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La Ville Égyptienne au Nouvel Empire

La Ville Égyptienne au Nouvel Empire

La «Ville» telle qu’elle est enseignée dans les écoles d’architecture en


France semble être un dispositif dont l’art et la maîtrise sont issus en
grande majorité des civilisations grecque et romaine. Pourtant, bien
avant cela, en Égypte Ancienne, les concentrations humaines produi-
saient également des tissus urbains. Ce rapport tente de mettre en lu-
mière quelques aspects de la Ville en Égypte Ancienne pendant sa pé-
riode la plus faste - le Nouvel Empire - en se concentrant avant tout sur
ce qui fait la ville moderne : la dualité espace public, espace privé. Cette
étude porte plus précisément sur quatre ensembles : le village de Deir
el-Medineh, la forteresse de Bouhen, la ville de Tell el-Amarna et la ville
de Thèbes.

La Ville Égyptienne au Nouvel Empire


Egyptian City in New Kingdom
PAUL FRANÇOIS sous la direction de Benjamin CHAVARDES
«Cities», as they are now teached in French schools of architecture, Rapport d’Études - 2013
seem to be a device which art and mastering mainly comes from greek
or roman civilizations. Yet, far before these civilizations, in Ancient Egypt,
human concentrations produced urban fabric. This essay tries to spot-
light afew specs of City in Ancient Egypt during its best period - New
Kingdom - focusing on what makes today cities : duality between private
and public spaces. This study analyses four urban sets : the village of
Deir el-Medineh, the fortress of Buhen, the city of Tell el-Amarna and the
city of Thebes.

Mots-clés : Histoire de l’architecture, Ville, Antiquité Égyptienne, Deir


el-Medineh, Bouhen, Tell el-Amarna, Akhetaton, Thèbes.
Keywords : History of architecture, City, Ancient Egypt, Deir el-Medineh,
Buhen, Tell el-Amarna, Akhetaten, Thebes.
Cnossos Ougarit
Crète
Enkomi
Chypre Qadesh
Byblos

Mer Méditerranée

Meggido

Gaza

Tell el-Dab’a

Gizeh
Memphis
Timnah
Kahoun Sinaï
Serabit el-Khadim
Bahariya

Désert
Farafra Arabique
Akhetaton
Désert
Lybique

Thinis
Abydos Coptos Mer
Dakhla Ombos
Deir el-Medineh Thèbes Rouge

Nékheb
Hiérakonpolis
El-Kharga Edfou

Éléphantine

Aniba

Bouhen

Carte de l’Égypte Ancienne


Zone sous contrôle égyptien au
Nouvel Empire

Villes faisant l’objet d’une ana- Rapport d’études de Licence 3,


lyse dans ce rapport
soutenu en 2013 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon

Villes citées dans ce rapport 3, rue Maurice Audin, 69120 Vaulx-en-Velin.

Napata L’ensemble de ce travail a été réalisé par Paul François


Autres villes importantes
paul.francois@lyon.archi.fr

Source : Paul François. sous la direction de Benjamin Chavardes, Architecte.


La Ville Égyptienne au Nouvel Empire
PAUL FRANÇOIS
2013
Sous la direction de Benjamin CHAVARDES

Rapport d’étude de Licence 3 (UE5R) de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon


La «Ville» telle qu’elle est enseignée dans les écoles d’architec-
ture en France semble être un dispositif dont l’art et la maîtrise
sont issu en grande majorité des civilisations grecque et romaine.
Pourtant, bien avant cela, en Égypte Ancienne, les concentrations
humaines produisaient également des tissus urbains. Ce rapport
tente de mettre en lumière quelques aspects de la Ville en Égypte
Ancienne pendant sa période la plus faste - le Nouvel Empire - en
se concentrant avant tout sur ce qui fait la ville moderne : la dualité
espace public, espace privé. Cette étude porte plus précisément
sur quatre ensembles : le village de Deir el-Medineh, la forteresse
de Bouhen, la ville de Tell el-Amarna et la ville de Thèbes.

La Ville Égyptienne au Nouvel Empire


«Cities», as they are now teached in French schools of architecture,
seem to be a device which art and mastering mainly comes from
greek or roman civilizations. Yet, far before these civilizations, in
Ancient Egypt, human concentrations produced urban fabric. This
essay tries to spotlight afew specs of City in Ancient Egypt during
its best period - New Kingdom - focusing on what makes today
cities : duality between private and public spaces. This study ana-
lyses four urban sets : the village of Deir el-Medineh, the fortress of
Buhen, the city of Tell el-Amarna and the city of Thebes.

Mots-clés : Histoire de l’architecture, Ville, Antiquité Égyptienne,


Deir el-Medineh, Bouhen, Tell el-Amarna, Akhetaton, Thèbes.
Keywords : History of architecture, City, Ancient Egypt, Deir el-Me-
dineh, Buhen, Tell el-Amarna, Akhetaten, Thebes.
Cnossos Ougarit
Crète
Enkomi
Chypre Qadesh
Byblos

Mer Méditerranée

Meggido

Gaza

Tell el-Dab’a

Gizeh
Memphis
Timnah
Kahoun Sinaï
Serabit el-Khadim
Bahariya

Désert
Farafra Arabique
Akhetaton
Désert
Lybique

Thinis
Abydos Coptos Mer
Dakhla Ombos
Deir el-Medineh Thèbes Rouge

Nékheb
Hiérakonpolis
El-Kharga Edfou

Éléphantine

Aniba

Bouhen

Carte de l’Égypte Ancienne


Zone sous contrôle égyptien au
Nouvel Empire

Villes faisant l’objet d’une ana-


lyse dans ce rapport

Villes citées dans ce rapport

Napata
Autres villes importantes

Source : Paul François.


La Ville Égyptienne au Nouvel Empire
PAUL FRANÇOIS
2013
Sous la direction de Benjamin CHAVARDES

Rapport d’étude de Licence 3 de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon


Je ne ferai pas Akhet-Aton pour lui plus au sud, plus au nord, plus à l’ouest ou plus à l’est.
Je ferai Akhet-Aton pour Aton, mon père, sur le côté du levant d’Akhet-Aton,
cette place qu’il a créée, entourée pour lui d’une colline,
au milieu de laquelle il sera satisfait, et où je lui ferai offrande.

Akhénaton, s’exprimant sur une des stèles frontière de la ville d’Akhet-Aton.


Sommaire

Introduction 1

Déinir la ville égyptienne 2

L’idée de «Ville» en Égypte Ancienne 2

Le contexte de la ville 7

Situation géographique 7

Technique et culture de l’Égypte Ancienne 9

Trois mille ans d’évolution de la ville 11

Quatre exemples de ville 15

Méthodologie 15

Deir el-Medineh 18

Bouhen 27

Tell el-Amarna 36

Thèbes 49

Conclusion 57

Bibliographie 60

Chronologie 62
Introduction

Ce rapport d’étude est né d’une frustration ressentie lors des cours


d’histoire de la ville en école d’architecture. Alors même que l’on par-
court aisément l’Histoire pour enseigner les conceptions urbaines de la
Rome antique ou de la Grèce antique, il semble dificile d’enseigner les
exemples d’une des civilisations qui fut pourtant parmi les plus riches :
l’Égypte Ancienne. Certes, les cours d’histoire de l’architecture dé-
crivent succinctement les pyramides ou les temples, mais il s’agit dans
un cas comme dans l’autre de constructions monumentales qui étaient
loin de constituer le cadre de vie des anciens égyptiens.
Le document qui va suivre est ainsi conçu comme un éclairage :
il s’agit avant tout de proposer une description de la ville dans l’Égypte
Ancienne. D’emblée, la question de l’existence de la ville à cette époque
se pose, et l’on tentera d’y répondre en réinterprétant parfois certains
concepts modernes. Ensuite, la contextualisation permettra sans aucun
doute de répondre à de nombreuses interrogations qui pourraient surve-
nir lors de la description de quatre villes égyptiennes que l’on souhaite
représentatives. Ain de pouvoir comparer avec justesse les différents
exemples, les villes choisies ont toutes été conçues ou ont reçu des amé-
nagements substantiels au cours du Nouvel Empire. Les leçons que l’on
pourra en tirer seront donc a priori à limiter à cette période.
J’ai tenté de transmettre ma passion pour cette civilisation avec
clarté et en expliquant certains concepts égyptiens paraissant parfois
abscons à notre esprit occidental. Certaines des questions traitées dans
ce rapport sont encore sujettes au débat parmi les égyptologues, les
solutions choisies sont celles qui ont su le plus contenter mon esprit
d’architecte. Il est clair que ce rapport ne prétend pas faire le tour de

1
la question, mais simplement apporter un premier éclairage pour com-
prendre ce que fût la Ville au Nouvel Empire.

Déinir la ville égyptienne


Aujourd’hui, le visiteur qui parcourt l’Égypte n’a guère l’oc-
casion de s’intéresser à la ville telle qu’elle prenait place autour des
monuments qu’il admire. Et pour cause, tandis que la ville moderne a
recouvert l’antique dans bon nombre de cas, la fragilité des matériaux
employés pour sa construction a eu raison des cas restants1. A priori,
donc, les sources archéologiques ont soit disparu, soit sont inacces-
sibles. Et pourtant, les fouilles ont permis de dégager des ensembles ur-
bains relativement bien préservés : abandonnées du jour au lendemain,
trop éloignées pour être pillées, ces villes offrent une documentation
intéressante pour tenter de comprendre ces agglomérations - bien anté-
rieures aux sources de l’urbanisme occidental : les villes grecques ou
romaines.
La littérature sur ce sujet reste cependant peu fournie, la plupart
des ouvrages traitant de l’architecture en Égypte Ancienne font qua-
si-systématiquement l’impasse sur la conception de la ville à cette
époque. Alors même que des architectes ou ingénieurs de formation
ont apporté leurs compétences à l’étude des monuments antiques, il ne
semble pas exister de tels rapprochements concernant l’analyse des en-
sembles urbains égyptiens, qui reste un travail d’égyptologues ou de
philologues : à défaut d’une véritable analyse urbaine, les ouvrages ac-
tuels se contentent bien souvent de décrire l’organisation du logement
et l’ambiance globale de la ville2. Cette lacune est sans doute en partie
due à la dificulté de saisir les concepts de ville ou d’urbanisme et à leur
inadéquation avec les ensembles urbains de l’époque.

L’idée de «Ville» en Égypte Ancienne


Avant même de s’interroger sur la composition des ensembles
urbains dans l’Égypte Ancienne, il convient de préciser si le concept
de ville existait dans cette civilisation. Pour cela, on peut mener deux
approches parallèles, la première consistant à chercher si les agglomé-
rations égyptiennes telles qu’elles nous sont parvenues peuvent coller à
la déinition moderne du mot ville ; la seconde se basant sur les sources
textuelles de l’époque.

La notion de ville, au XXIème siècle


«Trois conditions sont indispensables pour qu’un établissement
humain constitue une ville : l’agglomération de constructions [...] ; cer-
tains traits sociaux de la population [...], la diversité aujourd’hui [...]

1 Benevolo L. (2000), p. 28
2 C’est le cas des ouvrages comme Soulié D. (2002) qui cherche avant tout à
déinir une ambiance urbaine, ou comme Sée G. (1973) qui réduit par exemple la ville
de Thèbes au seul temple de Karnak.

2
et les activités de relations [...] ; une certaine dimension.»1 D’emblée,
cette déinition est problématique dans le cadre de l’étude de l’Égypte
Ancienne, car elle utilise des termes qui ne font pas forcément sens à
cette époque.
On peut s’interroger en premier lieu sur ce qu’est une agglomé-
ration de bâtiments, donc une population relativement importante, au
Nouvel Empire. La population de l’Égypte est à cette époque estimée
à environ 2 850 000 habitants2. Si l’on se base sur la déinition de ville
selon l’INSEE, en France, une ville est une agglomération de plus de
2000 habitants ; en utilisant un rapport similaire entre population glo-
bale et population locale, une ville en Égypte à cette époque serait une
agglomération d’au moins... 95 habitants. On aperçoit rapidement la
faiblesse de cette approche, d’autant que la population des ensembles
urbains du Nouvel Empire est dificile à calculer. Pour les calculs de
population en Égypte Ancienne, il est d’usage de se baser sur la densité
d’un quartier du vieux Caire au XIXème siècle dont l’organisation est
similaire à celle des villes antiques. Cette densité est d’environ 625 ha-
bitants par hectare3. Cependant, de nombreuses données manquent pour
calculer avec précision la population des villes : la supericie des sites,
bien souvent seulement dégagés en partie, n’est pas toujours connue.
De même, toute l’emprise de la ville n’est pas forcément destinée à
l’habitat : temples, palais ou même zones de culture existent à l’inté-
rieur de l’enceinte. En prenant toutes ces données en compte, il semble
que Thèbes au Nouvel Empire - alors capitale de l’Empire égyptien -
n’aurait pas dépassé 50 000 habitants4.
Ensuite, il convient de s’interroger sur la diversité des activités
professionnelles qui ont lieu dans ces agglomérations. Là encore, et
même si la déinition de secteur tertiaire (i.e. les activités qui produisent
des services) s’applique en Égypte Ancienne, il est dificile de parler
de réelle diversité dans certains cas. En effet, l’exemple de la ville de
Kahoun, édiiée par Sésostris II dans le nord du pays a priori ain d’y
loger une partie des ouvriers servant à la construction de sa pyramide,
montre que la diversité de la population est très faible puisque compo-
sée quasi-exclusivement d’ouvriers. Pourtant, la population aurait pu y
atteindre de 3 à 5000 habitants5. Ce critère est donc également caduque.
Ain de palier à la dificulté d’utiliser les critères modernes de
déinition de la ville, les égyptologues s’accordent sur les propriétés
suivantes6 ; l’agglomération doit :
- posséder une enceinte ou une protection fortiiée ;
- abriter entre ses murs un temple ou un sanctuaire ;
- disposer d’un encadrement administratif qui lui est propre ;
- être un centre d’échanges locaux ;
- disposer d’un certain éventail d’activités ;

1 Choay F., Merlin P. (2010), p. 822


2 Vercoutter J. (1992), p. 36
3 Soulié D. (2002), p. 69
4 Soulié D. (2002), p. 70
5 Vandersleyen Cl. (2007), p. 84
6 Soulié D. (2002), p. 72

3
- être dotée d’une population sufisante.

Les égyptologues sont ainsi parvenus à appliquer une déinition


du concept de ville aux agglomérations de l’Égypte Ancienne. Cela dit,
cette notion n’est pas non plus étrangère à la langue des anciens égyp-
tiens.

La notion de ville, au XVème siècle avant notre ère


Dans la langue égyptienne classique, appelée Moyen-Égyptien, et
parlée de 2200 avant notre ère à 400 après Jésus Christ1, on trouve trois
termes se rattachant directement à la notion d’agglomération, chacun
avec son sens particulier : njw.t2, wH.yt3 et dmj. Ils se traduisent respec-
tivement par «ville», «village» et «quartier», mettant ainsi en avant une
différenciation dans la langue égyptienne entre des ensembles urbains
de taille différente. Le vocabulaire égyptien sépare également des en-
sembles urbains ayant des rôles différents, comme le xtm4, la place
forte, ou Xnw5 la Résidence, c’est à dire la localité qui abrite en son sein
le pouvoir royal, servant de capitale politique au pays. Cependant, les
égyptiens eux-même paraissent avoir des dificultés à placer une agglo-
mération dans un type précis : la capitale, Thèbes, se retrouve classée
parmi les villages dans certains documents du Nouvel Empire6.
FIG. 1. - le signe de
gauche sert à préciser
le sens des mots liés
à la ville, tandis que
celui de droite se rap-
porte à la place forte.

Quoiqu’il en soit, le système d’écriture hiéroglyphique ixe la


notion d’agglomération avec un déterminatif7 igurant deux routes se
croisant à angle droit (Cf. igure 1, ci-dessus). Il est déini comme re-
présentant un plan de ville et détermine les mots en rapport avec l’ag-
glomération, le pays ou la région8. Plus que la diversité des mots utilisés
dans la langue égyptienne, ce hiéroglyphe marque dans l’écriture l’idée
même de la ville et de l’urbanisme : deux routes, deux espaces publics,
qui se croisent. Il semble donc que pour l’égyptien, la ville soit avant
tout un lieu de rencontre, où des personnes issues de chemins différents
peuvent partager un même espace : on en revient à la déinition de Fran-
çois Choay pour qui la ville naît des besoins d’interactions des gens9. La

1 Grandet P., Mathieu B. (2003), p. 9


2 Bonnamy Y., Sadek A. (2010), p. 308
3 Bonnamy Y., Sadek A. (2010), p. 162
4 Bonnamy Y., Sadek A. (2010), p. 485
5 Bonnamy Y., Sadek A. (2010), p. 491
6 Soulié D. (2002), p.68
7 Les déterminatifs son des signes qui ne servent qu’à «préciser visuellement
le sens des mots auxquels ils sont joints» [Grandet P., Mathieu B. (2003) p. 13], ils ne
possèdent pas de valeur phonétique
8 Grandet P., Mathieu B. (2003), p. 36
9 Choay F., Merlin P. (2010), p. 822

4
ville n’est pas seulement un lieu destiné à habiter, mais également à cir-
culer : le déplacement des biens et des personnes est directement sug-
géré par la présence des deux rues. Ce signe apparaît également dans
l’écriture du mot «citadin», accompagné du signe igurant un homme
assis. La variété des usages de ce hiéroglyphe montre qu’il se rapporte
à la fois aux notions d’espace délimité («pays», ou «nome»1), et aux no-
tions de lieu de vie sur terre ou dans l’au-delà («citadin», «nécropole»).

Peut-on parler d’urbanisme ?


L’urbanisme est la science, l’art ou la technique de l’organisation
des espaces urbains2. Françoise Choay, spécialiste des questions d’ur-
banisme, évacue d’emblée la question de l’existence de cette science
avant la Renaissance, puisqu’on ne trouve nulle part une société où la
production d’espace bâti relève d’une discipline autonome. Et c’est en
effet le cas en Égypte où il ne semble pas exister de mot pour désigner
l’urbanisme, l’urbaniste, la conception urbaine, etc. Cela dit, et comme
elle le développe, on entend par urbanisme un sens plus large que sa
déinition «première» : l’urbanisme désigne toute intervention dans
l’espace bâtis3. Cette précision paraît intéressante dans la mesure où
l’ont fait habituellement remonter la naissance de l’urbanisme au plan
d’Hyppodamos de Milet, mais que la notion d’urbanisme remonte en
fait aux premiers établissements humains.
La question d’urbanisme amène directement à la question de
l’existence d’un plan d’urbanisme, c’est à dire d’un document ixant a
priori les caractéristiques spatiales de la ville avant sa construction.
Évidemment, cette question ne se pose que dans le cas des villes nou-
velles, dans la mesure où le développement naturel des villes devait se
faire de façon plus ou moins organique et empirique. À ce sujet, les
documents qui nous sont parvenus sont très rares, au point que l’on
puisse afirmer : «Aucun document graphique déinissant avec préci-
sion les caractéristiques d’un grand édiice n’est connu»4.
FIG. 2 - plan de mai-
son réalisé sur un
ostracon (morceau
de pierre ou tesson
de poterie servant
à l’écriture). Le plan
vertical (les portes) y
est rabattu sur le plan
horizontal. Source :
Goyon J-Cl. (2006).

Pourtant, ces documents ont dû exister si l’on en croit les textes


égyptiens - qui mentionnent à plusieurs reprises l’existence de plans
de temples - et les quelques exemples de croquis de temples, palais ou

1 Le nome est une subdivision administrative du territoire égyptien.


2 Choay F., Merlin P. (2010), p. 797
3 Choay F., Merlin P. (2010), p. 801
4 Goyon J-Cl. et al. (2004), p. 78

5
tombes, qui sont bien loin pourtant de la précision des plans des archi-
tectes modernes. La igure 2 présente ainsi un plan de maison, mais on
ne peut pas savoir si ce document est réalise à une échelle précise ni
même s’il a réellement servi à l’exécution d’un bâtiment réel.

La ville en Égypte Ancienne semble donc insaisissable. Les


concepts modernes se révèlent inappropriés pour en étudier l’organisa-
tion ou la conception. Pour utiliser les mots «ville» et «urbanisme», il
nous a fallu avoir recours à des déinitions plus généralistes que celles
employées habituellement. Lewis Mumford a rencontré le même pro-
blème lorsque, tentant de calquer l’idée de «cité» sur la civilisation
égyptienne, il se heurte à une incompatibilité des concepts. Il en vient à
la rélexion suivante : «La déinition même de la cité paraît alors devoir
être remise en question. Une population nombreuse, l’habitat resserré,
le mur d’enceinte sont des caractéristiques fortuites et non essentielles
de la ville [...]. La cité est moins une addition de constructions qu’un
système complexe de relations et de fonctions ; pas seulement une
concentration de pouvoir mais un centre où s’élabore et d’où rayonne
la culture»1. Sur ce dernier point, l’existence de la ville égyptienne ne
fait aucun doute.

1 Mumford L. (1989), p. 105

6
Le contexte de la ville

On ne peut comprendre la ville égyptienne sans s’intéresser au


préalable au contexte qui l’a façonné : la terre sur laquelle elle se pose,
la civilisation qui l’habite et la conçoit, et les outils qui la bâtissent. On
le verra, ces informations inluent directement sur les formes urbaines
qui se sont développées dans la vallée du Nil.

Situation géographique
Le Nil, au coeur de la civilisation égyptienne
D’une longueur d’environ 5600 kilomètres, le Nil traverse
l’Égypte du nord au sud. Il est indissociable de la civilisation égyp-
tienne dans la mesure où il lui apporte à la fois de quoi prospérer et
est à l’origine de toutes ses particularités. D’une part, si le territoire de
l’Égypte est principalement désertique et montagneux, le Nil et sa val-
lée verte sont les seuls endroits cultivables du territoire... et donc le lieu
quasi unique de l’implantation humaine du pays. La vallée du leuve est
limitée à l’est par le désert arabique, montagneux, qui s’étend jusqu’à
la mer rouge, et à l’ouest par la chaîne libyque1. La crue du leuve était
accompagnée d’un phénomène unique : le dépôt d’un limon très fertile
sur les terres proches du leuve, permettant une agriculture très pro-
ductive. Il a rapidement été nécessaire pour les égyptiens de s’installer
sur des levées de terres, ou d’organiser des digues autour des établisse-

1 Goyon J-Cl. et al. (2004), p. 59

7
ments humains, ain de s’affranchir de l’inondation et ainsi éviter que
les villes et villages soient détruits par le Nil lors de sa crue.
Le cours du leuve lui-même est à l’origine de la subdivision du
territoire en deux parties administratives. La Basse Égypte correspond
à l’ensemble du delta nilotique, la région est principalement humide et
marécageuse et contraste fortement avec la Haute Égypte. Celle-ci est
principalement désertique et sa seule zone de fertilité est, on vient de le
voir, la vallée du Nil. Enin, le Nil délimite du nord au sud le territoire
d’une façon plus conceptuelle : la rive ouest, le désert, est généralement
associé au royaume des morts car c’est là que le soleil se couche. Avec
un raisonnement similaire, la rive est est associée au monde des vivants
car le soleil s’y lève. Cette idée, bien que se vériiant dans des villes
comme Thèbes, ne résiste pas à l’approche systématique puisque de
nombreuses villes ont été construites sur la rive ouest du leuve : Edfou,
dès l’Ancien Empire, et Deir el-Medineh ou Bouhen.

Contexte géopolitique
La situation géographique de l’Égypte place le pays de facto au
carrefour de plusieurs cultures et lux de biens et de personnes. Si cette
implantation a sans doute permis à la civilisation de proiter des apports
de ses voisines, elle a toujours été source de risques d’invasion. Au
sud, l’Égypte est bordée par la Nubie, un territoire tantôt directement
rattaché au royaume (c’est le cas au Nouvel Empire où il est administré
par le vice-roi de Koush), tantôt complètement indépendant (à la in
du Moyen Empire notamment, où le royaume prend possession de cer-
taines forteresses égyptiennes1), dont les richesses en or intéressent par-
ticulièrement l’Égypte. À l’ouest, les libyens et nomades bédouins sont
connus pour leurs raids sur les établissement égyptiens dans le désert2
(certains oasis sont en effet des postes égyptiens avancés).
À l’est, la situation est plus complexe et les pouvoirs locaux sont
relativement peu stables mais l’Égypte cherche sans cesse à défendre
ses intérêts commerciaux dans cette région (c’est en tous cas l’image
renvoyée par la correspondance entre le roi d’Égypte et les différents
intermédiaires dans cette région3) : c’est du Moyen Orient que viendront
pourtant les Hyksôs qui «envahiront» l’Égypte pendant la deuxième pé-
riode intermédiaire, ou les Hittites, contre qui se battra Ramsès II. Au
nord, la mer Méditerranée est assez peu propice aux contacts de civili-
sations avec l’Égypte et il ne semble pas que le pays ai eu directement
des contacts via la Méditerranée même avec l’arrivée des Peuples de la
Mer aux portes du pays, qui sont vraisemblablement passés de la Médi-
terranée en Égypte via le Moyen Orient4.

1 Vandersleyen Cl. (2007), p. 202


2 Manley B. (2008), p. 43
3 Vandersleyen Cl. (2007), pp. 376-379
4 Manley B. (2008), p. 97

8
Technique et culture de l’Égypte Ancienne
Matériaux
La géographie de l’Égypte a rendu disponible au peuple égyptien
un ensemble de matériaux dont la civilisation a su exploiter les qualités
et les limites au mieux.

Pierres
Les formations géologiques le long du Nil renferment une cer-
taine diversité de pierres : quartzite, granites, calcaire, grès, etc. Leur
utilisation en architecture est quasi-systématiquement réservée aux
monuments qui, d’une part, doivent résister aux assauts du temps, et
d’autre part devaient être les seuls à bénéicier des crédits et de la main
d’oeuvre nécessaire pour entreprendre l’acheminement de pierres par-
fois venues de carrières relativement lointaines1. La pierre est donc glo-
balement absente de la construction des villes, mais certains éléments,
comme les seuils et encadrements de portes ou les bases de colonnes,
devaient nécessiter la résistance de ce matériau.

Briques
La brique est le matériau de prédilection de la construction ur-
baine en Égypte Ancienne : sa composition (limon déposé par le Nil à
la in de la crue, du sable, de la paille hachée et des tessons concassés2)
en faisait un matériau peu onéreux, tandis que n’étant pas cuite, elle
ne nécessitait que peu de main d’oeuvre. Les dimensions de la brique,
qui oscillent à Deir el-Medineh3 entre 28×13×9 cm et 42×19×15 cm
permettaient son transport à dos d’homme sans nécessiter d’engins de
levages.
La construction en brique elle-même possède des caractéristiques
communes en Égypte Ancienne : de faibles fondations, des murs d’une
épaisseur avoisinant les cinquante centimètres et un appareillage en car-
reau ou en boutisse en assurant le croisement des joints pour assurer
l’intégrité structurelle de la construction. Enin, le mur était recouvert
d’un enduit de terre, peint ou non suivant la qualité de la construction4.
Évidemment, la brique crue a comme inconvénient de nécessi-
ter un certain entretien pour que sa solidité soit assurée. En fait, la re-
construction de certaines parties des habitations était l’occasion de faire
correspondre la construction avec de nouveaux besoins. La destruction
des ensembles urbains et la reconstruction, sur place, amenait à une
élévation globale du niveau de la ville qui, au il des millénaires, a ini
par la faire s’élever comme une véritable colline au dessus des plaines
environnantes5.

1 Goyon J-Cl. et al. (2004), pp. 141-174


2 Goyon J-Cl. et al. (2004), p. 105
3 Bruyère B. (1939), p. 24
4 Goyon J-Cl. et al. (2004), pp. 110-111
5 Goyon J-Cl. et al. (2004), p. 110

9
Bois
Le climat aride de l’Égypte ne permet pas à des essences de grands
arbres de s’installer dans le pays. De toutes les espèces qui poussent sur
les bords du leuve, seul le palmier a réellement trouvé sa place dans
la construction. Son tronc résistant permettait son utilisation comme
poutres soutenant le plafond, ou comme colonne1.
Les pièces de bois plus imposantes étaient importées du Liban
ou de Nubie2 mais étaient en général réservées au mobilier ou à la
construction de navires, réservant ainsi le domaine de la construction à
la pierre et aux briques.

Culture égyptienne
Il convient de rappeler que l’organisation de la civilisation
égyptienne est particulièrement centralisée et étatique : les travaux de
constructions, les actions commerciales ou militaires, aussi bien que
les activités liées à l’irrigation sont gérées par un ensemble de fonc-
tionnaires qui dépendent du roi3. L’inluence de cette organisation sur
la ville est notable car elle implique une culture des grands travaux
exécutant un dessein royal, et donc éventuellement de villes construites
ex-nihilo : Bouhen, Deir el-Medineh, Akhetaton, etc.
La population de l’Égypte Ancienne reste globalement paysanne,
donc peu ou pas concernée par les villes : l’importance du secteur agri-
cole est capitale pour la survie et la prospérité de l’État égyptien4. De
fait, la population rurale a plutôt tendance à s’organiser en petit village
permettant un accès facile aux champs qu’elle exploite, ou plus sim-
plement en petits domaines composés d’une habitation entourée de ses
champs. Néanmoins, la taille réduite de ces domaines, d’environ 2500 à
8000 mètres carrés5 permet d’imaginer un tissu de petits domaines sem-
blables sur certains points à celui de nos banlieues résidentielles com-
posées de maisons et de jardins. Les autres secteurs d’activités, comme
les activités artisanales ou intellectuelles, pouvaient prendre place au
coeur de la ville.
La culture égyptienne ne peut être dissociée de ses croyances en
une vie après la mort, certes, mais surtout en une multitude de divini-
tés. L’importance de ces divinités, et ainsi des clergés qui leur vouaient
un culte, mène à la création de domaines dont le pouvoir est parfois
susceptible d’éclipser celui du roi. Les établissements humains dans la
vallée du Nil sont quasi-systématiquement liées à un lieu de culte qui
semble fournir certains services «publics» comme la justice6 ou l’ap-
provisionnement en denrées.

1 Vercoutter J. (1992), p. 45
2 Vercoutter J. (1992), p. 44
3 Gros de Beler A. (2006), p. 125
4 Gros de Beler A. (2006), p. 126-127
5 Gros de Beler A. (2006), p. 130
6 Cabrol A. (2001), p. 735

10
Trois mille ans d’évolution de la ville
Premières traces d’établissements urbains
Les premiers établissements humains attestés dans la Vallée du
Nil remontent à plus de 120 000 ans avant Jésus-Christ. Autant dire que
l’occupation de ce territoire par l’homme est une histoire ancienne.
Certains traits de la civilisation pharaonique se lisent déjà vers environ
5000 ans avant Jésus Christ1 : de cette période jusqu’au début de l’uni-
ication du territoire égyptien par le roi Narmer (vers 3000 av. J-C), les
exemples d’urbanisme sont quasi inexistants. Pourtant, c’est à cette pé-
riode que se seraient fondés les premiers centres urbains : Abydos, Om-
bos, Coptos, Nekheb, Edfou et Éléphantine2. Parmi les rares vestiges de
villes qui nous sont parvenus, l’enceinte circulaire de la ville de Nekheb,
d’un diamètre d’environ 400 mètres, donne une idée de l’importance
des cités fortiiées de l’époque3.
FIG. 3 - Ruines de la
double muraille cir-
culaire de la ville de
Nekheb. Source :
d’après Dupuydt F.
(1989).

0 200m

Nil
Le roi Narmer est crédité par les égyptiens eux-même de la fon-
dation d’un royaume uni de Haute et Basse Égypte et la création de la
ville de Memphis, qui restera longtemps la capitale politique du pays :
pour ce faire, il aurait élevé une digue à l’entrée du Delta du Nil (plus
connue sous le nom de Mur Blanc), asséché les terres laissées par le
leuve et posé les fondations du temple de Ptah4, dieu de la création,
qui deviendra un des principaux lieux de culte du pays. Il s’agit là sans
doute du premier exemple d’édiication d’une nouvelle ville par ordre
royal. Les raisons de cette décision sont multiples mais on peut penser
que pour asseoir son pouvoir sur l’ensemble du territoire nouvellement
uni, le roi a souhaité créer une ville qui soit à la fois la charnière entre
les deux Égypte, et signiier par ce geste le début d’une nouvelle ère.

L’Ancien Empire ou le temps des pyramides


Le roi Narmer a fait rentrer l’Égypte dans la période appelée
dynastique : le pouvoir royal est sufisamment fort et organisé pour
contrôler l’ensemble du pays. L’architecture citadine nous est connue

1 Vercoutter J. (1992), p. 107


2 Vercoutter J. (1992), p. 174
3 Sée G. (1973), p. 42 ; Cette hypothèse est cependant inirmée par Dupuydt
F. (1989) pour qui il n’y a aucune raison de considérer ces ruines comme celles de
remparts circulaires de l’ancienne Nekheb, sans donner toutefois d’explication.
4 Vercoutter J. (1992), p. 208

11
partiellement par quelques exemples, parmi ceux-ci, le site de Hiéra-
konpolis offre un bon exemple de l’organisation de la ville dans son
enceinte. Elle marque un changement important dans la conception de
l’architecture égyptienne : celui du passage de la ville de basse densité
s’étendant à celle d’une ville de brique avec une densité bien plus forte1.
Les caractéristiques de cette ville sont la présence d’un mur d’enceinte
de forme géométrique rectangulaire, et celle d’une porte, qui présente
une organisation typique, dite en façade de palais. La construction de ce
mur d’enceinte pour les villes de l’Ancien Empire, dont la forme n’est
jamais identique, révèle qu’il s’agit là d’une initiative locale : certaines
enceintes sont arrondies, tandis que d’autres sont composées de mu-
railles rectilignes2. Les directions du bâti ont tendance à suivre celles
des murs d’enceinte de la ville.
S’étendant d’environ 2650 av. J-C à environ 2200 av. J-C, l’An-
cien Empire est l’époque de la construction des pyramides, qui sont peu
ou prou les seuls vestiges architecturaux que cette époque nous a laissé.
Néanmoins, certaines d’entre elles étaient accompagnées de «villes des
pyramides», petits ensembles de constructions adjacentes au monument
qui accueillaient le personnel dédié à perpétuer le culte du défunt. Le
village qui accompagnait la tombe de la reine Khenetkaous (sur le pla-
teau de Gizeh) permet par exemple de juger de l’organisation régulière
des logements.
FIG. 4 - Alignement
urbain de la ville du
complexe funéraire de
Khenetkaous où l’or-
ganisation rationnelle
des unités de loge-
ments est clairement
visible. Source : Paul
François.

La in de l’Ancien Empire est marquée par une diminution de


la puissance du pouvoir royal, ce qui permet à de nombreux pouvoirs
locaux de se mettre en place : le renforcement du rôle des villes de pro-
vince mène à une poussée démographique de celles-ci3.

Le Moyen Empire, la ville nouvelle et rationnelle


La montée sur le trône de Mountouhotep vers 2150 av. J-C marque
le début du Moyen Empire. Cette époque est marquée par l’atteinte
d’un certain rafinement dans l’ensemble des productions artistiques,
architecturales ou culturelles4. Si les souverains continuent d’édiier des
pyramides, elles ne sont plus faites de pierres, mais de briques, une éco-
nomie de moyens qui n’empêche pas le développement d’une technique
artistique poussée de la taille de la pierre.

1 Kemp B. J. (2006), p. 81
2 Kemp B. J. (2006), p. 194
3 Vercoutter J. (1992), pp. 326-327
4 Grimal N. (2005), p. 228

12
En ce qui concerne la ville, les exemples qui nous sont parvenus
sont plus nombreux qu’à l’Ancien Empire et trois villes nouvelles
construites sur un territoire vierge montrent une organisation ration-
nelle en damier : la ville de Kahoun, de Tell el-Dab’a et celle de Wah-
sut (à Abydos). La première ville est de loin la plus intéressante, de
même que les villes des pyramides, elle a été conçue dans le but de
permettre la continuation du culte du roi défunt. Une portion relative-
ment importante de son plan nous est connue, environ 50%, ce qui per-
met le calcul de la population, estimée à environ 3000 habitants1. Les
deux autres villes, Wah-Sut et Tell El-Dab’a offrent une vue similaire
de l’espace de la ville. Les trois villes ont une organisation analogue
avec un plan en damier, des parcelles de dimensions carrées, et un dé-
coupage des îlots homogène.

FIG. 5 - Comparaison
Néanmoins, on trouve une grande disparité dans les dimensions de trois tissus urbains
à la même échelle.
de ces éléments qui prouvent que même si dans une même période, Kahoun, à droite,
et sur des lieux différents du territoire, on trouve des villes nouvelles Wah-Sut, au centre,
ayant des points communs, il n’y a pas de règles dimensionnelles ixes. et Tell El-Dab’a, à
gauche. Les trois
Le Moyen Empire se termine vers 1750 av. J-C dans des condi- plans sont à la même
tions similaires à celles de l’Ancien Empire. La faiblesse de l’état per- échelle. Source  :
Kemp B. J. (2006),
met cependant à des peuplades venus du nord-ouest de s’installer en pp. 212, 224 et 226.
Égypte durablement : les Hyksôs.

Les nouveaux enjeux du Nouvel Empire


Le Nouvel Empire est le contexte historique des trois villes qui
seront étudiées en deuxième partie. Il doit sa fondation à l’éviction par
les princes thébains des souverains Hyksôs vers 1550 av. J-C, et donc
au retour d’une domination du pays par des rois égyptiens. Cette inva-
sion est sans doute un facteur déclencheur de l’extraordinaire expansion
du territoire Égyptien, tant au sud, en Nubie, qu’à l’est et au nord. En
fait, la taille du territoire ainsi acquis au Nouvel Empire fait du royaume
un territoire extrêmement riche et particulièrement stable qui joue un
rôle majeur dans la géopolitique du Moyen Orient2. Ain d’assurer sa

1 Kemp B. J. (2006), p. 217


2 Grimal N. (2005), p. 286

13
protection, le royaume compte sur des forts et villes-frontières, comme
la citadelle de Bouhen.
Cette période opère un changement important dans la façon dont
les souverains sont inhumés. Ils ne se font plus construire une pyra-
mide, mais creusent un tombeau dans la montagne Thébaine - près des
origines de la dynastie - dont la cime épouse une forme pyramidale na-
turelle. Le fait que les tombeaux soient tous situés dans une aire géogra-
phique restreinte a permis l’installation pérenne du village des artisans
de Deir el-Medineh, artisans chargés du creusement et de la décoration
des tombes royales. Parallèlement à cela, certains cultes divins, notam-
ment celui du dieu Amon, à Thèbes, prennent une importance gran-
dissante, et le pouvoir de ses représentants est parfois au moins aussi
important que celui du roi : Thèbes devient alors une ville majeure en
Égypte... et c’est sans doute la crainte de ce pouvoir grandissant qui a
poussé le roi Akhénaton à bâtir la ville d’Akhetaton, loin de la capitale.
La quantité extraordinaire de documents qui nous sont parvenus
concernant cette période permet aux égyptologues de restituer avec une
assez grande idélité de nombreux points de la vie quotidienne égyp-
tienne.

14
Quatre exemples de ville

Alors que le contexte historique et culturel de la ville en Égypte


Ancienne est posé, on peut maintenant s’intéresser à quatre villes du
Nouvel Empire qui ont chacune une particularité. Avant cela, il convient
d’expliciter la méthodologie employée pour le choix de ces villes et
pour l’analyse dont elle font l’objet.

Méthodologie
Choix des sites
La question du choix des sites n’est pas anodine. On l’a vu, en
Égypte Ancienne, les ensembles urbains conservés sont peu nombreux,
et ceux qui sont conservés ne permettent parfois que d’esquisser la ville
que l’on pourrait appeler par abus de langage «normale». En effet, ils
sont issus d’initiatives répondant à des besoins particuliers.
De plus, le besoin de pouvoir effectuer des comparaisons ou des
rapprochements entre ces différents sites a imposé une contrainte sup-
plémentaire dans leur choix : les villes choisies sont ainsi toutes issues
d’une même période, c’est à dire qu’elles ont été occupées et modiiées
de façon substantielle à une période donnée. Le choix du Nouvel Em-
pire paraissait évident dans la mesure où il permet d’accéder à deux
sites dont les données qui nous sont parvenues - tant sur le plan archi-
tectural que sur la vie de tous les jours - sont extrêmement importantes :
Deir el-Medineh et Tell el-Amarna.
Dans le but d’esquisser ce que devait être la ville égyptienne au
Nouvel Empire, il a semblé nécessaire de s’intéresser à plusieurs typo-

15
logies d’implantations urbaines que l’historique de la ville en Égypte a
dégagé :
- le village d’artisans, entièrement dévoué à une cause, héritier des
«villes des pyramides» ;
- la forteresse, destinée à protéger le territoire d’éventuels envahis-
seurs ;
- la capitale nouvelle, conçue ex-nihilo ;
- la ville au développement organique, issue de la lente maturation
d’un ensemble urbain plus ancien.
Le critère de choix ain de sélectionner les ensembles urbains ré-
pondant à ces caractéristiques était basé sur l’existence d’une docu-
mentation sufisante pour pratiquer une analyse morphologique. Cette
approche condamnait d’emblée des villes au développement organique
puisque celles-ci ont continué leur évolution jusqu’à nos jours et la do-
cumentation sur le tissu urbain d’époque est ensevelie sous les tissus
urbains contemporains. Pour celle-ci, le choix s’est porté naturellement
sur la ville dont quelques données sont connues : Thèbes, l’actuelle
Louxor. Le village d’artisan est représenté par Deir el-Medineh, la for-
teresse par Bouhen, et la nouvelle capitale par Tell el-Amarna.

Grille d’analyse
L’analyse de chacun des exemples se fera autour de trois axes
majeurs : l’axe historique, l’axe géographique et l’axe morphologique.
Si les deux premiers sont sensés permettre une bonne contextualisation
du site de la ville et de son rôle, le dernier a pour objectif de détailler
l’espace urbain en lui-même. L’ensemble de ces trois axes devrait per-
mettre de comprendre à la fois les attentes ayant mené à la mise en place
de la ville et les réponses qui y furent apportées.

Approche géographique
L’approche géographique situe la ville dans son contexte phy-
sique et s’intéresse notamment à la position de la ville sur le territoire
contrôlé par l’empire égyptien au moment de sa fondation et donc au
rôle stratégique qu’elle joue. Évidemment, on peut facilement déduire
de la position de la ville des contraintes inhérentes à cette position :
éloignement des ressources en eau, en bois, agricoles, etc.
De manière similaire, la topographie du lieu explique à la fois
directement certaines caractéristiques morphologiques de la ville et
ajoute également un jeu de contraintes supplémentaires : zone à rem-
blayer, dificulté d’accès, cirque naturel protégeant la ville, etc.

Approche historique
L’approche historique s’intéressera d’abord à connaître si la ville
est une ville organique, ou planiiée1, et son époque de fondation. Cette
information permet de savoir si l’état de la ville étudiée est le résultat
d’un souhait initial, ou bien s’il est issu d’une lente modiication d’un
tissu urbain plus ancien.

1 Lacovara P. (1997), p. 17

16
La donnée de l’époque de fondation de la ville permettra ensuite
de se faire une idée du contexte historique de la fondation de la ville,
tandis que la période d’occupation de celle-ci permet de connaître les
différentes inluences historiques qui lui donnent sa forme. Enin, le
rôle historique de la ville met en valeur son impact dans l’histoire de
l’Égypte Ancienne.

Approche morphologique
L’approche morphologique s’intéresse à la ville en elle-même et
notamment à l’espace public ou privé qu’elle génère. Il s’agit ainsi de
récolter et d’analyser des données comme la taille de l’aire urbaine - si
tant est qu’on puisse la connaître - l’existence d’axes routiers majeurs
traversant la ville ou de bâtiments importants et même l’existence d’une
clôture de l’espace urbain (muraille, mur d’enceinte, fossé...).
On peut ainsi s’intéresser à la ville d’un point de vue de la mor-
phologie de l’espace public : en localisant les bâtiments administra-
tifs ou politiques, les temples ainsi que les principaux espaces urbains
(places, routes, etc.). Cette approche est relativement peu pratiquée en
égyptologie dans la mesure où les données concernant ces espaces sont
très rares. D’un autre côté, l’aspect plus «intime» de la ville permet de
manier des données comme la densité de la ville ou les types d’habitats
que l’on y trouve, et également leur répartition : peut-on mettre en avant
des quartiers riches ou pauvres en fonction de la taille des propriétés ?
Cette analyse morphologique est strictement dépendante de
la quantité de documentation concernant les sites étudiés. Il est clair
qu’elle nécessite au moins un plan global établis de la ville, élément
qu’il n’est pas toujours possible de mettre en place, surtout dans le cas
de la ville de Thèbes, par exemple.

17
Deir el-Medineh
Deir el-Medineh
Le village de Deir el-Medineh («Le couvent de la ville», nom
FIG. 6 - Vue des ruines
du villages de Deir
el-Medineh depuis
donné en raison du couvent qu’abritait l’ancien temple à partir du Vème l’ouest. Crédit photo :
siècle1) n’est sans doute pas un exemple de «ville» à proprement par- Reinert Skumsnes.

ler, car les 120 familles qu’il devait abriter peinent à satisfaire à un
quelconque critère de population (Cf. supra page 4). Néanmoins,
l’apport du village sur le plan de l’urbanisme, des coutumes, de la ju-
ridiction et de la vie quotidienne est capital et n’aurait pu être ignoré
dans ce rapport. Le plan du village nous a été restitué grâce aux fouilles
de l’archéologue français Bernard Bruyère qui y a travaillée de 1922 à
1940 puis de 1945 à 1951.

Situation géographique
Situé en Haute Égypte, en face de Thèbes (l’actuelle Louxor),
le village est implanté sur la rive ouest du leuve, au delà de la limite
des terres irriguées par le Nil, entre la colline de Gournet Mouraï et la
falaise occidentale de Thèbes. Cette position aussi éloignée s’explique
par la proximité des vallées des rois et des reines, c’est à dire des princi-
paux lieux de travail des artisans du village. Il s’agissait à la fois d’évi-
ter aux artisans de devoir se déplacer sur de longues distances pour
aller creuser les tombes, de préserver les secrets liés à la position de la
tombe royale, mais également de s’écarter du monde des vivants : les
égyptiens paraissaient en effet éprouver une certaine répulsion envers
ce qui touche à la mort2.

1 Grimal N. (2005), p. 368


2 Franco I. (1993), p. 53

18
FIG. 7 - Situation du
village de Deir el-Me-
Vallée des Rois dineh sur la rive ouest
du leuve, en face de
Deir el-Bahari Thèbes. Source : Paul
François.

Deir el-Medineh
Ramesséum
Vallée des Reines

Medinet Habou

Karnak

Nil
Thèbes

0 2 km Louxor

FIG. 8 - Le village et
ses alentours, dans
le creux de la vallée.
Source : Paul Fran-
Chapelle
Puits
çois.
Temple d’Hathor
Quartiers extérieurs Ptolémaïque

Temple d’Amon
Vers le Ramesséum

Village de Deir
el-Médineh

Vers Médinet Habou

Les dificultés liées à la cette position éloignée sont évidentes


dans ce contexte désertique : il s’agit de l’approvisionnement en den-
rées et en eau. Il semble pourtant que les égyptiens aient tenté d’entre-
prendre un forage jusqu’à une profondeur de 52 mètres ain de trouver
une source souterraine, en vain1. Ain de pallier à cette dificultés, des
caravanes d’ânes transportant des amphores d’eau étaient organisées.
FIG. 9 - Poste de po-
lice du village. Source
: d’après Bruyère B.
(1939).

0 5m

L’emplacement du village le laissait également en proie aux dan-


gers du désert, et parmi ceux-ci les rôdeurs et autres nomades sont des
risques possibles. Ain de se protéger, le village avait recours à des postes
de polices et à des policiers spéciaux, venus de Nubie, les Madjaiou. Le

1 Bruyère B. (1939), p. 34

19
poste de police du local du sud est encore relativement bien conservé et
comprenait un poste proprement dit accompagné de son dortoir1.
Le cœur du village est construit sur une petite bute au fond du
oued, dont le sol permet une assise solide des bâtiments sans nécessiter
de fondations importantes. À mesure que le village s’est étendu vers le
sud-ouest, il a conquis des espaces sur ses anciennes décharges et les
fondations des maisons ont donc nécessité des ouvrages en pierre plus
importants2.

Situation historique
FIG. 10 - Plan du vil-
lage sous le règne
de Touthmosis I (à
gauche) et à la in de
la XVIIIème dynastie
(à droite). Source  :
d’après Bruyère B.
(1939).

La constitution du village est issue d’une changement dans les


habitudes funéraires des souverains du Nouvel Empire. Au lieu de se
faire édiier une pyramide, ceux-ci se font creuser une tombe dans la
montagne thébaine, montagne qui a une forme similaire à une pyramide
naturelle. L’édiication de cet établissement humain est donc destinée
à permettre de loger les ouvriers creusant les tombes des souverains.
Le premier établissement urbain est fondé sous le règne de Thoutmo-
sis Ier et compte alors 21 parcelles, son organisation laisse à penser qu’il
s’agit d’une opération urbanistique planiiée : à l’est les parcelles sont
de taille similaire et l’ensemble du village est ceint d’un unique mur.
Le village continue ses activités pendant la XVIIIème dynastie
même si l’on perd la trace des artisans pendant le règne d’Akhénaton3.
Pendant le règne de Horemheb, le village est agrandi vers l’ouest et vers
le nord pour atteindre une trentaine de parcelles. Cet agrandissement
s’explique peut-être par une surcharge de travail pour les ouvriers de
Deir el-Medineh, nécessitant alors une main d’oeuvre supplémentaire,
ou par la croissance naturelle de la population du village.
Un dernier agrandissement à lieu lors de la XIXème dynastie et le
village atteint sa taille actuelle4 d’environ soixante-dix parcelles, tou-
jours entourées d’un mur. Sous le règne de Ramsès III, il semble que

1 Bruyère B. (1939), p. 35
2 Bruyère B. (1939), p. 27
3 Grimal N. (2005), p. 368
4 Grimal N. (2005), p. 368

20
les approvisionnements en denrées du village viennent à manquer et
que les salaires des employés n’aient pas été versés, menant ainsi à une
des premières grèves de l’Histoire1. C’est semble-t-il le début du déclin
pour le village des artisans, dont le nombre d’ouvriers décroit en même
temps qu’apparaissent des troubles politiques qui marquent la in du
Nouvel Empire.
Depuis sa constitution sous le règne de Thoutmosis Ier (vers 1500
av. J-C.) jusqu’à la séparation de la communauté à la XXIème dynastie
(vers 1050 av. J-C.) le village aura été occupé pendant un peu moins de
cinq siècles. Pourtant, il est encore habité par intermittences jusqu’aux
invasions arabes de l’Égypte en 640 ap. J.-C., sans changements ma-
jeurs2.

L’importance historique du village est assez contrastée. D’une


part son rôle politique est quasiment inexistant, il s’agit bel et bien d’un
ensemble destiné à abriter des ouvriers, et donc sans pouvoir décision-
nel. D’autre part, le village est responsable de l’exécution des tombes
royales, et donc de la survie de l’âme du roi après sa mort. Les grèves
des artisans à la in du règne de Ramsès III sont assez révélatrices de
cette situation : elles révèlent à la fois le dispositif important mis en
place pour assurer la survie de la communauté malgré son éloignement
des sources de denrées, mais également le peu d’entrain des autori-
tés locales à assurer le ravitaillement. Alors que les ouvriers en grève
viennent se plaindre auprès des administrateurs de Thèbes-Ouest, la po-
lice était intervenue, demandant aux ouvriers de reprendre le travail. La
plainte des ouvriers, rapportée par le scribe Amennakhté, explicite la
position du village qui n’est a priori utile qu’au roi : «C’est poussés par
la faim et par la soif que nous en sommes arrivés là ! Il n’y a plus ni vê-
tements, ni huile à friction, ni poisson ni légumes ! Écrivez à Pharaon,
notre bon maître [...] et écrivez au vizir, notre supérieur !»3.

Analyse morphologique
Le village de Deir el-Medineh est composé deux parties dis-
tinctes : un premier quartier, ceint d’un mur, recouvre une zone d’en-
viron 130×49 m, soit une supericie d’environ 6370 m2. Au delà de
ce «quartier central», sur les pentes de la montagne se développaient
d’autres quartiers dont les traces sont moins évidentes et parfois irrémé-
diablement perdues4. Si le coeur du village compte soixante-dix mai-
sons, les quartiers alentours devaient compter une cinquantaine d’habi-
tations, pour arriver au total de cent-vingt foyers comme les chiffres de
recensement le donnent.
Les lieux de cultes associés au village sont relativement nom-
breux pour une communauté de cette importance, au cours du temps,
les rois successifs ont semble-t-il fondé ou agrandi un sanctuaire exis-

1 Grandet P. (1993), pp. 324-325


2 Grimal N. (2005), p. 369
3 Grandet P. (1993), p. 325
4 Bruyère B. (1939), p. 16

21
tant, et ce jusqu’à l’époque ptolémaïque. L’ensemble forme ainsi un
imbroglio de sanctuaires de différentes époques couvrant une surface
plusieurs fois supérieure à celle du village lui-même. À l’époque du
Nouvel Empire, les temples en activité étaient ceux situés au nord est de
l’enceinte du temple ptolémaïque - le reste n’ayant pas encore été
construit - ainsi qu’un temple dédié à Amon construit par Ramsès II de
l’autre côté du vallon1. L’ensemble de ces sanctuaires est donc relative-
ment éloigné du village, à l’exception d’une chapelle dite de «la confré-
rie» qui se situe juste à côté de l’entrée nord de celui-ci.
FIG. 11 - Plan des lieux
de culte au nord du
village de Deir el-Me-
dineh où l’on voit
clairement la multipli-
cité des sanctuaires.
Source : Wilkinson R.
H. (2000).

L’organisation interne de cette petite pièce, assez inhabituelle


pour un lieu de culte en ce sens qu’elle est organisée autour d’un lieu de
réunion, est constituée d’une petite cour entourée de banquettes où de-
vaient s’asseoir les ouvriers. Séparé de cette cour par une porte, une
petite pièce ou naos, abritait une statue divine2.
FIG . 12 - Plan de la
Cour de Réunion Banquettes Naos
chapelle de la confré-
rie. Source : d’après
Bruyère B. (1939).

Le mur d’enceinte du village est constitué de briques crues recou-


vertes d’un crépis blanc, sa largeur à la base et de 1,25 m et il devait
s’élever jusqu’à une hauteur d’environ 6 à 7 m3. L’ensemble n’était per-
cé que d’une seule porte principale, au nord, adjacente au sanctuaire qui
vient d’être décrit. D’autres portes, secondaires, on pu exister à l’ouest

1 Wilkinson R. H. (2000), pp. 189-190


2 Bruyère B. (1939), pp. 37-38
3 Bruyère B. (1939), pp. 29-30

22
ain de lier le village avec ses «banlieues» habitées. L’existence de ce
mur semble importante aux yeux des villageois qui se sont efforcés
de le reconstruire systématiquement pour entourer de nouvelles habi-
tations du quartier central, tandis que d’autres habitations se construi-
saient hors de sa protection. Il est probable que ce mur soit une façon
de protéger le secret de l’emplacement des tombeaux royaux, même si
l’on peut y voir également une façon «d’enfermer» les ouvriers dans
une enceinte1.

Espace public
La situation du village au fond de la vallée y créait une atmos-
phère chaude qui ne devait pas favoriser l’existence d’espaces publics
extérieurs. Les égyptiens se sont en effet contentés du strict minimum
pour les venelles du village, en assurant un passage sufisant pour deux
personnes, mais sans pour autant permettre au soleil d’irradier sans
cesse ces espaces. La largeur de ces venelles varie entre 1,32 m et 2,2 m,
1,6 à 2,2m FIG. 13 - Coupe de
principe sur une rue.
Source : Paul Fran-
çois.

tandis que les murs des maisons environnantes culminent à une hauteur
variant de trois à cinq mètres2. Ain d’assurer la fraîcheur de la rue, il est
probable que celle-ci était recouverte de feuilles de palmiers, même s’il
n’existe pas de preuve concrète de cette couverture.
L’organisation des venelles est relativement simple : le village
était à l’origine traversé par une première rue, dite rue principale, di-
visant l’ensemble en deux parties inégales. Cette rue suit le cours du
fond de la vallée, peut-être était-elle directement placée sur le chemin
reliant Medinet Habou au Ramesseum (Cf. igure 8) avant que celui-ci
ne soit déplacé plus à l’est. Une première extension de cette rue, que
nous nommerons Rue Ouest, a permis de desservir les extensions réa-
lisées pendant la XVIIIème dynastie, de même que ce que nous appelons
l’Allée Nord. Enin, un ensemble de rues, la Rue Sud est venu desservir
les extensions plus tardives. Pour Geneviève Sée, l’organisation de ces
circulations est une démonstration d’urbanisme rationnel dans la me-
sure où leur déploiement permettait ou prévoyait un agrandissement du
village par le sud ou par l’ouest à chaque évolution de sa taille3. On ne

1 Bruyère B. (1939), p. 16
2 Wilkinson R. H. (2000), pp. 189-190
3 Sée G. (1974), p. 40

23
FIG. 14 - De haut en bas : l’espace de la Rue à Deir el-Medineh (Source : Paul François) ;
Le parcellaire de Deir el-Medineh (Source : Paul François) ; Plan de Deir el-Medineh mon-
trant les limites séparatives des logements (Source : d’après Bruyère B. (1939)).

24
saurait être aussi catégorique dans la mesure où il semble par exemple
que l’allée Nord soit issue du percement dans le tissu urbain d’une nou-
velle artère ain d’irriguer deux nouvelles parcelles.

On a vu qu’une petite chapelle où devaient se tenir des réunions


précédait la porte d’accès au village : il ne s’agit pas à proprement par-
ler d’un espace public dans la mesure où seuls les initiés (c’est à dire les
artisans travaillant effectivement dans la tombe) devaient y avoir accès.
En revanche, l’entrée dans le village forme elle-même un lieu public de
dimension modeste (6,4×4 m), parfois appelé «place»1. Cette place est
située directement au départ de la Rue Principale et vient s’articuler
avec l’Allée Nord. Elle contenait dans son coin sud-ouest une amphore
emplie d’eau, qui devait faire ofice de fontaine pour les habitants du
village ou pour les visiteurs - pour peu qu’ils aient eu le droit de péné-
trer dans l’enceinte.

FIG. 15 - La petite
Espace privé place à l’entrée du vil-
L’espace privé dans le village peut se lire grâce au plan des par- lage, avec son réser-
celles qui étaient attribuées à chacune des familles vivant à l’intérieur voir à eau. Les portes
du villages étaient
de l’enceinte. Ces parcelles ont la particularité d’être pour la plupart peintes en rouge.
longues et étroites (3×22 m pour l’une d’entre elles) alors que les Source : Paul Fran-
exemples d’urbanisme nouveaux que nous avons observé jusqu’à pré- çois.

sent faisaient état de parcelles de forme carrée ou s’en rapprochant. On


peut s’interroger sur les raisons d’un tel choix, toujours est-il qu’il a
comme bénéice de limiter la longueur de la rue centrale pour une quan-
tité de logements donnée, ou de limiter le recours à des rues parallèles.
Même si elles ont des formes similaires, les dimensions des par-
celles sont très variables, celles du sud-ouest sont les plus grandes avec
des dimensions allant jusqu’à 27,5×5,3 m, soit environ 145 m2, tandis
que les plus petites sont situées dans la partie la plus ancienne du vil-

1 Bruyère B. (1939), p. 33

25
lage, avec des dimensions réduites (14,5×2,5 m, soit environ 36,25 m2).
En fait, il semble que l’enceinte du village ai poussé à une certaine den-
siication du tissu, de sorte que les parcelles étaient subdivisées au cours
du temps, pour obtenir ainsi des logements plus nombreux mais plus
petits... Quoi qu’il en soit, la forme des logements a semble-t-il imposé
une forme de construction toute en longueur bien particulière et a priori
inédite. Le logement se répartissait sur un seul niveau, l’épaisseur des
murs ne permettant pas d’imaginer un étage1. L’entrée débouchait sur
une petite antichambre, qui elle même donnait accès à la pièce princi-
pale de la maison, au plafond surélevé et soutenu par une colonne, la
différence de hauteur permettant d’installer des ouvertures. On accédait
ensuite à une petite pièce servant probablement de chambre ou directe-
ment à la cuisine située à ciel ouvert, tandis que dans cette petite cour
montait un escalier permettant l’accès au toit. Bien sûr, les variations
de ce programme sont possibles, et plusieurs chambres existent parfois,
alors que cette pièce est absente de certaines compositions.
Malgré les grandes différences dans la taille des logements du vil-
lage, il est assez malaisé de se baser sur la dimension des parcelles pour
tenter de lire le positionnement des personnages clés du village. Ainsi
le «simple» ouvrier Sennedjem est il doté d’une des maisons les plus
importantes du village, tandis que certains scribes haut placés logent
dans des logements tout à fait modestes. Cela dit, en règle générale, les
ouvriers qui étaient logés à l’intérieur de l’enceinte possédaient un rang
plus élevé que les ouvriers qui logeaient à l’extérieur2.

Le village des artisans de Deir el-Medineh offre ainsi un bon


exemple de l’organisation d’une petite communauté dédiée entièrement
à la réalisation des tombes royales. D’un point de vue de l’architecture
urbaine, on réalise le dépouillement des espaces publics bien que ceux-
ci soient pensés pour offrir un minimum de confort. Le village dans son
enceinte n’est dédié qu’à une seule tâche, celle d’habiter, et on ne peut y
identiier des bâtiments politiques ou administratifs, l’administration du
village étant, d’ailleurs, dévolue aux fonctionnaires de Thèbes Ouest.

1 Bruyère B. (1939), p. 18
2 Bruyère B. (1939), p. 17

26
Bouhen
Bouhen
La forteresse de Bouhen est un établissement urbain qui n’est
FIG. 16 - Une des
rares photographies
en couleurs montrant
pas sans rappeler les places fortes européennes du Moyen-Âge, et qui les ramparts de la for-
teresse avant qu’elle
montre entre autre que les égyptiens avaient acquis une grande tech- ne soit submergée.
nique dans l’architecture militaire1. Son rôle stratégique (la forteresse Crédit photo : Henri
agit comme comptoir commercial au Nouvel Empire) et militaire jus- Stierlin.

tiie pleinement l’intégration de cette ville dans ce rapport. Même si


des mentions antérieures de la forteresse existent, celle-ci n’est fouil-
lée qu’à partir de 1957 par W. B. Emery, dont les rapports de fouilles
constituent une base de documentation très riche. Il convient de rappe-
ler que ce site, situé au bord du Nil, est aujourd’hui irrémédiablement
détruit par le lac Nasser. Les fouilles qui furent entreprises l’ont été
dans l’urgence et les documents ainsi produits ont peu de chance d’être
un jour complétés.

Situation géographique
Le site de Bouhen est situé sur le territoire de Nubie, faisant par-
tie d’un ensemble de forteresses destinées à contrôler les populations
nubiennes et le traic luvial : la Nubie est un partenaire commercial de
choix pour le Royaume d’Égypte, fournissant de nombreux produits de
luxe, comme l’or, l’ébène ou l’ivoire. Bâti sur la rive ouest du leuve,
dans une zone relativement plate, il fait face aux terres fertiles qui sont
souvent situées dans cette région sur la rive est, et maintient ainsi une
certaine distance avec les peuplades locales situées sur cette rive2. La

1 Monnier F. (2011), p. 137


2 Monnier F. (2011), p. 118

27
forteresse elle-même tient donc une position hautement stratégique, car
elle protège directement les gisements de cuivre exploités dans la ré-
gion1.
Cette position à la fois excentrée par rapport au centre du pou-
voir égyptien (qui oscille entre Memphis et Thèbes) et au milieu de
territoires ennemis, pose des problèmes évidents d’approvisionnement.
Les fouilles sur place restent peu loquaces sur ce sujet mais il semble
que Bouhen pouvait s’approvisionner localement en faisant pousser
quelques légumes dans la région ou en pêchant2, le reste des denrées,
quant-à-lui, devait être importé directement du royaume d’Égypte par
le leuve3. Située au bord du Nil, l’approvisionnement en eau de la for-
teresse ne pose pas a priori de problème. Et pourtant, pour pouvoir ac-
céder à l’eau en cas de siège, les égyptiens avaient conçu, dans la ma-
çonnerie des quais permettant l’accostage des navires, une galerie ainsi
protégée d’éventuels ennemis. De même, les greniers à l’intérieur de
l’enceinte devaient permettre à la forteresse de tenir un siège.
FIG . 17 - Coupe de la
galerie protégée per-
mettant l’accès au Nil.
Source : Emery W. B.
et al. (1979).

On l’a vu, la forteresse est située dans la plaine, ce qui peut pa-
raître un choix stratégique contestable dans la mesure où des positions
plus élevées par rapport au Nil existaient à moins de cinq kilomètres au
nord comme au sud4. Néanmoins, des choix similaires ont été faits pour
de nombreuses forteresses de cette zone et l’accès simpliié au leuve
fut un facteur déterminant : le site longe une portion du Nil qui est dé-
gagée de tout fort courant, et laisse une visibilité importante tant vers le
nord que vers le sud5.
Dans tous les cas, la forteresse de par sa situation, jouait éga-
lement un rôle de centre administratif pour toutes les forteresses de la
région6.

1 Monnier F. (2011), p. 120


2 Emery W. B. et al. (1979), p. 97
3 Monnier F. (2011), p. 102
4 Emery W. B. et al. (1979), p. 99
5 Emery W. B. et al. (1979), p. 100
6 Emery W. B. et al. (1979), p. 100

28
Grande Barbacane

0 100m

Enceinte Extérieure

Enceinte Intérieure

Îlot B Îlot A
Îlot C

Îlot D

Îlot E Temple
Îlot F

Îlot G

Îlot
H Temple
Îlot J Îlot I

FIG. 18 - Organisation générale de la forteresse de Bouhen. On reconnaît les deux en-


ceintes bastionnées, la Grande Barbacane, les quais d’accès au Nil, et le découpage des
îlots. Source : d’après Emery W. B. et al. (1979).

Administration Caserne

Logement

Poste de contrôle

Place
North Drain Street Nord

Logements

Entrepôts Entrepôts ?
Magasins Magasins ?
Ateliers Ateliers ?
West Cross Street

East Cross Street

Place
Sud ?
East Wall Street ?
West Wall Street

Logements Entrepôts
Magasins
Ateliers

South Wall Street

FIG. 19 - Rues et parcellaire du coeur de la forteresse. Les fonctions de chaque îlot sont
spéciiées. Les mentions suivies d’un point d’interrogation sont des suppositions de l’au-
teur, en l’absence de preuves. Source : Paul François.

29
Situation historique
Il semble qu’il existait un établissement humain dès la période
protodynastique à l’emplacement de la forteresse1, tandis qu’un village
à l’Ancien Empire est attesté2. Dans tous les cas, ça n’est qu’au Moyen
Empire que la forteresse proprement dite est bâtie. Le pharaon Sésos-
tris Ier établi en effet une place forte sur le site, et des preuves de sa
construction ou de son achèvement dans la cinquième année de règne
de ce roi existent3. Le projet de Bouhen est conçu comme un tout dès
le départ, si bien que les modiications du plan global sont quasi inexis-
tantes au cours du temps : une première muraille sommaire devait pro-
téger le chantier de construction du coeur de la forteresse4, muraille qui
fut ensuite remplacée par une enceinte plus importante. Si la forteresse
garde une certaine puissance pendant tout le Moyen Empire, des traces
d’incendies et d’abandon montrent que la ville a dû être attaquée pen-
dant la Deuxième Période Intermédiaire. Après cela, Bouhen est occu-
pée par des nubiens qui conservent un mode de vie égyptien5.
La reconquête de l’ensemble du territoire égyptien menée par
Âhmosis passe très tôt par la prise de la forteresse, si elle n’est pas
d’ailleurs déjà contrôlée par son prédécesseur6. La structure globale du
site est conservée et le Nouvel Empire ne modiie qu’en partie l’organi-
sation interne de celui-ci. Des modiications substantielles sont pourtant
menées par les souverains de cette période dans les lieux de culte de la
ville, avec l’édiication par Hatshepsout et Touthmosis III d’un lieu de
culte à l’intérieur de l’enceinte, dédié à Horus de Bouhen, tandis que
Aménophis II construisit hors de l’enceinte un temple dédié à Isis et
Min7. Rapidement cela dit, avec l’afirmation du pouvoir égyptien en
Nubie, le rôle militaire du fort décroit et il devient un comptoir com-
mercial dont l’importance périclite à la in du Nouvel Empire8. À la in
de la XXème dynastie, il semble que le fort n’est alors plus occupé par
les égyptiens mais des constructions plus tardives laissent à croire que
celui-ci a été librement approprié par des nubiens de la période romaine
ou chrétienne9.

Historiquement, la forteresse a joué un rôle indéniable, dans la


mesure où elle assurait les intérêts égyptiens pendant le Moyen Empire
et au début du Nouvel Empire. On ne peut pas réellement parler d’une
forteresse de cette dernière période, cependant les informations révé-
lées par la superposition de ces deux époques d’occupation sont inté-
ressantes, d’autant que les remaniements du Nouvel Empire ne sont pas
négligeables. Globalement, alors que les lieux de culte sont considéra-
blement transformés au Nouvel Empire - ils sont même reconstruits au

1 Monnier F. (2011), p. 137


2 Monnier F. (2011), p. 139
3 Emery W. B. et al. (1979), p. 88
4 Emery W. B. et al. (1979), p. 90
5 Vandersleyen Cl. (2007), p. 202
6 Vandersleyen Cl. (2007), p. 221
7 Wilkinson R. H. (2000), p. 229
8 Monnier F. (2011), p. 137
9 Emery W. B. et al. (1979), p. 90

30
dessus de lieux de culte plus anciens - le reste des bâtiments de la ville
conserve une emprise plus ou moins constante mais est intérieurement
fortement réorganisé.

Analyse morphologique
La forteresse se compose de deux enceintes, la première à l’exté-
rieur, de forme vaguement rectangulaire, et la deuxième de forme rec-
tangulaire. La première enceinte de briques crues s’inscrit dans un rec-
tangle d’environ 450×190 m et est composée d’un mur d’une épaisseur
de cinq mètres1, jalonné de tourelles, dont la hauteur, non conservée,
devait atteindre une dizaine de mètres. Autour de cette première mu-
raille, un fossé d’une largeur de six mètres et d’une profondeur de trois
mètres complétait le dispositif. Cette muraille extérieure n’était percée
à l’origine que d’une seule porte, donnant vers les pistes de l’Ouest. La
reconstitution qu’en fait Emery donne une idée de l’importance de ce
dispositif d’entrée. Plusieurs autres accès plus tardifs, deux aux nord et
un au sud venaient compléter les possibilités d’accès à la citadelle, sans
pour autant bénéicier d’un dispositif de sécurité aussi important.
FIG. 20 - Vue axono-
métrique de la grande
barbacane de l’ouest.
Source : Emery W. B.
et al. (1979).

Située à l’intérieur de la première enceinte, bien qu’aillant une


face commune avec celle-ci, la deuxième a une dimension d’environ
150×138 m et est constituée d’un mur, également en briques crues et ja-
lonné de tourelles, dont l’épaisseur varie autour de cinq mètres2. Quatre
entrées permettaient l’accès au coeur de la citadelle : une à l’ouest,
gardée par une nouvelle barbacane, et trois à l’est : deux principales
devaient servir à l’accès direct de la ville depuis le Nil tandis qu’une
troisième, dans l’axe du petit temple, permettait l’accès au Nil dans le
cadre des cérémonies liées au culte3. Chacune de ces entrées du côté du

1 Emery W. B. et al. (1979), p. 5


2 Emery W. B. et al. (1979), p. 6
3 Emery W. B. et al. (1979), p. 14

31
leuve était précédée d’un quai de pierres - ain de pouvoir résister aux
assauts du Nil - permettant l’accostage et le déchargement de navires
luviaux.
L’ensemble abritait deux lieux de culte : un premier situé à l’inté-
rieur de la seconde enceinte, dans le coin est de celle-ci, bâti au Nouvel
Empire, sur les traces d’un temple plus ancien, par la reine Hastshep-
sout1 est dédié à l’Horus de Bouhen. Ce temple bénéiciait d’un accès
au Nil, comme il est d’usage dans la plupart des grands sanctuaires
égyptiens. Un second lieu de culte, au nord de la seconde enceinte, bâti
par le roi Aménophis II, était dédié à Isis et Min : éloigné du coeur de la
cité, sans accès direct au Nil, il semble revêtir une importance moindre.
La population qui résidait à l’intérieur de la forteresse peut être
estimée grâce aux calculs de Emery du nombre de soldats nécessaires
à la défense de celle-ci qu’il évalue entre 500 et 15002. Si les soldats
vivaient avec femmes et enfants3, la population totale de cette ville de-
vait osciller entre trois et cinq fois ces nombres. Si l’aire protégée par la
seconde enceinte (environ 14500 m2) paraît bien insufisante - d’autant
que les bâtiments qu’elle renferme n’étaient pas pour la plupart destinés
au logement - il est probable que la plus grande partie de la population
s’établissait entre les deux enceintes, zone où les restes archéologiques
sont quasi-inexistants.

Espace public
De même qu’à Deir el-Medineh, la chaleur de la Nubie était sans
doute peu propice à l’organisation d’espaces publics extérieurs. À Bou-
hen cependant, le système des rues est composé d’une trame stricte-
ment orthogonale composée de trois rues orientées est-ouest et de quatre
rues orientées nord-sud. La rue principale, North Drain Street4, d’une
largeur de 3,5 m, disposait d’un intéressant dispositif de drain central
(d’où son nom) qui devait collecter les eaux usées pour les mener tout
droit vers le Nil en suivant la pente naturelle du terrain. La rue elle-
3,5 m FIG. 21 - Coupe sur
la North Drain Street.
Les hauteurs d’étage
ont été restituées sans
preuves archéolo-
giques. Source : Paul
François.
Drain central

Pavement

1 Emery W. B. et al. (1979), p. 16


2 Emery W. B. et al. (1979), p. 42
3 Ce qui n’est pas assuré, mais peut être imaginé compte tenu du relatif éloi-
gnement de cette citadelle, et des restes de dispositifs de maquillage trouvés sur place,
bien que ceux-ci aient pu être utilisés aussi bien par des hommes que par des femmes.
4 On reprendra par la suite le nom des rues tel qu’il leur fut attribué par Emery.

32
même est pavée de pierres. Si les ruines ne permettent pas de juger de
la hauteur totale des bâtiments adjacents à la rue, l’existence d’escaliers
laisse à penser que ceux-ci possédaient au moins un étage et donc
avaient une hauteur d’environ six mètres au moins1. La South Drain
Street présente un dispositif similaire mais avec une largeur moindre de
seulement 2,7 m. La largeur des autres rues oscille entre 2 et 2,5 m.
FIG. 22 - Organisation
Temple de l’articulation entre
la North Drain Street et
Parvis la porte de l’enceinte,
Poste de Police du temple donnant lieu à une
petite place. Source :
Paul François.

North Drain Street Place

Les deux rues principales, North Drain Street et South Drain


Street sont toutes deux dans la continuité des portes de la ville donnant
sur le leuve, ce qui laisse envisager que ces portes étaient le moyen
privilégié d’accès à Bouhen. On peut imaginer que la connexion entre
ces portes et les rues donnait lieu à une petite place, c’est en tous cas
ce que laissent supposer les restes actuels. Cette petite place, au nord,
devait permettre d’accéder au temple, au dispositif d’accès à l’eau évo-
qué précédemment et à un poste de police2. Il est probable également
que sa position en faisait un lieu d’échange ou de commerce privilégié.
En revanche, la porte de l’ouest débouche sur un espace qui, au Nouvel
Empire ne laissait qu’un maigre écartement d’environ un mètre pour
pénétrer dans la cité. La forme de cette petite place est selon Emery
conçue ain d’éviter toute pénétration frontale d’ennemis dans la ville,
au cas où ceux-ci auraient passé toutes les autres barrières3.

Espace privé
Les espaces dévolus à l’habitation à l’intérieur de la forteresse
sont très peu nombreux, il s’agit des îlots de l’ouest (îlot B et C) et d’un
îlot longeant le temple au nord est (îlot G). Peut-être l’îlot du sud-est
(îlot J) était-il également dévolu aux logements mais son état ne permet
pas de juger de la question. Chacun des deux îlots de l’ouest couvre une
supericie d’environ 900 m2 subdivisée en 9 parcelles pour l’îlot du sud,
et 5 parcelles pour celui du nord. Ce qui frappe en premier lieu est de
voir que malgré la rigueur du plan des rues, le parcellaire est assez peu
régulier.
On peut raisonnablement penser que du fait de la rareté des lo-
gements situés à l’intérieur de la seconde enceinte, et en raison de la

1 Emery W. B. et al. (1979), p. 14


2 Emery W. B. et al. (1979), p. 11
3 Emery W. B. et al. (1979), p. 14

33
sécurité supplémentaire que cet emplacement procure, les maisons qui
y sont situées sont destinées à une certaine élite, ce qui se retrouve dans
les surfaces au sol des habitations qui dépassent aisément 120 m2 et l’on
peut supposer que nombre d’entre elles possédaient un étage au moins,
c’est en tous cas ce que laisse penser l’épaisseur de certains murs. La
compréhension de l’organisation intérieure de ces logements est assez
mal aisée, en raison de la mauvaise conservation des vestiges.

Administrations et services
Le meilleur état de conservation de la partie nord de la forteresse
a permis de révéler l’existence de bâtiments d’administration et de ser-
vices : la résidence du commandant et l’administration de la forteresse
dans le coin nord-ouest (îlot A), la caserne où devaient loger une partie
du contingent militaire de Bouhen (îlot D), le poste de police (îlot H) et
enin les dépendances du temple. Tous ces bâtiment longent la North
Drain Street, la rue principale, dans une organisation qui n’est pas dé-
nuée de logique : l’administration devait contrôler à la fois l’accès aux
murailles situé au nord de la West Wall Street, tandis qu’elle pouvait
contrôler la caserne adjacente. Enin, le poste de police devait permettre
de contrôler les entrées et sorties dans Bouhen depuis le port.
FIG. 23 - Plan de la ré-
sidence du comman-
dant de la forteresse
de Bouhen et de l’ad-
ministration. Source :
d’après Emery W. B.
et al. (1979).

L’administration et la résidence du commandant étaient organi-


sés autour d’une grande salle hypostyle d’environ 17×10 m au plafond
soutenu de 15 colonnes. Il est dificile de discerner le rôle des pièces
qui entourent cette salle centrale : stockage, lieu de vie, bureaux, etc. La
caserne est clairement identiiable à ces salles à colonne oblongues qui
devaient former les salles où dormaient les soldats1. Elle est également
accompagnées des pièces de vie nécessaires ainsi que d’entrepôts. Le
poste de police, quant à lui, possède des pièces dont la destination est
peu lisible.
Les quatre îlot situés les plus au sud devaient servir d’entrepôts,
de magasins ou d’ateliers et rappellent que la forteresse était également
conçue pour abriter les activités commerciales du Royaume d’Égypte.
On peut y voir également les greniers où étaient situés les réserves de
nourriture permettant de survivre dans l’éventualité d’un siège.

1 Emery W. B. et al. (1979), p. 10

34
Bouhen montre à quel point la ville égyptienne pouvait être
conçue dans le but d’assurer parfaitement sa fonction. Cette forteresse
était imaginée pour être imprenable et tenir des sièges, et cette fonction
se retrouve clairement dans le plan de ses fortiications. En plus de cela,
le cœur même de la cité est conçu très rigoureusement ain d’économi-
ser le plus d’espace possible au sein de la deuxième enceinte, relétant
ainsi la contrainte militaire. Contrairement à Deir el-Medineh, Bouhen
jouait un rôle politique important dans la région si bien que certains
espaces sont spécialisés : caserne, administration, etc. et qu’une dif-
férenciation dans les catégories de population est lisible : les maisons
«individuelles» sont réservées à une élite, alors qu’une part de la popu-
lation loge soit dans la caserne, soit entre les deux enceintes.

35
Tell el-Amarna
Tell el-Amarna
Tell el-Armana, l’ancienne Akhetaton - «l’horizon d’Aton», c’est
FIG. 24 - Les ruines
du grand palais de
Tell el-Amarna. Crédit
à dire le lieu où le dieu Aton entre en contact avec la terre - est sans photo : Joël Guilleux.
doute un des exemples d’urbanisme les plus complets et les mieux
conservés en Égypte Ancienne. Non seulement le plan de cette ville,
conçue comme la capitale de l’Empire, nous est connu dans son en-
semble mais nous sont également parvenus de nombreux documents
en rapport avec son édiication, et notamment des décrets royaux éta-
blissant un programme. Le site était déjà connu par les savants de l’ex-
pédition d’Égypte et il fut fouillé quasiment sans interruption pendant
toute la durée du XXème siècle. Plus récemment, l’équipe dirigée par B.
J. Kemp a entrepris le relevé systématique de l’ensemble de la ville.

Situation géographique
Le site de Tell el-Amarna est situé à mi chemin entre les villes
de Thèbes et de Memphis, les deux grandes villes du pays au Nou-
vel Empire. En Moyenne Égypte, les collines de la chaîne arabique se
rapprochent souvent très près du Nil, limitant les zones habitables sur
la rive est du leuve. À cet endroit cela dit, la colline s’écarte et crée
un cirque rocheux qui vient naturellement délimiter une zone semi-cir-
culaire relativement plane sur laquelle est venue s’implanter la ville.
Cette coniguration protège naturellement la ville, en ne laissant des
voies d’accès qu’au nord et au sud qui furent gardées par des bâtiments
administratifs1. Le choix d’un site éloigné est délibéré et présenté par
Akhénaton lui-même comme une décision divine : il insiste, dans les

1 Laboury D. (2010), p. 248

36
0 5 km

Nil
Cité Nord

Terres cultivables

Centre Ville
Village des Nécropole
Artisans Royale

Marou Aton

textes des stèles frontières, sur le fait qu’il s’agit d’un lieu vierge de
FIG. 25 - Carte mon-
toute constructions et n’appartenant à personne1. trant l’ensemble du
À l’ouest du Nil, la zone alluvionnaire du leuve devait permettre site de Tell el-Amarna
ainsi que les stèles
de cultiver sur place les denrées nécessaires à la survie de la population frontières. Source :
locale2. À l’est, les collines devaient également permettre le creusement Paul François.
des tombes royales comme des tombes des nobles : ce positionnement
sur la rive «des vivants» (Cf. supra page 8) est assez inhabituel et
correspond là aussi à une décision du pharaon Akhénaton, celui-ci de-
mandant «que l’on fasse pour moi une tombe dans la colline du levant
d’Akhetaton ain que l’on y réalise mon inhumation»3.
D’un point de vue stratégique, on peut penser qu’au delà du choix
divin de ce site, celui-ci revêtait quelques intérêts, l’équidistance entre
les villes les plus inluentes du pays, tant politiquement que culturel-
lement, devait igurer en bonne place. Il s’agissait certainement de se
positionner en contre-pouvoir et loin de la sphère d’inluence des cler-
gés d’Amon (à Thèbes) et de Ptah (à Memphis) dont le pouvoir devait
précédemment être extrêmement important sur les décisions politiques.

Situation historique
Lorsque le roi Amenhotep IV monte sur le trône d’Égypte (vers
1350 av. J.-C.), il met en place progressivement, dès les premières an-

1 Laboury D. (2010), pp. 241-242


2 Laboury D. (2010), p. 266
3 Laboury D. (2010), p. 243

37
nées de son règne1, un culte dédié à une unique divinité : Aton. S’il
semble que ce culte ai perduré un certain temps en osmose avec les
cultes précédents sa position se durcit en l’an 4, et dès l’an 5 de son
règne, le roi dorénavant appelé Akhénaton décrète la construction d’une
nouvelle capitale sur le site de Tell el-Amarna2. Les raisons de ce choix
sont sans doute nombreuses, un durcissement dans la doctrine du roi est
probable, mais de nombreux indices plaident en faveur d’un éloigne-
ment volontaire des clergés existant permettant une plus grande auto-
nomie des décisions royales3.
Gravé sur des stèles entourant le site, dites «stèles frontières», un
texte hiéroglyphique narre la cérémonie durant laquelle le roi a annoncé
sa décision de construire cette nouvelle ville :
Sa Majesté leur dit ensuite : «Voyez l’Aton ! Aton
veut que l’on agisse pour lui en réalisant des monuments
au nom durable pour l’éternité. C’est Aton, mon père, qui
me conseille à ce sujet, concernant Akhetaton. Aucun fonc-
tionnaire ne m’a conseillé à ce propos, aucun homme dans
le pays tout entier ne m’a conseillé à ce propos pour me
dire de penser à faire Akhetaton en ce lieu éloigné. C’est
Aton, mon père, qui m’a conseillé à ce sujet, ain qu’Akhe-
taton soit réalisée pour lui. Voyez, je ne l’ai pas trouvée
ornée de chapelles, ou creusée de tombes [...]. Voyez, c’est
Pharaon qui l’a trouvée, alors qu’elle n’appartenait à au-
cun dieu, ni à aucune déesse [...]. C’est Aton, mon père, qui
m’a conseillé à ce sujet : ‘Emplis Akhetaton de provisions,
un entrepôt pour toute chose !’ tandis que mon père, [Aton],
me déclarait : ‘elle m’appartient, cette future Akhetaton,
pour l’éternité et l’inini’. »4
Ce discours relète l’importance pour le roi d’afirmer la décision
qui a été prise comme sienne, et également de mettre en valeur l’aspect
vierge de ce site, n’étant troublé par la mémoire d’aucun culte anté-
rieur. La suite de ce discours contient également la liste des édiices
qui devront être construits dans cette nouvelle ville, il s’agit essentiel-
lement de lieux de culte pour Aton («le domaine d’Aton», «le temple
d’Aton»), de palais royaux («la Résidence de Pharaon» et «celle de la
Grande Épouse Royale»). À la frange orientale de la ville, le roi prévoit
également de faire creuser sa tombe ainsi que celles de la reine et des
courtisans5. Il est par ailleurs étonnant de constater que cette description
du programme de la ville ne laisse aucune place à la population. Pour
Akhénaton, Akhetaton est avant tout un lieu de culte dédié à l’Aton et
une résidence royale, l’existence de la ville proprement dite est complè-
tement implicite mais rendue nécessaire au fonctionnement des entités
qui viennent d’être énumérées.

1 Laboury D. (2010), pp. 93-135


2 Laboury D. (2010), p. 237
3 Laboury D. (2010), p. 236
4 Laboury D. (2010), p. 241
5 Laboury D. (2010), pp. 243-244

38
Depuis la découverte du site en l’an 5 jusqu’à son occupation
réelle par le roi, il a dû s’écouler environ trois années1, puis le site a été
occupé comme capitale pendant une quinzaine d’années. Lorsqu’Akhé-
naton meurt, en l’an 17 de son règne, il laisse l’Égypte dans une situation
de succession délicate pendant quelques années avant que Toutankha-
mon monte sur le trône et restaure les cultes anciens et abandonne par
là même la capitale Akhetaton2. Cependant, il semble qu’une certaine
activité persiste dans la capitale puisque celle-ci montre des preuves
d’occupation jusqu’à la XXVIème dynastie3. L’abandon progressif de la
ville, ainsi que l’absence de véritable destruction, est responsable de
l’excellent état de conservation de certains vestiges.

Analyse morphologique
La ville d’Akhetaton forme un tissu urbain discontinu qui s’étend
le long du Nil sur dix kilomètres dans une zone d’une largeur variable
qui atteint par endroit environ un kilomètre. Cette faible largeur est sans
doute due à la recherche de la proximité du Nil et de ses terres culti-
vables qui devait être un critère important de choix des emplacements.
L’emprise urbaine n’est pas physiquement délimitée, si ce n’est par le
cirque naturel que forme la vallée à cet endroit et les fameuses stèles
frontières qui déinissent l’aire de ce sanctuaire-ville comme on délimi-
tait alors l’aire de construction des temples4.
Au sein même de l’agglomération, on peut distinguer plusieurs
ensembles urbains qui forment Akhetaton, du nord au sud :
- la Cité Nord, située à l’entrée du cirque naturel, organisée autour
d’un palais royal et de bâtiment administratifs ;
- le Faubourg Nord, qui lui-même est scindé en deux par l’exis-
tence d’un oued le traversant ;
- le cœur culturel de la ville, où prenaient place le palais royal,
la maison du roi et les principaux temples de la ville ainsi que les
structures nécessaires à leur fonctionnement5 ;
- l’aire urbaine principale, composée d’entrepôts mais également
de propriétés de dimensions importantes ;
- le Faubourg Sud, avec une densité urbaine plus faible et actuelle-
ment peu fouillé ;
- le Marou Aton, lieu de plaisance pour la famille royale, qui
marque l’extrémité sud de l’aire urbaine d’Akhetaton.
L’ensemble de ces structures devait pouvoir accueillir une po-
pulation estimée, selon les surfaces agricoles disponibles localement,
entre 20 000 et 50 000 habitants6. C’est une population très importante
si l’on considère que la ville a vu le jour en peu de temps, et qu’une
population de taille similaire vivait à Thèbes à la même période. Pour-
tant, c’est bien comme un sanctuaire qu’Akhénaton a conçu cette ville,

1 Laboury D. (2010), p. 262


2 Vandersleyen Cl. (2007), p. 469
3 Laboury D. (2010), p. 360
4 Vandersleyen Cl. (2007), p. 429
5 Kemp B. J., Gari S. (1993), p. 51
6 Laboury D. (2010), p. 266

39
Cité Administrative Nord

Cité Nord

Palais Nord

Nil
Faubourg Nord

yale
e Ro
u
Aven

Grand Temple d’Aton

Palais Royal
Centre Ville

Petit Temple d’Aton


oyale

Aire Urbaine Principale


nue R
l’Ave
ée de
résum
p
sion
Exten

Faubourg Sud

FIG. 26 - Carte de la ville


d’Akhetaton montrant les
Quartiers non fouillés principaux quartiers et équi-
Zones cultivées pements, ainsi que l’avenue
Royale et son prolongement
initial. Source : Paul Fran-
çois.
0 1 km

40
et les temples y occupent une position importante. Au cœur de la ville,
le Grand Temple d’Aton s’inscrit dans une enceinte de 730×230 m à
proximité du palais royal, et est entouré d’un ensemble important de
magasins et d’ateliers (notamment de boulangeries) qui permettaient
d’assurer les offrandes divines. Légèrement au sud de ce sanctuaire, le
Petit Temple d’Aton de dimensions plus modestes s’inscrit dans une
enceinte à redans d’environ 190×110 m. Précisons que les temples du
culte d’Aton sont d’un type bien particulier qui fait la part belle aux es-
paces à ciel ouvert et aux nombreux autels permettant de faire offrande.
La position de ces temples les places en étroite relation avec le pouvoir
royal - le palais royal est situé à proximité - permettant ainsi au roi de
faire lui-même les cérémonies de culte.

Espace public
À Tell el-Amarna, la conception de l’espace «public» a revêtu un
véritable intérêt en étant au centre du dispositif cultuel d’Akhénaton.
Cet espace est avant tout représenté par l’Avenue Royale qui traverse le
site du Nord au Sud de façon rectiligne après une légère inlexion dans
la Cité Nord. D’une largeur importante oscillant entre 25 et 39 m de
large1, elle vient relier les différents lieux de culte et les palais royaux.
Cette avenue sert avant tout à théâtraliser les déplacements du souve-
rain en permettant tout un parcours au travers de la ville au vu et au
su de tous ses sujets. En effet, selon B. J. Kemp2, chaque matin le roi
quittait la résidence du nord de la ville sur son char et se dirigeait vers
le sud le long de l’avenue, rejoignait la reine, puis remontait l’ensemble
du Faubourg Nord avant d’atteindre les temples pour les cérémonies de
culte ou le palais royal pour les audiences. Cette avenue se prolongeait
à l’origine loin au sud, en traversant le faubourg sud, mais il semble que
l’urbanisation de celui-ci ai pris le pas sur ce dessein original, laissant
cette avenue se perdre dans le tissu urbain3. Cette information montre
que malgré la mise en place d’un programme initial, celui-ci n’a pas
su résister au développement organique qui a ini par s’approprier un
axe urbain sans doute peu usité. Cette transformation a néanmoins dû
se produire relativement tôt dans l’histoire de la ville puisqu’il n’existe
pas de rémanence de cet axe dans le plan de la voirie, comme on serait
en droit d’attendre4.
Sur cette avenue centrale viennent se greffer d’autres espaces
destinés à une interaction avec le public : la grande esplanade du temple
d’Aton et le pont liant la résidence royale au palai. Si l’existence de la
grande esplanade reste encore hypothétique et discutée5, elle offre pour-
tant une solution logique au croisement de plusieurs axes : celui est-
ouest du grand temple d’Aton - qui se inissait probablement par un
débarcadère sur les rives du Nil -, l’Avenue Royale, et l’axe nord-sud
du palais royal. Les dimensions de cette esplanade auraient pu atteindre

1 Kemp B. J., Gari S. (1993), pp. 58


2 Kemp B. J. (2006), p. 277
3 Laboury D. (2010), p. 259
4 Arnaud J.-L. (2008), p. 141
5 Kemp B. J., Gari S. (1993), pp. 55-56

41
230×230 m : bordée au nord par le faubourg nord, au sud par le palais
royal, à l’est par le Grand Temple et à l’ouest pas le Nil. Il convient
cependant de s’intéresser à l’intérêt qu’une si grande esplanade pouvait
revêtir. On a déjà évoqué la possibilité de rendre la justice sur le parvis
du temple1, mais il ne faut pas oublier qu’il n’était pas possible pour la
plupart des égyptiens de pénétrer à l’intérieur de l’enceinte sacrée, aus-
si le parvis était-il l’endroit où il était possible d’admirer la statue divine
- protégée dans son naos - lors de ses processions. Néanmoins, le culte
atoniste d’Akhénaton ne semble pas avoir utilisé d’image divine, on
peut donc supposer que comme l’ensemble du dispositif de l’Avenue
Royale, il s’agit avant tout de mettre en scène le roi2. C’est également le
FIG. 27 - Représen-
tation perspective du
pont enjambant l’Ave-
nue Royale. Source :
d’après Pendlebury
J. D. S. (1951).

cas du pont reliant le palais à la résidence. Construit perpendiculaire à


l’Avenue Royale, il est constitué d’un mur épais percé d’un ensemble
de trois portes centré sur l’axe de l’avenue. Au dessus de ce pont pou-
vait circuler le roi entre son palais et ses appartements. De plus, ain de
proiter de cette surélévation, une fenêtre d’apparition était aménagée à
l’étage du pont, où le roi devait distribuer des récompenses à ses sujets
massés dans l’Avenue Royale.
FIG. 28 - Plan des bu-
reaux ou logements
des scribes montrant
une organisation
régulière. Source :
Pendlebury J. D. S.
(1951).

1 Cabrol A. (2001), p. 735


2 Laboury D. (2010), p. 257

42
L’organisation de l’espace public en dehors de cette avenue revêt
un caractère extrêmement hétérogène : si certains quartiers semblent
issus d’opération de logements planiiées, d’autres se développent de
façon organique. À l’est du petit temple d’Aton, par exemple, on re-
trouve un ensemble de logements ou de bureaux probablement attri-
bués à des scribes1 qui présente une organisation régulière en damier
rappelant les constructions du Moyen Empire comme à Kahoun (Cf.
supra page 13). Ailleurs, la rue est plutôt constitué de l’espace ré-
siduel entre des bâtiments. Dans le Faubourg Sud, on peut clairement
distinguer des artères principales qui atteignent une trentaine de mètres
de large, et desservent un réseau secondaires de petites venelles dont
la largeur varie de quelques mètres à une dizaine de mètres. Dans son
ouvrage, Dimitri Laboury tente d’expliquer cette différence entre zones
planiiées et zones non planiiées :
«De toute évidence, même si le décor de l’encadre-
ment en pierre de toutes les portes de maisons conservées à
Amarna afiche ostensiblement une allégeance sans réserve
de leur propriétaire vis à vis du souverain, l’essentiel de
la ville s’est développé en marge de la stricte planiication
royale, de proche en proche, au gré des besoins de chacun
et des espaces disponibles, telle une agglutination progres-
sive de petits villages venus s’installer les uns contre les
autres. [...] Dans la pratique, l’implantation des domaines
respectifs se conformait à une autre logique que celle qui
présidait à la disposition des édiices royaux du nouvel
«Horizon de l’Aton». en fonction de ses capacités écono-
miques et des étendues disponibles, chacun semble avoir
occupé l’espace qui lui paraissait nécessaire, en respectant
ou, à tout le moins, en ménageant des axes de circulation
non strictement rectilignes.»2
Même si son explication est convaincante, on ne saurait être aussi
catégorique sur l’absence totale de contrôle dans la mise en place des
quartiers des faubourgs nord et sud. Les largeurs très imposantes des ar-
tères paraissent complètement disproportionnées au regard de la quan-
tité de personnes qui devaient effectivement les emprunter, et même
si l’on peut imaginer que certains grands personnages aient utilisé des
chars3, la plupart des déplacements devaient s’effectuer à pied. Il est
donc fort probable que les gabarits des rues principales aient été décidés
a priori, délimitant au sol des zones constructibles qui étaient ensuite
effectivement redivisées et dont le système de voirie se développait au
grès des besoins.

1 Kemp B. J., Gari S. (1993), p. 62


2 Laboury D. (2010), p. 260
3 Laboury D. (2010), p. 257

43
East Road South

West Road South


0 200 m

FIG. 29 - Représentation du découpage parcellaire dans le Faubourg Sud : on voit l’agré-


gation de propriétés de taille différente, avec des propriétaires de classe différente. En gris,
les zones bâties de forte densité au parcellaire non identiiable. Source : Paul François.


East Road South


➃ West Road South



Main
Road
Avenue Royale

0 200 m

➀ Zones de stockage/production
Temples

Avenue R Zones résidentielles


oyale Sud

FIG. 30 - Organisation du coeur de la ville. 1 - Palais royal ; 2 - Maison du roi ; 3 - Bureaux


des scribes ; 4 - Maison de Vie et bureau de la correspondance du roi ; 5 - Casernes ; 6
- Petit Temple d’Aton ; 7 - Abattoirs. Source : d’après Kemp B. J., Gari S. (1993) p. 60.

44
Espace privé
S’agissant d’une ville complète dans le sens où elle devait ac-
cueillir toutes les classes de population, Akhetaton revêt plusieurs types
d’habitats qui occupent des parcelles de dimensions différentes. Ainsi,
si l’on s’intéresse au Faubourg Sud, la dimension des parcelles varie
entre 70×80 m environ (5600 m2) et 7,5×5 m (37,5 m2). Cette variation
se fait dans des espaces relativement restreints de sorte qu’il ressort du
tissu urbain une distribution hétéroclite de la dimension du parcellaire.
Dans tous les cas, les parcelles prennent une forme proche du carré,
même si des décrochements sont toujours possibles. Il semble y avoir
deux types majeurs d’organisation de l’espace privé dans la ville : le
premier, réservé sans doute aux plus riches, est un domaine clos qui
devait constituer un jardin dans lequel était construite la résidence du
maître des lieux ; le second, plus modeste, consiste en une simple rési-
dence sans ses dépendances ni son jardin.
FIG. 31 - Organisa-
tion typique d’un
Étable
Services
domaine bourgeois.
Source : d’après
Peet  E., Woolley L.
(1923).
Quartiers des
Salle de Bain serviteurs
Porche Ch.

Chapelle Ch.

Loggia Pièce centrale Ch.

Loggia
Ch. Ch. Ch.

Entrée de Grenier Écuries


service

Guardien

Les grandes propriétés sont toutes construites selon une organi-


sation type : la grande enceinte entourant toute la propriété contient à
la fois une petite chapelle, l’habitation elle-même et des annexes (gre-
niers, boulangeries, habitations pour les domestiques, etc.). L’habitation
est composée d’un porche donnant accès à un vestibule qui lui même
permet d’accèder à une loggia précédant la pièce centrale du logement,
au toit supporté par des colonnes. Cette pièce centrale, organisait autour
d’elle un ensemble de chambres et de petites pièces aux destinations
diverses. Les restes d’escaliers autorisent à penser que ces maisons
étaient dotées d’un étage. Les résidences plus modestes avaient un mo-
dèle calqué sur les maisons des domaines, tout en se privant de porche
(leur façade donnant directement sur la rue) et étant composées d’un
nombre plus restreint de pièces.
La grande variation des dimensions et des types d’habitat per-
met aisément sur le plan de la ville de repérer le positionnement des
propriétaires les plus riches et les plus inluents à Akhetaton. Ceux-ci
ne sont pas regroupés au coeur de la ville, comme c’est le cas dans la
ville européenne - où la proximité avec le pouvoir et les lieux de culte

45
est le privilège de la partie la plus aisée de la population - mais répartis
plus ou moins équitablement sur l’ensemble du territoire de la ville au
milieu d’autres habitations plus modestes. La relative autonomie de ces
domaines - dotés on l’a vu de leur propre lieu de culte, de leurs greniers,
etc. - rendait sans doute moins nécessaire le regroupement. Cependant,
la présence de domaines en face du palais royal de la Cité Nord et leur
organisation font penser que ceux-ci étaient prévus comme une partie
intégrante du palais royal et donc qu’une proximité avec les lieux de
pouvoir pouvait s’avérer nécessaire.

Administration et services
Bien que la plupart des administrations aient pris place dans le
centre culturel de la ville, une partie de celles-ci devaient également
se situer dans la cité nord. L’entrée nord de la ville était probablement
marquée par la présence d’une cité administrative, éventuellement liée
au palais luvial nord1, qui devait permettre de surveiller les entrées et
les sorties dans Akhetaton.
Au coeur de la ville, les fonctions des différents bâtiments d’in-
térêt public sont plus claires et l’on discerne clairement une zone située
entre le Grand Temple d’Aton et le Petit Temple d’Aton qui devait être
dévouée au fonctionnement de la ville. Parmi ces édiices, le bureau de
la correspondance du roi et la Maison de Vie, cette dernière étant dans
l’Égypte Ancienne un édiice où l’on conservait et copiait des ouvrages
sacrés2, sorte d’université égyptienne. La présence d’un ensemble de
bureaux ou d’habitations de scribes évoqué plus haut renforce l’idée
selon laquelle toute cette partie de la ville devait revêtir un caractère ad-
ministratif fort. Plus à l’est se trouvaient des casernes et des écuries qui
devaient fournir les contingents militaires nécessaires à l’encadrement
des cérémonies royales, ceux-ci étant omniprésents sur les représenta-
tions de l’époque. Dans la même zone, plus au nord, un grand ensemble
d’entrepôts et de greniers permettait la confection des offrandes desti-
nées au culte divin, et éventuellement de servir au palais royal.
Celui-ci semble avoir été conçu autour d’une très grande cour
entourée de statues au fond de laquelle (au sud) se dressait la zone où
le roi devait tenir ses audiences. L’ensemble, construit en pierres, a des
dimensions importantes qui dépassaient les 270×170 m, ce qui révèle
le rôle primordial que devait jouer le souverain dans cette ville, si on
le compare avec des plans plus modestes de palais royaux atteignant
au mieux une cinquantaine de mètres dans leur plus grande dimension
(les palais royaux attenants aux temples dits «de millions d’années»
thébains, par exemple).

Le village des ouvriers


Un village en marge d’Akhetaton fait partie intégrante du dispo-
sitif de la ville : le village des ouvriers creusant les tombes du roi et des
nobles. On a vu que le creusement de ces tombes à l’est revêtait une

1 Kemp B. J., Gari S. (1993), p. 42


2 Kemp B. J., Gari S. (1993), p. 61

46
certaine importance aux yeux du roi. C’est une typologie qui a déjà été
traitée avec Deir el-Medineh et qui trouve pourtant ici une expression
complètement différente. Si le village est également entouré d’une en-
ceinte percée d’une unique porte au sud, les ressemblances s’arrêtent là.
L’organisation est clairement plus géométrique : l’ensemble s’inscrit
dans un carré presque parfait d’environ 70 mètres de côté dans lequel
cinq rues rectilignes délimitent six îlots d’habitations. Chacun des îlots
est composé de maisons de plan très similaire de dimensions d’environ
10×5 m (50 m2), qui reprennent l’organisation interne déjà vue à Deir
el-Medineh. Une seule maison située au sud-est se détache de l’en-
semble en étant plus grande (environ 130 m2), c’est probablement celle
du chef des artisans1.
FIG. 32 - Plan du village
des artisans creusant
les tombes de Tell
el-Amarna. Source :
Peet E., Woolley L.
(1923).

Au sud du village, une place, de dimension bien supérieure à celle


de Deir el-Medineh (50×8 m environ) était occupée par un petit sanc-
tuaire attribuant en quelque sorte à ce village une autonomie cultuelle.
La largeur des rues, constante ou presque, s’approche toujours des deux
mètres tandis que leur organisation tend à éviter les cul-de-sac. Les
preuves d’un couvrement de la rue par des dispositifs servant à faire de
l’ombre sont ici bien réelles2.

1 Peet E., Woolley L. (1923), p. 53


2 Peet E., Woolley L. (1923), p. 55

47
La ville d’Akhetaton explicite le rapport subtil entre ville orga-
nique et ville planiiée : la taille de l’intervention urbaine, doublée des
préoccupations plus culturelles qu’urbaines du souverain, a limité la
planiication de la ville au strict nécessaire. Les bâtiments administra-
tifs, les temples, les palais sont les composantes essentielles à mettre en
place dans la ville, tandis que la population, que le souverain n’évoque
même pas dans ces discours de fondation, est capable de s’organiser
elle-même autour de ce noyau. Pour reprendre la comparaison au vil-
lage de Dimitri Laboury citée plus haut, s’il est clair que la densité
relativement faible des habitats relève sans doute plus d’une sorte d’ac-
cumulation de villages autour de ce noyau, on ne peut nier que la ville
eut une existence très courte et qu’une densiication du tissu urbain plus
tardive au cœur de la ville aurait pu se produire. À la différence de Deir
el-Medineh et Bouhen, Akhetaton cumulait des fonctions très diverses
qui ont nécessité d’importants bâtiments administratifs ou militaires,
tandis que la personne du roi occupait une place capitale au sein de
l’organisation urbaine.

48
Thèbes
Thèbes
Enfouie sous la ville actuelle de Louxor, Thèbes - Ouaset, «la
FIG. 33 - Photo des
ruines du temple de
Karnak. Crédit photo :
puissante», en égyptien ancien - est une ville qui ne se laisse que peu ap- Paul François.
préhender. Elle est particulièrement connue à la fois par les touristes et
par les égyptologues pour les temples qu’elle abritait - Karnak, au nord,
et Louxor, au sud - qui sont parmi les temples les plus importants de la
vallée du Nil. Si ceux-ci ont été fouillés et publiés à de très nombreuses
reprises, leur succès a en quelque sorte éclipsé la ville ancienne qui de-
vait s’étaler autour de ces lieux de culte, alors que la ville moderne se
développe au même emplacement, ayant effacé sous ses fondations les
traces de la cité antique. Les documents trouvés permettant une analyse
morphologique urbaine sont très peu nombreux et relèvent avant tout
soit des fouilles autour des enceintes des temples de Karnak, soit des
dromos1 ou avenue processionnelles reliant les temples entre eux.

Situation géographique et historique


Située au cœur de la Haut Égypte, à un endroit où le Nil effectue
une boucle sur plusieurs kilomètres, Thèbes a un environnement simi-
laire à celui de nombreuses villes d’Égypte. Elle est bâtie sur la rive
est du leuve, laissant la partie désertique de la rive ouest au culte des
morts et sa partie arable aux cultures. Délimitée à l’ouest par le Nil lui-
même et à l’est par des terres cultivables inondées par la crue, la ville
s’est développée sur une ine bande de terre s’étendant du nord au sud

1 Un dromos est une avenue bordée de statues divines, souvent des sphinx, qui
permettait l’accès à la porte du temple.

49
Vallée des Rois
Deir el-Bahari

Temple de Sethy I
Deir el-Medineh Temple de Thoutmosis III
Vallée des Reines
Ramesséum

Temple de Merenptah

Temple d’Aménophis III

Medinet Habou
Malgatta Domaine de Mountou

Terres Cultivées
Domaine d’Amon

Nil
Domaine de Mout

e
ell
nn
Thèbes

sio
es
oc
pr
e i
Vo
Terres Cultivées

Temple de Louxor

0 1 km

sur plusieurs kilomètres. Dans cette partie de l’Égypte, les montagnes à


FIG. 34 - Carte de
l’est descendent en pente douce vers le leuve, et ne créent pas de falaise la ville de Thèbes et
rocheuse limitant l’espace disponible ou arable : la ville pouvait donc des temples de la rive
proiter de ressources agricoles importantes.
ouest. L’emprise de
la ville au Nouvel Em-
Thèbes doit son importance stratégique à la présence de ber- pire est hypothétique.
ceaux historiques de civilisation dans son environnement proche : elle Source : Paul Fran-
çois.
est située à quelques dizaines de kilomètres du site de Nagada (Om-
bos), où apparurent les premières traces de la culture égyptienne. Des
traces d’établissements humains remontant à cinq mille ans avant Jé-
sus-Christ1 existent dans la région et impliquent que celle-ci était occu-
pée avant même la période historique. Durant la période Thinite, la ville
fait partie d’un proto-état dirigé par Nagada et devait donc s’apparenter
d’avantage à une petite bourgade sans grande importance qu’à un centre
politique2. À mesure que le temps passe, le découpage de l’Égypte en
entités administratives place Thèbes à la tête de son nome, lui donnant
une importance locale accrue.
Ça n’est qu’à partir de la première période intermédiaire que la
ville s’émancipe quand les nomarques3 thébains prennent un pouvoir
grandissant au point d’asseoir leur suprématie sur l’ensemble du ter-
ritoire égyptien. Si certains souverains thébains de l’époque portent le
nom de Mountouhotep («Mountou est en paix») c’est probablement
parce que la divinité principale du nome de Thèbes devait alors être
Mountou. Cependant, les constructions des Sésostris à Karnak montrent

1 Vercoutter J. (1992), p. 96
2 Vercoutter J. (1992), p. 243
3 Un nomarque est le chef d’un nome.

50
que le dieu Amon prend une importance grandissante pendant toute la
durée du Moyen Empire. Une stèle de la deuxième période intermé-
diaire révèle l’importance partagée de ces divinités : on y voit le dieu
Mountou présentant le roi à Amon, la scène étant entourée de la person-
niication de la ville de Thèbes1. Cette transition est capitale car c’est
le culte d’Amon qui donnera véritablement à la ville son rayonnement
dans tout l’empire.
Le scenario se répète durant la deuxième période intermédiaire où
les souverains thébains boutent les Hyksôs hors du pays et reprennent
le contrôle de l’ensemble de l’Égypte. Il semble cependant que la ville
de Thèbes soit négligée pendant la XVIIème dynastie et ne prenne son
essor véritable de capitale que sous le règne d’Amenhotep III. Dans
tous les cas, on suit l’importance de cette ville à partir de cette période
grâce au suivi des constructions effectuées dans le domaine de Karnak
et au temple de Louxor. Les interventions s’y succèdent et la plupart
des souverains du Nouvel Empire y laissent des traces, même Akhéna-
ton, avant que celui-ci ne fonde sa capitale Akhetaton. Parallèlement à
l’agrandissement des temples, les souverains se font inhumer dans la
vallée des rois sur la rive ouest du leuve, imposant la mise en place du
village de Deir el-Medineh. Le creusement d’une tombe dans la vallée
des rois imposait également, semble-t-il, la construction d’un temple
sur la rive ouest, souvent appelé «Temple Funéraire», lié au culte du roi.
Thèbes était donc un lieu privilégié d’intervention royale pendant tout
le Nouvel Empire.
L’importance grandissante du dieu Amon se lit dans les inven-
taires, faits sous le règne de Ramsès III, des domaines lui appartenant
ainsi que dans les donations de ce roi : pas moins de 2400 km2 de terres
cultivables sont attribuées au domaine d’Amon par Ramsès III2. La
puissance extraordinaire - tant politique qu’économique - de la ville et
des grands prêtres d’Amon en fait une menace pour le pouvoir royal, au
point de précipiter l’Égypte dans une troisième période intermédiaire.
La ville perd progressivement son importance et ne la retrouvera que
sous le règne de Taharqa qui effectue des nouvelles constructions à Kar-
nak3. La ville est mise à sac en 663 avant Jésus-Christ par Assurbanipal4
qui porte ainsi un coup fatal à Thèbes. Si elle reçoit encore les construc-
tions de certains souverains, elle a déinitivement perdu son importance
politique majeure.
Lorsque les voyageurs décrivent la ville de Thèbes au XIXème
siècle, elle n’est plus composée que de quelques petits villages (Ka-
rnak, Kafr Karnak, Louqsor) s’étendant au nord du temple de Louxor
et à l’ouest du complexe de Karnak. La croissance importance du pays
pendant ce siècle fait se développer la ville moderne qui recouvrira i-
nalement l’ensemble du territoire entre ces deux complexes.

1 Vandersleyen Cl. (2007), p. 182


2 Grandet P. (1993), p. 229
3 Grimal N. (2005), p. 451
4 Grimal N. (2005), p. 454

51
Analyse morphologique
Le site de Thèbes s’étend sur environ trois kilomètres du nord du
complexe de Karnak au sud du temple de Louxor. Ces deux ensembles
sont les seuls vestiges qui restent aujourd’hui de cette ville et devaient
constituer le point de départ de l’urbanisation. Karnak, au Nord, était
composé de plusieurs domaines divins délimités par des enceintes de
briques :
- le domaine d’Amon, au centre, est le plus important, avec une
enceinte s’inscrivant dans un quadrilatère d’environ 580×650 m. Il
contient non seulement le temple d’Amon mais également plusieurs
sanctuaires annexes (dédiés entre autres à Ptah, Osiris et Khoun-
sou), les habitations des prêtres, des industries liées au culte, etc. ;
- le domaine de Mountou, au nord, qui s’inscrit dans un rectangle
de 165×180 m environ, et comportait également un temple dédié à
Maât ;
- le domaine de Khonsou à l’est, d’époque plus tardive, n’était pas
encore construit au Nouvel Empire. ;
- le domaine de Mout au sud s’inscrivait dans un rectangle de
280×430 m et abritait également d’autres sanctuaires.
Il convient d’emblée de noter que la taille des enceintes est celle
des vestiges actuels, or les enceintes datant du Nouvel Empire étaient
probablement de taille légèrement plus réduite. Dans tous les cas, de
nombreux autres sanctuaires et lieux destinés au fonctionnement du
culte étaient construits entre ces différents éléments. Plus au sud, le
temple de Louxor, construit et achevé dans sa version quasi-déinitive
au Nouvel Empire était entouré à l’époque romaine d’une enceinte de
270×210 m qui, encore une fois, devait être légèrement plus grande que
celle du Nouvel Empire.
Si ces éléments de culte sont assez facilement identiiables, et leur
limite facilement reconnaissable - même dans leur état du Nouvel Em-
pire - on ne peut en dire autant de la ville qui les entourait. Jusqu’où
s’étendait celle-ci ? Les documents issus des expéditions françaises en
Égypte, accumulés dans la Description de l’Égypte, fournissent un in-
dice intéressant pour estimer la taille de cette ville. Sur les plans de
l’époque apparaissent des monticules de débris en dehors des enceintes
des temples (alors non dégagées mais parfaitement reconnaissables)
dont l’origine paraît certaine : il s’agit de l’ancienne ville de Thèbes,
abandonnée et progressivement détruite par les assauts du temps, ne
formant alors plus que des monticules de briques décomposées et de
sable. L’ensemble de ces monticules s’étendait du nord du temple
d’Amon de Karnak, le contournant par l’est, jusqu’au temple de Louxor
qu’il entoure complètement. Le village de Louqsor s’est bâti sur les
ruines de l’ancienne ville, quelques mètres au dessus du niveau du sol
antique, comme en témoigne la mosquée Abou el-Hagag actuellement
construite sur le temple, et dont l’entrée donne dans le vide de la cours
maintenant dégagée1. L’extension de la ville ancienne à l’ouest reste

1 Wilkinson R. H. (2000), p. 229

52
FIG. 35 - Extrait d’une planche de la Description de l’Égypte montrant le site des temples
de Karnak tel qu’il se présentait au début du XIXème siècle. La ville ancienne se trouvait
probablement sous les «buttes de décombres». Source : http://descegy.bibalex.org/

53
néanmoins plus dificile à identiier, les plans de la Description de
l’Égypte évoquant seulement des terrains incultes : il est probable que
la ville s’y étendait autrefois mais que les restes y ont été détruits par le
Nil lui-même, d’autant que certains indices archéologiques, on va le
voir, y ont été découverts.
FIG. 36 - Photo de
la mosquée Abou
el-Hagag montrant
la porte de celle-ci
quelques mètres au
dessus du niveau
actuel du sol. Crédit
photo : Paul François.

Les voies processionnelles


Les différents lieux de culte de thèbes étaient reliés entre eux par
des voies processionnelles qui établissaient ainsi un réseau, traversant
notamment la ville du nord au sud. L’utilité de ces voies était avant tout
cultuelle : il s’agissait de permettre aux barques divines de visiter l’en-
semble des sanctuaires sur une voie sacrée lors des fêtes, et notamment
de la «Belle fête d’Opet». La grande avenue qui relie actuellement
Louxor à Karnak (traversant la zone inculte sur les plans de la Descrip-
tion de l’Égypte) est datée du règne de Nectanébo mais elle a été
construite sur une voie plus ancienne encore et déjà existante au Nouvel
Empire1. Autour de ces véritables avenues devaient prendre place des
bâtiments administratifs, des casernes ou entrepôts, des archives, etc.2
FIG. 37 - La voie
processionnelle ou
dromos menant au
temple de Louxor.
Crédit photo : Marc
Ryckaert.

Ces voies devaient avoir un fonctionnement et un objectif simi-


laire à celui de l’Avenue Royale d’Akhétaton : c’est à dire permettre au
public d’observer les déplacements d’une divinité manifestant ainsi sa

1 Wilkinson R. H. (2000), p. 55
2 Jouret R. M. et al. (1990), p. 68

54
toute puissance. Il n’est pas aisé de comprendre si ces espaces peuvent
être considérés comme des espaces publics ou s’ils font partie intégrante
d’un dispositif de culte et donc réservés à une divinité et son clergé. Ce-
pendant, les études d’Agnès Cabrol sur les pratiques ayant lieu sur ces
voies laissent à penser qu’il s’agissait d’un lieu de vie assez complet,
assimilable sous certains aspects à des places publiques : vendeurs et
magiciens s’y côtoyaient1 tandis qu’on devait pouvoir s’y tenir au cou-
rant de «l’actualité» - si l’on peut dire - de l’empire2. La morphologie
des voies processionnelles est toujours à peu près constante : une allée
centrale d’environ 30 mètres de large était délimitée par des rangées de
sphinx à tête humaine ou animale regardant vers le centre de la voie.

Le tissu urbain
Il est probable qu’avec le temps, la ville se densiiait petit à petit
autour de ses lieux les plus emblématiques, ainsi, on peut supposer que
la densité était relativement élevée autour des enceintes des temples. Il
s’agissait de la partie la plus ancienne de Thèbes : le premier sanctuaire
d’Amon datait probablement de l’Ancien Empire, et l’on peut imaginer
qu’il concentrait autour de lui la Thèbes originale. À mesure que l’im-
portance du temple grandissait et qu’on augmentait la taille de son en-
ceinte extérieure, il engloutissait ainsi en quelque sorte la ville qui l’en-
tourait.
Rue ?

Rue ?

Enceinte d
e Thoutmo
sis III

0 10 m

Ce sont les traces de cette ville disparue qui ont été révélées à l’est
FIG. 38 - Relevé des
de l’enceinte du Nouvel Empire (inclue dans l’enceinte actuelle) du fouilles à l’est (en
temple d’Amon. Les fouilles de ces emplacements ont révélé la super- haut) de l’enceinte de
Thoutmosis III à Kar-
position de plusieurs bâtiments issus d’époques différentes et remon- nak faisant apparaître
tant jusqu’à l’Ancien Empire : différents bâtis anté-
- un ensemble monumental datant de l’Ancien Empire, avec des rieurs à l’enceinte (le
plus foncé correspon-
murs de briques d’une épaisseur allant jusqu’à cinq mètres ; dant au plus récent).
- le même ensemble monumental, remanié au Moyen Empire qui Les bâtiments pos-
térieurs à l’enceinte
semble lié à l’exercice du culte. On y retrouve également des en-
à l’ouest sont alignés
sembles faisant penser à des bâtiments administratifs et à des ate- sur celle-ci. Source  :
liers ; d’après Lauffray J.
(1975).

1 Cabrol A. (2001), p. 761


2 Cabrol A. (2001), p. 767

55
- un complexe de bâtiments très composés plusieurs fois incendié1.
Ces constructions nous fournissent quelques informations inté-
ressantes sur le tissu urbain environnant le temple d’Amon à différentes
époques. D’une part, l’orientation des rues et du bâti tend à suivre une
direction générale différente de l’axe du temple, et a fortiori différente
encore de celle de l’enceinte qui est venu recouvrir l’ensemble. D’autre
part, on peut lire la largeur des rues de ces petits ensembles, qui os-
cille autour de 2,3 m. Enin, la superposition des différentes époques
indique que la ville était reconstruite sur elle-même au il du temps,
plutôt que de réhabiliter des bâtiments plus anciens, on reconstruisait
sur les ruines, à quelques dizaines de centimètres au dessus de l’ancien
niveau du sol.

Il ne semble pas possible de pousser une analyse morphologique


de Thèbes plus loin que ces quelques points très sommaires. La ville
telle qu’elle fut dans ses détails nous restera sans doute à jamais cachée,
pour autant elle nous enseigne la façon dont persistait la ville au cours
du temps. Les matériaux utilisés, combinés à la durée exceptionnelle de
Thèbes ont impliqué une reconstruction permanente du tissu urbain et
donc une modiication de sa morphologie. À côté de cela, le caractère
d’éternité des monuments dédiés aux divinité impliquait un squelette
persistant à cette chair en éternel mouvement. Ce squelette est encore
bien en place aujourd’hui, des millénaires après la chute du pouvoir
Égyptien.

1 Lauffray J. (1975), p. 29

56
Conclusion

Nous avons parcouru quatre villes de l’Égypte Ancienne et essayé


de comprendre les grandes lignes de leur conception et de leur organi-
sation spatiale sur la base de documents inégalement nombreux selon
les sites. Deir el-Medineh, Bouhen, Tell el-Amarna et Thèbes sont des
villes si différentes entre elles, même lorsqu’elles assument des fonc-
tions similaires, qu’il paraît dificile de les comparer pour obtenir une
ville-type égyptienne au Nouvel Empire. Pourtant, on peut reconnaître
des traits communs plus ou moins visibles dans chacun des exemples :
la nécessité d’établir une limite au territoire de la ville, la relation avec
un lieu de culte ou la recherche d’un espace public. L’importance des
limites se lit principalement à Akhetaton où le roi a fait graver de nom-
breuses stèles frontières qui igent à jamais le territoire de sa ville, mais
on peut également la lire à Deir el-Medineh où, malgré la congestion
du petit village à l’intérieur de son enceinte, celle-ci a perduré. Il faut
sans doute voir dans cette nécessité de ixer des limites au territoire un
lien avec la construction des temples, dont la première phase du rite de
fondation consistait à délimiter l’emprise de l’aire sacrée au sol. Cette
culture de la limite, lisible également dans tous les travaux d’arpentage
des champs, a trouvé sa place au niveau de l’ensemble du territoire
égyptien sous la forme de nomes, et devait l’avoir trouvé également à
l’échelle des villes.
Chacune des villes traitées était en relation plus ou moins forte
avec un lieu de culte : qualiier cette relation n’est pas chose aisée car
elle semble particulière à chaque cas. Rappelons d’abord qu’en Égypte
Ancienne, les seules personnes habilitées à pénétrer dans le temple sont
les prêtres, il ne s’agit donc pas d’un lieu de culte pour la population
en elle-même. À Bouhen, le temple devait être une construction pré-

57
vue mais d’importance moindre, rendue nécessaire sans doute par des
croyances, pour s’assurer de la protection de la forteresse. À Akhetaton,
l’ensemble de la ville est un temple immense, entièrement dédié à une
divinité, Aton probablement, mais également Akhénaton lui-même pla-
cé au centre des cérémonies et manifestations. À Thèbes, la situation est
plus complexe : la ville et le dieu Amon on dû naître en même temps de
sorte que différencier les deux est chose impossible. L’importance des
propriétés du domaine d’Amon suppose même que c’est via les posses-
sions de celui-ci que vivait la ville de Thèbes : la nourriture et beaucoup
de biens devaient provenir indirectement des industries du dieu. L’im-
broglio de sanctuaires de Deir el-Medineh tend à laisser penser que les
souverains y construisaient un temple ain d’assurer au mieux le creu-
sement de leur tombe et leur vie dans l’au-delà, mais la communauté
elle-même devait se contenter de la petite chapelle de la confrérie.
La question de l’espace public est capitale pour déinir la ville, et à
plusieurs égards, il semble qu’elle ai également intéressé les architectes
du Nouvel Empire. Si la simple rue, ou devrait-on dire «venelle», avait
des dimensions à peu près identiques dans tous les exemples (environ
deux mètres de large), la transformation de cet espace en lieu de ren-
contre, d’apparition pour une divinité ou un souverain, de commerce,
etc. a revêtu des caractères différents. L’élargissement de la voie semble
la première étape logique, dictée également par des impératifs pratiques
: un cortège royal ou un déilé militaire devaient nécessiter une largeur
importante. À Thèbes, la mise en place de statues de sphinx délimitant
les voies sacrées devait à la fois rendre monumental cet espace public
et empêcher qu’il ne inisse comme à Akhetatonn, dévié par la pression
importante de la ville. L’existence de la place publique est sujette à
cautions : on a retrouvé des espaces dégagés près des portes des villes
(à Deir el-Medineh et Bouhen) ou des grandes esplanades qui devaient
sans doute être le lieu privilégié des échanges entre citadins... Mais
peut-on vraiment afirmer qu’il s’agissait de l’objectif premier de ces
espaces et non pas d’un usage marginal rendu possible par leur position
et leurs dimensions ? Bref, la place publique avait-elle l’importance
qu’elle a aujourd’hui dans la conception urbaine ?
Quelle que soit la réponse à cette question, on ne peut nier que
la construction des villes en Égypte Ancienne était issue d’un certain
savoir faire, lisible dans la diversité des moyens mis en œuvre dans la
planiication urbaine. D’une part certaines opérations - le village des ar-
tisans d’Akhetaton, par exemple - avaient pour objectif de loger efica-
cement une communauté et ont donc adopté un plan orthogonal et une
planiication complète (de l’espace global du projet jusqu’à l’intérieur
des habitations), permettant rapidement de mettre à disposition d’un
dessein royal la main d’œuvre nécessaire. D’autre part la mise en place
de villes entières nécessitait seulement l’installation d’un squelette ini-
tial de ville, qui devait probablement se limiter à des lieux de culte,
quelques administrations et des axes principaux, sur lequel viendraient
se greffer postérieurement et relativement librement les secteurs rési-

58
dentiels : l’existence d’emplois, de commerces, de lieux de culte, etc.
devait servir à enclencher le dispositif de croissance naturel de la ville.

Ce rapport a commencé par la frustration apportée par l’absence


d’enseignement de l’urbanisme égyptien antique dans les cours d’his-
toire de la ville en école d’architecture. J’espère que l’ensemble de
l’analyse contenue dans ce travail aura permis de montrer que la ville
égyptienne n’a rien à envier aux exemples d’urbanisme de la Grèce ou
de la Rome antique. Hippodamos de Milet, «inventeur» dit-on du plan
en damier, n’a pourtant fait que de réutiliser un système orthogonal déjà
en application en Égypte au Moyen Empire puis au Nouvel Empire. Il
est certain que ce plan est une réponse logique à des problématiques
universelles : facilité des accès à la rue, homogénéité du parcellaire et
aisance de l’aménagement. Cependant, la qualité de l’urbanisme égyp-
tien ne se limite pas, à mon sens, à l’utilisation d’un plan en damier :
c’est aussi la capacité du système à prévoir et à utiliser le développe-
ment organique de la ville, plutôt que de chercher à concevoir celle-ci
comme une entité inie. De fait, la ville antique est l’archétype de la
«ville palimpseste» d’Olivier Mongin : ses parties en briques - c’est à
dire l’essentiel de ses constructions - se détruisent et se reconstruisent
sans cesse, la ville s’élève sur ses propres ruines et sa propre histoire, en
conservant toutefois l’emplacement constant de ses lieux de culte. Mal-
gré toutes les qualités de ce système, lorsqu’Alexandre le Grand fonde
Alexandrie, il importe un urbanisme basé sur un plan rigide hérité des
grecs : l’urbanisme «à l’égyptienne» a sans doute perdu à ce moment le
moyen de passer à la postérité qu’il méritait.

59
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61
Chronologie

Cette chronologie reprend les principales PREMIèRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE


périodes de l’Égypte Ancienne et développe VIIIème Dynastie (vers 2200 av. J-C.)
l’ordre des souverains ayant régné pendant
le Nouvel Empire. Les dates des différentes IXème Dynastie (vers 2160 av. J-C.)
époques et dynasties sont celles données par
Grimal N. (2005). En égyptologie, la datation Xème Dynastie (vers 2160 av. J-C.)
des périodes et des souverains est rendue dif-
icile par l’absence de sources iables pour le MOyEN EMPIRE
décompte des années de règne. XIème Dynastie (vers 2160 av. J-C.)

PÉRIODE PRÉDyNASTIQUE XIIème Dynastie (vers 1990 av. J-C.)


Avant 3200 av. J-C.
DEUXIèME PÉRIODE INTERMÉDIAIRE
PÉRIODE THINITE XIIIème Dynastie (vers 1785 av. J-C.)
Ière Dynastie (vers 3125 av. J-C.)
XIVème Dynastie (vers 1785 av. J-C.)
ème
II Dynastie (vers 2925 av. J-C.)
XVème Dynastie (vers 1730 av. J-C.)
ANCIEN EMPIRE
IIIème Dynastie (vers 2700 av. J-C.) XVIème Dynastie (vers 1730 av. J-C.)

IVème Dynastie (vers 2625 av. J-C.) XVIIème Dynastie (vers 1650 av. J-C.)

Vème Dynastie (vers 2510 av. J-C.) NOUVEL EMPIRE


XVIIIème Dynastie (vers 1550 av. J-C.)
VIème Dynastie (vers 2460 av. J-C.) Ahmosis
Amenophis I

62
Thoutmosis I
Thoutmosis II XXVIIème Dynastie (vers 525 av. J-C.)
Thoutmosis III
Hatshepsout XXVIIIème Dynastie (vers 400 av. J-C.)
Amenophis II
Amenophis III XXIXème Dynastie (vers 400 av. J-C.)
Amenophis IV - Akhenaton
Neferneferouaton Aankhkheperourâ XXXème Dynastie (vers 380 av. J-C.)
Semenekharâ
Toutânkhamon XXXIème Dynastie (vers 343 av. J-C.)
Aÿ II
Horemheb ÉPOQUE PTOLÉMAïQUE
À partir de 332 av. J-C.
XIX ème
Dynastie (vers 1295 av. J-C.)
Ramses I ÉPOQUE ROMAINE
Sethy I À partir de 30 av. J-C.
Ramses II
Merenptah
Sethy II
Amenmes
Siptah
Taousert

XXème Dynastie (vers 1190 av. J-C.)


Sethnakht
Ramses III
Ramses IV
Ramses V
Ramses VI
Ramses VII
Ramses VIII
Ramses IX
Ramses X
Ramses XI

TROISIèME PÉRIODE INTERMÉDIAIRE


XXIème Dynastie (vers 1070 av. J-C.)

XXIIème Dynastie (vers 945 av. J-C.)

XXIIIème Dynastie (vers 818 av. J-C.)

XXIVème Dynastie (vers 725 av. J-C.)

XXVème Dynastie (vers 745 av. J-C.)

BASSE ÉPOQUE
XXVIème Dynastie (vers 670 av. J-C.)

63

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