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Les jHwtjw et leur rôle socio-économique

du IIIe au Ier millénaire avant J.-C.

JUAN CARLOS MORENO GARCÍA1

1 textes du Nouvel Empire, qui citent à plusieurs


Introduction : le problème de définition des reprises les exploitations aHt et les livraisons
terres aHt et des jHwtjw des jHwtjw en tant que source principale d’ap-
provisionnement en céréales des temples. Mais
Il n’est pas exagéré d’affirmer que les terres la définition du rôle et de la condition sociale
aHt constituent un des éléments les plus difficiles à des jHwtjw, ainsi que des exploitations aHt, reste
définir des campagnes pharaoniques. Cependant, encore controversée. Les textes littéraires,
leur importance et celle de leurs cultivateurs, les notamment les « satires des métiers », présentent
jHwtjw, découle d’une simple lecture des docu- les jHwtjw comme des pauvres cultivateurs acca-
ments administratifs, où ils occupent une place blés d’impôts, exploités par les administrateurs
d’honneur2. Que l’on songe, par exemple, aux et aux prises de toutes les malheurs, tandis que
des expressions stéréotypées proclament que le
1. CNRS (UMR 8164).
2. De nombreux chercheurs ont consacré leurs efforts Staatlichen Museen zu Berlin – Preussischer Kulturbesitz, 2),
à l’étude des jHwtjw : A. H. Gardiner, « Ramesside texts rela- Berlin, 1993, p. 57 ; Ch. Eyre, « Feudal tenure and absentee
ting to the taxation and transport of corn », JEA 27 (1941), landlords », dans S. Allam (éd.), Grund und Boden in Altägypten,
21-22 ; J. J. Janssen, « Prolegomena to the study of Egypt’s Tübingen, 1994, p. 107-133 ; B. J. J. Haring, Divine Households:
economic history during the New Kingdom », SAK 3 (1975), Administrative and Economic Aspects of the New Kingdom Royal
141 ; Idem ; “Agrarian Administration in Egypt during the Memorial Temples in Western Thebes, Leiden, 1997, p. 287-
Twentieth Dynasty,” BiOr 43 (1986), pp. 351-66 ; A. Gasse, 288 ; Idem, « Access to Land by Institutions and Individuals
Données nouvelles administratives et sacerdotales sur l’organisation in Ramesside Egypt (Nineteenth and Twentieth Dynasties;
du domaine d’Amon XXe-XXIe Dynasties à la lumière des papyrus 1294-1070 BC) », dans B. Haring, R. de Maaijer (éd.), Landless
Prachov, Reinhardt et Grundbuch (avec édition princips des papyrus and Hungry? Access to Land in Early and Traditional Societies,
Louvre AF 6345 et 6346-7), vol. I. (BdE, 104), Le Caire, 1988, Leiden, 1998, p. 83-84 ; F. Poole, « Social implications of the
p. 207-208, 214-217, 224 ; S. L. D. Katary, Land Tenure in the shabti custom in the New Kingdom », dans R. Pirelli (éd.),
Ramesside Period, Londres-New York, 1988, passim ; G. P. Egyptological Studies for Claudio Barocas, Naples, 1999, p. 105-
F. van den Boorn, The Duties of the Vizier. Civil Administration 111 ; M. Römer, « Staat und Wirtschaft im alten Ägypten »,
in the Early New Kingdom, Londres-New York, 1988, p. 154- Or. 69 (2000), 424 n. 63, 427 ; J. C. Moreno García, « La
155, 189 ; S. P. Vleeming, Papyrus Reinhardt: An Egyptian Land dépendance rurale en Égypte ancienne », JESHO 51 (2008),
List from the Tenth Century B.C. (Hieratische Papyri aus den 123-129.

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fait de ne pas châtier un jHwtj était un acte pieux travail mal connues et à des versements de quotas
révélateur des qualités morales d’un dignitaire de céréales, de sorte que, à la différence d’autres
(Urk. VII 16:3). La chute de l’élite qui gouvernait termes – comme mAwt ou oAjjt – aHt ne renvoie
l’Égypte est évoquée dans la Lamentation d’Ipouour pas aux caractéristiques physiques ou fiscales
avec l’image négative, parmi d’autres topoi, de d’un terrain mais plutôt à une modalité précise
l’artisan spécialisé (un odw « constructeur ») d’exploitation. En effet, que les exploitations
devenu jHwtj (odw [xp]r m jHwtj « le constructeur aHt n’étaient pas de simples champs découle des
est devenu un jHwtj »)3. Des textes plus tardifs inscriptions qui indiquent la transformation des
décrivent pourtant le jHwtj sous un angle plus champs (AHt) en exploitations aHt afin de fournir
positif, comme dans l’Enseignement de Brooklyn : des offrandes divines (Urk. IV 172:1-2 ; 667:10 ;
jHwtj pA Xrj n jAwt nbt j.jrw bAk n.f nAjj.f Drtj pAjj.w 746:1-3). Un passage d’une inscription du Moyen
TAw n anx m [Ss] « le jHwtj est le chef de toutes les Empire à Rifeh révèle que les exploitations aHt
professions, puisque c’est grâce à ses soins que comprenaient parfois des terres élevées : jn.n.j
l’on produit tandis que ses mains sont le souffle Hapj m [...] r oAjwt nt jHwt.T(n) jwH(.w) Sdw.Tn « j’ai
de vie en [vérité] »4, pA hAy (n) sxt pAjj.s jHwtj « le apporté l’inondation depuis […] jusqu’aux terres
mari du champ est son jHwtj »5. Ces images contra- élevées de vos exploitations aHt et vos parcelles
dictoires découlent également de l’analyse des sont irriguées »6, une expression reprise dans un
textes administratifs, où les jHwtjw figurent tantôt fragment de l’autobiographie de Pwj-m-Ra, du
comme de véritables « entrepreneurs » agricoles, règne de Thoutmosis III : [...oA]jwt nt jHwt.Tn jw[H(.
responsables de l’exploitation de domaines de w) ...]wt.Tn « [… terres éle]vées de vos exploita-
dimensions considérables, tantôt dans le rôle de tions-aHt et vos [parce]lles sont irri[guées] »7.
simples cultivateurs, voire des esclaves, contraints L’expression AHt aHt pr-aA « un champ de type
aHt du Pharaon » apparaît à plusieurs reprises
de labourer des lopins de terre contre le verse-
dans l’inscription de Pnnwt à Aniba, du règne
ment de quotas de céréales.
de Ramsès VI8, tandis que la rubrique du papyrus
Quant aux terres aHt, de nombreuses incerti-
Baldwin « liste des champs (AHwt) qui ont livré la
tudes entourent encore leur interprétation. Le
récolte aux deux bateaux dans la rive », regroupe
terme désigne une catégorie de terres institution-
des terres aHt et des domaines rmnjjt.9 La formule
nelles exploitées par les temples, la couronne
ou les particuliers, soumises à des prestations en 6. Der Rifeh VII:23=P. Montet, Kêmi 6 (1936), 159. Cf.
un parallèle dans l’inscription Siut V:7-8 : xtm.n(.j) tAS(w) []
3. Cf. pLeiden I.344, col. 3:6. Hr sDAjjt(.j) jr.n(.j) oA[jwt] m jdHw rdj.n(.j) mH Hap(j) Hr jAwt.s
4. Cf. pBrooklyn 47.218.135, VI:18=M. Lichtheim, Moral jr.n(.j) xbsw m[Hw] gswj m jb[...] « j’ai scellé les limites [des
Values in Ancient Egypt (OBO, 155), Fribourg-Göttingen, 1997, terrains] grâce à mon autorité (lit. sceau), j’ai transformé les
p. 71-72 ; R. Jasnow, A Late Period Hieratic Wisdom Text (P. terres hautes en marais, j’ai fait que l’inondation atteigne ses
Brooklyn 47.218.135)(SAOC, 52), Chicago, 1992, p. 114. collines et j’ai fait que les terres cultivables soient inondées
5. Cf. pBrooklyn 47.218.135, VI:8= Jasnow, A Late alors que tous les voisins étaient assoiffés » (H. Brunner, Die
Period Hieratic Wisdom Tex, p. 113. Cf. un parallèle dans la Texte aus den Gräbern der Herakleopolitenzeit von Siut, Gluckstadt,
Chronique Démotique (pBN 215, 6,8) : pA jHwtj rmj tAj Hmt « le 1937, p. 65).
jHwtj pleure (sa) femme (=son champ) » (=W. Spiegelberg, 7. N. de G. Davies, The Tomb of Puyemre at Thebes, vol. II,
Die sogenannte demotische Chronik des Pap. 215 der Bibliothèque New York, 1922, pl. 66, ligne 21. Ce passage est à ajouter au
Nationale zu Paris, Leipzig, 1914, p. 21). Je remercie Damien corpus réuni par J. Kahl, Siut—Theben. Zur Wertschätzung von
Agut-Labordère d’avoir attiré mon attention sur ce passage Traditionen im alten Ägypten (Probleme der Ägyptologie, 13),
de la Chronique Démotique ainsi que de sa lecture du terme Leiden-Boston-Cologne, 1999.
jHwtj. Enfin, on peut évoquer aussi Aménemopé 19:4-5 : m jr 8. KRI VI 350:16 ; 351:2 , 7, 8;
Ssp Smm n jHwtj mtw.k mAwr (m) ar(t) jr.f thA.tw.f « ne reçois pas 9. P. Baldwin v° IV 1-2=J. J. Janssen, Grain Transport in the
l’impôt en céréales du jHwtj pour (ensuite) (l’)inscrire sur le Ramesside Period. Papyrus Baldwin (BM EA 10061) and Papyrus
papyrus à son détriment ». Amiens (Hieratic Papyri in the British Museum, 8), Londres,

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aHt gm Sw « terrain aHt trouvé sec » figure parfois Reinhardt cite trois types de terres attribuées à
dans le papyrus Wilbour10, alors qu’un autre des cultivateurs : bH, aHt et aHt-bH. Le terme bH a
texte ramesside, le pLouvre AF 6345+Fragments été l’objet de discussions récentes et il désigne
Griffith, évoque une exploitation aHt en rapport des travaux obligatoires14, comme dans le décret
avec des terres mAwt et faisant partie du domaine de Nauri15, où il figure à côté d’autres modalités
d’une île (rmnjjt n pA jw) ; dans un autre cas, une de travail imposées dans les terres d’un sanc-
exploitation aHt était constituée de terres nxb (nxb tuaire (y compris la levée de main d’œuvre ou le
n aHt)11. Une stèle du règne d’Osorkon I indique déplacement de gens d’un district à un autre).
qu’un champ (AHt) de trois aroures était en partie Que le travail bH ne soit spécifique ni des jHwtjw
délimité par plusieurs exploitations aHt apparte- ni des terres aHt découle du fait de l’addition
nant à un sanctuaire12. Enfin, le décret Coptos occasionnelle de ce terme à aHt (aHt-bH) afin de
C, de la VIe dynastie, énumère les impôts dont le le distinguer des terres appelées simplement aHt,
temple de Min est exempté, y compris aHt AHt sTAt ce qui suggère que le système habituel d’exploi-
19 5/8 Snawt « une exploitation-aHt (consistant en) tation des terres aHt se distinguait des corvées
un champ de 19 5/8 aroures et le travail Snawt » ordinaires.
(Urk. I 286:13). En définitive, les termes AHt et aHt À partir de ces considérations préliminaires
figurent souvent ensemble afin d’évoquer deux j’étudierai successivement les contextes où appa-
aspects différents du même terrain, à savoir, le raissent les termes aHt et jHwtjw afin d’en proposer
fait d’être un champ agricole (AHt) et le fait d’être une interprétation.
exploité selon une modalité bien précise (aHt).
Il est probablement significatif à cet égard que
certaines énumérations des types différents de
Les terres aHt en tant que dotation pour des
terres cultivées par un temple, comme celles qui
particuliers
figurent dans les lignes 24-25 du décret de Nauri,
Les textes administratifs ramessides insistent
mentionnent les terres nxbw, jww, oAjjt et AHwt
sur la nature institutionnelle des terres aHt, soumi-
nb(w)t mais pas les exploitations-aHt, vraisembla-
ses au contrôle direct de l’administrateur d’une
blement parce que celles-ci étaient déjà compri-
institution ou bien cédées à des particuliers,
ses en quelque sorte dans cette énumération qui
contre le versement de taxes, souvent sous la
concernait seulement les caractéristiques physi-
forme de parcelles de dimensions standardisées.
ques des sols exploités. D’autres listes évoquent la
Il suffit d’évoquer à ce propos les champs inté-
même situation : dj.j n.f Ahwt oAjjt nxbw jww « je lui
grés dans les domaines « non-apportioning » du
ai donné (au dieu) des champs, des terres oAjjt,
texte A du papyrus Wilbour, où chaque parcelle
des terres nxbw et des îles »13. Enfin, le papyrus
est introduite par la formule aHt m-Drt « parcelle
2004, p. 52, 112. aHt sous la responsabilité de », plus le nom du
10. A. H. Gardiner, The Wilbour Papyrus. Vol. II : responsable dépendant de l’institution chargée
Commentary, Oxford, 1948, p. 94.
11. Cf. pLouvre AF 6345+Fragments Griffith r° V:16- de la gestion et de l’exploitation de ces terres.
17=A. Gasse, Données nouvelles administratives et sacerdotales,
p. 7, pl. 5. 14. S. P. Vleeming, Papyrus Reinhardt, p. 51-55 ; Ch. Eyre,
12. Stèle New York MMA 10.176.42=K. Jansen-Winkeln, « How relevant was personal status to the functioning of the
Inschriften der Spätzeit, vol. I, Wiesbaden, 2007, p. 60-61 [38]. rural economy in Pharaonic Egypt ? » dans B. Menu (éd.),
13. Cf. pHarris I 59,7=P. Grandet, Le papyrus Harris I (BM La dépendance rurale dans l’Antiquité égyptienne et proche-orientale
9999), vol. I (BdE, 109), Le Caire, 1994, p. 307. Cf. aussi une (BdE, 140), Le Caire, 2004, p. 181.
liste encore plus exhaustive dans Urk. IV 1985:10-14. 15. Décret de Nauri, lignes 43-44 : KRI I 50:1-2.

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On remarquera aussi que ces domaines étaient ble à la lumière d’une inscription du début de la
labourés par des jHwtjw. XIIe dynastie, où l’installation de travailleurs-mrt
Cependant, les domaines aHt faisaient partie et de prêtres-wab accompagnait la réorganisation
également de la dotation foncière attribuée à un d’une ville21. À mon avis, la mention des wab dans
dignitaire comme rémunération ou récompense le cadre de la valorisation d’un territoire tient au
pour ses services, et ceci depuis le IIIe millénaire. fait que leur rôle était indispensable afin d’ex-
Une inscription dans la tombe de Djaou de Der ploiter les terres institutionnelles et d’accomplir
el-Gebraoui décrit une scène de récolte de les services rituels, bref d’assurer les activités
lin dans les termes suivants : Hwj mHj m aHwt nt économiques et idéologiques qui marquaient le
Dt.f « ramasser le lin provenant des exploitations- retour à la normalité d’un territoire jadis désor-
aHt de son Dt »16. Compte tenu que le (pr-)Dt d’un ganisé, y compris la restauration de ses temples
dignitaire était l’ensemble des biens accordés et la mise en valeur de leurs ressources foncières.
par le roi comme récompense ou rétribution de Voilà pourquoi le texte indique que les digni-
ses services17, ce texte indique que des terres aHt taires (sr) et les wabw sont grevés de contribu-
pouvaient y figurer aussi. Des sources postérieu- tions (tel est le sens du verbe nHb)22 telles que
res confirment cette pratique. Les terres affectées la livraison des productions-bAkw et des redevan-
à la rétribution du poste de gouverneur de ¡apj- ces-Htrw, alors que les wab sont pourvus d’exploi-
DfA de Siout comprenaient des exploitations aHt tations aHt qu’ils doivent cultiver23. On indique,
cultivées par des jHwtjw18, et certaines inscriptions en plus, que les wabw étaient contraints de livrer
dans sa tombe distinguent soigneusement ses des contributions en grain : mHtjw aSA(w) mH n.j
biens patrimoniaux, d’origine familiale (pr jt « la
maison du père »), des biens affectés à l’exercice Wiesbaden, 1977, p. 51-52 ; J. F Quack, Studien zur Lehre für
Merikare, Wiesbaden, 1992, p. 48-49, 51 ; J. C. Moreno García,
de la fonction de gouverneur (pr HAtj-a « la maison « Les temples provinciaux et leur rôle dans l’agriculture
du gouverneur »). Or, dans un cas ces biens sont institutionnelle de l’Ancien et du Moyen Empire », dans J.
désignés précisément par le terme pr-Dt. Un C. Moreno García (éd.), L’agriculture institutionnelle en Egypte
ancienne : état de la question et perspectives interdisciplinaires
autre texte, de la XVIIIe dynastie, indique que (CRIPEL, 25), Lille, 2007, p. 115-116.
150 aroures d’exploitations aHt furent accordées 21. CGC 20541=H. O. Lange, H. Schäfer, Grab- und
par Thoutmosis I au dignitaire Nkrjj19. Enfin, un Denksteine des Mittleren Reiches, vol. II, Cairo, 1925, p. 161-
162 ; vol. IV, pl. 39 ; Cl. Obsomer, Sésostris Ier : étude chrono-
texte littéraire du Moyen Empire, L’Enseignement logique et historique du règne, Bruxelles, 1995, p. 531-532 [28].
pour Mérikarê, évoque la réorganisation d’un terri- Cf. cependant une interprétation différente de ce texte dans
toire au moyen de la dotation des prêtres-wab D. Franke, GM 167 (1998), 35-37, pour qui le texte évoquerait
plutôt l’augmentation du nombre de travailleurs-mrt et leur
avec des terres-aHt20, une mesure compréhensi- purification.
22. A propos de nHb et de ses nuances, cf. J. C. Moreno
16. N. de G. Davies, The Rock Tombs of Deir el-Gebrâwi, Part García, ZÄS 126 (1999), 129-130 ; B. J. J. Haring, Divine
II : Tomb of Zau and Tombs of the Northern Group (ASE, 12), Households, p. 257, 267 ; B. Muhs, « The chronology of the
Londres, 1902, pl. 6. reign of Ptolemy II reconsidered : the evidence of the nHb and
17. J. C. Moreno García, ¡wt et le milieu rural égyptien du nHt tax receipts », dans A. M. F. W. Verhoogt, S. P. Vleeming
IIIe millénaire. Economie, administration et organisation territo- (éd.), The Two Faces of Graeco-Roman Egypt. Greek and Demotic
riale (Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes – Sciences and Greek-Demotic Texts and Studies Presented to P. W. Pestman
Historiques et Philologiques 337), Paris, 1999, p. 210-222. (Papyrologica Lugduno-Batava, 30), Leyde, 1998, p. 71-85 ;
18. Siout 279-281 et 309-310=P. Montet, Kêmi 3 (1930), Idem, Tax Receipts, Taxpayers, and Taxes in Early Ptolemaic
56-57, 65. Thebes (IOP, 126), Chicago, 2005, p. 30-36.
19. W. Helck, Historisch-biographische Texte der 2. 23. P 85-87 : W. Helck, Die Lehre für König Merikare,
Zwischenzeit und neue Texte der 18. Dynastie, Wiesbaden, 1975, p. 51-52 ; J. F Quack, Studien zur Lehre für Merikare, p. 48-53,
p. 116 [129]. 182 ; P. Vernus, Sagesses de l’Egypte pharaonique, Paris, 2001,
20. Mérikarê P 86=W. Helck, Die Lehre für König Merikare, p. 146.

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sj r ¦A-MHw bAkw m jt m rA-aw wab « de nombreux cour, des exploitations-aHt sont accordées et des
gens du Nord l’irriguent pour moi (=la région puits sont distribués » (CT VI 348d-f, m-o).
memphite) jusqu’au Delta, taxée avec du grain Dans les documents administratifs ramessides
à la manière des wab ». Bref, les exploitations-aHt les particuliers étaient dotés de terres-aHt soumi-
étaient rédevables de taxes même si elles faisaient ses au paiement de taxes en céréales, comme
parti de la dotation attribuée à un temple ou à l’attestent tant les domaines « apportioning »
un dignitaire. Par conséquent, cette obligation du papyrus Wilbour que le pAmiens v° II,1-
fiscale, consistant à acquitter des quotas précis de IV,10+pBaldwin r° II,1-IV,11 (à l’exception de la
céréales, distingue les exploitations-aHt d’autres col. III). Pourtant, des jHwtjw cultivant des domai-
types de domaines accordés par le souverain. nes-aHt sont très rares dans ce dernier document,
On remarquera à ce propos qu’une des fonc- la catégorie sociale la plus fréquemment citée
tions du souverain consistait à pourvoir ses courti- étant constituée de scribes (sS), de quelques rwDw
sans et ses dignitaires des moyens suffisants pour et prophètes (Hm-nTr) et de anxt-nwt « dames ».
garantir leur position sociale, une idée exprimée Leur condition sociale et leur base imposable sont
dans de récits littéraires comme Sinouhé ou dans donc comparables à celles des bénéficiaires des
domaines « apportioning » du papyrus Wilbour,
des textes sapientiaux comme Mérikarê : « accrois
de telle sorte que ces documents confortent
l’éminence de tes hauts dignitaires (srw) afin qu’ils
l’image évoquée par l’Enseignement de Merikarê
exécutent tes lois; celui qui est riche en son domaine
et par les autres textes cités, avec des personnes
(pr) ne saurait être partial; celui qui n’a pas de point
d’un certain niveau social pourvues de champs-
faible est celui qui possède des biens (xt) […] grand est
aHt par la couronne tant comme rémunération ou
un grand quand ses grands se trouvent être grands. Le
récompense que comme unité imposable devant
roi qui possède une cour (Snwt) est fort, celui dont les acquitter des quotas de grain. Les dimensions
dignitaires (srw) sont riches est opulent » (Merikarê standardisées des terres labourées montrent bien
P 42-45) ou « accrois l’éminence de tes hauts digni- qu’il ne s’agisse pas de propriétés privées mais de
taires, promeus tes […], donne plus à la troupe de ta terres cédées par une institution à des particu-
garde personnelle, de sorte qu’elle soit pourvue de biens liers en échange, vraisemblablement, de services
(xt), gratifiée de champs (AHwt), dotée de troupeaux divers. Dans certains cas exceptionnels, particu-
(mnmnt) » (Merikarê P 60-61)24. C’est la même lièrement bien documentés, on peut observer
démarche que doit effectuer le défunt dans l’au- l’importance des terres-aHt en tant que source
delà, en tant que souverain des terres aHt et pour- de richesse et de statut sociale pour leurs titulai-
voyeur d’exploitations aHt pour sa suite et pour res. Ainsi, dix-neuf rubriques du papyrus Wilbour
sa cour : jsT rx.n.sn nnk js tm zp-zn jsT rx.n.sn ntt N sont accompagnées d’une addition postérieure à
tn js HoA jaHw « parce qu’ils se sont rendu compte la rédaction originale du document ; il s’agit de
qu’absolument tout ce qui existe m’appartient, la formule m jHwtj « en tant que jHwtj ». Les béné-
parce qu’ils se sont rendu compte que cette N est ficiaires de cette formule étaient toujours soit des
le souverain des terres-aHt » et djj mAA N tn Smsw.s soldats étrangers (sherden, thr) ou des officiers à
dg.s n Snwt.s d[jj] jHwt sSm Sdwt « il est permis que leur charge. Dans le cas du chef des guerriers-
cette N contemple sa suite et qu’elle regarde sa thr Qenhikhopshef, il apparaît accompagnée de
cette formule en rapport avec plusieurs terres
24. W. Helck, Die Lehre für König Merikare, p. 24-25, 26, khato de dimensions notables : 39 (pWilbour B
36-37 ; P. Vernus, Sagesses de l’Egypte pharaonique, p. 142, 144.
On remarquera l’ensemble formé par « biens, champs et 9,6), 60 (pWilbour B 8, 17A), 13 (pWilbour B
troupeaux », typique des rétributions aux dignitaires. 8, 31) et 24 aroures (pWilbour B 12,30), ce qui

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fait de lui un tenancier remarquable. On peut toute exploitation-aHt ou de tout travail-Snawt mis
penser aussi à un autre chef des guerriers-thr, à la charge des prophètes de ce sanctuaire, Ma
Ramessempirê, qui était en possession d’un Majesté a ordonné qu’ils soient exonérés comme
terrain de 50 aroures de terres khato (pWilbour biens de Min de Coptos » (Urk. I 283:15-16). Un
B 17, 24), d’un autre champ (pWilbour A 91,20) passage du décret Coptos D précise le sens de
et d’un champ de donation Hnk donné au roi cette association, en suggérant un rapport entre
(pWilbour 85,16), sans oublier qu’il était en plus les terres-aHt et les centres de transformation
l’agent d’un scribe (pWilbour A 90,8), ce qui fait de la production, pr-Sna : Xr wnn jmj-r aHt nwt tn
de lui un individu appartenant à une certaine jmj-r pr-Sna n pr-Sna pn Hna zA n zA nb « disponi-
élite locale. ble pour ceux qui exercent comme intendants
des exploitations-aHt de cette localité ou comme
intendants du centre de transformation de ce
Les terres aHt et les jHwtjw des institutions
centre de transformation ainsi que pour tous
leurs descendants » (Urk. I 292:10-11). On peut
Les premières mentions des terres aHt dans un
déduire de ces références que les exploitations aHt
contexte administratif figurent dans la titulature
faisaient partie également des biens des temples,
de MTn, un dignitaire qui exerça de nombreu-
comme au Nouvel Empire. En outre, des travaux
ses responsabilités dans le Delta au début de la
obligatoires, ordonnés par l’administration (qui
IVe dynastie, notamment à la tête des installations
pouvait accorder leur exemption dans certai-
Hwt-aAt et Hwt et des exploitations aHt, comme
nes occasions), étaient associés aux terres aHt.
l’attestent ses titres de HoA aHt et HoA aHt Xrt mdw
Cependant, l’absence de titres formés avec aHt
(Urk. I 2:3, 5 ; 6:9, 10). Ces domaines sont parfois
à l’Ancien Empire (sauf ceux déjà cités de MTn)
évoqués en rapport avec les installations Hwt-aAt,
implique que la gestion de ces terres demeure
comme dans le titre HoA Hwt-aAt aHt « gouverneur
cachée derrière d’autres titres ou qu’elle était
des exploitations-aHt de la Hwt-aAt » (Urk. I 6:3, effectuée conjointement avec d’autres terres
15). Compte tenu que les Hwt-aAt et les Hwt contrô- institutionnelles.
laient des champs et des exploitations agricoles Au Moyen Empire les liens entre les jHwtjw,
sous l’Ancien Empire (AHt, nwt mAwt), on peut les terres-aHt et les temples sont exprimés à
conclure que les terres aHt se distinguaient des plusieurs reprises dans les textes administratifs.
autres types de domaines et qu’elles étaient soit La contribution des jHwtjw aux offrandes divines
attachées aux installations de la couronne soit est mentionnée dans le papyrus Boulaq 18 : rxt
administrées indépendamment. Htpt-nTr jHwtjw mAa(.tj) m wAx[jj n] ¡r-nD-Hr-jt.f
Pourtant, les exemples détaillés les plus préco- MnTw m MAdw xft wDA.f [r pr-aA anx wDA snb] « liste
ces apparaissent dans les décrets de Coptos, de des offrandes divines des jHwtjw présentées dans
la VIe dynastie. Le décret Coptos C énumère, par le portique [à colonnes] de ¡r-nD-Hr-jt.f et de
exemple, les impôts dont le temple de Min était Montou de Medamoud après qu’il eut atteint
exempté : aHt AHt sTAt 19 5/8 Snawt « une exploi- [le palais v. s. f.] »25, tandis que les documents
tation-aHt (consistant en un) champ de 19 5/8 administratifs d’Ilahoun mentionnent soit des
aroures et le travail Snawt » (Urk. I 286:13). La listes de jHwtjw26, soit des livraisons de céréales
même association entre les terres-aHt et le travail-
Snawt figure dans le décret Coptos B : jr gr aHt nb(t) 25. P. Boulaq 18, xviii, 3 : A. Scharff, ZÄS 57 (1922),
6**.
Snawt nb(t) wAHt Hr Hmw-nTr nw rA-pr pn jw wD.n Hm(. 26. M. Collier, S. Quirke, The UCL Lahun Papyri : Accounts
j) xwjt.sn mj xt n Mnw Gbtjw « pour ce qui est de (BAR International Series, 1471), Oxford, 2006, p. 194-195

6 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

effectuées par des jHwtjw27, bien que le document autobiographique d’un administrateur des biens
le plus intéressant soit une comptabilité qui d’un temple du règne d’Hatchepsout: dhn.kwj r
reproduit la pratique administrative décrit dans jmj-r gswj-pr r xrp mrt mnmnt AHwt xnt-S nHbw m
les décrets de Coptos (Urk. I 294:3 ; 292 :10) ou aHwt jp(w) m bAkw Hsb(w) m jt jp(w) m bdt m Htrw n
dans les papyrus ramessides, avec la création de tnw rnpt r Hwt-nTr nt [jmn] Hrj-jb anx [wDA snb nswt
domaines agricoles rmn(jjt) en rapport avec des bjtj MAat-kA-Ra anx Dt] « je fus nommé intendant
aHt/jHwtjw, produisant des quotas de céréales et du double gs-pr afin de diriger les travailleurs-
confiés à des fonctionnaires. En effet, le pLon- meret, le bétail, les champs et les jardins, doués de
dres UC 32189 concerne un domaine rmnjjt où terres-aHt recensées quant à leurs contributions,
plusieurs fonctionnaires acquittaient des quan- taxées quant au grain, recensées quant à l’orge en
tités diverses de céréales pour un montant de tant que prélèvement annuel destiné au temple
4010 HoAt ; ensuite, le document contient la liste d’[Amon], au nom de la vie, [la santé et la force
des redevances (Htr) acquittées par les jHwtjw du du roi de Haute et Basse-Egypte Maatkarê, qu’il
district, évaluées à 5000 HoAt bien qu’ils n’aient vive à jamais !] » (Urk. IV 1379:15-21)31. Un autre
livré effectivement que 400028. Compte tenu de texte de dotation, la statue de l’administrateur
la similitude des chiffres de céréales livrées dans Amenhotep, évoque la fondation d’un temple
les deux cas (4010 et 4000 HoAt) j’estime que cette pourvu de champs, d’animaux et de jHwtjw
liste indique les livraisons faites par des jHwtjw qui auquel furent affectés des prêtres provenant des
cultivaient les parcelles d’un domaine confié à familles nobles de Memphis (Urk. IV 1796:3-5).
plusieurs fonctionnaires29. Les contributions (bAkw) des jHwtjw assuraient
Mais c’est au Nouvel Empire que les sources le ravitaillement en céréales des temples dans le
deviennent plus abondantes et qu’elles évoquent pHarris I32, tout comme les rmnjjwt jHwtjw « les
à plusieurs reprises le rôle des terres-aHt en tant domaines des jHwtjw » dans les inscriptions du
qu’unités de production de céréales (Urk. IV temple de Medinet Habu (KRI V 119:11, 123:9).
172:1-3 ; 667:10-13 ; 742:12-17 ; 746:2-4 ; 1379:15- Enfin, des textes postérieures au Nouvel Empire,
20), le travail des jHwtjw comme producteurs d’of- comme la Chronique du prince Osorkon, attes-
frandes divines (Urk. IV 1141:7) ou la dotation de tent encore la continuité de cette pratique, où
terres, troupeaux et jHwtjw aux sanctuaires récem- les exploitations-aHt, du personnel et des trou-
ment créés (Urk. IV 1796:4). Il est significatif que peaux figurent ensemble comme dotation des
les titres de la XVIIIe dynastie relatifs à la gestion temples33.
des terres-aHt et des jHwtjw soient tous composés L’étude des conditions d’exploitation des
avec le nom d’Amon, ce qui conforte leur nature domaines aHt et du niveau de dépendance des
institutionnelle30, comme le confirme le passage jHwtjw les plus humbles peut servir comme fil
conducteur pour définir les caractéristiques de
[=pLondres UC 32095Ci].
27. Idem, ibid., p. 214-215 [=pLondres UC 32110B], 280- ces terres. Les textes du Nouvel Empire évoquent
281[=pLondres UC 32282H r°].
28. Idem, ibid., p. 76-77. 351, 504, 505 et 541 du corpus de dignitaires.
29. Cf. J. C. Moreno García, « Les temples provinciaux et 31. Tombe de ¨wA-r-nHH (TT 125 : PM I1 237). A propos
leur rôle dans l’agriculture institutionnelle de l’Ancien et du de ce passage et des nuances du terme nHb, cf. J. C. Moreno
Moyen Empire », dans J. C. Moreno García (éd.), L’agriculture García, ZÄS 126 (1999), 118-119, 129-130.
institutionnelle en Egypte ancienne, p. 114-115, pour d’autres 32. P. Grandet, Papyrus Harris I, I, 238 [12b, 3].
exemples de domaines confiés à des prêtres ou des dignitai- 33. Reliefs and Inscriptions at Karnak, III, Chicago, pl. 16 ;
res mais labourés par du personnel subordonné. R. A. Caminos, The Chronicle of Prince Osorkon (AnOr, 37),
30. S. S. Eichler, Die Verwaltung des « Hauses des Amun » in Rome, 1958, p. 54 § 40 ; K. Jansen-Winkeln, Inschriften der
der 18. Dynastie (SAK Beiheft 7), Hambourg, 2000, n° 87, 333, Spätzeit, vol. I, Wiesbaden, 2007, p. 166.

CRIPEL 26 (2006) 7
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

la fuite des jHwtjw quand ils ne pouvaient acquit- tations aHt. Un autre texte mentionne un syrien,
ter les contributions dues au fisc ou aux insti- vraisemblablement un prisonnier de guerre,
tutions, tandis que les fonctionnaires coupables faisant partie d’un groupe de Hmw « serfs, escla-
de délits divers ou les condamnés pouvaient être ves » amenés par un chef de forteresse et installé
réduits à la condition de jHwtjw (KRI I 54:3-4 ; comme jHwtj dans les terres d’un temple (KRI IV
55:12-13 ; 58:10 ; IV 266:2-4)34. Ces caractéristi- 79:12-15), tandis que le papyrus Louvre E 3228c,
ques suggèrent que l’exploitation des terres aHt de la période Koushite, évoque un jHwtj d’origine
n’était pas fondée sur une base « contractuelle » étrangère qui fut vendu par des particuliers37.
– avec des accords passés entre le cultivateur et le Enfin, le pMallet III-IV est une lettre adressée
titulaire de l’exploitation35 – mais plutôt forcée, par un fonctionnaire à des jHwtjw et des bergers
comme dans les décrets de Coptos ou le papyrus afin d’effectuer des travaux obligatoires dans les
Brooklyn (cf. la section suivante), bien que ces champs (KRI VI 65-66), tandis que l’autobiogra-
travaux soient différents des corvées ordinaires, phie déjà citée d’un intendant du double gs-pr
comme nous l’avons vu à propos de la discus- indique qu’il dirigéait des travailleurs-mrt « doués
sion des termes aHt et aHt-bH du papyrus Reinhardt (nHbw) de terres-aHt recensées quant à leurs contribu-
dans l’introduction (cf. ci-dessus). En fait, un tions, taxées quant au grain, recensées quant à l’orge
passage des annales de Thoutmosis III (Urk. IV en tant que prélèvement annuel destiné au temple
742 :12-17)36 indique que les prisonniers capturés d’[Amon] » (Urk. IV 1379:15-21). Une illustra-
étaient destinés à devenir soit des mrt, employés tion des jHwtjw au service du trésor d’un temple
dans la confection de divers types d’étoffes, soit figure dans la tombe de Rêkhmirê, où des fonc-
des jHwtjw destinés à travailler (bAk) des exploi- tionnaires mesurent des piles du produit waH en
présence des jHwtjw38.
34. Pour les condamnés, cf. le pBrooklyn 35.1446 ainsi La même nature obligatoire et institution-
que le pBaldwin r° III:6-8 et le pAmiens r° IV: 5, 12 ; V:3=J.
J. Janssen, Grain Transport in the Ramesside Period, passim. nelle des terres aHt découle du fait que les dimen-
L’affectation des condamnés à des travaux et leur déplace- sions des tenures aHt et les livraisons de céréales
ment dans les îles du Nil sont évoqués aussi dans le pCGC des jHwtjw étaient standardisées, avec des quotas
58053-58055=KRI I 322:1-325:6 ; cf. aussi les Nubiens des
« terres (îles jw ?) mAwt du tribut » ( nHsjjw n(w) mAwt n pA jnw : autour de 10 sacs XAr/aroure et de 200 sacs/jHwtj
KRI I 260 :8-9). On peut trouver des échos de cette pratique (ce qui correspond à un terrain de 20 aroures
dans des documents plus anciens, comme dans le pCaire JE environ)39 pourvus d’un attelage par l’institu-
71583:x+38=U. Luft, Urkunden zur Chronologie der späten 12.
Dynastie, p. 119-128, 166-167 pl. 36-37 : jmj jnjt pA Hsbw ntj r tion pour laquelle ils travaillaient40. Une stèle
Hwrw « amène les conscrits appartenant à la canaille ».
35. Cf., à ce propos, les land-leases de Basse-Epoque, où 37. M. Malinine, « Un jugement rendu à Thèbes sous la
les preneurs en bail pouvaient, cependant, utiliser des jHwtjw. XXVe dynastie (Pap. Louvre E 3228c) », RdE 6 (1951), 157-
Le décret de Nauri de Séti Ier, lignes 32, 43, 45-46, 100-101, 178.
énumère les modalités de mobilisation de la main d’œuvre 38. N. de G. Davies, The Tomb of Rekh-mi-Rē‘ at Thebes, vol.
d’un temple : réquisition, transfert d’un district à un autre, II, New York, 1943, pl. 51.
travaux obligatoires, corvée pour labourer la terre et corvée 39. Cf. oGardiner 86, 82 :3=KRI III 139 :13 ; pBologna
pour moissonner (=KRI I 45-58). Les corvéables mrt sont 1086 :21-26=KRI IV 81 :2-5; pBM 10447=A. H. Gardiner,
mentionnés à la ligne 26 (KRI I 50:4). Ramesside Administrative Documents, Oxford, 1948, p. 59. Cf.
36. Ch. Barbotin, « Aspects juridiques et économiques de les quantités livrées par les jHwtjw du pAmiens+pBaldwin r°
l’offrande au Nouvel Empire », DE 9 (1987), 73 : « [Ma Majesté (J. J. Janssen, Grain Transport in the Ramesside Period, pl. 2-6),
lui a donné tous les prisonniers … ramenés grâce à ma vaillance] qui oscillent entre 100 et 232 sacs, peut-être en raison de la
lors de la première des victoires qu’il m’a accordée pour remplir son qualité de la terre. Les rendements standardisés qui figurent
pr-Sna, pour qu’ils deviennent des mrt et qu’ils fabriquent pour lui dans le papyrus Wilbour sont 5 XAr/aroure pour les terres
du lin royal, des étoffes pot, HDt, sXrw et wmt, pour qu’ils deviennent oAjjt, 7,5 XAr/aroure pour les terres tnj, et 10 XAr/aroure pour
jHwtjw et travaillent les aHwt afin qu’ils produisent les céréales pour les terres nxb.
remplir le grenier de l’offrande-divine ». 40. Cf. pTurin A v° 2 :2-9=A. H. Gardiner, Late Egyptian

8 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

de Sheshonq, de la XXIe dynastie, mentionne la comme le çiftlik (çift=« une paire » [de bœufs])45.
dotation de la statue de son père à Abydos avec Pourtant, d’autres jHwtjw pouvaient acquitter
un domaine de cent aroures pourvu d’un jHwtj, des quantités largement supérieures aux 200
quatre Hm « esclaves, serfs » et dix bœufs avec un sacs produits dans un domaine standard de 20
gardien du bétail41. Dix bœufs auraient permis de aroures, et ceci même dans plusieurs localités
former cinq attelages, chacun en charge d’une différentes. On a affaire ici probablement à de
parcelle de 20 aroures. Compte tenu que des vrais entrepreneurs agricoles qui assuraient des
documents tardifs, comme le papyrus Brooklyn rentes élevées au temple du fait qu’ils cultivaient
37.1647e, nous informent qu’un domaine de 2500 des surfaces considérables46. L’existence de tels
aroures était cultivé par des équipes formées par jHwtjw aisés, à distinguer de la masse des jHwtjw
un attelage de bœufs et un cultivateur, et que attachés aux institutions, serait confirmée par
chaque équipe était en charge de 20 aroures42, des documents où, afin de faire des affaires, ils
on peut déduire que 20 aroures (cinq hectares empruntent des céréales avec le compromis de
environ) étaient les dimensions standard des les restituer avec un intérêt de 50%, comme n’im-
exploitations confiées à une équipe formée par porte quel autre particulier47.
un attelage et un jHwtj43, qui constituaient donc D’autres indices pourraient conforter encore
la nature obligatoire du travail des jHwtjw, comme
une équipe d’araire en domaine institution-
le fait que des militaires âgés puissent être obligés
nel44. Ces dimensions correspondent bien aux
de devenir jHwtj48 – en revanche, des vétérans/
estimations de Halstead, qui a calculé que, dans
mutilés de l’armée étaient nominés pour effec-
les régions méditerranéennes, des animaux de
tuer des rituels dans les temples49, tandis que des
trait spécialisés n’étaient rentables que dans des
wabw et des Xrjw-Hb, provenant de l’armée (mnfAt)
unités de production de cinq hectares ou plus,
et pourvus de champs et de troupeaux, furent
Miscellanies, Bruxelles, 1937, p. 122 :8-123 :2 ; pLansing 6 :4- assignés par le roi aux temples (Urk. IV 2120:9-
7=A. H. Gardiner, ibid., 105 :1-7. 11) –, ou que des soldats emprisonnés soient
41. A. M. Blackman, « The stela of Shoshenk, Great Chief transformés en jHwtjw assignés à des dignitaires
of the Meshwesh », JEA 27 (1941), 83-95.
42. S. Vinson, « P. Brooklyn 37.1647E, D(1)/2. An early pour labourer la terre50. Dans d’autres cas, des
Ptolemaic agricultural account », dans F. Hoffmann, H.
J. Thissen (éd.), Res severa verum gaudium. Festschrift für Karl- 45. Cf. la bibliographie réunie dans J. C. Moreno García,
Theodor Zauzich zum 65. Geburtstag am 8. Juni 2004, Louvain, « Production alimentaire et idéologie : les limites de l’ico-
2004, p. 595-611, pl. 55. nographie pour l’étude des pratiques agricoles et alimen-
43. On remarquera, au passage, que dans certains cas taires des Égyptiens du IIIe millénaire avant J.-C. », Dialogues
les domaines accordés comme récompense par le roi à un d’histoire ancienne 29 (2003), 73-95, surtout p. 89sq. ; Idem,
dignitaire sont des multiples de 20, comme dans le cas des « Quelques observations sur l’emploi de l’araire en Égypte
champs de 200 aroures acquis par MTn de la IVe dynastie (Urk. ancienne », GRAFMA 9-10 (2008-9), 53-60.
I 2 :8 ; 4 :8), le champ de 203 accordé à jbj de la VIe dynastie 46. Cf. pLouvre 3171=A. H. Gardiner, JEA 27 (1941),
(Urk. I 145 :1-3), ou les 220 aroures octroyées à jmn-Htp de la 56-58.
XVIIIe dynastie (Urk. IV 1796 :19). 47. Cf. la tablette MMA 35.3.318, r°=J. Černy, R. A. Parker,
44. À propos du rapport étroit entre un attelage et le « An abnormal hieratic tablet », JEA 57 (1971), 127-131, pl.
jHwtj à sa charge, on peut évoquer les satires mais aussi les 35. À comparer, par exemple, avec le pLouvre E 9293=M.
textes administratifs, comme le pLouvre 7833 r° ligne 4=M. Malinine, Choix de textes juridiques en hiératique « anormal » et
Malinine, RdE 8 (1951), 142-150. Cf. un passage d’une sagesse en démotique, Paris, 1953, p. 20-24.
tardive : j.jr.k Dd tAjj.j sxt sHnt jw.k stb[H] pAjj.s jHwtj n pA grg n 48. Cf. pBologna 1094 v° 1:2-6=LEM, 11, 8-14.
pAjj.f bAk « c’est (uniquement) après avoir équipé son (=le 49. Cf. pTurin 1879 v° 1:16, 20=KRI IV 335-337 ;
champ) jHwtj avec des outils agricoles pour ses labours que tu W. Hovestreydt, « A letter to the king relating to the foun-
pourras dire “mon champ est prêt !” » (pBrooklyn 47.218.135, dation of a statue (P. Turin 1879 vso.) », LingAeg 5 (1997),
VI:10=R. Jasnow, A Late Period Hieratic Wisdom Text (P. Brooklyn 107-121.
47.218.135)(SAOC, 52), Chicago, 1992, p. 113). 50. Cf. pAnastasi VI 9-11=A. H. Gardiner, LEM, p. 73 ; R.

CRIPEL 26 (2006) 9
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

soldats collaboraient avec les activités des chefs les. En définitive, la culture directe des domaines
d’étable dans les villages51. Une stèle du règne aHt au moyen des jHwtjw dépendants du temple
d’Osorkon II trouvée dans l’enceinte du temple
de Chnoum à Éléphantine confirme que les n’était qu’une des modalités d’exploitation
jHwtjw appartenaient normalement aux secteurs du patrimoine foncier d’un sanctuaire et que
les plus bas de la société pharaonique : le chaos
cette modalité a connu sa période de gloire au
qui régnait dans le temple était tel que certains
jHwtjw n(w) Htp-nTr « jHwtjw des offrandes divines » Nouvel Empire. Le décret de Nauri souligne, par
étaient confondus avec les wabw (ligne 7) et la exemple, l’importance des corvées et du recrute-
restauration de l’ordre força la prise de mesures
énergiques, comme l’élimination des maisons ment des travailleurs corvéables mrt56, tandis que
qu’ils avaient construites vraisemblablement les baux de la Basse-Epoque révèlent le poids des
dans l’enceinte du sanctuaire et leur retour à leur contrats agraires, avec des particuliers assurant
fonction originale de jHwtjw: wn.f m jHwtj m Haw-
mr « il est (à nouveau) un jHwtj parmi les gens de l’exploitation des champs contre le versement
basse condition » (ligne 9)52. Peut-être l’indice le d’une rente désignée, peut-être de manière
plus éloquent de la nature forcée des activités des
significative, par le terme Hw aHwtj « le surplus
jHwtjw est le fait qu’ils étaient évalués en argent
et achetés et vendus, comme dans le cas du jHwtj du jHwtj »57.
du pLouvre E 3228c, vendu pour six deben d’ar-
56. Décret de Nauri, lignes 43-46=KRI I 50:1-5. Cf. aussi
gent53, celui de la stèle de Sheshonq évalué à un J. C. Moreno García, « La dépendance rurale en Égypte
deben et 4 1/3 kite54 ou celui encore du pRylands ancienne », JESHO 51 (2008), 99-151, et surtout 118-120.
V vendu comme esclave55. Ce type de transac- 57. À propos de ce terme, cf. G. R. Hughes, Saite Land-
Leases, p. 56-58, 110 ; M. Lichtheim, Demotic Ostraca from
tions confirme encore l’existence de plusieurs Medinet Habu, p. 33-35 ; S. V. Wångstedt, Ausgewählte demotis-
sphères de production différentes en domaine che Ostraka aus der Sammlung des Victoria-Museums zu Uppsala
institutionnel, comme l’exploitation directe des und der Staatlichen Papyrussammlung zu Berlin, Uppsala, 1954,
p. 130-134 [n° 43-44] ; P. W. Pestman, E. Boswinkel, Textes
terres au moyen de jHwtjw et de quotas de céréa- grecs, démotiques et bilingues (Papyrologica Lugduno-Batava,
les, le fermage des domaines à des particuliers 19), Leiden, 1978, p. 11(m) ; D. Devauchelle, Ostraca démo-
ou le recours aux corvées. Dans le premier cas, tiques du Musée du Louvre. Tome I : reçus (BdE, 92), Le Caire,
1983, p. 129-131 ; H. Felber, Ackerpachtverträge, p. 151-
le statut des jHwtjw était fort variable, depuis ceux 152 ; U. Kaplony-Heckel, ZÄS 128 (2001), 29 et n. 53, 31 ;
de condition modeste que l’on peut considérer T. Q. Mrsich, Rechtsgeschichtliches zur Ackerverpachtung auf
comme de vrais serfs jusqu’à ceux aisés agissant Tempelland nach demotischem Formular, Vienne, 2003, p. 28-29,
84-85 ; G. R. Hughes, Catalog of Demotic Texts in the Brooklyn
comme de véritables « entrepreneurs » agrico- Museum (OIC, 29), Chicago, 2005, p. 32-35 [n° 92-98]. D’après
Pestman, le « surplus du cultivateur » est ce qui subsiste de
A. Caminos, LEM, p. 280. la récolte déduction faite des impôts, des frais d’exploita-
51. Cf. pCaire 58054=KRI I 323-324. tion et de la redevance due au fermier lui-même ; ce surplus
52. S. Seidlmayer, MDAIK 38 (1982), 329-334, pl. 72 ; était versé par le locataire au propriétaire. D. Devauchelle a
K. Jansen-Winkeln, Inschriften der Spätzeit, vol. I, p. 120- attiré l’attention sur le fait que la formule Xn pA Hw aHwtj « sur
121[33]. le surplus du cultivateur » est parallèle à Xn pA Hw Htr « sur
53. M. Malinine, « Un jugement rendu à Thèbes sous la le surplus de l’impôt » ; il s’agirait du même phénomène
XXVe dynastie (Pap. Louvre E. 3228) », RdE 6 (1951), 157- apparemment et il estime que dans le dernier cas la terre
178, pl. 1-6. appartient non à un particulier, comme pour le Hw aHwtj,
54. A. M. Blackman, « The stela of Shoshenk, Great Chief mais à l’État, où le blé versé serait destiné au grenier royal.
of the Meshwesh », JEA 27 (1941), 85, 91 n. 82. On remarquera enfin que dans l’ostracon n° 95 de Brooklyn,
55. F. Ll. Griffith, Catalogue of the Demotic Papyri in the John publié par Hughes, la taxe-Smw « taxe sur la récolte » est asso-
Rylands Library, vol. 3, Manchester, 1909, p. 53-54. ciée au Hw aHwtj « le surplus du cultivateur ».

10 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

Les jHwtjw au service des particuliers fils de Senib, que l’on appelle le fils d’Hapou, un chef
d’armée de Tinis64. Il est loisible de penser que ces
Les jHwtjw figurent souvent dans les sources dénominations évoquent des relations de clien-
dans le rôle de subordonnés au service d’un télisme65 et qu’elles nous informent sur les châti-
dignitaire, comme dans le cas de Heqanakhte58, ments infligés aux personnes qui contrevenaient
du général ¤bkj (en compagnie de Hmwt « servan- les ordres du roi, contraintes de devenir des
tes »)59, dans le papyrus Brooklyn 35.144660, jHwtjw (cf. aussi KRI I 54:3-6 ; 58:10). Le verso du
dans les papyrus d’Ilahoun61, dans les tombes papyrus évoque un transfert du personnel effec-
de certains fonctionnaires d’Elkab62 ou dans le tué vraisemblablement par un vizir à son épouse.
papyrus Berlin 1046363. La transaction affecta 95 personnes, dont une
Le recto du papyrus Brooklyn 35.1446, de la grande partie étaient des asiatiques et 33 environ
XIIIe dynastie, contient une liste de 80 person- des Égyptiens. Chaque individu est désigné par
nes condamnées à des travaux forcés. Chacune une qualification (soit « asiatique » soit « serf du
est désignée par son nom, sa filiation, sa loca- roi ») plus son nom, surnom et occupation. Or,
lité d’origine ou le nom du fonctionnaire à sa les seuls jHwtjw mentionnés sont cinq égyptiens
charge et, parmi d’autres données, l’indication qui étaient Hm-nswt « serf du roi ».66 Ces passages
de sa nouvelle occupation au service de l’État. du verso sont remarquables en ce qu’ils confir-
Pour les cas où l’information est entièrement ment, d’une part, la nature technique du terme
préservée, on constate que cinq individus devin- jHwtj, utilisé pour désigner une occupation parti-
rent des jHwtjw et on exprime à deux reprises des culière exercée par ces Hmw-nswt et, d’autre part,
rapports de filiation fictifs entre eux et un digni- que des jHwtjw pouvaient travailler au service des
taire : Inhernakht fils de Sainher, que l’on appelle dignitaires.
le fils de Senbebou, un wab de Tinis ; Sobekhotep Dans la stèle du général ¤bkj des jHwtjw et
des Hmwt(-nswt) furent représentés ensemble, les
58. P. Heqanakhte V:12=T. G. H. James, The ¡eqanakhte premiers étant présentés collectivement comme
Papers and Other Early Middle Kingdom Documents, New York,
1962, pl. 10 ; J. P. Allen, The Heqanakht Papyri, New York, 2002, appartenant à sa dotation personnelle (n(j) Dt.f),
p. 111, 159. ce qui mérite d’être commenté. Dans la liste
59. W. Spiegelberg, Aegyptische Grabsteine und Denksteine de « esclaves » de la tombe de Bbj d’Elkab les
aus süddeutschen Sammlungen, Bd. II: München, Strasbourg,
1904, p. 8-10 [4], pl. 3 ; A. H. Gardiner, RT 19 (1897), 84- hommes sont désignés de manière collective par
85 ; S. Schoske (éd.), Staatliche Sammlung Ägyptischen Kunst, le terme mrt (la population corvéable) mais indi-
München, Mayence, 1995, p. 97 ; T. Hofmann, Zur sozialen viduellement par le terme Hm-nswt67. Or, dans une
Bedeutung zweier Begriffe für <Diener>: bAk und Hm (Aegyptiaca
Helvetica, 18), Bâle, 2005, p. 159-161, 302 [44]. autre représentation d’un groupe de mrt, chacun
60. P. Brooklyn 35.1446, r° lignes 1-2, 5-7 et v° lignes 4-5,
41-42, 72=W. C. Hayes, A Papyrus of the Late Middle Kingdom 64. P. Brooklyn 35.1446, r°, I, lignes 5-6=W. C. Hayes, A
in the Brooklyn Museum (Papyrus Brooklyn 35.1446), New York, Papyrus of the Late Middle Kingdom, pl. I.
1955, pl. I, VIII, X, XII. 65. L’emploi de termes de parenté pour exprimer des
61. Cf. pBerlin 10021, 12, où un jHwtj fait partie de liens de clientélisme est bien attesté dans d’autres sources
la phylé d’un conseiller de district (onbtj n w) : U. Luft, du Moyen Empire : D. Franke, « Sem-priest on duty », dans
Urkunden zur Chronologie der späten 12. Dynastie : Briefe aus S. Quirke (éd.), Discovering Egypt from the Neva. The Egyptological
Illahun, Vienne, 2006, p. 43-48, 140 pl. 10. Legacy of Oleg D. Berlev, Berlin, 2003, p. 74.
62. J. J. Tylor, Wall Drawings and Monuments of El Kab. The 66. P. Brooklyn 35.1446, v° lignes 4-5, 41-42, 72=W.
tomb of Renni, Londres, 1900, pl. 3-5, 14 ; Idem, Wall Drawings C. Hayes, A Papyrus of the Late Middle Kingdom, pl. VIII, X,
and Monuments of El Kab. The tomb of Paheri, Londres, 1895, XII.
pl. 5. 67. LD Text IV 54 ; O. Berlev, BiOr 30 (1973): 207-209 ;
63. R. A. Caminos, « Papyrus Berlin 10463 », JEA 49 T. Hofmann, Zur sozialen Bedeutung zweier Begriffe für <Diener>,
(1963), 29-37. p. 156-159, 301 [43].

CRIPEL 26 (2006) 11
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

fut représenté en train d’effectuer des activités jHwtjw de celles des corvéables saisonniers, bien
domestiques précisées au moyen d’un titre (nour- que parfois les mrt soient affectés aux domaines
rice, valet, etc.)68. Ces exemples montrent bien aHt, comme dans l’inscription de l’intendant du
les activités domestiques au service d’un digni- double gs-pr qui dirigéait des travailleurs-mrt
taire effectuées par des Hmw, qu’ils soient des doués (nHbw) de terres aHt « recensées quant à leurs
Égyptiens ou des étrangers : des Hm/Hmt furent contributions, taxées quant au grain, recensées quant à
souvent représentés avec la famille du défunt69, l’orge en tant que prélèvement annuel destiné au temple
parfois avec l’indication de leur origine étran- d’[Amon] » (Urk. IV 1379:15-21). Des textes de
gère, comme la Hmt pountite Satmesuit (?)70. En la XXIe dynastie évoquent un système de livrai-
revanche, quand de tels serfs/esclaves labouraient son de céréales dans la région du nome X de la
la terre, ils étaient désignés par le terme jHwtj, Haute-Égypte comparable à celui décrit par les
comme dans la tombe de Reneni d’Elkab, avec papyrus ramessides, mais avec la particularité de
des jHwtjw cultivant les champs tandis qu’un Hm et trouver des mrt (la lecture n’est pas sûre)73 soumis
une Hmt sont occupés à transporter des produits.71 au contrôle des scribes de certains temples en
Il est possible que la stèle du général ¤bkj, où il tant que producteurs du grain74.
fut représenté en compagnie des sa famille et Enfin, les terres affectées à la rétribution de
d’une procession de jHwtjw et de Hmwt « servan- la fonction de gouverneur exercée par ¡apj-DfA
tes », reproduise une situation analogue, avec de Siout étaient des exploitations aHt cultivées par
des travailleurs agricoles (jHwtjw) et des servantes des jHwtjw75, tandis que Heqanakhte avait à son
domestiques (Hmwt) à son service72. Ces exem- service trois individus désignés collectivement par
ples, exceptionnels, rappellent les conditions de l’expression jHwtjw.f « ses jHwtjw » et qui étaient
travail des jHwtjw des temples, où les prisonniers employés dans des activités agricoles telles la
de guerre étaient classés comme des mrt ou des culture de la terre et l’entretien des troupeaux
jHwtjw selon leur affectation soit aux centres de mais aussi dans des travaux de nature adminis-
transformation et à la culture des champs soit
trative et de gestion. En outre, la terminologie
à la production de quotas de céréales dans les
utilisée par Heqanakhte pour s’adresser à ces
exploitations aHt. Ces deux modalités de mise en
jHwtjw est celle habituelle entre un patron et ses
valeur des domaines des temples, selon que l’on
employés, comme dans le papyrus Berlin 10463,
utilise des mrt ou des jHwtjw, constitue un indice
où le maire de Thèbes ¤n-nfr, donna des ordres
précieux pour distinguer les formes de travail des
au jHwtj BAkj relatifs à l’administration de ses
68. CGC 20516=H. O. Lange, H. Schäfer, Grab- und biens (troupeaux, terres de labour) dans le nome
Denksteine des Mittleren Recihs, vol. II, Berlin, 1908, p. 108-111 ;
S. Allam, « Une classe ouvrière : les merit », dans B. Menu 73. Cf. une mention d’un Hrj mrt daté du début de
(éd.), La dépendance rurale dans l’Antiquité égyptienne et proche- la XIXe dynastie : pVienne 3924, ligne 5=M. S. El-Kholi,
orientale (BdE, 140), Le Caire, 2004, p. 137. Papyri und Ostraka aus der Ramessidenzeit mit Übersetzung und
69. Stèle City Art Museum St. Louis 1095:20=B. G. Davies, Kommentar (Monografie del Museo del Papiro, 5), Siracusa,
J. Toivari, SAK 24 (1997), 74. 2006, p. 58-62, pl. 7-7a.
70. T. Hofmann, Zur sozialen Bedeutung zweier Begriffe für 74. Cf. pBerlin 14384 r° lignes 5-7=H.-W. Fischer-Elfert,
<Diener>, p. 126-127. « Zwei Akten aus der Getreideverwaltung der XXI. Dynastie
71. J. J. Tylor, Wall Drawings and Monuments of El Kab. The (P. Berlin 14.384 und P. Berlin 23098) », dans H. Altenmüller,
Tomb of Renni, pl. 3-5 et 12 respectivement. R. Germer (éd.), Miscellanea Aegyptologica Wolfgang Helck zum
72. W. Spiegelberg, Aegyptische Grabsteine und Denksteine 75. Geburtstag, Hambourg, 1989, p. 39-65, pl. I-III.
aus süddeutschen Sammlungen, Bd. II: München, Strasbourg, 75. Siout 279-281 et 309-310=P. Montet, Kêmi 3 (1930),
1904, p. 8-10 [4], pl. 3 ; A. H. Gardiner, RT 19 (1897), 84- 56-57, 65. Dans un cas ces biens sont désignés précisément
85 ; S. Schoske (éd.), Staatliche Sammlung Ägyptischen Kunst, par le terme pr-Dt, qui désigne la dotation accordée par le
München, Mayence, 1995, p. 97. roi à ses dignitaires.

12 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

VII de la Haute-Égypte76 ; ou comme une inscrip- L’inscription de Mose de la XIXe dynastie cite un
tions dans la tombe du HAtj-a PA-Hrjj, où celui-ci rmT aA « grand homme » faisant partie du conseil
ordonne à des jHwtjw qu’ils chargent les bateaux d’un village mais qui était en fait un jHwtj78,
qui se trouvent au bord de la campagne-sxt (Urk. tandis qu’un autre figure comme témoin dans
IV 124:15-125:3) ; ou, enfin, comme le chef des le Papyrus des Adoptions79. Des jHwtjw possédaient
guerriers-thr, Ramessempirê, qui possédait un parfois des objets de prestige, inscrits (faucille
terrain de 50 aroures de terres khato (pWilbour funéraire rituelle, oushebtis, cônes funéraires)80,
B 17, 24), une autre parcelle (pWilbour A 91,20) tandis que le jHwtj ©Hwtj-msw était un membre
et un champ de donation Hnk donné au roi (pWil- de l’élite, fils d’un intendant du grenier, frère
bour 85,16) et qui, en même temps, était l’agent de deux prêtres et représenté dans la tombe
d’un scribe (pWilbour A 90,8), ce qui fait de lui décorée de son frère On81, une situation fami-
un individu appartenant à une certaine élite liale qui rappelle celle du jHwtj ¤bk-Htp, frère du
locale. Bref, l’emploi de jHwtjw dans les domaines prêtre-wab ¤-n-wsrt82. D’autres fois, quand ils sont
des potentats trahit une modalité d’exploitation recensés dans des listes de population, ils appa-
de la terre fondée sur la céréaliculture extensive raissent comme des spécialistes parmi d’autres,
et le recours à des animaux de trait, comme dans sans que rien ne trahisse a priori une condi-
le cas de l’agriculture institutionnelle pratiquée tion servile83. Enfin, bien que les jHwtjw soient
dans les temples. Bien que les sources soient censés livrer des quantités standard de 200 sacs
trop rares on peut supposer que les services de et cultiver des surfaces de 20 aroures, les textes
ces jHwtjw étaient accordés par l’État aux poten- administratifs du Nouvel Empire révèlent qu’ils
tats, comme l’attestent les cas d’Hâpidjéfa et du livraient parfois des quantités bien plus consi-
pBrooklyn 35.1446..
[102], pl. 25 [1].
78. Mose S:10-11=G. A. Gaballa, The Memphite Tomb-
La position sociale des jHwtjw Chapel of Mose, Warminster, 1977, p. 25, pl. 53.
79. Cf. pAdoptions v° 12-13=A. H. Gardiner, JEA 26
(1940), 23-29, pl. 5-7.
Les satires des métiers, certains textes adminis- 80. Cf., respectivement, T. G. H. James, Corpus of
tratifs et littéraires et une partie des inscriptions Hieroglyphic Inscriptions in the Brooklyn Museum, I , Brooklyn,
1974, p. 82 [190], pl. 8, 49 ; E. R. Ayrton, C. T. Currelly, A.
évoquées dans la section antérieure renvoient E. P. Weigall, Abydos, III (EEF 25), Londres, 1904, pl. 22 [3] ;
à une image accablante de la condition sociale N. de G. Davies, F. L. Macadam, A Corpus of Inscribed Egyptian
des jHwtjw, souvent très humbles, assimilables Funerary Cones, Oxford, 1957, #462.
81. TT 59 : PM I/12 120-121 ; S. S. Eichler, Die Verwaltung
aux Hmw-nzwt et contraints de travailler pour des „Hauses des Amun” in der 18. Dynastie (BSAK 7), Hambourg,
des dignitaires. Cependant, d’autres indices 2000, p. 328 [574].
indiquent l’existence de jHwtjw jouissant d’une 82. Cf. pBerlin 10021,4=U. Luft, Urkunden zur Chronologie
der späten 12. Dynastie, p. 43-48, 140, pl. 10.
position sociale élevée ou, au moins, relativement 83. Cf., p. e., pBM 10068 (J. J. Janssen, « A New Kingdom
prestigieuse. ¤Htp-jb-Ra, un dignitaire de la fin du settlement. The verso of Pap. BM. 10068 », AoF 19 (1992), 8-
Moyen Empire, portait parmi ses titres celui de 23), pAllemant A (W. Spiegelberg, « Des papyrus hiératiques
inédits du Louvre », RT 16 (1894), 69-72), pWilbour (S. L.
jHwtj AHwt pr-aA « jHwtj des champs du palais »77. D. Katary, « Cultivator, scribe, stablemaster, soldier : the Late-
Egyptian Miscellanies in light of P. Wilbour », The Ancient World
76. R. A. Caminos, « Papyrus Berlin 10463 », JEA 49 6 (1983), 71-93 ; Idem, « Labour on Smallholdings: O. BM
(1963): 29-37 ; E. Wente, Letters from Ancient Egypt, p. 92-93 5627 in Light of P. Wilbour », JSSEA 28 (2001), 111-23 ;
[118]. Idem, « Land-Tenure in the New Kingdom: The Role of the
77. Londres UC 14428=H. M. Stewart, Egyptian Stelae, Women Smallholders and the Military », dans A. K. Bowman,
Reliefs and Paintings from the Petrie Collection, Part Two: Archaic E. Rogan (éd.), Agriculture in Egypt from Pharaonic to Modern
Period to Second Intermediate Period, Warminster, 1979, p. 24 Times, London, 1999, p. 61-82, etc.

CRIPEL 26 (2006) 13
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

dérables, provenant même de plusieurs locali- Les terres aHt et les jHwtjw dans le papyrus
tés84, ou qu’ils cultivaient des domaines dont les Wilbour
dimensions excédaient largement les possibilités
d’une seule famille (comme les domaines « non- Ce document, daté du règne de Ramsès V,
apportioning » du papyrus Wilbour), ce qui fait constitue une des sources les plus importantes
pour la connaissance des terres aHt et des jHwtjw
de ces jHwtjw de véritables entrepreneurs agrico-
(pour une étude plus détaillée de ce papyrus,
les plutôt que de simples paysans ; ils jouissaient cf. la communication du Prof. Katary dans ce
sans doute d’une importance sociale certaine volume).
dans les localités qu’ils habitaient, comme dans Les informations contenues dans ce docu-
l’exemple cité de l’inscription de Mose. Enfin, ment sont classées en trois catégories principa-
d’autres jHwtjw pouvaient emprunter des quan- les : le texte B concerne exclusivement la gestion
tités importantes de céréales avec le compro- des terres xA-tA du roi, toujours taxées selon un
ratio de 5 sacs-XAr/aroure et qui appartiennent
mis de les retourner avec un intérêt de 50%,
toujours aussi à la catégorie oAjjt. Quant au texte
comme dans le cas de Peteerenuphis, du règne
A, il enregistre une liste de domaines localisés
de Taharqa, qui emprunta 30 sacs d’orge pour dans quatre sections de la Moyenne Égypte
en rendre 45 huit mois après, ce qui revient à la – entre le Fayoum et Minia, sur une distance de
production de 4,5 aroures85. À la lumière de ces 140 km –, dont 156 domaines sont « non-appor-
données, où la condition sociale des jHwtjw appa- tioning » (rmnjjt), 116 sont « apportioning »
raît variée, depuis le cultivateur très modeste au (rmnjjt pS) et 7 sont des domaines du Harem.
potentat en mesure de livrer des milliers de sacs Les domaines « non-apportioning » se caractéri-
sent par leur attachement à une institution (un
de céréales au fisc et de se procurer des objets
temple ou autre), par le fait que chacune de leurs
de luxe, il me semble que le terme a uniquement parcelles est introduite par la formule aHt m-Drt
un caractère « technique » (« celui qui s’occupe « champ-aHt sous le contrôle de … » et par le fait
des terres aHt »). Telle est l’impression qui se que ces parcelles sont exploitées et administrées
dégage des listes d’occupations, où le jHwtj est par une institution, avec des jHwtjw en charge
énuméré en compagnie d’autres travailleurs agri- de leur culture effective dans la plupart des cas.
coles spécialisés, comme le kAmj « jardinier », le Chaque parcelle est accompagnée de trois chif-
fres qui indiquent, respectivement, sa surface, le
kArj « jardinier, vigneron », le wADtj « chargé des
module de taxation appliqué et la production
légumes », le mnjw « berger » ou le jrj sA « chargé
livrée à l’institution. D’après cette brève descrip-
des étables »86. tion on constate que les champs-aHt du papyrus
84. Cf. pLouvre 3171=A. H. Gardiner, JEA 27 (1941), Wilbour étaient consacrés à la production de
56-58. quotas de céréales pour les institutions. La nature
85. Cf. la tablette MMA 35.3.318, r°=J. Černy, R. A. Parker, institutionnelle de ces parcelles est illustrée
« An abnormal hieratic tablet », JEA 57 (1971), 127-131, pl.
35. À comparer, par exemple, avec le pLouvre E 9293=M. également par le fait que les terres (mjnt, xA-tA)
Malinine, Choix de textes juridiques en hiératique « anormal » et attachées à la couronne, au Harem ou au trésor
en démotique, Paris, 1953, p. 20-24.
86. A. H. Gardiner, Ancient Egyptian Onomastica, Oxford, étaient constituées uniquement de domaines
1947, p. 96*-97*, pl. IX lignes 14-15. « non-apportioning ».

14 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

Le contraste est très marqué avec les domai- tution88, par la livraison de produits divers89, par
nes « apportioning » puisque ceux-ci apparte- le fait d’être bénéficiaires de distributions effec-
naient presque exclusivement à des temples tuées par les institutions90 ou, comme le suggère
et ils n’étaient pas cultivés directement par les Katary, par le fait d’être veuves de soldats91, (ce
institutions mais par des particuliers contraints qui conforterait davantage le poids des militaires
d’acquitter une rente assez modeste. L’analyse dans le document). Si l’on tient compte d’autres
statistique des 2110 entrées – sur un total de documents, comme le pBM 10054 v° pages 2-
2245 – ayant conservé la mention du métier des 4, où de nombreuses femmes habitaient des
titulaires des champs révèle la présence de 471 maisons à l’intérieur de l’enceinte d’un temple
Hrj jH « responsable de l’étable » (22,3%), 253 et recevaient des rations standardisées – comme
waw « soldat » (12%), 249 wab « prêtre-ouab » les artisans énumérés dans le même papyrus
(11,8%), 228 anx(t) n nwt « femme » (10,8%) et (deux menuisiers, un graveur, un potier)92 –,
204 jHwtj « cultivateur » (9,7%)87, ces cinq caté- je suis enclin à penser qu’elles effectuaient des
gories constituant 66,6% du total. En général, les tâches artisanales au service de l’institution, ou
occupations militaires représentent 21,4% tandis peut-être rituelles ; le fait que seulement deux sur
que celles en rapport avec la gestion des animaux
constituent 32,7%, y compris les Hrj jH. On ignore 88. Cf. des documents administratifs évoquant cette
le régime de culture des parcelles, les raisons activité : K. A. Kóthay, « Houses and households at Kahun :
bureaucratic and domestic aspects of social organization
pour lesquelles elles furent cédées à ces person- during the Middle Kingdom », dans H. Györy (éd.), « Le lotus
nes, mais leur faible taxation suggère une sorte qui sort de terre ». Mélanges offerts à Edith Varga, Budapest, 2001,
de rémunération. Si l’on tient compte en plus du p. 360-363. Pour des cas où des Hm(w)t étaient employées
aussi dans des travaux de tissage, cf. pLondres UC 32203=M.
poids considérable des fonctions militaires ou de Collier, S. Quirke, The UCL Lahun Papyri : Letters, Oxford,
responsable de l’étable (presque 44% du total), 2002, p. 115. Des tisseuses (mrt) d’Éléphantine du Moyen
on constate que ce document illustre des aspects Empire recevaient des paiements standard en céréales livrés,
semble-t-il d’après le document, par un HoA Hwt : C. von
déjà évoqués à propos de l’origine des jHwtjw, Pilgrim, Elephantine XVIII. Untersuchungen in der Stadt des
comme l’affectation des militaires à la culture Mittleren Reiches und der Zweiten Zwischenzeit (AVDAIK, 91),
des terres des temples. Quant aux femmes, leur Mainz am Rhein, 1996, p. 285-302, pl. 40-41. Pour des servan-
tes dépendant des dignitaires mais produisant des étoffes
présence pourrait s’expliquer par des activités pour le palais, cf. KRI I 269:7, 9. Quant à la livraison de quotas
telles que la production d’étoffes pour une insti- d’étoffes produites dans des unités domestiques, cf. Gurob
Papyri, Fragment Y (=A. H. Gardiner, Ramesside Administrative
Documents, p. 24-26), pUC 32094 (=M. Collier, S. Quirke,
The UCL Lahun Papyri : Accounts, Oxford, 2006, p. 144-145),
pBrooklyn 35.1453A-B (V. Condon, « Two account papyri of
the late Eighteenth Dynasty (Brooklyn 35.1453 A and B) »,
RdE 35 (1984), 57-82).
89. Cf. pLeiden I 350 v° II:7, 27=J. J. Janssen, Two Ancient
Egyptian Ship’s Logs. Papyrus Leiden I 350 verso and Papyrus
Turin 2008+2016, Leiden, 1961, p. 1-52.
90. Cf. les livraisons de biens divers à des anxt n nwt, rwDw,
Hrj jH et waw (les mêmes catégories principales de détenteurs
de terres dans le pWilbour) dans le pCambridge University
Library MS. Add. 4167=F. Hagen, « A Ramesside administra-
tive document (P. Cambridge University Library MS. Add.
4167) », ZÄS 135 (2008), 30-39.
91. S. L. D. Katary, « Land-tenure in the New Kingdom :
the role of women smallholders and the military », dans A.
87. S. L. D. Katary, Land Tenure in the Ramesside Period, K. Bowman, E. Rogan (éd.), Agriculture in Egypt, p. 61-82 .
p. 71-72. 92. T. E. Peet, The Great Tomb-Robberies, p. 64-66, pl. 7-8.

CRIPEL 26 (2006) 15
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

vingt-deux soient évoquées en tant qu’épouses, concentration des parcelles et des exploitants
suggère qu’elles étaient obligées de gagner leur autour des centres habités, à la différence des
vie employées par l’institution. domaines « non-apportioning », où les référen-
Bien que certains textes indiquent que ces géographiques sont plus vagues, sans doute
chaque jHwtj était chargé de cultiver un terrain en raison de leurs dimensions assez larges et de
de 20 aroures et de livrer un quota de 200 XAr, les leur localisation présumée dans un environne-
données des domaines « non-apportioning » indi- ment plus campagnard. Une autre caractéristique
quent une situation plus nuancée, où l’ensemble à retenir d’Hardaï, localité située à la limite des
des parcelles en charge d’un seul jHwtj excédait sections III et IV, est que la plupart des domaines
fréquemment les 20 aroures « canoniques ». En « apportioning » se concentre, précisément, dans
fait, on trouve des tranches de surfaces, au-dessus ces deux sections, les mêmes où de nombreux
de 20 aroures, qui présentent une homogénéité domaines « non-apportioning » étaient cultivés
relative, avec des exemples oscillant autour de 60- par des prophètes, des militaires ou des fonction-
80 aroures (cf., par exemple, les domaines §§ 39, naires mais non par des jHwtjw.
46, 47, 51, 60, 209 et 256, avec des surfaces de 70, L’impression qu’on dégage de ces considé-
60, 70, 75, 60, 60 et 80 aroures respectivement), rations est que la localité de Hardaï était un
autour de 170-190 aroures (cf., par exemple, §§ centre administratif important, contrôlant des
13, 16, 77, 168 et 201 avec 172+x, 178, 188, 171 domaines éparpillés dans une aire géographi-
et 197 aroures) et entre 205-210 aroures (cf., par que assez vaste qui dépassait largement le cadre
exemple, §§ 13 et 45, avec 207 et 205 aroures local, voire provincial. Cette situation n’est pas
respectivement). Ces dimensions excèdent large- exceptionnelle en Égypte ancienne, comme le
ment les possibilités de culture directe de la terre prouvent les exemples de fonctionnaires d’une
par un seul paysan et sa famille, même dans des province intervenant dans les affaires d’une
cas où un domaine était cultivé par plusieurs
autre93. En outre, au fur et à mesure que l’on
cultivateurs, comme dans le domaine § 13, où
s’éloigne de Hardaï on trouve moins de domai-
deux jHwtjw cultivaient, respectivement, 172+x
nes « apportioning » soumis à son contrôle et
et 207 aroures. Cette situation révèle donc l’im-
plus de domaines « non-apportioning » cultivés
portance et le poids locaux de certains jHwtjw
par des jHwtjw. Bref, on constate une plus forte
et contraste avec les domaines « apportioning »
densité de domaines cultivés par des militaires,
regroupant un nombre très élevé d’exploitants
fonctionnaires, etc., dans les alentours de Hardaï
dotés de parcelles bien plus modestes.
tandis que, plus loin, des jHwtjw locaux assuraient
De nombreux domaines « apportioning »
l’exploitation de domaines de dimensions nota-
étaient entre les mains d’un nombre considérable
bles. Ces jHwtjw assumaient vraisemblablement
d’exploitants dépendant administrativement de
la localité de Hardaï, même quand ils habitaient dans les campagnes les fonctions de gestion et
loin de cette ville. En effet, ils sont mentionnés 93. Tel est le cas, par exemple, de ¤Abnj d’Assouan, qui
dans les sections géographiques II (§§ 54, 59, 68 inhuma un intendant de prophètes d’Elkab (Urk. I 140: 4-
et 84), III (§§ 118, 123, 134, 145 et 150) et IV (§§ 8), ou une lettre de la VIe dynastie provenant d’Éléphantine
qui décrit l’exploitation de certains champs situés dans le
211, 218, 228, 236 et 241) du papyrus. Les repères nome III (pTurin CG 54002 : A. Roccati, « Una lettera inedita
géographiques qui signalent la distribution des dell’Antico Regno », JEA 54 (1968), 14-22), ou le papyrus
parcelles dans ces domaines mentionnent des Valençay I, où un HAtj-a d’Éléphantine était chargé de culti-
ver des terres situées dans les alentours de Kom Ombo et
maisons, des tombes, des bassins ou les alen- d’Edfou (A. H. Gardiner, « A protest against unjustified tax-
tours des villages, ce qui suggère une certaine demands », RdE 6 (1950), 115-133).

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LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

de contrôle administratif assurées d’habitude les, artisanales, pastorales ou de pêche sont bien
par des dignitaires dans les domaines proches plus nombreuses et constituent la grande majo-
des centres urbains. Grosso modo et en simplifiant rité des occupations attestées. Par conséquent, les
considérablement, on constate une géographie domaines « apportioning » du papyrus Wilbour
rurale où les centres urbains étaient entourés de concernent uniquement certaines catégories de
petits domaines confiés à des serviteurs de l’État la population provinciale, entretenant des rela-
habitant soit dans ces localités soit dans des villa- tions étroites avec les temples et rémunérées
ges tout proches, tandis que dans les zones plus ou récompensées avec des terres. Que certains
éloignées les domaines étaient exploités par des jHwtjw entrent aussi dans ces catégories sociales, à
jHwtjw de position aisée, plus enracinés proba- côté des prêtres, des administrateurs ou des mili-
blement dans la société rurale où ils intégraient taires, constitue une autre preuve de l’existence
peut-être aussi ses secteurs les plus aisés.94 de jHwtjw assez riches pour assurer la culture de
L’étude de la sociologie occupationnelle de tracts importants des terres des institutions, pour
la myriade de tenanciers cultivant les domaines livrer des quotas considérables de céréales et
« apportioning » apporte également des éclaircis- pour posséder, en autre, des champs des temples
sements sur l’importance sociale des jHwtjw. Les (n’appartenant pas à la catégorie aHt) dans les
activités en rapport avec l’armée jouaient un rôle mêmes conditions que leurs voisins militaires,
remarquable, puisque les militaires constituaient prêtres ou autres.
21,4% du total des tenanciers tandis que les Hrjw Mais si la plupart des 156 domaines « non-
jH « responsables de l’étable » représentaient apportioning » étaient cultivés par des jHwtjw,
22,3%. Il est évident que le poids de ces catégo- ceux-ci ne représentent en revanche que 9,7%
des bénéficiaires de terres dans les 116 domaines
ries sociales n’est pas représentatif de la popula-
« apportioning » du papyrus Wilbour. On trouve
tion habitant en province. Si l’on compare ces
encore beaucoup moins de jHwtjw dans des docu-
données du papyrus Wilbour avec le papyrus BM
ments contemporains ou légèrement postérieurs,
10068, un recensement d’une localité habitée par
comme le pLouvre AF 6345+Fragments Griffith
du personnel spécialisé au service des temples,
(quatre individus), le pBerlin 23252 (deux
on constate que sur les 155 maisons évoquées il
personnes) ou le pPrachov (deux cas), tandis
n’y a pas de trace de militaires ou de anx(t) n nwt
que les prêtres, les soldats ou d’autres catégo-
« femmes » ; même la présence de jHwtjw (six)
ries occupationnelles sont fort abondantes. Bref,
et de Hrjw jH « responsables de l’étable » (six) uniquement une partie des jHwtjw était assez
reste modeste. En revanche, les activités rituel- riche ou avait les contacts précis pour accéder
94. Le recours à l’archéologie s’avère indispensable aux rémunérations accordées par les temples,
afin de détecter de tels secteurs aisés à partir de la culture et leur pourcentage diminua avec le temps. On
matérielle des nécropoles. Cf., par exemple, l’intelligente remarquera au passage que les informations du
combinaison des vestiges archéologiques avec les données du
papyrus Wilbour dans K. Wada, « Provincial society and ceme- papyrus Wilbour nuancent considérablement
tery organization in the New Kingdom », SAK 36 (2007), 347- celles du papyrus Harris I, en ce qu’elles révèlent
389. Cf. aussi K. M. Cooney, The Cost of Death. The Social and que quelques années seulement après le règne de
Economic Values of Ancient Egyptian Funerary Art in the Ramesside
Period (Egyptologische Uitgaven, 22), Leiden, 2007 et, du Ramsès III et ses donations massives aux temples,
même auteur, « An informal workshop : Textual evidence for l’État contrôlait encore de nombreuses terres
private funerary art production in the Ramesside Period », (une partie des domaines « non-apportioning »
dans A. Dorn, T. Hofmann (éd.), Living and Writing in Deir
el-Medine. Socio-historical Embodiment of Deir el-Medine Texts du texte A et des terres xA-tA du texte B) et qu’il
(Ægyptiaca Helvetica, 19), Bâle, 2006, p. 43-55. avait transféré aux sanctuaires le fard financier

CRIPEL 26 (2006) 17
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

d’entretenir au moins une partie des effectifs tion précieuse est que treize unités avaient été
militaires du pays. fondées par le roi, tout comme les domaines
visités par les premiers bateaux de la section
L’apport du papyrus Amiens+Baldwin « A », récemment fondés aussi par le souverain
d’après la récapitulation finale (pAmiens r° V).
Le papyrus ramesside Amiens+Baldwin En revanche, les livraisons de céréales au person-
présente de nombreux parallèles avec le papyrus nel des bateaux avaient lieu presque toujours
Wilbour, bien qu’il concerne une région située dans des Dnw « aire (de battage) »97. Enfin, les
plus au sud, autour des nomes IX-X de la Haute- responsables de la production étaient, par ordre
Égypte95. On trouve ici à nouveau des particu- croissant d’attestations, des jHwtjw, rwDw, Smsw,
liers cultivant les parcelles des sanctuaires ou sS et des prêtres (Hm-nTr, wab). Un autre aspect
des institutions contre le versement d’une rente remarquable dans cette section du document est
modeste, alors que d’autres domaines livraient l’existence de plusieurs rubriques qui précisent
des quotas considérables de céréales considéra- que le grain fut apporté par des gens « à cause de
bles96. Afin de faciliter la discussion, je classerai leurs crimes » (cf. la note 33 ci-dessus).
les informations contenues dans ce document en Les informations de la section « B » sont
deux sections que j’appellerai « A » (pAmiens r° très différentes, d’abord parce que les quantités
I,1-v° I,6+pBaldwin r° I,1-V,6) et « B » (pAmiens livrées sont bien plus réduites (parfois à peine
v° II,1-IV,10+pBaldwin r° II,1-IV,11, à l’exception un sac, avec des indications fréquentes de frac-
de la col. III) respectivement tions), ensuite parce que les unités de production
La section « A » indique des quantités de n’étaient plus des îles (jw, jw n mAwt) mais des
céréales livrées dans des sites divers et qui sont terres aHt et des domaines rmnjjt et, enfin, parce
bien plus importantes que dans la section B, d’où que les livraisons étaient effectuées dans des rives.
l’emploi d’une flotte nombreuse de bateaux À retenir également que les zones visitées par
pour les transporter. On remarquera au passage les bateaux, vers la fin du document, semblent
que les capacités de charge des navires étaient en plus urbanisées à en juger les toponymes. Une
moyenne assez similaires dans les deux cas (2271 autre différence est que, malgré la fréquence
sacs environ pour 21 navires dans le texte « A » des exploitations aHt, leurs responsables étaient
et 103+x et 108 ¾ pour deux bateaux dans la rarement des jHwtjw, alors que des scribes (sS),
col. II du verso, mais 110 sacs pour deux bateaux quelques rwDw et quelques prophètes (Hm-nTr)
dans la col. IV du verso aussi). Quant à la topo- et anxt nwt (dames) sont cités. Les quantités de
nymie, la plupart des unités de production de céréales livrées permettent de constater qu’un
la section « A » sont désignées par le terme jw jHwtj acquittait en moyenne 1¼ sacs, la moitié
« île », parfois (jw n) mAwt « (île) nouvelle » et qu’un rwDw et dix fois moins qu’un prophète
plus rarement mrjjt « rive ». D’après les indica- (Hm-nTr). Cet emploi de multiples de 5 (un Hm-
tions du pAmiens r° V,1-11, ces unités étaient nTr acquittait cinq fois plus de céréales qu’un
regroupées en rmnjjt « domaines ». Une indica- rwDw et dix fois plus qu’un jHwtj) rappelle les
chiffres du pWilbour et suggère que les respon-
95. On remarquera que des exploitations similaires sont
attestées aussi à Eléphantine à la fin de la période rames- 97. On remarquera que les sources de l’Egypte médiévale
side Cf. pBerlin 23217[A]=G. Burkard, H.-W. Fischer-Elfert, indiquent que le baydar ou « aire (de battage) » était l’endroit
Ägyptische Handschriften, IV, Stuttgart, 1994, p. 99 [144]. où l’on acquittait traditionnellement certaines taxes : T. Sato,
96. J. J. Janssen, Grain Transport in the Ramesside Period, State and Rural Society in Medieval Islam. Sultans, Muqta’s and
passim. Fellahun, Leiden-New York-Köln, 1997, p. 242.

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LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

sables administraient des unités standardisées de niers. On aurait donc affaire à une géogra-
production ou, ce qui revient à la même idée, phie productive visant à la valorisation agricole
que ces unités n’étaient pas de propriétés privées d’une zone au moyen de la fondation d’unités
mais des biens institutionnels cédés à des parti- de production constituées de domaines-rmnjjt et
culiers. La comparaison avec le papyrus Wilbour d’aires-Dnw, labourées par des jHwtjw, des rwDw
s’avère ici fructueuse, puisque les domaines et parfois par des personnes ayant commis des
cultivés par des particuliers dans ce document délites, et qui livraient des quotas considérables
(les domaines « apportioning ») ne sont pas de céréales. D’autre part, on trouve des exploita-
désignés par le terme aHt, celui-ci étant réservé tions-aHt accordées à des jHwtjw et à des scribes, des
aux parcelles appartenant aux domaines (« non- prêtres et, en général, des personnes au service
apportioning ») qui devaient livrer des quotas probablement des temples en tant que cultiva-
de céréales aux institutions. Par conséquent, teurs, fonctionnaires, tisserands ou tanneurs (cf.
que les parcelles labourées par des particuliers les attestations fréquentes de Tbw « fabricants de
dans le pBaldwin+pAmiens soient du type aHt et sandales »). Il est possible que ces exploitations-
qu’elles constituent des unités standardisées de aHt soient en fait des rétributions, grevées de taxes
production met en évidence, une fois de plus, la réduites et dont les bénéficiaires pouvaient, par
nature fiscale de ces terres. Les similitudes avec la suite, les louer, les transmettre à des tiers, etc.,
le papyrus Wilbour suggèrent que les domaines comme le révèlent les baux tardifs. Les papyrus
« apportioning » relèvent de la même nature, Louvre 7845A (ligne 9), 7833 (ligne 13-14, 15-16)
bien qu’ils ne soient pas désignés par le terme et 7837 (ligne 7), par exemple, sont des contrats
aHt. qui indiquent que des prêtres louaient les terres
Bref, l’étude comparée des sections A et B du des temples à des individus tenus responsables de
pBaldwin+pAmiens révèle deux modèles d’ex- tout dommage provoqué par le jHwtj, c’est-à-dire,
ploitation. D’une part, des domaines voués à la la personne qui s’occupait de la culture effective
production de céréales et dont la plupart de la de l’exploitation99. Dans le cas de la section « A »
production était vraisemblablement acquittée du pBaldwin+pAmiens, j’estime que les jHwtjw
à l’administration. Dans de nombreux cas ces étaient chargés de l’exploitation de terres insti-
domaines avaient été récemment fondés par le tutionnelles, tandis que dans la section « B » ils
Pharaon dans des terres désignées par le terme figurent souvent comme des bénéficiaires de
« îles »98, et ils étaient labourés par des prison- parcelles de terre, une situation analogue à celle
98. À propos de ces îles, formées par l’accumulation de du papyrus Wilbour, où les jHwtjw étaient surtout
sédiments, dont les dimensions ou même l’existence fluc- les cultivateurs des domaines « non-apportio-
tuaient dans le temps au gré des variations de la crue, cf. ning » et, dans une moindre mesure, les bénéfi-
des exemples contemporains de leur formation dans le lac
Nasser : N. S. Embabi, The Geomorphology of Egypt. Landforms ciaires de domaines « apportionning ». Enfin, les
and Evolution. Vol. 1 : The Nile Valley and the Western Desert, situations étaient fort diverses parmi ces jHwtjw,
Le Caire, 2004, p. 65-67. Le papyrus Harris I évoque la créa- comme dans le cas du jHwtj du pBaldwin v° II,4,
tion de domaines dans de telles îles : « J’ai créé pour toi des
(domaines) xA-tA dans les terres neuves (mAwt), (produisant) de l’orge qui acquitta 5 sacs de céréales, c’est-à-dire quatre
shéret pure ; j’ai doublé leurs champs (AHwt) qui avaient été laissés
en friche (fkAw), afin d’accroître les offrandes divines en quantité l’éternité » (P. Grandet, Le papyrus Harris I, vol. I, p. 261, lignes
innombrable, en faveur de ton grand nom auguste et bien-aimé. J’ai 27:12 à 28:1).
fait pour toi de nombreux champs (AHwt) dans les îles neuves (jww 99. Cf., respectivement, K. Donker van Heel, Abnormal
mAwt), dans le(s) partie(s) Nord et sud (du pays), par dizaines de Hieratic and Early Demotic Texts Collected by the Theban Choachytes
milliers ; des stèles inscrites à ton nom ont été faites à leur intention, in the Reign of Amasis : Papyrus from the Eisenlohr Lot, Leiden,
établies en ta faveur pour (en) porter les décrets (de donation) pour 1996, p. 107sq., 200 sq. et 210sq.

CRIPEL 26 (2006) 19
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

fois la quantité standard propre à un jHwtj. Il est du nome X de la Haute-Égypte au début du


loisible de penser qu’il avait reçu quatre fois plus Ier millénaire.
de terres que ses collègues et qu’il jouissait d’une
position plus aisée. Un exercice de quantification : les jHwtjw
à la lumière du papyrus Harris I et de l’os-
tracon Gardiner 86
Le papyrus Reinhardt
Quelques données du papyrus Harris I et
Ce document administratif confirme la conti- de l’ostracon Gardiner 86 invitent à proposer
nuité, au début du Ier millénaire, du modèle de des considérations d’ordre quantitatif sur le
gestion des terres institutionnelles en vigueur nombre des jHwtjw et leur poids dans l’écono-
au Nouvel Empire100. On y trouve, en effet, des mie de l’Égypte. Un passage du papyrus Harris I
jHwtjw acquittant des sacs de céréales (cf., par indique en effet « biens (xt) (provenant) des impôts
exemple, col. VII: 24-25, 26, 29), des domaines (SAjjt) et des contributions sur la production (bAkw)
regroupant des parcelles aHt, des soldats installés de tous les serfs (rmT-smdt) de [liste des institutions]
dans des terres institutionnelles (cf. col. IX), des que le roi Ousermaâtrê Mérymen, v.s.f., le dieu grand,
exploitations agricoles fondées à nouveau par le a donnés (i. e. les biens) à leurs trésors, réserves et
roi (cf. col. VIII) et même le modèle de petits greniers pour être leur allocation (Htr) annuelle »
tenanciers cultivant des parcelles dont l’étendue (ligne 12a, 5), suivi d’une précision relative à
est inférieure à celle des terres exploitées par des l’apport des jHwtjw (ligne 12b, 3) : « grain mesuré
jHwtjw101. Il existe pourtant un élément nouveau en (quadruple-)héqat, représentant la contribution de
dans ce document, susceptible de contribuer à la production des jHwtjw : 309,950 sacs ». D’autres
mieux définir la fonction des domaines aHt. Il rubriques indiquent la contribution des jHwtjw
s’agit de la distinction entre les parcelles aHt et aux temples d’Héliopolis (ligne 32b, 6 : 77,100
les parcelles aHt-bH « parcelles aHt-de-corvée »102. sacs), Memphis (ligne 51b, 11 : 37,400) et aux
Probablement elle renvoie à deux modalités diffé- petits sanctuaires (ligne 62a, 11 : 73,250), soit
rentes d’exploitation de la terre, où les corvées 497,700 sacs au total. Mais, quel pourcentage de
bH n’étaient pas considérées caractéristiques des la contribution totale des jHwtjw du pays repré-
domaines aHt (d’où l’addition du qualificatif bH). sentent ces chiffres ? On ne peut pas le détermi-
La caractéristique essentielle de ces derniers était ner, mais il pourrait s’agir de la taxe de 10% sur
le fait de livrer des quotas de céréales et d’être la récolte que l’État percevait des particuliers et
labourées par un personnel (les jHwtjw) attaché des institutions103. Si tel étais le cas, les 497,700
en permanence aux champs qu’ils cultivaient. sacs correspondraient à une production de cinq
Enfin, la pReinhardt complète les données du
pAmiens+pBaldwin puisqu’il révèle la continuité 103. Cf., par exemple, J. P. Allen, The Heqanakht Papyri,
p. 165 ; K. Donker van Heel, « Kushite abnormal hieratic
des exploitations aHt des temples dans la région land leases », dans Ch. J. Eyre (éd.), Proceedings of the Seventh
International Congress of Egyptologists (OLA, 82), Louvain, 1998,
100. S. P. Vleeming, Papyrus Reinhardt. An Egyptian Land p. 341 n. 10 ; Idem, « Papyrus Louvre E 7856 verso and recto :
List from the Tenth Century B.C. (Hieratische Papyri aus den leasing land in the reign of Taharka », RdE 49 (1998), 98 §
Staatlichen Museen zu Berlin, 2), Berlin, 1993. VII ; Idem, «Papyrus Louvre E 7851 recto and verso : two
101. S. P. Vleeming, Papyrus Reinhardt, p. 72. more land leases from the reign of Taharka », RdE 50 (1999),
102. Ch. Eyre a émis des doutes quant à l’interprétation 142 § VI. Cf. aussi la note 56 ci-dessus à propos du rappro-
du terme bH comme « corvée », mais on voit mal comment chement entre les formules Xn pA Hw aHwtj « sur le surplus du
interpréter autrement ce terme dans les contextes où il appa- cultivateur », Xn pA Hw Htr « sur le surplus de l’impôt », ou le
raît : Ch. Eyre dans B. Menu (éd.), La dépendance rurale dans fait que la taxe-Smw « taxe sur la récolte » soit associée au Hw
l’Antiquité égyptienne et proche-orientale, p. 181. aHwtj « le surplus du cultivateur » dans certains documents.

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LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

millions de sacs environ, ce qui revient à 25,000 non institutionnel), on aurait 2000 titulaires de
exploitations aHt de 20 aroures chacune, cultivées cette fonction dans cette aire géographique, ce
par 25,000 jHwtjw. qui semble plausible à la lumière de mon estima-
D’autres calculs nous permettent d’arriver à tion antérieure de 6,100 jHwtjw environ pour le
des chiffres similaires. L’ostracon Gardiner 86 Domaine d’Amon en Haute-Égypte. Ces chiffres
nous informe que 8760 jHwtjw cultivaient les ne doivent être pris que comme une tentative
terres du domaine d’Amon dans le Delta. À cette d’approche quantitative, mais il me semble signi-
époque, la surface cultivable de l’Égypte était ficatif que les deux calculs suggérés coïncident
22,500 km² environ,104 dont 40% en Haute-Égypte dans l’estimation de 25,000 jHwtjw travaillant
et 57,7% dans le Delta, le reste au Fayoum. Si la pour les temples en Égypte. J’insiste sur le carac-
proportion des jHwtjw du domaine d’Amon dans tère purement spéculatif de ces chiffres, dont le
le Nord était transposable en Haute-Égypte, on propos est de suggérer de manière très approxi-
aurait ici 6,100 jHwtjw environ, soit 15,000 pour mative le nombre de jHwtjw dans le pays.
le seul domaine d’Amon en Égypte. D’autre Une question qui frappe à la lumière de ces
part, le pHarris I révèle que les temples thébains données est le faible nombre des jHwtjw au service
reçurent 309,950 sacs d’un total de 497,700, soit des sanctuaires dans le pays. Si chaque jHwtj culti-
62,27%. Ce chiffre correspond probablement vait 20 aroures, 25,000 jHwtjw auraient assuré
au poids des temples thébains dans l’ensemble l’exploitation de 500,000 aroures environ, alors
du pays : d’autres passages du même document que seulement les donations de Ramsès III aux
indiquent les quantités extraordinaires de grain temples du pays supposaient 1.071.780 aroures
délivrées aux sanctuaires (lignes 16b, 13 ; 34b, 6 ; (sans compter leur patrimoine antérieur). La
53b, 12 à 54a, 1 ; 66a, 1-4), où ceux de la région même impression de rareté relative des jHwtjw
thébaine bénéficièrent de 56,5% des sommes dans l’économie des temples découle du papyrus
versées. Comme le pWilbour indique que les Reinhardt et des autres documents de la fin du
temples thébaines étaient plus ou moins contrô- IIe millénaire, où certaines catégories de popula-
lés par le grand temple d’Amon à Karnak, on tion semblent cultiver bien davantage des terres
peut estimer donc que cette institution contrôlait des sanctuaires que les jHwtjw. Cependant, cette
60% environ des livraisons des jHwtjw et que le faiblesse relative est déjà présente dès les premiers
nombre total de ces cultivateurs en Égypte pour- témoignages sur l’existence d’exploitations aHt.
rait osciller autour de 25,000. On remarquera à Dans l’inscription de MTn par exemple, du début
ce propos que les domaines « apportioning » du de la IVe dynastie, elles occupent une place nette-
pWilbour ne mentionnent que 204 jHwtjw, 9,7% à ment moins importante que les installations Hwt
peine des personnes évoquées dans un document ou Hwt-aAt. Par conséquent on peut inférer que
qui enregistre 10% environ des terres cultivables l’importance des terres aHt et des jHwtjw, surtout
de la Moyenne Égypte. Si le pourcentage des au Nouvel Empire, est plus qualitative que quan-
jHwtjw dans le 90% restant était le même (ce qui titative et qu’elle est à mettre en rapport avec les
semble assez improbable du fait qu’une partie modalités d’extraction de surplus de l’élite et des
de l’agriculture était pratiquée dans un cadre institutions pendant cette période. Le fait que les
jHwtjw soient souvent évoqués en rapport avec
104. K. W. Butzer, Early Hydraulic Civilization in Egypt : A des araires suggère une modalité d’exploitation
Study in Cultural Ecology, Chicago, 1976, p. 83. Pour un chiffre de la terre fondée sur la céréaliculture extensive,
comparable, cf. les 9 millions d’aroures de terres cultivables
en Égypte indiquées dans Edfou VI, 199-201=E. Chassinat, Le pratiquée dans des exploitations standardisées
temple d’Edfou, vol. VI, Le Caire, 1931, p. 199-201. et soumises à une hiérarchie administrative

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JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

stricte (scribes, rwDw, etc.), mais qui ne consti- La fin des jHwtjw
tuaient qu’une partie des champs des temples.
Les sources concernant les jHwtjw et les terres
Rappelons une fois de plus que les formes de aHt deviennent de plus en plus rares au cours du
travail des terres des temples évoquées dans le Ier millénaire, après la fin Nouvel Empire. En
décret de Nauri ne mentionnent pas les jHwtjw réalité, c’est uniquement à cette période que les
alors qu’elles évoquent plusieurs types de corvées textes administratives et littéraires les évoquent
(y compris le recrutement de corvéables mrt)105. avec profusion. Des formules rhétoriques tardi-
Par conséquent, il est loisible de penser que le ves les évoquent encore, comme un passage de
nombre des jHwtjw au service d’une institution la stèle triomphale de Piyi (H(A)o rmT.s mnmn(t).
indique le seuil technique et de rentabilité de s aHajw.s Hrj-tp jtr(w) m rdt pr jHwtjw r sxt m rdt skA
l’emploi d’équipes d’araires institutionnels : au- skAw « capturez ses gens, son bétail, ses navires
delà de ce nombre, le coût de maintien de la sur le fleuve ! Empêchez les jHwtjw d’aller à la
main d’œuvre et des animaux de trait devient campagne ! Empêchez les laboureurs de labou-
excessif et d’autres formes de travail sont préféra- rer »)106 ou comme un passage des annales du
prince Osorkon, où la dotation d’un sanctuaire
bles, comme les corvéables ou les contrats agrai-
comprend du personnel (rmT), du bétail (mnmnt)
res, notamment parce que l’institution évitait
et des exploitations aHt107. D’autres documents,
ainsi l’entretien permanent des travailleurs tout
comme le papyrus Reinhardt, révèlent que les
en adaptant ses demandes de main d’œuvre aux sanctuaires du début du Ier millénaire possédaient
besoins du moment. Quant à l’essor des jHwtjw toujours des exploitations aHt et des jHwtjw108, mais
au Nouvel Empire, il est probablement à mettre les références diminuent dans les documents
en rapport avec l’existence de prisonniers de similaires contemporains ou légèrement posté-
guerre, des déportés et des militaires qui venaient rieurs, comme le pLouvre AF 6345+Fragments
accroître les rangs du personnel dépendant des Griffith (quatre jHwtjw), le pBerlin 23252 (deux)
sanctuaires. Autrement dit, c’est la disponibilité ou le pPrachov (deux), alors que les prêtres, les
d’une main d’œuvre bien marché, déracinée de soldats ou d’autres catégories occupationnel-
leurs communautés, l’élément qui a permis l’ex- les abondent toujours. En réalité, on constate
pansion du système des exploitations aHt pendant que l’essor des jHwtjw était étroitement lié aux
cette époque, quand les connotations idéologi- guerres et à l’arrivée de prisonniers et de dépor-
ques des jHwtjw, en outre, deviennent négatives tés employés dans les institutions égyptiennes,
de telle sorte que la fin de l’empire ramesside
dans les textes contemporains. Bien entendu,
entraîna la disparition graduelle du modèle agri-
toutes ces considérations ne concernent que les
cole basé sur les jHwtjw109. Un autre effet fut le
jHwtjw de base.
En définitive, l’emploi des jHwtjw renvoie 106. Stèle Caire JE 48862, ligne 9 : N.-C. Grimal, La
à une forme élitiste d’exploitation de la terre, stèle triomphale de Pi(‘ankh)y au Musée du Caire (MIFAO, 105),
Le Caire, 1981, p. 22-23 ; K. Jansen-Winkeln, Inschriften der
centrée sur l’emploi d’araires, d’animaux de Spätzeit, vol. II, Wiesbaden, 2007, p. 338.
trait et du personnel dépendant dans le contexte 107. Cf. les annales d’Osorkon, ligne 40=K. Jansen-
Winkel, Inschriften der Spätzeit, vol. I, p. 166.
d’une céréaliculture extensive. 108. Cf. la stèle New York MMA 10.176.42 (=K. Jansen-
Winkel, Inschriften der Spätzeit, vol. I, p. 60-61[38]) ou une stèle
105. Décret de Nauri, lignes 32, 43-44, 46, 67-68, 100- provenant du temple de Khnoum à Éléphantine (K. Jansen-
101 (KRI I 51:4-7 ; 52:14-53:2, 5-8 ; 55:7-8 ; 57:7-9). Pour la Winkel, Inschriften der Spätzeit, vol. I, p. 120-121[33]).
mention des mrt, cf. la ligne 26 (KRI I 50:4). 109. On peut évoquer, à titre anecdotique, que le nom

22 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

glissement sémantique par lequel le terme jHwtj autre document du règne de Taharka évoque
devint synonyme de paysan. aussi la donation de plusieurs biens pour consti-
Ce rapport entre les guerres, l’approvision- tuer une fondation pour Osiris, y compris un
nement de la main d’œuvre en forme de prison- champ de 10 aroures et un jHwtj.114 On constate
niers et déportés et le système des jHwtj apparaît, donc, que les guerres menées par les souverains
pour la dernière fois, sous les règnes des conqué- Koushites en Égypte et contre les Assyriens, ont
rants Koushites. Plusieurs textes des règnes de ranimé l’afflux de prisonniers de guerre et le
Piyi (747-716) et de Taharka (690-664) mention- vieux système de production agricole fondé sur
nent la vente d’esclaves désignés par l’expression des jHwtjw octroyés aux temples. Mais sa durée fut
« l’homme du Nord »110, une caractéristique qui sans doute éphémère puisque, déjà sous le règne
continua sous le règne du premier pharaon de Taharka, on constate que ce système coexista
Saïte, Psammétique Ier (664-610)111. On remar- avec un autre, en voie de consolidation, fondée
quera que ces transactions se passent entre le sur les contrats agraires115.
personnel du temple d’Amon, ce qui implique Cependant, les jHwtjw ne disparaissent pas
que les esclaves furent l’objet d’une donation complètement des sources du Ier millénaire. Dans
en faveur du sanctuaire, une idée confortée par la tablette MMA 35.3.318, du règne de Taharqa,
l’inscription triomphale de Piyi (avec la mention un jHwtj emprunte des céréales auprès d’une insti-
de Memphites déportés)112 et par l’inscription tution116 ; le pLoeb 45 est un contrat par lequel
Kawa n°6 du règne de Taharka (qui évoque la deux sHn jHwtj(w) « contrôleurs de jHwtjw » louent
dotation d’un temple avec des jardiniers quali- leurs terres à d’autres personnes117 ; le pMichigan
fiés de « gens du Nord »)113. Dans ce contexte, 3523 concerne le vol du taureau d’un particu-
le papyrus Louvre E 3228c est de la plus grande lier effectué par les jHwtjw d’Horus d’Edfou118 ;
importance, puisqu’il concerne la vente d’un le sujet du pMichigan 3525A est la vente d’une
esclave « homme du Nord » qui était jHwtj. Un
vache à un jHwtj d’Horus d’Edfou119 ; quant au
personnel PA-aHwtj (lit. « le jHwtj ») n’est attesté qu’une seule pRylands 5, il est un contrat par lequel un jHwtj
fois : H. Ranke, PN, I, p. 103[12] ; K. Jansen-Winkel, Inschriften
der Spätzeit, vol. II, p. 418[44]. 114. E. Graefe, M. Wassef, « Eine fromme Stiftung für
110. Règne de Piyi : papyrus Leyde F 1942/5.5=S. den Gott Osiris-der-seinen-Anhänger-in-der-Unterwelt-rettet
P. Vleeming, « The sale of a slave in the time of Pharaoh Py », aus dem Jahre 21 des Taharqa (670 v. Chr.) », MDAIK 35
OMRO 61 (1980), 1-17, pl. 1. Règne de Taharka : papyrus (1979), 103-118, pl. 17.
Louvre E 3228e=M. Malinine, Choix de textes juridiques en 115. J. C. Moreno García, « L’évolution des statuts de la
hiératique « anormal » et en démotique, Paris, 1953, p. 35-42 ; main-d’œuvre rurale en Egypte de la fin du Nouvel Empire
papyrus Louvre E 3228d=Idem, ibid., p. 43-49 ; papyrus Louvre à l’époque Saïte (ca. 1150-525 av. J.-C.) », dans J. Zurbach
E 3228f=M. Malinine, « Transcriptions hiéroglyphiques (éd.), Travail de la terre et status de la main-d’œuvre en Grèce et en
de quatre textes du Musée du Louvre écrits en hiératique Méditerranée archaïques, VIIIe-Ve s. (Bulletin de Correspondance
anormal », RdÉ 34 (1982-83), 94-95, pl. 4 ; papyrus Louvre Héllénique), Athènes (sous presse).
E 3228c=M. Malinine, « Un jugement rendu à Thèbes sous 116. J. Černy, R. A. Parker, « An abnormal hieratic
la XXVe Dynastie (Pap. Louvre E 3228c) », RdÉ 6 (1951), tablet », JEA 57 (1971), 127-131, pl. 35.
157-178, pl. 4-6. 117. P. Loeb 45, ligne 1=S. P. Vleeming, The Gooseherds of
111. Papyrus Vatican 10574= M. Malinine, « Une vente Hou (Pap. Hou) : A Dossier Relating to Various Agricultural Affairs
d’esclave à l’époque de Psammétique Ier (Papyrus du Vatican from Provincial Egypt of the Early Fifth Century B. C. (Studia
10574, en hiératique “anormal”) », RdÉ 5 (1946), 119-131. Demotica, 3), Louvain, 1991, p. 72-93.
112. Ligne 96=N. Grimal, La stèle triomphale de Pi(‘ankhy) 118. P. Michigan 3523, ligne 2=E. Cruz-Uribe, Saite and
au Musée du Caire JE 48862 et 47086-47089, Le Caire, 1981. Persian Demotic Cattle Documents. A Study in Legal Forms and
113. Inscription Kawa VI, ligne 15=.M. F. L. Macadam, Principles in Ancient Egypt (American Studies in Papyrology,
The Temples of Kawa. Vol. I : The Inscriptions, Londres, 1949, 26), Chico, 1985, p. 7-9.
p.32-41, pl. 11-12. 119. Idem, ibid., p. 17-19.

CRIPEL 26 (2006) 23
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

se vend comme esclave d’une autre personne120, Finalement, on remarquera que les premiers
et d’autres papyrus relatifs au même personnage contrats agraires incluent une clausule compen-
(pRylands 3, 4, 6 et 7) révèlent qu’il renouvela satoire pour le cas où le preneur en bail cause-
son contrat d’esclavage quelques années plus rait des dégâts dans les terres louées. Il s’agit
tard. L’abandon graduel du modèle agraire d’une formule standardisée où il est caractérisé
comme un jHwtj124, alors que d’autres spécifica-
fondé sur les jHwtjw alla de paire avec le retour
tions indiquent qu’il doit cultiver la terre à la
aux corvées traditionnelles, avec l’apparition manière d’un jHwtj125 et, dans le cas où il doive
de nouvelles catégories de main d’œuvre rurale en plus emprunter un attelage, les animaux sont
(mnHw, nmHw)121 et avec le recours à de systèmes présentés comme « un attelage de jHwtj ». Ces
indirects d’exploitation des terres, comme les exemples révèlent la transformation sémantique
contrats agraires, documentés soit par les exem- qui affecta le terme jHwtj, au point de devenir
plaires conservés soit par les manuels juridiques synonyme de paysan. Le même changement
les évoquant122. L’addition occasionnelle du figure dans La chronique démotique, où le terme
terme bH à aHt (aHt-bH) dans le papyrus Reinhardt jHwtj est transformé en wja « paysan » dans la
glose explicative qui accompagne le texte126 ; on
serait la preuve de ces transformations, quand les
pourrait évoquer encore un passage d’un texte
terres aHt commencèrent à être cultivées selon le
littéraire tardif, l’Enseignement de Brooklyn (jHwtj pA
système de corvées dans un contexte de rareté Xrj n jAwt nbt j.jrw bAk n.f nAjj.f Drtj pAjj.w TAw n anx m
graduelle des jHwtjw123. [Ss] « le jHwtj est le chef de toutes les professions,
puisque c’est grâce à ses soins que l’on produit
120. P. Rylands 5, ligne 1=F. Ll. Griffith, Catalogue of the
Demotic Papyri in the John Rylands Library, vol. III, Manchester, tandis que ses mains sont le souffle de vie en
1909, p. 53-54. [vérité] »)127, ou une formule rhétorique de la
121. J. C. Moreno García dans J. Zurbach (éd.), Travail stèle triomphale de Piânkhy (H(A)o rmT.s mnmn(t).
de la terre et status de la main-d’œuvre (sous presse).
122. La généralisation des contrats est visible non pas s aHajw.s Hrj-tp jtr(w) m rdt pr jHwtjw r sxt m rdt skA
seulement dans le domaine de l’agriculture institutionnelle skAw « capturez ses gens, son bétail, ses navires sur
mais aussi dans les prêts, les ventes de terres et d’esclaves, le fleuve ! Empêchez les jHwtjw d’aller à la campa-
ou les accords de mariage : M. Malinine, Choix de textes juri-
diques en hiératique « anormal » et en démotique, Paris, 1953 ; gne ! Empêchez les laboureurs de labourer »)128.
E. Lüddeckens, Ägyptische Eheverträge, Wiesbaden, 1960 ; C.
J. Martin, « Marriages, wills and leases of land : some notes 124. K. Donker van Heel, Abnormal Hieratic and Early
on the formulae of demotic contracts », dans M. J. Geller, Demotic Texts collected by the Theban Choachytes in the Reign of
H. Maehler (éd.), Legal Documents of the Hellenistic World, Amasis. Papyri from the Louvre Eisenlohr Lot, Leyde, 1995, docu-
Londres, 1995, p. 58-78. À noter aussi l’apparition au ments 6, 19 et 20 et pages 208-209.
Ier millénaire de manuels juridiques en Égypte : K. Donker 125. K. Donker van Heel, Abnormal Hieratic and Early
van Heel, The Legal Manual of Hermopolis [P. Mattha]. Text Demotic Texts, document 19.
and Translation, Leyde, 1990 ; S. L. Lippert, Ein demotisches 126. Cf. la Chronique Démotique XII:8, où la formule « le
juristisches Lehrbuch. Untersuchungen zu Papyrus Berlin P 23757 jHwtj pleure, sa femme … » est accompagnée de la glose expli-
rto, Wiesbaden, 2004. cative suivante « cela signifie : le paysan (wja) se rendra au champ,
123. Il suffit de comparer les mentions de jHwtjw en pleurant sur le blé » (W. Spiegelberg, Die sogenannte Demotische
avec d’autres catégories de population (surtout ritualis- Chronike des Pap. 215 der Bibliothèque Nationale zu Paris, Leipzig,
tes et soldats) dans des documents tels que le pLouvre AF 1914, p. 13, 21). Je remercie M. Didier Devauchelle d’avoir
6345+Fragments Griffith r° VII:10 ; v° III:25 ; IV:20 ; VII :8 attiré mon attention sur ce passage.
(=A. Gasse, Données nouvelles administratives et sacerdotales sur 127. Papyrus Brooklyn 47.218.135, VI:18=R. Jasnow,
l’organisation du domaine d’Amon, p. 9, 18, 19, 21, pl. 8, 24, 26 A Late Period Hieratic Wisdom Text (P. Brooklyn 47.218.135),
et 30), le pBerlin 23252 r° II:23 ; III:30 (Idem, ibid., p. 97, Chicago, 1992, p. 114.
104, pl. 44, 56), le pPrachov r° VIII:17 ; XI:68 (=Idem, ibid., 128. Stèle Caire JE 48862, ligne 9 : N.-C. Grimal, La stèle
p. 126, 131, pl. 58, 67) ou le pReinhardt (=S. P. Vleeming, triomphale de Pi(‘ankh)y au Musée du Caire, Le Caire, 1981,
Papyrus Reinhardt, passim). p. 22-23.

24 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

D’autres références tardives mentionnent encore ment, l’assistance d’autres personnes, comme
les terres aHt, mais dans un contexte archaïsant, le suggèrent les domaines « non-apportioning »
d’imitation des formules utilisées dans les décrets du papyrus Wilbour ou les textes administratifs
royaux du IIIe millénaire, comme dans le cas du Nouvel Empire. D’autre part, des exploita-
d’un passage du décret d’Apriès à Memphis où tions aHt des institutions cédées à des particuliers
sont évoques les travailleurs mrt et les aHw nTrw (soldats, prêtres, femmes, personnel divers et
« les terres aH(t) des dieux », deux termes déjà aussi des jHwtjw), probablement comme rému-
tombés en désuétude depuis des siècles129. Le nération pour leurs services, qui pouvaient être
même goût archaïsant explique la présence des ensuite louées contre une rente ou cultivées par
jHwtjw dans les scènes agricoles et les légendes des jHwtjw de condition humble, et qui étaient
les accompagnant dans la tombe de Pétosiris130. soumises à des contributions fiscales très faibles
Enfin, les premiers manuels juridiques connus en céréales. Une troisième modalité de culture
en Égypte témoignent de cette transformation, était constituée par les corvées, et le décret de
puisqu’ils évoquent pour la première fois le Nauri énumère les différentes types de travaux
travail du paysan (wja) dans le cadre des conflits obligatoires utilisés dans l’exploitation des
issus entre le preneur et le donneur en bail des champs des sanctuaires. Enfin, d’autres terres des
terres131, tandis que les baux de la Basse-Epoque temples étaient accordées comme récompense à
désignent la rente payée par les paysans par le des dignitaires (comme les sAHw)133 ou louées à
terme Hw aHwtj « le surplus du jHwtj »132. des particuliers (par exemple, des nmHw) qui en
assuraient l’exploitation effective, ce qui évitait
au temple la possession et l’entretien permanent
Conclusions : les jHwtjw, serfs ou esclaves ? des cultivateurs nécessaires à leur exploitation134.
L’économie politique de l’agriculture insti- L’emploi de terres-aHt pour rémunérer les fonc-
tutionnelle tionnaires ou le personnel des temples explique-
rait pourquoi une même personne pouvait être
À la lumière de ces considérations quatre désignée, selon les contextes, par son titre de
systèmes d’exploitation des terres institutionnel- fonction et par le titre jHwtj. Et le fait que, outre
les se dessinent. D’une part des exploitations-aHt leurs rémunérations foncières pour les services
cultivées par des jHwtjw livrant des quotas stan- effectués, de tels dignitaires ou des particuliers
dardisées de céréales pour l’institution qui les aisés prennent aussi des terres des sanctuaires
employait, où un jHwtj (ou une équipe d’araire) en bail pour les cultiver, expliquerait l’existence,
était en charge d’un terrain de 20 aroures ; dans ce groupe, de jHwtjw qui versaient des quan-
parfois ces exploitations-aHt étaient bien plus tités beaucoup plus considérables que les 200
vastes et regroupaient, peut-être, plusieurs parcel- sacs provenant des exploitations standard de 20
les de 20 aroures ou des fractions, l’ensemble aroures.
étant cultivé par un jHwtj avec, vraisemblable- À la lumière de ces considérations le terme
jHwtj a une valeur uniquement technique
129. P. der Manuelian, Living in the Past. Studies in
Archaism of the Egyptian Twenty-Sixth Dynasty, Londres, 1994, (« celui en charge des terres aHt ») et il recouvre
p. 373-380[7], fig. 70, pl. 9-19.
130. Cf. la note 67 dans la communication du Prof. 133. J. C. Moreno García dans J. C. Moreno García (éd.),
Vernus dans ce volume. L’agriculture institutionnelle en Egypte ancienne, p. 120-121.
131. K. Donker van Heel, The Legal Manual of Hermopolis 134. Cf. Ch. Eyre, « Feudal tenure and absentee
[P. Mattha]. Text and Translation, Leyde, 1990. landlords », dans S. Allam (éd.), Grund und Boden in Altägypten,
132. Cf. la note 56 ci-dessus. Tübingen, 1994, p. 107-133.

CRIPEL 26 (2006) 25
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

plusieurs situations, depuis le dignitaire chargé jHwtjw de base travaillaient en plein temps et par
de la gestion et de la surveillance des domaines obligation pour une institution ou un dignitaire.
institutionnels aHt, jusqu’au cultivateur de base Leur condition serait donc différente de celle
qui travaillait des exploitations aHt d’une surface des mrt, les travailleurs corvéables ; mais ils ne
standard de 20 aroures et qui livrait des quotas de seraient pas non plus des esclaves malgré le fait
céréales, en passant par le jHwtj « entrepreneur d’être occasionnellement achetés ou vendus.
agricole » qui exploitait des domaines considé- Leur condition pourrait être assimilable à celle
rables et qui acquittait des quotas de céréales à de serfs, soumis à une existence rude qui inspira
l’institution propriétaire en échange, vraisem- les « satires des métiers ».
blablement, de bénéfices divers, y compris des En définitive, le fait que les jHwtjw ne soient
lopins de terre imposables comme ceux d’autres pas considérés comme des corvéables tient au
catégories de la population (dignitaires, ritua- fait de leur travail spécialisé en rapport avec les
listes, soldats, etc.)135. Il est difficile de préciser terres aHt. De nombreuses inscriptions royales du
quelle était l’origine sociale des jHwtjw de base, Nouvel Empire proclament que le roi a rempli
mais les sources disponibles insistent sur la les (pr-)Snaw des sanctuaires avec des prisonniers
nature coercitive de leur recrutement : des crimi- de guerre installés en condition soit de mrt/Hm
nels (comme dans le cas du pBrooklyn 35.1446 soit de jHwtj. Nous sommes donc probablement
ou du pAmiens+Baldwin), des fonctionnaires en présence de deux sphères de production
punis (comme dans certains textes ramessides), différentes en domaine institutionnel, l’une
des prisonniers de guerre (comme dans certai- organisée autour des exploitations aHt cultivées
nes lettres ou inscriptions commémoratives du par des jHwtjw et l’autre articulée autour des
Nouvel Empire), des soldats, des paysans endet- (pr-)Snaw où des mrt et des Hmw effectuaient des
tés136, probablement aussi des Égyptiens pauvres travaux de transformation des produits agricoles
dépourvus de moyens de production propres (fabrication d’étoffes, production d’offrandes,
et recrutés parmi les paysans sans terres ou les etc.) ou de culture des champs. Rien n’autorise
clients des potentats, des membres de la famille à penser que ces mrt et Hmw étaient exclusive-
de l’« entrepreneur », des « excédents » de la ment des prisonniers étrangers, notamment à la
population rurale, etc. En général, ces situations lumière du passage du décret de Nauri de Séti
assez diverses partagent un point commun : les Ier qui mentionne le recrutement des mrt dans
les districts de la Haute et la Basse Egypte pour
135. Cette différentiation au sein des jHwtjw a été déjà labourer les terres d’un temple, ou du pBerlin
signalé par certains chercheurs, comme A. H. Gardiner,
JEA 27 (1941), 21 ; Stuchevsky dans J. J. Janssen, « Agrarian 14384 de la XXIe dynastie, où certains domaines
Administration in Egypt during the Twentieth Dynasty », BiOr des temples étaient cultivés par des mrt (la lecture
43 (1986), 351-66 ; S. P. Vleeming, Papyrus Reinhardt, p. 57 ; n’est pas sûre)137. À mon avis, on n’aurait fait
B. J. J. Haring, Divine Households: Administrative and Economic
Aspects of the New Kingdom Royal Memorial Temples in Western qu’assimiler la condition des prisonniers capturés
Thebes, Leiden, 1997, p. 287-288. à celle des Égyptiens contraints d’effectuer des
136. Tel est le cas du célèbre pRylands V (=F. Ll. travaux périodiques ou permanents pour l’État
Griffith, Catalogue of the Demotic Papyri in the John Rylands
Library, vol. 3, p. 53-54), un contrat par lequel un jHwtj se et ses institutions (mrt, Hm(-nswt), jHwtj), puisque
vend comme esclave. Un parallèle possible apparaît dans
la stèle de Sheshônq, où un jHwtj et ses quatre Hmw sont 137. Cf. pBerlin 14384 r° lignes 5-7=H.-W. Fischer-Elfert,
vendus pour 4 deben et un kite d’argent (stèle JE 66285, « Zwei Akten aus der Getreideverwaltung der XXI. Dynastie
l. 13-14=A. M. Blackman, JEA 27 (1941), 85, 91 n. 82) : le fait (P. Berlin 14.384 und P. Berlin 23098) », dans H. Altenmüller,
que l’on indique la filiation du jHwtj suggère une origine R. Germer (éd.), Miscellanea Aegyptologica Wolfgang Helck zum
égyptienne. 75. Geburtstag, Hambourg, 1989, p. 39-65, pl. I-III.

26 CRIPEL 26 (2006)
LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

tous effectuaient des travaux similaires dans un mais on connaît aussi des exemples d’attribution
même contexte productif, d’où le recours à la de prisonniers à des dignitaires (comme Ahmose,
terminologie traditionnelle pour les désigner. Le fils d’Adapa) ou d’acquisition d’esclaves par des
cas particulier de la vente de jHwtjw tant d’origine particuliers auprès d’un marchand Swtjj142. Dans
égyptienne qu’étrangère conforte cette inter- certains cas, des serfs ou des esclaves étaient
prétation : des Égyptiens et des étrangers, des possédés par une ville, comme dans le cas du
hommes libres et des esclaves, pouvaient devenir pBerlin 10470, de la fin du Moyen Empire, où
des jHwtjw, ce qui prouve que la condition du une Hmt fait partie des Dt possédés par les rmT nt
jHwtj était déterminée par la fonction et non par Abw « les gens d’Éléphantine »143. Des Hmw(t) n
la condition juridique. nwt « servantes de la ville » sont aussi mention-
Quant au recours aux jHwtjw pour cultiver une nées à Der el-Medineh144, parfois dans le cadre
partie des terres institutionnelles, il peut s’expli- de donations collectives effectuées par l’État à
quer à partir des formes de travail utilisées par des particuliers ou au village afin d’accomplir,
l’État et ses institutions en Égypte ancienne138. On en général, des tâches domestiques145 et où leurs
remarquera d’abord que des sources telles que jours de travail étaient l’objet de transactions
le décret de Nauri évoquent la conscription, le entre leurs bénéficiaires. Dans d’autres cas, les
déplacement de populations, les travaux obliga-
Hmw acquis par des particuliers contre un paie-
toires et la corvée mais pas le recours aux escla-
ment étaient soumis à des corvées contrôlées par
ves (KRI I 50:1-2). Les références aux esclaves
des fonctionnaires146, ou bien ils pouvaient être
en Egypte pharaonique sont rares et ambiguës à
retirés à leurs maîtres147, ou être, enfin, l’objet de
cause de la terminologie utilisée139, le terme Hm,
habituel au Nouvel Empire, pouvant désigner Medina (O. CGC 25237, recto) », SAK 24 (1997): 72-74.
tant le serf que l’esclave140, ce qui trahit proba- 142. A. H. Gardiner, « A lawsuit arising from the purchase
blement des conditions de travail similaires et, of two slaves », JEA 21 (1935), 140-146, pl. 14-16 ; T. Mrsich,
« Erenofres Verteidigung », dans D. Kessler, R. Schulz (éd.),
surtout, la rareté des esclaves-marchandise. En Gedenkschrift für W. Barta, Frankfurt, 1995, p. 291-310.
fait, la plupart des transactions relatives aux escla- 143. P. C. Smither, JEA 34 (1948), 31-34 ; W. Helck,
ves/serfs prennent la forme de ventes de frac- Historisch-biographische Texte der 2. Zwischenzeit, 50-54 [69] ;
A. Théodoridès, RIDA 6 (1959), 131-154 ; W. Helck, ZÄS
tions de leur travail (« journées d’esclave »)141, 115 (1988), 35-39 ; S. Quirke, The Administration of Egypt in
the Late Middle Kingdom. The Hieratic Documents, Whitstable,
138. Cf. une discussion détaillée dans J. C. Moreno 1990, p. 203-207.
García, « La dépendance rurale en Égypte ancienne », JESHO 144. ODM 707 : P. Grandet, Catalogue des ostraca hiérati-
51 (2008), 99-150. ques non littéraires de Deîr el-Médînéh, VIII, Le Caire, 2000, p. 3-4,
139. Cf. une discussion récente dans Ch. Eyre, « How 14, 107. A propos de ces femmes « esclaves », cf. J. J. Janssen,
relevant was personal status to the functioning of the rural Village Varia. Ten Studies on the History and Administration
economy in pharaonic Egypt ? », dans B. Menu (éd.), La of Deir el-Medina, Leyde, 1997, p. 23-26 ; T. Hofmann,
dépendance rurale dans l’Antiquité égyptienne et proche-orientale « Arbeitseinsätze und Löhne der sogenannten Sklavinnen
(BdE, 140), Le Caire, 2004, p. 176-184, et dans J. C. Moreno von Deir el-Medine », dans A. Dorn, T. Hofmann (éd.), Living
García, « La dépendance rurale en Égypte ancienne », JESHO and Writing in Deir el-Medine. Socio-Historical Embodiment of Deir
51 (2008), 130-139 el-Medine Texts,Bâle, 2006, p. 113-118.
140. T. Hofmann, Zur sozialen Bedeutung zweir Begriffe für 145. J. Černy, Late Ramesside Letters (BAe, 9), Bruxelles,
<Diener>: bAk und Hm, Bâle, 2005. 1939, p. 50-51; E. Wente, Late Ramesside Letters (SAOC, 33),
141. R. Navailles, F. Neveu, « Qu’entendait-on par Chicago, 1967, p. 65-67 ; B. G. Davies, J. Toivari, SAK 24
“journée d’esclave” au Nouvel Empire ? (hrw m Hm(t), hrw (1997), 69-80.
n bAk) », RdE 40 (1989): 113-123 ; S. Allam, « Ein Erbstreit 146. Cf. pBankes I : I. E. S. Edwards, JEA 68 (1982), 127-
um Sklaven (Papyrus BM 10568) », ZÄS 128 (2001): 89-96, 132, pl. 12 ; R. J. Demarée, The Bankes Late Ramesside Papyri,
pl. 19 ; Idem dans N. Grimal, B. Menu (éd.), Le commerce en Londres, 2006, p. 7-9, pl. 1-4.
Egypte ancienne (Le Caire : IFAO, 1998), 140-148 ; B. G. Davies, 147. Cf. pLouvre 3230b : T. E. Peet, JEA 12 (1926), 71-
J. Toivari, « Misuse of a maidservant’s services at Deir el- 72, pl. 17.

CRIPEL 26 (2006) 27
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

conflits entre les bénéficiaires de leurs services, des travailleurs et des quotas de travail, comme
ce qui rendait nécessaire l’intervention des fonc- dans le cas des corvéables ; la condition du travail
tionnaires chargés des serfs148. esclave serait ainsi considérée plutôt comme une
L’intervention de l’État révèle précisément la sorte de corvée prolongée dans le temps que
nature « publique » du travail de ces Hmw ; qu’ils comme une marchandise, d’où l’emploi de la
soient des esclaves ou des serfs, les modalités même terminologie pour désigner le serf et l’es-
d’appropriation de leur travail sont similaires à clave. On remarquera aussi que ces esclaves sont
celles appliquées aux corvéables dont le travail utilisées surtout dans le travail domestique et que,
était accordé par le pharaon aux dignitaires. Des quand ils sont assignés au labourage des champs,
parallèles figurent dans les papyrus d’Ilahoun, ils deviennent des jHwtjw, dont la condition me
où des documents wpwt évoquent l’octroi de semble impossible à distinguer de celle des jHwtjw
personnel Dt (souvent des femmes) à des titu- pauvres non-esclaves. La similitude des modali-
laires de fonctions administratives afin d’effec- tés d’affectation des étrangers et des Égyptiens
tuer des travaux domestiques, surtout en rapport aux terres de la couronne et des temples découle
avec la préparation d’étoffes149, sans oublier les des textes administratifs, où les deux catégories
cas où des esclaves/servantes asiatiques étaient de population livrent des quotas de production
accordées par le vizir comme rémunération à des dans des contextes identiques151 ou lors des réqui-
dignitaires qui, par la suite, pouvaient les trans- sitions de la main d’œuvre (kfa), qui affectaient
tant aux prisonniers de guerre qu’aux natives152.
mettre à d’autres personnes150. Le trafic de jour-
Je pense que cette logique d’organisation
nées de travail ou la possession collective d’un
du travail révèle l’absence d’un marché d’escla-
ou plusieurs esclaves me semblent la preuve de
ves ou d’une économie esclavagiste en Égypte
la rareté relative tant des esclaves en Égypte que
pharaonique, un trait commun à d’autres socié-
des opérations d’achat et de vente les concer-
tés du Proche-Orient ancien. On entre ici dans
nant. Leur intégration dans le système productif
la question difficile de la rationalité économique
obéit à une logique selon laquelle on transférait
de l’esclavage dans l’Antiquité153. D’après Descat,
148. Cf. pBM 10107 : S. R. K. Glanville, JEA 14 (1928), la viabilité de l’esclavage dans l’antiquité classi-
304-306, pl. 32-33, 35. que se base sur un approvisionnement régulier
149. K. A. Kóthay, « Houses and households at Kahun : en esclaves à bas coût (afin d’éviter les dépenses
bureaucratic and domestic aspects of social organization
during the Middle Kingdom », dans H. Györy (éd.), « Le lotus nécessaires pour leur « élevage » et leur forma-
qui sort de terre ». Mélanges offerts à Edith Varga, Budapest, 2001, tion), et l’existence de marchés pour absorber
p. 360-363. Pour des cas où des Hm(w)t étaient employées leur production (agricole, artisanale, activités
aussi dans des travaux de tissage, cf. pLondres UC 32203=M.
Collier, S. Quirke, The UCL Lahun Papyri : Letters, Oxford, spécialisées), ce qui implique l’existence locale
2002, p. 115. Pour des servantes dépendant des dignitaires
mais produisant des étoffes pour le palais, cf. KRI I 269:7, 151. Cf., par exemple, le cas des étrangers affectés à des
9. Quant à la livraison de quotas d’étoffes produites dans domaines xA-tA: pTurin 1895+2006 r° 2:13; 3:8; 4:11; 5:2, 8;
des unités domestiques, cf. Gurob Papyri, Fragment Y (=A. v° passim (A. H. Gardiner, Ramesside Administrative Documents,
H. Gardiner, Ramesside Administrative Documents, p. 24-26), p. 35-45).
pUC 32094 (=M. Collier, S. Quirke, The UCL Lahun Papyri : 152. Cf. la discussion dans J.-M. Kruchten, Le décret d’Ho-
Accounts, Oxford, 2006, p. 144-145), pBrooklyn 35.1453A-B remheb. Traduction, commentaire épigraphique, philologique et insti-
(V. Condon, « Two account papyri of the late Eighteenth tutionnel, Bruxelles, 1981, p. 62-63.
Dynasty (Brooklyn 35.1453 A and B) », RdE 35 (1984), 57- 153. Cf. R. Descat, « Max Weber et l’économie de l’escla-
82). vage antique », dans H. Bruhns, J. Andreau (éd.), Sociologie
150. Cf. pKahoun I.1 et I.2= M. Collier, S. Quirke, The économique et économie de l’Antiquité : À propos de Max Weber,
UCL Lahun Papyri : Religious, Literary, Legal, Mathematical and Paris, 2004, p. 145-154 ; J. Andreau, « Esclavage antique et
Medical, Oxford, 2004, p. 104-105, 118-119. rentabilité économique », dans Idem, ibid., 159-166.

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LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

de la division du travail. Pourtant, pour que l’es- militaires en tant que mercenaires, soldats et
clavage soit viable, il faut concilier deux aspects gardes de corps154, sans être considérés comme
contradictoires : une faible rentabilité (due à la des marchandises mais plutôt comme une popu-
manque d’intérêt des esclaves pour l’« entre- lation semi-libre. Les déportés étaient installés
prise ») et l’intérêt à posséder des esclaves. La après leur capture dans de nouvelles régions et
volonté de rentabiliser l’esclave est possible en affectés à des activités productives comparables
lui accordant une indépendance plus grande et à celles des populations natives, sans devenir de
en lui promettant l’affranchissement, c’est-à-dire, vrais esclaves objet d’achats et de ventes155. Le
en lui permettant de devenir salarié, ce qui n’est cas de l’Égypte est similaire, avec des déportés
possible que s’il y a une activité constante des nubiens et asiatiques employés dans le service
métiers urbains et, par conséquent, des échanges domestique, la culture des champs, la transfor-
marchands développés. Les marchés deviennent mation de produits agricoles ou bien comme
donc un élément clé pour l’existence de l’escla- policiers et mercenaires, installés parfois dans
vage : ils favorisent une appropriation privée des des colonies.
ressources par la possibilité du profit, en marge En absence de monnaie, avec une économie
des systèmes traditionnels d’appropriation (p. e., tributaire où les allocations de rations et les pres-
les prélèvements tributaires) ; ils permettent tations en travail prenaient une part considérable
l’existence de salariés, d’origine libre ou esclave ; aux activités normalement réservées aux salariés
et ils font que le travail esclave devient rentable dans le monde classique – ce qui limitait le rôle
grâce à la perspective de l’affranchissement, ce des marchés dans la circulation de produits ainsi
qui permet le déplacement de main d’œuvre que la taille des activités productives en milieu
vers des activités non agricoles (des activités urbain –, le rôle des esclaves-marchandise fut
dont l’attraction économique est faible pour les très limité en Égypte pharaonique. En outre,
libres). Pourtant, la logique du système n’est pas
« entrepreneuriale », puisque les surplus dégagés 154. F. van Koppen, « The geography of the slave trade
seront affectés au cadre social du propriétaire and northern Mesopotamia in the late Old Babylonian
period », dans H. Hunger, R. Pruzsinszky (éd.), Mesopotamian
(thésaurisation, dépenses somptuaires, esclaves Dark Age Revisited, Vienne, 2004, p. 9-33, surtout p. 15 ; I.
affectés au service domestique), ce qui limite la J. Gelb, « From freedom to slavery », dans Gesellschaftsklassen
circulation des richesses et l’évolution vers un im alten Zweistromland und in den Anggrenzenden gebieten,
Munich, 1972, p. 81-92.
système capitaliste. 155. I. J. Gelb, « Prisoners of war in early Mesopotamia »,
C’est dans cette perspective que l’on peut JNES 32 (1973), 70-98 ; Idem, « Quantitative evaluation of
mieux saisir les différences entre le Proche- slavery and serfdom », dans Kramer Anniversary Volume.
Cuneiform Studies in Honor of Samuel Noah Kramer, Neukirchen-
Orient ancien et le monde gréco-romain à partir Vluyn, 1976, p. 195-207 ; Idem, « Definition and discussion
de l’étude du sort réservé aux prisonniers de of slavery and serfdom », Ugarit Forschungen 11 (1979),
guerre. Source principale d’esclaves dans l’an- 283-297 ; B. Oded, Mass Deportations and Deportees in the Neo-
Assyrian Empire, Wiesbaden, 1979 ; P. Garelli, D. Charpin,
tiquité classique, leur emploi au Proche-Orient J.-M. Durand, « Rôle des prisonniers et des déportés à l’épo-
ancien revêtait, en revanche, des particularités que médioassyrienne », dans H. Klengel (éd.), Gesellschaft und
différentes. Bien que certains soient devenus Kultur im alten Vorderasien, Berlin, 1982, p. 69-75 ; N. Ziegler,
« Aspects économiques des guerres de Samsî-Addu », dans
la propriété d’autres personnes et employés J. Andreau, P. Briant, R. Descat (éd.), La guerres dans les écono-
presque exclusivement dans le service domesti- mies antiques, Saint-Bertrand-de-Comminges, 2000, p. 23-25 ;
que, la plupart étaient néanmoins affectés à des F. Joannès, « Guerre et économie dans l’empire néo-babylo-
nien », dans Idem, ibid., p. 74-75 ; G. G. Aperghis, « War capti-
activités productives, comme l’agriculture, le ves and economic exploitation. Evidence from the Persepolis
tissage ou la construction ou même à des tâches Fortification tablets », dans Idem, ibid., p. 128-144.

CRIPEL 26 (2006) 29
JUAN CARLOS MORENO GARCÍA

les particularités du régime hydrologique de d’œuvre. Le travail des jHwtjw s’insère donc dans
la vallée du Nil limitaient le besoin d’employer ce cadre productif, avec des institutions cultivant
en permanence (et d’entretenir) des esclaves une partie de leurs terres en régime de céréa-
dans l’agriculture. Même dans le cas des planta- liculture extensive, avec l’emploi d’attelages et
tions spécialisées dans la production du vin ou des modalités de travail obligatoire particulières
de l’huile, leur culture resta entre les mains de dans des exploitations aHt contraintes de livrer
spécialistes, souvent asiatiques, dont rien dans le des quotas afin d’atteindre une production consi-
statut social ne suggère une condition servile156. dérée minimale ou suffisante pour la viabilité de
L’intégration des esclaves dans les structures l’institution ; quant au reste de leurs domaines,
productives pharaoniques n’altéra pas celles-ci ; ils étaient confiés à d’autres personnes (nmHw,
bien au contraire, le rôle des esclaves pour les mnHw, sAHw, membres de l’élite locale, voire des
institutions ou les particuliers était similaire à jHwtjw aisés, etc.) capables d’assurer leur mise en
celui des corvéables. valeur avec leurs propres moyens et de fournir
À la lumière de toutes ces considérations, le des recettes à l’institution, sans que celle-ci soit
recours au travail des jHwtjw s’explique dans le dans l’obligation de les entretenir157. Enfin, le
cadre d’une économie agraire où l’État prélève système de corvées pouvait fournir des travailleurs
de la main d’œuvre pour travailler les terres supplémentaires en régime saisonnier selon les
dépendant de ses institutions (temples, domai- besoins de l’institution : les domaines aHt et aHt-bH
nes de la couronne, exploitations accordées aux du papyrus Reinhardt suggèrent une situation de
dignitaires, etc.). D’une part, l’importance du ce type, tout comme la mention occasionnelle du
système de rations et des prestations en travail qui recrutement de corvéables mrt au profit d’une
liait directement l’État à ses sujets, ainsi que le institution. De ce point de vue, les domaines
poids des prélèvements fiscaux en nature ou en aHt et les jHwtjw auraient constitué la base de la
produits transformés (grain, étoffes), limitait tant production céréalière des institutions et auraient
le recours aux salaires que le volume des échan- fourni les ressources considérés minimales à leur
ges dans les marchés. Le développement des fonctionnement, notamment au Nouvel Empire
activités productives et commerciales en dehors en raison de l’abondance de travailleurs arrivés
des circuits institutionnels sera un processus lent, en Égypte. On peut considérer comme probable
dont l’essor n’aura lieu qu’avec la généralisation que le nombre des domaines aHt et des jHwtjw au
des transactions « monétaires » dans un sens large.
service d’une institution marquait le seuil tech-
D’autre part, l’exploitation des terres institution-
nique de viabilité (nombre d’équipes d’araires,
nelles s’effectuait au moyen de plusieurs modali-
d’attelages, de cultivateurs permanents, etc.) à
tés de travail (contrats, corvée, mrt et jHwtjw), ce
partir duquel l’entretien du système devenait
qui évitait à l’institution le recours exclusif à des
trop onéreux et le recours à d’autres formes de
travailleurs permanents, un fardeau trop lourd
travail était souhaitable. Ce système obéit donc à
pendant les périodes quand les activités agrico-
une logique bien documentée au Proche-Orient
les étaient beaucoup moins exigeantes en main
ancien, où une partie des terres des institutions
156. Sur le rôle des asiatiques dans la production du vin était confiée à des équipes permanentes d’arai-
et de l’huile, cf. D. Meeks, « Oléiculture et viticulture dans
l’Egypte pharaonique », dans M.-C. Amouretti, J.-P. Brun 157. Cf., par exemple, le pMMA 3569+pVienne
(éd.), La production du vin et de l’huile en Méditerranée, Athènes, 38(3934/37)/9532a/b, de l’an 16 de Ramsès III (=KRI
1993, p. 17. On ajoutera G. Bouvier, Les étiquettes de jarres hiéra- VII 269:5-270:1), où plusieurs chefs militaires sont chargés
tiques de l’Institut d’Egyptologie de Strasbourg, fasc. 5, Le Caire, de pA skA nA xA-n-tA aAw n pr-aA « la culture des grands domaines
2003, p. 211-215. xA-n-tA du Pharaon ».

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LES jHwTjw ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU IIIe AU Ier MILLÉNAIRE AVANT J.-C.

res, chacune desquelles labourait des champs entre les domaines aHt et d’autres terres institu-
de dimensions standardisées et s’acquittait des tionnelles exploitées au moyen de corvées tempo-
quotas de grain versées à l’institution158. raires ou cédées à des particuliers. La disparition
Pour finir, je voudrais insister sur le fait que progressive des jHwtjw au cours de la deuxième
les terres aHt se caractérisent par leur condition moitié du Ière millénaire s’explique probablement
de champs d’une nature très particulière, voués par la rareté des déportés et des prisonniers de
à la production de quotas de céréales, cultivés à guerre, par la généralisation des salaires, des
partir de certaines formes de travail obligatoire contrats de fermage des terres institutionnelles
différentes des corvées ordinaires (comme l’at- et d’une économie de plus en plus monétaire159.
testent les décrets de Coptos du IIIe millénaire) Des phénomènes qui coïncident dans le temps,
et labourés par un personnel attaché en perma- non par hasard, avec l’intégration de l’Égypte
nence à ces domaines, au moins en ce qui dans les circuits commerciaux internationaux de
concerne les jHwtj de base. D’où les différences l’Âge du Fer et avec une période prolongée de
faiblesse de l’État160. La tablette MMA 35.3.318
158. Pour le rôle des équipes d’araires dans l’écono-
mie mésopotamienne, cf. G. van Driel, « Institutional and
du règne de Taharqa, où un jHwtj emprunte des
non-institutional economy in ancient Mesopotamia », dans céréales auprès d’une institution avec le compro-
A. C. V. M. Bongenaar (éd.), Interdependency of Institutions mis de les retourner avec un intérêt de 50%161,
and Private Entrepreneurs (MOS Studies, 2), Leiden, 2000,
p. 5-23 ; Idem, « The Mesopotamian north : land use, an
ou le papyrus ptolémaïque Brooklyn 47.218.135,
attempt », dans F. A. M. Jas (éd.), Rainfall and Agriculture où des cultivateurs labourant des exploitations
in Northern Mesopotamia (MOS Studies, 3), Leiden, 2000, standardisées de 20 aroures chacune, mais en
p. 265-299. Vid. aussi du même auteur « Agricultural entre-
preneurs in Mesopotamia », dans H. Klengel, J. Renger (éd.),
échange d’un salaire, seraient de bons exemples
Landwirtschaft im Alten Orient (Berliner Beiträge zum Vorderen de cette transformation.
Orient, 18), Berlin, 1999, p. 213-223. Cf. I. J. Gelb, « The Arua
institution », RA 66 (1972), 1-32, où il étudie le recrutement
de veuves, orphelins et personnes démunies afin de travailler,
souvent dans des conditions très dures, dans les temples. On
ajoutera aussi N. Vanderroost, « Distribution géographique
et organisation administrative des équipes agricoles de la
province d’Umma », dans S. J. Garfinkle, J. Cale Johnson
(éd.), The Growth of an Early State in Mesopotamia : Studies in
Ur III Administration, Madrid, 2008, p. 129-139. M. Liverani
a consacré d’excellents articles aux installations agricoles
de la couronne dans le royaume d’Ougarit et à leur impact
économique et démographique sur les villages du royaume : 159. B. P. Muhs, Tax Receipts, Taxpayers, and Taxes in Early
« Economia delle fattorie palatine ugaritiche », Dialoghi di Ptolemaic Egypt (OIP, 126), Chicago, 2005, p. 3-5. On remar-
Archeologia 1 (1979), 57-72 ; Idem, « Ville et campagne dans le quera au passage la généralisation des contrats non seule-
royaume d’Ugarit. Essai d’analyse économique », dans Studies ment dans le domaine de l’agriculture institutionnelle mais
in Honour of I. M. Diakonoff, Warminster, 1982, p. 250-258. Cf. aussi dans les accords de mariage : E. Lüddeckens, Ägyptische
aussi J. N. Postgate, Taxation and Conscription in the Assyrian Eheverträge, Wiesbaden, 1960. Ou l’apparition de manuels juri-
Empire, Rome, 1974 ; R. K. Englund, « Hard work—where diques en Égypte : K. Donker van Heel, The Legal Manual of
will it get you ? Labor management in Ur III Mesopotamia », Hermopolis [P. Mattha]. Text and Translation, Leiden, 1990.
JNES 50 (1991), 255-280 ; M. Stol, « Old Babylonian corvée 160. Pour une discussion détaillée, cf. J. C. Moreno
(tupšikkum) », dans Th. P. J. van den Hout, J. de Roos (éd.), García, « L’évolution des statuts de la main-d’œuvre rurale
Studio Historiae Ardens : Ancient Near Eastern Studies Presented to en Egypte de la fin du Nouvel Empire à l’époque Saïte (ca.
Philo H. J. Houwink ten Cate on the Occasion of his 65th Birthday, 1150-525 av. J.-C.) », dans J. Zurbach (éd.), Travail de la terre
Leiden, 1995, p. 293-309 ; F. A. M. Wiggermann, « Agriculture et statuts de la main-d’œuvre en Grèce et en Méditerranée archaïques,
in the northern Balikh Valley : the case of Middle Assyrian Tell VIIIe-Ve s. (Bulletin de Correspondance Héllénique), Athènes
Sabi Abyad », dans F. A. M. Jas (éd.), Rainfall and Agriculture in (sous presse).
Northern Mesopotamia (MOS Studies, 3), Leiden, 2000, p. 171- 161. J. Černy, R. A. Parker, « An abnormal hieratic
231, surtout p. 185-193. tablet », JEA 57 (1971), 127-131, pl. 35.

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