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Le récit de mon Tor des Géants 2015

Le TOR des Géants (le TDG ou le TOR) est grandiose et spectaculaire. J’ai été sujet au doute, malgré une course
tronquée, arrêtée et terminée au 200ème kilomètre, le TOR est ma meilleure expérience trail.

Le TOR des Géants affole les chiffres : 330 km, 24000 m de dénivelé positif et au mieux environ 40% d’abandons.
Il faut monter et descendre l’équivalent de 3 fois l’Everest en partant du niveau de la mer.
Si on tient compte uniquement du kilométrage et du dénivelé, le TOR représente approximativement 2 fois
l’UTMB. Le TOR est largement moins roulant que l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc). Si on intègre la technicité
de l’épreuve, le coefficient multiplicateur de 2 augmente. Si on ajoute les conditions climatiques en 2015, le
coefficient multiplicateur explose : habituellement les premiers terminent le TOR autour de 72h, cette année, à
cause des conditions climatiques seuls 6 coureurs ont pu rallier l’arrivée autour de 82h.

Les étapes 3, 4 et 6 sont très techniques. Plusieurs portions peuvent s’avèrer dangereuses.
Pendant la course les coureurs vont passer 25 cols à plus de 2000m, 30 lacs, le sommet de la course jusqu'à
3300m (Col Loson). Les 2 premières étapes enchainent 6 cols à plus de 2500m, dont 2 à plus de 3000m. 3 cols
accessibles à plus de 1250m de dénivelé positif, 3 cols à franchir après approximativement 1000m de dénivelé
positif.
Le TOR comprend 7 étapes et 6 bases de vie où on récupère son sac « base de vie ». Les étapes paires (2, 4 et 6)
sont communément définies comme les plus difficiles.
Les 2 premières étapes sont parcourues après 105km/8150m D+. Les 105 premiers kilomètres sont très pentus,
presque autant de dénivelé que l’UTMB pour une distance 2/5 moins longue : plus de 40% des abandons sur les
2 premières étapes.

Le coureur dispose de 150 heures pour boucler le tour, soit 6 jours et 6 heures. Les premières barrières horaires
(étapes 1 et 2) sont relativement serrées. Un vrai choc pour les néophytes, les 2 premières étapes impactent
profondément les ligaments, les tendons, les articulations, les muscles et le moral.
Les ravitaillements sont très bien achalandés, on mange très bien. Ce fut un plaisir de s’alimenter.
Le public est très chaleureux et l’organisation est au top.
Les paysages et panoramas sont superbes.
L’assistance médicale, médecin, kiné, podologue est correcte.
Course exigeante financièrement : 5O5€ l’inscription + le transport + logement + vêtements, chaussures,
accessoires adaptés aux conditions de course, …
La course était programmée pour débuter le dimanche 13 septembre à 10h et se terminer le samedi 19
septembre à 16h.

Arrivé jeudi vers 18h à Courmayeur, J’ai pu me reposer correctement 2 jours avant le départ et faire un peu de
tourisme, Courmayeur est une belle ville, le site est agréable.

J’ai été inspiré, arrivé parmi les premiers pour récupérer mes dossards (2 dossards, 1 devant et 1 derrière), j’ai
évité de faire partie d’une longue file de coureurs qui attendent leur tour. J’ai profité avant et après la
récupération des dossards pour distribuer les flyers de Tanbou Rando présentant notre ultra-trail : Les Traces du
Nord Basse-Terre, du 4 au 6 mars 2016, http://www.tracesdunordbasseterre.fr/.

Juste avant le départ, je n’ai pas d’appréhension, mon cardio ne dépasse pas les 60bpm. Pas besoin d’avoir le
trac, on ne peut pas rater son départ, la course est tellement longue. Au départ, je suis placé parmi les derniers.

Je suis impressionné par le matos des coureurs. Matos qui sera régulièrement remplacé tout au long de la course.
A chaque ravitaillement et base de vie où on a la possibilité de se changer après avoir récupéré son sac de « base
de vie », on croise régulièrement les mêmes assistants, membres de la famille, supporteurs des coureurs qui
évoluent à la même allure. Avec les spectateurs, ils nous encouragent systématiquement. J’ai pu échanger au
cours de plusieurs ravitaillements avec plusieurs épouses/assistantes ou copains/assistants de camarades
coureurs. Les assistants se prennent au jeu, ils réconfortent et encouragent bien sûr, mais ils font bien plus. Ils
déshabillent, habillent, soignent, alimentent, …

J’ai attendu le départ non loin de la ligne de départ, tranquillement assis sur un banc de la gare routière de
Courmayeur.
SECTION 1 – 49kms / 3800m D+ / 3300m D-

Le dimanche 13 septembre, à 10h du matin, le départ est donné à l’heure sous une pluie fine. Comme prévu, la
grande majorité des coureurs participent à un semi-marathon. Peut-être pour éviter le seul et unique bouchon
qui apparaît après 1 à 2 kilomètres. Eventuellement pour être dès le début « dans la course » et ainsi se donner
le plus de chances d’obtenir le meilleur temps possible, stratégie illusoire.

Avant de me changer à Valgrisenche (49 km / 3996 D+), la première base de vie, j’ai franchi 3 cols au-dessus de
2500m. La température diminue en moyenne de 0,65°C par 100m de dénivelé. La température à 1200m est la
nuit de l’ordre 5 et 10 degrés. En haute altitude, la température est inférieure à 0°C.
Parti parmi les derniers, j’ai attendu moins de 30 secondes pour franchir la ligne de départ. Je me positionne pour
ne pas être parmi les 10 derniers. Arrivé en « retard » à l’unique bouchon situé approximativement à 2 kilomètre
du départ, je patiente moins de 2 minutes pour reprendre ma route. J’aurais pu et dû profiter de ce moment
pour mieux me couvrir. A l’évidence, j’ai le nez dans le guidon, je manque déjà de lucidité et de jugement.
Au-dessus de 2000m j’ai eu froid, très froid ! A trembler. Dans le feu de l’action (« je suis dans la course » !), je
me suis dit que c’est un mauvais moment à passer. Je me réchauffe en descendant dans la vallée. Résultat, avant
Promoud (33km), j’ai attrapé un mal de gorge à ressentir une souffrance même en buvant. Heureusement le mal
s’est progressivement atténué après la 3ème étape (102km).
A Courmayeur, Je n’ai pas pu me procurer les sur-gants imperméables (matériel obligatoire). A un moment, je
me suis demandé si mes mains étaient gelées.

J’ai repéré des puristes appelés dans le peloton les « randonneurs » : gros sac avec tout le nécessaire, grosse
veste, vêtement confortable et non ultra léger high-tech, pantalon de randonnée qui semble encombrant, de
grosses godasses de randonneur, les vraies, minimum 2 fois le poids de la plus lourde chaussure de trail, style
rangers renforcées. L’amortie laisse à désirer, mais les chevilles sont correctement protégées, elles ont une très
bonne accroche et les chaussures sont imperméables ! J’ai essuyé la pluie depuis le départ dimanche 10h jusqu’au
lundi vers 3h du matin. Mes chaussures et leurs semelles de propreté étaient détrempées et le sont en partie
restées.
Les « randonneurs », les pures, les dures, ils montent avec ou sans bâtons. Le pas assuré, tu cours, il marche, tu
te démènes avec tes bâtons, ils montent les escaliers pour arriver au premier étage. Tu minimalises ton sommeil,
leur plan de marche est calculé en fonction des barrières horaires avec au minimum 3 à 4h de sommeil par jour.
Ils ne finissent pas parmi les premiers, l’unique but est la découverte des montagnes du Val d’Aoste tout en
pratiquant leur loisir. Je les sublime, mais c’est l’idée.

La troisième ascension après le départ, le Col Crosaties (37km/2829m d’altitude/31% de moyenne/750 D+) est
en moyenne la montée la plus pentue, mais le revêtement n’est pas très ou trop accidenté et le dénivelé (750
D+) est relativement faible. La rudesse de cette monté est un nouveau choc.

Je ne souffre pas physiquement. Mais vers le 37ème kilomètre, pendant la montée du Col Crosaties, le temps très
morose, la pluie, un solide mal de gorge, la difficulté et la reproduction presque à l’identique des 3 premières
ascensions ont atteint mon moral : je ne prends pas de plaisir. Si je m’étais inscrit incognito sous un faux nom,
j’aurais certainement abandonné, et prévu de revenir mieux préparer lorsque le TOR serait redevenu une de mes
priorités.

J’atteins Valgrisenche (47ème km/1660m d’altitude/1ère base de vie) le lundi 14 septembre à 01h du matin avec
4h d’avance sur la barrière horaire. Tout va bien, mon état d’esprit est « wait and see ».

J’avais prévu de faire 2 nuits blanches. Puis dormir par plage de 2h lorsqu’une envie pressante de dormir se ferait
sentir. Dès le début de la nuit de dimanche à lundi, je tombe de sommeil. Dans mes précédentes courses, je n’ai
pas subi l’envie de dormir. Pourquoi ce coup de barre se révèle aussi tôt et aussi prononcé ? Le choc physique
imposé par les premières étapes est peut-être une partie de la réponse.

Je dors 1h15 à Valgrisenche. Ce couchage et les autres furent une révélation. Je me réveillais systématiquement
retapé, plein d’ardeur. Les 2 nuits blanches auraient été contre-productives. J’étais en bonne forme à la fin de la
4ème étape (et donc de la course) par ce que, notamment, je me suis correctement reposé. J’ai très bien dormi et
donc récupéré.
Après tant d’effort, s’allonger, se laisser aller, se relâcher totalement était un « pied ». A l’apparition d’un coup
de barre, je jouissais à l’idée du prochain couchage.
Sauf exception, je dormais par tranche de 1h, et 1h30 ou 2h si je me rendormais.

A Niel (187ème km), j’ai dormi sous une tente. Un jeune bénévole m’a proposé de me réveiller. A ma demande il
m’a réveillé après 1h. Je me suis rendormi, une ½h plus tard il me réveille à nouveau et me propose de me laisser
dormir 1/2h supplémentaire si je le désire. Le couchage n’était pas aussi bien encadré dans tous les
ravitaillements ou base de vie.
Je conseillerais de dormir dans les ravitaillements plutôt que dans les bases de vie. Dans un ravitaillement, le
couchage est limité à 2h. On évite ainsi de trop dormir. Dans une base de vie on dispose d’un plus grand confort,
mais le couchage est souvent surbooké. La grande majorité des coureurs choisissent de dormir dans une base de
vie. La probabilité de dormir avec des ronfleurs, des péteurs, de subir des vas et vient, … était importante. Au
ravitaillement de Niel, j’étais tout seul dans la tente.
Il faut lire les récits déposés sur le net. Ils permettent, entre autres, de repérer les ravitaillements qui proposent
un bon couchage. Néanmoins, le couchage s’impose lorsque le coup de barre apparait. A noter que tous les
ravitaillements ne proposaient pas un couchage.

Les 4 premiers cols sont rudes. Toutes les ascensions le seront. Les cols Entrelor et Loson me semblent les plus
difficiles. Une appréciation confirmée par les sénateurs (finishers de la ou des précédentes courses).
J’avais planifié une fréquence cardiaque de course inférieure à 130bpm, je tournais autour de 128bpm.
Je constatais un phénomène bizarre, mon cardio-fréquencemètre avait tendance à s’emballer sur certaines
portions. J’avais beaucoup de mal à respecter ma stratégie cardiaque. En effet, au-dessus de 2000m d’altitude et
surtout au-dessus de 2500m d’altitude, la raréfaction de l’air occasionne à effort égal une augmentation de la
fréquence cardiaque.

Après les 2 premiers cols (Arp et Passo Alto), la raréfaction de l’air, la rudesse du parcours m’ont contraint à fixer
une fréquence de course inférieure à 120bpm pour me préserver. Je pensais que si je voulais terminer cette
course il fallait me positionner dans ma plage de fréquence cardiaque la plus basse possible.
SECTION 2 – 54kms / 4200m D+ / 4300m D-

Je quitte Valgrisenche à 2h du matin et débute la deuxième étape.


Vers 3 heures du matin, le lundi 14, j’arrive sous une pluie battante au Refuge du Chalet de l’Epée (57km/2370m
d’altitude). Un bénévole m’annonce que la course est arrêtée pour cause de forte pluie et brouillard.
Incompréhension, on peut évoluer sous la pluie et dans brouillard. La montée du Chalet de l’Epée jusqu’au Col
Fenêtre (2860m), puis la descente me feront prendre conscience et rappeler qu’il faut de beaucoup d’humilités
avec la haute montagne. Et je n’ai pas encore parcouru les portions qui s’avèrent dangereuses : portions très
fréquentes dans la 3ème étape.

De 3 heures à 7 heures du matin, nous sommes confinés dans le Chalet de l’Epée. Mon moral était au plus bas :
ma progression est laborieuse. Je n’arrive pas à compresser le temps, 10mn me semblent ½ heure : je subis la
course. Je ne ressens pas de plaisir.
Trop tendre, il faut que je retourne jouer dans le bac à sable. Mais par-dessus tout, une douleur persistante à la
hanche s’est réveillée ; aussi tôt dans la course ! Ce n’était pas prévu. Mes chances de terminer la course sont
sérieusement compromises.

Dans le Chalet de l’Epée je dois avoir une mine de déterré, le visage fermé. Je ne ressens pas la chaleur humaine.
Et je n’en transmets pas. J’ai le moral à zéro, mon pessimisme est total. Je constate que je ne suis pas le seul dans
cet état.
Une certaine promiscuité, beaucoup de coureurs sont debout. J’ai la chance d’être assis. Un groupe de 6
coureurs(ses) me fit une place de mauvaise grâce. Ils auraient aimé être plus à leur aise.
L’ambiance générale est lourde et morose. Contradictoirement, ce qui m’achève, c’est le bruit persistant de
l’arrêt éventuel de la course. Un coureur qui semble informé, nous présente une descente par la route et un
rapatriement jusqu’à Cogne (102ème km), la 2ème base de vie. Un autre informé des prévisions climatiques, prévoit
l’annulation de la course. Finalement, vers 5h du matin, je m’endors sur un coin de table, j’aurais dû commencer
bien plus tôt : la gestion du sommeil est fondamentale.

Une camarade me réveille un peu avant 7h pour m’annoncer la reprise de la course. Je suis requinqué, remis sur
pieds, regonflé, soulagé et heureux de continuer la course. Au top départ donné à 7h, je suis prêt à en découdre.
Personne ne se bouscule pour sortir. Je suis l’un des premiers à sortir. Tout est blanc, le ciel est dégagé, le
manteau neigeux illuminait l’espace. Mon moral a basculé. Je réagis, Je me lamentais à propos de mes bobos.
J’étais trop préoccupé par mon mal de gorge et ma hanche douloureuse.

L’ascension du Col Fenêtre est très difficile, comme toutes les fins d’ascension. La neige damée rend le
revêtement du sol très glissant, une patinoire. Pour 3 pas en montée, au moins une glissade en descente. Très
rapidement je cherche et trouve un peu de poudreuse sur les extérieurs, avec l’aide des bâtons l’ascension
devient praticable. Le temps se compresse définitivement, la 1/2 heure se transforme en 10mn, je ressens un
plaisir jouissif.
Je fus l’un des premiers à sortir du chalet, après mon passage et de quelques autres, il ne restait plus de
poudreuse aux extérieurs. Plusieurs traileurs gardent un souvenir amer de l’ascension du Col Fenêtre. Si la
montée fut douloureuse, beaucoup m’ont parlé de la descente. Descente aussi pentue que la montée, au moins
400m de dénivelé négatif (enneigement au-dessus de 2300m).
J’atteins sans trop de dégâts le point culminant et j’entreprends la descente. Panique totale devant moi, derrière
moi, partout. Je suis déboussolé, inhibé, peut-être 1 à 2mn pour descendre 2 à 5m de dénivelé les fesses bien
serrées. Après 10mn d’effort, quand je m’apprête à essayer de descendre sur les fesses, une chinoise (la
nationalité est inscrite sur le dossard) me double en de rapides petits pas « sautés » : mais oui, bien sûr ! Comme
sur certaines portions pentues et boueuses. Elle me bluffe. Tant bien que mal j’essaye de suivre ses pas, de
prendre exemple, elle me montre la voie. Evidemment plus on descend plus le terrain est praticable.
Je desserre totalement les fesses. Le rat quitte le navire. Il faut que je me concentre, et ma concentration est
maximale.
Petit problème, une crampe risque de se déclarer à mon mollet droit. Je ne me suis pas entrainé à descendre en
petits pas « sautés » de manière aussi tendu. Je règle le problème à l’aide d’une bonne hydratation accompagnée
d’une pastille de sels. Et dès que possible, j’arrête de sauter.
Dans un ravitaillement, un « randonneur » m’a montré son système de crampons métalliques (au minimum 300g
la paire) à installer sous les chaussures. Il a agréablement descendu les 400m de dénivelé; respect pour les
randonneurs.

Plus sérieusement des coureurs se sont plaints : « l’organisation aurait dû supprimer cette portion du parcours ».
Le syndrome de Yuan Yang le Chinois* mort en 2013 apparaissait.
* Dans la nuit de dimanche à lundi, en descendant du col de la Crosatie – dans les environs du lac du Fond, en direction de Valgrisenche -, un concurrent
de l’ultra-trail italien “TOR des géants”, s’est tué. Il s’agit d’un coureur chinois de 43 ans. Le traileur a chuté dans une barre rocheuse et “est décédé à
cause d’un traumatisme crânien qui s’est révélé fatal”, assurent les médecins légistes.
La mort de Yuan Yang est intervenue au cours de la 2 ème étape. Les 2 premières étapes sont les moins (selon les
sénateurs) « techniques » et dangereuses du TOR. Sa mort est avant tout un manque de chance.

Dans la montée et la descente du Col Fenêtre (60ème km), mon esprit s’est libéré. Arrivé dans la vallée, à Rhèmes-
Notre-Dame (65ème km), je me jette sur la nourriture. Je bisse un plat de pâte que je rempli de sauce tomate, de
parmesan, de jambon, de petits oignons blancs, … Je prends un assortiment de tartes, … C’est très bon, et ce
plaisir se renouvellera le reste du parcours à chaque ravitaillement ou base de vie. Je ferai preuve d’une voracité
inattendue mais certainement nécessaire. On mange très bien sur le TOR.
Je quitte Rhèmes-Notre-Dame très chargé pour attaquer l’ascension du Col Entrelor (70ème km/3002m d’altitude).
Pas très orthodoxe comme stratégie alimentaire. Les rôts et remontées d’acides menacent. Mais mon corps a
intégré, digéré cette surcharge très rapidement et sans me procurer de gêne.

La montée du Col Entrelor me semble la plus difficile du parcours. Mais je suis dans de bonnes dispositions, tout
se passe bien.
Après Eaux Rousse (79ème km/1650m d’altitude), débute l’ascension du Col Loson (90ème km/3299m d’altitude).
Au tout début de la montée, je croise un marcheur italien qui me met en garde envers les difficultés que constitue
l’ascension. Je lui dis que je pense effectuer la montée en 3h30. « 4h minimum, piano-piano, sinon tu ne finis pas
le TOR ! » me dit-il. Et Il me d’écrit la configuration du Col Loson.
L’ascension du Col Loson est une très longue montée. Elle semble relativement peu pentue, approximativement
11% en moyenne. Après 1200m de dénivelé, brusquement, la pente devient très raide sur 500m de dénivelé. Les
derniers 500m de dénivelé présentent une pente supérieure à 25% en moyenne. Les derniers 300m de dénivelé
présente une pente supérieure à 30% en moyenne. D’autres ascensions peuvent sembler plus impressionnantes
par ce qu’elles sont plus raides au début. Mais les 7km de montée usent et l’impressionnante raideur des derniers
500 mètres de dénivelé rend le Col Loson la bête noire de la majorité des coureurs.

Très fier de moi, j’ai mis 3h30 pour effectuer la montée. Petit bémol, je ressens une légère douleur au niveau
d’un tendon du genou droit (syndrome de l’essuie-glace). Pour moi, c’est un incident. Mais la douleur empire. Je
termine la deuxième étape en arrivant à la base de vie de Cogne (102km/1531m d’altitude) avec une légère
douleur au genou : un tendon est légèrement enflammé.

La descente du Col Loson commence par un balcon minuscule, le chemin serpente avec des mains courantes de
partout, par temps de pluie, çà doit être du suicide !

Repéré à l’aide des récits sur le net, sujet au vertige, j’appréhende ce passage. Mais une nuit noire est tombée
depuis peu, je ne vois pas le précipice et je ne cherche pas à l’estimer. Malgré mes bâtons, je m’accroche
précautionneusement et sérieusement aux mains courantes. Cette portion n’est pas très longue, heureusement,
tout se passe bien. Je le regrette presque, je n’ai pas pu admirer le site. Mon champ de vision se réduisait à la
paroi, la main courante et mes pieds.

J’arrive à Cogne avec 3h d’avance sur la barrière horaire d’entrée.


Indépendamment de l’inflammation au genou, je suis en pleine possession de mes moyens. De plus, ma douleur
à la hanche, source potentielle d’angoisse a disparu. Ne cherchons pas à comprendre, profitons-en.

A table, un coureur décidé à abandonner, m’explique qu’il comprend (contrairement aux non-initiés) que l’on
puisse désirer faire cette course. Mais il ne comprend pas les traileurs qui reviennent plusieurs années de suite.
Un autre coureur s’emporte contre les 108 abandons dès la première étape : « Venir sur le TOR et abandonner
dès la première étape ! Ils n’ont pas compris qu’est-ce que le TOR ?! Pourtant ils avaient assez d’informations !
Payer autant pour abandonner dès la première étape ! … » Ses remarques sont injustes, les 108 abandons
pouvaient sans problème être justifiés : Les 2 premières étapes sont un choc physique qui impacte les muscles,
les tendons, les ligaments, … Beaucoup de coureurs débutent la course fragilisés par une blessure à bas bruit
conséquence d’un entrainement trop exigeant. Beaucoup de coureurs configurés en mode « Tortue » ou
« diesel » se découragent trop vite car les premières barrières horaires sont les plus resserrées. Des coureurs
n’ont pas pu se préparer correctement, d’autres pensaient sincèrement l’être. Partis trop vites, des coureurs se
sont mis dans le rouge, la fatigue et l’apparition de crampes ne leurs permettent pas d’évaluer correctement la
situation.
A Cogne, je me suis endormi serein après avoir programmé 1h de sommeil. J’ai dormi 2h15. En rentrant dans le
dortoir pour dormir, il était rempli, il fallait chercher une place. Après mon 2 ème réveil vers 3h20 du matin, le
dortoir est presque vide. Je me retrouve presque tout seul, ils sont partis sans moi. Je quitte Cogne avec
seulement 2h d’avance sur la barrière horaire de sortie. Rien d’inquiétant, ce couchage fut à nouveau une
révélation. Je suis à nouveau retapé, redevenu un homme tout neuf. De plus les premières barrières horaires
sont les plus serrées. Je repars avec plein d’allant. L’espoir de terminer cette course est grand.

Au fil des kilomètres, une menace se précise, celle de la blessure. Je ressens un léger tiraillement sous le talon
gauche. Est-ce le début d’une inflammation sous le talon ? Par contre, l’inflammation au genou droit s’aggrave.
La dégradation est rapide. J’en oublie mon endolorissement au talon. Avant le passage du Col Fenêtre di
Champorcher (119ème km/2827m d’altitude) la douleur est trop vive. Mon angoisse devient proportionnelle à
l’intensité de la brulure ; J’ai abandonné au 30ème kilomètre de mon premier marathon à cause d’une blessure
identique.
Peut-être qu’une mauvaise hydratation a accéléré et amplifié l’inflammation. Je redeviens rigoureux, toutes les
10 minutes je bois 3 gorgées et à chaque ravitaillement je m’hydrate consciencieusement.

Il faut que je réagisse sinon c’est l’abandon assuré. De peur qu’il m’arrête, je ne veux pas consulter un médecin.
Il faut mettre le tendon en décharge sinon l’inflammation deviendra invalidante.
Je décide de marcher et de courir en positionnant le plus possible le pied droit vers l’intérieur. Devant
l’incompréhension de plusieurs coureurs, j’ai dû leur expliquer pourquoi je coure « en crabe ».
A ma grande surprise, ma nouvelle posture semble efficace. Je ressens beaucoup moins la douleur : la décharge
est réussie. Mais le mal deviendra-t-il invalidant ? Je décide d’être confiant, d’arrêté de m’angoisser. Je continue
ma route avec une démarche encore plus claudicante, mais heureux d’être là, animé d’un optimisme injustifié.
SECTION 3 – 47kms / 2300m D+ / 3100m D-

La 3ème étape semble relativement facile, Il faut gravir le Col Champorcher (119ème km/2827m d’altitude) et
supporter la très longue descente jusqu’à Donnas (149èmekm/330m d’altitude), la 3ème base de vie. Cette descente
est largement la plus longue du TOR.
Je découvre pendant toute la 3ème étape un parcours très accidenté. Beaucoup de portions peuvent s’avérer
dangereuses. A cause du revêtement accidenté, la 3ème étape est beaucoup plus difficile que prévu.

Je me répète souvent « souple, zen, tranquille » dans les moments de fatigue, les moments de coup de barre, les
moments où le moral est au plus bas, et surtout dans les portions qui peuvent s’avérer dangereuses. C’est un
mantra, une litanie sans fin pour canaliser mon mental et apaiser un flot de pensées.

Avant Chardonney (130ème km/1450m d’altitude), je constate que je ne ressens plus la douleur sous le talon. Mon
mal de gorge et ma tendinite au genou se sont légèrement atténués. Et je suis agréablement surpris : la décharge
du tendon fonctionne !

Entre Chardonney et Pontboset (139ème km/791m d’altitude), je deviens euphorique : je coure vite et sans
contrainte, pourtant mon cardio reste inférieur à 130bpm. J’oublie ma douleur au genou. J’ai un sentiment
d'accomplissement. Je marche sur l’eau.
Je suis persuadé que ma crise d’euphorie est due à une production subite et massive d’endorphines. C’est une
très bonne dope, satisfaction is guarantie. Je n’avais jamais ressenti cette euphorie avec une telle intensité. Après
coup c’est déstabilisant.
Par la suite, surtout à l’approche de la 5ème étape, ponctuellement, j’ai à nouveau ressenti de manière moins
intense cette euphorie.

Finalement, le mardi 15 septembre, vers 17 heures, après approximativement 12 heures de course à partir de
Cogne, j’arrive à Donnas (149èmekm/330m d’altitude), la 3ème base de vie.
Avant d’arriver à Donnas, un camarade italien s’improvise guide et me présente la ville romaine de Donnas : C'est
l'un des témoignages les plus importants et les mieux conservés de l'époque romaine au val d'Aoste.

A mon arrivée à Donnas ; avant tout autres considérations, je demande où se trouve le couchage, et je vais
directement dormir. Ce mode opératoire va se renouveler systématiquement lorsque je m’assoupi

.
SECTION 4 – 52kms / 4700m D+ / 3600m D-

La 4ème étape est une étape paire, donc plus difficile : 5 ascensions de dénivelé inférieure ou égal à 1000m, avec
un revêtement en montée comme en descente très accidentés (peuvent s’avérer dangereuses). D’une manière
bien plus prononcée qu’à l’étape 3, Il faudra franchir en montée et en descente sur plusieurs secteurs un sentier
encombré de gros blocs de pierre, voire de rochers.

Dans la nuit de mardi à mercredi, au-dessus de 2000m, un brouillard à couper au couteau amplifie la difficulté.
Heureusement que le balisage est parfait, au-dessus de 2000m les sentiers sont plus qu’approximatifs, dans
certaines sections il est nécessaire de placer une balise toutes les 10, 15 ou 20m.
Avec ce brouillard très mystique j’ai peur de me perdre. Bien sûr, pendant l’ascension du Col Marmontana
(176km/2350m d’altitude) je me suis perdu. En parcourant ces « traces de chamois », concentré sur mes efforts,
je rejoignais certainement un troupeau de bouquetins. Avec ce brouillard, s’éloigner 50m peut être rédhibitoire.
Aucune lumière à l’horizon. Panique immédiate, je me dis que ce Tor batterie des Géants finira par avoir ma
peau. Il suffit d’attendre le passage d’un camarade traileur. Toujours aucune lueur à l’horizon. Je réussis à réunir
quelques bribes de réflexions. Frontale à pleine puissance, il faut revenir sur ses pas, mais ces « traces de
chamois » m’embrouillent. Je souffle, j’essaye de réguler ma respiration et d’être un grand garçon. Un ciel sans
lune, une purée de pois comme horizon, j’étais minable, une toute petite chose en haut dans la montagne.
Finalement après à peine 5 minutes je perçois une lueur, c’est une balise. Même si le temps s’était
particulièrement dilaté, je retrouve mon chemin après seulement 5 minutes ! Ma panique était-elle
surdimensionnée ?!
Au ravitaillement de Niel (187km/1573m d’altitude), on me relate la mésaventure d’un coureur du TOR 2015. Il
s’est perdu dans la 4ème étape. Il a réussi à joindre le PC course. 2 sauveteurs l’ont retrouvé. Il avait tellement
froid qu’il était tétanisé. Ils n’ont pas pu le descendre. Il a été hélitreuillé au petit jour.

La difficulté et la durée de l’épreuve donnent de l’importance au moindre détail.


Je quitte Donnas (140km), 3ème base de vie en oubliant la batterie de rechange de ma lampe frontale. Dans mon
sac, j’ai une petite frontale de dépannage de 26g.
A plus de 2000m, la nuit, un brouillard à couper au couteau, ma batterie se décharge en plein milieu de l’une des
descentes qui peuvent s’avérer dangereuses. Je suis mal avec ma frontale minimaliste. Trop peu puissante, elle
ne fait pas l’affaire. Après plusieurs minutes d’angoisse, un coureur anglais me dépanne généreusement. Il prend
peu de risques, il a deux jeux de piles de rechange.

Beaucoup de descentes et quelques montées sont pénibles car elles sont glissantes. Les rochers ne sont peut-
être pas mouillés mais humides avec la présence d’ici de là de la boue. La durée du trajet en atteste, on
m’annonce 24h pour relier Gressoney.
Extrait du récit d’un coureur qui a participé à une édition précédente : « Il n’y a pas beaucoup de candidats au
départ visiblement, tout le monde préfère rester se reposer, cool au moins je ferai l’ascension du col Marmontana
(176èmekm/2350m d’altitude) seul et en pleine nuit. Les bénévoles m’acclament et je pars effectivement seul sous
la pluie dans un chemin complètement détrempé. Je me dis à ce moment c’est étrange quand même depuis le
début cette section 4 est très longue mais pas si difficile que cela… j’aurai mieux fait de me taire, en fait les
difficultés arrivent à l’instant, une fois sorti du bois, je contemple avec stupeur le terrain, mince c’est quoi ça ? Des
énormes blocs de roches qui bougent quand on pose le pied dessus posées dans tous les sens, bien glissants à
souhait. Ah ouais ce ne sera pas une partie de plaisir, je progresse temps bien que mal dans cette environnement
complètement nouveau pour moi, j’arrive au col Marmontana après pas mal de galère et complètement trempé,
mais cette fois pas de problème de manque d’oxygène on est seulement à 2400m. Stupeur au moment de
descendre, mais qu’est-ce que c’est que ce délire ! Il n’y a maintenant que des rochers, parfois des marches
instables et souvent orientées dans le mauvais sens! Bordel si je glisse ici je me fracasse en bas, clairement faux
pas interdit durant toute la descente, je regarde autour de moi absolument personne gloups ! J’ai l’impression de
descendre comme un escargot et de mettre des heures pour rejoindre le ravitaillement improvisé au milieu de
nulle part, un box a été apporté en hélicoptère, il y a peu de place mais un bon feu a été préparé idéal pour se
réchauffer et je mange encore un nouveau plat chaud décidément je passe mon temps à table heureusement que
je crame pas mal de calories sinon je prendrai 10kg le temps de la course.

Au moment de repartir je vois quelques frontales dans la pente que je viens de descendre, 2 coureurs arrivent
paniqués vers les secours, apparemment il y a un type qui a fait une grosse chute, il s’est cassé le coccyx mais il
ne veut pas que les secours viennent l’aider, il veut continuer seul, hum je vois qu’il y a plus barjot que moi, je
décide de continuer vers le col suivant, je n’ai plus aucune idée de mes prévisions temps à ce moment, le pluie
s’est arrêtée mais c’est vraiment trempé de partout, j’ai pas loin de 500m de D+ a effectuer pour rejoindre le col
La Crenna du Luie (l’entaille du Loup en Patois), la montée est périlleuse et encore une fois bien dangereuse, je
m’aide de mes mains, j’ai parfois l’impression que je vais basculer en arrière sur ces pierres je suis clairement dans
un bad trip, j’arrive après un bon moment au niveau de cette entaille, je suis à nouveau tout seul et l’endroit est
lugubre digne d’un bon film d’horreur, il faut que j’entame la descente au plus vite cette section me rend dingue.

A peine le col passé, je me rends compte que c’est encore plus raide et dangereux qu’auparavant, c’est pas vrai
comment c’est possible, c’est la première fois à ma connaissance que j’ai peur dans une descente, le manque de
sommeil ne doit pas aider mais clairement j’ai peur de tomber et de me tuer ici je n’ai jamais eu ce genre de
sensations, j’ai pourtant réalisé tout mon entraînement dans des endroits techniques parfois assez dangereux,
mais là je n’ai jamais vu ça, j’y vais vraiment tranquillement et même en allant doucement je glisse dans tous les
sens sur ces pierres plates instables et trempées. Je désescalade a plusieurs endroits en utilisant mes mains,
heureusement que j’ai quelques notions de grimpe je me demande comment doit faire une personne qui a n’a pas
l’habitude de courir en montagne, moi qui pensait être au top je n’en mène vraiment pas large. Après pas mal de
labeur j’arrive à un nouveau ravitaillement encore un box apporté par un hélicoptère, il y a juste qqs chaises
dehors et un bon feu, là je me souviens avoir mangé une énorme assiette de polenta mijotée depuis des heures,
un plat juste divin pour me remettre de mes émotions. Il y a 2 types sous des couvertures, je ne sais pas trop ce
qu’il leur est arrivé même si j’en ai une petite idée au vu du profil que je viens de descendre.

Je m’apprête à partir confiant car d’après mon roadbook il reste une petite montée et puis une longue descente
vers le refuge de Niel, et la encore une fois un coureur surgit de nulle part brise mes espoirs en deux, il me dit qu’il
connaît bien la descente, qu’elle est très délicate déjà par temps sec, donc la vue les quantité de boue et d’humidité
sur les rochers il n’a aucune idée du temps que cela va nous prendre, il me dit que la descente est fastidieuse, c’est
un balcon interminable, j’ai l’impression d’entendre ça a chaque section ! Il pense que ça va prendre très
longtemps, mais il me rassure en me disant de ttes façons ça sera les mêmes conditions pour tout le monde donc
pas de stress à avoir.

Effectivement il avait raison, là c’est le summum, l’apothéose, il y a bien 10cm de boue de partout, des pierres
glissantes et un chemin étroit en balcon avec le vide a cote, autant dire que je suis tellement concentré que j’en
oublie complètement ma douleur aux pieds. Je tente d’éviter au maximum la boue et je marche sur le bord du
chemin, à qqs centimètres du bord, le vide est parfois relatif mais il y a au minimum qqs mètres de chute assurée
si on ripe. Cette descente sera de loin la plus pénible de tout le TOR, on n’en voit effectivement jamais le bout, je
baigne dans la boue, je glisse, je trébuche, j’ai l’impression que pendant des heures il y a des types à côté du
chemin avec un gros morceau de bois dans la main et dès que je passe à côté ils me donnent un énorme coup
derrière la tête, je tombe je me relève et le type me dit si tu continues le prochain coup sera encore plus fort et je
continue avec une sensation bizarre que je n’arriverai jamais au bout. Je me demande à ce moment combien de
personnes vont lâcher l’affaire sur cette section, certainement pas moi mais pour le coup je m’interroge sur la
suite du parcours, si c’est comme cela pendant les 180 prochains km là je ne suis pas certain d’arriver dans les
temps.

Je commence d’être de plus en plus fatigué, mes yeux se ferment et le terrain est toujours aussi dangereux, je me
répète en boucle pour rester éveillé, concentre toi concentre toi ! Quelques personnes me doublent certaines un
petit peu trop vite et font de belles chutes à côté de moi, je garde mon rythme lent mon but étant d’arriver en vie
à la prochaine base de vie. Je rejoins Nicolas qui n’annonce que Nicolas (l’autre !) est tombé vers la Griffe du Loup
et s’est ouvert le genou ouch !

Nous arrivons ensemble enfin à Niel je ne sais pas combien de temps aura duré cette descente mais elle m’aura
achevé, …

Je veux terminer cette section et il me reste encore le Col Lassoney à passer, 800m de D+ et 1000 m de D- avant
la prochaine base de vie.
Je double deux personnes de mémoire qui vont encore plus lentement que moi, dingue j’ai pourtant l’allure d’un
mec qui monte avec un déambulateur, à chaque arrêt désormais il me faut une bonne heure pour me réchauffer
et reprendre un rythme disons normal. La enfin une bonne nouvelle, on me dit que le parcours change, que le col
est plutôt facile et que la descente va se faire dans un magnifique vallon. Ouf le profil change enfin! Et
effectivement j’arrive rapidement au col, en haut on se croirait sur le plateau du Taillefer, il n’y a pas de chemin
franchement tracé mais ça passe presque partout, il faut juste éviter les gros trous d’eau, et au final peu importe
mes chaussures sont trempées. J’aborde la descente avec le lever du jour, et effectivement le vallon est vraiment
superbe, j’en oublie complètement ma nuit de folie. C’est ça la magie du TOR on passe en permanence d’un état
où l’on se demande comment on va pouvoir continuer à un état de confiance ultime et de pure bonheur, c’est le
plein de sensation perpétuel. J’arrive à une habitation où se trouve un berger, ce n’est pas un ravitaillement mais
il me propose son aide si j’ai besoin de quoi que ce soit, je lui dit que je n’ai besoin de rien mais je prends 5 min
pour discuter avec lui, ce type est incroyable, il me demande ce que je pense de la région il est impressionné par
la course, et pour moi il en fait complètement partie, ça fait même partie des éléments clé de la course qui te
permette de continuer. Je reprends ma route et je m’arrête peu de temps après au refuge Ober Loo. Je passe un
moment ici, le propriétaire a sorti un nombre impressionnant de fromages locaux, terrible, moi qui n’avait pas
mangé à Niel je vais faire le plein de saveurs une fois de plus, je goûte à tout, avec plusieurs variétés de pain et de
jambon, que du bonheur.

Je repars en direction de la base de vie …

Il faut à nouveau faire attention, les roches sont ombragées dans ce secteur et à nouveau très glissantes.
Finalement j’arrive à la base de Vie de Gressoney après plus de 26h30 de course!!

26h30 pour faire seulement une 50ene de km avec certes pas loin de 5000 m de D+ mais bon plus d’une journée
pour effectuer la section ça calme! Tous les coureurs que je croise et qui en sont comme moi à leur premier TOR
n’en reviennent pas de la section, tout le monde a trouvé ça vraiment trop dangereux. »

Au début, avant d’arrivé au Refuge Coda (166ème km/2224m d’altitude), il y a une débauche d'escaliers, ce tronçon
est redouté et réputé le plus dur.
Le Refuge Coda matérialise symboliquement la mi-course (kilométrage et dénivelé positif). Psychologiquement
cela fait du bien. Malgré la montée très technique, inconsciemment j’accélère pour atteindre le Refuge Coda.

Entre le Col Marmontana (176èmekm/2350m d’altitude) et Niel (187km/1573m d’altitude), je ne saurais dire à
quel ravitaillement. Le Créna du Ley (179èmekm/2311m d’altitude) je pense. Un vieil Italien me prend à part, il me
montre en face du ravitaillement un sentier à flanc de montagne, et me met en garde : le sentier est étroit,
dangereux, devenu glissant à cause de la pluie.
A ce ravitaillement, j’ai mangé une tonne de tartelettes aux fruits et au chocolat. Une bénévole a réapprovisionné
le plateau et me regardait avec fascination et inquiétude : « il va épuiser notre stock ? » devait-elle penser.
J’avais déjà croisé des coureurs qui abandonnaient, mais à ce ravitaillement, je croise pour la première fois 3
coureurs brisés.
Je quitte le ravitaillement, une petite montée de 100m ou plus de dénivelé, puis une petite descente du même
ordre et j’attaque le fameux balcon. Ouah ! Le sentier à flanc de montagne ! Je ne connais pas de sentier plus
angoissant. Je suis sujet au vertige et j’ai le vertige. Un chemin étroit en balcon avec à droite la paroi de la falaise,
à gauche le vide et entre les deux un méplat de l’ordre 3m de largeur. Je ne peux pas vous dire qu’elle est la
profondeur du gouffre, je n’ai pas regardé. Le sentier est très bien pavé (sauf du côté de la paroi) par des rochers
plus ou moins carrés de 50cm à 1m de largeur.
Je reprends ma litanie « souple, zen, tranquille ». Même pas peur, super concentré, j’essaye de suivre les traces
marrons des coureurs qui m’ont devancé. Traces repérables par de petits dépôts de boue. Elles me semblent bien
proches du précipice. Pas très fier, Je rase alors les murs, je marche à l’ombre. La progression à proximité de la
falaise n’est pas aisée. Pour en finir, Je m’enhardis, je me recentre. Sur un gros pavé marqué par les pas des
coureurs, je dépose mon bâton gauche sur le dernier pavé avant le gouffre, il ripe en direction du vide, le corps
suit. Instantanément, une grosse et intense bouffée de chaleur me traverse, forte décharge d’adrénaline, je me
rétablis je ne sais pas comment. Est-ce que je me suis rétabli à 30cm ou 75cm du vide ? Je ne me suis pas attardé
à mesurer. Mon cerveau a fonctionné à la vitesse de l’éclair, je me retrouvais collé à la falaise.
« Souple, zen, tranquille », « souple, zen, tranquille », … Heureusement, le balcon n’était pas trop long. Quelle
distance ? Peut-être 500m, ou 2 kilomètres, ou plus. Impossible d’avancer une estimation, mon cerveau est en
compote.

Avant Niel, je rencontre un camarade au bord du sentier. « La peau sous mon pied s’est déchirée latéralement »
m’annonce-t-il. La peau déchirée ! C’est la première fois qu’un gars me sort ça.

J’ai dormi à Niel (187km/1573m d’altitude) et entrepris dans les meilleures conditions l’ascension du Col Lasoney
(190km/2300m d’altitude/21% de moyenne/800 D+). Elle ne me semble pas difficile. Pourtant c’est l’une des
ascensions les plus pentues (21% de moyenne), mais le relatif modeste dénivelé (800m D+) la rend abordable
J’entame la descente du Col Lasoney par un faux plat descendant bien inondé, mais plat. Sur plusieurs kilomètres
j’évolue dans une prairie sans cailloux, pierres ou autres rochers, alléluia !
La seconde partie de la descente vers la base-vie de Gressoney (200ème km/1329m d’altitude) est vertigineuse et
hyper-technique.
En pleine ville et en pleine nuit, avant d’atteindre la base de vie, je me perds à deux reprises. Et à deux reprises
des italiens en voiture me sauvent le coup. Ils me signalent que je ne suis pas le premier à m’être égaré.
Le balisage est parfait, mais la partie fléchée d’une banderole publicitaire utilisée comme balise est pliée, je file
tout droit. Est-ce une personne mal intentionnée ou le vent qui a plié l’extrémité de la banderole ? Ensuite je ne
distingue pas la petite flèche en plein milieu d’une autre banderole publicitaire.
Je suis étonné d’être le premier à signaler la banderole pliée.

J’arrive à la base de vie de Gressoney le mercredi 16 septembre à 22h07 après 84 heures de course.
Approximativement 24 heures de course effective depuis Donnas et 3 heures de sommeil.
Dès mon entrée dans le gymnase de Gressoney, une bénévole m’annonce que la course est arrêtée pour cause
de brouillard : « reposez-vous, on vous préviendra avant la reprise de la course. »
Je me dis que c’est une situation identique au premier arrêt au Chalet de l’Epée (57ème km). Arrivé à 22h, nous
sortirons du gymnase au lever du jour.

J’ai dormi et mangé à Niel, j’avais prévu de rester le moins longtemps possible dans la base de vie de Gressoney,
soit 10 minutes maximum.
Tenant compte de la situation, je demande où se trouve le couchage et je me couche au plus vite ; quelle félicité !
Vers 5 heures du matin, après avoir dormi, puis m’être prélassé dans mon super lit de camp, je me lève, je fais
ma toilette, je change mes chaussures ; La belle vie.
Gonflé à bloc, cette épopée se présente sous les meilleurs auspices. Mon genou droit est deux fois plus gros que
de nature, même pas inquiet puisqu’il a dégonflé. Je suis en pleine bourre, dans une dynamique positive.

Je suis en train de me faire prendre en photo et d’envoyer des MMS qui ne vont jamais aboutir (merci Orange),
l’annonce tombe, la course est terminée.
Très peu de réaction dans le gymnase, sauf quelques italiens qui réclament d’être remboursé. Je mets un certain
temps à accepter la nouvelle. Je pose des questions à droite à gauche, peut-être que j’ai mal compris.

Après plusieurs moments de doute et même plusieurs moments difficiles, le TOR s’arrête lorsque la perspective
de terminer devenait de plus en plus évidente.
J’allais entreprendre l’étape 5, la plus facile, la plus courte, la moins vallonnée et accidentée. Pour tous les
sénateurs il est établi que l’étape 5 se boucle autour de 10h. Les statistiques ont montré que la très grande
majorité des coureurs qui terminent l’étape 5, termine le TOR.
Section 5 – 36kms / 2800m D+ / 2700m D-

J’avais l’impression d’avoir parcouru 202km et 13500m de dénivelé positif pour rien
Section 6 – 47kms / 3400m D+ / 3500m D-

Section 7 – 49kms / 2600m D+ / 3100m D-


Nous avons été rapatriés par bus à Courmayeur le jeudi matin.
Le lendemain, le vendredi 18 septembre à partir de 17h30, la remise du maillot du finisher a été tout un
cérémonial : Défilé dans Courmayeur, podiums dans la grande patinoire et enfin l’appel de chacun des coureurs
devant le public et ses pairs pour récupérer son maillot de finisher.

On se laisse prendre au jeu, c’est la fête.


Je suis content de ma médaille en chocolat, je ne repars pas aigri de l’édition 2015, mais dans l’espoir de revenir
en 2016.

Il existe sur le net beaucoup de récits qui décrivent correctement les caractéristiques et difficultés des différents
secteurs. Mais avant tout, ils traduisent tous les grandes émotions que procure cette course
Claude THINE

.
ANNEXE : Extraits de récits de coureurs de l’édition 2015

1er récit : «A mi-croissant, une bénévole sonne une cloche, silence. Elle fait un signe les bras en croix, et dit "stop,
fini". Noooooooooooooooooooonnnnnnnnnnnn Je m'effondre en pleurs, je n'ai pas les mots pour expliquer ce
que je ressens à ce moment-là. Je voulais finir, je ne me suis pas coltiné la mauvaise journée d'hier pour rien. Je
suis venue alors que je n'en avais pas envie, j'ai tenu 4 étapes, j'avais retrouvé mon mental, j'étais bien. Et là tout
s'écroule. En une seconde mon rêve de finir une deuxième fois, de passer le Col Malatra, de franchir la ligne, tout
ça s'écroule. Les coureurs sont étonnamment calmes, je pense que beaucoup sont contents que leur calvaire
s'arrête. Je comprends leur décision, mais c'est très dur à accepter. Le retour à Courmayeur se passe bien, on
nous ramène en bus et on arrive un peu avant midi. Fin ...

Conclusion
Sans parler de l'arrêt de la course, je suis très contente de ma gestion de course, avec de bonnes nuits de sommeil.
Par contre la fin aurait été plus compliquée vu que je ne tombais plus de nuit dans les bases-vie. Ca aurait été des
sommeils de 2h maxi, bien moins reposants. C'est une course très dure, où la gestion est très importante. Je
pense important de bien regarder le profil pour savoir ce qui nous attend à chaque étape. C'est une course très
forte humainement, tant entre les coureurs qu'avec les bénévoles. On en ressort différent, on n'est plus le même
après la course. On apprend beaucoup sur soi. Je conseille à tout le monde de vivre cette aventure. Parce que
c'est une aventure, et pas une course.

Raisons de l'annulation
- arrêt de 3h la 1ère nuit: interruption nocturne de 3h pour contrôler le flux des eaux Torrentielles entre le Col
Fenêtre et Rhêmes. Le Torrent avait grandi après les fortes pluies Torrentielles nocturnes. Neige au-dessus de
2500m.
- arrêt définitif: La course est définitivement annulée pour conditions météo en aggravation, manque de visibilité
en haut des cols.
En fait moi je n'ai rien eu de terrible mais les premiers ont eu très froid, ils ont été sous la neige, dans le brouillard
... Certains passages étaient devenus dangereux. Et au TOR, on fait tous la même course. S'ils stoppent les
derniers, ils stoppent aussi les premiers. Arrêt de la course pour tous au même moment. »

2ème récit : « Lundi 7h, fin de la 1ère neutralisation de la course, je quitte Rhêmes en tête en compagnie du
Sénateur Claude. Bon pas longtemps, Claude monte beaucoup trop vite. Mais je parviens à rester dans les 1ères
positions dans la montée du col Entrelor. Enfin jusqu’à la neige. Ou plutôt la glace. Les 200 derniers mètres de
dénivelé sont complètement verglacés. Et comme je n’ai jamais de bâtons, impossible de tenir debout. Alors je
vais terminer l’ascension d’Entrelor à 4 pattes dans la neige. Un moment mémorable ! »

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