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John Cox

HOUDINI : CROISADE
CONTRE LE SPIRITISME

Contact avec les esprits, trompettes spirites, écriture


automatique, médiums : tout était bidon !
Querelle avec Sir Arthur Conan Doyle. Démêlés avec le médium Margery

Traduction/adaptation française : Jean-Pierre Hornecker

Houdini avait toujours manifesté un grand intérêt pour le spiritisme. Mais


ce n’est que sur le tard qu’il entreprit une vaste campagne de
dénigrement contre les charlatans de l’occultisme. Il partit en guerre
contre les tenants du commerce avec l’au-delà et démontra durant ses
conférences/spectacles toutes les méthodes frauduleuses mises en
œuvre par les médiums pour berner les crédules. Il démasqua des
spirites de tout poil et les amena à avouer publiquement leurs méfaits.

Editions E-MAGIX - Strasbourg


Houdini : croisade contre le spiritisme

Introduction
Durant sa carrière de magicien et de roi de l’évasion,
Houdini n’arrêta jamais de s’intéresser à la thématique du
spiritisme mais ce n’est que sur le tard qu’il entreprit une
nouvelle carrière de pourfendeur des sciences occultes. Il
entreprit cette croisade nationale sur scène, dans les théâ-
tres, dans les journaux et même à la radio naissante.

Dans ce chapitre nous vous relaterons quelques aspects


anecdotiques de cette entreprise ainsi que quelques inci-
dents notables comme ses démêlés avec Margery, le mé-
dium, et ses amitiés contrariées avec Sir Arthur Conan
Doyle. Le tout brosse un tableau assez précis de ses acti-
vités. Vous aurez ainsi tous les éléments à votre disposition
pour vous forger votre opinion.

Les différentes narrations qui suivent ne sont pas forcé-


ment disposées en ordre chronologique car rappelons-le, ces
textes furent à l’origine des posts publiés dans le désordre,
au fil du temps sur le blog de l’auteur, John Cox.

LE FLINGUEUR DE SPIRITES
L’un des mythes les plus profondément enracinés de
Houdini, est que son intérêt pour le spiritisme et sa croisade
contre les charlatans de l’occultisme démarra à la mort de
sa mère en 1913. Cette légende a fait florès dans bon
nombre de films et de livres. Le problème c’est que ce n’est
pas vrai ! Son intérêt remonte à sa jeunesse. Durant sa
tendre enfance il avait déjà tenté de renouer le contact avec
l’un de ses frères, prématurément mort.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Houdini lui-même avait répondu à cette interrogation


durant une interview parue dans le Dayton Daily News le
26 septembre 1925. Cet entretien ouvre la porte à une
spéculation infiniment plus large que nous aborderons un
peu plus loin. Ci-après la reproduction de cette interview.
Dans cette dernière, nous ne retiendrons qu’un paragraphe
clé. Nous vous le traduisons ci-après.

Houdini, Appleton, Wisconsin, expérimenta activement le


spiritisme dès l’âge de 17 ans peu après la mort de son père.
Ce dernier avait laissé ses papiers familiaux dans un triste
état. Houdini et sa mère sont allés voir un spirite en toute
innocence pour en savoir plus. Trois ou quatre médiums nous
ont permis de communiquer avec mon père, nous raconta
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Houdini. Celui-ci nous fit savoir qu’il était très heureux là où il


se trouvait. Cela me sembla étrange qu’il dise cela, le sachant
toujours préoccupé par le bien-être de sa famille…

Cela a fait naître le doute dans mon esprit. J’ai alors commen-
cé à dénoncer ces tromperies.

On a là la preuve que Houdini avait déjà flairé en 1892


l’odeur rance du mensonge et de la duplicité. Mais ce que
j’ai trouvé encore plus intéressant à noter, c’est la parti-
cipation de Cecelia, sa mère, à cette tentative. Croyait-elle
au spiritisme ? A-t-elle été une adepte fervente ? Si tel est
le cas, cela expliquerait la nature conflictuelle et l’obsession
morbide de Houdini à ce sujet. Se serait-il engagé à protéger
sa génitrice en débusquant les fraudes qu’il a constatées en
tant qu’expert en la matière. Ou a-t-il tenté de racheter les
croyances erronées de sa mère ? L’une ou l’autre pourrait
expliquer, du moins partiellement, sa hargne à démasquer
les méthodes frauduleuses utilisées par les multiples croy-
ants aux mondes parallèles.

Houdini a été enterré avec toutes les lettres de sa mère


faisant office d’oreiller dans son cercueil. Donc toutes les
sources qui pourraient nous fournir quelques éclaircis-
sements à cet effet sont perdus à tout jamais si tant est, que
le sujet du spiritisme ait été évoqué dans ces corres-
pondances. Voici de quoi nourrir nos réflexions !

LA VERITÉ N’EST PAS TOUJOURS


BONNE A DIRE !
On situe généralement les débuts de Houdini, en tant que
pourfendeur des spirites aux alentours des années 1920.
Mais il en va autrement. Nous avons réussi à mettre la

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Houdini : croisade contre le spiritisme

main sur un article de presse datant de janvier 1897. On y


lit que Houdini faisait déjà occasionnellement en ce temps-
là des séances de dénonciation publique des méthodes dou-
teuses utilisées par les tenants des mondes parallèles.

Dans le livre de Patrick Culliton on peut lire la propre


description que le magicien faisait de cet exercice de dénon-
ciation.

À St. Joseph j’ai trouvé un médium appelé Hatfield Petitbone


qui vivait bien de son commerce illicite (écriture automatique
et autres contacts avec des mondes parallèles). Il avait berné
ma logeuse. Comme je ne parvenais pas à convaincre la
malheureuse femme qu’elle s’était fait rouler dans la farine, j’ai
exigé du médium qu’il lui rembourse l’argent qu’il lui avait
indûment exhorté. Sinon je m’employai à expliquer au grand
public les méthodes douteuses qu’il utilisait pour duper sa
clientèle. L’énergumène me fit répondre que n’étant qu’un
modeste artiste de variété employé dans un établissement de
second ordre, c’était moi le marchand de miracles ! Il me traita
même de fakir !

Piqué au vif par un tel mépris, je louai une salle à St. Joseph
et annonçais que j’y exposerai tous les trucs utilisés par les
praticiens des sciences occultes pour tromper leur monde. Je
découvrais alors un aspect des choses qui m’était encore
inconnu à cette époque, à savoir que des personnes par
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Houdini : croisade contre le spiritisme

ailleurs parfaitement honnêtes et respectables étaient prêtes


à se battre, bec et ongles, pour défendre un fraudeur dont on
menaçait de démontrer les procédés tordus qu’il utilisait pour
tromper ses adeptes. Ah, quand une croyance est profon-
dément enracinée ! J’en fus profondément affecté !

Les amis du médium étaient présents en grand nombre à cette


séance. Ils firent grand bruit pour couvrir mes explications. Le
seul résultat fut une plus grande affluence et des recettes plus
importantes ! Ma prestation se tint au milieu d’un grand
tumulte. Mais j’avais atteint mon but mais comme on le voit,
dire la vérité, n’est pas toujours de tout repos !

LE CHASSEUR DE FANTOMES
Houdini fut-il saisi par le doute ?

L’artiste se produisit en 1923 au Hillstreet Theatre de Los


Angeles. Cet établissement était considéré de second ordre.
On y passait chaque jour des programmes de variétés entre
deux films. Les mauvaises langues disaient aussi que son
orchestre était le plus mauvais de tout l’hémisphère nord !
Alors pourquoi Houdini s’y produisit-il ? D’habitude il pas-
sait dans des établissements plus prestigieux…

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Nous pensons qu’il y testait une nouvelle forme de spectacle


totalement différente de celle qu’on lui connaissait ; une
conférence anti-spiritisme. Ce fut ce jour-là la première fois
qu’il s’y essayait. À cette époque il était engagé dans un
vaste débat avec Sir Arthur Conan Doyle, (le créateur de
Sherlock Holmes) sur la question de relations avec l’au-
delà. Doyle y croyait dur comme fer alors que Houdini était
pour le moins réservé à ce sujet. C’est donc dans cette salle
secondaire que Houdini lança véritablement sa campagne
anti-spirite. Les médiums étaient, selon lui, et jusqu’à
preuve du contraire, des fraudeurs éhontés. Houdini y tint
un discours qui était le contre-pied, à la conférence quasi
évangélique de Doyle alors en tournée dans tous les Etats-
Unis. L’écrivain s’y était résolu parce que l’un de ses
« guides spirituels » Pheneas, un médium très réputé l’avait
averti que la fin du monde était imminente !

Houdini, outre son désir de vérité, avait un intérêt supplé-


mentaire. Son discours s’appuyait aussi sur un reportage
local impliquant un médium du nom de Fairfield
McVickers. Cette femme venait de décéder. Lors de la céré-
monie funèbre à la First Spiritualist Church de Los An-
geles, on vit paraît-il des esprits planer au-dessus de son
cercueil. Des participants aux funérailles avaient même
photographié le phénomène qui fit l’objet d’articles dithy-
rambiques dans la presse des environs.

Le médium aurait même prédit de son vivant qu’un tel


dédoublement aurait lieu. On se doute qu’il y avait là de
quoi pondre des articles. Houdini ne pouvait pas ne pas y
répondre. Il a tenté de reproduire l’expérience en prenant
lui aussi des photos dans des conditions de tests similaires.
Mal lui en prit car des traces de traînées blanches appa-
rurent sur ses propres vues. On ne manqua pas de lui faire
remarquer que là aussi s’était produite une translation d’un
esprit, qu’on pouvait penser qu’on assistait là à la sortie
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Houdini : croisade contre le spiritisme

d’une âme pure d’un corps humain… Houdini dut avouer


qu’il n’avait aucune explication à ce problème.

Trucage photographique. Pour prouver qu’on pouvait faire dire aux


photos ce que l’on voulait, on voit ici le fantôme de Houdini quittant son
propre corps !

Le Los Angeles Express rendit compte de la conférence de


Houdini avec la manchette : Houdini non convaincu par
le spiritisme ! On y lisait :

C’est un public inhabituel que l’on vit dans cette salle de


variétés. Le roi des menottes y montrait 25 photographies
étranges de médiums et de séances spirites, il les commentait
grâce à un quart de siècle d’enquêtes et d’observations en la
matière. La plus grande partie de sa conférence portait sur les
activités des marchands de miracles qui prônaient l’existence
de mondes parallèles, prétendaient pouvoir entrer en contact
avec les esprits des morts et en tant que médium permettaient
aux simples mortels de converser avec des parents ou des
amis décédés. Houdini était à moitié sceptique. En fait il ne
savait sur quel pied danser. En un mot il n’était pas convaincu
du caractère surnaturel des agissements des médiums.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Fait à noter : le journal rapporte aussi que Houdini exhorta


son auditoire à assister aux conférences de Conan Doyle qui
se tiendraient un peu plus tard à Los Angeles. Houdini,
dont la religion était déjà faite, devait ménager son amitié
naissante avec le grand romancier anglais…

Sur ce Houdini continua à affiner ses arguments anti-spi-


rites. Il se produisit dans des écoles et des institutions pu-
bliques avant de se lancer dans une tournée complète de
conférences dans tous les états de l’union.

Le Hillstreet Theatre avant sa démolition à la fin des années 1920

CONFERENCE SUR LE SPIRITISME


La tournée de conférences que Houdini fit en 1924 ne fut
jamais relatée dans les livres d’histoire consacrés au grand
magicien et dézingueur zélé du spiritisme. Bien qu’Arthur
Moses donne une description détaillée du diaporama de
Houdini dans un ouvrage intitulé : Houdini Speaks Out, on
n’a jamais su en quoi consistait une soirée complète traitant
de ce sujet. Mais voilà de quoi compléter notre instruction.
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Eloignez-vous des voyants ! Ils piquent même l’argent des pauvres !

Le 4 décembre 1924 Houdini envoya une lettre au Chatta-


nooga Daily Times dans laquelle figurait le détail de sa
conférence dont le titre était : Les morts peuvent-ils par-
ler aux vivants ? Voici le contenu de ce courrier :

Pour commencer sachez que je ne me produis pas en tant


qu’artiste de variété ou magicien dans cette conférence. Ma
prestation est divisée en plusieurs parties. Durant le premier
quart d’heure, j’évoque mes expériences avec les plus
célèbres médiums et j’y relate des faits remontant à ma
jeunesse où je présentais moi-même des phénomènes spirites
avec grand succès. Puis je dévoilerai les procédés secrets que
j’utilisais à l’insu de tous. J’expliquerai aussi comment, en tant
que passager à bord du navire S.S. Imperator j’ai organisé une
séance spirite devant Théo Roosevelt et le compositeur Victor
Herbert. Je les ai complétement déconcertés en produisant un
message d’un autre monde !

Je narre aussi la fameuse séance de Lady Doyle où elle


prétendait se faire l’interprète entre ma chère mère et moi-
même grâce à l’écriture automatique (Nous reviendrons plus
loin sur cet épisode).
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Houdini à côté de Théodore Roosevelt en 1914

Je relate aussi comment j’ai réussi à produire deux phé-


nomènes météorologiques extraordinaires et ce le même jour !
Mais il s’agit là de miracles dus au seul hasard et dont je peux
produire les preuves.

Puis je lance mon défi : un chèque pouvant se monter jusqu’à


5.000 dollars pour tout médium ou spirite produisant trois fois
de suite des phénomènes occultes en ma présence et dont je
ne serais pas en mesure d’expliquer les méthodes employées
pour ce faire.

Puis je présente 50 diapositives. Sur ces vues on me voit


poser avec des médiums notoires : la majorité d’entre eux
étant déjà décédés à l’heure où je vous parle mais qui vous
prouve mes relations intimes avec ces faiseurs de miracles.
Cette partie dure environ 30 minutes. Comme j’ai enquêté
durant une trentaine d’années à ce sujet j’y raconte aussi
l’époque lointaine où j’étais moi-même un partisan de ces
pratiques. J’ai commencé à me poser des questions au
moment où ces médiums voulurent échanger avec moi des
secrets relatifs à des tours de magie pour les présenter
revêtus du manteau noir du spiritisme.
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Troisième partie de la conférence : pour intéresser les plus


jeunes, je montre quelques tours de passe-passe dont j’ai
peaufiné la présentation durant des années. Accessoirement
je montre aussi un tour de magie qui a fait ma réputation
depuis des années : le mystère des 50 aiguilles avalées et
régurgitées enfilées sur un fil. J’explique aussi la méthode
d’écriture automatique (sur ardoises) du célèbre Dr Slate.

Des spectateurs sont invités à monter sur scène. Ils me


tiennent les mains et les pieds pendant que j’agite des clo-
chettes et secoue des tambourins… à leur insu !

Je démontre la production de mains en paraffine qui, selon des


scientifiques européens, ne peuvent être fabriquées que par
des esprits désincarnés !

J’ai aussi montré au public comment Margery, le médium, a


trompé éhontément des centaines d’enquêteurs en essayant
de décrocher un prix du Scientific American (dont je faisais
partie du comité d’examen). Elle est arrivée à lancer des objets
en l’air alors que tous ses membres étaient fermement
immobilisés. Elle fit voler une table en l’air et sonner des clo-
ches. Mais chaque fois je réussis à percer le mystère de ces
prouesses qui ne sont rien d’autre que des subterfuges de
prestidigitateurs.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

À la fin de ma prestation le public est invité à me poser des


questions rationnelles. Aussi étrange qu’il y paraisse, c’est là
la partie la plus intéressante de mes conférences.

Lorsque Houdini fait référence à « deux miracles survenus


le même jour par la plus pure des coïncidences », je pense
qu’il parle de moment où il a arrêté la pluie d’un simple
geste lors d’une fête le 4 juillet 1922 chez Bernard Ernst à
See Cliff (New York).

HOUDINI A CHAPEL HILL


Les trucages des médiums expliquées

Houdini fit une conférence le 21 novembre 1924 à l’Uni-


versité de Caroline du Nord à Chapel Hill.

Cette apparition faisait partie de la deuxième tournée. Le


dépliant édité à cette occasion portait le titre un peu
racoleur : Les morts peuvent-ils parler aux vivants ?
Avouez que ce slogan était plus parlant que celui de la série
de conférences précédentes : Phénomènes Spirites Frau-
duleux.
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Le document que nous reproduisons ici connut une destinée


chaotique. Il passa de mains en mains et prit la poussière
dans un grenier jusqu’à nos jours. La conférence rassembla
quelque 1 500 personnes, autant dire qu’on jouait à
guichets fermés. Houdini semblait être en très bonne forme
ce soir-là comme en atteste l’article du Daily Tar Heel dont
nous vous traduisons l’essentiel ci-après. Vous remarquerez
que là l’artiste prend moins de précautions oratoires que
d’habitude et attaque frontalement les adeptes du
spiritisme !

La tablette OUIJA à la poubelle !


Un exposé détaillé sur les contrefaçons en usage dans le
domaine du spiritisme fut fait par Houdini à Chapel Hill. Il
dénonça avec véhémence l’affirmation que les morts étaient
en mesure de communiquer avec les êtres vivants.

La planchette Ouija, affirma-t-il est la première étape


avant d’atterrir dans un asile d’aliénés. Il réfuta toute
possibilité de communication du monde des vivants avec le
monde des morts. Il précisa que les deux plus ardents
défenseurs du spiritisme, à savoir Sir Conan Doyle et Sir
Oliver Lodge, un physicien réputé, devraient être tenus à
l'écart de la société des personnes saines d’esprit. Ces deux

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Anglais ont rendu beaucoup de gens fous à lier, insista


Houdini.

La démarche de Houdini à Chapel Hill semblait se résumer


à une mise en garde générale contre les méfaits produits
par les tenants de l’occultisme. Si une seule personne
présente dans la salle ce soir était convaincue que les
médiums ne sont que de fieffés menteurs, alors mon but
aura été atteint déclara-t-il à la fin de sa prestation.

NDT : Sur la plaquette OUIJA figurent toutes les lettres de l’alphabet et


des chiffres et quelques questions simples auxquelles les esprits sont
censés répondre par oui ou par non, selon que l’objet penche d’un côté
ou de l’autre. On a peine à croire que des gens sensés se servent d’un
tel moyen pour résoudre leurs problèmes existentiels !

DISCOURS A LA RADIO
Le 3 décembre 1925 vers 20 heures Houdini s’exprima à la
radio WTIC à Hartfield dans le Connecticut. Dans cette al-
locution il précisa sa position exacte quant au spiritisme. Il
y a aussi lancé son célèbre défi à l’adresse des voyants et
médiums de tous horizons pour qu’ils lui administrent les
preuves irréfutables de phénomènes psychiques authen-
tiques ou de tout pouvoir paranormal non explicable par la
science. Il élargissait ainsi un peu la nature de son défi car
avant il limitait les preuves à sa propre expertise.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Houdini estima que cette déclaration était si solennelle qu’il


signa chaque page de son allocation. Ce texte avait été
dactylographié, attesté et horodaté par un représentant de
la station de radio. L’existence de ce texte, ni le fait qu’il
avait été lu sur les ondes, n’avaient encore jamais été
mentionné dans aucun biopic à notre connaissance.

Nous sommes en possession de ce texte original dûment


signé : seul témoin de ce passage radio de Houdini.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Voici le texte intégral de l’adresse radiophonique de


Houdini :

Mesdames, Messieurs,

J’ai le plaisir de m’adresser directement à vous au sujet du


spiritisme. Pour qu’il n’y ait aucun malentendu à ce propos, je
veux qu’il soit bien compris que je n’attaque pas la pratique du
spiritisme car c’est ce qu’affirment bon nombre de ses nom-
breux adeptes.

Je respecte le vrai croyant et je connais beaucoup de


personnes qui sont sincèrement persuadées de l’existence de
l‘intercommunication entre les vivants et les morts. Je connais
aussi des Hindous qui dorment sur des planches à clous. Bien
que je ne partage pas leurs croyances particulières, je les
respecte pour leur sincérité.

Je détiens une somme globale s’élevant à environ


50 000 dollars. Cet argent récompensera toute personne
dotée de pouvoirs paranormaux en mesure de prouver, sous
conditions de tests rigoureux, qu’un esprit désincarné peut
revenir sur terre et y pratiquer une activité physique.

Je ne suis pas un sceptique borné, je veux bien croire à cette


possibilité pour autant qu’on m’administre, sans l’ombre d’un
doute, qu’une telle manifestation est raisonnablement pos-
sible. Mon esprit reste grand ouvert mais en plus de 35 ans je
n’ai jamais rencontré un médium m’ayant convaincu de cette
éventualité. J’ai vécu une vie aventureuse consistant à
participer à des séances spirites et d’y découvrir à chaque fois
que les opérateurs produisaient des phénomènes occultes de
manière frauduleuse.

J’aimerais entendre toute personne connaissant un spirite que


je pourrai auditionner devant le comité du Scientific American
dont je suis membre. Ce médium, dans des conditions de
laboratoire, serait testé par un groupe de professeurs de
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Houdini : croisade contre le spiritisme

Harvard sélectionnés par le Dr Morton Prince, rédacteur en


chef du Journal of Social and Abnormal Psychology qui n’avait
fait l’honneur de m’inclure dans ce groupe.

Pour que les choses soient claires à ce sujet nous précisons


que le médium ne doit pas nécessairement faire preuve d’une
intelligence invisible provoquant des phénomènes de télé-
kinésie, mais être doté d’un pouvoir étrange ou bizarre,
inexplicable par aucune autorité scientifique. Si tel était le cas,
nous lui remettrions la somme promise.

Ce candidat qualifié qui, sous contrôle rigoureux pourra


prouver l’authenticité de ses facultés paranormales, non par
coïncidence, hasard ou pré-arrangement, devrait s’adresser à
ce dernier comité et non au comité du Scientific American car
celui-ci exige que le médium produise une action physique
visible pour lui décerner une récompense.

Je serai au Parsons Theatre toute cette semaine. Puis je serai


à l’Opera House à Worcester dans le Massachusetts la
semaine prochaine. Je serais ravi de rencontrer quiconque
sera en mesure de me signaler l’existence d’un véritable
médium.

Comprenez bien que ce n’est pas une attaque contre une


croyance car chacun a le droit de cultiver sa propre religion
tant que sa pratique n’entre pas en conflit avec les lois en
usage. Meilleurs vœux.

Harry Houdini, 3 décembre 1925, 19 h 53

Signé par WC Johnson – WTIC

On remarquera au passage que Houdini savait parfois


mettre de l’eau dans son vin pour ratisser plus large. Pru-
dent, il n’attaquait jamais de front : il touchait ainsi une
audience plus large.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

On sait que Houdini fit beaucoup de radio durant les


dernières années de son existence ; la TSF était devenue à
cette époque le média de masse incontournable et Houdini,
également le roi du marketing, savait s’en servir. Il ne fit
pas que des discours semblables à celui que nous venons de
relater, mais également des annonces publicitaires pour
promouvoir ses spectacles de scène. D’ailleurs lorsqu’il
reçut le fameux coup de poing fatal dans l’estomac, Houdini
se rendit le même soir à une station de radio de Montréal
pour une interview.

Malgré toutes ces interventions à la radio, il n’existe à notre


connaissance, aucun enregistrement audio pour en attester.
Il faut dire qu’à l’époque la chose n’était pas courante. Mais
qui sait si un jour on ne mettra pas la main sur un tel
document. Croisons les doigts…

CONFESSION PUBLIQUE
DE Mme BENNINGHOFEN
Houdini passait son temps à démasquer les charlatans du
spiritisme dont la pratique était fort répandue à son époque
comme, nous l’avons déjà vu. Voici un récit parmi d’autres.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

The Benninghofen confession

Cette affiche fait la promotion d’une présence de 8 semaines


de Houdini au Princess Theatre en 1926. Elle met en
lumière la confession d’une adepte du spiritisme fort con-
nue, Annie M. Benninghofen qui trompa son monde durant
des années en prétextant de communiquer avec l’au-delà au
moyen d’une trompette qui apparemment amplifiait ses
perceptions mentales…

La confession de ce médium porta un coup fatal à la pra-


tique du spiritisme sur scène.

Le 15 avril 1926 Houdini tint une conférence de presse à


l’Hôtel Sherman de Chicago avec à ses côtés la fameuse
médium Benninghofen. Celle-ci avoua avoir berné ses adep-
tes durant une bonne trentaine d’années. A l’appui de sa
confession, elle fit une démonstration publique des techni-
ques de mystification qu’elle mettait en œuvre lors de ses
prétendues communications avec le monde des morts.

Mon père était un spirite, dit-elle. Il y croyait sincèrement.


Bien qu’instruit, il fut dupé comme tous les autres, expliqua-
t-elle avant d’ajouter : bien que j’admette aujourd’hui que
mes séances reposaient sur des artifices frauduleux, je
précise qu’à l’époque des faits, j’étais sincère. Je pensais
vraiment être d’un grand secours pour les gens dans la peine
et le deuil. Par contre je n’ai jamais dupé ma mère. Celle-ci,
sur son lit de mort, m’a expressément demandé de renoncer
à mes activités frauduleuses. J’ai refusé sur le moment. Mais
c’est à cet instant que l’idée de m’arrêter s’est instillée dans
mon esprit. Lentement l’idée a fait son chemin et c’est ainsi
que je me suis décidé à arrêter cette folie.

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Houdini : croisade contre le spiritisme

Tous pareils, interjeta Houdini ! Je n’ai jamais rencontré un


médium authentique. Ils jouent tous la comédie et nous
mènent en bateau. Mme Benninghofen tint le haut du pavé ;
c’était la plus convaincante parmi tous les médiums que j’ai
côtoyés ! Et aujourd’hui elle avoue publiquement sa dupli-
cité. Quelle preuve voulez-vous de plus ?

Mme Benninghofen se produisit sur scène avec Houdini


durant ses « Trois spectacles en un » le soir du 16 avril. Le
magicien vedette et elle enchaînèrent leurs prestations du-
rant toute la semaine suivante (du 19 au 25 avril). C’est
cette période qui est annoncée ci-dessus sur l’affiche.
Houdini avait le sens de la formule en écrivant : « La plus
grande sensation depuis la confession des sœurs Fox ». Il y
est également fait mention de Cecil Cook, un autre faux
spirite qu’Houdini avait démasqué un an plus tôt.

Pour immortaliser l’événement, Houdini et Mme Benning-


hofen se sont fait photographier ensemble au Studio Butler
à Chicago. Les vues ont été reproduites sur l’affiche
publicitaire. Ci-après vous découvrirez une photographie
moins connue.

– 20 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

À l’issue de leurs prestations communes, Mme Benning-


hofen fit don à son confesseur de la trompette spirite avec
laquelle elle joua impunément au médium plus d’un quart
de siècle. Elle gratifia même Houdini d’un certificat
d’authenticité. On dénombre aujourd’hui quantité de
trompettes spirites qui auraient passé entre les mains de
Houdini mais personne ne sait plus quelle est celle de
Mme Benninghofen.
Les photos illustrant ce chapitre sont toutes issues de la collection du
musée McCord.

LA QUERELLE DOYLE/HOUDINI
Comment les deux meilleurs amis du monde, les person-
nalités les plus célèbres du début du XXe siècle
ont-elles pu se déchirer à un tel point ?

– 21 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Sir Arthur Conan Doyle le père de Sherlock Holmes


(détective le plus rationnel qui ait jamais existé) croyait au
spiritisme. Le romancier était convaincu que l’on pouvait
réellement communiquer avec l’au-delà. Harry Houdini le
plus grand magicien de tous les temps, lui était sceptique à
ce sujet mais ne tenait qu’à être convaincu. Durant ses
recherches, il alla jusqu’à démasquer les charlatans du
surnaturel, outré qu’il était par l’exploitation du chagrin
des êtres en peine.

D’un grand courage physique il était tout aussi remarquable


par sa joyeuse urbanité dans la vie courante. On ne pouvait
se souhaiter meilleur compagnon lorsqu’on se trouvait en sa
présence. Même s’il pouvait parfois dire et faire des choses
totalement inattendues lorsqu’on était absent. Citation de Sir
Arthur Conan Doyle au sujet d’Harry Houdini.

Spiritisme : la querelle !
Sir Arthur Conan Doyle était devenu célèbre pour avoir créé
le génial détective de fiction ; Sherlock Holmes. C’était
aussi un fervent adepte du spiritisme ; une religion auto-
proclamée où l’on pratiquait la communication avec les
défunts par l’intermédiaire de médiums.

Bien que le spiritisme fût déjà répandu au milieu des an-


nées 1800, cette croyance connut un regain d’activité après
la Première Guerre mondiale qui avait laissé tant de morts
sur les champs de bataille de France et d’ailleurs. L’intérêt
que portait le célèbre écrivain anglais à l’ésotérisme con-
fortait le public dans cette croyance.

Harry Houdini, lui, était pour le moins sceptique quant au


spiritisme. Son intérêt pour celui-ci remontait à sa jeunesse
et non, comme on le pensait encore récemment – à la perte
de sa mère adorée. Houdini était alors dans la force de l’âge

– 22 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

et essayait d’établir un contact avec elle. Durant la dernière


décennie du 19ème siècle lorsque Harry commença à se
produire comme magicien, innombrable étaient déjà les
spectacles s’inspirant du spiritisme et de la magie mentale.
Houdini avait déjà à l’époque percé les secrets des manifes-
tations des esprits sur scène en étudiant des ouvrages tel
que par exemple Revelations of a Spirit Medium. Il semble
qu’Houdini et son épouse Bess aient présenté eux-mêmes
des divertissements spirites durant leurs années de vaches
maigres où ils tentaient de percer dans le métier.

Même après avoir connu un succès quasi-planétaire, comme


roi de l’évasion, il a continué à étudier le spiritisme en ac-
cumulant quantité de livres traitant de ce sujet. Il pensait
toujours qu’il devait exister un moyen de communication
psychique au moyen d’un authentique médium. Mais il ne
fut confronté qu’à de la fraude et à de la supercherie.

– 23 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Durant l’année 1920 Houdini vint en Grande Bretagne


honorer des contrats qui avaient dû être repoussés pour
cause de guerre. Houdini, à cette époque était déjà un fer-
vent admirateur des aventures de Sherlock Holmes. Il avait
aussi lu les ouvrages de Conan Doyle sur la pratique du
spiritisme comme par exemple The New Revelation. Hou-
dini envoya à Doyle un exemplaire de son livre The Unma-
sking of Robert-Houdin. Doyle vit Houdini dans ses œuvres
sur scène en juin 1920 au London Palladium. Le destin était
en marche… Peu de temps après les deux célébrités se ren-
contrèrent et devinrent rapidement de bons amis.

Le point central de cette amitié était bien entendu leur


intérêt pour les techniques de communication avec l’au-
delà. Le magicien dit au romancier qu’il était chercheur de
vérité et tout disposé à croire au spiritisme pour autant qu’il
soit authentique. Doyle convint que la fraude était monnaie
courante en la matière mais qu’il était, lui, en mesure de lui
recommander de vrais médiums.

Durant sa tournée en Angleterre, Houdini prétendit avoir


consulté une centaine de médiums dont tous ceux que
Conan Doyle estimait être digne de confiance. Mais durant
chaque séance, Houdini découvrit ou subodorait des triche-
ries. Ces mauvaises expériences l’incitèrent à prendre ses
distances avec ceux qui prétendaient communiquer avec les
mondes parallèles.

Le problème était que Conan Doyle pensait dur comme fer


que Houdini lui-même était doué de pouvoirs surnaturels.
A l’appui de cette thèse, il cita un homme qui prétendait
avoir senti l’artiste se dématérialiser pour s’évader de sa
Milk-Can (célèbre illusion où l’artiste s’évade d’un grand
pot de lait). Une immense déperdition d’énergie a été res-
sentie, disait-il, pendant son évasion, une énergie sembla-
ble à celles que les assistants éprouvent lorsqu’ils parti-
– 24 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

cipent à des séances spirites. Doyle écrivit à Houdini : Mon


cher Harry, pourquoi perdez-vous votre temps à parcourir le
monde à la recherche d’authentiques médiums alors que
vous en êtes vous-même un ?

Houdini tenant en main le livre de Conan Doyle : New Revelation

Le magicien et le romancier entretinrent une relation épis-


tolaire régulière même lorsque Houdini rentra aux Etats-
Unis. Ce dernier rendit un hommage appuyé à son compa-
gnon dans son film The Man from Beyond où entre autres,
il se réincarna. Conan Doyle lui renvoya l’ascenseur en
approuvant avec enthousiasme la sortie de ce film dans les
salles de cinéma.

En 1922 Conan Doyle vint aux Etats-Unis pour donner des


conférences sur le spiritisme et les manifestations occultes.
Toutes ses apparitions furent couronnées de succès à cette
époque où la mode était au paranormal et au surnaturel.
Doyle assista même à un dîner spécial organisé par Houdini
avec les membres de la Société des Magiciens Américains.
Faisant lui-même preuve de ruse, Doyle projeta durant le
repas des scènes extraites du film The Lost World. Selon lui
les magiciens auraient été, tous, dupés en croyant en
l’existence de vrais dinosaures.

– 25 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Conan Doyle est resté plus crédule que jamais. Un jour que
Houdini lui présentait un simple tour de passe-passe dans
lequel il faisait semblant de déplacer son pouce, Doyle fut
comme foudroyé par le phénomène. Il n’en croyait pas ses
yeux tant l’illusion fut convaincante et déclara le plus sé-
rieusement du monde qu’il s’agissait d’une preuve supplé-
mentaire des pouvoirs paranormaux de Houdini.

Au mois de juin de la même année les Doyle invitèrent les


Houdini à les rejoindre sur leur lieu de vacances à Atlantic
City. Alors qu’ils prenaient le soleil ensemble sur une plage,
Conan Doyle informa son ami Harry que sa propre épouse
avait développé des pouvoirs de médiumnité. D’après elle,
la mère décédée de Houdini, Cecelia Weiss souhaitait com-
muniquer avec son fils. Il lui proposa d’organiser dans la
foulée une séance. En catimini, Bess, l’épouse de Houdini,
l’avertit que Lady Doyle l’avait, la veille soumise à un feu
roulant de questions sur les relations entre la mère et le fils.
Houdini flaira immédiatement une supercherie mais ac-
cepta néanmoins la proposition pour ne pas froisser son
célèbre ami.

Les Houdini et les Doyle sur la plage à Atlantic City

– 26 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

La séance eut lieu dans les salons de l’hôtel Ambassador.


La mère de Houdini entra en communication avec son fils
au moyen de l’écriture automatique, processus courant
dans le domaine des sciences occultes ; le défunt dicte ses
mots au médium qui les transcrit sur un calepin pendant
qu’il est en transes. Subterfuge que voilà pensa immé-
diatement Houdini. Cela ne pouvait pas être sa mère qui
était à l’origine de ce message de plus de 15 pages écrites
dans un anglais parfait. De plus le texte était curieusement
précédé par le dessin d’une croix chrétienne.

Tous ces détails achevèrent de convaincre le magicien qu’il


était la victime d’une supercherie.

Houdini avec les deux femmes de sa vie :


sa mère Cecelia Weiss et son épouse Bess

En effet la mère du magicien était originaire d’Europe cen-


trale. Elle ne parlait guère l’anglais et ne disposait que d’un
vocabulaire rudimentaire. Elle était restée durant des an-
nées entourée par d’autres immigrés de sa condition sans
jamais s’assimiler entièrement à la culture anglo-saxonne.
– 27 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

De plus Cécilia était femme de rabbin. Jamais elle n’aurait


utilisé une croix comme signe de reconnaissance. Et, der-
nier détail qui enlevait les ultimes doutes à son fils : la
veille était l’anniversaire de sa mère. Or ce point avait été
passé sous silence par le médium durant la transmission…
Ce n’était pas normal : chez les Houdini on célébrait cet
événement et en bonne logique, Cecelia aurait dû l’évoquer.

Malgré les doutes (et les certitudes !) qui l’assaillirent,


Houdini remercia chaleureusement Conan Doyle pour ses
efforts.

Quelque temps plus tard Conan Doyle déclara à la presse


que Houdini s’était converti à la religion du spiritisme. Le
magicien rétorqua qu’il n’en était rien et qu’il restait plus
sceptique que jamais… Cette dernière assertion laissait
même à penser que les Doyle étaient peut-être des im-
posteurs. Cette polémique mit à rude épreuve l’amitié des
deux célébrités.

En retour Doyle accusa Houdini d’attaques au vitriol. Le


magicien rétorqua du tac au tac que Doyle était un naïf
invétéré. Suite à cette dispute, leur amitié s’effrita. Le coup
de grâce fut la publication du livre de Houdini en 1924 : Un
magicien parmi les esprits.

N’étant plus tenu à un devoir de réserve suite à la rupture


avec Doyle, Houdini intensifia sa campagne de dénigrement
contre les prétendus médiums. Cette polémique publique
dans la presse remit sa carrière d’escapologiste en selle car
elle avait connu des moments de faiblesse après ses aven-
tures peu juteuses dans le cinéma.

Houdini assista incognito à des séances de spiritisme. Il


provoqua même publiquement quelques-uns des médiums
les plus renommés. Il a aussi témoigné devant le congrès
– 28 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

américain pour appuyer un projet de loi interdisant le


commerce avec les esprits.

Conan Doyle, de son côté, continua à défendre activement


les partisans du spiritisme. Il soutint aussi les médiums que
Houdini avait démasqués dont la célèbre Mina Grandon
alias Margery. Doyle soutint même la thèse que Houdini
était un médium qui s’ignorait ! Il souligna aussi que
Houdini courait un grand danger car le monde invisible des
âmes mortes était furieux contre lui et s’apprêtait à lui
porter un mauvais coup !

C’est dire le fossé qui séparait à présent les deux person-


nalités.

Le medium préféré de Conan Doyle Mina Grandon alias Margery

Houdini ridiculisa publiquement la crédulité du romancier


anglais en critiquant par exemple son soutien aux Cottin-
gley Fairies. Il s’agissait de deux jeunes filles qui préten-
daient avoir photographié des fées dans leur jardin. Conan
Doyle écrivit un livre entier sur cette étrange apparition.
Son ouvrage était intitulé : The coming of the Fairies. Quel-
que temps plus tard les deux jeunesses admirent publi-
– 29 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

quement que les prétendues fées n’étaient rien d’autre que


des découpes d’un livre d’images qui contenait entre autres,
ironie de l’histoire, un récit de Doyle lui-même !

Houdini envisagea de porter leur querelle à un niveau


supérieur en publiant une monographie où il démontrerait
que Conan Doyle avait plagié Edgar Allan Poe pour mettre
Sherlock Holmes en scène. Ses recherches dans ce sens
n’aboutirent pas et l’affaire en resta là mais elle est révé-
latrice du climat détestable qui s’était installé entre eux. Ils
en étaient maintenant presque à couteaux tirés !

Après la mort de Houdini en 1926, Sir Conan Doyle adressa


une lettre de condoléances à Bess. Le courrier se terminait
ainsi : je suis sûr que grâce à la force de son caractère et peut-
être avec le désir de réviser ses erreurs de jugement, votre
époux reviendra parmi nous. Pour le remercier de ses
attentions, Bess lui envoya un album d’œuvres d’art du père
de Conan Doyle que son mari avait jadis acquis durant une
vente aux enchères.

Doyle lui répondit : cet album est bien arrivé à destination.


Il m’a rempli de joie. C’est presque un miracle : miracle
d’abord parce que cette œuvre existe encore, miracle parce
qu’elle a traversé l’Atlantique à deux reprises et miracle
parce qu’elle est revenue à son point de départ. J’accepte
votre cadeau telle une offre de paix de la part de votre époux
et je l’en remercie vivement.

L’écrivain anglais est décédé le 7 juillet 1930. Il n’a jamais


cessé de croire que son ex. ami était le plus grand médium
des temps modernes.

Houdini et Doyle n’ont jamais résolu le problème des mani-


festations spirites. Leur célèbre amitié et leur non moins
célèbre querelle les lient cependant à jamais dans l’histoire.
– 30 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

N’est-il pas réconfortant de voir deux vieux amis se re-


trouver, ne serait-ce qu’en pensée ?

MINA GRANDON (Margery)


La célèbre médium Margery est née Mina Marguerite
Stinson en 1888. Elle a grandi dans une ferme à Princeton
(Ontario) Canada. Elle a déménagé à Boston durant sa jeu-
nesse. Elle y rencontra et épousa un épicier du nom d’Earl
Rand. Elle mit au monde un fils. Plus tard elle rencontra
dans l’hôpital où elle était hospitalisée, le Dr Le Roi God-
dard Grandon. En 1918 Mina devint la troisième épouse de
ce dernier. Elle et son fils déménagèrent alors chez son
époux au 10 Lime Street. C’est là qu’elle développa son
intérêt pour la communication avec les esprits des morts.
On dit qu’elle commença des séances d’occultisme pour
passer le temps. Peut-être le fit-elle aussi pour distraire son
époux d’un intérêt morbide pour les choses de la mort. Elle
prétendait par exemple être en mesure de communiquer
mentalement avec son frère décédé. Elle organisa aussi des
séances de spiritisme et d’écritures automatiques pour les
– 31 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

amis et associés de son mari. On dit qu’elle n’hésitait pas à


se dévêtir pour se laisser examiner de près en vue d’écarter
tous soupçons de fraude.

Mina Grandon est devenu très célèbre. Ses compétences en


tant que médium ont été vantées par Sir Arthur Conan
Doyle et d’autres personnes de renom. En 1924 elle parti-
cipa à un concours organisé par le magazine Scientific
American. Il s’agissait de démontrer sa capacité à com-
muniquer avec des personnes décédées dans des conditions
très strictes d’examen. Parmi les examinateurs se trouvait
Houdini qui en savait long sur les subterfuges en usage
parmi les spirites…

Les séances eurent d’abord lieu au domicile du Dr Grandon


puis ultérieurement à l’Hôtel Charlesgate à Boston. Le
déroulement des séances fit l’objet de controverses sans fin.
Houdini dénonça une fraude dès le début. Il a démontré la
nature du truquage en accusant Margery de n’être qu’une
usurpatrice. Finalement le comité refusa d’accorder le prix
au médium auto proclamé !
– 32 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Malgré les preuves accablantes d’indélicatesse avec la


vérité, Margery continua avec succès sa carrière de mé-
dium. Qui veut croire, croira toujours…

Mina Grandon mourut le 1er novembre 1941 à l’âge de 53


ans.

MARGERY FILES
Il y a une dizaine d’années, l’arrière-petite-fille de Margery
The Medium, Anna Thurlow, nous a gratifié d’éléments
originaux et totalement inédits. Il s’agit d’un matériel
jetant une lumière nouvelle sur les relations compliquées
entre sa lointaine parente et Houdini. Tous ces éléments
font partie de la collection privée Libbet Grandon de Ma-
lamud, sa mère.

Au vu des révélations suivantes, on découvrira que les


relations entre les deux protagonistes étaient pour le moins
ambiguës. Etaient-ils amis ou ennemis ? On se le demande
parfois. Mais le sentiment dominant qui apparaît à la vue
de tous, c’est que Houdini, bien que n’y croyant pas…
semblait vouloir y croire ! Et qu’il n’était pas déçu ou
contrarié par chacune de ses tentatives infructueuses. Ah,
si la communication avec l’au-delà avait été démontrée de
manière irréfutable, Houdini eut été avec plaisir, le grand
prêtre de cette nouvelle religion. Mais voyons tout cela un
peu plus en détail.

Coups bas entre amis…


La photo suivante, fut prise le 24 juillet 1924 durant la
deuxième séance de spiritisme entre Margery et Houdini.
On y voit que ce dernier avait retroussé la jambe de son
pantalon. Il avait sensibilisé son membre en portant un
bandage chirurgical toute la journée afin qu’il puisse dé-

– 33 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

tecter le moment crucial où la jambe de Margery, dans


l’obscurité totale requise, entrerait secrètement en action.
« Elle a fait un mouvement de glissement très audacieux
avec sa cheville pour atteindre la boîte et je pense qu’elle
avait la certitude de me duper » a écrit Houdini par la suite.

On ne sait au juste qui a pris cette photographie. Peut-être


était-ce le Dr Grandon lui-même. Houdini envoya cette vue
à Margery avec une lettre d’accompagnement où il écrivait
entre autres, qu’il n’était pas un sceptique endurci, que
l’harmonie devait régner entre eux. Mais nous pensons que
Houdini cherchait avant tour à endormir la méfiance de
Margery à son égard et la plonger ainsi dans un faux
sentiment de sécurité avant de pouvoir la démasquer avec
fracas.

On se demande aussi ce que le Dr Grandon a pensé lorsque


Houdini vint à une séance avec une remorque sur laquelle
était chargée la formidable « Margery Box » (De cette boîte
ne sortaient que la tête et les membres du médium. Celle-ci
se trouvait donc dans l’impossibilité d’esquisser le moindre
– 34 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

mouvement suspect). L’époux du médium a dû comprendre


ce jour-là que Houdini ne reculerait devant rien pour
justifier ses convictions.

Au verso de la photo se trouve une annotation manuscrite


du Dr Grandon. Normalement celui-ci s’asseyait toujours à
droite de sa femme durant les séances mais ici il identifie le
témoin le plus proche comme étant J. Malcolm Bird. Celui-
ci était un membre éminant du Scientific American, un
invité personnel du chirurgien durant les séances. Soit il est
stupide (sic !) comme je le pense, soit il prend du bon temps
avec le Dr Grandon, ce qui l’incite à avoir une attitude
bienveillante pour le médium, confia un jour Houdini à son
épouse.

Le Dr Grandon avait l’habitude de collecter toutes les notes


des assistants aux séances de Margery au cas où ils feraient
un jour des commentaires publics contraires à leur vécu. Le
Dr Grandon dit un jour à Arthur Conan Doyle : j’ai assez de
matériel documentaire pour les crucifier s’ils nous attaquent
et ils savent que je n’hésiterai pas à les traiter de manière
chirurgicale si nécessaire ajouta-t-il pour bien montrer qu’il
entendait bien protéger la réputation de sa femme, Margery
The Medium.

– 35 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

L’illustration précédente a été utilisée par Houdini en tant


que preuve accablante dans une brochure dénonçant les
méthodes frauduleuses du médium Margery. Là on voit le
pied de celle-ci sur le point de faire sonner une clochette car
elle est assise ici dans une position très avantageuse pour
elle.

On ne peut s’interdire de penser que les deux épisodes, Bird


utilisant une photo de Margery prise par Houdini à des fins
qu’il ne soutenait pas et Houdini utilisant une photo de lui-
même et de Margery prise par le Dr Grandon à des fins qu’il
ne soutenait pas, est révélatrice du climat détestable de
petites trahisons réciproques que les deux protagonistes se
sont réciproquement infligées malgré leur respect mutuel
initial.

La taupe
Tout le monde sait que le clan Margery avait enrôlé J.
Malcolm Bird et Heward Carrington comme informateurs
durant les séances de spiritisme avec Houdini durant
l’année 1924. Mais est-il possible qu’il y ait eu également
une taupe pendant la tristement célèbre séance avec Arthur
Ford de 1929 ; séance durant laquelle l’esprit de Houdini
était censé être revenu sur terre pour remettre un message
codé à son épouse. Apparemment ce fut le cas. La preuve en
est un photostat (ancêtre du Fax) d’une déclaration que
Best Houdini a signé pour prouver l’authenticité du messa-
ge d’outre-tombe. Celle-ci avait été envoyée aux organes de
presse. Ce qui rend ce courrier particulièrement intéressant
c’est qu’il fut envoyé le lendemain même de la séance aux
époux Grandon par Francis R. Fast, un membre du cercle
restreint des participants. C’est bien la première fois que je
vois une preuve qui atteste que Margery a été intégrée aux
séances Ford par quelqu’un du premier cercle.

– 36 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Qui était ce Francis R. Fast ? C’était un riche mécène, ami


intime du médium Arthur Ford avec lequel il partageait
même un appartenant. C’est lui qui, accompagné par John
W. Stafford, rédacteur en chef adjoint de Scientific
American qui se rendit au domicile de Bess le 6 janvier 1929
pour annoncer à la veuve de Houdini que Ford avait
contacté son défunt mari via son guide spirituel Flecher.
Après cette nouvelle Bess accepta de rencontrer Ford. Alors
même qu’il était étranger à Bess, Fast participait à chacune
des séances organisées par Ford.

Fast semble aussi avoir été en relation avec Arthur Conan


Doyle. Après l’annonce de Ford qu’il avait réussi à entrer en
contact avec la mère de Houdini durant la séance du 8
février 1928, Ford envoya par câble un message codé au
romancier anglais pour l’informer de cette réussite. Conan
Doyle relaya la nouvelle à Margery en faisant référence à
Fast et Ford comme étant ses affidés. Fast écrivit ensuite
The Houdini Messages en 1929 dans lequel figure un
compte rendu détaillé des séances d’Arthur Ford. Il y repro-
duisit aussi la lettre de Bess en frontispice. En ce qui
concerne Margery, Fast la cite respectueusement comme on

– 37 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

le lira un peu plus loin. C’est d’ailleurs la seule allusion à ce


médium féminin.

Ces dernières années des phénomènes psychiques


exceptionnels se sont produits. Ils donnent à quiconque une
raison suffisante pour abandonner toute idée préconçue sur la
réalité des communications avec les esprits. Les résultats
clairs et incontestables concernant Margery devraient suffire à
convaincre les plus sceptiques et à assurer à la commu-
nication avec l’au-delà une existence indéniable.

La lettre que Bess a malheureusement signée en ce jour


fatidique de 1929 a été utilisée contre elle (et par extension
contre feu son mari !) pour les forcer à entrer dans le clan
des adeptes du spiritisme durant les dernières années.
Bien : Bess ne dit pas expressément dans sa déclaration que
Houdini lui a livré le code secret. Elle laisse seulement
entendre que le bon code a été délivré par Ford. La manière
dont celui-ci a obtenu ce fameux code est une tout autre
histoire !

En 1934, Bess publia une lettre de rétractation à ce sujet.


Elle y affirma qu’elle contestait fermement la réception d’un
message d’Harry Houdini !
– 38 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Je vous en traduis l’essentiel ci-après :

Je déclare solennellement que je n’ai jamais reçu à aucun


moment et nul endroit un message authentique de mon
défunt mari, Harry Houdini.

Chaise spirite

Jetons encore un œil dans les archives de la famille


Grandon. Faisons un saut du passé au présent. Et passons
des documents papier à quelque chose de plus palpable.

– 39 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Voici les chaises authentiques ayant servi durant les


séances de Margery au dernier étage de sa maison au 10
Lime Street à Boston. Et nous ne résistons pas à l’idée que
Houdini lui-même aurait pu en occuper une durant la
première séance avec Margery le 23 juillet 1924 (la seule
séance qui eut lieu à son domicile). Réjouissons-nous que
cette relique ait survécu aux aléas du temps.

Un doute traverse-t-il votre esprit ? Non, non, ce sont


vraiment ces sièges qui furent utilisés en leur temps. Et en
voici la preuve définitive : sur les photos suivantes Margery
se trouve en pleine communion avec des ectoplasmes, et l’on
constate parfaitement qu’elle occupait l’une des deux
chaises.

Souvenirs
Pour conclure voici les derniers souvenirs de cette
confrontation quasi pathétique entre Margery et Houdini.
C’est la copie de la brochure de Houdini exposant les mé-
thodes utilisées par le médium de Boston. C’est triste nous
a déclaré l’arrière-petite-fille de Margery, j’ai toujours pensé
– 40 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

qu’ils auraient pu avoir une relation différente si les


circonstances avaient été différentes. Ils partageaient
beaucoup de points communs. On sent là que l’esprit de
famille essaye de concilier que qui nous semble incon-
ciliable.

Et voici pour finir cette séquence nostalgie, nous repro-


duisons ci-dessus le kimono que portait parfois Margery
durant ses séances de spiritisme.

THE FINALE SEANCE


1936 : séance finale avec Houdini

Le 31 octobre 1936 eut lieu The Finale Houdini Seance.


C’était la dixième et ultime tentative de Bess, son épouse
pour contacter mentalement son mari outre-tombe. Cette
séance s’est déroulée en grande pompe à Hollywood sur le
toit de l’hôtel Knickerbocker. Beaucoup d’amis et de rela-
tions étaient présents pour commémorer et célébrer l’anni-
versaire de sa disparition et le dernier essai pour entrer en
contact avec son esprit.
– 41 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Bess Houdini durant la séance finale

Les détails du déroulement de cette séance commémorative


ne furent dévoilés que peu de temps avant qu’elle n’ait lieu.
Bess et Edward Saint (son directeur commercial et parte-
naire) ont annoncé que l’événement devrait se tenir au
sommet d’une montagne (aussi près que possible du ciel !)
et l’idée première n’était pas que de contacter Houdini mais
aussi Howard Thurston et Charles Carter, deux autres
magiciens célèbres et proches d’Harry. Thurston venait de
décéder il y avait à peine un mois. Les veuves de Thurston
et Carter participaient, elles aussi, à la célébration.

Bess déclara à cette occasion : maintenant que Houdini,


Thurston et Carter sont tous ensemble, réunis pour l’éter-
nité de l’autre côté du miroir, je vais faire ici à Hollywood,
une dernière tentative pour contacter ce trio de grands
magiciens. Peut-être que l’un d’entre eux daignera se
manifester à nous.
– 42 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

Bess Houdini et son manager Edward Saint sur le toit de leur hôtel à
Hollywood pendant que des ouvriers finissaient les préparatifs de la
séance finale durant laquelle ils chercheraient à entrer en
communication avec l’esprit du regretté Houdini, le grand magicien.

Après quelques tergiversations l’idée d’un contact avec le


trio de magiciens fut abandonnée. Et l’on se concentra sur
la personne de Houdini. L’emplacement de cette rencontre
céleste ne fut pas le sommet d’une montagne mais le toit en
terrasse de l’hôtel Knickerbocker sur Ivar Street près
d’Hollywood Boulevard. Un temps il fut question d’une
connexion radiophonique… Mais on ne sait pas si elle eut
réellement lieu.

Des invitations en or ont été envoyées à quelques person-


nalités en vue, à des collègues. Tout le ban et l’arrière-ban
des journalistes furent également incités à assister à cette
séance. Edward Saint a remué le ciel et la terre pour
promouvoir la manifestation. Il avait même demandé - sans
succès d’ailleurs – que les autorités municipales éteignent
toutes les lumières de Broadway à New York. Il avait aussi
demandé d’observer une minute de silence à Hallowen en
– 43 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

hommage à Houdini. Une semaine avant l’événement,


Edward Saint et Bess se sont installés dans une suite à
l’hôtel. Bess y écrivit une lettre à sa nièce, Marie Blood,
dans laquelle elle se plaignait de son stress. « Je suis toute
nerveuse à ce sujet », déclara-t-elle à sa parente.

Selon William Larsen Sr. (Membre de l’Inner Circle), la nuit


a été inhabituellement froide, la plupart des invités étaient
aussi engourdis que s’ils avaient été aussi morts que l’était
Houdini lui-même. Beaucoup de participants avaient pris
la précaution de se prémunir du froid en faisant un détour
par le bar à cocktails du Knickerbocker.

Les magiciens locaux avaient fait une offre à Edward Saint.


William Larsen nous la rappelle ici avec ses propres mots :

Des magiciens de la côte Ouest menés par le Dr. Di Ghilini ne


croyaient pas vraiment qu’il se passerait quelque chose durant
la cérémonie. Ils craignaient que tous les invités et participants
à la séance ne connaissent une amère déception. Pour y
palier ils proposèrent leurs services ; produire l’écriture de
Houdini sur des ardoises (spirites) pour s’assurer ainsi de sa
présence ou provoquer un envol de colombes du néant. Le Dr.
Saint refusa cette offre généreuse. Pour lui la séance devait
se dérouler selon des règles strictes : les tours de presti-
digitation n’y avaient pas lieu d’être.

Le toit de l’hôtel avait été recouvert de moquette à cette


occasion. L’on y installa même un podium avec des gradins
pour le public et les journalistes. Un guéridon était disposé
près du bord du toit avec le sigle Hollywoodland visible à
l’arrière de Bess et d’Edward qui, eux, étaient confortable-
ment assis sur deux grands sièges. Sur le guéridon, faisant
office d’autel, étaient posées les fameuses menottes miroir
enclavées dans une autre paire de menottes. Il y figurait
aussi une clochette et une trompette spirites, objets clas-

– 44 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

siques d’un culte occulte. Le portrait d’Harry Houdini, lui,


trônait au milieu d’un triptique, éclairé en permanence par
une ampoule électrique.

Bess Houdini et Edward Saint durant la séance finale

L’Inner Circle était composé par : le juge Charles W. Fricke,


président de l’association californienne de la S.A.M., Earl
Rybolt, président de l’association Los Magicos, William
Larsen, Sr., rédacteur en chef et éditeur de Genii, Jacob
Hyman, ex-partenaire et ami d’enfance de l’artiste que l’on
honorait. En faisaient également partie, Floyd G. Thayer,
le marchand de trucs bien connu, le révérend Dr. Acorn,
président de l’association locale des églises spirites, Gerald
Kosky, vice-président national de la S.A.M., Caryl S.
Fleming, président de l’association des magiciens de la côte
du Pacifique et le Dr. Vernon Herbst, psychiatre et étudiant
en sciences occultes.

– 45 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

La séance fut annoncée comme une tentative « mondiale »


de contact avec l’esprit de Houdini. D’ailleurs Edward
Saint, pour justifier cette appellation, avait organisé une
douzaine d’autres séances simultanées aux Etats-Unis, au
Canada, en Angleterre et même en Australie. Ces séances
se déroulaient partout exactement au même moment que
celle d’Hollywood. C’est Hardeen, le frère magicien de
Houdini qui supervisait la séance se déroulant à New-York
et Harry Day, l’agent de très longue date de Houdini en
Angleterre qui s’occupait de la séance se déroulant à
Londres. A 20 h 30 la cérémonie débuta par la marche ma-
jestueuse qui ouvrait habituellement les spectacles de
Houdini. Caryl Fleming relata plus tard ce moment
dramatique dans un magazine de magie :

De puissants haut-parleurs rompirent le silence en faisant


entendre la marche d’ouverture « Pomp and Circonstance ».
Toutes les lumières du toit avaient été éteintes sauf celle qui
éclairait le portrait de Houdini. Puis les membres de l’Inner
Circle se levèrent. Toute l’assemblée des invités en fit de
même. Tous se tenaient au garde à vous pendant que l’on
conduisit la petite et frêle veuve, Mme Beatrice Houdini à sa
place d’honneur suivie par son manager, un ami de longue
date, Edward Saint. Lorsque tous se furent installés, la
musique cessa. Un silence oppressant s’installa. Un silence
plein d’espoirs…

Edward Saint prit l’affaire en mains. Il supplia Houdini de


nous faire un signe, de manifester sa présence parmi les
invités. Durant la cérémonie d’invocations, Ed. Saint a
mentionné l’existence d’un coffre secret contenant des
papiers de valeur relatifs à un échec et offert par Harry
Kellar. L’endroit où se trouvait ce coffre n’avait jamais été
localisé et le maître de cérémonie demanda à l’esprit du
magicien de révéler l’endroit où ce coffre avait été enfoui.

– 46 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

La séance est en cours au sommet de l’hôtel Knickerbocker.


Au loin on aperçoit les lumières de la ville.

Edward Saint supplia Houdini de se manifester durant plus


d’une heure. Fleming, témoins de cette scène rapporta que
le Dr. Saint s’exprimait d’un air sanglotant, la voix
entrecoupée par des trémolos. On entendait aussi des
soupirs provenant des membres du public. Bess dira plus
tard : il a invoqué, bon sang, il l’a invoqué avec grande
conviction et nul fut le résultat. Un journal rapporta que
pendant une accalmie durant les suppliques de Saint, on
entendit au loin, en écho les sanglots longs et mélancoliques
d’un saxophone dans une rue déserte, au bas de l’immeuble.

Pour finir Edward Saint prononça ces derniers mots :

Saint : Mme Houdini, l’heure zéro est à présent passée. Dix


ans se sont écoulés… Avez-vous pris une décision ?

Bess : Oui mon époux ne s’est pas manifesté. Mon dernier


espoir vient de s’évanouir. Je ne pense pas que Houdini
revienne un jour ni vers moi, ni vers quiconque d’autre.
Après avoir suivi durant une décennie entière les règles de
notre pacte, après avoir expérimenté tous les systèmes de
– 47 –
Houdini : croisade contre le spiritisme

communication post-mortem, j’ai maintenant la certitude


définitive que tout contact avec l’au-delà est impossible. J’ai
à présent la preuve absolue que les fantômes ou les
ectoplasmes n’existent pas. Le « sanctuaire Houdini » a
brûlé durant dix ans. J’en éteins maintenant respec-
tueusement la lumière. C’est fini ! Bonne nuit Harry !

Sur ces paroles Bess a fermé les portes de l’autel, a éteint


la petite lumière qui l’illuminait et a quitté le toit de l’hôtel
accompagné par Edward Saint. La pluie a alors commencé
à tomber alors que le ciel était clair. Était-ce là un signe des
dieux ? L’averse a duré juste le temps de tremper tous ceux
qui étaient encore présents à l’issue de la cérémonie. Puis
la pluie s’est soudainement arrêtée... Larsen se souvient :

Une pluie en Californie ne semble pas étrange pour des


personnes qui n’y vivent pas. Mais ici il n’existe pas d’averses
comme dans l’Est et le Midwest. Ce pays reste parfois sans
pluie durant des mois. Et lorsque la pluie arrive enfin elle dure
des mois, au moins durant plusieurs jours. Une pluie brève et
abondante est un phénomène rare. Etait-ce un signe céleste ?
Etait-ce là la manifestation du courroux des dieux ? Ou
Houdini lui-même versait-il des larmes de mélancolie ? On ne
le saura jamais, mais je ne pose souvent cette question.

Tout comme les séances spirites tenues de nos jours, celle-


là avait été un mélange de sincérité et d’autopromotion.
Bess avait parlé d’un pacte de 10 ans entre elle et son mari.
En réalité ce pacte n’a jamais été conclu et l’idée d’une
décennie d‘attente a probablement été inventée pour la
circonstance.

Comme on pouvait s’y attendre, cette séance finale a suscité


les critiques des partisans de la communication céleste.
Était-il nécessaire de convoquer l’esprit de Houdini devant
un parterre de néophytes avides de curiosité morbide alors

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Houdini : croisade contre le spiritisme

que le grand magicien n’était jamais entré en commu-


nication mentale avec son épouse même par l’intermédiaire
du médium new-yorkais Arthur Ford. Était-il vraiment
utile de refaire une expérience qui avait déjà prouvé la
réalité des choses ? Comme on le voit le débat n’est pas clos !

Aujourd’hui l’hôtel Knickerbocker se trouve toujours à


Hollywood et n’a pas beaucoup changé d’aspect. C’est main-
tenant une maison de retraite privée. On m’a dit que durant
de très nombreuses années un portrait de Houdini ornait
un mur de son restaurant.

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