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Dialogues d'histoire ancienne

Les mercenaires de la guerre lamiaque


Madame Ludmila P. Marinovic, Jacqueline Gaudey

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Marinovic Ludmila P., Gaudey Jacqueline. Les mercenaires de la guerre lamiaque. In: Dialogues d'histoire ancienne, vol. 15,
n°2, 1989. pp. 97-105;

doi : https://doi.org/10.3406/dha.1989.1848

https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1989_num_15_2_1848

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DHA 15,2 1989 97-105

LES MERCENAIRES DE LA GUERRE LAMIAQUE

Ludmila P. MARINOVIČ
Académie des Sciences de l'URSS -Moscou

Nous rencontrons d'emblée les mercenaires, dès que nous nous


référons à Diodore : il est notre source principale sur la guerre
lamiaque. L'historien sicilien parle à deux reprises de ses causes et
explique son origine de diverses façons. Dans le premier cas (17, 111,
1), il prépare son exposé de la cause directe par une phrase un peu
vague sur les troubles et mouvements en faveur de la transformation
de la Grèce : c'est ainsi que débute la guerre lamiaque (lapa/cù
auWcrravTO xaî npay\i&T(ù\ xaiv&v xivifaetç , éC <«>v ЛацлакЬс
noXep.oç xXn6eïç ČXape tíjv àpxîiv ), qui éclata pour la raison
suivante : après être revenu de sa campagne indienne, Alexandre le
Grand ordonna à tous les satrapes de congédier les mercenaires ;
beaucoup d'entre eux se dispersèrent en Asie et subsistèrent grâce aux
pillages. En fin de compte, ils affluèrent de toutes parts au cap
Ténare l et furent rejoints par leurs chefs, qui avaient récolté de
l'argent et rassemblé des troupes. A la suite de circonstances que nous
ignorons, les mercenaires élurent un stratège autokrator, l'Athénien
Léosthénès. On ne connaît presque rien de ses antécédents 2 ; il se peut
qu'il ne fût pas un aventurier ordinaire, mais eût conservé des liens
avec sa polis natale, de même que certains généraux athéniens qui
soit avaient été élus stratèges par le peuple, soit étaient partis à
l'étranger en qualité de mercenaires (Chabrias, Charidémos et
autres). Léosthénès jouissait manifestement d'une notoriété parmi les

1. Sur le Ténare comme marché de mercenaires, voir G.T. GRIFFITH,


The Mercenaries of the Hellenistic World, Cambridge 1935, p. 259 sq.
1 Cf. GEYER, s.v. Léosthénès. 2, RE, 1925, col. 2060.
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mercenaires : en témoigne son élection (cf. Paus. I, 25, 5). Il s'avère


plus loin que Léosthènès noua des liens secrets avec la boulé
athénienne et obtint 50 talents et des armes à distribuer aux
mercenaires. Il entama aussi des pourparlers pour une alliance avec
les Etoliens, qui étaient hostiles au roi de Macédoine. En quelques
mots, « prévoyant que la guerre serait lourde, il s'y préparait
activement » (Diod., 17, 111, 3). Revenant sur ces événements au livre
suivant (18, 9, 1-3), Diodore précise que Léosthènès agissait sur
l'ordre secret des Athéniens, qui l'avaient chargé de recruter des
soldats comme si c'était en son nom, pour gagner du temps. L'historien
signale également que la somme nécessaire fut envoyée sur l'argent
d'Harpale et que Léosthènès recruta 8 000 mercenaires libérés par les
satrapes : des guerriers expérimentés, endurcis par de nombreuses
batailles en Asie 3.

Le second récit de Diodore ne mentionne pas de mercenaires, mais


il faut s'y arrêter brièvement, pour comprendre le rôle joué par les
mercenaires dans l'éclatement de la guerre lamiaque. Selon le
témoignage de notre auteur, la cause de cette guerre fut le décret
d'Alexandre sur les exilés 4. En août 324, pendant les Jeux olympiques,
Nicanor émit un décret selon lequel tous les exilés (excepté les
meurtriers et les sacrilèges) obtenaient le droit de revenir dans leur

On résout de diverses façons la question des pourparlers entre les


Athéniens et Léosthènès : avant ou après la mort d'Alexandre (Diod.,
18, 9, 4 - bruit possible de la mort d'Alexandre en Inde ?). Il semble que
le texte de Diodore favorise le premier point de vue. Lorsqu'il relate les
faits survenus après le décès du roi (18, 9, 1), il revient manifestement à
des événements plus anciens, qui faisaient l'objet du 17, 111, 1-3). (Il est
évident qu'alors la guerre n'était qu'une question de temps). Dans 18, 9,
2, lorsqu'il explique pourquoi les Athéniens agissaient en secret,
Diodore note qu'ils voulaient mettre toutes les chances de leur côté
pour faire les préparatifs et devancer ainsi ceux d'Antipater. Dans la
littérature récente, v. F. MITCHEL, A note on IG II2 370, Phoenix, 18,
1964, p. 16 sq. ; A. B. BOSWORTH, Gnomon, 57, 1985, p. 435 ; cf. W.
WILL, Athen und Alexander. Untersuchungen zur Gesch.ich.te der
Stadt von 338 bis 322 v. Chr., Munchen 1983, p. 129 sq. ; S. JASCHINSKI,
Alexander und Griechenland unter dent Eindruck der Flucht des
Harpalos, Bonn 1981, p. 53, 169 sq.
C'est un exposé répétitif et prolixe sur le décret (18, 8, 1-5) ; la première
fois (17, 109, 1), Diodore parle en quelques mots du fait précis de
l'autorisation d'Alexandre. Cf. Plut., Alex., 49, 8.
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patrie. La raison en était, dit Diodore, autant le désir de gloire


d'Alexandre que le souci d'avoir dans chaque polis des fidèles
partisans. Aux Jeux olympiques étaient présents 20 000 exilés qui
accueillirent avec enthousiasme le décret royal. A Athènes et en
Étolie, néanmoins, la décision d'Alexandre provoque colère et effroi :
les Étoliens avaient chassé les citoyens de la ville d'Ainia et
craignaient le châtiment du roi ; en ce qui concerne Athènes, ses
clérouques, qui s'étaient établis sur les terres des Samiens exilés,
devaient maintenant libérer l'île. Mais étant donné que les forces
athéniennes, comme l'explique Diodore (18, 8, 6), cédaient le pas aux
forces royales, ils décidèrent de ne pas agir ouvertement et
d'attendre des conditions favorables, « que le destin leur offrit
bientôt ».

Ainsi en Grèce apparaissaient deux foyers actifs de


mécontentement à l'égard de la Macédoine, l'un chez les mercenaires,
au cap Ténare, le second à Athènes et en Étolie. La nouvelle de la
mort d'Alexandre les réunit.

Il nous faut ici aborder la question des sources de Diodore.


Manifestement, il donne deux motivations à la guerre lamiaque qui se
répètent en partie. La répétition notée n'est pas unique : les retours en
arrière (par ailleurs nullement obligatoires), au temps d'Alexandre,
sont assez fréquents au début du livre 18 5. On se demande
naturellement ce qui les provoque, si la faute en est aux sources de
Diodore ou à lui-même, si Diodore a utilisé le travail d'un historien
qui écrivait annalistiquement - c'est-à-dire sur les événements qui
précèdent la mort d'Alexandre -, en se plaçant conformément à la
chronologie, et ensuite parlait des événements de l'année où débuta
la guerre en les résumant, ou bien si Diodore a suivi deux sources
différentes. Malheureusement, cette question reste sans réponse. Si
même on suppose une source unique pour la guerre lamiaque dans les
livres 17 et 18 (ce qui est peu probable 6), à savoir Hiéronymus, il faut
dire que celui-ci à son tour avait recours à des auteurs plus anciens 7 ;

II y en a 15 au minimum (J. HORNBLOWER, Hiéronymus of Cardia,


Oxford 1981, p. 33, n. 51).
E. LEPORE, Leostene e le origini délia guerre Lamiaca, PdP, XLII,
1955,p. 161-185.
J. HORNBLOWER, Hiéronymus..., p. 60.
100 Ludmila P. Marinovič

mais on admet comme source Diodore et Diyllos 8. En tout cas, il est


possible de voir dans la double motivation de la guerre lamiaque
selon Diodore le reflet de la réalité, à savoir des préparatifs pour
cette guerre avant la mort d'Alexandre. La conjoncture au Ténare et le
décret sur les exilés sont plutôt des prétextes de guerre, et la première
est en outre une circonstance favorable. Diodore (18, 9, 1) note lui-
même qu'en fait de ressources militaires (àcpopfiàç Se ëoy^ov tiç
tov nóXefJLOv) les Athéniens avaient l'argent laissé par Harpale,
ainsi que les mercenaires qui attendaient au Ténare. Ainsi, le premier
motif de guerre exposé dans les livres 17 et 18 devient le moyen de
cette guerre. En ce qui concerne sa raison principale, n'est-ce pas celle
qu'avait en vue notre auteur, lorsqu'il mentionne les тарах^ et les
прау[10т(|)у xaivuv xivfjaeiç en Grèce, « dont tire son origine la
guerre dite lamiaque » (17, 111, 1) ?

Les autres sources ne mentionnent pas de mercenaires, lorsqu'elles


parlent de l'éclatement de la guerre. Justin aussi (XIII, 5, 1-2) relie
étroitement l'édit sur les exilés à la guerre lamiaque, sans signaler
cependant ses conséquences critiques pour Athènes et l'Étolie. Il écrit
directement que les Athéniens ont fomenté la guerre du vivant du roi.
Chez Quinte Curce (X, 2, 1-7), ce lien n'est pas aussi clair, et la
chronologie est incorrecte par suite d'un mélange de faits, mais le
décret est également exposé dans une perspective de guerre.

Ainsi, pour en revenir à Diodore, nous répétons : les mercenaires,


qui n'étaient pas à leur affaire après leur dissolution par les satrapes
due au décret d'Alexandre, se rassemblèrent au cap Ténare, où
Léosthénès les engagea bel et bien au nombre de 8 000, auxquels les
Athéniens ajoutèrent ensuite 2 000 hommes 9.

Il est probable que les contingents mercenaires restaient


numériquement inchangés (sauf pertes) 10, car ne rentraient chez eux, pour

& N. G. L. HAMMOND, Three Historians of Alexander the Great,


Cambridge 1985, p. 73 sa.
9. Diod., XVII, 111, 1-3 ; XVIII, 9, 1-4 ; II, 3 ; Paus., I, 25, 5. Cf. G. T.
GRIFFITH, The Mercenaries..., p. 35 sa.
10. Diodore ne mentionne les mercenaires qu'en liaison avec les
préparatifs et le début de la guerre ; ensuite, ils disparaissent et, selon
toute apparence, sont sous-entendus, lorsqu'il s'agit des troupes
d'Athènes ou de l'alliance hellène, manifestement parce que les
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telle ou telle raison, que les citoyens des poleis (Diod., 18, 15, 2 ; 17,
1-2). Il y a deux chiffres qui témoignent de l'effectif total de l'armée
alliée : dans la bataille contre Léonnatos, elle comptait 22 000
fantassins et 3 500 cavaliers (Diod., 18, 15, 2) ; dans le combat de
Crannon, 25 000 fantassins et également 3 500 cavaliers (18, 17, 2).
Par conséquent, les mercenaires formaient dans le premier cas aux
alentours de 45 % de l'infanterie et dans le second environ 40 %.
Nous sommes conscients de l'approximation de ces chiffres, étant
donné que l'on ne peut compter les pertes, les cas de désertion et
autres ; ce qui est important ici, néanmoins, ce ne sont pas tant les
chiffres absolus que le rapport approximatif entre le nombre de
citoyens et le nombre de mercenaires de l'armée grecque.

Les mercenaires de Macédoine ne sont mentionnés qu'une fois : dans


la description d'un événement qui ne joue pas du tout un rôle
important pendant la guerre, à savoir le débarquement de troupes
macédoniennes en Attique, près de Ramnonthe (Plut., Phoc, 25). Il est
douteux que cette situation soit fortuite. Antipater possédait de gros
moyens (Alexandre avait expédié d'énormes richesses d'Asie en
Macédoine), de sorte qu'il pouvait lever un grand nombre de
mercenaires, mais cela n'eut pas lieu, et les sources témoignent
unanimement du caractère « national », macédonien, de l'armée
d'Antipater et des troupes de Léonnatos et de Cratère qui lui étaient
venues en aide. En particulier, Diodore indique, lorsqu'il caractérise
les forces d'Antipater à la veille du combat de Lamia, qu'elles
étaient composées de Macédoniens (18, 12, 2). Comme pour souligner
le caractère macédonien de cette armée, il explique sa faible quantité
dans la phrase suivante par le fait qu'en Macédoine il y avait peu de
soldats-citoyens (атратют&у noXiTix&v), car on les avait expédiés
en Asie. L'armée de Léonnatos était également composée de
Macédoniens : Diodore qualifie sa phalange de macédonienne (18, 15,
4) et mentionne une mobilisation effectuée en Macédoine (18, 14, 5).
Enfin, relatant la jonction des deux forces après la clôture du combat
et la mort de Léonnatos, Diodore (18, 15, 5) écrit : « Tous les
Macédoniens (oi navxeç MaxeSoveç) se rassemblèrent dans un seul
camp ». Aussi clairs sont ses renseignements concernant l'armée de
Cratère, qui était composée de Macédoniens ayant terminé leur temps

mercenaires étaient également grecs, qu'ils opéraient dans les troupes


civiques et qu'il n'y avait aucune raison de les distinguer.
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de service et qu'il devait reconduire dans leur patrie ; la composition


ethnique de cette armée est précisée : Macédoniens et fantassins
légers de Perse (18, 16, 4). Si des mercenaires avaient été inclus, ils y
auraient été cités.

La question se pose naturellement des raisons de cette situation :


le rôle important des mercenaires dans l'armée grecque et leur
absence quasi totale dans les troupes macédoniennes. Il semble que la
raison soit double (plus précisément, on peut parler de deux aspects
d'un seul et même phénomène) : la réticence des mercenaires à servir
en Macédoine et la peur d'Antipater (et d'autres généraux en activité
en Grèce) de recruter des Grecs, du fait que, dans un moment décisif,
ils pouvaient passer du côté ennemi, comme l'avaient fait les
Thessaliens au tout début de la guerre (18, 12, 3). A première vue,
cette hypothèse est absurde (18, 12, 3) : dans la littérature consacrée
aux mercenaires du IVe s., la thèse de leur apolitisme est devenue un
lieu commun 11. Rappelons également que, dans l'armée d'Alexandre,
servaient en grand nombre des mercenaires grecs, tout comme chez les
Diadoques 12. Il en résulte qu'en principe les mercenaires, tout en
restant une force apolitique, étaient obligés, dans des circonstances
exceptionnelles, de définir leur position politique et d'agir en
conformité. Une de ces exceptions, à ce qu'il semble, fut bel et bien le
petit laps de temps entre 324 et 322, c'est-à-dire immédiatement
avant la guerre lamiaque et l'année de la guerre. Essayons
d'examiner ce problème de façon plus large, à l'aide de certains éléments, de
notre point de vue essentiels 13.

11. L. P. MARINOVIČ, Le mercenariat grec et la crise de la polis, Paris


1988, p. 181 sa., 268.
12. H. W. PARKE, Greek Mercenary Soldiers from the Earliest Times to
the Battle of Ipsys, Oxford 1933 ; G. T. GRIFFITH, The Mercenaries...,
p. 8 sa.
13. G. A. KOCHELENKO, Vosstanie grekov v Baktrii I Sogdiane v 323 g. do
n.e. i nekotorye aspekty gretcheskoí polititcheskoï mysli IV v. do n.e.
(Soulèvement des Grecs en Bactriane et en Sogdiane en 322 et certains
aspects de la pensée politique grecque du IVe s.), VDI, 1972, n° 1, p. 16-
43 ; idem, Gretcheski polis na ellinistitcheskom Vostoke (La polis
grecque en Orient hellénistique), Moscou 1979, p. 181-221 ; E. BADIAN,
Harpalus, JHS, 81, 1961, p. 16-43.
Dialogues d'Histoire Ancienne 103

Alexandre fut, dès le début, confronté au problème des


mercenaires, qui pour lui comportait deux aspects : les mercenaires à son
service et les Grecs dans les troupes de Darius. Initialement, la
question s'avéra plus complexe. Après la bataille du Granique,
Alexandre fit tout d'abord prisonniers les mercenaires grecs qui
avaient combattu dans l'armée des Perses et, en pleine conformité
avec les mots d'ordre par lesquels avait débuté la guerre, les déclara
ennemis de tous les Hellènes et les expédia en Macédoine exécuter des
travaux pénibles (Arr., Anab 1, 16, 6). Il comprit néanmoins bientôt
son erreur, car les Grecs se mirent à combattre avec plus
d'acharnement dans les rangs ennemis 14. Alexandre changea donc de politique
et promit aux mercenaires le pardon et l'incorporation dans son
armée, s'ils cessaient de s'opposer à lui. Les mercenaires réussissaient
quelquefois à quitter complètement le théâtre des actions guerrières :
ainsi, après la bataille d'Issos, 8 000 Grecs se replièrent en bon ordre
du champ de bataille, et au moins une partie d'entre eux abandonna
complètement l'Asie 1S. En tout cas, il est clair qu'après l'écrasement
des Perses une partie des mercenaires grecs réussit à revenir en Grèce
et qu'une partie fut incluse dans l'armée d'Alexandre et dans les
détachements qui lui étaient soumis.

La phase suivante des rapports entre Alexandre et les


mercenaires est liée à ses tentatives pour les établir dans les villes qu'il
avait fondées. Cette tentative s'avéra en fin de compte un échec : les
efforts pour transformer les Grecs en sujets du roi privés de droits,
pour les contraindre à vivre dans des conditions qui ne
correspondaient pas au mode de vie grec, provoquèrent leur mécontentement.
On connaît un mouvement grec en 325 et un soulèvement de grande
ampleur en 323 en Bactriane et en Sogdiane, auquel prirent part plus
de 20 000 mercenaires convertis de force en colons 16.

A ce propos, donnons un extrait très curieux de Pausanias. En


parlant de Léosthénès, Pausanias explique : « II avait bel et bien déjà
rendu service à tous les Grecs. Quand Alexandre voulut établir en
Perse tous les Grecs qui servaient comme mercenaires sous Darius et
ses satrapes, Léosthénès le devança et les fit passer en Europe sur des

14. V. exemples : E. BADIAN, Harpalus, p. 25.


15. H. W. PARKE, Greek Mercenaries..., p. 199.
16. G. A. KOCHELENKO, Vosstanie grekov. . ., p. 16 sq.
104 Ludmila P. Marinovic

navires » 17. Cette nouvelle s'inscrit bien dans le tableau général, et


le rôle conducteur de Léosthénès dans l'opération de transfert des
anciens mercenaires grecs en Grèce est très probable. N'est-ce pas à
ces événements que remonte la haine de Léosthénès pour le roi, plus
tard mentionnée par Diodore (17, III, 3) ? Si l'on considère que la
réalisation de cette entreprise était sans doute au-dessus des forces
d'un seul homme, on se demande s'il ne fut pas soutenu par une force
plus organisée et puissante, à savoir Athènes. Cette hypothèse ne
semble pas audacieuse, quand on sait quelle aide active les
Athéniens apportèrent aux mercenaires, parce qu'ils comptaient sur
eux pour une future guerre contre la Macédoine. Souvenons-nous
également que, déjà quelques années avant ces événements (apparemment
peu après l'écrasement des forces d'Agis III), Hypéride protestait
contre la dissolution des mercenaires de Charès (Plut., X, Orat. vit.
848e). En tous cas, il est très significatif que ce soit Hypéride, qui
collaborait étroitement avec Léosthénès - chef reconnu des
mercenaires -, qui ait déjà placé en eux ses espérances. Il y a donc lieu de
penser qu'au moins les ennemis les plus naturels de la Macédoine
suivaient depuis longtemps une ligne de conduite déterminée à
l'égard des mercenaires.

Les relations d'Alexandre avec les mercenaires devinrent encore


plus complexes, après qu'il fut revenu de sa campagne indienne. On
sait que, pendant le séjour du roi en Inde, la situation intérieure de
l'État se tendit à l'extrême ; beaucoup de satrapes et autres
fonctionnaires, qui ne croyaient pas à un retour heureux d'Alexandre, se
conduisirent comme des régents indépendants. Il dut à son retour faire
un nettoyage sévère. Une des mesures qui avaient pour but de
renforcer sa position fut l'ordre, déjà mentionné, qu'il donna aux satrapes de
dissoudre les mercenaires. L'ordonnance royale eut de lourdes
conséquences pour les mercenaires en les privant de leurs moyens de
subsistance et de leur mode de vie habituel. Beaucoup n'avaient sans doute
pas la possibilité d'échanger le service sous un satrape contre le
service d'Alexandre, car le roi créait une armée de jeunes Perses 18 qui
semblait plus fiable et correspondait à ses nouveaux plans et dessins.
Alexandre leur proposait une autre voie - celle des colons -, mais
nous avons vu que cela ne faisait pas leur affaire. Le résultat en fut

17. Paus. I, 25, 5 ; cf. VIII, 52, 5 (Leur nombre - 50 000 - est certainement
exagéré).
18. Arr. Anab. VII, 6, 1 ; Diod., 17, 108, 1 ; Plut., Alex., 71, 1-3.
Dialogues d'Histoire Ancienne 105

naturellement ce que communique Diodore : les mercenaires pillèrent


l'Asie.

Ainsi, en 324 le problème des rapports entre Alexandre et les


mercenaires s'exacerba. La haine pour Alexandre grandit chez eux et
provoqua l'explosion générale. Leur arrivée en Grèce améliora peu,
en fait, leur situation. La Grèce était « pacifiée » et se trouvait sous
le contrôle d'Antipater. Sous protectorat macédonien, les cités
étaient empêchées de mener leur politique extérieure habituelle et
par là même n'éprouvaient pas le besoin de mercenaires. Dans ces
conditions, le seul salut était de subsister sur les moyens dont
disposait Léosthénès, mais c'était encore une affaire d'avenir, même s'il
était proche.

Alexandre ne pouvait évidemment pas ne pas constater toute


l'importance de la menace que représentaient pour lui les anciens
mercenaires, et, s'il ne faut peut-être pas y voir la cause principale
de la sortie d'un décret sur les exilés 19, le lien est indubitable : l'exil
politique est une des causes du mercenariat du IVe s. 20. Conformément
au décret, les exilés commencèrent à revenir, entre autres ceux que
l'exil avait obligés à devenir mercenaires. Mais ce décret contribua
peu à changer l'attitude des mercenaires envers Alexandre : ceux qui
voulaient revenir revenaient ou essayaient d'y parvenir, et par
conséquent le service ne les intéressait plus du tout ; pour les autres
rien ne fut changé.

Il semble donc que la situation engendrée par la politique


d'Alexandre amena, en fin de compte, les mercenaires,
habituellement apolitiques, à haïr l'ensemble de la Macédoine, et c'est cela, du
moins en partie, qui explique l'originalité de leur position dans la
guerre lamiaque.

Ludmila P. MARINOVIC
(Trad. Jacqueline GAUDEY)

19. Cf. E. BADIAN, Harpalus, p. 16 sq.


20. L. P. MARINOVIC, Le mercenariat..., p. 148 sq.

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