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Le temps dans le récit

Tout récit est une organisation d'actions dans le temps. Or, la narration ne suit pas
toujours une chronologie linéaire.
VERS L’ANALYSE DE TEXTE
→ La manière dont le temps de la fiction est relaté permet de jouer sur la distillation de
l'information auprès du lecteur : en reculant ou en avançant dans l'histoire, en
accélérant ou en ralentissant le rythme, le narrateur crée des effets d'attente et de
suspense, et maintient ainsi l'attention du lecteur.
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L'ordre du récit
 Le narrateur joue avec le temps pour créer un effet de suspens ou d'attente vis-à-
vis des informations données sur les événements et les personnages.
 Deux cas de figures sont possibles :
– soit le récit suit parfaitement l'ordre chronologique dans la présentation des
faits relatés ;
– soit le récit ne suit pas l'ordre chronologique dans la présentation des faits
relatés :
– car le narrateur effectue des retours en arrière ou analepses ;
Il s'était séparé de sa femme quatre ans plus tôt. Elle vivait maintenant à Gênes.
Laurent Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006.
– car le narrateur procède à des anticipations ou prolepses.
Il ne dit pas le nom du corsaire, mais seulement, comme je le lirai plus tard dans ses
documents, le Corsaire inconnu […].
Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le Chercheur d'or, Gallimard, 1985.
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Le rythme du récit
 Le temps de la fiction renvoie au temps vécu par les personnages pendant l'histoire. Le temps
de la narration est le temps pris pour raconter cette histoire. Il se compte en nombre de pages
et de paragraphes.
 Le rythme du récit correspond à la différence entre le temps de la fiction et le temps de la
narration. Ainsi, il peut être accéléré (ellipse et sommaire) ou au contraire ralenti (scène,
pause).
Définitions Effets Exemples
C'était encore un enfant. Elle l'avait mis à
• Suspendre
Le récit est interrompu Saint-Nicolas, dans cette grande maison
l'intrigue.
pour une description ou d'éducation religieuse où, pour trente
• Donner des
un passage francs par mois, une instruction
informations sur
La pause explicatif. Le temps de rudimentaire et un métier sont donnés aux
les personnages
la fiction s'arrête au enfants du peuple, à beaucoup d'enfants
et le cadre.
profit de celui de la naturels.
• Créer du
narration. Les Frères Goncourt, Germinie Lacerteux,
suspense.
1865.
• Donner une
Enfin j'aperçus la grande Lise, une amie de
impression
Sylvie. Elle m'embrassa. « Il y a longtemps
Le temps de la fiction et d'immédiateté au
qu'on ne t'a pas vu, Parisien ! dit-elle. —
celui de la narration lecteur.
Oh ! Oui, longtemps. — Et tu arrives à
La scène coïncident : le lecteur • Détailler
cette heure-ci ? — Par la poste. — Et pas
suit le personnage en l'action.
trop vite ! — Je voulais voir Sylvie ; est-elle
« temps réel ». • Augmenter
encore au bal ? »
l'intensité
Gérard de Nerval, Sylvie, 1853.
dramatique.
Le Un événement du temps • Accélérer le Durant les trente années qu'il lui restait à
rythme de
de la fiction est résumé
l'histoire. vivre, il se rappela ses mois de campagne
en quelques
• Souligner par en fabriquant des brosses de chiendent.
sommaire lignes. Ainsi le temps de
contraste un Anatole France, Crainquebille et autres
la fiction est plus long
moment intense récits profitables, 1904.
que celui de la narration.
de l'intrigue.
• Omettre des
Un ou plusieurs Je partais, trois jours après, pour la
éléments sans
éléments du temps de la province. Je ne les ai point revus. Quand je
intérêt pour
fiction sont passés sous revins à Paris, deux ans plus tard, on avait
L'ellipse l'intrigue.
silence. Le temps de la détruit la pépinière.
• Produire un
narration efface ainsi Guy de Maupassant, « Menuet », Contes de
effet de surprise
celui de la fiction. la Bécasse, 1883.
sur le lecteur.
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Analyser l'ordre du récit
1
a. * Réalisez la frise chronologique de ce passage. Vous devrez replacer les événements
dans l'ordre dans lequel ils se sont réalisés pour les personnages.
b. Quels effets l'absence d'une chronologie linéaire produit-elle ?
Vous connaissez ma propriété dans le faubourg de Cormeil. Je l'habitais au moment de l'arrivée des
Prussiens.
J'avais alors pour voisine une espèce de folle, dont l'esprit s'était égaré sous les coups du malheur.
Jadis, à l'âge de vingt-cinq ans, elle avait perdu, en un seul mois, son père, son mari et son enfant
nouveau-né.
Quand la mort est entrée une fois dans une maison, elle y revient presque toujours immédiatement,
comme si elle connaissait la porte.
La pauvre jeune femme, foudroyée par le chagrin, prit le lit, délira pendant six semaines. Puis, une
sorte de lassitude calme succédant à cette crise violente, elle resta sans mouvement, mangeant à
peine, remuant seulement les yeux. Chaque fois qu'on voulait la faire lever, elle criait comme si on
l'eût tuée. On la laissa donc toujours couchée, ne la tirant de ses draps que pour les soins de sa
toilette et pour retourner ses matelas.
Une vieille bonne restait près d'elle, la faisant boire de temps en temps ou mâcher un peu de viande
froide. […] Pendant quinze années, elle demeura ainsi fermée et inerte. La guerre vint ; et, dans les
premiers jours de décembre, les Prussiens pénétrèrent à Cormeil.
Je me rappelle cela comme d'hier. Il gelait à fendre les pierres ; et j'étais étendu moi-même dans un
fauteuil, immobilisé par la goutte, quand j'entendis le battement lourd et rythmé de leurs pas. De ma
fenêtre, je les vis passer.
Guy de Maupassant, « La Folle », Contes de la Bécasse, 1883.
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Délimiter le rythme du récit
2
* Dites pour chaque extrait s'il s'agit d'une pause, d'une scène, d'un sommaire ou d'une
ellipse. Justifiez votre réponse par des éléments précis. Un même extrait peut contenir
plusieurs rythmes.
1. La fille unique du marquis de Mézières, héritière très considérable, et par ses grands biens, et
par l'illustre maison d'Anjou dont elle était descendue, était promise au duc du Maine, cadet
du duc de Guise, que l'on a depuis appelé le Balafré. L'extrême jeunesse de cette grande
héritière retardait son mariage. Et cependant le duc de Guise qui la voyait souvent, et qui
voyait en elle les commencements d'une grande beauté, en devint amoureux, et en fut aimé.
Ils cachèrent leur amour avec beaucoup de soin. Le duc de Guise qui n'avait pas encore autant
d'ambition qu'il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l'épouser : mais la crainte du cardinal
de Lorraine, qui lui tenait lieu de père, l'empêchait de se déclarer. Les choses étaient en cet
état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu'avec envie l'élévation de celle de
Guise, s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et
d'en profiter elle-même, en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. On
travailla à l'exécution de ce dessein avec tant de succès, que les parents de Mlle de Mézières,
contre les promesses qu'ils avaient faites au cardinal de Lorraine, se résolurent de la donner
en mariage à ce jeune prince.
Madame de La Fayette, La Princesse de Montpensier, 1662.
2. Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des
paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d'autres amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier
les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était
perdue. Ses ambitions d'esprit avaient également diminué. Des années passèrent ; et il
supportait le désœuvrement de son intelligence et l'inertie de son cœur.
Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme
entra.
— « Madame Arnoux ! »
— « Frédéric ! »
Elle le saisit par les mains, l'attira doucement vers la fenêtre, et elle le considérait tout en
répétant :
— « C'est lui ! C'est donc lui ! »
Dans la pénombre du crépuscule, il n'apercevait que ses yeux sous la voilette de dentelle
noire qui masquait sa figure.
Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale, 1869.

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