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Jacques Chabrillat

Ecole nationale supérieure des sciencesde l'information


et des bibliothèques
Institut national de formation des bibliothécaires

ANNÉES
DIX DE GESTION

DES ENTREPRISES CULTURELLES

UN BILAN AU SERVICE DES BIBLIOTHÈQUES

LA
thèques GESTION des biblio- desprofessionnelsdu secteur,mais privée - de leur création»'. Dénomi-
estun sujetsur lequel aussides partenairesinstitutionnels nation complexe,donc, qui met en
les questionnements sont (Etat,collectivitéspubliques...).
Elles parallèledes organisations -struc-
nombreux,et lescontroverses rapides se sontfocaliséesautourde l'émer- tures de création,de production,de
à se développer.Dans une situation gencedu conceptd'entreprisecultu- diffusion, patrimoniales,pour une
économiquedifficile, l'optimisation relle,et soncorollaire,à savoirl'inté- grande part sous statut public ou
de l'utilisation des ressources grationdeconceptset méthodesissus parapublic - qui visent d'abord et
publiquespourunemeilleuresatisfac- du mondedel'entreprise,industrielle avant tout l'excellence de projets
tion desusagersestdevenueun enjeu et commerciale. artistiqueset culturels,et la référence
important, voire central : de ce Nousévoquerons dansune première à une philosophie -celle de l'entre-
constatsont néesles rechercheset partielesprincipauxenseignements à prise-, à desméthodes, despratiques
applicationsportantsur l'évaluation tirer de cesdix annéesde gestiondes privilégiantl'autonomie,la recherche
des performances,la mise en place entreprises culturellesavant,dansun du développement par la capitalisa-
de tableauxde bord,et plus globale- deuxième temps, d'essayer d'en tion de profits.
mentl'idéequ'il y a,dansunebiblio- extrairequelquesorientationset pers-
thèque,matière -et besoinurgent -à pectivesconcernant lesbibliothèques
travailler sur les conditionsécono- et leur gestion. Reronnaissance,
miquesde réalisationdes missions, revendication
surl'organisationinterne,surla place Les entreprises culturelles
véritablementdonnéeaux publicset Cette dénomination a pris place
à sesattentes. « Le terme d'entreprise culturelle - depuisledébutdesannées80 - dans
Ces interrogationset travaux pren- recouvre un ensemblehétérogène le cadred'un doublemouvement, de
nent placedans un champ - le sec- dont la diversités'expliquetant par revendicationet de reconnaissance.
teurculturel - qui a lui mêmeconnu, l'appartenanceà dessecteursartis- Revendicationpar les structuresde
dans la dernière décennie,de pro- tiques distincts (lecture publique, leur autonomiede gestion,renforçant
fondes mutationsau niveau de ses spectaclevivant,conservation et ani- leur autonomieartistique,revendica-
pratiques de gestion et surtout au mationdu patrimoine,artsplastiques,
niveaumêmede la définitiondu rôle, audiovisuel,éditionlittéraire et pho-
de la fonction,de la forme desstruc- nographique...) quepar l'histoire des 1.Jean-Philippe
DURAND, Lemarketing des
turesqui y oeuvrent ces : évolutions structuresconsidérées, et plus parti- activités
etdesentreprises
culturelles,
Lyon,
marquentles attitudeset pratiques culièrementl'origine - publique ou Agec-Juris
Services,
1991.
tion égalementde la structurationde moyenspeimanents (moyens humains, tiquestarifaires,identification
desstra-
leur secteur d'activité dans une techniques...),subventionsd'aide au tégiesdecommunication ont - fait par
logique de marché,construit entre projet,à laproduction, à lacréation,
à la la suiteleurentréedansle champdes
professionnels2. diffusion-, poursoutenirplusspécifi- pratiquesprofessionnelles desentre-
Reconnaissance parlespartenairesins- quementlessecteurs et niveauxd'acti- prisesculturelles :non paspoursim-
titutionnelsde l'intérêt de contracter vité pourlesquelsleschoixpolitiques plement retranscriredes méthodes
avecdesunités indépendantes, auto- déterminent despriorités. publicitairesaux produitset services
nomes,qui peuventet doiventdisposer culturels,maisbienplutôt pourtenter
desmargesde manoeuvre nécessaires Intégration des méthodes d'appréhender de façonaussifine et
pour construire
et piloterleur dévelop- scientifiquequepossiblele rapportaux
pement,et devenirdespartenaires per- Dansce contextede profondeévolu- marchés, auxpublics,auxutilisateurs.
tinentsdescollectivitésdansla réalisa- tionde la logiquemêmedel'offre cul- Enfin, et dansun troisièmetemps,la
tiondespolitiques culturelles. turelle - publique, parapublique, notionmêmede gestionstratégique a
privée -la reconnaissance, la revendi- pris pieddansle milieuculturel :arti-
Contexte cationdeladimension entrepreneuriale culantstratégiemarketing -concepts,
desprojetsculturels -largeautonomie méthodeset outils d'optimisationde
Cesévolutionsprennentplacedans quantauxchoixartistiques, financiers, l'entrepriseà sonenvironnement et -
un contextede développementdes humains-, dansun contextede parte- contrôlede gestion -définition,mise
pratiquesculturelles,d'identification nariatet contractualisationavecles en place et pilotage des ressources
de la placede la culturedanslespro- partenaires institutionnels,se sontévi- nécessaires pourla réalisation
despro-
blématiquesde développement local, demmentrapidement traduites parune jets et la pérennité financière de
mais aussid'affirmationd'une fonc- évolution des pratiquesde gestion. l'organisation -, cetteapproche identi-
tion emblématique de la « chosecul- Cetteévolutions'estmiseen placeen fie la notion de « vocation », fait
turelle » (fonction identifiable,sous troistemps. émergerle « projetd'entreprise», qui
sonaspectfinancier,dansle dévelop- S'agissanttout d'aborddesquestions va fournir le lien pour l'adéquation
pement du mécénatculturel). Une de gestionfinancière,les entreprises entrele fonctionnement interneet le
rapportà l'environnement4.

Le sens de ces pratiques


Penchons-nous surcespratiqueselles
:
sontessentiellement tournéesversla
satisfactiondespublics consomma-
teursdebienset deservices le - public
logique de marché,de métiers, de culturellesont comprisqu'ellespou- devientcentral,premierdansl'analyse
professionnalisations'estdoncdessi- vaient - aprèsun tempsd'analyseet et la miseenoeuvredesprojets-, et le
née,en corollairedelaquellela struc- de nécessairereconfiguration mobi-
- pilotagestratégique de l'organisation
turationdesfonctionsa étérenforcée liserde nombreuxoutils issusdu sec- centréautourdesnotionsde producti-
(conventionscollectives,explosion teur marchandpour optimiser leur vité (optimiser la quantité produite
de l'offre en formation profession- fonctionnement le : contrôlede ges- pour un même effort financier,
nelle continue,formation initiale et tion - gestionbudgétaireet analyse humain,techniqueet de rentabilité,
supérieure...) financière-, a donc ététout d'abord (optimiserle résultatparrapportà cet
Cesprocessusont étéaccompagnés visé :parla miseenplacedecompta- effort).
par lesinterventions publiques -tou- bilités analytiques,le travail sur la Elles utilisent enfin une méthode
jours présentesévidemment -, qui ont structuration des prix de revient, - dite du contrôle budgétaire - qui
contribuéà la créationd'entitésjuridi- l'analysedesmarges, la recherche des consiste :
quementindépendantes (associations, seuils de rentabilité,les entreprises - à déterminerlesobjectifs -quantita-
sociétés d'économiemixte,...)et affiné culturellesont apprisà mieux maîtri- tifs et qualitatifs -que s'assigneune
les outils financiersd'intervention : serleur rapportfinancierà l'environ- organisationpour une périodedon-
subventionsd'investissement pour - nement,rapportdéterminantdansle née : ces objectifs sont financiers,
construireet renforcerlesoutilsdetra- cas de structuresqui doivent, pour
vail -, subventionsde fonctionnement certaines,comptersurdesressources
financer les structures et 3.Aupassage,denombreux lieuxcommuns
- pour propresimportantesafin d'équilibrer ontétémisà bas,entre
autres celuidu
leur gestioncourante,et se doterdes caractère
nonlucratifdel'actiondes
moyensde leurdéveloppement'. associations
loi 1901etdeleurcapacitéà
2.L'exemple dusecteurduspectacle
vivant générer
desbénéfices.
estàcetitretoutàfaitsymptomatiquedes : Lesoutilsdu marketing étude
- et ana- 4.Cette
analyse rejoint
d'ailleurs
lalogiquede
producteursdespectacles
vendent
leur lyse affinées des publics, de leurs lacontractualisation
analyse:duprojet,
intérêt
« production»auxdiffuseurs
quiles respectif
pourlespartiespassantcontrat,
revendent attentes,segmentation, définitiondu
aupublic venuassister
aux positionnement,
desresponsabilités,
partage allocationdes
représentations. élaborationde poli- moyens...
mais aussi - et surtout - humains, financements publicsqui ne sontpas gestion :c'est pourtantpar ce biais
techniques,visantaussibien l'exté- extensiblesau niveaude l'évolution premierque la gestiond'entreprisea
rieurquel'intérieurde l'entrepriseils
: des sollicitations,par rapport à des pris pied, nous l'avons vu, dans le
s'appuientdoncsur uneconnaissance mécènes... Les entreprises
culturelles mondeculturel' ;
approfondiede l'organisationet des n'ont doncfait - parfoisdouloureuse- - à un niveauplusphilosophique, une
conditionsnécessaires pour apporter ment - qu'assumer cette situation relative prudence concernant les
au client, à l'usager, au public en concurrentielle,plutôt que de rester dérivespossiblesfreine et limite les
général,la satisfactionpar rapportà statiqueet subir sansréactionl'éro- recherches et travaux :une desmis-
l'usagedu produitet du service ; siondeleursmoyens. sions premières des bibliothèques
- à se doterd'un outil permettantde
mesurerà intervalles réguliers les
réalisations comptabilité
: généraleet
analytiqueidentifiant lescentresde
coûts, de profits, outils d'analyse
marketing,études,enquêtes... ;
- à rapprocher lesprévisions
ou objec-
tifset lesréalisations
effectives ;
- à contrôler les évolutions et les
écarts ; L'enjeu qui transparaîtaujourd'hui n'est-ellepas,eneffet,de « contrerles
- enfin à analysercesmouvements, à dans l'action des responsables effetsdu commercialisme en matière
endécelerlacause,et éventuellement d'entreprisesest donc bien de main- culturelle»6 :lanon-commercialité du
à définir et mettre en oeuvre les tenir l'exigenceartistique,culturelle, bienet du serviceestdoncégalement
mesurescorrectives pour adapter, politique, qui fonde leur projet tout un facteur discriminant en ce sens
ajuster l'activité, les services, les en adaptantl'entrepriseaux pressions qu'elle sembleinterdireuneapproche
fonctionsincriminés. de sonenvironnement. Le but ici visé centréesur l'optimisationdu coût de
estalorsd'agir surcet environnement réalisation -financierou autre - du
autantet plusque le subir ! Agir sur serviceet du produit, qui en résulte.
Projets culturels, l'évolution despratiquesculturelles Pourtantpensonsbienque la logique
projets d'entreprise - et tenterde contrerpar exempleles du marketing -resituédanslesbiblio-
tendances lourdesdu typediminution thèques - n'est pas de séduireles
Au-delà desaspectspurementtech- dessorties(cinéma,théâtre...)-, agir publics,maisbienplutôt dejouer sur
niqueset mécanistes,ce qui a été à auprèsdespartenairespublics pour l'outil - en l'occurrence la collec-
l'oeuvredansle secteurculturelpen- construirecontractuellement desdis- tion - dansun rapportdynamiqueà
dantcettepériode,c'est l'acceptation positifsd'interventioncorrespondant cespublics.
del'idée mêmeselonlaquellelespro- auxdemandes du secteur.
jets culturelspeuventaussiêtrevécus Danscettelogique,lesentreprises cul- Distorsions
commedesprojetsentrepreneuriaux turellesapparaissentautantcomme
totalementimmergésdansun champ despartenaires, voire desincitateurs, Pourautant,il est indéniableque des
concurrentiel,et que, d'une certaine que commedesoutils despolitiques effortsont été faits, que des réalisa-
manière,ils gagnentà y êtreimmer- culturelles publiques. tions se développent ces : situations
gés :tant du point de vuedesartistes, structurelles,cette attitudeen retrait
des professionnels,des partenaires, Les bibliothèques se traduisentalorspar d'importantes
que des publics,les mutationsren- distorsionsdans la difficile intégra-
dues possiblesdans les structures, Lesbibliothèques se situentencoreen tion desconceptset méthodes.Deux
l'adaptabilitédesprojets,l'émulation retraitpar rapportà cesévolutions,à
générée,et donc la nécessaire dyna- ceslogiques,et ce pour de multiples
miqueinduiteau niveaudesgroupes raisonsnotons : particulièrement que :
sontdesfacteurspositifspourla créa- - le cadrejuridique, le statutdeséta- 5.Notonsàcesujet quececadre estentrain
tion, la réalisation,la miseen contact blissements,leur histoire de service d'évoluer
etquelesrécents travaux surles
despublicsd'une offre culturellede public,marquentles pratiquesmana- plans
comptables publicsvisent à les
rapprocher
desschémas etlogiques du
qualité. gérialeset freinent l'intégrationdes «privé» (identification
etsuividu
outils et méthodesqui sontapparues patrimoine,
distinctionavec lagestion
dansdesstructuresà statutprivé :par d'exploitation,
développement surla
La concurrence comptabilité
analytique...)
exemple,le systèmebudgétaire,et 6.GretaRENBORG, «Goals measures and
Il nousfaut noterici quecetteconcur- les règlesde la comptabilitéqui dis- construction
ofmeasuring instruments for
public
libraries
»,Scandinavian publiclibrary
renceculturelleest bien une réalité socientconstructionbudgétaire, réali- quarterly,
1986, 2,57-63,
p. citéparHervé
objective : concurrencedes projets sation et comptabilisation,rendent CORVELLEC, «Tendances, faiblesseset
culturelsentreeux, par rapportà un difficile, voire impossible,une ana- perspectives
del'évaluation desperformances
desbibliothèques»,Bulletindesbibliothèques
public « client », par rapport à des lyse approfondiede la réalisationen deFrance,t. 35,n° 6,1990, p.356-365.
anglesd'approcheont étépour l'ins- analyse-réajustement dela prévision ; d'objectifs précis, les tentatives
tantprivilégiés : - la difficulté à se situeren référence d'insuffler une dynamiquede projets
- l'évaluation des bibliothèques,et au champéconomique concevoir : la - prochede la réflexionentrepreneu-
tout particulièrementl'évaluationde bibliothèquecommeune « unité de riale - sontdonc ramenées, dèsleur
leur rapportau public,tant quantitatif productionde services», la position- conceptualisation à- une vision très
que qualitatif, la construction de ner en référenceà desmarchésmul- mécaniste,vidée du sensvéritable
tableauxde bord - liée audéveloppe- tipleset différenciés'. desméthodesle : termed'« organisa-
mentdu poidsde l'informatiquedans Dansun mêmeordred'idée,lespro- tion » se substitueà celui d'« entre-
la pratiqueprofessionnelle -, et donc jets conçuset mis enoeuvre -souvent prise », le termede « projet » prend
la possibilitéde produire desinfor- d'ailleursautourde la notionde qua- la place de celui de « management
mationsde suivi de l'activité portant lité, autreconceptissudu marketing stratégique», l'« évaluation » rem-
tant sur le fonds,son évolutionque et de la production -ne se traduisent placel'« analysemarketing»... Plus
sur lesactivitésde prêts,en volume, encoreque faiblementen interaction que d'une simple querelle sur les
et surlesutilisateurs... ; véritableaveclesobjectifsvisés :leur mots,il s'agit bien ici d'une illustra-
tion des difficultés à transposerces
concepts,cesméthodes, et leur voca-
bulaire(!), dansun cadrequi n'y est
pas - pas encore ? - adapté. Pire
même,cesévolutionstendentparfois
à susciterde la part des personnels
de réels phénomènesde rejet. Si
elles ne sontpas resituées,en effet,
- la définitionet la miseen placede rôle d'ajustementest indéniableet dans une logique assuméeet plus
projets structurants, qui visent à doit être renforcé,mais leur impact vaste de redéfinition du rôle, des
décloisonnerles services -interneet véritablesur le fonctionnementdes missions des bibliothèques, leur
public - et à introduire une dyna- organisationsrestemesuré. intrusion heurte de plein fouet les
miquede fonctionnement privilégiant pratiquesdes agents,la culture des
le développement qualitatifdescondi- organisations...
tionsderéalisation desmissions. Passé, avenir
L'exemple de l'évaluation et des Tendances lourdes
tableauxde bordest assezsymptoma- Plusfondamentalement, nousdevons
tique :leslogiquesà l'oeuvre,lesoutils observerque la logiquequi sous-tend Pourtantdesévolutionsprofondesse
mis en placesontclairementceuxdu encorela gestiondesbibliothèques est dessinent :
marketing culturel : analyse des cellede l'efficience :elle consisteen - la pratique publique en matière
publics,étudesquantitatives et qualita- uneutilisationdu passépourla prépa- budgétairetend à déléguerla gestion
tives,tableauxrécapitulant lespublics rationde l'avenir,dela mêmemanière financière,la rapprocherde l'activité
par périodes,par servicesutilisés,par quelesbudgetspublicssontconstruits courante ;
volumed'utilisation... Pourautant,ces en ajustements marginauxpar rapport - la créationde structuressousstatut
travauxbutent, dès l'origine, sur la à une situationantérieure(services d'établissement public les fait tendre
claire définition de l'objectif pour- votés...).Cetteconception estradicale- vers une relative autonomisation :
suivi : fauted'êtresituédansunepro- mentopposée à celledelagestionstra- plus que la simplesouplesse de ges-
blématique,dansune logiquedyna- tégique et budgétaire,qui part du tion (engagement desfonds,affecta-
mique d'action sur ces publics, de moyenterme - lesgrandschoix poli- tion recettes/dépenses), ce qui est à
développement despratiques logique
- tiques -pourconstruirelecourtterme, l'oeuvreestla miseen placede véri-
mesurable en objectifstantquantitatifs puis le très court terme (budgets tables politiques d'établissements
que qualitatifs,et organisantde véri- annuels)l'organisation
: estalorsentiè- (presqued'entreprises...)8.
tables feedbacks sur l'organisation-, rementtendueverslesobjectifsqu'elle Hors du champ des bibliothèques,
lesrésultatsproduitssontpeu,mal ou s'estfixés,et chercheà structurerson l'exempledes muséesest également
pasdu tout utilisés,saufpourproduire développement en conséquenceici : révélateurd'un mouvementde fond :
des informationsstatistiques en desti- encore, la structurepublique,et enpre- situésdansunemêmedoublelogique
nationdespartenaires institutionnels : mier lieu la notion d'annualité,pèse
ils sontenl'occurrence beaucoupplus surla façonmêmedeconcevoirl'outil
subisque véritablement mis en oeuvre budgétaire. 7.Jean-Philippe DURAND, op.cit.
8.Voir,dans ceregistre,l'approche dela
dansl'optiqued'un projet. Médiathèque delaCitédessciences etde
Ce conceptd'évaluationfait donc,en l'industrie«Il: estdetoute façonnécessaire
Défaut de sens deliertouteévaluation àladétermination
l'état, ressortir : d'objectifs
» (François PEINER, citédans le
- l'absence,voire l'impossibilité,de Faute de pouvoir situer les biblio- compte rendudeMartine POULAIN,
procéduresde type contrôle budgé- thèquesdans cette logique d'évolu- « Evaluerpourévoluer »,Bulletindes
bibliothèquesdeFrance, t. 37,n°3,1992,
taire : prévision-mesure-contrôle- tions maîtrisées, dans le cadre p.87-90.)
(conservation,servicepublic), leur turess'appuyantsurl'autre,se légiti- à cette questioncomplexe. Notons
évolution - servicestraditionnelle- mantpar rapportà elle,et la nourris- qu'actuellement lesanalyses,travaux,
ment gratuits,puis tarifésen tout ou santde son action : conservationet articlesse situentle plus souventen
partie,développement de produitset productiond'expositionsd'un côté, rejetdecettelogiquede « marchandi-
servicesdérivés,créationd'associa- commercialisation des pièces en sation » des servicespublics, aussi
tions parallèles,évolution des sta- nombre,recherche de nouveauxmar- partielle soit-elle, et donc que les
tuts - mobilise de plus en plus des chésde l'autre, avecune réelle éco- avancéessur lesconcepts,méthodes
ressourcesde type économiemixte : nomie de moyens.En l'occurrence, et outilsde gestion -qui apparaissent
la logiquede gestiond'entreprise suit le développement de ce projetrépon- indissolublementliés à cette mar-
l'économie de service, qui vise à dait pleinementaux exigencespro- chandisation restent
- quelquepeuen
favoriserla diffusion et susciterde fessionnelles du conservateurdéga-
: panne.
nouvellesactivités,y compriscréa- ger de nouveauxmoyens,maisaussi Ces interrogationssont sansdoute
trices. et surtout développer l'image du légitimes il: n'apparaîteneffet guère
Unerécenteinterventionauprèsd'un muséeauprèsdespublics,desprofes- cohérentde plaquer des méthodes
muséequi étudiaitl'hypothèsede la sionnels,despartenaires et, à terme,élaboréesdans un contexteécono-
création d'une sociétéd'économie soutenirle développement desactivi- miquemarchandsurune réalitétout
mixte associée au musée en lui- tésscientifiques. autre ; nous pouvonsnéanmoinsy
même,servicemunicipal,fournitdes Il ne s'agit pasévidemment,par cet lire en creuxla difficulté à construire
élémentsd'analysesassezrévélateurs exemple, de comparerartificielle- desobjectifs collectifs au niveaude
de ces recherches,de ces mouve- mentdessituationstrèsdifférenciées, chaqueorganisation, qui seulsdonne-
ments :au cas d'espèce,la question mais bien de soulignerles logiques raientdu sensà despratiquesde ges-
posée - commentvaloriserdes élé- d'évolutionà l'oeuvredansun champ tion visant,nous l'avonsvu, à opti-
ments de stock, piècesen nombre culturelassezproche. miser l'action et l'interaction d'un
(estampes, gravures...)dont la quan- projet sur son environnement.Cette
tité excédaitlargementlesbesoinset Evolutions souhaitables ? redéfinition des objectifs apparaît
obligationsde la conservation visait
- pourtantprimordialepour assurerle
aussià organiserparallèlementune Cesévolutionssont-ellessouhaitables rapportfructueuxau public,et insuf-
gestion privée et une gestion Il n'est évi- fler une dynamique au niveau
pour les bibliothèques ?
publique, chacunedes deux struc- demmentpasquestionde répondre ici humain,ce qui estl'enjeu fondamen-
tal de touteréussite,tout particulière- sonpropredevenir ?Le risquemajeur, relles est une réalité objective - la
mentdanslesbibliothèques. évidemment, est que la recherchede concurrence dansla reconnaissance de
Les logiquesrestentdoncfondamen- l'autonomie ne se traduisepar une leur légitimitéet de leursdemandes,
talementcentréessur le métier(avec diversitéaccruedanslesméthodes, les par rapport à leurs partenaires
cet indicateur qu'est l'expression objectifs des bibliothèques,à terme publics - et cette réalité dépassele
même de bibliothéconomie, aussi par le démantèlement d'une logique simpleniveaude la compétitionintel-
pertinentesoit-elle),plus que sur le de réseau,de politique homogèneà lectuelle :cet état de fait replaceles
public : dans la littérature écono- l'échelondu territoire... publicsde l'actionculturelleaucentre
mique, l'évolution récente vise à En tout étatde cause,et par le simple despréoccupations et desprojets,tant
considérerque la premièrerichesse jeu de l'érosiondesbudgetspublics, du point devuedesentreprises quede
d'uneentreprisec'est sonpublic ;les lesmargesde manoeuvre seresserrent celuidespartenaires institutionnels,
bibliothèquesperpétuentencoreune aprèsune périodede relativeprospé- - dansce contexte,il estpossibleet
logique« autocentrée »la: première rité. Dans ce contexte, les biblio- souhaitablede traiter « sur un pied
richessed'une bibliothèqueest son thèquessontamenéesà se légitimer d'égalité» le financier,l'artistiqueet
savoir-faire,à savoir les personnels au traversd'instrumentsde mesure le culturel.Tant du point de vue des
qui la composent. pas forcément adaptés - un fonds structures quedecelui despartenaires
documentaireest-il bon simplement publics,lessituationssontde plus en
Pistes parcequ'il se développe quantitative- plus complexes,et faitesobjective-
ment ?Quelssontles véritablescri- mentd'arbitrageentredeschoixcultu-
La nécessité qui se fait jour, de tèresde l'évaluation non pas de la rels, politiqueset aussi financiers :
repenserl'action, en centrantl'atten- performancemais de la pertinence maîtriserla gestiondes projets,leurs
tion sur les publics, implique de d'une structure,sinondansson rap- déterminantsorganisationnels, tech-
repenser les organisationspour opti- port à sonterritoire ?Peut-onimagi- niques,financiers,permetde mieux
miserle rapportfonds publicsenga- ner un objectif quantitatif - « x % » arbitrerceschoix,forcémentdoulou-
gés / quantité et qualité du service d'une populationà toucher - pour reux, en meilleure connaissance de
produit et rendu, de repenser les définir l'action d'une bibliothèque ? cause ;introduiredu « sensgestion-
fonctionnementsen privilégiant la Commentdéfinircetobjectif ? naire» dansle politique,mais aussi
formulationd'un véritableprojetcol- La situationactuelleest riche de ses égalementdu senspolitiquedansles
lectif, surlequellesdifférentsacteurs incertitudes !Il faut donc chercherà choixdegestion.Toutle monde -par-
pourront se mobiliser. Dans toutes traiter le problème « dans le bon tenaires,publics, direction, person-
ces directions, les apports des sens » ;du point de vue de leur ges- nel - peut alors s'y retrouver,dans
sciencesde gestionet lestravauxqui tion, et de l'interprétationqui en est touslessensdu terme.Avantde défi-
ont étémenésdansle secteurculturel
- études,expériences, formation... -
peuventêtremobilisésau servicedes
bibliothèques.
Carleslogiquesne sontpasaussiéloi-
gnéesqu'il le semble en : resituantles
chosesdansleur contexte,il faut par
exempleconstaterque la notion de
contractualisation n'est pastrès éloi- faite, les bibliothèques cumulent nir lesobjectifs,il fautdoncbiendéfi-
gnéede celle de gestionstratégique. actuellementles handicaps :com- nir clairementl'objet de l'action des
Unepistepossiblesemblebienêtrede plexitéet lourdeursinhérentes au sta- structures,l'objet de l'intervention
travaillersurlesculturesd'entreprises, tut public,et enmêmetempstentative publique.
afin d'identifier le sensque chacun de manipulationde conceptsforcé- Ensituationdecrise,et mêmes'il n'est
donneau projetcollectif,et cernerles ment abâtardiscar le contextelui- pasencoreaiséde faire état de cette
évolutions possibles. L'ambition mêmen'estpasencoreadéquat il; a réalité,chacunconçoitqu'il neserapas
serait,par ce biais,de clairement défi- fallu dix ans aux entreprisescultu- possibleindéfinimentde soutenirtous
nir l'objetdesorganisationsau - sens relles -avecdenombreuses difficultés lesthéâtres,touslesensembles musi-
de l'objet socialdesentreprises ce : tant techniques que philosophiques - caux,tousles festivals... les: biblio-
qu'on fait, et pour qui -, d'identifier pour construireles outils adéquatsà thèquessont pour l'instant relative-
pourchaqueétablissement lesmarges leur propreanalyse. ment protégées par rapport aux
de manoeuvre,mais aussi - et sur- L'étude - avec un faible recul - de difficultés financières que vivent
tout - la demande politique.Cesques- l'exempledesentreprisesculturelles d'autresstructures culturelles -encore
tionsne sontpasencoreformellement pose sansdoute plus de questions que le recourscroissantà desperson-
posées, ellesne devraientpastarderà qu'elle n'apporte véritablementde nelsau statutprécaire,aveclesdiffi-
l'être,d'unemanièreou d'uneautre. réponses.Elle permetnéanmoinsde cultésde gestionliées,soit certaine-
L'«organisation » peut-elledevenir soulignerdeuxpointsimportants : mentun indicateurde la plus difficile
« entreprise », peservéritablementsur - la concurrence entrestructures cultu- adéquation entrebesoins et moyens.
Cetterelative protectionest due en court terme, elle est sansdoute la 5. Ducasse(Roland). - « Evaluation
partie à leur statut public, elle seule logique pertinente à moyen de la demande», Bulletind'informa-
découleégalementde l'indéniable terme. L'enjeu est donc bien une tionsde l'Associationdes bibliothé-
efficacitéde leur action,qui leur crée véritable mutation des mentalités. caires français,
n° 136, 1987.
une placeprivilégiée dans le cadre C'est eneffet desbibliothèques
elles-
des politiques publiques : quel est mêmesque doit partirl'interrogation 6. Martin (Philippe). - « Audit des
l'outil culturelqui a le plusd'impact sur une définition précise de leurs bibliothèques», Bulletin d'informa-
direct sur les populations,gère une missions,qui pourront par la suite tions de l'Associationdes bibliothé-
partiedu problèmejeunes...Cepen- êtredéclinéesen objectifsopération- caires français,
n°136,1987.
dant, et de par le relatif confort nels, lesquels ouvriront le champ
qu'elle institue,cetteréussiteestsans d'unevéritable« gestion». 7. Renoult (Daniel). - « Du bon
doute actuellement un facteur de usagedestableauxde bord», Bulletin
sclérosedans l'analyse de ce que Mars 1994 d'informationsde l'Associationdes
pourraitêtrel'évolutiondu métier... bibliothécaires français, n° 136,
Néanmoinsles mouvementssonten 1987.
marcheet, sansvouloir construireun
tableautrop sombrede l'avenir, il 8. Bisbrouck (Marie-Françoise).
faut bien envisagerque les évalua- - « Un tableaude bord à la média-
tions et tableaux de bord peuvent thèquede la Cité des scienceset de
aussi,en fonctiondeschoix de pilo- l'industrie», Bulletin d'informations
tage, devenir un outil de choix 1. Roda (Jean-Claude). -« L'éva- de l'Associationdes bibliothécaires
abrupt, voire de sanction.Comme luationdes bibliothèquespour: quoi français,n° 136, 1987.
l'ont fait les entreprisesculturelles faire ?», Bulletindesbibliothèques
de
« marchandes», les bibliothèques France,t. 39,n° 1, 1994,p. 54-60. 9. IIe conférenceinternationalesur
auront donc à maîtriserl'évolution le managementdesarts et de la cul-
actuelle,pourne pasla subir ! 2. Oddos(Jean-Paul). -« Pourune ture : actes,GroupeHEC/Chambre
La leçonà tirer de l'analysede dix économie de la conservation », decommerce et d'industrie,
juin 1993.
ansde gestiondes entreprises cultu- Bulletindesbibliothèques de France,
relles est donc bien celle-là : il ne t. 38,n° 6, 1993,p. 56-59. 10.Pot (Nicole). - « L'appropriation
s'agit évidemmentpas de céderaux du discours économique par les
sirènesde la soi-disant modernité 3. Poulain (Martine). - « Evaluer agentsculturels», Muséeset écono-
gestionnaire maisbien,par lesévolu- pour évoluer», Bulletin des biblio- mie, Paris,DirectiondesMusées de
tionsdansla gestion -et doncpréala- thèquesde France,t. 37, n° 3, 1992, France,1992.
blementdans le regardporté sur la p. 87-90.
philosophie même du rôle et de 11.Le managementdes entreprises
l'action des bibliothèquesdans un 4. Corvellec(Hervé). - « Tendances, artistiqueset culturelles/ coordonné
environnementen profonde évolu- faiblesses
et perspectivesde l'évalua- par Yves Evrard, Paris,Economica,
tion -, de procureraux organisations, tion des performancesdes biblio- 1993.
et de fournir aux partenaires les thèques», Bulletindesbibliothèques
moyens véritables d'un choix. Si de France,t. 35, n° 6, 1990,p. 356-
cetteévolutionapparaîtdangereuse à 365.

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