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LOUMMOU Brahim
Dr-Pr / UMI
Introduction :
La vie dans un milieu culturel précis implique le respect de certains paramètres qui
façonnent les comportements individuel et collectif, ce conditionnement résulte de plusieurs
limitations issues de l’espace partagé et dont notamment :
- Les lois physiques (chaleur, froid, altitude…)
- Les lois biologiques (résistance, fatigue…)
- Les normes sociales (réglementation en vigueur, habitudes, histoire…)
- Les normes morales (religion, système de valeurs, philosophie…)
L’attitude au travail des individus et des groupes dans l’entreprise est le reflet majeur de
ces données du territoire ; cependant l’entreprise instaure elle-même ses lois propres, sa
morale et des leviers de comportement qui lui sont particuliers et qui sont susceptibles de
générer des atouts concurrentiels, en constituant par le fait même des facteurs clés pour sa
réussite. En effet la culture d’entreprise renforce l’intégration et les synergies autour du
projet commun et dissipe la différenciation, les inerties et les antagonismes entre individus
et groupes sociaux.
Quelle portée de la culture d’entreprise entre les dimensions universelle, territoriale et
spéciale ? Telle est la problématique générale de cette intervention et qui pose plusieurs
questions sous-jacentes :
- Avoir ou être une culture ? Entre fondamentalisme, contingence et processus
l’approche de la culture peut énormément différer…
- Comment l’espace impacte –t-il la culture d’entreprise et comment celle-ci imprègne –
t- elle son milieu ? Une illustration exemplifiée est d’un intérêt majeur afin de
répondre à cette question.
- Comment diagnostiquer et gérer la culture d’entreprise pour une meilleure
performance ? Une méthodologie d’investigation est nécessaire afin d’appréhender et
de développer la culture d’entreprise.
L’objectif de base de cet article est de vulgariser le caractère gérable de la dimension
culturelle au sein de l’entreprise en insistant sur ses apports pour une meilleure
performance. L’hypothèse suivante animera cette quête :
L’espace imprègne la vie de l’entreprise MAIS l’entreprise développe elle-même sa propre
culture PAR CONSEQUENT la culture d’entreprise est une dimension à gérer
Partant des considérations ci-dessus établies et les projections qu’elles sous-tendent, trois
axes de développement animent cette communication :
Approche de la culture d’entreprise : concepts et modèles
Interaction entre l’espace global et la culture des entreprises, une illustration du cas du
Japon nous servira d’exemple.
Management culturel et performance des entreprises : éléments pour un Audit de la
culture d’entreprise et vecteurs d’une stratégie de son développement (champs
d’action, corrélation culture d’entreprise et rentabilité, pilotage du projet culturel…).
A travers ces développements, le présent papier vise de proposer un cadre général de
réflexion et d’échange autour du thème crucial de la culture d’entreprise dans ses liens avec
la performance. Ce qui pourrait ouvrir la voie à un travail d’accompagnement de terrain au
profit d’entreprises marocaines avides de réussir leur projet culturel et identitaire.
- Apprentissage : la culture est une configuration des comportements appris et partagés et de leurs
résultats.
- Culture considérée comme un résultat : il s’agit des attitudes, des systèmes de valeurs, de la
connaissance et de tout autre état psychologique, individuel ou collectif qui traduit le comportement.
- Participation : c’est le fait de partager un système de valeurs déterminé.
- Transmission : la participation aux éléments de comportement dépend de leur transmission d’un
individu à l’autre, d’où l’intérêt de la communication dans tous ses états.
L’analyse de ces quatre composantes pose les questions de culture réelle et culture
construite, culture explicite et culture implicite. En tout cas le symbolique, l’informel, le non-
1
Ralf Linton, Le fondement culturel de la personnalité, Dunod, Paris 1977.
dit, les habitudes et les rites doivent être sérieusement contenus pour une appréhension
juste de la culture.
La définition de Linton est très parcellaire, elle est décortiquée dans un but pédagogique
peut être ; de notre côté nous retenons avec une certaine démarcation la définition de la
culture donnée par Tylor et développée par G. Rocher et qui l’approche comme suit2 :
La culture est un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins
formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la
fois objective et symbolique, à construire ces personnes en collectivité particulière et distincte.
Cette définition de Rocher est concise car elle met à la fois l’accent sur les éléments
psychologiques, sensuels et comportementaux qui reflètent une culture partagée. Les
mérites de cette définition est d’avoir dépassé le stade descriptif de la culture en tentant de
détecter ses fonctions au sein d’une collectivité donnée. La culture est donc action, l’action
est une manifestation humaine, l’activité des hommes est par conséquent l’aboutissement
d’une culture.
Les contours de la définition de Rocher étant précisés, il importe de compléter cette
définition ; en fait pour cet auteur la culture détermine l’action, selon cette vision le
déterminisme est presque absolu et la collectivité est elle-même une culture. Dans le sens
ou nous le percevons (en tout cas concernant la culture d’entreprise), la culture est une
variable déterminante du comportement et de l’action mais le déterminisme n’est pas total
puisque l’action peut à son tour impacter la culture. La collectivité (l’entreprise) a une
culture qu’elle peut faire évoluer. La culture devient donc un objet de gestion puisqu’elle est
dynamique, ce qui nous pousse à définir la culture d’entreprise
Les théories des organisations ont tour à tour évalué le poids de la taille, la structure, la technologie
comme facteurs déterminants du fonctionnement des organisations. C’est maintenant autour de la
culture d’en devenir une variable importante. Elle est un facteur d’efficacité d’adaptation à
l’environnement et un élément de solution au plus célèbre casse-tête de la théorie des organisations à
savoir l’équilibre fragile entre intégration et différenciation 3.
2
Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale (Tome 1 : L’action sociale), Edition du Seuil, Paris 1970, P
111.
3
Maurice Thévenet, La culture d’entreprise en 9 questions, Revue Française de Gestion, Sep-Oct 1984, P 7.
La culture relie entre tous les sous-systèmes de l’organisation, les représentants de
l’O.D américain (Organisation Développement) considèrent que la culture en tant que
patrimoine partagé de valeurs et de croyances favorise la stabilité du système. La culture
doit donc être le sous-système privilégié afin de promouvoir le changement. En effet le
management a usé de plusieurs méthodes d’analyse et d’approche de la culture
examinant ses apports et ses limites pour l’entreprise.
A partir des idées ci-dessus établies, il est possible d’avancer que la culture d’entreprise
adopte une approche processuelle de l’organisation où prime la spécificité d’une solution
pour une entreprise particulière au lieu d’une solution universelle. Ceci conduit à un
diagnostic au cas par cas mais n’empêche que la méthodologie pourrait être similaire en
termes d’outils et de techniques mobilisés. Un tel propos défend le fait qu’il n’y a pas de
bonne ou de mauvaise culture d’entreprise mais fait prévaloir les aouts d’une meilleure
gestion du projet culturel. Un début de diagnostic consiste à examiner l’état des lieux, M.
Thévenet distingue entre fondamentalisme, contingence et processus tout en incitant les
entreprises à s’inscrire dans la troisième voie, le tableau ci-dessous synthétise les trois
orientations4 : (Réalités culturelles des entreprises, adapté de : Maurice Thévenet 1996)
Fondamentalisme contingence Processus
Principes Une solution universelle Une solution adaptée à Une solution adaptée à
une situation l’entreprise
4
M. Thévenet, Audit de la culture d’entreprise, Editions d’organisation, Paris 1996, P 22.
caractérisés par la similitude des références (histoire commune, valeurs…) qui en sont à
l’origine.
L’éclairage de la relation de la culture d’entreprise à son espace a été démontré par
plusieurs auteurs, aussi La culture d’entreprise au Japon est une illustration très prisée dans
la littérature managériale, la comparaison pourrait inciter au déploiement de stratégies
volontaristes afin de construire une culture d’entreprise plus performante.
Plusieurs modèles ont essayé de cerner la dimension culturelle dans l’espace de son
développement, nous rappelons le modèle des 7 clés de l’organisation du cabinet Mc Kinsey
qui a été développé par Thomas Peters et Robert Waterman dans leur bestseller Le prix de
l’excellence ou le secret du succès des firmes japonaises. Par la suite nous allons rappeler
l’approche de Geert Hofsted intégrant les dimensions culturelles et leur variation dans
l’espace. Enfin nous présenterons comme exemple la culture d’entreprise au Japon.
1- Le modèle Mc Kinsey5 :
5
T. Peters, R Waterman, Le prix de l’excellence, Inter éditions, Paris 1983,
STRUCTURE
STRATEGIE SYSTEMES
VALEURS
PARTAGEES
SAVOIR-
STYLE
FAIRE
PERSONNEL
Pour résumer, le modèle des 7 clés incite à promouvoir des valeurs partagées adaptées
aux exigences de l’environnement. Autonomie et esprit d’entreprise, écoute du client,
souplesse dans la rigueur, Dans toutes ces actions la culture d’entreprise est un capital
immatériel générateur de la valeur : capacités réactives, affrontement de l’incertitude,
engagement de chacun dans le projet, synergie et qualité de résolution des problèmes,
innovation et progrès sont autant d’atouts d’une culture d’entreprise réussie.
2- Le modèle de G. Hofsted6 :
Il décortique tout d’abord le caractère contingent des dimensions culturelles ainsi que les
facteurs explicatifs de leur variation à travers l’espace.
Trois hypothèses essentielles permettent d’identifier les dimensions culturelles :
les dimensions culturelles influent sur la manière de percevoir l’espace, le temps et
les relations interpersonnelles.
6
Geert HOFSTEDE et al, Culture et organisation, éd Pearson. 2000
Tout cela détermine la façon d’utiliser l’autorité, le travail en groupe et la
participation à des organisations.
Le concept de dimension culturelle est une façon de penser la culture, un modèle
d’analyse destiné à comprendre la très grande variété de cultures nationales
rencontrées de par le monde.
G. Hofsted a mis en évidence cinq grandes dimensions qui sont autant d’outils pour la
compréhension de la variation culturelle7 :
3- L’exemple Japonais :
La littérature managériale8 n’a pas cessé depuis plusieurs années de glorifier les miracles
de « l’empire du soleil levant », l’inconnu japonais s’éclaire de mieux en mieux. Si cela est dû
aux grandes réalisations des entreprises japonaises, il est aussi l’aboutissement d’une
certaine culture qui constitue les fondements profonds de la « civilisation du travail » à
laquelle on assiste dans ce pays.
L’archipel japonais est relativement loin des autres pays du globe, il n’offre pas de grandes
richesses naturelles et dépend quasi- exclusivement de l’extérieur en matières premières et
en ressources énergétiques. Pourtant on y assiste à une grande cohésion sociale et un esprit
de famille très puissant même dans les rapports entre partenaires économiques et sociaux.
Un tel état d’esprit alimente un système de valeurs basé sur les principes suivants9 :
7
Geert HOFSTEDE, La dimension de masculinité/ féminité et ses implications pour les organisations dans une
perspective cross- nationale, in Revue Economique et Sociale, Mars 2003.
8
Plusieurs auteurs ont essayé de démontrer le rapport entre la culture japonaise et le succès des entreprises
de ce pays. Parmi ces auteurs on peut citer : W. Ouchi (Théorie Z), Peters et Waterman, R.Pascale et A.G Athos
(Le management est-il un art japonais), O.Gelenier (Leçons japonaises pour la France)…
9
R.T Pascale, A.G Athos, Le management est-il un art japonais ? Editions d’organisation, Paris 1984, P 54.
L’harmonie et la coopération.
La lutte pour le progrès.
La courtoisie et l’humilité.
L’ajustement et l’assimilation.
La gratitude.
Les principes façonnent le système de management qui a mis en œuvre des pratiques
prisées par les firmes du monde entier : transparence de l’information, consensus autour de
la stratégie et des prévisions, management participatif et engagement, motivation,
dissolution de l’intérêt de l’individu dans le projet collectif, entreprise famille, esprit zen,
apprentissage et formation, partage des ressources et des résultats.
Le système de formation au japon imprègne la culture en place, Les firmes disposent de
leurs propres centres de formation qui accueillent les meilleurs étudiants. L’adéquation
emploi et formation se réalise à l’intérieur de l’entreprise et dure tout au long de la vie.
Organisation productrice et sociale, l’entreprise au Japon est aussi un lieu éducatif réservé à ses propres
besoins10.
Le lien entre supérieur et subordonné (Senpaï et Kohaï) est basé sur l’estime, l’entraide et
l’ajustement mutuel car tous deux sont mobilisés dans le même projet et dans plusieurs cas
sont liés par un contrat à vie à leur entreprise.
La culture d’entreprise au Japon influence l’économie et la société mais elle est aussi le
résultat d’une histoire commune et d’un système de valeur ancré dans la culture du pays.
Le traitement des deux premiers axes de cet article nous permet de confirmer la constante
de départ selon laquelle la culture d’entreprise est influencée par son espace général, de
même qu’elle pourrait à son tour être un tremplin vers le progrès d’ensemble lorsqu’elle est
bien menée.
10
Revue marocaine de gestion, N°7, 1986, Spéciale sur le management japonais, P31.
Cet axe propose quelques outils techniques, au service des entreprises, pour diagnostiquer
l’état des lieux de la culture d’entreprise. C’est une étape essentielle afin de développer un
projet de culture d’entreprise performant.
Tout d’abord nous allons proposer une matrice d’analyse des corrélations entre des valeurs
culturelles et des variables managériales, le but est de saisir la nature et l’intensité de
l’impact afin de générer des synergies appropriées. Par la suite nous nous inspirons d’une
démarche développée par Maurice Thévenet pour exposer des grilles d’audit de la culture
d’entreprise. Enfin nous rappelons certaines modes qui invitent au changement culturel de
l’entreprise.
1- Eléments d’une matrice :
Pratiques managériales
Forma Motiv Style de Savoirs Organis Commu Objectif Image Contrôle
tion/ ation / directio faire et ation / nication s de s
Appre Activit n/ compét Coordin interne économ marque d’entrep
ntissa és Hiérarch ences ation / iques et rise
ge extra - ie clés Gestion relation
travail de s avec
conflits les
parties
prenant
es
Ouverture à
l’environne
ment
Solidarité
Valeurs Flexibilité /
Adaptation
Zone de corrélations
liées à Participatio
la n/
Responsabil
culture ité
Epanouisse
d’entre ment
personnel
prise Respect
Créativité
Valorisation
des
initiatives
Cinq grilles seront illustrées : le(s) fondateur(s), l’histoire, le métier, les valeurs et les signes
et symboles.
Le(s) fondateur(s) :
L’histoire :
11
Inspiré de M. Thévenet, Audit de la culture d’entreprise, Op cit.
Le métier :
Les valeurs :
Conclusion :
Le thème qui a fait le sujet de cet article est d’une ampleur enrichissante, il nous a permis
de mettre un petit pas dans un domaine très instructif de la science de gestion qui est à la
fois volontariste et au carrefour des autres sciences.
A la lumière de l’ensemble des idées avancées dans cette étude, il est possible de conclure
sur les constations ci-après :
- La mise en œuvre du changement culturel au sein de l’entreprise nécessite
l’harmonisation des sous-cultures en place. Une bonne préparation est nécessaire.
- Il n’y a pas une meilleure culture organisationnelle (comme il n’y a pas de meilleure
civilisation) mais il y a une meilleure gestion de la culture. Le projet culturel doit donc
être un souci majeur de tout responsable et de tout manager.
- La culture d’entreprise dépasse les adages et les slogans pour agir sur les modes de
fonctionnement et de pensée, sur les décisions et les procédures.
- La culture d’entreprise n’est pas passive, elle n’est pas non plus auto satisfaisante et
nombriliste mais il s’agit d’une locomotive pour entraîner des actions finement
adaptées à l’entreprise et l’aider à résoudre ses problèmes.