêt national des Etats-Unis.

Devant les conséquences sociales et financières graves qui pouvaient résulter de la


résiliation de ce contrat, les actionnaires de la société Fruehauf France demandèrent en référé,
la nomination d’un administrateur provisoire au motif que ce refus d’exécution du contrat
était contraire aux intérêts de la filiale.

Ainsi, la Cour de Paris182 a désigné un administrateur provisoire dans l’intérêt de la


société « chargé de gérer activement et passivement la société et notamment d’exécuter les
commandes en cours ». La Cour de Paris a estimé que la nomination d’un administrateur
provisoire était nécessaire, compte tenu des conséquences catastrophiques qu’aurait entrainées
la résiliation du contrat Berliet.

Elle a déclaré que de telles incidences « seraient de nature à ruiner l’équilibre financier
et le crédit moral de la société Fruehauf France et à provoquer sa disparition et le
licenciement de plus de six cents ouvriers ». La Cour d’appel a estimé que « le juge des
référés doit s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts personnels de certains
associés, fussent-ils majoritaires, et qu’il n’est nullement certain, au surplus, que cette
nomination soit contraire aux intérêts réels des appelants ».

Cette décision a rejeté l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt des actionnaires et a pris
en considération celui de l’entreprise vue comme une entité économique, point de
concentration de multiples intérêts : les intérêts des apporteurs de capitaux, les intérêts des
fournisseurs, les intérêts des six cents salariés, les intérêts des créanciers.

Mis à part les intérêts catégoriels, c’est la pérennité de la société qui est assurée à travers
l’intérêt de l’entreprise. En effet, c’est par le biais de cet intérêt que la jurisprudence assure la
protection de la société et des différents intérêts qui lui sont attachés.

Dans le même sens, c’est l’intérêt de l’entreprise qui a été pris en considération lors de
l’affaire Fortis en Belgique. Le président du Tribunal de commerce de Bruxelles 183 a affirmé
que l’intérêt social du groupe Fortis avait « plusieurs composantes », en faisant allusion aux
182
CA. Paris, 22 mai 1965, in JCP 1965, II, n° 14274 bis, conclu. Avoc. Gén. NEPVEU ; D. 1968, chr., p. 45, R. CONTIN, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., pp. 70 et

76.
183
Trib. Com. Bruxelles, 18 nov. 2008, in J.T., 2008, p. 703 cité par Olivier CAPRASSE et Roman AYDOGDU, op. cit., p. 10.

69
différentes parties prenantes et en signalant la nécessité de prendre en considération
les « milliers de clients et déposants de Fortis », des salariés de l’entreprise et de l’ensemble
de l’économie belge.

Même si sa position a été un peu confuse lors de son appréciation de la décision contestée
par les actionnaires minoritaires, la Cour d’appel184 a estimé qu’ « il n’est pas déraisonnable
de se demander si les décisions rencontrent effectivement le meilleur intérêt de la société et de
ses actionnaires, voire même de l’ensemble des stakeholders ».

L’ensemble de ces décisions confirment que la prise en considération des intérêts


catégoriels n’est pas contraire à l’intérêt social et ne peut être que bénéfique pour la société et
sa pérennité.

Toutefois et malgré la préférence de la jurisprudence de l’intérêt de l’entreprise, elle


réfute aux tiers, représentants des autres intérêts que l’on qualifie de catégoriels, de se
constituer partie civile en soulevant que seuls les actionnaires sont considérés victimes d’un
abus et peuvent subir un préjudice. C’est ainsi qu’il a été déclaré irrecevable 185 l’action des
créanciers, de cautions qui ont garanti les dettes de la société, des commissaires aux comptes
et des salariés186.

Les juges anglo-saxons ont également penché vers la conception large de l’intérêt social
lors de l’appréciation de certaines résolutions.

C’est ainsi que le droit canadien et suite au défaut de définition de l’intérêt social 187, la
jurisprudence a été, dans un premier temps, tentée par l’intérêt des actionnaires 188. Toutefois,
son penchant vers l’intérêt des actionnaires a commencé peu à peu à s’orienter vers l’intérêt
de l’entreprise.

184
CA. Bruxelles, 12 déc. 2008, in T.R.V., 2009, p. 67, cité par ibid.
185
Cass. Crim. 24 avril 1971 ; Cass. Crim. 25 nov. 1975 ; Cass. Crim. 29 nov. 1960, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 104.
186
Ibid.
187
L’article 122 (1) de la loi canadienne sur les sociétés par action L.R.C. (1985), chapitre C-44 dispose que : « les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de

leurs fonctions, agir :


a) avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société ;
b) avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ».
188
Le juge Evershed dans l’arrêt Ardene Cinemas précise que l’intérêt de la société ne peut être que l’intérêt des actionnaires. Ainsi, il affirme que « la phrase (la compagnie

dans son ensemble) ne signifie pas que la société est une entité commerciale distincte de ses membres : cela signifie que ses membres en constituent le corps » V. Greenhalgh c.
Ardenne Cinemas (1950), [1951] 1 Ch. 286, p. 291, (C.A.), cité par Stéphane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p. 13.

70
Ainsi, l’arrêt de la Cour suprême de Canada dans l’affaire de magasin à rayon Peoples
Inc. (Syndic de) contre Wise189 a abandonné la vision stricte de l’intérêt social basé sur la
satisfaction de l’intérêt des actionnaires pour une vision plus large qui admet la prise en
considération des intérêts catégoriels. Les juges de la Cour suprême, devaient déterminer si la
mise en place d’une nouvelle politique d’approvisionnement par les administrateurs de la
société Peoples était contraire aux exigences de bonne foi, de diligence et de prudence
prévues à l’article 122 de la loi canadienne sur les sociétés par actions190.

La Cour suprême a énoncé « (…) qu’il ne faut pas interpréter l’expression « au mieux des
intérêts de la société » comme si elle signifiait simplement « au mieux des intérêts des
actionnaires » »191. Elle a ajouté que « (…) pour déterminer s’il s’agit au mieux des intérêts
de la société, il peut être légitime pour le conseil d’administration, vu l’ensemble des
circonstances dans un cas donné, de tenir notamment des intérêts des actionnaires, des
employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de
l’environnement »192.

Cet arrêt a permis de voir dans l’intérêt social non pas uniquement l’intérêt des
actionnaires qui suppose la maximisation du profit à court terme, mais l’intérêt de toutes les
parties prenantes qui participent au fonctionnement de la société, tout en permettant au conseil
d’administration de considérer ces intérêts.

Le droit américain quant à lui, qui est défini au sein de chaque État, ne dispose pas d’un
seul mais de plusieurs droits des sociétés, ce qui rend difficile de connaitre la règle applicable.
Toutefois, le droit de ce pays qui favorise la conception restrictive de l’intérêt social a
commencé à changer d’orientation et à adopter la conception large de l’intérêt social 193.

Ceci est constaté dans l’État du New Jersey, notamment dans l’affaire Smith
Manufacturing Co. contre Barlow. En l’espèce, le conseil d’administration de Smith,
entreprise de valves et de bouches d’incendie, adopte une résolution de contribution à
l’Université Princeton, dont la valeur est de 1500 dollars194.

189
Cet arrêt est disponible à l’adresse suivante : https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/2184/index.do, consulté le 5/20/2016.
190
Idem, p. 16.
191
2004 CSB 68 § 42, cite par ibid.
192
Ibid.
193
21.‫ص‬،‫ المرجع السابق‬.‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
194
Stéphane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p. 23.

71
Cette résolution a été contestée par certains actionnaires mécontents. La Cour suprême du
New Jersey195 donne raison à cette résolution et indique que « (…) les actionnaires
individuels, dont les intérêts privés reposent entièrement sur le bien-être de l’entreprise, ne
devrait pas fermer leurs yeux sur les réalités présentes et contrarier l’action à long terme de
l’entreprise, en reconnaissant et en s’acquittant volontairement de leurs obligations ».

L’affaire Shlenky contre Wrigley s’inscrit dans le même sens, dans la mesure où les
actionnaires minoritaires de la société propriétaire de l’équipe du base-ball de Chicago, Etat
de l’Illinois, ont demandé l’installation de projecteurs dans le stade afin que les matchs
puissent s’organiser dans les soirées. Le conseil d’administration a décliné cette demande
pour motif que la qualité de vie des habitants près du stade sera bouleversée 196. La Cour
d’appel197a rejeté la demande des actionnaires minoritaires et affirme que la dégradation de la
qualité de vie des voisins habitant près du stade, peut nuire à l’intérêt des actionnaires sur le
long terme.

Ce courant jurisprudentiel affirme que la considération des intérêts des parties prenantes
joue dans le meilleur intérêt de la société et permet de la protéger lorsque les intérêts des
actionnaires s’avèrent nuisibles. Toutefois, il ne faut pas pour autant penser que l’intérêt des
actionnaires est par défaut contraire à l’intérêt social. Il ne l’est que dans des situations bien
précises que nous allons traiter et détailler dans le deuxième titre198.

Paragraphe 2 : Les conséquences de la conception de l’intérêt de l’entreprise

Définir l’intérêt social par l’intérêt de l’entreprise ne peut être que bénéfique pour la
société et par corrélation aux actionnaires. Néanmoins, cette conception n’a pas échappé à des
réserves concernant les conséquences qu’elle génère sur la gestion des dirigeants (A) et
l’impact de la prise en considération des intérêts catégoriels sur le fonctionnement de la
société (B).

A- Les conséquences de la conception de l’intérêt de l’entreprise sur la gestion des


dirigeants :

195
Smith Manufacturing Co Barlow (1953), arrêt cité dans T. L. BEAUCHAMP et N. E. BOWIE, « Ethical Theory and Business», Pearson Prentice Hall: New Jersey, 2003,

spe. p. 85, cite par ibid.


196
Ibid.
197
Schlensky c. Wrigley, 237 N.E. 2d 776 (III. App. Ct. 1968, cite par ibid.
198
V. infra, pp. 112 et s.

72
L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise qui prend en considération les
intérêts des parties prenantes a donné lieu à des critiques suite à certaines difficultés pratiques,
notamment la tournure de la gestion des dirigeants.

Cette conception est approuvée en particuliers par les majoritaire et les dirigeants, étant
donné qu’elle renforce la dissociation entre le pouvoir et le capital et réduit les risques de
mise en cause de leur responsabilité199.

Elle assume que les dirigeants soient au service de l’entreprise et non pas au service des
actionnaires. Les dirigeants pourront ainsi, disposer d’une large liberté dans la gestion de la
société et par conséquent échapper au contrôle des actionnaires. C’est pourquoi, l’intérêt de
l’entreprise a été critiqué par le fait qu’il rend la gestion de la société comme une chose
appartenant à un groupe de dirigeants se dissimulant « derrière la bannière de l’intérêt social
entendue comme intérêt supérieur de l’entreprise »200.

En effet, cette conception présente le risque que les dirigeants l’utilisent pour satisfaire
leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt social et peut les encourager à commettre
des abus de biens sociaux.

Ainsi, par la prise en considération des intérêts catégoriels, les dirigeants peuvent
favoriser des intérêts distincts de l’intérêt des actionnaires et peuvent même les négliger et
leur porter atteinte. De plus, les dirigeants pourront satisfaire les intérêts des actionnaires
majoritaires qui sont à l’origine de leur mandat en préjudiciant les actionnaires minoritaires.

D’ailleurs, un auteur signale que cette conception de l’intérêt social « peut être le moyen
d’une confiscation du pouvoir au profit d’une petite oligarchie de dirigeants »201. Pour
certains, « lorsque les dirigeants disposent de grands pouvoirs sur la politique
d’investissement de la société, ils finissent souvent par favoriser leur intérêt personnel peu
importe qu’ils aient une bonne intention »202.

Les dirigeants affirment qu’ils sont les seules qui détiennent des informations sur les
activités et la marche de l’entreprise et de ce fait ils sont les seuls compétents pour déterminer
l’intérêt de l’entreprise. Pour eux, les actionnaires n’ont pas à s’immiscer dans l’intérêt social
199
Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 112.
200 eme
Antoine PIROVANO, « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », in D. 1997, 24 cah. chr., p. 190.
201
Jean Jacques DAIGRE, « Le gouvernement de l’entreprise : feu de paille ou mouvement de fond », in Droit & Patrimoine, Juillet/aout 1996, p. 21, cité par ibid.
202
“When managers are given great discretion over corporate investment policies, they mostly end-up serving themselves, however well-intentioned they may be”, Hanry

HANSMANN et Reinier KRAAKMAN, « The end of history for corporate law », Working paper n° 00-09, Yale Law School, European Corporate Governance Institute, Harvard
Law School, Jan. 2000, p. 7. Cet article est disponible à l’adresse suivante : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=204528, consulté le 8/23/2015.

73
qu’est l’intérêt de l’entreprise. Les actionnaires mécontents du résultat social (spécialement
les minoritaires), auront comme réponse que la gestion ne doit pas être appréciée par le
bénéfice réalisé, puisque l’intérêt social est l’intérêt de l’entreprise qui a pour objectif de
satisfaire les intérêts catégoriels et non pas uniquement l’intérêt des actionnaires 203.

Pour les critiques, cette situation ne fait qu’augmenter le pouvoir des dirigeants et réduire
en même temps le contrôle des actionnaires, notamment les minoritaires. Les dirigeants sont
de ce fait, « juges et partie »204.

L’on pourrait dès lors pousser ce raisonnement plus loin afin de faire face à ces critiques
et souligner que les actionnaires disposent du droit de vote, qui leur permet de voter dans les
assemblées et suivre le cours de la gestion des dirigeants. Ce sont eux qui décident du sort des
résolutions proposées dans le conseil d’administration. De plus, ils disposent de moyens
légaux205 leur permettant de contrôler la gestion des dirigeants et faire face à leurs déviations.

Certes, c’est les dirigeants qui assurent la gestion de la société et qui entretiennent des
relations avec les parties prenantes afin d’assurer la réussite de l’entreprise, mais c’est les
actionnaires qui leur montrent, à travers le vote, le chemin à suivre.

B- L’impact de la prise en considération des intérêts catégoriels sur le


fonctionnement de la société

L’intérêt de l’entreprise a été critiqué par les tenants de l’intérêt commun des actionnaires
en soulignant qu’il ne faut pas négliger que la société a un objet principalement lucratif, dont
le but est l’enrichissement de ses membres.

Or, selon la conception large de l’intérêt social, pour que la société anonyme puisse
prospérer elle doit veiller à garder une bonne relation avec les différentes parties qui
contractent avec elle. Dans ce cas-là, comment les administrateurs, doivent-ils concilier entre
les intérêts des différents stakeholders et l’intérêt des actionnaires ? Doivent-ils être tous pris
en considération pour déterminer l’intérêt social ? Des intérêts qui sont d’ailleurs divergents et
non pas le même poids.

203
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, éd. JOLY, Paris, 2004, p. 61.
204
Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 106.
205
Ces moyens seront traités dans la deuxième partie, ce qui va nous permettre de nous prononcer sur leur efficacité. V. infra, p. 163 et s.

74
Cette diversification des intérêts catégoriels qui sont des fois contradictoires, peut-être
difficile à cerner par les dirigeants 206. Même si la prospérité de la société est une finalité
souhaitée par toutes les parties prenantes, la façon de l’atteindre peut-être à l’origine de
désaccords.

Les dirigeants sont contraints d’atteindre la finalité de la société sans avoir à leur
disposition un processus d’arbitrage entre les intérêts catégoriels. Comment doivent-ils agir
devant cette multitude d’intérêts ? Tel est l’exemple d’un fournisseur qui assure des produits à
la société à un prix plus élevé que celui proposé dans le marché, alors que l’intérêt social est
de se fournir auprès du fournisseur le moins cher. Ce simple exemple montre que l’intérêt de
l’entreprise doit transcender tous les intérêts catégoriels et doit assurer la continuité de
l’activité de la société.

La société n’a pas à satisfaire des intérêts différents des siens. Les dirigeants doivent se
concentrer sur la maximisation de la réussite de l’entreprise à long terme et en cas de
divergence entre les différents intérêts des parties prenantes, seuls les intérêts qui concourent
au succès de l’entreprise doivent être pris en considération.

Au lieu d’être dans une situation de conflit, nous serons dans une situation de
coopération207 qui aspire à la pérennité de la société. L’entente sociale et la confiance des
créanciers de la société ne vont être que bénéfique pour la réussite de la société 208. L’intérêt de
l’entreprise traduit « un but commun de la société qui s’oriente vers une fin qui dépasse les
divers intérêts particuliers animant les actionnaires »209.

En effet, l’intérêt de l’entreprise assume la pérennité, le développement et la prospérité de


la société, ce qui va impliquer l’enrichissement immédiat ou différé des actionnaires. De ce
fait, l’intérêt de l’entreprise est l’intérêt des actionnaires dans le long terme.

Lorsque la société prend en considération les intérêts catégoriels en fonction de leur


importance, l’intérêt social sera différent selon la partie prise en considération, raison pour
laquelle, l’intérêt de l’entreprise transcende tous ces intérêts dans le but d’assurer
l’exploitation et le succès à l’entreprise.

206
Hanry HANSMANN et Reinier KRAAKMAN, op. cit., p. 12. Ces auteurs affirment que les dirigeants pourront être amenés à préférer certains intérêts catégoriels sur

d’autres.
207
Grégory GENGLOS, « Création de la valeur et gouvernance de l’entreprise : Les exigences des actionnaires s’opposent-elles à l’intérêt social ? », in RSG. : Direction et

gestion, Mars/Juni 2007, n° 224-225, p. 103.


208
Olivier CAPRASSE et Roman AYDOGDU, op. cit., p. 12.
209
Yves DE CORD, op. cit., p. 31.

75
En revanche, il ne faut pas introduire dans l’intérêt social des intérêts qui pourront
entraver et alourdir sa marche normale. Elle ne doit pas, non plus, favoriser les intérêts de
certaines parties catégorielles sur son intérêt ou sur celui des actionnaires.

L’intérêt social vu comme étant l’intérêt de l’entreprise implique donc la continuité, le


développement et la réussite de la société, à travers « la satisfaction de ses fondateurs, dont
les objectifs sont réalisés ; des actionnaires, dont les apports sont rentables ; des
fournisseurs, dont les créances sont payées ; des gestionnaires et des travailleurs, qui ont
reçoivent un revenu mensuel ; de la communauté civile et politique, dont la prospérité
augmente »210.

Cependant, une société anonyme ne peut réaliser cet intérêt qu’en prenant en
considération les intérêts des différentes parties impliquées avec elle. En d’autres termes,
l’intérêt des actionnaires et les intérêts catégoriels peuvent « se combiner dans une
perspective de complémentarité, plutôt que d’opposition. La prise en compte de l’intérêt des
autres parties prenantes étant susceptible de se justifier comme un moyen de profitabilité de
l’entreprise et, par ricochet, un retour sur investissement, dans une optique affranchie de
l’obsession du court terme »211. Donc, à travers l’intérêt de l’entreprise, l’activité de
l’entreprise se trouve prospère, la société se développe et se croît, et par le même biais
l’enrichissement des actionnaires est assuré à long terme.

Sous-section 2 : Interrogations quant à la légitimité du juge dans l’intervention


des affaires sociales

Le fait que l’intérêt social « domine le fonctionnement de la société »212, donne une
certaine liberté au juge dans l’appréciation des actes contestés. Cette liberté s’accroit lorsque
cette notion est assimilée à l’intérêt de l’entreprise, vu la multitude d’intérêts catégoriels
qu’elle combine et la difficulté soulevée pour les cerner.

Cette situation pose le problème de la légitimité de l’immixtion du juge dans l’entreprise


qui a d’ailleurs, était longtemps refusée (paragraphe 1), mais qui a fini par être acceptée
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le refus de l’intervention du juge


210
Idem, p. 32.
211
Xavier DIEUX, « Shareholdership V. Stakeholdership : what else? », in Droit des affaires en évolution, journée du juriste d’entreprise, 18 novembre 2010, éd. Bruylant,

Bruxelles, 2010, p. 119.


212
Philippe BISSARA, op. cite, p. 9.

76
L’absence de définition de la notion de l’intérêt social et l’élasticité de l’intérêt de
l’entreprise augmentent considérablement le risque d’immixtion du juge dans la vie sociale,
ce qui lui permet d’imposer à la société sa vision sur l’équilibre des pouvoirs et de s’ériger en
organe social suprême213. Le pouvoir judiciaire est devenu en quelque sorte le concurrent du
pouvoir majoritaire « quant à l’appréciation de ce qui est socialement correct et bénéfique
pour la société »214.

C’est ainsi que « la marge de discrétion, qui est ainsi laissée au magistrat, réveille les
vieux démons : la crainte du pouvoir discrétionnaire du juge et celle du renforcement de son
rôle »215.

Il suffit aux juges « d’invoquer l’intérêt social, qu’ils ne définissent pas, pour faire
pencher la balance vers le débouté des uns ou la condamnation des autres »216. Le juge, au
lieu de prendre ses décisions en se ressourçant de son domaine juridique, il s’infiltre dans le
domaine de la gestion217.

Cette situation laisse le juriste perplexe quant à la compétence du juge pour intervenir
dans les affaires privées de l’entreprise. C’est ainsi qu’il a été considéré qu’ « il n’appartient
pas à un tribunal de se substituer à l’assemblée générale pour apprécier la gestion
d’ensemble d’une entreprise »218.

L’incompétence du juge a été souvent évoquée en doctrine suite à la technicité des litiges
soumis au juge et à la difficulté que rencontrent les juristes lorsqu’ils essaient d’appréhender
l’entreprise. C’est dans ce sens que Dalsace s’attarda sur la difficulté de l’intervention des
magistrats amenés à porter un jugement sur la politique financière de la société 219, et que M.
Guyon précisa que « le rôle des tribunaux ne consiste pas à porter des appréciations d’ordre
économique de la manière dont la société est gérée »220.

Cependant, l’intérêt de l’entreprise est présent dans plusieurs aspects de droit lié à
l’entreprise. Le juge est inévitablement amené à l’apprécier. Mais, est-il compétent pour
critiquer les décisions d’un dirigeant parce qu’elles contrarient l’intérêt de l’entreprise ?
213
Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 114.
214
Idem, p. 115.
215
Céline BLOUD-REY, « Le standard », in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de Mrs. les Profs. Denis ALLAND et Stéphane RIALS, éd. P.U.F., 2003.
216
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 15.
217
Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 115.
218
Cass. com., 16 oct. 1963, in Bull. civ. III, n° 423, cite par Thierry FAVARIO, op. cit., p. 209.
219
A. DALSACE, note sous CA. Grenoble, 6 mai 1964, in D. 1964, jur. p. 783, cité par idem, p. 210.
220
Yves GUYON, note sous Cass. com., 29 mai 1972, in J.C.P. éd. G. 1973 II 17337, cité par ibid.

77
Surtout que la critique que le juge peut faire des décisions du dirigeant peut être la source de
déstabilisation de l’entreprise. Un auteur avait précisé ainsi que l’incompétence du juge est à
l’origine d’un risque « plus redoutable pour les sociétés que la perfidie des majoritaires ne
l’était pour les minorités »221.

En effet, l’immixtion du juge peut éventuellement nuire à la viabilité de l’entreprise en


mettant en cause son bon fonctionnement. C’est ainsi à titre d’exemple que la relation du
travail qui est basée sur le lien de subordination entre le salarié et l’employé et la
reconnaissance du pouvoir d’autorité de ce dernier se trouve désordonnée. À travers son
immixtion, le juge peut détériorer l’autorité de l’employeur et la perturbation prend place dans
l’entreprise.

Toutefois, à travers la définition restrictive de l’abus de majorité 222, les juges se retiennent
de s’interférer dans la loi de la majorité, ce qui n’aurait pas été le cas si la conception la plus
large de l’intérêt social a été retenue dans la définition de l’abus de majorité, car cela pouvait
conduire à « substituer au gouvernement majoritaire un gouvernement judiciaire sur initiative
minoritaire »223.

Egalement, il ne faut pas oublier de mentionner que l’intervention du juge peut entrainer
la disgrâce du dirigeant et déclencher une mauvaise réputation pour la société, ce qui va
influencer négativement sur sa fiabilité financière et provoquer la chute de la valeur des
actions sur le marché boursier et causer ainsi, une perte d’enrichissement pour l’entreprise.

L’inquiétude de remettre en cause le principe d’autorité figurant dans l’entreprise 224, dans
ces plusieurs aspects, traduit le risque de déstabilisation de l’entreprise que peut engendrer
l’immixtion du juge. Ce risque est justifié par le souhait de ne pas empiéter sur le pouvoir de
l’entrepreneur.

Or, le recours à l’intérêt de l’entreprise comporte en lui-même des restrictions sur


l’exercice des prérogatives du titulaire du pouvoir, ce qui légitime l’intervention du juge 225.

Paragraphe 2 : L’acceptation de l’intervention du juge

221
René DAVID, La protection des minorités dans les sociétés par actions, Thèse Paris, 1929, p. 47, cité par Renée KADDOUCH, Le droit de vote de l’associé, Thèse,

Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’AIX MARSEILLE, Faculté de Droit et de Science Politique, 2002, p. 78.
222
La jurisprudence a défini l’abus de majorité en se basant sur la contrariété de la décision contestée à l’intérêt de la société et non pas à l’intérêt de l’entreprise. V. infra, p.

132.
223
Dominique SCHMIDT, note sous Cass. com., 22 avril 1976, in rev. soc. 1976, p. 479, cité par Thierry FAVARIO, op. cit., p. 212.
224
Notamment, l’autorité de la loi de la majorité et l’autorité de l’employeur.
225
Thierry FAVARIO, op. cit., p. 212.

78
L’appréciation que fait le juge d’un comportement ou d’un acte juridique est l’une de ses
taches classiques. Toutefois, le degré de son implication diffère en fonction de la marge
d’intervention qui lui est accordée par le législateur.

Le droit du travail représente l’un des aspects de la vie de l’entreprise où le législateur


reconnait l’intervention du juge dans l’entreprise. En effet, même si l’employeur demeure le
seul juge quant à l’évaluation du caractère fautif des comportements de son salarié, son
évaluation peut être soumise au contrôle du juge, notamment lors de la recherche de la preuve
du motif valable de licenciement226.

Le droit des entreprises en difficulté témoigne également de l’admission de l’intervention


du juge par le législateur. L’intention du législateur à préserver au mieux les intérêts des
différentes parties liées au fonctionnement de l’entreprise (salaries, fournisseurs, clients,
administrations, fisc,…) accorde au juge commissaire une large intervention dans la gestion
de l’entreprise, comme l’illustre bien les dispositions de la loi 73-17. C’est ainsi qu’il est
« chargé à veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en
présence »227.

En raison de l’importance de ses missions, le juge commissaire peut être qualifié de


magistrat économique vu qu’il prend des décisions qui engagent l’avenir de l’entreprise 228.
D’ailleurs, le Tribunal, n’est-il pas le seul à décider de l’avenir de l’entreprise par sa
continuation, sa cession, ou sa liquidation229 ?

L’étude d’autres aspects du droit de l’entreprise aurait montré la croissance de


l’intervention du juge230dans l’entreprise. Ceci révèle clairement que le législateur alloue au
juge de l’entreprise une mission qui dépasse le volet juridique, en mélangeant droit et
économie, et ce lorsqu’il est fait référence à l’intérêt de l’entreprise.

Un auteur l’a d’ailleurs confirmé en précisant que c’est sur la base de l’intérêt de
l’entreprise que l’intervention du juge est admise dans l’appréciation des décisions
financières231, et ce malgré des réticences initiales quant à cette admission.

226
M’hamed EL FEKKAK, Droit du travail, social, 2008, p. 104.
227
Art. 670 de la loi n° 73-17 modifiant et complétant les dispositions relatives aux difficultés des entreprises.
228
Corine SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 4e éd., 2004, p.198.
229
Art. 590 de la loi 15-95.
230
Notamment, lors de l’appréciation de l’abus de biens sociaux. V. infra, p.173.
231
Michel DESPAX, L’entreprise et le droit, éd. L.G.D.J., Paris, 1957, cité par Stephane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p. 7.

79
Selon M. BERTEL, l’intervention du juge dans les affaires sociales est justifiée par
l’imprécision de la notion d’intérêt social en écrivant « qu’il n’appartient pas plus aux
associés qu’aux dirigeants de déterminer l’intérêt social. Ils doivent seulement le respecter,
car il s’agit d’un standard qui s’impose aux uns comme aux autres…A l’évidence, la
détermination du standard échappe à ceux qui auront à le respecter car, comme ailleurs, on
ne peut être juge et partie. Autrement, en l’absence d’une définition légale de l’intérêt social,
seul le juge a le pouvoir, en appréciant son respect, d’en définir véritablement les
contours »232.

Mais, il ne faut pas aller plus loin dans cette réflexion en détruisant la hiérarchie des
pouvoirs instaurée dans la société anonyme et en excluant les actionnaires de la détermination
du contenu de l’intérêt social. Certes, l’immixtion du juge dans la vie sociale est à tolérer en
fonction de son rôle de régulateur des décisions sociales, mais il ne faut pas oublier que le
dernier mot appartient toujours aux actionnaires dans la détermination de la politique sociale.

Titre II : Les intérêts des actionnaires : champs d’interférences avec


l’intérêt social

La société anonyme est la création d’un groupement d’actionnaires qui partage le même
but : l’exercice d’une activité commerciale afin de réaliser du bénéfice social pour pouvoir le

232
Jean Paul BERTEL, « L’intérêt social conclu comme un standard mixte », in, La position de la doctrine sur l’intérêt social, Droit et Patrimoine, avril 1997, p. 48, cité par

Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 115.

80
partager entre eux. Leur intérêt est commun et se traduit par leur enrichissement individuel
suite à l’enrichissement de la société. Société et actionnaires ont donc des intérêts qui
s’entremêlent et se confondent. C’est d’ailleurs la raison qui a poussé un flux doctrinal
d’assimiler l’intérêt social à celui des actionnaires et dire que l’intérêt social est la répartition
du maximum du profit entre les actionnaires dans le court terme. Mais, est-il profitable pour
la société que sa gestion soit exclusivement orientée vers la maximisation de la valeur
actionnariale ?

De plus, au cours de la vie sociale, les actionnaires ou certains d’entre eux ne partagent
plus le même intérêt que celui de la société. Au lieu de satisfaire leur intérêt commun, ils
préfèrent satisfaire d’autres intérêts personnels qui peuvent nuire à l’intérêt social et menacer
la pérennité et le fonctionnement de la société. Dans ce cas-là, une seule question est
prédominante : Quels sont les intérêts des actionnaires qui peuvent porter atteinte à l’intérêt
social ? En effet, à un certain moment, il faut donc assumer que les intérêts des actionnaires
peuvent être dissociés de l’intérêt social et même lui porter atteinte.

Après avoir mis le point sur l’intérêt social dans le premier titre et établi qu’il s’articule
autour de la continuité et l’expansion de la société, tout en prenant en considération les
intérêts des parties indispensables à son fonctionnement, vient le tour des intérêts des
actionnaires et de connaitre leur position vis-à-vis de l’intérêt social, à travers notamment la
détermination des intérêts des actionnaires (Chapitre 1) et le conflit qui peut naitre entre ces
intérêts et l’intérêt social (Chapitre 2).

Chapitre 1 : La détermination des intérêts des actionnaires

La société anonyme qui est l’équivoque de la pluralité de personnes est l’origine d’un
contrat, selon l’article 982 du D.O.C. Cet article dispose que la société est « un contrat par
lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs biens ou leur travail ou tous les

81
deux à la fois, en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter ». Les actionnaires ont
donc un intérêt qui leur est commun. Ils veulent tous profiter du bénéfice réalisé par la
société.

Cette contractualisation de la société a donné naissance à une conception qui trouve que
l’intérêt social ne peut être que l’intérêt commun des actionnaires 233. La société est créée par
un groupement de personnes dont l’intérêt est celui de l’entité qu’ils ont créée. Les deux
intérêts se confondent et ne forment qu’un seul intérêt.

L’étude de cette conception restrictive de l’intérêt social passe nécessairement par


l’analyse de son contenu (section1), ce qui va révéler ses limites (section2).

Section 1 : Le contenu de l’intérêt commun des actionnaires

Mis à part les conceptions de l’intérêt social qui dérivent de l’entité, que ça soit dans sa
définition juridique ou économique, une autre approche doctrinale assimile l’intérêt social à
l’intérêt commun des actionnaires. Ce courant doctrinal a remis en avant le contrat de la
société afin d’assimiler l’intérêt social à celui des actionnaires.

Afin de mieux connaitre le contenu de cette conception, il nous a paru logique de


s’arrêter sur sa compréhension (sous-section1) ce qui va nous faciliter la saisie de ses
conséquences sur le fonctionnement de la société (sous-section2).

Sous-section 1 : La compréhension de l’intérêt commun des actionnaires

La société en tant que personne morale est le résultat d’un ensemble de personnes qui
partagent le même intérêt. Il en découle que l’intérêt social n’est autre que l’intérêt des
individus qui lui ont donné naissance.

Connaitre l’origine de cette conception (paragraphe1) va être utile pour savoir qui
procède à son interprétation (paragraphe2), étant donné qu’il y a plusieurs catégories
d’actionnaires dans la SA.

Paragraphe 1 : L’origine de l’intérêt commun des actionnaires

233
.106‫ ص‬،‫ الرباط‬،‫ دار االفاق المغربية للنشر و التوزيع‬،‫ مبدا المساواة بين المساهمين في شركات المساهمة‬،‫عبد الرحمان السباعي‬.

82
Pour une partie de la doctrine, l’intérêt social s’étend à l’intérêt commun des actionnaires.
Ce sont ces derniers qui l’ont créée, qui la finance, qui désignent et révoquent les dirigeants et
s’ils le souhaitent, la dissoudre.

Cette conception restrictive de l’intérêt social trouve son origine, à la fois, dans la théorie
contractuelle de la société commerciale où la société-institution s’efface au profil du contrat
de société (A) et dans le but de la création de la société, qu’est l’enrichissement de ses
actionnaires (B).

A- La théorie contractuelle de la société commerciale :

L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des actionnaires est issue de la


contractualisation de la société234. Le Pr. Schmidt, chef de fil de cette conception, justifie sa
démarche par l’article 1833 du Code civil français qui dispose que : « toute société doit avoir
un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».

Cette référence aux seuls associés suppose qu’aucun autre intérêt ne doit être pris en
considération. Selon cet auteur, ce texte conçoit que « la société est constituée dans l’intérêt
des associés : elle n’est pas constituée en vue de satisfaire un autre intérêt que celui des
associés, qui ont seuls vocation à partager entre eux le bénéfice social »235.

De même, la définition contractuelle de la société commerciale donnée par l’article


1832236 du Code civil français renforce l’approche de cet auteur en assimilant la société à un
contrat de partage, où les actionnaires se réunissent afin de partager entre eux le bénéfice
réalisé par la société. Cette vision de l’intérêt de la société se trouve également dans l’article
982 du D.O.C. qui donne une définition contractuelle à la société.

Les partisans de cette conception se justifient par le fait que la société 237, qualifiée de
contrat, prend naissance de la rencontre de volonté d’une communauté d’actionnaires. Ainsi,
la société est la propriété des actionnaires, ce qui fait de l’intérêt social la traduction de
l’intérêt de la communauté des actionnaires qui lui ont donné naissance 238. En d’autres termes,
puisque l’objectif de la société est de satisfaire l’intérêt commun des actionnaires qui la

234
184 .‫ ص‬،2011 ‫ البعة االولى‬،‫ دار القلم بالرباط‬،‫ االعتبار الشخصي في شركات المساهمة‬،‫زهير بونعامية‬.
235
Dominique SCHMIDT, « De l’intérêt social », in JCP E, 1995, n° 38, p. 361, cité par Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires…, op. cit., p. 361.
236
Cet article dispose que : « la société est institué par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie

en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».


237
Ici, on parle de la société anonyme.
238
13 .‫ ص‬،186 ‫ العدد‬،2013 ‫ الطبعة االولى‬،‫ مركز االمارات للدراسات و البحوث االستراتيجية‬،) ‫ محاولة لتحديدي المصلحة التي تبغيها الشركة (دراسة قانونية مقارنة‬،‫ بوصلة الشركة‬،‫ عبد السالم محمد البلوشي‬.

83
composent, son intérêt est naturellement leur intérêt, peu importe les intérêts des parties
prenantes239.

En effet, pour les défendeurs de cette conception, l’intérêt social ne peut être que l’intérêt
commun des actionnaires issu du contrat de société 240. Ainsi, il convient de ne pas faire une
distinction entre les deux intérêts. Pour eux, « la société ne vit pas pour elle-même, mais pour
ceux qui la financent, et en déduisent que c’est l’intérêt commun des associés (actionnaires)
qui doit guider les choix effectués par les divers organes sociaux (dirigeants, conseils,
assemblées) »241.

Cette vision de l’intérêt social est renforcée lorsqu’on connait la liberté donné aux
actionnaires de provoquer à leur gré la dissolution prématurée 242 de la société, sans exigence
quant à leur motivation ou de prise en considération des intérêts catégoriels. Ou encore
lorsqu’il y a perte de plus des trois quarts du capital 243, le législateur donne la liberté à
l’assemblée générale extraordinaire pour décider la réduction du capital, la recapitalisation de
la société ou sa dissolution anticipée.

Les défendeurs de cette conception soutiennent que la personne morale n’est qu’une
technique juridique destinée à faciliter le fonctionnement du groupement. C’est un moyen au
service d’un but, elle ne doit pas devenir une fin en soi 244. La société est ainsi, une technique
destinée à enrichir ses membres et à optimiser la valeur de leur titre.

C’est dans ce sens qu’un auteur trouve que la société a «un principe de spécialité légale
selon lequel la société a un objet essentiellement lucratif et ne peut poursuivre d’autre but que
l’enrichissement de ses membres »245. C’est ce but qui sera analysé dans ce qui suit.

B- L’enrichissement des actionnaires de la société :

239
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 37.
240
Philippe GOUTAY et Frédéric DANOS, « De l’abus de la notion d’intérêt social », in D.A. 1997, p. 877, ibid.
241 e
Paul LE CANNU, Droit des sociétés, 2 éd. Montchrestien, Paris, 2003, p. 72.
242
V. Art. 356 de la loi 17-95.
243
V. Art. 357 de la loi 17-95.
244
Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 115.
245
Yves DE CORDT, op. cit., p. 29.

84
Une société est constituée en général, par plusieurs associés/actionnaires, à travers la mise
en commun de leurs apports, afin de réaliser un projet commun qui va leur permettre de
s’enrichir.

Ainsi, la société anonyme est un lieu où se réunissent les capitaux et surtout les hommes
qui partagent une communauté de but, selon les prescriptions de l’article 985 246 du D.O.C. Ce
but est un élément commun entre les parties au contrat de société, à savoir le partage des
bénéfices qui en résulte247.

L’intérêt de tout associé dans la société commerciale en général et la société anonyme en


particulier est donc l’enrichissement248. « Tout associé investi en société pour retirer un
enrichissement personnel. Il attend que la société réalise des profits pour obtenir une
part. »249. Il en résulte que cet intérêt est commun à tous les actionnaires. Ceci ressort
fondamentalement de l’article 982 du D.O.C. et de l’article 1832 du Code civil français.

Le partage du bénéfice se fait par la distribution des dividendes ou des réserves et par la
réalisation d’une plus-value au moment de la cession des parts sociales ou actions 250. C’est ce
partage qui traduit l’intérêt de l’actionnaire dans la société et qui est commun entre les
membres de la société.

Les défendeurs de cette conception restrictive et strictement patrimoniale considèrent que


« l’intérêt social se résume à l’intérêt financier de l’ensemble des actionnaires (the common
interests of sharholders) en proportion de leurs participations respectives »251. La société
anonyme dont l’activité est commerciale, se trouve au centre de ces réflexions.

C’est dans ce sens qu’une décision américaine de l’État de Michigan a donné gain de
cause aux actionnaires de la société Ford Motor en 1919. Les actionnaires de cette société
avaient contesté devant la justice la décision d’Henri Ford refusant de distribuer les profits
très importants aux actionnaires afin de réduire le prix de vente des véhicules et d’embaucher
de nouvelles personnes.

246
Cet article dispose que : « toute société doit avoir un but licite. Est nulle de plein droit toute société ayant un but contraire aux bonnes mœurs, à la loi ou à l’ordre public ».
247
16.‫ ص‬،1995 ،‫ الدلر البيضاء‬،‫ مطبعة النجاح الجديدة‬،‫ الجزء األول في النظرية العامة لشركة‬،‫ دراسة مقارنة و على ضوء المستجدات التشريعية الراهنة‬،‫ الشركات في التشريع المغربي و المقارن‬،‫ع ز الدين بنستي‬..
248
14 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬.‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
249
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 1.
250
Ibid.
251
Yves DE CORDT, op. cit., p. 29.

85
La Cour suprême du Michigan a confirmé que les seuls ayant droit de l’entreprise sont les
actionnaires et que l’entreprise est organisée d’abord pour le profit de ces derniers 252. Il faut
dire que le système juridique américain favorise en général, la conception restrictive de
l’intérêt social et considère que la société doit être gérée en ayant comme intérêt
l’enrichissement de ses actionnaires253.

Parce qu’ils ont un intérêt commun dans la société, les actionnaires doivent ainsi
supporter entre eux les avantages et les risques retirés de la société. Ce partage se fait selon la
part de chaque actionnaire qui est fixée en fonction de leur participation dans le capital
social254 et la distribution du dividende se fait selon cette part.

Le contenu de l’intérêt commun des actionnaires est donc la réalisation et le partage du


bénéfice social. C’est cette communauté d’intérêt qui donne naissance à la société. En cas de
défaut d’intérêt commun, les actionnaires ne pourront pas former une société.

Plus précisément, la société ne présente d’intérêt pour les actionnaires, que parce qu’elle
représente le moyen qui permet de poursuivre un but pécuniaire. Ceci nous amène à dire
qu’une société ne peut être créée, ou gérée dans l’intérêt de certains actionnaires
uniquement255. De même, il est inconcevable que certains actionnaires touchent une part
supérieure de leur dû ou excluent certains actionnaires du partage du profit social. D’ailleurs,
les articles 1034256 et 1035257 du D.O.C. sanctionnent les clauses léonines et l’attribution de la
totalité du bénéfice social a seulement l’un des actionnaires.

En effet, la communauté d’intérêt doit être respectée par tous les actionnaires ce qui
implique que l’actionnaire ne doit pas, à travers ces agissements, rompre cette communauté
d’intérêt. L’actionnaire majoritaire ne doit pas, par exemple, voter en faveur d’une décision
qui va lui octroyer un avantage, ou satisfaire son intérêt personnel aux dépens des autres

252
Dodge c. Ford Motor Co., 170, N.W., 668, 684 (Mich. 1919), cité par Stéphane ROUSSEAU et Ivan TCHOTOURIAN, op. cit., p. 23.
253
21.‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
254
L’article 1033 du D.O.C dispose que : « la part de chaque associé dans les bénéfices et dans les pertes est en proportion de sa mise. Lorsque la part dans les bénéfices est

seule déterminée, la même proportion s’applique aux pertes, et réciproquement. En cas de doute, les parts des associés sont présumées légales. La part de celui qui n’a pas
apporté que son industrie est évaluée d’après l’importance de cette industrie pour la société. L’associés qui a fait un apport en numéraire ou autre valeurs, outre son industrie, a
droit à une part proportionnelle à l’un et à l’autre de ses apports ».
255
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 3.
256
Cet article dispose que : « Est nulle, et rend nul le contrat de société, toute stipulation qui attribuerait à un associé une part dans les bénéfices ou dans les pertes, supérieure

à la part proportionnelle à la mise. L’associé lésé par une clause de ce genre a recours contre la société, jusqu’à concurrence de ce qu’il a touché en moins, ou payé en plus, de
sa part contributive ».
257
Cet article dispose que : « Lorsque le contrat attribue à l’un des associés la totalité des gains, la société est nulle, et le contrat constitue une libéralité de la part de celui qui

a renoncé aux bénéfices. La clause qui affranchirait l’un des associés de toute contribution aux pertes est nulle mais n’annule pas le contrat ».

86
actionnaires. Cette dissociation de la communauté d’intérêt cause un préjudice à la société et
nuit à son intérêt.

Ainsi, pour les partisans de cette conception, « l’intérêt commun des actionnaires est un
principe supérieur du droit des sociétés qui doit guider le comportement des actionnaires 258 ».
De là, découle que c’est aux actionnaires que les dirigeants doivent rendre des comptes et non
pas aux parties impliquées dans le fonctionnement de la société (salariés, créanciers,
fournisseurs,…).

Dans ce même raisonnement, des auteurs affirment qu’« après tout, les administrateurs
manquent de vigilance que nous avons lors de la gestion de notre argent »259 et que « les
administrateurs devraient avoir une responsabilité légale générale de prendre soin de cet
argent comme le ferait une personne raisonnable agissant pour son propre compte. L’argent
en question appartient en général aux actionnaires. Ils contribuent au capital en premier lieu,
ils procèdent spécifiquement à l’élection du conseil, leur bénédiction est requise pour les
grandes transactions. Ils sont là pour gagner un dollar si les directeurs prennent les bonnes
décisions et perdent un dollar s’ils prennent de mauvaises décisions »260.

Au final, les partisans de cette conception confondent intérêt social et intérêt des
actionnaires, en se basant sur la contractualisation de la société. Pour eux, la société n’a qu’un
seul et unique intérêt, en l’occurrence la répartition immédiate du bénéfice social. Quand est –
il, dans ce cas, de la société et de sa prospérité ?

Paragraphe 2 : Mécanisme de définition de l’intérêt commun des actionnaires

L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des actionnaires pose la difficulté de


l’organe compétent pour le caractériser : de qui de l’assemblée générale ou du conseil
d’administration est compétent pour dire que cette résolution sert l’intérêt commun des
actionnaires ou lui porte atteinte ? (A) surtout lorsqu’on sait qu’il y a une multitude de profils
d’actionnaires qui risque de compliquer cette définition (B).

258
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…., op. cit., p. 4.
259
Adam SMITH, The wealth of nations 700, Canadian edition, 1776, cité par Douglas BAIRD and Todd HENDERSON, « Other people’s money », John OLIN LAW & ECONOMICS

working paper, n. 359, Sept. 2007, The law school, The University of CHICAGO, p. 3.
260
Douglas G. BAIRD and M. Todd HENDERSON, cité par ibid.

87
A- L’organe compétent pour interpréter l’intérêt commun des actionnaires :

L’interprétation de l’intérêt commun des actionnaires qui traduit l’intérêt de chaque


actionnaire dans la société à retirer sa part du bénéfice social, incombe logiquement à
l’assemblée générale des actionnaires261. Les décisions relatives à la vie sociale doivent ainsi,
être prises en considération de cet intérêt.

Toutefois, l’affectation aux assemblées générales la mission d’interpréter l’intérêt


commun des actionnaires ne s’accommode pas avec leur rôle qui s’est dégradé dans la
pratique. Ces organes sont devenus presque accessoires 262, vue leur faible utilité devant le
conseil d’administration.

Cette situation est constatée dans les sociétés anonymes ouvertes où le nombre important
des actionnaires et leur absentéisme rend les assemblées des actionnaires dépourvues de toute
efficacité. Quant aux sociétés anonymes fermées, les assemblées reflètent la volonté des
dirigeants qui sont les propriétaires de la majorité des voix de vote263.

C’est dans ce sens qu’un auteur s’est exprimé à propos des assemblées des actionnaires,
en affirmant qu’elles ne sont « ni organe de décision, ni organe de contrôle, ni même
nécessairement organe d’information, peut être parfois collège électoral »264.

De plus, l’attribution à l’assemblée générale la mission de définir l’intérêt commun des


actionnaires va la conduire à s’exprimer sur la politique de la société, ce qui risque d’empiéter
sur les missions du conseil d’administration265.

D’une manière générale, les dirigeants et le conseil d’administration sont les organes qui
disposent de pouvoir dans la société anonyme, ce qui les rend les mieux placer pour définir et
interpréter l’intérêt commun des actionnaires.

Néanmoins, ces organes de gestion seront plus sensibles envers l’intérêt social qui opte
pour l’investissement et la continuité de la société à long terme qu’envers l’intérêt commun
des actionnaires qui opte pour la distribution des dividendes et la maximisation des profits à
court terme.

261
Art. 111 de la loi n° 17-95 dispose que : « l’assemblé générale prend toute les décisions autres que celles visées à l’article précèdent ».
262
‫ديسمر‬2016 .‫ ص‬87 ،‫ العدد الثاني‬،‫ منشورات المجلة المغربية للدراسات و االستشارات القانونية‬،‫ منازعات االعمال بين القانون و الممارسة‬،‫ ضعف تمثيلية المساهمين غير المسيرين على ضوء قانون شركات المساهمة‬،‫ عبد الحق العمرتي‬،
263
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, op. cit., p. 293.
264
Camille JAUFFRET-SPINOSI, « Les assemblés d’actionnaires, réalité ou fiction ? », in (Etudes comparative), Etudes offertes à Réné RODIERE, Paris, Dalloz, 1981, pp.

125 et s., cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 39.


265
V. Art. 69 de la loi n° 17-95.

88
Mais, si la société anonyme est une société de famille, ou si elle est contrôlée par un, ou
plusieurs actionnaires majoritaires, dans ce cas, le dirigeant et le conseil d’administration
préfèreront l’intérêt commun des actionnaires sur l’intérêt de l’entreprise266.

En revanche, les assemblées générales peuvent se prononcer sur l’interprétation de


l’intérêt commun des actionnaires, en votant en fonction de la conformité des décisions avec
cet intérêt, lorsqu’elles seraient saisies pour se prononcer sur une question rentrant dans leur
compétence267.

Les tenants de cette conception affirment toutefois, que la reconnaissance de l’intérêt


commun des actionnaires comme étant la traduction de l’intérêt social, favorise le rôle et le
pouvoir des actionnaires dans les assemblées générales. Pour eux, l’assemblée générale est
l’organe le plus adéquat pour définir l’intérêt commun des actionnaires. Les dirigeants seront
amenés à satisfaire l’intérêt qui est défini par les actionnaires, à savoir le partage immédiat du
profit social et s’ils ne sont pas d’accord avec cet intérêt, ils n’auront qu’a quitté la société 268.
En effet, « les actionnaires déterminent la stratégie sociale par le vote où ils peuvent placer,
renouveler ou retirer leur confiance aux dirigeants »269.

Pour cette conception restrictive, si les dirigeants et administrateurs interviennent dans


l’intérêt social ce n’est pas pour le concevoir, mais plutôt pour veiller à son respect dans la
mesure où « le dernier mot appartient néanmoins aux actionnaires réunis en assemblée
générale dont les décisions traduisent leur commune conception de l’intérêt social, c’est à
dire de leur intérêt commun »270.

Cependant, l’intérêt commun des actionnaires implique la réunion du consentement de


tous ses membres, pour prendre une décision. Mais, ce principe de l’unanimité ne
s’accommode pas avec la pratique qui adopte la règle de la majorité.

Ainsi, l’intérêt commun des actionnaires serait l’intérêt des actionnaires majoritaires qui
résulte des décisions des assemblées générales ordinaires et extraordinaires. L’intérêt de la
majorité exprime l’intérêt commun des actionnaires à condition que la majorité ne prenne pas
de décision abusive qui a pour aspiration de satisfaire son intérêt personnel aux dépens des
autres actionnaires.
266
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 40.
267
Idem, p. 39.
268
20 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
269
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 24.
270
Philippe BISSARA, « L’intérêt social », in Dr. sociétés, janv-mars, 1999, p. 28, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 116.

89
Ce principe de la prise des décisions à la majorité tout en respectant l’intérêt commun a
était énoncé par un arrêt de la Cour d’appel. Cette dernière a affirmé que « si la majorité
d’une assemblée générale peut sous certaines conditions, imposer des décisions valables à la
minorité, c’est uniquement parce qu’elle est présumée agir dans un intérêt social »271.

Ainsi, les décisions sont prises à la majorité et les minoritaires se soumettent à ces
décisions parce qu’elles reflètent l’intérêt de tous les actionnaires et non pas uniquement
l’intérêt des majoritaires272. Cependant, cette règle de majorité est exclue et laisse place au
principe de l’unanimité lorsque la décision a pour finalité l’augmentation des engagements
des actionnaires273.

B- L’impact de la multitude des profils des actionnaires sur la définition de l’intérêt


commun des actionnaires :

L’assemblée générale des actionnaires qui sera amenée à définir l’intérêt social, contient
en son sein deux catégories d’actionnaires qui font l’objet de confrontation classique, à savoir
les majoritaires et les minoritaires.

En pratique, les actionnaires minoritaires protestent contre les résolutions votées par les
actionnaires majoritaires. Ils leur reprochent de gérer et gouverner la société dans leur unique
intérêt et non pas dans l’intérêt de tous les actionnaires.

L’intérêt social défini par les majoritaires reflète la recherche du profit, mais surtout une
quête de pouvoir et du développement de la société dans le long terme, alors que l’intérêt
social des minoritaires traduit surtout la recherche du maximum de profit à court terme. Pour
eux, la politique sociale qui préfère la croissance de la société à long terme ne garantit pas
nécessairement un profit qu’ils pourront obtenir à court terme.

Ainsi, les partisans de l’intérêt commun des actionnaires, réclament la protection des
actionnaires minoritaires par les juges. Notamment, à travers l’abus de majorité qui est
constaté lorsque la décision est contraire à l’intérêt de la société et prise dans l’unique dessein
de favoriser les majoritaires.

271
CA. Paris, 2 nov. 1954, in D. 1954, J. 758, cité par Ilham. MAMOUNI, Th. préc., p. 117.
272
Idem, p. 41.
273
V. Art. 1 de la loi n° 17-95.

90
C’est dans ce sens que les militants 274 de cette conception restrictive soulèvent que les
délibérations qui ne respectent pas l’égalité entre les actionnaires doivent être annulées en
référence aux articles 1833275 et 1844-10276 du Code civil français.

De plus, le Pr. Schmidt trouve que « les sociétés anonymes faisant appel public à
l’épargne se trouvent, des fois, contrôlées par un actionnaire ou un groupe d’actionnaires qui
ne dispose que d’une fraction minoritaire du capital. Ce minoritaire prend des décisions qui
s’imposent à tous les autres actionnaires. La protection des intérêts de ces derniers, contre
les décisions prises en leur absence ou malgré leur opposition, réside dans le respect de
l’intérêt commun de tous les actionnaires »277.

Mis à part cette dualité historique entre majoritaires et minoritaires, il existe d’autres
profils d’actionnaires qui rend la tâche de trouver un intérêt qui leur est commun difficile à
réaliser278. En effet, avec l’évolution du marché boursier, « les actionnaires sont devenus de
plus en plus volages à mesure que la volatilité des marchés augmentait. Qu’y a-t-il de
commun par exemple entre le day-trader, actionnaire d’un jour ou d’une heure, et
l’actionnaire familial ?»279

Par conséquent, nous trouvons que l’assemblée générale des actionnaires, qui lui revient
de définir l’intérêt commun des actionnaires, doit s’assurant que les décisions qu’elle prend
sont conformes à l’intérêt de tous les actionnaires, au risque de générer des conflits entre eux.
Des conflits qui donneront lieu à des dysfonctionnements au sein de la société, et nuire
directement à l’intérêt social.

Sous-section 2 : Les conséquences de l’adoption de l’intérêt commun des


actionnaires sur le fonctionnement de la société anonyme

274
Notamment, Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 189.
275
Cet article dispose que : « toute société doit être constituée dans l’intérêt commun des associés ».
276
Cet article dispose que : « la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre ou

de l’une des causes de nullité des contrats en général ». L’article 1833 se trouve dans le titre mentionné dans cet article.
277
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 7.
278
17 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬.‫عبد السالم محمد البلوشي‬.
279
Jean-Michel DARROIS et Alain VIANDIER, « L’intérêt social prime l’intérêt des actionnaires », in Les échos, le 27 juin 2003.

91
Adopter l’intérêt commun des actionnaires comme étant l’intérêt social suppose un
traitement égalitaire des actionnaires (paragraphe1). Néanmoins, l’existence d’exceptions à
ce principe nous laisse perplexes sur l’efficacité de cette conception (paragraphe2).

Paragraphe 1 : Le respect de l’égalité des actionnaires

En général, l’égalité entre actionnaires peut être définie comme « l’identité des droits et
des obligations afférentes aux actions d’une même catégorie dont jouissent les actionnaires
dans une mesure proportionnelle au nombre d’actions (de cette catégorie) qu’ils possèdent
dans la société considérée »280. Le traitement égalitaire des actionnaires traduit donc, le droit
de chaque actionnaire d’être traité d’une manière égale à celle des autres actionnaires,
lorsqu’il s’agit de la même catégorie d’actions et lorsqu’il y a plusieurs catégories d’actions
bénéficiant de privilèges, d’obtenir les mêmes privilèges liés à ces catégories d’actions que les
autres actionnaires.

L’intérêt commun des actionnaires implique par défaut, un traitement égalitaire des
actionnaires composant la société. Ce traitement est prévu d’une manière directe et indirecte
par certaines dispositions de la loi n° 17-95 281. C’est dans ce sens d’ailleurs, que le
commissaire aux comptes doit « s’assurer que l’égalité a été respectée entre les
actionnaires »282.

Aux termes de la loi suscitée, il s’avère que l’égalité dans les sociétés anonymes
s’applique aux actionnaires et aux actions : lorsqu’un droit est donné en fonction de la
participation de l’actionnaire dans le capital social, tel que le droit au dividende ou le droit au
boni de liquidation, le rapport d’égalité s’effectue d’action à action ; et lorsque l’actionnaire a
un droit qui ne reflète pas sa part de participation dans le capital social, tel que le droit à
l’information, le droit de participer à l’assemblée générale ou encore le droit de céder
librement ces actions, le rapport d’égalité s’effectue entre actionnaires 283.

Par conséquent, l’évaluation du principe d’égalité entre les actionnaires doit se faire « en
se référant aux principaux droits et obligations des actionnaires à l’intérieur de la société.
Dès qu’un certain nombre d’actions ou certains actionnaires se voient réserver un traitement
particulier quant à l’obligation de libération, ou quant à la distribution des bénéfices, au
280
Yves DE CORDT, L’égalité entre actionnaires, éd. Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 296.
281
Notamment, l’égalité dans l’information (articles 141, 148, etc. de la loi n° 17-95) et l’égalité dans les droits patrimoniaux (articles. 184, 189, 210, 213, etc. de la loi n°

17-95).
282
Article 166 de la loi n° 17-95.
283
Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., p. 298.

92
remboursement de l’apport, à l’administration et au contrôle…, le principe d’égalité est
mobilisé et il s’agit d’examiner la légalité et la légitimité de ces différences de traitement »284.

Dès lors, le principe d’égalité des actionnaires n’implique pas qu’ils profitent de droits
égaux où que leurs droits soient strictement proportionnels à leur part dans le capital social.
Ce principe, implique que l’ensemble des droits divergents et inégaux octroyés aux
actionnaires s’exercent en respectant la proportion instaurée dans les statuts285.

Néanmoins, les actionnaires peuvent dans l’exercice de leur droit de vote, poursuivre leur
propre intérêt sans prendre en considération le principe d’égalité. C’est ainsi que l’actionnaire
ou le dirigeant qui vote pour des résolutions, ou passe des actes qui ne respectent pas le
principe d’égalité des actionnaires et qui a pour aspiration de satisfaire son intérêt personnel à
l’encontre de l’intérêt des autres actionnaires, sera sanctionné par le biais de l’abus de droit de
vote, ou l’abus de biens sociaux. Toute décision sociale doit donc tenir compte du principe
d’égalité et dans le même sens de l’intérêt commun des actionnaires.

D’ailleurs, c’est ce traitement égalitaire des actionnaires qui sanctionne les clauses
léonines et les clauses qui exonèrent un actionnaire de sa participation aux pertes, ou qui
attribuent la totalité du bénéfice social à un actionnaire en excluant les autres 286.

Le principe d’égalité des actionnaires implique que « chaque actionnaires dispose d’un
droit égal aux autres actionnaires de participer à l’enrichissement collectif, en proportion de
la part qu’il détient dans le capital social287 ». En effet, l’intérêt commun signifie l’égalité des
actionnaires dans la participation à l’enrichissement social en proportion de leurs droits
individuels288.

Un auteur289 trouve que l’intérêt commun des actionnaires doit atteindre les intérêts de
tous les actionnaires et de se combiner avec le principe d’égalité, de sorte que « les décisions
prises par les organes sociaux produisent, sur tous les actionnaires d’une même catégorie,
des effets semblables et proportionnels à leur quote-part dans le capital pour qu’elles soient
régulières ».

284
Ibid.
285
Idem, p. 303.
286
V. arts. 1034 et 1035 du D.O.C.
287
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 321.
288
Philipe MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 13e. Dalloz, Paris, 2009, p. 68.
289
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 30.

93
Pour conclure, le respect de l’intérêt commun des actionnaires passe par le traitement
égalitaire des actionnaires qui se trouvent dans une situation identique 290. La décision sociale
doit produire les mêmes effets sur les actionnaires en fonction de leur participation au capital
social. Ce traitement égalitaire a pour utilité de combiner entre le respect des actionnaires
minoritaires, la loi de la majorité et l’intérêt social. Toutefois, ce principe n’est pas souvent
respecté.

Paragraphe 2 : La rupture de l’égalité des actionnaires

Divers sont les cas du non-respect de l’exigence inhérente du contrat de société qui est le
principe d’égalité des actionnaires. Certains sont tolérés par la loi (A), d’autres sont
considérés comme illégitimes (B).

A- Une rupture d’égalité tolérée par la loi :

L’intérêt commun des actionnaires milite en faveur d’un traitement égalitaire des
actionnaires qui se trouvent dans la même situation. Ce traitement se fait à travers la
proportion de participation de chacun dans le capital social.

Toutefois, il y a des exceptions à ce principe qui sont établies par la loi et acceptées par
les actionnaires, comme les cas de l’émission d’actions privilégiées, les augmentations de
capital réservées, l’institution du droit de vote double291.

Mais, il est à préciser que si ces inégalités sont prévues par la loi et acceptées par les
actionnaires, y compris ceux qui n’ont profitent pas, c’est parce qu’elles sont bénéfiques pour
l’intérêt commun des actionnaires.

En effet, même si l’attribution de certains avantages remet en cause le principe d’égalité


des actionnaires, elle ne lèse pas, pour autant leur intérêt commun. Cette rupture d’égalité joue
dans l’intérêt social292 ce qui va être bénéfique pour l’intérêt des actionnaires.

C’est ainsi que le Pr. Schmidt voit dans la suppression du droit préférentiel de
souscription293 et la création d’actions privilégiées, des moyens qui servent l’intérêt social. Cet
auteur écrit que « dans tous les cas, la rupture d’égalité est consommée, mais elle est voulue

290
Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., p. 302.
291
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 2.
292
. 149‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد الرحمان السباعي‬.
293
Dans un autre sens, un auteur critique cette suppression et affirme qu’elle représente une modalité « d’exclusion indirect et partielle de l’actionnaire par la réduction, d’une

part, de son influence sur la société et, d’autre part, sa quote-part sur l’actif social », Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 54.

94
car les associés estiment que les faveurs ainsi consenties contribuent au développement de la
société et à l’enrichissement collectif, de sorte que la part qui reviendra à chacun sera plus
importante que si ces faveurs avaient été refusées. Une rupture d’égalité peut servir l’intérêt
de tous : l’inégalité acceptée manifeste la force de la communauté d’intérêt »294.

La rupture de l’égalité des actionnaires n’est donc pas une atteinte au pacte social.
L’intérêt social ne suppose pas toujours que les actionnaires soient traités d’une manière
égale. C’est dans ce sens que le Pr. Lamrini affirme que « l’égalité n’est ni absolue, ni
d’ordre public, dans la mesure où l’assemblée générale peut, lorsque l’intérêt social l’exige,
prendre des décisions attentatoires à l’égalité, mais sans que l’atteinte puisse aboutir à
l’annulation. C’est-à-dire que l’inégalité est admise si elle est juste »295.

Cette rupture d’égalité a poussé Shmidt296 a affirmé que l’intérêt commun des actionnaires
ne signifie pas « l’égalité entre actionnaires ou l’égalité entre actions ». Pour lui, cet
intérêt « n’exige que l’équité, c’est-à-dire l’attribution à chacun de la part qui lui revient
dans la société, l’égalité dans le partage proportionnel aux droits de chacun ».

En effet, l’égalité entre actionnaires ou l’égalité entre actions ne peut se réaliser vue que
le nombre d’actions détenues par les actionnaires et leur nature 297 diffère d’un actionnaire à un
autre. En revanche, le traitement égalitaire et l’équité se confondent lorsqu’on postule que
toute décision sociale doit avoir les mêmes effets sur les actionnaires en fonction de leur
participation.

B- Une rupture d’égalité condamnée par la loi :

La société anonyme est bien un contrat de nature particulière 298, qui fonctionne selon la
loi de la majorité en excluant les actionnaires minoritaires du pouvoir de décision. Cette
situation secrète souvent des cas où les actionnaires majoritaires font l’objet d’un abus de leur

294
Dominique SCHMIDT, « L’intérêt commun des associés », in RD bancaire, 1994, n° 45, p. 204 et s., cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 322.
295
634 ،‫ ص‬،1997 ،‫اكدال‬،‫ الرباط‬، ‫ جامعة محمد الخامس‬،‫ كلية العلوم القانونية و االقتصادية و االجتماعية‬،‫ أطروحة لنيل دكتورة الدولة في الحقوق‬، ‫ دراسة مقارنة‬،‫ األغلبية في شركة المساهمة‬،‫ عبد الوهاب المريني‬, cité par Abdeljalil

ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 99.


296
Ibid.
297
V. arts. 246 et 273 de la loi n° 17-95 sur les actions nominatives, Art. 257 sur les actions bénéficiant du droit de vote double, Art. 259 sur la proportionnalité du droit de vote,

Art. 263 sur les actions à dividende prioritaire sans droit de vote, etc.
298
Ahmed CHOUKRI SBAÏ, Traité du droit commercial et comparé, T. 5, 1992, p. 22.

95
droit de vote, en portant atteinte aux actionnaires minoritaires et en rompant ainsi, l’égalité
des actionnaires.

Certes, cette atteinte à l’égalité est tolérée par la loi lorsqu’elle serve l’intérêt de la
société, mais elle n’est pas légitime lorsqu’elle a uniquement pour aspiration de porter atteinte
aux intérêts des actionnaires minoritaires.

Le contrôle de la société anonyme est tributaire de la loi de majorité. La société est, de ce


fait, contrôlée par celui qui détient la majorité du capital seul ou en formant un groupe. En
effet, un seul actionnaire peut avoir plusieurs voix et contrôler seul la société, sinon il peut
toujours faire alliance avec d’autres actionnaires et formé une majorité.

Lors des assemblées générales des actionnaires, c’est la loi de la majorité qui l’emporte et
qui « exprime la volonté sociale en vue de la réalisation du but social dans l’intérêt de la
collectivité des associés »299. Si cette loi de majorité est acceptée par tous, c’est parce qu’elle
sert l’intérêt commun de tous les actionnaires.

Par ailleurs, cette loi engendre souvent une manipulation du vote et au lieu d’exprimer la
volonté de tous les actionnaires, elle exprime la volonté de celui qui détient le contrôle en
cherchant à satisfaire un intérêt personnel300.

La gestion de la société en fonction du pouvoir d’une puissance déterminée au détriment


d’autres détenant du capital ne peut être acceptée, raison pour laquelle la jurisprudence
qualifie certaines décisions d’abus de majorité 301. Bien entendu, les actionnaires minoritaires
peuvent également être à l’origine d’un abus de droit de vote et voir leurs décisions qualifiées
d’abus de minorité302.

À cet égard, le traitement égalitaire des actionnaires ne peut être considéré comme une
règle absolue, puisque son respect est tributaire des exigences de la vie des affaires et de la
situation dans laquelle il doit s’appliquer. En conséquence, l’intérêt commun des actionnaires
n’est pas cet intérêt qui permet aux actionnaires d’avoir les mêmes avantages. Il postule la
rupture d’égalité lorsque l’intérêt social l’exige.

Section 2 : Les limites de l’intérêt commun des actionnaires

299
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 47.
300
Ibid.
301
V. infra, p. 132, sur la définition de l’abus de majorité
302
L’abus de minorité sera traité d’une manière détaillée dans la deuxième partie. V. infra, p. 146.

96
L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des actionnaires traduit une culture
de la maximisation des profits des actionnaires, sans qu’ils s’intéressent à la politique sociale
du long terme.

L’intérêt commun des actionnaires ainsi défini n’est pas illégal, c’est même l’essence de
la création de la société. Cependant, cette assimilation révèle certaines limites suite à sa
distinction de l’intérêt social dans certaines situations (Sous-section1) et suite aux critiques
quant à son application dans la pratique (Sous-section2).

Sous-section1 : La distinction entre l’intérêt commun des actionnaires et l’intérêt social

Afin de pouvoir arriver à la conclusion que l’intérêt social et l’intérêt commun des
actionnaires peuvent être deux notions distinctes, il convient de déterminer le champ
d’application de chacune d’elles (paragraphe1) pour pouvoir constater que l’une constitue la
limite de l’autre (paragraphe2).

Paragraphe 1 : le champ d’application des deux notions

L’utilisation de l’intérêt commun des actionnaires comme étant l’intérêt social génère des
cas, où ces deux intérêts ne se confondent plus, mais se distincts. Il s’agit des cas, ou la
préservation de l’intérêt social n’admet pas, au même moment, le respecter de l’intérêt
commun des actionnaires.

Cette distinction entre les deux intérêts se constate lors de la détermination du champ
d’intervention de chacun d’eux.

Dans ce sens, un auteur affirme que « celle-ci [l’approche restrictive de l’intérêt de la


société] trouve son fondement légal dans l’intérêt commun des associés, celle-là [l’approche
extensive] cherche sa légitimité dans l’intérêt de l’entreprise et dans l’intérêt général
commun ». La première, incite la société à la satisfaction des intérêts des actionnaires, à savoir
le partage du bénéfice, tandis que la deuxième lui assigne « des fins propres, distincts
notamment de celles des actionnaires »303, qui se traduisent par la protection de la personne
morale distincte des actionnaires.

En cela, l’intérêt commun se distingue de l’intérêt social, « celui-ci doit guider le


gouvernement général et la société ; celui-là doit régir les attributions particulières de gains
ou d’avantages aux associés. L’un est plus tourné vers le collectif, l’autre plus vers
303
Dominique SCHMIDT, « De l’intérêt…», op. cit., p. 130 et s., cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 321.

97
l’individuel »304. Alors que l’intérêt commun des actionnaires intervient dans les relations
entre les actionnaires, l’intérêt social s’occupe des relations qu’entretiennent les actionnaires
avec la société, personne morale.

C’est ainsi que le Pr. Bertel a estimé « qu’il y aurait en quelque sorte deux vitesses dans
l’intérêt social : l’intérêt immédiat des associes, appréhendés individuellement ou
collectivement, qui conduit à prendre en considération leurs légitimes désirs de rémunération
et de valorisation de l’investissement effectué, et l’intérêt en quelque sorte différé de
l’entreprise qui suppose, pour assurer sa pérennité, de ne pas avoir les yeux rivés uniquement
sur le court terme »305.

Tel est le cas d’une décision sociale qui opte pour la distribution du dividende. Cette
décision satisfait l’intérêt commun des actionnaires en les enrichissant, toutefois, elle ne sert
pas l’intérêt social qui commande la mise en réserve du bénéfice afin de s’auto-investir et
d’assurer sa continuité. Ceci n’exclut pas le fait de trouver un compromis entre les deux
intérêts.

C’est dans ce sens que la société AUTO NEJMA 306 a mis en place un palliatif à la
distribution des bénéfices afin de préserver à la fois l’intérêt social par l’affectation des
bénéfices dans les réserves et l’intérêt des actionnaires par le remplacement de la distribution
des bénéfices par une attribution gratuite d’actions. Selon un responsable de la société, cette
solution présente « l’avantage de permettre à la société de conforter son financement à long
terme et à l’actionnaire de bénéficier immédiatement d’un avantage patrimonial sous forme
de titres gratuits porteurs de dividendes supplémentaires futurs »307.

Ce constat ne fait qu’affaiblir les tenants de la conception restrictive de l’intérêt social. En


effet, l’intérêt social ne peut être uniquement et strictement assimilé à l’intérêt commun des
actionnaires. Certes, l’intérêt des actionnaires est un intérêt légitime et légal.

D’ailleurs, la distribution du bénéfice social est la raison qui les a poussé à créer une
société, mais ceci ne permet pas de limiter l’intérêt social à leur intérêt. L’intérêt des
actionnaires doit être protégé jusqu’à ce que l’opération envisagée fasse courir un risque à
l’intérêt social.

304
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 164.
305
Jean Paul BERTEL, « Liberté contractuelle… », op. cit., note 112, p. 625.
306
Société de droit marocain cotée à la bourse de Casablanca depuis avril 1999, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 110.
307
Idem, pp. 110 et 111.

98
En d’autres termes, « l’actionnaire peut se comporter comme un véritable propriétaire,
libre de ses décisions, jusqu’à ce qu’il fasse supporter un risque »308 à l’intérêt de la société, à
ce niveau-là, l’intérêt des actionnaires ne peut plus être assimilé à l’intérêt social et c’est ce
dernier qui prévaut.

Paragraphe 2 : La supériorité de l’intérêt social sur l’intérêt commun des actionnaires

Il arrive que l’intérêt commun des actionnaires ne puisse plus être assimilé à l’intérêt
social et cette dernière notion prend le devant et s’impose aux organes de la société. Elle
devient une limite aux actions et décisions des dirigeants et des assemblées générales, qui ne
peuvent l’ignorer.

Cette situation se présente parfaitement dans l’abus de majorité où pour la constatation de


cet abus, il faut deux conditions cumulatives : le non-respect de l’égalité des actionnaires et la
contrariété à l’intérêt social. Ainsi, les décisions qui rompent l’égalité des actionnaires, mais
qui ne sont pas contraires à l’intérêt social seront validées par la jurisprudence en cas de
contestation.

C’est le cas de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris 309 qui a donné raison aux majoritaires.
Les minoritaires soutenaient que les majoritaires ne pouvaient pas céder à l’un de leurs alliés
des actions auto-détenues par la société et réactiver les droits de vote qui sont attachés à ces
actions, afin de réduire le pouvoir des minoritaires.

La Cour a analysé cette cession non pas sur la base de l’intérêt commun des actionnaires,
mais sur la base de l’intérêt de la société en énonçant que « les intérêts des actionnaires ne
sont pas supérieurs à ceux de la société ». La Cour de cassation310 qui a été saisi d’un pourvoi
qui contestait le fait que les juges de fond ont ignorés l’intérêt commun des actionnaires suite
à l’aspect positif de la cession (réduction du capital à zéro et augmentation de capital réservée
à un tiers) a rejeté le pourvoi en affirmant que cette « opération litigieuse a été effectués afin
de préserver la pérennité de l’entreprise et en cela conforme à l’intérêt de la société ».311En
effet, l’intérêt des actionnaires majoritaires est conforme à l’intérêt social tant qu’il n’y a pas
d’abus sur le patrimoine de la société.

308
Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires…op. cit., p.365.
309
CA Paris, 3e cham. 5 avril 2002, in JCP E 2002, p. 1796, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 22.
310
Cass. Com., 18 juin 2002, in D. 2002, p. 2190, note A. LIENHARD, cité par idem, p. 23.
311
Idem, p. 22 et 23.

99
C’est dans le même sens qu’un arrêt de la Cour d’appel a énoncé que « si la majorité
d’une assemblée générale peut sous certaines conditions, imposer des décisions valables à la
minorité, c’est uniquement parce qu’elle est présumée agir dans un intérêt social(…), mais
que s’il est établit que les décisions prises par elles l’ont été dans le but de nuire à autrui,
elles sont alors entachées d’un véritable abus de droit »312.

Ainsi, les décisions des majoritaires sont valables lorsqu’elles favorisent l’intérêt social.
Les minoritaires ne doivent pas soulever uniquement que la décision nuit à leur intérêt et
qu’elle enregistre une rupture d’égalité entre les actionnaires, ils doivent soulever en plus, que
la décision nuit également à l’intérêt social, pour que leur contestation soit acceptée.

De ce qui précède, il est évident que dans les situations ou la société risque d’être lésée
par les agissements des actionnaires, l’intérêt social prévaut sur l’intérêt commun des
actionnaires et devient une norme supérieure qu’ils doivent respecter, au risque de voir leurs
actes entachés d’abus.

Sous-section 2 : Réticences sur l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des


actionnaires

Du moment que la poursuite de la volonté unique des actionnaires n’a pas été consacrée
par les dispositions relatives à la société anonyme (paragraphe1), des réserves sur son
application n’ont pas cessé de se multiplier (paragraphe2).

Paragraphe 1 : Des dispositions juridiques hostiles à l’intérêt commun des actionnaires

Réduire l’intérêt social à un but unique qui est la poursuite de l’intérêt commun des
actionnaires semble être une conception limitée, compte tenu des dispositions du droit des
sociétés commerciales en général et de la société anonyme en particulier.

En effet, l’étude de certaines dispositions de la loi 17-95 donne lieu à une incertitude sur
l’efficacité de cette conception, dès lors que ces dispositions ont tendance à limiter les droits
et libertés des actionnaires afin d’assurer une protection à l’intérêt social.
312
CA. Paris, 2 nov. 1954, in D., 1954, J. 758, cité par Ilham MAMOUNI, op. cit., p. 119.

100
C’est ainsi qu’en cas d’augmentation de capitale, l’assemblée générale peut supprimer le
droit préférentiel de souscription en faveur de certains actionnaires 313. Ce droit qui assure les
rapports de force dans les assemblées, peut être supprimé pour favoriser certains actionnaires.

La restriction des droits des actionnaires se trouve également dans les clauses
d’inaliénabilité314 et les conventions de vote 315 où le législateur limite la liberté des
actionnaires à consentir ces clauses, en leur imposant de prévoir une durée limitée et être
justifiées par l’intérêt social pour être validées.

Ces dispositions montrent que le souci du législateur de protéger l’intérêt social empêche
les actionnaires d’agir librement selon leur propre volonté et ce, malgré les dispositions de
l’article 982 D.O.C. qui précise que la société est constituée par un contrat entre les différents
actionnaires et par conséquent, la société est créée pour eux et dans leur intérêt.

L’étude des quelques références à l’intérêt de la société faites par la loi n° 17-95 affirme
que cette notion est distincte de l’intérêt commun des actionnaires. En effet, le législateur
freine le pouvoir et la liberté des actionnaires afin de ne pas nuire à l’intérêt social.

Paragraphe 2 : Réserves quant à l’adoption de l’intérêt commun des actionnaires

Bien que l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des actionnaires a été
théoriquement justifiée, la prise en compte de cette conception restrictive dans la gestion de la
société peut entraver son fonctionnement correct.

En effet, cette conception étroite et « capitaliste »316de l’intérêt social fait de la société la
seule chose des actionnaires, ce qui met en cause sa durabilité et néglige l’emploi au profit de
la maximisation des profits à court terme.

313
V. Art. 193 de la loi n° 17-95.
314
Clause prévue dans les statuts ou dans les pactes d’actionnaires, qui limite la cessibilité des actions. V. Art. 257 de la loi n° 17-95.
315
Conventions conclues entre des actionnaires afin de voter dans le même sens ou ne pas voter lors des assemblées générales. V. Art. 144 de la loi n° 17-95.
316
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme …, op. cit. p. 30.

101
Le conseil d’administration devient « monomaniaque, il ne s’intéresse qu’à l’optimisation
des chances de plus-values boursières ; une seule obsession : le cours de la Bourse. D’où la
recherche désespérée des moyens, des procédés, voire des artifices destinés, du moins le
croit-on, à flatter le cours de Bourse. Une opération est bonne si elle est relutive, la relution
serait-elle payée au prix fort de l’assèchement de la trésorerie »317.

C’est ce qui explique d’ailleurs, l’attitude déplorable de certains dirigeants qui préfèrent
licencier du personnel afin de réduire les charges sociales, ce qui va leur permettre
d’augmenter le bénéfice distribuable aux actionnaires318. Afin de pouvoir distribuer des
dividendes malgré la crise, les dirigeants ont trouvé la solution : supprimer des emplois
parfois par milliers319.

Normalement, lorsqu’une société réalise des bénéfices deux solutions se présentent à


elle : elle pourra soit, l’investir en achetant par exemple des machines nécessaires au
développement de son activité, ou en embauchant des personnes qualifiées, ce qui va créer de
l’emploi et augmentera son bénéfice pour l’année prochaine. Soit, distribuer son bénéfice afin
de récompenser les actionnaires en leur versant du dividende, ce qui est tout à fait normal et
même légitime.

Mais, lorsque les actionnaires deviennent trop gourmands et qu’ils touchent tellement de
dividende que la société n’a plus suffisamment d’argent pour assurer l’avenir de l’entreprise,
c’est la société qui risque de disparaitre et c’est son intérêt qui est menacé.

Un auteur trouve qu’ « il n’est pas certain, ni même souhaitable, que l’intérêt de la
personne morale s’identifie, au moins à court terme, à celui de tous les associés »320. Pour lui,
« si les associés ont intérêt à concevoir le maximum de bénéfice, la personne morale a intérêt
à en conserver pour financer son activité et son expansion »321.

Une société anonyme est presque toujours un lieu de confrontation d’intérêts divergents,
surtout lorsqu’elle est ouverte. Cette confrontation est rapidement observée dès que les
317
Jean-Michel DARROIS et Alain VIANDIER, op. cit.
318
Ilham MAMOUNI, op. cit. p. 90.
319
C’est le cas notamment de la société Sanofi (un groupe pharmaceutique français, le 3e au Monde) qui a diminué son effectif entre 2008 et 2013 de 4000 emplois, alors que

son bénéfice a atteint plus de 6 milliards d’euros en 2013. La société a distribué 35% du bénéfice en 2010 avec l’intention de distribuer 50% du bénéfice en 2014 au profit des
actionnaires sous forme de dividende. Le plan de la direction est de rendre l’entreprise plus attractive pour séduire les actionnaires avec les dividendes, même si le bénéfice social
est en baisse. Il s’agit d’augmenter le dividende afin d’augmenter le court de l’action. Voir le document complet de cash Investigation : Quand les actionnaires s’en prennent à
nos emplois, disponible à l’adresse suivante : http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/cash-investigation-du-mardi-3-mars-2015_833587.html,
consulté le 9/16/2015.
320
Paul LE CANNU, op. cit., p. 72.
321
Ibid.

102
actionnaires sont appelés à se prononcer sur l’affectation des bénéfices, ou lorsqu’il s’agit de
la répartition des avantages qui découlent de l’activité sociale (rémunération des dirigeants,
conventions avec les dirigeants ou actionnaires, contrat de travail,…)322.

Cette divergence d’intérêts qui donne parfois à des confrontations entre les actionnaires
rend difficile l’assimilation de l’intérêt social à celui des actionnaires. De plus, l’admission de
l’exclusion de l’actionnaire le confirme. Comment peut-on dire que l’exclusion de
l’actionnaire sert l’intérêt commun des actionnaires ? Cette exclusion sert l’intérêt des autres
actionnaires (majoritaires) et surtout celui de la société 323, dans la mesure où l’exclusion de cet
actionnaire perturbant permettra la continuation de la société.

Ainsi, pour certains « (…) cela ne veut pas dire qu’il y a un accord qui précise que les
sociétés doivent être dirigées dans le seul intérêt des actionnaires, ou que la loi doit
sanctionner ce résultat. Tous les gens sensés croient que le gouvernement de la société doit
être organisé et exploité dans l’intérêt de la société dans son ensemble, et que les intérêts des
actionnaires ne méritent pas un poids supérieur, dans ce calcul social, à celui des autres
membres de la société »324.

Il a été même estimé que réduire l’intérêt de la firme à poursuive uniquement la


satisfaction de l’intérêt des actionnaires d’« erreur et de curiosité doctrinale devenue
obsolète »325. Pour d’autres, « l’actionnaire n’existe pas : c’est au mieux un mythe, au pire
une illusion. Il est donc vain de faire de son intérêt le critère exclusif de jugement et de
comportement des organes sociaux et tout aussi vain de vouloir le placer en clef de voûte du
gouvernement d’entreprise »326.

Par conséquent, il ne faut point négliger les intérêts des autres parties, malgré le fait que
le but du lucre est l’objectif de toute société commerciale, à travers la croissance du dividende
et la capitalisation boursière pour les sociétés ouvertes 327. Certes, la société doit satisfaire
l’intérêt des actionnaires, toutefois cet intérêt ne doit pas porter atteinte à la pérennité de la
société et aux intérêts catégoriels.

322
Idem, p. 73.
323
Ibid.
324
“This is not to say that there is agreement that corporations should be run in the interests of shareholders alone, much less that the law should sanction that result. All thoughtful people

believe that corporate enterprise should be organized and operated to serve the interests of society as a whole, and that the interests of shareholders deserve no greater weight in this social
calculus than do the interests of any other members of society”, Hanry HANSMANN et Reinier KRAAKMAN, op. cit., p. 12.
325
Lynn STOUT, op. cit., p. 3.
326
Jean-Michel DARROIS et Alain VIANDIER, op. cit.
327
Xavier DIEUX, op. cit., p. 119.

103
Chapitre 2 : Le non-respect de l’intérêt social par les actionnaires

Le respect de l’intérêt social permet un meilleur fonctionnement de la société, en


favorisant sa pérennité, et ce notamment, par l’adoption d’une gestion adéquate de ses
dirigeants et par l’utilisation appropriée des prérogatives des actionnaires.

Dans l’absence de définition légale de l’intérêt social, le non-respect de cette notion par
les actionnaires n’est pas facile à déceler. Mais, de façon générale, sa transgression prend
source de la naissance de conflit d’intérêts qu’affectent les actionnaires (section1), dont les
effets permettent de caractériser la nuisance à l’intérêt social (section2).

Section 1 : La naissance des conflits d’intérêts

104
En faisant partie de la société, les actionnaires sont animés par l’affectio societatis,
élément qui traduit leur volonté de collaborer sur un pied d’égalité pour le bon
fonctionnement de la société.

La disparition de cet élément conduit l’actionnaire à se désintéresser de la société et peut


provoquer la recherche de satisfaction d’autres intérêts que l’intérêt social, générant ainsi, des
conflits d’intérêts.

Dès lors, il convient de s’attarder sur le rôle de l’affectio societatis (sous-section 1) dans
le maintien de la communauté des actionnaires et sur les éléments générateurs des conflits
(sous-section 2).

Sous-section1 : Le rôle de l’affectio societatis

L’affectio societatis entreprend un lien étroit avec les actionnaires et la société, dont la
perte peut être à l’origine de conséquences malheureuses pour la société.

Pour mieux comprendre l’utilité de cet élément pour la société et les actionnaires, il sera
question de le traiter à deux niveaux. Celui de la formation de la société (paragraphe 1) et
celui de sa vie (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’affectio societatis lors de la formation de la société

L’affectio societatis est l’un des éléments de constitution de la société. Toutefois, le


législateur ne lui conserve aucune définition. Dès lors, il sera question de chercher sa
définition (A), avant de s’interroger sur la relation qu’il entretient avec l’actionnaire (B).

A- Définition de l’affectio societatis :

Outre les conditions classiques nécessaires à la formation d’un contrat, à savoir le


consentement, la capacité, l’objet et la cause328, le contrat de société doit répondre à des
conditions spéciales, mentionnées dans l’article 982 du DOC, en l’occurrence les apports, le
partage des bénéfices et la contribution aux pertes.

Toutefois, un autre élément est considéré aussi essentiel que ceux déjà mentionnés, pour
la formation de la société, et ce même s’il n’est prévu par aucune disposition légale. Il s’agit
de l’affectio societatis.

328
Art. 2 du DOC.

105
Cet élément qui est issu du latin, est défini « par l’intention, qui doit animer les associés,
de collaborer sur un pied d’égalité »329. Il se caractérise ainsi, par l’absence d’un lien de
subordination, une volonté de participer activement aux affaires sociales et à en assumer
ensemble les résultats, négatifs ou positifs 330, et ce afin d’assurer le succès de l’entreprise
commune qu’est la société.

Cette définition de l’affectio societatis est présente dans un arrêt de la chambre


commerciale de la Cour de cassation rendu le 1 mars 1971, où il a été considéré que cet
élément traduit « une volonté de collaborer d’une façon active et volontaire, consciente et
égalitaire en vue de la réalisation en commun du but social »331.

En faisant partie de la société, les actionnaires doivent avoir manifestés leur volonté à
atteindre le même but, en participant sur un pied d’égalité et en acceptant le partage du gain et
des pertes332. L’affectio societatis implique donc, le droit de chaque actionnaire de participer à
la vie sociale de façon égalitaire et dynamique.

B- L’actionnaire et l’affectio societatis :

La détermination de faire partie de la société et d’être associé est certainement très


présente au sein de l’ensemble des membres d’une société de personnes. En effet, dans ce
type de sociétés, où l’intuitu personae est prédominant, il est facile de remarquer l’existence
de l’affectio societatis. Les associés partagent les mêmes intérêts et leur idéologie est similaire
à l’unanimité. D’ailleurs, le régime de ce type de sociétés témoigne de l’ampleur de l’affectio
societatis, à travers notamment la responsabilité illimitée et indéfinie envers les dettes
sociales.

Toutefois, la présence de l’affectio societatis dans les sociétés de capitaux, où le capital


représente un gage suffisant sans prendre en considération la personne de l’actionnaire, est à
discuter, d’autant plus lorsqu’elles sont cotées en bourse.

En effet, « si dans une société de personnes, l’affectio societatis implique une complète
entente entre les associés, il n’en est pas de même dans les sociétés de capitaux ou joue avec

329
Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, op. cit., p.25
330
Gérard CORNU, op. cit., p. 283.
331
Cass. com., 01/03/1971, Bull. civ. IV, n° 66, p. 62, n°70.10.178, cite par Renée KADDOUCH, Th. préc., p . 13.
332
Vincent CUISINIER, L’affectio societatis, éd. LITEC, 2008, p. 58.

106
plus de rigueur la loi du nombre »333. Cette décision laisse penser que l’affectio societatis
n’existe que dans les sociétés de personnes.

Mais, il est plus raisonnable de présumer que le degré de cet élément diffère en fonction
de la nature de la société334 au lieu de l’ôter catégoriquement des sociétés de capitaux. En
effet, même si l’affectio societatis domine les sociétés de personnes, il demeure présent chez
l’actionnaire, en fonction de son implication dans la société.

En plus de la particularité des sociétés par actions, suite à la possibilité qu’elles offrent de
faire appel public à l’épargne, les actionnaires présentent également des particularités liées à
leurs différents profils.

Outre les actionnaires majoritaires et les actionnaires minoritaires, il y a ceux qui


investissent dans la société avec la détermination de participer activement dans sa gestion en
assistant aux assemblées générales et en participant au processus de prise de décisions et ceux
qui font partie de la société dans le but unique de réaliser un profit à court terme. 335 Pour ce
dernier profil, la gestion et le fonctionnement de la société ne l’intéresse guère.

Toutefois, l’ensemble de ces profils et malgré leur multitude, font partie de la société et
ont la qualité d’actionnaire. L’actionnaire est ainsi un associé d’une société par actions.
Cependant, être associé renvoi à la volonté de faire partie d’une société et à collaborer sur un
pied d’égalité. En effet, le contrat de société suppose systématiquement que les associés sont
animés par l’affectio societatis.

Dès lors, l’actionnaire qui entre dans la société dans le seul but de réaliser une plus-value
le plus rapidement possible est difficile de distinguer sa volonté de s’associer 336. Mais, on ne
peut l’écarter complétement, car même s’il n’est intéressé que par la rentabilité qu’il va
percevoir de la société, il manifeste toujours une volonté de faire partie de la société. Certes, il
ne participe pas au fonctionnement de la société, mais il reste un membre de la société doté
d’un esprit d’appartenance et qui supporte un risque compte tenu de son apport.

De plus, affirmer que l’actionnaire investisseur ne présente aucune forme d’affectio


societatis, c’est déduire qu’il n’a pas la qualité d’associé et par conséquent la non application
à son égard des dispositions du droit des sociétés ou du moins prévoir des dispositions
333
CA Besançon 3 nov. 1954, JCP 1955 II 8750, obs. D.B., cité par Renée KADDOUCH, Th. préc., p . 15.
334
Phillipe MERLE, op. cit., p. 54.
335
Jean-Michel DARROIS et Alain VIANDIER, op. cit.
336
Nicole FERRY-MACCARIO, Jan KLEINHEISTERKAMP, François LENGLART, Karim MEDJAD et Nicole STOLOWY, op. cit., p. 105.

107
spéciales quant à sa situation, ce qui n’est pas le cas. Même si c’est un investisseur, il possède
toujours son droit de vote qui peut l’utiliser à un moment donné et renforcer ainsi l’affectio
societatis qui l’anime.

A cet effet, il est plus pratique de dire que le degré de l’affectio societatis diffère en
fonction du type d’associé et de la société337. L’affectio societatis est toujours présent quel que
soit la nature de la société et par corrélation ses membres.

Paragraphe 2 : L’affectio societatis après la formation de la société

Même si aucun texte de loi ne le prévoit expressément comme condition de formation de


la société, l’affectio societatis est indispensable au moment de sa création. D’ailleurs, l’article
982 du DOC traitant des conditions exigibles à cette étape de la vie de la société y fait
référence implicitement.

Toutefois, la formation n’est pas la seule étape que connait la société. Son parcours est
marqué par plusieurs étapes, par lesquelles elle exècre son activité et réalise son objectif. Dès
lors, doit on assumer que l’affectio societatis est également requis après la formation de la
société ou dès que cette étape est accomplie l’actionnaire peut s’en défaire ?

Pour y voir claire, il sera question de vérifier la position de l’affectio societatis dans la vie
de la société (A) pour ensuite traiter de sa perte (B).

A- Le maintien de l’affectio societatis :

Le fait que l’affectio societatis soit indispensable pour la constitution de la société, ou


lorsque l’actionnaire entre dans la société 338, laisse penser qu’il n’est exigé qu’à cette étape-là,
et qu’une fois accomplie, l’actionnaire n’est plus tenu de conserver son affectio societatis.

Mais, il a été précisé que l’affectio societatis traduit la volonté de l’actionnaire de faire
partie de la société et de participer à son fonctionnent 339. Cette précision démontre que la
présence de l’affectio societatis dépasse l’étape de la formation de la société pour s’étendre
sur l’ensemble de son parcours. Ainsi, cet élément doit être présent tant que la société existe
337
Gérard CORNU, op. cit., p. 282 et s.
338
Renée KADDOUCH, Th. préc., p . 11.
339
J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, éd. Lamy, Paris, 2001, p. 145.

108
ou du moins tant que l’actionnaire fait partie de la société. Il s’agit donc d’un élément qui doit
perdurer après la formation de la société.

La présence de cet élément renforce la cohésion entre les actionnaires, dans la mesure où
il reflète la volonté de rester dans la société et de participer sur un pied d’égalité à son bien-
être. D’autant plus que sa perte peut entrainer des mésententes entre les actionnaires et
provoquer des conséquences désastreuses pour la société, notamment sa dissolution.

Aussi, c’est parce que l’actionnaire est toujours animé pas l’affectio societatis qu’il
participe aux processus de prise de décisions et utilise son droit de vote dans les assemblées
générales340. Même les actionnaires qui délaissent leur pouvoirs politiques, sont toujours
animés par cet élément, du moment qu’ils sont actionnaires et qu’ils touchent leur part du
bénéfice et subissent les aléas d’une mauvaise gestion.

En conclusion, l’affectio societatis est un élément qui est indispensable dans la société
que ça soit au moment de sa formation ou pendant son existence. Il permet aux actionnaires
de préserver leur volonté à faire fonctionner la société dans les meilleures conditions et par
conséquent, à écarter leurs intérêts personnels au profit de l’intérêt de la société.

B- La perte de l’affectio societatis

L’affectio societatis est exigé pendant toute la vie sociale. Toutefois, l’actionnaire animé
par l’affectio societatis au moment de la formation de la société peut s’en défaire par la suite
et ne plus présenter signe de cet élément.

En effet, l’actionnaire qui était au moment de la formation de la société ou de son entrée à


celle-ci, animé par cette volonté de s’associer et participer activement à l’exploitation de la
société afin de partager le bénéfice qui en résultera 341, peut commencer à se détacher de la
participation au fonctionnement de la société, voir même à ne plus s’intéresser à en faire
partie.

La perte de l’affectio societatis par l’un des actionnaires peut avoir des impacts non
seulement sur les actionnaires, mais aussi sur la société. En effet, la relation entre les
actionnaires peut s’altérer et aggraver la situation de la société.

340
Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 15.
341
Yves GUYON, Droit des affaires : Droit commercial général et sociétés, T. I, 12e éd., Economica, Paris, 1992, p. 102.

109
Dès lors, l’actionnaire qui n’est plus animé par cet élément peut toujours se retirer de la
société, notamment par l’insertion d’une clause de retrait dans les statuts 342. Bien évidemment,
l’actionnaire d’une SA cotée en bourse pourra sortir facilement de la société, une fois qu’il ne
présente plus d’intérêt à en faire partie.

La société peut également être impactée par les conséquences de la perte de l’affectio
societatis et se voire dissoudre. En effet, l’article 1056 du DOC prévoit les cas où la société
peut être dissoute en disposant que « tout associé peut poursuivre la dissolution de la société,
même avant le terme établi, s’il y a justes motifs, tels que des mésintelligences graves
survenues entre associés, le manquement d’un ou de plusieurs d’entre eux aux obligations
résultant du contrat, l’impossibilité ou ils se trouvent de les accomplir…».

Parmi les justes motifs qui permettent la dissolution de la société, le législateur a


mentionné deux situations à titre d’exemple. Il s’agit des mésintelligences graves survenues
entre les associés et du manquement aux obligations résultant du contrat. L’affectio societatis
parait absent dans ces deux cas.

En effet, l’actionnaire qui n’est plus animé par l’affectio societatis peut être à l’origine de
mésententes avec ses coactionnaires, qui peuvent donner lieu à la paralysie du fonctionnement
de la société et aboutirent enfin à sa dissolution.

Aussi, la perte de l’affectio societatis, n’est-il pas la cause du désengagement de


l’actionnaire de la société ? En se désintéressant de la société, l’actionnaire peut commencer à
satisfaire ses intérêts personnels qui peuvent être contraire à son intérêt qu’il a dans la société.
En commençant à poursuivre ses intérêts personnels, l’actionnaire se trouve ainsi en conflit
d’intérêts qui peut altérer l’avenir de la société.

Sous-section 2 : Les éléments générateurs du conflit d’intérêts

Il est connaissable qu’au cours de la vie sociale, l’intérêt social se trouve parfois menacer
par des intérêts antagonistes et personnels de certains actionnaires qui troublent le
fonctionnement de la société. Des intérêts qui prennent place après la perte de l’affectio
societatis et qui s’opposent à la bonne marche de la société.

342
V. infra, p. 266 et s.

110
Déterminer ces intérêts permettra à la fois de distinguer les actes et décisions nuisibles à
l’intérêt social de ceux qui le respectent et de mieux contrôler la relation qu’entretiennent les
actionnaires avec la société.

Ces intérêts antagonistes à l’intérêt social partagent la même source. Ils découlent tous de
l’intérêt personnel qu’un actionnaire peut avoir. Cependant, cet intérêt personnel comprend
plusieurs catégories qui diffèrent selon l’implication de l’actionnaire dans la décision ou l’acte
litigieux (paragraphe 1) et selon la nature de cet intérêt personnel (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : l’intérêt personnel selon l’implication de l’actionnaire dans l’acte

Être actionnaire dans une société anonyme implique le respect de l’intérêt commun de
tous les actionnaires qui se traduit par le partage légal du bénéfice social. Toutefois, certains
actionnaires peuvent avoir des intérêts personnels qui ne s’accommodent pas avec cet intérêt
ou avec l’intérêt de la société en général.

Tout actionnaire peut avoir un intérêt personnel, c’est tout à fait humain et légal. En
revanche, le fait de le favoriser au détriment de la société ou des autres actionnaires est
inadmissible et condamnable. C’est « la divergence ou l’opposition qui apparait lors
d’opérations déterminées entre les intérêts personnels d’une personne et d’autres intérêts
qu’elle doit défendre activement »343.

Cette situation se présente par exemple dans le cas où l’intérêt personnel d’un actionnaire
le pousse à s’approprier une part illégitime du bénéfice social, ou lorsqu’il possède une
participation dans une autre société concurrente et qu’il favorise toujours l’intérêt qu’il a dans
cette société aux dépens de l’intérêt de l’autre société.

D’ailleurs le conflit d’intérêts344 nait à partir de cette confrontation entre deux ou plusieurs
intérêts antagonistes, intérêt personnel et intérêt social devant lesquels la personne concernée,
en l’occurrence l’actionnaire, est tenue de faire un choix. Ce n’est que lorsque l’actionnaire
choisit son intérêt personnel et que ce choix produit des effets nocifs sur la société que son
choix devient illégal. Le conflit d’intérêts concerne donc, une opposition d’intérêts. La simple
coexistence d’intérêts différents n’a pas sa place dans ce contexte.

343
Valérie SIMONART, « Les conflits d’intérêts au sein de l’assemblée générale de la société anonyme en droit comparé », Les conflits d’intérêts, Bruylant, Bruxelles, 1997,

pp. 196-197, cité par Frédéric MAGNUS, op. cit., p. 70.


344
Pour voir comment les dispositions législatives évitent l’impact négatif des conflits d’intérêts dans l’économie des Etats-Unis. V. Richard SWEDBERG, « Capitalisme et

éthique. Comment les dispositions législatives relatives aux conflits d'intérêts peuvent être utilisées pour prévenir les dilemmes moraux dans la vie économique. », RISS 3/2005,
n° 185, pp. 523-534.

111
Pour le Professeur GERMAIN le conflit d’intérêts est « le résultat d'une décision ou
d'une action qui ne correspond pas aux intérêts de la société, et qui en même temps va dans le
sens des intérêts particuliers du membre de l'organe social touché par ledit conflit »345.

C’est le cas d’un actionnaire ou dirigeant qui bénéficie de sa situation avantageuse dans la
société anonyme et promeut son intérêt personnel, tout en portant atteinte à l’intérêt social.

En général, l’intérêt personnel qui anime l’actionnaire peut être direct (A) comme il peut
être indirect (B).

A- Intérêt direct :

Un actionnaire a un intérêt direct lorsqu’il en profite d’une manière personnelle et directe


sans avoir à recourir à l’interposition d’une autre personne. C’est lorsque l’actionnaire ou
l’administrateur contracte directement avec la société.

L’exemple le plus courant est celui d’ « une convention intervenant entre une société
anonyme et l’un de ses administrateurs ou son directeur général ou directeur général délégué
ou ses directeurs généraux délégués selon le cas où l’un des actionnaires détenant
directement ou indirectement plus de 5% du capital ou des droits de vote »346.

Les liens commerciaux entre la société et l’un de ses actionnaires ou dirigeants, résultent
de conventions conclues entre la société et la personne concernée, comme le cas de la
location, par la société, d’un immeuble appartenant à un de ses administrateurs.

L’intérêt direct existe donc, lorsque la personne concernée fait partie de l’acte et joue le
rôle de contrepartie347. Néanmoins, cet intérêt n’est répressible que lorsqu’il cause un
dommage à l’intérêt social.

Ainsi, un dirigeant ne peut pas promouvoir son intérêt personnel direct qu’il a dans une
convention aux dépens de la société. Lorsque l’actionnaire dirigeant ou majoritaire agit dans
son intérêt personnel direct en causant un préjudice à la société, il est sanctionné pour avoir
commis un abus de majorité ou un abus de biens sociaux.

345
Michel GERMAIN, « Les droits des minoritaires en droit français des sociétés », in RIDC 2002, p. 401 et s., cité par Julia REDENIUS-HOEVERMANN, op. cit., p. 42.
346
Art. 56, al. 1, loi 78-12 sur les sociétés anonymes.
347
P. PIC et J. KREHEL, Traité général théorique et pratique de droit commercial, des sociétés commerciales, 3e éd., T. II, Rousseau et Cie, 1948, n°2091, p.545, cité par Saba

K. ZREIK, Conventions réglementées et intérêt social en droit comparé (Liban-France-USA), thèse en cotutelle, Université PANTHEON-ASSAS -Paris II et Université ST-
JOSEPH-Beyrouth, 2011, p. 44.

112
Mais, lorsqu’il favorise son intérêt personnel et que l’acte qu’il a accompli ne porte pas
atteinte à l’intérêt social, il est considéré avoir accompli un acte habituel de gestion, telles que
les conventions conclues entre la société anonyme et une des personnes intéressées visées à
l’article 56 suscité « portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions
normales »348.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 24 février 1975 349,
rappel que tout intérêt personnel direct ne peut être qualifié de contraire à l’intérêt social.
Dans le cas d’espèce, les administrateurs minoritaires réclamaient l’annulation de la décision
du conseil d’administration qui a accepté une offre d’acquisition portant sur la totalité des
actions de la société faite par un tiers concurrent. Ces administrateurs prétendaient que les
majoritaires ne devaient pas participer à la délibération puisqu’ils avaient un intérêt personnel
à la cession et « qu’il y avait incompatibilité évidente entre la cession de leurs actions par ces
administrateurs et leur prétention de continuer d’exprimer l’intérêt social au sein du conseil
d’administration ». Pour les administrateurs minoritaires, les majoritaires étaient dans
l’impossibilité de représenter l’intérêt commun des actionnaires et protéger en même temps
leur intérêt personnel en tant que cédants.

La Cour d’appel a rejeté la demande des minoritaires en affirmant que : « l’intérêt


personnel que les administrateurs avaient à la décision qui devait être prise n’impliquait pas
pour eux sur ce point aucune incapacité de voter, résultant d’une quelconque incompatibilité,
puisqu’il s’agissait non pas d’un intérêt personnel susceptible de s’opposer à l’intérêt social,
mais seulement pour les administrateurs de l’exercice de leurs droits d’actionnaires,
comprenant celui de céder leurs actions ».

La Cour de cassation a débouté le pourvoi des administrateurs minoritaires 350. Pour elle,
les administrateurs majoritaires ne défendaient que l’intérêt social puisque l’offre du tiers
portait sur l’ensemble des actions de la société et non pas sur leurs actions uniquement.

B- Intérêt indirect :

Contrairement à l’intérêt direct, l’intérêt indirect qu’un actionnaire peut avoir dans un acte
de gestion est plus complexe à détecter. L’intérêt est indirect, dans la situation où la société
contracte avec une personne physique ou morale à laquelle l’administrateur ou l’actionnaire

348
Art. 57 de la loi n° 78-12.
349
Cass. com., 24 février 1975, Rev. Sociétés 1976, p. 92, note B. OPPETIT, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 342.
350
Idem, p. 343.

113
est lié. C’est ainsi que la Cour d’appel d’Anvers a considéré qu’« un administrateur a un
intérêt patrimonial opposé à la décision du conseil d’administration lorsque cette décision a
pour objet de remplacer le contrat d’administration commercial que la société a conclu avec
l’entreprise de l’épouse de cet administrateur par un contrat financièrement moins
avantageux pour la société »351.

A ce niveau, il faut distinguer entre l’intérêt indirect qu’un actionnaire peut avoir dans
l’acte de gestion et l’intervention indirecte d’une personne visée dans l’acte 352, « dans le
premier cas, l’intérêt indirect peut se matérialiser même sans l’intervention de
l’intéressé »353.

Ainsi, l’intérêt indirect peut résulter de l’intervention d’une personne tierce. Cette
interposition est définie comme étant « une situation dans laquelle un acte conclu au bénéfice
d’une personne doit profiter en fait à une autre »354. C’est ainsi que dans les conventions
réglementées, le moyen le plus courant pour bénéficier d’une convention sans être soumis à la
procédure de contrôle est de ne pas être partie contractante, en faisant intervenir une personne
pour contracter à la place de l’intéressé355.

Cette personne interposée peut être une personne physique ou une personne morale. Dans
les deux cas, la personne interposée ne profite pas de la convention. C’est la différence avec
l’intérêt indirect qu’un actionnaire intéressé a dans une convention. Dans ce dernier cas,
l’actionnaire bénéficie de cet intérêt356. Ainsi l’intérêt indirect est la raison d’être de
l’interposition de personne357.

L’intérêt indirect traduit de ce fait, le profit qui résulte d’une manière indirecte pour le
compte de l’intéressé358. C’est l’avantage tiré d’une façon indirecte par l’actionnaire 359. Tel est
le cas du dirigeant bénéficiant personnellement d’une convention sans y être partie, en
abusant de l’autorité qu’il a dans la société 360, ou le cas d’une société qui conclut un contrat
avec une société dont l’administrateur est également actionnaire.
351
Anvers (5e ch.), 1e mars 1999, D.A.O.R., 2000, n° 54, p. 126, cité par Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., p. 708.
352
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 44.
353
TGI Compiègne, 22 déc. 1964, in JCP, 1965, II, 14279, note N. BERNARD, cité par ibid.
354
Gérard CORNU, op. cit., p. 499.
355
Malgré le fait que la loi prévoit un contrôle pour les conventions par interposition ; V. Art. 56 de la loi 78-12.
356
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 183.
357
Ibid.
358
Yves GUYON, Droit des affaires… , op.cit., p. 428.
359
Ibid.
360
Cass. Com., 4 oct. 1988, in Bull. Joly, Nov. 1988, § 276, p. 861, note P. LE CANNU, cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 44.

114
D’une manière précise, l’intérêt est dit indirect lorsque « le marché est susceptible de
profiter indirectement à l’administrateur, sans que celui-ci ait assumé ostensiblement le rôle
de contrepartie »361.

Pour être pris en considération, l’intérêt indirect doit être suffisamment important pour
pouvoir influencer l’administrateur concerné. Un administrateur qui siège à la fois, dans le
conseil d’administration de la société mère et dans celui de sa filiale n’est pas pour autant en
conflit d’intérêts. Par contre, il le sera lorsqu’ « en raison d’éléments autres que sa qualité de
membre des conseils d’administration des deux sociétés concernées, l’administrateur ait un
intérêts personnel de nature patrimoniale opposé à celui d’une des deux sociétés »362. Comme
lorsqu’il détient une participation importante, ou lorsqu’il profite d’une rémunération variable
en fonction des résultats363.

Paragraphe 2 : L’intérêt personnel selon sa nature

Au cours de la vie sociale, il arrive que lorsqu’un actionnaire vote pour ou contre une
décision, ou lorsqu’un dirigeant adopte une opération, il le fait pour satisfaire un intérêt
personnel, dans le but de tirer un avantage de ladite décision ou opération, au détriment de
l’intérêt social et de l’intérêt des autres actionnaires.

Cet intérêt personnel « apparaît comme une utilité, matérielle ou morale, actuelle ou
future, en général égoïste, mais parfois altruiste »364. En effet, l’intérêt personnel peut prendre
une forme chiffrable et matérielle, ce qui permet facilement de le détecter, tel que le paiement
des frais de vacances par la société, etc. (A), mais également une forme morale plus difficile à
déceler, comme la recherche du prestige, ou faire plaisir à un tiers, etc. (B).

A- Intérêt matériel :

L’intérêt matériel est avant tout un intérêt personnel qui rompe la communauté d’intérêts
des actionnaires et qui est antagoniste à l’intérêt social. Il représente une contrepartie d’une
valeur économique manifeste, pécuniairement comptabilisable 365. Il se traduit par « tout

361
P. PIC et J. KREHEL, op. cit., note 338, p. 545, cité par ibid.
362
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 94.
363
Ibid.
364
André GERVAIS, Quelques réflexions à propos de la distinction des droits et des intérêts, Mélange Paul ROUBIER, T. I, D., Sirey, Paris, 1961, p. 241, cité par Philippe

GERARD, François OST et Michel VAN DE KERSHOVE, Droit et intérêt, V. 3 : Droit positif, droit comparé et histoire du droit, Publications des facultés universitaires Saint-
Louis, Bruxelles, 1990, p. 236.
365
Pierre LOUIS-LUCAS, Volonté et cause. Etude sur le rôle respectif des éléments générateurs du lien obligatoire en droit privé, Thèse Dijon, 1918, p. 7, cité par Monique A.

MOUTHIEU, op. cit., p. 161.

115
avantage mobilier ou immobilier susceptible de faire l’objet d’une évaluation économique
précise et objective »366.

C’est un intérêt personnel, puisqu’il suppose un enrichissement aux frais d’autrui et qui
n’est pas compatible avec l’intérêt commun des actionnaires, qui se traduit par le partage légal
du profit social.

En effet, lorsqu’un actionnaire commence à favoriser son intérêt personnel, il le fait au


détriment des autres actionnaires et aux dépens de la société. Tel est le cas de l’actionnaire qui
est également dirigeant et qui bénéficie d’une rémunération importante eu égard aux
ressources et à la situation financière de la société, qui avait subi des pertes excédant trois fois
le montant du capital367.

L’intérêt personnel matériel n’est présumé être contraire à l’intérêt social que lorsqu’il
permet à son bénéficiaire de profiter d’un avantage visible au détriment de la société et des
actionnaires. Il en est ainsi, des manques à gagner suite par exemple de la conclusion de
contrats désavantageux pour la société. C’est le cas notamment, des conventions conclues
entre la société anonyme et l’une des personnes visées à l’article 56368.

D’ailleurs, ces conventions ne sont annulées que lorsqu’elles ont eu des conséquences
dommageables pour la société369, notamment lorsque cette convention se traduit par un
appauvrissement de la société contre un enrichissement de l’actionnaire. C’est là où le conflit
d’intérêts est le plus visible.

Toutefois, la contrariété à l’intérêt social ne signifie pas toujours que l’acte a été conclu
pour favoriser un intérêt personnel370, puisque certains actes ou décisions peuvent être
contraires à l’intérêt social sans pour autant être guidés par un intérêt personnel.

L’intérêt matériel résulte donc, d’un conflit d’intérêts entre l’intérêt personnel et l’intérêt
social, il n’est répressible que lorsque sa réalisation produit un préjudice à la société.
L’exemple le plus courant est lorsque la société acquiert des biens ou services auprès de l’un
de ses actionnaires à un prix élevé par rapport au prix du marché. Ici, l’actionnaire s’avantage

366
Guy KEUTGEN et André Pierre ANDRE-DUMONT, « La société et son fonctionnement » in Droit des sociétés : les lois des 7 et 13 avril 1995, Bruylant, Bruxelles, 1995,

p. 253.
367
Crim. 9 mai 1973, in D. 1974, p.271 note B. BOULOC, cité par Maria BAHNINI, La société anonyme en droit marocain, Analyse et Explications, éd. Headline, 1998, p. 80.
368
V. Art. 56 de la loi n° 20-05, modifiant la loi n° 17-95.
369
Art. 61, al. 1, de la loi n° 17-95.
370
Cass. crim. 15 Sept. 1999, in Bull. Joly, Jan. 2000, § 12, p.65, note MASCALA, cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 48

116
et réalise un intérêt personnel matériel au profit de la société, alors que cette dernière a subi
un dommage matériel qui se traduit par son appauvrissement.

Néanmoins, l’intérêt matériel que l’actionnaire poursuit n’est pas le seul à causer un
dommage à la société. En effet, il y a un autre intérêt qui est plus difficile à découvrir, à savoir
l’intérêt moral.

B- Intérêt moral :

Comme l’intérêt matériel, l’intérêt moral est également antagoniste à l’intérêt de la


société et lui porte atteinte. En effet, la promotion de l’intérêt moral engendre un conflit
d’intérêts. Cet intérêt est généralement intercepté dans les abus de biens sociaux et génère la
responsabilité pénale du dirigeant371.

En général, lorsqu’un actionnaire poursuit un intérêt moral, il le fait dans l’espérance que
cet intérêt se transforme en intérêt matériel.

L’intérêt moral réside dans une satisfaction d’honneur, de prestige, une reconnaissance
sociale ou affective, l’exécution d’un devoir de gratitude 372, ou encore la recherche d’un
confort personnel373, etc. Découvrir cet intérêt n’est pas une chose facile car il est souvent
dissimulé et dans la plupart du temps il passe inaperçu. Néanmoins, il est possible de
cantonner les causes qui poussent un actionnaire à poursuivre cet intérêt.

Ainsi, l’intérêt moral peut résulter de l’exécution d’un acte aspirant à conserver ou à
protéger la réputation de l’actionnaire ou de celle d’un proche 374. Aussi, lorsqu’un actionnaire
fait supporter les charges d’un tiers par la société pour l’aider ou pour lui faire plaisir, il est
estimé avoir un intérêt personnel moral nuisible à l’intérêt social. Faire plaisir à un tiers sans
avoir un retour matériel est une pratique courante, mais le faire aux dépens de la société est
répressible.

De ce fait, un actionnaire dirigeant ne peut faire supporter les frais personnels d’un tiers,
par la société afin que cet actionnaire puisse garder une relation personnelle privilégiée avec

371
Idem, p. 50.
372
Jean CARBONNIER, op. cit., p. 128, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 161.
373
Crim. 26 juin, 1978, in JCP 1978.273 : Le fait de rémunérer le personnel de la maison par la société, cité par Maria BAHNINI, op. cit., p. 81.
374
Cass. crim., 3 mai 1967, in Bull. crim., 1967, n°148, p. 350 : découvert consenti par le président du conseil d’une société à son frère dans une situation financière critique,

cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 51 ; D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 443.

117
ce tiers qui détient un pouvoir politique important. L’acte commis par cet actionnaire découle
d’un intérêt personnel moral contraire à l’intérêt de la société375.

Les administrateurs d’une filiale ont ainsi un intérêt moral à « s’incliner devant les
conditions dictées par la société mère »376 et à consentir un acte conclu au profit de cette
dernière, afin qu’ils puissent garder leur mandat social, puisque leur désignation relève de la
décision de la société mère377.

Au final, l’intérêt morale influence l’objectivité de l’actionnaire et menace son autonomie


vis-à-vis du fonctionnement de la société.

Section 2 : Les effets du conflit d’intérêts sur l’activité sociale

Un conflit d’intérêts ne peut avoir lieu que lorsqu’il y a des intérêts personnels
antagonistes à l’intérêt social. Toutefois, un actionnaire qui a un intérêt personnel n’est pas
systématiquement en conflit avec l’intérêt social. Pour l’être, il faut que la promotion de son
intérêt personnel porte atteinte à l’activité sociale.

En effet, ce sont les effets néfastes du conflit d’intérêts qui permettent de l’apprécier. Un
auteur affirme dans ce sens que : « l’usage contraire à l’intérêt de la société est difficile à
définir en lui-même, il est nécessaire de prendre en considération l’impact positif ou négatif
que peut avoir la décision d’un dirigeant sur l’activité, l’avenir de la société »378.

Ces effets peuvent porter atteinte à la société (sous-section1), et/ou à la communauté


d’intérêts des actionnaires (sous-section2).
375
Cass. crim. 15 Sept. 1999, préc. p. 68, cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 51.
376
Jean-Jacques ANSAULT, « Contrats entre les administrateurs et les sociétés », in Sociétés traité, J.-Cl., Fasc. 130-50, Lexis Nexis, Paris, 2005, p. 6, cité par idem, p. 52.
377
Ibid.
378
Philippe MARINI, op. cit., p. 12, cité par Ilham MAMOUNI, op. cit., p. 54.

118
Sous-section1 : L’atteinte causée à la société

L’atteinte qu’un conflit d’intérêts peut causer à la société est généralement matérielle
(paragraphe1). Néanmoins, cette atteinte peut prendre un aspect moral (paragraphe2).

Paragraphe 1 : L’atteinte matérielle

L’atteinte matérielle causée à la société se traduit par un préjudice au patrimoine social et


se constate généralement dans les cas d’abus de biens sociaux.

Les agissements de certains dirigeants-actionnaires peuvent porter atteinte au patrimoine


social, soit à travers son appauvrissement (A), soit par l’empêchement de son augmentation
(B).

A- L’appauvrissement du patrimoine social :

L’effet préjudiciable du conflit d’intérêts sur le patrimoine social se traduit souvent par
son appauvrissement, par le biais d’un acte ou délibération qui avantage l’actionnaire aux
dépens du patrimoine social. Dans ce cas de figure, les exemples ne manquent pas.

C’est le cas du dirigeant qui consent un prêt à une filiale en difficulté dont il assure la
gestion, puis abandonne la créance du prêt : le patrimoine social est appauvri au profit du
gérant de la filiale afin que sa responsabilité ne soit pas engagée 379. Ou l’exemple de
l’administrateur qui se fait rembourser des frais de déplacement par la société, alors qu’il ne
peut prouver leur existence380, ou encore celui du président qui a conservé son compte courant
dans la société à découvert pendant huit mois successifs 381. Aussi, il y a l’exemple de
l’actionnaire majoritaire qui cède un bien à sa société à un prix élevé qui ne reflète pas le prix
du marché.

Dans tous ces cas, le patrimoine social est appauvri au profit du patrimoine personnel de
l’administrateur et du président.

Ce genre de comportement est également constaté dans les rémunérations excessives des
dirigeants382. Certes, la rétribution d’un dirigeant du travail qu’il a accompli est tout à fait

379
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 343.
380
Crim. 6 juin 1983, in BRDA 1983, n°18, p. 20, cité par Maria BAHNINI, op. cit., p. 80.
381
Crim. 9 mai 1988, in BRDA 1988, n°13, p. 7, cité par idem, p. 81.
382
V. Sophie MOREIL et Franc LUDWICZAK, La rémunération des dirigeants, éd. L’Harmattan, Paris, 2013.

119
normale, mais, dans certains cas, les rémunérations allouées ne concordent pas avec la
situation financière de la société.

En effet, un déséquilibre est souvent constaté, soit entre le travail effectué et la


rémunération méritée, ou entre la rémunération allouée et ce que la société peut
financièrement supporter. Tel est l’exemple du président-directeur général qui s’est attribué
une rémunération excessive compte tenu des ressources et de la situation critique de la
société383.

D’une manière générale, à chaque fois qu’un actionnaire ou administrateur profite d’une
situation donnée au détriment de la société et cause une sortie de fonds du patrimoine social,
la société en souffre et son intérêt est lésé.

B- L’empêchement de l’augmentation du patrimoine social :

Mis à part le fait de réduire le patrimoine social, un actionnaire ou administrateur, dans un


souci de satisfaire son intérêt personnel, peut bénéficier d’une opportunité qui était destinée à
la société et la détourner à son profit. Certes, ce détournement ne réduit pas le patrimoine
social, néanmoins, il empêche la société d’en bénéficier et d’augmenter son patrimoine, ce qui
est préjudiciable à l’intérêt social.

Cette situation se présente dans plusieurs cas de figure, notamment le cas de deux
actionnaires majoritaires d’une société anonyme, qui sont également les seuls associés d’une
société civile et qui décident de réduire le loyer de la société civile qui est locataire de locaux
appartenant à la SA.384 : La réduction du loyer avantage l’intérêt personnel des actionnaires
majoritaires, qu’ils ont dans la société civile, mais porte atteinte à l’intérêt social en la privant
d’encaisser le prix habituel du loyer, ce qui empêche l’augmentation de son patrimoine social.

C’est également le cas d’un dirigeant qui a avancé sans intérêts un montant important à
une société dont il détient les trois quarts du capital 385 : en privant la société des intérêts du
prêt, le dirigeant a empêché l’augmentation du patrimoine social.

En définitive, l’empêchement de l’augmentation du patrimoine social, d’un manque à


gagner, ou la perte d’une occasion d’enrichissement constituent également une atteinte
matérielle à la société. Cette atteinte se traduit par l’augmentation du patrimoine personnel de

383
Crim. 15 juillet 1981, in Bull. Joly 1981, p. 840, cité par Maria BAHNINI, op. cit., pp. 80 et 81.
384
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 341.
385
Maria BAHNINI, op. cit., p. 81.

120
l’intéressé, à travers le détournement d’une opportunité qui était réservée en premier lieu à la
société.

De ce fait, tous les actes qui empêchent l’augmentation du patrimoine social sont
nécessairement en conflit avec l’intérêt social et lui porte atteinte.

Paragraphe 2 : L’atteinte morale

L’atteinte ou préjudice moral causé à la société traduit le dommage qui touche les intérêts
extrapatrimoniaux de la société, en portant atteinte au droit de la personnalité 386.

En effet, la perte financière de la société ne constitue nullement la seule atteinte à laquelle


elle est confrontée. Le préjudice moral causé à la société entre également dans les effets
néfastes résultant du conflit avec l’intérêt social. Un actionnaire ou un administrateur déloyal
peut ainsi, être à l’origine d’une atteinte morale qui affecte l’intérêt social.

L’atteinte morale causée à la société se traduit par l’atteinte à son image de marque (A) et
à sa fiabilité financière (B).

A- Atteinte à l’image de marque de la société :

Lors de la gestion de la société anonyme, certains dirigeants sont amenés à passer des
actes qui peuvent avoir une répercussion négative sur la société, sans que cette répercussion
soit nécessairement financière.

L’exemple le plus courant est le cas du dirigeant qui utilise les fonds sociaux pour
corrompre un responsable de l’administration fiscale afin d’obtenir des allégements fiscaux,
ou un homme politique pour obtenir des marchés importants 387. Certes, ces actes permettent à
la société de bénéficier d’avantages importants, mais ils portent atteinte à sa réputation et
produisent « un préjudice –irréparable- en termes de notoriété, provoqué par des actes
contraires à la morale publique »388.

Il reste à préciser que l’atteinte à l’image de marque de la société ne résulte pas


uniquement des actes passés par les dirigeants au profit de la société, comme le trafic

386
Gabriel MARTY et Pierre RAYNAUD, Traité de droit civil, Les obligations, Sirey, 1988, Paris, p. 360. ; V. égal. Jacques FLOUR et Jean-Luc AUBERT, Les obligations 2,

le fait juridique, 14e éd., 2011, Sirey, Paris.


387
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, op. cit., p. 270.
388
Ibid.

121
d’influence ou la corruption. L’atteinte peut résulter des comportements des dirigeants qui
prennent un risque illégitime pour satisfaire un intérêt personnel, ce qui peut produire des
effets indésirables sur la réputation de la société et entacher sa compétitivité concurrentielle.

En effet, le renom de la société ainsi heurté, influence négativement sur la capacité de la


société à attirer de nouveaux clients ou actionnaires potentiels 389 et peut même entrainer la
perte des clients actuels.

Également, le préjudice causé à la réputation de la société entraine souvent la perte de


valeur sur le marché bousier390. Ceci pour ne pas dire que le préjudice moral occasionné à la
société n’est pas sans effet sur son intérêt.

B- Atteinte à la fiabilité financière de la société :

Afin d’assurer sa pérennité, la société anonyme doit se développer et parce que sa


capacité de s’autofinancer est généralement insuffisante, elle est amenée à chercher des
capitaux en recourant à l’emprunt. La société se finance ainsi, soit auprès des banques, soit
auprès des marchés financiers.

Néanmoins, la mauvaise réputation de la société causée par les agissements de ses


actionnaires ou administrateurs, influence directement sur la possibilité de la société d’assurer
son financement. Les banques seront prudentes à accorder des prêts à de telles sociétés de
peur de ne pas être remboursé dans les délais. En effet, comment une banque pourrait-elle
accorder un prêt à une société, dont les dirigeants utilisent les fonds sociaux à des fins
personnelles ?

Ainsi, la mauvaise réputation de la société influence négativement sur sa fiabilité


financière. Ceci est également constaté dans les marchés financiers où les investisseurs
prennent en considération la réputation de la société avant d’acquérir des actions. Dès lors, ils
ne seront pas intéressés par l’achat d’actions, si la société ne dispose pas d’une excellente
notoriété et profite d’une bonne gouvernance qui leur assure le versement de dividendes.

389
Pour les sociétés cotées.
390
Tel est le cas de la société canadienne de haute technologie Research In Motion (RIM), où l’échec du lancement d’un nouveau produit (tablette) et l’interruption des services

pour les millions d’utilisateurs du téléphone BlackBerry ont produits la chute de la valeur de la société. De plus, les dirigeants de la société sont restés injoignable pendant trois
jours avant de présenter des excuses et de donner des explications publiques sur cette interruption, ce qui a provoqué la perte de confiance et a entaché la réputation de la société.

La valeur des actions de RIM a enregistré dans la Bourse de Toronto une chute de 75% pendant mars et décembre 2011. Joe CASTALDO, « How management has failed at

RIM », The Canadian Business, 19 janvier 2011. Article disponible à l’adresse suivante : http://www.canadianbusiness.com/technology-news/how-management-has-failed-at-
rim/, consulté le 27 juillet 2015.

122
En conclusion, le préjudice financier causé par les comportements des actionnaires et des
administrateurs qui sont en conflit d’intérêts, sur la société, n’est pas le seul élément nuisible à
l’intérêt social. L’élément moral est aussi important que l’élément matériel, puisque l’atteinte
morale se traduit souvent par la suite, en une atteinte matérielle et génère une perte financière
à la société.

Sous-section 2 : L’atteinte causée à la communauté d’intérêts des actionnaires

Comme il a été traité précédemment 391, les actionnaires constituent une société en vue de
partager les bénéfices qui pourront résulter de l’exercice de l’activité sociale 392. L’intérêt de
tout actionnaire est de s’enrichir en recevant sa part légale du bénéfice social. C’est un intérêt
qui leur est commun et constitue un élément essentiel du contrat de société.

Rompre cette communauté d’intérêts influence directement sur leur entente et impacte
négativement sur l’intérêt social. En effet, lorsqu’un actionnaire poursuit son intérêt personnel
et s’enrichit aux dépens de ses coactionnaires, les conflits entre actionnaires voient le jour et
l’intérêt social se trouve léser.

Afin de caractériser le préjudice, il faut vérifier les effets de certains agissements sur le
patrimoine des actionnaires qui peuvent prendre source d’un intérêt personnel à l’intérieur
même de la société (paragraphe1) ou à l’extérieur de celle-ci (paragraphe2).

Paragraphe 1 : La recherche d’un intérêt personnel à l’intérieur de la société

L’atteinte qu’un actionnaire peut causer aux autres actionnaires, par la recherche d’un
intérêt personnel à l’intérieur de la société se manifeste souvent dans sa quête de percevoir
une part du bénéfice social qui ne reflète pas sa part légale.

L’exemple le plus courant est celui de l’affectation en réserve du bénéfice social. Certes,
cette mise en réserve permet à la société de s’enrichir et d’autofinancer les investissements
primordiaux à son développement. Mais, l’actionnaire majoritaire peut à travers cette mise en
réserve promouvoir son intérêt personnel.

En effet, cet actionnaire qui est le plus souvent dirigeant, bénéficie d’un mandat social ou
même d’un contrat de travail, ne s’intéresse pas aux dividendes et préfère les mettre en
réserve pour augmenter la valeur de ses actions. Alors que l’actionnaire minoritaire qui n’a

391
V. Supra, p. 83.
392
Hassania CHERKAOUI, Droit des affaires…, op. cit., p. 79.

123
pas de pouvoir, ni de contrat de travail ou de mandat social et n’a pas de revenu, se trouve lésé
par cette mise en réserve393.

En affectant systématiquement les bénéfices en réserve, la valeur des titres des


actionnaires majoritaires se maximise, au préjudice des actionnaires minoritaires, dont les
titres non liquides ne procurent aucun rendement.

Ainsi, quand l’affectation du bénéfice en réserve satisfait uniquement l’intérêt personnel


de l’actionnaire majoritaire et préjudicie ses coactionnaires, son intérêt personnel s’oppose à
l’intérêt commun des actionnaires.

La jurisprudence a illustré ce constat notamment dans l’arrêt Schumann-Piquard 394, où


suite à une contestation des actionnaires minoritaires, elle a annulé la délibération de
l’assemblée générale qui a décidé de reporter, à nouveau, les bénéfices de la société, alors
qu’elle était financièrement prospère.

En effet, cette société avait procédé à une mise en réserve des bénéfices sociaux au cours
des exercices précédents, jusqu’à atteindre une fois et demie le capital social. La Cour s’est
justifiée par le fait qu’ « il serait de l’essence du contrat de société que les bénéfices, en vue
de la réalisation et du partage desquels le contrat a été conclu, soient répartis
périodiquement à la suite de chaque exercice social. De plus, ils ne devaient être bloqués et
mis en réserve que par mesure de prévoyance et pour parer à des besoins imprévus ».

En résumé, l’intérêt personnel qu’un actionnaire peut rechercher dans la société, se traduit
par l’octroi d’avantages aux dépens des autres actionnaires, ce qui entraine un traitement
inéquitable des actionnaires.

Dans cette situation, le conflit d’intérêts produit une mésentente entre les actionnaires, qui
risque de desservir leur communauté d’intérêts. L’alliance des actionnaires se trouve ainsi
dissoute, ce qui ne fait que nuire à l’intérêt social et peut même être à l’origine de sa
dissolution395.

Paragraphe 2 : La recherche d’un intérêt personnel à l’extérieur de la société

393
Alain COURET, « Abus de majorité et abus de minorité» lors d’une vidéo pédagogique faite par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 19 mars 2014, disponible à

l’adresse suivante : https://www.canal-u.tv/video/universite_paris_1_pantheon_sorbonne/abus_de_majorite_et_de_minorite.15346, consultée le 7-6-2015.


394
Paris, 28 février 1959, in D., 1959, p. 353, note Martine, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 350.
395
V. Art. 1056 du D.O.C.

124
L’atteinte à la communauté d’intérêts des actionnaires se traduit également par le
préjudice qu’un actionnaire peut causer à ses coactionnaires suite à la promotion d’un intérêt
personnel qu’il peut avoir à l’extérieur de la société.

Le préjudice n’est cependant caractérisé que d’une manière indirecte, car la recherche de
cet intérêt personnel ne lèse pas directement l’intérêt commun des actionnaires, au contraire
elle lèse dans un premier lieu la société, ce qui se répercute par la suite sur les actionnaires.

Cette situation se traduit dans le cas de l’actionnaire qui poursuit des activités
concurrentielles à la société. Quand un actionnaire réalise des opérations concurrentielles à la
société, il peut nuire à l’intérêt social, car il risque de réduire le gain de celle-ci. La réduction
du gain de la société portera atteinte à l’intérêt commun des actionnaires qui se traduit par le
partager du bénéfice réalisé par la société. D’ailleurs, l’article 1004 396 du D.O.C exige le
consentement des associés pour qu’un associé puisse faire des opérations concurrentielles
pouvant nuire aux intérêts de la société.

L’actionnaire qui se livre à satisfaire un intérêt personnel à l’extérieur de la société rompt


de ce fait, la communauté d’intérêts des actionnaires d’une manière indirecte. La réduction du
patrimoine social qu’il cause, est à l’origine de la réduction de leur patrimoine personnel.

C’est dans de sens que les dirigeants d’une société ont été condamnés à réparer le
dommage qu’ils ont causé à leur associé dans la mesure où ils ont créé une société
concurrente à laquelle ils ont cédé les biens appartenant à la première société à un prix
inférieur à la réalité397.

Au final, les actionnaires lésés doivent démontrer que la décision ne leur procure aucun
enrichissement, ou qu’elle les appauvrit et qu’elle procure un avantage injustifié à
l’actionnaire concerné.

396
V. supra, p. 21.
397
CA. Com. Fes, 29 mars 2012, arrêt n° 602, doss. n° 56/122/2012, Portail de jurisprudence du cabinet d’Azouggar, disponible à l’adresse suivante :

http://www.jurisprudencemaroc.com/lecture.php?id_fichier=4736.

125
Conclusion de la première partie

Il a été démontré que l’intérêt social ne peut être limité strictement à l’une des
conceptions doctrinales (intérêt commun des actionnaires, intérêt de la personne morale ou
intérêt de l’entreprise). La société est responsable non seulement devant les actionnaires, mais
également devant d’autres partenaires : clients, fournisseurs, salariés, etc. L’intérêt social
prend ainsi une dimension plus globale.

Dès lors, la société doit être gérée en fusionnant l’ensemble des intérêts intervenant dans
son fonctionnement. Les administrateurs doivent assurer non pas l’optimisation immédiate du
profit, mais plutôt la protection de l’entreprise dans le long terme ainsi que les intérêts
catégoriels qu’y interviennent.

De plus, ils n’ont pas à défendre uniquement l’intérêt d’un groupe d’actionnaires parce
qu’il est à l’origine de leur nomination, en délaissant les autres actionnaires. L’ensemble des
administrateurs ont la même tâche : gérer la société en respectant son intérêt. Aussi, les
actionnaires ne peuvent défendre leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt social.
Certes, ce sont eux qui ont créé la société, mais ils ne peuvent être la cause de sa destruction.

En conclusion, du moment où tous les intérêts intervenants dans le fonctionnement de la


société sont pris en considération lors de sa gestion, l’intérêt social se trouve à l’abri de toute
126
menace intérieure, de sorte que « la richesse de l’entreprise rejaillit sur les associés et que
l’intérêt de ceux-ci et ceux de l’entreprise se confondent »398. Mais, dès que certains
actionnaires préfèrent satisfaire leurs intérêts personnels au lieu de l’intérêt social, la dualité
entre intérêts des actionnaires et intérêt de la société s’enregistre et la complémentarité fait
défaut.

Face à cette situation désordonnée, comment la loi réagit-elle ? comment assure-t-elle la


protection de l’intérêt social ?

Deuxième partie : La lutte contre les


intérêts des actionnaires préjudiciables à
l’intérêt social
398
Dominique SCHMIDT, « De l’intérêt…», op. cit., p. 362.

127
Divers sont les incidents pouvant bouleverser la vie d’une société anonyme, de sorte à
provoquer sa dissolution et réduire à néant son intérêt. Au-delà des incidents extérieures
(augmentation brusque des prix des matières premières, augmentation du prix de la main
d’œuvre,…), il convient d’être averti contre ceux venant de l’intérieur de la société (mauvaise
gestion d’un dirigeant, actionnaires en conflits d’intérêts,…), dans la mesure où elles
entrainent, le plus souvent, des difficultés financières pénibles à surmonter qui affectent
grièvement l’intérêt social.

En relation avec cette thèse, il sera question de traiter les crises issues du fonctionnement
de la société, qui puisent leur source, d’une manière générale, des conflits d’intérêts des
actionnaires de la société. D’ailleurs, les exemples ne manquent pas : les dirigeants qui
refusent la distribution des bénéfices pour plusieurs années successives, deux groupes
d’actionnaires antagonistes qui empêchent la prise de décision dans les assemblées générales,
les dirigeants qui bénéficient de rémunérations excessives, etc.

La société anonyme fonctionne par le biais de dirigeants et d’actionnaires auxquels la loi


leur confère des prérogatives, qu’ils doivent user conformément à l’intérêt social. C’est à
travers le respect de cette prescription que la société se développe et prospère. Or, cette
prescription peut faire l’objet d’une transgression lorsqu’il y a des conflits d’intérêts.

En effet, l’atteinte faite à l’intérêt social par les actionnaires, ceci a été démontré dans la
première partie, se fait lorsque ces derniers poursuivent un intérêt extérieur et opposé à leur

128
qualité d’actionnaires. Cette situation sécrète un dysfonctionnement sociétaire, qui nécessite
des moyens permettant de l’estomper le plus rapidement possible.

L’étude du contrôle de l’exercice des prérogatives des actionnaires va nous permettre


d’analyser les moyens mis en place par notre législation pour protéger l’intérêt social contre
les intérêts néfastes des actionnaires et d’essayer de soulever ainsi les insuffisances de cette
protection (Titre I). Par la suite, nous essayerons de mettre en place des alternatives aptes à
assurer une meilleure protection à l’intérêt social (Titre II).

Titre I : Le contrôle de l’exercice des prérogatives des


actionnaires dans la société anonyme

La société anonyme est le lieu de rencontre de plusieurs pouvoirs. Comme tout


groupement disposant d’une vie juridique indépendante, il est logique d’organiser cette vie.
Cette organisation est faite à travers deux organes dont chacun dispose de pouvoirs qui se
complètent. En effet, il y a le pouvoir de prise de décision et le pouvoir de représentation 399.

La loi a conféré à ces organes des prérogatives qu’ils doivent exercer en respectant
l’intérêt social. Un actionnaire ou un dirigeant n’a pas à user de ses pouvoirs pour imposer ou
empêcher une décision afin de satisfaire son intérêt personnel au détriment de l’intérêt social,
au risque d’être condamné pour abus de pouvoirs.

En réalité, les abus de pouvoirs se révèlent dans les décisions prises par les organes de la
société. Ils se matérialisent par un abus de droit de vote des actionnaires dans les assemblées
générales et à travers la politique de gestion des dirigeants sociaux.

Il convient dès lors, d’analyser le contrôle fait par le législateur et les juges de l’exercice
des actionnaires du droit de vote (Chapitre 1), ainsi que l’exercice du pouvoir de gestion par
les dirigeants (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le contrôle de l’exercice du droit de vote


399
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Du contrat en …, op. cit., p. 125.

129
Comme toute société commerciale, la société anonyme est créée par des actionnaires qui
partagent le même intérêt et qui coopèrent d’une manière cohérente, afin de permettre à leur
création de remplir son objet. Or, ce groupement peut être le terrain de confrontation entre les
actionnaires lorsqu’ils sont en conflit d’intérêts.

Cette situation de conflit d’intérêts est souvent présente dans les sociétés anonymes ou les
actionnaires sont nombreux et ont des motivations disparates. Aussi, c’est dans le cadre de
l’exercice abusif de leur droit de vote que ces conflits surgissent, où les actionnaires exercent
leur pouvoir décisionnel en violation de l’intérêt social pour des fins personnelles400.

Toutefois, il n’y a pas un seul abus dans l’exercice du droit de vote. Il varie en fonction de
l’actionnaire qui l’a commis. C’est pourquoi il importe de s’interroger sur la typologie des
abus dans l’exercice du droit de vote de l’actionnaire (Section 1), afin d’analyser par la suite
l’étendue de leurs sanctions (Section 2).

Section 1 : La typologie de l’abus dans l’exercice du droit de vote

Les actionnaires de la société anonyme disposent d’un pouvoir décisionnel qu’ils sont
tenus d’exercer en respectant l’intérêt social. Toutefois, comme dans plusieurs branches de
droit, il peut y avoir des abus, notamment dans l’exercice du droit de vote401.

L’abus de droit de vote peut être aussi bien, à l’initiative de l’actionnaire majoritaire
(Sous-section 1) que de l’actionnaire minoritaire (Sous-section 2).

Sous-section 1 : Le contrôle de l’actionnaire majoritaire

Le fonctionnement des sociétés anonymes est intéressant dans la mesure où les décisions
qui en découlent sont prises à la majorité. Ce pouvoir de décision qui est conféré à la majorité
doit être utilisé dans le but de réaliser l’objet social et non pas dans son intérêt, au risque
d’être qualifié d’abusif.

Ainsi, c’est à travers la compréhension de la particularité du gouvernement de la société


anonyme (Paragraphe 1) que l’abus de majorité peut être décelé (Paragraphe 2).
400
Anne-Laure CHAMPETIER DE RIBES-JUSTEAU, Les abus de majorité, de minorité et d’égalité, Etude comparative des droits français et américain des sociétés, Thèse de

droit, Université de Paris I PANTHEON-SORBONNE, 2006, Dalloz, 2010, p. 2.


401
La loi permet aux actionnaires de conclure des pactes d’actionnaires contenant des clauses de vote, en toute confidentialité. Ces conventions peuvent avantager certains

actionnaires aux dépends des autres et pouvent même porter atteinte à l’intérêt de la société. D’ailleurs, l’article 11 de la loi 17-95 dispose que « les pactes entre actionnaires
doivent être constatés par écrit » sans prévoir des dispositifs quant à son contenu ou encore aux sanctions applicables au non-respect des clauses prévues dans le pacte. Ces
lacunes peuvent être source de conflit entre les actionnaires et nuire à l’intérêt social. Aussi les actionnaires sont interdis de monnayer leur droit de votre au risque d’être punis
d’un emprisonnement ou d’une amende, (V. Art. 387).

130
Paragraphe 1 : Le gouvernement de la société anonyme

La société anonyme est sans aucun doute un contrat de nature bien originale 402. Il traduit
« l’union dans la poursuite d’un but commun, alors qu’il suppose des rapports hiérarchiques
non égalitaires »403. L’exécution de ce contrat est tributaire de la loi de la majorité, qui évince
les actionnaires minoritaires du processus de prise de décision.

En effet, les décisions prises au sein des assemblés générales sont dites collectives, alors
qu’en réalité elles ne sont prises que par un seul actionnaire ou un groupe d’actionnaires
détenant la majorité du droit de vote.

Toutefois, si la loi de la majorité est la norme du fonctionnement de la société anonyme


(A), elle ne doit pas être à l’origine d’un abus (B) et préjudicier les autres actionnaires et
l’intérêt social.

A- La loi de la majorité :

En vertu des principes du droit des contrats, le contrat de société suppose l’accord de
l’unanimité de ses cocontractants pour être modifié. Mais, suite aux besoins de
développement économique et social, certaines décisions primordiales au fonctionnement des
sociétés commerciales doivent être prises le plus rapidement possible, sans avoir à attendre
l’obtention de l’accord unanime de tous les actionnaires 404. Cette situation reflète le passage
de l’unanimité à la majorité dans le processus de prise de décisions collectives. Ce passage
traduit « une volonté de favoriser l’action du groupe et d’éviter ainsi la paralyse que peut
engendrer l’exigence de l’unanimité »405. La loi de la majorité permet ainsi, « de prendre le
plus rapidement possible les décisions les plus adéquates pour perfectionner l’organisme
sociétaire »406.

En d’autres termes, la loi de la majorité « signifie que la volonté exprimée par le plus
grand nombre au sein d’un groupe devient la loi des membres de ce groupe »407. La volonté

402
Ahmed CHOUKRI SBAÏ, op. cit., p. 22.
403
L. DABIN, Le droit des sociétés et la conception contractuelle, Ann. Dr. Liège, 1959, p. 242, cité par Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., p. 395.
404
43 .‫ ص‬،2013 ،‫ مطبعة االمنية الرباط‬،‫ دار االتفاق المغربية للنشر و التوزيع‬،‫ دراسة مقارنة‬،‫ تعسف االغلبية في شركة المساهمة‬،‫ عبد الواحد حمداوي‬.
405
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Du contrat en …, op. cit., p. 151.
406
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 113.
407
Dominique SCHMIDT, « Exposé introductif », in La loi de la majorité, coll. Deauville, RJ com., n° spéc., nov. 1991, p. 7, cité par Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Du

contrat en …, op. cit., p. 150.

131
de la majorité devient ainsi, la loi du groupe 408, ce qui permet de « faire prévaloir l’intérêt
collectif sur les intérêts individuels »409.

La société anonyme prend de ce fait, la forme d’une institution, où les décisions prises à
la majorité s’imposent à tous les organes la composant 410. D’ailleurs, l’application de la loi de
la majoritaire en droit des sociétés est assujettie à la reconnaissance de la personnalité morale
aux sociétés commerciales. Le groupement a une existence indépendante et peut donc imposer
des décisions à certains de ses membres.

A cet égard, dès que des actionnaires s’unissent dans une société anonyme, il est essentiel
pour qu’elle fonctionne, d’avoir la possibilité d’exprimer une volonté collective distincte de
celle de ses membres411. La volonté de chacun se transforme ainsi, à une volonté collective.
Aussi, la loi de la majorité veut que tous les membres soient liés, même ceux qui ont voté
contre la décision. Cette situation constitue une exception à l’effet relatif en matière
contractuelle qui veut qu’un contrat ne peut créer de droits ou d’obligations à l’égard des
tiers412.

L’application de la loi de la majorité et son acceptation par les autres actionnaires, en


l’occurrence les minoritaires, traduit leur « reconnaissance implicite de la persistance de la
communauté d’intérêts et de la permanence de la société »413. En adhérant aux statuts, les
actionnaires sont considérés avoir légalement consentis à toutes les décisions prises par la
majorité d’entre eux et sont tenus de les respecter. Plus précisément, « le pouvoir majoritaire
repose sur la soumission de la minorité (…). Cette soumission s’explique par la volonté de la
minorité de continuer à poursuivre le but commun de la société en dépit de son désaccord
ponctuel à l’égard de la politique menée par la majorité »414.

La loi de majorité est appliquée par l’actionnaire ou un groupe d’actionnaires qui détient
un nombre d’actions suffisant lui permettant d’imposer sa volonté à l’assemblée générale.
D’ailleurs, la société anonyme est le domaine privilégié de la loi de la majorité, où hormis des

408
François TERRE, Fondements historiques et philosophiques de la loi de la majorité, coll. Deauville, RJ com., n° spéc. nov. 1991, p. 9, cité par ibid.
409
S. VAISSE, La loi de la majorité dans la société anonyme (contribution à l’étude de la nature juridique de la société anonyme), Thèse Paris, 1967, p. 26, cité par ibid.
410
200 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫عز الدين بنستي‬.
411
.93 ‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد الحق العمرتي‬.
412
V. Art. 230 du D.O.C.
413
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 113.
414
Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., p. 387.

132
cas déterminés415, toutes les décisions ordinaires416 et extraordinaires417 se prennent à la
majorité. Cette dernière représente le plus grand nombre d’un ensemble de voix. Elle peut être
simple (la moitié des voix plus une voix) ou qualifiée (toute fraction supérieure au 2/3, 3/4,
etc.).

Toutefois, pour disposer de la majorité d’une assemblée générale, il ne faut pas avoir
nécessairement plus de la moitié des actions ou des droits de vote de la société. Avoir un
pourcentage inférieur pourra être suffisant, « si les autres actionnaires ne s’entendent pas
entre eux pour opposer une volonté commune »418 ou s’ils présentent les symptômes du
désintérêt et de l’absentéisme. Il se peut qu’un actionnaire se trouve majoritaire dans la
pratique, alors qu’il n’a que 30% ou 40% des actions de la société 419. Détenir ainsi, une
minorité peut s’avérer suffisant pour avoir le pouvoir majoritaire et imposer les décisions
prises à l’assemblée.

Au final, dès que le pouvoir de l’actionnaire majoritaire s’est caractérisé en lui permettant
d’imposer sa volonté, il ne peut en abuser et prendre les décisions qu’il lui convienne
personnellement et porter atteinte à l’intérêt social. En effet, il arrive parfois que l’actionnaire
qui détient le contrôle soit guidé, dans la prise de décisions, par des objectifs étrangers à
l’intérêt social qui le mènent à utiliser la société comme une chose lui appartenant, sans se
soucier de l’intérêt des autres actionnaires ni même de celui de la société. Dans ce genre de
situation, il est considéré avoir commis un abus.

B- Le contrôle de la société :

Le contrôle de la société est conféré à un actionnaire ou un groupe d’actionnaires qui


disposent d’un nombre de voix suffisant lui permettant de prendre les décisions dans les
assemblées générales. Ce contrôle peut se faire également par le biais des organes sociaux qui
prennent des décisions en fonction de la volonté de l’actionnaire majoritaire qui les a élus
dans l’assemblée générale.

Ainsi et du moment que « la société [en l’occurrence la société anonyme, est] objet de
pouvoir »420 et qu’elle est gouvernée en fonction de la loi de la majorité, l’actionnaire qui

415
La société anonyme ne peut changer de nationalité, ni augmenter les engagements des actionnaires qu’à l’unanimité. V. art 1 et 110 de la loi n°17-95.
416
V. Art. 111 de la loi n°17-95.
417
V. Art. 110 de la loi n°17-95.
418
Jean François BULLE et Michel GERMAIN, Pratique de la société anonyme, Dalloz, Paris, 1991, p. 121.
419
Ibid.
420 e
Dominique VIDAL, Droit des sociétés, 4 éd. L.G.D.J., Paris, 2003, p. 189.

133
détient la majorité des droits de vote a le contrôle de la société. En conséquence, « la loi de la
majorité, cède la place au contrôle »421.

Selon une conception parfaite du fonctionnement de la loi de la majorité, « la volonté


sociale est l’expression d’un débat contradictoire en assemblée sanctionné par un vote »422.
Mais, lorsqu’un actionnaire ou un groupe d’actionnaires a la majorité des voix, il a le pouvoir
de décider et de contrôler la société423.

Dans ces conditions, le majoritaire détenant le contrôle peut exercer son pouvoir sous
l’influence d’un conflit d’intérêts en provoquant un abus. C’est à ce stade qu’il convient de
préciser que si le contrôle est accordé à l’actionnaire majoritaire, c’est pour être utiliser dans
l’intérêt commun des actionnaires et de l’intérêt social et non pas dans son propre intérêt.
Dans le cas contraire, l’usage du contrôle devient illégal et arbitraire, et permet de caractériser
un abus.

Littéralement, le mot « abus » désigne l’usage excessif que l’on fait d’un droit et qui a
pour conséquence de porter atteinte aux droits d’autrui. C’est « l’usage mauvais que l’on fait
d’une chose »424. Juridiquement, il s’agit de « l’usage excessif d’une prérogative
juridique »425. D’après ces définitions, l’abus suppose une intention de nuire.

Adapter à la société anonyme, l’abus commis par l’actionnaire majoritaire a pour vocation
de faire profiter à son auteur de la situation privilégiée que lui confère le contrôle de la société
et nuire aux minoritaires en rompant la communauté d’intérêts, tout en portant atteinte à
l’intérêt social. Dans ce contexte, on parle d’abus de majorité.

Paragraphe 2 : L’abus de majorité

Que ça soit au Maroc ou en France, aucun texte législatif ne définit l’abus de majorité.
Toutefois, le code de bonnes pratiques de gouvernement d’entreprise marocain 426 donne une
définition à l’abus de majorité issue de la jurisprudence. D’ailleurs, cette notion est une

421
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 413.
422
Caroline RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, Thèse dactyl. Paris II, 1997, p.196, cité par ibid.
423
Ibid.
424
Le Petit Larousse Illustré, Dictionnaire encyclopédique, éd. Patrice MAUBOURGUET, 1996, p. 32.
425
Gérard CORNU, op. cit., p. 25.
426
Le glossaire du code de bonnes pratiques de gouvernement d’entreprise 2008 définit l’abus de majorité comme suit : « l’abus de majorité suppose qu’une décision de la

majorité des actionnaires ait été prise contrairement à l’intérêt général de la société, dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité, et au détriment des
minoritaires ».

134
innovation jurisprudentielle mise en place pour entraver l’usage abusif que peut faire la
majorité de son droit de vote.

L’arrêt qui a donné naissance à la notion d’abus de majorité date du 18 avril 1961 427. Dans
le cas d’espèce, la société des Anciens établissements Piquard et consorts Piquard a pu
réaliser des chiffres d’affaires importants pendant plusieurs années, ce qui lui a permis de
mettre successivement en réserve les bénéfices réalisés. Cette mise en réserve a atteint deux
fois et demie le capital social. Suite à une délibération, l’assemblée générale a pris la décision
à la majorité de mettre en réserve, encore une fois les bénéfices réalisés428.

La Cour d’appel de Paris a annulé par la suite cette décision en se basant sur le non-
respect du pacte social. Elle a motivé sa décision sur le fait que « le cumul excessif des
réserves n’était justifié, ni par le simple souci de prévoyance, ni par la nécessité de faire face
à une dépense temporaire exceptionnelle, mais marquait le désir des dirigeants de la société
de pratiquer une politique de capitalisation occulte des réserves pour éviter une
augmentation de capital »429.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt en décidant « qu’il ne


ressort pas de ces motifs que la résolution litigieuse avait été prise contrairement à l’intérêt
général et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des
membres de la minorité 430». Aussitôt, est qualifié d’abus de majorité toute décision prise
contrairement à l’intérêt social et qui rompt l’égalité entre les actionnaires. Cette définition
indique que « le pouvoir des majoritaires a un caractère fonctionnel. Il ne leur est pas donné
dans leur intérêt personnel, mais dans celui de la société »431.

Ceci dit, il convient de noter que l’abus de majorité est souvent illustré lors des décisions
de mise en réserve du bénéfice social (B). Toutefois, sa constitution doit répondre à deux
éléments cumulatifs qui feront l’objet d’une réflexion (A).

A- Réflexion sur les éléments constitutifs de l’abus de majorité :

La société anonyme est par nature un groupement d’intérêts ou chaque actionnaire essaie
d’en tirer profit en fonction du gouvernement majoritaire. Elle ne peut être la source

427
Cass. com. 18 avril 1961, in J.C.P., 1961, II, 12164, note Bastian ; R.T.C.com., 1961, p. 634, note HOUIN, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., , p. 342.
428
Idem, p. 343.
429
Ibid.
430
Ibid.
431
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 482.

135
d’harcèlement des actionnaires minoritaires au risque de la condamnation des actionnaires
majoritaires d’abus de majorité.

Pour pouvoir cantonner l’abus de majorité, il convient de s’arrêter sur ses éléments
constitutifs qui portent sur le non-respect de l’intérêt social et le non-respect de la
communauté d’intérêts des actionnaires.

Toutefois, le Pr. Schmidt écarte le non-respect de l’intérêt social et estime que l’abus de
majorité doit être caractérisé par la réalisation d’un seul élément qu’est la rupture d’égalité
entre les actionnaires. Pour lui, « ajouter l’atteinte à l’intérêt social apparait inopportun,
inutile et parfois impraticable »432.

Maître Piniot, avocat général à la Cour de cassation a, quant à lui, avancé un argument
raisonnable sur l’exigence de la condition de l’irrespect de l’intérêt social par la
jurisprudence en précisant que « c’est donc à l’aune de l’intérêt social que le comportement
des associés et des dirigeants va être apprécié. La chambre commerciale marque ainsi, son
souci de ne pas permettre de déstabiliser la gestion et la situation de la société pour des
motifs tirés des seuls intérêts personnels des minoritaires qui doivent s’incliner devant des
décisions prises à la majorité »433. Mais, selon le Pr. Schmidt « pour protéger la stabilité de la
gestion et la situation de la société menacées par les minoritaires mal intentionnés, point
n’est besoin d’invoquer l’intérêt social : il suffit de constater l’abus commis par ces
actionnaires et d’appliquer les sanctions adéquates pour réprimer de tels comportements et
dissuader ceux qui voudraient les adopter. Si les minoritaires démontrent qu’une décision a
été prise dans l’unique dessin de favoriser les majoritaires à leur détriment, ils établissent
par là même que la décision majoritaire a déstabilisé la gestion et la situation de la
société »434. Pour cet auteur, l’intérêt social ne peut être que l’intérêt commun des actionnaires
qui porte sur l’enrichissement social et son partage loyal entre eux. Ainsi, l’abus de majorité
doit être caractérisé dès qu’il y a un partage -traitement- inégal entre les actionnaires.

La doctrine développée par Pr. Schmidt reproche aux actionnaires majoritaires le fait
qu’ils empêchent toute distribution du bénéfice social pendant des années successives au
profit de sa mise en réserve. Bien souvent, ces mises en réserve n’affectent pas tous les
actionnaires, dans la mesure où les majoritaires bénéficient généralement de postes de gestion
432
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 319.
433
Rapport annuel de la Cour de cassation, « La situation des associés minoritaires dans la jurisprudence récente de la Chambre commerciale », 1993, éd. Documentation

française, p. 118, cité par ibid.


434
Idem, p. 320.

136
qui sont généreusement rémunérés. C’est le cas d’un arrêt de la Cour de cassation 435 du 6 juin
1999 où tous les bénéfices d’une société étaient mis en réserves de sorte qu’elles ont atteint
vingt-deux fois le montant du capital, et ce depuis sa création, « tandis que les deux associés
détenant 4/5éme du capital disposaient de rémunérations importantes dont la croissance a été
anormalement rapide et qui ont permis en particulier au gérant de réaliser des
investissements personnels se substituant à ceux qui auraient dû être réalisés normalement
par la société s’agissant des immeubles qu’elle occupait et dont elle devait payer le loyer au
gérant ». Cet arrêt montre comment les majoritaires usent de la mise en réserves pour combler
leur intérêt personnel en touchant de la société des gratifications et des loyers. Cette situation
permettra également aux majoritaires de racheter à un prix dérisoire les titres des minoritaires
qui auront des difficultés à céder les titres d’une société qui ne distribue pas son bénéfice 436.

C’est ainsi que le Pr. Schmidt a pour aspiration de modifier les éléments qui constituent
l’abus de majorité et de le limiter au seul critère de la rupture d’égalité des actionnaires, en
supprimant le critère de l’intérêt social. Pour lui, l’intérêt social est l’intérêt commun des
actionnaires, donc pas la peine de mentionner l’irrespect de l’intérêt social comme une
condition de plus pour caractériser l’abus de majorité.

Cependant, le raisonnement du Pr. Schmidt appelle une remarque pertinente : il se limite


à une seule conception de la société. Certes, la conception contractuelle de la société soutient
que l’intérêt social ne peut être autre chose que l’intérêt commun des actionnaires, mais il ne
faut nullement négliger la conception institutionnelle qui attribue à la société un intérêt propre
qui, comme nous l’avons observé, peut être celui de la société ou celui de l’entreprise.

De plus, retenir uniquement la rupture d’égalité pour la constitution d’abus de majorité


risquerait d’entraver le fonctionnement correct de la société. Les majoritaires se trouveraient
harceler par les minoritaires qui s’opposeraient aux résolutions bénéfiques pour la société,
comme notamment les mises en réserve, dès lors qu’elles n’engendrent pas un traitement
égalitaire des actionnaires. Ainsi, le double critère de la rupture d’égalité et de la violation de
l’intérêt social rend la caractérisation de l’abus de majorité difficile, ce qui empêche les
minoritaires de bloquer le fonctionnement de la société437.

435
Cass. com. Juin 1990, in D. 1992, p. 56, note CHLOEY-COMBE, cité par Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 58.
436
Ibid.
437
Idem, p. 66.

137
D’ailleurs, le Pr. Schmidt lui-même à constater l’utilité des deux critères, à travers une
analyse de la jurisprudence française publiée au cours des dernières décennies. En
décortiquant comment la Cour de cassation manipule la définition qu’elle donne à l’abus de
majorité. Il a pu distinguer trois normes fondamentales : « la Cour rejette la qualification
d’abus de majorité lorsque les intérêts de tous les actionnaires sont traités de manière
égalitaire ; la Cours veille à ce que soit caractérisé « l’unique dessin » poursuivie par les
majoritaires ; la Cour rejette la qualification d’abus de majorité lorsque la contrariété de la
décision attaquée à l’intérêt social n’est pas constatée »438. La rupture d’égalité ne peut donc
suffire à elle seule à identifier l’abus de majorité, il faut en plus, la contrariété à l’intérêt
social.

D’une autre manière, « l’intérêt social au sens large est donc l’objet de la protection, et
la rupture d’égalité est en quelque sorte la condition nécessaire d’intervention du juge. C’est
bien parce que les majoritaires abusent de leur pouvoir dans leur intérêt personnel au
détriment des minoritaires que le juge intervient pour rétablir l’équilibre et protéger l’intérêt
social »439 .

L’exigence de cet élément intentionnel qui porte sur la volonté de s’avantager


consciemment aux dépens des autres actionnaires 440 a été également exprimée, il y a
longtemps, par d’autres auteurs qui affirmaient que « si un actionnaire ou un groupe
d’actionnaires sacrifie sciemment l’intérêt commun afin de s’attribuer un avantage
personnel, il commet un abus de droit »441. En effet, la volonté de s’avantager au détriment
des autres actionnaires contribue à la caractérisation de l’abus, à défaut de cet élément
intentionnel, le juge se trouvera entrain de juger le mode de gestion des majoritaires, alors
qu’il n’a pas à « se substituer aux dirigeants dans l’appréciation de ce qui est opportun et
inopportun »442.

Mis à part un ancien incident du parcours jurisprudentiel 443, où seul le non-respect de


l’intérêt social a été pris en considération en écartant l’exigence de la rupture d’égalité, l’abus

438
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 324.
439
Sacha ZEIDENBERG, L’intérêt social, Etude du particularisme du contrat de société, Thèse, Bordeaux IV, 2000, p. 348, cité par idem, p. 228.
440
Ibid.
441
Charles HOUPIN et Henry BOSVIEUX, Traité des sociétés, T. II, n° 1285, 7e éd., Sirey, Paris, 1937, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 218.
442
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 483.
443
La Chambre commerciale de la Cour de cassation avait considéré dans sa décision que le non-respect de l’intérêt social était suffisant pour caractériser l’abus de majorité,

Cass. com. 22 avril 1976, in Gaz. Pal., 1977, Doct., p. 157, note M. GREAMAIN, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 343;

138
de majorité n’est constitué que lorsque la rupture d’égalité est intentionnellement provoquée
et que la contrariété à l’intérêt social ait constatée.

B- Illustration de l’abus de majorité :

L’abus de majorité est essentiellement caractérisé dans les décisions de mise en réserve
du bénéfice social. Quand la mise en réserve est systématique et n’est pas justifiée par
l’intérêt social, les minoritaires sont arbitrairement privés de l’unique profit qu’ils peuvent
tirer de leur participation dans la société, tandis que les majoritaires bénéficient de mandats
sociaux ou de contrats de travail444, leur assurant des revenus réguliers.

Il n’est pas à dénier que les bénéfices jouent un rôle capital dans la vie d’une société. Ils
permettent non seulement de reconstituer l’actif social, mais également de financer de
nouveaux investissements. D’ailleurs, une fois que les réserves obligatoires 445 ont été
gratifiées, les actionnaires ont la possibilité de porter une partie ou la totalité du bénéfice à
une réserve facultative446. La mise en réserve systématique de chaque bénéfice est toutefois
contraire à la finalité de la société qui est constituée pour partager le bénéfice qui pourra en
résulter : « c’est une machine à distribuer des fonds à ses associés et non une machine à
thésauriser des richesses »447.

Certes, la politique d’autofinancement à travers la mise en réserve du bénéfice social est


largement préférée à sa distribution, étant donné qu’elle permet à la société de garder son
entière indépendance et d’éviter qu’elle s’endette. Mais, opter pour une politique permanente
de constitution de réserves ne sert pas l’intérêt des minoritaires 448 qui se trouvent privés d’un
dividende régulier et dont la valeur de leurs actions se trouve affecter.

Il y aura ainsi une confrontation entre les majoritaires partisans du report de la


distribution du bénéfice, qui préfèrent assurer le développement et la prémunition de la
société contre les risques du future, et les minoritaires qui privilégient la distribution du
bénéfice et de percevoir les dividendes449. Les minoritaires invoquent ainsi, un abus de
majorité pour essayer de provoquer l’annulation de la résolution abusive. Il conviendrait dans
444
Paul LE CANNU, op. cit., pp. 143 et 144.
445
Art. 279, al. 3 dispose que « La société doit disposer de réserves, autres que la réserve légale, d'un montant au moins égal à la valeur de l’ensemble des actions qu'elle

possède » ; V. Art. 329 de la même loi.


446
177 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫عز الدين بنستي‬.
447
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 174.
448
Les majoritaires ne sont généralement pas affectés par cette politique puisqu’ils bénéficient de rémunérations aisés, ils disposent d’un mandat social ou d’un contrat de travail

ou les deux à la fois en cas de cumul, contrairement aux minoritaires qui ne bénéficient que du dividende.
449
Ibid.

139
ce cas, d’examiner si l’actionnaire a le droit de contester la décision de l’assemblée générale
de reporter le bénéfice d’une société, dont la situation ne justifie pas une mesure pareille ?

Deux cas de figure se présentent : Le premier est que la constitution des réserves est
prévue par les statuts ou la loi. Dans ce cas, l’actionnaire ne peut s’opposer à la décision de
l’assemblée générale de mettre à nouveau en réserve le bénéfice social. Le deuxième cas se
présente quand les statuts ne prévoient rien. L’assemblée générale a-t-elle le droit de décider
de mettre les bénéfices en réserves au lieu de les distribuer ? Et en cas de contestation des
minoritaires, comment les juges doivent –ils se prononcer ?

La réponse à ces questions est l’intérêt social. En effet, la jurisprudence et la doctrine ont
trouvé une solution malléable qui satisfait à la fois les majoritaires et les minoritaires. C’est
une solution qui permet aux juges d’apprécier la question contestée au cas par cas. Ainsi, la
constitution des réserves est légitime lorsqu’elle est conforme à l’intérêt de l’entreprise. Par
contre, elle est illicite si elle méconnait cet intérêt ce qui conduira de ce fait, à l’annulation de
la délibération de l’assemblée générale qui l’a décidé 450. La référence à l’intérêt de l’entreprise
ici, est justifiée par le fait que l’injection des bénéfices dans l’investissement des activités
sociales satisfait en premier lieu l’activité de l’entreprise en assurant son développement. Dès
lors, cette injection est légitime lorsqu’elle est justifiée par l’intérêt social.

L’arrêt de la Cour d’appel de commerce de Fès rendu le 19 décembre 2002 451 en donne
l’exemple, dont les motifs se présentent comme suit : « attendu qu’il a été constaté, d’après le
procès-verbal de l’assemblée général tenue le 30 mai 2000, que l’intimé a réalisé des
bénéfices atteignant 5.179.131,26 dirhams, dont 25% ont été distribués, les 75% ayant été
affectés à la réserve ; Attendu qu’il est de principe général que les bénéfices nets sont
distribués aux actionnaires et qu’à défaut ces derniers sont présumés subir un préjudice le
tout, bien entendu, après affectation de la quotité requise à la réserve légale et à la
constitution d’autres réserves si l’intérêt de la société l’exige et ce, conformément à l’article
329 de la loi sur les sociétés anonyme ; Attendu que, nonobstant la liberté accordée à la
société, par l’article 35 des statuts, pour l’affectation des résultats, il n’en demeure pas moins
que cette liberté ne doit pas être exercée abusivement des actionnaires, étant entendue que
l’affectation de 75% des bénéfices à la constitution de réserves facultatives sans que cette
affectation ne soit justifiée par un programme d’investissement ou tout autre plan à ce sujet

450
Idem, p. 200.
451
Arrêt n°1399, dos. n° 392/2002, in AL MEIAR du Barreau de Fès n° 31, juin 2004, p. 236, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, « De l’abus dans l’exercice du droit de vote

en droit des sociétés », in REMADAE, n°7, janvier 2005, p. 14.

140
est irraisonnable et justifie sa qualification d’abusif vis-à-vis des minoritaires ». La Cour
d’appel laisse entendre que le fait de mettre en réserve les 75% du bénéfice n’allait pas être
abusif s’il y avait un projet d’investissement ou un plan d’exploitation de ladite réserve.

Cette position explicite de la jurisprudence marocaine a été clairement affichée par un


arrêt de la Cour de cassation datant de 1987452. Cet arrêt n’a pas retenu un abus de majorité au
motif que la politique de l’affectation totale des bénéfices à la réserve extraordinaire pendant
dix ans « a consisté en particulier à assurer un financement important de la société sans qu’il
soit besoin de faire appel à des avances de fonds extérieurs et qu’elle a conduit, à défaut de
distribution de dividendes, à une progression de la valeur des actions qui profite à tous les
actionnaires ; que les rémunérations versés aux dirigeants ne sont pas anormales ; qu’en
l’état de ces constatation et énonciations, la cour d’appel a pu retenir que les décisions
litigieuses n’ont pas été prises contrairement à l’intérêt social et dans le dessein de favoriser
les majoritaires au détriment de Mm. Puhilp (minoritaire) ;(…) «.

Ce chemin jurisprudentiel a été emprunté antérieurement, par la cour de Cassation en


cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris daté du 22 février 1959 453. En l’espèce, la bonne
gestion de la société avait permis un développement important et un chiffre d’affaire en
augmentation. Cette gestion avait permis de mettre en réserves les bénéfices précédents et
d’atteindre deux fois et demie le capital social. Suite à une délibération, l’assemblée générale
avait décidé de reporter à nouveau les bénéfices pour ne pas recourir à une augmentation du
capital. Suite à une action engagée par des actionnaires minoritaires, la Cour de Paris a annulé
cette délibération au motif que « les bénéfices ne devaient être bloquée et mis en réserves que
par mesure de prévoyance et pour parer, soit à des besoins imprévus, soit à des dépenses
temporaires. Mais, ils ne peuvent en aucun cas servir à parfaire le capital social en vue de
procéder à des immobilisations, acquérir du matériel, accroitre les stocks de marchandises
ou procurer les fonds nécessaires à la marche normale de l’entreprise et à la poursuite de son
développement ». La Cour de Paris évoque l’intérêt de l’entreprise et semble condamnait
l’autofinancement. Cet arrêt a été cassé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Il a été considéré que cette mise en réserve n’était nuisible ni à l’intérêt social ni à l’égalité
des actionnaires, dans la mesure où la situation financière de la société en a profité, ce qui est

452
Cass. com., 23 juin 1987, Philip c/ Sté Manoir Murisaltien, Laurent et autres, in Bull. Joly, juil.-aout 1987, p. 624, p. 257, cité par Paul LE CANNU et Daniel LEPELTIER,

Jurisprudence Joly de droit des société, 1986-1990, éd. Joly, Paris, 1992, p. 4.
453
CA Paris, 22 févr. 1959, in JCP 1959, II, n° 11175, note D. B., cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 75.

141
conforme à l’intérêt social, et les majoritaires ont subis les mêmes privations financières que
les minoritaires, ce qui est conforme à l’égalité des actionnaires.

En réalité, la jurisprudence a plus tendance à favoriser la constitution des réserves et


admet rarement la présence d’un abus de majorité. En effet, « les juges considèrent que la
mise en réserve a toujours un intérêt au moins virtuel pour la société »454. Pour être
condamnable, cette décision doit être d’un côté, contraire à l’intérêt social en diminuant le
patrimoine de la société, ce qui n’est pas le cas lors d’une mise en réserve, de l’autre côté, la
rupture d’égalité doit être soulevée ce qui n’est pas le cas, puisque la mise en réserve produit
les mêmes restrictions financières sur l’ensemble des actionnaires455.

La décision de distribution des réserves qui est tant critiquée par les défendeurs de
l’intérêt commun des actionnaires est « très souvent une décision recommandée sur le plan
financier quand on sait que des sociétés souffrent d’un manque de fonds propres »456. C’est
une décision qui n’est donc pas contraire à l’intérêt de l’entreprise dans la mesure où elle
assure la pérennisation de l’activité sociale, ni encore à l’intérêt des actionnaires puisqu’elle
rejaillit sur tous les actionnaires d’une manière égale. Néanmoins, cette décision ne peut être
acquise que si elle n’est pas abusive.

C’est dans ce sens qu’un arrêt de la Chambre commerciale rendu le 22 avril 1976 457 avait
retenu un abus de majorité au motif que « l’affectation systémique de la totalité des bénéfices
à la réserve extraordinaire n’a répondu ni à l’objet, ni aux intérêts de la société, la Cour
d’appel a relevé le premier élément dont l’existence est nécessaire, sinon suffisant pour
caractériser l’abus de droit de majorité ; en constatant que les décisions litigieuses
favorisaient les deux associés majoritaires et nuisaient au contraire à l’associé minoritaire,
la Cour d’appel a relevé le deuxième élément caractéristique de l’abus du droit de majorité ».
La Cour d’appel a ainsi condamné la thésaurisation du bénéfice sans intention
d’investissement. La question n’est donc pas de déterminer si la constitution de réserves est
légitime ou non, mais plutôt si cette constitution respecte l’intérêt social ou non. Il s’agit donc
d’une approche d’appréciation au cas par cas dont le juge garde le dernier mot 458. C’est ainsi,
notamment, que « la politique financière de la société est devenue le terrain d’élection de

454
Phillipe MERLE, op. cit., p. 707.
455
Ibid.
456
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 75.
457
Cass. crim. 22 avr. 1976, in Gaz. Pal. 1977, doct., p 157 ; Trib. com. Paris 14 mai 1973, in Rev. Sociétés 1794, p. 71, note E. PONTAVICE, cité par Ilham MAMOUNI, op.

cit., p. 201.
458
Idem, p. 199.

142
l’intervention du juge dans la vie des sociétés, sous prétexte de confronter son opportunité à
l’intérêt de la société »459. La conformité à l’intérêt social permet effectivement, au « pouvoir
judiciaire d’exercer un certain contrôle sur la politique financière de la société »460.

La constitution des réserves n’est pas la seule résolution qui peut donner lieu à un abus de
majorité. D’autres décisions peuvent être déclarées abusives. L’arrêt de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation du 29 mai 1972 461 en est l’exemple. Les faits sont
comme suit : alors que la société mère a pris l’initiative de prendre en charge le passif de sa
filiale, cette décision a été annulée suite à la contestation des minoritaires.

Cette décision est étonnante, lorsqu’on sait que le plus souvent, les sociétés évitent de
payer les dettes de leurs filiales et que les tribunaux les obligent à couvrir leur passif. Une
analyse des circonstances de cette décision justifiera l’existence d’un abus de majorité : déjà,
la décision de l’assemblé générale de la société mère n’était pas conforme à son intérêt social
dans la mesure où elle ne s’explique pas par des raisons de droit, puisqu’il n’y avait pas de
cautionnement. La société mère et sa filiale avaient des relations purement financières, les
clients de la filiale ne pouvaient être ceux de la société mère. De plus, la décision de dissoudre
la filiale étaient déjà prise. La rupture d’égalité est également constatée, puisque l’un des
majoritaires était le gérant de la filiale. Si la prise en charge du passif n’était pas réalisée, la
filiale allait être soumise à la liquidation des biens et la totalité ou une partie du passif allait
être mis à la charge du gérant. C’est l’intérêt personnel du majoritaire qui a conduit à la prise
de cette décision462.

Beaucoup d’autres décisions sociales peuvent être à l’origine d’un abus de majorité :
attribution de rémunérations excessives aux dirigeants sociaux 463, aménagement de la
direction dans le but de favoriser un groupe familial 464, ou encore en cas de transformation
d’une société anonyme en commandite par actions465. Cette liste n’est évidemment pas
exhaustive.

459
Christine MONSALLIER, op. cit., p. 349.
460
Ibid.
461
J.C.P., 1973, II, 17337, note GUYON, cité par Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 483.
462
Ibid.
463
Com. 1er juill. 2003, in Bull. Joly 2003, p. 1137, n° 236, A. CONSTANTIN ; Rev. sociétés 2004, p. 337, B. LECOURT, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 708.
464
Paris, 27 févr. 1997, in Bull. Joly 1997, p. 573, n° 227, J.-P. Garçon ; Paris 2 juill. 2002 (Aff. Azzaro) in Bull. Joly 2002, p. 1204, n° 257, P. LE CANNU, cite par ibid.
465
Com. 30 nov. 2004 (Chmpagnes Giesler), in Bull. Joly 2005, p. 241, n° 42, P. LE CANNU, cité par ibid ; JACK BERTRANDON, « Abus de majorité et abus de pouvoirs »,

in RFC, n° 390, Juil/aug 2006, p. 12.

143
Pour conclure, il convient de remarquer que l’abus de majorité se fonde sur un conflit
d’intérêts entre les majoritaires et les minoritaires et ou la volonté de la jurisprudence de
protéger le fonctionnement de la société l’a incité à prendre en considération l’intérêt social
pour résoudre ce conflit. En effet, l’exigence à la fois du non-respect de l’intérêt social et de la
rupture d’égalité entre les actionnaires ne facilite pas la caractérisation de l’abus de majorité,
ce qui empêche les minoritaires d’entraver le fonctionnement correct de la société.

Sous-section 2 : Le contrôle de l’actionnaire minoritaire

L’actionnaire minoritaire peut être défini par l’actionnaire, qui suite à sa faible
participation dans la société anonyme, ne joue pas un rôle décisionnel dans les assemblées
générales. Néanmoins, avec un tiers des voix plus une, il a une minorité de blocage qui lui
permet de bloquer les décisions prises dans les assemblées générales extraordinaires en
empêchant la réunion de la majorité.

Si le contrôle des moyens mis en place pour détecter cet abus s’est montré peu efficace
(paragraphe 1), il y a lieu d’explorer une proposition d’une nouvelle définition (paragraphe
2) qui permettra, on l’espère, à assurer une meilleure protection à l’intérêt social.

Paragraphe 1 : La détection de l’abus de minorité

L’actionnaire minoritaire a le droit de s’opposer à la loi de la majoritaire. Cette attitude


n’est pas illégitime, rien ne lui interdit de ne pas exercer son droit de vote ou de voter contre.
En revanche, son opposition devient illégitime quand elle prend source de la satisfaction d’un
intérêt contraire à celui de la société. Pour faire face à cette situation qui peut s’avérer
dangereuse pour la société, la jurisprudence a pris les devants, comme elle l’a d’ailleurs fait
pour l’abus de majorité, et a créé l’abus de minorité.

En se basant sur la définition de l’abus de majorité, la jurisprudence a reconnu l’abus de


minorité bien tardivement, et ce par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 15 juillet
1992466. Une associée détenant plus du quart des parts d’une SARL s’oppose à la
transformation en société anonyme, tandis que les majoritaires ont voté pour la décision. La
Cour d’appel de Limoge467 rejette la demande en annulation de l’associée au motif qu’elle
« n’établissait nullement que la transformation en société anonyme a été dommageable pour
la société ». La Chambre commerciale casse l’arrêt : « attendu qu’en ne déterminant pas de

466
Rev. Sociétés 1992, 44, note P. MERLE ; J.C.P., 1992, II, 21849, note J.F. BARBIERI, cité par Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 484.
467
CA Limoges, 23 avril 1990, BRDA, 31 janvier 1991, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 2.

144
tels motifs, impropres à établir en quoi l’attitude de Mme Six avait été contraire à l’intérêt
général de la société, en ce que Mme Six aurait interdit la réalisation d’une opération
essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au
détriment de l’ensemble des autres associés, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à
sa décision »468.

On remarque que la détection de l’abus de minorité comprend également une attitude


contraire à l’intérêt social et une rupture d’égalité. Toutefois, la jurisprudence a ajouté une
autre condition pour définir le vote abusif des minoritaires : il faut que la résolution bloquée
constitue une opération essentielle pour la société 469. Mis à part ce dernier critère, il semble
que la définition de l’abus de minorité a était calquée sur celle de l’abus de majorité. Faut-il
cependant estimer que les deux concepts sont identiques ? L’analyse de l’opération essentielle
à la société (A) et la détermination de la place que prend la rupture d’égalité dans la
caractérisation de l’abus de minorité (B), nous permettra de répondre à cette question.

A- L’opération essentielle :

À la différence de l’abus de majorité, l’attitude du minoritaire opposant ne serait contraire


à l’intérêt social que s’il empêche la réalisation d’une opération essentielle pour la société.
L’arrêt de principe Six470 qui a posé les éléments constitutifs de l’abus de minorité n’a pas
donné de définition à l’opération essentielle. Il fallait attendre le célèbre arrêt Flandin 471 pour
l’avoir. Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’une opposition à une augmentation de capital.
Afin de décider qu’il y avait abus de minorité, la chambre commerciale avait retenu que « M.
Flandin avait commis un abus de minorité en s’opposant à l’augmentation de capital à
hauteur de 50000F qui était légalement requise et était nécessaire à la survie de la société».

Une opération est donc essentielle pour la société lorsqu’elle est prescrite par la loi et
nécessaire à sa sauvegarde. À travers ce critère, l’abus de minorité est facilement caractérisé
lorsqu’il s’agit de la pérennité de la société, comme dans le cas d’une opposition à la
prorogation de la société, à une augmentation du capital sous peine de dissolution, le refus de

468
Ibid.
469
Ibid.
470
Rev. Sociétés 1992, 44, note P. MERLE ; J.C.P., 1992, II, 21849, note J.F. BARBIERI, cité par Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 484.
471
Cass. com., 9 mars 1993, in D. 1993, p. 363, note Y. GUYON, cité par Paul LE CANNU, op. cit., p. 146.

145
voter la transformation de la société472, ou encore le refus de modifier les droits des titres
spéciaux473.

En revanche, la position de la jurisprudence marocaine reste ambiguë. Cette ambigüité a


été enregistrée lors d’un jugement récent rendu par le Tribunal de commerce de Marrakech en
date du 7 mai 2000 : il s’agit d’un actionnaire minoritaire détenant une minorité de blocage
qui s’est opposé à une proposition d’augmentation du capital qui était exigée par les banques
pour financer les projets de développement. Afin de justifier l’abus de minorité, le Tribunal
avait retenu que « attendu que si le droit de vote est le principal droit reconnu à l’actionnaire
dans les sociétés commerciales, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un droit fonctionnel
devant être utilisé dans l’intérêt commun, une utilisation qui en ai faite à des fins personnelles
et égoïstes de la part de l’associé pour favoriser ses propres intérêts au détriment des autres
associés et de l’intérêt de la société, comme est le cas en espèce, est considéré comme un abus
de droit en application de l’article 94 du D.O.C.»474.

Après examen de ce jugement, il parait que la jurisprudence marocaine a retenu les


mêmes critères que ceux retenus par la jurisprudence française pour détecter l’abus de
minorité, à l’exception du critère de l’opération essentielle.

La position de la jurisprudence marocaine a pu, toutefois, rejoindre celle de la


jurisprudence française par l’arrêt de la Cour d’appel 475 de Marrakech qui a confirmé le
jugement précédent en ajoutant le critère de l’opération essentielle. Cet arrêt a précisé que
l’augmentation du capital bloquée est nécessaire pour le développement de la société et par
conséquent, à sa survie.

Mais quand est-il des résolutions qui ne sont pas essentielles ? Le recours à ce critère ne
signifie-t-il pas que lorsque l’opération n’est pas essentielle pour la société, les minoritaires
peuvent la bloquer sans crainte d’être sanctionnés pour abus de minorité et ce, même si
l’opération permettra un meilleur fonctionnement de la société ? Il semble que l’abus de
minorité protège mal la société : Il faut attendre que sa pérennité soit en danger pour qu’elle
soit protégée.

472
Cass. com. 15 juil. 1992, cité par idem, p. 147
473
CA Besançon, 5 juin 1957, in D. 1957, p. 605, note A. DALSACE, cité par ibid. : Dans le cas d’espèce, le refus d’un actionnaire qui était le représentant des porteurs des

parts de fondateurs, de voter une modification des statuts préservant les droits des porteurs de ces parts en cas de liquidation, avait été qualifié d’abusif,
474
Trib. Com. Marrakech, n°270, dossier n°817/2000, 7 mai 2000, cité par Abdeljalil EL HAMMOUMI, « De l’abus dans… », op. cit., p. 11.
475
C.A. Marrakech n°597, 2 juil. 2001, le texte intégral de l’arrêt ce trouve dans la GTM, n° 91, nov.-déc., 2001, p. 171, cité par ibid.

146
En effet, l’existence du critère de l’opération essentielle pour la société empêche de
caractériser d’abusif le blocage des minoritaires d’une résolution qui va permettre le
développement ou le meilleur fonctionnement de la société. Tel est le cas par exemple d’une
opération d’augmentation de capital qui n’est pas nécessaire à la survie de la société, mais qui
permettra en l’occurrence d’assurer ses besoins de financement. Le minoritaire peut refuser de
voter pour cette augmentation au motif d’empêcher la dilution de sa part d’influence dans la
société476. Dans ce cas-là, les intérêts personnels de l’actionnaire passent avant le
développement de la société, ce qui est contraire à l’intérêt social et brise l’égalité des
actionnaires.

A cet égard, il semble que la suppression du critère de l’opération essentielle pour la


société facilitera la caractérisation de l’abus de minorité. Ainsi, sera considéré comme abusif
le refus de voter pour une augmentation de capital, du moment que ce refus serait contraire à
l’intérêt social et engendrera une rupture d’égalité. En effet, voter pour l’augmentation de
capital servira l’intérêt social puisqu’il assurera son développement, alors que voter contre
cette résolution afin de préserver le même pourcentage peut être qualifié d’égoïste, lorsque ce
refus nuira à l’intérêt de la société dont les intérêts des autres actionnaires dépendent.

Dans tous les cas, il parait que le critère de l’opération essentielle pour la société rend la
tâche difficile aux majoritaires pour caractériser l’abus de minorité, ce qui protège
insuffisamment la société. A l’évidence, la jurisprudence admet de surcroît qu’un blocage est
légalement possible si une opération n’est pas essentielle. En conséquence, un actionnaire
peut bloquer toute opération pour satisfaire un autre intérêt que son intérêt dans la société,
juste parce qu’elle n’est pas essentielle pour la société. Supprimer ce critère de la résolution
litigieuse permettra de mieux protéger la société, vu que l’abus de minorité pourra être
caractérisé dès qu’il y a une rupture d’égalité et une contrariété à l’intérêt social, comme c’est
d’ailleurs le cas pour l’abus de majorité.

Néanmoins, un auteur argue que la mention de l’opération essentielle peut s’expliquer par
« la volonté de la chambre commerciale de préciser en quoi peut consister la méconnaissance
de l’intérêt social dans l'hypothèse particulière d'un abus de minorité »477. Selon cette
476
La Cour d’appel de Paris n’a pas retenu un abus de minorité contre un groupe détenant une minorité de blocage « groupe Bel » qui s’est opposé au projet d’augmentation de

capital du conseil d’administration de la société Fromageries Paul Renard, au motif que « …le désir du groupe Bel d’empêcher la dilution de sa part d’influence dans la société
sauf à se soumettre à des conditions très onéreuses, constituait une justification suffisante de son opposition à l’augmentation du capital projetée ;…que les trois votes émis pour
marquer cette opposition ne peuvent donc être qualifiés d’arbitraire ;…qu’il résulte de la motivation qui précède que les éléments constitutifs d’un abus de minorité de la part du
groupe Bel ne sont pas réuni… », Paris, 3e Ch. A, 26 juin 1990, SA Fromageries Bel et autres c/ SA Fromageries Paul RENARD, in Bull. Joly, aout-sept. 1990, p. 755, note P.
LE CANNU, cité par Paul LE CANNU et Daniel LEPELTIER, op. cit., p. 5.
477
Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 51.

147
logique, le dispositif de la protection des minoritaires prévue par le code de commerce
français et par le même biais dans la loi 17-95 sur les SA empêche de douter de toute
opposition minoritaire. Ainsi, l’abus de minorité ne doit être pris en compte que dans des cas
exceptionnels dans lesquels l’avenir de la société est en danger, au risque de voir tout le
dispositif protecteur des minoritaires perdre sa raison d’être.

Toutefois, à travers ce critère, l’abus de minorité est facilement détectable lorsqu’il s’agit
de la pérennité de la société, comme dans le cas d’une décision de prorogation de la société,
ou d’une augmentation du capital sous peine de dissolution. Il en découle que la jurisprudence
s’est rabattue sur l’intérêt de l’entreprise pour qualifier cet abus : en assurant la pérennité de la
société, c’est l’activité de l’entreprise qui est assurée.

En revanche, pour être abusif, le vote du minoritaire doit être donné en connaissance de
cause. Autrement dit, le minoritaire ne peut se voir condamner pour un abus de minorité pour
avoir interdit l’adoption d’une opération essentielle pour la société, alors qu’il n’était pas bien
informé sur l’importance de cette résolution. En d’autres termes, une information insuffisante,
justifie l’opposition du minoritaire478.

Cette attitude a été récemment confirmée par une décision en date du 20 mars 2007 où la
cour de Cassation479 avait considéré que les actionnaires qui ont refusé de voter pour une
augmentation de capital d’une société dont les capitaux propres sont devenus inferieurs à la
moitié du capital, n’ont pas commis un abus dans la mesure où ils ne disposaient pas
« d’informations leur permettant de se prononcer en connaissance de cause sur les motifs,
l’importance et l’utilité de la résolution au regard des perspectives d’avenir de la société ».

Au final, afin d’éviter tout blocage pouvant donner lieu à une situation difficile pour la
société, il convient de mettre à la disposition des actionnaires une information suffisante et
détaillée, susceptible d’éclairer leur vote.

B- La place de la rupture d’égalité dans la caractérisation de l’abus de minorité :

Compte tenu du critère indispensable au contrat de société qu’est l’affectio societatis,


l’égalité des actionnaires est l’un des socles de ce contrat qui permet de sanctionner les abus
dans l’exercice du droit de vote. Effectivement, sanctionner ces abus a pour finalité de
condamner les ruptures d’égalité.
478
Idem, p. 52.
479
Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-19.225, FS-P+B, SA Hexagone Hospitalisation Ile de France c/ Société La Roseraie Clinique Hôpital : Juris-Data n° 2007-038097, comm. Hervé

LECUYER., sur jurisprudence sociétés anonymes, V. le site : http://crcf.ac-grenoble.fr/index.php?tg=articles&idx=Print&topics=91&article=512.

148
En dépit du fait que la jurisprudence utilise des mots identiques, à savoir «l’unique dessin
de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés», pour caractériser les deux
abus de droit de vote, certains auteurs 480 estiment que l’abus de minorité ne comporte pas
forcément une rupture d’égalité, dans la mesure où l’opposition du minoritaire ne laisse
générer aucune décision et ne lui permet de bénéficier d’aucun profit. En effet, aucun
changement n’est apporté à la situation de la société ou à celle des actionnaires, dans la
mesure où le blocage fait par les minoritaires touche tous les actionnaires. Mais, l’abus de
minorité, ne suppose-t-il pas, comme dans l’abus de majorité la recherche d’un intérêt
personnel ?

Il a été démontré que l’abus de minorité est caractérisé lorsque les minoritaires bloquent,
par l’exercice de leur droit de vote, des décisions nécessaires pour l’intérêt social.
L’opposition ainsi faite n’est abusive que lorsqu’elle empêche la réalisation d’une opération
essentielle pour la société. Il parait que la rupture d’égalité occupe une place secondaire quant
à la qualification de l’abus de minorité. En effet, la rupture d’égalité dans l’abus de minorité
semble ne pas prendre la même place que dans l’abus de majorité. Dans cette dernière notion,
la rupture d’égalité est primordiale dans la mesure où le pouvoir détenu par les majoritaires
peut les amener à prendre des décisions dans leur intérêt et au détriment des minoritaires, ce
qui donne lieu à la protection de ces derniers. Dans la première notion, les minoritaires
bloquent les décisions. Aucune décision n’est prise par ces derniers pour satisfaire leur intérêt.
D’ailleurs, le blocage qu’ils font de la résolution en question génère une paralyse de la société
et par ricochet des actionnaires. Autrement dit, la société est maintenue dans le même état
qu’auparavant481. Il s’ensuit qu’il n’y a pas nécessairement une rupture d’égalité, puisque
l’opposition des minoritaires a pour objet de bloquer le processus de prise de décision, ce qui
n’apporte aucune modification sur la situation de la société ou sur celle des actionnaires. Ce
point de vue semble tout à fait logique, mais si les choses sont vues d’un autre angle, la
rupture d’égalité paraitra évidente.

En effet, même si l’opposition des minoritaires ne leur permet pas de profiter d’un
avantage tangible au détriment des majoritaires, la paralyse de la situation de la société suite à
cette opposition peut affecter considérablement les majoritaires par rapport aux minoritaires.
À ce stade, la rupture d’égalité se démontre sans grand effort, comme le cas d’une

480
Michel CABRILLAC, De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de minorité , Mélanges André COLOMER, 1993, p. 109 ; Paul LE CANNU,

L’abus de minorité, Bull. mensuel d’informations des sociétés 1986 p. 429, cité par Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 58.
481
Sacha ZEIDENBERG, Th. préc., p. 353.

149
augmentation de capital réservée aux majoritaires et qui est indispensable pour la survie de la
société : qu’ils votent pour ou contre cette augmentation, les minoritaires seront préjudiciés
soit par la perte de leur minorité de blocage, soit par la disparition de la société. Les
majoritaires quant à eux, subiront un préjudice plus important compte tenu du poids de leur
participation dans la société. Mais, si les minoritaires votent pour l’augmentation du capital,
les majoritaires en tireraient doublement profit. D’un côté, ils ne perdront pas leur
participation puisque la société évitera la disparition et de l’autre côté, cette augmentation
pourra entrainer la disparition de la minorité de blocage482.

La rupture d’égalité peut également être constatée en cas d’absentéisme des minoritaires
aux assemblées générales, ce qui entrave la constitution de la majorité exigée par la loi.
Certes, les minoritaires n’ont votés ni pour ni contre la décision, mais leur absence empêche la
prise de décision, ce qui peut être nuisible aux majoritaires.

Dans tous les cas, la constatation de la rupture d’égalité quand il y a une opposition des
minoritaires n’est pas facile à déceler. Il vaut mieux ainsi, « analyser avec beaucoup de
prudence ce critère de la rupture d’égalité qui ne doit être conçu que comme un correctif
exceptionnel »483.

Afin de mieux déterminer ce critère, il convient de vérifier si le comportement des


minoritaires ne peut être justifié et s’il est de nature préjudiciable. C’est dans ce sens qu’un
arrêt de la Cour de cassation 484 avait refusé de sanctionner un abus d’égalité au motif que
l’insuffisance et le refus de transparence « avaient légitimé la suspicion nourrie par l’associé
égalitaire ».

Paragraphe 2 : Exploration d’une nouvelle définition de l’abus de minorité

D’après la jurisprudence, l’abus de minorité est caractérisé lorsque le minoritaire est à


l’origine d’un comportement contraire à l’intérêt social, qui bloque la réalisation d’une
opération essentielle pour la société et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts
au détriment des intérêts des autres actionnaires.

Il a été déjà démontré que le critère de l’opération essentielle n’assurait pas une protection
complète pour la société. En effet, ce critère ne protège la société que lorsque le blocage fait
par les minoritaires menace sa survie, tandis que les comportements nuisibles à son
482
Idem, p. 524.
483
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 231.
484
Cass. com., 8 juil 1997, in Bull. Joly 1997, p. 980, obs. E. LEPOUTRE, cite par idem, p. 232.

150
fonctionnement ne permettent pas de caractériser l’abus de minorité. Dès-lors, il convient de
vérifier la portée de la protection qui serait accordée à la société, si l’intérêt commun des
actionnaires s’est substitué à l’intérêt social pour caractériser l’abus de minorité.

D’après le Pr. Schmidt, l’abus de minorité à l’instar de l’abus de majorité se produit


« lorsqu’un actionnaire privilégie un intérêt personnel opposé à l’intérêt des
actionnaires »485. Ainsi, en est-il le cas des majoritaires qui bloquent la distribution du
bénéfice vu qu’ils touchent de substantielles rémunérations 486, ou le cas du minoritaire qui
bloque une résolution essentielle pour la société afin d’obliger ses coactionnaires de racheter
sa participation487.

D’autre part, le même auteur refuse le critère de l’opération essentielle. Pour lui, le
blocage d’un actionnaire minoritaire d’une opération même non essentielle à la société est
inadmissible du moment que ce blocage a pour aspiration de satisfaire un intérêt étranger à sa
qualité d’actionnaire.

Ce raisonnement semble fondé lorsqu’on reconnait que l’abus de minorité résulte de la


satisfaction d’un intérêt distinct de la qualité de l’actionnaire. Ainsi, serai abusif tout vote qui
tend à satisfaire un intérêt étranger, peu importe que ce vote empêchera la réalisation d’une
résolution essentielle pour la société ou seulement favorable à son fonctionnement. La
suppression du critère de l’opération essentielle permettra ainsi, d’assurer une meilleure
protection de la société que le fait actuellement la jurisprudence. En effet, en plus de la survie
de la société qui sera assurée, son fonctionnement et son développement seront également
protégés.

Néanmoins, l’adoption de la proposition du Pr. Schmidt qui tend à faire de l’intérêt


commun des actionnaires le critère de qualification de l’abus de minorité, ne permettra pas de
protéger parfaitement la pérennité de la société. En effet, le critère de l’intérêt commun des
actionnaires ne sanctionne le minoritaire que lorsqu’il bloque une résolution afin de satisfaire
un intérêt différent de sa qualité d’actionnaire. En revanche, lorsque le minoritaire bloquera
une résolution dans le but de protéger son intérêt dans la société, il ne sera pas sanctionné
même si cette résolution est essentielle pour la société.

485
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 339.
486
Cass com 6 juin 1990, in D. 1992 p. 56, note J.-Y. CHOLEY-COMBE ; Rev. Sociétés 1990 p. 606, note Y. CHARTIER, cité par Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 58.
487
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 381.

151
Le Pr. Schmidt estime en effet, que l’actionnaire minoritaire a le droit de défendre et de
poursuivre son intérêt d’actionnaire même si cette poursuite est à l’origine de la disparition de
la société. Pour lui, « un actionnaire peut avoir un intérêt légitime à voir disparaitre la
société et perdre sa propre mise. La volonté des non-majoritaires de redresser la situation ne
signifie pas que le non-minoritaire commet un abus en partageant un avis contraire. Un
actionnaire a le droit d’estimer que la société qui fait des pertes n’a plus d’avenir et que sa
dissolution, à un moment où subsiste un quelconque boni de liquidation, apparaît préférable
à une tentative de continuation. De même, le refus d’un actionnaire de voter une
augmentation de capital alors que les pertes ont dépassé la moitié du montant de celui-ci,
trouve justification dans le droit de ne pas souscrire et dans la volonté de conserver le même
pourcentage de participation »488.

De ce fait, l’adoption de l’intérêt commun des actionnaires permettra à l’actionnaire


minoritaire de s’opposer, sans peine, à une résolution indispensable pour la survie de la
société sans pouvoir être sanctionné, telle que la prorogation de la société ou l’augmentation
du capital social nécessaire pour échapper au dépôt du bilan, du moment que dette opposition
a pour aspiration de protéger son intérêt qu’il a dans a société.

Cette conclusion confirme encore une fois que l’intérêt commun des actionnaires ne
protège pas suffisamment la société contre les intempéries des actionnaires.

A notre sens, l’adoption de l’intérêt commun des actionnaires comme critère de la


caractérisation de l’abus de minorité doit conduire, non pas à sanctionner la satisfaction du
minoritaire d’un intérêt étranger à sa qualité d’actionnaire, mais plutôt à sanctionner tout
comportement qui porte atteinte à la société source de bénéfice des actionnaires, dans la
mesure où l’intérêt commun des actionnaires se traduit par le partage du bénéfice social.
Ainsi, toute opposition faite par le minoritaire qui tend à nuire à la société et par le même
biais porter atteinte au bénéfice qui en résulte doit être sanctionné. Si notre raisonnement est
correct, il nous semble que cette position permettra une protection complète de la société.
Sera ainsi sanctionné, sous la base de l’intérêt commun des actionnaires, le comportement
égoïste du minoritaire dès lors qu’il bloque une résolution nécessaire pour l’enrichissement de
la société.

488
Idem, p. 385.

152
Au lieu de servir uniquement les actionnaires, l’intérêt commun des actionnaires sera
utilisé d’une manière plus étendue en assurant la protection de la société, source
d’enrichissement des actionnaires.

Section 2 : Les sanctions de l’exercice abusif du droit de vote

Les sanctions de l’exercice abusif du droit de vote des actionnaires n’épuisent pas la
matière sans pour autant être d’une totale efficacité (sous-section 1),d’où la mise en place de
mesures tendant à débloquer les situations de crises entre les actionnaires (sous-section 2).

Sous-section 1 : Sanctions mettant fin à l’abus des actionnaires

Les éventuels cas d’abus de majorité ou de minorité sont sanctionnés de diverses façons.
Dans le cas d’abus de majorité, la tendance légale opte pour l’annulation de la décision
abusive (paragraphe1). A défaut, engager la responsabilité civile des auteurs de ces abus,
qu’ils soient majoritaires ou minoritaires, est toujours à envisager (paragraphe2).

Paragraphe 1 : L’annulation de la décision abusive

L’annulation de la décision abusive est une sanction constamment prononcée par la


jurisprudence, dont le fondement juridique est souvent débattu et dont la portée est contestée
(A), d’où la mise en place d’une autre sanction (B).

A- Le fondement juridique :

En France comme au Maroc, il n’existe pas de dispositions légales sanctionnant l’abus de


majorité par l’annulation de la décision abusive. Cette sanction paraît ne se fondre sur aucune
prescription légale.

En effet, l’article L.235-1 du Code de commerce français 489 mentionne la nullité des actes
et délibérations, sans toutefois citer expressément l’abus de majorité. Malgré cela, la
jurisprudence applique l’annulation pour cause que l’exercice abusif du droit de vote « affecte
par lui-même la régularité des délibérations »490. C’est dans ce sens que l’annulation d’une

489
Cet article dispose que : « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui

régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice de
consentement ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l'article
1844-1 du C. Civ.
La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui
régissent les contrats ».
490
Cass. com., 6 juin 1990, in D. 1992, p. 56, note J.-Y. CHOLEY-COMBE, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 350.

153
délibération entachée d’abus est justifiée dans la mesure où elle a pour but un objet illicite qui
se traduit par la volonté de certains actionnaires d’obtenir, contrairement à l’intérêt social, un
avantage personnel aux dépens des autres actionnaires.

Malgré le fait que « le texte ne mentionne pas le cas de fraude ou d’abus de droit comme
cause de nullité, la jurisprudence continue de prononcer l’annulation selon la règle fraus
omnia corrumpit. Il s’agit d’une nullité absolue »491. Le principe " pas de nullité sans texte "
ne s’applique pas dans ce contexte.

Afin de légitimer cette sanction, le Pr. Jacques MESTRE trouve que l’article L.235-1
susvisé constitue le fondement de la position jurisprudentielle, puisqu’il évoque la nullité en
cas de violation des dispositions régissant les contrats. « Formule assez large, affirme-t-il,
assez imprécise et qui suffit à réintroduire, à côté des vices du consentement, toujours
concevables, des causes de nullité aussi générales que la fraude et l’abus de droit »492.

Face à cette ambigüité de justification de la position jurisprudentielle, le Pr. Shmidt


semble avoir trouvé un fondement légalement crédible. Cet auteur affirme que du moment
que l’abus de majorité entraine le non-respect de l’intérêt commun des actionnaires, qui est
d’ailleurs une règle impérative du présent titre selon l’article 1833 du Code civil français 493, il
suffit de faire appel à l’article 1844-10 du même code qui dispose que « la nullité des actes ou
délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition
impératives du présent titre ou de l’une des causes de nullité des contrats en général », pour
justifier l’annulation de la décision abusive494.

Pour certains, la violation des dispositions impératives de la loi relative à la société


anonyme ne doit pas être restreinte « à celle que la loi édicte sous la sanction expresse de la
nullité, mais toutes celles qui sont inspirés par le souci d’assurer la suprématie de l’intérêt
général sur les intérêts particuliers »495.

En droit marocain, combiner l’article 334 de la loi 17-95 qui dispose que « la nullité des
actes et délibérations autres que ceux prévus à l’article 337 précèdent (nullité de la société et
des modifications statutaires) ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative

491
Véronique MAGNIER et Michel GERMAIN, Les sociétés commerciales, éd. L.G.D.J., Paris, 2014, p. 272.
492
Jacques MESTRE, « Réflexion sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés », in RJ com., 1985, p. 83, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 124.
493
Cet article dispose que : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés La société est gérée dans son intérêt social, en prenant

en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité».


494
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 350.
495
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 368.

154
de la présente loi ou de l’une des causes de nullité des contrats en général » avec le dernier
alinéa de l’article 166 de la même loi qui édicte le principe de l’égalité des actionnaires,
donne lieu à la même constatation. Sauf si l’égalité des actionnaires ne constitue pas une règle
impérative de la loi 17-95, ce qui remettra en cause toute la construction sociétaire.

Aussi, il est à préciser que l’action en nullité est ouverte aussi bien aux actionnaires
minoritaires victimes de l’abus qu’à la société à travers son représentant légal 496. Cette
deuxième éventualité est étonnante dans la mesure où habituellement le représentant de la
société agit au nom de la majorité. Il mènera donc l’action contre l’intérêt de son propre
groupe, excepté si la majorité a été modifiée497.

De même, il convient de signaler que le juge qui sera amené à trancher le litige ne doit
annuler « que les décisions qui contreviennent aux droits de la minorité, non à ses
aspirations, à ses préférences »498. Du moment qu’aucun dommage n’a été constaté à l’égard
des actionnaires minoritaires ou à l’égard de la société, les juges n’ont pas à contrôler les
retombées économiques des décisions des organes sociaux.

B- La mise en place d’une autre sanction :

Malgré le fait que la décision entachée d’un abus du droit de vote est frappée d’annulation
afin de l’effacer, elle ne met pas fin de façon tangible au conflit d’intérêts. Elle ne fait que
remettre les actionnaires dans la situation précédente à la prise de la décision 499. Le conflit
demeure entre les actionnaires. Tel est le cas de l’annulation de la délibération affectant la
totalité des bénéfices aux réserves. La délibération annulée entraine l’annulation de l’acte
d’exécution, à savoir l’affectation des réserves, mais ne supprime pas le dommage. Elle
n’emporte pas distribution des bénéfices500. Les actionnaires se trouvent à la case de départ et
rien n’empêche à ce que les majoritaires votent encore une fois pour la mise en réserves du
bénéfice social501. La sanction d’annulation peut être ainsi, à l’origine d’un cycle vicieux de
dégradation de la relation entre les actionnaires. L’inefficacité de l’annulation de la décision
abusive peut être évitée s’il est admis au juge de prendre lui-même la décision à la place des

496
356 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد الواحد حمداوي‬.
497
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., note 63, p. 308.
498
P. COPPENS, L’abus de majorité dans les sociétés anonymes, Louvain, Fonteyn, 1947, p. 249, cité par Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 117.
499
2000 -2001، .‫ص‬186. ،‫ جامعة القاضي عياض‬،‫ كلية العلوم القانونية و االقتصادية و االجتماعية‬،‫ أطروحة لنيل دكتوراه الدولة في القانون الخاص‬، ‫ التعسف في استعمال حق التصويت داخل الجموع العامة لشركات المساهمة‬،‫أمنار الحسين‬

‫مراكش‬،
500
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 351.
501
.229 ،‫ الرباط‬،‫ دار نشرالمعرفة‬،‫ سلسلة أعمال جامعية‬،‫ حماية المصلحة االجتماعية في شركات المساهمة‬،‫ المصطفى بوزمان‬2016‫ص‬،

155
actionnaires. Le juge aura ainsi le pouvoir d’imposer « la résolution opposée à celle
annulée »502. Après avoir annulé la mise en réserve des bénéfices, le juge ordonnera leur
distribution.503

La substitution du juge aux organes sociaux a était défendue par M. MESTRE qui trouve
qu’il n’y a pas de raison à ce que le juge ne prenne pas une décision valant adoption d’une
délibération conforme à l’intérêt social 504. Il voit dans cette prise de décision « la seule
sanction véritablement adéquate, la seule qui permettra la satisfaction de l’intérêt social »505.
Cette substitution a déjà été adoptée par le Tribunal français 506 dans un abus de minorité, sans
toutefois avoir de succès. La Cour de cassation507 a en effet rejeté cette position en cassant la
décision de la Cour d’appel en énonçant que : « attendu que pour sanctionner l’abus de
minorité retenu, la Cour d’appel a décidé que son arrêt valait adoption de la résolution
tendant à l’augmentation de capital demandée, laquelle n’avait pas été votée faute de
majorité qualifiée ; attendu qu’en statuant ainsi, alors que le juge ne pouvait se substituer aux
organes sociaux légalement compétents, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La Cour de cassation a toutefois, formulé une dérogation à cette substitution en décidant


qu’il est « possible de désigner un mandataire aux fins de représenter les actionnaires
minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des
décisions conformes à l’intérêt social, mais ne portant pas atteinte à l’intérêt légitime des
minoritaires »508. La Cour de cassation a écarté l’intervention directe des juges dans les
affaires sociales en la remplaçant par l’intervention d’un mandataire judiciaire, qui sera amené
à résorber le conflit d’intérêts originaire de la décision abusive.

Le droit marocain quant à lui, ne se heurte pas à la question de substitution de la volonté


des juges à celle des actionnaires, dans la mesure où le législateur l’a admise dans le cas où
les actionnaires majoritaires et minoritaires « diffèrent quant à la décision à prendre, la
décision est remise au tribunal qui décide conformément à l’intérêt général de la société »509.

502
Ibid.
503
CA. Paris, 3e Ch. B, 26 mars 1986, Rev. jur. Com. 1986, p. 332, cité par ibid.
504
Jacques MESTRE, op. cit., p. 87
505
Ibid.
506
« Attendu que lorsqu’un associé minoritaire ou égalitaire empêche dans son intérêt propre l’adoption d’une délibération nécessaire à la société, les autres associés peuvent

invoquer l’abus en se fondant sur l’article 1382 du C. civ. et le juge, s’il constate cet abus, prendre une décision valant adoption de la délibération », CA. Versailles, 20 spt.
1990, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 81.
507
Cass. com., 9 mars 1993, Bull. IV, n° 101, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 352.
508
Idem, p. 359.
509
Art. 1021 du D.O.C.

156
Cette solution est également présente dans le cas où il y a un blocage sur l’approbation des
comptes du liquidateur au niveau de la société anonyme, où « il est statué par décision de
justice, à la demande de celui-ci ou de tout intéressé »510.

Toutefois, l’admission de cette substitution n’est-elle pas une atteinte grave à la volonté
des actionnaires et un dépassement de la fonction des juges, qui est de dire le droit et non pas
d’imposer leur volonté à la société, en écartant ou en approuvant les actes pris par les organes
sociaux ? La logique permet de constater qu’admettre cette substitution c’est admettre la
déchéance du pouvoir majoritaire au profit du pouvoir judiciaire, ce qui remettra en cause le
gouvernement de la société anonyme. En effet, « le juge ne peut substituer son appréciation
personnelle à celle des organes sociaux légalement compétents »511.

Paragraphe 2 : La mise en œuvre de la responsabilité civile

L’engagement de la responsabilité civile des actionnaires auteurs de la décision ou de


l’abstention abusive prête à discussion quant à son fondement juridique (A) et aux
bénéficiaires des dommages et intérêts (B).

A- Le fondement juridique :

Selon le tribunal français, commettre un abus de droit engendre la responsabilité civile de


son auteur et ce, depuis des décennies 512. A cet effet, les actionnaires auteurs d’une décision
ou d’une abstention abusive engagent leur responsabilité civile513.

Pour justifier cette sanction, les juges se basent sur les dispositions de l’article 1382 du
Code civil514 qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». L’abus de droit de vote
commis par les actionnaires déclenche ainsi, leur responsabilité civile délictuelle.

Cette orientation jurisprudentielle n’a pas été reçue d’un commun accord par la doctrine.
Certains auteurs critiquent les tribunaux pour avoir assimilé la faute morale à la faute civile,
en avançant que « la solution jurisprudentielle en ce qui concerne la sanction de l’abus n’est
guère compatible avec une conception purement morale de celui-ci. Par quel mystère le
510
Art. 369 de la loi n° 17-95.
511
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 117.
512
« Attendu qu’un abus de droit, qu’il ait été commis dans le domaine contractuel ou extracontractuel, engendre, dans tous les cas, la responsabilité délictuelle ou quasi-

délictuelle de son auteur », Cass. Sociétés 11 juin 1953, cité par Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction générale, L.G.D.J., Paris, 1994, p.
793, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 133.
513
373 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫عبد الواحد حمداوي‬ .
514
V. Art. 77 du D.O.C.

157
manquement à un devoir moral deviendrait-il une faute civile ? »515. Il parait que le juge prend
en considération plus le dommage qui a résulté de l’abus de droit pour appliquer les
dispositions de l’article 1382 de Code civil que la nature de la faute.

L’application de la théorie de l’abus de droit aux décisions abusives des organes sociaux
n’est pas chose facile, vu les difficultés qu’elle pose quant à la qualification juridique du
comportement abusif des actionnaires et la détermination de la nature de sa sanction. Il parait
qu’afin de faire face aux comportements dommageables des actionnaires et afin de restaurer
leur corrélation, la jurisprudence a eu recours à des argumentations peu persuasives pour
justifier la sanction applicable.

Un auteur, semble avoir trouvé une argumentation moins contestable, en se basant sur le
non-respect d’un engagement contractuel pour justifier l’engagement de la responsabilité
civile. Pour Schmidt, lorsqu’une décision est commandée par un conflit d’intérêts, elle est
« irrégulière et fautive »516. La faute prend source du non-respect d’une obligation légale 517,
qu’est le respect de l’intérêt commun des actionnaires. Du moment que cette faute peut-être à
l’origine d’un dommage, les auteurs de cette faute sont dans l’obligation de le réparer 518 et
engagent ainsi leur responsabilité civile. Une décision collective n’ouvre-t-elle pas la voie à
une contestation parce qu’elle viole le principe égalitaire ? Ce principe n’est-il pas la base de
la conformité des décisions collectives et la source de la légitimité de la règle majoritaire ?

En effet et vue que le gouvernement de la société anonyme est tributaire de l’application


de la loi de la majorité et son fonctionnement dépend du respect de l’égalité des actionnaires,
il s’ensuit que non seulement les majoritaires doivent utiliser leur pouvoir dans le respect du
principe égalitaire au risque d’engager leur responsabilité, mais les minoritaires sont
également dans l’obligation d’user de leur droit de vote en respectant ce principe, afin de ne
pas être à l’origine d’un abus de minorité.

B- La condamnation à des dommages et intérêts :

La condamnation au versement de dommages et intérêts au profit de la victime de la


décision abusive soulève une grande difficulté quant à la détermination des responsables de
l’abus et des bénéficiaires des dommages et intérêts.

515
Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, op. cit., p. 793.
516
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 353.
517
Art. 1833 du C. civ. français l’énonce clairement en disposant que : « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».
518
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 353.

158
Malgré le fait que la société anonyme fonctionne selon la loi de la majorité, elle ne peut
être tenue pour responsable de l’abus de droit de vote commis par les majoritaires et encore
moins pour un abus de minorité. La société et les majoritaire ou les minoritaires ne doivent
pas être confondus. C’est dans ce sens que la chambre commerciale de la Cour de cassation 519
avait retenu que « seuls les associés majoritaires qui avaient commis cet abus devaient en
répondre à l’égard des demandeurs-associés minoritaires- et qu’en conséquence, l’action
dirigée contre la société Huber n’était pas recevable ».

Toutefois, écarter la responsabilité de la société en cas de décision abusive n’est pas d’une
grande aide lorsqu’on doit déterminer qui sont les majoritaires qui ont pris cette décision ?
« La majorité n’étant pas un sujet de droit, ayant une personnalité et pouvant faire l’objet
d’une condamnation, mais simplement un groupement de personnes ayant des intérêts et des
actions à l’intérieur d’un organe juridique qui comprend également leurs adversaires »520.

L’identification des majoritaires auteurs de la décision est facile à opérer lorsque la


majorité des voix se trouve entre les mains d’un seul actionnaire ou lorsqu’un groupe
d’actionnaires a admis agir en concert, ou encore lorsqu’il s’agit d’une société fermée ou il est
facile de différencier entre les majoritaires et les minoritaires. La difficulté se rencontre
lorsqu’il s’agit d’une société cotée et ou la décision abusive a été prise par de nombreux
actionnaires qui ne sont unis par aucun lien. Doit-on assumer que tous les actionnaires ayant
bénéficiés ou votés pour la décision abusive sont responsable ? Une réponse positive ne peut
être retenue car il ne faut pas oublier qu’il se peut que certains actionnaires ont votés au profit
de ladite décision sans être forcément menés par un conflit d’intérêts, mais simplement parce
qu’ils ont été induit en erreur par la faute du conseil d’administration qui a mis à leur
disposition les documents nécessaires521 et qui a proposé les projets de résolution à
l’assemblée générale, ou encore par la faute du commissaire aux comptes lorsque la loi
requiert son intervention. Ainsi, la question de la détermination des majoritaires qui ont
abusés de leur droit de vote reste toute entière. Cette difficulté est également présente en cas
d’abus de minorité.

En droit marocain, les articles 99 et 100 du D.O.C. semblent apporter une nuance à cette
difficulté sans toutefois la résoudre. Le premier article dispose que « si le dommage est causé
par plusieurs personnes agissant de concert, chacune d’elle est tenue solidairement des

519
Cass. com., 6 juin 1990, Rev. sociétés 1990, p. 606, note Yves CHARTIER, cité par idem, p. 354.
520
‫ عبد الوهاب المريني‬.840 .‫ ص‬،‫المرجع السابق‬،
521
V. notamment les arts. 140 et 141 de la loi 17-95.

159
conséquences, sans distinguer si elles ont agi comme instigateurs, complices ou auteurs
principaux » et le deuxième dispose que « la règle établie à l’article 99 s’applique au cas où,
entre plusieurs personnes qui doivent répondre du dommage, il n’est pas possible de
déterminer celle qui en est réellement l’auteur, ou la proportion dans laquelle elles ont
contribués au dommage ». C’est deux articles traitent le cas ou plusieurs personnes sont
fautives et reste à déterminer la part de chacun dans la réparation du dommage. Or, dans le
présent contexte, il convient tout d’abord de déterminer qui sont les auteurs de la décision
entachée d’abus ou les actionnaires qui se sont abstenus de voter pour une décision nécessaire
pour l’intérêt de la société, avant de déterminer leur part dans la réparation.

La difficulté de la détermination du vrai auteur de l’abus de droit de vote reste entière et


ne fait qu’affecter l’efficacité de la sanction de la condamnation aux dommages et intérêts,
surtout qu’elle n’élimine pas les effets de la décision prise.

A côté de cette difficulté, il convient de déterminer qui va bénéficier de cette


indemnisation : la société ou les actionnaires ? La victime de la décision abusive est
déterminée en fonction de sa nature. Ainsi, la décision prise par la société mère qui prend en
charge le passif de sa filiale pour qu’elle ne dépose pas le bilan et pour ne pas engager la
responsabilité de son gérant, cause préjudice à la société mère 522. De même, les majoritaires
qui décident abusivement de mettre en réserve le bénéfice social ne préjudicie pas la société,
mais plutôt les actionnaires minoritaires 523. Dans le premier cas, c’est la société qui profite de
l’indemnité ce qui lui permettra de rétablir son patrimoine et d’« effacer le préjudice indirect
subit par les actionnaires minoritaire »524. Dans le deuxième cas, c’est les actionnaires
minoritaires qui en profitent, en demandant au juge une indemnisation en fonction de la part
du bénéfice qu’ils auraient touché en cas de répartition. Toutefois, « même si ce dividende est
distribué, le retard appelle aussi réparation »525.

Il convient néanmoins de préciser, que lorsque la victime de l’abus est la société, il faut
parler de préjudice social et il faut ouvrir une action sociale. Mais, si c’est l’actionnaire qui a
subit le préjudice, il s’agit d’un préjudice direct et personnel et l’action ouverte est une action
individuelle526.

522
J.C.P., 1973, II, 17337, note GUYON, cité par Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 141.
523
Cass. com. 18 avril 1961, in J.C.P., 1961, II, 12164, note BASTIAN ; R.T.C.com., 1961, p. 634, note HOUIN, op. cit., p. 133, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op.

cit., p. 342.
524
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 358.
525
Ibid.
526
.2001 ،91 ‫ عدد‬،‫ المجلة المغربية‬،‫ هل يحق للمساهم مقاضاة الشركة الي يعتبر مساهما فيها للحصول على تعويض لجبر الضرر الحاصل له ؟‬،‫عبداللطيف هداية هللا‬

160
Sous-section 2 : Instruments de déblocage des situations de crise

Afin de faire cesser la crise qui affecte les relations entre les actionnaires, il est fait appel
à l’administrateur provisoire (paragraphe 1). Toutefois, dans certaines situations, les conflits
entre actionnaires sont tellement graves que la dissolution de la société est à envisager
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La désignation d’un administrateur provisoire

Il arrive que des mésententes entre actionnaires se transforment en crises sérieuses nuisant
gravement au bon fonctionnement de la société. Afin d’y faire face, le juge propose
l’intervention d’un administrateur provisoire dont l’analyse des conditions de sa nomination
(A) et de ses missions (B) permettra d’évaluer son rôle.

A- La nomination d’un administrateur provisoire :

La désignation de l’administrateur provisoire est une création prétorienne. C’est une


mesure qui a été mise en place dans le même contexte que celui de l’abus de majorité et de
minorité. Elles ont le même but : mettre fin aux dissensions entre les actionnaires et assurer la
protection de l’intérêt social. Ainsi, la désignation d’un administrateur provisoire est une
mesure exceptionnelle qui peut empêcher l’altération de la situation de la société et éviter sa
dissolution et nécessite des conditions précises pour en bénéficier527.

Ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de Marrakech 528 a légitimé l’intervention de cet organe au
motif que « le mandat des membres du conseil d’administration a pris fin et que la confiance
fait défaut entre les parties ; ce qui entraine une paralysie totale de la vie de la société du fait
que les organes de gestion ne sont plus fonctionnels, la désignation d’un administrateur
provisoire pour la vente de la cargaison des navires de la société est largement justifiée et le
juge des référés est compétent, sans qu’il y ait besoin d’un texte spécial…Cette compétence
provient de l’état d’urgence justifiée par la protection de l’entreprise et la garantie de sa
pérennité et ce, à travers la réalisation de la vente de la cargaison dans le temps imparti
permettant ainsi à la société de s’acquitter de ses dettes et l’aménagement des navires, de
manière à ce que ces derniers ne ratent pas les expéditions de pêche suivantes ».

527
296 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
528
CA. Com. Marrakech, 7 jan. 1999, n° 24, dossier n° 98/210, in la GTM, n° 92, jan. fév., 2002, p. 179.

161
Parmi les raisons de la paralysie de la société, il y a la carence ou l’absence des organes
sociaux. Toutefois, les juges font recours à cette mesure le plus souvent suite aux
mésintelligences ou conflits entre les actionnaires majoritaires et minoritaires 529.

C’est dans cette optique qu’un arrêt de la Cour de Rouen 530 rendu le 25 septembre 1969, a
admis la désignation d’un administrateur provisoire dans le cadre d’un abus commis par le
représentant de la majorité qui utilisait le patrimoine social au profit de son intérêt privé qui
est une relation amoureuse avec sa secrétaire. Ainsi, ledit représentant a licencié le mari, qui
est également employé dans la société, afin de vivre aisément sa passion amoureuse. Le
licenciement du mari a obligé la société à payer une importante indemnisation de
licenciement. Cette situation déplaisante aux minoritaires les a incité à écarter le gérant de ses
fonctions au risque de commettre d’autres maladresses531.

Ainsi, la paralysie et le dysfonctionnement des organes sociaux est l’une des conditions
de désignation de cet organe. Cette paralysie peut résulter soit de l’absence des organes
sociaux532. Ceux-ci ont démissionné ou ont été révoqués sans que les actionnaires s’entendent
sur qui va les remplacer. Soit d’une mésentente caractérisée entre eux rendant impossible
toute prise de décision. De simples dissensions et divergences de vues entre les actionnaires
ne peuvent justifier la désignation d’un administrateur provisoire, tant que les organes sociaux
fonctionnent correctement.

Il faut donc que le désaccord bloque toute décision de sorte à paralyser le fonctionnement
de la société. Comme l’exemple d’un désaccord entre trois administrateurs qui a bloqué le
fonctionnement normal du conseil d’administration de façon à provoquer une crise grave au
sein de la société pouvant conduire à sa dissolution533, ou l’impossibilité de désigner des
administrateurs suite au désaccord grave des actionnaires534.

Toutefois, la nomination d’administrateurs provisoires a été ordonnée malgré le fait que


les organes sociaux ne sont pas paralysés : C’est le cas des actionnaires d’une société de
couture, divisée en deux groupes rivaux dont les intérêts personnels sont opposés 535. Le juge
529
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 476.
530
J.C.P, 1970, II, 14274 bis, note NEPVEU, cité par idem, p. 477.
531
Ibid.
532
CA. Agadir, 25 juin 1992, in AL MOURAFAA, mai 1994, n° 9, p. 145, dans le cas d’espèce, l’administrateur unique était condamné pour abus de biens sociaux, cité par

Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 131.


533
Com. 26 avr. 1982, in Rev. sociétés 1984, 93, J.-L. SIBON, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 701.

534. 594 .‫ ص‬،2018 ‫ الطبعة االولى‬،‫ الدار البيضاء‬، 2018 ‫ مطبعة النجاح الجديدة‬،‫ الشركات ذات المسؤولية المحدودة في ضوء االجتهاد القضائي‬,‫عمر ازوكار‬
535
Paris, 3e Ch., 12 octobre 1989, SA Loris Azzaro c/ Azzaro, in Bull. Joly, déc. 1989, p. 965, note D. LEPELTIER, cité par Paul LE CANNU et Daniel LEPELTIER, op. cit.,

p.14.

162
des référés a motivé son ordonnance par le fait qu’ « …il existe cependant un risque non
négligeable, dans un secteur d’activité ou l’importance des relations publiques est
considérable, que l’existence même de ces dissentiments, s’ils se répondaient, en particulier
dans la presse spécialisée, puissent nuire à l’image de marque de la société Loris Azzaro et
porter atteinte à ses intérêts généraux, entrainant une diminution du chiffre d’affaires et
rendant plus difficile la conclusion de nouveaux contrats ;… ».

La nomination ainsi faite d’un administrateur provisoire a pour but de protéger les intérêts
de la société dans leur ensemble, contre les intérêts conflictuels des actionnaires. Le juge des
référés cherche à assurer une meilleure protection à l’intérêt social entant qu’intérêt de
l’entreprise. Il est question de protéger l’activité de l’entreprise, abstraction faite de l’intérêt
des actionnaires, qui est loin d’être commun dans le cas de conflit.

Aussi, la désignation de cet organe intervient lorsque les intérêts sociaux soient exposés à
un péril certain et imminent536, de sorte à entrainer la perte de la société. Un administrateur
provisoire pourra être désigné « lorsqu’il s’agit de prévenir la naissance ou d’empêcher
l’extension d’un trouble déjà né »537. Ainsi, dans l’affaire Fruehauf France 538, la présence d’un
conflit entre les majoritaires et minoritaires et une grave menace des intérêts de la société, a
conduit les juges à accepter la demande des minoritaires de nommer un administrateur
provisoire. Cette désignation n’a été faite que dans le but de protéger l’intérêt social dans son
ensemble et non pas uniquement l’intérêt des actionnaires.

Toutefois, cette mesure ne peut être demandée que par le dirigeant ou les actionnaires.
Les créanciers, quant à eux, ne peuvent la demander, car selon la Cour de cassation française,
« il ne leur appartient pas de se faire juge des intérêts de la société et de ses associés et
d’agir en leur nom pour les préserver »539. Mais, à supposer que la demande de désignation
d’un administrateur provisoire était ouverte aux créanciers, l’intérêt social allait
incontestablement bénéficier d’une meilleure protection. En effet, soucieux de préserver leur
créances, les créanciers auront la détermination de suivre minutieusement la conduite de la
société et un réflexe plus rapide que celui des actionnaires ou du dirigeant pour demander la
désignation d’un administrateur provisoire.

536
Com. 11 févr. 1980, in D. 1980, IR, 395 ; Com. 24 mai 1994, in Bull. Joly 1994, p. 789, n° 211, cite par idem, p. 702.
537
Ibid.
538
CA. Paris, 22 mai 1965, in JCP 1965, II, n° 14274 bis, conclu. Avoc. Gén. NEPVEU ; D. 1968, chr., p. 45, R. CONTIN, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 57.
539
Cass. com., 14 févr. 1989, in Rev. Sociétés 1989, p. 163, note RANDOUX, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 702.

163
Au final, il semble évident que dès que les intérêts de la société sont gravement menacés
et que sa survie est sérieusement compromise, les juges acceptent de désigner un
administrateur provisoire et ce, dans le but d’assurer une protection efficace à l’intérêt social,
et ce même cette mesure est considérée comme étant « le témoignage du pouvoir du juge de
s’immiscer dans la gestion de la société lorsque la survie de celle-ci est en cause »540.

Elle permet au juge de s’immiscer dans la gestion de la société, alors que cette
intervention est tout à fait contraire au principe de l’autonomie de la société posé par le
législateur. Ce dernier a fixé la structure organique de la SA de sorte à ce que les actionnaires
ressoudent eux-mêmes les conflits qui les séparent, en se référant aux statuts et aux lois.
Toutefois, l’intérêt social légitime l’intervention de cet organe afin de préserver la continuité
de la société.

B- Les missions de l’administrateur provisoire :

Dès lors que la demande de désignation d’un administrateur provisoire est validée, il
convient de se demander si cet organe va se substituer complétement aux organes légaux de la
société.

Le Tribunal de commerce de Casablanca 541 a apporté une réponse à cette interrogation


lors d’une demande présentée en référé par l’AGE, qui connaissait de graves dissensions entre
les actionnaires, et ce afin de désigner un administrateur provisoire pour assurer la gestion de
la société et faire des propositions pour son avenir. Le juge des référés à décliner la demande
en soulevant que « la mission de l’administrateur provisoire dans le domaine judiciaire se
limite à la convocation de l’assemblée générale ordinaire et ne peut s’étendre à la gestion de
la société ».Les actionnaires mécontents ont soulevés un appel contre cette ordonnance en
s’appuyant sur le fait que la désignation d’un administrateur provisoire doit être prononcé du
moment que la continuité de la société est en péril.

L’arrêt542 a confirmé l’ordonnance du juge des référés au motif que « l’intervention du


juge des référés dans ce genre de situations est conditionnée par la mésentente entre
actionnaires majoritaires et minoritaires et par l’existence d’un danger mettant en péril
l’équilibre et la continuité de la société… ; attendu que la demande de désignation d’un
administrateur provisoire pour gérer la société et faire des propositions pour son avenir est

540
Georges BOLARD, Administration provisoire et mandat ad hoc, JCP E, 1995, I, 509, cité par Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 175.
541
Trib. Com. Casablanca, 6 mars 2000, dos. n° 3/2000/46 (inédit), cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 212.
542
CA. Casablanca 19 févr. 2001, dos. n° 2412/2000/4 (inédit), cité par idem, p. 213.

164
une demande générale, ambiguë et non déterminée en raison de la non justification d’une
part de l’état d’exception et de danger et d’autre part de l’objet de l’intervention de
l’administrateur provisoire pour prévenir un dommage imminent portant atteinte aux intérêts
de la société…une suite favorable, de manière générale à la requête de l’appelant risque de
conférer à l’administrateur provisoire des prérogatives et compétences relevant du conseil
d’administration et entrainera ainsi, une immixtion et limitation de la volonté des associés, en
contradiction avec les dispositions de la loi sur les sociétés anonymes ».

Il découle de cet arrêt que les juges écartent l’intervention de l’administrateur provisoire
tant que sa mission n’est pas expressément déterminée et ce, afin d’éviter toute immixtion
dans la gestion des affaires sociales.

Aussi, il a été considéré par le Tribunal de commerce de Rabat que l’intervention des
juges dans les affaires de la société pour lui assurer une protection nécessite la preuve du
blocage du fonctionnement des organes d’administration ou le dépassement de leurs
compétences ou encore la mauvaise gestion, de sorte à ce que leur continuité à assurer leur
fonction nuira gravement aux intérêts des actionnaires543.

Dans le même sens, la chambre commerciale de la Cour de cassation 544 a indiqué qu’il ne
peut y avoir désignation d’un administrateur provisoire que « s’il existe un différend
important entre les membres du conseil d’administration. Sa mission consiste à convoquer
une assemblée générale en vue d’élire les membres d’un nouveau conseil ». L’arrêt avait
considéré que l’ordonnance qui désigne un administrateur provisoire ayant pour mission de
gérer et d’administrer la société est mal fondée.

Ainsi, dans le cadre des décisions abusives prises par les minoritaires ou majoritaires, ou
dans le cadre de blocage du processus de prise de décision, l’administrateur provisoire n’a pas
à gérer la société à la place des organes de gestion. Au contraire, il a une mission déterminée
qui a pour fins de « représenter les associés minoritaires (ou majoritaires) défaillants à une
nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt
social, mais ne portant pas atteinte à l’intérêt légitime des minoritaires »545.

543
Trib. com. Agadir, Ord. n° 12-99 du 31 mars 1999, cité par 300 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
544
Arrêt n° 655 du 28 mars 2001, dos. com. n° 31998/92, cité par Ahmed ASSAKOUR, Le président du conseil d’administration de la société anonyme familiale en droit

marocain, Thèse en droit privé, Université de Perpignan, Faculté Internationale des Droits d’Afrique Francophone, 2004, p. 600.
545
Arrêt Flandin, Cass. com., 9 mars 1993, in D. 1993, p. 363, note Y. GUYON, cité par Paul LE CANNU, op. cit., p. 146.

165
Cette solution prévoit la réunion d’une nouvelle assemblée, ce qui permet d’écarter
l’assemblée au cours de laquelle l’abstention ou le vote abusif s’est manifesté et de donner
lieu à une décision adaptée aux intérêts de la société. Elle empêche également, que les
actionnaires abusives utilisent leur droit de vote pour satisfaire un intérêt extérieur et opposé à
leur intérêt dans la société. A cet effet, le juge se refuse de fixer le sens du vote, il ne fait
qu’exiger que le vote doit être conforme à l’intérêt social et aux intérêts des actionnaires.

Toutefois, l’administrateur provisoire peut se substituer temporairement aux organes de


gestion lorsque sa nomination intervient suite à la paralysie des dirigeants en place. Dans ce
cas de figure, sa nomination dessaisie les dirigeants en fonction et il se trouve investis des
pouvoirs normalement conférés par la loi aux dirigeants sociaux 546. En revanche, il ne pourra
prendre des décisions qui relèvent de la compétence des assemblées ou qui vont affectées
fondamentalement l’avenir de la société à long terme, telle que la dissolution de la société 547.
En principe, il appartient au juge qu’il l’a nommé de définir l’étendue de sa mission et de ses
pouvoirs.

La désignation d’un administrateur provisoire représente ainsi, un moyen efficace pour


assurer la protection de la société. Elle permet, par le biais de l’intérêt social, de résoudre les
conflits naissant entre les actionnaires ou les dirigeants et de rétablir la relation entre les deux
groupes. Le recours à cette mesure doit, de ce fait, être limitée aux cas de menace réelle de la
continuité de la société, afin d’éviter qu’elle soit un moyen d’harcèlement des actionnaires et
des dirigeants et d’éviter tout gouvernement judiciaire. Mais, il reste regrettable que cette
mesure ne soit pas ouverte aux créanciers.

De plus, cette solution ne s’adapte pas forcément avec « les exigences de rapidité de
certaines décisions de la vie des affaires »548. Le recours à un mandataire et la convocation
d’une nouvelle assemblée peuvent être à l’origine d’une perte de temps pour la société, ce qui
risque de se répercuter sur son avenir. Elle peut en effet, disparaitre avant même la réunion
d’une nouvelle assemblée. N’est-il pas plus convenable d’admettre le jugement valant vote et
de permettre au juge d’adopter la résolution qui a été bloquée par les minoritaires ou
d’adopter celle dans l’intérêt de l’ensemble des actionnaires et de la société, lorsqu’il y a abus
de majorité ? D’ailleurs, le juge n’annule-t-il pas la résolution abusive dans le cadre d’abus de
majorité ? Pourquoi donc admettre qu’il s’interfère dans la gestion de la société dans certains

546
Philipe MERLE, op. cit., p. 703.
547
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 179.
548
Gabriel KENGNE, « Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote », in P.A., n°116, 12 juin 2000, p. 13, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 226.

166
cas et l’interdire dans d’autres ? Certains auteurs549 estiment que « la jurisprudence de la Cour
de cassation ne manque pas d’hypocrisie ; le juge ne prend pas la décision lui-même, mais il
désigne un mandataire qui la prendra à sa place. N’est-ce pas là un détour bien
compliqué ? ».

Aussi logique que ces constatations paraissent, la crainte d’un gouvernement de société
reste un alibi de taille pour écarter le jugement valant vote. Le juge n’a pas, en effet, à diriger
la société, chose qu’il risque de faire s’il se substitue aux organes de gestion de la société dans
la prise de décisions. Mais vu que l’adoption de la résolution s’est montrée efficace, le juge a
la possibilité d’intervenir de manière indirecte à travers l’administrateur provisoire, et ce sur
le fondement de l’intérêt social. Néanmoins, il existe des cas où cet intérêt est tellement
affecté par les conflits des actionnaires que même la désignation d’un mandataire provisoire
ne peut la sauver.

Paragraphe 2 : La dissolution de la société

L’article 1056 du D.O.C. prévoit la dissolution anticipée de la société par le tribunal à la


demande d’un actionnaire en énonçant dans des termes claires que « tout associé peut
poursuivre la dissolution de la société, même avant le terme établi, s’il y a justes motifs, tels
que des mésintelligences graves survenues entre associés,…».

Les mésintelligences entre actionnaires ne produisent la dissolution de la société que s’ils


sont à l’origine de la paralysie de la société 550 et que toute conciliation est inconcevable. En
effet, mettre fin à la société ne doit pas être la solution à tous les désaccords entre les
actionnaires.

Cette action n’a pas, cependant, de succès auprès des juges, qui réfutent la demande de
dissolution d’une société économiquement saine et optent pour d’autres moyens moins
radicaux comme la désignation d’un administrateur provisoire.

En toute logique, résoudre un conflit entre actionnaires par la dissolution de la société est
manifestement une mesure extrême qu’il convient d’éviter 551. L’application de cette mesure
va entrainer des conséquences sérieuses, non seulement pour les actionnaires, mais également
pour l’entreprise exploitée par la société. Les intérêts personnels de certains actionnaires ne
doivent pas porter atteinte aux intérêts du personnel, créanciers et fournisseurs. D’ailleurs,
549
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 174.
550
Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 90.
551
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 365

167
« la dissolution a un caractère subsidiaire (…) elle ne doit donc pas être prononcée lorsqu’il
existe d’autres moyens permettant la reprise d’une vie sociale normale »552.

A cet effet, l’actionnaire qui soulève la dissolution de la société doit prouver la gravité du
conflit et qu’il a conduit à la paralysie du fonctionnement de la société 553. Les juges ne
prononcent ainsi cette mesure que si les affaires sociales sont compromises, nonobstant le
conflit existant entre les actionnaires 554. Ils estimentque le désaccord basé sur les fautes de
gestion du dirigeant ne constitue pas une mésentente grave qui justifie la dissolution555.

Il découle de ce qui précède que la préservation de l’intérêt social l’emporte sur les
mésententes entre les actionnaires. Une mésentente sur la gestion de la société ne peut donc,
être à l’origine de la dissolution. « Il faut une entrave totale à la bonne marche des affaires
sociales caractérisée par un blocage du fonctionnement sociétaire »556. C’est le cas du
blocage de prise de décision dans une AG suite au conflit existant entre deux groupes
antagonistes détenant le même pourcentage au capital, ou la paralysie de la société suite aux
actions en justice entre les actionnaires pendantes devant les juridictions répressives 557.

Toutefois, le professeur Schmidt558, considère que la violation de l’intérêt commun des


actionnaires est une inexécution des obligations légales, par un actionnaire, dans la mesure où
le respect de cet intérêt commun est prévu par l’article 1833 du Code civil français 559, ce qui
constitue un juste motif de dissolution de la société. Selon lui, « un abus de majorité, une
violation de l’intérêt commun constitue assurément une inexécution des obligations résultant
du pacte social »560.

Un arrêt rendu par la Cour de cassation 561 le 18 mai 1982 a bien illustré cette opinion.
Dans le cas d’espèce, la Cour a condamné le comportement de l’associé majoritaire qui a
limité les relations commerciales de la société à deux sociétés avec qui il est lié. Le motif de
la mésentente entre associés a été écarté étant donné qu’elle n’a pas paralysé la société. Par
552
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 506.
553
611.‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬.
554
Renée KADDOUCH, Th. préc., p. 90.
555
CA. Com. Marrakech,12 avr. 2012, arrêt n° 644, doss. n° 08/9/142, Portail de jurisprudence du cabinet d’Azouggar, disponible à l’adresse suivante :

http://www.jurisprudencemaroc.com/lecture.php?id_fichier=4736.
556
Ibid.
557
Trib. com., Casablanca, 20 avr. 2010, déc. n° 3913, dos. n° 2607/8/2010, Portail de jurisprudence du cabinet Bassamat et associée, disponible à l’adresse suivante :

http://jurisprudence.ma/decision/tc-20042010-3913.
558
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 367.
559
V. Art. 982 du D.O.C.
560
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 367.
561
Cass. com., 18 mai 1982, in Rev. Sociétés 1982, p. 804, note P. LECANNU, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 708.

168
contre, la dissolution a été retenue au motif de l’inexécution du majoritaire de ses obligations.
Selon le professeur Schmidt, « la violation de l’intérêt commun des associés, était caractérisé
par la volonté de l’associé majoritaire de favoriser son intérêt dans les deux sociétés
auxquelles il était lié, méconnaissant ainsi ses obligations envers l’associé minoritaire et les
intérêts de celui-ci dans la société »562.

Néanmoins, il convient de préciser que cette position ne doit pas l’emporter vu qu’elle
nous parait exagérée. En effet, prononcer la dissolution de la société pour jutes motifs, à
chaque fois qu’il y a violation de l’intérêt commun est démesurée et va augmenter d’une
manière dangereuse le nombre de sociétés dissoutes. Ceci, va constituer une menace continue
pour la pérennité de la société.

Mais, il reste que l’application de la dissolution de la société est restreinte eu égard à la


gravité de sa conséquence. C’est une solution trop radicale et disproportionnée aux conflits
entre les actionnaires, vu qu’elle sanctionne l’ensemble des actionnaires, alors que seulement
certains d’entre eux ont faillis à leurs obligations, d’où l’importance de chercher d’autres
alternatives permettant à la fois de sanctionner l’actionnaire troublant et de préserver l’intérêt
social 563.

Chapitre 2 : Le contrôle de la gestion des dirigeants

Les organes de direction des sociétés anonymes564, notamment le président et les membres
du conseil d’administration, les Directeurs Généraux, les directeurs généraux délégués et le
PDG565, les membres du directoire et du conseil de surveillance 566, disposent de pouvoirs
étendus pour agir pour le compte de la société, afin de réaliser l’objet social et fructifier le
patrimoine social 567.

Toutefois, certains dirigeants peuvent facilement céder aux tentations qu’offrent les larges
pouvoirs dont ils disposent pour s’allouer des avantages personnels au détriment de l’intérêt
social. Cet usage abusif peut prendre plusieurs formes qui constituent différents délits et nuit
inévitablement à l’intérêt social.
562
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 368.
563
V. infra, p. 263 et s.
564
Art. 373 de la loi 17-95.
565
La loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux SA dans son article 67 a interdit le cumul des fonctions de président du conseil d’administration et de

direction générale pour les sociétés anonyme faisant appel public à l’épargne.
566
La loi n° 20-19 suscitée propose de durcir la responsabilité des dirigeants en étendant le champs d’application de l’action en responsabilité des fautes commises aux

membres des conseils d’administration et de surveillance, soit lors de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu, soit des fautes commises dans leur gestion, et ce dans l’article 352.
567
155‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫عز الدين بنستي‬.

169
D’ailleurs, la pratique des affaires a souvent produit des scandales financiers 568où les
dirigeants qui, avec une mauvaise intention, se servant de la société pour satisfaire leurs
intérêts personnels causant ainsi l’anéantissement de l’entreprise et un préjudice éminent aux
actionnaires, à la société et aux tiers.

A cet effet, le législateur marocain sanctionne les dirigeants déloyaux en engageant leur
responsabilité envers la société, soit des violations qu’ils font des dispositions légales 569 ou
statutaires, soit des fautes commises dans leur gestion 570. En plus de la responsabilité civile, le
dirigeant peut engager sa responsabilité pénale lorsqu’il commet des fautes constitutives de
l’unes des infractions énumérées par la loi571.

Cependant, ce qui nous intéresse le plus dans ce lot de faits punissables, deux mécanismes
importants et difficiles à découvrir, qui permettent aux dirigeants, d’user de leur pouvoir et de
s’attribuer des avantages, tout en nuisant gravement à l’intérêt social : il s’agit du délit d’abus
de biens sociaux (section 1) et des conventions conclues avec la société (section 2).

Section 1 : Le délit d’abus de biens sociaux

Le délit d’abus de biens sociaux occupe une place importante dans la délinquance en col
blanc. Il est réprimé par l’article 384, alinéa 3 de la loi 17-95 relative à la société anonyme 572,
qui est d’ailleurs une reproduction de l’article 437 de la loi française du 24 juillet 1966 sur les
sociétés commerciales, devenu l’article 242-6 du code de commerce français 573.

Contrairement à la France où l’abus de bien sociaux a vu le jour dès le début du 20 e


siècle574 suite à des scandales sociaux, financiers et politiques 575, l’histoire de ce délit, au

568
L’un des scandales les plus retentissants est celui de la société Enron (l’une des meilleures sociétés du courtage en énergie) qui s’est déclarée en faillite suite aux manœuvres

déloyales de ses dirigeants. Les investigations ont montré que les dirigeants d’Enron avaient procédé à la falsification des résultats en adoptant des montages bien particuliers
(surévaluation des actifs, enregistrement des pertes comme des investissements, certification des comptes falsifiés par les auditeurs, etc.) afin de cacher les pertes colossales que
la société subissait suite au détournement du patrimoine social. Pour mieux comprendre ce scandale, V. Benoit FERRANDON, « Les leçons de l’affaire Enron », Cahier français,
Les nouvelles logistiques de l’entreprise, n° 309, 2001, p. 69.
569
Art. 350 : en cas d’annulation de la société ; Al. 2 de l’art. 351 : en cas d’annulation des actes ou délibérations postérieurs à la constitution de la société ; Art. 349 : en cas

d’inobservation des règles particulières à chaque modification des statuts et en cas d’inobservation des règles relatives à la tenue des assemblées.
570
Art. 352 de la loi 17-95 relative aux SA. V. également l’article 252 et 253 bis de la loi 20-19 modifiant et complétant la loi 17-95.
571
Notamment, la distribution de dividendes fictives (art. 384 de la loi 17-95), l’affirmation sincère et véritable de souscriptions fictives (art. 379), l’attestation de faits

matériellement faux (art. 380), la répartition de l’actif avant l’apurement du passif (arts. de 421 à 424), le non-respect des dispositions régissant le droit de vote (arts. de 387 à
394), etc.
572
Cet article réprime les membres des organes d’administration, de direction ou de gestion qui, de mauvaise foi, auront fait soit des biens, des crédits, des pouvoirs ou des voix

dont ils disposaient, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement.
573
Mis à part la mention des intérêts économiques à la place de l’intérêt social, il n’y a pas de différence entre les deux articles.
574
C’est le décret-loi du 8 aout de 1935 qui a donné lieu à l’abus de bien sociaux dans les sociétés françaises.
575
Aline ATIBACK, L’abus de biens sociaux dans le groupe de sociétés, éd. l’Hrmatan, 2007, p. 22.

170
Maroc, est très récente, dans la mesure où il n’a été introduit au monde des affaires qu’en
1996 par le biais de la loi17-95576.

L’introduction de cette infraction, vise à sanctionner le comportement déloyal du


dirigeant à l’égard de la société. Son étude passe nécessairement par la détermination de ses
éléments constitutifs (sous-section 1), tout en mettant la lumière sur les difficultés juridiques
quant à sa répression (sous-section 2).

Sous-section 1 : Les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux

L’incrimination de ce délit se réalise par l’existence d’un élément matériel (paragraphe


1) et d’un autre moral (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’élément matériel

La conduite sanctionnée par le législateur porte sur un usage contraire aux intérêts
économiques de la société. L’élément matériel englobe donc, la notion d’usage (A) et
l’atteinte aux intérêts économiques de la société (B).

A- La notion d’usage quant aux types d’abus de biens sociaux :

La notion d’usage est utilisée par le législateur afin de réprimer les différents types d’abus
de biens sociaux. L’utilisation de cette notion permet de cerner les différents actes de gestion
des dirigeants, ce qui traduit la volonté du législateur de sanctionner le maximum de leurs
agissements abusifs compte tenu des pouvoirs dont ils sont investis.

En effet, l’article 384 de la loi 17-95 mentionne l’ « usage des biens, du crédit, des
pouvoirs ou des voix ». Il convient dès lors, de s’arrêter sur la signification de cette notion en
fonction du délit qu’elle aborde.

-L’usage des biens : Concerne aussi bien les biens corporels (matériel ou mobilier) que
les biens incorporels (brevets et immeubles). Il s’agit donc de l’ensemble du patrimoine
social. L’usage signifie une utilisation temporaire ou une appropriation définitive. Plus
largement, il comprend les actes de disposition (acquisitions, cessions,…) et les actes
d’administration (prêts, avances,…). Tel est l’exemple des dirigeants qui opèrent des
prélèvements dans la caisse sociale, qui font prendre en charge la société de leur domesticité
personnelle, qui s’offrent une extension touristique à la suite d’un déplacement professionnel,
576
Toutefois, avant la promulgation de cette loi, les juridictions marocaines avaient tendance à réprimer pénalement les agissements déloyaux des gérants sur la base de l’abus

de confiance, par le biais de l’article 547 du code pénal.

171
qui s’allouent une rémunération excessive, qui procurent des emplois fictifs aux membres de
leur famille577, ou encore le Président qui fait effectuer par la société d’importants travaux
dans sa propriété personnelle sans avoir régler ces travaux578.

-L’usage du crédit : Cette notion est particulièrement large. Elle vise le renom et la
réputation de la société. Plus précisément, c’est sa solvabilité et sa capacité à attirer la
confiance des autres579. Il s’agit donc d’utiliser la capacité financière de la société, sa capacité
d’emprunter ou de garantir un emprunt580, en lui imposant un risque anormal.

Ca concerne le dirigeant qui engage la signature sociale arbitrairement et réalise un usage


du crédit de la société. Tel est le cas pour une signature donnée au nom de la société sur un
effet de commerce étranger à l’activité de la société 581. L’abus de crédit n’engendre pas
forcément une atteinte au patrimoine social. Par ailleurs, il est caractérisé dès lors que la
société a subi un risque suite à l’engagement pris par le dirigeant en son nom et pour son
propre compte. C’est le fait d’engager la société à des encaissements et lui faire courir un
risque qui n’est pas lié à la gestion sociale, et ce même si cette situation ne génère pas des
pertes pour elle.

Ainsi, l’abus de crédit est reconnu lorsque la société a pris en charge les dettes
personnelles du dirigeant. Même si ce dernier paie ses dettes, le risque qu’il a fait courir à la
société le place dans le champ d’abus de biens sociaux. D’ailleurs, l’abus de crédit est
considéré, dès fois, comme étant l’étape antérieure à l’abus de biens, lorsque la société est
amenée à payer582. La restitution des sommes utilisées ne fait pas disparaitre le délit, du
moment que la société a été exposée à un risque injustifié par la logique économique et
financière de celle-ci. Dès lors, à chaque fois que l’acte du dirigeant fait courir un risque
anormal au patrimoine social, il est contraire à l’intérêt social. Mais, les dirigeants ne
prennent-ils pas généralement des risques lors de la gestion de la société ? À cet effet, un
auteur précise qu’ « un acte de gestion quelconque accompli avec les meilleures intentions est
toujours susceptible de se traduire par une perte, et par conséquent d’être considéré au sens

577
Cass. Crim., 21 déc. 1954, in Bull. crim., n° 422 ; Cass. crim., 10 nov. 1964, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 135 ; Maurice COZIAN, Alain VIANDIER,

Florence DEBOISSY, op. cit., p. 269.


578
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 105.
579
Ilham MAMOUNI, Th., préc., p. 185.
580
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 103.
581
Crim. 16 mars 1970, in Bull. Crim., n° 107, cité par Abdelaziz ELIDRISSI, « Droit pénale des affaires : L’abus de biens sociaux dans la jurisprudence », in RMC, n° 11 et

12, 2010, p. 76.


582
Rabiaa RAITE, « Le rôle répressif de la justice à l’égard de la société anonyme : la responsabilité des membres des organes d’administration et de gestion », in RMDAE, n°

10, mars 2006, p. 37, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 185.

172
de la loi, comme contraire à l’intérêt social »583. Sanctionner de cette façon le risque ne vat il
pas bloquer le développement des sociétés ? Afin d’éviter cette situation, l’acte doit
représenter non seulement un risque pour la société, mais également qu’il soit fait de
mauvaise foi. La loi sanctionne de ce fait, le dirigeant déloyal.

-L’usage des pouvoirs : Le terme pouvoirs englobe les pouvoirs d’administration et de


gestion légaux ou statutaires accordés aux dirigeants de la société 584. L’abus des pouvoirs
permet ainsi, de sanctionner l’usage abusif des prérogatives dont dispose un dirigeant. C’est
lorsque le dirigeant utilise les pouvoirs qui lui sont conférés dans son propre intérêt, en
concluant par exemple des contrats qui n’apportent aucun profit à la société 585. Cet usage
abusif peut résulter des actes positifs ainsi que des absentions. C’est le cas d’un dirigeant qui a
été condamné pour abus de pouvoirs pour avoir omis de réclamer à une autre société, dans
laquelle il avait des intérêts personnels, le paiement de marchandises livrées 586, ou des
créances à une société dans laquelle il était actionnaire 587. Il en est de même pour le Président
qui a organisé une fusion à son seul profit588.

-L’usage des voix : Il s’agit des procurations, à savoir les pouvoirs en blanc, données par
certains actionnaires aux dirigeants, en les chargeant de les représenter aux assemblées
générales. Les dirigeants usent des voix qu’ils possèdent en utilisant ces pouvoirs en blanc
dans leurs intérêts personnels, en causant un préjudice à la société. Toutefois, cet abus est
difficile à prouver dans la mesure où la procuration engendre l’accord sur les projets de
résolutions présentés ou agréés par le conseil d’administration 589. Plus encore, avec
l’avènement de la loi 20-05 modifiant et complétant la loi 17-95 sur les sociétés anonymes, il
y a eu l’introduction du vote par correspondance et l’utilisation de la visioconférence, ce qui
rend ce délit presque introuvable.

B- Un usage contraire aux intérêts économiques de la société :

À la différence du législateur français qui a précisé dans l’article 425-4 de la loi du 24


juillet 1996 que le délit d’abus de biens sociaux sanctionne l’usage contraire aux intérêts de la
société, le législateur marocain a, quant à lui, utilisé les termes intérêts économiques afin de
583
Bernard BOULOC, « De la notion d’acte contraire à l’intérêt social dans le délit d’abus des biens ou du crédit de la société », in G.P. 1952. I. Doct. 17, cité par idem, p. 71.
584
Nadia OULEHRI, « Introduction à l’étude du droit pénal spécial des affaires », in RMDAE, n° 2, mai 2003, p. 23.
585
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 103.
586
Cass. crim. 15 janv. 1973, p. 357, note B. BOULOC, cité par idem, p. 107.
587
JACK BERTRANDON, op.cit., p.12.
588
Cass. crim., 10 juil. 1995, in JCP E 1996, II, 780, note J. PAILLUSSEAU, cité par Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 269.
589
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 103

173
qualifier cet abus. Doit-on comprendre que l’usage contraire à d’autres intérêts que ceux
économiques de la société n’est pas répressible ?

A première vue, les intérêts économiques renvoient vers le patrimoine social. L’atteinte à
ces intérêts se manifeste lorsque la société a subi un préjudice matériel et même lorsqu’elle a
encouru un risque anormal suite à un acte de gestion. Ainsi, serait contraire aux intérêts
économiques, l’acte du dirigeant qui lui a causé une perte financière, de même que l’acte qui
aurait pu être à l’origine d’une perte.

Plus largement, les intérêts économiques de la société indiquent le profit, ce qui rend
répressible, également, le manque à gagner que le dirigeant a causé, de mauvaise foi, à la
société. Comme l’expriment certains auteurs « l’appauvrissement ou le simple risque
d’appauvrissement de la société sont des atteintes avérés à l’intérêt social ; un manque à
gagner, la perte d’une occasion d’enrichissement réalisent encore un outrage à l’intérêt de la
société »590.

Suivant le même raisonnement, l’utilisation des termes intérêts économiques renvoie à


l’actif social et convoite la protection du patrimoine social. Un auteur trouve que « la notion
qui commande la qualification de l’abus de biens sociaux est probablement moins celle
d’atteinte à l’intérêt social que celle d’acte contraire à l’affectation du patrimoine social au
service de l’activité de l’entreprise »591, et ajoute que « c’est par la préservation de cette
affectation qu’est assurée la protection des intérêts des tiers qui contractent avec la
société »592.

Ceci permet de constater que l’expression intérêts économiques renvoie à la conception


extensive de l’intérêt social, à savoir l’intérêt de l’entreprise qui englobe l’ensemble des
intérêts liés au fonctionnement de la société. En conséquence, dans leur gestion, les dirigeants
doivent prendre en considération l’intérêt de l’entreprise, au risque d’être réprimés pour abus
de biens sociaux.

En effet, un auteur précise que les intérêts économiques de la société ne doivent pas
être confondus avec le patrimoine social, l’objet social, ou encore l’intérêt commun des
actionnaires593. Pour lui, l’intérêt économique « a une définition plus large ; il correspond à la

590
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 269.
591
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 113.
592
Ibid.
593
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 78.

174
réunion de tous les intérêts des différents agents participant au financement de l’entreprise
sociale »594.

Admettre les intérêts économiques de cette manière permet une meilleure protection à la
société, aux actionnaires et aux tiers qui contractent avec elle, ce qui donne au délit d’abus de
biens sociaux un caractère répressif et par le même biais, le juge « pourrait sanctionner des
comportements que le législateur n’avait pas envisagés »595.

Toutefois, cette définition des intérêts économiques qui cherche à assurer la protection de
toute partie impliquée avec la société n’est pas entièrement appliquée par la jurisprudence, qui
écarte toute action civile qui ne provient pas d’un actionnaire ou d’un représentant légal. Au
motif que les autres parties n’ont subi qu’un préjudice indirect et les renvoient aux juridictions
civiles596. Ceci n’est-il pas une contradiction ? Le législateur cherche à protéger les intérêts
des parties impliquées dans le fonctionnement de l’entreprise, en adoptant l’intérêt social le
plus large, tout en interdisant à certains détenteurs de ces intérêts de se constituer partie civile.

La jurisprudence marocaine, quant à elle, a préféré ignorer la portée des intérêts


économiques, notamment, dans un jugement du TPI de Casablanca qui a condamné un
dirigeant pour abus de biens sociaux sans déterminer l’élément matériel, en précisant
que : « puisque le délinquant s’est emparé du matériel de la société qui est institué à
Casablanca, et qu’il n’existe dans le dossier aucun élément qui prouve le contraire, par
conséquent, il est reconnu coupable de l’abus de biens sociaux »597.

Toutefois, dans d’autres domaines, le juge a utilisé la conception large de l’intérêt social,
notamment en matière d’abus de minorité qui a été caractérisé suite au refus du minoritaire de
voter pour une augmentation de capital exigée par la banque pour pouvoir financer un projet
de la société. Le Tribunal a considéré que : « l’augmentation du capital et un impératif et
conditionne la survie et la prospérité de l’entreprise »598.

Ceci dit, la signification de l’expression « intérêts économiques » demeure incertaine et


cette tentative d’apporter une clarté sur son utilisation par le législateur n’est qu’une
hypothèse qui ne peut être approuvée ou réfutée que par l’intervention du juge dans le cadre
de l’article 384 de la loi 17-95 sur les sociétés anonymes.
594
Ibid.
595
Thierry FAVARIO, op. cit., p. 226.
596
Zakaria ESSINE, « Le délit d’abus de biens sociaux : un délit inutile », in RMDAE, n° 14-15, mai-sept. 2009, p. 44.
597
TPI, Casablanca Anfa, 10 mars 2003, dos. n°2002/18, déc. n° 321, (inédite), cité par ibid.
598
Trib. de com. Marrakech, dos. com., n° 1/98, déc. n°7/4/99, in la GTM, n° 18, p. 195 (en arabe), ibid.

175
Paragraphe 2 : L’élément moral

Cet élément est composé à la fois de l’usage de mauvaise foi (A) et de l’usage à des fins
personnelles (B).

A- l’usage fait de mauvaise foi :

L’article 384 exige à la fois que le coupable ait agi de « mauvaise foi », et qu’il « savait »
que l’acte litigieux était contraire aux intérêts économiques de la société. La sanction suppose
donc que le dirigeant avait connaissance du caractère délictueux de son acte. Ainsi,
l’imprudence, l’inattention, la négligence et l’omission ne sont pas pénalement réprimées 599.

Aussi, l’intention de porter atteinte au patrimoine social n’est pas exigée, « la simple
conscience qu’a le dirigeant que l’acte a été contraire à l’intérêt social tout en lui étant
bénéfique suffit »600.

Le juge est tenu de vérifier l’ensemble de l’acte tout en prenant en considération les
circonstances de sa conclusion, afin de déterminer si le dirigeant était conscient ou non qu’il
agissait contrairement aux intérêts économiques de la société. À tire d’exemple, peut être
citée, la violation de la procédure de l’autorisation des conventions passées entre les
dirigeants et la société, dévoile l’existence de la mauvaise foi 601. Plus concrètement, un arrêt
de la Cour d’appel602 a été cassé pour avoir retenu le délit d’abus de biens sociaux contre un
dirigeant de fait d’une SARL, en se limitant à affirmer « qu’il avait perçu les recettes de la
société et qu’il n’avait pas apporté la preuve que les sommes correspondantes avaient été
remises à la banque, ou au gérant de droit, sans préciser si les recettes non représentées
avaient été utilisées de mauvaise foi à des fins personnelles et dans un intérêt contraire à
celui de la société »603.

Aussi, lorsque la mauvaise foi est confirmée, l’assentiment des actionnaires ne peut
écarter le caractère abusif de l’acte, car il serait facile aux dirigeants d’obtenir l’approbation
de l’assemblée générale à laquelle les faits délictueux auraient été dissimulés par des comptes
inexactes604.

599
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 271.
600
Cass. Crim. 25 nov. 1995, in Bull Crim. 1975 n°257, cité par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 120.
601
Ibid.
602
Cass. Crim., 22 oct. 1990, X, in Bull. Joly, janv. 1991, p. 75, cité par Paul LE CANNU et Daniel LEPELTIER, op. cit., p. 232.
603
Ibid.
604
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 139.

176
B- L’usage à des fins personnelles :

Outre la connaissance que l’acte est contraire à l’intérêt social, le dirigeant doit avoir agi
« à des fins personnelles ». L’intérêt personnel permet de distinguer la mauvaise gestion de
l’abus de biens sociaux. En effet, le dirigeant qui fait une opération désavantageuse pour la
société sans qu’il ait cherché à en tirer profit ne commet pas un abus de gestion, mais plutôt
une faute de gestion605.

Les fins personnelles que le dirigeant a dans l’acte répressible peuvent être directes ou
indirectes606. Ils sont le plus souvent matériels. L’exemple le plus courant est celui des
rémunérations excessives ou abusives607 :

Les rémunérations des dirigeants prennent plusieurs formes 608 qui peuvent s’ajouter aux
rémunérations perçues dans le cadre de leur contrat de travail, s’ils remplissent les conditions
du cumul609. Toutefois, le montant de ces rémunérations peut se montrer excessif, d’autant
plus qu’il n’y a pas de texte légal qui fixe et encadre ces rémunérations, mis à part leur
soumission à la procédure des conventions réglementées610.

En effet, même si c’est le conseil d’administration qui détermine les rémunérations des
dirigeants dans la SA moniste et le conseil de surveillance dans la SA dualiste 611, des
rémunérations supérieures à la capacité financière de la société sont souvent accordées à
certains dirigeants. Lorsque ces rémunérations sont accordés sans l’accord du conseil
d’administration, il est facile de les qualifier d’abusives, mais lorsqu’elles sont le résultat de la
décision du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, il convient d’aller plus loin
dans leur analyse, étant donné que le caractère régulier de celles-ci ne se justifie pas du seul
fait qu’il a y un accord préalable des actionnaires.

De plus, l’absence de définition juridique des rémunérations excessives rend la tâche


difficile quant à leur condamnation, ce qui a poussé la pratique jurisprudentielle de faire
recours à deux critères précis afin de pouvoir les détecter. Ainsi, pour ne pas être excessive, la

605
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 80.
606
V. supra, p. 112 et s.
607
Cass. crim., 26 juin 1978, in Bull. crim., n°12, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 139.
608
Jetons de présence, rémunérations exceptionnelles, le remboursement de frais engagés : V. arts. 56, 67 et 92 de la loi 17-95.
609
V. art. 43, ibid.
610
Art. 55, al. 2, ibid.
611
Royaume du Maroc, Memento, Droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économiques, Paris, 1999, p. 221.

177
rémunération du dirigeant ne doit pas dépasser les capacités financières de la société et doit
être la contrepartie de services réellement rendus par le dirigeant 612.

Ainsi, un abus de biens sociaux a été caractérisé lorsque le dirigeant s’est attribué « une
rémunération mensuelle excessive compte tenu des difficultés financières de la société et de
l’insuffisance du travail fourni »613. Les juges n’hésitent pas à se baser sur le déséquilibre
entre le travail fourni par le dirigeant et sa rémunération pour distinguer les rémunérations
excessives. C’est dans ce sens que la Chambre criminelle avait considéré que « le délit d’abus
de biens sociaux est caractérisé dès lors que le versement d’un salaire à un employé d’une
société ne correspondant pas au travail effectivement fourni par lui, est contraire à l’intérêt
social, à défaut d’une complète contrepartie »614. C’est dans ce sens que le dirigeant d’une
société qui a des soucis financiers, a été condamné pour abus de biens sociaux dans la mesure
où il bénéficiait d’une rémunération qui changeait selon le chiffre d’affaires, et que ledit
dirigeant produisait de fausses factures afin d’augmenter faussement le chiffre d’affaires et
par le même biais sa rémunération615.

Toutefois, le juge doit se référer à la date à laquelle la rémunération a été versée, vu que
la situation économique de la société peut se détériorer après la décision de détermination de
la rémunération.

En plus de l’exemple des rémunérations excessives, d’autres agissements constitutifs de


délit d’abus de biens sociaux peuvent se manifester au court de la gestion de la société. Tel est
le cas du dirigeant d’une société qui fait des livraisons à son entreprise, sans l’autorisation du
conseil d’administration, en faisant profiter son entreprise des mêmes remises dont bénéficie
la société qu’il dirige, en facturant tardivement la livraison et ce, qu’après l’engagement de
poursuites pénales616.

Les fins personnelles peuvent également être morales : préserver de bonnes relations avec
un tiers à la société qui est lié à la sphère politique 617, ou encore préserver la réputation de la
famille618.

612
Yves CHAPUT, Droit des sociétés, Droit commercial, 1e éd., Paris, 1993, p. 136.
613
Cass. Crim., 21 oct. 2009, RJDA 4/10 n° 393, cite par par Charles-Emmanuel PRIEUR, Nadia MEDIAZ, « La fixation et le contrôle de la rémunération des dirigeants »,

Dos. Les instruments de la rémunération des dirigeants, in Journ. Soc., n° 101, sept. 2012, p. 29.
614
Cass. Crim., 14 mai 2003, cité par ibid.
615
Cass. Crim., 22 sept. 2004, in Rev. Sociétés 2005, p. 200, note B. BOULOC, cité par ibid.
616
Cass. Crim.,1 oct. 1987, in Bull. Joly 1987, p. 851, cite par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 73.
617
Cass. crim., 15 sept. 1999, in D. 2000, p. 319, note A. MEDINA, cite par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 140.
618
Cass. crim., 3 mai 1967, in Bull. cril., n° 148, cite par ibid.

178
Prouver l’usage fait à des fins personnelles se base sur la présomption simple posée par la
jurisprudence619. La Cour de cassation considère que lorsque le dirigeant prélève d’une
manière occulte des fonds de la caisse sociale, il le fait à des fins personnelles, à moins qu’il
prouve le contraire620. Toutefois, l’usage contraire à l’intérêt social n’est pas sanctionné sur la
base d’abus de biens sociaux, lorsqu’il est dû à l’imprudence et la négligence du dirigeant et
non pas pour satisfaire, en connaissance de cause, un intérêt personnel extérieur à l’intérêt
social.

Au final, se pose la difficulté de découvrir l’usage abusif du dirigeant, dans la mesure où


le dirigeant utilise des procédés compliqués afin de dissimuler sa relation avec l’usage
réprimé. Conscient de cette difficulté, le législateur réprime également les actes destinés à
favoriser une autre société dans laquelle le dirigeant était intéressé directement ou
indirectement.

Cette expansion de l’infraction permet d’assurer une large protection à l’intérêt social,
même si le juge sera amené à effectuer de minutieuses recherches afin de démasquer les
dirigeants qui sont à l’origine d’un tel abus. Dans ce sens, un arrêt de la Cour d’appel a
considéré que « le montage juridique et financier, sciemment mis en place, ayant permis de
mettre à la charge de deux sociétés des honoraires versés à une holding familiale alors qu’ils
ne correspondaient à aucune prestation utile, doit être regardé comme constitutif d’un abus
de bien sociaux au détriment des deux sociétés »621.

Alors que dans les cas précédemment mentionnés, l’intérêt personnel est évident, dans
d’autres cas, il a fait défaut ce qui n’empêche pas toutefois, la jurisprudence de sanctionner les
dirigeants pour abus de biens sociaux, et ce même si ce courant jurisprudentiel était de courte
durée. Tel est le cas de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre1986 622 qui a qualifié
d’abus de biens sociaux le fait de débiter le compte social de 1 million de FF pour corrompre
des inspecteurs des impôts afin d’échapper à un contrôle approfondi. Ou encore l’arrêt du 22
avril 1922623 qui a retenu un abus de biens sociaux contre des dirigeants ayant prélevés des
sommes d’argent pour corrompre le maire de la commune afin d’obtenir un marché de
transport scolaire. La Cour de cassation a considéré que « tout usage des biens d’une société

619
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 272.
620
Ibid.
621
Crim., 25 oct. 2006, Jean François BARBIERI, « Abus de biens sociaux, éléments constitutifs, fins exclusivement personnelles », in Bull. Joly soc. 2007, p. 245, cité par

Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 81.


622
Cass. Crim. 17 nov. 1986, in Bull. Crim. n° 342.
623
Cass. com., 22 avr. 1992, in Rev. Sociétés 1993, p. 124, note B. BOULOC, cité par Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 49.

179
est nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite »624 Cet arrêt n’a pas pourtant
fait impression vu qu’il n’a pas fait référence à l’intérêt personnel, critère indispensable pour
la qualification de l’abus de biens sociaux.

Pour Michel Pralus, cette motivation est « soit contraire à la loi en ce qu’elle ajoute un
nouveau cas d’usage abusif, soit à la réalité des choses, car la lecture des faits ayant donné
lieu aux poursuites pénales révèle clairement qui si les dirigeants avaient prélevé des fonds
sociaux et tenté de corrompre un élu, c’était pour obtenir un marché au profit de leur
entreprise et donc qu’ils avaient agi en vue de ce qui leur avait paru être l’intérêt de celle-
ci »625.

Cette situation a cependant pu être développée, notamment par un arrêt du 11 janvier


1996626 où la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté plus de clarté sur la
distinction entre acte illicite et abus de biens sociaux. Ce cas d’espèce est relatif à une SARL
qui exploite un hôtel et dont le gérant a constitué une caisse noire alimentée par les recettes du
bar et du restaurant de l’hôtel, et qui utilisait 25% des fonds de la caisse pour rémunérer les
salariés non déclarés. Malgré le fait que ce détournement constituait une infraction du code du
travail et du code des impôts, il n’a pas était à l’origine de la condamnation du gérant pour
abus de biens sociaux.

En effet, la Cour a soulevé « qu’en l’espèce, des fonds sociaux ont notamment été utilisés
pour faire face aux charges d’exploitation de l’établissement, c’est-à-dire dans l’intérêt de la
société (…) l’abus des biens sociaux n’est punissable que lorsque l’acte est contraire à
l’intérêt social, qu’il s’ensuit que la constitution d’une caisse noire ne peut être qualifiée
d’abus de biens sociaux que si elle compromet l’intégralité de l’actif social »627. En effet,
l’usage des fonds de la caisse noire n’était pas fait dans l’intérêt personnel du dirigeant. Par
contre, les 75% des fonds de la caisse noire dont l’utilisation n’a pas était justifiée par le
gérant, a permis de le condamner pour usage abusif des biens sociaux. La Cour a considéré
que la caisse noire devenait limpide, si l’on démontre à quoi a servi l’argent. Reste à prouver
que l’ensemble de l’argent a été utilisé à des fins sociales 628, à défaut il y aura atteinte aux
intérêts patrimoniaux de la société.

624
Idem, p. 50.
625
Michel PRALUS, « Contribution au procès du délit d’abus de biens sociaux », in JCP, éd. G, n°8, cité par ibid.
626
Cass. crim., 11 janv. 1996, in Rev. Sociétés 1998, p. 586, note B. BOULOC, cité par ibid.
627
Idem, 51.
628
Jean Jacques DAIGRE, La modernisation du droit des sociétés, Pratique des affaires, éd. Joly, Paris 1996, p. 79.

180
Cette jurisprudence montre qu’en matière d’abus de biens sociaux, la charge de la preuve
incombe au dirigeant, contrairement au principe de « la preuve pèse sur celui qui agit ». Le
dirigeant est donc présumé coupable quand il y a des fonds clandestinement prélevés, sauf s’il
parvient à prouver que lesdits fonds ont été utilisés dans l’intérêt social.

Aussi un arrêt de la chambre criminelle a considéré qu’ « un acte ne peut être considéré
comme contraire à l’intérêt social du seul fait qu’il est illicite, que fut-il illicite, il est exclusif
de l’abus de biens sociaux dès lors que le dirigeant, loin de rechercher son intérêt personnel,
a agi dans l’intérêt de la société »629. Le juge considère de ce fait, que l’acte illicite n’est pas
forcément une atteinte à l’intérêt social et ne peut être réprimé sur la base du délit d’abus de
biens sociaux.

Par ailleurs, il convient de préciser que l’acte illicite qui n’est pas fait dans l’intérêt
personnel du dirigeant ne peut faire l’objet d’abus de biens sociaux, mais il doit être
sanctionné par le texte qu’il a directement violé. Cette conclusion de la jurisprudence
française reste insatisfaisante. N’est –il pas préjudiciable au crédit de la société et par-delà à
son intérêt, le fait de commettre des infractions du code de travail ou celui des imports ? En
effet, « l’intérêt social ne s’apprécie pas seulement à court terme, il faut prendre en compte
l’atteinte à l’image de marque de la société et le préjudice- irréparable- en terme de
notoriété, provoqué par des actes contraires à la morale »630. Mais vu qu’il y absence d’usage
fait dans l’intérêt personnel du dirigeant, il reste difficile de constater l’existence d’un abus de
biens sociaux.

Après la détection des éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux, il reste à le
réprimer.

Sous-section 2 : La répression du délit d’abus de biens sociaux

L’application des sanctions d’emprisonnement et d’amende prévues par le législateur


dans l’article 384631 et frappant les membres des organes de l’administration, de direction ou
de gestion d’une société anonyme passe nécessairement par la détermination des protagonistes
de l’infraction (paragraphe 1), afin de pouvoir mettre en œuvre leur poursuite (paragraphe
2).

629
RJDA 1997, n° 215, cité par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p.117.
630
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 270.
631
Cet article prévoit l’emprisonnement de un à six mois et une amende de 100.000 à 1.000.000 de dirhams à l’encontre des dirigeants ayant commis un délit d’abus de biens

sociaux.

181
Paragraphe 1 : Les protagonistes de l’infraction

Le délit d’abus de biens sociaux a pour aspiration de protéger la société des méfaits de ses
propres dirigeants. Ce délit confronte ainsi l’auteur de l’infraction (A) et la victime (B).

A- L’auteur de l’infraction :

Selon les termes de l’article 384, l’auteur de l’abus de biens sociaux ne peut être qu’un les
membres des organes d'administration, de direction ou de gestion. Dans le cadre d’une société
anonyme de type classique c’est le président et les membres du conseil d’administration qui
sont visées. S’il s’agit d’une société anonyme à directoire, ce sont les membres du directoire
et du conseil de surveillance selon leurs attributions.

Par ailleurs, la délégation de pouvoirs 632 peut justifier la responsabilité du délégataire 633.
Parce qu’il assume la responsabilité, le délégataire encourt les sanctions pénales y afférentes.
Il faut juste que le dirigeant apporte la preuve « de la réalité de la délégation des pouvoirs
invoqués »634. En effet, selon la chambre criminelle, « sauf si la loi en dispose autrement, le
chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut
s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à
une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires »635.

Aussi, mis à part les dirigeants et leurs délégataires, les auteurs non expressément visés
par la loi, ne peuvent être sanctionnés conformément au principe d’interprétation stricte de la
loi pénale. A cet effet, avoir une autre qualité, comme celle du salarié n’est pas valable 636.

Toutefois, le législateur n’a pas manqué de joindre les dirigeants de fait aux dirigeants de
droit, susceptibles d’être sanctionnés pour abus de biens sociaux et ce, à travers l’article 374 637
de la loi précitée. Cette annexion se justifie par le fait que les agissements des dirigeants de

632
Il y a lieu de faire une distinction entre la délégation de signature et la délégation de compétence : la première permet au mandataire de signer des actes au nom du directeur

général et n’a plus d’effets lorsque le dirigeant général est modifié ; la deuxième est donnée par la société, par le truchement de son directeur général et confère au mandataire le

soin de représenter la société. Elle demeure effective en cas de changement du directeur général. V. Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 142.
633
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 86.
634
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 142.
635
Cass. crim. 11 mai 1993, in Bull. joly soc. 1993, p. 666, note M.E. CARTIER, cité par Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 86.
636
Cass. crim., 17 oct. 1957, in Bull. crim., n° 648, cite par idem, p. 140.
637
Cet article dispose que « les dispositions du présent titre visant les membres des organes d’administration, de direction ou de gestion seront applicables à toute personne

qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercé la direction, l’administration ou la gestion de sociétés anonymes sous le couvert ou aux lieu et place de leurs
représentants l’égaux ».

182
fait638 produisent des effets juridiques et qu’il est logique qu’ils soient responsables pour leurs
actes. Il convient dès lors de distinguer les dirigeants de droit de ceux de fait.

Alors que la qualité de dirigeant de droit ou de représentant légal est conférée par les
statuts ou par les organes compétents de la société, celle de dirigeant de fait découle de
l’exercice des fonctions ou des pouvoirs, par une personne physique ou morale, qui sont
normalement attribués au dirigeant de droit. En d’autres termes, le dirigeant de fait se
comporte comme un représentant légal, « c’est-à-dire qu’il a la signature bancaire, qui signe
les contrats ou engage le personnel. Le législateur le considère comme un auteur direct et
non comme un complice »639.

D’une manière générale, les dirigeants de fait assurent la gestion, l’administration et la


direction à la place des représentants légaux. Selon la Cour d’appel de Paris 640 « la qualité de
gérant de fait est caractérisée par l’immixtion dans les fonctions déterminantes pour la
direction générale de l’entreprise, impliquant une participation continue à cette direction et
un contrôle effectif et constant de la marche de la société en cause ». Ainsi, le dirigeant de
fait est celui qui traite avec les banques, donne des instructions aux salariés et définit la
politique sociale. Toutefois, il ne faut pas confondre le dirigeant de fait avec l’actionnaire
majoritaire dans la mesure où l’intervention de celui-ci se limite à ses titres, mais s’il assure la
gestion de la société à la place du dirigeant de droit, il pourra être considéré comme tel 641.

Mis à part les actionnaires, d’autres intervenants peuvent être qualifiés de dirigeants de
fait tels que le concédant, le franchiseur ou encore l’Etat642.

Afin d’échapper à cette incrimination, le dirigeant de droit ou de fait peut soulever des
motifs pour se disculper de l’abus auquel il est confronté. En effet, il est souvent fait référence
au consentement donné par les actionnaires sur la gestion des dirigeants pour justifier l’abus
de biens sociaux.

Toutefois, cette justification est écartée par les juges étant donné que l’incrimination de
cet abus vise à protéger l’intérêt social (qui porte sur un ensemble d’intérêts) et non pas
l’intérêt des actionnaires. C’est dans ce sens que la chambre criminelle avait déclaré que
« l’assentiment du conseil d’administration ou l’assemblée générale des actionnaires ne peut
638
166 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫عز الدين بنستي‬.
639
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 125.
640
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 141.
641
Ibid.
642
Gaz. Pal. 1989, II, p. 579, note D. PLANTAMP, cité par ibid.

183
faire disparaitre le caractère délictueux des prélèvements abusifs de fonds »643. Cette
jurisprudence souligne le fait que l’accord de la victime ne peut donner lieu à la suppression
de la responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction.

Au-delà du cercle de direction de droit ou de fait, un autre acteur éventuel de la vie


sociale peut se voir sanctionner pour abus de biens sociaux. Il s’agit du liquidateur qui
« aurait fait des biens ou du crédit de la société en liquidation, un usage qu’il s’avait
contraire à l’intérêt économique de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une
autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement »644.

Toutefois, la situation du liquidateur varie de celle des dirigeants en termes de sanctions.


Même si les peines d’emprisonnement d’un à six mois sont les mêmes pour les deux
coupables, le montant de l’amende varient de 100.000 à 1.000.000 dhs pour les dirigeants et
de 8.000 à 40.000 dhs pour le liquidateur.

Il convient néanmoins de préciser que l’énumération des auteurs de l’infraction par le


législateur laisse échapper des personnes du champ d’application de la loi. Il convient dès lors
de déterminer comment seront-ils sanctionnées ? Il s’agit spécifiquement des complices de
l’infraction et des receleurs.

Pour le complice, sa condamnation ne peut être faite que sur la base des dispositions des
articles 129 et suivants du code pénal. A cet effet, la condamnation de la complicité, nécessite
« un fait principal punissable, un acte matériel d’aide ou d’assistance antérieur ou
concomitant au fait principal, et enfin la connaissance du caractère délictueux de l’acte et la
volonté de s’y associé »645. En d’autres termes, le complice doit avoir eu connaissance de
l’acte reproché à l’auteur et qu’il était contraire aux intérêts économiques de la société. Aussi,
il doit avoir commis des actes positifs ou d’abstention qui ont permis la réalisation de l’abus.

A cet égard, la Cour d’appel de Paris646 avait retenu la complicité par abstention du
directeur général d’une banque parce qu’il ne s’est pas opposé aux abus de biens sociaux du
P.D.G, alors qu’il en avait connaissance et avait la possibilité d’y mettre fin en raison de ses
fonctions. Aussi, s’est rendu coupable de complicité d’abus de biens sociaux, le président du

643
Adeline VEZINET, La position des juges sur l’intérêt social, Droit et Patrimoine, avril 1997, p. 50, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p. 106.
644
Art. 423 de la loi 17-95.
645
Cass. crim 20 mars 1997, « Abus de biens sociaux et complicité », in Rec. sociétés, 1997, p. 587, note B. BOULOC, cité par Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 88.
646
Cour d’appel de Paris, 18 sept. 1996, Juris-data crim. 28 mai 1981, D., p. 137, cité par ibid.

184
directoire d’une société qui, contre une rémunération, préparait et facilitait les agissements
illicites d’un associé majoritaire et membre du directoire.647

En ce qui concerne les receleurs, il y a lieu de l’application de l’article 571 du code


pénale. D’ailleurs, les affaires financières et économiques montrent que l’abus de bien
sociaux est un délit favorable au recel. Il convient dès lors de déterminer ces éléments de
qualification. Pour l’élément matériel, il ne représente pas de difficulté, mais ce n’est pas le
cas pour l’élément moral. Cette difficulté conduit les juges de fond à s’en tenir aux éléments
de fait comme le fait que le prévenu ne pouvait ignorer l’origine des objets reçus. La
jurisprudence s’est construit un « système de présomption dont la conséquence est de
contraindre les prévenus à justifier leur bonne foi »648.

Pour finir, il convient de souligner l’importance de l’extension de la sphère des éventuels


coupables du délit d’abus de biens sociaux aux receleurs et aux complices. Il est question
d’assurer la protection de l’intérêt social dans son ensemble, surtout que la société à
responsabilité limitée n’offre aux créanciers sociaux que le patrimoine social comme gage de
leur créances, d’où la nécessité pour eux, de le défendre. Mais la réalité est tout autre.

B- La victime de l’infraction :

Dans le cadre de la condamnation de l’abus de biens sociaux, l’intérêt à agir devant le


juge pénal est limité à la personne morale et aux actionnaires, considérées comme les seules
victimes de cet abus. L’action civile de la société est logique puisqu’elle lui permet de
défendre son patrimoine. Quant aux actionnaires, l’action civile est admise étant donné qu’ils
détiennent le capital social, et l’atteinte dont il peut faire l’objet leur cause un préjudice direct.
Pour les juges, les associés et la société subissent un préjudice direct et personnel, lorsqu’il y
a abus de biens sociaux.

Cependant, une jurisprudence en date de 1994 a donné lieu à une dérive en élargissant
l’intérêt social et donnant la possibilité, de manière subtile, à d’autres parties à se constituer
parties civiles. Il s’agit de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation 649 qui a
considéré que « les abus de biens sociaux portent atteinte non seulement aux intérêts de la
société, mais aussi à ceux qui contractent avec elle ».

647
Cass. crim., 13 juin 1988, in Bull. Joly, juil.-aout-sept. 1988, p. 661, §213, cité par P. LE CANNU et D. LEPELTIER, op. cit., p. 496.
648
Idem, p. 89.
649
Cass. crim., 26 mai 1994, in Bull. Joly 1994, p. 1295, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 143.

185
Une lecture analytique de cet arrêt permet de conclure que l’intérêt social a été
certainement élargi en incluant d’autres composants afin de leur permettre de se constituer
partie civile. Mais en réalité, il n’en est rien, car cet arrêt ne confirme nullement cette
possibilité pour les tiers, victimes des abus des dirigeants. Pour un auteur, cette jurisprudence
visait à déterminer l’intérêt protégé et non pas l’intérêt à agir650.

Une autre jurisprudence est venue mettre fin à l’amalgame sur les parties pouvant se
constituer parties civiles. Il s’agit de l’arrêt de la chambre criminelle rendu le 27 juin 1995 651
qui avait précisé que « le délit d’abus de biens ou de crédit d’une société ne cause de
préjudice direct qu’à la société elle-même et à ses actionnaires et (que) les créanciers de la
société ou les tiers ne peuvent invoquer devant le juge pénal un préjudice qui, à le supposer
établi, n’en serait qu’indirect ».

En effet, il est refusé aux tiers une action en réparation du préjudice éventuellement subi
par eux, devant le juge pénal. Pour les juges, le préjudice subi par les tiers sociaux suite à un
abus de biens sociaux est un préjudice indirect ce qui les motivent à déclarer leurs actions
irrecevables. Tel est le cas des créanciers sociaux 652, des commissaires aux comptes653 et des
salariés654. Face à cette impossibilité à se constituer parties civiles, les tiers peuvent toujours
convertir leurs actions en actions en réparation du dommage qu’ils ont subis devant les
juridictions civiles.

A notre sens, l’ouverture de l’action civile aux créanciers et autres tiers est à encourager
étant donné qu’elle permettra à ces tiers de signaler toute dérive de la part des dirigeants et
constituera un moyen préventif des difficultés financières de la société. Cette possibilité se
comprend surtout pour les créanciers qui ne disposent que du patrimoine social comme gage
de leurs créances et doivent ainsi avoir la possibilité de le défendre. Mais vue d’un autre œil,
elle sera à l’origine de la déstabilisation de la société, dans la mesure où permettre aux
créanciers et salariés de se constituer parties civiles, c’est leur permettre de s’immiscer dans la
gestion des dirigeants et entraver le fonctionnement correct de la société.

Cependant, et à la différence du législateur français qui a limité le champ d’application de


cette infraction aux sociétés de capitaux, le législateur marocain, quant à lui, a étendu son

650
Ibid.
651
Cass. crim., 27 juin 1995, in Rev. sociétés 1995, p. 746, note B. BOULOC, cité par idem, p. 144.
652
Cass. crim., 14 févr. 1989, in Rev. sociétés, 1989, p. 633, cité par Didier MARTIN, L’intérêt des actionnaires…, op. cit., p. 364.
653
Cass. crim., 29 nov. 1960, in Bull. crim., n° 533, cite par ibid.
654
Cass. crim., 27 nov. 1991, in Bull. Joly soc., 1992, p. 405, cite par ibid.

186
champ d’application aussi bien aux sociétés de capitaux qu’aux sociétés de personnes 655. Il
convient dès lors de s’interroger sur la finalité recherchée par le législateur marocain à travers
cette extension.

Pour le législateur français et dans le domaine des sociétés par actions, cette infraction est
due à la prise en considération de l’intérêt des créanciers vu que leur gage se limite
uniquement au patrimoine social, ce qui justifie d’ailleurs le délit d’abus de biens sociaux qui
permet d’empêcher les dirigeants de dilapider l’actif social. Pour les sociétés de personnes, les
créanciers ont la possibilité de poursuivre non seulement le patrimoine social mais également
les associés dans leur patrimoine personnel. Ce qui justifie l’inutilité de l’insertion de cette
infraction par le législateur français dans ce type de sociétés, étant donné que les créanciers
pourront toujours saisir le patrimoine personnel des dirigeants.

En ce qui concerne la position du législateur marocain, l’article 107 de la loi 5-96 656 laisse
perplexe en ce qu’il condamne les gérants des sociétés en nom collectif, sociétés en
commandite simple, sociétés en commandite par actions, sociétés en responsabilité limitée et
sociétés en participation.

A notre sens, l’explication qui peut être donnée à cette extension se résume par le fait que
les créanciers des sociétés de personnes rencontrent souvent des difficultés lors du
recouvrement de leurs dettes dans la mesure où le patrimoine personnel des associés peut être
insuffisant ou insolvable. Ou encore, par le fait que les avantages dont a bénéficié le dirigeant
se dissipent par leurs usages, comme le cas d’un voyage d’affaires excessivement rémunéré.

Néanmoins, l’application de cet article dans la société en participation reste utopique dans
la mesure où l’abus de biens sociaux vise à protéger le patrimoine social contre les abus des
dirigeants, alors que ce type de société n’est pas soumis à l’immatriculation et ne dispose pas,
par conséquent, d’une personnalité morale ou de patrimoine social nécessitant une protection.

Paragraphe 2 : La mise en œuvre de la poursuite des auteurs du délit d’abus de biens


sociaux

La répression de l’abus de biens sociaux soulève des difficultés quant à la détermination


du point de départ de l’action publique (A) et de la sanction du dirigeant fautif (B).

655
Zakaria ESSINE, op. cit., p. 36.

656

187
A- Vers une imprescriptibilité du délit d’abus de biens sociaux :

En cas de délit, l’action publique se prescrit pour une durée de cinq ans à partir du jour ou
le délit a été commis657. Exceptionnellement, le législateur marocain, à l’instar de son
homologue français658, a retardé le point de départ au jour où le délit est révélé, en décidant
que la prescription est de cinq ans « à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, de
sa révélation »659.

En effet, la jurisprudence française a allongé le point de départ de la prescription, en cas


d’abus de biens sociaux, à la date ou « le délit est apparu et a pu être constaté dans des
conditions permettant l’exercice de l’action publique »660. La justification de cette position
trouve son essence dans la clandestinité de cet abus, qui rend difficile la constatation de cette
infraction de l’extérieur. Toutefois, l’allongement de la durée de la prescription laisse
présager une imprescriptibilité de ce délit.

Concrètement, ce prolongement signifie que la prescription peut démarrer après la


commission de l’infraction, et ce afin d’assurer une protection aux victimes qui ne peuvent
découvrir les faits dommageables suite aux montages complexes des dirigeants déloyaux.
Mais, cette expression peut également signifier que la prescription court à partir du jour où
l’information a était portée à la connaissance du parquet, notamment par un commissaire aux
comptes, et ce dans la mesure où c’est le ministère public qui est chargé principalement
d’exercer l’action publique.

Cette situation a été représentée par un arrêt de la Cour d’appel 661, qui a précisé, dans le
cadre d’un control fiscal, que le point de départ de la prescription est le jour de la
dénonciation des inspecteurs d’impôts des faits commis, quatre ans plus tôt. Cette
interprétation n’est pas sans danger pour les dirigeants, puisque le délai ne commencera pas à
courir tant que les faits ne seraient pas divulgués au procureur.

Une autre interprétation peut être donnée à ce prolongement. Il s’agit de dire que c’est la
perception matérielle des faits abusifs, par la société et les actionnaires, qui établit le point de
départ de la prescription, étant donné que ces parties peuvent provoquer indirectement l’action

657
Art. 355 de la loi 17-95.
658
Art. L. 53 pour les gérants, Art. L. 247 pour les administrateurs et membres du directoire, de la loi 1966 sur les sociétés commerciales.
659
Art. 355 de la loi 17-95.
660
Crim. 13 févr. 1989, in Rev. sociétés 1989, p. 692, B. BOULOC, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 488.
661
Dr. pén. 1994, n° 89, cite par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 124.

188
publique662. Mais dans ce cas-là, à qu’elle date la victime aurait dû avoir eu connaissance du
délit ?

A cet égard, il n’est pas admis que les actionnaires investis de pouvoirs de direction
réclament le retardement du point de départ de la prescription, s’il s’avère qu’ils avaient
connaissances auparavant des infractions des coupables. Ou encore, à ce que tous les
actionnaires aient connaissance des faits dommageables pour que le délai se déclenche. Il
convient plutôt de vérifier « le caractère suffisant de la connaissance des faits révélés auprès
des personnes effectivement en mesure d’intenter des poursuites pénales »663. A cet effet, une
personne bénéficiaire de l’action publique et qui a connaissance du délit ne peut demander le
retardement du point de départ de la prescription, et par le même biais, un tiers qui est au
courant du délit ne peut déclencher le point de départ vu que l’action publique ne lui est pas
ouverte.

Cette précision a été appliquée par un arrêt rendu le 27 juin 2001. Il s’agit de dirigeants
ayant affectés à la charge de la société le règlement de plusieurs salaires, entre 1989 et 1993,
qui ne se rapportent pas à un travail effectué pour la société. En réalité, il s’agissait de salaires
pour un employé de maison de l’un des dirigeants, pour un cadre commercial et pour un
footballeur professionnel. Ces faits ont été rapportés par les auditeurs, dans leur rapport de
1994 et transmis au parquet en 1995.

Cette situation a permis de déclencher une procédure en 1997 contre les dirigeants, pour
abus de biens sociaux. Pour leur défense, les dirigeants ont soulevé la prescription de l’action
publique, vu que les faits dommageables ont été mentionnés dans les comptes de la société
entre 1989 et 1993, et que l’action publique a été prescrite en 1997. Les juges de fond n’ont
pas donné suite à cet argument, en précisant que même si ces opérations étaient mentionnées
dans les comptes sociaux, elles étaient dissimulées dans les différents frais et charges
salariales ce qui ne permettait pas aux actionnaires de les repérer et de deviner leur caractère
abusif664. Cet arrêt fut toutefois cassé, au motif que « la prescription de l’action publique du
chef de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes
annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indument à la charge de la
société »665.

662
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 150.
663
Ibid.
664
Idem, p. 152.
665
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 273.

189
Dorénavant, le principe est clair, le délai de prescription commence à courir à partir de la
date de présentation des comptes annuels et non pas à la date de l’expertise comptable qui a
donné lieu à la divulgation des faits préjudiciables 666. Pour la date de présentation des
comptes, il convient de préciser que c’est la date où ces comptes ont été présentés à
l’assemblée générale pour leur approbation, et non celle de leur publication. Ceci s’explique
par le fait que les actionnaires ont la possibilité, par la suite, de faire examiner la conformité
de ces comptes par un expert, afin de percevoir les faits dommageables.

Doit-on assumer que les dirigeants ne risque pas d’être poursuivis après l’écoulement du
délai de cinq an à partir de la présentation des comptes sociaux ? Il n’en est pas le cas, car une
exception à ce principe fait régulièrement surface. Il s’agit de la dissimulation.

La dissimulation se manifeste lorsque les faits litigieux n’ont pas été relevés dans la
comptabilité de la société, tel que des paiements en espèce qui n’ont pas été enregistrés, ou
encore lorsque le dirigeant a procédé au maquillage de la comptabilité pour dissimuler par
exemple une charge illicite sous couvert d’une charge licite. D’ailleurs, les dirigeants font
souvent ce genre de combines pour dissimuler les opérations douteuses. Il convient dès lors
de les montrer pour que le délai de la prescription court. Néanmoins, les juges doivent mettre
en évidence la dissimulation, afin de déclencher le point de départ de la prescription, au risque
d’être désapprouvés par la Cour de cassation. C’est le cas des juges de Grenoble qui, n’ayant
pas caractérisé la dissimulation des opérations litigieuses, leur arrêt a été cassé pour
insuffisance de motifs667.

Les juges de fond sont souverains pour apprécier l’existence d’une dissimulation, à
condition que les motifs de leur décision soient exempts d’insuffisance ou de contradiction 668.
Il faut dire que l’appréciation des juges de l’existence ou non d’une dissimulation et de la
détermination du jour du déclenchement de la prescription est la source d’une insécurité
juridique à l’égard des dirigeants, dans la mesure ou leur appréciation rend impossible la
détermination objective du point de départ de la prescription et laisse présager une
imprescriptibilité du délit d’abus de biens sociaux. C’est dans ce sens que l’intervention de la
Cour de cassation s’enregistre. Elle vise à mettre fin à cette insécurité juridique en exigeant

666
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 152.
667
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 274.
668
Jacques-Henri ROBERT et Haritini MATSOPOULOU, « Abus de biens sociaux : commentaire des arrêts : Crim. 14 juin 2006, crim. 28 juin 2006, crim. 25 oct. 2006 », in

RPDP, 2006, p. 871, cité par Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 92.

190
des juges de fond une motivation de leur décision par la caractérisation de la dissimulation, et
ce dans le cas où ils veulent reporter le point de départ de la prescription.

En ce qui concerne la prescription de l’infraction de recel d’abus de biens sociaux, la


Cour de cassation a considéré que puisque la prescription du délit d’origine se déclenche à la
date de la découverte de l’abus de biens sociaux, celle du recel commence à courir à la même
date669. Cette résolution est logique puisque comment est-ce possible de poursuivre un recel,
alors que l’abus de biens sociaux n’a pas été révélé670 ?

Au final, la sévérité de la jurisprudence quant à la caractérisation des éléments constitutifs


de l’abus de biens sociaux et sa flexibilité dans la détermination du point de départ de la
prescription de l’action publique, reflètent sa volonté d’assurer une protection efficace à
l’intérêt social, par la sanction des comportements déloyaux des dirigeants sociaux.

En effet, ce délit tout comme la présentation ou publication de faux bilan, la distribution


de dividendes fictifs, exploite les fonds sociaux que les actionnaires ont investis et expose les
tiers au non-paiement de leurs créances. A notre sens, il ne s’agit pas de l’imprescriptibilité du
délit d’abus de biens sociaux, mais plutôt de la volonté de la jurisprudence d’assurer une large
protection à l’intérêt social dans son ensemble et de mettre fin au trouble ayant affecté l’ordre
social, le plus longtemps possible.

B- Les sanctions frappant le dirigeant, transgresseur de l’intérêt social :

Outre les sanctions pénales prévues à l’article 384 de la loi 17-95, plusieurs réponses sont
offertes aux actionnaires pour lutter contre les dérives des dirigeants constatées dans la
gestion de la société anonyme :

1. La mise en œuvre de l’action civile :

Les dirigeants responsables d’abus de biens sociaux peuvent être sanctionnés pour la
réparation du préjudice causé par leur infraction, dans le cadre de l’action civile. Cependant,
le demandeur doit avoir souffert d’un préjudice personnel et directement causé par
l’infraction, au risque de l’irrecevabilité de l’action civile. En effet, « les dommages par
ricochet n’entrent pas dans les prévisions légales »671.

669
Crim. 3 mai 1982, in Rev. sociétés 1983, p. 811, B. BOULOC, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 489.
670
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 273.
671
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 93.

191
De ce fait, les juges pénales considèrent que l’abus de biens sociaux ne cause de préjudice
direct qu’à la société672. Cette dernière est considérée comme la première victime de cet abus.
L’action civile ne peut ainsi être exercée que par la société dans le cadre de l’action sociale 673.
Cette action qui « permet la mise en jeu de la responsabilité civile des dirigeants sociaux, afin
d’obtenir la réparation du préjudice subi par la société du fait de la faute commise par ceux-
ci dans l’exercice de leurs fonctions »674, peut être exercée soit à travers le représentant légal
de la société agissant ut iniversis, pour obtenir des dommages et intérêts675, ou par un ou
plusieurs actionnaires agissant ut singuli en réparation du préjudice social.

L’action sociale ut singuli renforce la conception de l’intérêt social distinct et indépendant


de celui des actionnaires, dans la mesure où elle permet à un des actionnaires d’agir afin de
protéger non pas son intérêt d’actionnaire mais plutôt celui de la société. C’est ainsi que dans
le cas de fusion de sociétés, la société absorbante se substitue aux droits et obligations de la
société absorbée et peut ainsi se constituer partie civile, notamment par un actionnaire
agissant par la voie de l’action ut sunguli, afin de demander au juge pénal la réparation du
préjudice subi par la société absorbée, dans le cas d’abus de biens sociaux 676. Aussi, la Cour
de cassation a permis à l’actionnaire d’une société mère la constitution de partie civile contre
les dirigeants d’une filiale poursuivis pour abus de biens sociaux, commis au préjudice de la
filiale677.

Par contre, il est difficile à l’actionnaire de se constituer partie civile pour obtenir
réparation de son préjudice personnel, car le préjudice qu’il a subi est considéré indirect. Cette
action ne doit pas être confondue avec l’action sociale ut sunguli exercée par l’actionnaire :
dans la première, l’actionnaire agit pour son propre compte et les sommes obtenues lui seront
allouées à titre personnel678. Dans la deuxième, il agit pour le compte de la société et les
sommes perçues seront accordés au patrimoine social679.

De plus, l’action individuelle peut être exercée par celui qui était actionnaire au moment
du dommage, même s’il a cédé ses titres par la suite, alors que l’action sociale ne peut être

672
Philipe MERLE, op. cit., p. 490.
673
. 199 .‫ ص‬,.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬
674
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 298.
675
Cass. com. Rabat, 17 juin 2009, déc. n° 993, dos. n° 1029/3/1/2008, in GTM, n°128-129.
676
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 94.
677
Cass. crim., 6 févr. 1996, in JCP E 1996, II, 837, obs. J-F. RENUCCI et O. MEYER, cité par Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 276.
678
Art. 352, al.3 de la loi 17-95
679
Art. 353, ibid.

192
exercée que par les actionnaires actuels, et ce même s’ils ne l’étaient pas au moment des
faits680. L’action individuelle permet d’indemniser un préjudice personnel, tandis que l’action
sociale permet d’indemniser un préjudice social 681. Il est à préciser qu’aucune clause
restrictive de l’exercice de l’action social ou individuelle ne peut être considérée comme
valable. Elle sera frappée de nullité ainsi que celle soumettant le droit d’agir à l’autorisation
de l’assemblée générale682.

Par ailleurs, la jurisprudence n’accepte plus l’action civile à titre individuel exercée par
l’actionnaire, et ce après l’avoir accueillie auparavant 683. La Cour de cassation la déclare
irrecevable au motif que « le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage
personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé »684. Ainsi, elle a été
écarté au motif que « la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements
délictueux du dirigeant, constitue non pas, un dommage propre à chaque associée, mais un
préjudice subi par la société elle-même »685. Dès lors, seul l’exercice de l’action civile ut
iniversis ou ut singuli est admise par les juges. A notre sens, l’irrecevabilité de l’action civile
des actionnaires reste exagérée, car elle peut être profitable à la société dans la protection de
ses intérêts.

Aussi, l’action civile est totalement refusée aux créanciers de la société, qui ne peuvent
soulever devant le juge pénal qu’un préjudice indirect686.

L’interdiction faite aux créanciers à se constituer partie civile enregistre une contradiction
avec la volonté de faire de l’abus de biens sociaux un délit ayant pour but d’assurer une
protection qui dépasse le patrimoine social et l’intérêt des actionnaires et qui s’étend à
l’ensemble des intérêts débordants de l’intérêt social, dans la mesure où le détournement du
patrimoine social réduit leur gage et rend le recouvrement de leur créance incertain.

Mais vu d’un autre côté, le refus aux parties prenantes de la société à se constituer partie
civile est à féliciter puisqu’il évitera aux dirigeants de travailler sous la menace d’actions qui
pourront être engagées par plusieurs personnes. Aussi, cette interdiction empêchera les tiers
de s’immiscer dans la gestion des dirigeants et favorisera le bon fonctionnement de la société.
680
Cass. crim., 27 nov. 1978, in D. 1979, p. 123, note J. COSSON, cite par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 299.
681
216 .‫ ص‬،2018 ،‫ الدار البيضاء‬،‫ الطبعة االولى‬،‫ مطبعة النجاح الجديدة‬،‫ المنازعات القضائية في الشركات ذات المسؤولية المحددة في ضوء العمل القضائي المغربي‬،‫ عمر ازوكار‬.
682
Art. 354, al. 1 de la loi 17-95.
683
Crim. 6 janv. 1970, in Rev. sociétés 1971, 25, note B. BOULOC, cité par Dalloz Actualités, V. le site : http://www.dalloz-actualite.fr
684
Crim. 5 déc. 2001, n° 1-80.065, RSC 2002. 830, obs. D. REBUT, cite par ibid.
685
Crim 13 déc. 2000, in Bull. crim., n° 373 et 378, cité par Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 94.
686
Crim. 14 juin 2006, in Dr. Sociétés 2006, n° 151, R. SALOMON, cité par Philipe MERLE, op. cit., p. 490.

193
2. La révocation ad nutum du dirigeant :

Les actionnaires de la société anonyme, à travers les assemblées générales, peuvent


révoquer certains dirigeants687 sans qu’ils se justifient d’un motif. Cette révocation n’est
soumise à aucun préavis et n’entraine aucune indemnité.

Ainsi, les dirigeants pouvant faire l’objet d’une révocation ad nutum sont les membres
des conseils d’administration et de surveillance et le président de la société lorsqu’il est
également directeur général, et ce pour les SA fermées 688. Toutefois, la révocation doit être
justifiée lorsqu’il s’agit du directeur général, des directeurs généraux délégués et des membres
du directoire, au risque de donner lieu à des dommages intérêts689.

Dès lors, les dirigeants qui sont à l’origine d’un abus de biens sociaux peuvent facilement
se voir révoquer.

La révocation est d’ordre public et aucune clause statutaire ne peut y déroger. En effet, les
actionnaires bénéficient d’un large pouvoir de révocation et aucun aménagement susceptible
de le restreindre ne peut s’appliquer. C’est dans ce sens qu’elles ont été annulées les
conventions qui prévoyaient une indemnité à régler au mandataire social lors de son départ 690,
les conventions qui attribuaient un complément de retraite et avaient pour finalité d’empêcher
la révocabilité ad nutum691. Toutefois, la mise en œuvre du droit de la révocation peut donner
lieu à une action en réparation, lorsqu’elle est abusive, comme le cas où la société n’a pas
respecté les règles de procédure relatives à la tenue de l’assemblée générale 692.

Cependant, les dirigeants peuvent consolider leurs positions en joignant à leur mandat
social un contrat de travail, ce qui va leur permettre d’avoir le statut de salarié et bénéficier de
la protection du droit de travail, surtout que la révocation du dirigeant n’entraine pas
systématiquement la résiliation du contrat de travail693.

Aussi les actionnaires peuvent se voir confronté à l’application d’une clause dite golden
parachutes ou parachutes dorés lorsqu’ils veulent révoquer le dirigeant. Cette clause prévoit
687
Art. 48 de la loi 17-95.
688
Le cumul des fonctions de président du conseil d’administration et de direction générale dans les sociétés anonyme faisant appel public à l’épargne a été interdit par l’article

67 de la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux SA.


689
Art. 80 de la loi 20-05.
690
Versailles, 13e Ch., 1er déc. 1988, Salvetat c/ societies Baush et Lomb France et Société Baush et Lomb, in Bull. Joly, févr. 1989, p. Cass. com., 17 janv. 1984, Dr. Sociétés

172, § 47, cite par P. LE CANNU et D. LEPELTIER, op. cit., p. 208.


691
Cass. com., 15 juil. 1987, D. 1987, IR, p. 202, cite par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 304.
692
Tr. Com., Paris 26 avr. 1985, in D. 1986, 92, note GUYENOT, cité par Jean-François BULLE, op. cit., p. 198.
693
Art. 80 de la loi 17-95.

194
d’allouer au dirigeant une compensation importante en cas d’un remerciement, d’éviction ou
encore en cas de départ volontaire.

3. Les sanctions patrimoniales de la société en difficultés :

Le dirigeant d’une société anonyme dont la gestion s’avère compromettante pour l’intérêt
social et qui donne lieu à l’ouverture d’une procédure collective, se trouvera sévèrement
sanctionner en engageant sa responsabilité civile. Le dirigeant est ainsi condamné « non pas
parce que l’entreprise a connu des difficultés économiques ou financières, mais bien parce
qu’il a personnellement participé ou contribué aux faits ayant entrainé ou aggravé la
situation de la société »694.

Ainsi, la cessation des paiements de la société permet de condamner son dirigeant, en


mettant à sa charge la réparation du dommage qu’il a causé à la société, à travers notamment
le comblement du passif ou l’ouverture, à son encontre, d’une procédure de redressement ou
de liquidation judiciaire695.

La condamnation des dirigeants pour le comblement du passif est, toutefois, tributaire de


l’existence d’une faute de gestion696, d’un dommage pour la société et d’un lien de causalité
entre la faute et le dommage697. Elle concerne aussi bien les dirigeants de droit que ceux de
fait, rémunérés ou non698. Dans le cas où la société est administrateur d’une autre société, elle
peut être frappée dans son patrimoine par cette action, et ce lorsque cette dernière est en
cessation de paiement. Les personnes physiques représentants permanents d’une société
peuvent également être atteintes699.

L’action en comblement du passif ne peut être déclenchée, en dehors du Tribunal de


commerce, que par le syndic ou le ministre public 700. Cette action se nourrît certes, de la
responsabilité civile, mais elle enregistre plusieurs divergences avec celle-ci, qui permettent
de croire que sa finalité est plus de punir le dirigeant que de réparer le préjudice causé à la
société : En premier lieu, l’action en comblement du passif ne peut être introduite que devant
le Tribunal de la procédure collective. Ensuite, le juge bénéficie d’un pouvoir souverain quant

694
Jean-François BULLE, op., cit., p. 441.
695
379 .‫ ص‬،2009 ،‫ الرباط‬،‫ دار نشر المعرفة‬،‫ الجزء الثالث‬،‫ الوسيط في مساطر الوقاية من الصعوبات التي تعترض المقاولة ومساطر معالجتها‬،‫ احمد شكري السباعي‬.
696
Art. 738 de la loi n° 73-17 modifiant et complétant les dispositions relatives aux difficultés des entreprises.
697
Azzedine KETTANI, « La réforme marocaine des sociétés anonymes et la corporate governance », in RMDED, n° 37, 1996, p. 105.
698
Art. 736 de la loi n° 73-17.
699
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 520.
700
Art.742 de la loi n° 73-17.

195
à la condamnation du dirigeant, et ce même si les éléments de sa condamnation sont réunis 701.
En utilisant les termes « le tribunal peut… », le législateur permet au Tribunal de condamner
ou non le dirigeant, et ce même si sa responsabilité est prouvée, ce qui est inconcevable dans
la responsabilité civile. Ce paradoxe entre la faute prouvée du dirigeant et sa mise hors de
cause est incompréhensible.

Pour finir, au cas où le juge décide de la condamnation du dirigeant, il peut le punir à


régler une partie ou l’ensemble de l’actif insuffisant, et ce même si la faute commise par le
dirigeant n’est pas la cause directe de cette insuffisance 702. La faute de gestion a un caractère
général et s’étend à la faute légère, lourde, grave et dolosive. Elle peut porter sur une omission
ou un fait positif703. Il suffit que la faute soit commise dans le cadre de la gestion de la
société704 pour établir le lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice causé à la
société qui est l’insuffisance d’actif705.

D’ailleurs, l’article 738 précise que « le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant
contribuée à cette insuffisance d’actif, décider que cette dernière sera supportée, en tout ou
en partie, avec ou sans solidarité, par tous ses dirigeants, ou certains d’entre eux ». Il en
découle que le législateur n’exige pas que la faute du dirigeant soit la cause de l’insuffisance
de l’actif, mais juste qu’elle contribue à cette insuffisance. Par conséquent, le dirigeant qui a
commis une faute subtile de gestion ou même une négligence ayant participé d’une manière
indirecte à la dégradation de la situation de la société et a conduit à une insuffisance de l’actif
pourra être condamné pour le paiement de l’ensemble des dettes sociales706.

En effet, si le juge le décide, le dirigeant fautif peut être mis à sa charge non seulement
une partie de l’insuffisance de l’actif qu’il a occasionné par sa faute, mais l’ensemble des
dettes de la société. Ceci, montre que l’action en comblement du passif se distingue de la
responsabilité civile puisqu’elle tolère que l’indemnisation dépasse largement le préjudice, ce
qui prouve d’ailleurs que l’action en comblement du passif tend à punir le dirigeant en plus de
dédommager la société. Pour certains707, l’action en comblement du passif est « une règle de
responsabilité civile originale, assortie d’une certaine coloration pénale ».
701
384 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫احمد شكري السباعي‬.
702
V. Art. 738, al. 1 de la loi n° 73-17.
703
Dans ce sens, la Cour de cassation avait estimé que les dirigeants qui ne satisfont pas les exigences légales de la tenue de l’assemblée générale ont commis une faute de

gestion : Cass. Com. 31 déc. 1995, in JCP E 1995 PANORAMA, p. 255, cité par Jean-François BULLE, op., cit., p. 443
704
V. André JACQUEMONT, Droit des entreprises en difficultés, 2e éd. Litec, 2002, p. 148.
705
266 .‫ص‬،2011‫ الطبعة االولى‬،‫ تونس‬،‫ مجمع االطرش للكتاب المختص‬،‫ المسير في الشركات التجارية‬،‫كمال العياري‬.
706
384 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫احمد شكري السباعي‬.
707
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 520.

196
Mis à part l’action en comblement du passif, le dirigeant d’une société ouvert à son
encontre une procédure collective, peut être déclaré personnellement en état de redressement
ou de liquidation judiciaire s’il a commis un abus de biens sociaux 708 et ce en fonction de
l’article 740 de la loi 73-17709. Toutefois, cette sanction ne peut s’accumuler avec l’action en
comblement du passif, étant donné que l’ouverture d’une procédure collective contre le
dirigeant conduit à la confusion de son passif avec celui de la société, de sorte que la
condamnation du dirigeant au comblement du passif de la société devient sans intérêt710.

L’extension de la procédure collective au dirigeant d’une société en redressement ou


liquidation judiciaire est une modalité de la prévention de la déloyauté du dirigeant. Cette
extension sanctionne dans certains cas « un détournement abusif de la personnalité
morale »711 qui se réalise dans l’intérêt personnel du dirigeant. Les conséquences de
l’ouverture de la procédure au dirigeant se traduisent par l’accroissement de son passif qui
comprend en plus de son passif personnel, celui de la personne morale, ce qui permet
d’augmenter considérablement la responsabilité du dirigeant déloyal. Cette extension ainsi
faite, montre la volonté du législateur à sanctionner le dirigeant qui préfère son intérêt
personnel au détriment de celui de l’entreprise.

En plus de l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation à l’encontre du


dirigeant coupable d’abus de biens sociaux, il risque d’être frappé de déchéance
commerciale712 dont la durée ne peut être inférieure à cinq ans et se verra ainsi interdit « de
diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise
commerciale ou artisanale, et toute société commerciale ayant une activité
économique »713.714

Outre les sanctions patrimoniales, le dirigeant déloyal peut être sanctionné pénalement et
condamné pour banqueroute, si l’utilisation abusive qu’il fait des biens de la société intervient
après l’ouverture d’une procédure collective. L’article 754 de la loi 73-17 fait état de quatre
cas de banqueroute dont chacun constitue un délit appart, mais le délit qui se rapproche le plus
708
392 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫احمد شكري السباعي‬.
709
Cet article dispose dans son troisième alinéa qu’ « en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d'une société, le tribunal doit ouvrir une procédure de redressement ou

de liquidation judiciaire à l' égard de tout dirigeant contre lequel peut être relevé un des faits ci-après : (…) avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'
intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ».
710
Cass. com 5 fevr. 2002, n° 357, in RJDA 5/02 n° 537, cite par Estelle SCHOLASTIQUE, Le devoir de diligence des administrateurs de sociétés, Droit français et anglais, éd.

LGDJ, Paris 1998, p. 91.


711
Corine SAINT-ALARY-HOUIN, op. cit., p. 196.
712
Art. 746 de la loi n° 73-17.
713
Art. 750, ibid.
714
402 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬،‫احمد شكري السباعي‬.

197
du délit d’abus de biens sociaux est le troisième, à savoir : le détournement ou la
dissimulation de tout ou partie de l’actif de la société.

Certes, les deux délits sont presque similaires, mais une distinction simple est nécessaire
pour ne pas les confondre. Il s’agit de la date durant laquelle le détournement de l’actif est
découvert. En effet, tout dépend de la date à laquelle les actes litigieux ont été commis, « Si la
société est en cessation de paiement, il ne peut s’agir que de la banqueroute. Dans le cas
inverse, si la société est encore in bonis, la qualification d’abus de biens sociaux
s’impose »715.

L’étude faite de certaines dispositions légales révèle que le législateur attend du dirigeant
une loyauté spéciale en cas d’avènement d’un conflit d’intérêts. Raison pour laquelle, il
sanctionne sévèrement l’un des aspects de la violation du devoir de loyauté, qui se manifeste
par la préférence du dirigeant de son intérêt personnel au détriment de celui de la société.

Section 2 : Les conventions passées avec la société

Au cours de la vie sociale, le dirigeant ou encore l’actionnaire 716, peuvent être amené à
réaliser des opérations avec la société pour leur propre compte, et ce par la conclusion de
conventions. Leur position privilégiée peut leur permettre de conclure des conventions en
favorisant leurs intérêts personnels aux dépens de ceux de la société, et être ainsi source de
conflit d’intérêts.

Afin de prévenir tout conflit d’intérêts, ces conventions font l’objet d’un contrôle
rigoureux (sous-section-1), dont le non-respect entraine pour celles-ci ainsi que pour les
transgresseurs du contrôle différentes sanctions (sous-section-2)

Sous-section 1 : Le contrôle des conventions

La loi distingue trois catégories de conventions : Certaines sont soumises à un contrôle


laborieux, imprégné par le caractère formel de la procédure (paragraphe 1), d’autres sont de
plein droit interdites et d’autres sont dispensées de toute réglementation, parce qu’elles
portent sur des opérations habituelles conclues à des conditions normales (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conventions soumises à la réglementation

715
Abdelaziz ELIDRISSI, op. cit., p. 84.
716
Seul est concerné l’actionnaire qui détient plus de 5% du capital social.

198
Mis à part les conventions interdites et celles qui sont libres, les autres conventions que
les dirigeants ou actionnaires (A) passent avec la société sont soumises au contrôle des autres
actionnaires. Celles-ci, sont connues sous le terme de conventions réglementées et font l’objet
d’une procédure spécifique (B).

A- Les personnes concernées par la réglementation :

L’article 56717 de la loi 78-12718 modifiant et complétant la loi 17-95 sur les sociétés
anonymes dispose que : « toute convention intervenant entre une société anonyme et l’un de
ses administrateurs ou son directeur général ou son directeur général délégué ou ses
directeurs généraux délégués (…) doit être soumise à l’autorisation préalable du conseil
d’administration »719.

Ce contrôle vise également « l’un de ses actionnaires détenant, directement ou


indirectement, plus de cinq pour cent du capital ou des droits de vote »720, dans la mesure ou
un actionnaire important peut bénéficier de son influence que lui donne son pouvoir de vote,
pour satisfaire son intérêt personnel. Comme le cas de la société mère qui a la possibilité
d’interférer dans la direction de sa filiale afin de satisfaire son propre intérêt. Cette extension
du contrôle aux conventions conclues entre la société et un actionnaire permet ainsi, de
percevoir les conflits d’intérêts dans les groupes de société.

La même réglementation est applicable, lorsque le dirigeant, sans être personnellement


partie dans la convention, est indirectement intéressé à celle-ci ou qu’il a traité avec la société
par personne interposée721. Ces dispositions ont pour but la protection des intérêts de la société
des dirigeants parties aux conventions de manière indirecte.

Le texte prévoit deux situations : le dirigeant est indirectement intéressé et le dirigeant qui
traite avec la société par personne interposée.

Dans la première notion, le dirigeant ne fait pas partie des contractants de la convention,
mais sa réalisation lui procure un profit distinct, ce qui le rend indirectement intéressé. Cet
intérêt indirect est celui qu’a le dirigeant dans la convention et non pas dans la société

717
Il s’agit de la forme classique de la société anonyme, à savoir à conseil d’administration.
718
Il s’agit du dahir n° 1-15-106 du 29 juillet 2015 portant promulgation de la loi n° 78-12 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes et publié dans

l'édition générale du B.O n° 6390 du 18 août 2015 et à l'édition de traduction officielle du 21 janvier 2016.
719
Dans la société anonyme à directoire et conseil de surveillance, ce sont les membres de ces organes qui sont visés par la procédure du contrôle. V. Art. 95 de la loi 17-95.
720
V. art. 56 de de la loi 78-12.
721
Art. 56, al. 2, ibid.

199
contractante722. La notion d’intérêt indirect se présente souvent lorsque la personne qui
conclut la convention avec la société a une communauté d’intérêts avec le dirigeant. La seule
constatation de la communauté d’intérêts n’implique pas l’existence de l’intérêt indirect. Il
faut en plus, la présence du profit723. Ce profit peut être pécuniaire comme il peut être
moral724. Plus précisément, l’intérêt indirect se manifeste lorsque le dirigeant tire un profit de
la convention sans y être partie, comme l’exemple de l’actionnaire dominant de la société
cocontractante725.

Dans la deuxième notion, le dirigeant est directement intéressé, mais ne veut pas paraitre
à la surface. Il fait intervenir une troisième personne pour conclure la convention à sa place,
avec la société. Dans l’interposition de personne, le dirigeant dissimule son intérêt direct en
faisant intervenir un prêt nom, qui passe le contrat en son nom.

Par ailleurs et par prudence, le législateur a élargi le dispositif aux conventions passées
entre la société et une entreprise dans laquelle l’une des personnes précitées est intéressée,
qu’elle soit propriétaire, associée indéfiniment responsable, gérant ou directeur général de
cette entreprise726. Cet aménagement se manifeste dans les contrats conclus entre deux
sociétés qui ont des administrateurs communs. C’est le cas des conventions conclues entre des
sociétés appartenant au même groupe727. La procédure de contrôle s’applique aussi bien aux
personnes physiques qu’aux personnes morales, ainsi qu’aux représentants des personnes
morales administrateurs728.

Toutefois, la qualité du dirigeant ne se vérifie qu’au moment où la convention est conclue


et non pas au moment où elle produit ses effets. Ainsi, le contrat conclu avec une personne
avant sa nomination ne peut être soumis au contrôle au moment de son entrée en fonction 729,
même si ce contrat est encore en cours d’exécution lorsqu’il devient membre du conseil 730.

Cette précision est à appliquer également pour l’actionnaire détenant plus de 5% du


capital social. Mais, il faut souligner que l’exclusion des contrats conclus avant la nomination

722
Paul LE CANNU, op. cit., p. 437.
723
Jean-François BULLE, op., cit., p. 150.
724
V. supra, p. 116.
725
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 418.
726
Arts. 56, al. 3 de la loi 78-12 et 95, al. 3 de la loi 17-95.
727
Cass. com. 24 janv. 1995, in Bull. Joly 1995, 329; Paris 26 sept 1991, in Bull. Joly 1991, 1014 note LE CANNU, cite par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op.

cit., p. 88.
728
Jean-François BULLE, op. cit., p. 148.
729
Ibid.
730
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p.419.

200
du dirigeant de tout contrôle ne s’applique pas lorsque la convention est renouvelée au cours
de l’exercice du mandat. Le renouvellement, ainsi que la prorogation 731 constitue un nouveau
contrat qu’il convient de contrôler. Par contre, lorsque le contrat est conclu pour une durée
indéterminée, la question ne se pose pas, car il s’agit du même contrat qui produit des effets
au cours de son exécution.

Ces dispositions confirment la volonté du législateur de déterminer avec précision le


cercle des personnes concernées par la réglementation. Mais, d’autres personnes sont écartées,
dont la position leur permet de passer des conventions à leurs avantages. Il s’agit des
dirigeants de fait.

En effet, l’article 56 suscité vise uniquement les dirigeants de droit en excluant ceux de
fait qui, suite à leur situation particulière, échappent au contrôle appliqué au dirigeant de droit,
alors qu’ils ont le pouvoir d’intervenir dans la gestion de la société et conclure ainsi des
conventions avec la société.

L’exclusion des dirigeants de fait de tout contrôle secrète une situation irrégulière et
ouvre la porte à des abus dissimulés 732. Pour y pallier, il convient, à notre sens, d’introduire le
dirigeant de fait dans le cercle des personnes concernées par le contrôle, et ce comme il a était
entrepris dans l’abus de biens sociaux.

B- La procédure du contrôle :

Certes, le fait de soumettre certaines conventions à une procédure spéciale constitue une
atteinte au principe de la liberté contractuelle prévue notamment, par l’article 230 du D.O.C.
Mais, « une telle procédure formaliste trouve sa justification comme un élément de réponse
au risque de conflit d’intérêt qui fait craindre qu’un administrateur, à la fois mandataire de
la société et co-contractant de cette dernière ayant un intérêt personnel, ne profite de sa
double qualité pour obtenir des avantages injustifiés par rapport aux conditions du
marché »733.

En effet, c’est dans le but d’assurer la suprématie de l’intérêt social que le législateur a
limité, exceptionnellement, l’exercice des personnes concernés de leurs droits contractuels

731
Cass. civ. 10 janv 1984, in RTD com., 1985, p. 158, cité par Jean-François BULLE, op., cit., p. 149.
732
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 124.
733
Abderraouf YAICH, « Les composantes de la nouvelle réglementation sur la prévention des conflits d’intérêts et les conventions dans les sociétés anonymes à conseil
e
d’administration », la RCF, 2 trim., n° 88, 2010, p. 23.

201
dans le cadre des conventions règlementées. Il est question de favoriser un intérêt général plus
important que l’intérêt personnel que peut avoir l’intéressé à la convention.

Aussi, la conclusion de la convention ne dépend pas de la seule volonté des parties


contractantes, mais plutôt d’une procédure complexe faisant intervenir l’ensemble des organes
sociaux : le conseil d’administration ou le conseil de surveillance 734, le commissaire aux
comptes et l’assemblée générale.

L’intervention du conseil d’administration ou de surveillance : dès que


l’administrateur ou le directeur général intéressé a eu connaissance de l’existence d’une
convention à laquelle l’article 56 suscitée est applicable, il est tenu d’informer le conseil
d’administration ou de surveillance735. Toutefois, il est plus pratique que l’intéressé informe le
président afin que ce dernier puisse engager la procédure, en convoquant le conseil.

Afin de renforcer le contrôle sur les conventions réglementées dans les sociétés faisant
appel public à l’épargne, le législateur, à travers la nouvelle loi 78-12, a obligé les personnes
mentionnées à l’article 56 suscités, d’informer le conseil d’administration ou de surveillance
« des éléments permettant d’évaluer leurs intérêts afférents à la conclusion des conventions
prévues au même article, notamment la nature des relations existantes entres les parties
desdites conventions et les raisons économiques justifiants leur conclusion ainsi que leurs
différentes caractéristiques »736. La société est également tenue de procéder à la publication
de ces éléments dans un délai de trois jours, à compter de la date de conclusion de la
convention737.

L’autorisation de la convention doit être évoquée clairement à l’ordre du jour de la


réunion du conseil et ne peut être dissimulée parmi des questions variées 738. En cas
d’abstention de l’intéressé à informer le conseil, les administrateurs et les membres du conseil
de surveillance qui auraient eu connaissance de la convention, sont tenus d’informer le
président, au risque d’engager leur responsabilité pour violation des dispositions légales739.

Après l’information du conseil, ce dernier est tenu de statuer sur l’autorisation souhaitée
en délibérant, puis en votant sur l’autorisation sollicitée. L’intéressé ne peut en aucun cas

734
Selon le type de la SA.
735
Art. 58, al. 1 (pour la SA à conseil d’administration) de la loi 78-12 et art. 95, al. 1 (pour la SA à directoire et conseil de surveillance) de la loi 17-95.
736
Arts. 58 bis et 97 bis de la loi 78-12.
737
Arts. 58 et 97, ibid.
738
Paul LE CANNU, op. cit., p. 440.
739
Art. 352 de la loi 17-95.

202
prendre part au vote740. Cette interdiction qui présente une limitation grave à l’exercice d’un
pouvoir fondamental de tout actionnaire, qui est le droit de vote, permet toutefois, de garantir
la protection de l’intérêt social et prévenir les conflits avec les intérêts personnels de
l’actionnaire à une convention, en l’interdisant d’influencer la décision du conseil pour son
propre intérêt et à l’encontre de celui de la société. Toutefois, cette interdiction faite au droit
de participer au vote parait insuffisante, vu que rien n’empêche à ce qu’un autre
administrateur avec lequel l’intéressé a des intérêts particuliers, vote en faveur de la
convention pour continuer leur relation.

L’approbation de la convention doit être mentionnée à l’ordre du jour 741. En ce qui


concerne la prise en considération de l’administrateur dans le calcul de la majorité et du
quorum nécessaire pour la prise de décision, la loi est silencieuse.

Dans certains cas, le conseil se trouve dans l’impossibilité de délibérer valablement,


lorsque l’ensemble de ses membres sont intéressés par la convention et ne peuvent par
conséquent prendre part au vote. C’est le cas des sociétés ayant des dirigeants communs ou
les sociétés sont mères et filles. Il convient dès lors, d’informer le commissaire aux comptes
de l’impossibilité de voter, afin qu’il précise dans son rapport les causes de l’absence de
l’autorisation préalable, et ça sera à l’assemblée générale de se prononcer sur l’autorisation
demandée742.

Lorsque la convention est autorisée par le conseil, elle peut être conclue et produit
directement ses effets, indépendamment de la décision ultérieure d’approbation de l’AG.
Même en cas de désapprobation par l’AG et dans l’absence de fraude, la convention produit
ses effets à l’égard des tiers743.

Toutefois, il se peut que la convention soit conclue même si elle n’a pas été autorisée par
le conseil d’administration et produit ses effets à l’égard des tiers. Toutefois, ce type de
convention peut toujours être annulé au détriment de l’intéressé au cas où elle a eu des
conséquences dommageables pour la société.

Ainsi, les conventions conclues sans autorisation préalable du conseil d’administration ou


de surveillance restent valables tant qu’elles n’entrainent pas des conséquences

740
Arts. 58 et 97 des lois 78-12 et 17-95.
741
Cass. com., 3 mai 2000, cité par Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p.419.
742
Julia REDENIUS-HOEVERMANN, La responsabilité des dirigeants dans les sociétés anonymes en droit français et allemand, éd. LGDJ Paris 2010, p. 49.
743
Arts. 60, al. 2 et 98 de la loi 17-95.

203
dommageables pour la société. Ne serait-il pas plus efficace de priver ce type de conventions
de leurs effets dès lors qu’elles n’ont pas été autorisées par lesdits conseils ? Et éviter ainsi
que l’assemblée générale couvre la nullité de ses conventions744.

L’intervention du commissaire aux comptes : Le président du conseil d’administration,


ou de surveillance doit aviser le ou les commissaires aux comptes des conventions autorisées,
notamment celles auxquelles il fait partie. Cette information doit être faite dans un délai de 30
jours à compter de la conclusion desdites conventions745. Le délai est de trente jours à compter
de la clôture de l’exercice, pour les conventions antérieurement autorisées et poursuivies
pendant l’exercice746. L’obligation d’information ne s’applique pas aux conventions conclues
antérieurement à la nomination du dirigeant.

En ce qui concerne les modalités de l’information des commissaires aux comptes, la loi
n’a rien prévue. Mais, il est de préférence d’exécuter cette obligation par écrit, afin de garder
une traçabilité et avoir une preuve en cas de litige747.

Après avoir eu information des conventions autorisées, le ou les commissaires aux


comptes sont tenus de présenter un rapport spécial sur ces conventions, à l’assemblée
générale. Ce rapport doit être déposé au siège social 15 jours au moins avant la tenue de ladite
assemblée748 et dont le contenu est fixé par décret749.

Bien qu’il n’y a pas encore de décret d’application quant au rapport spécial du
commissaire aux comptes prévu dans la nouvelle loi 78-12, ce dernier doit se référer au décret
d’application750 de la loi 17-95 et y mentionner « tous les éléments essentiels de la convention,
à savoir la transparence des opérations conclues par la société avec ses dirigeants, en
prévision de tout abus, tels que date, montant, durée, objet, personnes concernées,.. »751, et ce
afin de permettre aux actionnaires de se prononcer en toute connaissance de cause 752. En ce
sens, ce rapport753 doit contenir l’énumération des conventions soumises à l’approbation, le

744
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…,op. cit., p. 120.
745
Arts. 58, al. 2 et 97, al. 2 de la loi 78-12.
746
Art. 59 de la loi 17-95.
747
Jean-François BULLE, op., cit., p. 156.
748
Art. 174 de la loi 17-95.
749
Art 58 al. 3 et Art. 97 al. 4 de la loi 78-12.
750
Décret n° 2-09-481 du 4 moharrem 1431 (21 décembre 2009) pris pour l'application de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, notamment l’art. 4 fixant le contenu

du rapport spécial du commissaire aux comptes relative aux conventions réglementées.


751 e
Rachid TMAR, « Le commissaire aux comptes face à la rémunération des dirigeants des sociétés anonymes », in RCF, n° 87, 1 trim., 2010, p. 36.
752
Maria BAHNINI, op. cit., p. 109.
753
211 .‫ ص‬،2016 ،‫ دار نشر المعرفة‬،‫ حماية المصلحة االجتماعية في شركات المساهمة‬،‫المصطفى بوزمان‬.

204
nom des intéressés, la nature et l’objet des conventions 754. A cet égard, le défaut des modalités
essentielles mentionnées dans le rapport spécial, a justifié la désapprobation par l’assemblée
générale de la convention passée sans autorisation du conseil d’administration et qui était
conclu entre le président d’une société anonyme et une SCI dont il est gérant755.

Aussi et afin d’instaurer plus de transparence et réduire les conflits d’intérêts que peuvent
animer les personnes intéressées dans les conventions, la loi 78-12 exige des sociétés faisant
appel public à l’épargne de publier le rapport spécial du commissaire aux comptes, selon les
modalités fixés par l’autorité marocaine des marchés des capitaux756.

Toutefois, il convient de préciser que la mission du commissaire aux comptes se limite à


l’information et il ne peut s’interférer dans la gestion de la société, en décidant de la
pertinence de la convention. En effet, il lui est interdit de donner son avis personnel sur
l’opportunité de la convention au risque de substituer son jugement à celui des actionnaires757.

Même si seules les conventions autorisées font l’objet du rapport spécial, le ou les
commissaires aux comptes sont tenus d’informer les actionnaires de toutes les conventions
dont ils ont eu connaissance, et ce même s’ils n’en ont pas été informés par le conseil. Cette
obligation découle de leur obligation générale d’information. Ainsi, dans le cas où ils
découvrent l’existence de conventions non autorisées, ils vérifient le caractère courant et
normal afin de déterminer s’il s’agit d’une convention libre. Dans le cas contraire, ils sont
tenus d’informer le conseil de l’existence de l’irrégularité, et ce conformément à l’article 169
de la loi 17-95.

L’intervention de l’assemblée générale : Après examen du rapport spécial, l’AGO


statue sur les conventions. L’approbation intervient alors que la convention est déjà autorisée
par le conseil et a reçu application758, ce qui explique que les conventions désapprouvées
produiront effet à l’égard des tiers759. La désapprobation permet toutefois de mettre à la charge
de l’intéressé les conséquences préjudiciables de la convention désapprouvée760.

754
Francis LEFEBVRE, Dirigeants de sociétés commerciales, éd. Francis LEFEBVRE Paris, 2006-2007, p. 285.
755
Versailles, 4e Ch., 22 mai 1987, Société clinique Albert 1er c/ SCI du 6bis, avenue Albert 1er et Devars, in Bull. Joly, sept. 1987, p. 709, § 291, cité par P. LE CANNU et D.

LEPELTIER, op. cit., p. 111.


756
Art. 58, al. 4 et art 97, al. 5 de la loi 78-12.
757
Asmae BOUKHIMA, Le contrôle de la société anonyme, Thèse, Université Hassan II Ain chok, 2003-2004, p. 96.
758
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 91.
759
Art. 60, al. 1, de la loi 17-95.
760
Art. 60, al. 2, ibid.

205
Afin d’éviter qu’il soit juge et en même temps partie, l’intéressé ne peut prendre part au
vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité 761.
Cette interdiction, permet d’éviter à ce que l’actionnaire abuse de sa position pour influencer
le processus de prise de décision et profiter de la société.

S’il y a plusieurs conventions, l’assemblée générale se prononce sur chacune d’elles par
des résolutions indépendantes et procède à chaque nouvelle résolution à un nouveau calcul du
quorum et de la majorité. L’interdiction de vote s’applique également lorsque le dirigeant est
mandataire d’un autre actionnaire762. Dans le cas où le dirigeant est représenté à l’assemblée
générale par un mandataire, les actions du dirigeant ne sont pas prises en compte 763, mais
celles du mandataire rentrent dans le calcul du quorum et de la majorité.

Si l’assemblée générale vote la désapprobation de la convention autorisée, le plus logique


est de penser qu’elle sera annulée. Mais au contraire, elle produit ses effets à l’égard des tiers,
dans l’absence de fraude. Quant aux conventions non soumises à l’approbation de l’assemblée
générale, aucune sanction n’est prévue à leur encontre.

Pour conclure, il est opportun de condamner cette réglementation rigide qui s’écarte de
son objectif principal qui est la prévention des conflits d’intérêts et s’égare dans une
procédure fort-compliquée.

A cet égard, nous adhérons à la proposition du professeur Schmid 764 qui a simplifié la
procédure de contrôle. Selon cet auteur, la réglementation doit s’appliquer lorsque le
contractant de la société a un lien avec cette dernière en raison de sa qualité d’actionnaire ou
d’administrateur. Ces deux qualités font que le contractant ne peut ignorer qu’il est en conflit
potentiel d’intérêts. Egalement, le représentant légal de la société qui signe la convention
connait la qualité de la personne contractante et ne peut donc ignorer le conflit potentiel
d’intérêts de cette convention. Ce conflit « devient réel lorsque la convention n’est pas
conclue à des conditions normale, c’est-à-dire concurrentielles, des conditions de marché et
qu’elle produit des conséquences dommageables pour la société »765.

Ceci dit, l’auteur propose que les deux signataires doivent informer les commissaires aux
comptes de l’existence de la convention et de leur estimation sur les possibles conséquences
761
Arts. 58, al. 4 et 97, al. 4 de la loi 78-12.
762
Paris 25 janv 1972, in Rev. Sociétés 1972, 688, note SCHMIDT, cité par Jean-François BULLE, op., cit., p. 157.
763
Ibid.
764
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 128.
765
Idem, p. 129.

206
dommageables sur la société. Ces derniers devront par la suite établir un rapport spécial ou ils
mentionnent les déclarations des deux intéressés. Au cas où ils ne procèdent pas à ces
déclarations, les signataires feront l’objet d’une amende pénale équivalente au moins aux
dommages causés à la société, sans préjudice de la responsabilité civile. En revanche, les
déclarations des signataires les dispensent de toute responsabilité civile mais, n’écarte pas
l’annulation de la convention en cas de conséquences dommageables pour la société 766. Cette
procédure parait plus appropriée à la volonté du législateur de prévenir les conflits d’intérêts.

Paragraphe 2 : Les conventions non soumises à la réglementation

Si certaines conventions font l’objet d’un contrôle destiné à sauvegarder les intérêts de la
société, d’autres en revanche, ne sont soumises à aucune réglementation, soit parce qu’elles
sont expressément interdites (A) soit parce qu’elles sont libres (B).

A- Les conventions interdites :

Certaines conventions sont totalement interdites par la loi parce qu’elles sont
particulièrement dangereuses et représentent un risque pour le patrimoine social. Cette
interdiction enregistre encore une fois la limite que fait le législateur à la liberté contractuelle,
à travers l’interdiction de conventions dont l’objet est totalement licite, mais qui peuvent avoir
des répercutions désastreuses pour l’intérêt social.

Ainsi, la loi767 prévoit à l’encontre des intéressés, une interdiction absolue qui porte sur :

- Toute convention qui porte sur la souscription d’emprunts auprès de la société, ou sur le
fait de se faire consentir par elle un découvert en compte courant ou sous toute autre forme.
Cette interdiction s’applique sur les emprunts à court ou à long terme, ainsi que sur les
simples avances, et ce même si elles ont un caractère temporaire768.

- Toute convention qui permet aux dirigeants de se faire cautionner ou avaliser par la
société dans leurs engagements envers les tiers. Même si cette interdiction ne porte que sur les
avals et cautions, il est logique qu’elle porte également sur toute autre garantie réelle 769. Par
ailleurs, il convient de préciser qu’elle s’applique également lorsque le dirigeant souscrit un
emprunt solidairement avec la société770. En revanche, les prêts et garanties consenties
766
Ibid.
767
Arts. 62 et 100 de la loi 17-95.
768
Jean-François BULLE, op., cit., p. 143.
769
En ce sens, Paris 19 nov 1974, in RTD com., 1975, p. 547, obs. HOUIN, cite par ibid.
770
Ibid.

207
antérieurement à la nomination ne sont pas soumis à l’interdiction et leur exécution peut se
poursuivre pendant la durée d’exercice des fonctions.

Toutefois, cette interdiction n’a pas lieu à s’appliquer lorsque la société exploite un
établissement bancaire ou financier, à condition que la convention porte sur des opérations
courantes relatives à l’activité de la société, conclues à des conditions normales. Cette
exception se justifie par le fait que si l’intéressé se comporte comme un client, il n’a pas à
s’adresser aux établissements concurrents771.

En raison du risque généré par la nature de la convention, la loi a élargie le cercle de


personnes auxquelles cette interdiction s’applique. Ainsi, sont concernés par l’interdiction les
directeurs généraux, les directeurs généraux délégués, les représentants permanent des
personnes morales administratives, les commissaires aux comptes. Aussi et afin d’empêcher
l’interposition de personne, le législateur interdit expressément les opérations financières avec
les conjoints, parents et alliés jusqu’au deuxième degré.

L’interdiction s’applique également aux rapports entre l’intéressé et les filiales et les
sociétés contrôlées par la société en question772.

Pour la société anonyme à conseil de surveillance et directoire, l’interdiction s'applique


aux représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance et
aux commissaires aux comptes. Elle s'applique également aux conjoints et aux ascendants et
descendants et aux parents et alliés jusqu’au deuxième degré inclus des personnes visées à
l’article 100 de la loi 17-95, ainsi qu'à toute personne interposée.

Bien évidemment, la réalisation d’une convention portant sur une opération interdite est
sanctionnée par sa nullité773. Cette sanction se justifie par la nécessité d’assurer non seulement
une protection aux actionnaires et aux créanciers de la société, mais aussi de moraliser les
personnes visées par l’interdiction, vu l’ampleur que peut avoir leurs agissements sur le crédit
de la société774.

La nullité est d’ordre public775 et s’applique ainsi de plein droit 776. Aucune régularisation
ne peut être envisagée et la couverture de la nullité n’est pas envisageable. Toutefois, cette
771
Yves CHAPUT, op. cit., p. 167.
772
Art. 62 al. 1 de la loi 20-05 complétant et modifiant la loi 17-95.
773
Arts. 62 et 100 de la loi 17-95.
774
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 86.
775
Yves CHAPUT, op. cit., p. 167.
776
Julia REDENIUS-HOEVERMANN, op. cit., p. 48.

208
sanction ne peut être opposée aux tiers de bonne foi 777. Au cas où ce type de convention est à
l’origine de détournement de biens sociaux, il y aura lieu de l’application des sanctions
pénales en vertu de l’article 384.

B- Les conventions libres :

Alors que certaines conventions sont formellement interdites, d’autres, par contre, ne font
l’objet d’aucun contrôle et se réalisent sans l’intervention d’organes sociaux 778. Il s’agit des
conventions libres. Ce type de conventions « porte sur des opération courantes conclues à
des conditions normales »779.

-Des opérations courantes : Cette notion s’apprécie en raison de l’activité habituelle de


l’entreprise780. Il en est ainsi, du versement d’un pécule à un directeur général lors de son
départ en retraite781, l’octroi par une société hypothécaire d’un prêt à l’un de ses
administrateurs, aux conditions normales et aux taux du marché782, etc.

Mais, il ne suffit pas que l’opération objet de la convention soit faite dans le cadre de
l’activité sociale, pour qu’elle soit libre. En plus de la conformité à l’objet social, l’opération
doit être habituelle et correspondre à la profession exercée.

- Des conditions normales : Il s’agit des conditions retenues dans des opérations
semblables avec des tiers, clients ou fournisseurs. Cette notion s’apprécie en se référant à la
contrepartie demandée par l’intéressé. Elle doit être « identique à celle demandée à toute
autre personne contractante avec la société »783. De ce fait, les conditions sont normales
lorsqu’elles sont « habituellement pratiquées par la société dans ses rapports avec les tiers de
telle sorte que l’administrateur intéressé ne retire pas de l’opération un avantage qu’il
n’aurait pas eu s’il avait été un fournisseur ou un client quelconque de la société »784.

777
Art. 347 de la loi 17-95.
778
En France, avant la réforme opérée par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, ce type de conventions ne faisait l’objet d’aucune réglementation, ce

qui a suscité plusieurs critiques quant à cette liberté. Ce qui a amené le législateur de 2001 à soumettre ces conventions à une procédure de communication. V. art. L. 225-39, al. 2
de la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques du 15 mai 2001.
779
Arts. 57 et 96 de la loi 17-95.
780
Yves CHAPUT, op. cit., p. 166.
781
Du moment que l’ensemble des cadres de la société pouvaient bénéficier de ce pécule et aucun avantage particulier n’a été accordé à l’intéressé. Pris 18 oct. 1977, in Bul.

Joly 1977, p. 663, cité par Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., p. 91.
782
Yves DE CORDT, L’égalité entre …, op. cit., p. 709.
783
Jean-François BULLE, op., cit., p. 145.
784
Royaume du Maroc, op. cit., p. 238.

209
Cependant, il convient de prendre en considération plusieurs éléments, autres que la
contrepartie financière pour déterminer la normalité des conditions. Il s’agit par exemple des
modalités et délais de paiement, la durée, les pénalités, les garanties, etc. D’une manière
générale, l’appréciation du caractère normal des conditions peut se faire en fonction de la
moyenne des opérations effectuées avec des tiers dans le même secteur d’activité 785.

Il reste à s’interroger sur l’organe compétent pour juger de la normalité des conditions et
du caractère courant de l’opération. Cette interrogation est centrale dans la mesure où c’est sur
la base de la détermination de la portée de l’opération que sera déclenchée ou non la
procédure de contrôle.

Le législateur français a essayé d’assurer un contrôle ne serait-ce que minime sur ce type
de conventions en obligeant l’intéressé à communiquer ces conventions au Président du
conseil d’administration786. Le législateur ajoute également que « la liste et l’objet desdites
conventions sont communiqués par le président aux membres du conseil d’administration et
aux commissaires aux comptes »787. Mais, la loi sur la sécurité financière du 1 aout 2003 a
éliminé de la liste précitée les conventions qui « en raison de leur objet ou de leurs
implications financières, sont de faible importance pour l’ensemble des parties »788.

Suivant l’exemple du législateur français, le législateur marocain a également mis en


place une information particulière à ce type de conventions en exigeant à ce qu’elles, « soient
communiquées par l’intéressé au président du conseil d’administration »789, en excluant celles
dont l’objet et les implications financières ne sont significatives pour aucune partie. Pour plus
de transparence, le président du conseil est tenu de communiquer la liste qui comprend l’objet
et les conditions desdites conventions au conseil d’administration et aux commissaires aux
comptes dans un délai de soixante jours suivant la clôture de l’exercice 790. Désormais, ce type
de conventions ne passera plus inaperçue vu que leur traçabilité est assurée.

La transmission de cette liste permet de vérifier si l’une de ces conventions est


injustement qualifiée de libre alors qu’en réalité elle fait partie des conventions soumises à la
réglementation prévue par le législateur et échappe ainsi à tout contrôle. Toutefois, le champ
est resté entièrement libre aux conventions libres dont l’objet ou les implications financières
785
Aix-en-Provence 27 janv. 1995, in Bull. Joly 1995, 325, cité par Jean-François BULLE, op., cit., p. 146.
786
Art. L. 225-39 de la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques du 15 mai 2001.
787
Art. L. 225-115, ibid.
788
Art. 123 de la loi française n° 2003-706 du 1e aout 2003 sur la sécurité financière.
789
Arts. 57 et 96 (pour le conseil de surveillance) de la loi 78-12
790
Ibid.

210
ne sont significatives pour aucune des parties. De qui des parties concernées est compétent
pour qualifier l’objet et les implications financières de la convention d’insignifiantes ? Ce
vide juridique peut entrainer l’engagement de la responsabilité de l’intéressé et l’annulation
de la convention si cette dernière s’avère par la suite qu’elle devait être soumise au contrôle
prévu par la loi.

A notre sens, il parait logique que l’intéressé791 ainsi que le représentant légal de la société
demeurent les seuls juges de l’appréciation de l’opération et sont de ce fait responsables de
l’inobservation des prescriptions du législateur. Toutefois, le commissaire aux comptes peut,
au cas où il le découvre, faire part dans son rapport de l’existence de conventions jugées par
les contractants libres, alors qu’elles devaient faire l’objet d’une autorisation.

Après avoir abordé la protection de l’intérêt social dans le cadre de la prévention des
conflits d’intérêts, suite à l’initiative de l’intéressé et la réaction des organes de contrôle, il
sera question, dans ce qui suit, d’examiner le dispositif légal censé garantir l’application de la
procédure des conventions réglementées et assurer de ce fait, la protection de l’intérêt social.

Sous-section 2 : Sanctions du non-respect de la procédure de contrôle

Le but du législateur de prévenir les conflits d’intérêts entre les intéressés aux
conventions et la société l’a poussé à appliquer plusieurs mesures, notamment, la mise en
place d’une procédure stricte.

Mais, il faut dire que ce but n’est pas entièrement atteint et que certains conflits échappent
à cette procédure, d’où l’instauration de moyens pouvant atténuer l’impact de ces conflits sur
l’intérêt social. Il s’agit principalement de l’imposition de sanctions à l’égard de la convention
elle-même (paragraphe 1), et ce afin de l’interdire de produire des effets dommageables pour
l’intérêt social, et de l’instauration de sanctions à l’égard du violateur de la réglementation
(paragraphe 2) pour l’inciter à se conformer à la règlementation en vigueur.

Paragraphe 1 : Le sort de la convention en cas du non-respect de la procédure

Sanctionner une convention conclue en transgression de la procédure en vigueur consiste


à son annulation (A). Mais, n’est pas toujours acquise dans la mesure où elle peut être
interrompue (B).

A- L’annulation de la convention :
791
Au sens de l’article 58 de la loi 20-05.

211
Avant de traiter la possibilité d’annuler la convention, il convient d’examiner la
possibilité d’annuler les délibérations qui sont à l’origine de ladite convention.

Selon la procédure en vigueur, une convention ne peut être conclue que si elle est
autorisée par le conseil d’administration ou de surveillance. La décision prise par ces organes
risque d’être annulée au cas où les délibérations sont irrégulières. C’est le cas notamment, de
la délibération desdits conseils sur une convention soumise à la réglementation, alors qu’elle
n’est pas mentionnée d’une manière précise à l’ordre du jour de la réunion792.

Aussi, l’article 338 de la loi 17-95 dispose que « la nullité d' actes ou délibérations autres
que ceux prévus à l' article 337 précédent ne peut résulter que de la violation d'une
disposition impérative de la présente loi, ou de l'une des causes de nullité des contrats en
général ». Par conséquent, la violation des dispositions impératives prévues par la loi 793, en ce
qui concerne les conventions réglementées, justifie l’annulation des délibérations les
concernant.

En ce qui concerne la nullité des conventions elles-mêmes, seules celles formellement


interdites par la loi qui sont frappées de nullité de plein droit. Pour les autres conventions
conclues en violation de l’intérêt social, il faut être agile, car leur nullité peut avoir plus de
dégâts sur l’intérêt social que les effets qu’elles ont déjà produits. A cet égard, il est question
d’examiner les causes pouvant entrainer la nullité de la convention qui s’articulent autour du
défaut d’autorisation du conseil d’administration, les effets dommageables pour la société
provenant de la convention794 et la fraude dans la conclusion de la convention 795.

En ce qui concerne le défaut d’autorisation, la nullité n’est pas de plein droit. Elle n’est
que facultative et tant que le juge ne s’est pas prononcé, la convention demeure valable 796. De
plus, la nullité ne peut avoir lieu que si, en plus de l’absence d’autorisation, la convention a eu
des conséquences dommageables pour la société797. C’est ainsi qu’une convention non
préalablement autorisée par le conseil d’administration et conclue entre la société et le
président dudit conseil et qui porte sur le montant de la rémunération dudit président, n’a pu

792
Il s’agit de l’application de l’art. 139 de la loi n° 17-95.
793
Notamment, les arts. 58, al. 4 et 97, al. 4 de la loi 17-95. (L’intéressé à la convention ne peut prendre part au vote, et ses actions ne sont pas prises en compte dans le calcul

du quorum et de la majorité).
794
Arts. 61 et 99 de la loi 17-95
795
Arts. 60 et 98, ibid.
796
Royaume du Maroc, op. cit., p. 238.
797
Arts. 61, al. 1 et 99, al. 1 de la loi 17-95.

212
être annulée par la société qui réclamait à l’ancien président le remboursement des
rémunérations qu’elle lui avait versé, pour absence de préjudice798.

Déterminer les conséquences dommageables d’une convention pour la société est


primordial, dans la mesure où ce sont ces conséquences qui ouvrent la voie à la nullité et que
le défaut d’autorisation ne suffit pas à lui seul à entrainer sa nullité. Ainsi, l’exécution d’une
convention par la société à travers le paiement d’un montant en contrepartie d’un service ne
permet pas d’établir l’existence de préjudice pour la société. Il est question de soulever le
déséquilibre enregistré en faveur de l’intéressé et au dépend de la société, entre ce qu’elle doit
et ce qu’elle reçoit799. C’est le cas, par exemple, de la rémunération excessive qu’un dirigeant
perçoit pour le travail qu’il fait.

Pour l’appréciation des conséquences dommageables, il parait logique de les soulever au


moment où le juge statue sur le litige et non pas au moment de la conclusion de la convention,
étant donné qu’il faut fixer les conséquences de l’exécution de la convention et non pas de sa
conclusion.

Aussi, la loi fait de la fraude l’élément pouvant conduire à la nullité de la convention,


mais ne prévoit rien en ce qui concerne la caractérisation de la fraude ou encore sa définition.
A notre sens, la loi fait référence à la fraude qui corrompt la procédure de contrôle, comme
lorsqu’il y a dissimulation de la convention, ou la déclaration à l’assemblée générale
d’éléments inexacts pour avoir son approbation800. Peut être appliquée ici « la notion de
tromperie qui résulte de la présentation d’éléments inexacts, voire falsifiés »801. Il ne s’agit
pas uniquement d’une omission, la fraude consiste également en un acte positif ou en des
manœuvres destinées à tromper le conseil d’administration ou l’assemblée générale.

Toutefois et même si la loi permet la nullité des conventions réglementées pour des
causes qui lui sont propres, il ne faut pas oublier que ces conventions sans avant tout des
contrats, et par conséquent peuvent être annulées sur la base des causes de nullité du droit
commun802. Il s’agit principalement des vices de consentement.

798
Paris, 5e Ch. A, 21 mars 1990, société français Auer SA c/ J-P Laurans, in Bull. Joly, juin 1990, p. 527, § 137, note M. JEANTIN, cité par P. LE CANNU et D.

LEPELTIER, op. cit., p. 112.


799
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 378.
800
Paul LE CANNU, op. cit., p. 442.
801
Jean-François BULLE, op. cit., p. 160.
802
Art. 337 de la loi 17-95.

213
Les vices de consentement qui sont énumérés à l’article 39 du D.O.C. peuvent être
soulevés par la société, afin que la convention soit frappée d’une nullité relative. La société
peut par exemple soulever, à travers une action engagée par ses représentants légaux ou
encore ses actionnaires, que la partie contractante n’a pas révélé toutes les informations la
concernant afin de la qualifier comme personne soumise à la réglementation.

Néanmoins et même si la règlementation prévue pour les conventions n’a pas été
respectée et que ladite convention a eu des conséquences dommageables pour la société, la
nullité n’est pas systématiquement encourue. Le législateur a utilisé 803, le verbe « peuvent » au
lieu de « doivent », ce qui rend la nullité facultative, et c’est au juge, à travers son pouvoir
appréciateur, qui pourra prononcer ou pas ladite nullité.

Ce caractère facultatif de la nullité se justifie par l’ampleur que peut avoir la nullité de la
convention sur l’intérêt social dans son ensemble. Dès que la convention est annulée, elle
cesse de produire ses effets et est considérée comme ne jamais avoir existée 804. La convention
est anéantie et ses effets sont remis en cause. Cette sanction est dangereuse puisqu’elle nuit à
la sécurité des transactions. Ceci explique, à notre sens, le caractère facultatif de la nullité qui
permet au juge d’apprécier la portée de l’annulation d’une convention avant de la prononcer.

A cet égard, au cas où la convention n’est pas encore exécutée ou ne l’est qu’en partie,
l’annulation peut être prononcée puisqu’elle ne va pas préjudicier les intérêts des parties
contractantes, en principal celui de la société. Mais, lorsqu’elle a été complétement exécutée,
son annulation risque de nuire gravement à l’intérêt social d’où l’intérêt de recourir à d’autres
sanctions permettant de réparer le préjudice subi par la société.

Cependant, ce caractère facultatif de la nullité n’est pas présent dans les conventions
interdites, où elles sont frappées obligatoirement d’une nullité absolue et ce, abstraction faite
de ses effets sur l’intérêt social. Le législateur a clairement prévu cette nullité 805, sans avoir à
chercher si la convention a eu des effets dommageables pour la société ou non.

L’engagement de l’action en nullité permet de sanctionner la convention irrégulièrement


conclue et a pour finalité d’immobiliser les effets préjudiciables de la convention sur l’intérêt

803
Arts. 61 et 99, ibid.
804
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 378.
805
Arts. 62 et 100 de la loi 17-95.

214
social. Cette action peut être intentée par la société dont l’intérêt a été lésé et les
actionnaires806.

En ce qui concerne la société, c’est son représentent légal qui peut intenter cette action, à
condition, bien sûr, qu’il ne soit pas la partie avec qui la société a contracté la convention
contestée. Si c’est le cas, l’action en nullité devra être engagée par un ou, plusieurs
actionnaires agissant pour le compte de la société et non pas pour leur propre compte. Cette
action, connue par l’action sociale, permet aux actionnaires de protéger l’intérêt social.

Les actionnaires peuvent également engager l’action en nullité-dite action individuelle,


s’ils considèrent que le préjudice causé par la convention à la société, à travers
l’appauvrissement de son patrimoine, les touche également en fonction de leur quote-part
dans le capital807. Cette action est toutefois conditionnée par la preuve que le préjudice subi
par les actionnaires est distinct de celui subi par la société, ce qui est d’ailleurs difficile.

B- L’interruption de l’annulation :

L’intention de la personne lésée à annuler la convention par le biais de l’action en nullité


peut être interrompue suite à la prescription de ladite action, ou encore par la couverture de la
nullité. Le législateur marocain808 a été clair en ce qui concerne le délai de prescription de
l’action de nullité en la fixant à trois ans à partir de la conclusion de la convention 809. La durée
courte de la prescription de cette action par rapport à celle prévue contre les dirigeants qui
sont à l’origine d’un fait dommageable pour la société ou de celle prévue en cas d’irrégularité
ou inobservation des dispositions régissant la SA. 810, s’explique, à notre sens, par la volonté
du législateur d’instaurer la certitude dans les transactions dont la société fait partie et d’éviter
toute ambiguïté quant à leur sort.

Toutefois, au cas où il y a eu dissimulation de la convention, la prescription commence à


courir à partir de sa révélation811. Parmi les cas de dissimulation ayant entrainés le retardement
du point de départ de la prescription, il y a celui de la convention qui n’a pas été soumise à la
procédure de contrôle par l’intéressé qui est le Président, au motif qu’il s’agit d’une
convention libre, alors qu’en réalité c’est une opération qui devait être autorisée par le conseil

806
252 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
807
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 394.
808
Arts. 61 et 99 de la loi 17-95.
809
253 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
810
La durée de la prescription dans ces cas, est de cinq ans. V. arts. 349 et 355 de la loi 17-95.
811
Cass. com. 29 septembre 1988, in Bull. civ., 1988, IV, n° 331, p. 222, cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 396 ; V. arts. 61 al. 2 et 99 al. 2 ibid.

215
d’administration812. Aussi, la dissimulation a été retenue lorsque l’assemblée des actionnaires
n’avait pas connaissance de la convention, alors que les administrateurs auraient été au
courant813. En tout cas, c’est à la date de l’assemblée générale au cours de laquelle la
convention s’est révélée qu’il convient de se placer814.

Pour les auteurs de la dissimulation, l’intéressé à la convention n’est pas le seul à être
tenu pour responsable. Le représentant légal de la société est également impliqué vu qu’il a
signé la convention et n’a pas informé le conseil d’administration ou encore les commissaires
aux comptes de son existence815.

En plus de la prescription qui permet d’éteindre l’action en nullité, l’assemblée générale


peut prendre une décision par laquelle elle couvre sa nullité 816. Cette procédure peut être
adoptée en cas de défaut d’autorisation ou de décision irrégulière du conseil d’administration
ou de surveillance. Elle permet ainsi de régulariser la convention irrégulière.

Le défaut d’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance peut avoir lieu


dans plusieurs cas :

- soit que l’intéressé n’a pas révélé au conseil l’existence de la convention et lui a été
dissimulée. Dans ce cas, le conseil n’a pas pu se prononcer sur la convention et l’assemblée
générale intervient afin de l’autoriser ;

- soit que l’intéressé ou le conseil d’administration ou de surveillance se trompe sur la


qualification de la convention en considérant qu’elle est courante et conclue à des conditions
normales et ne nécessite pas sa soumission à la procédure de contrôle, alors que ce n’est pas le
cas. Dans ce cas, c’est le commissaire aux comptes qui découvre, en général, l’erreur sur la
qualification de la convention et informe par rapport spécial l’assemblée générale, qui
confirmera la convention ;

-soit que le conseil d’administration a tout simplement refusé l’autorisation de la


convention parce qu’il la trouve peu ou non avantageuse pour la société.

Certes, la couverture de la nullité de la convention permet à l’AG de faire face à des


situations de blocage préjudiciables aux intérêts de la société, mais elle n’a pas été écartée par
812
Trib. com. Paris, 2e ch., 20 juin 2006, cité par Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 397.
813
Soc., 12 fevr. 1987, in Bull. Joly , 1988. 1193, cité par Yves CHAPUT, op. cit., p. 168.
814
Jean-François BULLE, op., cit., p. 162.
815
Cass. com., 24 février 1976, in Rev. Sociétés 1980, P. 304, note I. BALENSTI, cité par ibid.
816
Art. 61 al. 3 et 99 al. 3 de la loi 17-95.

216
la loi lorsque le conseil a refusé de donner son autorisation pour des motifs raisonnables. En
effet, la loi stipule que « la nullité peut être couverte par un vote de l’assemblée générale
intervenant sur rapport spécial du ou des commissaires aux comptes exposant les
circonstances en raison desquelles la procédure d’autorisation n’a pas été suivie »817.

Le rapport spécial du commissaire aux comptes doit contenir l’ensemble des informations
relatives à la convention en question, tout en précisant les raisons du non suivi de la procédure
d’autorisation. L’intéressé ne peut prendre part au vote de l’AG et ses actions ne sont pas
prises en compte dans le calcul du quorum et de la majorité 818. La décision de couverture de la
nullité prise par l’AG doit être distincte des autres décisions prises dans la même assemblée.
Toutefois, la décision de couverture de nullité de l’assemblée générale n’exclut pas l’intéressé
d’être poursuivie pour réparer le préjudice subi par la société819.

Pour conclure, la nullité de la convention conclue en violation de la procédure de contrôle


est une sanction efficace afin de neutraliser ses effets préjudiciables pour la société, mais elle
n’empêche pas les intéressés violateurs de la réglementation de recommencer encore une fois
à transgresser la réglementation. Il est donc raisonnable que la responsabilité personnelle des
auteurs de ces conventions abusives soit engagée.

Paragraphe 2 : Le sort du transgresseur de la procédure du contrôle

L’annulation d’une convention conclue en violation de la procédure du contrôle et qui est


à l’origine de conséquences dommageables ne garantit pas une prévention totale contre la
récidive des intéressés. Dès lors, la mise en œuvre de la responsabilité civile (A) et
éventuellement pénale (B) des violateurs de la procédure de contrôle est justifiée.

A- La mise en œuvre de la responsabilité civile du transgresseur :

La réglementation des conventions fait intervenir un ensemble d’acteurs : dirigeants,


actionnaires et commissaires aux comptes, qui pourront voir leur responsabilité personnelle
engagée en cas de défaillance dans l’exécution de leurs obligations, notamment en cas de
violation des dispositions légales concernant la règlementation des conventions et que cette
violation est préjudiciable à la société.

817
Arts. 61, al. 3 et 99, al. 3 de la loi 17-95.
818
254 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
819
Ibid.

217
A cet effet, le non-respect, par le dirigeant 820 intéressé, de la procédure des conventions
règlementées est considérée comme une faute lorsqu’il y a une disparité entre la prestation de
la société et celle du dirigeant : ce dont à bénéficier le dirigeant intéressé est largement
supérieure à la contrepartie dont a bénéficié la société, de sorte que l’intérêt social se trouve
lésé. Le dirigeant intéressé est considéré avoir commis une faute dans la mesure où au lieu de
défendre l’intérêt social lors de la conclusion de la convention, il a préféré défendre son
intérêt personnel et causé un préjudice à l’intérêt social.

Dès lors, la conclusion d’une convention en violation de la réglementation spéciale


constitue un acte préjudiciable à l’intérêt social et est considéré ainsi, comme une faute de
gestion qui peut engager la responsabilité du dirigeant l’ayant commis. De plus, la faute du
dirigeant reste maintenue même si la convention a été approuvée par l’assemblée générale,
surtout que le quitus accordé au dirigeant par la décision de l’assemblée générale reste sans
effet pour éteindre l’action en responsabilité contre ledit dirigeant821.

A cet effet, l’article 352 de la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 a prévu
que les membres des conseils d’administration et de surveillance « ne seront déchargés de la
responsabilité quant aux faits et actes mentionnés au premier alinéa auxquels ils n’ont pas
pris part, que si aucune faute ne leur est imputable et s’ils ont dénoncé ces faits ou actes, à
l’AG la plus prochaine après qu’ils en aient eu connaissance ».

D’ailleurs, la réglementation elle-même prévoit, d’un côté, le maintien de la convention


désapprouvée par l’assemblée générale en cas d’absence de fraude, et de l’autre côté, le
maintien de ladite convention ne décharge pas le dirigeant intéressé de l’engagement de sa
responsabilité pour les conséquences dommageables à la société822.

Mais, quand est-il lorsque plusieurs dirigeants sont à l’origine de la convention


préjudiciable à l’intérêt social ? La loi823 a prévu que la réparation des conséquences
préjudiciables à la société qu’a causée la convention litigieuse peut impliquer les autres
membres du conseil d’administration/conseil de surveillance, et seront susceptible d’engager
leur responsabilité. Cette condamnation peut être individuelle ou solidaire, en fonction de
l’implication de chacun824. En cas de solidarité, l’administrateur souhaitant dégager sa

820
Il s’agit des personnes dirigeantes citées à l’article 373 de la loi 17-95.
821
Art. 354, al. 2, ibid.
822
Arts. 60, al. 2 et 98, al. 2, ibid.
823
Ibid.
824
Art. 352, al. 2, ibid.

218
responsabilité doit prouver qu’il avait désapprouvé la décision prise par le conseil en
dénonçant le fait ou l’acte contestable à l’AG. Cette désapprobation doit être nécessairement
consigné dans le PV, car le simple fait de voter contre n’est pas suffisant 825. Ceci montre bien
la nécessité pour un administrateur de ne pas se comporter en simple administrateur de
complaisance.

De plus, la loi n° 20-19 suscitée a mis en place l’article 353 bis qui permet au tribunal de
condamner les organes de direction au remboursement à la société les bénéfices qui ont été
réalisés suite à des transactions qui violent la règlementation des SA.

L’action en responsabilité personnelle des dirigeants ne peut être éteinte en cas de


couverture de la nullité de la convention par une décision de l’assemblée générale. Certes, la
décision de l’assemblée générale suspend la nullité de l’acte, mais n’empêche pas
l’engagement de la responsabilité du dirigeant826.

Aussi, il est strictement interdit d’éteindre, par décision de l’assemblée générale, une
action en responsabilité contre les dirigeants pour « faute commises dans l’accomplissement
de leur mandat »827, et par conséquent pour violation de la réglementation des conventions.
Toute clause statutaire prévoyant la renonciation à cette action est de ce fait, interdite et
réputée non écrite.

Les dirigeants ne sont pas les seuls acteurs de la vie sociale pouvant voir leur
responsabilité engagée, lorsqu’une convention irrégulière produit des conséquences
préjudiciables à la société. Les actionnaires 828 sont également visés par la réglementation étant
donné qu’ils peuvent, par leur pouvoir de vote, favoriser leur propre intérêt au dépend de
l’intérêt social. Ainsi, la violation de l’actionnaire intéressé de la réglementation est
susceptible d’engager sa responsabilité personnelle.

Aussi, le commissaire aux comptes peut voir sa responsabilité civile engagée en cas de
violation de ses obligations relatives à la réglementation des conventions. Certes, il n’est pas
considéré comme une personne intéressée dans la convention, mais il est tenu d’exécuter les
dispositions légales afin d’assurer le contrôle des conventions et éviter ainsi qu’elles soient
source de dommage pour la société.
825
Hassania CHERKAOUI, La société anonyme, op. cit., notep. 97.
826
Arts. 61, al.4 et 99 al. 4 de la loi 17-95
827
Art. 354 de la loi 17-95.
828
Il s’agit de l’actionnaire qui détient « directement ou indirectement, plus de cinq pour cent du capital ou des droits de vote », art. 56 de la loi 20-05 complétant et modifiant la

loi 17-95.

219
D’une manière générale, le commissaire aux comptes est responsable des fautes et
négligences commises par lui dans l’exercice de ses fonctions, à condition que ces fautes et
négligences soient à l’origine de dommage pour la société, pour les actionnaires, ou encore
pour les tiers829.

Dans le cadre des conventions réglementées, la responsabilité civile du commissaire aux


comptes ne pourra être engagée que si sa négligence ou faute a porté préjudice à la société et à
la partie qui a contracté la convention avec la société, qu’elle soit actionnaire, dirigeant 830 ou
tiers-personne interposée. Encore, faut-il prouver le lien de causalité entre la faute ou la
négligence du commissaire aux comptes et le dommage. Ainsi, si cet organe n’a pas
mentionné une information sur une convention dans son rapport spécial, il ne pourra engager
sa responsabilité que si cette carence est à l’origine du préjudice occasionné à la société, aux
actionnaires ou aux tiers.

Le commissaire aux comptes est donc soumis à une obligation de moyen qui le protège
contre l’engagement de sa responsabilité civile et ce selon le Tribunal de Lyon. Ce dernier a
considéré que cet organe n’est tenu que d’une obligation de moyen dans le cas de la charge de
la découverte des conventions qui ne lui ont pas été signalées : « attendu que si, à chaque
assemblée générale, le commissaire aux compte doit faire un rapport spéciale sur les
conventions entre la société et un de ses administrateurs, lesquels sont soumis à l’autorisation
préalable du conseil d’administration, sa mission, selon l’article 103 de la loi 24 juillet 1966,
est de pure information, qu’il n’a pas l’obligation de rechercher les conventions qui n’ont pas
été soumises à l’autorisation préalable du conseil d’administration, alors qu’elles auraient dû
l’être, mais qu’au cas où il en découvre l’existence, il doit conformément à l’article 230 de la
loi, les porter à la connaissance du conseil d’administration, comme constituant une
irrégularité, afin que celles qui ont des conséquences dommageables pour la société puissent
être annulées en application de l’article 105 de la loi précitée… »831.

L’obligation de moyen dont est tenu, en général, le commissaire aux comptes est
d’ailleurs consolidée lorsqu’on vérifie la portée de sa mission, notamment à travers l’article
175 de la loi 17-95 qui lui impose de certifier la régularité et la sincérité des comptes et non
pas leur exactitude.

829
Art. 180, al. 1, ibid.
830
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 433.
831
Joël MONEGER et Thierry GRANIER, Le commissaire aux comptes, n° 517, éd. Dalloz Sirey, Paris, 1995, p. 134.

220
Toutefois et d’une manière exceptionnelle, le commissaire aux comptes se trouve tenu
d’une obligation de résultat suite à son devoir de présenter un rapport spécial sur les
conventions réglementées qui ont été portées à sa connaissance 832. Plus largement, cette
obligation est également présente dans le cas de son devoir de vérification des règles relatives
aux actions dont doivent être propriétaires les administrateurs et les membres du conseil de
surveillance833.

Aussi, les commissaires aux comptes pourront engagés leur responsabilité civile, au
même titre que celle des administrateurs, membres du directoire et conseil de surveillance,
s’ils ne révèlent pas dans leur rapports à l’assemblée générale, les infractions commises par
les membres desdits organes et dont ils avaient eu connaissance lors de l’exécution de leur
mission834.

Reste à soulever que certains auteurs835considèrent que le commissaire aux comptes n’est
tenu d’aucune de ces obligations, puisqu’il n’y a pas de contrat le liant à la société, sa
responsabilité serai donc, délictuelle.

En ce qui concerne les personnes pouvant engager l’action judiciaire et partons du


principe que toute personne lésée est en droit d’intenter une action en responsabilité, la société
qui est la principale partie concernée par la convention, peut intenter cette action lorsque son
intérêt se trouve léser par une convention règlementée conclue en violation de la procédure de
contrôle. Pareillement, les actionnaires sont titulaires de l’action en responsabilité lorsqu’ils
ont individuellement subi le préjudice.

Bien évidemment, la société peut intenter l’action en responsabilité par l’intermédiaire de


ses représentants, qui sont le président du conseil de surveillance, le président du conseil
d’administration, le directeur général ou le président directeur général 836. Dans ce cas, on
parle d’action sociale ut universi. Mais, lorsque c’est le représentant social de la société qui a
violé la règlementation et qui a causé le préjudice à la société, ça sera à un ou plusieurs
actionnaires d’intenter l’action sociale, appelée ut singuli, au nom et pour le compte de la
société.

832
Art. 147 de la loi 17-95.
833
Arts. 47 et 85, ibid.
834
Art. 180, al. 2, ibid.
835
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 395.
836
Le cumul des fonctions de président du conseil d’administration et de direction générale dans les sociétés anonyme faisant appel public à l’épargne a été interdit par l’article

67 de la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux SA.

221
Cependant, quand un actionnaire se trouve léser personnellement par une convention
réglementée, il a la possibilité d’intenter, en son propre nom et non au nom de la société, une
action individuelle en responsabilité pour réparer le préjudice qu’il a subi. Toutefois, le
préjudice subi doit être individuel et distinct de celui subi par la société, ce qui est difficile à
établir.

Reste à préciser que l’action en responsabilité se prescrit par trois ans à partir de la
conclusion de la convention litigieuse. Mais, si la convention a été dissimulée, la prescription
ne commence à courir qu’à la date de sa révélation837.

Quant à l’action en responsabilité contre le commissaire aux comptes, elle se prescrit par
cinq ans à compter du « fait dommageable », donc à partir de la date de la délibération de
l’assemblée générale ayant approuvé la convention litigieuse838.

B- La mise en œuvre de la responsabilité pénale du transgresseur :

Les dirigeants de la SA sont susceptibles d’engager leur responsabilité pénale, lorsqu’ils


violent la loi et usent de leurs pouvoirs pour satisfaire leurs intérêts personnels au détriment
de la société et des actionnaires, et que cette violation constitue une infraction.

Dans le cas des conventions réglementées, le dirigeant qui transgresse la réglementation


sera sanctionné sur la base de l’abus de biens sociaux, étant donné que la transgression de
cette règlementation représente les éléments constitutifs d’un abus de biens sociaux 839 : Le
dirigeant intéressé conclu de mauvaise foi, une convention avec la société, à des fins
personnelles, dans son intérêt personnel, aux dépens de l’intérêt social.

Favoriser une autre société dans laquelle la personne visée est directement ou
indirectement intéressée est également constitutif d’abus de biens sociaux. Ce cas, représente
l’intérêt indirect que l’on trouve dans la convention conclue avec une personne ayant une
communauté d’intérêts avec le dirigeant. Ainsi, il y a abus de biens sociaux lorsque la
convention est conclue entre la société et une personne physique ou morale avec laquelle un
administrateur a un intérêt personnel. 840 Il est à rappeler que l’intérêt indirect est présent dans

837
Arts. 61, al. 2 et 99, al. 2 de la loi 17-95.
838
Art. 180.
839
L’article 384 défini l’abus de biens sociaux comme suit : « les membres des organes d’administration, de direction ou de gestion d’une société anonyme qui de mauvaise foi

auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre
société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».
840
Saba K. ZREIK, Th. préc., p. 442.

222
le cas des personnes interposées, comme les conventions conclues entre deux sociétés qui ont
des dirigeants communs.

En plus des dirigeants, les commissaires aux comptes peuvent également être confrontés à
la mise en cause de leur responsabilité pénale. L’interprétation stricte du droit pénal, fait que
leur incrimination soit liée à la commission d’infractions prévues strictement par la loi,
notamment celles relatives à l’exercice de leur fonction. Principalement, il est question
d’infractions liées à la qualité de l’information fournie et à la violation du secret
professionnel.

Dans le cadre des conventions réglementées, le commissaire aux comptes est le garant du
respect de l’intérêt social, à travers la mise en place d’un rapport spécial qui reflète la
conformité ou non de la convention à cet intérêt. Il ne peut ainsi représenter dans son rapport
spécial des « informations mensongères, ou dissimuler l’existence de faits délictueux dont il
aurait eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions »841, au risque d’être
condamné pour une amende de 10000 à 100000 dirhams et/ou un emprisonnement de six
mois à deux ans.

La consommation du délit d’information mensongère doit être établie afin de sanctionner


le commissaire aux comptes. Il peut s’agir d’une action de donner des informations
mensongères ou la confirmation de ces informations émises par les intéressés, et ce en
connaissance de cause. Comme le fait de préparer un rapport spécial inexact sur la
convention, par la modification de données essentielles, ou la certification d’informations sans
aucune réserve, alors qu’il avait connaissance de leur irrégularité.

La violation du secret professionnel constitue également, une infraction passible


d’enclencher la condamnation du commissaire aux comptes. A cet égard, les commissaires
aux comptes en leur qualité de détenteur d’informations sensibles et importantes pour la
société, sont tenus par l’article 177 de la loi 17-95 d’une obligation de confidentialité sur « les
faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leurs fonctions »,
au risque d’être condamné pour un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de
1200 à 20000 dirhams842.

Il est évident que le commissaire aux comptes ne peut confier aux tiers -potentiels
concurrents- des informations confidentielles sur le déroulement des affaires de la société.
841
V. art. 405 de la loi 17-95.
842
V. art. 405, ibid, qui renvoi à l’art. 446 du C. pén.

223
Toutefois, la loi a apporté des dérogations à son obligation du secret professionnel,
notamment à l’égard des auxiliaires de justice 843. Ainsi, cette obligation ne trouve pas sa force
lorsque le juge demande au commissaire aux comptes de lui fournir des informations
confidentielles. Aussi, en matière pénale il ne peut être interdit de témoigner.

Par ailleurs et dès la constatation de délits commis par le biais d’une convention
réglementée, il convient à la société 844 d’intenter une action en responsabilité pénale : la
société dont les biens ont fait l’objet de l’abus, est considérée comme le titulaire principal de
cette action.

En ce qui concerne les tiers et dès lors qu’ils ne peuvent intenter une action pénale contre
les dirigeants pour abus de biens sociaux, vu que le préjudice qu’ils ont subi est un préjudice
indirect, ils ne peuvent agir contre un actionnaire/administrateur intéressé pour abus de biens
sociaux résultant d’une convention réglementée conclue en transgression de la loi. Toutefois,
ils ont toujours la possibilité d’agir contre les commissaires aux comptes pour « les fautes et
négligences par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions »845.

Reste à préciser que l’action pénale engagée à l’encontre du dirigeant ou du commissaire


aux comptes ne peut être éteinte même si la convention litigieuse a été ratifiée par les
actionnaires. Par contre elle est éteinte en cas de prescription.

Effectivement, la ratification des actionnaires d’une convention conclue en violation de la


réglementation et qui représente un abus de biens sociaux ne peut éteindre l’action pénale,
étant donné que l’assentiment des actionnaires ne peut écarter le caractère abusif de l’acte
constitutif de ce délit. Cette position permet d’assurer une large protection au patrimoine
social et aux intérêts des tiers, en sus de l’intérêt social. Ceci, renforce encore une fois la
conception large de l’intérêt social comme étant l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble.

Aussi, l’action publique contre le dirigeant ayant commis un abus de biens sociaux à
travers une convention irrégulière se prescrit pour une durée de cinq ans à partir du jour ou le
délit a été commis846. Dans notre cas, il s’agit du jour de la conclusion de la convention. En
cas de dissimulation, le départ de la prescription est retardé au jour où le délit est révélé, donc
à la date de la découverte de la convention.
843
V. l’art. 168 de la loi 17-95.
844
Les actionnaires ne peuvent prétendre à cette action au risque de voir leur demande frappée d’irrecevabilité, dans la mesure qu’ils sont considéré avoir subi un préjudice

indirecte.
845
V. art.180 de la loi 17-95.
846
Art. 355, ibid.

224
Titre II : Alternatives permettant la protection de l’intérêt social
contre les intérêts préjudiciables des actionnaires

La société anonyme est une institution regroupant la volonté de plusieurs actionnaires de


réaliser des bénéfices ensemble. A cette fin, les actionnaires y organisent, entre eux, les
modalités du partage du pourvoir. Et comme dans toute organisation humaine, les sociétés
anonymes sont assujetties de difficultés de fonctionnent de leurs organes et les relations entre
les actionnaires peuvent devenir conflictuelles entrainant ainsi la paralysie de la société. Cette
situation nécessite de mettre en œuvre des solutions permettant de respecter l’indépendance
de la société par rapport aux actionnaires.

Assurer la pérennité de l’entité économique qu’est la société repose sur l’existence de


mécanismes juridiques concourant à cette fin et permettant de réguler les conflits et de
discipliner, ainsi, les actionnaires afin qu’ils agissent dans l’intérêt social.

Il est question de prévoir des mécanismes permettant d’éviter l’éclatement du conflit à


travers sa prévention (Chapitre 1). A défaut de l’éviter, il faut le résoudre le plus rapidement
et délicatement possible (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Mécanismes de prévention des conflits entre les actionnaires

La société anonyme peut être le lieu de confrontation de plusieurs intérêts divergents


d’actionnaires, causant de sérieuses menaces à son fonctionnement et pérennité, soit parce que
l’un d’eux préfère satisfaire un intérêt opposé et extérieur à son intérêt dans la société, soit
parce qu’il y a des dissensions sur la politique suivie par les organes de gestion.

A cet égard, l’apparition de conflits affectant les actionnaires est une des mésaventures
pouvant être à l’origine de la paralysie du fonctionnement normal des organes sociaux et la
mise en péril de la continuité de l’exploitation.

Suite à l’ampleur de ces situations difficiles, la préoccupation principale est de mettre en


œuvre des mécanismes appropriés capables de les tranquilliser avant qu’elles ne se dégradent
et se répercutent sur l’avenir de la société.

225
En plus des mécanismes prévus par le législateur permettant de résoudre des difficultés
pareils, en assurant à la société une sécurité de fonctionnent et en palliant à la dissolution de la
société que peut provoquer les mésententes entre les actionnaires (section-1), rien n’exclut la
possibilité de prévoir des mécanismes conventionnels de prémunition des différends (section-
2) capables d’assurer une souplesse quant au traitement de ces situations difficiles.

Section 1 : Mécanismes légaux de prévention des conflits d’intérêts

Afin de mettre fin au conflit d’intérêts affectant l’un des actionnaires de la société et
pouvant nuire à la société, il convient déjà de connaitre l’existence de ce conflit. Or, le
caractère occulte du conflit rend difficile sa découverte.

Les actionnaires peuvent néanmoins, puiser dans quelques dispositions prévues par le
législateur afin de mettre à jour le conflit affectant l’un d’eux (sous-section 1).

Mais au lieu d’attendre passivement que le conflit soit découvert, les actionnaires peuvent
toujours recourir à des moyens légaux leur permettant d’investiguer sur la marche des affaires
sociales et assurer ainsi la protection de leur intérêt et par le même biais la protection de
l’intérêt social (sous-section 2).

Sous-section 1 : La mise à jour du conflit d’intérêts

Afin de prémunir la société contre les conflits d’intérêts, le plus logique est que
l’actionnaire qui se trouve affecté par un tel conflit déclare aux autres actionnaires son
existence. Mais dans la pratique, il est rare qu’un actionnaire divulgue l’existence d’un tel
conflit, vu que la loi ne l’exige que rarement (paragraphe 1).

Face au défaut de déclaration de l’actionnaire, il sera question de procéder à la détection


du conflit d’intérêts par le conseil d’administration ou de surveillance et le commissaire aux
comptes (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La divulgation du conflit d’intérêts

Malgré l’absence de dispositions instaurant l’obligation de divulgation du conflit


d’intérêts, son fondement prend toutefois source de la nécessité de respecter l’intérêt commun
des actionnaires prescrit par le droit commun des contrats (A). De plus, plusieurs dispositions
de la SA attestent de son aménagement (B).

A- Le fondement de l’obligation de divulgation :

226
À la conclusion d’un contrat, les contractants défendent des intérêts divergents. C’est
ainsi que le locataire et le propriétaire différent sur le loyer et la durée du bail, le vendeur et
l’acheteur sur le prix et la qualité de la chose vendue. La volonté de défendre son intérêt peut
même inciter l’une des parties à ne pas divulguer des informations pouvant changer d’avis son
potentiel contractant847.

Cette non-divulgation d’informations se heurte toutefois à l’obligation de négocier de


bonne foi qui renvoie à une obligation d’information, ce qui engendre un devoir de loyauté
entre les parties au contrat, de sorte que chacun parvient au but économique souhaité 848. Ainsi,
l’obligation de révélation des conflits d’intérêts est « la manifestation en droit des société de
l’obligation d’informer son contractant, expression du devoir de bonne foi dans l’exécution
du contrat »849. A cet égard, le fait de retenir des informations que, si elles avaient été portées
à la connaissance de l’autre partie elle n’aurait pas contracté, peut être qualifié de réticences
dolosives prévues à l’article 52 du D.O.C. et entrainer la rescision du contrat.

Dans la société anonyme, l’obligation d’information est issue de la protection de l’intérêt


social et de la communauté d’intérêts des actionnaires. Les actionnaires partagent le bénéfice
social mais aussi les pertes. Dans un but de minimisation du risque social, tout actionnaire qui
détient une information nécessaire à la marche de l’activité sociale et à la prise de décision, en
informe les membres de l’organe concerné (assemblée générale ou conseils d’administration
ou de surveillance). Cette mise au courant est bénéfique non seulement aux autres
actionnaires mais également à celui ayant divulgué l’information. Ceci montre que le contrat
de société prend la forme de coopération associée contrairement à l’idée qui assume que les
contrats sont des « formes de coopération antagoniste »850.

Ainsi, lorsqu’un actionnaire se trouve en situation de conflit d’intérêts et que son intérêt
personnel est contraire à son intérêt d’actionnaire, la divulgation du conflit devient vitale.

Cette divulgation s’explique à plusieurs niveaux : D’un côté, l’exigence de bonne foi et
l’obligation d’information supposée dans les contrats s’appliquent pleinement dans ce
contexte, puisqu’elles permettent d’éviter que le consentement soit soutiré, et ce suite à la

847
Dominiqe SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 40.
848
Ibid.
849
Astrid MIGNON-COLOMBER, L’exécution forcé en droit des sociétés, éd. ECONOMICA, Paris, 2004, p. 168.
850
Jean CARBONNIER, Droit civil : Les obligations, T. IV, éd. PUF, Paris, 2000, p. 79.

227
dissimulation d’informations utiles. L’obligation d’information et le respect de la bonne foi
contractuelle permettent ainsi de prendre une décision en toute connaissance de cause 851.

De l’autre côté, la révélation du conflit d’intérêts est primordiale en droit des sociétés. Les
actionnaires disposent d’un intérêt qui leur est commun de sorte que le vote de chaque
actionnaire a pour aspiration d’atteindre cet intérêt. Mais lorsque l’un des actionnaires vote
pour satisfaire un autre intérêt opposé à celui qu’il a dans la société, il préjudicie les autres
actionnaires852.

D’ailleurs, si la loi de la majorité règne dans les sociétés anonymes, c’est parce qu’elle
sert l’intérêt social et celui de l’ensemble des actionnaires. Dès lors, il est inacceptable qu’un
seul actionnaire ou un groupe d’actionnaires puisse imposer une décision qui va satisfaire son
propre intérêt personnel et porter atteinte à l’intérêt social et aux autres actionnaires, alors que
ces derniers méconnaissent l’existence de cet intérêt personnel et pensent que ladite décision
est prise dans l’intérêt social.

En effet, l’actionnaire qui détient une majorité ou une minorité de blocage et qui est en
conflit d’intérêts peut imposer ou empêcher des résolutions pour servir son intérêt personnel
au détriment des autres actionnaires, d’où l’importance de la mise en place de l’obligation de
divulgation du conflit d’intérêt auquel se trouve affecter tout actionnaire. La non divulgation
du conflit d’intérêt corrompt la bonne foi et la transparence et nuit à l’intérêt des actionnaires.
Tolérer la dissimulation, c’est accepter que les actionnaires nourrissent d’autres intérêts
opposés à celui qu’ils ont dans la société.

Aussi, le membre du conseil d’administration ou de surveillance affecté par un conflit


d’intérêt est tenu de révéler le conflit en question aux autres membres de l’organe sociale, car
il sera difficile d’imaginer qu’il va défendre l’intérêt des actionnaires et délaissera son intérêt
personnel. Il est inconcevable pour ce membre de faire prévaloir son intérêt personnel sur
l’intérêt social. Le devoir de loyauté dont il est tenu envers les actionnaires lors de l’exercice
de son mandat, exige de tout administrateur dirigeant ou non de révéler spontanément toute
situation de conflit d’intérêts l’opposant à la société et de s’abstenir d’influencer la décision
statuant sur cette situation853. Le respect de cette exigence sauvegarde efficacement l’intérêt
social.

851
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 41.
852
Astrid MIGNON-COLOMBER, op. cit., p. 168.
853
Ibid.

228
La divulgation que fait l’actionnaire ou le membre du conseil d’administration ou de
surveillance du conflit d’intérêts dans lequel il est impliqué permet ainsi, d’éviter à ce que les
autres membres de l’assemblée générale ou du conseil d’administration ou de surveillance
soient influencés lors de la prise de décisions et leur permet également, de discuter les
mesures appropriées à prendre pour surpasser ce conflit854.

B- L’aménagement de l’obligation de divulgation :

Bien que n’ayant pas été prévue dans une règle de portée générale dans la loi n° 17-95
relative à la société anonyme, certaines dispositions dispersées affirment la volonté de la mise
en œuvre de l’obligation de divulgation. Il s’agit principalement du bénéficiaire d’avantages
particuliers, du cumul du mandat de dirigeant et des conventions réglementées.

A cet effet, lorsqu’un avantage particulier 855, c’est-à-dire un droit préférentiel sur les
bénéfices et le boni de liquidation, est stipulé au profit de personnes associés ou non, un
commissaire aux apports ou un commissaire aux comptes est tenu de l’apprécier dans un
rapport où l’identité du bénéficiaire de l’avantage et la nature de l’avantage y sont précisés.
Ce rapport doit être annexé aux statuts et être porté ainsi, à la connaissance de l’ensemble des
actionnaires. Cette procédure est également à appliquer lorsque l’avantage particulier est
accordé au cours de la vie sociale, à l’occasion d’opérations particulières.

A travers cette procédure, l’intérêt personnel que l’avantage particulier sert est révélé
pour les autres actionnaires, ce qui leur permettra de décider en toute connaissance de cause.
Toutefois, au cours de la vie sociales peuvent survenir des situations 856, autres que celles
prévues par la loi857, qui échappent à cette mesure de révélation de l’avantage particulier par le
biais du rapport du commissaire aux comptes ou des apports, ce qui ouvre la porte à la
dissimulation et être ainsi, l’origine de débordements par les bénéficiaires de ces avantages.

Le conflit d’intérêts peut également apparaitre lorsque la même personne occupe un poste
de direction, ou se trouve membre du conseil d’administration ou de surveillance au sein de
plusieurs sociétés. La loyauté veut que la personne concernée avant d’accepter d’occuper de

854
Julia REDENIUS-HOEVERMANN, op. cit., p. 43.
855
V. art. 24 de la loi n° 17-95.
856
Comme le cas du dirigeant qui est membre de deux conseils dans des sociétés concurrentes.
857
Plusieurs dispositions dans la loi 17-95 précisent que tout avantage particulier accordé lors d’événements particuliers, doit être apprécié par les commissaires aux comptes et

porté à la connaissance des actionnaires. Il s’agit notamment, de l’augmentation de capital (Art. 187), de la transformation en SA. (Art. 36), de la fusion ou scission de la SA
(Arts. 227 et 232).

229
fonctions pareilles dans une société donnée, en informe les actionnaires des postes qu’elle
occupe.

C’est dans ce sens que le Code de commerce français prévoit dans son article L 225-102-
1 que « le rapport annuel présenté par le conseil d’administration ou le directoire à
l’assemblée générale comprend également la liste de l’ensemble des mandats et fonctions
exercés dans toute société par chacun de ses mandataires durant l’exercice ».Même si rien
n’est mentionné expressément, cet article permet aux actionnaires de vérifier s’il y a cumul du
mandat et découvrir ainsi les conflits d’intérêts.

858
Par contre, le législateur marocain s’est limité de prévoir qu’avant la réunion de
l’assemblée générale, les actionnaires ont droit de prendre connaissance au siège sociale, de la
liste des membres du conseil d’administration, de directoire et de surveillance ainsi que les
renseignements sur les candidats à ces organes. Sans préciser exactement le contenu de cette
liste, le législateur laisse le champ libre aux administrateurs touchés par un conflit d’intérêts
de dissimuler l’intérêt personnel qu’ils veulent satisfaire. Toutefois et afin de permettre aux
actionnaires d’avoir le maximum d’informations et de se prononcer en toute connaissance de
cause sur les résolutions à voter, le législateur à travers la loi n° 78-12 modifiant et
complétant la loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes a exigé à ce que les sociétés cotées en
bourse procèdent à la publication, avant la tenue de la réunion de l’assemblée générale, d’une
série d’informations et de documents relatifs à ladite réunion.

L’obligation de révélation est cependant, expressément prévue par le législateur dans le


cas des conventions réglementées, dans la mesure ou « l’administrateur, ou le directeur
général intéressé, est tenue d’informer le conseil dès qu’il a eu connaissance d’une
convention à laquelle l’article 56 est applicable »859. Cette procédure permet la révélation de
l’intérêt personnel que la personne intéressée a dans la convention, ce qui permettra ainsi au
conseil administration ou de surveillance et à l’assemblée générale de s’exprimer sur le conflit
potentiel entre cet intérêt et celui des actionnaires et décider ainsi du sort de la convention.

Aussi, le législateur marocain860 a obligé les personnes mentionnées à l’article 56


suscitées, d’informer le conseil d’administration ou de surveillance « des éléments permettant
d’évaluer leurs intérêts afférents à la conclusion des conventions prévues au même article,

858
Art. 141, al. 3 de la loi n° 17-95.
859
Art. 58, ibid.
860
Art. 121 bis de la loi n° 78-12

230
notamment la nature des relations existantes entres les parties desdites conventions et les
raisons économiques justifiants leur conclusion ainsi que leurs différentes
caractéristiques »861, et ce dans le cas des sociétés faisant appel public à l’épargne. Cette
nouvelle disposition tend à renforcer la transparence et à vérifier si l’intérêt social n’a pas été
sacrifié au profit de l’intérêt personnel de l’intéressé. .

Paragraphe 2 : La détection du conflit d’intérêts

Il est rare qu’un actionnaire ou un administrateur procède spontanément à la révélation du


conflit d’intérêts dans lequel il est impliqué, d’où l’importance de le détecter.

La détection de ce conflit incombe en principe aux membres du conseil d’administration


et de surveillance et aux commissaires aux comptes. Ce devoir de détection se justifie, pour
les premiers, par l’exigence du respect de l’intérêt commun des actionnaires que leur impose
leur mandat. Pour les derniers, la loi est claire à leur égard en disposant que « le ou les
commissaires aux comptes s’assurent que l’égalité a été respectée entre les actionnaires »862.

La détection du conflit d’intérêt se fait ainsi, par la découverte de l’intérêt personnel de


l’actionnaire ou de l’administrateur qui peut s’opposer à l’intérêt social et à la communauté
d’intérêts des actionnaires.

La découverte de l’intérêt personnel opposé à l’intérêt social qui anime l’actionnaire ou


l’administrateur dépend de la nature de cet intérêt personnel. Il est question de vérifier si cet
intérêt se place à l’intérieur ou à l’extérieur de la société.
Lorsque l’intérêt personnel qui anime l’intéressé se réalise à l’intérieur de la société,
comme le cas de l’actionnaire qui s’empare d’une part du bénéfice social supérieure à celle
qu’il doit légalement toucher, sa découverte est aisée et se fait par l’examen de la décision
sociale. Les membres du conseil d’administration et de surveillance, ainsi que le commissaire
aux comptes sont tenus de vérifier l’ampleur de la décision et ses effets sur l’activité sociale.
Il en va autrement lorsqu’il s’agit d’un intérêt personnel extérieur à la société. Dans cette
situation, il est question de soulever l’intérêt personnel que l’actionnaire ou l’administrateur
de la société anonyme a dans l’autre société et la nature de la relation qui lie
l’actionnaire/administrateur affecté par l’intérêt personnel à l’autre société.

861
Arts. 58 bis et 97 bis de la loi n° 78-12.
862
Art. 166, al. 2 de la loi n° 17-95.

231
Cet intérêt extérieur qui anime l’intéressé peut résulter soit de sa participation dans le
capital social de l’autre société, soit des rapports commerciaux ou financiers dans lesquels
l’intéressé prend directement ou indirectement partie863.
La constatation du lien de capital qui existe entre l’actionnaire ou l’administrateur de la
société et l’autre société se fait par plusieurs moyens, notamment par la vérification du rapport
du conseil d’administration ou du directoire présenté aux actionnaires 864. Ce rapport comporte
un état des filiales et participations, et mentionne toute prise de participation importante ou de
contrôle dans une société. Lorsque les titres de la société sont admis à la négociation sur un
marché réglementé, le rapport indique également, l’identité des personnes physiques ou
morales qui détiennent directement ou indirectement une part importante (plus du vingtième,
dixième, cinquième, tiers, à la moitié ou aux deux tiers) du capital ou des droits de vote de la
société865.
866
Aussi, l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux impose867 une obligation de
déclaration à toute personne physique ou morale qui vient à posséder un nombre d’actions
supérieurs « au vingtième (5%), au dixième (10%), au cinquième (20%), au tiers (33,33%), à
la moitié (50%) ou aux deux tiers (66,66%) du capital ou des droits de vote d'une société
cotée ». Cette déclaration doit être faite à « la société en question, au CDVM (en l’occurrence
la AMMC) et à la Bourse des Valeurs de Casablanca, dans les cinq jours ouvrables à
compter de la date du franchissement de seuil ».
De plus, la loi868 exige, pour ce type de sociétés, qu’il soit publié un rapport financier qui
comprend toute information relative à sa situation commerciale, technique ou financière, dont
le contrôle de sa mise en œuvre est soumis à l’AMMC, de sorte à faciliter l’identification
d’actionnaires disposant d’une participation dans le capital ou les droits de vote d’une société
cotée.
Également, dans un souci de renforcer la transparence sur les marchés financiers, le
législateur869 oblige le commissaire aux comptes de la SA faisant appel public à l’épargne de
porter à la connaissance de l’AMMC les irrégularités et les inexactitudes dont il aurait eu
connaissance dans l’exercice de sa mission. Au cas où des inexactitudes ou des omissions
863
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 66.
864
Art. 142 de la loi n° 17-95.
865
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p 66.
866
Il convient de signaler que le CDVM a changé d’appellation. Il est question désormais, de l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux. Voir à cet effet, la loi n° 43-12

relative à l’Autorité marocaine du marché des capitaux.


867
Art. 2 du circulaire n° 01/04 relative au franchissement de seuils de participation dans le capital ou les droits de vote des sociétés cotées.
868
V. arts.10, 12, 14 et 15 de la loi n° 44-12 relative à l'appel public à l'épargne et aux informations exigées des personnes morales et organismes faisant appel public à

l'épargne.
869
Art. 169 de la loi 20-05 modifiant et complétant la loi 17-95.

232
auraient été révélées après leur publication, l’AMMC peut exiger des personnes morales
concernées qu’elles procèdent à des publications rectificatives870.
Toutefois, le rapport, précédemment mentionné, qui est établi par les conseils
d’administration ou de directoire ne permet pas de découvrir l’ensemble des liens du capital
qui existent entre l’intéressé et l’autre société. En effet, ce rapport se limite aux prises de
participations d’une société anonyme dans d’autres sociétés. Quand est-il toutefois, de
l’actionnaire ou l’administrateur qui est intéressé dans d’autres sociétés. Aussi, l’identité des
actionnaires qui ont une part importante dans le capital social de l’autre société n’est exigée
que pour les sociétés cotées.
Afin de renforcer la transparence quant à la découverte du lien de capital entre l’intéressé
d’une société et une autre société, la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi 17-95 relative
aux SA a exigé dans son article 155 à ce que le rapport de gestion communiqué par les
conseils d’administration et de directoire aux actionnaires « doit faire ressortir les mandats
des administrateurs dans « d’autres conseils d’administration ou conseil de surveillance ainsi
que leurs emplois ou fonctions principaux ».
En ce qui concerne les liens commerciaux qui unissent la société et son actionnaire ou son
administrateur ou la société et une autre société dans laquelle l’actionnaire ou l’administrateur
a des intérêts particuliers, ils se traduisent par des conventions conclues entre la société et la
personne intéressée871.

Afin de ne pas laisser ce types de liens affectés l’intérêt social, la loi a prévu une
procédure minutieuse pour la conclusion de conventions avec la société impliquant un
actionnaire ou un administrateur de la société 872. Toutefois, certaines conventions peuvent
échapper au contrôle prévu par la loi suite à la complicité qui se trouve entre le président ou le
directeur général qui agit au nom de la société en signant la convention et le bénéficiaire de
cette convention. L’intérêt personnel qui anime le président ou le directeur général le conduit
à ne pas informer le conseil d’administration ou de surveillance de l’existence de cette
convention873.

Toutefois, la découverte de la convention occulte peut être faite par la vérification des
documents comptables de la société. Cette vérification est du ressort des commissaires aux

870
Art. 2 de la loi n° 23-01 relative au conseil déontologique des valeurs mobilières et aux informations exigées des personnes morales faisant appel public à l’épargne.
871
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 70.
872
V. supra, p. 201.
873
Arts. 56 et 95 de la loi n° 17-95.

233
comptes et des administrateurs. Pour les premiers, la loi 874 leur impose de façon permanente
de « vérifier les valeurs, les livres et les documents comptables de la société (..). Ils vérifient
également, la sincérité et la concordance, avec les états de synthèse, des infirmations données
dans le rapport de gestion du conseil d’administration ou du directoire et dans les documents
adressés aux actionnaires sur le patrimoine de la société, sa situation financière et ses
résultats ». Cette mission ne peut que les conduire à découvre l’existence de conventions
occultes. Pour les derniers, la loi 875 a renforcé leur droit à l’information en disposant que
« chaque administrateur reçoit toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa
mission et peut demander au président tous les documents et informations qu’il estime
utiles ». Sur ce, tout administrateur dans l’exercice de son mandat dont l’objectif est la
sauvegarde de l’intérêt social, lui incombe de découvrir les conflits d’intérêts et notamment
les liens commerciaux, par le droit d’investigation dont il dispose.

En plus des liens commerciaux qui naissent des conventions occultes, certains sont
générés suite à des conventions libres qui ne sont soumises à aucun contrôle. Il est question
des conventions courantes conclues à des conditions normales 876. En effet, ce type de
conventions peut être à l’origine de liens commerciaux sans que personne ne s’en doute.
Comme l’exemple d’une convention libre conclue entre la société et un actionnaire détenant
moins de 5% du capital social. Cette convention ne fera l’objet d’aucun contrôle, même si elle
sert l’intérêt personnel de l’actionnaire contractant, à moins qu’elle soit découverte par le
commissaire aux comptes et la mentionne dans son rapport. Toutefois et afin de parer à cette
877
insuffisance, la loi a exigé la communication de la liste des conventions libres par le
président au conseil d’administration ou de surveillance ainsi qu’au commissaire aux
comptes, et ce afin de vérifier si l’une de ces conventions à échapper au contrôle.

De toute évidence, la détection du conflit d’intérêts affectant un actionnaire ou un


administrateur n’est pas aisée, surtout qu’il convient de vérifier si ce conflit d’intérêts a eu des
impacts négatifs sur la société, avant de pouvoir le condamner.

Sous-section 2 : Les moyens de recherche des actionnaires

Au lieu de rester passifs à attendre la découverte du conflit d’intérêts, les actionnaires


peuvent protéger leurs droits en détectant par eux même les conflits d’intérêts pouvant nuire
874
Art. 144, ibid.
875
Art. 74 bis de la loi n° 20-05 modifiant et complétant la loi n° 17-95.
876
Arts. 57 et 96 de la loi n° 17-95.
877
Art. 57 de la loi n° 78-12.

234
au fonctionnement de la société. Cette détection se fait par des moyens que la loi a mis à leur
disposition878.

Il est question de poser une question aux organes de gestion (paragraphe 1) et de la


désignation d’un expert de gestion (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Poser une question aux organes de gestion

Le législateur a mis à la disposition de l’actionnaire des procédés techniques afin qu’il


puisse accéder le plus facilement possible à une information bien ciblée. Il s’agit de la
possibilité de poser une question par écrit (A) et de l’inscription d’une question à l’ordre du
jour (B).

A- Poser une question par écrit :

Les actionnaires qui considèrent que la société est mal gérée doivent avoir la possibilité
d’accéder à plus d’informations afin de s’assurer de la teneur de leurs suspicions. Cet accès à
l’information vient complémenter le droit à l’information qui leur ai accordé à l’occasion des
assemblées générales879 et se traduit par le droit de poser des questions écrites dans la période
précédant la tenue de l’assemblée880.

Mais contrairement au législateur français881 qui permet « à tout actionnaire de poser par
écrit des questions auxquelles le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est
tenu de répondre au cours de l'assemblée », le législateur marocain n’a rien prévu de tel.

L’importance de cette procédure c’est qu’elle permet aux actionnaires de s’informer sur la
pertinence et les modalités de conclusion d’une opération entre la société et un actionnaire ou
dirigeant. Ce droit reste certainement plus efficace que le fait de poser oralement des
questions au cours de l’assemblée882. La réponse de l’organe questionné est inscrite dans le
procès-verbal de la réunion, ce qui permettra non seulement d’informer l’ensemble des
actionnaires sur l’existence d’une opération pouvant être issue d’un conflit d’intérêts, mais
878
Les mesures prévues par la loi qui s’activent sans l’intervention des minoritaires, notamment, le droit à l’information ou encore la réglementation des contrats passés entre les

intéressés et la société, ne seront pas traité ici.

879
Les administrateurs doivent fournir aux actionnaires d’une façon ponctuelle un certain nombre d’informations afin de leur permettre de s’informer sur l’évolution de

l’activité sociale et de se prononcer en connaissance de cause. V. arts. 141 145, 146, 147 et 150 de la loi 17-95 ; L’AMMC promeut également l’information des actionnaires des
sociétés cotées. V. Art. 10 et s. de la loi 44-12 relative à l'appel public à l'épargne et aux informations exigées des personnes morales et organismes faisant appel public à
l'épargne.
880
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 471.
881
Art. L. 226-108, al.3, du C. Com.
882
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 471

235
aussi de connaitre les précautions entreprises par les dirigeants pour préserver l’intérêt social
et la communauté d’intérêts des actionnaires.

Cette procédure a toutefois ses limites dans la pratique. En effet, les conseils
d’administration ou de directoire peuvent facilement refuser de réponde aux questions des
actionnaires au motif que les questions ne sont pas liées à l’ordre du jour de la réunion ou
qu’elles sont tardives, de sorte à ne pas pouvoir consulter le conseil d’administration ou le
directoire. Les organes questionnés peuvent également donner des réponses ambiguës ou
insuffisantes empêchant ainsi l’information des actionnaires. Les limites de cette procédure
s’enfoncent lorsqu’on sait qu’aucune disposition légale n’est prévue pour faire face à ces
lacunes.

B- L’inscription d’une question à l’ordre du jour :

A côté de la possibilité de poser une question par écrit, une autre mesure est possible pour
les actionnaires qui détiennent une partie déterminée du capital social. En effet, le législateur
marocain883, à l’instar de son homologue français 884 ouvre la possibilité aux actionnaires qui
disposent d’au moins de cinq pour cent du capital social de requérir l’inscription d’un ou de
plusieurs projets de résolutions à l’ordre du jour.

Pour les sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne, cette demande doit être adressée
au siège social par lettre recommandée avec accusé de réception dans vingt jours au moins
avant la date de l’assemblée885. Pour les sociétés faisant appel public à l’épargne, le délai est
de dix jours à compter de la publication de l’avis de convocation886.

Cette mesure permet ainsi aux actionnaires minoritaires de s’informer sur la conduite de
la marche des affaires sociales887, à travers notamment le déclenchement du débat en faisant
participer les autres actionnaires. « L’idée est de faire en sorte que l’actionnaire, mieux
informé, participe plus activement à la vie de la société et que les positions qu’il adopte
soient ainsi éclairées »888. Les actionnaires peuvent ainsi alerter les dirigeants sociaux de
l’existence d’opérations pouvant résulter d’un conflit d’intérêts. Mais, au cas où les dirigeants
883
Art. 117 de la loi 17-95.
884
Art. L. 225-105 du C. Com.
885
Art. 120 de la loi 17-95.
886
Art. 122, ibid.
887
FAIZA ALAOUI, La protection des actionnaires des sociétés anonymes dans le droit marocain, Thèse en droit, Université de PERPIGNAN, Faculté de droit et de sciences

économiques, Faculté internationale des droits d’Afrique francophone, 2004, p. 268.


888
Daniel FASQUELLE, « La protection des actionnaires minoritaires de la société anonyme, le projet de loi marocaine n° 17-95 à la lumière de l’expérience française », in

RMDED, n° 37, 1996, p. 133.

236
sont impliqués dans ces opérations, les actionnaires auront toutefois la possibilité de
constituer la preuve de leur implication.

Tenant compte de l’importance que revêt cette mesure, le législateur 889 expose le
président du conseil d’administration ou du directoire à des sanctions pénales en cas de refus
d’inscription des projets de résolution proposés à l’ordre du jour.

Poser des questions écrites ou encore inscrire une question à l’ordre du jour n’est pas le
seul instrument à la disposition des actionnaires pour faire valoir leur droit à une information
complète et rigoureuse. Le législateur leur ouvre la possibilité de désigner un expert de
gestion chargé d’établir un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Paragraphe 2 : La désignation d’un expert de gestion

Le législateur marocain890 reconnait aux actionnaires représentant au moins le dixième du


capital social le droit de demander à la justice la désignation d’un expert, dont la mission est
de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. Ce droit à pour aspiration
de permettre aux actionnaires de mieux s’informer sur certains actes de gestion, dont
l’objectivité est entachée d’ambigüité.

Ce droit n’est toutefois pas ouvert à tous. Le législateur en a fait l’objet d’une procédure
particulière, en suscitant la présence de conditions relatives à l’actionnaire demandeur de
l’expertise de gestion (A) et à l’acte objet de ladite expertise (B).

A- La particularité des conditions relatives à l’actionnaire :

La loi marocaine détermine la qualité du demandeur d’une expertise de gestion en


disposant qu’ « un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital
social peuvent demander (…) la désignation d’un expert … ». Cette procédure est ouverte aux
seuls actionnaires, contrairement au législateur français 891 qui permet à d’autres parties
comme le ministre public, le comité d’entreprise et l’autorité des marchés financiers de
demander cette désignation. Aussi, le législateur français a étendu l’expertise de gestion aux
sociétés contrôlées au sens de l’article 355-1. Cette option ne figure pas dans le droit
marocain.

889
Art. 392, al. 2 de la loi 17-95 ; Le législateur français prévoit de son côté, la nullité des délibérations de l’assemblée : Arts. L. 242-12 et 424-30 du C. Com.
890
Art. 157 de la loi 17-95.
891
Art. L. 225-231 du C. com.

237
La détention d’au moins 10% du capital social dont doit justifier l’actionnaire demandeur
de la nomination d’un expert de gestion peut être faite à titre individuel comme elle peut être
réalisée par un groupement d’actionnaires agissant de concert 892. Néanmoins, cette condition
de 10% du capital social parait irréaliste vu que les actionnaires minoritaires sont
généralement loin de ce seuil.

En imposant cette condition, le législateur a peut-être voulu éviter à la société des actions
abusives des minoritaires. Mais, même si c’était le cas, cette procédure passe obligatoirement
par l’appréciation du juge, qui pourra sans peine distinguer entre les actions fondées et celles
ayant un caractère d’harcèlement.

L’importance du respect de cette condition est telle qu’un actionnaire minoritaire ne


détenant pas les 10% du capital social et qui voulait la désignation d’un expert de gestion s’est
vu refuser sa demande, alors qu’elle avait pour objet d’avoir des « précisions au sujet de
prélèvements anormaux »893. Il est déplorable que le législateur, par cette condition, refuse
l’accès à l’information à certains actionnaires. Le législateur français, conscient peut être de
l’importance de cette procédure non seulement pour le demandeur mais pour l’ensemble des
actionnaires, a réduit le seuil minimum pour activer cette procédure de 10%894 à 5%895.

B- Réflexions sur les conditions relatives à l’opération contestée :

L’expertise de gestion ne peut porter que sur des opérations de gestion. Mais, que doit-on
comprendre par une opération de gestion ? Jean PAILLUSSEAU a précisé dans ce sens, que
« la gestion est une notion étrangère au vocabulaire juridique et dont la méconnaissance est
peut être la cause des difficultés et des incertitudes des juristes »896.

De façon pratique, l’opération de gestion est celle qui est en principe accomplie par les
organes de direction ou d’administration de la société. Ainsi, sont exclues les résolutions
votées par les assemblés générales des actionnaires, qui ne sont pas des organes de gestion.
Cette exclusion se justifie d’un côté, par le principe majoritaire qui règne dans la société et qui
ne doit pas être remis en cause par l’expertise de gestion, étant donné qu’une décision n’est

892
534 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬.
893
Com. 12 janv. 1976, 332, cité par Martine BOIZARD, « Les abus de minorité », in Rev. sociétés, Juill. /sept. 1988, p. 380, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc., p.

203.
894
Art. 226 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
895
Art. L. 225-231 du C. com.
896
Jean Pierre SORTAIS, « Protection des minoritaires », In groupe des sociétés, Receuil Dalloz, V. sociétés anonymes, n° 85, cité par Abdeljalil ELHAMMOUMI, Th. préc.,

p. 205.

238
adoptée en assemblée que parce qu’elle a été acceptée par tous, et de l’autre côté,
l’information des actionnaires est renforcée au cours de ces assemblés, contrairement aux
réunions du conseil d’administration ou du directoire897.

Aussi, il est à exclure les demandes de désignation d’un expert de gestion tendant à établir
un rapport détaillé sur les comptes sociaux ou encore sur les potentielles fautes de gestion du
dirigeant898.

Reste à préciser que les actes de gestion accomplis par les dirigeants de fait échappent à
toute expertise de gestion. Il aurait peut-être fallu étendre cette procédure non seulement aux
opérations de gestion, mais à toute opération intervenant dans la réalisation de l’objet social,
en excluant toutefois, les opérations adoptées par les assemblés générales.

Vient par la suite la nature de l’action intentée pour la désignation d’un expert de gestion.
S’agit-il d’une action individuelle ou sociale ? La réponse est évidente lorsqu’on sait que le
rapport d’expertise est mis à la disposition de l’ensemble des actionnaires, ainsi qu’au
commissaire aux comptes et non pas uniquement à l’actionnaire demandeur. Il s’agit bien
d’une action sociale. Ce constat se confirme du côté de la loi française, vu que le cercle des
demandeurs de cette procédure est largement ouvert à d’autres parties, autres que
l’actionnaire. Ceci confirme qu’il s’agit en effet, de protéger les intérêts de la société et non
pas uniquement l’intérêt de l’actionnaire. A cet effet, deux auteurs 899 partagent le même avis
et précisent que « l’expertise doit être ordonnée lorsque les demandeurs démontrent leur
intérêt précis à être renseignés sur des opérations suspectes, susceptibles de leur porter
préjudice et d’être contraires à l’intérêt social ».

La demande de désignation de l’expert de gestion doit être faite devant le président du


Tribunal de Commerce en sa qualité de juge de référé 900. Le demandeur doit assigner la
société et non pas le dirigeant ou l’actionnaire majoritaire. S’il estime que la demande est
fondée, le Président du Tribunal de Commerce fixe la mission et les pouvoirs de l’expert.

897
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 473.
898
Cass. com., Rabat, 26 janv. 2012, arrêt n° 88, doss. n° 116/3/3/2011, Portail de jurisprudence du cabinet d’Azouggar, disponible à l’adresse suivante :

http://www.jurisprudencemaroc.com/lecture.php?id_fichier=4736.
899
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p.502.
900
Cass. Civile, Rabat, 30/04/1997, déc. n° 2598, dos. n° 1406/96, « Arrêts de la Chambre Commerciale - 50 ans, Cour Suprême », in Centre de publication et de

Documentation Judiciaire, 2007, p.227 ; 523 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬.

239
Malgré une différence dans la procédure entre les deux législations marocaine et
française901, l’objet de l’expertise de gestion est le même : elle permet aux actionnaires
minoritaires d’avoir une information crédible et d’être protégés contres des agissements
incertains des majoritaires.

En effet, les actionnaires qui ne sont pas suffisamment renseignés par les documents mis à
leur disposition sur une opération pouvant nuire à leurs intérêts, auront toujours la possibilité
d’enclencher cette procédure et bénéficier du rapport d’un expert indépendant analysant
minutieusement la portée de l’opération douteuse 902. Cette procédure permet certainement de
découvrir l’existence de conflit d’intérêts.

Néanmoins, cette procédure n’est pas aussi performante qu’elle parait. En effet, le rapport
de l’expert est communiqué à la plus « prochaine assemblée générale »903, qui est dominée
par les majoritaires, ce qui ne donnera lieu à aucun résultat immédiat, mis à part la
constitution de la preuve d’une faute de gestion et déclencher ainsi, une action en
responsabilité ou en annulation. Le mieux aurait été de faire dudit rapport « un préalable
d’une mesure de suspension des dirigeants ou d’une annulation des actes fautifs ou
abusifs »904.

D’une manière générale, l’expertise de gestion assure certainement le relai en cas de


défaillance du système d’information usuel, lorsqu’il s’agit d’information douteuse ou
insuffisante. Aussi, l’appréciation du juge du bien fondée de la demande de l’actionnaire
permet d’éviter un harcèlement des minoritaires de la gestion des dirigeants et encombrer
ainsi la marche des affaires sociales.

Toutefois, la mise à jour du conflit d’intérêts et les moyens d’investigation mis à la


disposition des actionnaires ne permettent pas souvent de découvrir le conflit d’intérêts à
temps. Aussi, la loi n’accorde à ces procédés que peu de place. Il convient dès lors de se
retourner vers les conventions extra-statuaires connues pour leur malléabilité, afin de
renforcer la cohésion entre les actionnaires et empêcher la formation des différends entre les
actionnaires.

901
Alors qu’au Maroc, il suffit aux actionnaires de demander en référé la désignation de l’expert, en France la procédure débute obligatoirement par une question écrite à

déposer par les actionnaires concernés au président du conseil d’administration ou au directoire. Ce n’est que lorsque la réponse est insuffisante que les actionnaires auront la
possibilité de demander en justice la désignation de l’expert de gestion. Toutefois, les autres parties qui ont la possibilité de faire cette demande peuvent le faire directement
auprès du juge du référé.
902
520 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬.
903
Art. 157, al. 4 de la loi 17-95.
904
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 474.

240
Section 2 : Mécanismes conventionnels de prémunition des différends

L’étude des mécanismes légaux pouvant prémunir la société contre les conflits d’intérêts
s’est montrée insuffisante à atteindre son objectif, vu la lenteur de la découverte dudit conflit
et par conséquent, son traitement. D’où l’intérêt de se tourner vers une autre approche avant-
gardiste ayant pour mécanisme de mettre l’accent sur les règles contractuelles afin de
renforcer la cohésion entre les actionnaires et limiter ainsi, la possibilité de l’émersion de
conflits entre les actionnaires.

Il s’agit des conventions extrastatutaires qui sont connues pour leur rôle d’amadouement
des relations entre les actionnaires (sous-section 1), et des règles de la corporate governance
que la pratique a confirmé leur efficacité (sous-section 2).

Sous-section 1 : Le recours aux conventions extrastatutaires

À travers l’aménagement des conventions extrastatutaires, les actionnaires mettent en


place des outils impeccables de prévention interne des conflits. En mettant fin aux
imprévisions, les actionnaires éliminent toute possibilité de naissance de conflits et anticipent
même les techniques pour résoudre ceux qui pourraient survenir pendant la vie de la société.
Il s’agit principalement, des conventions relatives au vote (paragraphe 1) et celles relatives à
la cessibilité des titres (paragraphe 2)

Paragraphe 1 : Les conventions relatives au vote

Les conventions de vote portent sur l’aménagement de l’exercice du droit de vote des
actionnaires dans les assemblées. En raison du rôle qu’elles jouent dans l’organisation du
pouvoir au sein de la société, les conventions de vote se sont multipliées (A) dont le régime
présente plusieurs possibilités afin de renforcer leur efficacité (B).

A- La typologie des conventions de vote :

Le droit de vote est un droit fondamental de l’actionnaire. Il est exercé librement sauf
lorsque l’actionnaire fait partie d’une convention. Dans ce cas, il se trouve engager dans un
mécanisme contractuel destiné à réorganiser le pouvoir au sein de la société.

Les objectifs des conventions de vote sont très variés. Elles peuvent porter sur tout type
de décisions collectives. Mais, celles qui ont le plus de succès et qui participent au
renforcement de la cohésion entre les actionnaires et qui évitent le blocage dans le processus

241
de prise de décisions concernent : l’adoption de décisions en assemblées générales prédéfinies
à l’avance, le statut des dirigeants et le fonctionnement de la société.

En effet, la convention de vote peut convenir que les actionnaires signataires voteront
pour ou contre une décision déterminée, comme le maintien du siège social, l’engagement de
participer à une augmentation ou réduction du capital, l’orientation de la stratégie, la politique
de distribution de dividendes, etc.

Aussi, la convention de vote peut avoir pour objectif d’éviter la révocabilité des dirigeants
membres de la convention de vote ou au contraire de la prévoir contre les dirigeants étrangers
à la convention. Elle peut également prévoir à ce que les actionnaires contractant s’engagent à
voter pour que l’un d’eux soit désigné dirigeant.

La convention de vote peut aussi avoir pour objectif l’aménagement du fonctionnement


de la société, notamment par le renforcement des conditions de la majorité dans les
assemblées générales, en imposant une majorité qualifiée, voire l’unanimité pour la prise de
décisions. Les actionnaires peuvent imposer ainsi, que les décisions soient prises par exemple
par les ¾ ou 80% des actionnaires présents ou représentés. Il faudra, en tout cas, lister les
décisions que les actionnaires souhaitent soumettre à cette majorité 905. Il peut s’agir de la
modification de la dénomination sociale, ou de l’objet social, de la fusion avec une autre
société, du changement du commissaire aux comptes, de prise de participation importante
dans une autre société, etc. Pour l’imposition de l’accord unanime des actionnaires sur des
décisions importantes, la convention de vote doit mentionner les décisions qui ne pourront
être prise qu’avec l’accord unanime des actionnaires, comme la fusion, la transformation, la
liquidation amiable, etc.

Les actionnaires peuvent également prévoir dans la convention de vote un droit de veto
qui permet de bloquer certaines décisions. Toutefois, l’énumération des décisions soumises au
droit de veto doit concorder avec les préoccupations qui ont poussé les parties à introduire une
telle clause. Comme le fait de permette à l’actionnaire bénéficiant d’un tel droit de conserver
un certain pourcentage du capital social, ou assurer le contrôle sur les décisions
stratégiques906. Généralement, le droit de veto est réservé aux minoritaires, vu que leur
participation dans le capital ne leur permet pas d’imposer leur volonté. Toutefois, les
actionnaires doivent être prudents quant à l’utilisation du droit de veto, au risque d’être à

905
Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, op. cit., p. 40.
906
Idem, p. 42.

242
l’origine d’un blocage de prise de décisions dans la société 907 et être source d’abus de
minorité.

B- Le régime des conventions de vote :

Malgré l’importance et la pratique des conventions de vote, elles ne sont validées ou


prohibées par aucun texte légal. Toutefois, certains textes visent indirectement de tels accords
en faisant de l’intérêt social un critère de validité de la convention de vote 908, ou en interdisant
aux actionnaires de monnayer leur droit de vote909.

Bien que la loi prévoie peu au sujet des conventions de vote, leur validité est soumise à
trois conditions cumulatives, mises en place par la doctrine 910 et confirmées par la
jurisprudence. Il est question du respect de la participation des actionnaires, de l’intérêt social
et de l’exemption de fraude. Le respect de ces conditions a été rappelé par un arrêt de la Cour
de Paris911 du 30 juin 1995, où il a été considéré que « l’engagement de vote de Métaleurop
doit être tenu pour licite dès lors qu’il est limité à l’opération concernée, qu’il est conforme à
l’intérêt social et qu’il est exempt de toute idée de fraude ».

En ce qui concerne le respect de la participation des actionnaires, la convention de vote ne


doit pas avoir un caractère permanent, elle doit être conclue pour une durée déterminée 912.
C’est pour cette raison d’ailleurs, qu’elle ne peut figurer dans les statuts. Cette interdiction se
justifie par le fait que l’actionnaire se trouvera privé de toute possibilité d’intervention dans la
marche des affaires, ce qui est contraire à sa qualité d’actionnaire 913. Même si la convention
de vote assure la stabilité dans le contrôle, elle ne doit pas virer vers la stagnation. En effet, le
fait qu’un groupe de dirigeants peu qualifié continue à diriger la société, juste parce qu’il y a
une telle convention parait insensé 914. Dès lors, les conventions de vote sont valables
lorsqu’elles ne privent pas le promettant de toute possibilité de prendre part aux décisions
collectives et d’y voter915. Dans le même sens, il sera interdit à ce que l’actionnaire vote
toujours dans un sens prédéterminé.

907
Ibid.
908
Art. 144 de la loi 17-95.
909
Art. 387, ibid.
910
Alain VIANDIER, « Observation sur les conventions de vote », in J.C.P. (éd. E), 1986, 15405, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 212.
911
Paris, 30 juin 1995, in J.C.P. 1996, II, 795, note J.J. DAIGRE, cité par ibid.
912
247 .‫ ص‬،‫ المرجع السابق‬:‫المصطفى بوزمان‬.
913
Idem, p. 213.
914
Idem, p. 225.
915
Pascal JULIEN SAINT-AMAND et Paul-André SOREAU, Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, éd. Francis LEFEBVRE, LEVALLOIS, 2006, p. 39.

243
Pour le respect de l’intérêt social, la loi en a déjà fait mention 916. Du côté de la
jurisprudence, il a été estimé que le respect de l’intérêt social est assuré quand la convention
de vote a pour aspiration l’amélioration de l’exploitation de la société 917 et qu’elle permet le
renflouement de la société. Pour ce dernier critère, le Tribunal de Commerce de Paris 918 avait
validé une convention de vote entre un groupe d’actionnaires majoritaires et un actionnaire ne
détenant que 2% du capital, qui prévoyait que l’augmentation du capital prévue dans le plan
de redressement sera réservée entièrement à ce dernier. Le Tribunal a décidé de la validité de
cette convention suite à « l’utilité économique indiscutable de ce protocole ». Ce critère
renvoi à la conception économique de l’intérêt social, dans la mesure où la convention de vote
sera validée si, en plus de la promotion de l’exploitation de la société, elle permet d’avoir des
répercussions économiques favorables sur la société.

Aussi, le critère du respect de l’intérêt social doit être pris en considération tout au long
de l’exécution de la convention de vote et non seulement au moment de sa conclusion, vu que
le contenu de ce critère est incernable de sorte que la convention de vote peut devenir
contraire à l’intérêt social, alors qu’elle y était conforme à l’origine.

En dernier lieu, la convention de vote ne doit pas être entachée de fraude en contrariant
l’ordre public. Elle ne doit pas être conclue en transgressant les dispositions impératives de la
loi relative aux sociétés anonymes919, c’est-à-dire à une disposition dont le législateur a
précisé que toute clause contraire était nulle ou non écrite ou que les tribunaux ont jugés
comme telle. Ainsi, elles sont illicites les conventions qui portent atteinte à la séparation des
pouvoirs ou à la hiérarchie des organes.

De ce qui précède, la convention de vote permet de fixer le sens du vote et engage ainsi
les actionnaires contractants à voter selon le sens déterminé dans la convention. Mais, lorsque
l’un des actionnaires ne respecte pas son engagement, la question est de savoir comment
l’autre partie victime de l’inexécution de la convention peut se défendre ?

Le plus évident est de demander l’allocation de dommages et intérêts pour non-exécution


d’une obligation contractuelle, sur la base des articles 261 et 262 du D.O.C. Aussi, les parties
peuvent toujours prévoir dans la convention de vote une clause pénale ou l’astreinte
conventionnelle prévoyant à l’avance, de façon forfaitaire les dommages et intérêts, ou la
916
Art. 144 de la loi 17-95.
917
Trib. com. Seine, 11 janv. 1938, in Journ. Soc., 1938, p. 301, note H. BOSVIEUX, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit. p. 214.
918
Trib. com. Paris, 4 mars 1981, in Rev. jurisp. Com., 1982, p. 7, note de FONBRESSIN, cité par ibid.
919
La loi n°17-95 et la loi n° 20-05 complétant et modifiant la loi n° 17-95.

244
somme à payer par jour de retard, qui seront dus en cas de défaillance dans l’exécution de la
convention de vote, sans toutefois en abuser, au risque d’être soumises à la révision du juge920.

Néanmoins, l’allocation de dommages et intérêts n’est pas aussi efficace que ça a l’air. En
effet, la qualification du préjudice causé à l’actionnaire victime pose problème. A combien
s’élève la réparation de la perte d’une majorité au sein de la SA., ou d’une restructuration
manquée ? De plus, lorsque la SA est fermée, comment sera-t-il possible de déterminer le prix
des actions ? Les juges seront confrontés de manière pénible à l’évaluation du préjudice 921. De
plus, l’allocation de dommages et intérêts est peu dissuasif pour l’actionnaire défaillant. Le
fait de payer une somme d’argent peut être pour lui peu important face à la prise du contrôle
de la société ou du maintien de sa part dans le capital.

En dépit de l’allocation des dommages et intérêts, le problème reste entier, vu que le


défaut d’exécution de la convention de vote génère l’adoption d’une décision sociale non-
voulue, par l’actionnaire victime. La société demeure tierce à la convention et toute décision
issue du non-respect de la convention de vote reste de ce fait valable pour elle. De son côté,
l’actionnaire victime, ne peut contester la décision sociale prise au mépris de la convention de
vote que s’il prouve que le vote de l’actionnaire défaillant est abusif. Pour cela, il faut que le
vote soit émis en violation de l’intérêt social et qu’il soit à l’origine d’une rupture d’égalité
entre les actionnaires922. Si le vote abusif est retenu, la décision sociale sera ainsi annulée.

Il aurait été peut être plus satisfaisant que la victime du non-respect de la convention de
vote engage une action judiciaire pour exécution forcée. Mais, cette solution est difficile
lorsqu’on sait que la convention de vote porte sur des obligations de faire ou de ne pas faire
qui se résous en principe en des dommages et intérêts. Toutefois, lorsque les tribunaux se
trouvent en face d’un vote abusif, en plus de l’annulation de la décision litigieuse, ils
procèdent à la désignation d’un mandataire de justice chargé de représenter l’actionnaire
auteur de l’abus et de voter dans la nouvelle assemblée générale en respectant l’intérêt social
et l’intérêt de l’actionnaire qu’il représente 923. Certes, l’exécution forcée de la convention de
vote ne peut avoir lieu, mais au moins, lorsque le vote qu’a émis l’actionnaire défaillant est
abusif, il y aura l’intervention d’un mandataire judiciaire qui sera amené à voter dans l’intérêt
social.

920
Art. 264 du D.O.C.
921
Yves GUYON, Traité des contrats…, op. cit., p. 385.
922
En d’autres termes, il faut que le vote de l’actionnaire soit à l’origine d’un abus de majorité ou de minorité.
923
Cass. com., 9 mars 1993, in Bull. IV, n° 101, cité par Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 352.

245
Toutefois, pour plus de sécurité quant à l’exécution des conventions de vote, les
actionnaires signataires peuvent insérer la clause résolutoire, ce qui entrainera la résolution
automatique de la convention en cas de manquement à la convention par l’un des actionnaires,
sans que les tribunaux ne puissent s’y opposer924.

En conclusion, les actionnaires disposent de plusieurs possibilités afin de renforcer


l’efficacité des conventions de vote, allant des sanctions légales à celles conventionnelles, ce
qui contribue à la promotion de ce procédé d’ordre contractuel.

Paragraphe 2 : Les conventions relatives à la cessibilité des actions

En principe, les actions de la société anonyme sont librement négociables. Mais, dans un
souci de protection de l’actionnariat contre les agressions venues de l’extérieur, les
actionnaires organisent la transmission des titres en apportant des restrictions à ce principe par
la conclusion de conventions limitant leur libre cessibilité. Il convient dès lors, de s’attarder
sur la typologie de ces conventions (A) avant d’examiner la portée de leur régime (B).

A- La typologie des conventions restrictives de la cessibilité des actions :

Le champ d’application des clauses restrictives de la cessibilité des actions est assez
large. Ces clauses peuvent être prévues, aussi bien dans des conventions extrastatutaires que
dans les statuts925. Elles peuvent ainsi être prévues au moment de la constitution de la société
ou pendant son existence, par décision de l’assemblée générale extraordinaire. Aussi, elles
peuvent être introduites dans des conventions conclues juste entre actionnaires ou à l’égard
des tiers.

Il s’agit des clauses de préemption926, des clauses d’agrément927 et des clauses


d’inaliénabilité928. Toutefois, il existe d’autres clauses dégagées de la pratique telle que la
clause de sortie conjointe ou buy or sell, qui ne sont pas réglementées par la loi, mais qui
restent licitent et permettent de restreindre la cessibilité des actions.

Ainsi, la clause d’agrément permet d’empêcher l’entrée d’un tiers dans la société. Son
objectif est similaire à celui de la clause de préemption. Elles permettent de renforcer la
cohésion entre les actionnaires. Toutefois, leur champ d’application n’est pas le même.
924
Art. 260 du D.O.C.
925
Art. 253 de la loi 17-95.
926
Art. 257, de la loi 17-95.
927
Art. 253, ibid.
928
Art. 257, ibid.

246
L’association des deux clauses est possible et même préférable, mais il convient de
vérifier que les procédures de leur exécution soient compatibles. La combinaison des deux
clauses est notamment intéressante, dans la mesure qu’au cas où le droit de préemption n’a pu
être exercé par les actionnaires parce qu’ils ne disposent pas d’assez de liquidité pour racheter
les actions de l’actionnaire sortant, l’entrée du tiers acquéreur à la société pourra être
empêchée par l’application de la clause d’agrément, dans la mesure où les actions peuvent
toujours être acquises par la société.

En effet, la clause d’agrément impose à l’actionnaire qui veut céder une partie ou
l’ensemble de ses actions à un tiers d’avoir l’accord des actionnaires parties à la convention
extrastatutaire, à défaut, les actionnaires sont tenues de racheter lesdites actions, « ce qui
assure la stabilité du pouvoir par la maitrise du capital et préserve par conséquent, la vie de
la société »929. Vue d’un autre angle, la clause d’agrément permet de refuser l’entrée d’un tiers
à la société, dont la présence est non voulue. Lorsque cette clause d’agrément est prévue dans
les statuts, l’agrément est donné par la société et en cas de refus, « le conseil d’administration
ou le directoire est tenue dans un délai de trois mois, à compter de la notification du refus, de
faire racheter les actions soit par un actionnaire ou un tiers, soit, avec le consentement du
cédant, par la société en vue d’une réduction du capital »930.

Quant à la clause de préemption, elle permet aux actionnaires signataires de préempter,


c’est-à-dire, d’acheter les titres à céder par un des membres de la convention, en priorité par
rapport à un autre acquéreur potentiel. En d’autres termes, les actionnaires prévoient qu’en cas
de cession, le cédant proposera ses actions aux signataires de la convention, avant de voir
ailleurs. Ce mécanisme permet ainsi aux actionnaires de conserver leur influence 931.

La clause de préemption accorde aux bénéficiaires un statut de privilégié. En effet, si le


promettant souhaite vendre des actions, il va les proposer en premier lieu aux bénéficiaires
selon les dispositions de l’article 257 de la loi 17-95, et ce n’est que si ces derniers n’exercent
pas leur droit pendant le délai prévu que le promettant se trouve libre à céder ses actions à qui
il veut.

Pour sa part, la clause d’inaliénabilité interdit aux signataires de céder leurs actions
pendant une durée déterminée. Suite à la particularité de cette condition ainsi que l’exigence

929
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 350.
930
Art. 254 de la loi n° 17-95.
931
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 331.

247
de la conformité à l’intérêt social, cette clause est généralement présente plus dans les
conventions extrastatutaires que dans les statuts. Cette clause permet aux signataires de
maintenir leur participation dans le capital et de conserver ainsi l’équilibre qui les a réunis.

L’aménagement par les actionnaires de clauses limitant la cessibilité des actions a connu
un tel succès que d’autres clauses non visées par la loi ont fait surface. Ces clauses sont
insérées dans les conventions extrastatutaires en raison de leur particularité.

Suite à la multitude de ces clauses, il sera traité dans ce qui suit deux clauses qui sont le
plus communément utilisées, à savoir, la clause de sortie conjointe et celle de buy or sell.

La clause de sortie conjointe ou tag along est la clause par laquelle un actionnaire qui est
en général majoritaire s’engage lorsqu’il décide de céder ses titres, de faire acquérir par
l’acquéreur de ses titres et au même prix, les titres d’un ou de plusieurs actionnaires
généralement minoritaires. Cette clause permet au minoritaire de sortir à la sortie du
majoritaire. Elle permet aux « coactionnaires d’un cédant d’actions de se faire racheter aux
mêmes conditions ses titres par les cessionnaires »932, ce qui offre aux actionnaires
minoritaires la possibilité de quitter la société en même temps et aux mêmes conditions de
prix que les majoritaires. En d’autres termes, ils bénéficient de la valeur liée à la prime de
contrôle.

La clause de sortie conjointe représente l’avantage d’être pensée en plusieurs variantes.


Ainsi, il y a la clause de sortie conjointe proportionnelle qui permet au minoritaire de céder à
l’actionnaire entrant la même proportion de titre que le majoritaire, ou encore la clause de
sortie conjointe totale, par laquelle le minoritaire cède à l’actionnaire entrant la totalité de ses
titres, en cas de cession partielle par le majoritaire933.

Pour la clause de buy or sell qui signifie acheter ou vender, elle permet aux actionnaires
signataires de la convention ou à certains d’entre eux, de proposer leur titres à la vente aux
autres membres, pour un prix déterminé. Si c’est derniers refusent d’acheter les titres objet de
l’offre, ils sont alors obliger de vendre leur propre titres au même prix 934. Cette clause veut
dire littéralement « ou je vends et vous achetez, sinon je vous achète, (ou l’inverse) »935.

932
Michel GERMAIN, op. cit., p. 399.
933
Pascal JULIEN SAINT-AMAND et Paul-André SOREAU, op. cit., p. 77.
934
Jacques MESTRE et Jean-Christophe RODA, Les principales clauses des contrats d’affaires, éd. L.G.D.J, Paris, 2011, p. 140.
935
France GUIRMAND et Alain HERAUX, Droit des sociétés, Manuel et applications, éd. DUNOD, 2009, p. 282.

248
Cette clause a un aspect brutal vu qu’elle génère la sortie d’un actionnaire ou un groupe
d’actionnaires du capital, raison pour laquelle elle doit être utilisée avec prudence 936. C’est
dans ce sens que la pratique a limité son utilisation par l’accomplissement de deux
conditions : Elle ne peut avoir lieu que dans des cas bien précis, comme la mésentente entre
les actionnaires, ou l’impossibilité de prendre une décision lorsqu’il y a partage égal des voix.
Aussi, il faut que le prix de cession ne soit pas uniquement proposé par l’offrant initial, mais
par un expert ou par une vente aux enchères937. Et puisqu’il s’agit d’une vente, le prix doit être
déterminé, ou objectivement déterminable938. En ce qui concerne la durée de cette clause, elle
doit bien évidement être déterminée dans le temps.

Au final, ces clauses qu’elles soient prévues par la loi ou issues de la pratiques permettent
d’assurer la stabilité du pouvoir en contrôlant les entrées et les sorties de la société et par
conséquent, favorisent la cohésion entre les actionnaires et la pérennité de la société.

B- Le régime des conventions restrictives de la cessibilité des actions :

Bien que ces clauses partagent le même but, à savoir limiter la libre cessibilité des
actions, la loi les distingue et ne leur impose pas les même conditions de validité.

C’est ainsi que la clause d’inaliénabilité oblige les actionnaires concernés à conserver
leurs actions pendant une durée limitée 939. En d’autres termes, cette clause interdit la cession
d’actions sur lesquelles elle porte 940. L’objectif de cette clause est d’assurer la stabilité du
capital. Toutefois, cette clause affecte un principe fondamental de la société anonyme qui est
la libre négociabilité des actions.

Afin de valider cette clause, le législateur a apporté une restriction relative à sa durée de
conclusion en disposant que « des conventions entre actionnaires ou entre actionnaires et des
tiers peuvent porter sur les conditions de cession des droits sociaux et stipuler notamment que
cette cession ne pourra avoir lieu qu’après un certain délai… ». De ce fait, pour être licite,
cette clause doit être temporaire et justifiée par l’intérêt social. En effet, il est illégal
d’interdire totalement la cession des actions dans une société anonyme. Une clause ayant un
tel objet sera frappée de nullité absolue.

936
Jacques MESTRE et Jean-Christophe RODA, op. cit., p.140.
937
France GUIRMAND et Alain HERAUX, op. cit., p. 282.
938
V. Art. 486 du D.O.C.
939
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 332.
940
Véronique MAGNIER et Michel GERMAIN, op. cit., p. 494.

249
En plus d’être conclue pour une durée limitée dans le temps, elle doit être conforme à
l’intérêt social, et ce pendant toute la période de sa conclusion. En effet, il peut s’avérer que
cette clause soit caduque suite à l’évolution dans le fonctionnement de la société. En général,
la conformité avec l’intérêt social n’est vérifiée qu’après la cession des actions, notamment
lorsque le conseil d’administration refuse de confirmer la cession.

En ce qui concerne la clause d’agrément, hormis sa conformité avec l’intérêt social, son
exécution doit être conforme aux exigences prévues dans l’article 275 de la loi 17-95,
notamment en ce qui concerne le délai de réponse de la société et le prix de cession des
actions. Aussi, elle ne peut être stipulée en cas de succession ou cession à l’égard d’un
ascendant, à un descendant, à un parent ou allié jusqu’au 2e degré941.

Toutefois, l’insertion de cette clause dans les statuts d’une société anonyme dont les titres
sont inscrits à la cote de la bourse des valeurs est interdite, au risque d’être frappée de
nullité942. Cette interdiction se justifie par le caractère ouvert de ce type de société qui n’admet
pas que les opérations boursières soient entravées. Aussi, la clause d’agrément ne peut
valablement être stipulée que si les actions revêtent exclusivement la forme nominative 943.

Pour la clause de préemption, il convient de respecter la détermination du prix de cession


qui doit refléter le prix offert par un tiers de bonne foi ou qui sera fixé selon les conditions
prévues dans les statuts944 ou la convention extrastatutaire.

L’inobservation d’une clause extrastatutaire limitative de la cession des titres sera


sanctionnée par l’octroi de dommages et intérêts à l’actionnaire victime de cette inexécution,
et ce conformément au droit commun. En effet, les clauses de préemption ou d’agrément
s’assimilent à une promesse de cession. L’obligation du promettant n’est qu’une obligation de
faire. Par contre, seul l’existence d’un contrat de vente définitif qui peut donner lieu à une
réalisation forcée. Toutefois, la cession peut être annulée si l’actionnaire victime de
l’inexécution de la clause prouve la collusion frauduleuse des parties à la cession, à savoir, le
cédant qui n’a pas respecté ses engagements, et le tiers-cessionnaire 945. En d’autres termes,
l’actionnaire victime doit démontrer non seulement que le tiers à la convention avait
connaissance de l’existence d’une telle clause, mais qu’il savait que l’actionnaire victime

941
Art. 253 de la loi 20-05 complétant et modifiant la loi 17-95
942
Art. 255, ibid.
943
Art. 253, dernier alinéa de la loi 17-95.
944
Art. 257, al. 1, ibid.
945
Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, op. cit., p. 23.

250
avait l’intention d’en bénéficier946. Or, il est quasi impossible d’apporter une telle preuve 947 vu
que les conventions extrastatutaires ne sont pas soumises à la publicité lorsqu’elles concernent
les SA fermées, et même si elles sont publiées ou que la clause est insérée dans les statuts, les
opérations de cessions des titres sont conclues dans la plus grande discrétion.

Aussi, le tiers acquéreur ne peut être sanctionné pour inexécution de la convention vu


qu’il n’est pas partie à la convention. Toutefois, la Cour d’appel de Versailles 948 avait
sanctionné le tiers à la convention, auteur d’une prise de contrôle d’une SA, à payer des
dommages et intérêts à la société victime du non-respect de la convention, au motif qu’il avait
incité les actionnaires, de manière déloyale, à violer la convention dont l’objet avait pour
objet d’empêcher la réalisation de l’opération, en leur promettant une indemnisation en cas de
litige.

Néanmoins, lorsque cette clause est prévue dans les statuts, sa contravention est
inopposable à la société.

Sous-section 2 : Le recours aux règles du gouvernement d’entreprise

Il sera question d’étudier l’apport des règles du gouvernement d’entreprise quant au


fonctionnement de la société anonyme (paragraphe 1) et leur influence sur le droit des
sociétés anonymes marocain (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’apport des règles du gouvernement d’entreprise

Les règles du gouvernement d’entreprise ne sont pas le fruit du hasard (A). Elles ont été
pensées pour faire face à plusieurs lacunes dont les principaux bénéficiaires sont les
actionnaires, à travers notamment le rééquilibrage des pouvoirs entre les dirigeants et les
actionnaires (B).

A- L’avènement du gouvernement d’entreprise :

Autrefois, la société de famille appartenait et était dirigée par la même personne. Même
en faisant appel public à l’épargne, le chef d’entreprise restait le principal actionnaire. En
effet, les entreprises étaient caractérisées par la propriété familiale du capital et le dirigeant

946
Cass. com. 7 jan. 2004, n° 15 F-D, sté OPE Intermarché c/ Malinge, in RJDA 7/04 n° 840, cite par ibid.
947
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Du contrat en …, op. cit., p. 306.
948
CA. Versailles 29 juin 2000, 12e ch. 2e sect., Sté Halisol c/Sté Medix, in RJDA 1/01 n° 44, cité par Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, op. cit., p. 24.

251
faisait généralement partie de la famille. La séparation entre la propriété du capital et la
direction de l’entreprise était rare.

Toutefois, le changement du cadre industriel et économique a donné lieu à plusieurs


modifications dans la gestion des entreprises. Ainsi, l’ouverture des capitaux des sociétés, a
conduit à une division entre le pouvoir et le capital. Les dirigeants se trouvent ainsi à la tête de
grandes entreprises, dans lesquelles ils n’ont qu’une légère fraction du capital949.

Actuellement, la situation à bien changé, le fondateur de la société n’est plus celui qui en
assure la direction. Désormais, « le capital est gérer par une autre personne que celle qui l’a
investi »950.

En effet, au fur et à mesure du développement d’une société de consommation et le


recours à des moyens de production de grande quantité, le besoin de nouveaux capitaux pour
le financement de cet accroissement s’est fait sentir. Dès lors, les sociétés de familles ont eu
recours à des partenaires extérieurs951.

Cette nouvelle situation de la société avait pour tendance à estimer que les dirigeants sont
plus compétents à gérer et diriger la société que les actionnaires. Ainsi, les actionnaires qui
étaient au début les seuls dépositaires de pouvoirs et assuraient par eux même la gestion de
leur société, ont transmis leur pouvoir de gestion aux dirigeants. Les actionnaires n’avaient
plus d’emprise sur la nomination des administrateurs, vu que les dirigeants choisissaient et
nommaient les administrateurs et ainsi leurs propres contrôleurs.

Face à cette situation, se pose la question de savoir si la décision prise par le dirigeant est-
elle bien étudiée et reflète l’intérêt social et celui de l’ensemble des actionnaires ou est ce
qu’elle a été proposée par un dirigeant qui se préoccupe de son intérêt personnel et ratifiée par
des administrateurs qui cherchent à faire plaisir au dirigeant952 ?

Afin de faire face aux pratiques autoritaires des dirigeants, un mouvement s’est développé
qui fait appel à des principes et recommandations appelés corporate governance qui
promeuvent la transparence au sein de la société, dont le but est d’instaurer un équilibre entre
les dirigeants et les actionnaires953.
949
Ilham MAMOUNI, Th. préc., p. 126.
950
Idem, p. 296.
951
9.‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫عز الدين بنستي‬.
952
Philippe MARINI, La gouvernance des sociétés cotées face à la crise. Pour une meilleure protection de l’intérêt social, Doit des affaires, L.G.D.J., Montchrestien, 2010, p.

104.
953
Ktari SABEUR, «Diriger sans responsabilité, vers l’instauration des règles de bonnes gouvernance dans les sociétés commerciales », in EJ., n° 16, 2009, p. 293.

252
Le premier pays à instaurer les règles de la corporate gouvernance est les Etats-Unis qui
se sont interrogés sur l’efficacité de la gestion des dirigeants 954, suite à de nombreux crashs
financiers. C’est ainsi qu’il y a eu la promulgation du Securities Act de 1933 et du Securities
Exchange Act de 1934. Il a été question pour le législateur de Washington d’éviter de
nouveaux crashs financiers provoquant la dépression955.

Ainsi, le principe de la transparence a été instauré en obligeant, à la fin des années


soixante, chaque société qui veut se faire cotée au New York Stock Echange de former
obligatoirement une commission de contrôle « Audit Comitee » au sein de son conseil
d’administration. Par la suite, il y a eu la production en 1994 des « Principles Of Corporate
Governance » par l’American Law Institute et l’American Bar Association. En 2002, le
Congrès a édicté la loi Sarbanes-Oxley Act, qui tend à protéger les investisseurs et qui a
adopté les objectifs de gouvernement d’entreprise 956, notamment les devoirs de diligence et de
loyauté que doivent respecter les dirigeants et la transparence de l’information.

Le Royaume Uni s’est également intéressé au gouvernement d’entreprise, par la


publication en 1992 du rapport sur « les aspects financiers de la corporate governance » de
CADBURY. Ce rapport a permis de mettre en place un code de déontologie destiné
principalement aux sociétés anonymes cotées en bourse et qui a été consacré au rééquilibrage
des pouvoirs au sein de la société, en renforçant le rôle des actionnaires en matière du contrôle
des dirigeants.

En France, la promotion du gouvernement de l’entreprise a eu lieu suite à la publication


du rapport de VIENOT957 en juillet 1995 et son actualisation en 1999. La commission des
opérations de bourse a ainsi adhéré aux recommandations du rapport en imposant qu’une
information déterminée doit lui être fournie sur le fonctionnement du conseil
d’administration, dans les documents soumis à son visa.

Le législateur français n’est pas resté indifférents aux règles du gouvernement


d’entreprise. Il s’en est inspiré en mettant en place la loi du 15 mai 2001 relatives aux
nouvelles régulations économiques qui tendait à améliorer les procédures de contrôle dans la
SA. Toutefois, cette loi n’a pas pu imposer efficacement le contrôle des SA. d’où la mise en
954
Azzedine KETTANI, « La réforme marocaine … », op. cit., p. 68.
955
Peter BOCKLI, Claire HUGUENIN et François DESSEMONTET, le gouvernement d’entreprise, Rapport du groupe de travail en vue de la révision partielle du droit de la

société anonyme du 30 septembre 2003, LITEC, Lausane 2004, p. 15.


956
Idem, p. 18.
957
Le Conseil National du Patronat Français et l’Association Française des Entreprises Privées avaient chargé un comité de poursuivre les réflexions engagées outre-Manche,

cité par Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, op. cit., p. 230 .

253
place de la loi du 1er aout 2003 sur la sécurité financière qui a réaffirmé le contrôle dont doit
faire l’objet les SA tout en soulignant de l’importance du contrôle de celles faisant appel
public à l’épargne. Aussi, il y a eu l’ordonnance du 24 juin 2004 qui s’intéresse aux sociétés
par actions et au droit des valeurs mobilières, dont l’objectif est la simplification des
émissions de valeurs mobilières et l’unification des procédures applicables.

Suivant le flux des pays occidentaux ayant introduits les règles du gouvernement
d’entreprise, le Maroc s’est également inspiré de ces règles lors de l’élaboration de la loi 17-
95 relative aux sociétés anonymes telle qu’elle a été modifiée par la loi 20-05 958 et a introduit
des aspects de ce mode de gestion dans la loi n° 78-12 complant et modifiant la loi 17-95,
ainsi qu’à travers la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi 17-95.

De plus et à l’instar de plusieurs pays développés, un Code Marocain De Bonnes


Pratiques De Gouvernement d’Entreprise (CBPGE) 959 a été mis en place, ayant pour
aspiration d’introduire des améliorations dans l’administration de la société, sa structure et
son organisation, et ce afin de rendre la société anonyme plus compétitive et attractive.

B- Le gouvernement d’entreprise : outil de rééquilibrage entre actionnaires et


dirigeants :

La suprématie des fonctions de direction sur celles de contrôle, ainsi que la faiblesse des
contrôles internes exercés par les actionnaires et les commissaires aux comptes, sont autant de
facteurs générateurs de déséquilibre qui ont engendrés la mise en place de principes sur le
gouvernement d’entreprise dont l’objectif est de « réhabiliter l’actionnaire au sein de ce
système de pouvoirs et contre-pouvoirs, pour créer un nouvel équilibre »960.

Ces règles ont pour aspiration de rappeler aux dirigeants que s’ils sont désignés s’est pour
prendre en compte les intérêts des actionnaires et non pas pour servir leur propres intérêts et
qu’ils sont placés sous l’autorité des conseils d’administration ou de surveillance.

958
L’introduction d’une nouvelle forme de direction, la mise en place d’une procédure rigoureuse sur les conventions réglementées, le renforcement de la responsabilité des

commissaires aux comptes, la fixation d’un seuil de 5% du capital social pour l’exercice de certains droits, l’introduction du vote électronique, etc.
959
Ce code a été élaboré par la Commission Nationale de la Gouvernance d’Entreprise et lancé en mars 2008. Ce code a été complété par des annexes relatives aux petites et

moyennes entreprises et aux établissements publics (en décembre et avril 2008). En 21 mars 2012, un code Marocain De Bonnes Pratiques De Gouvernement Des entreprises et
Etablissements Publics a été mis en application par le gouvernement, dont les travaux de son élaboration ont été initiés par la Commission Nationale de la Gouvernance
d’Entreprise.
960
Philippe MARINI, La gouvernance des sociétés…, op. cit., p. 5.

254
C’est un concept qui traduit « le mode d’agencement des pouvoirs entre l’ensemble des
parties prenantes au devenir de l’entreprise »961, dont le but est d’assurer une protection des
intérêts des actionnaires contre les pouvoirs des dirigeants et de rééquilibrer leurs pouvoirs 962.
Il s’agit de « perfectionner l’organisation structurelle des sociétés commerciales, la
composition de leurs organes ainsi que l’exercice et le contrôle efficace de leur gestion »963.

Il s’agit de quatre comités, ou chacun à ses propres missions : un comité d’audit charger
de pallier à l’insuffisance des informations destinées aux actionnaires. Il vérifiera la clarté et
la sincérité des comptes et contrôlera la qualité de l’information financière 964. En plus, il y a le
comité d’éthique dont la mission est d’assurer la bonne image de la société. Le comité de
rémunération, chargé de fixer la rémunération des mandataires sociaux et les stocks options
des dirigeants. Enfin, le comité de sélection, chargé de choisir les mandataires sociaux 965.

Aussi, il est question de désigner des administrateurs indépendants au sein du conseil


d’administration ou de surveillance. Le rapport établi par Vienot a défini l’administrateur
indépendant par celui « qui n’entretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec la
société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de
jugement »966. La désignation de ce type d’administrateurs évitera la prise de décisions
animées par un conflit d’intérêts et favorisera la prise de décisions favorables pour les
actionnaires.

Tout compte fait, l’un des buts du gouvernement d’entreprise est d’assurer un équilibre
entre actionnaires et dirigeants, et ce par le renforcement du contrôle des premiers des
pouvoirs des derniers. Ce renforcement permettra ainsi de détecter assez rapidement les abus
qu’un dirigeant peut commettre ce qui conduira les actionnaires de prendre les mesures
nécessaires967.

Paragraphe 2 : L’influence du gouvernement d’entreprise sur le droit marocain des


sociétés anonymes

961
Ilham MAMOUNI, Th; préc., p. 130.
962
Peter BOCKLI, Claire HUGUENIN et François DESSEMONTET, op. cit., p.15.
963
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme …, op. cit., p. 24.
964
Alain COURET, « Le gouvernement d’entreprise, la corporate governance », in RD. Sirey, 22e cah. chr., 1995, p. 163, cité par idem, p. 132.
965
Ilham MAMOUNI, Th; préc., p. 132.
966
Vienot, Rapport du comité sur le gouvernement d’entreprise, 1999, p. 17, V. http://www.ecgi.org/codes/documents/vienot2_fr.pdf.
967
Ibid.

255
L’analyse faite des dispositions du Code Marocain De Bonnes Pratiques De
Gouvernement d’Entreprise (CBPGE), ainsi que celles de la loi 17-95 et de ses différents
amendements, permet d’en déduire deux conclusions : la première est que la prévention des
conflits d’intérêts prend une place centrale dans la gouvernance d’entreprise marocaine (A), la
deuxième est l’amélioration du fonctionnement et du contrôle de l’entreprise par
l’introduction de plusieurs mécanismes dans la législation relative aux SA (B).

A- La prévention contre les conflits d’intérêts potentiels :

Le Code Marocain De Bonnes Pratiques De Gouvernement D’entreprise traite de la


relation qu’entretiennent les organes de gestion avec les intérêts des actionnaires et des autres
parties prenantes, tout en mettant en place une procédure de contrôle afin de gérer les conflits
d’intérêts éventuels.

Parmi les objectifs assignés à l’organe de gouvernance d’entreprise, il y a celui de


« surveiller et gérer les conflits d’intérêts pouvant survenir entre la direction, les membres de
l’organe de gouvernance et les actionnaires ou associés, y compris les abus de biens sociaux,
ou les abus commis dans le cadre des conventions réglementées »968.

Le code prévoit dans ce sens, que le conseil de surveillance est tenu de « s’assurer de la
capacité des organes de gestion à mettre en œuvre des systèmes de contrôle efficace pour
gérer les conflits d’intérêts et les risques éventuels et prévenir les abus de pouvoirs de nature
à faire prévaloir les intérêts particuliers sur l’intérêt social »969.

A cet égard, l’organe de surveillance doit être informé de tout conflit potentiel avec
l’entreprise, et dans le cas où l’un des membres de l’organe de gouvernance se trouve
impliquer dans un conflit d’intérêts direct ou indirect, il doit s’abstenir de participer aux
délibérations et aux prises de décisions en relation avec le sujet en question970.

Le code aborde également le traitement de conflit d’intérêts touchant une partie prenante,
en précisant que l’entreprise doit veiller « à adopter une position juste qui assure un
traitement équitable de toutes les parties prenantes »971. Il est question de « mettre en place

968
CBPGE, p. 11.
969
Idem, p. 7.
970
Idem, p. 13.
971
Idem, p. 37.

256
des mécanismes susceptibles de sensibiliser les dirigeants aux intérêts de tous les partenaires
de la société »972.

Il s’agit de favoriser les pratiques du gouvernement d’entreprise dans la gestion de la


société, afin d’assurer un traitement préventif contre les conflits d’intérêts pouvant conduire à
des abus. C’est dans ce sens que le code propose d’introduire une charte et un règlement
interne destiné aux membres de l’organe de gouvernance afin d’améliorer le contrôle des
agissements de cet organe.

B- L’amélioration du fonctionnement et du contrôle de l’entreprise :

En plus de la prévention contre les conflits d’intérêts potentiels, le code marocain de


bonne gouvernance, ainsi que la réglementation des SA veille au renforcement de l’image de
l’entreprise, afin d’attirer plus d’investisseurs et ce, par l’introduction de nouveaux
mécanismes aptes à améliorer le fonctionnement des membres de gouvernance, et de soutenir
les droits des actionnaires973.

- La formation de comités spécialisés : Le code fait de la constitution de comités


spécialisés un mécanisme essentiel afin d’assurer une gestion efficace de l’entreprise,
spécialement pour les entreprises faisant appel public à l’épargne.

Cette recommandation vient d’ailleurs consolider les dispositions de l’article 51 974 de la


loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes qui permet au conseil d’administration de constituer
des comités techniques chargés d’étudier des questions qu’il leur soumet.

Le code recommande à cet effet, la création de deux comités au moins, soit un comité
chargé de l’audit et un autre chargé des rémunérations et des nominations.

Conscient du rôle important du comité d’audit dans l’instauration de la transparence, la


nouvelle loi 78-12 ayant modifié et complété la loi 17-95 a exigé à ce que les sociétés cotées
en bourse mettent en place un comité d’audit placé sous le contrôle du conseil
d’administration ou de surveillance et dont la mission est d’assurer le suivi et le contrôle des
questions et informations comptables et financières975.
972
Yves DE CORDT, L’intérêt social comme…, op. cit., p. 24.
973
Azzedine KETTANI, « La réforme marocaine…», op. cit., p. 72.
974
Cet article dispose que : « Le conseil d’administration peut constituer en son sein, et avec le concours, s'il l’estime nécessaire, de tiers, actionnaires ou non, des comités

techniques chargés d’étudier les questions qu'il leur soumet pour avis. Il est rendu compte aux séances du conseil de l’activité de ces comités et des avis ou recommandations
formulés. Le conseil fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leurs activités sous sa responsabilité. Toutes les personnes participant aux réunions desdits
comités sont tenues à l’obligation de discrétion prévue au dernier alinéa de l’article 50 ».
975
Art. 106 bis de la loi n° 78-12.

257
En ce qui concerne le comité des rémunérations et nominations, il veille à ce que les
rémunérations reflètent la performance réelle des mandataires sociaux de sorte à éviter les
rémunérations excessives. Il est tenu de « rassembler des éléments d’informations sur les
pratiques d’entreprises d’activités et de taille comparables car, il faut savoir conserver le
personnel compétent et éviter qu’il ne soit incité à aller ailleurs »976.

Ces comités d’audit et de rémunération, ne disposent bien sûr d’aucun pouvoir de


décision977. Ils n’ont qu’un pouvoir consultatif et se contentent d’assurer un rôle d’étude et de
préparation de délibérations et ne sauraient empiéter sur les attributions légales du conseil 978.

-La mise en place des administrateurs indépendants : Le code de gouvernance marocain


veille à la mise en place d’administrateurs indépendants dans les comités spéciaux, en raison
de leur importance quant à la garantie de l’honnêteté et l’objectivité dans le processus de
gestion de l’entreprise et le définit par le « membre indépendant qui n’a aucun lien d’intérêt
avec la société (mis à part son poste d’administrateur ou de membre du conseil de
surveillance) »979.

Pour assurer cette indépendance, le législateur marocain a déjà prévu que les
administrateurs qui ne sont ni président, ni directeur général, ni salarié exerçant des fonctions
de direction doivent être plus nombreux que les administrateurs ayant l’une de ces qualités 980.
Ces administrateurs non dirigeants ont pour mission le contrôle de la gestion et du suivi de
l’audit interne et externe de l’entreprise 981. Le législateur admet de ce fait, la constitution de
comités chargés des investissements et des traitements et rémunérations982.

Aussi, dans la nouvelle loi 78-12, le législateur exige à ce que les membres du comité
d’audit des SA faisant appel public à l’épargne soient indépendants au regard des critères
précisés et publiés par le conseil d’administration ou de surveillance983.

De même, la loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi 17-95 sur les SA a introduit, dans
l’article 67984, les administrateurs non exécutifs et indépendants comme membres des conseils

976
Philippe MARINI, La gouvernance des sociétés…, op. cit., p. 108.
977
Ibid.
978
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 231.
979
Voir le glossaire du CBPGE, p. 43.
980
Art. 67, al. 4 de la loi n° 17-95.
981
Art. 76, ibid.
982
Ibid.
983
Art. 106 bis de la loi n° 78 -12.

258
d’administration et de surveillance, en faisant de leur nomination une obligation pour les
sociétés faisant appel public à l’épargne.

Cet administrateur aura pour rôle d’examiner et de surveiller les décisions des membres
du conseil. Le critère d’indépendance doit accompagner l’administrateur aussi longtemps
qu’il exerce son mandat985.

-La séparation des fonctions de la gestion et du contrôle : Le code favorise l’adoption de


la structure duale par les entreprises et de dissocier les fonctions du Président du conseil PDG
qui échappe au contrôle, puisque une seule personne est juge et partie, en assurant la gestion
des affaires sociales et en présidant l’organe chargé de contrôler cette gestion. Le législateur,
conscient de l’importance de cette séparation l’a adopté dans la loi n° 20-05, modifiant et
complétant la loi 17-95 sur les sociétés anonymes 986. Cette séparation permettra ainsi au
conseil de faire un suivi sur la performance des dirigeants et prévenir ainsi les conflits
d’intérêts.

-Renforcement de l’information et l’exercice du vote à l’assemblée générale : En raison


de son rôle important dans le processus de prise de décision, il est question de revitaliser
l’assemblée générale et de faciliter aux actionnaires l’exercice de leurs droits.

C’est ainsi, qu’il est conseillé à ce que l’entreprise adopte une politique qui encourage la
participation et le vote des actionnaires dans les assemblées générales, et ce en mettant à leur
disposition l’ensemble des informations et documents relatives à la tenue de ces assemblées,
aux procédures de vote et toutes autres informations susceptibles de les inciter à y prendre
part et de voter en toute connaissance de cause987.

C’est dans ce sens qu’il est recommandé à ce que l’entreprise prévoit dans les statuts le
droit de participer aux assemblées générales sans fixer le nombre minimum d’actions, qui ne
s’accommode pas avec les dispositions de l’article 127 de la loi 17-95 sur les sociétés
anonymes.

984
Cet article a définit l’administrateur indépendant par « toute personne physique qui ne détient pas, par dérogation aux dispositions de l’article 44 de la présente loi, d’actions

de la société auprès de laquelle elle siège et n’a pas d’intérêt dans la performance financière de la société, sa direction ou des personnes en relation avec la société. Il est rémunéré
pour sa présence ».
985
Xavier DIEUX et Didier WILLERMAIN, Corporate Gouvernance, la loi du 2 aout 2002, éd. Larcier, Bruxelles 2004, p. 80.
986
V. art. 67 .
987
Ktari SABEUR, op. cit., p. 294.

259
Dans cette même optique, le législateur, à travers la loi 78-12 a exigé à ce que les sociétés
cotées en bourse mettent en place un site internet 988 sur lequel elles sont tenues de procéder à
la publication d’informations et de documents relatifs à la tenue de l’assemblée générale 989.
En plus de la dématérialisation du dépôt des différents documents liés aux AG, le but étant à
ce que ce type de société assure pleinement son obligation d’information envers leurs
actionnaires.

De plus, il est recommandé à ce que l’entreprise met à la disposition des actionnaires des
moyens qui vont leur faciliter le processus de vote, d’où l’exigence du législateur de mettre en
place, par le conseil d’administration ou de directoire, la publication d’une description des
procédures à suivre pour participer au vote, destinées aux actionnaires des sociétés faisant
appel public à l’épargne, notamment les modalités qui vont leur faciliter l’accès au vote par
procuration et par correspondance990.

Afin d’assurer plus de visibilité et de transparence quant aux résolutions votées aux
assemblées générales, le législateur991 exige à ce que le procès-verbal sanctionnant ces
assemblées mentionne toutes les informations sur le déroulement du vote de la résolution,
notamment le nombre de votes exprimés pour et contre chaque résolution.

-La politique de dividende : L’intérêt que l’actionnaire à dans la société est d’avoir sa part
du bénéfice social. C’est un intérêt qui est communément partagé par les actionnaires. C’est
dans ce sens que le code recommande à ce que l’entreprise informe à l’avance la date exacte
de la distribution des dividendes, et ce au moment de son approbation par l’assemblée
générale. Toutefois, cette distribution ne doit pas être faite sans prendre en compte le
développement durable et sain de l’entreprise. Le code favorise ainsi le développement à long
terme de la société, sans négliger la satisfaction des intérêts des actionnaires. Il est question de
concilier entre les deux intérêts : l’intérêt de la société qui aspire pour une continuité à long
terme, et la communauté d’intérêts des actionnaires qui favorise le partage du bénéfice réalisé.

Au final, il s’avère que le code marocain de bonne gouvernance souligne de l’importance


d’introduire dans la gestion de l’entreprise des mécanismes qui visent à corriger la position
exorbitante des dirigeants, en accordant aux actionnaires plus d’opportunité à exercer leur
droit de la meilleure façon possible.
988
Art. 155 bis de la loi n° 78-12.
989
Art. 121 bis, ibid.
990
Art. 121, ibid.
991
Art. 136, ibid.

260
Certes, ces règles ne sont que des lignes de conduites et des comportements souhaitables
qui ne peuvent se substituer à la loi, mais rien n’interdit à ce que les actionnaires s’y inspirent
et les entérinent dans les statuts et compléter ainsi les dispositions légales. D’ailleurs, le
législateur marocain s’en est inspirait pour introduire plusieurs dispositions dans la loi
régissant les sociétés anonymes, dont le but est de renforcer la bonne gouvernance de ce type
de sociétés.

Chapitre 2 : Mécanismes de résolution des conflits d’intérêts

L’actionnaire fait partie de la société et ne peut en être écarté 992 que dans des cas prévus
par la loi993. Toutefois, lorsqu’il n’y a plus d’entente entre les actionnaires et que le sort de la
société risque d’en pâtir, l’écartement de l’actionnaire est à envisager.

Le droit des sociétés anonymes à certes, prévu des remèdes pour échapper à la crise :
liquider la société ou encore la scinder. Mais, ce sont des solutions violentes qui affectent
définitivement l’existence de la société. Par contre, deux mécanismes plus souples peuvent
être appliqués et qui représentent une garantie du maintien de la société en vie et assurent la
protection de l’intérêt social. Il s’agit du retrait (section-1) et de l’exclusion (section-2) de
l’actionnaire.

Section 1 : Le droit de retrait, garantie de la cohésion des actionnaires

Le législateur ne reconnait le droit de retrait à l’actionnaire que lorsqu’il s’agit de la


transformation de la forme juridique de la SA994. Il permet ainsi à l’actionnaire de se retirer
facilement de la société, lorsque la nouvelle forme sociale ne l’arrange plus.

Toutefois, le droit de retrait peut être transposé dans le cas de conflit d’intérêts des
actionnaires et constituer de ce fait, une excellente alternative pour vider le conflit. L’analyse
du fondement sur lequel ce droit peut être appliqué (Sous-section-1) ainsi que les modalités
de son exercice retiendront notre attention (Sous-section-2).

Sous-section 1 : Le fondement du droit de retrait

992
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 353.
993
Notamment, l’art. 1060 du D.O.C. qui permet l’exclusion de l’associé demandeur de la dissolution de la société.
994
Art. 221 de la loi n° 17-95. En effet, la transformation de la forme de la société peut avoir des changements considérables sur les actionnaires : la transformation en société en

commandite par actions entraine la neutralisation du droit de vote des actionnaires et si les actions sont cotées en bourse, une dévaluation de leur valeur vue qu’elles deviennent
dépourvues du pouvoir de contrôle. La transformation en SARL ou en SCS entraine le transfert des parts sociales et si les actions sont cotées en bourse, leur radiation. La
transformation en SNC, augmente les engagements des actionnaires en étendant leur responsabilité à leur patrimoine personnel. L’impact que peut avoir la transformation de la
forme de la société sur les engagements des actionnaires explique l’importance de l’accord de tous les actionnaires.

261
L’analyse du retrait de l’actionnaire se fera à partir de l’examen de l’acception de ce droit
au sein de la société anonyme (paragraphe 1), avant d’étudier ses potentialités en cas de
conflit d’intérêts (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Acception du droit de retrait

Le droit de retrait n’existe dans la société anonyme fermée 995, que dans des cas bien
précis. En général, il n’est que le résultat de la négociabilité des actions 996. Ce n’est pas un
droit individuel dont dispose l’actionnaire. Il a été autonomisé suite à « un mouvement
général de subjectivisation de certains droits qui tend à construire une identité individuelle
contre la collectivité »997. Il est question d’accorder à l’actionnaire « un nouveau moyen de
protection de ses intérêts en lui permettant de liquider au mieux son investissement premier
au sein de la société »998.

Le droit de retrait est défini comme : « la faculté reconnue à un associé de quitter la


société, en obtenant que celle-ci ou ses coassociés lui remboursent la valeur de ses droits
sociaux »999. Il permet à l’actionnaire de sortir facilement de la société, sans avoir à chercher
un acquéreur.

Selon le Professeur SHMIDT, le droit de retrait « permet à un associé d’obtenir, tantôt le


remboursement par la société de la valeur de ses droits sociaux, tantôt l’achat par les
majoritaires de ses actions, tantôt enfin la cession ou le remboursement. L’exercice de ce
droit est parfois discrétionnaire, parfois subordonné à la réalisation des conditions prévues
par les statuts de la société, ou à la démonstration de justes motifs »1000.

L’actionnaire retrayant dispose ainsi de deux options, soit c’est la société qui lui rachète
ses titres, soit se sont ses coactionnaires qui le font. La première option peut constituer une
charge financière pour la société, surtout lorsque la part dans le capital social du retrayant est
importante, ce qui heurte « l’exigence de l’intangibilité du capital social »1001, dans la mesure
où ce dernier représente la garantie des créanciers de la société, ce qui rend ainsi impossible la
présence d’une clause prévoyant le retrait au profit de la société dans les statuts. De plus, la

995
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, op. cit., p. 147 ; Dans la SA ouverte, les actionnaires peuvent facilement sortir de la société.
996
Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 395.
997
Emmanuel GEORGES, Essai de généralisation d’un droit de retrait dans la société anonyme, LGDJ, Paris, 2006, p. 89.
998
Ibid.
999
Yves GUYON, Traité des contrats…, op. cité, p. 454.
1000
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., pp. 376-377.
1001
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 91.

262
société ne peut être propriétaire de ses propres titres1002. Pour la deuxième option, les
coactionnaires du retrayant peuvent subir une lourde charge financière qui peut les inciter à
refuser le rachat. En effet, l’imposition du droit de retrait à certains actionnaires ne doit pas
être faite sans tenir en compte leur situation. Le rachat des actions par les autres actionnaires
ne doit pas être pénible pour eux de sorte à affecter la situation financière de la société.

Ces contraintes qu’accompagnent le droit de retrait ne le rendent pas pour autant


inapplicable. Il constitue un excellent moyen de dissiper le conflit qui peut naitre entre les
actionnaires, en ouvrant la voie aux minoritaires pour sortir de la société et en obligeant les
majoritaires à leur racheter leurs actions1003.

Paragraphe 2 : Potentialités du droit de retrait lors des conflits d’intérêts

Dans le cas de conflit d’intérêts, le droit de retrait a pour source la violation de l’intérêt
commun des actionnaires : « Les majoritaires poursuivent leur intérêt personnel au mépris de
l’intérêt des actionnaires, leur obligation d’acquérir les titres minoritaires constitue la
1004
sanction appropriée de leur comportement fautif ». Ainsi, ce droit permet à tout
actionnaire qui s’estime léser par le comportement abusif des autres actionnaires de demander
de sortir de la société, et obliger par conséquent, ses coactionnaires à lui acheter ses titres.
L’actionnaire lésé se désintéresse de sa participation dans la société.

Ce droit constitue ainsi la meilleure sanction possible lorsqu’il y a un conflit d’intérêts


entres les actionnaires. Il favorise le maintien en vie de la société, en conciliant entre la
protection de l’intérêt de l’entreprise et la protection des intérêts des actionnaires.

En effet, le droit de retrait favorise le fonctionnement homogène de la société en ouvrant


aux minoritaires la possibilité de sortir de la société rapidement, contrairement aux autres
mesures mises à leur disposition, comme l’abus de majorité, l’abus de biens sociaux ou la
dissolution de la société pour mésentente.
1002
La société a la possibilité d’acquérir ses propres titres à condition de faire le rachat en cas de réduction du capital non motivée par les pertes, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il

s’agit du retrait d’un actionnaire : la réduction du capital est la conséquence du rachat, ce n’est pas l’objectif qui a été recherché, alors que la procédure de la réduction du capital
non motivé par les pertes représente l’objectif souhaité par la société et elle le réalise à travers le rachat de ses titres. Il s’agit de deux procédures distinctes : La première dépend
de la volonté du retrayant, tandis que la deuxième est soumise à la décision de l’assemblée générale extraordinaire.
1003
Marie Anne FRISON-ROCHE, « L’hypothèse d’un droit général de retrait des minoritaires », in JCP 4/1996, E, II, suppl. CDE, p. 21, cité par Monique A. MOUTHIEU,

op. cit., p. 355.


1004
Dominique SCHMIDT, Les conflits d’intérêts…, op. cit., p. 370.

263
Les minoritaires ne doivent pas toutefois, exercés ce droit aux dépends des majoritaires et
être source de chantage. Même s’il est question d’assurer l’intérêt de l’entreprise, ce droit ne
doit pas négliger les intérêts catégoriels. L’application raisonnable de ce droit dispensera les
majoritaires d’une menace continue sur la gestion de la société, ce qui ne fera qu’améliorer le
fonctionnement de la société.

Néanmoins, le droit de retrait n’est pas d’une grande utilité dans les sociétés anonymes
cotées, dans la mesure où les minoritaires peuvent facilement sortir de la société et céder leur
titre. Par contre, ce droit est pleinement utile dans les sociétés fermées, ou l’absence de
marché permettant aux minoritaires de sortir librement de la société peut les bloquer et altérer
la relation entre les actionnaires. C’est dans ce sens, qu’il convient d’encadrer ce droit par le
législateur, dans ce type de sociétés, afin que les minoritaires puissent sortir aisément de la
société lorsque les majoritaires leur portent préjudice.

Sous-section 2 : L’exercice du droit de retrait en cas de conflit d’intérêts

La réalisation du retrait au sein de la société anonyme se décompose en deux matières :


les conditions d’exercice (paragraphe 1) et la détermination du prix de la cession
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions d’exercice du droit de retrait

En ce qui concerne l’exercice du droit de retrait, le professeur SCHMIDT estime qu’il


doit être subordonné au non-respect par les majoritaires de l’intérêt commun des actionnaires.
Cette violation de l’intérêt commun par les majoritaires serait caractérisée une fois que les
majoritaires auraient cherchés à satisfaire un intérêt différent de celui des actionnaires 1005.
C’est le cas notamment des majoritaires qui concluent un contrat avec la société sans
respecter la procédure en vigueur, et ce afin de satisfaire leur intérêt personnel.

Obliger les majoritaires à acquérir les actions des minoritaires est une sanction adéquate à
leur violation de l’intérêt commun des actionnaires. C’est une sanction qui reste efficiente par
rapport à l’annulation de la résolution litigieuse en cas d’abus de majorité ou à l’allocation de
dommages-intérêts. Le droit de retrait permet ainsi de restaurer la situation qu’a généré le
1005
Idem, p. 375.

264
conflit d’intérêts des majoritaires. Au lieu de demander la dissolution, les actionnaires qui
s’estiment lésés pourront se retirer de la société, ce qui permettra la survie de cette dernière.

Le droit de retrait joue ainsi le rôle d’un épouvantail contre les majoritaires qui seraient
tentés d’abuser de leur pouvoir et être à l’origine d’un abus de biens sociaux, d’un abus de
majorité, ou encore de la conclusion de conventions avec la société sans prendre en
considération les intérêts de celle-ci.

Dès que la violation de l’intérêt commun est établie, le juge pourra « apprécier
l’existence, puis la gravité ou la répétition de cette contravention et, le cas échéant,
d’accueillir la demande de retrait. Le droit de retrait n’a pas un caractère automatique. Son
existence dépend soit de l’accord des actionnaires, soit de l’appréciation portée par le juge
sur le comportement fautif du groupe majoritaire »1006. Ainsi, le retrait se fait sur décision de
justice, après évaluation des justes motifs.

Pour le Professeur SHMIDT, le minoritaire n’a pas à prouver qu’il a subi un préjudice
personnel ou social, il suffit qu’il y ait une rupture du pacte social pour que le minoritaire
puisse sanctionner les majoritaires et se retirer de la société 1007. En revanche, ces conditions
d’exercice ouvriront la porte aux minoritaires de soulever ce droit à chaque fois qu’ils ne sont
pas d’accord avec une décision sociale, ce qui risque d’asphyxier les majoritaires. C’est ainsi
qu’un auteur plaide à ce qu’un juste motif soit soulever par les minoritaires demandeurs du
retrait ou encore son absence pour les majoritaires qui souhaitent écarter ce droit, afin que
leurs demandes soient justifiées1008.

Dans l’absence de définition donnée par le législateur aux justes motifs, c’est au juge de
les apprécier. Toutefois, les justes motifs seront retenus lorsque la mésentente est si grave
qu’elle empêche toute coopération entre les actionnaires et entrave le fonctionnement correct
de la société. L’actionnaire retrayant ne pourra, à cet égard, imposer son retrait par simple
fantaisie.

Pour le minoritaire, la justification du juste motif est facile à établir. Il s’agit de prouver la
rupture de la communauté d’intérêts des actionnaires par les majoritaires, qui peut avoir
comme résultat, la dissolution de la société. Justement, le Professeur FRISON-ROCHE estime
qu’il convient d’emprunter les dispositions relatives à la dissolution pour appliquer les justes

1006
Ibid.
1007
Ibid.
1008
Marie Anne FRISON-ROCHE, op. cit., p. 23.

265
motifs pour l’exercice du retrait, vu que les deux mécanismes traitent les mêmes causent 1009.
Pour les majoritaires, ils peuvent écarter la demande de retrait du minoritaire lorsque ce
dernier est à l’origine du comportement abusif.

Le Professeur FRISON-ROCHE propose ainsi de se baser sur l’article 1884-7 et de


soumettre le droit de retrait à l’existence d’un juste motif, qui résulte de l’inexécution par
l’actionnaire de ses obligations, ou une mésentente entre les actionnaires paralysant le
fonctionnement normal de la société.

Ce raisonnement est facilement applicable au droit marocain de la société anonyme, vu


que l’article 1056 du D.O.C prévoit également les justes motifs en disposant que : « tout
associé peut poursuivre la dissolution de la société, même avant le terme établit, s’il y a de
justes motifs, tels que des mésintelligences graves survenues entre les associés, le
manquement d’un ou plusieurs d’entre eux aux obligations résultant du contrat,
l’impossibilité ou ils se trouvent de les accomplir ».

Ainsi, le minoritaire pourra demander le retrait, lorsque le majoritaire a pris une décision
qui rompe le pacte sociale « qu’il s’agisse d’une modification objective des statuts ou d’une
faute dans leur application »1010. Néanmoins, au cas où c’est le minoritaire qui est à l’origine
de la rupture du pacte sociale « il faudrait alors transposer la jurisprudence qui refuse avec
constance la dissolution lorsqu’un associé entend se prévaloir d’une cause de dissolution
qu’il a lui-même créée en provoquant le trouble social. Il n’est d’ailleurs pas exclu que
l’usage du droit de retrait dans de telles conditions puisse constituer un abus de
minorité »1011.

Paragraphe 2 : Le prix de rachat des actions

L’exercice du droit de retrait doit prendre en considération la détermination du prix de


rachat des actions. A la base, le prix doit être fixé conjointement par les actionnaires
minoritaires et majoritaires. Cet accord est possible car il est fréquent que l’intention du
minoritaire de sortir de la société se concorde avec l’intention du majoritaire de le faire sortir.
En effet, il est courant « que le souci de sortir qui anime le minoritaire corresponde à la
volonté du majoritaire de l’exclure »1012. A défaut d’accord, le juge interviendra en application

1009
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 356.
1010
Ibid.
1011
Marie Anne FRISON-ROCHE, op. cit., p. 23.
1012
Idem, p. 24.

266
de l’article 1843-4 en ordonnant la cession en fonction du prix désigné par un expert choisi
par un commun accord des parties et en cas de désaccord entre elles, la cession sera ordonnée
par le Président de la juridiction compétente, suite à la demande de la partie la plus
diligente1013.

Contrairement à son homologue français, le législateur marocain n’a pas prévu, dans le
D.O.C. l’intervention du juge pour la fixation du prix de la cession des parts sociales.
Toutefois, le législateur a repris les dispositions de l’article 1843-4 du code civil français dans
la loi 17-95 sur les sociétés anonymes, lorsqu’il s’agit du retrait des actionnaires en cas de
transformation de la SA en une autre forme juridique1014.

En conclusion, il convient de préciser que le droit de retrait concilie entre la protection du


fonctionnement de la société, par la sanction du comportement abusif des majoritaires, et la
protection des actionnaires minoritaires. Il permet de mettre fin aux conflits d’intérêts et de
prévenir la société contre la dissolution.

Néanmoins, il ne peut jouer pleinement son rôle que s’il est bien encadré par notre
législateur, ce qui n’est pas le cas, vu que malheureusement, ce droit n’est prévu qu’en cas de
modification de la forme de la SA, tout en écartant le cas d’abus de majorité. Dès lors, il serait
plus judicieux pour le législateur d’introduire ce droit dans le dispositif juridique de la société
anonyme, afin d’inciter les majoritaires à respecter l’intérêt de l’ensemble des actionnaires.
L’introduction du retrait favorisera ainsi, l’harmonie entre les actionnaires et garantira
l’avenir de la société.

Dans cette attente, les actionnaires peuvent toujours conclure une convention
extrastatutaire par laquelle ils introduisent une clause de retrait au profit des minoritaires.
Cette clause sera conditionnée et ne pourra être soulevée par les minoritaires que dans des cas
précisés à l’avance. Ainsi, en cas de survenance de l’un des évènements prévus dans la
convention et qui se rapportent à des comportements défavorables aux intérêts des
minoritaires, ces derniers pourrons toujours se retirer de la société selon les conditions
préalablement fixées, notamment en ce qui concerne le prix de cession1015.

Section 2 : L’exclusion, garantie de survie de la société

1013
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 356.
1014
Art. 221 de la loi n° 17-95.
1015
Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, op. cit., pp. 82-83.

267
Les dissensions qui affectent les organes de la société anonyme peuvent être à l’origine de
sa paralysie et donner lieu à sa dissolution, et ce en application de l’article 1056 du D.O.C 1016.
Afin de contourner cette solution brutale, il est possible d’exclure l’actionnaire demandeur de
la dissolution de la société, et permettre ainsi la continuité de la société en évitant sa
disparition et ce à travers l’article 1060 du D.O.C1017 (sous-section 1).

Toutefois, élargir le champ de couverture de l’exclusion permettra d’assurer une


protection plus efficace à l’intérêt social(sous-section 2).

Sous-section 1 : L’exclusion de l’actionnaire demandeur de la dissolution de la


société

En cas de blocage du fonctionnement des organes sociaux suite à des mésententes graves
entre les actionnaires, le D.O.C. offre la dissolution de la société, comme solution, alors que la
loi sur les sociétés anonymes ne propose pas de solution concrète.

Cette solution ne soulève aucune critique lorsque la situation de la société est altérée,
mais elle peut être qualifiée d’excessive quant aux enjeux socio-économiques qu’elle génère
lorsque celle-ci est en bonne santé. En effet, il parait insensé de dissoudre une société qui est
économiquement viable, juste parce que ses actionnaires ne s’entendent pas ou suite aux
autres motifs invoqués par le législateur.

Dès lors, il a été envisagé l’exclusion de l’actionnaire demandeur de la dissolution de la


société afin d’assurer la survie de cette dernière, et ce en application de l’article 1060 du
D.O.C. Cette possibilité que nous allons étudier permet ainsi d’écarter l’actionnaire
demandeur de la dissolution de la société, afin de faire cesser la paralysie de ses organes et
éviter sa disparition.

Il convient néanmoins de signaler que cette alternative n’est pas prévue par le législateur
français, d’où des difficultés enregistrées quant à sa validité (paragraphe 1), auxquelles la
jurisprudence n’est pas restée indifférente (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Difficultés quant à la validité de l’exclusion

1016
L’article 1056 du D.O.C dispose que « tout associé peut poursuivre la dissolution de la société, même avant le terme établi, s’il y a justes motifs, tels que des

mésintelligences graves survenues entre associés, le manquement d’un ou de plusieurs d’entre eux aux obligation résultant du contrat, l’impossibilité ou ils se trouvent de les
accomplir…».
1017
Cet article dispose que : « dans le cas de l'article 1056 et dans le cas où la société est dissoute par la mort, l'absence, l'interdiction ou l'insolvabilité déclarée de l'un des

associés, ou par la minorité des héritiers, les autres associés peuvent continuer la société entre eux, en faisant prononcer par le tribunal l'exclusion de l'associé qui donne lieu à
la dissolution… ».

268
Bien que l’exclusion de l’actionnaire est prévue par le législateur marocain est adoptée
par la jurisprudence1018, elle demeure controversée au niveau français et ce même si elle
permet la survie de la société et éviter des conséquences malheureuses sur le plan social et
économique1019. En effet, cette disposition se heurte à certaines difficultés juridiques liées au
droit de rester actionnaire (A), au droit de demander la dissolution (B) et au droit de propriété
(C).

L’étude de la doctrine française qui est pleine d’enseignes, permet de saluer le choix du
législateur marocain pour avoir intégré ce mécanisme dans ces dispositions, et ce
contrairement à son homologue français.

A- Le droit de rester actionnaire :

Le droit de rester actionnaire est la première difficulté qui s’impose par la doctrine 1020
lorsqu’il s’agit de l’exclusion d’un actionnaire, au motif que l’actionnaire ne peut être exclu
contre son gré de la société1021.

L’intangibilité de ce droit s’explique, dans un premier temps, par l’organisation de la


société anonyme qui ne dispose pas de pouvoir disciplinaire l’autorisant à sanctionner un
actionnaire1022.

L’impossibilité de prendre des décisions en guise de sanctions est liée au mode de


répartition du pouvoir entre les actionnaires et résulte de « la configuration égalitaire des
actionnaires »1023. Cette structure est logique vu que les actionnaires sont traités d’une
manière égale1024 et « aucun n’a le pouvoir d’exclure l’autre »1025. Admettre l’exclusion
donnera lieu ainsi à une inégalité de traitement des actionnaires 1026 et a un abus ou à un risque
d’abus, dans le choix de celui à qui reviendront les actions de l’actionnaire exclu1027.

1018
642 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬: ‫عمر ازوكار‬.
1019
La dissolution d’une société provoque des licenciements importants qui se répercuteront sur le taux du chômage dans un domaine donné.
1020
Du Garreau de La Mèchenie, Les droits propres de l’actionnaire, Thèse Poitiers, 1937, pp. 104 et 105, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 259 ; Georges

RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 933.


1021
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 245.
1022
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit. p. 259.
1023
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 255.
1024
Yves DE CORDT, L’égalité entre…, op. cit., 2004.
1025
SALMA KHALED SLAMA, L’exclusion d’un associé dans les sociétés commerciales, A la lumière de la modification du code des sociétés commerciales par la loi du 16

mars 2009, Maison du livre, Paris, 2013, p. 25.


1026
Ibid.
1027
209 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫زهير بونعامية‬.

269
Toutefois, il y a lieu de préciser que l’impossibilité d’exclure l’actionnaire selon ce
raisonnement ne peut aboutir dans notre contexte, vu que l’exclusion dont il s’agit ici, est une
exclusion dont la finalité est d’empêcher la dissolution de la société, et ne constitue pas une
sanction de l’actionnaire suite à son comportement fautif 1028. L’exclusion dont nous traitons
ici, ne s’inscrit pas dans le pouvoir disciplinaire étant donné que l’actionnaire est à exclure
non pas parce qu’il a commis une faute, mais plutôt pace qu’il s’est servi d’un droit qui lui est
accordé par le législateur.

Le droit de l’actionnaire de rester dans la société s’explique également, par le contrat


ayant donné naissance à la société. L’actionnaire a librement fait partie de la société et ne peut
en être contraint de la quitter 1029, par la volonté unilatérale de l’une des parties 1030.
L’actionnaire alimente en conséquence, son droit de rester actionnaire du contrat de
société1031.

Seulement, il est à signaler que le contrat de la société est un contrat bien particulier, car
en plus des conditions générales communes à tous les contrats, le contrat de société doit obéir
à d’autres conditions plus spécifiques. Il s’agit notamment de l’affectio societatis qui peut être
défini par « une intention de collaborer d’une façon active, intéressée et égalitaire au succès
de l’œuvre commune »1032. C’est aussi, « la volonté d’union et l’acceptation des aléas
communs »1033. L’affectio societatis doit ainsi durer pendant toute la vie sociale, et ce malgré
les altérations dont il peut faire l’objet 1034. Cet élément est primordial pour garder
l’harmonisation des liens tissés entre les actionnaires, afin de pouvoir réaliser l’objectif ayant
donné lieu à la création de la société1035.

Toutefois, lorsque l’actionnaire demande la dissolution de la société, il se défait de la


société et affiche son désintérêt quant à sa qualité d’actionnaire. En d’autres termes : Il n’a
plus d’affectio societatis. En demandant la dissolution de la société, l’actionnaire affiche
clairement son intention à ne plus rester dans la société. En effet, demander la dissolution « ne

1028
Comme le cas notamment, de l’actionnaire qui ne délivre pas son apport à la date convenu (Art. 996 du D.O.C) ; l’actionnaire qui fait des opérations concurrentielles à la

société et nuisibles à ses intérêts, sans le consentement des autres actionnaires (Art. 1004 du D.O.C) ; ou de l’actionnaire dont les créanciers s’opposent à la prorogation de la
société (Art. 1055 du D.O.C).
1029
SALMA KHALED SLAMA, op., cit., p. 25.
1030
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 245.
1031
211 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫زهير بونعامية‬.
1032
SALMA KHALED SLAMA, op., cit., p. 25.
1033
Yves CHARTIER, Droit des affaires, Les sociétés commerciales, T. II, éd. P.U.F., Paris, 1985, p. 75 et s., cité par ibid.
1034
V. Ivan TCHOTOURIAN, Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution d’une société, LGDJ, éd., Lextenso, Montchrestien, 2011.
1035
Idem, p. 12.

270
peut signifier en même temps l’attachement du demandeur à sa qualité d’actionnaire »1036.
Ceci permet de dire que le droit de rester actionnaire ne peut être soulevé en faveur de
l’actionnaire demandeur de la dissolution, afin d’empêcher son exclusion.

En plus du droit de rester actionnaire, le droit de demander la dissolution de la société est


soulevé afin de faire obstacle à l’exclusion de l’actionnaire.

B- Le droit de demander la dissolution de la société :

L’intangibilité du droit de demander la dissolution de la société s’explique par l’article


1844-7 du code civil français1037 qui reconnait à tout actionnaire de demander la dissolution de
la société pour justes motifs, notamment en cas de mésintelligences graves survenues entre les
actionnaires. Cette action est d’ordre public et toute action statutaire dont l’objet est de limiter
ou renoncer à cette action est nulle1038.

Toutefois, l’actionnaire ne dispose pas d’un droit acquis à obtenir la dissolution 1039. En
effet, demander la dissolution de la société est certes un droit intangible, mais l’obtenir ne
l’est pas. Le juge est libre d’apprécier les justes motifs et d’accorder ou non la dissolution.

Ainsi, la demande de dissolution est rejetée lorsque d’autres solutions peuvent résorber la
dissension entre les actionnaires ayant entrainé la paralysie de la société. C’est dans ce sens
qu’il a été souligné que « la dissolution a un caractère subsidiaire, et elle ne doit pas être
prononcée lorsqu’il existe d’autres moyens permettant la reprise d’une vie sociale
normale »1040.

Parmi les solutions plausibles, vient la possibilité de racheter les actions de l’actionnaire
demandeur de la dissolution. C’est dans ce sens que le Tribunal de Commerce de Versailles
avait rendu un jugement par lequel il a refusé de prononcer la dissolution de la société au
motif que le demandeur n’a pas pu prouver que ces coassociés avaient refusés de lui racheter
ses parts sociales1041. Aussi, la nomination d’un administrateur provisoire est adoptée au lieu
de la dissolution, afin d’examiner l’étendu de la mésintelligence entre les actionnaires et c’est

1036
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 255.
1037
V. art.1056 du D.O.C
1038
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 205.
1039
Emmanuel GEORGES, op. cit, np. 242.
1040
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 207.
1041
Trib. Com. Versailles ,18 janv. 1967, in RTD com., 1967, p. 295, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 262.

271
en fonction de la situation économique de la société qu’il optera soit pour la continuation de la
société ou sa dissolution.

Le fait que les juges préfèrent d’autres solutions ayant pour finalité la continuation de la
société au lieu de sa dissolution, affiche la détermination de la jurisprudence à préférer la
satisfaction de l’intérêt social dans sa conception économique à l’intérêt des actionnaires.
Lorsque la situation de la société est saine, l’intérêt économique de la société surpasse
l’intérêt de l’actionnaire qu’il a dans la dissolution de la société. En effet, en demandant la
dissolution, « la société est prise en otage par le désir d’un seul actionnaire de la faire
disparaitre le plus souvent au détriment de la réalité économique de l’entreprise »1042. C’est
ainsi que le juge réfute la demande de dissolution de la société et opte pour sa continuation.

Aussi, les juges ont tendance à refuser la demande de dissolution lorsque c’est le
demandeur qui est à l’origine de la mésentente1043. C’est ainsi que « la dissolution ne peut être
prononcée que si elle n’est pas exclusivement imputable à l’associé demandeur »1044.

D’après ce qui précède, il a été établi que si le droit de l’actionnaire à demander la


dissolution est intangible, le droit de l’obtenir ne l’est pas, vu que les juges écartent, à
plusieurs reprises, la dissolution de la société au profit d’autres solutions qui favorisent sa
continuation. Cet argumentaire rend l’exclusion de l’actionnaire demandeur de la dissolution
tout à fait possible et même très souhaitable, puisqu’elle s’inscrit dans la même optique, à
savoir la continuation d’une société économiquement viable, au lieu de la faire disparaitre.

C- Le droit de propriété de l’actionnaire sur ses actions :

La doctrine française assimile l’exclusion à l’expropriation et se base sur l’article 545 du


code civil français qui dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce
n’est pour une cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité », et ce
afin de refuser le rachat des actions d’un actionnaire et par conséquent son exclusion 1045.
L’importance de cet argument prend source de l’absence du consentement de l’actionnaire à
être exclu de la société. Dès lors, on peut considérer que la présence d’une clause statutaire
prévoyant l’exclusion changera la donne.

1042
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 252.
1043
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 363.
1044
Ibid.
1045
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 361.

272
En effet, au cas où les statuts comprennent une clause d’exclusion, rien n’empêchera sa
mise en œuvre et l’argumentaire basé sur l’article précité ne pourra être soulevé. Ceci
s’explique par le fait que l’actionnaire en faisant partie de la société avait connaissance de
cette clause et de la possibilité de sa réalisation à son encontre. L’actionnaire demandeur de la
dissolution ne pourra ainsi soulever l’expropriation afin d’interdire le rachat de ses actions et
échapper à son exclusion, vu qu’il y a donné son consentement en approuvant la clause
statutaire d’exclusion.

Toutefois, l’exclusion d’un actionnaire sur la base d’une clause statutaire n’est légale que
si cette clause prévoit des cas prédéterminés donnant lieu à son application. La détermination
de ces cas, permet de qualifier l’exclusion de mesure imposée et conditionnée et ne dépend
nullement de la volonté de la société. Ceci permet de dire qu’il s’agit d’un retrait forcé soumis
à une condition prédéterminée et non pas d’une expulsion disciplinaire suite un vote de
l’assemblé générale1046.

La présence de la clause statutaire d’exclusion empêche de ce fait, le demandeur de la


dissolution de soulever son droit de propriété sur les actions. Son intention à interdire le
rachat de ses actions via le droit de propriété se heurte à la clause statutaire d’exclusion. Cette
argumentation a été démontrée dans une décision ou il a été refusé le rachat des actions de
l’actionnaire demandeur de la dissolution au motif que les statuts ne contiennent pas une
clause pareille. En l’espèce, le désaccord entre les actionnaires a donné lieu à la désignation
d’un administrateur provisoire. Après examen de la situation de la société, ce dernier a
proposé la dissolution de la société. Après la détérioration des relations entre les actionnaires,
l’un d’eux a fait une demande de dissolution de la société qui a été contrée par la proposition
de rachat des actions du demandeur de la dissolution, par un des actionnaires. La Cour d’appel
a rejeté la demande du rachat forcé au motif qu’ « attendu que les premiers juges, en décidant
la cession forcée des parts sociales appartenant à M.L., ont violé le principe général posé par
l’article 544 du code civil selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses
de la manière la plus absolue, ainsi que cette règle rend impossible l’exclusion d’un associé,
si elle n’est pas prévue dans les statuts de la société »1047. Cette motivation permet de déduire
qu’en cas de présence d’une clause de rachat forcé dans les statuts, la demande du rachat forcé
n’allait pas se heurter au droit de propriété de l’actionnaire.

1046
220 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫زهير بونعامية‬.
1047
CA., Aix, 26 juin 1984, in D., 1985, p. 372, note MESTE, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 364.

273
Mais quand est-il du sort de la demande d'exclusion du demandeur de la dissolution,
lorsque la clause qui la prévoit n’existe pas dans les statuts ? Dans ce cas de figure,
l’exclusion est assimilée par certains à l’expropriation pour cause d’utilité privé 1048.

Néanmoins, il convient de préciser, qu’il ne s’agit pas du même domaine d’application.


Effectivement, la technique d’expropriation s’applique en matière immobilière. De plus,
l’expropriation suppose le défaut de consentement du propriétaire ce qui implique son
indemnisation, tandis que l’actionnaire demandeur de la dissolution de la société sait à
l’avance qu’il touchera sa part du boni de liquidation s’il y a lieu. Dès lors, l’article 545 du
code civil ne pourra être soulevé.1049

Pour conclure, il est à préciser que ni le droit de rester actionnaire, ni le droit de demander
la dissolution de la société ou encore le droit de propriété ne peut empêcher l’exclusion de
l’actionnaire demandeur de la dissolution. Il est question de favoriser l’intérêt social dans sa
conception économique qui comprend l’ensemble des intérêts intervenant dans le
fonctionnement de la société, sur l’intérêt individuel des actionnaires, dans la mesure où « la
dissolution de la société est préjudiciable non seulement pour les associés, mais atteint la
diversité des intérêts mis en cause par la disparition d’une entreprise »1050.

Paragraphe 2 : Position de la jurisprudence quant à la validité de l’exclusion judiciaire

Alors que l’exclusion est prévue par le législateur marocain, son homologue français n’en
fait pas mention. Cette situation rend la jurisprudence mitigée sur la position à adopter en ce
qui concerne le sort de l’exclusion du demandeur de la dissolution. Alors qu’un courant la
refuse (A), un autre n’hésite pas à l’accepter (B) et favorise ainsi la continuité de la société.

Cette situation ne fait que consolider, encore une fois, le choix du législateur marocain
pour avoir prévu l’exclusion de l’associé demandeur de la dissolution. Un choix qui évite aux
juges marocains le dilemme que supportent leurs homologues français quant à l’adoption de
ce mécanisme. Le texte est clair et les juges marocains n’ont pas à trop s’attarder sur la
question, ce qui joue en faveur de la société et de son intérêt.

A- Un courant réfutant l’exclusion du demandeur de la dissolution de la société :

1048
SALMA KHALED SLAMA, op. cit., p. 25.
1049
Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 360.
1050
Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 244.

274
Le refus, par les juges, de la demande de l’exclusion de l’actionnaire ayant demandé la
dissolution de la société est motivé par les difficultés précédemment mentionnées, à savoir le
droit de l’actionnaire à rester dans la société et à son droit de propriété.

Cette position est à contester lorsque la situation économique de la société est saine, mais
n’a pas empêché la Cour d’appel d’Aix1051 à l’adopter. En l’espèce, il s’agit d’une société qui
a été infectée d’une grave mésentente entre ses actionnaires ayant conduit à la désignation
d’un administrateur provisoire. En se basant sur la proposition de ce dernier à dissoudre la
société, un actionnaire en a fait la demande. Afin de faire face à cette demande et d’assurer
ainsi l’existence de la société, un actionnaire a proposé de lui racheter ses parts et de
l’exclure. Tandis que le rachat des parts sociales a été admis en première instante, la Cour
d’appel en a décidé autrement en considérant qu’« attendu que les premiers juges, en décidant
la cession forcée des parts sociales appartenant à M.L., ont violé le principe général posé par
l’article 544 du code civil selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses
de la manière la plus absolue, ainsi que cette règle rend impossible l’exclusion d’un associé,
si elle n’est pas prévue dans les statuts de la société, qu’en statuant comme ils l’ont fait, les
premiers juges ont, arbitrairement et sans justifier leur décision, introduit dans le droit des
sociétés l’expropriation pour cause d’intérêt privé alors qu’aucun texte dérogatoire ne les
autorisait à user d’une mesure punitive sanctionnant des manquements aux agissements
sociaux »1052.

Cet arrêt démontre qu’il est question de ne pas favoriser les actionnaires restant au
détriment de l’actionnaire exclu. En effet, décliner la dissolution au profit de l’exclusion fait
que la continuité de la société et les gains y afférents bénéficieront aux seuls actionnaires
restants, ce qui crée une certaine injustice à l’égard de l’actionnaire exclu. Mais, il convient
toutefois de prendre en considération l’impact que peut avoir la dissolution d’une société
viable sur l’économie du pays, d’où la nécessité de favoriser le retour du fonctionnement
correct de la société, après l’exclusion de l’actionnaire.

À notre sens, si l’exclusion de l’actionnaire mettra fin aux mésintelligences des


actionnaires et permettra le fonctionnement normal des organes de la société et que cette
dernière n’a pas de soucis économique, rien n’empêche de refuser la dissolution de la société
et exclure de ce fait l’actionnaire qui l’a demande.

1051
Aix, 26 juin 1984, in D., 1985, p. 372, note MESTE, cité par Emmanuel GEORGES, op. cit, p. 246.
1052
Ibid.

275
L’attitude jurisprudentielle favorisant la dissolution de la société sur l’exclusion du
demandeur de la dissolution a été également présente dans une décision de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation 1053 en ce qui concerne une SNC. Suite aux mésententes
graves des associés de la société ayant bloqué le fonctionnement de ses organes, l’un des
associés a fait une demande de dissolution de la société et l’a obtenu. Les autres associés ont
alors formé un pourvoi en cassation en soulevant que la Cour d’appel avait refusé leur
demande a prononcé l’exclusion de l’associé demandeur de la dissolution. Ledit pourvoi a été
rejeté en considérant que la Cour d’appel avait montré l’existence de mésintelligences graves
paralysant le fonctionnement de la société et que les associés demandeurs de l’exclusion
n’avaient pas apporté la preuve que l’associé demandeur de la dissolution est à l’origine des
mésintelligences, tout en soulignant qu’ « aucune disposition légale ne donne pouvoir à la
juridiction saisie d’obliger l’associé qui demande la dissolution de la société par application
de l’article 1844-7, du Code civil à céder ses parts à cette dernière et autres associés qui
offrent de les racheter ».

Dans le même sens, la Cour de cassation1054 s’est opposée à l’exclusion d’un actionnaire
par une SA, en considérant que la société n’avait pas le droit d’ordonner la cession des actions
d’un actionnaire à des personnes qu’elle a désigné, alors que les statuts ne prévoient pas une
clause d’exclusion.

Si les juges font une application stricte de la loi en admettant la dissolution de la société
au lieu de l’exclusion de son demandeur, rien n’empêche à ce qu’ils y font une dérogation
lorsque la société est saine.

B- Un courant favorisant l’exclusion du demandeur de la dissolution de la société :

Dissoudre une société prospère parce que l’un de ses actionnaires en a fait la demande
semble illogique, et ce même s’il y a un conflit entre les actionnaires. De plus, la dissolution
ne satisfait ni l’intérêt des actionnaires, ni celui de la société.

Même si la dissolution met un terme aux mésententes des actionnaires, elle met
également fin à une société prospère qui peut continuer et générer des bénéfices, ce qui porte
gravement atteinte à son intérêt qui est en expansion 1055. Ce raisonnement pousse certains

1053
Cass. com., 12 mars 1996, in J.C.P., 1996, éd. E, II, 831, note Y. PACLOT, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 264.
1054
Ch. com., 13 déc. 1994, « Régime de l’exclusion d’un associé », in LMA, n° 316, oct. 2013, p. 15.
1055
Thierry TILQUIN, « Les conflits dans la société anonyme et l’exclusion d’un associé », in Rev. Prat. Soc. (Belge), 1991, p. 8, cité par Marie-Christine MONSALLIER, op.

cit., p. 268.

276
juges à adopter l’exclusion de l’actionnaire demandeur de la dissolution au lieu de donner
suite à sa demande. Les juges donnent une priorité à l’intérêt social qui est assimilé à la
conception économique sur celui de l’intérêt des actionnaires.

Ce courant jurisprudentiel a été adopté par une décision de la Cour d’appel de Caen 1056. Il
s’agissait d’un associé qui a fait une demande de dissolution suite aux graves mésententes
entre les associes, tandis que ces derniers en demandé l’exclusion dudit associé. La Cour a
donné raison aux demandeurs de l’exclusion, étant donné qu’elle était prévue dans les statuts.
La Cour a considéré que « s’il existe de jutes causes de manquement aux engagements pris en
exécution d’accords sociaux, il appartient aux tribunaux de les apprécier, et ceux-ci ont
toujours le droit de prononcer, selon les circonstances, soit l’exclusion de l’associé, soit la
dissolution »1057.

Certes, cette décision a reflété l’argumentation que nous défendons, mais elle reste
impertinente, étant donné que l’exclusion a été prévue dans les statuts. En effet, la
jurisprudence française admet facilement l’exclusion de l’actionnaire lorsqu’elle est prévue
dans les statuts1058.

Il sera plus judicieux de se pencher sur des décisions ayant adopté l’exclusion, et ce dans
l’absence de clauses statutaires la prévoyant.

C’est le cas d’un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Poitiers 1059, qui a admis
l’exclusion d’un associé. En l’espèce, un des deux associés d’une SNC a fait une demande de
dissolution de la société pour mésintelligence. L’autre associé a proposé de lui racheter les
parts, afin d’éviter la perte de la société. Le Tribunal a autorisé le rachat des parts sociales et
par conséquent l’exclusion de l’associé demandeur de la dissolution. Le Tribunal a considéré
qu’ « attendu qu’il est préférable, l’affectio societatis ayant disparu, d’imposer (au
demandeur) d’accepter l’offre de rachat de ses parts sociales par (le défendeur) plutôt que de
prononcer la dissolution de la société car on ne peut permettre que bien que mécontent, (le
demandeur) profite de cette situation pour obtenir la liquidation de l’entreprise sociale au
mépris de l’intérêt propre de celle-ci et des intérêts de son associé, que cette notion de
prospérité et de rentabilité s’impose même aux sociétés de personnes ».

1056
Caen, 11 avril 1927, in D., 1982, 2, p. 65, note LEPARGNEUR, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 366.
1057
Idem, p. 367.
1058
201 .‫ ص‬.‫ المرجع السابق‬:‫زهير بونعامية‬.
1059
Trib. com. Poitiers, 30 juin 1975, in RTD com., 1976, n° 10, p. 373, obs. CHAMPAUD, Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 269.

277
Une autre décision1060 a également adopté une attitude favorable à l’exclusion de
l’actionnaire. C’est le cas d’une SA qui a connu de graves dissensions entre deux
groupements d’actionnaires de sorte à bloquer toute prise de décision. La société n’avait pas
de conseil d’administration suite à l’impossibilité de formuler une majorité pour le
renouvèlement des mandats expirés. Cette mésentente a été également constaté lors des
réunions des assemblés générales, ou il était impossible pour les actionnaires d’obtenir un
vote majoritaire pour les résolutions proposées. Même la désignation d’un administrateur
provisoire n’a pas donné de résultats positifs à long terme. Cette situation a conduit le
groupement d’actionnaires à l’origine des mésintelligences de demander au Tribunal de
commerce de Troyes la dissolution de la société, à laquelle l’autre groupe d’actionnaires a
répondu par une demande d’exclusion des demandeurs de la dissolution.

La Cour d’appel a décliné la demande de dissolution étant donné que ce sont les
actionnaires demandeurs de la dissolution qui sont à l’origine de la mésintelligence, tout en
favorisant la continuation de la société en excluant ledit groupe, et ce même si aucune clause
statutaire ou disposition juridique ne la prévoit 1061.Il est clair que cette jurisprudence préfère
garder une société prospère en vie et exclure un actionnaire, au lieu de la dissoudre.

Même si la dissolution est prévue par le législateur lorsqu’il y a des mésententes graves
entre les actionnaires, le juge prend en compte l’intérêt social dans son ensemble et écarte la
solution proposée pour une autre solution plus rationnelle, à savoir l’exclusion de
l’actionnaire à l’origine de la demande. Toutefois, cette alternative n’a d’importance que si la
situation économique de la société le permet, car exclure un actionnaire d’une société dont la
situation économique n’est pas à envier, n’a aucun intérêt.

En conclusion, en adoptant l’exclusion, les juges favorisent l’intérêt social sur les intérêts
individuels. L’intérêt social est assimilé ici, à l’intérêt d’une institution qui dispose d’un
intérêt supérieur à celui de ces créateurs. Il convient dès lors d’appliquer cette solution à
chaque fois que le conflit entre les actionnaires est imminent, ce qui dissipera le conflit et
préservera l’intérêt social par la continuité de l’activité de la société.

Sous-section 2 : L’exclusion de l’actionnaire nuisible à l’intérêt social

Certes, l’exclusion de l’actionnaire auteur de la demande de la dissolution est prévue par


le législateur marocain et est généralement admise par les juges français, mais rien n’est prévu
1060
Reims, 24 avril 1989, in J.C.P. (éd. E)., 1990, II, n° 15677, n° 2, note A. VIANDIER et J.J. CAUSSAIN, cité par Monique A. MOUTHIEU, op. cit., p. 367.
1061
Ibid.

278
en ce qui concerne l’actionnaire qui est à l’origine de comportements nuisibles pour la société.
Doit-on attendre qu’il demande la dissolution pour pouvoir l’exclure ? Cette solution parait
irréelle et source de risque pour la poursuite de l’activité de la société.

Toutefois, une telle solution reste délicate, dans la mesure où les difficultés liées à
l’exclusion d’un actionnaire, à savoir le droit de propriété et le droit de rester actionnaire ne
pourront pas dans ce cas être écarté, car il ne s’agit pas d’exclure un actionnaire pour éviter la
dissolution, mais plutôt de le sanctionner suite à son comportement nuisible.

Le plus correct est d’insérer dans les statuts 1062 une clause prévoyant l’exclusion de
l’actionnaire jugé nuisible pour l’intérêt social, afin d’éviter les aléas de la jurisprudence, et ce
en faisant recours au principe de la liberté contractuelle. Une telle clause doit obéir à des
conditions liées à son insertion (paragraphe 1) et à sa mise en œuvre (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions liées à l’insertion de la clause d’exclusion

Il s’agit de la date d’introduction de la clause d’exclusion dans les statuts (A) et des
raisons à l’origine de celle-ci (B).

A- La date d’introduction de la clause d’exclusion dans les statuts :

La validité de l’introduction d’une clause d’exclusion pendant la formation des statuts se


justifie par la liberté contractuelle et ne pose pas de difficultés. En effet, avant de faire partie
de la société, l’actionnaire a connaissance des différentes clauses figurant dans les statuts et
fera son choix sur cette base. L’actionnaire potentiel ne peut pas être obligé de faire partie
d’un contrat dont l’une de ses clauses permettra son exclusion contre son gré.

En effet, l’article 230 du D.O.C est clair à ce sujet en disposant que « les obligations
contractuelles valablement formées tiennent lieu de la loi à ceux qui les ont faites, et ne
peuvent être révoqués que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi ». En
signant les statuts, l’actionnaire donne son consentement à son exclusion éventuelle et
renonce à son droit de rester actionnaire 1063 de même qu’à son droit de propriété. Toutefois,
cette clause ne doit pas être contraire à l’ordre public.

Quand l’introduction de la clause d’exclusion intervient au cours de la vie sociale, et vu la


modification des statuts qu’elle génère, se pose la question de son adoption et des modalités
1062
Cette clause peut également faire l’objet d’une convention extrastatutaire, en fixant avec précision les cas où l’exclusion de l’actionnaire peut intervenir . L’exclusion devra

être adoptée par l’assemblée générale extraordinaire en interdisant à l’actionnaire concerné de participer au vote.
1063
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit., p. 276.

279
de vote. Un auteur1064 considère qu’il faut l’accord de l’unanimité des actionnaires, au motif
qu’une telle clause touche le droit de propriété de l’actionnaire.

Cette position a été toutefois, secondée par une autre plus logique, à notre sens, en
soutenant que l’introduction d’une telle clause dans les statuts n’augmente en rien les
engagements des actionnaires et ne nécessite pas, de ce fait, l’application de la règle de
l’unanimité en cas d’augmentation des engagements des actionnaires. Ainsi, l’introduction de
la clause d’exclusion au cours de la vie sociale rentre dans la compétence de l’assemblée
générale extraordinaire et est soumise au vote majoritaire, et ce en application de l’article 110
la loi 17-95 qui dispose que « l’assemblée générale extraordinaire est seule habilitée à
modifier les statuts dans toutes leurs dispositions... ». Dès lors, la majorité requise pour une
modification statutaire est suffisante pour la validité de l’insertion de la clause d’exclusion
dans les statuts et de l’opposer de ce fait, à l’actionnaire qui ne l’a pas approuvé.

Les minoritaires peuvent toujours soulever un abus de majorité s’il y a lieu, afin d’écarter
l’application de cette clause. Ça sera notamment le cas d’une clause votée par les majoritaires
portant sur l’exclusion des minoritaires1065.

B- Les raisons du recours à la clause d’exclusion :

La clause d’exclusion doit prévoir les évènements et motifs donnant lieu à sa mise en
œuvre. Ces derniers peuvent être assez variés. Cette diversité prend source du principe de la
liberté contractuelle prévu à l’article 230 du D.O.C et l’article 1134 du Code civil français.

Vu la nature de notre sujet, seront traitées uniquement les motifs relatifs au


fonctionnement de la société. A cet égard, est-il possible d’exclure un actionnaire originaire
de trouble et dont le comportement bloque le fonctionnement normal de la société ? Il semble
possible de le faire lorsque par exemple la minorité refuse de voter pour une résolution
essentielle pour le fonctionnement de la société, en constituant un abus de minorité.
L’exemple le plus courant est lorsque la minorité refuse de voter pour l’augmentation du
capital social, alors que cette augmentation est nécessaire à la vie de la société.

En prenant en considération les conséquences désastreuses que peut avoir un abus de


minorité sur la continuité de la société, il nous parait favorable d’introduire une clause
statutaire d’exclusion de l’actionnaire minoritaire ou d’un groupement formant minorité qui

1064
Yves GUYON, Droit des affaires…, op. cit., p. 152.
1065
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit. p. 279.

280
est à l’origine de comportements abusifs, d’autant plus que la sanction qui est prononcée à
l’égard des auteurs d’un abus de minorité est souvent inefficace, dans la mesure ou
l’allocation de dommages et intérêts ne permet pas le rétablissement des relations
interindividuelles des actionnaires et le déblocage des organes sociaux.

Dans tous les cas, l’insertion d’une clause d’exclusion dans les statuts doit fixer avec
précision les motifs de sa mise en œuvre, afin qu’elle ne soit pas utilisée abusivement.

Dans le même ordre d’idées, il convient de vérifier certaines conditions afin de s’assurer
de la validité d’une telle clause. Ainsi, cette clause ne doit pas être exécutée contre un
actionnaire ayant commis un abus de droit de vote pour la première fois. Aussi, il convient
que l’opposition soit faite sur des décisions nécessaires pour la continuité de la société 1066, car
exclure tout actionnaire juste parce qu’il s’est opposé à une résolution donnée c’est vidé la
société de toute sécurité juridique et inséré le chaos dans les relations entre les actionnaires.

Dans tous les cas, les motifs et évènements pouvant donner lieu à l’exclusion d’un
actionnaire doivent être clairement fixés dans les statuts, afin d’éviter qu’elle soit utilisée de
façon discrétionnaire par les autres actionnaires. En effet, le motif invoqué pour justifier
l’exclusion doit être objectif afin de ne pas laisser la porte ouverte aux actionnaires agissant
de concert à exclure un actionnaire dans le but de satisfaire leur intérêt personnel. Pour éviter
une telle situation, il convient de mentionner avec précision les motifs de l’exclusion de
l’actionnaire comme par exemple le manquement de l’actionnaire à ses obligations.

En revanche, le fait d’invoquer des motifs généraux, comme la perte de confiance, peut
être source d’arbitraire, étant donné qu’ils ne permettent pas de faire une analyse objective des
circonstances du non-respect desdits motifs. Il convient dès lors, d’éviter de tels motifs pour
ne pas générer des exclusions abusives. C’est dans ce sens qu’il a été considéré que la clause
statutaire qui prévoit l’exclusion de tout actionnaire qui fait des actes contraires aux intérêts
de la société ne peut être validée « car il est difficile, à notre sens, et malgré le confort que la
stipulation procure, de marier la formule avec les exigences de la précision
contractuelle »1067.

Paragraphe 2 : L’élaboration de la clause d’exclusion

1066
Marie-Christine MONSALLIER, op. cit. p. 283.
1067
H. LE NABASQUE, P. ELSEN et P. DUNAUD, « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », in Droit des sociétés, Actes Pratiques, 1992, n° 5, p. 10, cité par

idem, p. 288.

281
L’élaboration de la clause d’exclusion comporte deux étapes : La procédure suivie pour la
réaliser (A) et l’indemnisation de l’actionnaire exclu (B).

A- La procédure d’exclusion :

Pour être valable, la clause d’exclusion doit fixer l’organe compétent pour la prononcer.
Cet organe peut être aussi bien le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, que
l’assemblée générale.

Lorsque la clause statutaire prévoit que c’est le conseil d’administration ou le conseil de


surveillance qui est chargée de son déclenchement, le plus logique est que ce droit doit être
exercé à la majorité pour éviter tout abus.

Lorsque c’est l’assemblée générale qui est en charge de ce droit, il nous semble que
l’unanimité ne doit pas être retenue comme critère de son déclenchement. En effet, si
l’unanimité est requise, l’actionnaire objet de l’exclusion ne pourra être privé de son droit de
participer à la prise de décision et de voter sur la proposition et par conséquent, ne votera
jamais à son encontre en décidant de son exclusion. Dès lors, il sera impossible d’obtenir
l’unanimité du vote nécessaire à la réalisation de l’exclusion.

En revanche, il est plus cohérent d’avoir la majorité des voix de vote pour l’activer. Une
majorité simple est à prévoir vu la flexibilité qu’elle présente et le large champ qu’elle couvre.

B- L’indemnisation de l’actionnaire exclu :

Pour être admise, la clause d’exclusion doit prévoir une contrepartie financière pour
l’actionnaire exclu. Ce dernier doit obtenir le remboursement de ses actions à un prix reflétant
leur valeur réelle1068. Certes, cette exclusion est faite à son encontre mais elle ne doit pas être
abusive. Ainsi, procéder à l’exclusion d’un actionnaire en le privant de sa part dans le capital,
sans l’indemnisé ne peut être retenue et rend l’exclusion invalide.

Afin d’éviter toute mésentente sur les modalités d’évaluation du prix de la cession des
actions, le plus simple est de recourir à un expert 1069 qui déterminera le prix réel des actions au
moment de la mise en œuvre de l’exclusion.

Toutefois, rien n’empêche à ce que l’actionnaire concerné par l’exclusion et la société


fixent à l’amiable, le prix des actions.
1068
SALMA KHALED SLAMA, op., cit., p. 26.
1069
Francis LEFEBVRE, Sociétés commerciales, op. cit., p. 81.

282
Le rachat des actions de l’actionnaire exclu étant fait, vient par la suite la répartition des
actions acquises. Il convient d’attribuer aux actionnaires un droit préférentiel de souscription
sur l’acquisition des actions rachetées, et ce en fonction de la part de chaque actionnaire dans
le capital social1070. Les actionnaires peuvent toujours aménager leur droit préférentiel en
permettant l’acquisition des actions de l’actionnaire exclu sans respecter les proportions qu’ils
ont dans le capital.

Au final, l’exclusion d’un actionnaire constitue un moyen efficace qui permet de sortir
d’une situation de crise entre les actionnaires et qui menace la continuité de la société.

Conclusion de la deuxième partie

Au cours de la vie sociale, les actionnaires et les dirigeants sont amenés à prendre des
décisions qui respectent l’intérêt social, et ce afin d’assurer la continuité et le développement
de la société. Toutefois, certaines décisions peuvent être affectées par un conflit d’intérêts qui
anime un des actionnaires ou dirigeants. Cette situation peut avoir des conséquences
dangereuses sur l’avenir de la société.

Conscient de l’impact de la satisfaction des intérêts personnels des actionnaires sur la


société, les jugent sanctionnent ces comportements aussi sévèrement que possible. La sanction
peut frapper aussi bien le transgresseur de l’intérêt social que la décision litigieuse.
Néanmoins, ces sanctions demeurent insatisfaisantes à assurer une large protection à l’intérêt
social face à la déloyauté des actionnaires.

Des lors, il a été pensé à la mise en place de mécanismes conventionnels et légales qui
permettent d’une part, de détecter et découvrir le conflit d’intérêts avant sa réalisation, et
d’autre part, d’assurer une sanction ciblée contre l’actionnaire source de violation de l’intérêt
social.

1070
Ibid.

283
Conclusion Générale

L’intérêt social, comme il a été démontré, est une notion fonctionnelle qui ne peut avoir
une définition standardisée, car son contenu diffère selon le contexte dans lequel elle se
trouve. L’introduction de ce concept en lui extrayant toute définition n’est pas le fruit du
hasard, mais un choix intentionnel du législateur, afin de transférer la règle qu’il édicte à
l’appréciation du juge. Le législateur, conscient du caractère évolutif des situations que le
droit appréhende, a vidé, consciemment, la notion de l’intérêt social de toute définition, chose
qui permet une flexibilité au droit des sociétés anonymes qui est souvent qualifié de rigide et
de permettre à la jurisprudence de fixer le contenu de cette notion selon les cas qu’elle traite.

En effet, l’intérêt social qui peut être aussi bien l’intérêt commun des actionnaires, que
l’intérêt de la personne morale ou encore l’intérêt de l’entreprise, joue un rôle essentiel dans
la vie de la société et anime son fonctionnement.

Il a été démontré que l’intérêt social -personne morale ou entreprise- assure la continuité
et la prospérité de la société ainsi que l’enrichissement à long terme des actionnaires, tandis
que l’intérêt commun des actionnaires ne garantit pas forcément la prospérité à long terme de
la société. Le but de cet intérêt commun est la répartition immédiate du bénéfice social. Cette
répartition n’est pas illégale, c’est même l’essence de la création de la société. Toutefois, elle
ne doit pas être faite au détriment de la continuité et de l’exploitation de l’activité de la
société.

La répartition immédiate du bénéfice social, sans prendre en considération l’avenir de


l’entreprise n’est pas le seul cas de figure qui risque de porter atteinte à l’intérêt social. Il a été
établi que le préjudice causé à l’intérêt social prend source principalement du conflit d’intérêts
auquel se trouvent confrontés certains actionnaires.

284
En effet, la société n’est lésée que lorsqu’un actionnaire satisfait son intérêt personnel au
détriment de l’intérêt social. Ainsi, la détection de cet intérêt personnel est le meilleur moyen
d’assurer une protection efficace à l’intérêt social.

Concrètement, l’intérêt social anime la vie sociale et son respect assure la continuité et le
développement de la société, l’intérêt personnel préjudiciable de l’actionnaire quant à lui,
rompt la cohésion des actionnaires et peut être source d’une fin brutale de la société.

En effet, la vie d’une société anonyme passe par des décisions prises par ses actionnaires
et dirigeants. L’impact que peut avoir le conflit d’intérêts auquel ils sont soumis sur la société
peut aller jusqu’à sa mort brutale. Il est évident que celui qui sert son intérêt personnel à
l’encontre de celui de la société provoque un ensemble de conséquences dommageables pour
la société : perte de confiance des investisseurs, refus de prêts par les banques, diminution des
commandes, pertes d’emploi, dissolution de la société. C’est pourquoi, la loi sanctionne la
décision de l’actionnaire ou du dirigeant qui a été prise sous l’emprise d’un conflit d’intérêts.

La sanction frappe d’une part, la décision litigieuse elle-même, et d’autre part, le


transgresseur de l’intérêt social. Mais, cette sanction est insuffisante et à parfaire, d’où la
place importante que revêt la prévention de ces conflits d’intérêts qui devient une nécessité
face à la complexité de leur détection, dans la mesure où ils sont souvent dissimulés derrière
des montages bien complexes.

Ainsi, et face aux conséquences que peut générer la satisfaction des actionnaires de leurs
intérêts personnels au détriment de l’intérêt social, il a été question d’analyser les dispositions
juridiques mis en place par notre législateur pour assurer la protection de l’intérêt social. A
travers cette analyse nous avons pu constater les points suivants :

 Le traitement réservé par le droit des sociétés anonymes aux conflits d’intérêts n’est
pas satisfaisant et restent incomplet, que ça soit à l’égard des parties en cause ou à
l’égard de l’intérêt social ;
 En plus de mécanismes prévues par la loi, à savoir la procédure des conventions
réglementées et les abus de biens sociaux, la jurisprudence a également intervenu en
mettant en place des mécanismes prétoriens, à savoir l’abus de majorité et l’abus de
minorité. Autant de procédés qui ont certes, le même but à savoir la responsabilisation
et la sanction des actionnaires déloyaux, mais qui ne l’atteigne pas complètement.

285
 Le législateur n’est pas allé plus loin dans son ambition de modernisation du droit des
sociétés anonymes en évitant de mettre en place des mesures tendant à détecter à
l’avance les conflits d’intérêts et de les réprimer ;
 L’insuffisance des mécanismes légaux à protéger l’intérêt social contre les conflits
d’intérêts des actionnaires ouvre la possibilité de recourir à des règles contractuelles,
en l’occurrence, les conventions extrastatutaires, dont l’objet est de renforcer la
cohésion entre les actionnaires et limiter l’émergence des conflits ;
 Des règles issues de la corporate gouvernance tentent de combler le vide juridique,
mais elles restent des recommandations, dont l’adoption est laissée à la volonté des
actionnaires.

De ce qui précède, nous avons essayé de mettre en place des recommandations d’ordre
légal et conventionnel, qui se résument ci-dessous, et qui peuvent contribuer, nous l’espérons,
à la protection de l’intérêt social contre les intérêts néfastes des actionnaires, et ce par la
prémunition dans un premier temps de la société anonyme contre les conflits d’intérêts et dans
un second temps, par une sanction ciblée et efficace des actionnaires qui réalisent leurs
intérêts personnels au détriment de l’intérêt social.

 L’introduction dans la loi sur les sociétés anonymes des dispositions consacrées aux
conflits d’intérêts qui peuvent affecter les actionnaires ;
 L’instauration d’un dispositif approfondi sur les moyens de prévention et de détection
des conflits d’intérêts pouvant animer les actionnaires ;
 L’introduction de dispositions légales obligeant l’actionnaire ou le dirigeant à
divulguer à son initiative le conflit d’intérêts dans lequel il se trouve ;
 L’incitation des actionnaires et des administrateurs à se servir des différents moyens
d’information mis à leur disposition afin de détecter les situations de conflit d’intérêts
auxquelles prendraient part leurs collègues ;
 Le renforcement des sanctions prévues à l’encontre des actionnaires déloyaux,
notamment par la généralisation d’un droit de retrait et d’exclusion ;
 Se référer aux règles du gouvernement d’entreprise en les consolidant dans la
législation relative aux sociétés anonymes, de sorte à assurer plus de transparence dans
le fonctionnement de la société anonyme et réduire les conflits d’intérêts des
actionnaires.

286
Il reste que l’évulsion des conflits d’intérêts qui animent certains actionnaires dépond de
leur propre volonté à assurer une atmosphère empreinte de loyauté et de transparence. En
effet, il n’y a pas de meilleur moyen pour prémunir l’intérêt social de la société contre les
conflits d’intérêts que le bon vouloir de l’actionnaire à éviter cette situation et à
s’autocontrôler en appréciant par lui-même si la situation dans laquelle il se trouve est
génératrice de conflits d’intérêts. Dans le cas où il se trouve affecter du conflit d’intérêts, il
n’a qu’à informer ses confrères (actionnaires/ administrateurs) et s’abstenir de participer à
toute prise de décision liée à cette situation.

Toutefois, aucune disposition légale n’incite l’actionnaire ou le dirigeant d’une SA. à


divulguer le conflit d’intérêts dans lequel il se trouve. L’absence d’une disposition pareille est
manifestement regrettable. Le législateur a peut être considéré que le respect de l’intérêt
social et de la communauté d’intérêts des actionnaires écartait toute quête de satisfaction d’un
intérêt opposé.

Au final, la protection instaurée par le législateur marocain de l’intérêt social au regard


des intérêts des actionnaires est à perfectionner. Toutefois, la loi 20-19 modifiant et
complétant la loi n° 17-95 relatives aux sociétés anonymes intervient dans le cadre du
renforcement de cette protection, à travers l’introduction de plusieurs dispositions :

 L’interdiction du cumul de la fonction de Président du conseil d’administration et de


directeur général dans les sociétés faisant appel public à l’épargne ;
 Le renforcement de la responsabilité des dirigeants en étendant le cercle d’application
de l’action en responsabilité des fautes commises aux membres du conseil
d’administration et à ceux du conseil de surveillance ;
 Les organes de gestion se verront condamnés par le Tribunal pour le remboursement
des bénéfices dégagés de transactions réalisées en transgression de la loi ;
 Dans le cas où la société veut procéder à la cession de 50% ou plus de son actif, elle
doit avoir l’aval de l’assemblée générale extraordinaire au lieu de celui du conseil
d’administration ou du conseil de surveillance ;
 L’amélioration de la gouvernance de la société par l’introduction de la notion
d’administrateurs indépendants et non exécutifs comme membre du conseil
d’administration et du conseil de surveillance. Ce type d’administrateurs est
obligatoire dans les sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne ;

287
Ces règles instaurées par cette nouvelle loi constituent un avancement positif en vue de
renforcer les mesures protectives de l’intérêt social de la société anonyme du fait qu’il
contient des dispositions mettant en place des règles et des principes de la transparence, de la
bonne gouvernance et du renforcement de la responsabilité des dirigeants.

Toutefois et malgré l’importance de ces règles et principes prévues par la loi n° 20-19
suscitée et ses éventuelles retombées sur la problématique traitée par ce travail, la protection
de l’intérêt social de la société anonyme demeure incertaine dans la mesure où le monde des
affaires est en perpétuelle évolution et que les actionnaires déloyaux sont toujours capables
d’innover de nouvelles astuces servant leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt social.

BIBLIOGRAPHIE

En langue française :

I. Ouvrages généraux :

- BAHNINI (M.), La société anonyme en droit marocain, Analyse et Explications, éd.


Headline, 1998.
- BOUAYAD AMINE (N.), Diagnostic financier et prévention des entreprises en difficulté,
éd. Universitaires Européennes, Berlin, 2011.
- BOCKLI (P.), HUGUENIN (C.) et DESSEMONTET (F.), le gouvernement d’entreprise,
Rapport du groupe de travail en vue de la révision partielle du droit de la société anonyme du
30 septembre 2003, LITEC, Lausane 2004.
- BULLE (J-F.) et GERMAIN (M.), Pratique de la société anonyme, Dalloz, Paris, 1991.
- CARBONNIER (J.), « Les notions a contenu variable dans le droit Français de la famille »
in, les notions a contenu variable, Etude publiée par PERELMAN (C.) et VAN DER ELST
(R.), travaux du centre national des recherches de logique, Bruxelles, 1984.
- CHAPUT (Y.), Droit des sociétés, Droit commercial, 1e éd., Paris, 1993.
- CHERKAOUI (H.), La société anonyme, 2e éd. Casablanca, 2004.
- CHERKAOUI (H.), Droit commercial, 3e éd. Casablanca, 2010.
- CHERKAOUI (H.), Droit des affaires : l’entreprise commerciale, éd. Casablanca, 2003.
- CHOUKRI SBAÏ (A.), Traité du droit commercial et comparé, T. 5, 1992.
- COZIAN (M.), VIANDIER (A.), DEBOISSY (F.), Droit des sociétés, 17e éd. Litec 2004.
- CONSTANTIN (A.), Droit des sociétés, Dalloz 4e éd., Paris, 2014.

288
- DABIN (L.), Le droit des sociétés et la conception contractuelle, Ann. Dr. Liège, 1959.
- DAIGRE (J.J.), La modernisation du droit des sociétés, Pratique des affaires, éd. Joly, Paris
1996.
- EL FEKKAK (M.), Droit du travail, social, 2008.
- FLOUR (J.) et AUBERT (J.L.), Les obligations 2, le fait juridique, 14e éd. Sirey, Paris ,
2011.
- FERRY-MACCARIO (N.), KLEINHEISTERKAMP (J.), LENGLART (F.), MEDJAD (K.)
et STOLOWY (N.), Gestion juridique de l’entreprise, Pearson Education France, Paris, 2006.
- GERARD (Ph.), OST (F.) et. VAN DE KERSHOVE (M), Droit et intérêt, V. 3 : droit
positif, droit comparé et histoire du droit, Publications des facultés universitaires Saint-Louis,
Bruxelles, 1990.
- GERMAIN (M.), Les sociétés commerciales, Traité de Droit Commercial, T.1, V.2, éd. L.
G.D.J. Paris, 2014.
- GHESTIN (J.) et GOUBEAUX (G.), Traité de droit civil, introduction générale, L.G.D.J.,
Paris, 1994.
- GOFFAUX-CALLEBAUT (G.), Du contrat en droit des sociétés, Essai sur le contrat
instrument d’adaptation du droit des sociétés, éd. l’Harmattan, Paris, 2008.
- GUYON (Y.), Droit des affaires : Droit commercial général et sociétés, T. I, 12é éd.,
Economica, Paris, 1992.
- GUIRMAND (F.) et HERAUX (A.), Droit des sociétés, Manuel et applications, éd.
DUNOD, 2009.
- HAINAUT-HAMEND (P.) et RAUCQ (G.), Les sociétés anonymes, constitution et
fonctionnement, éd. Larcier, Bruxelles, 2005.
- HERMITE (M.A.), Le rôle des concepts mous dans les techniques de déjuridicisation,
l’exemple des droits intellectuels, A.P.D. 1985.
- HAURIOU(M.), Les principes de droit public, éd. Sirey, Paris, 1910.
- JACQUEMONT (V. A), Droit des entreprises en difficultés, 2e éd. Litec, 2002.
- JAUFRET (A.), MESTRE (J.), Droit commercial, 21ème éd. L.G.D.J., Paris, 1993.
- JAUFFRET-SPINOSI (C.), Les assemblés d’actionnaires, réalité ou fiction ?, (Etudes
comparative), Etudes offertes à RODIERE (R.), Dalloz, Paris, 1981.
- JULIEN SAINT-AMAND (P.) et SOREAU (P.A.), Pactes d’actionnaires et engagements
fiscaux, éd. Francis LEFEBVRE, LEVALLOIS, 2006.
- KETTANI (A.), « Le Code civil et le DOC : Quelle filiation ? » in, Bicentenaire du Code
civil 1804-2004, La présence du Code Civil dans le Monde Arabe, Marrakech , 20 Mai 2004.
289
- KEUTGEN(G. ) et ANDRE-DUMONT (A.P.), « La société et son fonctionnement » in,
Droit des sociétés : les lois des 7 et 13 avril 1995, Bruylant, Bruxelles, 1995.
- LE CANNU (P.), Droit des sociétés, 2e éd. Montcherstien, Paris, 2003.
- LEFEBVRE (F.), Sociétés commerciales, Mémento pratique, éd. Francis LEFEBVRE,
Levallois, 1998.
- Magnier (V.) et Germain
(M.), Les sociétés commerciales, éd. L.G.D.J., Paris, 2014.
- MESTRE (J.), Lamy Sociétés Commerciales, éd. Lamy, Paris, 2001.
- MESTRE (J.), FAYE (S.) et BLANCHARD (C.), Lamy Sociétés commerciales, éd. Lamy,
Paris, 1995.
- MARTY(G.) et RAYNAUD (P.), Traité de droit civil, Les obligations, Sirey, Paris, 1988.
- MERLE (Ph.), Droit commercial, Sociétés commerciales, 16e éd. Dalloz, Paris, 2005
- MARTIN (D.R.), Droit commercial et bancaire marocain, 1e éd., Société d’Edition et de
Diffusion AL MADARISS, Casablanca, 1999.
- MICHOUD (L.), La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 3e
éd., L.G.D.J., Paris, 1932.
- MONEGER (J.) et GRANIER (Th .), Le commissaire aux comptes, n° 517, éd. Dalloz Sirey,
Paris, 1995
- PIC (P. ) et KREHEL (J.), Traité général théorique et pratique de droit commercial, des
sociétés commerciales, t II, 3e éd. Rousseau et Cie, 1948.
- Organisation de Coopération et de Développement Economiques, Gérer les conflits
d’intérêts dans le domaine public, Paris, 2005.
- RENARD (J-P.), Guide du gérant de la SPRL, Guide pratique, Ed. Edipro, Liège, 2005.
- RIPERT(G. ) et. ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, les sociétés commerciales, T. 1,
V.2, 18e éd., L.G.D.J., Paris, 2008.
- Royaume du Maroc, Memento, Droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique, Paris, 1999.
- SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit des entreprises en difficultés, Montchrestien, 4e éd.,
2004.
- SCHURMANS (C.), Le traitement judiciaire des entreprises en difficultés est-il un choix
judicieux ? , éd. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1995.
- SALLEILLES (R.), De la personnalité juridique, Histoire et théories, 2e éd. Librairie
Arthure ROUSSEAU, Paris, 1922.
- TCHOTOURIAN (I.) , Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution
d’une société, LGDJ, éd., Lextenso, Montchrestien, 2011.

290
- VAREILLES-SOMMIERES (G.L.), Les personnes morales, LGDJ, Paris, 1919.
- VIDAL (D.), Droit des sociétés, 4e éd. L.G.D.J., Paris, 2003.

II. Ouvrages spéciaux :


- ATIBACK (A.), L’abus de biens sociaux dans le groupe de sociétés, éd. l’Hrmatan, 2007.
- BULLE (J.F.), Le statut du dirigeant de société, SARL et SA, éd. Les Publications
Fiduciaires, Paris, 1996.
- CAPRASSE (O.) et AYDOGDU (R.), les conflits entre actionnaires, prévention et
résolution, éd. LARCIER, Bruxelles, 2010.
- CUISINIER (V.), L’affectio societatis, éd. LITEC, 2008.
- DIEUX (X.), « Shareholdership V. Stakeholdership: what else? » in, Droit des affaires en
évolution, journée du juriste d’entreprise, 18.11.2010, éd. Bruylant, Bruxelles, 2010.
- DE CORDT (Y.), L’égalité entre les actionnaires, éd. Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2004.
- DE CORDT (Y.), L’intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociale, Bruylant –
Academy, Bruxelles, 2008.
- DIEUX (X.) et WILLERMAIN (D.), Corporate Gouvernance, la loi du 2 aout 2002, éd.
Larcier, Bruxelles 2004.
- EYRIGNAC (L.), La protection pénale du patrimoine social, Ed. Institut Universitaire
Varenne, Paris, 2007.
- FAVARIO (T.), L’intérêt de l’entreprise en droit privé français, Essai sur l’appréciation
d’un standard, éd. Universitaires européennes, Berlin, 2010.
- GUYON (Y.), Traité des contrats, Les sociétés, Aménagements statutaires et conventions
entre associés, 5e édition L.G.D.J., Paris, 2002.
- GERVAIS (A.), Quelques réflexions à propos de la distinction des droits et des intérêts,
Mélange Paul ROUBIER, T. I, D., Sirey, Paris, 1961.
- GEORGES (E.), Essai de généralisation d’un droit de retrait dans la société anonyme,
LGDJ, Paris, 2006.
- GUYON (Y.), La nomination des administrateurs provisoires de sociétés : Mélanges
Bastian, T. I, 1974.

291
- KHALED SLAMA (S.), L’exclusion d’un associé dans les sociétés commerciales, A la
lumière de la modification du code des sociétés commerciales par la loi du 16 mars 2009,
Maison du livre, Paris, 2013
- LEFEBVRE (F.), Dirigeants de sociétés commerciales, éd. Francis LEFEBVRE Paris, 2006-
2007.
- MARINI (Ph.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise. Pour une meilleure
protection de l’intérêt social, Doit des affaires, L.G.D.J., Montchrestien, 2010.
- MAGNUS (F.), Les groupes de sociétés et la protection des intérêts catégoriels, LARCIER,
Bruxelles, 2011.
- MEDINA (A.), Abus de biens sociaux, prévention, détection, poursuite, éd. Dalloz, Paris,
2001.
- MARTIN (D.), « L’intérêt des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ? » in,
Mélange en l’honneur de Dominique SCHMID, éd. JOLY, Paris, 2005.
- MESTRE (J.) et RODA (J.C.), Les principales clauses des contrats d’affaires, éd. L.G.D.J,
Paris, 2011.
- MIGNON-COLOMBER (A.) , L’exécution forcée en droit des sociétés, éd. ECONOMICA,
Parris, 2004.
- MOREIL (S.) et LUDWICZAK (F.), La rémunération des dirigeants, éd. L’Harmattan,
Paris, 2013.
- MONSALLIER (M.C.), L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société
anonyme, éd. L.G.D.J., Paris, 1998.
- MOUTHIEU (M.A.) épouse NJANDEU, L’intérêt social en droit des sociétés, éd.
L’Harmattan, Paris, 2009.
- PERIN (P.R.), La société par actions simplifiée, L’organisation des pouvoirs, éd. Joly, Paris,
2000.
- REDENIUS-HOEVERMANN (J.), La responsabilité des dirigeants dans les sociétés
anonymes en droit français et allemand, éd. LGDJ Paris 2010.
- SCHMIDT (D.), Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. JOLY, Paris, 2004.
- SCHOLASTIQUE (S.), Le devoir de diligence des administrateurs de sociétés, droit français
et anglais, éd. LGDJ, Paris 1998.
- SIMONART (V.), « Les conflits d’intérêts au sein de l’assemblée générale de la société
anonyme en droit comparé » in, Les conflits d’intérêts, Bruylant, Bruxelles, 1997.

292
- STROWEL (A.), « A la recherche de l’intérêt en économie. De l’utilitarisme à la science
économique néoclassique » in, Droit et intérêt : Approches interdisciplinaires, vol. I,
Publications F.U.S.L., Bruxelles, 1990.

III. Thèses :
- ASSAKOUR (A.), Le président du conseil d’administration de la société anonyme familiale
en droit marocain, Thèse en droit privé, Université de PERPIGNAN, Faculté internationale
des droits d’Afrique francophone, 2004.
- ALAOUI (F.), La protection des actionnaires des sociétés anonymes dans le droit marocain,
Thèse en droit, Université de PERPIGNAN, Faculté de droit et de sciences économiques,
Faculté internationale des droits d’Afrique francophone, 2004.
- BOUKHIMA (A.), Le contrôle de la société anonyme, Thèse en droit privé, Université
HASSAN II AIN CHOK, 2003-2004.
- CHAMPETIER DE RIBES-JUSTEAU (A-L.), Les abus de majorité, de minorité et
d’égalité, Etude comparative des droits français et américain des sociétés, Thèse de droit,
Université de PARIS I PANTHEON-SORBONNE, 2006, Dalloz, 2010.
- ELHAMMOUMI (A.), La protection des actionnaires minoritaires en droit marocain, (étude
de droit comparé), Thèse en droit, Université de NICE SOPHIA-ANTIPOLIS, Décembre
2001.
- KADDOUCH (R.), le droit de vote de l’associé, Thèse en droit, université de droit,
d’économie et des sciences d’AIX MARSEILLE, Faculté de droit et de science politique,
2002.
- LOUIS-LUCAS (P.), Volonté et cause. Etude sur le rôle respectif des éléments générateurs
du lien obligatoire en droit privé, Thèse, DIJON, 1918.
- LE CANNU (P.) et LEPELTIER (D.), Jurisprudence Joly de droit des sociétés 1986-1990,
éd. Joly, Paris, 1992.
- MAMOUNI (I.), L’intérêt social en droit des sociétés commerciales, Thèse en droit des
affaires, Université MOHAMMED V RABAT-AGDAL, 2010.

293
- PAILLUSSEAU (J.), La société anonyme technique juridique d’organisation de l’entreprise,
Thèse, PARIS, Sirey 1970.
- RUELLAN (C.), La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, Thèse dactyl. PARIS
II, 1997.
- SCHMIDT (D.), Les droits de la minorité dans la société anonyme, Thèse, Sirey. 1970.
- VAISSE (S.), La loi de la majorité dans la société anonyme (contribution à l’étude de la
nature juridique de la société anonyme), Thèse Paris, 1967.
- ZREIK (S.K.), Conventions réglementées et intérêt social en droit comparé (Liban-France-
USA), Thèse en cotutelle, Université PANTHEON-ASSAS, PARIS II et Université ST-
JOSEPH, BEYROUTH, 2011.
- ZEIDENBERG (S.), L’intérêt social, Etude du particularisme du contrat de société, Thèse,
BORDEAUX IV, 2000.

IV. Articles, études et colloques :


- BISSARA (Ph.), « L’intérêt social », in rev. Sociétés, n°3008, 1999-5, p. 9.
- BERTRANDON (J.), « Abus de majorité et abus de pouvoirs », in RFC, n°390, Juil./aug.
2006, p.12.
- BOLARD (G.), « Administration provisoire et mandat ad hoc », in JCP E, 1995, I, 509.
- BOULOC (B.), « Abus de biens sociaux », in Rép. Pén., D., janv. 2009, p. 26.
- BERTEL (J.P.), « Liberté contractuelle et sociétés », in RTD com., 49 (4), oct. /déc., 1996.
- CARTERON (M.), « L’abus de droit et le détournement de pouvoirs dans les assemblées
générales des sociétés anonymes », in Rev. Sociétés, 1964, p. 161.
- CHARREAUX (G.), « Le rôle de la confiance dans les systèmes de gouvernance des
entreprises », in Sciences de Gestion, n° spé.: Confiance et gestion , n° 8-9,sept., 1998.
- CHERKAOUI (H.) , « Le critère d’intérêts économiques de la société dans l’abus de biens
sociaux », in RJPEM, n° spé. 35, p. 87, Rabat.
- DARROIS (J. M.) et VIANDIER (A.), « L’intérêt social prime l’intérêt des actionnaires »,
in Les échos, le 27 juin 2003.
- DAIGRE (J. J.), « Le gouvernement de l’entreprise : feu de paille ou mouvement de fond »,
in Droit & Patrimoine, Juil./aout 1996, p. 21.
- ELIDRISSI (A.), « Droit pénale des affaires : l’abus de biens sociaux dans la
jurisprudence », in RMC, n° 11 et 12, 2010, p. 76.
- ELHAMMOUMI (A.), « De l’abus dans l’exercice du droit de vote en droit des sociétés »,
in REMADAE, n°7, janv. 2005, p. 14.

294
- ESSINE (Z.), « Le délit d’abus de biens sociaux : un délit inutile », in RMDAE, n° 14-15,
mai-sept., 2009, p. 44.
- FASQUELLE (D.), « La protection des actionnaires minoritaires de la société anonyme, le
projet de loi marocain n° 17-95 à la lumière de l’expérience française », in RMDED, n° 37,
1996, p. 133.
- FERRANDON (B.), « Les leçons de l’affaire Enron », in Cah. français, Les nouvelles
logistiques de l’entreprise, n° 309, 2001, p. 69.
- GOFFAUX-CALLEBAUT (G.), « La définition de l’intérêt social, retour sur cette notion
après les évolutions législatives récentes », in RTD com., Jan/Mars 2004, p. 39.
- GENGLOS (G.), « Création de la valeur et gouvernance de l’entreprise : Les exigences des
actionnaires s’opposent-elles à l’intérêt social ? », in RSG. : Direction et gestion, n° 224-225,
Mars/Juni 2007, p. 103.
- GOUTAY (P.) et DANOS (F.), « De l’abus de la notion d’intérêt social », in D.A. 1997, p.
877.
- HENAFF (G.), « L’intérêt social », Université de Renne 2 Haute Bretagne, 2005, p. 3.
- JEANTIN (M.), « Les conventions de vote », in Coll. de Deauville, RJ com., n° spéc. nov.
1990, p. 124.
- KENGNE (G.), « Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote », in P.A., n°116, 12
juin 2000, p. 14.
- KETTANI (A.), « La réforme marocaine des sociétés anonymes et le corporate
governance », in RMDED, n° 37, 1996, p. 105.
- LESOURD (N.), « L’annulation pour abus de droit des délibérations d’assemblées
générales », in RTD com., 1962, p. 14.
- MARINI (Ph.), « Modernisation du droit des sociétés », coll. Des rapports officiels, la
documentation française, n° spéc, 1996.
- MESTRE (J.), « Réflexion sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés », in RJ com.,
1985, p. 83.
- OULEHDI (N.), « Introduction à l’étude de droit pénal spécial des affaires », in RMDAE,
n° 2, mai 2003, p. 22.
- PASQUALINI (F.), « Les conventions extra-statutaires, outils de modulation de la
rémunération des associés », in rev. Sociétés, n°2, éd. D., avr. 2010, p. 79.
- PAILLUSSEAU (J.), « La modernisation du droit des sociétés commerciales », in Chr.,
D.1996, p. 289.

295
- PAILLUSSEAU (J.), « Le droit moderne de la personnalité morale », in RTD civ. 1993, p.
705.
- PAILLUSSEAU (J.), « L’efficacité des entreprise et la légitimité du pouvoir », in P.A., n °
74, 19 juin 1996, p. 23.
- PIROVANO (A.), « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de
l’entreprise ? », in 24eme Cah. chr , D. 1997, p. 190.
- PINOTEAU (Ch.), « Le délit d’abus des biens et du crédit de la société », in Gaz. Pal. doct.,
1969, p. 165.
- PRIEUR (C.-E.), MEDIAZ (N.), « La fixation et le contrôle de la rémunération des
dirigeants », in Dossier les instruments de la rémunération des dirigeants, Journal des
sociétés, n° 101, sépt. 2012, p. 29.
- RAITE (R.), « Le rôle répressif de la justice à l’égard de la société anonyme : la
responsabilité des membres des organes d’administration et de gestion », in RMDAE, n° 10,
mars 2006, p. 37.
- ROUSSEAU (S.), TCHOTOURIAN (I.), « L’intérêt social en droit des sociétés : Regards
transatlantiques » article réalisé à la Chaire de droit des affaires et du commerce international
(C.D.A.C.I.) sur le thème de la responsabilité sociale des entreprises cotées, Univérsité de
MONTREAL, Faculté de droit, 2009, p. 19.
- SCHMIDT (D.), « De l’intérêt social », in JCP E, n°35, 1995, p. 38.
- SCHMIDT (D.), « L’intérêt commun des associés », in RD bancaire, n° 45, 1994, p. 204.
- SAHRANE (L.), « Droit des sociétés et droit des entreprises en difficulté : interférences
pour une appréciation critique », RD, RJSS, n°16-17 Févr.-Déc. 2014, p. 52.
- SABEUR (K.), « Diriger sans responsabilité, vers l’instauration des règles de bonnes
gouvernance dans les sociétés commerciales », Etudes Juridiques, n° 16, 2009, p. 293.
- SWEDBERG (R.), « Capitalisme et éthique : Comment les dispositions législatives relatives
aux conflits d'intérêts peuvent être utilisées pour prévenir les dilemmes moraux dans la vie
économique », in RISS, n° 185, mars, 2005, pp. 523-534.
- TERRE (F.), « Fondements historiques et philosophiques de la loi de la majorité », in coll.
Deauville, RJ com., n° spéc. nov. 1991, p. 9.
- TMAR (R.), « Le commissaire aux comptes face à la rémunération des dirigeants des
sociétés anonymes », in RCF, n° 87, 1e trim., 2010, p. 36.
- YAICH (A.), « Les composantes de la nouvelle réglementation sur la prévention des conflits
d’intérêt et les conventions dans les sociétés anonymes à conseil d’administration », RCF, 2e
trim., n°88, 2010, p. 23.

296
V. Décisions de justice :

- Caen, 11 avril 1927 : D., 1982, 2, p. 65, note LEPARGNEUR.


- Trib. com. Seine, 11 janv. 1938 : Journ. Soc., 1938, p. 301, note H. BOSVIEUX,
- CA. Paris, 2 nov. 1954, D. 1954, J. 758.
- Cass. crim., 21 déc. 1954, Bull. crim., n° 422.
- Cass. crim., 17 oct. 1957, Bull. crim., n° 648.
- CA Besançon, 5 juin 1957 : D. 1957, p. 605, note A. DALSACE.
- CA. Paris, 22 févr. 1959, JCP 1959, II, n° 11175, note D.B.
- Paris, 28 févr. 1959: D., 1959, p. 353.
- Cass. crim., 29 nov. 1960, Bull. crim., n° 533.
- Paris 4 mai 1960 : D. 1960, 637 note Dalsace.
- Cass. com. 18 avril 1961 : J.C.P., II, 12164, note D. Bastian.
- CA. Douai, 24 mai 1962 : J.C.P., 1962, II, note D. Bastian.
- Cass. crim., 10 nov. 1964.
- TGI Compiègne, 22 déc. 1964 : JCP, 1965, II, 14279, note N. Bernard.
- CA. Paris, 22 mai 1965, JCP 1965, II, n° 14274 bis, conclu. Avoc. Gén. NEPVEU.
- Trib. com. Versailles ,18 janv. 1967 : RTD com., 1967, p. 295.
- Cass. crim., 3 mai 1967 : Bull. crim., 1967, n°148, p. 350.
- Crim. 6 janv. 1970, Rev. Sociétés 1971, 25, note B. BOULOC.
- Crim. 16 mars 1970, Bull Criminel n° 107.
- Cass. crim. 19.10.1971, Bull. Joly 1973, p.332, note Bouloc.
- Cass. crim., 12 déc. 1971, Bul. crim., n° 272.
- Paris 25 janv 1972, Rev. Sociétés 1972, 688, note Schmidt.
- Cass. crim. 17.10.1973, Rev. Sociétés 1974, 145, note Bouloc.
- Crim. 9 mai 1973, D. 1974, p.271 note BOULOC.
- Cass. crim. 15 janv. 1973, p. 357, note BOULOC.
- Trib. com. Paris 14 mai 1973, rev. Sociétés 1794, p. 71, note E. PONTAVICE.
- Trib. com. Paris, 1er août 1974, Rev. Sociétés 1974, p. 685, note B. OPPETIT.
- Cass. com., 24 févr.1975, Rev. Sociétés 1976, p. 92, note B. Oppetit.
- Trib. com. Poitiers, 30 juin 1975 : RTD com., 1976, p. 373, n° 10, obs. Champaud
- Cass. com., 24 févr.1976, Rev. Sociétés 1980, P. 304, note I. BALENSTI.
- Cass. com. 22 avr. 1976 : Gaz. Pal., 1977, Doct., p. 157, note M. Greamain.
- Cass. crim. 19 oct.1978, Rev. Sociétés 1979, 872, note Bouloc.

297
- Cass. crim., 27 nov. 1978, D. 1979, p. 123, note J. COSSON.
- Crim. 26 juin, 1978, JCP 1978.273.
- Com. 11 fevr. 1980, D. 1980, IR, 395.
- Trib. com. Paris, 4 mars 1981 : RJ com., 1982, p. 7 et s., note de Fontbressin.
- Crim. 15 juil. 1981, Bull. Joly 1981, p. 840.
- Com. 26 avr. 1982, Rev. Sociétés 1984, 93, J.-L. SIBON.
- Crim. 3 mai 1982, rev. Sociétés 1983, p. 811, B. BOULOC.
- Cass. com., 18 mai 1982, Rev. Sociétés, 1982, p. 804, note P. LECANNU.
- Crim. 6 juin 1983, BRDA 1983, n°18, p. 20.
- CA., Aix, 26 juin 1984 : D., 1985, p. 372, note MESTE.
- Cass. civ. 10 janv 1984, RTD com., 1985, p. 158.
- Tr. com., Paris 26 avril 1985, D. 1986, 92, note GUYENOT.
- Cass. crim. 17 nov. 1986, Bull. Crim. n° 342.
- CA. Paris, 3e ch. B, 26 mars 1986, Rev. jur. Com. 1986, p. 332.
- Cass. crim.,1 oct. 1987, Bull. Joly 1987.
- Soc., 12 fevr. 1987, Bull. Joly, 1988. 1193.
- Cass. com., 23 juin 1987, Philip c/ Sté Manoir Murisaltien, Laurent et autres : Bull. Joly,
juil.-aout 1987, p. 624.
- Cass. com., 15 juil. 1987, D. 1987, IR, p. 202.
- Cass. com., 4 oct. 1988 : Bull. Joly, Nov. 1988, § 276, p. 861, note P. Le cannu.
- Versailles, 4e Ch., 22 mai 1987, Société clinique Albert 1er c/ SCI du 6bis, avenue Albert
1er et Devars : Bull. Joly, sept. 1987, p. 709, § 291.
- Cass. com. 29 sept.1988, Bull. civ., 1988, IV, n° 331, p. 222.
- Versailles, 13e Ch., 1er déc. 1988, Salvetat c/ societies Baush et Lomb France et Société
Baush et Lomb: Bull. Joly, févr. 1989, p. Cass. com., 17 janv. 1984, Dr. Sociétés 172, § 47.
- Crim. 9 mai 1988, BRDA 1988, n°13, p. 7.
- Cass. crim., 13 juin 1988 : Bull. Joly, juil.-aout-sept. 1988, p. 661, §213.
- Paris, 3e Ch., 12 octobre 1989, SA Loris Azzaro c/ Azzaro: Bull. Joly, déc. 1989, p. 965,
note D. LEPELTIER.
- Crim. 13 févr. 1989, rev. Sociétés 1989, p. 692, B. BOULOC,
- Cass. com., 14 févr. 1989, Rev. Sociétés 1989, p. 163, note RANDOUX.
- CA. Versailles, 20 spt. 1990.
- Cass. Crim., 22 oct. 1990, X: Bull. Joly, janv. 1991, p. 75.
- CA Limoges, 23 avril 1990, BRDA, 31 janv. 1991.

298
- Paris, 5e Ch. A, 21 mars 1990, société française Auer SA c/ J-P Laurans: Bull. Joly, juin
1990, p. 527, § 137, note M. JEANTIN.
- 3e Ch. A. Paris, 26 juin 1990, SA Fromageries Bel et autres c/ sa Fromageries Paul Renard :
Bull. Joly, aout-sept. 1990, p. 755, note P. LE CANNU.
- Cass. com. Juin 1990, D. 1992, p. 56, note J.-Y Chloey-Combe.
- Cass. com., 6 juin 1990, Rev. Sociétés 1990, p. 606, note Y. CHARTIER.
- Cass. crim., 27 nov. 1991, Bull. Joly soc., 1992, p. 405.
- Paris 26 sept. 1991, Bull. Joly 1991.
- Cass. com., 22 avr. 1992, Rev. Sociétés 1993, p. 124, note BOULOC.
- CA. Agadir, 25 juin 1992, la plaidoirie (en arabe : Al mourafaâ), mai 1994, n°9, p. 145.
- Cass. com., 9 mars 1993 : D. 1993, p. 363, note Y. GUYON.
- Cass. crim. 11 mai 1993, Bull. joly soc. 1993.
- Cass. Crim., 14 juin 1993, Rev. Sociétés 1994, p. 90, note 50, B.Bouloc.
- Com. 24 mai 1994, Bull. Joly 1994, p. 789, n° 211.
- Cass. crim., 26 mai 1994, Bul. crim., n° 206.
- Cass. crim., 26 mai 1994, Bull. Joly 1994, p. 1295.
- Cass. com. 24 janv. 1995, Bull. Joly 1995, 329.
- Aix-en-Provence 27 janv. 1995, Bull. Joly 1995, 325.
- Cass. crim. 25 nov. 1995, Bull Crim. 1975 n°257
- Cass. com. 31 déc. 1995, JCP E 1995 panorama, p. 255.
- Cass. com. 20 juin 1995 n° 1309 : RJDA 7/95, n°904.
- Cass. crim., 27 juin 1995, rev. Sociétés 1995, p. 746, note B. BOULOC.
- Paris, 30 juin 1995 : J.C.P. 1996, II, 795, note J.J. DAIGRE,
- Cass. crim., 10 juil. 1995 : JCP E 1996, II, 780, note J. PAILLUSSEAU.
- Cass. crim., 11 janv. 1996, Rev. Sociétés 1998, p. 586, note BOULOC.
- Cass. crim., 6 févr. 1996, JCP 1996, E, II, n° 837, obs. J-F RENUCCI et O. MEYER.
- Cass. com., 12 mars 1996 : JCP, 1996, E, II, 831, note Y. PACLOT.
- C.A. Paris, 18 sept. 1996, Juris-data crim. 28 mai 1981, Dalloz, p. 137.
- Cass. com., 8 juil 1997, Bull. Joly 1997, p. 980, obs. E. LEPOUTRE.
- Cass. crim. 27oct. 1997, Bull. Crim n° 352.
- Paris, 27 févr. 1997, Bull. Joly 1997, p. 573, n° 227, note J.-P. Garçon.
- Cass. crim 20 mars 1997, Abus de biens sociaux et complicité, Rev. Sociétés, 1997.
- Trib. Com. Marrakech, doss. com., n° 1/98, déc. n° 7/4/99, (en arabe).

299
- Cass. 3e civ., 25 mars 1998, Société Banque Paribas et a. c/ SCI Fluvib et a.: J.C.P., E, 10
déc. 1998, n°50, note J.-P. Garcon.
- Cass. crim. 15 Sept. 1999, p. 68.
- Cass. crim., 15 sept. 1999, D. 2000, p. 319.
- Cass. crim. 15 Sept. 1999: Bull. Joly, Jan. 2000, § 12, p.65, note Mascala
- CA. Com. Marrakech, 7 Jan. 1999, n° 24, dos. n° 98/210, la GTM, n° 92 Jan. fév., 2002, p.
179.
- Tri. Com. Marrakech, dos. com., n° 1/98, décision n°7/4/99, in la GTM, n° 18, p. 195 (en
arabe).
- Crim 13 déc. 2000, Bull. crim., n° 373 et 378.
- Cass. com 29 ferv. 2000 n° 337 : RJDA 5/00 n° 580.
- Tri. com. Casablanca 6 mars 2000, dossier n° 3/2000/46 (inédit).
- Trib. com. Marrakech, 7 mai 2000, n°270, dossier n°817/2000.
- CA Versailles 29 juin 2000, 12e ch. 2e sect., Sté Halisol c/Sté Medix : RJDA 1/01 n° 44.
- Crim. 5 déc. 2001, n° 1-80.065, RSC 2002. 830, obs. D. REBUT.
- CA. Casablanca 19 février 2001, n° dos. 2412/2000/4 (inédit).
- Arrêt n° 655 du 28 mars 2001, dos. com. N° 31998/92.
- C.A. Marrakech n°597, 2 juillet 2001, GTM, n° 91, nov.-déc. 2001, p. 171.
- Trib.de com. Casablanca le 19/11/2001, n° de dos. 141/2001/10, n° de déc.330/2001 (en
arabe).
- Cass. com 5 fevr. 2002, n° 357 : RJDA 5/02 n° 537.
- Cass. Com., 18 juin 2002, D. 2002, p. 2190, note A. Lienhard.
- Paris 2 juil. 2002 (Aff. Azzaro) Bull. Joly 2002, p. 1204, n° 257, P. Le Cannu.
- CA Paris, 3e cham. 5 avril 2002, JCP E 2002, p. 1796.
- TPI, Casablanca Anfa, dos. n°2002/18, déc. n° 321 du 10 mars 2003.
- Cass. Crim., 14 mai 2003.
- Com. 1er juill. 2003, Bull. Joly 2003, p. 1137, n° 236, A. Constantin.
- Cass. com. 7 jan. 2004, n° 15 F-D, sté OPE Intermarché c/ Malinge : RJDA 7/04 n° 840, cité
par Francis LEFEBVRE.
- Cass. crim., 22 sept. 2004, rev. Sociétés, 2005.
- Com. 30 nov. 2004 (Chmpagnes Giesler), Bull. Joly 2005, p. 241, n° 42, P. Le Cannu.
- Cass. com., 7 juil.2004, Bull. Joly, déc. 2004, § 300, p. 1510, note J-Ph.-DOM.
- Crim., 25 oct. 2006, Jean François BARBIERI.
- Crim. 14 juin 2006, Dr. Sociétés 2006, n° 151, R. SALOMON.

300
- Trib. com. Paris, 2e ch., 20 juin 2006.
- Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-19.225, FS-P+B, SA Hexagone Hospitalisation Ile de
France c/ Société La Roseraie Clinique Hôpital : Juris-Data n° 2007-038097, comm. Hervé
LECUYER.
- Trib. com. Bruxelles, 18 nov. 2008, J.T., 2008, p. 703.
- CA. Bruxelles, 12 déc. 2008, T.R.V., 2009, p. 67.
- Cass. crim., 21 oct. 2009, RJDA 4/10 n° 393.
- Cass. com. Rabat, 17 juin 2009, n° déc. 993, n° dos. 1029/3/1/2008, G.T.M., n°128-129
- Trib. com., Casablanca, le 20 avr. 2010, n° de déc. 3913, n° dos. 2607/8/2010.
- Cass. com., Rabat, 26 janv. 2012, arrêt n° 88, doss. n° 116/3/3/2011.
- CA. Com. Fes, 29 mars 2012, arrêt n° 602, doss. n° 56/122/2012.
- CA. Com. Marrakech, 12 avr. 2012, arrêt n° 644, doss. n° 08/9/142.

VI. Dictionnaires :

- CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 6e éd., P.U.F., Paris,
2004.
- GUILLIEN (R.), VINCENT (J.), Termes juridiques, 10e éd. Dalloz, Paris, 1995.
- Le Petit Larousse Illustré, Dictionnaire encyclopédique, éd. Patrice MAUBOURGUET,
1996.
- ALLAND (D.) et AILS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, , éd. P.U.F., Paris, 2003.

VII. Lois :

- Code civil français, version consolidée du 3 janvier 2018.


- Dahir du 9 ramadan 1331/ 12 aout 1913 formant Code des Obligations et des Contrats, B.O.
le 12 sept. 1913.
- Dahir n°1-96-83 du 15 rabii I 1417 (1e août 1996) portant promulgation de la loi n° 15-95,
formant Code de commerce tel qu’il a été modifié et complété par la loi n° 24-04.
- Dahir n° 1-59-413 du 26 novembre 1962 portant approbation du texte du code pénal, tel
qu’il a été complété B.O. n°2640 bis du 5 juin1963.
- Dahir n° 1.18.29 du 02 chaaban 1439 (9 avril 2018) portant promulgation de la loi 73-17
modifiant et complétant le livre V de la loi n° 95-15 formant code de commerce.
Dahir n°1-08-18 du 17 Joumada I (23 mai 2008) portant promulgation de la Loi n°20-05,
publié B.O. n° 5640 du 19 juin 2008, page 384.

301
- Loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes publié au B.O. n° 4422 le 17/10/1996) tel qu’il
a été modifié par la loi n° 81-99 promulgue par le dahir n° 1-99-327 du 21 ramadan 1420,
publié au B.O. n° 4758 le 06/01/2000.
- Loi n°78-12 complétant et modifiant la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes et publié
dans l'édition générale du B.O n° 6390 du 18 août 2015 et à l'édition de traduction officielle
du 21 janvier 2016.
- Loi n° 5-96 sur la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en
commandite par action, la société à responsabilité limitée et la société en participation.
- Loi canadienne sur les sociétés par action (L.R.C. (1985), chapitre C-44).
- Loi n° 44-12 relative à l'appel public à l'épargne et aux informations exigées des personnes
morales et organismes faisant appel public à l'épargne.
- Loi n° 23-01 relative au conseil déontologique des valeurs mobilières et aux informations
exigées des personnes morales faisant appel public à l’épargne.
- Loi n° 20-19 modifiant et complétant la loi n° 17-95 relative aux SA.

VIII. Webographie :

- Cash Investigation : « Quand les actionnaires s’en prennent à nos emplois », disponible à
l’adresse suivante : http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/
cash-investigation-du-mardi-3-mars-2015_833587.html
- COURET (A.), vidéo pédagogique sur « Abus de majorité et abus de minorité », faite par
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 19 mars 2014, disponible à l’adresse suivante :
https://www.canal-u.tv/video/universite_paris_1_pantheon_sorbonne/
abus_de_majorite_et_de_minorite.15346
-Cabinet Bassamat et associée pour la jurisprudence, disponible à l’adresse suivante :
http://www.jurisprudence.ma/content/tccasablanca19112001264200110-et-277200110.

-Portail de jurisprudence du cabinet d’Azouggar, disponible à l’adresse suivante :


http://www.jurisprudencemaroc.com/lecture.php?id_fichier=4736.

- Rapport sur « La réforme des procédures de traitement des difficultés de l’entreprise au


Maroc » :file:///C:/Users/Administrator/Downloads/LA_REFORME_DES_PROCEDURES_
DE_TRAITEMENT_DES_DIFFICULTES_DE_L_ENTREPRISE_AU_MAROC.pdf.

302
‫‪En langue arabe :‬‬

‫‪ : .I‬المراجع العامة‬

‫احمد شكري السباعي‪ ،‬الوسيط في مساطر الوقاية من الصعوبات التي تعترض المقاولة ومساطر معالجتها‪ ،‬الجزء الثالث‪- ،‬‬
‫‪.‬دار نشر المعرفة‪ ،2009،‬الرباط‬

‫‪ .-‬امحمد لفروجي‪ ،‬وضعية الدائنين في مساطر صعوبات المقاولة‪ ،‬مطبعة النجاح الجديدة‪ ،‬الدار البيضاء‪2006 ،‬‬

‫عز الدين بنستي‪ ،‬الشركات في التشريع المغربي والمقارن‪ ،‬دراسة مقارنة وعلى ضوء المستجدات التشريعية الراهنة‪- ،‬‬
‫‪ .‬الجزء األول في النظرية العامة لشركة‪ ،‬مطبعة النجاح الجديدة‪ ،‬الدار البيضاء‪1995 ،‬‬

‫عمر ازوكار‪ ,‬الشركات ذات المسؤولية المحدودة في ضوء االجتهاد القضائي‪ ,‬مطبعة النجاح الجديدة‪ ،‬الدار البيضاء‪-,‬‬
‫‪.‬الطبعة االولى ‪2018‬‬

‫عمر ازوكار‪ ،‬المنازعات القضائية في الشركات ذات المسؤولية المحددة في ضوء العمل القضائي المغربي‪ ،‬مطبعة ‪-‬‬
‫‪.‬النجاح الجديدة‪ ،‬الطبعة االولى‪ ،‬الدار البيضاء‪2018 ،‬‬

‫‪ : .II‬المراجع الخاصة‬

‫‪ .‬المصطفى بوزمان‪ ،‬حماية المصلحة االجتماعية في شركات المساهمة‪ ،‬سلسلة أعمال جامعية‪ ،‬دار نشر المعرفة‪- 2016 ،‬‬

‫‪ .‬زهير بونعامية‪ ،‬االعتبار الشخصي في شركات المساهمة‪ ،‬دار القلم بالرباط‪ ،‬البعة االولى ‪- 2011‬‬

‫عبد السالم محمد البلوشي‪ ،‬بوصلة الشركة‪ ،‬محاولة لتحديدي المصلحة التي تبغيها الشركة (دراسة قانونية مقارنة )‪- ،‬‬
‫‪.‬مركز االمارات للدراسات و البحوث االستراتيجية‪ ،‬الطبعة االولى‪ ،‬العدد ‪2013 ،186‬‬

‫‪-‬عبد الرحمان السباعي‪ ،‬مبدا المساواة بين المساهمين في شركات المساهمة‪ ،‬دار االفاق المغربية للنشر و التوزيع‪ ،‬الرباط‪.‬‬

‫‪ .‬كمال العياري‪ ،‬المسير في الشركات التجارية‪ ،‬مجمع االطرش للكتاب المختص‪ ،‬تونس‪ ،‬الطبعة االولى‪- 2011‬‬

‫‪303‬‬
‫‪: III‬أطروحات ‪.‬‬

‫أمنار الحسين‪ ،‬التعسف في استعمال حق التصويت داخل الجموع العامة لشركات المساهمة‪ ،‬أطروحة لنيل دكتوراه ‪-‬‬
‫الدولة ‪2000-2001.‬في القانون الخاص‪ ،‬كلية العلوم القانونية و االقتصادية و االجتماعية‪ ،‬جامعة القاضي عياض‪ ،‬مراكش‬

‫عبد الوهاب المريني‪ ،‬األغلبية في شركة المساهمة في القانون المغربي ‪ ،‬أطروحة لنيل دكتورة الدولة في الحقوق‪ ،‬كلية ‪- .‬‬
‫‪ 1996-1997،‬العلوم القانونية و االقتصادية و االجتماعية‪ ،‬جامعة محمد الخامس‪ ، ،‬الرباط‪ ،‬أكدال‬

‫عبد الواحد حمداوي‪ ،‬تعسف االغلبية في شركة المساهمة‪ ،‬دراسة مقارنة‪،‬أطروحة لنيل دكتوراه في القانون الخاص‪- ،‬‬
‫كلية ‪ 2000-2001.‬العلوم القانونية و االقتصادية و االجتماعية‪ ،‬جامعة محمد األول‪ ،‬وجدة‬

‫‪: III‬مقاالت ‪.‬‬

‫عبد الحق العمرتي‪ ،‬ضعف تمثيلية المساهمين غير المسيرين على ضوء قانون شركات المساهمة‪ ،‬منازعات االعمال بين‪. -‬‬
‫‪2016،‬القانون و الممارسة‪ ،‬منشورات المجلة المغربية للدراسات و االستشارات القانونية‪ ،‬العدد الثاني‪ ،‬دسمبر‬

‫عبداللطيف هداية هللا‪ ،‬هل يحق للمساهم مقاضاة الشركة الي يعتبر مساهما فيها للحصول على تعويض لجبر الضرر‪. -‬‬
‫‪2001،91‬الحاصل له ؟‪ ،‬المجلة المغربية‪ ،‬عدد‬

‫‪En langue anglaise :‬‬

‫‪I.‬‬ ‫‪General works :‬‬

‫‪- BEAUCHAMP (T. L.) et BOWIE (N. E.), Ethical Theory and Business, Pearson Prentice‬‬
‫‪Hall: New Jersey, 2003.‬‬
‫‪- MITCHEL (L.E.), A Theorical and Practical Framework for Enforcing Corporate‬‬
‫‪Constituency Statutes, Texas Law Review, , Vol. 70, 1992.‬‬
‫‪- SMITH (A.), The wealth of nations 700, Canadian edition, 1776.‬‬

‫‪II.‬‬ ‫‪Special works :‬‬


‫‪- DAVIES (P. L.), Gower’s Principles of Modern Company Low, 6éme éd., Londres, Sweet‬‬
‫‪& Maxwell, 1997.‬‬

‫‪III.‬‬ ‫‪Studies and articles:‬‬


‫‪- BLAIR (M. M.), « Ownership and control: Rethinking corporate governance for the twenty-‬‬
‫‪first century », The Brookings Institution, Washington D.C., 1995.‬‬

‫‪304‬‬
- BAIRD (D.G.) and HENDERSON (M.T.), « Other people’s money », John M. OLIN LAW
& ECONOMICS working paper, n. 359, The law school, The University of CHICAGO,
September 2007.
- STOUT (L. A.), « Why We Should Stop Teaching Dodge v. Ford ? », UCLA School of
Law, Law-Econ Research Paper n° 07-11, 2007.

IV. Case-law :
- Salomon. A. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.).
- Duquenne c. La Compagnie Générale des Boisons Canadiennes (1907) 31 C.S. 409 (C.R.).
- Dodge c. Ford Motor Co., 170, N.W., 668, 684 (Mich. 1919).
- Greenhalgh c. Ardenne Cinemas (1950), [1951] 1 Ch. 286, p. 291, (C.A.).
- Schlensky c. Wrigley, 237 N.E. 2d 776 (III). App. Ct. 1968.

V. Wébography :
- CASTALDO (J.), « How management has failed at RIM », The Canadian Business, 19
janvier 2011, disponible à l’adresse suivante: http://www.canadianbusiness.com/technology-
news/how-management-has-failed-at-rim/
- Arrêt de la Cour suprême de Canada dans l’affaire de magasin à rayon Peoples Département
stores Inc. (Syndic de) contre Wise :
https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/2184/index.do
- HANSMANN (H.) et KRAAKMAN (R.), « The end of history for corporate law », Working
paper n° 00-09, Working paper n° 00-09, Yale Law School, European Corporate Governance
Institute, Harvard Law School, Jan. 2000 : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?
abstract_id=204528

305
Table des matières

Dédicaces…………………………………………………………………………………………….1

Remerciements………………………………………………………………………………………2

Sommaire……………………………………………………………………………………….……3

Abréviations………………………………………………………………………...…......................4

Introduction………………………………………………………………..………………….……...7

Première partie : Interférences entre l’intérêt social et les intérêts des


actionnaires……………………………………………………………………………………......17

Titre I : La portée de l’intérêt social..............................................................................................19

Chapitre 1 : L’intérêt social, au regard de la loi…….............………………….………..….…..20

Section 1 : La notion de l’intérêt social dans les dispositions du D.O.C et dans le Code de
commerce.......................................................................................................................................…20

Sous-section 1 : L’intérêt social dans le D.O.C……...........…………………………………...…...20

Paragraphe 1 : La reconnaissance de l’intérêt social par le D.O.C en vue de préserver la pérennité


de la société……………………………………………………...............……………...………….21

A- Contre les comportements concurrentiels des associés……………………………………….21


B- Contre le retard dans la gestion des gérants ………………………………..…………………22

Paragraphe 2 : La méconnaissance de l’intérêt social par le D.O.C dans certaines étapes de la vie de
la société …………………………………………………………...........…………………………23

306
A- Dans la constitution de la société ……………………………………………………………..23
B- Dans la nullité de la société ……………………………………………………………..……25

Sous-section 2 : L’intérêt social dans le livre V du Code de commerce…..........………….………26

Paragraphe 1 : Le rôle de l’intérêt social dans la continuation de l’exploitation de l’entreprise…..27

A- L’appréciation de l’intérêt social par le syndic………...........……………………………..….27


B- L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise …..................……………………29

Paragraphe 2 : Le rôle de l’intérêt social dans la sanction des dirigeants…………..........…..…….31

A- Référence tacite de l’intérêt social ..........…………………………..…………………………31


B- Référence expresse de l’intérêt social ..........…………………………..……………………...33

Section 2 : L’intérêt social en droit des sociétés commerciales……………………...........…….…34

Sous-section 1 : L’évocation de l’intérêt social dans la loi n° 17-95 relative aux sociétés
anonymes………………………………………………………………………………………..….35

Paragraphe 1 : La constitution des conventions de vote……………………………………………35

A- L’intérêt social, élément de validité des conventions de vote..........………………………….36


B- L’intérêt social, élément de protection de la société.……………………...........……………..40

Paragraphe 2 : La protection du patrimoine social…………………………………………………41

A- La répression des comportements préjudiciables à la structure sociale…………………….…42


B- La substitution de l’intérêt social par les intérêts économiques…..........………..……………43

Sous-section 2 : L’évocation de l’intérêt social dans la loi n° 5-96 régissant les autres types des
sociétés commerciales………………………......………………………………………………….45

Paragraphe 1 : La place de l’intérêt social dans la gestion………........……………………….…..45

A- L’intérêt social, limite incontestable aux pouvoirs des dirigeants dans certains types de
sociétés commerciales……………………………………………………………………………...45
B- L’intérêt social, limite présumée aux pouvoirs des dirigeants dans d’autres types de
sociétés commerciales……………………………………………………………………………...47

Paragraphe 2 : La place de l’intérêt social dans la sanction des gérants………..........…………….48

A- L’intérêt social, dans la gestion des gérants…...........…….…………………………………...48


B- L’intérêt social, générateur de la responsabilité des gérants………………………...........…...49

Chapitre 2 : L’intérêt social, au-delà de la loi……...........………………………………………51

Section 1 : L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de la personne morale…...........…………..51

Sous-section 1 : Les causes de l’émergence de l’intérêt de la personne morale…………………...52

Paragraphe 1 : La particularité de la personne morale……………………………………………..52

307
A- La naissance de la personne morale……………………………………………….………….52
B- L’indépendance de la personne morale vis-à-vis des actionnaires……………………………53

Paragraphe 2 : La théorie de la société-institution…………………………………………………55

Sous-section 2 : La détermination de l’intérêt de la personne morale……………………………...56

Paragraphe 1 : Le contenu de l’intérêt de la personne morale……………………………………...56

A- La dissociation entre l’intérêt de la personne morale et l’intérêt des actionnaires…………....56


B- Le résultat de la dissociation…………………………………………………………………..57

Paragraphe 2 : La résistance de la théorie de l’intérêt de personne morale face à certaines


réserves………………………………………………………………………………………..…....59

A- Réserves formulées quant à la théorie de l’intérêt de la personne morale…………………….60


B- La réfutation des réserves……………………………………………………………………..61

Section 2 : L’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de l’entreprise, entité économique de la


société……………………………………....………………………………………………………62

Sous-section 1 : Le contenu de l’intérêt de l’entreprise…………………………………………....63

Paragraphe 1 : Les éléments à l’origine de l’émergence de l’intérêt de l’entreprise……………….63

A- La nature économique de l’entité……………………………………………………………...63


B- La prise en compte des intérêts catégoriels…………………………………………………....65

Paragraphe 2 : Les conséquences de la conception de l’intérêt de l’entreprise………………….…73

A- Les conséquences de la conception de l’intérêt de l’entreprise sur la gestion des dirigeants…73


B- L’impact de la prise en considération des intérêts catégoriels sur le fonctionnement de la
société……………………………………………………………………………………………....75

Sous-section 2 : Interrogations quant à la légitimité de l’intervention du juge dans les affaires


sociales……………………………………………………………………………………………...77

Paragraphe 1 : Le refus de l’intervention du juge………………………………………………….78

Paragraphe 2 : L’acceptation de l’intervention du juge…………………………………………….80

Titre II : Les intérêts des actionnaires : champs d’interférences avec l’intérêt social ….........82

Chapitre 1 : La détermination des intérêts des actionnaires…………………………………...83

Section 1 : Le contenu de l’intérêt commun des actionnaires……………………………………...83

Sous-section 1 : La compréhension de l’intérêt commun des actionnaires………………………...83

Paragraphe 1 : L’origine de l’intérêt commun des actionnaires…………………………………....84

A- La théorie contractuelle de la société commerciale…………………………………………...84


B- L’enrichissement des actionnaires de la société anonyme…………………………………….86

Paragraphe 2 : Mécanisme de définition de l’intérêt commun des actionnaires…………………...88

308
A- L’organe compétent pour interpréter l’intérêt commun des
actionnaires………………………………………………………………………………………....89
B- L’impact de la multitude des profils des actionnaires sur la définition de l’intérêt commun des
actionnaires…………………………………………………………………………………………91

Sous-section 2 : Les conséquences de l’adoption de l’intérêt commun des actionnaires sur le


fonctionnement de la société…………………………………………………………………….....93

Paragraphe 1 : Le respect de l’égalité des actionnaires…………………………………………….93

Paragraphe 2 : La rupture de l’égalité des actionnaires…………………………………………….95

A- Une rupture d’égalité tolérée par la loi………………………………………………………..95


B- Une rupture d’égalité condamnée par la loi…………………………………………………...97

Section 2 : Les limites de l’intérêt commun des actionnaires……………………………………...98

Sous-section 1 : La distinction entre l’intérêt commun des actionnaires et l’intérêt social .........…98

Paragraphe 1 : le champ d’application des deux notions…………………………………………...98

Paragraphe 2 : La supériorité de l’intérêt social sur l’intérêt commun des actionnaires….............100

Sous-section 2 : Réticences sur l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt commun des


actionnaires…………………………………………………………………………………….….101

Paragraphe 1 : Des dispositions juridiques hostiles à l’intérêt commun des actionnaires……..…102

Paragraphe 2 : Réserves quant à l’adoption de l’intérêt commun des


actionnaires……………….103

Chapitre 2 : Le non-respect de l’intérêt social par les actionnaires…..........………………...106

Section 1 : La naissance des conflits d’intérêts……………………………….…………………..106

Sous-section 1 : Le rôle de l’affectio societatis…………………………………………………...106

Paragraphe 1 : L’affectio societatis lors de la formation de la société …………………………...106

A- Définition de l’affectio societatis…………...………………………………………………..107


B- L’actionnaire et l’affectio societatis.………………………………...…………………….....107

Paragraphe 2 : L’affectio societatis après la formation de la société………………….…………..109

A- Le maintien de l’affectio societatis…………...…..........……………………………………...110


B- La perte de l’affectio societatis.……………..….........……………………………………....111

Sous-section 2 : Les éléments générateurs du conflit d’intérêts…………………………………..112

Paragraphe 1 : l’intérêt personnel selon l’implication de l’actionnaire dans l’acte……………….112

A- Intérêt direct………………………………………………………………………………….113
B- Intérêt indirect………………………………………………………………………………..115

Paragraphe 2 : L’intérêt personnel selon sa nature………………………………………………..116

309
A- Intérêt matériel……………………………………………………………………………….117
B- Intérêt moral………………………………………………………………………………….118

Section 2 : Les effets du conflit d’intérêts sur l’activité sociale…………………………………..120

Sous-section 1 : L’atteinte causée à la société………………………………………………....….120

Paragraphe 1 : L’atteinte matérielle……………………………………………………………….120

A- L’appauvrissement du patrimoine social………………………………………………….…120


B- L’empêchement de l’augmentation du patrimoine social…………………………………....121

Paragraphe 2 : L’atteinte morale………………………………………………………………….122

A- Atteinte à l’image de marque de la société…………………………………………………..123


B- Atteinte à la fiabilité financière de la société………………………………………………...123

Sous-section 2 : L’atteinte causée à la communauté d’intérêts des actionnaires………………....124

Paragraphe 1 : La recherche d’un intérêt personnel à l’intérieur de la société…………………....125

Paragraphe 2 : La recherche d’un intérêt personnel à l’extérieur de la société…………………...126

Conclusion de la première partie………………………………………………………………….128

Deuxième partie : La lutte contre les intérêts des actionnaires préjudiciables à l’intérêt
social .........................………………………………..
…………………………………………………..129

Titre I : Le contrôle de l’exercice des prérogatives des actionnaires dans la société


anonyme…………………………………………………………………………………………..131

Chapitre 1 : Le contrôle de l’exercice du droit de vote………………………………………..131

Section 1 : La typologie de l’abus dans l’exercice du droit de vote………………………………132

Sous-section 1 : Le contrôle de l’actionnaire majoritaire…………………………………………132

Paragraphe 1 : Le gouvernement de la société anonyme…………………………………………132

A- La loi de la majorité…………………………………………………………………………...133

B- Le contrôle de la société..……………………………………………………………………...135

Paragraphe 2 : L’abus de majorité….……………………………………………………………..136

A- Réflexion sur les éléments constitutifs de l’abus de majorité………………………………..137


B- Illustration de l’abus de majorité…………………………………………………………….140

Sous-section 2 : Le contrôle de l’actionnaire minoritaire…………………………………………146

Paragraphe 1 : La détection de l’abus de minorité………………………………………………..146

A- L’opération essentielle……………………………………………………………………….147
B- La place de la rupture d’égalité dans la caractérisation de l’abus de minorité……………....150

310
Paragraphe 2 : Exploration d’une nouvelle définition de l’abus de minorité………….………….152

Section 2 : Les sanctions de l’exercice abusif du droit de vote…………………………………...155

Sous-section 1 : Sanctions mettant fin à l’abus des actionnaires…………………………………155

Paragraphe 1 : L’annulation de la décision abusive………………………………………………155

A- Le fondement juridique………………………………………………………………………155
B- La mise en place d’une autre sanction………………………………........………………….157

Paragraphe 2 : La mise en œuvre de la responsabilité civile..……….……………………………159

A- Le fondement juridique………………………………………………………………………159
B- La condamnation à des dommages et intérêts………………………………………………..161

Sous-section 2 : Instruments de déblocage des situations de crise………………………………..163

Paragraphe 1 : La désignation d’un administrateur provisoire……………………………………163

A- La nomination d’un administrateur provisoire………………….………………………...…163


B- Les missions de l’administrateur provisoire…………………………………………………166

Paragraphe 2 : La dissolution de la société………………………………………………………..169

Chapitre 2 : Le contrôle de la gestion des dirigeants………………………………………….172

Section 1 : Le délit d’abus de biens sociaux………………………………………………………173

Sous-section 1 : Les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux……………………...173

Paragraphe 1 : L’élément matériel………………………………………………………………..174

A- La notion d’usage quant aux types d’abus de biens sociaux…………………………….…….174

B- Un usage contraire aux intérêts économiques………………………………………………....176

Paragraphe 2 : L’élément moral………………….……………………………………………….178

A-L’usage fait de mauvaise foi………………………………………...………………………....178

B- L’usage à des fins personnelles………………………………………….…………………….179

Sous-section 2 : La répression du délit d’abus de biens sociaux………………………………….184

Paragraphe 1 : Les protagonistes de l’infraction………………………………………………….184

A- L’auteur de l’infraction………………………………………………………………………..185

B- La victime de l’infraction……………………………………………………………………...188

Paragraphe 2 : La mise en œuvre de la poursuite des auteurs du délit d’abus de biens sociaux….190

A- Vers une imprescriptibilité du délit d’abus de biens sociaux……………………………….…191

B- Les sanctions frappant le dirigeant, transgresseur de l’intérêt social ................…………… ...194

311
Section 2 : Les conventions passées avec la société..…………….....……………………………201

Sous-section 1 : Le contrôle des conventions……………………………………………………..202

Paragraphe 1 : Les conventions soumises à la règlementation……………………………….…...202

A- Les personnes concernées par la réglementation……………………….………………….


…..202

B- La procédure du contrôle………………………………………………………………………205

Paragraphe 2 : Les conventions non soumises à la règlementation……………………………….210

A- Les conventions interdites……………………………………………………………………..211

B- Les conventions libres…………………………………………………………………………212

Sous-section 2 : Sanctions du non-respect de la procédure du contrôle…………………………..215

Paragraphe 1 : Le sort de la convention en cas du non-respect de la procédure………………….215

A- L’annulation de la convention……………………………………………………………….215
B- L’interruption de l’annulation……… ………………………………………………………219

Paragraphe 2 : Le sort du transgresseur de la procédure de contrôle………….……………….....221

A- La mise en œuvre de la responsabilité civile ………….………………………………….…221


B- La mise en œuvre de la responsabilité pénale...……...……………………………………...226

Titre II : Alternatives permettant la protection de l’intérêt social contre les intérêts


préjudiciables des actionnaires…………………………………………………………………229

Chapitre 1 : Mécanismes de prévention des conflits entre les actionnaires………………….229

Section 1 : Mécanismes légaux de prévention des conflits d’intérêts…………………………….230

Sous-section 1 : La mise à jour du conflit d’intérêts………………………………………….…..230

Paragraphe 1 : La divulgation du conflit d’intérêts………………………………………………230

A- Le fondement de l’obligation de divulgation……………………………………………….…230

B- L’aménagement de l’obligation de divulgation………………………………………….…….233

Paragraphe 2 : La détection du conflit d’intérêts……………………………………………….…235

Sous-section 2 : Les moyens de recherche des actionnaires………..……………………...……..238

Paragraphe 1 : Poser une question aux organes de gestion………………………………………239

A- Poser une question par écrit……....………………………………………………………….239


B- L’inscription d’une question à l’ordre du jour…………………………………………….…240

Paragraphe 2 : La désignation d’un expert de gestion…………………………………………….241

A- La particularité des conditions relatives à l’actionnaire……………………………………..241

312
B- Réflexions sur les conditions relatives à l’opération contestée……………………………...242

Section 2 : Mécanismes conventionnels de prémunition des différends………………………….245

Sous-section 1 : Le recours aux conventions extrastatutaires…………………………………….245

Paragraphe 1 : Les conventions relatives au vote…………………………………………………245

A- La typologie des conventions de vote………………………………….…………………….245


B- Le régime des conventions de vote…………………………………………………………..247

Paragraphe 2 : Les conventions relatives à la cessibilité des actions……………………………..250

A- La typologie des conventions restrictives de la cessibilité des actions…..…………….….…250


B- Le régime des conventions restrictives de la cessibilité des actions…………………………253

Sous-section 2 : Le recours aux règles du gouvernement d’entreprise…………………………...255

Paragraphe 1 : L’apport des règles du gouvernement d’entreprise……………………………….255

A- L’avènement du gouvernement d’entreprise………………………………………………...256


B- Le gouvernement d’entreprise : outil de rééquilibrage entre actionnaires et dirigeants……..259

Paragraphe 2 : L’influence du gouvernement d’entreprise sur le droit marocain des SA………...260

A- La prévention contre les conflits d’intérêts potentiels……………………………………….260


B- L’amélioration du fonctionnement et du contrôle de l’entreprise…………………………...261

Chapitre 2 : Mécanismes de résolution des conflits d’intérêts…….………………………….265

Section 1 : Le droit de retrait, garantie de la cohésion des actionnaires…………………………..266

Sous-section 1 : Le fondement du droit de retrait………………………………………………...266

Paragraphe 1 : Acception du droit de retrait………………………………………………………266

Paragraphe 2 : Potentialités du droit de retrait lors des conflits d’intérêts………………………..268

Sous-section 2 : L’exercice du droit de retrait en cas de conflit d’intérêts……………………….269

Paragraphe 1 : Les conditions d’exercice du droit de retrait….…………………………………..269

Paragraphe 2 : Le prix de rachat des actions……………………………………………………...271

Section 2 : L’exclusion, garantie de survie de la société………………………………………….272

Sous-section 1 : L’exclusion de l’actionnaire demandeur de la dissolution de la société…...……273

Paragraphe 1 : Difficultés quant à la validité de l’exclusion……………………………………...273

A- Le droit de rester actionnaire………………………………………………………………...274


B- Le droit de demander la dissolution de la société……………………………………………275
C- Le droit de propriété de l’actionnaire sur ses actions………………………………………..277

Paragraphe 2 : Position de la jurisprudence quant à la validité de l’exclusion judiciaire………...279

313
A- Un courant réfutant l’exclusion du demandeur de la dissolution de la société……………....279
B- Un courant favorisant l’exclusion du demandeur de la dissolution de la société………..…..281

Sous-section 2 : L’exclusion de l’actionnaire nuisible à l’intérêt social .........…………………...283

Paragraphe 1 : Les conditions liées à l’insertion de la clause d’exclusion………………………..284

A- La date d’introduction de la clause d’exclusion dans les statuts………………………….…284


B- Les raisons du recours à la clause d’exclusion………………………………………………285

Paragraphe 2 : L’élaboration de la clause d’exclusion…………………………………………....286

A- La procédure d’exclusion…………………………………………………………………….286
B- L’indemnisation de l’actionnaire exclu……………………………………………………...287

Conclusion de la deuxième partie…………………………………………………………………288

Conclusion générale………………………………………………………………………………289

Bibliographie……………………………………………………………………………………...293

Table des matières………………………………………………………………………………...311

314

Vous aimerez peut-être aussi