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Traduit de l’anglais (États-Unis)

par Marie-Josée Thériault


Je dédie ce livre à tous mes maîtres,
et en premier lieu
à mes parents bien-aimés,
Ruth Dewin Ewing et James Dennis Ewing,
qui m’ont guidée dès ma naissance
avant de me laisser trouver ma propre voie,
cette voie qui m’a conduite
aux merveilleux lamas tibétains
qui m’ont initiée aux dakinis
et au principe du mandala
Principe dynamique, la dakini est l’énergie en soi; le contact
positif avec elle apporte un sentiment de fraîcheur et de magie.
Elle devient le guide et l’épouse qui active en nous une
compréhension intuitive et une grande conscience. Cependant,
cette énergie peut se retourner soudainement contre nous si nous
nous y attachons trop et en faisons une fixation. Cela peut être
douloureux. Quand l’énergie est bloquée, que notre fixation est
douloureuse, c’est la dakini courroucée qui s’exprime. Sa colère
nous force à renoncer à notre attachement pour pénétrer dans sa
demeure mystérieuse.

Lama Tsultrim Allione,


Women of Wisdom
Note de l’auteure

Chers lecteurs,

Ce livre est un parcours spirituel dans le mandala du féminin souverain.


Pour qu’il soit le plus positif possible, prenez la peine de lire l’introduction.
Les concepts fondamentaux et l’information qu’elle renferme éclaireront
votre lecture.
L’attitude qui préside à une quête spirituelle compte pour beaucoup. Je
vous souhaite de tirer le meilleur parti possible de cette expérience.
Merci de suivre ce parcours.

Lama Tsultrim Allione


Introduction

S’il y a une chose que l’histoire nous a apprise, c’est que les
modèles patriarcaux de la chose spirituelle n’ont pas été tendres
envers les femmes. Consciemment ou inconsciemment, les
constructions mentales qui mettent l’esprit en haut et la matière
en bas ont relégué les femmes et la nature au bas de l’échelle.
Sherry Ruth Anderson et Patricia Hopkins,
La féminité cachée de Dieu

Comment intégrer leur vie spirituelle à leur vie de tous les jours, voilà la
question que me posent le plus souvent les femmes. Le seul fait de devoir
nous interroger à ce sujet montre à quel point nous sommes coupées d’une
spiritualité de nature féminine, car toutes les traditions religieuses où la
présence féminine est forte ont en commun l’intégration de l’esprit et de la
matière, de l’esprit et du corps, ce qui donne lieu à une spiritualité
inséparable de la vie quotidienne et à l’immanence plutôt qu’à la
transcendance du divin.
Pour le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, le patriarcat est une
«organisation sociale fondée sur la suprématie paternelle, sur le clan ou la
famille, la dépendance juridique des épouses et des enfants, et la
transmission du patrimoine successoral selon la lignée masculine; plus
généralement: le contrôle par les hommes d’une part disproportionnée du
pouvoir». Une grande majorité de la communauté mondiale est dominée par
le patriarcat et des structures patriarcales régissent toutes les grandes
religions. Les religions patriarcales isolent inévitablement l’esprit,
autrement dit la divinité de la femme, de la nature et de la matière. À noter
que le mot matière dérive du latin materia (la substance fondamentale des
choses, la cause de quelque chose) qui lui-même vient du latin mater, soit
l’origine, la source, la mère.
Tant la nature que la terre ont été associées à la femme. Prenons par
exemple des expressions comme la terre Mère, dame Nature, et des
désignations telles que la «forêt vierge», c’est-à-dire une forêt que l’homme
n’a pas encore pénétrée ou perturbée. Sur le plan historique, en même
temps que les religions patriarcales dénigraient la femme et la tenaient à
l’écart du pouvoir, on manquait de respect à la nature, en ce sens que la
terre n’était plus cette chose sacrée qui méritait notre respect, et l’on
considérait que la nature et la femme faisaient obstacle à la quête spirituelle
exaltée et désincarnée du divin. Dans ce contexte, on avait la perception que
des forces diaboliques dominaient la nature et que les femmes ouvraient la
porte au péché et entravaient l’union avec le divin.
Comme l’écrit la philosophe Elizabeth Dodson Gray, il convenait de
«[s]’écarter de l’ordinaire, du naturel, du non-sacré – des femmes, des corps
de chair, de la nature en décomposition, de tout ce qui s’ancre dans la
mortalité et la mort. “Plus haut, toujours plus haut”, tel est le slogan de cette
conscience religieuse qui cherche à s’élever vers le royaume de l’esprit pur
et de la transcendance absolue où rien ne se salit, ne pourrit ou ne meurt
jamais1».
Ces religions multiplient les récits, les croyances et les règles qui
contrôlent les femmes et leur corps. Elles imposent des tabous sexuels
auxquels s’ajoute souvent l’obligation du célibat et de la chasteté des
prêtres et des moines, si bien que les ecclésiastiques évitent les contacts
avec les femmes et considèrent parfois que celles-ci menacent
dangereusement leur relation avec le divin. Les femmes n’ont pas accès à
des responsabilités équivalentes à celles des hommes, plus particulièrement
aux fonctions de direction. Elles sont certainement présentes dans toutes les
religions, mais ces religions ont idéalisé les hommes et, dans une large
mesure, privé les femmes de leur autonomie en les subordonnant à
l’autorité du mâle. De même, la nature est vue comme une chose que l’on
domine, dont on se sert, dont on abuse à son gré et que l’on assujettit et
soumet à sa volonté.
Il ne m’appartient pas de procéder ici à un examen approfondi de la
théologie ni de m’étendre sur le thème de l’écoféminisme. Plusieurs
excellents livres traitent déjà de ces questions2. Je me propose plutôt
d’expliquer notre situation en ce qui a trait à la spiritualité, à la religion et
au dénigrement du féminin sacré, et de montrer comment ce contexte
influence en profondeur la situation mondiale actuelle.
À la lumière des similitudes entre les attitudes patriarcales envers les
femmes et les attitudes patriarcales envers la nature, est-ce une coïncidence
si le retrait du président Donald Trump de l’Accord de Paris sur le climat,
son amputation de près d’un million d’hectares de parcs naturels considérés
comme des monuments nationaux et l’ouverture des eaux côtières
américaines aux forages pétroliers et gaziers sont en conformité avec son
comportement envers les femmes, un comportement misogyne,
irrespectueux et lié à la culture du viol? Ce genre de mépris destructeur est
à l’origine de la crise environnementale actuelle et de l’omniprésence de la
violence à l’encontre des femmes. Les statistiques ci-dessous permettent de
tracer un parallèle entre la violence faite aux femmes et la violence faite à la
planète. Pour commencer, voici quelques chiffres clés du changement
climatique que publiait The Guardian en 2017:

• La température moyenne à la surface du globe augmente déjà plus


rapidement que le rythme naturel des variations climatiques de la
planète Terre, qui sont des transitions antérieures ou postérieures à une
période glaciaire. À moins d’adopter des mesures radicales pour réduire
les émissions de carbone dues à l’activité humaine, cette augmentation
sera vraisemblablement cinquante fois plus rapide que les variations
climatiques naturelles les plus rapides3.
• Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat) prévoit que d’ici à la fin de ce siècle, 40 pour 100 ou plus des
espèces dans le monde pourraient disparaître4.
• Selon le GIEC, chaque année, depuis 2008, 21,5 millions d’individus en
moyenne ont été forcés de se déplacer en raison de situations d’urgence
liées aux changements climatiques. Cette organisation prévoit une
augmentation de la fréquence et de l’intensité de ces événements. Elle
soutient aussi que les changements climatiques sont un «multiplicateur
de menaces» dans les régions déchirées par les conflits. «Les
changements climatiques font le lit des conflits, mais aggravent
également beaucoup les déplacements de populations quand ils se
produisent5.» Les changements climatiques à évolution lente dus à la
dégradation de l’environnement et aux conséquences de celle-ci
entraînent aussi un exode massif de gens en quête d’un refuge et d’un
gagne-pain.
• Il s’est avéré en avril 2017 que le blanchissement corallien avait
gravement endommagé les deux tiers du récif de la Grande-Barrière
d’Australie. Ce blanchissement se produit lorsque les algues qui vivent
dans les tissus coralliens en sont expulsées, le plus souvent à cause de la
température trop élevée de l’eau6.

Au moment où j’écris ces lignes, un ouragan de catégorie 4 avec des


vents de plus de 200 km/heure et des pluies torrentielles vient de frapper le
sud-est du Texas et causer des inondations et des dommages
catastrophiques. Quelques jours plus tard, l’un des ouragans les plus
puissants jamais décelés, de catégorie 5, a dévasté les îles Caraïbes et la
Floride, tandis qu’un autre le suivait de près. Trois séismes destructeurs ont
frappé le Mexique cette semaine, l’un d’eux étant le pire que ce pays ait
connu depuis le début du siècle. Vingt-sept feux de forêt ont fait rage en
même temps dans l’ouest des États-Unis en 2017. Au 22 décembre 2017,
9,8 millions d’hectares avaient été incendiés, soit 4,3 millions d’hectares de
plus qu’en 2016. Des tremblements de terre se produisent là où il n’y en
avait jamais eu et le vent atteint des vitesses inégalées; la température
terrestre augmente chaque année et cette hausse est plus rapide que ne
l’avaient prévu les scientifiques quand ils nous ont mis en garde contre le
réchauffement planétaire.
Nos religions et nos systèmes politiques patriarcaux ont ignoré pendant
des millénaires les mises en garde sur les changements climatiques; ils ont
continué à déshonorer et à bafouer la nature et ont poussé l’humanité au
bord du gouffre. Naomi Klein écrit dans Tout peut changer – Capitalisme et
Changement climatique: «Le changement climatique, qui constitue une
crise majeure pour l’humanité, n’a jamais été traité comme telle par nos
dirigeants, malgré le fait qu’il risque de détruire des vies à une échelle
beaucoup plus grande que les banques et les bâtiments qui s’effondrent7.»
Le rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur la
violence à l’encontre des femmes révèle que8:
• La violence à l’encontre des femmes, qu’elle soit le fait d’un partenaire
intime ou de nature sexuelle, est un grand problème de santé publique.
• Selon les estimations mondiales de l’OMS, 35 pour 100 des femmes,
soit une femme sur trois, indiquent avoir été exposées à des violences
physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ou de
quelqu’un d’autre au cours de leur vie.
• Le plus souvent, cette violence est le fait du partenaire intime. Au
niveau mondial, près du tiers (30%) des femmes qui ont eu des relations
de couple signalent avoir subi une forme quelconque de violence
physique et/ou sexuelle de la part de leur partenaire intime au cours de
leur vie.
• Au niveau mondial, pas moins de 38 pour 100 des meurtres de femmes
sont le fait de leur partenaire intime masculin.

Ces dernières années, des allégations de harcèlement sexuel à l’endroit


de personnalités publiques telles que Bill Cosby, Bill O’Reilly et Roger
Ailes ont été évoquées. Elles ont pris de la vigueur quand des femmes ont
dénoncé le magnat du cinéma Harvey Weinstein. Ces révélations ont
déclenché une déferlante d’accusations à son endroit et à l’endroit d’autres
personnalités des milieux du divertissement. L’ampleur du problème a été
confirmée quand Tarana Burke et l’actrice Alyssa Milano ont invité toutes
les femmes victimes de harcèlement sexuel à écrire deux mots sur Twitter
avec le mot-clic #MeToo. La réaction a été explosive. On a assisté à un
véritable raz-de-marée. Les récits longs ou brefs de #MeToo ont démontré
que, loin d’être limité à l’industrie cinématographie, ce problème est
endémique. En décembre 2017, le magazine Time a désigné le mouvement
#MeToo – c’est-à-dire ceux et celles qui ont «brisé le silence» – comme
Personnalités de l’année, en le qualifiant de changement social le plus
rapide depuis des décennies. Le mouvement #TimeIsUp a suivi #MeToo et
les médias publient quotidiennement des révélations de harcèlement sexuel.
On aurait dit que la porte d’un placard rempli à craquer de souffrance et
de colère s’était brusquement ouverte, déversant tout son contenu. Les
femmes tenues au silence, impuissantes ou réticentes à parler ont
commencé à livrer leurs histoires. Le 17 octobre 2017, on pouvait lire ceci
dans le Washington Post: «Une importante majorité d’Américaines soutient
que le harcèlement sexuel en milieu de travail représente un “grave
problème” aux États-Unis. Près des deux tiers des Américaines affirment
que les hommes qui harcèlent sexuellement le personnel féminin s’en tirent
en toute impunité. […] Un tiers des femmes dit avoir fait l’objet d’avances
sexuelles de la part d’un collègue ou d’un supérieur influent, et le tiers
d’entre elles soutient que le comportement de leurs collègues masculins
équivaut à de la violence sexuelle9.»
L’ampleur des atteintes portées par les hommes envers les femmes et la
Terre ne signifie pas que tous les hommes sont coupables. Il faut admettre
que, dans le monde entier, de nombreux hommes visionnaires reconnaissent
l’existence de ces problèmes et collaborent étroitement avec les femmes
afin d’y remédier. Je me penche avant tout dans ce livre sur la nécessité
d’une prise en charge par les femmes et sur les conséquences dévastatrices
des inégalités et des violences dont elles sont victimes, mais au bout du
compte, la société a besoin de partenariats. Nous devons développer avec
les hommes une alliance qui nous renforce mutuellement et où la
domination d’un genre sur l’autre n’a pas sa place, une société qui favorise
la mise en commun des forces plutôt que l’exercice de la force par l’un sur
l’autre.
La perte des vertus féminines est un pressant problème psychologique et
économique dans la société actuelle. Cette perte est douloureuse pour notre
vie affective et désastreuse pour la protection de la vie sur Terre. Elle atteint
la femme au cœur même de son identité, et l’homme dans sa capacité de
ressentir et d’apprécier. L’homme qui perd sa part de féminin est d’humeur
changeante et solitaire. La femme perd sa confiance en soi. Nous prenons
lentement conscience de la crise que subit la planète et des conséquences de
la disparition du féminin sacré, mais peu de gens comprennent que les
causes de cette crise s’enracinent dans des valeurs spirituelles, celles qui
disent que le sacré est immanent, inhérent à toute vie, et que toutes les
formes de vie composent un ensemble interdépendant.
Que pouvons-nous faire pour rétablir et restaurer l’équilibre? Cet
équilibre dépend de l’égalisation des droits humains et de la situation
économique des hommes et des femmes. Il faut aussi tourner le dos aux
religions qui mettent en valeur la domination masculine et privilégier les
modèles spirituels fondés sur le partenariat et le respect de notre précieuse
planète. C’est en valorisant le féminin sacré et en prêtant l’oreille à ce que
tente de nous dire la planète que nous pourrons guérir.
Au printemps 1994, quand mon mari, Dave, et moi nous sommes
installés sur les terres du sud-ouest du Colorado qui deviendraient Tara
Mandala, j’ai ressenti le besoin d’établir un contact avec les premiers
habitants de ces terres et de solliciter leur appui et leur secours.
Parallèlement, à l’occasion d’un rassemblement qui avait eu lieu au Texas
un peu plus tôt au printemps avant notre emménagement au Colorado,
j’étais assise à côté de Grand-mère Bertha Grove, une aînée fort respectée
de la tribu des Utes, qui seraient plus tard nos plus proches voisins. C’était
une septuagénaire de petite taille aux cheveux gris et aux pommettes
saillantes. À cause de ses lunettes aux verres très épais, on ne savait jamais
trop bien ce qu’elle regardait. Au rassemblement, nous avons bavardé un
peu et échangé nos adresses.
Je l’ai contactée dès notre arrivée au Colorado et je lui ai rendu visite
dans sa petite maison blanche d’Ignacio, à environ une demi-heure de route
au milieu de collines, de prairies et de majestueuses formations rocheuses.
Le dôme d’une suerie était visible derrière chez elle. Elle m’a accueillie à la
porte, et je suis entrée dans un salon dégagé et propre, meublé de deux
canapés recouverts de couvertures amérindiennes. Elle m’a précédée dans
la cuisine aux murs peints en blanc, équipée d’une cuisinière au gaz et d’un
frigo blancs. Sur une étagère, des herbes étaient rangées dans des pots
soigneusement étiquetés. Elle m’a offert de l’eau et nous nous sommes
assises à la table de la cuisine. Je lui ai présenté sur-le-champ ma requête.
— Grand-mère, nous venons tout juste d’emménager sur quatre cents
hectares de terre à l’est d’ici, car nous voulons y établir un centre de
retraite. Viendriez-vous nous aider à construire une suerie et accomplir une
cérémonie afin qu’on nous conseille sur la façon d’entrer correctement sur
ces terres?
Elle a accepté. Quelques semaines plus tard, elle est arrivée avec son
mari Vincent au volant d’une petite autocaravane brune où ils ont logé.
Nous n’avions encore aucune construction; camper était de rigueur. Nous
avons construit la suerie dans un petit pré à proximité de la cuisine
extérieure, installée sous un grand érable à Giguère. La suerie est une hutte
en forme de dôme dont le cadre est fait de rameaux de saule rouge
recourbés pour former une sorte de panier renversé. Le feu où sont
chauffées les pierres est devant la porte, qui fait face à l’est. Au fur et à
mesure de la construction du cadre, nous l’avons complètement drapé de
couvertures et de bâches pour le rendre parfaitement étanche.
La construction terminée, nous sommes entrés dans l’obscurité
ambiante pour la cérémonie de suerie. Le gardien du feu a placé les pierres
dans un foyer creusé à l’intérieur. Le rabat de l’entrée a été refermé et dans
la chaleur croissante produite par l’eau versée sur les pierres, les prières ont
commencé. Vincent était l’officiant, versant l’eau et scandant les chants en
langue ute, des chants de purification, de guérison et de rajeunissement.
Pendant la cérémonie, on nous a invités à prier tout haut pour des personnes
ou des faveurs. J’ai demandé que les esprits de la terre de Tara Mandala me
guident.
Après être sortis de la suerie, tandis que, assis dans l’herbe, nous nous
remettions de cette expérience intense, Grand-mère Bertha m’a dit:
— Ce que tu veux faire ici est déjà ici. […] Je le vois. Je vois le temple
et tous les autres bâtiments. Ils planent au-dessus du sol. Tu n’as qu’à les
attirer hors de l’éther pour les amener sur terre.
Cela a été beaucoup plus difficile à faire que je n’avais cru. Au fil des
ans, quand je me suis laissée aller au découragement, je me suis remémoré
ses mots jusqu’à ce que Tara Mandala soit enfin terminé.
Grand-mère Bertha m’a aussi enseigné les secrets des plantes
médicinales. Un jour que nous étions en train de cueillir des herbes dans le
haut des prés, elle m’a dit ceci:
— Demande toujours la permission avant de cueillir une herbe. Puis,
arrache un cheveu de ta tête et laisse-le en offrande à la terre. Avec dame
Nature, on fait toujours du troc. […] Le petit pincement que tu ressens
quand tu arraches un cheveu est le même que ressent la terre quand tu
cueilles une plante. C’est une bonne façon de ne pas l’oublier.
Elle s’est penchée sur une petite plante à fleurs jaunes.
— Tu vois cette herbe à gomme jaune? a-t-elle fait. C’est bon pour les
poumons et la toux. Si tu pinces la fleur à sa base, c’est gluant.
Elle en a cueilli une et me l’a tendue.
— C’est là que se concentrent ses vertus médicinales. Mais quand tu la
cueilles, ne choisis jamais la plus grosse fleur, car c’est elle qui produira
une nouvelle génération encore plus puissante. Si tu prends la fleur de
grosseur moyenne, elle a aussi d’excellentes propriétés et tu n’épuises pas
le reste.
Cette brève conversation m’a beaucoup appris sur la relation qu’il faut
avoir avec les plantes et nos autres ressources naturelles. Pour Grand-mère
Bertha, toute la planète était dame Nature.
— Nous devons Lui rendre hommage, disait-elle.
Nous sommes toujours dans une relation interdépendante avec toute
chose, que ce soit notre propre mère, dame Nature ou quoi que ce soit
d’autre.
Hommes et femmes, nous devons aspirer à un partenariat solide et
créateur entre les sexes et dame Nature, à une fusion de l’esprit et de la
matière. Nous devons apprendre à donner quelque chose en échange de ce
que nous prenons. Nous devons apprendre à laisser intacts les spécimens les
plus forts pour que les générations suivantes y aient accès, et renoncer à
nous approprier les meilleurs. Comme l’a dit le chef Crazy Horse: «Soyons
bons avec la terre: nous ne l’héritons pas de nos ancêtres, nous
l’empruntons à nos enfants.»

LE PRINCIPE FÉMININ DE LA FAROUCHE DAKINI


Avant sa venue au monde, Tara, la figure féminine du Bouddha, était une
princesse appelée Lune de sagesse, dévouée aux enseignements du
Bouddha et fidèle à sa pratique méditative. Elle avait développé l’esprit
d’Éveil bodhicitta pour venir en aide à tous les êtres et s’approchait de la
bouddhéité.
Son maître, un moine, vint la trouver et lui dit: «Quel dommage que tu
aies un corps de femme, car tu ne pourras jamais réaliser ainsi l’Éveil. Tu
devras renaître dans un corps d’homme si tu veux atteindre l’état de
Bouddha.»
Par sa réponse d’une grande sagesse, la princesse lui donna la preuve de
sa parfaite compréhension de la vérité: «Il n’existe pas plus d’homme que
de femme dans la réalité ultime, pas de “je” ou de “moi”, de personne ou de
conscience. Les désignations “mâle” et “femelle” sont dérisoires. Ô
combien les pauvres d’esprit de ce monde se bercent d’illusions!»
Elle a ensuite fait le vœu suivant: «Nombreux sont ceux qui aspirent à
l’Éveil en tant qu’hommes, mais rares sont ceux qui veulent servir les êtres
en tant que femmes. Je jure de continuer à me manifester dans un corps de
femme pour aider tous les êtres jusqu’à ce que l’océan de l’existence se soit
asséché.»
À compter de ce jour, la princesse s’est consacrée à sa quête de l’Éveil.
Quand elle l’a réalisée, elle est devenue Tara, la Libératrice. J’aime à dire
qu’elle est la première des féministes et j’ajoute en manière de plaisanterie
qu’elle est le chef spirituel du parti Vert: elle garde la forêt, elle réagit
rapidement et elle est compatissante. On la décrit comme ayant un pied
dans le monde et un pied dans la méditation, comme beaucoup d’entre
nous.
Tout comme Tara, je crois fermement que, dans la réalité ultime, nous
sommes asexués, que toute notion de genre est contraignante et trahit notre
vraie nature. Dans la réalité de ce monde, les hommes sont différents des
femmes et cette différence est précieuse. Je ne souhaite pas que les femmes
imitent les hommes pour se faire accepter ou pour avoir du succès. Nous ne
manquons ni d’hommes ni de femmes qui se comportent en hommes – mais
j’encourage très fortement les femmes à obéir à leurs aspirations, et je crois
qu’elles doivent être traitées sur un pied d’égalité avec les hommes. Quand
il est question dans ce livre du masculin et du féminin, il importe peu que
vous vous identifiiez comme homme, comme femme, comme non binaire
ou selon toute autre orientation sexuelle, car tant les énergies masculines
que les énergies féminines vivent en chacun de nous et aussi dans le monde
extérieur. Cela dit, il existe partout sur la planète des lois, des règlements et
des messages culturels qui touchent directement les femmes et tiennent
celles-ci à l’écart. Je souhaite que nous ne perdions jamais de vue
l’extraordinaire magie du féminin sacré, la force unique qui peut répondre à
ces temps de crise.
Les modèles féminins forts ont, dans une large mesure, été perdus,
réprimés ou dissimulés, plus particulièrement quand ces images n’étaient
pas tolérées par une société patriarcale ou qu’elles n’y étaient pas en
sécurité. La sibylle, la femme avisée, la femme sauvage, tous ces portraits
de femmes qui incarnent précisément la transformation, le magique, le
spirituel et le psychique, sont qualifiées de «sorcières malveillantes». On
estime que, du XVe au XVIIIe siècle, de 60 000 à 100 000 femmes
accusées de sorcellerie ont été condamnées à la peine de mort, et surtout à
être brûlées vives, car cette mort était la plus horrible. En ces siècles de
puritanisme et de répression sexuelle, les femmes condamnées au bûcher
étaient souvent des femmes indépendantes ou rebelles qui vivaient seules et
pratiquaient la médecine par les plantes, ou des femmes qui refusaient de se
soumettre à leur mari ou à avoir avec lui des relations sexuelles.
L’image de la mère dévouée et sereine n’a jamais été en danger. Toutes
les sociétés l’acceptent depuis toujours, même les sociétés patriarcales.
Mais l’absence d’une tout autre illustration de l’expérience féminine
primordiale, dont se languissent tant les hommes que les femmes, se fait
sentir. Elle provient du féminin sacré intuitif, le lieu d’un langage paradoxal
et prophétique où la signification symbolique l’emporte sur les mots; un
lieu où les femmes assises en rond sont nues, couvertes de boue,
d’ossements et de plumes, où elles se transforment en sublimes déesses et
en vieilles sorcières, où elles deviennent de farouches dakinis.
Le mot sanscrit dakini devient khandro en tibétain, ce qui signifie
«danseuse des cieux» ou, littéralement, «celle qui se déplace dans
l’espace.» La dakini est la plus importante manifestation du féminin dans le
bouddhisme tibétain. Elle peut prendre une forme humaine ou celle d’une
divinité et elle est souvent représentée nue dans une attitude farouche de
danseuse, ornée d’ossements, entourée de flammes, avec des crocs, tirant la
langue. Un sceptre représentant son consort, son époux intérieur repose
dans le creux de son coude gauche. Sa main droite levée brandit un couteau
serpette, symbole de son acharnement à faucher notre obsession de la
dualité. Elle est compatissante en même temps qu’elle déracine
impitoyablement l’ego. Dans sa main gauche, une coupe crânienne tenue au
niveau du cœur représente la fugacité et la mutabilité du désir. Elle offre un
spectacle intense et terrifiant.
La dakini, qui met à mort notre aveuglement, est une messagère de
l’espace et une force de la vérité. Elle fauche ce à quoi nous nous
agrippons; elle révèle ce que nous pensons pouvoir cacher, ne serait-ce qu’à
nous-mêmes. La dakini se manifeste habituellement durant les transitions:
l’entre-deux-mondes, le passage de la vie à la mort, les visions qui
surviennent entre le sommeil et l’état de veille, dans les cimetières et les
charniers.
Quand je songe aux quatre accouchements de mes deux filles qui m’ont
donné quatre merveilleux petits-enfants – deux chacune – et à mes propres
trois accouchements, j’associe la dakini à ce que l’on appelle la «phase de
transition», quand l’ouverture du col de l’utérus atteint son maximum pour
permettre la descente du bébé dans le canal génital. Il s’agit en général de la
phase la plus douloureuse et difficile du travail, celle durant laquelle la
femme doit entrer en contact avec sa nature sauvage, se prendre en main et
s’approprier sa puissance primordiale la plus enfouie. Elle est souvent
furibonde, elle doit accéder à sa forte dakini intérieure pour franchir ce
passage, ce tunnel noir, et amener son enfant à la lumière du monde.
Personne ne peut le faire à sa place.
Je me souviens d’avoir été témoin à mon premier accouchement de la
force déchaînée de la dakini au sommet de sa puissance. Cela se passait
quelques mois à peine après être revenue de l’Inde avec mon mari et moins
d’un an après m’être défroquée de l’état de moniale bouddhiste. Nous
vivions à Vachon Island, dans Puget Sound, au large de Seattle. J’ai choisi
l’accouchement naturel, à la maison. Nous habitions une maisonnette de
cueilleurs de baies qui avait hébergé des travailleurs migrants venus dans
l’île pour les récoltes de groseilles. Un petit poêle au bois servait au
chauffage et à la préparation des repas.
Ce jour-là, les contractions ont commencé le matin et ont tout de suite
été très intenses. Quand le docteur est arrivé de Seattle le soir, j’étais en
travail depuis huit longues heures. Les choses n’avançaient pas. Il a dit que
le bébé n’était pas bien positionné. Aussitôt, je me suis dit: Il faut que
j’accouche de ce bébé! Personne d’autre que moi ne peut s’en charger. Que
faut-il que je fasse?
Je me suis mise en phase avec mon corps, je suis sortie du lit et je me
suis accroupie par terre. Après avoir demandé au médecin de sortir, je me
suis mise à onduler et à me secouer d’avant en arrière et de haut en bas.
Mon mari s’est approché en m’enjoignant de me calmer et de respirer
doucement, mais j’ai ordonné à tout le monde de me laisser seule. Je n’étais
ni douce ni calme, mais dure et claire. On aurait dit une bête primitive en
sueur, tremblante et gémissante, qui se balançait sauvagement.
Le travail a progressé. Durant la phase de transition, toujours à
croupetons, j’étais encore plus déchaînée qu’avant et je tremblais de tous
mes membres. Mais peu après, je tenais ma fille dans mes bras. Si je
m’étais pliée aux directives de mon entourage, mon bébé ne se serait pas
retourné. Mes mouvements débridés l’ont aidé à se positionner
correctement. Si je ne m’étais pas emparée de la situation, si je ne m’étais
pas déchaînée en prenant conseil sur mon moi intérieur, j’aurais sans doute
été transportée par avion à l’hôpital de Seattle pour y subir une césarienne.

À LA RENCONTRE DE LA «SALE FEMME»


La compassion farouche ne se limite pas aux femmes, comme le démontre
le Dalaï-Lama. Je déjeunais un jour en compagnie de ce dernier et de cinq
autres maîtres bouddhistes occidentaux au Spirit Rock Meditation Center de
Marin County, en Californie. Dans une charmante pièce éclairée de
plusieurs fenêtres et au sol recouvert de tapis blancs, nous étions attablés
devant un repas indien végétarien parfumé et savoureux. De délicats
arrangements floraux agrémentaient la table et des étudiants aimables et
gracieux assuraient le service. Nous parlions de l’inconduite sexuelle de
certains maître bouddhistes occidentaux. Une bouddhiste californienne a
mentionné l’un d’eux qui exploitait ses étudiantes à des fins sexuelles
personnelles.
— Nous tentons avec compassion de lui faire comprendre ce qui le
pousse ainsi à abuser de ses étudiantes et nous essayons de l’aider à
modifier son comportement.
— La compassion, c’est bien beau, a lancé le Dalaï-Lama en abattant
son poing sur la table, mais il faut que ça cesse! Et il faut exposer les
coupables!
Il avait fait sauter les assiettes, les verres avaient failli se renverser et je
m’étais presque étouffée avec une bouchée de riz au safran. J’ai soudain vu
en lui une manifestation farouche de la compassion et compris que cette
lucidité ne faisait pas du Dalaï-Lama un homme moins compatissant. Elle
conférait au contraire à sa compassion un caractère décisif et impitoyable,
et à son magnétisme l’incandescence d’un brasier. Je n’oublierai jamais ce
jour qui m’a beaucoup appris sur la compassion et la précision. La
compassion n’a rien à voir avec la mollesse d’une approche laxiste. Elle
peut dire non! avec autorité. Être compatissant ne veut pas dire laisser
stupidement l’autre faire à sa guise, ce que Trungpa Rinpoché qualifie de
«compassion idiote10», comme celle qui consisterait à fournir des
stupéfiants à un toxicomane.
J’emploie dans ce livre le qualificatif de «farouche» dans le sens où on
l’entend pour qualifier une bête sauvage qui défend ses petits: un rayon
laser de férocité, une énergie pure d’une force considérable, impossible à
arrêter quand elle est concentrée et dirigée sur son objet. Cette férocité est
dénuée de haine ou d’agressivité. Une attitude courroucée est parfois plus
efficace qu’une approche pacifique. Quand on comprend que la férocité de
la dakini est une source créative d’énergie brute, on peut voir les dakinis
exercer un pouvoir qui consiste à soumettre, à protéger, à transformer.
Nous devons accéder à la source de pouvoir de la farouche dakini et
l’appliquer à ce qui nous importe sur le plan émotionnel, spirituel,
intellectuel ou politique. En allant à la rencontre de notre grande énergie
féminine, nous évoluerons non pas en voulant imiter les hommes ou en tant
qu’êtres asexués, mais en tant que femmes. Nous sommes différentes, et
tant que cette différence ne sera pas connue de nous, assumée par nous et
optimisée par nous, nous ne concrétiserons ni notre véritable pouvoir ni
notre aptitude à rééquilibrer le monde dans lequel nous vivons. Le féminin
puissant et farouche fait partie intégrante de notre psychisme, mais nous le
réprimons. Quand nous ne reconnaissons pas son existence parce qu’il nous
effraie, il opte pour la subversion et la vengeance. Mais bien accueilli et
respecté, il est une incroyable source de pouvoir.

Jusqu’à tout récemment, être féministe avait quelque chose de


déshonorant. Je le sais trop bien, puisque mon maître bouddhiste m’a
reproché d’être «trop féministe» quand j’essayais seulement d’apporter un
certain équilibre au bouddhisme, de parler de féminin souverain, de
violence sexuelle et des aspects patriarcaux du bouddhisme. Avec le temps,
il a changé d’avis et a soutenu mon point de vue, mais à cette époque, le
défi était grand et le mot féministe, une insulte. Des femmes ont vite fait de
s’en distancer de peur d’être qualifiées de féministes enragées et de
repoussoirs. Mais quand on demande à ces femmes qui affirment ne pas être
féministes si elles croient à l’égalité de rémunération pour un travail de
valeur égale, à la liberté de choix en matière de reproduction et à la
protection des femmes face à la violence masculine, la plupart répondent:
«Oui, bien sûr.» Autrement dit, elles sont féministes, mais elles ne veulent
pas passer pour des sexistes anti-hommes.
Cette situation est en train de changer. Le féminisme renaît et est une
source de fierté tant pour les hommes que pour les femmes. Barack Obama
et Justin Trudeau se disent féministes. Trudeau s’est dit «fier» de son
engagement dans la campagne «Lui pour Elle11», un mouvement de
solidarité pour l’égalité des sexes lancé par l’ONU Femmes, dont l’objectif
vise la participation des hommes dans ce combat. Le retour du féminisme
est d’autant plus réel qu’il se développe de façon inclusive et
multidimensionnelle en tenant compte du vécu des femmes de couleur,
transgenres et à faible revenu.
Vous souvenez-vous du jour où Donald Trump a répliqué par «quelle
sale femme» à une pique d’Hillary Clinton pendant la campagne
présidentielle de 2016? Cela n’a pas eu l’effet escompté. Les femmes se
sont emparées de l’insulte et en ont fait un slogan d’autonomisation: Never
underestimate the power of a nasty woman. (Ne sous-estimez jamais la
force d’une sale femme.) Nous avons transformé une insulte en un objet
d’appropriation par les femmes. Nous ne demandons plus à personne la
permission d’être énergiques, résolues et d’avoir notre franc-parler. Nous
avons choisi de faire face solidairement à l’odieux patriarcat.
L’insulte de Trump a donné naissance à un mouvement. Never
underestimate the power of a nasty woman a fait fureur. Les femmes se sont
nourries à leur férocité intérieure et se sont unies à l’occasion de la Marche
des femmes du 21 janvier 2017, le lendemain de l’investiture de Donald
Trump. Solidaires, avec le soutien de nombreux représentants des autres
identités sexuelles, les femmes ont marché au nom de la protection de leurs
droits, des droits humains et des droits de la Terre. Elles n’ont pas manqué
d’humour, coiffées qu’elles étaient du «Pussy Hat», le désormais célèbre
bonnet rose à oreilles de chat, et brandissant des pancartes où se lisait
«Pussy Power». La marche a été pacifique et réjouie, mais qu’on ne s’y
trompe pas. Jamais encore n’avait-on assisté à une protestation de cette
envergure à l’échelle planétaire.
On estime à cinq millions le nombre de personnes ayant participé dans
le monde à la Marche des femmes de 201712. Au moins 673 marches ont
été dénombrées sur les sept continents13. À Washington, D.C., il s’est agi
du plus important mouvement de protestation depuis les contestations
contre la guerre du Vietnam des années 1960 et 1970. Le métro de la
capitale a connu le jour le plus achalandé de son histoire. Il n’y a eu aucune
arrestation, marcheuses et marcheurs se contentant de brandir
pacifiquement, sans agressivité aucune, tout un ensemble de pancartes
provocatrices où l’on pouvait lire NASTY WOMEN RULE (Les sales
femmes mènent le bal), SAVE THE PLANET (Sauvons la planète), IF
YOU TAKE AWAY MY BIRTH CONTROL I’LL JUST MAKE MORE
FEMINISTS (Si vous m’enlevez mes moyens de contraception, je ferai
encore plus de féministes), FIGHT BACK (Défendons-nous), BITCHES
GET STUFF DONE (Les salopes font ce qui est à faire), MISOGYNY
KILLS (La misogynie tue), WE ARE THE GRANDDAUGHTERS OF
THE WITCHES YOU DID’NT BURN (Nous sommes les petites-filles des
sorcières que vous n’avez pas brûlées). Le message sur la pancarte d’une
nonagénaire disait: NINETY, NASTY, AND NOT GIVING UP (Quatre-
vingt-dix ans, une sale femme, et je ne renonce pas).
Des hommes de diverses origines ethniques et culturelles ont marché
solidairement au côté des femmes. On pouvait lire sur leurs pancartes I
ALSO FEEL STRONGLY ABOUT THIS (Cela me parle aussi beaucoup),
MEN OF QUALITY DO NOT FEAR EQUALITY (L’égalité n’effraie pas
les hommes de qualité), REAL MEN ARE FEMINISTS (Les vrais hommes
sont féministes), THIS FEMINIST HAS BALLS (Ce féministe-ci a des
couilles), TEACH BOYS THEY ARE NOT ENTITLED TO WOMEN’S
BODIES (Enseignez aux garçons que le corps des femmes ne leur
appartient pas), REAL MEN GET CONSENT (Les vrais hommes
obtiennent leur consentement). Un jeune homme brandissait une pancarte
qui disait: ALL MEN CAN STOP OBJECTIFYING WOMEN (Tous les
hommes sont capables de ne pas traiter les femmes comme des objets). La
pancarte d’un homme d’un certain âge et du petit garçon perché dans ses
bras annonçait: I AM COMMITTED TO RAISING MY SON TO RESIST
MISOGYNY AND EMBRACE FEMINISM (Je m’engage à enseigner à
mon fils à résister à la misogynie et à choisir le féminisme). Sur celle d’un
homme aux cheveux gris on lisait: ALL MEN SHOULD BE FEMINISTS
(Tous les hommes devraient être féministes) et sur celle de son fils, étudiant
à l’université: WOMEN’S RIGHTS ARE HUMAN RIGHTS (Les droits
des femmes sont des droits humains). Un couple multiracial tout sourire
sous des bonnets de chats brandissait le message suivant: PATRIARCHY IS
FOR DICKS (Le patriarcat c’est pour les cons). Sur sa pancarte, un autre
jeune homme avait écrit: END TOXIC MASCULINITY, END RAPE
CULTURE (Finissons-en avec la masculinité toxique, finissons-en avec la
culture du viol).
La Marche des femmes a témoigné d’un dynamisme et d’une cohésion
considérables. Le dynamisme s’est quelque peu estompé depuis, mais le
débat est loin d’être clos. J’ai aussi eu l’occasion de parler avec des femmes
découragées, peu sûre d’elles et frustrées. Se peut-il que nous ignorions
quelle devrait être la prochaine étape? J’ai constaté que nous avions besoin
d’une source intérieure où puiser le courage et l’inspiration nécessaires au
prolongement de cette impulsion que la marche a engendrée.
Nous devons trouver une façon de développer cette énergie, une
pratique intérieure qui puisse la soutenir, l’amener au-delà de la simple
protestation à sa pleine incarnation. Nous devons exploiter l’énergie
intense, indomptée et pourtant sage des dakinis. Nous y parviendrons en
explorant le Mandala des cinq dakinis expliqué dans ce livre, en nous
emparant de ce féminin sacré – qui a été relégué à l’inconscient, au négatif,
à l’«ombre», à la «harpie», à la «sorcière», à la «salope» et, oui, à la «sale
femme» –, en mettant en valeur son énergie et en tirant parti de ses
potentialités dans notre vie.

En avril 2016, j’ai dispensé une formation sur le Mandala des cinq dakinis
dans le cadre d’une retraite Wisdom Rising® dans un centre de yoga de
l’ouest du Massachusetts. L’année suivante, après l’élection du président
Trump, j’ai refait le même exercice avec 150 participantes. Vers la fin de la
retraite, une femme blonde d’environ quarante ans a levé la main et
demandé la parole:
— Il faut que je vous dise quelque chose. Cette pratique a changé ma
vie. Après la retraite de l’an dernier, j’ai fait le Mandala des cinq dakinis
tous les jours. Je me sens maintenant si à la hauteur que j’ai pris ma vie en
main et que je me suis portée candidate au Congrès!
Il y a eu une marée d’encouragements, de bravos et de tapes dans le dos
de la part des autres participantes. J’ai constaté avec plaisir que sa force
intérieure la poussait à agir.
Une autre femme a voulu parler à son tour.
— Je suis une militante, mais j’étais épuisée, vidée de mon énergie,
désespérée et découragée face au climat politique actuel. Je suis venue ici
l’an dernier et, de retour chez moi, j’ai pratiqué le Mandala des cinq dakinis
toute une année. Ç’a été formidable. Il me rend ma force intérieure et
renouvelle mon énergie, quel que soit le climat extérieur.
Une troisième participante, une petite brune aux cheveux courts, a pris
la parole.
— J’ai été très malheureuse toute ma vie. J’ai subi de terribles violences
dans mon enfance et j’ai été aux prises avec de la dépression, des
dépendances et des idées suicidaires. J’ai détesté être une femme. Mais ici,
dans cette retraite, pour la première fois de ma vie, je me suis sentie
heureuse, bien dans ma peau de femme et fortifiée de pouvoir participer à
ce changement.
Les dakinis ont un présent à vous offrir comme elles en ont offert un à
ces femmes. Elles représentent un modèle féminin farouche, sage, spirituel
et incarné. Elles nous donnent l’énergie du féminin indompté; elles ne sont
ni dociles ni soumises. Ce sont des entités lumineuses et subtiles, les
gardiennes de la terre sacrée et de son absolue sagesse. La pratique du
Mandala des cinq dakinis stimule cet archétype en nous et déclenche
l’énergie transformatrice du féminin.
Nous verrons que le corps féminin que manifeste la dakini est un
véhicule de l’Éveil. Le Mandala des cinq dakinis a des racines profondes,
éternelles et inclusives. Sa pratique vous aidera a faire face aux aléas de la
vie ordinaire, quand vous vous sentez tiraillée et éparpillée, quand vous
éprouvez le besoin de vous recentrer, quand vous devez prendre des
décisions, quand vous êtes dans une impasse. En entrant dans le mandala et
en allant à la rencontre de vos dakinis intérieures, vous accéderez à la
lucidité et à la force.

LE LIVRE
J’ai eu la chance inouïe d’étudier auprès de quelques-uns des plus grands
lamas tibétains qui ont échappé à l’invasion de la Chine en s’enfuyant en
Inde et au Népal. Avant cette invasion, le Tibet, petit pays cerné de hautes
montagnes, était en quelque sorte le creuset du développement spirituel
d’Asie centrale et à l’abri des influences extérieures. Ce milieu très spécial
a favorisé l’éclosion d’une profonde sagesse et de la méditation, et a
encouragé une démarche éclairée de valorisation de la compassion au sein
de sa population.
En découvrant la culture tibétaine en 1967, je me suis engagée à
promouvoir le rapprochement de l’Orient et de l’Occident. Il m’a semblé
que je venais de trébucher sur un coffre aux trésors et j’ai voulu en partager
les merveilles avec les autres pour qu’ils puissent se réjouir eux aussi de
cette beauté et de cette richesse. Ce que je souhaite le plus vivement
répandre par ce livre comprend le mandala primordial et les principes des
dakinis, l’introduction aux cinq familles de bouddhas et les dakinis de
sagesse, et la manière dont tout cela se concentre dans la pratique du
Mandala des cinq dakinis.
Je sais pertinemment qu’un livre comme celui-ci est impuissant à
transmettre la force et la profondeur de la tradition tibétaine ainsi que le
mandala tel qu’il m’a été transmis. Mais il faut, en ces temps difficiles et
sans précédent, trouver le moyen de rendre accessible la sagesse que le
Tibet a engendrée dans son isolement. Que vous soyez ou non bouddhiste,
que vous soyez une femme ou un homme, j’espère vous aider à tirer parti de
ces principes partagés dans votre vie quotidienne et, par le fait même,
contribuer à colmater les brèches qui déchirent le monde. La transformation
de notre paradigme spirituel donnera lieu à la transformation de notre
société et de notre culture.
Ce livre propose un travail personnel qui aidera les femmes (et tous
ceux que cela intéresse) à réagir plus sagement et plus efficacement aux
souffrances, aux défis et au chaos des réalités du monde d’aujourd’hui. Son
but est de vous apprendre à affronter le monde avec une force entière et
dénuée d’agressivité, à exploiter un pouvoir féminin incontestable et absolu
enraciné dans la plénitude, à susciter un partenariat nouveau avec le
masculin authentique. Ce voyage au cœur du mandala engendre un féminin
renouvelé qui puise à la sagesse ancienne tout en s’adaptant à la réalité
d’aujourd’hui. Pour cette raison, j’ai privilégié les pronoms féminins dans
ce livre et choisi des exemples de vies de femmes, mais j’y ai aussi glissé
quelques exemples masculins. Les hommes ont tout intérêt à lire ce livre et
à accomplir les pratiques qui y sont mises de l’avant.

La première partie comporte des récits de mon séjour en Asie. J’y raconte
comment je me suis rendue à Katmandou par voie de terre à partir de
l’Europe, comment je suis devenue la première Nord-Américaine à être
ordonnée moniale bouddhiste dans la tradition tibétaine, et comment j’ai
fait la rencontre du mandala et de la dakini. J’approfondis le mandala dans
les chapitres 2 et 3 où j’aborde sa raison d’être, sa signification et son usage
en tant que précieux moyen de transformation. Il est important de
comprendre le principe du mandala en tant qu’objet de méditation, car c’est
la structure fondamentale qui étaiera notre étude des cinq familles de
bouddhas et de la sagesse des dakinis.
Je poursuis mon récit personnel dans la deuxième partie: ma décision de
défroquer et de devenir mère, et ma rencontre avec une dakini, le grand
maître tibétain du XIe siècle, Machik Labdrön. Dans les chapitres 5 et 6
nous nous penchons plus attentivement sur le principe de la dakini et le
réveil du féminin sacré. Nous voyons comment atteindre l’intégration
spirituelle et la sagesse en personnifiant le féminin souverain. La quête de
spiritualité emprunte alors la voie de la méditation active, de l’éveil que
l’on manifeste dans la vie quotidienne en mobilisant notre dakini intérieure.
La troisième partie se concentre sur les cinq familles de bouddhas et les
dakinis de sagesse – Bouddha, Vajra, Ratna, Padma et Karma –, les
particularités de chacune et leurs personnalités. Vous saurez à laquelle de
ces familles vous appartenez et comment les familles correspondent à tant
d’aspects différents de votre vie. Nous étudierons plus particulièrement le
schéma obscur de chaque famille et sa contrepartie de sagesse. Enfin, dans
la quatrième partie, je vous guiderai pas à pas dans les méditations du
Mandala des cinq dakinis et de la rencontre des dakinis, ainsi que dans
d’autres pratiques qui vous aideront à intégrer et à personnifier les dakinis
dans votre quotidien, par exemple, l’aménagement d’un autel à la dakini, le
dessin d’un mandala, la création d’un mandala dans la nature ou les étapes
de la réalisation d’un mandala de sable. J’indique aussi comment appliquer
le mandala aux moments importants de la vie tels que les anniversaires, les
mariages et les funérailles.
PREMIÈRE PARTIE

À LA RENCONTRE DU MANDALA
1
Mon cheminement vers la complétude

Dieu est la sphère infinie dont le centre est partout et la


circonférence nulle part.
LIVRE DES XXIV PHILOSOPHES

À l’adolescence, j’aimais flâner dans Harvard Square au milieu des


étudiants et des professeurs qui bravaient la circulation pour se rendre à leur
salle de cours. C’était à l’époque un quartier en soi avec des librairies, une
épicerie, une quincaillerie, un delicatessen où l’on pouvait mordre dans
d’énormes sandwiches au pastrami piquant faits de petits pains au levain,
un restaurant où mon grand-père allait chaque jour manger du poisson frais,
et une glacerie qui offrait la meilleure glace à la menthe qui soit,
agrémentée de minibonbons à la menthe.
Mon grand-père paternel était depuis longtemps retraité de Harvard où
il avait enseigné la philosophie et les affaires, mais avec ma grand-mère qui
était, comme lui, philosophe et professeure à la retraite, il habitait toujours
une petite maison de Cambridge, au 8 Willard Street. Durant les congés de
fin de semaine que m’accordait mon pensionnat dans la banlieue de Boston,
je m’échappais de la vie de dortoir et leur rendais visite dans cette
maisonnette excentrique aux parquets coloniaux inégaux en bois dur à
planches larges, où mon grand-père exposait précairement sa collection de
vases grecs sur une table bancale du petit et sombre séjour.
À l’occasion d’une de ces visites, alors que j’achevais mes études
secondaires, je furetais à la librairie Harvard Coop quand je suis tombée sur
un gros livre relié intitulé L’Homme et ses symboles, un collectif dirigé par
Carl Gustav Jung. Il comportait de nombreuses photographies et
illustrations; je n’avais jamais rien vu de pareil. Un mandala tibétain était
représenté en couverture et d’autres mandalas figuraient à l’intérieur. Ces
mandalas m’ont à ce point subjuguée que j’ai acheté le livre sur-le-champ.
Je l’ai rapporté chez mes grands-parents. Réfugiée dans la chambre
d’amis, bien calée dans des oreillers sur un vieux matelas en crin de cheval,
j’ai contemplé des mandalas tibétains et d’autres représentations de
mandalas en provenance du monde entier. J’ai regardé fixement l’un d’eux,
tibétain, en me concentrant sur son centre. Une dimension lumineuse s’est
ouverte, une paix profonde m’a habitée. Aucune œuvre d’art n’avait jusque-
là déclenché en moi une pareille expérience. J’éprouvais un curieux
sentiment de familiarité mêlé d’émerveillement face à ce qui venait de se
produire et face à ces tableaux. Ce livre m’a accompagnée partout au cours
des années suivantes pour que je puisse toujours en contempler les
mandalas.
Dans ce livre, Carl Jung nous introduisait à ces derniers non seulement
dans leur forme traditionnelle tibétaine, mais aussi à ceux qui existent en
architecture, en urbanisme, dans l’art chrétien, dans les vitraux, dans l’art
tribal et dans les cérémonies autochtones. Les mandalas tibétains
m’attiraient plus particulièrement: leur profondeur et leur symétrie
complexe éveillaient quelque chose en moi et m’appelaient. Je sentais qu’ils
n’étaient pas que des tableaux. L’énergie mystique qui émanait d’eux
m’incitait à m’interroger sur les vérités qu’ils recelaient. Leur puissance ne
dérivait pas, contrairement à aujourd’hui, de ma connaissance rationnelle de
leur signification, mais bien de la contemplation directe des mandalas eux-
mêmes. Cette première prise de contact avec les mandalas tibétains a été un
puissant stimulant de ma quête spirituelle naissante.
La culture bouddhiste, particulièrement tibétaine, m’attirait, mais la
Nouvelle-Angleterre n’offrait que peu de ressources dans ce domaine.
C’était avant Internet, avant Google, Facebook et YouTube. Nous
communiquions par téléphone et courrier ordinaire. Nous trouvions nos
réponses dans les livres, en consultant une personne bien informée ou en
allant directement à la source. L’encyclopédie de mes parents m’avait
renseignée sur le Tibet, mais je n’avais trouvé aucun autre livre sur ce
thème. Environ à la même époque, ma grand-mère m’a offert un recueil de
haïkus zen et de calligraphie, Zen Telegrams, par Paul Reps. Ces poèmes
très courts accompagnés de caractères tracés au pinceau ont inspiré ce que
j’appelle ma première expérience méditative, un aperçu de «la prise de
conscience de la conscience», ou ce que j’appelais alors «la conscience
d’être conscient».
Dans notre maison de campagne au bord d’un lac du New Hampshire, je
lisais le recueil de Reps dans ma chambre à l’étage, une pièce rustique aux
murs en planches de pin brutes et aux poutres apparentes, quand j’ai décidé
d’aller m’asseoir sur le toit de la véranda en passant par la fenêtre de la
chambre de ma sœur. Il y avait quatre pins blancs majestueux devant la
maison. Je suis restée assise en silence dans la brise légère qui soufflait du
lac. J’ai entendu le bruit quasi imperceptible des aiguilles de pin qui
tombaient sur le toit. À cet instant, j’ai pris conscience de ma conscience en
même temps que je ressentais la caresse de la brise et que j’entendais le
bruit des aiguilles de pin sur le toit. Tout cela était sans contexte, je n’avais
aucun maître spirituel, mes amis n’y auraient rien compris, pourtant, jamais
je ne pourrai oublier cette expérience, ce profond sentiment de perception
sensible et de paix.
Ajoutées à d’autres, ces expériences précoces m’ont mise sur la voie de
ma quête spirituelle, une recherche qui a fini par dominer ma vie. Après
mes études secondaires, j’ai fréquenté l’Université du Colorado, mais n’y ai
rien trouvé qui satisfasse ma faim de sagesse intérieure. Puis, un jour
d’automne de ma deuxième année d’études, tandis que je furetais dans les
rayonnages de la bibliothèque de l’université, un titre a attiré mon attention.
C’était un des tout premiers ouvrages en anglais sur le yoga, The Hidden
Teaching Beyond Yoga, par Paul Brunton (L’Enseignement secret au-delà
du yoga, Payot, 1951). Je l’ai aussitôt emprunté et emporté dans ma
chambre.
Au bout de quelque temps, ma lecture m’ayant rendue somnolente, j’ai
posé mon livre et me suis allongée sur le ventre pour faire une sieste. J’ai
bientôt senti mon corps se soulever du lit et flotter au plafond. Je suis
certaine que c’est arrivé. L’expérience était palpable. Terrifiée de flotter
ainsi, je me suis forcée à rouvrir les yeux. J’étais de nouveau dans mon lit.
Cette sortie hors du corps a intensifié ma recherche spirituelle. Je me suis
confiée à ma meilleure amie, Vickie Hitchcock, dont le père était alors
consul général des États-Unis à Kolkata. Nous avions fait connaissance
l’année précédente, ressenti sur-le-champ l’une avec l’autre une grande
affinité de cœur et d’esprit et partagé dès le début notre curiosité pour ce
que nous appelions «l’Orient mystique». Nous sommes restées très liées et
suivons toutes les deux la voie du bouddhisme tibétain depuis l’âge de dix-
neuf ans.
Notre quête s’est intensifiée à l’été 1967, «l’été de l’amour». Nous
avons décroché de l’université et nous sommes parties pour l’Inde et le
Népal. Nous nous sommes d’abord rendues à Hong Kong en avion.
Parvenues à destination, nous avons déniché une librairie ésotérique où
nous avons acheté tous les livres disponibles sur le Tibet. Nous les avons
lus à bord d’un navire italien qui nous emmenait à Bombay (Mumbai) et là,
nous nous sommes envolées pour Kolkata où les parents de Vicky
habitaient une grande et vieille maison coloniale voisine du consulat des
États-Unis. Après avoir travaillé quelque temps au refuge de mère Teresa
pour mères célibataires et bébés abandonnés, Vicky et moi sommes parties
pour le Népal.

Lama Tsultrim avant de quitter l’Inde en 1967.

SWAYAMBHUNATH
Un matin, alors que nous rendions visite à une famille népalaise du centre
de Katmandou, nous avons été invitées à admirer le panorama du haut du
toit de la maison. Un brouillard bas enveloppait la vallée, mais les pics
cristallins de l’Himalaya étaient visibles au loin. Beaucoup plus près, à un
peu moins de deux kilomètres, tel un palais éphémère dans une île au milieu
d’un lac, on apercevait un lumineux dôme blanc surmonté d’une scintillante
flèche dorée. Je n’avais jamais rien vu d’aussi mystique. En réponse à ma
question, on m’a dit qu’il s’agissait de Swayambhunath, également appelé
le Temple des singes parce qu’une troupe de singes sauvages habite sur la
colline, et que c’était un des sites les plus sacrés de la ville.
Quelques jours plus tard, un peu avant l’aube, nous avons eu la chance
de nous joindre à un groupe de pèlerins qui se rendaient au faîte de la
colline. Ce parcours nocturne dans les rues de Katmandou nous a ramenées
d’un bond au Moyen Âge. En véritables éboueurs médiévaux, chiens et
vaches trouvaient leur nourriture dans les ordures que les gens jetaient dans
la rue.

Marches menant au stupa Swayambhunath, Katmandou, Népal, 1967.


Parvenues dans la vallée, nous avons traversé la rivière en franchissant
un vieux pont qui débouchait sur un étroit sentier entre les rizières, puis
nous avons lentement gravi la colline par un sentier de plus en plus à pic qui
a ensuite fait place à un escalier vertigineux. Quand nous sommes arrivées
tout en haut, la lumière du matin a enveloppé les alentours.
J’avais devant moi le dôme blanc, sa flèche conique et dorée, haute
d’environ trois étages. En-dessous, une structure cubique peinte de
mystérieux yeux de Bouddha qui regardaient les quatre points cardinaux –
nord, sud, est et ouest. J’ai su plus tard qu’il s’agissait d’un ancien stupa
(reliquaire bouddhiste) correspondant au mandala, c’est-à-dire à la structure
fondamentale du cosmos dans la tradition bouddhiste tantrique –
l’architecture circulaire de l’Éveil, une représentation cosmologique de
l’univers. Le nom de la vallée, Swayambhu, signifie «auto-créé». On dit, en
effet, que ce site avait été une île au milieu du lac qui était autrefois la
vallée de Katmandou, et que dans cette île brûlait une flamme éternelle sur
laquelle le stupa a été édifié.

Le stupa Swayambhunath dans la vallée de Katmandou, Népal.

Pour une Américaine de dix-neuf ans, la vue dans la lumière de l’aube


de cette incroyable structure, un des sites les plus sacrés du Népal, relevait
de la magie pure. À mesure que le soleil se levait, le spectacle se précisait.
J’ai suivi les pèlerins népalais dans leurs circumambulations dans le sens
des aiguilles d’une montre. J’ai vu sur la base du stupa les niches des cinq
bouddhas, une pour chaque point cardinal – excepté pour l’est, où il y en a
deux, dont l’une représente le centre – et la position symbolique des mains
propre à chacun d’eux, les mudras. Durant cette marche, le parfum âcre des
cordelettes d’encens népalais et le son des immenses cloches ont suscité en
moi une incroyable impression de déjà-vu.
Ce matin-là, assise au sommet de Swayambhunath en embrassant la
vallée du regard, j’ai eu le sentiment que ma vie avait été transformée.
L’avenir m’a donné raison. Voici quelques lignes que j’ai écrites après ma
visite du stupa Swayambhunath en 1967. C’était le premier stupa que je
voyais. Évidemment, j’ignorais totalement que je reviendrais y vivre et que
je me ferais moniale.

À bout de souffle et en sueur, nous avons péniblement gravi les


dernières marches pour nous trouver devant le plus grand vajra
(foudre ou sceptre) qu’il m’ait jamais été donné de voir. Derrière,
comme une jupe ample et massive, se trouvait l’immense dôme
blanc du stupa, surmonté d’yeux de Bouddha géants qui regardaient
avec sagesse la vallée paisible qui s’éveillait tout juste14.

Chaque matin, j’allais m’asseoir dans un coin du monastère voisin du


stupa au faîte de la colline. Au bout de quelques jours, j’y ai trouvé un petit
tapis. Encore quelques jours plus tard, on m’a servi du thé pendant que les
moines buvaient celui de leur méditation matinale. C’est devenu mon lieu
de prédilection, mon monastère, le mandala extérieur auquel je me référerai
intérieurement jusqu’à la fin de mes jours.
À GAUCHE: Lama Tsultrim lors de son premier passage à Dharamsala en 1967, couverte de
poussière. Comme il faisait trop froid, elle n’avait pas pris de bain depuis trois semaines.
À DROITE: Lama Tsultrim en compagnie d’une Tibétaine qui l’a revêtue d’une tenue traditionnelle,
Dharamsala, Inde, 1967.

TRUNGPA RINPOCHÉ ET SAMYE LING


Je suis revenue chez moi, et puisque mes parents tenaient à ce que je
termine mes études, j’ai fréquenté une université du Vermont. Mais l’envie
de retrouver les Tibétains de l’Inde et du Népal ne me quittait pas. Après
une autre année d’études, j’avais économisé le prix d’un billet à bon marché
pour l’Europe. Je me suis d’abord rendue à Amsterdam où j’ai appris que
dans le Dumfriesshire, en Écosse, il y avait un monastère tibétain du nom
de Samye Ling, le tout premier monastère bouddhiste tibétain en Occident.
Le lendemain, je quittais les Pays-Bas, je m’embarquais sur le traversier
pour l’Angleterre, et à peine avais-je mis pied à terre que je prenais le
chemin de l’Écosse en stop.
Le jour même de mon arrivée, comme je descendais l’escalier principal
de l’ancien manoir écossais qui était le siège de Samye Ling avant la
construction du grand monastère, j’ai aperçu un jeune Tibétain vêtu d’une
chemise occidentale pourpre qui gravissait péniblement les marches en
compagnie de jeunes Occidentaux, quelques hommes et une femme
corpulente, qui le traitaient avec beaucoup d’égards. Juste avant que je
m’écarte pour lui laisser le passage, nos regards se sont croisés et il m’a
souri.
— Eh bien, salut! a-t-il dit d’une voix haut perchée et légèrement
pâteuse.
J’avais devant moi l’éminent, l’iconoclaste, l’indomptable jeune maître
bouddhiste Chögyam Trungpa Rinpoché, diplômé d’Oxford, qui rentrait
d’une longue hospitalisation à la suite d’un grave accident de voiture. Au
moment de l’accident, il conduisait en état d’ébriété, sa petite amie à ses
côtés. À une fourche du chemin, n’arrivant pas à décider s’il voulait
accompagner son amie chez elle ou rentrer au monastère, il a foncé droit
dans une boutique de farces et attrapes. À sa sortie de l’hôpital après plus
d’un an, le côté gauche de son corps était partiellement hémiplégique.
L’accident l’a amené à prendre la décision de se défroquer. N’étant plus
fidèle à ses vœux monastiques depuis quelque temps déjà, il a choisi de ne
plus se cacher derrière sa robe de moine pour faire son chemin en Occident.
J’ai passé six mois à Samye Ling. J’ai rencontré Trungpa Rinpoché à
plusieurs reprises durant mon séjour et lu les seuls livres qu’il avait publiés
jusqu’alors: Born in Tibet (Né au Tibet, Seuil, 1991) et le plus récent
Meditation in Action (Méditation et Action, Fayard, 1973).
C’est à Samye Ling que j’ai entendu pour la première fois le mot dakini.
Trungpa Rinpoché avait de nombreuses copines. Mon ami Ted, un gredin
d’Écossais à la tignasse blonde et frisée qui était le chauffeur de Rinpoché
et profitait de sa situation pour enrichir son propre catalogue de conquêtes,
a dit en riant: «Il cherche sa dakini.»
— Qu’est-ce qu’une dakini?
— Une dakini, a dit Ted en plongeant ses yeux bleus dans les miens,
peut être la parèdre d’un grand lama, mais aussi une divinité, la
manifestation sauvage et courroucée de la sagesse, féroce mais sans
agressivité. Comme le dit Rinpoché, une dakini peut en même temps te
couper l’herbe sous le pied et t’encourager.
Dès le départ, ces dakinis m’ont fascinée et m’ont fait un peu peur, mais
je n’ai jamais oublié ce jour où j’ai appris leur existence, car elles sont
devenues une partie intégrante de ma vie. Entre-temps, Trungpa Rinpoché
m’a donné un texte de méditation guidée intitulé The Sadhana of the
Embodiment of All the Siddhas qu’il avait écrit à l’occasion d’une retraite à
l’ancien monastère de Taktsang (la Tanière du tigre), accroché à une falaise
du Bhoutan. J’en ai fait une pratique quotidienne à Samye Ling, le récitant à
voix haute avec mes amis Craig et Richard. Chaque soir nous nous
retrouvions dans le sanctuaire très ornementé pour le lire, après quoi nous
méditions en silence. La sadhana m’a initiée à la notion du mandala et des
cinq familles de bouddhas. Même sans avoir bénéficié d’un enseignement
en profondeur, j’en ai ressenti toute la force.
La méditation s’ouvre sur un passage qui m’a fait comprendre que le
mandala n’est pas qu’une simple image sur un mur ou un élément
liturgique, mais que le monde entier est le mandala:

Dans l’espace infini de l’Immanence,


Dans le jeu de la grande lumière,
Tous les miracles de la vue, du son et de l’esprit,
Se trouvent les cinq sagesses et les cinq bouddhas,
C’est le mandala, jamais arrangé mais toujours entier15.

J’ai commencé à comprendre que le mandala est une façon de voir le


monde. Voir le monde dans le mandala signifie reconnaître la perfection
symbolique des cinq sagesses qui se manifestent en toute chose: la sagesse
transcendante, la sagesse-miroir, la sagesse de l’équanimité, la sagesse
discernante et la sagesse tout-accomplissante. J’ai particulièrement aimé
l’idée selon laquelle il n’est pas nécessaire que le mandala soit organisé ou
structuré, que dans son chaos apparent le monde est en réalité un mandala
spontané en constante évolution. C’est dans cette optique que je suis partie
de Samye Ling et que je suis retournée en Asie.

DE LONDRES À KATMANDOU PAR LA VOIE DE TERRE


À la fin de l’automne 1969, j’ai voyagé en tant que passagère payante à
bord d’une fourgonnette VW qui se rendait à Katmandou en passant par
l’Autriche, la Yougoslavie, l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan et
l’Inde. Éric, le propriétaire de la fourgonnette et son conducteur, était un
Néerlandais-Indonésien dont les parents avait émigré en Australie. Il
souhaitait rentrer chez lui pour Noël après notre long voyage. Il comptait se
procurer à Katmandou un titre de transport pour l’Australie avec le produit
de la vente de la fourgonnette VW. Nous étions six en tout: un couple de
jeunes Canadiens naïfs aux sacs à dos ornés d’une feuille d’érable rouge;
Craig, mon ami australien à la sombre chevelure et aux yeux bleus
rencontré à Samye Ling; un jeune Anglais blond qui venait de quitter
l’armée et qui explorait le monde avant de se lancer sur le marché du
travail; Eric et moi.
À l’arrière de la fourgonnette, il y avait une plate-forme en contre-
plaqué recouverte de quelques centimètres de mousse sur laquelle nous
pouvions nous asseoir ou dormir. Nos bagages étaient rangés au-dessous.
J’ai cousu des rideaux pour les fenêtres dans un coton bleu imprimé afin de
nous garder des regards indiscrets pendant notre traversée des pays
musulmans où les jeunes Occidentaux, les femmes surtout, étaient rares. Le
voyage a été beaucoup plus long que ne l’avait prévu Eric et, en route, nous
avons dû remplacer le moteur deux fois. En Turquie, quand le premier
moteur nous a lâchés, nous avons été remorqués la nuit sur plus de trois
cents kilomètres par des routes de montagne dangereusement glissantes,
jusqu’à Ankara.
Après cette vertigineuse aventure, j’ai vu avec stupéfaction que la
repousse de barbe d’Eric était devenue blanche et non plus noire,
transformée du jour au lendemain par la tension et la peur qui s’étaient
emparées de lui! En Afghanistan, des tronçons de route non pavée nous
forçaient, pour pouvoir respirer, à rester couchés dans la fourgonnette, la
tête enveloppée dans des foulards. Pendant des jours, une fine poussière
s’immisçait partout et les cahots nous malmenaient douloureusement le dos.
Au Pakistan, après la deuxième panne de moteur, Craig et moi avons
déserté le navire et poursuivi notre route en stop jusqu’à Katmandou. Une
semaine plus tard environ, Eric nous a rejoints avec la fourgonnette. Il l’a
vendue, réalisant son désir de rentrer chez lui, en Australie.
Nous sommes arrivés au Népal environ une semaine avant la Noël de
1969. La ville était en effervescence; elle accueillait le prestigieux seizième
Gyalwa Karmapa, un important lama tibétain, chef spirituel d’une lignée de
lamas réincarnés encore plus ancienne que celle du Dalaï-Lama. En fait, le
premier Karmapa avait prédit son incarnation suivante avec une
remarquable précision. Dans une lettre, il avait nommé ses parents, décrit la
maison où il se réincarnerait et même inscrit la date et l’année de sa
naissance. C’est avec lui que commence la tradition tibétaine des lignées de
réincarnation des lamas, dont celle du Dalaï-Lama, mais la lignée des
Karmapas est la plus ancienne de toutes celles où le lama laisse une lettre
dans laquelle il prédit sa prochaine incarnation. Le Karmapa, qui n’était pas
venu au Népal depuis seize ans, résidait au monastère Kagyu, à côté du
stupa Swayambhunath que j’avais vu pour la première fois deux ans
auparavant.
Mon amie Vicki avait rendu visite au Karmapa à Sikkim en compagnie
de ses parents avant que nous n’allions ensemble en Inde en 1967. Elle
m’avait dit: «Il fait beaucoup d’embonpoint et porte une grosse montre en
or.» Il me semblait que le surpoids, la montre en or et la spiritualité ne
faisaient pas bon ménage. J’étais bien décidée à ce qu’il ne soit pas mon
gourou. Je ne voulais pas d’un gros gourou. Je voulais un gourou mince et
ascétique, qui ressemble à un être spirituel, je voulais un maître semblable
aux yogis de Autobiographie d’un yogi, tous filiformes et éthérés. Mais,
puisque les Tibétains venus en foule de l’Himalaya, les Occidentaux de
passage, absolument tout le monde allait voir le saint Karmapa qu’il soit ou
non obèse, j’ai décidé d’y aller aussi.
Il y avait là des Ladakhis aux pieds chaussés de bottes à bout recourbé
comme les ailes de leur chapeau tuyau-de-poêle, qui avaient l’air de sortir
d’un conte de fées. D’intrépides et sauvages Khampas venus de l’est du
Tibet, hommes et femmes en tenue de fête pour ce pèlerinage de bon
augure. Les femmes portaient en guise de coiffe 108 nattes entremêlées de
turquoises, de corail et d’ambre. Les gros morceaux d’ambre empilés sur
leur tête évoquaient des antennes. Les hommes étaient grands et beaux,
avec des dents en or qui faisaient étinceler leur sourire. Ils avaient des
boucles d’oreilles de corail et de turquoises et, enroulée autour de la tête,
une longue tresse terminée par un gland en soie rouge qui retombait sur le
côté en se balançant mollement. La manche droite de leur vêtement traînait
presque à terre parce qu’ils avaient découvert leur épaule afin que, ainsi
«ouverte» comme celle des moines, elle puisse plus facilement recevoir des
bienfaits pendant leurs circumambulations des lieux saints et des stupas.
Ces Tibétains regardaient chaque chose et chaque personne, moi y compris,
directement et franchement.
J’avais endossé pour l’occasion un long chapan afghan, matelassé, vert
et turquoise, dont les manches très longues couvraient mes mains, et une
jupe en coton jaune d’or que j’avais teint moi-même à Londres. La jupe
consistait en un grand tube que j’enfilais, puis que je serrais autour de ma
taille en formant un pli profond sur le devant avant de la retenir à l’aide
d’une pittoresque ceinture afghane. J’avais natté mes longs cheveux bruns
en les entrecroisant de fils de soie turquoise et jaune. Je devais être aussi
bizarre aux yeux des Khampas qu’eux l’étaient aux miens.
La présence de Karmapa imprégnait d’un air de fête la région de
Kimdol, le village que surplombait le stupa Swayambhunath. Chaque jour
arrivaient des représentants de diverses tribus tibétaines. Ils voyageaient
allégrement en groupes et revêtaient les costumes de leur région respective,
se taquinaient, riaient ou récitaient des mantras en égrenant d’une main un
rosaire de graines de l’arbre de la Bodhi et en actionnant de l’autre un
moulin à prières.
Les Occidentaux sur les lieux à cette époque étaient tous jeunes et
novices en matière de bouddhisme, mais avides d’en apprendre davantage
sur les pratiques spirituelles qui motivaient ces gens heureux venus de
l’Himalaya: Pourquoi étaient-ils si joyeux puisque la plupart étaient des
réfugiés qui avaient tout perdu? J’ai fait la connaissance d’un couple de
Californiens devenus depuis mes meilleurs amis. Pam était grande et mince,
avec d’étincelants yeux bleus et une tignasse ébouriffée, bouclée et noire
qui lui faisait comme un halo autour de la tête. Jon avait de longs cheveux
blonds, de doux yeux bruns, une mâchoire forte et un physique de
montagnard. Nous prenions souvent nos repas ensemble et nous nous
promenions dans Katmandou. Ce sont eux qui m’ont convaincue d’aller
voir Karmapa au monastère Kagyu, au faîte de la colline de Swayambhu, où
il devait présider la cérémonie de la Coiffe noire.
Le fait que Karmapa ait été souvent mentionné avec déférence dans le
Sadhana of All the Siddhas, la méditation guidée que m’avait donnée
Trungpa Rinpoché en Écosse et que j’avais récitée quotidiennement
pendant notre odyssée de l’Europe au Népal, m’a aussi convaincue d’aller
le voir.
Nous avons gravi l’escalier de Swayambhunath tôt le matin avec la
foule des Tibétains venus assister à la cérémonie qui faisait la renommée de
Karmapa. En arrivant, nous l’avons vu au loin, en face de l’immense statue
dorée de Maitreya, le futur Bouddha toujours représenté assis sur une
chaise, à l’occidentale. Karmapa était assis en lotus sur un trône recouvert
de brocard doré dans le vaste portail du temple. Des moines en robe
bordeaux l’entouraient et la foule des Tibétains s’entassait devant lui dans
la cour intérieure. Après que le son cadencé et mélodieux des jalings
(hautbois tibétains) eurent annoncé l’entrée de la coiffe, un moine à la
bouche recouverte d’un masque est arrivé. Il tenait une boîte enveloppée de
brocard de soie.
— Pourquoi porte-t-il un masque? ai-je demandé à Pam.
— Pour que son souffle impur ne pollue ni Karmapa ni la coiffe noire,
murmura-t-elle.
La coiffe était emmaillotée dans plusieurs épaisseurs de brocard ancien
que Karmapa a solennellement retirées. Puis, d’un geste lent, il l’a soulevée
et posée sur sa tête sans retirer sa main droite qui la touchait avec
délicatesse. Mon amie Pam en savait plus que moi sur cette cérémonie,
puisqu’elle y avait assisté plusieurs fois.
— Pourquoi tient-il la coiffe de sa main? lui ai-je demandé encore. Est-
ce qu’autrement elle pourrait glisser de sa tête?
Elle a ri tout bas en relevant le menton avant de chuchoter:
— Non. Ils disent qu’elle pourrait s’envoler. Elle est tissée des cheveux
des dakinis, et comme les dakinis se déplacent dans les airs, leurs cheveux
la feraient s’envoler. Selon la légende, cent mille dakinis ont tissé leurs
cheveux pour en faire une coiffe qu’elles ont donnée à la cinquième
incarnation de Karmapa. Mais pour voir cette coiffe, il fallait posséder des
pouvoirs particuliers. Quand, grâce à sa dévotion, l’empereur de Chine a vu
la coiffe des dakinis, il en a fait réaliser une copie qu’il a offerte au
cinquième Karmapa.
Rangjung Rigpe Dorje, le 16e Karmapa.

Encore ces dakinis que Ted avait évoquées en Écosse. Pam venait de
m’apprendre qu’elles volaient dans les cieux. Mais la coiffe n’avait pas du
tout l’air de vouloir s’envoler. Après l’avoir mise sur sa tête, Karmapa est
entré en méditation. Inspirant profondément, il a porté son regard sur
l’horizon lointain et récité un mantra en égrenant un mala en cristal (rosaire
bouddhiste). J’ai demandé à Pam ce qu’il faisait.
— Il se transforme en Chenrezig, le bouddha de la compassion, et il
récite le mantra Om Mani Padme Hung Hri cent huit fois en comptant sur
son mala, puis il distribue sa compassion à tous les êtres.
La foule se pressait autour de nous comme des groupies à un concert de
rock, sauf que ces groupies étaient ici de magnifiques montagnards vêtus de
laine brute et chaussés de bottes en feutre brodé nouées au-dessus du
mollet. Leur dévotion profonde et leur rude beauté m’émouvaient
profondément. Chassés de leur pays natal par les Chinois qui avaient envahi
le Tibet, ils étaient en présence de leur chef spirituel en ces temps de grande
incertitude et trouvaient auprès de lui la consolation et le soutien dont ils
avaient besoin.
À la fin de la cérémonie, les Tibétains se sont bousculés pour recevoir
un à un la bénédiction personnelle du Karmapa. Ils se poussaient et jouaient
des coudes pour atteindre l’étroite porte latérale du monastère et défiler
devant lui. Karmapa bénissait chacun d’eux en le touchant avec un cylindre
recouvert de tissu suspendu à une perche. Des mères lui présentaient leur
bébé qui recevait ainsi sa toute première bénédiction. Des vieillards au dos
courbé, appuyés sur leur canne, étaient guidés par des membres de leur
famille. La foule se pressait vers la porte. Nous avons décidé de nous laisser
emporter par ce mouvement. Des odeurs de beurre rance, de bouse de yak et
de laine imprégnée de sueur me montaient aux narines tandis que nous
allions de l’avant et franchissions à la file indienne le seuil de la porte
latérale pour émerger devant Karmapa.

Rangjung Rigpe Dorje, le 16e Karmapa, portant la coiffe de Gampopa.

Mon tour est enfin venu. J’ai joint les mains dans l’attitude de prière
que j’avais remarquée chez les autres et, levant les yeux sur Karmapa, j’ai
vu le plus grand sourire de toute ma vie. Une étincelle a passé entre nous. Il
s’est arrêté un instant et a murmuré quelque chose à un homme qui se tenait
à ses côtés, vêtu du gho, la tenue traditionnelle du Bhoutan, consistant en
une sorte de kimono rayé long jusqu’aux genoux, retenu par un ceinturon,
avec de longues manches et de larges revers blancs. C’était le médecin et
interprète de Karmapa, le Dr Jigme, ce que j’ignorais à l’époque. La tête de
Karmapa était si grosse que les branches de ses lunettes ne touchaient pas
l’arrière de ses oreilles. Son sourire aussi vaste que le ciel exsudait la joie,
la cordialité et la compassion. Je n’avais jamais vu une présence aussi
impressionnante chez un être humain. Sa corpulence était parfaitement
justifiée puisqu’elle reflétait sa grandeur intérieure. Son essence imprégnait
tout.

L’ORDINATION
Les jours suivants, j’ai participé à tous les enseignements que dispensait
Karmapa et je lui ai rendu visite dans sa chambre au sommet du monastère.
J’entrais, mais alors que les autres se prosternaient, j’allais droit vers lui et
lui offrais de généreux bouquets de dahlias que j’avais cueillis dans le jardin
de Pam et Jon. Mon comportement, quoiqu’insolite, me valait toujours un
grand et chaleureux sourire.
Dans les semaines qui ont suivi, je suis devenue de plus en plus agitée.
Je sentais confusément qu’il me fallait faire quelque chose d’important,
sans savoir quoi. Je dormais mal. Une nuit, pendant que je lisais la
méditation Sadhana of all the Siddhas, la phrase suivante m’a sauté aux
yeux: «La seule offrande que je puisse te faire est de suivre ton exemple…»
Tout est devenu clair: puisque Karmapa était moine, pour réellement suivre
son exemple il fallait que je me fasse moniale. J’avais ma réponse.
À Katmandou, dormir sur une simple natte posée sur la terre battue dans
une pièce humide et sans chauffage me laissait transie et courbaturée. Au
matin, je me suis habillée en vitesse, je me suis frayé un chemin parmi la
foule et je suis entrée dans la chambre de Karmapa.
Il m’a saluée de son grand sourire habituel et m’a fait signe de
m’asseoir, mais je suis restée debout. J’ai feint de couper mes tresses d’un
geste de la main pour lui montrer que je voulais renoncer au monde et être
ordonnée moniale. Il a haussé les sourcils et ri de bon cœur, puis il a
convoqué le Bhoutanais à qui il avait parlé durant la cérémonie de la Coiffe
noire.
— Dites-lui que je veux me faire moniale, ai-je dit au Dr Jigme quand il
est arrivé.
Tout ce temps, Karmapa ne me quittait pas des yeux. Quand l’interprète
lui a transmis ma demande, il s’est fait un profond silence. Les moines nous
ont regardés tour à tour. Karmapa est devenu grave et a posé sur moi un
regard que je n’oublierai jamais. Ensuite, il a plissé les yeux, il les a fermés,
puis il les a rouverts lentement. On aurait dit qu’il voyait tout
l’enchaînement de mon karma. Enfin, aussi brusquement qu’il était devenu
sérieux, son visage s’est éclairé d’un immense sourire. Il a hoché la tête et
dit quelques mots au docteur. Le Dr Jigme s’est tourné vers moi.
— Sa Sainteté dit qu’il vous ordonnera à Bodhgaya dans une semaine,
a-t-il dit. Procurez-vous une robe et allez le retrouver là-bas.
Le Dr Jigme m’a prise en charge. Il a commencé par me dire de me faire
raser la tête. J’ai natté mes cheveux avec des fils de soie bleue et or, puis
j’ai enfilé une chemise tibétaine en flanelle jaune canari et le shantab, la
jupe monastique bordeaux que je m’étais procurée à Katmandou. Ensuite, le
docteur m’a accompagnée à Bodhgaya qui, en 1970, n’était qu’une paisible
petite bourgade avec quelques salons de chai, des marchands de légumes et
de grains, et une échoppe de barbier. Le docteur m’a prise en photo devant
le temple Mahabodhi, le plus important temple de Bodhgaya qui surplombe
l’arbre du Bodhi. Sur cette photo, je porte la robe de moniale mais j’ai
encore mes nattes. Ensuite, nous sommes allés chez le barbier, moment
surréel s’il en est: j’étais à moitié moniale par la tenue et à moitié laïque par
la longue chevelure. La jupe était en laine de yak épaisse et rugueuse et,
même si je ne le savais pas encore, je souffrais d’une hépatite contractée en
Afghanistan. Ainsi fiévreuse et vêtue de laine dans la chaleur oppressante
du soleil indien, je me sentais vraiment toute drôle.
L’échoppe du barbier était juste en face du temple Mahabodhi. Elle était
ouverte sur la rue et consistait en une chaise, une glace et trois murs. Je me
suis assise sur la chaise en indiquant par gestes au barbier de me couper les
cheveux. Il a répondu par un regard ahuri à ma demande que le Dr Jigme
venait de traduire en hindi. Il n’avait jamais rasé la tête d’une Occidentale.
Il a d’abord coupé mes tresses. Et de une. Et de deux. Les nattes brunes
entremêlées de soie noire, bleu et or sont tombées sur mes genoux. Une
petite foule s’est rassemblée.
L’étape suivante a été fort curieuse. Il a coupé de grosses mèches au ras
du cuir chevelu, ce qui me donnait une tête de chien galeux. Puis il a affûté
son coupe-chou sur une courroie en cuir, humidifié mes cheveux et m’a rasé
la tête. J’avais l’impression de jouer dans un film. Une meute d’au moins
trente hommes m’observait. Ébahis, ils se rapprochaient en me regardant
fixement sans vergogne avec une expression où se lisait une curiosité mêlée
d’horreur. En raclant mon crâne, la lame droite du rasoir m’a ramenée sur
terre. Ce n’était pas un film. La lame émoussée m’arrachait littéralement la
peau.

Lama Tsultrim devant le temple Mahabodhi juste avant de se faire raser la tête, Bodhgaya, Inde,
janvier 1970. Photographie du Dr Jigme.
Après son ordination sous le nom de Karma Tsultrim Chodrön par Sa Sainteté le 16e Karmapa, 1970.

Le rasoir était mal affûté et ma tête n’avait pas été suffisamment


préparée à l’eau chaude et au savon. Je n’ai pas bougé, je n’ai pas pleuré,
mais j’avais les larmes aux yeux. J’ai attendu stoïquement que tout soit fini
et, bientôt, mon crâne était rasé. En passant la main dessus, il m’a semblé
toucher un fin papier d’émeri.
Les Indiens du village ont continué à me regarder comme une bête
curieuse. Je me sentais à la fois toute nue et renouvelée. Mes cheveux
semblaient avoir emporté mon passé avec eux, comme s’ils avaient été
imprégnés de toutes mes expériences. J’ai enveloppé mes nattes dans une
pièce de coton blanc. Je les ai regardées à quelques reprises dans les mois
qui ont suivi, en regrettant un peu la vie que je laissais derrière et incertaine
face à mon avenir. Finalement, quand je suis retournée au monastère
népalais quelques mois plus tard, je m’en suis séparée. J’ai jeté mes nattes
par-dessus le mur voisin du stupa, sur les arbres de la colline de
Swayambhu, en me disant que je me débarrassais ainsi des vestiges du
passé pour embrasser pleinement la vie monastique et que les oiseaux
puiseraient dans mes cheveux de quoi tapisser douillettement leurs nids.
RETOUR À SWAYAMBHUNATH
C’est ainsi que, dans une chambre d’hôtel de Bodhgaya, j’ai été ordonnée
moniale par Sa Sainteté le seizième Karmapa. J’étais la première
Américaine qu’il ait ordonnée. Je suis retournée au Népal après mon
ordination. Le lama du stupa Swayambhunath, Sapchu Rinpoché, m’a
déniché une petite chambre au deuxième étage d’un immeuble branlant en
brique d’argile voisin du stupa et a trouvé des tuteurs pour m’enseigner la
langue tibétaine.
Ma chambre était si petite qu’assise au milieu j’en touchais les quatre
murs. Elle avait deux grandes fenêtres sans vitrage que fermaient
d’anciennes persiennes en bois. Sur un côté, j’ai aménagé un petit oratoire
avec un carton recouvert de tissu qu’ornaient, dans de petits bols en laiton,
des dahlias cueillis dans le jardin de Pam et Jon, à Kimdol, tout au pied de
la colline de Swayambhu. En face, près d’une des fenêtres, il y avait mon
lit: une natte d’herbe recouverte d’un sac de couchage en coton fleuri acheté
aux Pays-Bas. Mes livres étaient rangés dans une niche de la fenêtre, et ma
cuisine, aménagée au pied du lit, consistait en un réchaud au kérosène à un
seul brûleur et quelques casseroles en aluminium.
Deux moniales qui vivaient de l’autre côté du stupa m’enseignaient le
tibétain dès 6 h 30. De la fenêtre de ma petite chambre, je voyais le stupa de
si près que je pouvais presque le toucher. Les yeux mystérieux au sommet
de son dôme suivaient le moindre de mes mouvements. Je n’avais jamais
vécu à proximité d’une structure sacrée qui était en soi un mandala. Chaque
jour, des centaines de pèlerins en faisaient le tour. À force de vivre au
rythme du stupa, j’ai pris vivement conscience du cycle lunaire que
ponctuaient les célébrations des moines, surtout à la pleine lune.
Le stupa architectural Swayambhunath, premier mandala extérieur
«avec lequel j’ai vécu», est devenu pour moi un repère spirituel
fondamental. Le fait d’être témoin jour et nuit du lien entre la collectivité et
le stupa m’a fait prendre conscience de la force de cohésion d’un mandala
architectural extérieur sur la collectivité qu’il sert.
À ce jour, forte de cinq décennies de travail sur le mandala dans le
monde entier, chaque fois que je le pratique ou l’enseigne je retourne en
pensée au stupa Swayambhunath, quand je n’étais encore qu’une moniale
de vingt-deux ans nouvellement ordonnée. Je peux presque humer le
parfum des offrandes de riz rouge et de ghee, respirer l’odeur des bananes
pourries et des cordelettes d’encens placées dans les niches du stupa, voir
les foules de Népalais et de Tibétains dévots qui venaient chaque jour s’y
recueillir. Ce stupa est mon mandala primordial et je puise encore à ses
bienfaits. Swayambhunath est devenue ma «mère» spirituelle. Je n’ai jamais
cessé de ressentir la lumineuse présence de ses bienfaits.
2
Pourquoi le mandala?

Le mandala a un but de conservation, c’est-à-dire de retour à un


ordre préexistant. […] Ce qui rétablit l’ordre ancien contient
simultanément un élément de création. Dans le nouvel ordre, le
schème ancien revient mais à un niveau supérieur. Le processus
est celui d’une spirale ascendante qui tout en remontant, retourne
toujours à son point de départ.
C. G. Jung

De beaux pins ponderosas poussent dans les montagnes du sud-ouest du


Colorado où j’habite et où est situé le centre de retraite Tara Mandala. Ils
sont hauts, ils sont majestueux et, l’été, après une pluie abondante, leur
écorce dégage un parfum de vanille. Puisque leur taille est telle qu’elle crée
un couvert épais qui empêche la croissance d’autres arbres, les pinèdes
ressemblent à des parcs cultivés où l’on peut marcher n’importe où, sans se
limiter à un sentier. Le tapis forestier se compose de foin de riz et de plantes
médicinales. D’innombrables pommes de pin tombent chaque année. Je les
ramasse, car ce sont d’excellents allume-feu. Ce faisant, j’aime m’arrêter et
regarder leur base qui, en émanant du centre, forme un mandala parfait, l’un
des nombreux mandalas que nous offre la nature.
Pomme de pin ponderosa en forme de mandala.

Notre intelligence spirituelle recherche sa complétude, sa cohérence et


son harmonisation à l’univers. Le mandala est un instrument qui l’aide à y
parvenir. Pour cette raison, il s’est manifesté différemment et dans diverses
cultures depuis les débuts de l’histoire de l’humanité. Mais il n’est pas
nécessaire de remonter le cours de l’histoire ou de nous imbiber d’autres
cultures pour faire l’expérience du mandala dans notre vie. Dès que l’on en
prend conscience, on lui est sensible dans toutes sortes d’aspects du
quotidien. On trouve un mandala quand on coupe un chou ou une pomme
en deux. Le lys, le tournesol en pleine éclosion, le magnifique dahlia ou
l’aigrette du pissenlit sont de belles expressions du mandala. Il y a des
mandalas dans les spirales de coquillages, les anneaux de croissance des
arbres, les rosaces gothiques, l’iris de l’œil et dans d’innombrables autres
objets. En hiver, au Colorado, il tombe souvent des cristaux de neige.
Quand je les regarde sur la manche rouge grenat de ma veste avant qu’ils ne
fondent, je vois un mandala dans chacun d’eux.
À GAUCHE: des mandalas complexes apparaissent naturellement dans la vie quotidienne, comme ce
chou coupé en deux.
À DROITE: les fleurs – ici un tournesol – sont des mandalas naturels.

Les recherches montrent que les nourrissons ont dès la naissance envie
de voir des cercles. En fait, il a été démontré que les nourrissons de moins
d’une semaine préfèrent les lignes courbes16. À trois mois, ou même avant,
ils préfèrent les formes simples et achevées, par exemple les cercles, aux
formes compliquées17. On suppose que les bébés recherchent les stimuli
circulaires pour faciliter la formation de liens avec la mère et le sein
maternel, mais les cercles sont aussi plus faciles à traiter, car leur
circonférence est uniforme et l’œil lui-même est rond. Si l’on remonte à nos
premières expériences visuelles, il semblerait donc que les cercles nous
procurent un sentiment de complétude et créent un lien primal avec la
personne qui voit à nos besoins. Ainsi que le signale l’écrivaine naturaliste
Gretel Ehrlich: «Emerson a écrit que le premier cercle était l’œil humain,
mais c’est aussi le cas de la planète. Ils sont liés: l’un regarde toujours
l’autre18.»

LE MANDALA SE DÉPLACE VERS L’OUEST


L’Occident a été initié à la force du mandala en tant que source de guérison
psychologique par le psychologue suisse Carl G. Jung. Jung avait constaté
le pouvoir thérapeutique du mandala alors qu’il commandait en Suisse, de
1918 à 1920, un camp de prisonniers de guerre pour soldats anglais. Il
s’efforçait d’améliorer les conditions de vie des militaires en territoire
neutre et les encourageait à s’inscrire à l’université, mais son rôle l’épuisait
psychologiquement.
Pour préserver sa propre santé mentale, il s’est mis à dessiner
quotidiennement des mandalas. Chaque matin, il dessinait ou peignait dans
un carnet une forme circulaire partagée en quatre quartiers. Ainsi qu’il le dit
lui-même: «J’ai commencé à comprendre que le but du développement
psychique était le Soi. Il n’y a pas d’évolution linéaire, il n’y a que la
circumambulation du Soi. […] Cette réflexion m’a apporté la stabilité, et la
paix intérieure m’est revenue graduellement. Je savais qu’en découvrant
que le mandala était une expression du Soi j’avais atteint ce que je
considérais comme la chose ultime19.»
Le «Soi» auquel réfère Carl Jung n’est pas le soi égocentrique (ego) du
bouddhisme, mais celui qui renvoie à l’individu différencié. Le Soi est pour
lui la représentation de la totalité psychique d’un individu qui englobe aussi
ses oppositions et tout ce qu’il a écarté de son conscient. L’ego est au cœur
du conscient, tandis que le Soi est non seulement le centre, mais aussi l’ego,
le conscient et l’ombre de l’inconscient. Ce Soi concilie le conscient et
l’inconscient. Le cercle partagé en quatre quartiers, qu’il appelle le
mandala, représente cette conciliation. Jung pense que le Soi, entier à la
naissance, est écarté par le processus de différenciation de l’ego qui amène
généralement l’individu à assurer sa présence dans le monde extérieur dans
la première moitié de sa vie.
La seconde moitié de la vie marque, selon Jung, le retour au Soi par le
processus d’«individuation», soit la prise de conscience, ou la redécouverte,
de son psychisme. Ce processus d’individuation prend souvent forme à la
suite d’une atteinte à la personnalité dont la guérison nécessite un retour au
Soi. Le mandala, selon Jung, peut jouer un rôle clé dans ce processus
d’individuation et de réintégration, et réunifier ce que la différenciation de
l’ego et la blessure psychique ont dissocié. L’utilisation thérapeutique par
Jung du mandala dans son travail sur lui-même et dans sa pratique
professionnelle a marqué l’entrée du mandala en Occident.
Carl Jung a observé que des formes semblables aux mandalas pouvaient
apparaître dans les rêves de ses patients en situation de trouble
psychologique. Il voyait dans ces rêves un schéma ordonnateur produit par
l’inconscient comme tentative de guérison de la dissociation psychique.
«Les mandalas apparaissent dans la psyché le plus souvent dans les
situations de trouble, de désorientation et de perplexité. L’archétype ainsi
constellé représente un schéma ordonnateur qui, tel un viseur
psychologique marqué d’une croix ou d’un cercle divisé en quatre, vient se
poser au-dessus du chaos psychique, ce qui permet à chaque contenu de
trouver sa place et d’entourer la confusion d’un cercle protecteur20.»
Dans son livre intitulé The Archetypes and the Collective Unconscious,
où il met en lumière l’importance de la conscience de soi, Jung relate le cas
du frère Klaus, un ermite mystique suisse qui avait peint sur le mur de sa
cellule l’image d’une roue dont il avait eu la vision. Jung dit que «le motif
rigoureux qu’impose une image circulaire de ce genre est un antidote au
désordre et à la confusion psychiques, c’est-à-dire qu’il crée un point
central vers lequel tout chemine21».
Le mandala est devenu depuis quelques années un important outil
thérapeutique, mais aussi un terme générique pour désigner tout diagramme
géométrique circulaire centré autour d’un axe qui représente un microcosme
symbolique de l’univers. On trouve maintenant sur le marché quantité de
recueils de mandalas, de guides des mandalas, de t-shirts, d’affiches et
même d’étuis pour téléphones portables représentant des mandalas. Des
sites Internet offrent tout un assortiment d’objets en rapport avec cette
interprétation du mandala – des tatouages, des décorations murales, des
pierres peintes. Les albums de mandalas à colorier ont dominé la liste
Nielsen des best-sellers aux États-Unis, au Brésil et en Europe en 2016. Il
existe également des massages mandala, des hôtels Mandala, des
restaurants Mandala, des spas Mandala, des boîtes de nuit Mandala et même
un magazine: Mandalas. Le site Pinterest propose plus de mille idées en
rapport avec les mandalas. Ce mot apparaît aussi dans les dictionnaires et
dans d’autres ouvrages de référence.
Les mandalas non traditionnels ne sont assurément pas sans valeur
puisqu’on s’en sert avec beaucoup d’efficacité dans les établissements
psychiatriques, les hôpitaux et d’autres environnements
psychothérapeutiques. La création de mandalas est un mode de centration et
de guérison très utile pour les personnes qui se remettent d’un traumatisme.
En fait, les mandalas sont employés à des fins thérapeutiques dans de
nombreux cas de problèmes psychologiques, notamment chez les enfants et
les adolescents séropositifs22, et comme outils d’évaluation chez les
femmes atteintes d’un cancer du sein23. Des études empiriques ont évalué
l’effet thérapeutique des mandalas sur les individus en état de stress post-
traumatique24 et des recherches ont été réalisées sur l’amélioration de
l’anxiété par le coloriage de mandalas – pour n’en nommer que quelques-
unes25.
La conclusion de toutes ces enquêtes est que la création et
l’interprétation de mandalas dans un contexte thérapeutique ont un effet
bénéfique sur un large éventail de problèmes. La complétude que suggère le
motif à peindre ou à colorier semble unifier un psychisme traumatisé et
susciter la réintégration et l’ordre aptes à soutenir la sortie du traumatisme,
de l’anxiété ou de la dépression. L’équilibre du mandala se reflète sur la
personne qui le dessine et transmet au cerveau une manière cohérente de
penser qui facilite la guérison psychologique.

LE MANDALA TIBÉTAIN
Les tout premiers mandalas bouddhistes sont apparus au IIIe siècle de notre
ère, mais ont commencé à se répandre en Inde entre 500 et 1200 avant de se
propager à la Chine, à la Corée, au Japon et à la Malaisie sur les traces du
bouddhisme vajrayana. J’ai même vu des mandalas bouddhistes dans
d’antiques temples balinais. Mais c’est au Tibet, à compter du début du
VIIIe siècle, que la complexité et l’usage du mandala ont atteint leur
apogée.
Mandala est un mot sanscrit qui se traduit par «cercle». On peut aussi y
lire les mots manda, dont le sens est «suprême» ou «le meilleur», et la, soit
«jalon» ou «achèvement». Réunis, ces mots signifient «le lieu de l’essence
ultime». Dès les premiers textes védiques, le mandala représentait une
enceinte sacrée, le lieu d’une pratique spirituelle ou d’un rituel. La forme
élémentaire du mandala, un cercle réparti en quatre quartiers et axé autour
d’un noyau séminal, reflète la structure de l’univers du plus infime
microcosme au macrocosme infini.

En tibétain, mandala se dit kyil khor. Kyl signifie «centre» et khor «la
périphérie du centre» ou «le tourbillon à la périphérie du centre». Le
mandala tibétain désigne un cercle de pure essence divisé en quatre
quartiers. Sa circonférence enflammée empêche les énergies invasives d’y
entrer. Il existe des centaines de mandalas bouddhistes différents. Tous
s’axent autour d’un noyau central carré réparti en quatre sections ou points
cardinaux, à partir duquel rayonne le reste du mandala et vers lequel celui-
ci retourne. Les mandalas tibétains sont des palais symboliques
tridimensionnels, lieux de résidence des divinités.

LES TROIS TYPES DE MANDALAS


Dans le bouddhisme tibétain, le mandala comporte trois aspects: extérieur,
intérieur et secret. Le premier, le mandala extérieur, est le mandala du
monde phénoménal. Pour le mandala extérieur, le monde entier est un
mandala: notre pays, notre province, notre quartier, notre maisonnée, nos
amis et collègues, et ainsi de suite. C’est le monde tel que nous le projetons,
mais qui change et s’ordonne quand nous le regardons par la lentille du
mandala.
Le mandala intérieur représente le processus de transformation
intérieure qui s’appuie non pas sur nos perceptions et nos projections
comme avec le soutien du mandala extérieur, mais sur les cinq familles et
sur la méditation mandala à l’aide de divinités telles les cinq dakinis. En
visualisant le mandala, nous faisons appel à des symboles visuels, à la
couleur, au son et au point cardinal pour transformer des énergies
émotionnelles en sagesse. Le mandala intérieur s’appuie sur les cinq
familles de bouddhas:

• la famille Bouddha
• la famille Vajra
• la famille Ratna
• la famille Padma
• la famille Karma

Chaque famille symbolise un schéma obscur, les réactions


traditionnellement désignées par l’expression les «cinq poisons», et la
transformation de chacun de ces poisons en sagesse. Le mot tibétain qui
désigne ces schémas émotionnels est nyomong, dont le sens littéral est
«somnolent» ou «obscurci». Le schéma obscur nous cache notre sagesse
innée sans que l’énergie émotionnelle comme telle soit mauvaise. J’emploie
indifféremment dans ce livre les termes cinq poisons et schémas obscurs
pour désigner les cinq émotions refoulées.
Le troisième mandala est le mandala secret. Il n’est pas secret en ce
sens qu’il doit être tenu caché; il est secret parce qu’il dépend de notre
compréhension de la réalité. Il est donc secret pour soi. Dans le mandala
secret, notre propre esprit est la manifestation du principe du mandala. Tout
ce qui survient dans la vie et relève des cinq poisons est vu comme le
messager potentiel de l’Éveil. Autrement dit, au lieu d’essayer du mieux
possible de gérer nos émotions comme des occurrences fortuites, nous
puisons spontanément, au besoin, à notre connaissance spécifique du
mandala et à son pouvoir transformateur.
Voilà en quoi consiste le mandala secret; il n’est jamais arrangé mais
reste toujours complet. Contrairement au mandala intérieur, il ne s’appuie
pas sur la visualisation d’un mandala. Il se met en rapport avec les poisons
et les transforme immédiatement en prise de conscience à mesure qu’ils se
manifestent. Lorsque survient un schéma obscur persistant, nous sommes
enclins à le suivre, à nous y accrocher, à céder à sa séduction. Le mandala
secret reconnaît sur-le-champ ce schéma obscur et nous met en alerte: nous
ne nous endormons pas.
Quand vous aurez appris dans ce livre à connaître le mandala, vous
associerez le monde au mandala extérieur, vous apprendrez à transformer
vos schémas obscurs par le truchement du mandala intérieur et, tôt ou tard,
vous ferez l’expérience du mandala secret. Vous pourrez transposer ces
connaissances dans votre vie. Chacun de nous possède en propre un
mandala dont il est le centre, avec l’entourage de sa famille, de ses enfants,
de ses associés, de ses amoureux, de ses amis, et ainsi de suite. Notre
mandala interagit avec ceux des autres et est souvent intégré à un mandala
plus grand. Par exemple, les disciples d’un même maître spirituel font partie
du mandala de ce dernier, mais leur propre mandala interagit avec celui de
leurs camarades. Il en résulte un mandala vibrant et magnifique, un
enchâssement de mandalas. De ce point de vue, nos vies sont une
imbrication de motifs complexes.
LES MANDALAS EXTÉRIEUR, INTÉRIEUR ET SECRET
LES CINQ FAMILLES DE BOUDDHAS: LE MANDALA
INTÉRIEUR

Diagramme: Bodhi Stroupe


PRÉSENTATION DES CINQ FAMILLES DE BOUDDHAS
Voici, en guise de référence, une brève présentation des cinq familles de
bouddhas. Dans la troisième partie de cet ouvrage, nous étudierons en
profondeur le lien de chacune avec les dakinis. Les cinq familles de
bouddhas représentent les diverses visions du monde, les cinq types de
souffrance affective qui se transforment en cinq manifestations distinctes
d’énergie éclairée.

Le mot tibétain qui traduit «famille» est rig. Dans le cas des cinq
familles de bouddhas, il signifie plutôt «affinités d’énergie», soit les
caractéristiques de bouddha que nous possédons. La nature de bouddha ne
se manifeste pas de façon identique en chacun. Il y a différents modes, ce
que Trungpa Rinpoché appelle «les cinq manières différentes d’être sain
d’esprit26».
Une famille est un champ d’énergie qui, avant sa transformation,
consiste en un schéma obscur, en cinq poisons. Dans son état éveillé, ce
même champ d’énergie est devenu sagesse. À chaque famille correspond un
certain nombre d’affinités énergétiques: les sons fondamentaux que l’on
appelle les syllabes germes, les mudras (mouvements codifiés des mains),
les saisons, les couleurs, les éléments, les morphologies, les symboles, les
paysages, les agrégats (l’aspect psycho-physique), et ainsi de suite. (Voir le
diagramme détaillé des attributs des cinq familles de bouddhas à la page
73.) Dans le cadre de cet ouvrage, je me limiterai à quelques traits
fondamentaux et, surtout, au schéma obscur et à sa contrepartie de sagesse.
Lorsque l’enseignement de Trungpa Rinpoché m’a fait découvrir les
cinq familles, il nous les présentait intégrées à toutes les facettes de la vie.
J’ai appris de lui à voir Ratna dans un paysage, Bouddha dans un décor
intérieur, Vajra dans un style culinaire ou Padma dans une façon de se vêtir.
Des pays entiers pourraient être vus comme appartenant à une famille
spécifique. Grâce à Trungpa Rinpoché, les cinq familles m’ont paru sur-le-
champ pertinentes et tangibles. Tout était faisable, tout pouvait être
transformé, tout pouvait servir. Il devenait possible, sur la voie de la
pratique, de composer avec le moindre aspect de la vie grâce à ces énergies
dynamiques.
Le travail sur les cinq familles n’équivaut pas à un rejet des cinq
poisons, mais à une réhabilitation de cette énergie en sa version sage
fondamentale avec le soutien du mandala – dans ce cas précis, le Mandala
des cinq dakinis. L’intérieur du mandala vous met en relation directe avec
les énergies des poisons, mais cette énergie est ressentie comme quelque
chose de sacré et de pur. Vous tirez parti des immenses richesses du monde
phénoménal. Vous ressentez sa luminosité dynamique en renonçant à votre
moi, à votre ego, à votre séparativité. (L’origine des cinq poisons et la voie
de leur transformation seront étudiées plus en détail au chapitre 3.)
Quand nous avons compris le mandala et les cinq familles de bouddhas,
notre monde s’éclaircit. Notre vie se précise, elle cesse d’être chaotique et
confuse. Le mandala nous aide à changer de point de vue et à percevoir les
schémas obscurs et les états éveillés de ces énergies. Il nous fait
comprendre non seulement les personnes qui nous entourent, mais aussi
notre maison, notre lieu de travail, nos paysages, notre morphologie, nos
aliments, notre décor, les saisons, l’heure qu’il est, et ainsi de suite. Les
émotions bouleversantes sont alors ressenties comme des énergies qui,
transformées, libérées de la domination de l’ego, deviendront les cinq
énergies de la sagesse.
Tout comme l’enfant égaré peut toujours retomber dans les bras de sa
mère, notre esprit conscient peut toujours retrouver la voie de sa
complétude. Quand l’enfant retrouve sa mère, sa certitude est totale: Ce
n’est pas une inconnue, c’est ma mère, elle est ma source. Il en va de même
du retour à notre vraie nature: au cours de sa méditation mandala, l’individu
distingue sa propre énergie dynamique dans la structure lumineuse du
mandala, il atteint le stade où «l’autre» s’estompe, puis il renoue avec sa
complétude.
3
Une base unique, deux chemins, deux résultats

Ensemble de toutes les manifestations de l’inerte et du vivant, du


samsara et du nirvana: une base unique, deux chemins, deux
résultats. C’est la manifestation magique de la conscience innée
et de la non-reconnaissance de la conscience.
La prière de Samantabhadra

On ne saurait comprendre le principe du mandala sans un retour aux


origines, à la rupture primordiale, à la scission qui a suscité une distinction
entre «soi» et «l’autre» et dont découlent toutes nos souffrances. Un texte
tibétain intitulé La prière de Samantabhadra explique cette rupture. On y
lit: «Une base unique, deux chemins, deux résultats.» Bien que simple à
première vue, cet enseignement décrit en six mots rien de moins que la
condition humaine.
Commençons par décortiquer le sens de «une base unique». On désigne
souvent cette base unique par la «base de l’être», la Terre Mère, soit «la
base à l’origine de tout être et de toute chose». Je sollicite votre indulgence;
mes explications vous sembleront abstraites, mais il faut absolument
comprendre la signification profonde de cette base unique, la véritable
origine de notre existence: la base de l’être est la potentialité infinie de
laquelle tout l’univers est issu – elle est la source de tout le créé.
Cette potentialité infinie est informe et si immense qu’elle est
impossible à conceptualiser ou à circonscrire dans le temps ou l’espace. La
base de l’être est en essence gnose pure. Elle est l’intelligence de l’univers
ou, dit autrement, la nature intrinsèquement intelligente de l’univers.
L’expression de la base de l’être est la lumière radieuse, comme il est dit
dans le sutra du Cœur (la Prajnaparamita): «L’esprit n’est pas l’intellect; la
nature de l’esprit est la lumière radieuse27.»

Imaginez la base de l’être en tant que firmament infini sans début ni fin
ni centre ni limite, et la nature de cet espace en tant qu’éveil parfait et infini.
Tout résulte de cet espace; son essence est la vacuité; sa nature est
rayonnante; sa manifestation est une compassion omniprésente. Les «deux
chemins» se forment quand la base de l’être s’exprime ou s’extériorise par
l’émission de sa pure et radieuse lumière irisée. Les énergies mystiques de
la base de l’être s’extériorisent par la manifestation visible des cinq
couleurs de lumière: blanc, bleu, jaune, rouge et vert.
Pour la conscience individuelle, la pure luminosité irisée est
indissociable de sa manifestation visible, ou bien elle se manifeste dans un
monde visible distinct. À ce moment, la scission a lieu, les deux chemins se
forment: le chemin de la libération qui reconnaît l’inséparabilité d’une part
et, d’autre part, le chemin de la confusion qui isole les manifestations
visibles et engendre la peur et l’anxiété. Le chemin de la confusion crée
l’obstacle de la dualité, l’obsession de l’ego devient la solution à notre
angoisse de la séparation et débouche sur le samsara, le cycle des
attachements qui nous font sans cesse vivre, mourir et renaître. C’est le
chemin que nous avons tous choisi.
Voici une analogie qui expliquera comment notre obsession de l’ego et
l’attachement à soi-même se réalisent. Comme dans un établissement
hautement sécurisé, l’ego qui prend forme au moment de notre séparation
de la base de l’être envoie des agents explorer le vaste monde et en faire un
compte rendu. Les comptes rendus, ou les réactions, sont de trois sortes: le
premier consiste à guetter les dangers potentiels, à engendrer de l’aversion,
de l’agressivité ou de la haine. Le deuxième vise la protection de l’ego et
fait naître le désir, la possessivité et l’attachement. Le troisième, qui n’élève
ni ne menace l’ego, donne lieu à l’indifférence et à l’ignorance.
L’agressivité, le désir et l’ignorance, ces trois réactions ou poisons sont
toujours à l’œuvre en nous. Le scénario peut se renverser: ce qui était
désirable au départ devient menaçant ou inversement, ou ce qui au départ
n’avait pas d’importance suscite la possessivité ou l’aversion. Ces trois
poisons fondamentaux en engendrent deux autres: l’orgueil ou l’arrogance,
et la jalousie ou l’envie. C’est là l’origine des cinq poisons dont j’ai parlé au
chapitre précédent: l’ignorance, la colère, l’orgueil, le désir et la jalousie.
La méditation est la voie qui permet la transformation de ces poisons en
sagesse et le retour à la base de l’être.
La pratique bouddhiste a pour but de nous ramener à l’état d’être
fondamental, avant sa scission en «soi» et «l’autre». Cette scission
engendre une souffrance extrême que nous aspirons à surmonter.
Malheureusement, les moyens habituels que nous prenons pour y parvenir,
soit les cinq poisons, ne font qu’intensifier notre souffrance.
L’échec à reconnaître notre inséparabilité de la base unique de l’être
crée un état qui se perpétue, à l’image d’une galerie des glaces
kaléidoscopique, dans lequel nous tentons de combler le fossé inhérent
entre nous et la base de l’être en nous projetant sans cesse vers l’extérieur.
La démarche se complique pour l’ego, nous nous éloignons encore plus de
la base unique et nous nous enfonçons plus avant dans le chaos de la
dualité. Nous sommes tous prisonniers de cette danse, de cette tragédie
autogénérée, de ce cercle vicieux qui perpétue le cycle des renaissances
karmiques insatisfaisantes et malheureuses.
La pratique de la méditation freine les schémas de réaction de l’ego et, à
terme, la conscience réintègre sa source et la base de l’être dont elle s’est
scindée. Au moment de l’Éveil, nous comprenons que cette scission n’a
jamais eu lieu même si l’activité ininterrompue de l’ego nous en a donné
l’illusion en obscurcissant le vaste firmament limpide et bleu de notre être.
La dissolution de l’ego et la manifestation de notre potentialité infinie
évoquent les cinq couleurs du prisme qu’émet un cristal quand le frappe un
rayon de soleil. Ces cinq teintes irisées forment la base des cinq sagesses
des cinq bouddhas.
La clé de l’Éveil consiste par conséquent à voir dans les manifestations
visibles du monde le rayonnement de la base de l’être et notre vraie nature
dans le vaste univers en éveil. Travailler sur le mandala et les cinq familles
de bouddhas nous ramène à la luminosité originelle de la base unique, et
nous revenons à la Grande Mère, à la base de l’être. Heureusement, tous
ceux d’entre nous qui ont choisi le chemin de la confusion peuvent s’en
libérer. Il suffit de ne plus nous investir dans le conflit de la dualité et de
reconnaître la véritable base de l’être. La voie de la libération n’est jamais
hors de portée. Nous ne nous en séparons jamais. Seulement, nous sommes
aveugles au fait que la non-dualité est notre condition véritable.

Pour Longchenpa, le grand maître tibétain du XIVe siècle, le mandala


est une «demeure lumineuse», une sphère de lumière émanant de la base
primordiale et incréée. Le mandala est l’instrument qui nous ramène à notre
complétude primordiale. La pratique du mandala nous permet de percevoir
nos schémas émotionnels. Elle est un plan d’action qui nous guide vers la
base de l’être par la transformation des cinq poisons en cinq sagesses, un
mode de mise en place du psychisme dans un cadre de complétude
lumineuse. La chose est possible, car même si nous nous sommes scindés
de la base de l’être, celle-ci ne nous a jamais quittés.
Un profond désir de complétude anime chacun de nous, et ce désir a
engendré des mandalas dans toutes les sociétés et toutes les religions sous
forme de cérémonies ou de danses, ainsi que dans l’architecture, les
temples, les églises, les vitraux, les bijoux, l’art visuel, les jardins et la
présentation des aliments rituels. Le corps est son propre mandala
dynamique dont le cœur est le centre et les membres les quatre points
cardinaux, mais notre représentation du monde et de nous-mêmes est
souvent fragmentée. Cela est particulièrement vrai de nos jours, maintenant
qu’ont été perdus la plupart des rituels et des danses mandaliques de
centration que pratiquent les individus et les collectivités guéris.
La méditation mandala est un outil, un modèle de réintégration qui
recentre et réassemble le psychisme fragmenté et transforme les cinq
poisons en sagesse. Dans la méditation, le mandala est un psychogramme
transformateur plutôt qu’un cosmogramme. Le psychisme scindé en deux se
réassemble, retourne à la base de l’être et peut à nouveau se manifester
pleinement des profondeurs de son essence.

LA VOIE DE LA TRANSFORMATION
Le bouddhisme tibétain compose de trois façons distinctes avec la rupture
primordiale qui nous a séparés de la base de l’être et qui est notre état
fondamental. La première est le renoncement, associé à la tradition
monastique et au bouddhisme des débuts. Le Bouddha enseignait les
profanes, mais la voie idéale était celle du renoncement à la vie de ce
monde, celle des moines et des moniales qui vivent dans la chasteté et
abandonnent leurs vêtements laïcs, leur richesse, leurs biens matériels, et
ainsi de suite. Cela a pour but de leur éviter le plus possible les ennuis qui
les écarteraient de la voie spirituelle et de les empêcher autant que faire se
peut de retomber dans les cinq poisons.
La deuxième méthode est celle de la transformation. Le symbole de
cette voie est le paon. Dans le renoncement dont il vient d’être question, on
évitait le poison, on ne le consommait pas. Dans la transformation, le paon
consomme le poison qui devient le beau plumage de l’oiseau avec ses
merveilleuses couleurs et son incroyable diaphanéité. On fait usage des
poisons et on les transforme.
Dans cette voie de la transformation, on affaiblit par conséquent
l’emprise des cinq poisons qu’a engendrés la rupture primordiale et, par
l’entremise du corps, de la parole et de l’esprit, on transforme en sagesse les
schémas obscurs. C’est là que nous trouvons le mandala, qu’en vertu du
principe de l’incarnation sacrée nous intégrons les cinq familles de
bouddhas. Le corps intervient dans la transformation par la danse et les
gestes des mains; la parole par les sons et les mantras ainsi que par l’énergie
subtile du son. L’esprit entre en jeu avec des visualisations et la
contemplation directe de certaines images. Ces trois facteurs essentiels, soit
le corps, la parole et le son, sont les instruments de la transformation.
La troisième voie du bouddhisme tibétain est la libération naturelle,
parfois appelée libération de soi ou libération inhérente. Contrairement à la
transformation, il ne s’agit pas ici de prendre une chose pour en faire autre
chose, mais de vivre la réalité telle qu’elle est, d’en reconnaître la
perfection ainsi que la perfection innée de l’être. Nous n’avons rien à faire.
Nous ne renonçons à rien et nous ne transformons rien. Nous découvrons ce
qui existe déjà: l’état spontanément parfait de l’être.
Dans le présent ouvrage, nous suivrons la voie de la transformation,
celle où intervient le mandala. Quand nous réintégrons le cadre lumineux
du mandala, nous renouons avec la base de l’être. Par le mandala, nous
mettons fin au cercle vicieux de l’errance en inversant les scénarios de
possessivité qu’a engendrés la rupture primordiale. Nous prenons
conscience de «l’inépuisable trésor» que nous avons ignoré si longtemps, le
trésor de notre vraie nature radieuse, et nous voulons ardemment nous y
consacrer. Il n’y a vraiment rien au monde de plus précieux.
DEUXIÈME PARTIE

À LA RENCONTRE DE LA DAKINI
4
La quête du féminin souverain

Traditionnellement, le terme «dakini» désignait des pratiquantes


exceptionnelles, parèdres de grands maîtres, et dénotait le
principe féminin éclairé de la non-dualité, qui transcende le
genre […] un esprit de sagesse pénétrant et brillant qui est
intransigeant, honnête et manifeste un léger courroux.
Khandro Rinpoché

Trois ans après mon départ pour l’Europe et l’Asie, ma famille me


manquait et j’avais le mal du pays. Ma sœur avait mis un autre bébé au
monde, ses enfants grandissaient sans avoir connu leur tante et mes parents
avançaient en âge. J’avais vécu un an au Népal avant de m’installer en Inde,
à Darjeeling, où j’avais étudié avec le grand maître Khabje Kalu Rinpoché,
puis dans les cités sacrées des plaines, Bodhgaya et Sarnath, dans les
environs de Varanasi, lieu du premier sermon du Bouddha. J’y avais passé
l’hiver, puis j’étais retournée dans les montagnes de l’Himalaya, à
Himachal Pradesh, une localité voisine de la petite ville de Manali, où
j’avais étudié avec un grand yogi du nom de Apho Rinpoché, qui était
marié et avait quatre enfants. Je vivais dans une hutte de retraite à proximité
de sa maison, devant un panorama qui englobait les sommets enneigés
situés non loin. Je n’étais pas certaine d’avoir raison de quitter l’Himalaya
où, en tant que moniale bouddhiste, ma subsistance était assurée et où la
société comprenait et respectait cet état de choses. Poussée par mon
indécision, j’ai demandé à Apho Rinpoché de faire une séance de divination
dont je respecterais les résultats, sentant que la réponse me donnerait une
nouvelle orientation.
Les Tibétains ont plusieurs méthodes de divination: un miroir, de petites
boules de pâte, le vol et le cri des corbeaux, les grains d’un mala, les rêves,
les signes et les intuitions. Mon maître a opté pour la méthode des petites
boules de pâte dans une coupe crânienne; elles renferment un bout de papier
sur lequel est écrite la réponse: oui, non, ou le résultat est le même d’une
façon ou d’une autre. Obéissant au rituel, il en a choisi une.
J’ai dû patienter plusieurs jours avant de savoir ce qu’il en était.
Finalement, mon maître m’a appelée à sa chambre. Je me suis assise, sa
femme m’a offert du thé tibétain dans un bol en bois peu profond. Puis, il a
dit: le résultat est le même, que tu restes ou que tu rentres chez toi. J’étais
déçue. N’arrivant pas à me décider, j’avais souhaité une réponse claire.
Mais puisque je voulais revoir ma famille et que cela ne changerait rien au
résultat, j’ai choisi de partir. Que serait-il arrivé si j’étais restée en Inde?
Peu importe. Mes parents ont été transportés de joie quand je leur ai
annoncé mon retour. La joie de revenir m’a gagnée moi aussi entre
l’Himalaya et Delhi, à bord de vétustes autocars indiens aux sièges en bois
dur si rapprochés les uns des autres qu’il me fallait m’asseoir de biais même
si je ne suis pas grande. Dans l’animation de Delhi, alors que des mendiants
me suivaient et que le bruit m’assourdissait après toute ces années vécues
dans le silence des ermitages en montagne, je me suis demandé si j’avais
bien fait de quitter Manalie et Apho Rinpoché. Mais ma décision était prise
et j’avais sincèrement hâte de retrouver les miens.
Je suis restée plusieurs jours dans un hôtel minable près de Connaught
Circle, à Delhi, puis j’ai pris un vol pour Boston, mal à l’aise dans mes
robes tibétaines bordeaux au milieu des Indiens et des Occidentaux.
Heureusement, mes cheveux avaient un peu repoussé, je n’étais pas
complètement chauve. En ce jour de décembre 1971, juste avant Noël, j’ai
atterri à Boston où j’allais être la seule moniale bouddhiste, occidentale ou
tibétaine, dans tous les États-Unis.
Je suis bientôt tombée dans les bras de mes parents impatients de me
revoir. Une fois rangée ma valise indienne en toile verte dans le coffre de la
Chrysler blanche, nous avons roulé vers le nord jusqu’à notre ancienne
demeure coloniale de Keene, dans le New Hampshire. J’avais été partie
trois ans. Pendant ce temps, nous étions restés en contact par aérogrammes,
ces feuilles de papier bleu ciel comportant un timbre imprimé et qui,
repliées et scellées, servaient à la fois de lettre et d’enveloppe. Chaque
aérogramme mettait six semaines à parvenir à sa destination, mais nous y
répondions rarement le jour même.
J’avais passé six mois de ce séjour de trois ans à l’étranger en Écosse, à
Samye Ling. Le reste du temps, j’avais vécu au Népal et en Inde, dans la
région de l’Himalaya et dans les cités sacrées du Bouddha, sur les plaines
indiennes. À mon retour aux États-Unis, la guerre du Vietnam tirait à sa fin,
les Accords de Paix de Paris allaient bientôt être signés et un très cher ami
d’enfance s’était suicidé pour éviter d’aller au front. Le bouddhisme s’était
introduit à quelques endroits aux États-Unis, ramené au pays par des jeunes
de ma génération qui avaient délaissé les expériences psychédéliques au
profit de la méditation. Le mouvement Hare Krishna s’amorçait, ses
membres arpentaient les rues des grandes villes et les aéroports. Les
vétérans rentraient au pays où ils affrontaient le mépris des manifestants
anti-guerre.
Notre pays était blessé, mais les changements qu’avait enclenchés ma
génération exaltaient les esprits et nous libéraient des carcans hérités de nos
parents, y compris celui de leur religion et de leur notion de la spiritualité.
À la fin de leurs études, certains jeunes de mon âge avaient opté pour une
vie conventionnelle, mais de nombreux autres avaient voyagé en Inde ou
ailleurs en Asie et pris conscience d’une spiritualité qui s’écartait des
courants dominants de l’Occident. À Bodhgaya, j’avais été entourée de
Ram Dass, Daniel Goleman, Krishna Das et d’autres amis qui s’initiaient
alors à la méditation bouddhiste. Et voilà qu’ils rentraient chez eux en
même temps que moi.
J’ignorais totalement comment vivre ma vie de moniale bouddhiste en
Occident ni même comment comprendre le bouddhisme tibétain transplanté
dans un contexte occidental. Ayant fait le vœu de ne pas dormir sur un lit
surélevé, j’ai aménagé un campement dans un coin de mon ancienne
chambre: une natte où dormir, mon sanctuaire tibétain et mes objets de
pratique. Mes parents n’ont pas voulu que j’aille en ville dans mes robes de
moniale. Comment auraient-ils pu expliquer cela aux citoyens de notre
petite localité?
J’avais ouï dire en Inde que Trungpa Rinpoché était parti d’Écosse pour
venir au Canada puis aux États-Unis et qu’il avait fondé un centre dans le
nord du Vermont, non loin de chez mes parents. Son enseignement, disait-
on, rendait le bouddhisme tibétain plus accessible aux Occidentaux. J’étais
impatiente d’entendre ses sermons et de le revoir, et j’espérais qu’il me
conseillerait sur ma vie monastique occidentale.
Après Noël, une amie d’enfance m’a emmenée en voiture au centre de
Trungpa Rinpoché près de Saint Johnsbury, dans le nord du Vermont: «Tail
of the Tiger» (La queue du tigre), plus tard rebaptisé Karmê Chöling. J’y
suis arrivée alors que se donnait un séminaire au Barnet Town Hall, l’hôtel
de ville. Assise au dernier rang, j’ai vu mes deux univers se fusionner en sa
présence – les enseignements traditionnels tibétains que j’avais étudiés et
mis en pratique au Népal et en Inde, et mon passé d’Occidentale. Les
enseignements dont j’avais bénéficié pouvaient s’avérer utiles en Occident.
La façon dont Trungpa Rinpoché s’adressait aux Occidentaux dans leur
langue et avec une profonde compréhension de leur psychisme m’a
immédiatement fascinée. Il était assis sur une chaise en costume-cravate
devant une prosaïque tapisserie représentant un paysage bucolique. Dans sa
bouche, les anciens enseignements tibétains si étrangers et si complexes
devenaient parfaitement compréhensibles et assimilables. L’entendre
enseigner le bouddhisme avec une telle vitalité et une telle limpidité m’a
enthousiasmée.
J’ai eu un entretien privé avec Trungpa Rinpoché après son exposé.
Quand je lui ai dit que j’aimerais venir étudier avec lui, il m’a accueillie
chaleureusement et m’a suggéré de me retirer dans la solitude jusqu’à son
retour, au printemps. C’est ainsi que j’ai passé l’hiver à Kirby, dans une
cabane en rondins qui n’avait jamais été habitée que durant l’été. Elle était
en pleine forêt, à un kilomètre et demi de la route, une distance qu’il fallait
parcourir à pied (ou en raquettes). Quand les amis qui m’y avaient
emmenée et aidée à m’y installer sont repartis, la nuit est tombée et le vent
s’est infiltré entre les rondins, là où il n’y avait plus de colmatage. L’endroit
était désert et solitaire. J’avais froid jour et nuit, mais j’ai beaucoup médité
et étudié les livres de Trungpa Rinpoché. C’est dans ce contexte que j’ai
pris profondément conscience de son enseignement des cinq familles de
bouddhas et du mandala.
À la fin de ma retraite, trois mois plus tard, la neige avait fondu. C’était
le printemps. Après avoir consulté Trungpa Rinpoché, je suis partie pour
Boulder, au Colorado, où il vivait. Il y avait établi le centre Karma Dzong et
une retraite en montagne, le Rocky Mountain Dharma Center, devenu
ultérieurement le Shambhala Mountain Center. Il travaillait à cette époque à
un film sur le vénérable yogi et poète Milarépa, qu’il n’a jamais terminé
mais dont il se servait pour initier ses étudiants à l’aspect visuel des cinq
familles de bouddhas en tant qu’assises de sa pratique cinématographique.
Il a également animé un séminaire sur le cinéma au cours duquel il a
développé le sujet des cinq familles. Ci-après, un extrait de l’introduction
de The Collected Works of Chögyam Trungpa, Volume 7, par Carolyn
Gimian, qui a collaboré étroitement avec Trungpa Rinpoché, montre
comment ce dernier enseignait par le film les cinq familles de bouddhas.

«Il parlait aussi de scènes et de prises de vue spécifiques. Pour


rendre compte de la désolation que ressentait Milarépa dans sa
retraite alors que son maître lui manquait, Trunga Rinpoché a
suggéré de “tourner dans le désert, un espace ouvert où l’on
découvrirait l’empreinte d’un pied ou d’un animal, un cheval par
exemple, ou du crottin. On pourrait représenter une tempête de
neige et, en même temps, de sable. Les caméramen et les
réalisateurs se doivent d’entretenir une véritable relation avec le
sable et la tempête, et ne pas chercher seulement à divertir”. L’étude
des cinq familles de bouddhas devait définir la structure du film, soit
le choix de cinq points de vue différents représentant l’énergie
propre à chacune des familles. Rinpoché disait que la tension
dramatique et la participation du public résulteraient de ces
changements de points de vue tout au long du film28.»

Dans cette introduction, le cinéaste Baird Bryant raconte comment sa


perspective a changé après avoir collaboré avec Trungpa Rinpoché à son
projet de film:

«Je me rappelle m’être demandé pourquoi les Tibétains voyaient la


chose autrement. Je sais que, depuis ce temps, je n’ai jamais pu voir
un rondin pourri dans la forêt sans me dire que c’était là le symbole
de la famille Ratna. Les bourgeons verts qui s’ouvrent et déploient
de jeunes feuilles me parlent de la famille Karma. Le ciel d’un bleu
profond évoque Bouddha, les courbes gracieuses, quelles qu’elles
soient, représentent Padma, tandis que, en contemplant le monde
physique, je vois le grand mudra de l’univers spirituel: la famille
Vajra au grand complet et, dans mon univers, Trungpa Rinpoché y
trône29.»

C’est surtout grâce à l’influence de Trungpa Rinpoché que j’ai étudié le


mandala et les cinq familles de bouddhas, en commençant par leur
intégration dans sa pratique artistique. Après ses enseignements, je voyais
dans les paysages, les gens, les immeubles, les villes, les pays, bref, dans
absolument tout, des mandalas des cinq familles. À la fin des années 1980,
quand j’ai commencé à centrer mon enseignement sur le mandala dans le
cadre des retraites que je dirigeais, les Dakini Retreats, j’ai basé mes
exposés sur ses explications. Trungpa Rinpoché a brillamment orienté
l’esprit occidental dans sa découverte des enseignements tibétains, non pas
comme quelque chose d’éloigné de nous, mais en les faisant nôtres.

Chögyam Trungpa Rinpoché au centre Tail of the Tiger (La Queue du tigre – aujourd’hui Karmê
Chöling), 1972. Archives Shambhala.

LA DÉCISION DE DÉFROQUER
J’avais vingt-cinq ans à mon retour aux États-Unis, et je n’étais pas certaine
de vouloir poursuivre ma vie monastique jusqu’à la fin de mes jours. Je m’y
sentais très seule et très à l’écart. J’étais la seule moniale bouddhiste dans la
communauté de Trungpa Rinpoché où il n’y avait pas non plus de moines.
Ce n’était pas une communauté bouddhiste telle qu’on l’imagine,
silencieuse et méditative. C’était tous les soirs la fête, il y avait une activité
sexuelle débridée, de la danse, de la poésie, bref, une ambiance qui ne
favorisait guère une existence de moniale et la chasteté.
Je n’avais jamais vraiment envisagé la vie monastique. Le Karmapa et
mon séjour au stupa Swayambhunath m’avaient inspiré ce choix. Au Népal,
être moniale m’avait été bénéfique puisque cela avait favorisé une
indépendance et un développement spirituels auxquels je n’aurais pas eu
accès autrement. J’ai relaté cette période de ma vie dans mon premier livre,
Women of Wisdom:

Je sais maintenant que mes années de vie monastique ont été


inestimables. Il me semble important que les femmes fassent un
certain temps l’expérience d’une existence «virginale» au sens
propre du terme: celle d’une célibataire chaste, indépendante,
n’appartenant à aucun homme. […] Cette période m’a permis de me
développer sans cette perte d’énergie qui accompagne
inévitablement les relations. Comme je n’avais que 22 ans à mon
ordination, je n’étais pas encore assez mûre pour ne pas perdre la
tête quand je tombais amoureuse. Les robes et le célibat que
m’imposaient l’ordination me servaient aussi de coquille protectrice
à l’intérieur de laquelle je pouvais croître et me trouver. Cependant,
une fois ce processus en place, le fait de m’y tenir aurait constitué
pour moi une forme de répression30.

Un an après mon retour aux États-Unis, la pénible décision de demeurer


moniale ou de défroquer me déchirait. Je ne voyais pas comment je pourrais
vivre ainsi aux États-Unis à cette époque. Être moniale au Népal et en Inde
dans un contexte monastique bouddhiste était sensé, mais je ne voulais pas
vivre en Asie jusqu’à la fin de mes jours. Là-bas, cependant, les moines
vivent en communauté et s’entraident dans leur démarche. Aux États-Unis,
j’étais seule.
La sexualité a aussi influencé ma décision. J’étais de plus en plus
consciente de mon énergie sexuelle et il ne m’apparaissait pas sain de
réprimer cet aspect de ma personne. Comment pouvais-je être à la fois un
être sexuel et spirituel? Existait-il un exemple de cela? Les enseignements
de Trungpa Rinpoché et ma présence dans son entourage
m’enthousiasmaient et me stimulaient, mais mes robes de moniale me
gênaient. J’essayais de trouver ma place au sein d’une tradition qui me
laisserait être aussi dévouée que je l’étais dans ma vie monastique, mais
sans devoir respecter des vœux. Je ne voulais ni pratiquer à moitié ni me
laisser aller à la vie bourgeoise d’une mère de famille qui jongle avec le
covoiturage et les casse-croûtes de ses enfants. Je n’avais alors aucun autre
modèle à imiter. Je n’avais pas encore compris que les dakinis pouvaient me
diriger vers le mode de vie auquel j’aspirais.
Pendant ce temps, Trungpa Rinpoché m’a confié une mission: aller en
Inde inviter Karmapa à venir pour la première fois en visite aux États-Unis.
Je lui ai livré le message, après quoi je suis restée trois mois à Tashi Jong,
une collectivité de réfugiés tibétains dans la vallée de Kangra, où j’ai reçu
la transmission de pouvoir de Dam Ngag Dzod du grand Dilgo Khyentse
Rinpoché avec environ cinq cents Tibétains et quelques Occidentaux.
Khamtrul Rinpoché, le chef de Tashi Jong, lui avait demandé de procéder à
ces transmissions de pouvoir.
Dans la tradition tibétaine, les transmissions de pouvoir, également
appelées «initiations», sont des rituels au cours desquels est transmise une
graine de lumière associée à une sadhana spécifique que le récipiendaire fait
ensuite grandir en lui durant la pratique de cette sadhana. C’est la
transmission du pouvoir de cette sadhana qui crée un lien avec elle. La
transmission de pouvoir est indispensable, comme l’est aussi la
transmission de l’ouïe intérieure, le lung, et de la façon de procéder, le tri.
Avec le wang, c’est-à-dire la transmission de pouvoir, le lung et le tri, vous
avez tout ce qu’il faut pour la pratique d’une sadhana. Les grands lamas
tibétains font parfois des initiations et des transmissions collectives de
l’ouïe intérieure, en partie pour que ces lignées soient préservées, et en
partie pour que les initiés puissent développer ultérieurement la pratique des
sadhanas correspondantes, mais avec les explications d’un autre lama.
Durant cette période d’initiations, je me suis mise à rêver d’un bébé,
non pas d’un nourrisson, mais d’un bébé d’un an assis sur mes épaules.
J’avais fait ce rêve plusieurs fois quand je vivais avec les réfugiés de Tashi
Jong. J’avais renoué entre-temps avec Paul Kloppenburg, un Hollandais
rencontré aux Pays-Bas qui participait également aux transmissions de
pouvoir. Aux Pays-Bas, forte de mes séjours au Népal et en Inde, je lui
avais indiqué où il pourrait se former au bouddhisme tibétain. J’avais
mentionné Dharamsala, la résidence du Dalaï-Lama. Il y était allé
directement et, depuis bientôt quatre ans, il y vivait seul dans la montagne,
pratiquait la méditation et étudiait auprès d’un maître tibétain. Nous avions
échangé quelques lettres. Il n’avait jamais été ordonné, mais menait une
existence monacale.
À Tashi Jong, il me rendait souvent visite. Il était très amusant et me
faisait beaucoup rire. Grand, dégingandé, avec des cheveux châtains mi-
longs, il avait des yeux marron pétillants et des joues rosées. Nous nous
sommes mis à faire la cuisine ensemble sur un réchaud au kérosène posé à
même le sol en béton. Nous préparions surtout une soupe de légumes à
l’eau salée, sans nous donner la peine de les couper en morceaux: tomates,
carottes, pommes de terre et oignons verts entiers. Les couper aurait
demandé trop de temps pendant les courtes pauses entre les transmissions
de pouvoir. Nous nous hâtions ensuite de manger. C’était délicieux ou peut-
être avions-nous très faim!
J’ai commencé à ressentir du désir pour lui, ce qui a compliqué encore
plus ma décision. J’ai fini par consulter mon maître, Apho Rinpoché, qui
était marié; je lui ai dit que je rêvais de bébés. Assis sur son lit, il a ri à en
baver en tapant le matelas du plat de la main. J’étais très mal à l’aise; je ne
voyais pas ce que j’avais dit de si drôle.
— Toutes les moniales devraient avoir des enfants! a-t-il lancé enfin,
avant de rire de plus belle.
J’ai réussi à lui demander ce qu’il voulait dire.
— Des vingt-cinq principaux disciples de Guru Rinpoché, le grand yogi
qui a introduit le bouddhisme au Tibet, seul quelques-uns étaient moines. Il
n’est pas nécessaire d’être ordonné pour pratiquer sérieusement. Moi, par
exemple: j’ai quatre enfants. J’enrichis la pratique du dharma en ce bas-
monde!
Il s’est remis à rire.
Paul est entré au même instant et s’est assis. Il était radieux et ses yeux
brillaient. L’ambiance réjouie qui régnait dans la chambre le faisait sourire,
sans qu’il sache de quoi nous avions parlé. J’y ai vu un signe. J’ai décidé de
renoncer à mes vœux dès le lendemain. Dans la tradition tibétaine, quand
on renonce à ses vœux, on peut les confier à quelqu’un qui en garde la
pureté. J’ai donc confié les miens au grand maître Khamtrul Rinpoché qui
procédait aux initiations. Le moine, pur et chaste, a accepté aimablement
mes vœux et m’a suggéré d’employer les mérites que m’avait valu leur
respect au bénéfice de tous les êtres sensibles et de faire une méditation de
purification pour éliminer le karma négatif associé à cette rupture. C’était
au printemps de 1973. À la fin des transmissions de pouvoir, Apho et sa
famille, Paul et moi avons fait le voyage de deux jours dans l’Himalaya
pour rentrer à Manali où vivait le lama Apho Rinpoché. La hutte de Paul
était située un peu plus haut que la mienne. C’est là que nous avons
consommé notre amour. Peu après, nous avons conçu notre premier enfant,
Sherab.
La nuit de sa conception, nous avons dormi ensemble dans ma hutte
pour la première fois. C’était un abri en bois au plafond bas recouvert d’une
toiture en ardoise, avec un espace de rangement au-dessous. Nous y avons
installé nos sacs de couchage, l’un au-dessus et l’autre au-dessous, ajouté
quelques châles en laine et plié des vêtements en guise d’oreillers. C’était
très étrange de dormir auprès d’un homme après quatre ans de solitude.
Cette nuit-là, je me suis réveillée dans la peau de la dakini Vajrayogini, une
célèbre dakini rouge de la famille Padma qui règne sur le feu et la passion.
Je ressentais un bonheur si intense que j’ai réveillé Paul.
— Je suis Vajrayogini et je brûle d’une insupportable béatitude! ai-je dit
avec une très grande ferveur.
Il a grogné, m’a serrée contre lui et nous nous sommes rendormis. Le
lendemain matin:
— J’ai fait un rêve très intense, ai-je dit.
— Moi aussi! Tu as rêvé à quoi?
— J’ai rêvé à une immense sphère de lumière resplendissante et très
brillante. La partie du dessus était blanche, il y avait un arc bleu au centre,
et le dessous se composait d’étincelles rouges. Au milieu, il y avait un
renflement en U où le blanc et le bleu pénétraient le rouge.
Il m’a écoutée, émerveillé, et a dit: «J’ai fait exactement le même rêve.»
Quelle expérience extraordinaire que ce rêve identique! Nous l’avons
peint ensemble le lendemain. Ce jour-là, dans une bouteille posée sur
l’étagère encastrée dans le mur où j’avais mon autel, un iris sauvage avec
deux grandes fleurs en a produit une troisième, minuscule et parfaite. J’ai
déduit de tout cela que j’avais conçu. La semaine suivante, je me suis sentie
mal, j’avais des nausées et des envies de viande, moi qui étais végétarienne
depuis douze ans. Quelques jours plus tard, j’ai consulté un médecin
tibétain de Manali qui a analysé mon urine et m’a annoncé que j’étais
enceinte. Peu après, Stuart Hamill, une amie artiste américaine (oui, Stuart
est une femme) qui vivait à Delhi et avait étudié la miniature indienne
peinte avec des pigments minéraux, a copié notre représentation du rêve de
notre conception.
Ma fille aînée Sherab, qui a maintenant deux fils, a conservé cette toile.
L’image en est intéressante. Dans le bouddhisme tibétain, le blanc
représente l’essence masculine et le rouge l’essence féminine. La
pénétration de la partie rouge du mandala par sa partie blanche peut être vue
comme la pénétration de l’ovaire par le spermatozoïde, l’union des essences
masculine et féminine. Il m’a semblé curieux que le rêve ait ces couleurs
précises, puisque les rêves sont au-delà de ces connaissances conceptuelles.
Je dis parfois que je suis tombée enceinte cinq minutes après avoir
renoncé à mes vœux! En réalité, c’est arrivé quelques semaines après, mais
le temps avait passé très vite. Nous sommes allés de Manali à Delhi en
autocar, un trajet de deux jours. Ma grossesse me fatiguait et m’affectait
tellement que je tombais endormie chaque fois que nous nous arrêtions aux
étapes. À Delhi, j’ai consulté un médecin qui a confirmé ma grossesse. Paul
et moi nous sommes mariés dans la pénombre d’une chambre d’hôtel, après
quoi mon amie Stuart nous a offert une petite réception à son appartement.
Nous sommes ensuite allés au Pays-Bas, d’où Paul était originaire. À
Breda, dans le sud du pays, où il avait grandi au sein d’une famille
d’aristocrates, j’ai connu ses cinq frères et sœurs, ainsi que sa mère. Puis
nous avons traversé l’Atlantique jusqu’à la résidence de mes parents au
bord d’un lac du New Hampshire.
À la réception organisée en notre honneur, mes parents nous ont offert
une Hornet à hayon de AMC, vert forêt, en guise de cadeau de noces.
Quelques semaines plus tard, nous avons chargé la Hornet et traversé le sud
du Canada en longeant la frontière jusqu’à Seattle et dormi sous la tente.
Nous avons installé nos pénates dans la maisonnette du cueilleur de petits
fruits de Maury Island, un îlot relié à Vashon Island, où nous nous sommes
préparés pour l’accouchement à domicile que j’ai relaté dans l’introduction.
Après la naissance de Sherab, un bébé très actif, je me suis occupée
d’elle et n’ai plus eu une minute à moi. Elle grimpait partout et ne faisait
que rarement la sieste, même quand elle n’était encore qu’un nourrisson.
J’étais exténuée. À six semaines, des coliques l’ont fait pleurer des heures
durant. Ce passage de moniale à mère n’a pas été facile; je n’ai pas
vraiment eu le temps de savourer ma liberté après avoir renoncé à mes
vœux. J’ai rêvé pendant plusieurs années que je ne savais pas comment
m’habiller: robe de moniale ou vêtements laïcs? Dans plusieurs de ces
rêves, je changeais constamment de tenue.
Le bonheur et la sérénité de ma vie monastique se sont volatilisés quand
je suis devenue mère et j’ai fait une dépression post-partum sans même
savoir de quoi il s’agissait. Je me culpabilisais d’être malheureuse et d’avoir
envie d’être seule, pensant que je devrais être heureuse et reconnaissante
d’avoir mis au monde un beau bébé en santé. Neuf mois après la naissance
de Sherab, je suis tombée enceinte de ma deuxième fille, Aloka. Cette fois
encore j’ai accouché à la maison. Mais le médecin ayant raté le traversier,
c’est Paul et mon amie Sally qui ont accueilli Aloka. Quand le médecin est
arrivé une heure plus tard, je tenais avec joie notre petite dernière dans mes
bras.
Quand Aloka a eu un an, nous avons quitté Vashon Island pour regagner
Boulder. J’ai commencé à enseigner à l’institut Naropa (devenu l’université
Naropa), ce qui a redonné un certain équilibre à ma vie. À Boulder, Trungpa
Rinpoché m’a conféré l’initiation pour la Vajravarahi, un mandala de dakini
avec, en son centre, une représentation de la dakini Padma. Cela a marqué
une étape importante dans ma relation avec les dakinis, car, pour la
première fois, je méditais sur un mandala de dakini et m’identifiais à
l’énergie des dakinis. Ce n’est qu’en m’engageant dans cette pratique et en
faisant quotidiennement une heure de méditation profonde que j’ai pu
ressentir la puissance des dakinis et m’identifier à elles. Cette expérience
transformatrice m’a permis d’accéder à un puissant archétype du féminin
auquel j’aspirais depuis longtemps. La force et l’énergie de la dakini m’ont
régénérée à un moment de ma vie où, avec les couches, les boires nocturnes
et le chaos quotidien, j’avais très peu de temps à moi. Même si Sherab et
Aloka perturbaient souvent ma pratique en s’agrippant à moi et en
s’emparant des objets de mon autel, je pouvais me concentrer suffisamment
sur le mandala pour en ressentir les mérites et les bienfaits.
5
Le principe de la dakini

Les Matrones étaient les gardiennes consciencieuses du mystère,


tout comme la couche de conscience matriarcale qui s’éveille
présentement renferme un trésor – un trésor de secrets bien
gardés, un réservoir de semences psychiques: un carquois, un
arc, un chaudron, un fuseau, une cuiller, des masques, des
miroirs, des couronnes de fil. […] Si le lien féminin qui nous relie
au passé est retrouvé, le vieil homme sage, le Patriarche à bout
de tout, pourra se retirer, nous laissant seules face au futur.
Nor Hall

À l’âge de onze ans, le dernier jour de l’année scolaire, j’ai couru jusqu’à la
maison et, me sentant à la fois coupable et libre, j’ai vite ôté ma robe en en
faisant littéralement sauter les boutons. J’ai enfilé un vieux short en jean
déchiré, un t-shirt blanc et des baskets Keds bleus, puis je suis allée avec
ma sœur dans le bois derrière notre ancienne maison coloniale du New
Hampshire et nous avons joué dans le ruisseau qui gambadait sur des
pierres moussues au pied d’une pente abrupte. Le tannin des feuilles
tombées des érables colorait son eau d’un riche brun-rouge. Nous jouions à
attraper avec nos mains des meuniers noirs de cinquante centimètres que
nous rejetions à l’eau parce que nous ne voulions pas les tuer.
À notre maison de campagne située à environ 25 kilomètres, nous nous
baignions souvent nues, le soir, avec une bande de copains. Le lac
qu’alimentait une source était entouré de pins, de bouleaux, d’épinettes et
d’érables. J’aimais la caresse velouteuse de l’eau sur ma peau et les reflets
de la lune dans le miroir du lac. Ma sœur, mon amie Joanie et moi, à cru sur
nos poneys, avancions dans l’eau jusqu’à ce que les vagues ballottent nos
montures en aspergeant leur dos et nos cuisses. Nous nous agrippions en
riant aux crinières des poneys qui nageaient.
Quand de violents orages secouaient l’été, je ne restais pas dans la
vieille maison en bois, mais je courais et dansais sous la pluie et les éclairs
au grand dam de ma mère terrifiée. J’aimais manger avec mes doigts,
gruger l’os des côtelettes de porc et avaler d’un trait de grands verres de lait
dans ma hâte à retourner dehors. J’adorais gruger des os. Ma mère secouait
la tête, d’un air désespéré.
— Oh, ma chérie, sers-toi de ta fourchette, s’il te plaît! Grands dieux,
que ma fille est barbare!
Barbare, me disais-je, c’est formidable! J’imaginais des femmes à la
longue chevelure flottante qui parcouraient au galop de grandes plaines
désertes. Certains matins frais avant la rentrée des classes, j’assistais au
lever du soleil après une nuit passée à la belle étoile. Le soir, il y avait le feu
de camp, la viande grillée et plein d’os à gruger. Cette vie sauvage faisait
tellement partie de moi que je ne pouvais pas m’imaginer vivre sans elle.
Maintenant que j’étais épouse et mère de deux fillettes, la jeune barbare
si naturellement en contact avec le principe de la dakini était à des années-
lumière. Quand nous avons décidé de quitter Vashon Island pour aller
rejoindre l’entourage de Trungpa Rinpoché à Boulder, Paul et moi étions
mariés depuis trois ans. C’était merveilleux de vivre au sein d’une vaste et
dynamique collectivité avec de nombreux jeunes parents. Mais les
contraintes des premières années, notre manque d’expérience et notre
besoin respectif de croissance personnelle ont fait que nous nous sommes
séparés tout en continuant de partager la responsabilité de nos filles.
J’étais mère monoparentale depuis plusieurs années quand, en 1978, j’ai
fait la connaissance de Costanzo Allione, un cinéaste italien. Il réalisait un
film sur les poètes de la beat generation qui avaient fréquenté l’université
Naropa. Il m’a interviewée parce que j’avais enseigné la méditation à Allen
Ginsberg que j’avais connu en 1972, quand j’étais moniale; c’est Allen qui
m’a présenté Costanzo. Nous nous sommes mariés à Boulder en 1979 à
l’époque où il terminait son film, intitulé Fried Shoes Cooked Diamonds, et
peu après, nous sommes partis vivre en Italie. À l’été, je suis retombée
enceinte. Nous habitions alors une roulotte dans un camping en bord de mer
des environs de Rome, mais dès l’automne suivant nous avions emménagé
dans une villa d’été traversée de courants d’air dans les Colli Albani (monts
Albains), près de Velletri, à quelques kilomètres de la capitale.
À six mois de ma grossesse, mon ventre était aussi gros que celui d’une
femme enceinte de neuf mois. L’ultrason a révélé que j’attendais des
jumeaux. Je savais déjà que mon mari était toxicomane et qu’il me
trompait. Qui plus est, il me frappait. Ne parlant pas la langue du pays, je
me sentais très seule. En mars 1980, j’ai accouché des jumeaux Chiara et
Costanzo. Ils étaient un peu prématurés mais pesaient près de trois kilos
chacun. Je les ai allaités tous les deux en veillant sur mes autres filles tout
en composant avec la toxicomanie de mon mari, ses sautes d’humeur et sa
violence physique.
J’étais dépassée par les événements et de plus en plus anxieuse. Je ne
savais pas relier ma vie de mère et de femme occidentale à ma spiritualité
bouddhiste. Comment en étais-je arrivée là? Comment avais-je pu perdre la
jeune barbare indépendante et sauvage que j’avais été, quitter ma vie de
moniale et aboutir en Italie avec un mari violent? En défroquant, je m’étais
égarée et je m’étais perdue moi-même.
Deux mois plus tard, soit le 1er juin 1981, après une nuit de sommeil
agité, je suis entrée dans la chambre de Chiara et Costanzo. J’ai allaité
Costanzo en premier parce qu’il pleurait. Quand est venu le tour de Chiara,
elle était très silencieuse. Je l’ai prise dans mes bras; elle était rigide et
légère. J’ai compris. J’ai revu une scène de mon enfance, serrant contre moi
mon petit chaton tigré qui était allé mourir sous un buisson après s’être fait
frapper par une voiture. La bouche et le nez de Chiara étaient cyanosés là
où le sang s’était accumulé. Elle avait les yeux fermés, mais ses cheveux
soyeux et ambrés étaient intacts et elle sentait toujours aussi bon. Son petit
corps était là, mais Chiara l’avait quitté en succombant au syndrome de
mort subite du nourrisson (SMSN).
Après la mort de Chiara, j’ai vécu ni plus ni moins qu’une dégringolade.
Mon désarroi, mon deuil, ma peine étaient immenses. Secouée par des
émotions brutes, intenses, j’avais désespérément besoin d’une aide
féminine, besoin de me tourner vers des récits de femmes, des
enseignements de femmes, tout ce qui me guiderait comme une mère dans
ma vie de mère et me connecterait à ma propre expérience de femme et
d’authentique pratiquante de la voie bouddhiste. J’avais besoin des dakinis
et de leur histoire. Mais je ne savais vraiment pas à qui m’adresser. J’ai
cherché partout sans trouver de réponses.
Un jour, j’ai compris: Je dois les trouver moi-même. Je dois trouver les
dakinis et leur histoire. Il fallait que je fouille les biographies des femmes
bouddhistes du passé, y chercher un fil, une clé qui m’aiderait à percer le
mystère des dakinis et me guiderait dans ce passage. En trouvant les
dakinis, je trouverais mes modèles spirituels. Je verrais ce qu’elles ont fait,
comment elles ont réussi à fusionner la mère, l’épouse et la femme… et
intégrer leur spiritualité aux aléas du quotidien.

Environ un an plus tard, en Californie, j’étais en retraite auprès de mon


maître, Namkhai Norbu Rinpoché. Il enseignait la pratique dite du Chöd,
durant laquelle on invoque la présence d’un des grands maîtres féminins du
bouddhisme tibétain, Machik Labdrön, en la visualisant sous les traits d’une
dakini blanche de seize ans qui danse. Je m’adonnais donc à cette pratique
avec mon maître et, je ne sais trop pourquoi, il la reprenait sans cesse du
début. Cela a duré quelques heures. Puis, à un moment de la pratique où
nous invoquions Machik Labdrön, j’ai vu une forme féminine émerger de
l’obscurité.
Elle sortait d’un cimetière situé derrière elle. Elle était vieille, elle avait
de longs seins tombants qui avaient beaucoup allaité, une peau dorée et une
chevelure grise qui l’auréolait. Elle me regardait fixement comme pour
m’inviter ou me mettre au défi, en même temps que son regard était
empreint d’une immense compassion. J’étais sous le choc. Elle n’était pas
du tout la femme que j’étais censée voir. Pourtant, elle s’approchait de moi
avec sa chevelure flottante et me regardait intensément. La pratique
conclue, je suis allée trouver mon maître.
— Est-ce que Machik Labdrön se manifeste parfois sous une autre
forme?
— Oui, a-t-il répondu en me dévisageant, sans rien ajouter d’autre.
Cette nuit-là, j’ai rêvé que j’essayais de retourner à la colline de
Swayambhu, au Népal, où j’avais vécu quand j’étais jeune moniale.
J’éprouvais un irrépressible sentiment d’urgence. Il fallait que j’y retourne,
mais j’ignorais dans quel but. Je me heurtais aussi à des tas d’obstacles. Le
pays était en guerre, je naviguais entre des écueils, mais j’ai fini par arriver
à la colline. Cependant, le rêve n’a pas abouti. Je me suis réveillée sans
savoir pourquoi il était si important que j’aille là-bas.
J’ai fait le même rêve la nuit suivante; il était légèrement différent, il y
avait d’autres obstacles, mais l’urgence de retourner au stupa
Swayambhunath était tout aussi grande. La troisième nuit, le rêve est
revenu. Il est très rare qu’on fasse le même rêve plusieurs fois de suite. J’ai
fini par comprendre que c’était un message, que le rêve me disait d’aller à
Swayambhu. J’en ai parlé à mon maître.
— Est-ce que ça signifie que je devrais y aller?
Il a réfléchi quelques minutes avant de me répondre encore une fois:
«Oui.»
C’était décidé. Je partirais pour le Népal, j’irais à Swayambhu enquêter
sur les vies des grands maîtres femmes du bouddhisme. Je me rendrais à la
source, je trouverais les yoginis et les modèles dont j’avais si
désespérément besoin. Les préparatifs de ce séjour m’ont occupée pendant
plusieurs mois. Je suis partie seule, laissant mes enfants aux bons soins de
mon mari et de ses parents. Ce fut une décision difficile et chargée
d’émotion. Je n’avais jamais été séparée de mes enfants, mais un appel
profond résonnait en moi auquel je me devais de répondre
respectueusement et avec confiance.
Au Népal, j’ai gravi une à une les mêmes marches qui m’avaient
conduite à Swayambhunath en 1967. Mais nous étions en 1982 et j’avais
trois enfants. Quand je suis arrivée tout en haut, un ami très cher, Gyalwa,
que j’avais connu à ma première visite, m’a accueillie. On aurait dit qu’il
m’avait attendue. Je lui ai dit ce que j’étais venue trouver.
— Ah… les biographies des dakinis. Très bien. Reviens dans quelques
jours.
Ce que j’ai fait. Dans sa chambre au sous-sol du monastère, il y avait,
ouvert devant lui, un immense livre tibétain: la vie de Machik Labdrön,
fondatrice de la pratique du Chöd, celle qui m’était apparue sous les traits
d’une vieille dakini en Californie. J’ai plus tard tiré de cet ouvrage la
matière de mon essai, Women of Wisdom, qui relate mon histoire et offre la
traduction des biographies de six maîtres femmes tibétaines, des émanations
de grandes dakinis. Ce livre m’a mise en contact avec ces entités. L’accueil
phénoménal qu’il a reçu m’a montré qu’il répondait à un besoin réel, à un
immense désir de connaissance des grands maîtres femmes, et qu’il était
une affirmation de la nécessité du féminin sacré.
Dans ma recherche en vue de l’écriture de Women of Wisdom, je me suis
penchée de plus près sur les dakinis. Dans une section du livre intitulée
«The Dakini Principle», je dis ceci:

Certaines femmes sont considérées comme des émanations des


dakinis; on les reconnaît à divers signes. Comme la sagesse est une
partie inhérente de l’énergie – et non une chose différente – qui suit
un modèle linéaire, l’aspect éveillé pourrait échapper à tout moment
à la surveillance de l’ego, si bien que tous ont la possibilité de se
transformer sur-le-champ en bouddha ou en dakini. Le jeu
claustrophobe du dualisme pourrait présenter quelques brèches par
lesquelles passeraient la lumière et sa clarté. Par conséquent, même
une femme ou une situation ordinaire, non éveillée, pourrait se
manifester soudainement sous la forme d’une dakini. Le monde
n’est pas aussi solide que nous le pensons. Plus nous en accepterons
les brèches, plus la sagesse pourra percer l’obscurité et plus nous
pourrons faire l’expérience de l’énergie des dakinis. La méditation
est la solution privilégiée pour relâcher l’emprise de l’ego. Les
mantras et les visualisations tantriques sont conçus pour libérer
l’énergie de la sagesse que suffoquent les fantasmes solidifiés de la
fixation dualiste31.
CONTEXTE HISTORIQUE DE LA DAKINI
La rédaction de Women of Wisdom m’a amenée à faire des recherches sur la
présence du féminin dans le bouddhisme. J’ai découvert que, pendant le
premier millénaire de son histoire, le bouddhisme comptait très peu de
représentations du féminin sacré même si des femmes faisaient partie du
sangha (la communauté): les moniales, les adeptes laïques, l’épouse du
Bouddha et la belle-mère qui l’avait élevé bénéficiaient d’un statut
relativement élevé. Il n’y avait toutefois pas de Bouddha femmes, aucun
principe féminin et certainement pas de dakinis. Il faut attendre que des
enseignements traditionnels du bouddhisme mahayana conjugués au
tantrisme émerge le bouddhisme vajrayana, ou bouddhisme tantrique, pour
que le féminin commence à faire surface et occupe une place
prépondérante.
Avant d’aller plus loin, je tiens à faire ici une distinction entre le néo-
tantrisme (ou néo-tantra) et le bouddhisme tantrique traditionnel. De nos
jours, le mot «tantra» évoque dans l’esprit de la moyenne des gens le néo-
tantra qui, en Occident, se veut une forme de «sexualité sacrée», un dérivé
de la tradition tantrique bouddhiste et hindouiste, mais qui s’en éloigne
complètement. Le néo-tantra propose une vision de la sexualité aux
antipodes de l’attitude répressive voulant que la sexualité soit non
spirituelle et profane.
Le bouddhisme tantrique, aussi appelé bouddhisme vajrayana (ou
véhicule du diamant), est infiniment plus complexe que le néo-tantra et
s’ancre dans la méditation, le yoga des divinités, les mandalas et le yoga
dont la pratique implique indispensablement une transmission de maître à
disciple. J’emploie indifféremment tout au long de ce livre les mots
tantrisme et vajrayana. Le tantrisme se sert de la visualisation créative, du
son et des positions des mains (mudras) pour solliciter et engager
intégralement l’être dans la méditation. Dans le bouddhisme tantrique, la
métaphore de l’union sexuelle représente l’union supérieure de la sagesse et
des moyens habiles. Bien que le bouddhisme tantrique fasse appel à
certaines pratiques sexuelles en tant que méthodes spirituelles, il est avant
tout un antique cheminement spirituel très riche et complexe, tandis que le
néo-tantra puise son inspiration dans l’énergie sexuelle du tantrisme
traditionnel en lui ajoutant cependant des pratiques qui s’en écartent
radicalement. Dans ce livre, quand je parle de tantrisme ou de vajrayana, je
ne fais pas référence au néo-tantra, mais au bouddhisme tantrique
traditionnel.

Le bouddhisme tantrique, ou vajrayana, qui a vu le jour sous la dynastie


indienne Pala ayant régné sur l’Inde du VIIIe au XIe siècle, est une forme
tardive du bouddhisme, puisque celui-ci existait déjà depuis plus de mille
ans. L’union du bouddhisme et du tantra représente à bien des égards la
pierre angulaire de la période Pala.
Bien que l’origine historique du bouddhisme tantrique reste un sujet de
discussion parmi les spécialistes, il semble avoir des racines préaryennes
très anciennes présentes dans les écoles shaktistes et shivaïtes et le
bouddhisme mahayana. En dépit de ces débats, les Tibétains affirment que
le Bouddha pratiquait et enseignait le tantrisme. Au VIIIe siècle, au début
de la dynastie Pala, les moines bouddhistes existaient déjà depuis plus de
mille ans. Ils avaient acquis une grande finesse intellectuelle, développé
diverses écoles de philosophie, des universités bouddhistes et une culture
liée au bouddhisme très forte et très vibrante. Mais les moines s’étaient
aussi mêlés de politique, ils avaient acquis des terres et du bétail, accepté
des bijoux et d’autres somptuosités de leurs riches bienfaiteurs. Ils s’étaient
en outre éloignés de la collectivité profane en menant une vie élitiste,
intellectuelle et exclusive.
La révolution tantrique – car il s’est bien agi d’une révolution, d’une
transformation profonde – s’est déroulée dans ce contexte. La réunion des
enseignements du tantra et du bouddhisme a suscité l’arrivée de la
collectivité profane, des gens de toutes les couches de la société, nobles ou
travailleurs, pères et mères de famille, bijoutiers, fermiers, boutiquiers,
membres de la royauté, cordonniers, forgerons, bûcherons, et ainsi de suite.
Ils n’étaient pas moines et ne vivaient pas à l’écart du monde; leurs
pratiques spirituelles reflétaient leur mode de vie. Beaucoup de récits
anciens relatent l’histoire des siddhas, ces gens qui, en faisant une pratique
spirituelle de leur vie ordinaire, ont atteint l’Éveil.
Des relations de la vie de quelques pratiquantes et enseignantes des
débuts du bouddhisme tantrique existent aussi. On assiste à une éclosion de
femmes gourous, à la présence de Bouddha femmes et, bien entendu, à celle
des dakinis. Dans un grand nombre de ces récits, ces femmes ont prodigué
aux moines intellectuels un enseignement très direct et croustillant en
fusionnant la spiritualité et la sexualité. Elles exploitaient la sensualité au
lieu d’y renoncer. Par leurs méthodes, elles sortaient les moines lettrés de
leurs monastères et les projetaient dans la rudesse de la vraie vie. C’est
pourquoi plusieurs récits tantriques mettent en scène un moine qui, dans son
université monastique, reçoit la visitation d’une femme qui le pousse à
porter sa quête par-delà les murs du monastère.
Parmi les textes du bouddhisme tantrique, il est un genre littéraire qui
vante les vertus féminines, «l’éloge ou l’adoration de la femme». On peut
lire, dans le Tantra de Chandamaharosana: «Les vertus de la femme
surpassent celles de toutes créatures. Où qu’il y ait de la tendresse ou de la
compassion, elle est dans l’âme d’une femme. Elle soutient les amis et les
inconnus. Une telle femme est aussi glorieuse que Vajrayogini32.»
Il n’y a pas de précédent à cela dans les textes bouddhistes, mais ceux
du bouddhisme tantrique exhortent les fidèles à respecter les femmes, et il y
est question des conséquences négatives liées au défaut de reconnaître leurs
qualités spirituelles. En fait, la quatorzième chute-racine tantrique, ou
transgression du vœu-racine, est l’échec à voir en toute femme une
émanation de la sagesse.
Ce qui suit est important pour nous, les femmes d’aujourd’hui, car nous
recherchons des modèles spirituels qui intègrent et autonomisent les
femmes. En effet, pour la plupart, nous ne choisissons pas la vie monastique
en dépit de nos profondes aspirations à la spiritualité. Durant la période
d’expansion du tantrisme, un mouvement destiné à abolir les obstacles à la
participation et au progrès des femmes sur la voie spirituelle proposait une
indispensable solution de remplacement aux universités monastiques et à
l’ascèse traditionnelle. Ce mouvement rassemblait des femmes de toutes les
castes: reines, princesses, parias, artisanes, vigneronnes, gardiennes de
porcs, courtisanes et femmes au foyer.
Alors qu’il leur était autrefois interdit d’enseigner aux hommes et
d’assumer le pouvoir, les femmes – dont on doutait même qu’elles puissent
atteindre l’Éveil – étaient maintenant à l’avant-garde. Elles enseignaient,
occupaient des postes de pouvoir, façonnaient et inspiraient le mouvement
révolutionnaire. Aucune barrière institutionnelle ne les empêchait d’exceller
à cette tradition. Aucune loi religieuse ou caste sacerdotale ne définissait
leur participation. Ainsi que le note Miranda Shaw dans son livre L’éveil
passionnément:

Les yogis et yoginis tantriques se réunissaient en divers sites de


pèlerinage où ils pratiquaient leur yoga intérieur et extérieur, et
organisaient des rituels complexes. Dans cet univers religieux ouvert
et peu orthodoxe, aucun obstacle formel n’empêchait les femmes de
participer. Les livres tantriques ne font état d’aucune interdiction à
la participation entière des femmes aux côtés des hommes, et il n’y
est pas dit non plus qu’elles ont assumé un rôle moteur ou exercé
leur autorité sur eux33.

On assiste parallèlement dans le mouvement bouddhiste tantrique à des


quêtes spirituelles conjointes entre hommes et femmes où l’union sexuelle
est un élément clé de l’atteinte de l’Éveil. Dans l’extrait ci-dessous du
Tantra de Chandamaharosana, Vajrayogini décrit l’hommage que devraient
lui rendre un yogi et une yogini dans leur pratique commune. Le texte
traduit une expérience érotique centrée sur la femme et racontée de son
point de vue. La narratrice de cet enseignement alterne entre la première et
la troisième personne afin de souligner le passage entre le couple de yogis
d’une expérience sexuelle personnelle à une expérience transpersonnelle.
Le couple se retire là où ils seront seuls. L’homme et la femme se
regardent dans les yeux jusqu’à unifier leur concentration. Alors elle l’attire
à elle et lui enjoint de la vénérer et de lui obéir. Elle l’embrasse, guide
ensuite sa bouche entre ses cuisses et lui indique comment il lui donnera du
plaisir:
Réfugie-toi constamment à mes pieds, cher ami…
Sois gracieux, bien-aimé et
Donne-moi du plaisir avec ton sceptre de diamant.
Regarde mon lotus à trois pétales
Son centre garni d’une étamine
C’est le paradis du Bouddha, orné du Bouddha rouge
Une mère cosmique qui confère
Félicité et tranquillité au passionné.
Renonce à toute pensée conceptuelle et
Unis-toi à ma forme allongée;
Dépose mes pieds sur tes épaules et
Regarde-moi de haut en bas.
Fais en sorte que ton sceptre entièrement éveillé
Pénètre l’ouverture au centre du lotus.
Bouge cent fois, mille fois, cent mille fois
Dans mon lotus à trois pétales
Fait de chair gonflée.
Le positionnement du sceptre à cet endroit plaît à son esprit à elle.
Le vent, le vent intérieur – mon lotus est l’insurpassable!
Stimulé par l’extrémité du sceptre diamanté,
Il est rouge comme une fleur de pentapète34.

L’homme doit se libérer de toute pensée discursive et de tout désir


sexuel, rester concentré et vénérer la femme jusqu’à ce qu’elle soit
pleinement satisfaite. Après qu’il lui aura voué ce culte de déesse, il pourra
se restaurer avec du vin et de la nourriture. Le texte, qui décrit aussi
plusieurs positions érotiques, est empreint du plaisir partagé d’une
sensualité sans scrupule. Cette offrande intime appelée l’«offrande secrète»
ou l’«adoration secrète» active les fluides sexuels de la femme qu’il boit
comme un nectar. Le mot sukra, qui désignait toujours le sperme dans les
traductions androcentriques antérieures, désigne en réalité les fluides
sexuels de la femme et de l’homme. Celui de la femme est aussi appelé
«eau de fleur» ou madhu, ce qui signifie «doux, miel, nectar ou vin35».
J’ai dit précédemment qu’en tibétain, dakini se dit khandro, c’est-à-dire
«danseuse des cieux» ou «celle qui se déplace dans l’espace», allusion à
l’énergie qui se fusionne avec la vacuité, non pas la vacuité d’une poche ou
d’une tasse vides, mais la vacuité du soi ou de l’ego. C’est l’énergie
féminine qui pénètre dans cette vacuité, qui s’y déplace, qui l’exprime. Les
dakinis sont donc devenues des messagères de la sagesse, des émanations
de la sagesse, des énergies que les pratiquants pouvaient invoquer, avec
lesquelles ils pouvaient créer des rapports positifs. Ainsi que l’écrit Miranda
Shaw:

Les termes qui désignent les tantrikas féminines sont tous des titres
honorifiques dénotant une attitude religieuse sérieuse et une pratique
méditative accomplie. Les plus importants sont: «yogini», «dakini»,
«messagère» et «héroïne». «Yogini» désigne une adepte du yoga ou
des arts rituels, un être féminin aux pouvoirs magiques ou une
divinité féminine. Il est difficile de définir avec précision le terme
«dakini», qu’on peut cependant traduire par «femme qui vole, qui
marche ou qui danse dans les cieux», soulignant ainsi les envolées
de compréhension spirituelle, d’extase et de libération des
mondanités que procure la réalisation de la vacuité. On qualifie
parfois les tantrikas féminines de messagères, car elles assurent la
réussite de toute entreprise, tant dans ce monde que dans l’au-
delà36.

Quand l’idée des dakinis du bouddhisme tantrique a émigré au Tibet au


VIIIe siècle, l’énergie du féminin était profondément ancrée dans le
principe de la dakini de sagesse et témoignait éloquemment du féminin
sacré. Le pouvoir des dakinis en tant que guides, protectrices, messagères et
soutiens de l’expérience spirituelle s’est raffermi au Tibet où la relation
avec elles est devenu un élément clé de la pratique des hommes tout autant
que de celle des femmes.
Un aspect intéressant, et pertinent pour le monde actuel, des dakinis
dites mondaines est leur protection de l’environnement, et leur courroux
quand la pollution provoque des pestilences et des maladies. Les dakinis
mondaines ne sont pas aussi éclairées que les dakinis de sagesse. Dans Les
Cent mille chants de Milarépa, Milarépa guérit un jour une dakini
mondaine souffrante qui est depuis peu une de ses disciples. L’incident a
lieu pendant sa formation. Elle confie à son maître que son malaise est dû
aux fumées polluantes des feux des villageois que, pour se venger, elle a
frappés de pestilence. Milarépa lui enjoint de tempérer son esprit de
vengeance. Après qu’elle lui a décrit les rituels qui la guériront, Milarépa
annonce aux villageois qu’une dakini locale est responsable de la pestilence
qui s’est abattue sur eux parce qu’ils l’ont offensée avec la fumée de leurs
feux. Il leur détaille les rituels et les offrandes qu’elle a demandés. Leurs
prières et leurs bénédictions enrayent bientôt la pestilence et guérissent la
dakini. Cette légende illustre les effets d’une relation réciproque entre les
dakinis et les humains37.
L’histoire de la dakini mondaine me rappelle la pollution qui provoque
de nos jours tant de cancers et de maladies respiratoires, et notre mépris
envers la planète. «Selon le principe de relation réciproque de la Loi de la
causalité, quand on se remet d’une maladie, autrui le fait aussi. Toutes les
dakinis mondaines font le serment que si l’un de nous est souffrant ou
malheureux, cela nous atteint tous. Les dévas et les esprits nous appuient en
semant le chaos dans le monde38.» La notion d’interdépendance que traduit
le segment suivant: «si l’un de nous est souffrant ou malheureux, cela nous
atteint tous» exprime on ne peut plus clairement le lien entre maladie,
climat, perturbation et environnement toxique.
La crise actuelle des changements climatiques est en réalité une crise
relationnelle. Nous vivons une relation de violence avec la vie sur Terre.
Comme les villageois dans le récit de la dakini courroucée, disciple de
Milarépa, nous subissons la vengeance des dakinis mondaines. Mais,
comme le montre également cette légende, nous pouvons aussi transformer
notre relation avec la Terre par l’entremise des dakinis. Ce faisant, nous
serons guéris.

SYMBOLES ET ORNEMENTS DES DAKINIS


Les symboles qui entourent les divinités et qu’elles tiennent dans leurs
mains sont un autre aspect important de la pratique tantrique. (Voir la
représentation des cinq dakinis de sagesse Thangka à la page 270.) Ces
symboles ont une signification particulière que le maître transmet à son
disciple. Le tantriste, ou tantrika, se concentre sur ces symboles dans sa
visualisation. Nous n’analyserons pas en détail chacun des symboles
associés au mandala de la dakini dans les méditations ci-dessous, mais
j’aimerais néanmoins que vous sachiez à quoi ils correspondent afin de les
garder en mémoire, car leur signification symbolique est un aspect très
important de la visualisation. Voici ce que j’ai écrit au sujet des dakinis dans
Women of Wisdom:

L’invocation consciente de la dakini dans la pratique tantrique nous


sensibilise à l’énergie elle-même. Lorsque nous regardons les icônes
qui la représentent, nous devons garder à l’esprit qu’en comprenant
ses symboles et en nous identifiant à elle, nous nous identifions à
notre propre énergie. Nous faisons appel aux divinités tantriques en
raison de notre condition dualiste. Le vayrayana profite de cet état
de choses ou l’amplifie en incarnant un personnage extérieur doté de
toutes les qualités auxquelles aspire le pratiquant. Quand cette
divinité extérieure a été glorifiée et vénérée, elle se dissout dans le
pratiquant. À la fin de toute sadhana vajrayana a lieu la dissolution
entière de la divinité dans l’espace. Enfin, après être resté quelque
temps dans cet état, le pratiquant ou la pratiquante se visualise une
fois de plus sous les traits d’une divinité en vaquant à ses activités
quotidiennes et dédie les mérites de sa méditation à tous les êtres
sensibles39.

Le premier symbole de la dakini, celui qui lui est le plus couramment


associé, est le couteau serpette, qui se dit trigug en tibétain et kartari en
sanscrit. C’est un couteau à lame recourbée terminée par un crochet, dont le
manche est orné de différents symboles. Inspiré des couteaux de boucher
indiens, il porte aussi le nom de «couperet». Les symboles qui garnissent le
manche sont très variés. Dans le cas des cinq dakinis, comme vous le
constaterez dans les pratiques ci-après, le couperet de chacune porte le
symbole de sa famille: une roue pour la famille Bouddha, un vajra (foudre
ou sceptre) pour la famille Vajra, une pierre précieuse pour la famille Ratna,
un lotus pour la famille Padma et, pour la famille Karma, le double vajra et
l’épée.
Le crochet qui termine la lame du couteau serpette est le «crochet de
compassion» qui tire les êtres sensibles de leur mer de souffrance. La lame
fauche l’attachement à l’ego et la dualité originelle pour atteindre
l’achèvement de la félicité. Le tranchant de la lame représente le caractère
incisif de la sagesse qui met en pièces notre aveuglement.
Ce couteau serpette est à mes yeux un puissant symbole du féminin
sage, car souvent les femmes s’agrippent trop longtemps à ce qui doit être
fauché. Nous nous accrochons, par exemple, à des relations malsaines au
lieu d’y mettre fin. La dakini le brandit dans sa main droite: elle doit
s’emparer du pouvoir et se tenir prête à frapper. La lame est incurvée
comme un croissant de lune. La dakini est associée au dixième jour suivant
la pleine lune, quand la lune à son déclin a la forme d’un croissant dans le
ciel de l’aube. Dans le calendrier tibétain, ce jour, le vingt-cinquième du
cycle lunaire, est le Jour de la dakini. Quand je sors avant le lever du soleil
ce jour-là et que mes yeux rencontrent le croissant de la lune, je songe
invariablement au couperet de la dakini.

Trigug avec manche vajra en tibétain, kartari ou «couperet recourbé» en sanscrit, un couteau serpette
en forme de croissant terminé par un crochet qui symbolise l’acte de trancher dans l’attachement au
moi afin d’atteindre la félicité suprême. Photographie de Clinton Spence.

Le deuxième symbole associé à la dakini est la coupe crânienne dont la


coupelle contient le nectar de la connaissance non dualiste. Ce symbole de
la vacuité est aussi un chaudron de transformation. Les yogis et yoginis des
siècles passés vivaient dans les charniers où les corps étaient incinérés ou
livrés aux chacals. Ils fabriquaient des huttes avec les crânes, des
instruments de musique et des ornements avec les ossements. Les calottes
crâniennes servaient de récipients pour les boissons et la nourriture. Ce sont
de puissants rappels de l’impermanence humaine. Boire ou manger dans le
crâne d’un mort évoque notre propre vulnérabilité et la mort inévitable qui
peut frapper à tout moment.
Ce symbolisme est à première vue un peu macabre, mais regarder en
face et faire un ornement de ce que nous fuyons a ceci de remarquable: la
transformation de la peur et de l’attachement refoulés. Dans la société
occidentale, la mort est souvent occultée, aseptisée, niée. La plupart du
temps, le médecin évite même de prononcer le mot «mort» devant ses
patients en phase terminale.
Le bouddhisme regarde la mort en face et accepte sa présence pour que
nous profitions au maximum de notre vie sur Terre avant de la quitter sans
aucun regret. Un des enseignements centraux du bouddhisme est que nous
allons tous mourir, mais que nous ignorons quand, comment et où. La
méditation sur l’impermanence remonte à une époque très reculée, quand le
Bouddha envoyait les moines méditer parmi les cadavres dans les charniers.
La coupe crânienne nous ramène à l’immédiateté de cette réalité. Elle
est aussi un chaudron de transformation. Le chaudron est depuis toujours
associé à la femme, à sa matrice où la vie prend forme, au sang et au lait
inhérents à son existence. La coupe crânienne contient souvent du sang,
symbole de la transformation du karma «sanguin», l’héritage karmique qui
nous a été transmis par le sang, par notre lignée génétique.

La coupe crânienne, symbole de l’impermanence, est remplie du nectar de la connaissance non


dualiste, un symbole d’impermanence et de transformation du désir. Photographie de Laura Vitale.
Dans certaines représentations, la dakini brandit son couteau serpette
au-dessus de la coupe crânienne comme si elle s’apprêtait à hacher quelque
chose. Elle coupe et hache menu nos manquements et les transforme ensuite
en nectar de la félicité, puis elle verse ce nectar dans la coupe crânienne
avant de le partager avec d’autres. Si vous assistez aujourd’hui à une
initiation traditionnelle bouddhiste, on vous invitera à boire dans une coupe
crânienne un nectar fait de vin rouge ou de whisky infusé de substances
sacrées, symboles du sang de la transformation. Boire à la coupe crânienne
signifie boire la sagesse, symbole du féminin. On vous servira aussi de la
nourriture. Cette nourriture comprend toujours de la viande, symbole du
masculin et des moyens habiles. Le vin et la viande représentent la voie
tantrique de la transformation, c’est-à-dire la consommation des cinq
poisons qu’on transforme en sagesse.
Le festin tantrique est une partie très importante de la pratique de
vajrayana, car, encore une fois, cette pratique englobe tous les sens. Il
illustre la transmutation alchimique de ce qui est considéré comme impur en
son contraire, la sublimation des notions de pur et d’impur. Les pratiques
tantriques ont été développées pour passer outre aux idées conventionnelles
de pureté qui prévalaient en Inde à cette époque, pour choquer ou rebuter,
pour invoquer les limites secrètes que nous refusons de reconnaître. Les
aliments considérés comme impurs ou interdits, tels que la viande et le vin,
étaient des éléments essentiels du festin tantrique.
Les festins étaient aussi l’occasion de réciter des poèmes improvisés sur
des réalités très enrobées de métaphores ou dont le sens était masqué par le
«langage crépusculaire» propre aux dakinis. Doha est le nom que l’on
donne à ces poésies improvisées dans ces festins élaborés où les yogis et les
yoginis assis en cercle pratiquaient la méditation mandala tout en mangeant
et en buvant. Les poèmes étaient parfois énigmatiques, comme celui-ci, créé
par une dakini appelée La femme feuille d’arbre:

Qui produit le son de l’écho?


Qui peint l’image sur le miroir?
Où sont les lunettes dans un rêve?
Nulle part –
Voilà la nature de l’esprit40 !
Partie supérieure du sceptre khatvanga, symbole du consort intérieur. Sous le vajra (en haut),
symbole du masculin, il y a trois têtes humaines: celle du haut symbolise le corps de vacuité de
l’Éveil (dharmakaya), la deuxième, le corps de félicité, le plan de l’illumination (sambhogakaya) et
la troisième, le corps d’émanation de l’Éveil (nirmanakaya). Photographie de Matthew Canella.

La doha engendre un paradoxe mental, une confusion qui évacue toute


logique et force l’esprit à choisir une autre manière de savoir. On accède ici
par le langage à la demeure mystérieuse de la dakini.
Un sceptre symbolique, le khatvanga, repose dans le creux du coude
gauche de la dakini. Il représente le «consort caché» ou «consort intérieur»,
la part masculine de la dakini. Il est surmonté d’un vajra, symbole du
phallus. Le sceptre est intéressant sur le plan de la métaphore, puisqu’il peut
être un pieu de tente, une lance protectrice ou une canne. Il confère à la
dakini son indépendance: elle a intériorisé le masculin.
Sous le vajra, il y a trois têtes humaines. La première, un crâne
desséché, symbolise le dharmakaya, le corps de vacuité de l’Éveil. La
deuxième, une tête coupée depuis quelques semaines et putréfiée, symbolise
le sambhogakaya, le corps de félicité, le plan de l’illumination. La
troisième, une tête fraîchement coupée, symbolise le nirmanakaya, le corps
d’émanation de l’Éveil, le corps physique représenté dans notre monde par
le Bouddha ou le Dalaï-Lama. L’on voit bien ici que les symboles du
trantrisme ont parfois une signification opposée à leur apparence
répugnante ou impure. Ces trois têtes, normalement repoussantes, décrivent
les trois plans spirituels, les trois kayas. Sous ces trois têtes, le double vajra,
également appelé double dorje, symbolise l’indestructibilité.
Le khatvanga comporte aussi trois châles, représentant la réunion de
mahayana, la voie de la compassion, et de vajrayana, la voie de la
transformation. Ce sceptre est donc à la fois un bâton, une lance protectrice
et un pieu. Il représente l’énergie yang impersonnelle de la dakini, sa part
masculine qui raffermit et fixe, la force des moyens habiles et de la
compassion qu’elle a intériorisée. Le khatvanga est à mes yeux un symbole
très important et puissant puisqu’il représente l’unification de la femme qui,
par sa complétude, est apte à donner et à recevoir dans une relation. Elle n’a
aucun besoin d’une part masculine extérieure à elle, puisqu’elle la porte en
elle. Elle n’est pas une Belle au Bois dormant qui attend son Prince
charmant. Elle est déjà éveillée, elle danse, elle est souveraine, elle a son
sceptre. Cette unification l’aide à fuir les relations inconditionnelles et peu
judicieuses. Son esprit peut se tourner vers l’intérieur et reposer dans la
nature ultime, dans la fusion de la sagesse et de la confusion. Quand mon
mari Dave est décédé, mon fils m’a offert un magnifique khatvanga fait sur
commande et composé de ces images, disant: «Maman, tu sauras ainsi que
Dave est toujours à tes côtés.»
La danse est un autre aspect des dakinis. Les mouvements de leur corps
sont l’expression de leur bouddhéité. Toutes les activités sont une
expression du cheminement vers l’Éveil. La danse traduit aussi l’extase
intérieure. La dakini soulève la jambe droite et tend la gauche. La jambe
levée représente la vérité absolue, tandis que la jambe posée au sol
représente la vérité relative, la vérité du monde, la vérité conventionnelle.
Elle est nue. Que signifie cette nudité? La conscience pure, la vérité
brute, dénuée de tout mensonge. Elle se tient sur un cadavre pour montrer
qu’elle a surmonté son attachement à l’ego. C’est aussi un rappel des
charniers.
La dakini est coiffée d’une couronne de cinq crânes. Cela signifie que,
même si chaque dakini est l’émanation d’une des cinq sagesses, elle les
englobe toutes. Pour finir, la dakini porte des bijoux faits d’ossements
recueillis dans les charniers et sculptés: des bracelets de cheville, une
ceinture en forme de tablier autour de la taille, des colliers, des ornements
de bras et des bracelets. Chacun de ces bijoux a sa signification propre,
mais les ossements sont là pour évoquer le renoncement et l’impermanence.
La dakini transcende les idées courantes en faisant un ornement de la peur
de la mort. Pour nous, un bijou est un bel objet en argent ou en or, mais la
dakini a créé un ornement à partir d’une chose repoussante. Il s’agit de
transformer les schémas obscurs en sagesse, de faire un bel objet de ce qui
nous effraie.

L’ÉNERGIE FÉMININE DE LA DAKINI


Quand j’ai découvert les dakinis et le Mandala des cinq dakinis, je
commençais une pratique de méditation que m’avait transmise Sapchu
Rinpoché, le lama du monastère de Swayambhu Kaguy auprès de qui
j’avais étudié après mon ordination. Cette méditation portait sur Vajrayogini
et son entourage de quatre dakinis qui représentent les quatre directions du
mandala.
Je n’avais entendu parler des dakinis que quelques fois et de façon
hâtive; j’ai donc demandé à Sapchu Rinpoché: «Qu’est-ce qu’une dakini?»
— Il y a plusieurs types de dakinis, a-t-il répondu; les dakinis
mondaines ou humaines, et les dakinis de sagesse. Les dakinis de sagesse
sont égales aux bouddhas. Les dakinis mondaines ont des aspects éveillés
mais aussi des aspects terre à terre. Elles sont parfois des messagères,
parfois des guides, parfois des protectrices. La pratique dakini consiste à
trouver une façon d’accéder à l’énergie unique et puissante de la dakini de
sagesse.
— Quel genre de messagère est la dakini? ai-je demandé.
— La dakini, a répondu Sapchu Rinpoché après un temps de réflexion,
est une messagère de la vacuité; elle se manifeste aussi en rêve pour guider
le méditant; elle apparaît aussi parfois dans la vie sous les traits d’une
femme possédant certains attributs de la sagesse et des marques sur son
corps, par exemple, un grain de beauté au visage. La dakini est une force de
la vérité. Elle fauche ce à quoi l’on s’agrippe; elle révèle ce que l’on croit
cacher.
Quand j’ai commencé à méditer le mandala de la dakini, j’ai senti naître
en moi une force que je ne m’étais jamais permis de ressentir. La notion
d’une divinité féminine à la fois éclairée, brute, dansante et indomptable
était tout à fait inédite pour moi et me touchait profondément. Je ne pouvais
pas exprimer l’effet qu’elle avait sur moi, mais c’était quelque chose de
nouveau et d’une grande portée.

J’ai choisi, dans ce livre, de faire appel aux féroces dakinis, aux danseuses
qui incarnent et activent la formidable énergie transformatrice du féminin. Il
faut bien admettre, quand on y songe, qu’une telle représentation de l’Éveil
spirituel est absente de notre monde. Nous avons la Sainte Vierge, une
femme paisible et inoffensive, mais rares sont les reflets d’une divinité
féminine active, féroce, libre et indomptée. En activant en nous le pouvoir
de la dakini, nous nous dotons d’une ressource intérieure qu’il ne faut pas
sous-estimer. En fait, en nous emparant ainsi d’un aspect de notre
psychisme qui avait été relégué dans l’inconscient, de ce féminin féroce et
puissant que nous avions réprimé, nous révélons son énergie et nous
explorons sa puissance d’Éveil.
Les dakinis nous aident à surmonter les blocages qui surviennent dans
les épreuves de la vie. Elles nous guident quand nous sommes entravés,
dans les transitions déroutantes, face aux obstacles que nous ne savons pas
comment surmonter ou contourner. Quand nous sommes dans une impasse,
les dakinis se manifestent pour nous montrer la voie à suivre et nous
incitent à aller de l’avant. Il leur faut parfois nous pousser avec force à agir;
c’est alors qu’apparaît la dakini courroucée.
Les dakinis se manifestent souvent à l’aube, en rêve, ou dans les
cimetières au point du jour ou au crépuscule. Les cimetières sont un
puissant symbole des espaces liminaux, des entre-deux-mondes, de l’heure
crépusculaire. C’est la raison pour laquelle le langage équivoque des
dakinis est appelé «langage crépusculaire». Ainsi que je l’écris dans
Wisdom of Women: «Le crépuscule est l’espace entre veille et sommeil,
entre conscient et inconscient. Dans ce moment de passage une brèche peut
s’ouvrir, une fissure dans le mur de la structure protectrice de l’ego qui
laisse entrer un important message de l’au-delà. À l’aube, bien que libérés
de la lourde chape du sommeil, nous nous soustrayons encore à l’emprise
contraignante du conscient. La dakini est souvent présente dans ces
moments transitoires, quand nous sommes réceptifs à son langage
“crépusculaire”41.»
La mère de Machik Labdrön a fait un merveilleux rêve d’aube au
moment de la conception de sa fille, née en 1055 et devenue l’un des plus
grands maîtres femmes de la tradition tibétaine. Dans son rêve, quatre
dakinis blanches apparaissent autour d’elle en portant quatre vases blancs
également. Elles versent en elle par le sommet de sa tête l’eau des vases qui
se répand dans tout son corps et la purifie. D’autres dakinis de différentes
couleurs s’approchent et lui disent: «Honore la mère, porte-toi bien, notre
mère à venir42.»
En s’éveillant de son rêve, la mère de Machik éprouvait dans son corps
un sentiment de félicité. Elle n’avait aucune douleur et sentait que sa vie
n’était plus la même. Elle a su peu après qu’elle était enceinte. Voilà un
exemple d’un rêve très important. Nos rêves ne sont sans doute pas aussi
spectaculaires, mais ils montrent parfois un obstacle qu’on surmonte pour
signifier une transition.
Une autre importante caractéristique de l’énergie féminine de la dakini,
dont j’ai déjà parlé, est sa transgression des notions de pur et d’impur, de
propre et de sale, de ce qui est permis et ce qui est interdit. Elle fait éclater
ces structures traditionnelles pour embrasser en les sacralisant toutes les
expressions de la vie. Les tout premiers récits du bouddhisme tantrique
regorgent de situations où les gens sont mis en face d’une chose considérée
comme impure. Puis, survient une dakini qui corrige la situation en disant:
«Si tu estimes que ceci est pur ou impur, tu n’as de toute évidence rien
compris.»
On raconte qu’avant de devenir bouddhiste, le moine Abhayakaragupta,
un grand érudit hindou, a ouvert la porte de chez lui à une femme d’une
basse caste. La femme lui ayant dit vouloir une relation sexuelle avec lui, il
répond, horrifié, qu’il ne peut pas la toucher, encore moins avoir une
relation sexuelle avec elle, sans en être avili. Il la chasse, terrifié que
quelqu’un l’ait vu lui parler et lui reproche d’avoir été en contact avec une
intouchable. Avant de partir, elle lui enjoint de se rendre à un endroit précis
pour y être initié au bouddhisme tantrique. Il n’en fait rien.
Plus tard, après qu’il est devenu moine bouddhiste, une jeune fille vient
à lui et lui offre de la viande crue. Il en est dégoûté et la refuse. Quelque
temps plus tard, pendant sa formation tantrique, il fait une troisième
rencontre. L’assistante de son gourou, qui d’habitude apporte l’eau à sa
chambre, lui propose cette fois un festin tantrique. Quand il décline, elle lui
donne une seconde chance: elle le somme d’accepter. Il ne la reconnaît
toujours pas et refuse de lui obéir. Alors elle le fustige. Puisqu’il a échoué
trois fois à reconnaître Vajrayogini, il ne connaîtra pas l’Éveil durant sa vie
présente.
La dakini de sagesse Vajrayogini lui a dépêché par trois fois ses
émanations que, prisonnier de sa notion du pur et de l’impur, il n’a pas su
reconnaître. Par cette épreuve, elle a remis en question ses idées préconçues
et les préjugés qui l’empêchaient de voir les dakinis, mais il a échoué. Il
vénérait le féminin divin dans ses méditations mais lui était aveugle et ne
l’honorait pas dans ses manifestations humaines.
Cette histoire remonte à l’Antiquité de l’Inde, mais elle est très proche
de nos vies présentes. Nous sommes toujours confrontés à des situations ou
à des choses qui nous plaisent ou nous déplaisent. Nous aimons ou
détestons certains aliments, certains lieux, certaines personnes. Nous
pensons que ceci ou cela est pur ou impur, propre ou sale. Ce sont ces
croyances duellistes auxquelles les dakinis mettent fin, même les règles d’or
de la chasteté et du végétarisme des moines. Elles révèlent et accueillent
toute manifestation comme une seule et même chose, égale à toutes les
autres.
En approfondissant ma pratique du bouddhisme tibétain, j’ai compris
que les dakinis sont les énergies féminines indomptées – les énergies
spirituelles et érotiques, ravies et sages, espiègles et graves, féroces et
inoffensives – hors de portée du mental conceptuel, et qu’il y a place dans
nos vies pour toutes les manifestations du féminin dans sa totalité.
6
Éveil et émanation

En tant qu’espace sanctifié et psychiquement clos dans lequel


l’Éveil se dévoile, le mandala renvoie également à la vulve de
l’épouse ou à la goutte de fluide sexuel à la pointe du phallus de
l’époux. Ces mandalas corporels sont également des sites de
pratique rituelle, car ce sont des endroits à partir desquels on
peut traverser les étapes d’éclaircissement, le seuil de la
bouddhéité.
Miranda Shaw

Mon amie Jetsunma Tenzin Palmo, une Anglaise ordonnée moniale


bouddhiste tibétaine quelques années avant moi, a étudié auprès du grand
lama Khamtrul Rinpoché qui veillait sur les réfugiés tibétains de Tashi
Jong, dans la vallée de Kangra, non loin de Dharamsala, la terre d’accueil
du Dalaï-Lama. Nous nous étions connues en 1972 quand j’étais moniale et
que je participais au festival annuel de danses sacrées des lamas à Tashi
Jong. Elle s’est ensuite retirée dans une grotte du district de Lahaul, dans
l’Himalaya indien, également connue sous son nom tibétain de Garsha
Khandroling, ou Pays des dakinis. Elle y a vécu en ermite pendant douze
ans.
Garsha Khandroling était un lieu de pèlerinage pour bon nombre de
Tibétains, un endroit béni comportant des montagnes dédiées aux divinités
bouddhistes Vajrayogini et Chakrasamvara et d’autres lieux saints. On dit
que dans certaines régions de l’Himalaya, l’énergie des dakinis imprègne
densément les habitants qui y vivent et les dimensions spirituelles du lieu.
Lahaul est l’une de ces régions.
Femmes lahauli en costume traditionnel.
Photographie d’Anil Yadav.

Les dakinis ont aidé Tenzin Palmo quand elle cherchait un endroit où se
retirer. Son récit montre avec éloquence comment les dakinis nous servent
parfois de guides. Il avait été consigné pour être inclus dans le livre intitulé
Un ermitage dans la neige, la relation que donne Vicki Mackenzie de ses
douze années passées dans une grotte. Au Lahaul, Tenzin Palmo a d’abord
vécu dans une hutte voisine de celles des autres moniales à proximité de la
ville, mais le bruit n’était pas propice à la méditation profonde à laquelle
elle aspirait.
«Au bout de six ans, elle en a eu assez, écrit Vicki Mackenzie. “J’étais
allée au Lahaul pour méditer, pas pour mener une vie sociale débridée! Il
fallait que je parte, que je trouve un endroit plus calme. Je suis allée au-delà
du monastère en quête d’un lieu où je pourrais construire une petite
maison.” Dans la montagne, elle a invoqué le secours des dakinis, ces
entités éthérées du bouddhisme connues pour leur sauvagerie, leur pouvoir
et leur empressement à venir en aide aux pratiquants. Depuis toujours
intimement liée aux dakinis, elle s’est adressée à elles à sa manière
inimitable: “Écoutez, si vous me trouvez un ermitage convenable, je
promets d’essayer d’être constante dans ma pratique. J’étais très optimiste,
très heureuse. J’étais certaine que j’aurais ma réponse43.”»
En consultant une des moniales, Tenzin Palmo a compris qu’il lui serait
difficile de trouver l’argent et les matériaux nécessaires à la construction de
sa petite maison. La moniale lui a suggéré d’essayer plutôt de trouver une
grotte. Elle avait ouï dire qu’il y en avait une dans les hauteurs, non loin
d’une source d’eau potable. Le lendemain, accompagnée de quelques
personnes dont le lama qui dirigeait le monastère, Tenzin Palmo s’est mise
en chasse de la grotte dont la moniale avait entendu parler.
Se laissant guider par son intuition, elle a trouvé un rocher en saillie
terminé par une corniche qui donnait tout en bas sur la rivière Bhaga et sa
vallée. Non loin, une source jaillissait du roc à quelque 4000 mètres au-
dessus du niveau de la mer. Juste en face, au sommet de la montagne, il y
avait la Dame de Keylong, une formation rocheuse évoquant une femme
qui serre un bébé sur son sein: Tara noire pour les Lahaulis, Vierge noire
pour les Occidentaux. Un lieu sacré non loin de la grotte était dédié à la
puissante protectrice bouddhiste Palden Lhamo que la tradition dépeint
toujours montée sur une mule. Plusieurs années après, Tenzin Palmo y a vu
des empreintes de mule dans la neige, mais aucune trace de pas allant vers
ce lieu sacré ou s’en éloignant.
Les dakinis lui avaient indiqué un lieu imprégné du féminin sacré. Elle
y est restée douze ans. Elle a aussi failli y laisser sa vie: une année, la neige
avait bloqué la porte de sa grotte, mais à force de persévérance, elle était
parvenue à l’ouvrir. Plus tard, elle a fondé Dongyu Gatsal Ling, un
monastère pour femmes dans la vallée de Kangra où elle a guidé des
femmes de l’Himalaya dans la tradition yogini de son maître, Khamtrul
Rinpoché.
Jetsunma Tenzin Palmo, que les dakinis ont guidée vers la grotte où elle a passé douze ans.
Photographie d’Olivier Adam.

Voici comment Tenzin Palmo décrit les dakinis: «À mes yeux, la qualité
féminine particulière (que, bien sûr, de nombreux hommes possèdent aussi)
est avant tout la vivacité d’esprit, l’acuité. […] Le principe de la dakini
traduit la force intuitive. Les femmes comprennent sur-le-champ. En
général, elles ne s’intéressent pas aux discussions intellectuelles, qui leur
semblent froides, arides et de peu d’attrait44.»
Quand on m’a posé la même question pour les besoins du livre de
Michaela Haas, Dakini Power, j’ai répondu que «les dakinis sont l’élément
le plus important du féminin éclairé dans le bouddhisme tibétain. […] Elles
sont des énergies spirituelles lumineuses et subtiles, clés, portières et
gardiennes de l’état inconditionné. Si nous n’invitons pas les dakinis dans
notre existence, nous ne pouvons pas pénétrer les états subtils de l’esprit.
Les dakinis se présentent parfois comme des messagères, parfois comme
des guides ou des protectrices. […] Elles sont espiègles, elles expriment la
vacuité et nous coupent l’herbe sous le pied. Ce sens très féminin de la
séduction et du jeu suscite à la fois en nous l’insécurité et la réceptivité45.»
Une des premières histoires que j’ai lues quand, âgée de dix-neuf ans,
j’étudiais le bouddhisme tibétain a été celle d’une vieille harpie de dakini
qui avait sabordé le grand érudit Naropa (1016-1100), un maître indien du
tantrisme. Ce brillant intellectuel était devenu l’abbé de l’université
bouddhiste de Nalanda. Il s’était fait moine après que son mariage eut été
dissous sous prétexte que son épouse avait des défauts.
Un jour qu’assis dehors, dos tourné au soleil, il étudiait des ouvrages de
grammaire, d’épistémologie et de logique, une ombre repoussante a
obscurci son livre. Il a levé les yeux sur une vieille harpie. De par sa
formation en logique, il a sur-le-champ relevé sur elle trente-sept
caractéristiques de la laideur.
La dakini lui a demandé s’il comprenait ce qu’il lisait. Il a répondu oui.
Elle lui a alors posé cette question clé: «Que comprends-tu, les mots ou la
signification?» Il a dit qu’il comprenait les mots. Elle s’est mise à danser en
brandissant son bâton dans les airs.
Voyant cela, Naropa a voulu qu’elle soit encore plus heureuse. Il a dit:
«J’en comprends aussi la signification.» Aussitôt, elle a fondu en larmes et
a jeté son bâton.
Quand Naropa lui a demandé pourquoi elle pleurait, elle a répondu:
«J’ai été heureuse que tu aies dit la vérité en répondant que tu comprenais
les mots, et triste que tu dises que tu en comprenais aussi la signification,
car tu as menti!»
Il lui a demandé: «Qui en comprend la signification?»
«Tilopa, mon frère», a-t-elle répondu avant de disparaître dans un arc-
en-ciel.
Chaque fois que Naropa se trompait dans sa quête de Tilopa, ce qui lui
arrivait souvent, la voix de son gourou céleste lui disait:

«Regarde dans le miroir de ton esprit,


La mystérieuse demeure de la dakini.»

J’ai toujours aimé ce passage, plusieurs fois repris pendant qu’il cherche
Tilopa. Qu’est-ce que ce «miroir de l’esprit», qui est la «mystérieuse
demeure de la dakini»? Comme il persistait à faire erreur, il a dû encore et
encore réfléchir à cette question. Par exemple, un jour qu’il était parti à la
recherche de son gourou, il vit sur son chemin un chien galeux mangé par
les asticots. Distrait par sa quête, Naropa sauta pardessus le chien, et le
chien disparut aussitôt dans un arc-en-ciel. Naropa entendit une voix lui
dire:

«Regarde dans le miroir de ton esprit,


La mystérieuse demeure de la dakini.
Sans compassion, tu ne trouveras jamais le gourou46.»

L’esprit est un miroir, car l’état premier de l’être sensible, la base de


l’être, est la conscience pure. La conscience pure est sans tache car elle est
par nature immaculée depuis le commencement sans commencement, où
tout est non né et intact – mystère qui échappe à l’esprit conceptuel. Elle ne
juge pas, ses expériences ne l’altèrent pas. Rien ne peut la souiller, bien
qu’elle puisse être obscurcie comme le soleil que cachent les nuages, mais
elle est immuable et son obscurcissement n’est que temporaire.
Quand nous pouvons accueillir la dakini intérieure et nous abandonner à
elle, à cette sagesse innée, à cet instrument de l’Éveil qui veut nous dégager
de l’emprise de l’ego, elle devient notre plus grande alliée. Elle nous offre
son soutien avec compassion, elle est notre refuge et notre mère, mais elle
ne tolère pas l’attachement à soi-même, l’auto-fixation, et elle ne se laisse
jamais berner.

Notre société en est au point où l’ombre de la vieille harpie obscurcit les


ouvrages de logique et d’épistémologie de Naropa. Cette ombre hideuse ne
représente pas seulement le féminin intérieur que nous avons emprisonné et
négligé, mais aussi la trahison de la Terre Mère.

L’ombre de la dakini sous les traits d’une vieille harpie se répand sur
nos contrées. Tandis qu’elle nous envahit et provoque des inondations, des
ouragans, des tremblements de terre et des sécheresses d’une intensité
encore jamais vue, nous sommes appelés à trouver en nous-mêmes la
mystérieuse demeure de la dakini et à remédier, à mettre fin aux émanations
toxiques qui la rendent malade, ainsi que le relate l’histoire de Milarépa et
de la dakini mondaine dont il a été question un peu plus haut. Il faut cesser
de tourner le dos aux déversements de déchets toxiques, ne plus fermer les
yeux sur les émissions de carbone qui provoquent d’année en année des
hausses de température et des conditions atmosphériques favorables aux
désastres environnementaux; il faut être conscients du fait que nous
empoisonnons nos rivières, l’air que nous respirons et notre nourriture, et
que c’est pour cela que les dakinis sont malades.
Tout comme Naropa, nous devons poursuivre notre cheminement
derrière la vieille harpie qui nous guide et continuer à commettre les erreurs
qui entravent notre progrès jusqu’à ce qu’elle devienne notre épouse, notre
bien-aimée. Nous devons d’avance accepter la souffrance et l’humiliation
où nous serons plongés quand nous prendrons conscience de l’incroyable
égocentrisme de l’humanité, quand nous verrons à quel point nous avons
détruit la beauté et le parfait équilibre de notre planète. Nous devons hisser
la vieille harpie à la place qui lui revient jusqu’à ce qu’elle devienne notre
grand-mère vénérable.
LE RÉSEAU DE DAKINIS
Après avoir divorcé de Costanzo, mon mari italien, j’ai quitté l’Italie avec
mes enfants et nous nous sommes installés dans une vieille ferme
hollandaise du hameau de Valley Cottage, en amont du fleuve Hudson, à
une cinquantaine de kilomètres de New York. Vers cette époque, j’ai revu
Terry Clifford, une amie intime du temps où j’étais moniale au début des
années 1970. Nous avions alors partagé une grotte près du mont Everest
pendant six semaines. Elle était laïque et moi, déjà moniale. Elle avait
ensuite vécu en ermite pendant que j’élevais mes trois enfants. Après sa
longue retraite, elle était revenue à New York, sa ville natale. Elle vivait à
Manhattan où elle exerçait le métier de journaliste. Elle avait aussi écrit un
livre, La médecine tibétaine bouddhique et sa psychiatrie47.
Nous nous voyions très souvent pour parler de nos expériences, de ce
que nous avions vécu au fil des ans, de ce que nous avions appris, elle dans
son ermitage, moi dans ma vie d’épouse et de mère. Le renversement de nos
rôles nous amusait. Nous nous sommes beaucoup rapprochées. Puis, le jour
de son quarante-troisième anniversaire, chez des amis de Woodstock, elle a
soudain eu une crise de convulsions. À l’hôpital, les médecins ont
diagnostiqué un cancer et, peu après, elle a su qu’il s’était généralisé.
Nous avons passé le plus de temps possible ensemble dans les mois qui
ont suivi, tout au long de ses traitements, de son déclin et de l’approche de
sa mort. Dans une de nos nombreuses conversations, elle m’a dit ce qu’elle
croyait être à l’origine de son cancer: «Il est dû à des problèmes
émotionnels non résolus. Des choses se sont passées sur le plan sexuel
pendant ma retraite qu’on m’a fait promettre de ne jamais révéler. J’ai
beaucoup souffert de ça, et le fait de ne pas pouvoir en parler a empiré la
situation. Je pense que ce sont cette souffrance et ces secrets qui m’ont
rendue malade. Même si ma pratique spirituelle m’a aidée à améliorer mon
attitude face à tout cela, la blessure affective s’est aggravée.»
Ma maison de Valley Cottage est sur la rive d’un lac dont la grève se
compose de sable mêlé d’argile. Un jour, nous prenions des poignées de ce
mélange pour nous en frotter la peau et l’exfolier avant de nous rincer au
lac. Nous étions assises dans l’eau jusqu’à la taille, à l’ombre des branches
basses des arbres, et tandis que le soleil scintillait de mille feux à la surface
de l’eau, j’ai dit:
— Je vais bientôt guider des retraites dédiées aux dakinis qui
combineront la pratique spirituelle et le travail sur les émotions. J’ai
constaté chez toi, chez moi et chez d’autres qu’en dépit de toutes nos
pratiques tibétaines, nous ne trouvons pas de solutions à certains problèmes
affectifs fondamentaux.
Je lui ai ensuite décrit les retraites.
— Nous travaillerons pendant deux jours sur chacune des familles de
bouddhas et sa transformation en sagesse, en encadrant ces pratiques de
celle du mandala de la dakini à tête de lion. Puis, le travail sur les émotions
consistera en régressions dans les cinq familles, en fabrication de masques
et en mouvements. Nous travaillerons étroitement et profondément
ensemble à transformer nos émotions.
— C’est génial, a-t-elle dit après un moment de réflexion. Si je n’étais
pas déjà si malade, je t’accompagnerais. Je t’en prie, essaie de fusionner les
enseignements avec la transformation émotionnelle. Ne permets pas que ce
qui m’arrive arrive à quelqu’un d’autre. Il faut trouver une solution. C’est
très important.

Lama Tsultrim et Terry Clifford peu après son ordination, 1970.


Terry est décédée au mois d’août 1987 et la première retraite de ce que
j’ai appelé les Dakini Retreats a eu lieu à l’automne, à Big Indian, New
York, non loin de Woodstock. Terry a été mon guide quand j’ai ensuite
entrepris de diriger des retraites dans le monde entier. Ses mots se fondaient
à ma propre expérience. Il m’a semblé que nous nous ressemblions
beaucoup, qu’en dépit de ma longue pratique du bouddhisme une part
importante de mon être résistait à la transformation. J’avais observé ce
même défaut chez des amis de longue date, eux aussi bouddhistes
pratiquants. Je désirais associer une partie des connaissances occidentales
sur la psychologie et les émotions à ce que la pratique spirituelle des
Tibétains leur avait appris sur ces questions. De là sont nées les retraites de
dakinis et le Mandala des cinq dakinis.
En 1989, à la Fondation Ojai, dans la ville éponyme en Californie, j’ai
guidé un groupe mixte d’environ trente-cinq personnes dans une retraite de
dakinis. Pendant deux semaines, nous avons consacré deux jours à chacune
des cinq familles tout en commençant et en terminant la journée par la
méditation mandala de Simhamukha, la dakini à tête de lion. Différentes
méthodes nous ont permis de percer à jour nos schémas obscurs, à
commencer par la méditation régressive, au cours de laquelle nous avons
passé en revue l’un des cinq schémas obscurs de notre vie en remontant
jusqu’à la naissance.
Par exemple, le schéma obscur de la famille Vajra est la colère. Nous
avons examiné les différentes manifestations de la colère dans notre vie,
tant celle que nous avions ressentie personnellement que celle que nous
avions subie. Nous sommes remontés jusqu’à la naissance avant de revenir
au présent. Ensuite, avec un ou une partenaire, nous avons remédié à ce
problème par la cothérapie et la fabrication d’un masque associé à cette
famille. Nous avons ainsi fabriqué et décoré des masques pour chaque
famille et, enfin, travaillé avec le mouvement. Le mouvement s’est d’abord
accordé à l’énergie de la colère pour ensuite s’accorder à son antidote de
sagesse.
Cette retraite a été très intense et productive. Nous habitions dans des
yourtes en pleine forêt et nous prenions nos repas dehors, à l’ombre des
arbres. Les réunions se tenaient dans une grande yourte en toile de neuf
mètres de diamètre où nous nous asseyions en cercle. Nous nous
réunissions aussi parfois sous un très grand chêne de Californie, dit «arbre
d’enseignement». Comme nous avions besoin de beau temps pour cette
retraite, j’ai demandé aux dakinis d’empêcher le mauvais temps. Le soleil a
brillé chaque jour sur nous, même quand il pleuvait sur les collines
environnantes.
La veille du dernier jour, j’ai vu en rêve un nuage d’une blancheur
étincelante tendu d’un horizon à l’autre comme un grand arc. À la
cérémonie de clôture du lendemain, chacun de nous a apporté les cinq
masques qu’il avait fabriqués, un pour chaque dakini. Nous les avons
enfilés les uns après les autres et nous avons bougé et dansé, inspirés par la
sagesse de chacune des familles. Il faisait un temps splendide, le ciel était
dégagé, mais soudain, un nuage a traversé le ciel comme un pont, un pont
parfaitement blanc, tendu d’un horizon à l’autre exactement comme dans
mon rêve.
Dakini des nuages: elle est apparue lors de la cérémonie de clôture de la Dakini Retreat, Ojai,
Californie, 1990.

Un autre nuage, en forme de dakini, est sorti de ce pont. La dakini était


très évidente, c’en était stupéfiant. Elle soulevait la jambe droite, tendait la
gauche et levait les bras dans sa posture de danseuse. La dakini était là, sous
nos yeux. Puis, elle s’est mise à danser. La formation nuageuse a changé,
comme si bras et jambes avaient ondulé de haut en bas. Nous étions figés
d’émerveillement, les yeux rivés sur ce spectacle. Mais dans l’état second
où nous avait laissés la retraite, cette visite de la dakini nous paraissait tout
à fait normale.
J’ai connu ce jour-là ma première expérience intense de la présence des
dakinis. Jusque-là, j’avais cru qu’elles n’étaient que des archétypes, des
symboles des vertus féminines auxquelles nous nous identifiions pendant la
méditation. Mais j’ai compris qu’elles sont réelles et qu’elles ont une
existence propre. Nos visualisations, nos créations intérieures, ce que nous
incarnons en vient à se manifester au dehors. C’est là un aspect important
du mandala de la dakini.
Le mandala de la dakini a continué pendant plusieurs années d’être au
centre de ma vie et de mes enseignements – qui se sont multipliés de 1988 à
1992 – et j’en ai fait le point de mire d’une série de Dakini Retreats que j’ai
dirigées. Je voulais créer des mandalas dakini à différents endroits du globe,
un réseau de mandalas dakini dont les chaînons interreliés envelopperaient
la Terre de leur filet protecteur.
Environ à cette époque, j’ai reçu une lettre de Miranda Shaw, alors
doctorante à Harvard. Elle avait lu le bulletin dans lequel j’exprimais mon
désir d’organiser des retraites dakini autour du monde et d’en relier les
mandalas en réseau.

Je tenais à vous dire mon étonnement à la lecture, dans votre


bulletin, de votre description d’une réalité consignée dans le
Chakrasamvara Tantra, l’un des plus anciens tantras bouddhistes. Il
y est dit que partout où le mandala de la dakini est pratiqué, il reste à
cet endroit et se relie à tous les autres endroits où le mandala de la
dakini est pratiqué. C’est le réseau des dakinis48.

Quelques années après, la thèse de doctorat de Miranda Shaw,


retravaillée et publiée sous le titre L’éveil passionnément: les femmes dans
le bouddhisme tantrique49, regroupait les vies des premières gourous du
bouddhisme vajrayana qu’elle avait traduites du texte original sanscrit.
Cette parution coïncidait avec la fin du cycle des Dakini Retreats. À la
lecture des vies et de la poésie de ces yoginis d’un passé lointain, il m’a
semblé retrouver des sœurs perdues depuis une éternité. Elles portaient des
noms incroyables: le Diamant bienheureux, la Femme feuille d’arbre, les
Ailes du souffle, la Dakini à tête de lion et Celle qui ressuscite les morts.
À l’occasion d’une retraite dakini que je guidais à Bali, j’ai vécu une
expérience déconcertante qui démontrait hors de tout doute la nécessité de
combiner la méditation et le travail sur les blocages affectifs. Arrivés à Bali
quelques jours avant la retraite, nous étions logés à Ubud, dans un petit
hôtel. Vers 3 heures du matin le jour de notre arrivée, ne pouvant fermer
l’œil, ma famille et moi étions dehors dans la véranda. Nous avons décidé
d’aller faire une promenade. Nous sommes allés en ville où ne s’entendait
que le jappement des chiens. Poursuivant notre promenade, nous nous
sommes trouvés en pleine campagne et, à l’aube, nous avons vu des gens
qui coupaient des quantités industrielles de choux-fleurs, de carottes et de
choux au beau milieu du chemin. Ils vaquaient aux préparatifs des obsèques
d’un personnage important, mère et grand-mère d’une nombreuse
progéniture. Les obsèques balinaises sont très élaborées et durent plusieurs
jours. Toujours réveillés tôt à cause du décalage horaire, nous sommes
revenus plusieurs fois au même endroit et nous nous sommes liés d’amitié
avec la famille de la défunte. Au bout du compte, on nous a invités à
assister aux obsèques.
La méditation dakini que je guidais intensément durant les Dakini
Retreats et que j’avais prévu enseigner à Bali était celle de Simhamukha, la
dakini à tête de lion. La dakini centrale de son mandala est bleue. Aux
obsèques, une Autrichienne est venue me trouver en me regardant d’un
drôle d’air.
— Pourquoi êtes-vous bleue? a-t-elle demandé.
J’ai répondu du tac au tac.
— Sans doute parce que je suis venue guider une retraite avec
Simhamukha, la dakini bleue à tête de lion.
— C’est incroyable, a-t-elle dit, bouche bée. Je suis de Vienne. Un lama
tibétain m’a conféré l’initiation pour ce mandala en Autriche. Je suis venue
à Bali trouver un endroit où je pourrais faire une retraite avec Simhamukha.
Je cherchais une maison isolée. Cette rencontre est un signe très puissant.
Puis-je participer à votre retraite?
— Oui, c’est un signe fort. Vous pouvez vous joindre à nous, mais je
vous préviens, ce ne sera pas une retraite bouddhiste traditionnelle. Nous
travaillons intensément sur les émotions en même temps que sur les cinq
sagesses du principe du mandala.
Ma réponse a semblé la perturber.
— Mon maître bouddhiste a dit que les émotions sont comme les
vagues de l’océan de l’esprit vide. Je ne vois pas l’utilité de travailler sur les
émotions. Je pense que nous devrions nous concentrer sur le mandala de
sagesse.
— D’après mon expérience, ai-je dit en la regardant droit dans les yeux,
même si c’est vrai dans l’absolu, sur le plan pratique nous devons travailler
sur les émotions pour opérer une transformation concrète.
Ingrid – c’était son nom – paraissait curieusement blindée. Elle portait
un grand collier en or qui ressemblait à un plastron de cuirasse et de lourds
bracelets, en or également, enfermaient ses poignets. Elle avait les yeux
verts, des cheveux châtain clair ondulés et elle était très bronzée. Quelque
peu hésitante, elle s’est quand même jointe à nous.
Le premier soir, nous nous sommes réunis dans un pavillon sur la plage,
un vaste espace couvert qui d’habitude abritait le restaurant de l’hôtel. Il
avait été dégagé pour nous et nous nous y sommes assis en rond. Après ce
cercle d’ouverture, nous nous sommes retirés dans nos chambres. Nous
étions logés dans deux hôtels voisins, de part et d’autre du pavillon de la
plage. Une quarantaine de personnes de nationalités diverses participaient à
la retraite, mais la majorité se composait d’Américains.
Je m’apprêtais à me coucher quand Virginia, une amie louisianaise qui
était mon assistante durant la retraite, a fait irruption dans ma chambre.
Ingrid était tombée de l’échelle en grimpant à sa chambre au deuxième
étage du cottage balinais où elle était logée.
— J’ai entendu un bruit horrible quand elle est tombée sur le béton du
patio, a dit Virginia, bouleversée. Un bruit d’éclaboussure. Elle est très mal
et elle peut à peine bouger.
Ingrid avait subi une grave commotion cérébrale. Elle vomissait en jet
et était incapable de marcher. Je voulais qu’elle soit transportée par avion en
Australie et hospitalisée au meilleur hôpital qui se puisse trouver dans un
rayon rapproché, mais elle a refusé, insistant pour poursuivre la retraite.
Elle était dans le pavillon, allongée sur un canapé en bambou, la tête sur
l’oreiller. Assise à son chevet, j’ai pris sa main entre les miennes.
— Je suis très inquiète. Vous avez fait une bien mauvaise chute et vous
n’allez pas bien du tout. Nous allons essayer quelque chose. Mais si ça ne
fonctionne pas, vous devrez être transportée à l’hôpital. Je veux pratiquer le
Chöd. C’est un rituel de guérison que j’enseigne depuis plusieurs années,
créé par Machik Labdrön. Il consiste à nourrir vos démons pour accéder aux
maladies et aux traumatismes profonds et ainsi les guérir50. Le Chöd est
chanté en tibétain; on utilise une cloche et un tambour, parfois aussi une
trompette taillée dans un fémur. C’est la seule chose qui puisse vous aider,
selon moi. Sinon, nous devrons vous hospitaliser.
Elle a accepté. J’ai mobilisé pour me seconder mes disciples les plus
expérimentés dans le Chöd. Nous nous sommes assis dans le pavillon à côté
de la plage. Nous étions cinq ou six au milieu d’une quarantaine de
personnes venues nous observer. C’était le soir; quelques lampes étaient
allumées. On entendait le bruit du ressac. Un parfum de jasmin imprégnait
l’air.
Nous avons formé un croissant autour du canapé où Ingrid était
couchée. J’ai fermé les yeux et commencé le rituel. Nous avons chanté les
mélodies anciennes que le tambour rythmait comme un battement de cœur.
Après l’introduction vient l’offrande du corps. Je me suis visualisée offrant
mon corps aux divinités pour le festin tantrique et invitant ce qui était dans
le corps d’Ingrid à le boire comme un nectar. Nous avons continué le Chöd
au son rythmé de la cloche et du tambour tout au long de la chaude nuit
balinaise. Les yeux fermés, j’ai balayé mentalement le corps d’Ingrid et vu
de longues et blanches entités remonter de la région génitale jusqu’à la
gorge et, là, sortir de son corps. On aurait dit des fantômes affamés,
épouvantables, gluants et visqueux. Ils paraissaient l’étouffer. Mais
puisqu’ils la quittaient, j’ai continué jusqu’à ce qu’ils aient tous été
rassasiés, puis nous avons clôturé le rituel.
Quand j’ai rouvert les yeux, Ingrid était assise et souriait. Celle qui, plus
tôt, ne pouvait pas bouger et encore moins s’asseoir, a joint les mains au
niveau du cœur et s’est inclinée.
Ellen, une de mes disciples de New York, avait pratiqué le rituel les
yeux ouverts.
— Elle a eu des convulsions, m’a-t-elle dit, elle se tordait. C’était
vraiment étrange et assez terrifiant. J’ai pensé vous demander d’arrêter tant
c’était violent. Mais j’ai décidé de laisser les choses suivre leur cours.
Je suis allée m’asseoir à côté d’Ingrid pour lui parler en privé.
— J’ai vu l’énergie remonter de la région génitale à la gorge; elle
semblait vous étouffer. Puis tout est sorti de votre gorge. Ç’a été long.
C’était très intense. Il faut que je vous demande si vous avez déjà subi des
violences sexuelles.
Elle m’a regardée, abasourdie, et ses beaux yeux verts se sont remplis
de larmes.
— J’ai été adoptée. Mon père adoptif a abusé de moi sexuellement. Ç’a
duré plusieurs années, mais je n’en ai jamais rien dit à personne. J’avais
peur que ma famille me chasse et que je me retrouve à la rue. Quand j’ai été
assez vieille, je suis partie étudier à l’université. Là non plus, je ne me suis
confiée à personne. Depuis ce temps, j’essaie d’oublier ce qui s’est passé et
je refoule mes émotions. Le bouddhisme m’a aidée, mais je comprends
maintenant qu’il faut que je regarde ces choses en face.
Elle pleurait à chaudes larmes. Il lui fallait évacuer tant de choses, tant
de souffrance, de colère et de chagrin refoulés, et tant de peur aussi. Nous
avons parlé quelque temps, puis elle a pu se lever et se rendre toute
ankylosée à sa nouvelle chambre, au rez-de-chaussée. Cette expérience l’a
ouverte aux possibilités que lui offrait la retraite et elle y a accompli un
travail considérable. On aurait dit qu’elle avait ouvert les vannes et laissait
libre cours à ses émotions, mais dans le contexte protecteur de la retraite.
Elle est restée jusqu’à la fin et a affronté beaucoup d’émotions réprimées. À
son retour en Autriche, elle a poursuivi la méditation du mandala de la
dakini tout en consultant une thérapeute. Elle a opéré une profonde guérison
affective et a beaucoup grandi sur le plan de la spiritualité.
TROISIÈME PARTIE

À LA RENCONTRE DES CINQ


FAMILLES ET DES DAKINIS DE
SAGESSE
7
Les cinq familles

Nous travaillons avec les cinq familles de bouddhas dans le but


d’acquérir des notions de base qui nous aideront à voir les choses
dans leur essence absolue, leur nature innée propre. Nous
pouvons nous servir de ces connaissances dans la peinture, la
poésie, les arrangements floraux, la production de films ou la
composition musicale. Elles sont également liées aux relations
humaines. Les principes qui sous-tendent les cinq familles de
bouddhas semblent régir une toute nouvelle dimension de la
perception.
Chögyam Trungpa Rinpoché

Après que le seizième Karmapa m’eut ordonnée, je suis retournée à


Swayambhunath où j’ai vécu de l’autre côté du stupa. Chaque matin,
j’effectuais la circumambulation coutumière des bouddhistes en marchant
autour du stupa dans le sens des aiguilles d’une montre. Je m’arrêtais à
chacun des autels des cinq bouddhas mâles et des cinq bouddhas femelles
en m’efforçant d’évoquer leurs vertus et leur signification. Un singe me
regardait souvent dans les yeux depuis la niche des statues tout en dégustant
les offrandes qu’y laissaient les pèlerins: minuscules bananes népalaises et
riz coloré de rouge.
Gegyen Peyjam, un brillant et dynamique lama tibétain d’environ
cinquante ans, était le maître principal du monastère sous la direction de
Sapchu Rinpoché. Connaissant très bien les plantes médicinales du Tibet, il
m’accompagnait souvent dans mes circumambulations matinales en prenant
ma main dans la sienne. C’est lui qui, par le truchement de mes doigts, m’a
initiée aux cinq familles de bouddhas: Bouddha, Vajra, Ratna, Padma et
Karma.
Il m’enseignait que le majeur représentait la famille Bouddha qui est au
centre du mandala et est associée à la transformation de l’ignorance en
sagesse transcendante. L’index symbolise la famille Vajra, l’indestructible
famille associée à la transformation de la colère en sa sagesse-miroir; elle se
trouve à l’est, soit à la partie antérieure du stupa, au haut de l’escalier à pic,
là où se trouve l’immense vajra doré (sceptre ou foudre) sur son piédestal.
L’annulaire symbolise la famille Ratna, au sud, en face de la maison
modeste en brique d’argile où j’habitais. Elle correspond à la transformation
de l’orgueil en sagesse de l’équanimité. En passant devant la statue
d’Amitabha, du côté ouest du stupa, il touchait mon pouce. Le pouce
représente la famille Padma qu’on associe à la transformation du désir en
sagesse discernante. Mon auriculaire représente la famille Karma, au nord,
et la transformation de l’envie et de la jalousie en sagesse tout-
accomplissante.
En montrant l’une après l’autre chacune des statues, Gegyen Peyjam
m’a dit que les doigts de la main droite correspondaient aux cinq bouddhas
mâles et ceux de la main gauche aux cinq bouddhas femelles. Il a ajouté
que, quand je joins les mains en prière, cela symbolise l’union des
bouddhas mâles et femelles. J’étais ravie d’apprendre que le yab yum, soit
l’union sexuelle des êtres en Éveil, était une représentation spirituelle très
importante et chargée de symbolisme. Dans le bouddhisme tibétain,
l’apogée de l’expérience spirituelle est représentée par l’union du féminin,
symbole de sagesse, et du masculin, symbole des moyens habiles. Il me
plaisait que la sexualité, considérée dans ma culture comme une activité
profane, soit ici une voie pouvant conduire à l’Éveil. Je n’avais jamais pu
accepter que le sexe soit une chose honteuse et de trouver une religion qui
le sacralise était remarquablement inspirant.
En parcourant, en compagnie de Gegyen Peyjam, les niches au toit doré
des cinq bouddhas mâles et des cinq bouddhas femelles, j’observais en
détail la couleur de leurs vêtements, la position de leurs mains, et le
mandala se gravait en moi de manière indélébile. J’ai appris que le mandala
est un système cosmologique, la vision du monde d’un regard éclairé. Il
incarne les cinq types de conscience, les cinq sagesses, les saisons, les
heures du jour, les éléments, les sens et les chakras, et il est une feuille de
route pour la transformation.
Nous avons dit dans le chapitre 2 que les mandalas tibétains sont de
trois types – extérieur, intérieur et secret – et que nous travaillerions avec le
mandala intérieur et le chemin de la transformation. On atteint l’Éveil par le
truchement du mandala intérieur, en méditant et en travaillant sur les cinq
familles de bouddhas. N’oubliez pas que dans son état originel, chaque
famille enferme un schéma obscur, autrement dit, un poison, et que cette
même énergie, quand elle a atteint l’Éveil et qu’elle s’est libérée de
l’attachement à soi, devient une source de sagesse. Chaque famille possède
aussi un certain nombre de caractéristiques: des syllabes germes, des
couleurs, des éléments, des types morphologiques, des symboles et ainsi de
suite.
Chacun de nous appartient essentiellement à une ou plusieurs des cinq
familles de bouddhas, et quelques-uns appartiennent à la fois aux cinq
familles. Nous avons aussi une famille de «fuite», celle qui nous aide à nous
extirper des situations désagréables. Très peu de gens se répartissent
également entre les cinq familles, mais nous possédons tous des éléments
de chacune. Il ne faut pas perdre de vue que ce ne sont pas des familles
distinctes, mais bien un principe unique d’où émanent cinq couleurs, soit
cinq types d’énergie. On pourrait croire que ces familles sont un autre
système de classement des personnalités, comme l’astrologie ou
l’ennéagramme, mais elles correspondent plutôt à nos différentes visions du
monde et aux rapports que nous entretenons avec nos propres énergies et
celles des autres. Ce sont les lignes directrices de la perception ou, comme
le disait Trungpa Rinpoché, des «points de repère de la perception51».
Chaque mandala est également associé à trois types de divinités: la
divinité paisible, la divinité courroucée et la divinité joyeuse. Ces divinités
ne sont pas salvatrices. Elles sont plutôt les messagères de notre vraie
nature, l’incarnation de l’énergie qui, en nous, facilite notre transformation.
Elles sont des émanations de la sagesse; c’est en nous identifiant à elles et à
ce qu’elles représentent que nous opérons la transformation. Si cela paraît
compliqué, c’est parce que nous ne sommes ni simples ni unidimensionnels.
Le bouddhisme tantrique fait appel à l’essence même de notre complexité.
En un certain sens, ces divinités sont des archétypes avec lesquels nous
nous mettons en phase dans le but d’accélérer notre transformation
spirituelle. Mais cette explication est sans doute un peu simpliste: loin du
simple rapport à un archétype, le bouddhisme tantrique consiste toujours en
une transmission, un transfert de maître à disciple. Bien évidemment, ce
livre ne peut pas opérer ce transfert. Mais il peut servir d’introduction au
principe du mandala que vous pourrez ensuite développer auprès d’un
maître ou dont vous ferez une méthode autonome que vous appliquerez à
votre propre évolution spirituelle.
Nous nous connecterons aux cinq dakinis de sagesse par le truchement
du Mandala des cinq dakinis, et les cinq familles de bouddhas seront ici
ressenties dans un aspect particulier du féminin sacré. Chacune des dakinis
de sagesse incarne les particularités d’une famille de bouddhas: on retrouve
en elle les mêmes symboles, les mêmes saisons, les mêmes types
morphologiques, les mêmes couleurs, et ainsi de suite, mais qui s’expriment
cette fois dans le féminin farouche. Parallèlement à ces caractéristiques
familiales, chacune des dakinis de sagesse est associée à un élément précis:
l’espace, l’eau, la terre, le feu et l’air. Le sol correspond au féminin
créateur; on l’appelle parfois Grande Mère, car il peut engendrer toute
chose; pourtant il (elle) n’est pas en soi (elle-même) une «chose». Les cinq
lumières qui montent de la base de l’être, mère de tous les phénomènes,
deviennent les cinq éléments.
Dans le bouddhisme tantrique, il faut garder ces symboles et leur
signification à l’esprit pendant la visualisation du mandala. La force des
significations symboliques fait naître une expérience intuitive qui échappe à
la domination du logos et qui peut, de ce fait, avoir une influence directe et
non verbale sur le psychisme pour que nous comprenions non seulement les
mots, mais aussi leur signification. Il est dit que le cheminement vers
l’Éveil du bouddhisme tantrique est très rapide, que l’on peut atteindre la
bouddhéité en l’espace d’une seule vie. En principe, c’est vrai, car on peut
dans ce but exploiter les cinq poisons au lieu d’y renoncer. Ainsi, on
transforme la colère en énergie éclairée et courroucée, l’ignorance en
énergie éclairée et paisible, et le désir en énergie éclairée et joyeuse au lieu
de nier ou de réprimer ces énergies.

PADMA
Syllabe germe: NI
Point cardinal: Ouest
Symbole: Lotus rouge
Élément: Feu
Couleur: Rouge
Schéma obscur: Besoin irrésistible, séduction compulsive, concupiscence,
nostalgie, désir
Sagesse: Sagesse discernante
Agrégat: Conception
Heure: Coucher du soleil
Saison: Printemps
Paysage: Douces collines
Forme: Triangle pointant vers le haut
Type morphologique: Parfaitement proportionné, sain et musclé, très séduisant
Sens: Ouïe

RATNA
Syllabe germe: RI
Point cardinal: Sud
Symbole: Joyau qui exauce les souhaits
Élément: Terre
Couleur: Jaune
Schéma obscur: Orgueil, insuffisance
Sagesse: Sagesse de l’équanimité
Agrégat: Sentiment
Heure: Midi
Saison: Début de l’automne
Paysage: Jungle, vallées fertiles
Forme: Carré
Type morphologique: Généreux, costaud, statuesque
Sens: Odorat et goût

BUDDHA
Syllabe germe: BAM
Point cardinal: Centre
Symbole: Roue
Élément: Espace
Couleur: Blanc
Schéma obscur: Ignorance, illusion, dépression, stupeur
Sagesse: Sagesse transcendante (Dharmadhatu)
Agrégat: Forme
Heure: Absence de temps, totalité de tout
Saison: Hiver
Paysage: Ciel blanc de l’hiver, ciel ouvert
Forme: Point, bindu
Type morphologique: Grassouillet, détendu, rondelet
Sens: Esprit

KARMA
Syllabe germe: SA
Point cardinal: Nord
Symbole: Épée
Élément: Air
Couleur: Vert
Schéma obscur: Envie, ambition, hâte
Sagesse: Sagesse tout-accomplissante
Agrégat: Volition
Heure: Minuit
Saison: Été
Paysage: Torturé, venteux
Forme: Demi-cercle
Type morphologique: Mince, menu, pressé, toujours en mouvement
Sens: Toucher
VAJRA
Syllabe germe: HA
Point cardinal: Est
Symbole: Vajra
Élément: Eau
Couleur: Bleu
Schéma obscur: Colère
Sagesse: Sagesse-miroir
Agrégat: Conscience
Heure: Aurore
Saison: Fin de l’automne
Paysage: Montagnes accidentées, rivière glaciale
Forme: Cercle
Type morphologique: Mince et musclé, soigné, traits marqués
Sens: Vue

Comme nous l’a appris l’enseignement d’«Une base unique, deux


chemins, deux résultats» au chapitre 3, s’éloigner de la base de l’être crée
une souffrance qui se perpétue. Nous tentons alors de remédier à ce
sentiment inhérent d’exclusion en étant possessif, en nous agrippant encore
plus à l’«autre». Ce processus cyclique est toujours un échec: nous voulons
remédier à un attachement dualiste en nous enfonçant encore plus dans la
dualité et en nous éloignant de la source au lieu d’y revenir et de nous unir à
la base unique de l’être. Cette solution infructueuse engendre une
insatisfaction et une anxiété chroniques, multiplie les confusions, les
besoins désordonnés et les impulsions subconscientes, nous poussant à
revivre sans cesse les mêmes circonstances, à aller d’une vie à l’autre.
Le fait de se concentrer sur le principe du mandala remédie directement
à ce problème en nous faisant prendre conscience à nouveau de l’énergie
pure et lumineuse du mandala qui émane de la base de l’être.
Heureusement, nous n’avons jamais été séparés de celle-ci: nous échouons
à reconnaître son omniprésence, un peu comme la mouche s’acharne à mort
contre une vitre quand la porte ouverte est juste à côté.

LA FAMILLE DE FUITE
Qu’est-ce que la famille de fuite? La famille de fuite dépeint la façon dont
vous vous extirpez d’une situation. La fuite peut masquer votre famille
fondamentale ou correspondre à celle-ci. Comme quelqu’un qui entre par la
grande porte mais sort par une porte dérobée, vous pouvez appartenir à une
famille mais en emprunter une autre, tirer parti d’un autre schéma obscur
pour fuir une situation. La famille de fuite est parfois insaisissable, moins
évidente que la famille primordiale ou que la ou les familles secondaires.
Voyons quelques exemples de familles de fuite:
Si votre famille de fuite est la famille Bouddha, vous vous enfermez
dans votre chambre quand vous êtes contrarié, vous ne voulez parler à
personne, vous me mangez plus, vous vous repliez sur vous-même. Ou
bien, vous remettez tout au lendemain parce que vous avez le cafard. Une
autre fuite Bouddha consisterait à ignorer la situation dont vous voulez vous
extraire ou à être désorienté.
La fuite Vajra est faite d’irritation, de rage, de colère froide ou de fureur
aveugle. Vous criez après quelqu’un ou vous rédigez un courriel acerbe.
La fuite Ratna vous porte à vous vanter ou à publier dans les médias
sociaux des photos qui vous valorisent. Vous pouvez aussi dépenser votre
argent en frivolités pour que cette cure de magasinage vous redonne un
semblant d’équilibre. La fuite Ratna pourrait aussi consister en excès de
nourriture ou de boisson.
Si votre fuite est Padma, vous misez sur la séduction ou, plus
subtilement, vous tentez de convaincre un ami de la validité de votre point
de vue. Vous recherchez la satisfaction et le sentiment de sécurité que vous
procure le fait d’envoûter quelqu’un, de l’attirer dans vos filets. La fuite
Padma, c’est aussi fuir la réalité dans la pornographie ou dans la
fréquentation compulsive des sites de rencontre.
Avec la fuite Karma, vous vous jetez dans le travail, vous travaillez tard
et vous ne vous ménagez pas de pauses. Vous faites du ménage ou vous
réorganisez la cuisine ou le bureau. L’excès de zèle engourdit le mal. Vous
besognez davantage, vous en faites toujours plus, vous avalez une autre
tasse de café jusqu’à vous distancer le plus possible de ce qui a tout
déclenché.
Vous pourriez appartenir à la famille Karma et choisir la fuite Karma.
Mais vous pourriez aussi appartenir à la famille Padma et faire une fuite
Bouddha, ou encore être Ratna et faire une fuite Vajra. Toutes les
combinaisons sont possibles. Ces fuites méritent réflexion. Que faites-vous
pour vous dérober à une situation qui vous oppresse? Pendant que nous
explorerons ces familles, efforcez-vous de vous trouver et d’identifier votre
type de fuite. Votre ou vos familles primordiales pourraient bien être tout à
fait différentes de votre famille de fuite, ou être exactement les mêmes.

ÉMANATION DES CINQ DAKINIS DE SAGESSE


Nous allons maintenant consacrer un chapitre à chacune des dakinis de
sagesse et à sa famille, et pratiquer des méditations qui vous aideront à
établir avec elles un rapport personnel. Chaque chapitre s’ouvrira sur un
portrait de la famille concernée et une description de la dakini. Nous
verrons ensuite ses schémas obscurs et leur contrepartie de sagesse.
Suivront enfin quelques méditations simples. Je vous conseille de ne pas
vous presser, de consacrer quelques jours ou une semaine à chaque famille
afin de bien capter son énergie. Il s’agit d’en arriver à incarner chacune des
dakinis de sagesse, de l’éprouver, de la voir et de ressentir sa présence en
vous et autour de vous.
Il ne faut pas perdre de vue en travaillant sur les cinq familles
qu’aucune n’est meilleure ou pire que les autres. Toutes ont
d’extraordinaires qualités. Il s’agit plutôt ici d’identifier votre propre
énergie et d’apprendre à composer avec elle. Il est parfois utile de pouvoir
identifier les familles de bouddhas chez les autres ou dans des lieux et des
circonstances spécifiques. Regardez l’organisation ou la décoration de votre
résidence ou de votre bureau. Regardez votre façon de vous vêtir. À quelle
famille correspondent-elles? Changer certains détails produit l’effet associé
à une autre famille. Supposons que vous soyez enclin au désordre et à
l’encombrement, bref, à un milieu Ratna. Vous pourriez le changer pour un
milieu Vajra ou Karma et accroître son efficacité au maximum. Vous
pourriez choisir un style d’habillement Ratna qui prédispose aux couleurs
vives et aux bijoux voyants, ou aller du côté de Padma pour une sensation
plus chaude, plus luxuriante et plus sensuelle.
Ayez un journal à portée de la main pour y noter vos impressions, vos
pensées, tout ce qui vous vient à l’esprit pendant votre exploration de
chaque famille. Voici quelques questions à envisager:

• Quelle famille résonne le plus fort en moi? Y en a-t-il plus d’une?


• Quel schéma obscur m’affecte le plus?
• Quelle famille me correspond le moins?
• Quelle famille dois-je renforcer pour apporter plus d’équilibre à ma vie?
• Quelle est ma famille de fuite?
• À quelle famille correspond ma façon de me vêtir?
• Ma maison est-elle liée à une famille spécifique?
• Quelles familles remarquez-vous chez vos êtres les plus chers?

N’oubliez pas que, s’il est ici question des schémas obscurs des cinq
familles, c’est avant tout pour que nous puissions les reconnaître en nous-
mêmes. Nous possédons des éléments de chaque famille tout en appartenant
principalement à une ou deux d’entre elles. C’est en identifiant nos schémas
obscurs que nous pourrons les transformer. Souvent, les familles auxquelles
nous pensons ne pas appartenir sont celles qui correspondent à notre part
d’ombre, les tendances cachées que nous avons reniées.
8
La dakini Bouddha: la sagesse transcendante

Les moyens authentiques pour réaliser cet esprit,


Consistent à unir la conscience et l’espace.
Quand tu les unis ainsi, les notions
Telles que réalité ou caractéristiques, réfutation ou affirmation,
se purifient d’elles-mêmes…
La Grande Explication en vers de la Prajnâpâramitâ du brahmane
Aryaveda

Même si les cinq familles sont des familles de bouddhas, la famille


Bouddha est, spécifiquement, celle qui est au cœur des cinq autres. C’est
donc sur elle que nous nous pencherons d’abord. Essayez dès le départ de
vous y situer. Vous y découvrirez sûrement plusieurs correspondances avec
votre vie présente.
La famille Bouddha est la famille fondamentale du Mandala des cinq
dakinis. Son élément étant l’espace, elle imprègne toutes les autres. Elle est
le néant d’où tout est issu et où tout retourne. Elle est le cristal antérieur au
spectre rayonnant qui émane d’elle quand le soleil la frappe, et quand les
couleurs du spectre l’ont réintégrée, elle en est encore le cristal. L’espace
est la condition préalable à tout ce qui existe; il est en soi le plan de
conscience primordial.
Dakini Bouddha: détail du thangka des cinq dakinis de sagesse, œuvre du lama Gyurme Rabgye,
2016. Acrylique et pigment minéral. Lama Tsultrim Allione.

Le symbole de la famille Bouddha est la roue du Dharma, le


Dharmachakra, dont les huit rayons symbolisent selon l’enseignement du
Bouddha le Noble Chemin Octuple de l’Éveil, également appelé Chemin du
Milieu: la vision juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, les
moyens d’existence justes, la persévérance juste, l’attention juste et la
concentration juste. L’enseignement fondamental du chemin de l’Éveil tel
que le décrit le Bouddha est représenté par le Noble Chemin Octuple, et la
roue aux huit rayons est le plus ancien symbole du message du Bouddha.
Cette roue comprend trois parties: le moyeu, les rayons et la jante. Le
moyeu représente le néant, le zéro gravide, le centre immobile de la roue,
l’œil du cyclone. C’est pourquoi le point, ou bindu, est la forme associée à
la famille Bouddha. La jante de la roue symbolise la perfection de
l’enseignement du Bouddha.

Dharmachakra: la Roue du Dharma à huit rayons, symbole de la famille Bouddha. Robert Beer, encre
sur papier.

La couleur de la famille est le blanc, mais il serait plus juste de dire


qu’elle est incolore et qu’elle renferme en puissance toutes les couleurs. On
l’associe parfois au bleu. L’espace correspond à notre conscience – la
conscience infinie n’a pas d’emplacement précis, aucune couleur, aucun
domicile fixe. Quand cet élément de l’espace est bleu, il désigne
l’immensité du ciel. Le sens de la famille Bouddha est l’esprit, c’est-à-dire
la conscience qui se saisit de tous les autres sens et les gère. On compare
souvent l’esprit au ciel, l’espace où les nuages se forment mais qu’ils ne
souillent pas. L’esprit est ce qui crée l’espace intérieur, plus spécialement
par la méditation.
Trungpa Rinpoché a défini comme suit l’espace de la famille Bouddha:
«Nous sommes en relation avec l’espace de manière fondamentale et
subconsciente. Quel que soit le nom qu’on soit autorisé à lui donner, il y a
toujours un espace infini. Cet espace infini […] contient également
d’extraordinaires étincelles de lumière, de la matière, autrement l’espace ne
serait pas l’espace: sans matière, l’espace est espace. Si vous voulez peindre
le ciel, la seule façon d’y arriver est de peindre deux petits oiseaux sur une
feuille vierge52.»
Les toiles de l’artiste du Nouveau-Mexique Georgia O’Keeffe donnent
une idée du style de peinture de la famille Bouddha. Elles sont empreintes
de simplicité dans leurs représentations en gros plan du ciel, des collines,
des ossements et des fleurs du sud-ouest des États-Unis. J’ai fait la
découverte d’une autre visionnaire, relativement méconnue, l’artiste et
mystique suédoise Hilma af Klint (26 octobre 1862 – 21 octobre 1944) dont
l’œuvre abstraite, une des premières de la période moderniste, précède celle
de Kandinsky. Sachant que ses toiles étaient trop avant-gardistes pour
l’époque, elle a légué son œuvre à son neveu en précisant que celle-ci
devait rester scellée jusqu’à vingt ans après sa mort. Mais il aura fallu
attendre quarante-deux ans avant que cet incroyable corpus ne soit exposé.
Hilma af Klint ne cherchait pas à traduire par la forme et la couleur
d’obscures formules mathématiques, mais bien à transmettre les visions de
sagesse qu’elle recevait des dimensions supérieures. Beaucoup de ses
tableaux sont en quelque sorte des mandalas, des représentations de lumière
pure et d’espace infini. Elles traduisent des concepts spirituels complexes.
Parc national de Great Sand Dunes.

L’enso, une peinture zen représentant un cercle tracé d’un seul trait
d’encre parfaitement détendu à l’aide d’un gros pinceau, est lui aussi relié à
la famille Bouddha. En calligraphie zen, le qi (ou chi), c’est-à-dire notre
force vitale, et la qualité de notre milieu de vie interviennent directement.
Pour conférer à la peinture son authenticité, il est de toute première
importance que nous soyons en accord avec notre état d’esprit et notre
milieu ambiant. Cette pratique calligraphique convient parfaitement au
développement de la sagesse de la famille Bouddha puisqu’elle met de
l’avant tant la vigilance que l’énergie de l’espace.
Enso de Bankei Yotaku, maître zen japonais du XVIIe siècle.

Lorsque je songe à l’influence de cette famille sur l’architecture, ce sont


les ruines des anciens temples grecs et leurs colonnes ouvertes sur le ciel
qui me viennent à l’esprit. L’architecture de la famille Bouddha de même
que ses paysages inspirent un sentiment de vigilance méditative, une
quiétude spontanée. Une architecture Bouddha négative serait ennuyeuse et
close comme celle des immeubles en béton gris, redondants et sans âme.
L’espace intérieur de la famille Bouddha est douillet, on s’y sent chez
soi et détendu. On veut y rester tant il est apaisant et chaleureux. Les
fenêtres sont souvent grandes et s’ouvrent sur le ciel ou de vastes
panoramas. Des éléments de douceur caractérisent cet intérieur: tapis blancs
aux motifs bleu clair, canapés blancs, une impression générale d’aisance et
de convivialité. Il n’y a pas de désordre, mais peut-être de grands bols en
porcelaine blanche où flottent des chrysanthèmes blancs. Et, pourquoi pas,
de longs chaumes de bambou surmontés d’un feuillage vaporeux dans un
haut panier cylindrique? Tous les tissus d’ameublement sont en fibres
naturelles.
Temple Segesta, ruine grecque de Sicile.

Le paysage qui cadre le plus avec cette famille est un champ de neige
sous un ciel blanc d’hiver sur lequel se démarquent les branches noires et
nues des arbres. La saison de la famille Bouddha s’exprime dans cette
absence, cette simplicité et cette spatialité hivernales. Bien que la famille
Vajra soit également associée à l’hiver, Vajra est représentée par la dureté et
la transparence de la glace, tandis que les ondulations du champ couvert de
neige correspondent à Bouddha. Les paysages Bouddha ne sont pas
uniquement des paysages d’hiver; les longues plages de sable blanc, les
dunes et les déserts en font aussi partie.
Morphologiquement parlant, la famille Bouddha est décontractée; le
visage est rond et expressif. La femme Bouddha est sensuelle sans
affectation. Ses formes sont féminines, à la Rubens, et elle ne recherche pas
un corps mince et musclé. Quand elle marche, son chemisier glisse
négligemment de son épaule et ses seins bougent librement. Elle a un petit
ventre rond. Sa tenue est du même ordre: elle aime les vêtements fluides et
les tons neutres.

BOUDDHA EST INVITÉ À UNE SOIRÉE


Imaginons que vous soyez invité à une soirée. Comment y reconnaîtrez-
vous une personne Bouddha? Votre regard s’arrête sur une femme au fond
de la pièce, bien calée dans un fauteuil moelleux, vêtue d’un très bel
ensemble décontracté, en train d’observer ce qui se passe autour d’elle. […]
Vous la reconnaissez: c’est Josephine, une psychothérapeute de cinquante
ans. Dans le schéma obscur de cette famille, elle aurait l’air déconnectée de
la réalité, dépressive ou apathique. Elle serait repliée sur elle-même et peu
encline à interagir avec les autres.
Par contre, si Josephine occupe le pôle positif et sage de la famille
Bouddha, elle est très ouverte à la communication, elle est réceptive et
paisiblement à l’écoute de ce que vous dites. Sa présence est agréable et
reposante. Avec elle, pas de bavardages inutiles. Se taire ensemble est
suffisant. Si quelqu’un lui apporte une assiette ou un verre, elle l’acceptera
volontiers, mais elle ne se donnera sans doute pas la peine d’aller se servir
elle-même ni de converser avec les autres invités à moins que ce ne soit eux
qui l’approchent.
Brian, un spécialiste de la TI, appartient à la famille Bouddha. Il n’a pas
envie d’aller à la soirée, mais y aller est plus facile que d’affronter la
réaction de sa femme s’il lui annonce qu’il n’ira pas. En arrivant, Brian
salue les autres invités sans grandes effusions et seulement s’ils le saluent
en premier. Dès que possible, il trouve un endroit à l’écart où consulter son
téléphone portable, indifférent à tout ce qui se passe autour de lui. Il attend
que sa femme soit prête à rentrer chez eux.
Brian décide de sortir sur le balcon arrière pour échapper au bruit et
regarder le ciel étoilé. Il préférerait ne pas danser, mais il n’en a pas le
choix: sa femme vient le chercher. Elle veut qu’il danse avec elle, mais il
danse seul et fait de grands mouvements fluides. Brian est une présence
silencieuse. Il a envie de partir tôt pour retrouver son espace et sa
tranquillité.

LE SCHÉMA OBSCUR: L’IGNORANCE


Le schéma obscur, ou poison, de la famille Bouddha n’est pas la spaciosité
mais la stupeur. «Ignorance» est le mot qui, par tradition, désigne cette
stupeur, ma rigpa en tibétain, soit l’«esprit obscurci». On note une certaine
apathie qui donne envie de secouer la personne et de lui dire: «Hé!
Réveille-toi!» Le type Bouddha ne prend pas d’initiatives. Cette tendance à
l’immobilisme est parfois interprétée comme de l’entêtement et une
méconnaissance de ce qui l’entoure. En raison de cette inattention, le type
Bouddha donne l’impression d’être froid. Mais il n’est pas froid, il est
plutôt distrait, prisonnier de son propre brouillard. Il n’a pas toujours
l’esprit vif et son sens de l’humour a des ratés: il ne comprend pas tout de
suite une plaisanterie. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas intelligent, mais
parce qu’il a la tête ailleurs.
Les types Bouddha attendent que les choses changent mais ne font rien
pour les changer. Une sorte de découragement engendre parfois une certaine
atonie et un peu de paresse. Il y a aussi du déni dans ce schéma: ils aspirent
à la stabilité qui les mettra à l’abri et en sûreté. Entre-temps, ils ne voient
rien et n’entendent rien, comme les tortues effrayées qui se cachent sous
leur carapace. Ils se replient entièrement sur eux-mêmes en attendant que le
danger soit passé. Les gens de la famille Bouddha ont en commun un
espace émotionnel figé. Par exemple, ils évitent les interactions avec les
autres parce qu’elles leur demandent trop d’énergie; tout ce qu’ils veulent,
c’est leur espace. Quand mes trois enfants étaient très jeunes, ils étaient très
actifs et très dynamiques. J’avais souvent besoin d’un espace à moi pour
respirer. Quand certaines situations étaient trop intenses, j’entrais dans un
état second. Mon corps était là, mais je n’étais pas présente.
Mes enfants me tiraient par la manche en disant: «La Terre appelle
maman! La Terre appelle maman!»
Ces schémas obscurs de Bouddha vont de la stupeur légère à la
dissociation et à la catatonie, en passant par la distraction et l’impossibilité
de se concentrer ou d’organiser sa pensée. Dans la méditation, une
distraction Bouddha serait, par exemple, l’absence: une personne de type
Bouddha est en méditation depuis une demi-heure quand elle se rend
compte que, tout ce temps, elle était ailleurs. Elle n’était pas activement
distraite par ses pensées, mais plutôt perdue dans une sorte de brouillard.
Son énergie est dense, quasi claustrophobique.
Il peut être très frustrant pour une personne communicative d’être en
relation avec quelqu’un du type Bouddha: elle a l’impression de naviguer
dans la brume pour le rejoindre. Mais il n’est pas aussi froid qu’il en a l’air:
il est tout simplement avare de paroles. Ce type s’efforce d’éviter les
discussions conflictuelles et préfère balayer les problèmes sous le tapis
plutôt que d’y faire face. Il aime le silence et ne ressent pas le besoin de le
remplir avec de la musique ou des bavardages. La réaction névrotique des
gens de la famille Bouddha aux couleurs vives et à l’expression radieuse de
la base de l’être est l’accablement. Ils sont submergés par toutes ces
couleurs, ces textures et ces complexités.

La dépression
Ne perdez pas de vue que l’élément de la famille Bouddha est l’espace. À
l’inverse, l’énergie de son schéma obscur est la solidification de cet espace
qui s’alourdit et se densifie. L’état dépressif du type Bouddha est en effet
très dense. Nous sommes épais, incapables de bouger. Nous n’arrivons pas
à sortir du lit. Cette solidification de l’espace nous immobilise. Un
sentiment de désincarnation, de dissociation et d’impuissance nous plonge
dans l’hébétude. Quand nous sommes déprimés, nous n’avons plus
d’énergie, nous sommes «crevés». Nous vivons un gel des émotions et nous
ne savons pas pourquoi ce nuage s’est abattu sur nous.
La dépression demande en réalité beaucoup d’énergie, beaucoup de
force. Quand Chiara, mon bébé, est décédée du SMSN à l’âge de deux
mois, j’ai fait une dépression. J’oubliais beaucoup de choses et je n’étais
plus aussi présente pour mes autres enfants.
Quelques mois après la mort de Chiara, mon mari m’a fait une
confidence concernant un collègue de travail en m’enjoignant de ne pas lui
en souffler mot. Quand cet homme, Paulo, a appelé à la maison peu après,
je lui ai répété tout ce que mon mari m’avait demandé de ne pas lui dire.
Mon mari m’avait entendue au téléphone. Il était furieux. J’étais
déroutée et je me sentais très coupable, mais l’affliction crée des trous de
mémoire et j’étais plongée dans une profonde affliction. J’étais proprement
inconsolable après la mort de ma fille, je me sentais perdue, à peine de ce
monde. Heureusement, cette dépression n’a pas duré plus d’un an. Chez
certaines personnes, la dépression est chronique et handicapante au point où
elles peuvent à peine sortir du lit.

La procrastination
L’autre schéma obscur de la famille Bouddha est la procrastination. Vous
remettez toujours tout à plus tard. «Je ferai la vaisselle tout à l’heure», mais
elle continue de s’accumuler. «Je n’ai pas le cœur à payer les comptes», en
espérant qu’ils se volatiliseront. La pile de courrier vous déprime, mais
vous préférez lui tourner le dos. Habituellement, la procrastination n’est pas
consciente. Vous ne prenez pas la décision de ne pas payer vos comptes, de
ne pas faire la vaisselle ou de négliger ce qui doit être fait. Vous oubliez de
le faire, c’est tout; ces tâches quotidiennes sont simplement au-dessus de
vos forces. Un jour, vous ouvrez les yeux ou quelqu’un vous y fait penser et
vous vous dites: Comment diable ai-je pu oublier ça? La plupart du temps,
quand nous voulons vraiment nous souvenir d’une chose, nous ne
l’oublions pas. Nous la gardons à l’esprit, sinon, elle nous échappe. Cet
aspect est associé à la famille Bouddha parce qu’il évoque la torpeur et la
tendance à fermer les yeux sur ce qui doit être exécuté.

Le déni et la dissociation
Les personnes de la famille Bouddha sont portées au déni, et le déni se
rapproche de la procrastination. La principale différence entre ces deux
schémas obscurs est que le déni suppose habituellement des habitudes ou
des dépendances, le refus de voir les dommages potentiels pourtant
évidents. Prenons l’alcoolique qui ignore ou nie son alcoolisme, par
exemple. Tout le monde s’en rend compte, mais le déni intervient pour
empêcher l’alcoolique d’admettre son problème. Il dira: «Je peux arrêter de
boire quand je veux. Mais je ne veux pas, parce que je n’ai pas de problème
d’alcool.»
Être dans le déni, c’est refuser inconsciemment de voir la réalité en
face, comme la mère qui ignore ou feint d’ignorer l’inceste dont sa fille est
victime. Aucune mère ne laisserait consciemment sa fille subir des
violences sexuelles, mais inconsciemment, par le déni, c’est ce qu’elle fait.
Elle pourrait même mettre sa fille en danger sans s’en rendre compte,
surtout si elle-même a des expériences antérieures non résolues de violence
sexuelle. La personne Bouddha risque d’être ainsi extrêmement destructrice
et provoquer des traumatismes multigénérationnels auxquels s’ajoutent
parfois l’alcoolisme ou d’autres dépendances. Une personne réellement
prise au piège de ce schéma obscur a souvent un regard vitreux.
La dissociation, ce qui se passe quand le psychisme ou l’esprit «quitte le
corps», a lieu en réaction à un stress ou un traumatisme extrêmes. Dans sa
forme la plus bénigne, la dissociation équivaut au rêve éveillé ou à
l’étourderie. On est quand même fonctionnel et personne ne se rend compte
de rien. Dans les cas plus graves, la personne sérieusement dissociée
pourrait n’avoir aucun souvenir de ce qui s’est passé pendant sa
dissociation. Il s’agit là, comme je le disais, d’une réaction Bouddha
extrême et la plupart du temps due à un traumatisme.

LA SAGESSE TRANSCENDANTE
Un matin d’hiver en 1970, alors qu’après mon ordination je vivais à
Swayambhunath près du grand stupa blanc, je me trouvais sur la terrasse en
surplomb de la vallée de Katmandou. Une fine brume matinale
l’enveloppait et, au-dessus, le ciel était d’un bleu profond. Tandis que je
regardais cette couverture blanche en bas et le bleu du ciel en haut, une
sensation d’espace m’a envahie. J’étudiais depuis quelque temps les cinq
familles de bouddhas, et j’ai pensé: Ceci est la sagesse de la famille
Bouddha, la sagesse de l’espace universel. Le paradoxe voulant que cette
immensurable vacuité soit représentée par un minuscule point, ou bindu, au
centre du mandala alors qu’elle est omniprésente ne m’a pas échappé.

Nous avons vu que le schéma obscur correspond au pôle non éclairé de


chaque famille et qu’il devient son pôle sage quand le transforment le son,
la visualisation et la méditation. Heureusement, une fois devenu sagesse le
schéma obscur ne perd rien de sa force. C’est pourquoi les bouddhistes
disent que la voie tantrique est celle qui convient le mieux aux gens très
passionnés.
Le nom sanscrit de la sagesse Bouddha est jnana dharmadhatu et peut
être traduit de plusieurs façons: «sagesse de la réalité ultime», «sagesse de
l’espace intégral», «sagesse de l’espace qui englobe tout». Mais
Dharmadhatu est un de ces mots qu’il est préférable de ne pas traduire
parce que ses nombreuses acceptions sont impossibles à résumer en un mot,
mais je vais tenter de le décortiquer. Dharma désigne toute «chose», tout
phénomène. Ce mot peut aussi désigner la «réalité» ou la «vérité». Dhatu
est «l’espace», «la dimension». On peut donc penser à l’espace qui
comprend tout, l’espace omniprésent.
Lorsqu’on parle d’espace, ou de dhatu, il est habituellement question de
l’espace intérieur du corps et de son espace extérieur. Cette étendue n’est
pas seulement du vide, mais un vide rempli d’une lumière dynamique. Mis
ensemble, les deux mots forment dharmadhatu, un synonyme pour
«l’espace infini de la totalité, l’étendue même de la réalité.» On accole à ce
mot celui de jnana qui, en sanscrit, désigne la «sagesse primordiale» ou
«sagesse sans commencement», c’est-à-dire le savoir qui va au-delà des
limites de l’esprit conditionné qui raisonne, le savoir qui était le nôtre avant
la rupture qui nous a séparés de la base de l’être. Ce n’est pas la sagesse née
de l’expérience ou de l’étude, mais la sagesse retrouvée, ou re-connue qui
nous est rendue par la méditation quand nous prenons conscience de notre
vraie nature.
De nombreux guides de méditation et de nombreux moines
appartiennent principalement à la famille Bouddha, car ils ont un penchant
naturel pour la tranquillité et la sérénité méditatives. Cela se reflète dans
leur apparence; souvent leur teint est lumineux et leur expression réjouie.
Ils ont une prédilection pour la méditation, l’ouverture d’esprit et
l’amabilité. Ils sont paisibles, ils aiment les lieux calmes et beaux. Ils sont
détendus et généreux et dégagent une grande sérénité. Le type Bouddha est
tolérant; il apprécie la simplicité et déteste se compliquer la vie. En fait, il
n’est ni minutieux ni très organisé.
La famille Bouddha a énormément de potentiel en ce sens qu’elle est la
base de tout, de tous les phénomènes et de toutes les apparences, et qu’elle
ouvre un espace au reste du mandala. Quand nous nous sommes fait une
idée de la sagesse de cette famille de bouddhas, nous comprenons mieux la
sagesse primordiale de tout le Mandala de la dakini et, par voie de
conséquence, les quatre autres familles.

CONNAÎTRE SON PROPRE VISAGE


Rang ngo she est une expression tibétaine qui veut dire «connaître son
propre visage». On la traduit souvent par «connaître sa propre nature». Je
crois cependant que la traduction littérale est plus exacte, car tout comme la
sagesse primordiale, notre visage ne nous quitte jamais, mais,
paradoxalement, nous ne le voyons pas à moins de nous regarder dans une
glace. Et bien que ce visage ne nous quitte jamais, si les miroirs n’existaient
pas nous ne pourrions connaître notre visage qu’en le touchant. C’est par la
méditation, qui est en quelque sorte un reflet puisque nous tournons notre
esprit vers l’énergie qui se déplace vers l’extérieur, que nous apprenons à
connaître notre vraie nature, notre vrai visage. Il en est question dans un
enseignement zen de Dogen Zenji (1200-1253):

Vous devez, par conséquent, mettre fin aux pratiques fondées sur la
compréhension intellectuelle, la quête du sens des mots et le
discours, et apprendre les étapes à rebours qui orientent votre
lumière vers l’intérieur afin de vous illuminer. Corps et esprit
s’estomperont d’eux-mêmes et votre visage originel se manifestera.
Si vous souhaitez atteindre l’Immanence, vous devez pratiquer
l’Immanence sans délai53.

Nous devons garder à l’esprit, pendant cette exploration des cinq


dakinis de sagesse et de leurs familles, qu’ici la vraie sagesse est celle qui
consiste à connaître notre vrai visage. La spaciosité du pôle sage de la
famille Bouddha montre clairement que le schéma obscur enferme déjà en
lui toutes ses potentialités de sagesse. En d’autres termes, si, dans votre
schéma obscur, vous connaissez des moments de stupeur, la sagesse de cette
famille consiste à être dans la même spaciosité, tout en étant présent et
conscient de ce qui se passe. Cette sagesse est celle de l’hébergement
intégral. Une inconcevable immensité – on pourrait aussi parler d’une
conscience aussi vaste que le ciel, de la sagesse de la totalité – qui, sans
discontinuer, reçoit et retient l’intégralité de nos pensées, de nos émotions,
de nos sensations et de nos expériences. La stupeur se transforme en
spaciosité.

L’HISTOIRE DE ROBERTA
Jusqu’à l’âge de onze ans, Roberta a été régulièrement agressée
sexuellement par son beau-père. Il entrait dans sa chambre la nuit et
menaçait de tuer sa mère si elle faisait du bruit ou si elle en parlait à
quelqu’un. Roberta en est venue à sortir de son corps pour ne pas être là
pendant ces épisodes. Elle allait «ailleurs» jusqu’à ce que tout soit terminé
et que son beau-père la laisse. Durant cette période, elle a été de moins en
moins présente pendant la journée et, au dire de ses instituteurs, ses
résultats scolaires étaient en chute libre parce qu’elle était toujours «dans la
lune». En réalité, elle se dissociait sans que personne s’en rende compte.
La dissociation est un mécanisme de protection du psychisme. Elle peut
découler d’un seul traumatisme ou de traumatismes en série et même
devenir irrépressible. Il suffit alors d’un déclencheur pour que la
dissociation ait lieu, parfois même à votre insu. Vous ne vous souvenez pas
de ce qui est arrivé parce que vous étiez réellement absent, vous refusiez
d’être présent dans votre corps.
Selon les enseignements de la culture tibétaine, cette dissociation
équivaut à la perte du lha, du «corps esprit». Le lha peut être perdu ou volé.
C’est un corps subtil, une énergie qui protège le corps physique et nous rend
confiants et cohérents. Si un traumatisme sépare le lha du corps physique, la
personne ne se sent pas bien, elle est mal dans sa peau. La perte du lha est
grave. Des pratiques et des rituels du bouddhisme tibétain peuvent rappeler,
renforcer et ramener dans le corps le «corps esprit» perdu ou volé.
Roberta avait perdu le lha. C’est ce que la psychologie occidentale
appelle la dissociation. Quand elle a finalement tout raconté à sa mère,
celle-ci ne l’a pas crue et Roberta n’a plus su à quel saint se vouer. Elle
avait douze ans quand sa mère s’est finalement séparée de son beau-père,
mais le mal était fait. Elle avait perdu son enfance, elle échouait dans ses
études et se méfiait de sa propre mère. À l’adolescence, en proie à la
dépression, elle s’était mise à abuser de l’alcool. À quinze ans, elle avait
fait une tentative de suicide en avalant de l’aspirine. Roberta avait à
nouveau tout raconté à sa mère venue lui rendre visite à l’hôpital et, cette
fois, cette dernière l’avait crue et lui avait demandé pardon. Elle-même dans
le déni, elle avait craint de perdre son conjoint. Roberta est entrée en
thérapie et a cessé de boire. Avec le soutien des Alcooliques Anonymes,
elle a pu rester sobre et entrer à l’université. Elle a étudié la psychologie et
poursuivi son cheminement vers la guérison.
C’est dans le cadre de sa psychothérapie que Roberta a découvert mon
livre, Nourrir ses démons, et le Mandala des cinq dakinis. Durant son
travail sur les cinq familles, la dakini Bouddha et tous les aspects de cette
famille ont acquis à ses yeux une très grande importance. Elle a compris
que les névroses et le déni de la famille Bouddha dominaient toute sa lignée
familiale et elle s’est mis en tête de mettre fin à ce cycle. Elle a aménagé
chez elle un autel dédié à la famille Bouddha: devant une image des cinq
dakinis de sagesse, sur une simple table drapée de tissu, elle a disposé des
photos d’elle enfant et une roue à huit rayons. Chaque fois qu’elle était
dépressive ou qu’elle se sentait sur le point de se dissocier, elle
accomplissait le Mandala des cinq dakinis, s’efforçait de se visualiser sous
les traits de la dakini Bouddha blanche et récitait la syllabe BAM. Ce travail
intense sur le mandala l’a aidée à rester sobre.
Grâce à la méditation, Roberta a pu ressentir l’immense sagesse de la
famille Bouddha. Elle en est venue à beaucoup aimer méditer, à apprécier le
calme et la réceptivité qui découlaient de sa pratique. Elle a participé à des
retraites pendant ses vacances et, même si des émotions liées à son enfance
faisaient encore surface, elle a entrepris son cheminement dans la sagesse
transcendante, la sagesse de la famille Bouddha. Petit à petit, ses schémas
obscurs ont fait place à des sentiments de vigilance étendue et détendue.
Elle a fracassé le schéma de déni familial et appris à stabiliser la sagesse de
la famille Bouddha. Roberta a ensuite terminé ses études supérieures et est
devenue psychothérapeute. Ayant été elle-même profondément blessée, elle
est capable d’une grande empathie envers les autres. Elle poursuit à ce jour
la pratique du Mandala des cinq dakinis.

LES MÉDITATIONS DE LA FAMILLE BOUDDHA

Neuf respirations de détente


Avant chacun des rituels ou des méditations des cinq dakinis de sagesse du
présent chapitre, faites cette brève respiration méditative:

• Fermez les yeux et essayez autant que possible de ne pas les rouvrir
avant la fin de la séance. Vous prendrez neuf respirations de détente
profondes.
• Pour les trois premières, inspirez en visualisant une partie du corps où
vous ressentez une tension physique et prenez note de son emplacement.
Retenez cette tension dans votre souffle et relâchez-la en expirant.
• Pour les trois respirations suivantes, inspirez en visualisant une partie du
corps où vous ressentez une tension émotionnelle et prenez note de son
emplacement. Encore une fois, retenez cette tension dans votre souffle
et relâchez-la en expirant.
• Pour les trois dernières respirations, inspirez en visualisant une tension
mentale ou une inquiétude en prenant note de son emplacement dans
votre corps. Puis retenez cette tension dans votre souffle et relâchez-la
en expirant.

La motivation
Avant l’une ou l’autre des méditations des cinq dakinis, soyez sincèrement
motivé à pratiquer cette méditation pour vous-même et pour tous les êtres
sensibles. Par exemple, vous pouvez dire tout bas ou à voix haute: «Un
désir sincère m’anime de méditer pour moi-même et pour tous les êtres.»
Libérez l’énergie obscure
Prenez quelques instants pour ressentir le schéma obscur de votre corps.

• Décelez l’énergie associée à la dépression, au déni, à la stupeur ou à la


distraction qui circule en vous. Par exemple, ressentez-vous une
lourdeur aux bras ou aux jambes? Un frisson de froid à l’abdomen? Une
oppression à la poitrine?
• Imprégnez-vous de cette énergie obscure. Si vous ne sentez rien en ce
moment, évoquez une occurrence, un incident ou une période de votre
vie où cette énergie obscure était présente.
• Intensifiez ce sentiment de dépression, d’isolement ou de confusion afin
de le ressentir fortement et en profondeur. Vous faites ainsi l’expérience
sensible d’un blocage affectif de la famille Bouddha.
• Articulez maintenant la syllabe germe lentement et à voix basse: BAM.
Le son se répand en vous comme si vous le dirigiez vers l’intérieur au
lieu de le projeter vers le dehors. En émettant la syllabe germe BAM,
imaginez que la lumière blanche de la spaciosité vous imprègne. Le
schéma obscur de l’ignorance devient sagesse transcendante. Accueillez
cette sagesse venue du son et de la lumière.
• Restez dans cette sagesse aussi longtemps que vous le désirez. Répétez
la syllabe germe lentement et attentivement en vous ménageant une
pause après chaque répétition, aussi souvent que vous le voulez, en
restant toujours quelque temps dans l’énergie de la sagesse à la fin.

Voici une version écourtée de cette pratique pour les moments de crise
aiguë, c’est-à-dire quand vous êtes aux prises avec une vague soudaine de
dépression, de confusion ou de stupeur après un événement inattendu et
bouleversant, ou quand, optant pour une famille Bouddha de fuite, vous
vous retirez en vous-même pour fuir ces émotions.

• Choisissez un endroit où vous ne serez pas dérangé et allongez-vous ou


asseyez-vous confortablement (si c’est impossible, vous pouvez faire
cette pratique debout).
• Prenez les neuf respirations de détente précédemment décrites.
Prononcez la syllabe germe appropriée et visualisez une lumière
correspondant à sa couleur afin de transformer l’énergie en sagesse.

Cette méditation convient à toutes les familles de bouddhas des


chapitres subséquents. Ayant trouvé dans chaque chapitre la syllabe germe
et la couleur associées à cette dakini, vous pourrez travailler sur le schéma
obscur de cette famille exactement de la même façon.

Méditation sur l’élément: l’espace


Chacune des dakinis étant associée à un élément, la méditation sur cet
élément spécifique est fort utile dans leur exploration. La dakini Bouddha
est reliée à l’espace. Cette méditation porte le nom tibétain de namkha arte,
ce qui signifie «assimilation de l’espace ou du ciel». C’est une de mes
pratiques méditatives préférées, car elle est très reposante et me procure un
profond sentiment de non-dualité. C’est aussi un excellent fondement pour
la compréhension sensible de la sagesse de l’espace omniprésent.

• Décidez de la durée de votre méditation avant de commencer. Je suggère


de quinze minutes à une heure.
• Allongez-vous sur le dos sur une plage, dans un pré ou en tout autre
endroit qui offre une vue relativement dégagée du ciel. Installez-vous
confortablement et, si désiré, appuyez la tête sur un coussin. Idéalement,
cette méditation se pratique dehors, mais si vous ne pouvez pas sortir,
choisissez une fenêtre avec vue sur le ciel. Vous pouvez aussi faire cette
pratique la nuit ou même assis si vous voyez un grand pan de ciel.
• Après les neuf respirations de détente, respirez normalement et
concentrez-vous sur le ciel en gardant les yeux ouverts. Ouvrez votre
esprit pour qu’il n’y ait pas de séparation entre vous et le ciel, pas de
distance à parcourir. Si vous êtes distrait, détendez-vous et entrez de
nouveau dans la spaciosité du ciel.
• Évitez autant que possible d’isoler des nuages ou des arbres, voire le ciel
lui-même. Quand vous remarquez que vous regardez fixement quelque
chose ou que vos yeux se fatiguent, détendez le regard et laissez votre
vue s’embrouiller. Pour vous aider, pensez à détendre les muscles au
fond de l’orbite.
• Quand vous en avez terminé, asseyez-vous et dédiez les bienfaits de
cette énergie positive à tous les êtres sensibles.

Votre méditation finie, notez ce que vous ressentez et restez conscient


de cette sensation en vaquant à vos occupations. Refaites la méditation de
l’assimilation au ciel aussi souvent que possible. Le calme de la spaciosité
deviendra concrètement vôtre.
9
La dakini Vajra: la sagesse-miroir

Les cinq pointes supérieures symbolisent les cinq bouddhas et les


cinq pointes inférieures, leurs cinq parèdres. Le centre du vajra
signifie que sous quelque forme que se manifestent les cinq
bouddhas et leurs cinq parèdres, ils ne sont pas différents de
l’essence de la manifestation de la sagesse. Il y a donc un centre
qui les relie.
Dilgo Khyentse

La famille Vajra correspond à la première étape du passage de la vacuité à


la forme. Nous quittons le centre pour l’est. Vajra est vive, cristalline,
lucide, la colère transformée. En tibétain, Vajra se dit dorje, soit «diamant»
ou «reine des pierres». L’adjectif signifie «indestructible, invincible, ferme
et stable». La vigilance éclairée est indestructible, absolue, et ne peut être ni
ternie ni détériorée. Le vajra est le symbole de cette vigilance. Le mot
sanscrit vajra est souvent traduit par «foudre» ou «adamantin». Le foudre
est l’indestructible arme divine qui peut venir à bout de tous les obstacles,
qui tranche dans le poison pour atteindre la lucidité. L’aspect adamantin du
vajra évoque le laser; il fend la matière avec la même intensité et la même
précision.
Dakini Vajra, XVIIIe siècle, pigment minéral en poudre sur coton. Rubin Museum of Art.

Le vajra symbolique est un sceptre comprenant un moyeu d’où


rayonnent des pointes supérieures et des pointes inférieures qui se
rejoignent à leur extrémité. Ces pointes représentent l’énergie venant du
moyeu. Le vajra est un objet rituel, un symbole de pouvoir dans le
bouddhisme, le jaïnisme et l’hindouisme. Le simple fait de le tenir confère
une très grande puissance. Il symbolise aussi le phallus, la force masculine
des moyens habiles et de la pénétration. Bien que cette famille concerne les
femmes autant que les hommes, beaucoup de ses caractéristiques sont vues
comme typiquement masculines.
La couleur de la famille Vajra est le bleu ou le blanc, mais le bleu sera
généralement mentionné dans le présent ouvrage. Le bleu est une couleur
froide. Le type Vajra tend à être d’un tempérament froid mais aussi, pour
parler comme les jeunes, plutôt cool, c’est-à-dire tendance, branché. Son
élément est l’eau, un élément fascinant, le seul qui soit multiforme. L’eau
peut être vapeur, liquide, glace ou écume. Elle peut être ondoyante,
courante ou stagnante. Elle peut être douce ou destructrice: pensons aux
inondations, aux ouragans, à la brûlure de la vapeur. C’est un élément
extrêmement fort. Même quand l’eau semble inoffensive, son pouvoir
d’érosion est très réel: elle arrondit et polit les pierres des ruisseaux où elle
coule depuis longtemps, elle gruge lentement une matière aussi dure que le
roc. Et songeons au pouvoir parfois destructeur de l’eau turbulente d’un
fleuve majestueux ou de l’océan.
Le vajra, qui représente l’indestructibilité, le «diamant» ou le «foudre», est le symbole de la famille
Vajra.
Robert Beer, encre sur papier.

En avril dernier j’étais à Hirtle’s Beach, en Nouvelle-Écosse, où il


faisait encore un froid glacial. Cette plage est au fond d’une baie. Derrière,
il y a des zones humides où les rats musqués et les oiseaux de mer trouvent
leur nourriture. Le ressac hivernal baignait la plage couverte d’algues
rouges, brunes et vertes auxquelles se mêlaient des galets polis par le flux et
le reflux impitoyables de l’océan. Transportés par les vagues, ils s’étaient
substitués au sable et compliquaient la marche. Cette plage avait des
caractéristiques Vajra: l’air froid et sec, la force de l’eau, la dureté du
paysage.
L’heure de la famille Vajra est l’aube, ce moment limpide juste avant le
lever du soleil, quand l’air est frais et que tout reste à faire. On a
l’impression de pouvoir repartir de zéro. Tout est clair et dégagé. La saison
Vajra est la fin de l’automne et le début de l’hiver. Le froid s’installe, le
fond de l’air est frais et sec. Ce n’est pas l’immobilité glacée du milieu de
l’hiver, associée à la famille Bouddha, mais l’éclat et le mordant d’un
matin, tard en automne. La luxuriante végétation de l’été et les odeurs
d’humus du début de l’automne sont choses du passé. L’aridité de ce
moment de l’année montre le vrai dessin des choses. Le paysage associé à
la famille Vajra est fait de montagnes escarpées et de rivières glaciales.
À Tara Mandala, là où je vis dans le sud du Colorado, il y a un ancien
chemin de chariots désaffecté qui va du pré du bas à un escarpement
couvert de pins ponderosas avant de traverser le pré du haut. Ce chemin a
été tracé par les chariots des homesteaders, les colons qui avaient bénéficié
de terres concédées par l’État. L’été, ce chemin disparaît sous la végétation:
petits chênes du Maryland, graminées, armoise, herbe à gomme et sauge.
Mais quand tout cela meurt à l’automne, avant l’arrivée de l’hiver, on voit
soudain le tracé de ce vieux chemin et, avec lui, l’empreinte d’un passé
encore récent. De la famille Vajra émane une clarté proprement
squelettique.
La forme de la famille Vajra est le cercle. Il peut représenter, entre
autres, une goutte d’eau, un lac, un espace ouvert, un miroir. Dans le
bouddhisme tibétain, on utilise un miroir circulaire lors des initiations pour
symboliser le vajra, la nature de l’esprit. Le sens de la famille Vajra est la
vue, l’acuité visuelle. Cette clarté de vue s’étend à l’aptitude intellectuelle
du type Vajra qui, grâce à sa précision pénétrante et tranchante, remédie aux
distorsions ou au vague abrutissement de Bouddha. Le type Vajra est
scientifique et logique et peut examiner un sujet sous tous ses angles. L’art
Vajra possède les mêmes qualités, par exemple, la précision visuelle des
photographies d’Ansel Adams.
Un intérieur Vajra est simple, semblable à celui de la famille Bouddha,
mais avec des lignes et des textures plus rudes. L’esthétique japonaise est
manifestement Vajra: le moins vaut le plus; la simplicité est élégante. Le
gris et le bleu prédominent de même que les textures métalliques,
synthétiques et technos. Peu d’ornements; l’accent est mis sur la sobriété et
les détails pratiques. Un décor Vajra tend à être moderne et à favoriser le
chrome, le béton et le verre, ou encore des éléments naturels tels que le
bois, les tapis en fibres végétales, les céramiques japonaises raku. Le type
Vajra est sensible à la simplicité stylisée de la cérémonie du thé japonaise et
de l’ikebana, cet art japonais de la composition florale, ainsi qu’à l’art
abstrait d’un Mark Rothko. Les quatorze grandes toiles noires aux discrètes
nuances de couleur de la chapelle Rothko à Houston, au Texas, possèdent
des qualités Vajra. Leur couleur fondamentale est le noir, auquel sont
incorporés d’autres nuances sombres et des effets de textures qui évoquent
la précision tranchée de cette famille. Cet art conceptuel est typiquement
Vajra. En entrant dans la chapelle, les gens se demandent invariablement où
sont les tableaux, parce qu’au début ils ne pensent avoir sous les yeux que
des parois noires. Mais plus ils les regardent, plus leurs subtiles nuances de
couleur et de texture émergent à la vue.
Moon and Half Dome, Parc national Yosemite, Californie, 1960. Photographie d’Ansel Adams.

Le type morphologique Vajra est mince, musclé et anguleux avec des


traits du visage bien marqués. Coco Chanel est du type Vajra comme
l’étaient aussi ses créations. La minceur de la silhouette est naturelle et non
pas le résultat d’une diète ou d’un régime d’exercices. La personne Vajra
aime les vêtements simples et de bonne coupe, sans froufrous, sans excès,
aux lignes élégantes et de grande qualité. Elle préfère le noir, le marine, le
gris, tous les tons neutres.
Steve Job, le fondateur d’Apple, est un bon exemple de l’homme Vajra:
il incarnait à la fois les pôles positifs et négatifs de cette famille. Il était
mince, minutieux, soupe au lait, brillant et créatif. Il était vêtu simplement,
de bleu et de noir et, pendant des années, a fait presque son uniforme du
jean et du faux col cheminé – mais ce n’était pas un faux col cheminé
ordinaire, puisqu’il avait été conçu par le designer japonais Issey Miyake.
Jobs était lunatique au point où ses employés l’accusaient de pratiquer une
«gestion fondée sur la diffamation». Il pratiquait la méditation zen et était
sensible à l’esthétique japonaise.

VAJRA EST INVITÉ À UNE SOIRÉE


Les types Vajra n’aiment guère les soirées parce que… à quoi bon? Mais
faisons quand même l’exercice. Andrea, qui est assistante de recherche dans
un laboratoire, est réfractaire aux échanges ou aux contacts sociaux que rien
ne justifie. Quand elle est invitée à une soirée, elle porte un pantalon gris de
bonne coupe et un chemisier blanc en coton frais repassé. Andrea est
athlétique, elle participe à des marathons, ses cheveux sont courts, à la
garçonne. Elle est ponctuelle et vaguement irritée que tous les invités ne le
soient pas aussi. Elle observe la scène, remarque les détails de
l’ameublement, s’approche du bar et commande un martini, comme
toujours. Petit à petit, à mesure que d’autres invités arrivent, elle se mêle à
eux. Elle n’a aucunement l’intention de charmer ou de séduire qui que ce
soit. Les canapés qu’on lui offre ne l’intéressent pas.
Si Peter, qui est entrepreneur, est invité à une soirée, il est vêtu d’une
chemise noire griffée et d’un jean noir. Au bar, il commande comme
d’habitude un whisky sur glace. Il se dit, Eh bien, puisque je suis ici, autant
en profiter. Je pourrais peut-être trouver quelqu’un avec qui parler de
technologie? Il jette un coup d’œil tout autour, aperçoit un ami et bavarde
avec lui debout, un verre à la main.
Ses contacts avec les gens sont amicaux, mais il a du mal à causer de
tout et de rien. Il échange quelques cartes de visite et établit des contacts
qu’il relancera plus tard. Peter préférerait de beaucoup être en train de
discuter de technologie dans un bureau ou même de faire de l’escalade ou
du vélo de course.
Si Andrea a réalisé sa transformation, elle aborde Peter dans une
attitude réfléchie et réceptive; elle trouve la conversation éclairante et
communique efficacement. Ils se mettent à danser. Elle tient à choisir elle-
même la musique et sait ce qu’elle veut. Elle suggère des façons
d’améliorer le son de la chaîne stéréo et sera heureuse d’y voir si elle se
détraque. Sa danse est assurée quoique un peu hachurée et pas
particulièrement sexy, mais Peter aime bien. Ces deux danseurs sont attirés
par le tango qui exige de la précision, de l’habileté et l’aptitude à se
souvenir des séquences de pas. Ils trouvent des tangos et les font jouer. Ils
aiment que cela demande du savoir-faire. Leur talent épate les autres
invités.
Voici en revanche un exemple de type Vajra au schéma obscur. Alexis,
qui est représentante en logiciels médicaux, voyage beaucoup pour son
travail. À New York, en arrivant à son hôtel, elle se rend compte que sa
réservation n’a pas été confirmée. Elle tape du pied et s’impatiente. Cet
accueil n’est pas digne d’elle, la confusion règne à la réception, le personnel
n’est de toute évidence pas aussi organisé qu’elle! Elle multiplie
mentalement les griefs, tous plus logiques les uns que les autres. Quand on
lui montre une chambre, elle est déçue qu’elle ne ressemble pas à celle
qu’elle avait réservée. Celle-ci n’est plus disponible, pas plus, du reste, que
la salle de conférences où elle devait rencontrer des clients potentiels. La
nature Vajra obscure d’Alexis s’extériorise alors dans une hostilité glaciale
et dans sa décision de publier en ligne une longue critique négative de
l’hôtel.

LE SCHÉMA OBSCUR: LA COLÈRE


La colère, qu’elle soit froide ou violente, est le schéma obscur du type
Vajra. Son rapport avec l’eau est intéressant, puisqu’il y a de la vapeur dans
l’expression «bouillir de colère». Une brûlure due à la vapeur est une des
pires brûlures qui soient, car elle est invisible mais profonde. La colère
violente, la fureur, est de cet ordre. Une personne colérique ne se rend pas
compte de la gravité des dommages qu’elle cause. Elle éclate, elle se
défoule, puis elle se sent mieux. Mais la victime de cette colère en est
souvent profondément blessée et il lui faut beaucoup de temps pour s’en
remettre, surtout si la personne responsable ne reconnaît pas son erreur.
Cette fureur est très certainement une énergie des plus destructrices. Le
genre humain est capable de grandes choses, mais l’union de la colère et du
pouvoir est incroyablement dévastatrice, ce qui est bien une raison
amplement suffisante pour la transformer en sagesse.
L’autre pôle est celui de la colère froide, la glaciale agressivité passive.
Ne dit-on pas de quelqu’un: «Cette personne est de glace»? Sa colère est
tranchante et précise. Elle est parfois extrêmement concentrée, tant dans sa
violence que dans son aptitude à déceler les défauts des autres. C’est
l’énergie de la dépression de la famille Bouddha, mais tournée vers
l’extérieur, vers autrui. La colère est contrôlante. Une personne qui se met
souvent en colère retient sur-le-champ l’attention des personnes présentes et
les domine.
La colère s’exprime par le jugement, la critique ou la violence. Si, dans
la famille Bouddha, il y a une dissociation, dans la famille Vajra, la
suppression est rigoureuse et s’accompagne d’une analyse rationnelle
froide, parfois d’agressivité. La colère veut toujours s’extérioriser avec
force; même la colère refoulée se meurt de s’exprimer. Elle peut provoquer
des changements physiologiques, accélérer le rythme cardiaque, hausser la
tension artérielle, augmenter le taux d’adrénaline et de cortisol (hormone de
stress), et préparer ainsi la réaction d’attaque-fuite.
Dans ce travail sur les familles de bouddhas, nous constatons souvent
que le schéma obscur cache autre chose. Dans la famille Vajra, la peur sous-
tend la colère. C’est pour cela que les types Vajra sont enclins à procéder à
un état des lieux pour y déceler des menaces potentielles et désamorcer les
situations dangereuses. Chez la plupart des gens, la colère cache autre
chose: un sentiment de vulnérabilité qui appartient aussi à la famille Vajra.
La peur et la vulnérabilité nous poussent à nous en prendre aux autres. La
peur est derrière l’intensité de la colère froide et de la fureur. La colère est
une réaction de défense face à la peur.
La colère de la personnalité Vajra a toutes sortes de déclencheurs:
l’impolitesse, un service médiocre, la fatigue, la faim, l’injustice,
l’infidélité, la tyrannie, l’humiliation, la frustration sexuelle, les pertes
financières ou l’insécurité, les échéances irréalistes, les bouchons de
circulation, le sentiment d’échec, la violence sexuelle, les ennuis de santé
ou la maladie grave, l’alcool ou les drogues et le sevrage, pour n’en
nommer que quelques-uns. Le chagrin ou la tristesse, la perte d’un membre
de la famille, d’un ami ou de tout être cher peuvent aussi provoquer la
colère. Certaines personnes souffrent de colère chronique et s’en servent
pour dominer leur entourage. Chez d’autres, la colère est occasionnelle.
Puis il y a celles qui intériorisent leur colère au point où elle est difficile à
déceler. La colère peut être brève ou couver pendant des années. Les
victimes d’oppression, de discrimination raciale ou sexuelle, ou celles qui
affrontent quotidiennement d’autres défis peuvent développer une colère
chronique. Les enseignements bouddhistes disent qu’un instant de colère
peut annihiler les mérites de millénaires d’actions vertueuses.
Le schéma obscur de la clarté Vajra peut aller jusqu’à la paranoïa. C’est
la peur de ne pas dominer la situation, de perdre le contrôle. La peur d’être
humilié débouche sur l’insensibilité, voire sur la cruauté. Le type Vajra
obscur peut se comparer au parent qui frappe son enfant et se déteste de
plus en plus de le faire, puis le frappe de plus belle, reportant sur lui la
colère que lui inspire sa fureur.

L’intellectualisation, l’austérité et le contrôle


Le type Vajra est enclin à intellectualiser, à résister à l’intimité par la
psychanalyse et en étant conceptuel à l’excès. Il préfère l’activité mentale
exagérément complexe au simple fait d’être présent. Toutes les traditions
intellectuelles telles que la science, la philosophie et la psychologie sont
Vajra. Une personne Vajra observe une chose sous tous ses angles et ses
explications se fondent sur la logique, mais elle n’est pas à l’aise dans les
rapports d’intimité et ne sait pas être à l’écoute de ses émotions. Elle sait ce
qu’elle pense, mais pas ce qu’elle ressent. Sa sexualité tend vers le
sadomasochisme et l’érotisation de la violence. Dans ce genre de relation, la
personne Vajra assume le rôle sadique. Une autre variante de la sexualité
Vajra est dépourvue d’émotion, détachée, puritaine et quelque peu
antiseptique. Elle dresse des barrières. La froideur traduit la peur de
l’intimité et de l’intensité affectives.
Le besoin de la personnalité Vajra d’avoir raison est en lien avec cette
intellectualisation outrancière. Quand Caroline se dispute avec Addison, sa
compagne, il faut toujours qu’elle ait le dernier mot: «Voici ce qu’il en est.
Et c’est moi qui ai raison.» Souvent, ce qui sous-tend son indignation est la
peur de ne pas tout savoir. Elle masque sa peur en multipliant les
raisonnements pour s’assurer qu’elle n’a rien laissé au hasard. Elle songe:
J’ai dit tout ce qu’il fallait; tout ira bien. Mais nous savons que ça ne se
passe jamais ainsi. Ses arguments dominateurs, son intellectualisation et son
besoin de tout contrôler ne l’empêchent pas de souffrir et d’avoir le cœur
brisé. La vie nous a appris que nous ne pouvons pas tout prévoir; notre
inaptitude à toujours maîtriser la situation nous ramène inévitablement sur
terre. Mais maîtriser la situation est ce que nous voulons désespérément. La
quête continuelle d’affirmation est la principale activité de l’ego. Dans la
famille Vajra, cela se traduit le plus souvent par la logique et la prise en
main.
La personnalité Vajra est plutôt austère. La forme la plus poussée de
cette austérité est une vie spartiate et détachée, carrément anti-confort. On
songe à l’austérité tranchante du samouraï zen, faite de lucidité et d’une
incroyable minutie. Mais l’insensibilité est aussi de la partie, une rupture
avec les émotions qui évoque l’écho de la glace qui se fend. Songez à la
texture des chars d’assaut et des fusils, à l’équipement froid et dur de la
guerre. Voilà le schéma obscur de Vajra. Nous consacrons beaucoup
d’intelligence à notre défense.
La discipline austère et la sobriété de pratiques spirituelles telles que le
zen ou le quakerisme attirent les personnalités Vajra. Cette spiritualité
austère peut cependant être une béquille qui leur évite d’affronter leurs
traumatismes affectifs. À l’autre extrême, les types Vajra sont agnostiques
ou athées. Ils croient que la religion est pour les imbéciles, pas pour eux,
puisqu’ils sont réalistes et dotés d’un esprit scientifique.
Les personnalités Vajra ont un penchant pour la critique ou pour l’excès
de minutie et sont parfois organisées au point de ne laisser aucune place à la
spontanéité. Elles aiment que tout soit parfait et prévisible. Prenons en
exemple Paula. Elle entre dans une salle de l’hôtel qu’elle gère, où les
membres de son personnel préparent un événement spécial. Elle regarde
autour d’elle, mais au lieu d’apprécier tout le travail qu’ils ont déjà
accompli, elle dit:
— Qui a eu l’idée de mettre là cette chaise rouge? C’est ridicule. Il
vaudrait mieux la mettre là-bas.
Dans sa version transformée, elle dirait plutôt:
— Vous avez soigné le moindre détail et c’est très réussi. Tout est d’une
propreté impeccable, tout reluit. Incidemment, si vous déplaciez cette
chaise rouge pour la mettre là, je crois que ce serait préférable.

LA SAGESSE-MIROIR
La sagesse de cette famille est une sagesse-miroir, elle a la limpidité du
miroir et, comme lui, elle reflète tout mais n’est en rien altérée par ce qui se
reflète en elle. La sagesse-miroir se fonde sur l’espace et l’ouverture
qu’engendre la sagesse transcendante de la famille Bouddha. Au bord d’un
lac, par un matin paisible et brumeux, on distingue à peine la ligne de
démarcation entre le ciel et l’eau. La sagesse-miroir est ainsi. L’espace et
l’eau sont indivisibles. Cependant, nous sortons de l’espace, de l’entière
spaciosité du ciel de Bouddha pour être le miroir. Dans cet état, nous
voyons tous les phénomènes avec une grande exactitude, sans aucune
distorsion.

Le miroir est une importante métaphore des enseignements bouddhistes.


Il symbolise la nature de l’esprit, puisqu’il reflète tout sans en être altéré et
qu’il ne porte aucun jugement sur ces reflets. Quand l’esprit est un miroir,
ce qui se manifeste devant lui ne l’influence pas. Quoi qu’il advienne, le
miroir ne réagit pas. Il reflète, mais ce qui se reflète en lui ne le change pas.
La sagesse-miroir est la connaissance immense et exacte, la lucidité sans
réactivité, l’esprit qui ne juge pas. Vivre dans la sagesse de la famille Vajra,
c’est vivre dans une lucidité dépourvue de la froideur et de l’insensibilité de
la colère. Une lucidité compatissante.
L’énergie de la sagesse-miroir est exactement la même qui se
manifestait dans la colère, mais la sagesse s’y est substituée au combat.
Toutes les émotions bouleversantes que nous éprouvons sont en lien avec
un quelconque combat. Quand ce combat est évacué, nous trouvons la
sagesse là même où elle avait toujours été. Elle est énergie pure; le combat
que livre l’ego pour s’imposer ne l’obscurcit plus. La vigilance intelligente
émerge de l’émotion inintelligente et obscure.
Les enseignements de Vajrana disent que plus sont intenses les émotions
perturbatrices, plus la sagesse resplendit. La pratique peut transformer
l’arête vive de la colère en une vigilance panoramique. Au lieu de nous
embourber dans les émotions négatives, la colère, l’intellectualisation
outrancière ou le besoin de tout contrôler, nous pouvons ressentir la pureté
de l’énergie dans ces émotions.
La science nous a appris que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite,
seulement transformée. Ici, le son, la lumière et la visualisation président à
cette transformation. Si l’on sent monter la colère en soi, il est possible de
trouver son pôle opposé et lucide quand on se libère de l’égocentrisme et de
la possessivité acharnée. Ainsi, par la pratique, on en vient à voir nos
relations, notre vie et nous-mêmes avec la clarté du miroir.

En 2004, quand j’ai eu terminé une tournée d’enseignements en Europe,


mon mari, Dave, et moi sommes allés en Sicile. Le deuxième soir, dans la
belle petite ville côtière de Selinunte, dans le sud-ouest de l’île, au
restaurant où nous avions merveilleusement dîné, la maison nous a offert un
vin de dessert. Servi dans un petit verre, il était d’un doré presque orange,
moelleux comme l’or, avec des notes d’abricot chauffé au soleil du Sud.
Complètement séduits, nous avons demandé au garçon d’où il provenait.
C’était un Passito di Pantelleria, un vin élevé dans l’île du même nom. Mon
mari et moi avons convenu d’un regard d’aller un jour dans cette île située
si loin au sud que, par temps clair, on voit l’Afrique. De retour en Italie
quelques années après, hélés par les arômes de ce passito, nous avons atterri
à Pantelleria au départ de Palerme. Le lendemain de notre arrivée, j’ai
demandé au café local s’il y avait des maisons à louer. Il y en avait une, au
bord d’un lac appelé Lo Specchio di Venere, soit Le miroir de Vénus. J’ai
adoré ce nom. Nous sommes allés y jeter un coup d’œil.
Le patron du café nous a emmenés le long d’une route étroite en épingle
à cheveux bordée de falaises à pic qui se jetaient dans une mer bleu de
cobalt. À quinze minutes de la ville principale, nous avons dépassé un amas
de rocs de quatre cents mètres de largeur environ qui séparaient la mer d’un
lac turquoise parfaitement rond. Situé dans le cratère d’un volcan éteint
ayant des sources chaudes sur un de ses flancs, le lac, d’une profondeur
d’un mètre cinquante à peine, avait un fond de sable blanc. Il était d’une
beauté surréelle. La petite maison de pierre était tout aussi enchanteresse,
couverte de bougainvillées fuchsia, avec ses portes cintrées et sa terrasse
qui surplombait la mer, sur un terrain très privé en bordure d’un champ de
câpriers en fleurs. Nous avons connu là dix jours de pur bonheur, entre le
lac et l’océan. Depuis, chaque fois que je songe à la forme circulaire de la
famille Vajra et à la nature réfléchissante de la sagesse-miroir, je retourne en
pensée au Specchio di Venere et, bien entendu, au Passito di Pantelleria.
Même un petit miroir qui tient dans la paume de la main peut refléter la
lune ou une chaîne de montagnes. La sagesse-miroir correspond à cette
immense présence réfléchissante, l’aptitude à tout accueillir et à tout voir
clairement. Dans un enseignement bouddhiste tibétain sur la nature de
l’esprit, la maître pourrait brandir un petit miroir et dire: «Regardez. Ceci
est votre esprit. Ceci est la nature de votre esprit.» Vous souvenez-vous du
conseil qui a été prodigué à Naropa: «Regarde dans le miroir de ton esprit,
la mystérieuse demeure de la dakini»? Ce qui se reflète dans un miroir ou
dans l’eau nous apprend que rien n’est solide, que tout est illusoire. La
reconnaissance de la nature illusoire de toutes les apparences est une autre
des significations de la sagesse-miroir. Ainsi que le dit Prospero dans La
Tempête, de Shakespeare:

Maintenant, voilà nos divertissements finis. Nos acteurs,


Comme je vous l’ai dit d’avance, étaient tous des esprits;
Ils se sont fondus en air, en air subtil;
Et, pareils à l’édifice sans base de cette vision,
Se dissoudront aussi les tours qui se perdent dans les nues,
Les palais somptueux,
Les temples solennels, notre vaste globe, oui, notre globe lui-même,
Et tout ce qu’il reçoit de la succession des temps;
Et comme s’est évanoui cet appareil mensonger,
Ils se dissoudront, sans même laisser derrière eux
La trace que laisse le nuage emporté par le vent.
Nous sommes faits de la vaine substance dont se forment les songes,
Et notre chétive vie est environnée de sommeil54.

Quand nous reconnaissons la nature illusoire de toute chose, nous


pouvons nous engager pleinement dans la vie sans nous laisser berner par
ses illusions. Notre clarté d’esprit est celle de la sagesse-miroir qui réfléchit
ce qui est. Et cette clarté d’esprit ne s’accompagne pas d’un sentiment de
rupture. La sagesse-miroir me fait penser à mon maître Chögyal Namkhai
Norbu. Une immensité émane de lui en toute circonstance, une immensité
où il y a aussi de la place pour moi et où il m’accueille. Elle concentre tout
– la vie, la souffrance, le passé, le présent – comme un miroir. Quoi qu’il
arrive, il ne la quitte pas. Il parle, il enseigne, il écrit, il mange, mais il est
toujours dans la nature du miroir; c’est extraordinaire. Mon maître est aussi
très érudit. Il a écrit plusieurs livres savants sur la culture tibétaine et les
enseignements.
Il faut cependant être prêt à subir les foudres de Namkhai Norbu quand
on est dans son entourage. Les étudiants qui, à ses yeux, manquent de
vigilance suscitent son courroux. Par exemple, il enseigne le khaita, une
danse exubérante qui se danse en groupe. Si les danseurs se trompent après
qu’il leur en a expliqué les pas, il leur reproche vertement leur distraction.
La fois suivante, ils veillent à mieux se concentrer.
J’ai voyagé en sa compagnie au Tibet et dans l’Ouest et j’ai été souvent
témoin chez lui de comportements positifs et négatifs. Malgré tout, il ne
s’éloigne jamais de la sagesse-miroir. Sa lucidité et sa vive intelligence sont
celles de la personnalité Vajra.
Son détachement ressemblait parfois à de la froideur, mais j’ai compris
avec le temps que ce n’en était pas. Seulement, ses réactions n’étaient pas
celles d’une personne ordinaire – ce qui est normal pour un lama très
accompli. Quand ma fille Chiara est décédée du SMSN, je vivais en Italie
où je venais de faire sa connaissance. Puisque je ne connaissais pas d’autre
lama en Italie, je l’ai appelé pour lui annoncer la nouvelle. Je m’attendais à
ce qu’il dise «Oh, non, comme c’est triste», ou quelque chose comme ça,
mais il n’a pas réagi.
— Rinpoché, êtes-vous là? lui ai-je demandé.
— Oui.
— Quelle pratique me conseillez-vous?
— Presque rien.
— Viendrez-vous?
— Oui.
Après avoir raccroché, j’étais plutôt déçue. Il ne m’avait pas réconfortée
comme je m’y étais attendue. Puis, j’ai compris qu’il était un grand lama,
pas un homme ordinaire. Curieusement, cette absence d’émotion me libérait
autant qu’elle me décevait.
Quelques jours plus tard, il s’est présenté chez nous, dans les monts
Albains, aux environs de Rome. Il était accompagné de quelques-uns de ses
disciples, dont la plupart m’étaient peu familiers. Il a accepté de me parler
en privé. Nous sommes montés à la petite chambre au-dessus de la cuisine
qui avait été celle des jumeaux. Assis en silence, il a façonné avec de la
laine un collier protecteur très élaboré pour le jumeau survivant, mon fils. À
moi, il a donné un mantra spécial de protection. Il a fait tout cela sans
émotion. Mais il était là, vastement présent.
Le type Vajra peut se contenter d’être présent en sagesse sans essayer de
changer quoi que ce soit aux paroles ou aux sentiments des autres, comme
un miroir. Et si vous êtes vraiment à l’écoute de ce qui est dit, par quelqu’un
d’autre ou dans votre tête, vous constaterez que cette présence désamorce la
colère. Quand nous nous querellons avec quelqu’un, nous pensons souvent
à ce que nous dirons ensuite. Mais quand nous sommes réellement présents,
présents sans réagir ni répondre à la colère de l’autre personne, elle ne peut
s’agripper à rien. Elle est désamorcée. La sagesse-miroir est l’occasion de
réfléchir à tout ce que comporte une situation délicate; elle reflète ce qui est
sans que vous ayez envie de réagir et de tout régler.
LES ÉMANATIONS FÉROCES
L’on s’efforce, en général, d’éviter la colère. Mais les enseignements du
bouddhisme tantrique mentionnent les émanations féroces ou courroucées –
ces énergies qui transforment l’intensité de la colère en activité
compatissante. Vous avez sans doute eu l’occasion de voir des
représentations tibétaines de divinités féroces.
Ces divinités courroucées aux yeux exorbités sont souvent dorées sur
fond noir et entourées de flammes tourbillonnantes. Leur énergie détruit
l’ignorance, déchire le voile de l’illusion et ouvre la voie à la libération de
l’Éveil.
Leur courroux n’est pas une colère aveugle. Il n’est pas fait de haine
mais de compassion. Les divinités courroucées sont des émanations d’une
énergie soudaine qui n’est pas dictée par la possessivité. Pour venir en aide
à un enfant en danger ou à qui l’on fait du mal, vous pourriez manifester
cette fureur subite, celle de la lionne ou de la louve, celle de toute mère qui
protège ses petits.
Dans la tradition tibétaine, la fureur est une énergie très puissante. À
Tara Mandala, les statues grandeur nature des vingt et une Tara sont
disposées en cercle sur le pourtour du temple. Certaines sont féroces. C’est
le cas de Tara Zhengi Mitubma, courroucée, noire comme un nuage
d’orage. Elle stoppe les catastrophes naturelles, les envahisseurs et les
armes de destruction massive. Elle brûle du feu de la sagesse.
Zhengi Mitubma, la septième Tara, invincible et féroce, qui met fin aux guerres et aux désastres
naturels, dans le temple Three Kaya de Tara Mandala à Pagosa Springs (Colorado, États-Unis).
Photographie d’Alan Kozlowski, statue de cuivre dorée de Bijaya Sakya.

L’énergie féroce est la plus rapide de toutes les énergies humaines; les
divinités féroces représentent cette explosion d’énergie qui abolit les limites
et les illusions. Quand vous êtes en colère, votre sang court plus vite dans
vos veines, votre respiration s’accélère et vos gestes sont précipités. Le feu
est rapide et imprévisible. Le courroux des divinités tantriques représente
une très grande quantité d’énergie intense. Il faut cependant le distinguer de
la haine. La haine ne doit pas sous-tendre ou motiver le courroux. N’est-il
pas paradoxal qu’en travaillant sur les divinités féroces, je me sente plus
sereine? Comme si, en laissant s’exprimer l’énergie fondamentalement
humaine de la colère pour mieux la transformer, j’assimilais le côté sombre
de cette émotion et lui procurais un cadre plus constructif.
L’HISTOIRE DE JOHN
Voici un exemple de travail sur la colère. John, quarante-quatre ans, est
psychothérapeute et enseigne le karaté à temps partiel. Il a commencé la
méditation mandala à trente-huit ans. Enfant, il avait été sauvagement battu
par son père sans que sa mère le protège, celle-ci allant même jusqu’à
dénoncer son indocilité à son mari quand il rentrait de son travail. En
vieillissant, John est devenu casse-cou et s’est souvent blessé. Il a aussi eu
des idées suicidaires sans toutefois passer à l’acte.
Avant la méditation mandala, John était très soupe au lait et se fâchait
souvent pour des vétilles, quand sa voiture refusait de démarrer, par
exemple, ou quand une personne était en retard à un rendez-vous. Il était
toujours persuadé que son emportement était justifié. La colère imprégnait
toutes ses relations personnelles, familiales et professionnelles. Il n’y
échappait pas. Les autres lui en voulaient, il leur en voulait, la colère
engendrait la colère, et sa vie devenait un enfer. John était aussi très
méticuleux et hyper-vigilant. Quand il était furieux, il était tranchant et
s’acharnait sur les défauts des autres. Les arts martiaux l’ont aidé à
contrôler ses défoulements; il a obtenu sa ceinture noire.
John a commencé la méditation mandala après plusieurs années de
méditation de pleine conscience. En dépit de son intérêt théorique pour les
enseignements bouddhistes, ses schémas psychologiques et émotionnels
douloureux ne lui laissaient pas de répit et la violence dont il avait été
victime dans son enfance le traumatisait encore. En explorant les cinq
familles, il a su immédiatement qu’il appartenait à la famille Vajra.
Deux percées se sont produites pour lui pendant son travail sur la
famille Vajra. D’une part, il a vu que sa colère et son amertume envers les
hommes, et aussi envers «Dieu» qui l’avait tant déçu, découlaient de sa
propre colère intérieure. Adolescent, il avait été séminariste, en partie pour
fuir son père et la maison familiale, mais, déçu de l’Église et du
christianisme, il avait opté pour étudier la psychologie à l’université.
D’autre part, il a pu comprendre que son besoin profond et inassouvi
d’une figure paternelle protectrice qui l’aurait aidé à embrasser
positivement sa masculinité avait engendré sa colère envers son père. Il
reprochait aux hommes leur absence de compassion tout en étant très amer
et plein de ressentiment envers les femmes depuis que sa propre mère lui
avait refusé sa protection et son réconfort. Elle-même victime de violence et
abandonnée, elle avait été en proie à la dépression et souvent repliée sur
elle-même malgré son amour profond pour John. Avec le temps, John
l’avait accablée de tous les défauts: son isolement délibéré, ses
excentricités, son déni de ses propres traumatismes, sa colère.
Quand John est parvenu à l’âge adulte, sa relation avec ses parents
s’était beaucoup détériorée. Chaque réunion de famille était explosive et il
en revenait frustré de ne pas avoir pu remédier à la situation. Il lisait les
textes bouddhistes, méditait sur sa respiration. Il savait tout ce qu’il
«voulait» ressentir envers ses parents, mais n’y parvenait pas et se
culpabilisait d’avoir un esprit exagérément critique.
En méditant sur les cinq familles de bouddhas et, plus particulièrement,
sur la famille Vajra, John a peu à peu laissé une énergie masculine positive
entrer dans sa vie et redirigé vers sa propre guérison celle de sa colère
envers son père. Son exploration de la famille Vajra lui a fait comprendre
qu’il avait reporté sur sa mère, elle aussi victime des mêmes schémas
destructeurs, sa vision gauchie du féminin, de toute façon très décriée de
nos jours. Il a vu que son père avait subi en son temps les violences qu’il
avait infligées à son fils et porté à l’extrême le principe selon lequel «qui
aime bien, châtie bien».
La minutie et la clarté d’esprit de la famille Vajra ont aidé John à voir
combien sa colère et son amertume étaient futiles et destructrices. En
accédant à la spaciosité lucide de Vajra, il a pu ressentir la douce chaleur du
féminin qui lui avait tant manqué quand il était enfant. Petit à petit, il a
cessé d’attendre de sa mère, une femme terre à terre qui se débattait avec sa
propre souffrance, le sentiment d’appartenance qui lui faisait tant défaut.
La guérison de la relation de John avec ses parents n’est pas celle qu’il
avait espérée. Elle n’est ni douce ni enveloppante, elle n’a rien effacé et il
se méfie encore de son père. Mais la clarté d’esprit de Vajra l’aide à
comprendre ses parents et à ne pas nourrir envers eux les attentes de
l’enfance. Il a avec eux des rapports d’égal à égal et les considère comme
des amis qui ont, eux aussi, beaucoup souffert. La méditation mandala a
suscité chez John un processus de ré-identification profondément
transformateur. Encore et encore il a perdu, pulvérisé l’espoir de trouver
une «réponse» à sa vie dans le monde illusoire où est née sa question et
trouvé son vrai refuge dans sa lucidité et sa paix intérieure.
Dans la «vraie vie», l’expérience sensible et familière de la lucidité
sereine de l’énergie Vajra a aidé John à se concentrer sur sa propre clarté
d’esprit plutôt que sur ses émotions étouffantes. Et, pour la première fois, il
a pu s’engager dans une relation sans la détruire par ses emportements.
L’aspect le plus transformateur du mandala réside dans ce que John en a
ressenti et dans le fait qu’il a littéralement pu en intégrer la sagesse.

LES MÉDITATIONS DE LA FAMILLE VAJRA


Avant chacune des méditations ci-dessous, faites les neuf respirations de
détente et l’exercice de motivation décrits au chapitre 8 (pages 173 et 174).

Libérez l’énergie obscure


Prenons quelques instants pour ressentir le schéma Vajra obscur de notre
corps.

• Décelez l’énergie associée à la colère qui circule en vous. Par exemple,


ressentez-vous une lourdeur aux bras ou aux jambes? Un frisson de froid
à l’abdomen? Une oppression à la poitrine?
• Imprégnez-vous de cette énergie obscure. Si vous ne sentez rien en ce
moment, évoquez une occurrence, un incident ou une période de votre
vie où cette énergie obscure était présente.
• Intensifiez ce sentiment de colère, de domination ou de froideur afin de
le ressentir fortement et en profondeur. Vous faites ainsi l’expérience
sensible d’un blocage affectif de la famille Vajra.
• Articulez maintenant la syllabe germe lentement et à voix basse: HA. Le
son se répand en vous comme si vous le dirigiez vers l’intérieur au lieu
de le projeter vers le dehors. Imaginez qu’une lumière bleue vous
imprègne. Le schéma obscur de l’ignorance devient sagesse-miroir.
Accueillez cette sagesse venue du son et de la lumière.
• Restez dans cette sagesse aussi longtemps que vous le désirez. Répétez
la syllabe germe lentement et attentivement en vous ménageant une
pause après chaque répétition, aussi souvent que vous le voulez, en
restant toujours quelque temps dans l’énergie de la sagesse à la fin.

Méditation sur l’élément: l’eau


• Décidez de la durée de votre méditation avant de commencer. Je suggère
de quinze minutes à une heure.
• Trouvez de l’eau: lac, ruisseau, étang, fontaine, chute d’eau, rivière,
fleuve ou océan. Asseyez-vous confortablement le plus près possible de
cette eau de façon à la voir parfaitement bien. S’il n’y a aucune masse
d’eau à proximité, vous pouvez méditer sur un bol d’eau ou encore
prendre un bain ou une douche.
• Après les neuf respirations de détente, respirez normalement pendant
quelques minutes en vous concentrant sur votre respiration, puis
reportez votre regard sur l’eau. Ne regardez pas l’eau fixement.
Imaginez plutôt que vos yeux sont des bassins réfléchissants. Détendez-
les et fusionnez-vous avec l’eau pour qu’il n’y ait pas de séparation
entre vous et elle, pas de distance à parcourir.
• Si vous êtes distrait, reportez votre attention sur l’eau; unissez-vous à
celle-ci et détendez-vous. Entendez-vous un bruit de cascade, le
rugissement d’un torrent ou le ressac? Assimilez ces sons en même
temps que les aspects visuels de l’eau.
• Quand vous en avez terminé, asseyez-vous et dédiez les bienfaits de
cette énergie positive à tous les êtres sensibles.
Votre méditation finie, notez ce que vous ressentez et restez conscient
de cette sensation en vaquant à vos occupations. Je vous encourage
fortement à passer quelque temps dans le voisinage de l’eau, près d’un
ruisseau, d’un lac ou de l’océan, voire dans votre baignoire ou sous la
douche, en étant toujours très conscient de cet élément. Cette méditation est
très puissante et facile à faire chaque fois que vous êtes à proximité de
l’eau. Quand je suis au bord de l’océan, j’aime me lever tôt et m’asseoir sur
le rivage afin de me fusionner avec le bruit et le mouvement des vagues.
J’aime aussi méditer près de la rivière San Juan, voisine de Tara Mandala.
Assise sur un rocher, je regarde en amont et assimile le bruissement et le
scintillement de l’eau qui coule vers moi.
10
La dakini Ratna: la sagesse de l’équanimité

S’il y avait un trésor inépuisable enfoui sous la maison d’un


pauvre homme, il pourrait ne pas savoir qu’il s’y trouve, pas plus
que le trésor ne lui dirait qu’il y est. De la même manière, comme
les êtres vivants ne se rendent pas compte du trésor précieux que
contient leur esprit, de la réalité pure dénuée de toute négativité
dont il faudrait se départir ou de toute chose positive qu’il
faudrait établir, ils souffrent continuellement de pauvreté et de
privation de diverses manières.
La Continuité absolue, tiré de l’Uttaratantra

La famille Ratna est au sud du mandala. Ratna signifie «joyau». Le


symbole de la dakini Ratna est le joyau qui exauce les souhaits, une pierre
ambrée sur une monture d’or, possédant les vertus et la beauté du miel.
Dans l’Antiquité, la famille Ratna était réputée idéale pour les gouvernants
et les rois, car ils avaient le devoir d’assurer la stabilité et la prospérité de
leurs sujets. Le nom de nombreux gouverneurs de l’Inde et du Népal
incluait le mot Ratna pour cette raison.
Dakini Ratna, XVIIIe siècle, pigment minéral en poudre sur coton. Rubin Museum of Art.

La couleur de la dakini Ratna est le jaune. Non pas le jaune serin ou le


jaune citron, mais le riche jaune d’or. Une des images associées à Ratna est
le rondin mort auquel la putréfaction confère une teinte dorée et qui
s’emplit de champignons et de mousses. La saison Ratna est le début de
l’automne, quand les feuilles jaunies jonchent le sol et qu’une pénétrante
odeur de décomposition et d’humus se répand dans l’air. Nous voyons que
le paysage de la famille Ratna est la jungle ou la forêt fertile, là où le bois
mort et les couches denses de branches et de feuilles qui recouvrent tout
nourrissent le reste de l’environnement. C’est à la fois d’une grande
richesse et presque trop.
Tout près de chez ma fille Sherab, dans les montagnes du Colorado, les
champignons poussent à foison. En automne – ou parfois au mois d’août,
tout dépend de la pluie –, quand les trembles virent au jaune et chantent
dans la brise, dans une forêt en bordure d’un petit lac très haut dans la
montagne, le sol se couvre de champignons. Ils ont quelque chose de
magique. Du jour au lendemain, les voilà partout quand, la veille, il n’y en
avait pas un seul. Ils représentent la richesse spontanée de la famille Ratna
qui évoque pour moi une promenade dans cette forêt avec mon petit-fils,
Otto. Son second prénom, Ziji, est tibétain et signifie confiance en soi,
charisme, intelligence. Il fait la cueillette des champignons depuis qu’il est
en âge de marcher. Il porte son propre couteau autour du cou et une petite
cape qui volette dans la brise. En forêt, avec sa cape et sa tignasse blonde
bouclée que baigne le soleil de fin du jour, on dirait un petit lutin qui aurait
poussé là exactement comme un champignon. Il sait reconnaître l’hydne
imbriqué, le bolet et la chanterelle. Cette forêt où Otto sautille de
champignon en champignon, en bordure de ce lac de montagne que nous
avons baptisé lac Ziji et dont l’eau projetée en pluie par le vent scintille
dans le soleil, est à mes yeux l’essence même de Ratna.
Joyau symbolique de la famille Ratna. Robert Beer, encre sur papier.

L’élément Ratna est la terre et sa forme est le carré. Ziji évoque les
vertus de la famille Ratna transformée. La confiance en soi qu’inspire la
famille Ratna vient de sa générosité et du fait qu’elle est fermement ancrée
à la terre. Nous ressentons le plus cette intensité à midi, l’heure Ratna,
quand tout est effervescence, croissance et richesse en devenir. Et pourtant,
il s’ensuit une sorte de trop-plein, un sentiment de surabondance qui
pourrait se révéler déstabilisant. Comme on peut s’y attendre, les sens Ratna
sont le goût et l’odorat, le contact direct de la consommation. On ne
consomme ni par l’ouïe ni par la vue, mais on apprécie et on déguste par
l’odorat et le goût. Les types Ratna aiment la nourriture et le vin. Ils se
régalent de ce qu’ils mangent et peuvent décrire les multiples couches de
saveur d’une bouchée. Leur palais très fin les pousse parfois à abuser des
bonnes choses, voire à se livrer à la gloutonnerie.
La figurine de la Dame endormie découverte dans un hypogée de l’île
de Malte est une représentation Ratna classique de l’art religieux. Elle dort
sur son lit de pierre et fait des rêves divinatoires. Les temples maltais des
déesses du néolithique ont tous une architecture Ratna, la forme généreuse
d’une déesse obèse et fertile, sans aucune présence masculine. Les
archéologues ont supposé que cette civilisation vouait un culte aux déesses
et que ces temples étaient des lieux où l’on venait dormir pour recevoir des
rêves prémonitoires. L’entrée du temple est le vagin de la divinité.

La Dame endormie, représentation en argile d’une femme allongée, découverte dans l’une des fosses
de l’Hypogée de Hal Saflieni, à Malte.

Dans tous les pays du monde, les maisons en pisé évoquent les valeur
de Ratna, le contact avec la stabilité et la chaleur de la terre. La souplesse
organique de la glaise nous a donné certaines des plus belles constructions
qui soient. Les maisons africaines en pisé sont des plus exquises; celles de
Tombouctou et de Djenné, au Mali, sont à la fois magnifiques et pratiques.
Les meubles de la maison Ratna sont confortables, recouverts de coussins et
de jetés en laine d’alpaca d’un beau brun riche. La maison est douillette, on
y trouve des fleurs coupées et des objets en bois, par exemple des bols faits
main pleins de fruits et de noix. La maison est en adobe, en terre battue, en
ballots de paille ou en bois naturel et regorge vraisemblablement d’objets
venus du monde entier.
La femme Ratna est corpulente et sa poitrine est généreuse. Elle aime
les couleurs vives, les bijoux nombreux et volumineux, et les tissus à grands
motifs. J’ai connu une femme Ratna typique quand j’enseignais dans une
université de San Francisco. Mulâtre, elle avait une peau de bronze, un
physique généreux, voluptueux qui respirait la santé et la force. Elle
enveloppait ses dreadlocks rasta dans un foulard jaune à motifs africains et
portait une robe jaune imprimée et un collier de grosses billes jaunes et
noires. Elle était amicale et très chaleureuse, et dégageait une impression
d’abondance et de créativité comme si tout pouvait arriver en sa présence,
tant elle était riche de possibilités.

RATNA EST INVITÉ À UNE SOIRÉE


Quand Clarissa, une éditrice à la sombre chevelure, est invitée à une soirée,
elle porte une robe imprimée de grands motifs aux couleurs vives qui drape
souverainement sa généreuse silhouette et que mettent en valeur
d’audacieux bijoux: de nombreux bracelets, certains translucides et ambrés,
d’autre opaques, couleur de miel, d’autres en résine sombre, et de longs
pendentifs en or. Sitôt arrivée, Clarissa se dirige en droite ligne vers le
buffet, avide d’y trouver quelque chose de savoureux à se mettre sous la
dent. Mais elle pense toujours qu’il n’y en a pas assez: Je fais bien de
manger tout de suite, sinon… Clarissa ne s’éloigne pas de la table. Elle
parle fort, elle rit, elle plaisante et raconte des histoires.
Quand Michael, un médiéviste Ratna, est invité à une soirée, il a très
hâte d’y voir des gens et d’y trouver de bonnes choses à boire et à manger.
Mais il appréhende de ne pas être à la hauteur. Il porte une chemise
hawaïenne voyante sur son gros ventre et un pantalon de yoga trop lâche. Il
remplit son assiette, se verse un généreux verre de vin et s’assoit à une table
avec des amis. Il domine d’emblée la conversation quand il explique
l’information historique ésotérique qu’il a dénichée. Michael veut être le
centre d’attention et élargir son auditoire au maximum. Il fait étalage de ses
relations pour recueillir des renseignements, tout ce qui pourra le mettre en
valeur – nourriture, boissons, contacts – et lui donner de l’importance. Il est
jovial, il sourit à tout le monde, il est de plus en plus extraverti à mesure
que la nourriture et le vin font leur effet. Il parle aussi compulsivement qu’il
mange, prenant intégralement plaisir à tout; mais ce comportement sourd de
son insécurité.
Si Clarissa a réalisé sa transformation, elle n’arrive pas les mains vides:
elle a apporté un grand vin pour ses hôtes et de petites faveurs pour les
autres invités. Elle impose sa présence en entrant, la soirée semble sur-le-
champ plus palpitante. Clarissa dégage une énergie enjouée et invente un
jeu amusant pour animer la soirée.

LE SCHÉMA OBSCUR:
L’ORGUEIL ET LE SENTIMENT D’IMPUISSANCE
Le schéma obscur, ou poison, de la famille Ratna est l’arrogance, un orgueil
mêlé d’insécurité qui incite à la consommation excessive, aux achats
compulsifs, à l’accumulation. C’est le syndrome de la clocharde qui pousse
à ne rien jeter, à avoir tout en cinq exemplaires au cas où, parce qu’on a
atrocement peur d’en manquer, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Il
s’ensuit un besoin insatiable. Cette voracité affecte à la fois le type Ratna et
les personnes de son entourage qu’il finit par user à force de prendre toute
la place. Il est en sérieux manque d’amour. Les parents invasifs qui tentent
de contrôler la vie de leurs enfants, qui les forcent à manger, qui leur dictent
leur vie sociale, lisent leur journal intime, et ainsi de suite, sont souvent de
type Ratna.
Trungpa Rinpoché a bien décrit ce pôle névrotique de la personnalité
Ratna: «C’est comme nager dans un lac de beurre et de miel. Quand on
s’enduit de ce mélange, il est très difficile ensuite de l’enlever. On ne peut
le faire simplement en l’essuyant. On doit appliquer toutes sortes d’agents
nettoyants, un détergent, du savon, pour s’en débarrasser55.» Les Ratna
sont enclins à s’agripper à quelque chose comme si leur vie en dépendait –
nourriture, rang social, biens matériels, alcool, drogues, et ainsi de suite.
Cela est dû à leur insécurité. Dans les cas extrêmes, le Ratna peut aller
jusqu’à l’accumulation compulsive qui prend racine dans l’anxiété: Je n’en
trouverai peut-être pas d’autres plus tard, ou Je pourrais en avoir besoin,
donc, je le garde. Les Ratna pensent que s’ils en ont plus, s’ils en mangent
plus, s’ils ont davantage de biens matériels, ils seront en sûreté. Mais ils ne
se sentent jamais en sûreté parce qu’ils n’ont de toute façon jamais réglé le
problème d’insécurité qui les pousse à ces excès. C’est la «mentalité du
pauvre»: peu importe ce que vous avez, vous vous sentez démuni, et cela,
même si un comportement ostentatoire contredit ce sentiment. C’est l’heure
du dessert? Vous pensez aussitôt: Il n’y en aura jamais assez pour tout le
monde.
Les Ratna ont un rapport difficile avec l’argent et vivent dans une
perpétuelle insécurité financière. Des difficultés d’apprentissage ou une
enfance pauvre peuvent les affecter. S’ils en ont honte, ils s’en cachent et
feignent de ne manquer de rien. Une réaction typique Ratna pourrait être de
dire: «Je vais bien. Non seulement je vais bien, mais je vais formidablement
bien. Tout est parfait. Je suis le meilleur et je surpasse tous les autres.» Le
Ratna obscur est parfois trop généreux parce qu’il veut se faire valoir. À
Noël, il offre un présent joliment enveloppé à tous les membres de son
équipe ou à tous ses camarades de classe, ou encore, pour qu’on apprécie sa
générosité et son amabilité, il fait des cadeaux de trop grande valeur. Il
ressent le besoin de se grandir parce qu’il craint de ne pas être à la hauteur
ou de manquer de quelque chose. Parce qu’il se sent inférieur, il lui en faut
toujours plus et il en fait toujours trop: nourriture, boissons, allusions à des
noms connus, consommation abusive. En amour, il a besoin d’être vénéré,
de crouler sous les compliments, d’être constamment rassuré.
Les Ratna sont parfois dominateurs, exagérément critiques, nombrilistes
et égocentriques au point d’être aveugles aux besoins d’autrui. Ils sont
enfermés dans leur bulle et ne voient pas qu’ils affectent leur entourage. Ils
déploient toutes sortes de tactiques pour se protéger aux dépens des autres.
Si on leur reproche leur attitude, ils prennent encore plus de place et exigent
encore plus qu’on les rassure. Leur présomption et parfois leur fausse
pudeur masquent leur honte et leur sentiment d’échec. Le Ratna non éclairé
veut qu’on le remarque; il est toujours en représentation, il a besoin
d’applaudissements et il cherche à dominer la situation.
L’élément du Ratna est la terre: la terre peut être très lourde, écrasante,
malpropre. Ce pôle Ratna névrotique évoque pour moi les glissements de
terrain que les incendies de forêt provoquent parfois dans le sud du
Colorado, là où le sol est en pente abrupte. Quand il pleut après ces
incendies, de grandes coulées de boue recouvrent tout, entrent dans les
maisons et se déversent dans les rivières. J’ai entendu dire que des poissons,
pour échapper à toute cette boue qui envahissait leur habitat, sautaient sur le
rivage et y mouraient. L’aspect dominateur du Ratna suffoque et écrase tout
ce qu’il touche.
Quand on place le schéma obscur de la famille Ratna dans le contexte
plus vaste de la société actuelle, on le décèle dans la cupidité des grandes
sociétés, dans leur volonté d’acquérir des entreprises plus petites, de
posséder le monde. On le voit dans le colonialisme politique et le besoin de
s’ingérer dans les affaires d’autrui. Nous voulons contrôler, régner, nous
enrichir. Mais quels que soient ce pouvoir et ces richesses accumulées, nous
nous sentons toujours démunis, nous n’en avons jamais assez, nous sommes
persuadés qu’un ultime débordement nous rendra enfin heureux et nous
apportera la paix. Bien entendu, cela ne fait qu’exacerber notre
consumérisme compulsif. La cupidité érige des empires qui s’écroulent
ensuite faute d’être solidement enracinés. La non-viabilité de ce mode de
consommation est très réel et mène inévitablement à la ruine.

LA SAGESSE DE L’ÉQUANIMITÉ
La sagesse de la famille Ratna est celle de l’équanimité ou de l’égalité. On
parle parfois d’équanimité et d’immuable tranquillité, ou d’équanimité et de
présence enrichissante. L’équanimité, c’est aussi s’abstenir de juger ou
d’accorder plus de valeur à ceci qu’à cela, en d’autres termes, elle est
synonyme d’impartialité. Ce qui nous semble laid et ce qui nous semble
beau ont la même valeur.
Quand nous cessons de nous agripper aux choses et aux gens, nous
faisons place à la sagesse. Le geste généreux prend sa source dans la vraie
richesse, celle qui sourd d’un sentiment de stabilité, d’enracinement, de
présence sur terre. On peut lui faire confiance. Voici la nature fondamentale
de l’équanimité: le pur et l’impur sont des concepts artificiels. Ce qui est
pur pour l’un est impur pour l’autre. Ce qui est bon dans une société est mal
dans une autre société. La sagesse Ratna concerne l’égalité, la similarité,
elle consiste à percevoir toute chose de façon égale et comme faisant partie
d’une complétude existant en soi. Le Ratna éclairé comporte un sentiment
de richesse inhérente, l’impression que la situation est déjà florissante.
Détendez-vous.
Quand une personne Ratna éclairée entre dans une pièce, elle éprouve
un sentiment de stabilité: les choses sont telles qu’elles sont. Pourtant,
toutes sortes de phénomènes émergent de cette stabilité. Ils semblent faire
surface lentement et, soudain, ils sont là. La fertilité de Ratna ressemble aux
crocus du printemps. Au Colorado, ils percent la neige persistante. Leurs
fleurs violettes, jaunes et blanches forment d’éclatantes taches de couleur au
milieu du gris des herbes et des buissons morts. Voilà l’énergie de la famille
Ratna transformée.

La famille Ratna est reliée à la prospérité. Quand vous pratiquez le


mandala Ratna, votre situation financière pourrait changer du tout au tout,
vos ressources augmenter. Là où Padma attire le pouvoir et la richesse, avec
Ratna, il y a un accroissement des revenus et, ce qui est plus important
encore, la confiance que suscite un sentiment d’abondance. Vous pouvez
respirer à l’aise; la prospérité vient naturellement, vous n’avez pas à vous
battre pour l’obtenir. Vous la recevez, vous la ressentez tel que vous êtes.
Il faut se sentir digne de cette prospérité pour profiter de ses bienfaits.
Si vous craignez inconsciemment de ne pas être à la hauteur, vous gagnerez
de l’argent ou vous deviendrez riche, mais le bien-être que devrait vous
procurer cette prospérité vous échappera. Voire, vous pourriez même être
prospère mais vous sentir plus pauvre. La méditation pour la prospérité est
profonde, car elle touche aux insécurités enfouies et au manque de
confiance en soi. Prospérité et générosité sont liées. Quand vous vous
sentez assez riche, vous pouvez vous permettre d’être généreux. L’esprit
possessif renonce à se faire valoir et se libère du sentiment de sa propre
importance et de sa supériorité, puisque tout va bien. La richesse est
ressentie comme innée, elle ne vient pas de l’extérieur. Consommer n’est
plus nécessaire. En fait, si nous mettons fin à notre consommation, nous
pouvons mieux apprécier la richesse inhérente à chaque instant.
Cette générosité se fonde sur l’enseignement bouddhiste des trois
vacuités: la vacuité du soi, la vacuité de l’autre ou du récipient, et la vacuité
du don lui-même. Ces trois éléments sont vides de leur existence
individuelle et séparée. Donner selon cet esprit est un acte de générosité
éclairée. Nous donnons d’habitude à partir d’une conscience très forte de
notre propre personne, de celle qui reçoit et du don lui-même, et avec
l’espoir que ce don nous sera rendu. Chez le type Ratna transformé, ce qui
compte n’est pas ce qui est consommé mais ce qui vient de l’intérieur.
Quand une personne Ratna éclairée entre dans une pièce, participe à un
projet ou devient membre d’une équipe, elle y injecte un important potentiel
de productivité et de créativité comme si tout devenait possible, même
l’impossible.
Toutes les familles peuvent conduire à une transformation pratique: la
famille Bouddha pour pacifier les conflits, la famille Vajra pour supprimer
les obstacles, la famille Ratna pour accroître la prospérité, la famille Padma
pour la santé et l’autonomisation, et la famille Karma pour maîtriser ce qui
doit l’être. Cela dit, il ne faut pas que ces bienfaits servent des fins égoïstes.
Si votre motivation première est d’en faire bénéficier les autres, sachez que
le bouddhisme vajrayana vous offre les moyens habiles de faire du bien à
autrui en même temps qu’à vous-même. N’oubliez pas non plus qu’il n’est
pas uniquement question de prospérité avec la famille Ratna, mais
principalement de générosité et d’égalité. La mudra de la famille Ratna est
la mudra de la générosité: la paume de la main droite est tournée vers
l’extérieur.
Mudra de la générosité et du don de Tara. Photographie d’Alan Kozlowski.

La sagesse de la famille Ratna est la sagesse de l’équanimité et de la


présence enrichissante, le sentiment que vous n’avez besoin de rien, que ce
que vous possédez suffit. Exercez-vous à être satisfait, prospère et
généreux. Songez à tout ce que vous avez, aux êtres chers qui vous
entourent, à votre santé, à tout le reste, et suscitez en vous-même des
sentiments de gratitude et de générosité. Plus vous donnerez, plus vous
recevrez. Cela peut être difficile à croire quand vous ne possédez presque
rien. Bien sûr, il ne faut pas commettre d’imprudence; seulement enclencher
un processus.
Commencez par donner de petites choses en étant confiant que la terre
vous soutiendra. Puisque cette famille correspond à l’élément terre et aux
choses matérielles, le travail sur la générosité est fondamental. Le type
Ratna éclairé fait confiance à la terre. Il peut s’abandonner à elle; elle
pourvoira à ses besoins. Il peut se détendre. Il peut être généreux, car il y a
de tout en abondance et parce que la Terre Mère le soutiendra. Ainsi, la
sagesse de l’équanimité s’accompagne de stabilité, de fertilité et d’égalité.
Tout est bien. Il ne sert à rien d’aimer cette réalité ou de la détester. Elle est
parfaite telle qu’elle est. La sagesse de l’équanimité, c’est aussi la
tranquillité immuable, le calme. Dans cet aspect transformé de Ratna, tout
est bon.
L’acceptation de soi fait aussi partie de la sagesse de l’équanimité. Vous
n’avez nul besoin de l’approbation des autres puisque vous vous suffisez à
vous-même. Vous avez tout ce qu’il vous faut. Nul besoin de lutter pour
aller plus loin. Avec le Ratna éclairé, il est question de dignité et non plus
d’orgueil, de confiance et non plus d’arrogance. Il n’y a aucun danger à
partager votre prospérité, car vous savez que vous ne manquerez de rien;
l’accumulation excessive n’est pas nécessaire. Vous laissez faire.

TOUT PEUT ARRIVER


Le seizième Karmapa, mon premier maître et chef de la lignée de lamas
Kagyu, deuxième en importance après celle du Dalaï-Lama, était un être
Ratna qui incarnait parfaitement la sagesse de l’équanimité. Il traitait
chacun, du plus petit au plus grand, avec une égale compassion. On avait à
ses côtés la très nette impression que tout pouvait arriver, et tout arrivait. Il
était chaleureux et magnanime; son sourire réchauffait le cœur de tous ceux
qui le rencontraient. C’était un grand gaillard dont la présence enrichissait
nos vies. Rumtek, son monastère de Sikkim, avait la forme d’un mandala et
regorgeait de fresques magnifiques. Il enseignait aux rois et aux reines,
mais accordait aussi toute son affectueuse attention aux très jeunes
moinillons confiés à ses soins.
Dans les années 1970, quand mon amie artiste et photographe Stuart
Hamill vivait en Inde, elle avait rendu visite à Karmapa à Rumtek et pris un
polaroïd de lui. L’image, une fois développée, n’a pas montré un portrait de
lui mais un mandala, plus précisément la représentation exacte du mandala
Mahakala.
Plutôt que le corps de Sa Sainteté le 16e Karmapa, c’est ce mandala qui est apparu quand Stuart
Harmill, amie de Lama Tsultrim, a pris une photo de lui. Avec l’aimable autorisation de Naomi
Levine. Polaroïd de Stuart Hamill.

Les miracles en sa présence ont été très nombreux. Un livre publié


récemment et intitulé The Miraculous Sixteenth Karmapa56 est une
compilation des prodiges qu’il a accomplis de sa naissance à sa mort. La
magnanimité du Karmapa était tout à fait Ratna. Il était très enjoué; la
moindre expérience et la moindre rencontre lui procuraient une grande joie.
Il aimait les animaux, les oiseaux, surtout, et son milieu de vie était opulent
et chaleureux. Le «tout peut arriver» de la famille Ratna trouve sa pleine
mesure dans l’histoire de Karmapa, mais des personnalités Ratna plus
imparfaitement transformées qui incarnent la sagesse de l’équanimité et de
la présence enrichissante confèrent néanmoins beaucoup de créativité et de
magie à certaines situations.
L’HISTOIRE DE LIZA
Liza a vécu une formidable expérience avec ce mandala qui a réglé sur-le-
champ ses problèmes Ratna. Des ennuis financiers et professionnels qui
l’affligeaient depuis toujours ont été résolus du jour au lendemain presque
miraculeusement.
Liza, soixante ans, est expert-conseil en santé mentale. Elle est
actuellement directrice des programmes de protection contre la violence
domestique dans une importante agence de services sociaux, l’emploi de ses
rêves. Son père, un Juif polonais, avait émigré à l’âge de cinq ans aux États-
Unis après la Deuxième Guerre mondiale. Ses grands-parents paternels
étaient cousins germains. Liza est née à Brooklyn, New York, où elle a vécu
avec ses parents et sa sœur, son aînée de quatre ans.
La famille, qui vivait dans la partie la moins enviable d’un quartier juif
huppé, avait des ennuis d’argent chroniques. La mère, Miriam, était
infirmière et le père, Ben, vendeur itinérant. Joueur compulsif en secret, il
changeait souvent d’emploi. Liza avait une grande famille élargie, mais les
autres membres de cette famille appelaient ses parents «les pauvres
Goldstein». Ses grands-parents maternels habitaient en face et sa grand-
mère paternelle au coin de la rue avec Alan, son second mari, qui avait
remplacé le grand-père de Liza, Aron.
Petite, ayant remarqué sur le bureau de sa grand-mère la photo d’une
pierre tombale sur laquelle était gravé le nom de son grand-père, Aron, Liza
s’en était enquise. Mais on l’avait aussitôt fait taire. C’était la tombe du
père de son père. Elle ne devait pas toucher à la photo.
Le climat de la maison familiale était tendu et les querelles fréquentes
entre les parents de Liza. Outre les questions d’argent, sa mère, Miriam,
détestait sa belle-mère. La sœur de Liza se disputait aussi souvent avec leur
mère, tandis que Liza était une enfant sage et tranquille. Elle était aussi
hypersensible. Puisque ces tensions l’affectaient beaucoup, elle leur
échappait en se «cachant» dans sa chambre.
À vingt ans, Liza a découvert par sa sœur que leur grand-père paternel,
Aron, découragé de sa précarité financière, s’était suicidé en se jetant du
haut d’un pont. Les deux sœurs ont peu parlé entre elles de cette tragédie et
n’en ont jamais discuté avec leurs parents. Mais quand Liza était âgée de
quarante-trois ans, le cousin germain de son père, qui venait parfois lui
rendre visite, lui a raconté ce qui s’était passé.
La famille avait des ennuis d’argent, mais Miriam désirait être aussi
riche que certains cousins du voisinage. Aron, s’étant vu refuser un emprunt
qu’il avait demandé à des membres de la famille, a réagi à ce refus en se
jetant du haut du pont. Au dire du cousin, voyant qu’Aron n’était pas rentré,
sa famille avait soupçonné le pire, mais avait vaqué à ses occupations
comme si de rien n’était jusqu’à ce que la rivière rejette son corps sur le
rivage quelques jours plus tard.
Toute sa vie, dans les moments de dépression ou d’anxiété, Liza avait
envisagé le suicide. Cette solution lui paraissait acceptable si vivre devenait
trop pénible. Pendant toute son enfance et sa vie adulte, sa sécurité
financière l’avait inquiétée. Elle avait une mentalité de pauvre. Les choses
s’amélioraient parfois, mais cela ne durait pas et Liza retombait
inévitablement dans un autre gouffre financier. Elle en était venue à croire
que c’était là son destin.
Avant d’entreprendre la méditation mandala, malgré un haut niveau de
scolarité, Liza avait occupé des emplois qu’elle détestait, n’imaginant pas
pouvoir gagner sa vie autrement. Elle en était parfois très malheureuse et
suicidaire. Elle avait orienté sa pratique méditative sur ces moments
difficiles dès le début de son étude du mandala, mais ce n’est qu’après
s’être profondément immergée dans le mandala qu’elle a vu le rapport entre
le suicide de son grand-père et ses périodes de dépression, ses idées
suicidaires et son anxiété financière chronique. Jamais encore n’avait-elle
associé le «secret» familial à sa propre vie, mais la découverte de ce
rapprochement lui avait procuré un immense soulagement et un sentiment
de liberté et d’ouverture.
Liza se trouvait à une croisée des chemins dans sa carrière. Elle
éprouvait un grand besoin de travailler au sein du mouvement de lutte
contre la violence faite aux femmes, où elle se sentirait «chez elle». En
poursuivant sa pratique du mandala, elle a non seulement survécu, mais
prospéré. On lui a offert l’emploi de ses rêves qui lui permet de venir en
aide aux femmes victimes de violence conjugale. Son pessimisme financier
s’est envolé. Elle se sent au contraire riche et heureuse d’accomplir un
travail valorisant dans un climat sain. Elle attribue ce changement radical et
la résolution des problèmes Ratna qui empoisonnaient depuis toujours sa
vie et celle de sa famille aux connaissances qu’elle a acquises par la
méditation mandala.

LES MÉDITATIONS DE LA FAMILLE RATNA


Avant chacune des méditations ci-dessous, faites les neuf respirations de
détente et l’exercice de motivation décrits au chapitre 8 (pages 173 et 174).

Libérez l’énergie obscure


Prenons quelques instants pour ressentir l’état Ratna obscur de notre corps.

• Décelez l’énergie associée à l’arrogance, l’orgueil ou l’insécurité qui


circule en vous. Par exemple, ressentez-vous une lourdeur aux bras ou
aux jambes? Un frisson de froid à l’abdomen? Une oppression à la
poitrine?
• Imprégnez-vous de cette énergie obscure. Si vous ne sentez rien en ce
moment, évoquez une occurrence, un incident ou une période de votre
vie où cette énergie obscure était présente.
• Intensifiez ce sentiment d’arrogance, d’orgueil ou d’insécurité afin de le
ressentir fortement et en profondeur. Vous faites ainsi l’expérience
sensible d’un blocage affectif de la famille Ratna.
• Articulez maintenant la syllabe germe lentement et à voix basse: RI. Le
son se répand en vous comme si vous le dirigiez vers l’intérieur au lieu
de le projeter vers le dehors. Imaginez qu’une lumière jaune vous
imprègne. Le schéma obscur de l’ignorance devient équanimité.
Accueillez cette sagesse venue du son et de la lumière.
• Restez dans cette sagesse aussi longtemps que vous le désirez. Répétez
la syllabe germe lentement et attentivement en vous ménageant une
pause après chaque répétition, aussi souvent que vous le voulez, en
restant toujours quelque temps dans l’énergie de la sagesse à la fin.

Méditation sur l’élément: la terre


• Décidez de la durée de votre méditation avant de commencer. Je suggère
de quinze minutes à une heure.
• Cette méditation est possible dehors partout où vous pouvez vous
allonger sur le sol, sur le dos ou à plat ventre. Vous ressentez la terre
différemment couché sur le dos ou couché sur le ventre. J’aime
pratiquer cette méditation des deux façons, d’abord sur le dos, et après
quelque temps, sur le ventre. Étalez une serviette ou un fin linge par
terre: à la plage, personne ne saura que vous méditez! Si l’endroit s’y
prête, allongez-vous directement sur le sol.
• Prenez le temps de ressentir votre union à la Terre Mère. À plat ventre,
j’ai l’impression d’enlacer la terre, mais vous faites comme vous voulez.
Imprégnez-vous de la terre, fermez les yeux, sentez que vous êtes
solidement ancré à elle, savourez la perfection de tout ce qui vous
entoure et la sagesse de l’équanimité. Soyez reconnaissant à la terre
pour tout ce qu’elle vous donne. Ayez confiance en elle et dans le
soutien qu’elle vous procure. Laissez-vous aller en toute confiance.
Ressentez profondément cette confiance. Accueillez la générosité de la
terre.
• Après les neuf respirations de détente, respirez normalement. Quand
vous expirez, vous ne faites qu’un avec la terre. Rien ne vous sépare.
Restez dans cette expérience. Vous n’êtes pas allongé sur la terre, vous
êtes la terre, vous et la terre ne faites qu’un.
• En inspirant, emplissez-vous d’elle. Fusionnez-vous avec elle.
Assimilez-la. Chaque respiration intensifie cette fusion. Restez-y aussi
longtemps que vous le voudrez.
• Quand vous avez terminé, asseyez-vous et dédiez l’énergie positive ainsi
engendrée à tous les êtres sensibles.

Votre méditation finie, notez ce que vous ressentez et restez conscient


de cette sensation en vaquant à vos occupations. Nous sommes presque
toujours en contact avec la terre, si bien qu’il n’est pas très difficile de
trouver un endroit où pratiquer cette puissante méditation de guérison qui
nous réunit à la Terre Mère. Un maître amérindien m’a aussi initiée à une
autre pratique. On creuse le sol de ses mains. On demande à la terre la
permission de lui confier nos peines. Puis on parle, on crie ou on pleure
dans le trou qu’on a creusé, jusqu’à s’être libéré de toutes nos oppressions.
Cela fait, on remplit le trou de terre pour le refermer. On presse ensuite sa
surface des mains en imaginant que la Terre Mère emporte avec elle nos
chagrins, notre colère et notre souffrance, et on lui est profondément
reconnaissant de tout ce qu’elle représente.
11
La dakini Padma: la sagesse discernante

Les mandalas sont des lieux de naissance, des vaisseaux de


naissance dans le sens le plus littéral du mot, des fleurs de lotus
dans lesquelles un Bouddha s’éveille. Assis sur le lotus, le yogi se
voit transfiguré en un être immortel.
C. G. Jung

Nous allons maintenant du sud à l’ouest du mandala dans le sens des


aiguilles d’une montre. Ressentez-vous l’incandescence du soleil couchant?
Buvons un verre de vin rouge tandis qu’il allume de ses feux le vin de
couleur rubis. Nous sommes passés du consommateur de la famille Ratna,
de son lien avec la terre et le monde matériel au feu, à la chaleur, au désir, à
la nostalgie de la famille Padma. Après avoir rehaussé votre dignité et votre
générosité dans la famille Ratna, vous devenez un aimant complet en soi
dans la famille Padma. C’est ici le règne du grand cœur, de la passion et de
la compassion.
Le symbole de la famille Padma est le lotus rouge. Le lotus est un
symbole très courant du bouddhisme vajrayana. Il représente la nature
éveillée. En effet, le lotus pousse dans les eaux boueuses dont il émerge
parfaitement intact et parfumé. L’on pourrait croire que ces deux réalités
opposées sont incompatibles. Pourtant, les eaux polluées, cette matrice
fertile de laquelle émerge le lotus, n’affectent en rien sa pureté
irréprochable. Le mot passion, en sanscrit, se dit raga, qui signifie aussi
«couleur» et, plus particulièrement, la couleur rouge. C’est aussi un genre
musical indien. Les ragas étant liés à une émotion, le rouge est lié aux
émotions. Le rouge de Padma est un rouge brillant, envoûtant, flamboyant
qui reflète son élément, le feu, celui de la digestion, du sang qui court dans
nos veines, le feu qui nous réchauffe, l’énergie du soleil, l’énergie vitale.

Dakini Padma, XVIIIe siècle, pigment mineral en poudre sur coton. Rubin Museum of Art.

L’heure de Padma est celle du coucher du soleil et de sa chaude


incandescence. C’est l’heure d’allumer le feu, le feu de bois et le feu de la
passion, l’heure de nous unir à l’amant, de nous détendre et de laisser la
chaleur nous envelopper. Sa forme est le triangle pointé vers le haut, telle
une flamme. La saison de Padma est le printemps, quand la rudesse intense
de l’hiver fait place à la douceur des jours, à cette phase transitoire qui
ouvre la voie à l’été et à de nouveaux commencements. Elle est faite de
fraîcheur, de possibilités, de la beauté des fleurs en boutons, de la chaleur
qui monte de la terre. Février, le mois qui, en Europe, marque l’arrivée du
printemps, vient du mot latin febris, «fièvre». La chaleur revient. La Saint-
Valentin, que nous associons à la passion et à la couleur rouge, était
autrefois une fête païenne qui célébrait l’arrivée du printemps, la fièvre de
la passion et le retour du soleil.

Le lotus est le symbole de la famille Padma. Robert Beer, encre sur papier.

Le paysage Padma est un paysage de douces collines et de vallons


moussus où il est bon de faire l’amour, de criques sablonneuses, d’endroits
où les animaux vont s’ébattre. Il me fait toujours penser au jardin de Tara
Mandala: une abondance de fleurs, partout des lignes courbes, quelques
lapins en liberté, des tamias, des oiseaux qui picorent les graines de
tournesol. Tara Mandala est un lieu de prairies ondoyantes, de végétation
luxuriante et de promesses.
Le sens de Padma est l’ouïe. L’ouïe va de pair avec la séduction. La
musique éveille les sens et attise les émotions mieux que n’importe quelle
autre expression artistique. J’imagine une belle musique pour accompagner
le coucher du soleil. J’imagine aussi le cerf dont les oreilles se dressent
quand on lui parle ou qu’on joue de la flûte. On voit très souvent des cerfs
ou des wapitis en bordure de la route à Tara Mandala. Ils se tiennent en
petits groupes, mais j’ai aussi vu passer des troupeaux de trois cents
wapitis. Les cerfs que l’on voit de près sont surtout des cerfs mulets aux
grandes oreilles, dont l’ouïe très développée les protège des prédateurs.
Quand je les aperçois de ma voiture, souvent à cinq ou six mètres à peine, je
coupe le contact et je baisse la vitre. Ils s’arrêtent et font aller leurs grandes
oreilles d’avant en arrière en me regardant de leurs immenses yeux bruns
qui brillent. Je récite alors mélodieusement le mantra Avalokiteshvara de la
famille Padma, Om Mani Padme Hum Hri (Om – Le joyau dans le lotus –
Hri). C’est le plus célèbre de tous les mantras, un grand mantra de
compassion. Je le récite pour eux, pour créer des essences-semences
karmiques liées au dharma de leurs prochaines vies. Ils m’écoutent tant que
je n’ai pas terminé et, quand je redémarre, ils s’enfuient en courant.
Le peintre autrichien Gustav Klimt, dont les toiles sensuelles associent
les pigments éclatants et l’or, appartient à la famille Padma. Un de ses
thèmes récurrents est le corps féminin. Ses tableaux, dont le plus célèbre est
sans doute Le Baiser, sont empreints d’un érotisme résolu. Ils dégagent la
chaleur, la flamme et l’énergie tourbillonnante de Padma.
Le Baiser, de Gustav Klimt (1908). Huile sur toile. Galerie du Belvedère, Autriche.

Entre autres artistes de cette famille, on pourrait nommer J. M. W.


Turner et l’impressionniste Claude Monet. L’impressionnisme se
caractérise, entre autres, par une composition ouverte et une tendance à
dépeindre avec précision la mobilité de la lumière. Les toiles sont souvent
peintes directement sur place, en plein air. Le discernement dans le choix
des sujets et le désir de pénétrer profondément dans la réalité visuelle font
écho à la sagesse discernante de la famille Padma. D’une certaine façon, La
Création d’Adam, la fresque de Michel-Ange sur la voûte du plafond de la
chapelle Sixtine, est quintessentielle de Padma: l’énergie magnétique qui va
de Dieu à Adam, la lumière sensuelle, les couleurs franches.
Tandis que la maison Ratna est parfois somptueuse, douillette et sujette
au désordre, la maison Padma est artistique et moins encombrée. L’intérieur
Padma est charmant et coloré, pas aussi opulent que l’intérieur Ratna ni
aussi anguleux et précis que l’intérieur Vajra. Quand on entre dans une
maison Padma, sa beauté et son harmonie s’imposent sur-le-champ. Tout se
marie à la perfection. Les couleurs, où le rouge prédomine, sont chaudes;
les canapés en cuir souple sont agrémentés de jetés et de coussins dans des
tons de pierres précieuses. La chambre des maîtres est sensuelle, voire
érotique avec son éclairage tamisé, son lit à baldaquin aux lourds rideaux
bourgogne et ses coussins en velours. Partout dans cette maison il y a des
bougies dans des candélabres, dans de petits chandeliers ou sur des socles.
La maison Padma est chaleureuse, qu’un feu brûle ou non dans la
cheminée. Elle est réconfortante et nous apaise par la beauté de son décor.
Le type Padma est bien proportionné, séduisant, en forme et souvent
athlétique. Les Padma exsudent un charme magnétique. Ils sont exubérants,
chaleureux et extravertis. Leur démarche est gracieuse. Ils ont une beauté
dite classique, des traits harmonieux et un regard lumineux et rayonnant. Ils
affectionnent les couleurs unies, surtout le rouge, les vêtements de bonne
qualité qui épousent le corps, le velours et la soie, les tissus sensuels et
doux au toucher. Leurs bijoux ne sont ni massifs ni voyants, mais toujours
beaux.

PADMA EST INVITÉ À UNE SOIRÉE


Nous n’aurons pas de mal à imaginer une personnalité Padma dans une
soirée, puisque Lila, mentor spécialisée, quarante et un ans, en est l’hôtesse.
Elle adore recevoir et toutes les excuses sont bonnes pour organiser une
réception: le premier jour du printemps, la première neige, le départ d’une
personne, l’arrivée d’une autre… et, bien entendu, les anniversaires et les
congés. Elle aime recevoir tout d’abord parce qu’elle aime persuader les
gens d’être de la fête. Que faire pour que sa soirée les séduise? Que dire
pour qu’ils ne puissent pas décliner son invitation?
Lila atteindra son but, car on se plaît en sa compagnie. Elle a acheté des
chocolats de luxe? Il faut fêter ça! Le chocolat est un véhicule qui cimente
ses relations. Elle envoie des invitations: «Venez partager des chocolats
avec moi!» Se régaler toute seule de délicieux chocolats ne lui dit rien. Ce
qui compte n’est pas tant la chose en soi que l’énergie qu’elle peut déployer
grâce à elle.
Lila enfile une robe rouge et voyante, peut-être aussi des dessous
rouges, pour sa soirée au thème chocolaté. Elle est un peu ivre, expansive,
dit à ses invités qu’ils sont absolument merveilleux, énumère leurs qualités,
elle a envie de les prendre dans ses bras, de les embrasser. Elle insiste, elle
les enlace de force, les oblige à lui faire la bise. Mais elle est si bonne, si
chaleureuse, si affectueuse. Vers la fin de la soirée, il lui faut toujours
trouver quelqu’un avec qui passer la nuit. Elle en ressent si intensément le
besoin que son charme opère. Mais le lendemain matin, elle le chasse pour
conquérir une nouvelle proie.
Daniel, qui appartient au type Padma, est cinéaste. Il porte un jean
moulant et une ceinture sexy en argent, des baskets et un t-shirt rouge. C’est
un coureur de jupons. En parlant avec une femme, il sourit à une autre. Il
feint de s’intéresser à ce que lui dit son interlocutrice, il lui fournit des
contacts utiles et lui propose le premier rôle dans son prochain film. Dès
qu’il en a la possibilité, il glisse un bras autour de sa taille. Sans pour autant
cesser de regarder la femme qui se trouve derrière elle, il lui parle à voix
basse et fait quelques plaisanteries à connotation sexuelle. Elle le trouve
superficiel, mais se laisse subjuguer: il est si beau! Quant à lui, il passera la
nuit avec la dernière de ses conquêtes et laissera dans son sillage plusieurs
femmes irritées qui s’en voudront de s’être fait avoir.
Sous son aspect éveillé, Lila est le boute-en-train de la soirée, elle sait
mettre chacun à l’aise sans manifester de préférence et sans chercher à
appâter qui que ce soit. Il émane d’elle une compassion chaleureuse et une
grande gaieté. Si un invité a des ennuis, elle veillera avec empathie à le
sécuriser. Elle s’intéresse sincèrement à chacun, mais n’a aucunement
besoin de séduire ou de trouver «la» personne qui fera son bonheur. Sous
son aspect éveillé, Daniel visualise quelques plans de caméra de la maison
dès son arrivée et envisage d’en faire un des décors de son prochain film. Il
regarde les invités et se rend compte que plusieurs gagneraient à se
connaître. Il circule au milieu d’eux, fait des présentations sans aucune
arrière-pensée. Il s’amuse de façon tout à fait décontractée, il n’essaie
d’enjôler personne, il est chaleureux avec tout le monde.

LE SCHÉMA OBSCUR: LE DÉSIR ET LA SÉDUCTION


Le schéma obscur de Padma est le désir intense, la libido, l’envie
irrésistible. La personnalité Padma use de son charme pour manipuler les
situations et les gens. Elle a la qualité du feu, elle est sexy, elle veut l’être,
elle n’y échappe pas, et elle a aussi besoin qu’on le lui dise. Son envie de
séduire n’a que faire de la véritable communication qui vient du cœur.
Quand son pouvoir de séduction échoue, elle en est très frustrée, si bien
qu’elle ne renonce pas et s’efforce avec insistance d’avoir gain de cause.
Les types Padma ont besoin d’attirer les autres, non seulement dans un but
sexuel mais aussi pour les convertir à leurs idées et les plier à leurs
volontés. Ils sont hypersensibles à toute personne qu’ils veulent attirer dans
leurs filets. Ils remarquent tout d’elle pour pouvoir se l’approprier et faire
en sorte qu’elle se sente en confiance: «Quelle est sa couleur ou sa marque
préférée? Tiens, je vais la lui donner.» Ou «Qu’est-ce qu’il aimerait que je
porte? Allez, je mets ça.»
Les personnes Padma sont enclines à entrer dans une relation puis à
rompre dès que le charme s’émousse, car ce qui les intéresse est la
séduction et non pas la relation elle-même. L’animal associé à cette famille
est le paon. Aucun autre ne dit aussi haut et fort: «Regardez-moi! Ne suis-je
pas beau?» Au Colorado, où je vis, il y a beaucoup de dindons sauvages. Ils
ressemblent aux paons par certains côtés, sauf que leur plumage est plus
subtil pour mieux se fondre dans les tons de brun et de roux du paysage.
J’aperçois souvent au printemps un mâle qui fait la roue et parade pour un
groupe de femelles. Quand le soleil frappe son plumage, celui-ci brille de
toutes ses couleurs: vert, rouge vif, bleu, et le brun qu’on lui connaît. Les
dindons sauvages se tiennent parfois au milieu du chemin de terre qui
conduit à Tara Mandala. Les dindes glougloutent entre elles en réaction à la
parade du mâle qui, dans sa bulle, danse élégamment pour les séduire.
Les Indiens Zuni du Nouveau-Mexique ont une danse qui reproduit
cette parade nuptiale. Les hommes coiffent un panache de plumes de dindon
orné d’une frange qui leur retombe sur les yeux; ils portent des bottes à
frange, des colliers, des bracelets et des ornements de bras faits de
turquoises, et des tabliers rouges, jaunes et noirs. Les femmes, vêtues plus
sobrement, dansent derrière eux. Ces danseurs incarnent et animent
l’énergie de la famille Padma.
Les personnalités Padma ont du mal à composer avec les défis d’une
relation intime profonde. Les plates exigences de la véritable intimité,
notamment les problèmes de communication, les découragent. Elles veulent
la passion superficielle et les aventures qui ne durent pas. Padma est
l’incarnation du complexe de Don Juan (ou de Doña Juanita). Ce qui
l’intéresse avant tout est la chasse, la conquête de sa proie, l’énergie de la
passion dévorante. Il s’enorgueillit de son talent. La femme (ou l’homme)
qu’il convoite n’est pour lui qu’un trophée qu’il n’a aucun désir de
connaître en profondeur. Durant la phase de séduction, il est charmant,
aimable, sexy, magnifique et séduisant. Dès qu’il a remporté sa victoire,
cette énergie disparaît, et c’est sans pitié qu’il passe à autre chose,
abandonnant sa victime éplorée. La passion «s’est refroidie».
La famille Padma inclut aussi le type Casanova, homme ou femme, qui
aime mais ne peut s’empêcher de séduire et est incapable de monogamie.
Paul, par exemple, est entraîneur dans un centre de conditionnement
physique ayant une forte clientèle féminine. Il séduit une cliente et lui
déclare un amour passionné. Mais dès qu’une autre femme attire son regard,
il la pourchasse avec assiduité sans cesser d’«aimer» la première. Parfois,
les choses se compliquent. Mais dans son domaine d’activité, la rotation
constante de la clientèle lui permet de continuer son petit jeu en étant
sincèrement convaincu d’aimer toutes ses conquêtes. Le schéma obscur de
Padma correspond à une inaptitude à l’attachement profond à laquelle se
mêle le besoin de céder à la passion par pur plaisir.
Parce que les types Padma manquent souvent de discernement dans
leurs relations, ils trompent leur partenaire, ont des relations multiples ou en
série. Dans les cas extrêmes, ils se moquent d’avoir des rapports sexuels ou
amoureux avec des partenaires qu’ils connaissent à peine, ce qui se traduit
par un nombre élevé de cas d’ITS et de sexualité compulsive. Comme
d’autres personnes affligées des troubles de Padma, la plupart des
sexomanes ont peur qu’on les abandonne et, de ce fait, sont enclins à
s’accrocher à des relations malsaines. La peur de la solitude, du vide ou de
l’incomplétude survient, que seul peut «guérir» une (nouvelle) aventure
amoureuse. Le type Padma pourrait ne pas contrôler ses impulsions
sexuelles ou sombrer dans la pornographie pour gérer ces émotions tout
comme il pourrait avoir peur, ou bien se sentir coupable ou très seul.
Les types Padma ont l’impression que tous leurs problèmes seraient
réglés s’ils pouvaient attirer à eux la bonne personne. Mais leur dépendance
à l’attirance-répulsion de la séduction les pousse à draguer une nouvelle
proie dès qu’ils en ont conquis une. En un certain sens, comme le feu
consume son combustible, ils consument leur conquête et doivent toujours
la renouveler. La passion s’allume; ils brûlent avec elle; puis elle s’éteint.
Le feu brûle sans discrimination tout ce qui passe à sa portée.
Les passions malavisées, l’infidélité et la trahison font beaucoup
souffrir. Je pense que nous en avons tous été victimes et que nous avons
aussi tous été bourreaux. L’infidélité provoque une blessure profonde, car
dans une relation amoureuse, nous ouvrons notre cœur à la vulnérabilité. Le
désir de remédier à l’angoisse de séparation est inhérent à une relation.
L’être humain éprouve sans doute par-dessus tout le besoin d’être aimé,
besoin que peut combler la relation amoureuse. Celle-ci comporte à la fois
un immense potentiel de bonheur et un tout aussi immense potentiel de
souffrance due au rejet. Elle peut par conséquent créer et cimenter des
mariages et des familles, ou les détruire. Les relations Padma sont aptes à
engendrer toutes sortes de situations positives ou négatives et même de la
violence. Le feu de la passion, la sexualité, le besoin intense de plaisir
sensuel, d’amour et de fusion caractérisent ce schéma émotionnel.
Les Padma sont capables d’user d’empathie à des fins manipulatrices ou
sans que cela soit justifié. C’est le cas quand un vendeur essaie de
développer avec vous une relation personnelle dans le seul but de vous
vendre quelque chose. Il a l’air très heureux de faire votre connaissance et
d’en apprendre davantage sur vous et votre famille, mais il ne désire rien
d’autre que vous amener à acheter son produit. Dans les cas extrêmes, la
passion Padma vire à l’obsession et au harcèlement. Convaincu que sa
victime l’aime, le harceleur peut recourir à la violence quand il n’obtient
pas ce qu’il veut.
Le harceleur refuse de croire que l’objet de son désir ne partage pas ses
sentiments, il se persuade qu’une personne l’aime sans le savoir et il veut
l’obliger à s’en rendre compte. Le besoin d’être irrésistible du type Padma
peut se transformer en besoin irrésistible de conquérir une personne, puis
dégénérer en fureur redoutable, voire meurtrière. Tant que le harceleur
poursuit sa victime, il se convainc de n’avoir pas encore été rejeté. Mais
quand on lui barre la route, il peut devenir mortellement dangereux, comme
le démontrent les nombreux meurtres commis par des harceleurs. Dans la
majorité des cas, le tueur connaissait intimement sa victime.
Bien entendu, ce sont là des exemples extrêmes. Il existe des formes
moins excessives de ce Padma négatif. Par exemple, une femme vérifie de
façon compulsive les comptes de réseaux sociaux de son ex-amoureux pour
savoir ce qu’il fait et s’il fréquente quelqu’un d’autre. Elle tente avec
insistance de communiquer avec lui par texto, courriel ou téléphone même
s’il ne répond jamais. Elle fréquente des endroits où elle pense pouvoir le
croiser ou s’enquiert de lui auprès de ses amis. En proie à cette obsession
Padma, elle croit que l’autre personne lui revient de droit et qu’elle doit se
l’approprier. Un autre problème Padma, généralement dû au désespoir et à
la peur de la solitude, consiste à s’engager dans une relation avec une
personne peu fiable, méchante, voire violente, et de ne plus pouvoir s’en
séparer.
Ma fille, qui vit à Los Angeles, est à l’emploi d’une société
cinématographique. Ayant pu observer la dynamique hollywoodienne par
son entremise, j’ai pris la décision de rebaptiser Hollywood «Padma City».
Un bon acteur doit fasciner. La carrière des vedettes de cinéma dépend de
leur aptitude à éblouir non seulement le public, mais les producteurs et les
metteurs en scène. Elles développent une dépendance à l’attention dont
elles sont les objets. Quand elles ont connu un premier succès, elles
cherchent désespérément à revivre la griserie qu’il leur procure. Hollywood
est une ville férocement compétitive en raison du grand nombre de
personnalités Padma qui y circulent. La célébrité s’accompagne de pouvoir.
Quand l’étoile d’une personne pâlit, il s’ensuit un épouvantable sentiment
de deuil et de peur. Les acteurs vieillissants se sentent parfois insignifiants.
On ne leur confie plus de rôles. Les actrices ressentent le besoin de se
rajeunir, de reconfigurer leur visage à coups d’injections de Botox ou de
chirurgies esthétiques. Elles sont prêtes à tout pour ne pas perdre leur
pouvoir de séduction. Si votre identité tient à votre seule apparence, son
flétrissement est une tragédie. L’insécurité de la famille Padma débouche
facilement sur les toxicomanies et l’alcoolisme. C’est le cas aussi des
mannequins ou de toute personne dont la vie s’ancre dans son pouvoir de
séduction.

LA SAGESSE DISCERNANTE
Jetons maintenant un coup d’œil au pôle sage de la famille Padma. Il est ici
question de sagesse discernante, qui porte aussi le nom de sagesse de
perception discriminante. Elle voit de façon très détaillée les interrelations
entre les choses grâce à un discernement inquisiteur. La spaciosité de la
sagesse transcendante combinée à la sagesse-miroir de Vajra crée une
immense présence réfléchissante, tandis que la sagesse Ratna de
l’équanimité ancre et stabilise la vigilance. Tout cela prépare le sage
discernement de Padma.
Cette sagesse est étonnante dans le voisinage de la passion inhérente au
schéma obscur de la famille Padma. Mais comme toujours quand émerge la
sagesse, l’obsession de l’ego dévoile en disparaissant une compassion
radieuse et désintéressée, une compassion discriminante. La séduction est
ici sans effort, toutes les nuances sont perceptibles, la relation est éclairée,
sans attachement névrotique. Dans l’éveil de la sagesse discernante, nous
pouvons aimer sans avoir besoin d’être aimé en retour. Le sentiment
chaleureux se suffit à lui-même. La compassion est sans passion, le plaisir
est discriminant.
Le Dalaï-Lama est un bel exemple de Padma éclairé. Il est, en fait, une
émanation d’Avalokiteshvara, qui est associé à Amitabha, le bouddha de la
famille Padma. Il incarne cette famille éclairée et personnifie la cordialité et
la compassion. Il a séduit le monde entier. Tous ceux qui le connaissent
l’aiment. Il est sans doute un des êtres humains les plus populaires au
monde. D’après un sondage mené par ICT (International Campaign for
Tibet) dans cinq pays européens et aux États-Unis, ce Prix Nobel de la paix
est l’être au monde qui représente le mieux l’humilité, la paix et la non-
violence. Sa Sainteté possède aussi un sens aigu du discernement; c’est un
intellectuel brillant qui peut être tranchant quand il le faut, mais qui affiche
presque en tout temps un sourire chaleureux.
La famille Padma correspond à l’agrégat de la perception; elle ouvre la
porte à la faculté de discerner distinctement et précisément toute chose et de
créer des œuvres artistiques. Les cinq agrégats, accumulations ou amas
(skandhas en sanscrit) sont les composants psycho-physiques de l’être
humain: la forme (les éléments qui composent le corps physique), les
sensations, les perceptions, les volitions et la conscience. Ces agrégats
s’unifient pour créer le corps et l’esprit d’un individu. La personnalité
Padma concerne la perception des interrelations non seulement entre les
êtres, mais aussi entre les couleurs, les textures, les formes, les sons et les
vides. Pour cette raison, la famille Padma règne sur les arts. On est sensible
au moindre effleurement de l’amant, à ses moindres préférences
vestimentaires et alimentaires, à sa démarche, au mouvement de ses doigts,
à ses regards. Dans le schéma obscur de Padma, le désir de fasciner une
personne transforme cette sensibilité en obsession. Mais la lucidité de l’état
éveillé débouche sur une grande attention aux détails, une esthétique
éclairante, une cordialité et une gentillesse dénuées de toute arrière-pensée.
L’artiste doit pouvoir travailler la couleur, les sons, et ainsi de suite,
selon la forme d’art qu’il a choisie. Un artiste visuel agence des objets, il les
observe les uns par rapport aux autres, il discerne l’interrelation de leurs
formes et de leurs textures. Qu’il s’agisse d’arrangements floraux,
d’architecture, de graphisme, ou, plus simplement, de la disposition des
meubles de votre séjour ou d’un motif de tricot, le discernement est
indispensable pour comprendre, entre autres, les rapports entre la forme, la
couleur et la perspective dans les beaux-arts et les arts appliqués.
Le discernement de Padma permet de développer des relations
accomplies fondées sur la compassion; vous guidez les autres en
n’entretenant aucune arrière-pensée. Vous ne vous engagez pas dans des
relations malsaines, puisque les besoins névrotiques de Padma ne sont pas
là pour vous empêcher de regarder les choses en face: «Qui est cette
personne?» Vous envisagez lucidement la relation. La personnalité Padma
éveillée discerne clairement ce qui profite à tous plutôt que ce qui ne profite
qu’à elle.
Qu’est-ce qui différencie le schéma obscur de la sagesse? La disparition
du combat qui s’ancre dans l’obsession de l’ego. Sans ce combat, il n’y a
pas de référence à soi. En l’absence de l’acharnement à obtenir quelque
chose et de l’attachement à soi, vous êtes tout aussi attentif au moindre
détail que le Padma névrotique, mais ni vous ni votre aptitude à la séduction
n’êtes concernés.
Un Padma transformé excelle aussi à exploiter l’énergie de la
communication, mais cette énergie est très belle, très chaleureuse, apte à
susciter un amour profond et compatissant. Dans cette chaleur rayonnante,
la personnalité Padma éveillée irradie la bonté. De nombreuses recherches
indiquent que nous sommes biologiquement prédisposés à nous sentir plus
en sécurité et à l’aise dans une relation de confiance57. Dans son livre
intitulé Serre-moi fort!, Sue Johnson écrit: «L’isolement et la perte
potentielle d’une relation d’amour entraînent dans le cerveau humain une
réaction primale de panique. Ce besoin d’un lien sûr avec quelques êtres
chers est le fait de millions d’années d’évolution58.»
La mort subite de Dave, mon mari, emporté par un infarctus à l’âge de
cinquante-quatre ans, m’a plongée dans un chagrin immensurable. J’étais en
état de choc. Il est mort chez nous durant la nuit et rien n’avait laissé
présager ce décès, ni maladie ni signes avant-coureurs. Après la crémation,
j’ai dû quitter la maison, car je ne supportais pas d’y vivre sans lui. J’ai fait
un pèlerinage qui a duré six mois et, pendant six ans ensuite, je n’ai pas pu
retourner chez nous, encore moins dormir dans notre chambre. Je vivais
dans ma hutte de retraite ou dans ma chambre du temple. J’étais en contact
avec mes enfants adultes et mes amis, qui étaient aussi très attachés à mon
mari, mais personne ne comprenait vraiment la profondeur de ma perte et je
me suis efforcée de ne pas leur en imposer le fardeau. Nos amis, ceux qui
avaient été très proches de mon mari, ont été mon plus grand réconfort.
Mais j’étais dévastée, terrassée par la douleur. Il m’a fallu interrompre mes
enseignements et me retirer de Tara Mandala pendant plusieurs années.
Dave avait été mon seul amour et un partenaire à tous points de vue.
Nous avions fondé Tara Mandala ensemble, il jouait un rôle de premier plan
dans sa gestion et, soudain, l’entière responsabilité m’en incombait. Mon
fils m’a secondée pendant quelques années, mais au bout du compte, j’ai dû
tout prendre en main. Dave était dévoué à sa famille. Son humour et son
sens du jeu imprégnaient chacune de nos fêtes. Il était mon «chez-moi», où
que je sois dans le monde, du moment qu’il était à mes côtés. Notre
profonde intimité sexuelle ne s’était jamais démentie en vingt-deux ans de
mariage.
La solitude a été pire que tout. Elle ne me quittait pas même en présence
de mes enfants et petits-enfants qui m’apportaient pourtant de grandes joies,
ni même au contact de mes amis les plus intimes. Elle était avec moi, nuit et
jour. Elle a fini par s’estomper au fil des ans, mais à chaque anniversaire de
la mort de Dave (quel drôle de mot pour un événement comme celui-là) il
me semblait gratter la croûte d’une plaie qui se remettait à saigner. Je me
disais cependant que je devrais pouvoir composer moi-même avec ce deuil.
Que je devrais pouvoir être heureuse seule. Que je ne devrais pas avoir
besoin d’une autre relation pour être heureuse. On me le disait aussi: «Tu as
connu vingt-deux ans de bonheur auprès de Dave. Sois-en reconnaissante.
La plupart des gens n’ont même pas ça.» J’ai peu à peu compris que j’avais
besoin d’une autre relation d’intimité, même si cela voulait dire que j’étais
faible et incomplète.
Sept ans après la mort de Dave, j’ai découvert le livre de Sue Johnson,
Serre-moi fort! J’y ai appris que le besoin de proximité et de sécurité
affective est ancré en nous. D’une certaine façon, c’est l’évidence même,
notre instinct de survie depuis les tout débuts. J’ai été soulagée de constater
qu’il n’y avait pas de mal à ressentir jusqu’à l’angoisse un tel besoin
d’intimité. Quand j’ai cessé de me juger négativement, je me suis aussi
délestée d’un fardeau qui exacerbait mon chagrin. Dès que je me suis mise
à explorer des relations nouvelles, je me suis sentie mieux. Même si je sais
que personne ne remplacera jamais Dave, je reconnais qu’un sain besoin
d’intimité n’a rien à voir avec l’appétence névrotique de Padma. J’ai appris
là une importante leçon: ce que j’avais cru être un comportement Padma
névrotique était en fait un besoin fondamental d’union, de chaleur et
d’intimité. Le fait de cesser de me juger a quelque peu apaisé ma peine.
La famille et l’énergie Padma règnent sur la longévité et la santé. Il faut
invoquer cette famille et magnétiser son énergie vitale si vous souffrez de
fatigue chronique, par exemple. Elle vous donne aussi le pouvoir et la force
d’agir quand vous voulez accomplir quelque chose.
Dans l’aspect positif de Padma, la sexualité subtile et intime traduit une
union non duelle avec le partenaire, une union qui se fonde non pas sur la
séduction mais sur l’amour, une présence et un rapport profond et généreux.
La rencontre des corps subtils des amants préside à l’expérience sexuelle
sacrée. Les corps subtils sont trop souvent totalement absents de la sexualité
d’aujourd’hui. Les gens font l’amour les yeux fermés, si bien que leurs
corps subtils ne peuvent pas se rejoindre. Dans le sexe tantrique, l’agrégat
Padma de la perception discriminante se hisse au niveau du goût non duel,
du toucher non duel, de l’odorat non duel, de la vue non duelle, et ainsi de
suite. Le couple fusionne ces énergies, de sorte que l’énergie n’est plus
confinée à une personne mais circule de l’une à l’autre.
Une expérience de non-dualité ainsi vécue est parfois très libératrice, et
c’est pourquoi la sexualité sacrée peut conduire à l’Éveil. La profonde
chaleur engendrée évoque l’énergie transformée de la famille Padma.
Existe-t-il une expérience humaine plus intense que l’union sexuelle?
J’aime cette citation du grand yogi indien Naropa: «Dans l’intensité du
plaisir, imaginez que vous n’avez pas plus de consistance que les nuages
dans le ciel.»
Dans son livre intitulé Luminous Emptiness, Francesca Fremantle
résume comme suit la difficulté qu’il y a à rendre toutes les résonances du
mot sanscrit pratyavekshana, qui évoque l’aspect éveillé de la famille
Padma dans son essence même: «Il se peut que toutes les significations
inhérentes au mot original sanscrit soient présentes en même temps: pas
seulement la capacité à distinguer divers objets de perception, mais, chose
plus importante encore, la capacité à regarder intensément en chacun, à en
apprécier les caractéristiques uniques et à entrer dans leur unicité avec
amour et compassion59.»
L’empathie et le souci des autres, ainsi qu’une connaissance profonde et
inquisitrice de la nature de la réalité, sont inhérentes à la sagesse
discernante. Dans le contexte de la subtile sexualité sacrée et de son
intégration à la méditation sur les éléments, l’acquisition de cette
connaissance n’est pas intellectuelle, mais pragmatique. C’est un savoir
profond qui va au-delà du savoir ordinaire et centré sur le soi qui touche au
cœur de la réalité. Le Bouddha Amitabha, en contemplation, fait le geste de
la méditation. Les gestes symboliques de tous les autres bouddhas
correspondent à une activité. Amitabha seul fait un geste de méditation
profonde qui n’est associé à aucune autre activité.

L’HISTOIRE D’ISABELLA
Le parcours d’Isabella au sein de la famille Padma est un bel exemple du
passage d’un schéma obscur à un état éveillé. La mère d’Isabella, Myra,
avait vingt ans de moins que son mari, Henry, un professeur réputé de
théorie musicale dont elle avait été l’étudiante et l’assistante à l’université.
Myra adorait Henry et l’avait hissé sur un piédestal en raison de leur
différence d’âge et de sa grande érudition dans leur domaine de
compétence. Elle-même très accomplie, elle lui cédait néanmoins le pas.
Leur mariage était typique de ceux où la femme se définit uniquement dans
son rapport avec son mari. Isabella avait observé ce comportement durant
toute son enfance et s’était persuadée que, sans homme, elle ne pourrait pas
s’épanouir. La relation de ses parents était romantique, mais son père n’était
pas de tempérament facile. Compte tenu de leur différence d’âge, des
problèmes ont surgi quand Myra a dû prendre soin de lui. Henry était
égoïste et exigeant, mais Myra lui obéissait. Isabella a capté ce message
clair et net: tu ne peux pas vivre sans un homme; une femme ne s’épanouit
qu’à son contact; tu dois tout faire pour le garder.
Prenant inconsciemment ce message à cœur, Isabella s’est mariée à
vingt ans. Elle était impatiente de le faire et croyait sincèrement que son
mariage durerait toute la vie. Tout s’est bien passé pendant dix ans. Mais
Isabella manquait de confiance en elle et voulait trop être une épouse
parfaite. Qui plus est, elle ne s’estimait pas à la hauteur de son rôle –
réaction Ratna qui amplifiait son schéma Padma. Elle enseignait à
l’université, préparait tous les repas de son mari, tenait maison et recevait
souvent. Dans toute sa perfection, elle ne laissait pas respirer son couple;
elle étouffait son mari de trop d’amour.
Un jour, en rentrant du travail, le mari d’Isabella lui a annoncé à brûle-
pourpoint qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre et qu’il la quittait. Elle
était sous le choc. Tout n’avait pas toujours été rose, bien sûr, mais rien ne
l’avait préparée à cette rupture brutale. Comme le sens de sa propre valeur
dépendait de la réussite de son couple, elle en a éprouvé un cuisant
sentiment d’échec.
Après sa séparation, complètement perdue et désespérée, délestée de
son rôle d’épouse, Isabella ne savait plus qui elle était et se sentait
insignifiante. Honteuse d’être à nouveau célibataire et que son mari l’ait
quittée, elle a tout de suite voulu lui trouver un remplaçant. Elle s’est très
vite remise en couple, très vite remariée, mais ainsi poussée par le désespoir
elle a fait un très mauvais choix. Le jour de son mariage, elle savait au fond
d’elle-même qu’elle commettait une grave erreur. C’est à cette époque
qu’Isabella s’est engagée dans la méditation mandala. Son travail sur la
famille Padma a changé sa vie. La pratique du Mandala des cinq dakinis a
commencé à estomper sa certitude de ne pouvoir s’épanouir que dans une
relation de couple avec la bonne personne. Elle discernait enfin son aspect
obscur et son aspect potentiellement sage. Chaleureuse et compatissante,
elle s’est peu à peu libérée de sa dépendance à la possessivité et à la
séduction pour développer en elle la sagesse discernante.
Quand son deuxième mariage a échoué, Isabella a clairement pris
conscience du caractère malsain de son schéma obscur. Elle a vu qu’elle
excellait à la séduction et qu’elle savait se servir de sa sexualité pour attirer
un homme dans ses filets. Mais une fois sa proie «conquise», un
refroidissement typiquement Padma s’ensuivait, et Isabella se désintéressait
du sexe. En examinant ce comportement plus à fond, elle a compris qu’elle
avait désespérément besoin de se définir dans une relation avec quelqu’un
d’autre. Il fallait qu’un homme la trouve belle et désirable, il fallait qu’il la
convoite, ce qui n’avait rien à voir avec le fait d’aimer et d’être aimée.
Croyant chercher l’amour, elle cherchait en réalité un homme qui voudrait
d’elle et la rassurerait.
Dans sa pratique du Mandala des cinq dakinis, Isabella s’est entraînée à
accepter l’incarnation du féminin souverain, à ressentir la puissance du
féminin sacré. Un jour, ayant trouvé une branche dans le bois derrière chez
elle, elle en a fait son khatvanga, ce bâton ou sceptre qui symbolise le
consort intérieur de la dakini. Elle l’a décoré des symboles de son parcours
dans la famille Padma. Quand il a été terminé, Isabella est allée danser
chaque jour dans la forêt avec ce khatvanga. Elle a ainsi pris conscience du
masculin en elle et de ce que représentait la présence de ce consort intérieur.
Elle a persévéré jusqu’à ce que la conscience de son masculin intérieur se
soit stabilisée.
À peu près au même moment, sachant qu’elle devait être seule pour
apprendre à être à l’aise en sa propre compagnie, Isabella a choisi de
marquer un temps d’arrêt dans ses fréquentations. Elle a acheté une maison
qu’elle aimait et qu’elle a décorée à sa façon avec des couleurs et des
symboles du mandala. Elle a planté un jardin mandala et s’est efforcée
d’apprivoiser sa solitude. Elle a constaté, à sa grande surprise, que vivre
seule la terrifiait, mais avec le temps et la pratique quotidienne du mandala,
elle s’est grandement réjouie d’avoir su conquérir son indépendance.
Durant cette importante étape de sa pratique méditative et de sa
croissance intérieure, Isabella en est venue à aimer vivre seule et à croire
que c’en était fini des hommes. Évidemment, elle a alors fait la
connaissance d’un homme avec lequel elle s’est liée d’amitié – sans plus.
Divorcé, il n’avait que quelques fréquentations sans conséquence, tout
comme Isabella, du reste. Ils s’échangeaient des confidences et s’en
amusaient beaucoup. Isabella était très heureuse d’avoir un ami qui ne soit
pas un amant. De par son travail sur la sagesse discernante, elle ne
ressentait pas le besoin de le séduire. Ils pouvaient se contenter d’être amis
et voir où cela les mènerait.
Découvrant au fil du temps qu’ils ressentaient l’un envers l’autre plus
que de la simple amitié, ils se sont lentement rapprochés. Grâce à son
travail sur le mandala et, plus particulièrement, sur la dakini Padma,
Isabella avait avec cet homme une attitude radicalement différente. Elle ne
cherchait pas à se fusionner avec lui, ne se définissait plus en fonction de sa
relation avec un homme. Elle restait elle-même, savourant la compagnie de
son nouvel amant sans craindre de le perdre. Ils sont maintenant mariés
depuis quinze ans. En plus d’être amants et partenaires dans leur couple, ils
sont toujours bons amis. Le feu de Padma brûle encore en Isabella, elle a
toujours besoin d’approbation, mais ce n’est pas, comme naguère, le besoin
névrotique du papillon qui se brûle à la flamme. Elle médite encore sur le
Mandala des cinq dakinis pour enrichir sa sagesse.

LES MÉDITATIONS DE LA FAMILLE PADMA


Avant chacune des méditations ci-dessous, faites les neuf respirations de
détente et l’exercice de motivation décrits au chapitre 8 (pages 173 et 174).

Libérez l’énergie obscure


Prenons quelques instants pour ressentir le schéma Padma obscur de notre
corps.

• Décelez l’énergie associée au besoin irrésistible ou au désir qui circule


en vous. Par exemple, est-ce une oppression à la poitrine? Une brûlure à
l’abdomen? Où la ressentez-vous?
• Imprégnez-vous de cette énergie obscure. Si vous ne sentez rien en ce
moment, évoquez une occurrence, un incident ou une période de votre
vie où cette énergie obscure était présente.
• Intensifiez ce sentiment d’agrippement, de besoin irrésistible ou de
nostalgie afin de le ressentir fortement et en profondeur. Vous faites
ainsi l’expérience sensible d’un blocage affectif de la famille Padma.
• Articulez maintenant la syllabe germe lentement et à voix basse: NI. Le
son circule en vous. Imaginez qu’un incendie et une lumière rouge vous
imprègnent. Le schéma obscur de l’ignorance devient discernement.
Accueillez cette sagesse venue du son et de la lumière.
• Restez dans cette sagesse aussi longtemps que vous le désirez. Répétez
la syllabe germe lentement et attentivement en vous ménageant une
pause après chaque répétition, aussi souvent que vous le voulez, en
restant toujours quelque temps dans l’énergie de la sagesse à la fin.

Méditation sur l’élément: le feu


• Décidez de la durée de votre méditation avant de commencer. Je suggère
de quinze minutes à une heure.
• Vous aurez besoin de feu véritable. Ce peut être quelque chose de très
petit comme la flamme d’une bougie, de très gros comme un feu de joie
ou, entre ces deux extrêmes, d’un feu de camp ou d’un feu de foyer.
Installez-vous face aux flammes. Leur mouvement dansant vous invite à
les regarder pendant des heures. Asseyez-vous confortablement sur un
coussin ou sur une chaise. Cette méditation est également possible
dehors, la nuit.
• Après les neuf respirations de détente, respirez normalement. Ouvrez les
yeux, posez-les doucement sur les flammes en y concentrant aussi votre
esprit. Ouvrez votre esprit pour qu’il n’y ait pas de séparation entre vous
et le feu, pas de distance à parcourir. Si quelque chose vous distrait,
reportez votre attention sur la flamme.
• Ne regardez pas fixement un point du feu. Si vous forcez le regard ou
que vos yeux se fatiguent, détendez-les et essayez de détendre aussi les
muscles de la cavité orbitaire.
• Quand vous en avez terminé, asseyez-vous et dédiez les mérites de cette
énergie positive à tous les êtres sensibles.

Votre méditation finie, notez ce que vous ressentez et restez conscient


de cette sensation en vaquant à vos occupations. Plus que tout autre
élément, le feu nous fait entrer naturellement dans un état méditatif, mais
dans cette pratique vous entrez avec le feu dans une union non duelle
encore plus profonde.
12
La dakini Karma: la sagesse tout-accomplissante

L’énergie extrêmement active et dynamique de la famille Karma


avec son penchant pour la jalousie, l’ambition et la paranoïa est
transformée en savoir tourné vers l’action et la capacité à venir à
bout de tous les obstacles et d’atteindre tous les objectifs.
Francesca Fremantle

Entendez-vous souffler le vent en poursuivant votre parcours du mandala


dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’au point nord et à la dernière
famille? La famille Karma est associée à l’air, au vent, au mouvement. Elle
est en quelque sorte le sommet des quatre autres. Tout ce que nous avons
construit en décortiquant les autres familles est maintenant prêt à passer à
l’action. Cette famille est celle qui agit. Le sens du mot Karma est «action».
La famille Karma a deux symboles. D’abord, l’épée à double tranchant
qui détruit l’instabilité affective et les notions erronées de la réalité. Elle
peut faucher ce dont il faut se débarrasser, abattre nos négativités et nos
blocages. Sa lame plonge dans la vérité, tranche dans les illusions et les
obstacles, détruit ce qui doit l’être. Voilà qui est intéressant: pourquoi la
destruction serait-elle liée à l’accomplissement? Quand on y pense, une
pousse saine exige un bon émondage. Il faut enlever le bois mort, se
délester de ce qui ralentit notre progrès. C’est parfois très difficile. À noter
qu’un des principaux accessoires de la dakini est le couteau serpette. Ici,
dans la famille Karma, c’est l’épée, car pour repartir de zéro et compléter
une mission, il faut se débarrasser de quelque chose. L’autre symbole de
cette dakini est le double vajra, deux vajras croisés à quatre pointes qui
correspondent aux quatre karmas, les quatre actions éclairées: l’apaisement,
l’accroissement, la magnétisation et la suppression, associées
respectivement aux familles Vajra, Ratna, Padma et Karma.

Dakini Karma, XVIIIe siècle, pigment minéral en poudre sur coton. Rubin Museum of Art.

L’épée à double tranchant est un symbole de la famille Karma. Robert Beer, encre sur papier.
La couleur de la famille Karma est le vert et son élément est l’air qui
correspond au mouvement. Le vert est la couleur de la croissance, celle des
nouvelles feuilles au printemps, mais aussi celle de la jalousie. Ne dit-on
pas «vert d’envie»? Curieusement, en parfait accord avec l’action que cette
famille représente, c’est aussi le vert du feu de circulation qui signifie:
ALLEZ! Le noir est également associé aux actions courroucées de la
famille Karma, notamment à la suppression violente des obstacles. La
forme de la famille Karma est le demi-cercle et son sens est le toucher. L’air
touche tout le corps. Le toucher est un sens actif – nous tendons la main
pour toucher – alors que nos yeux et nos oreilles, par exemple, reçoivent
passivement les stimuli.

Le double vajra est un symbole de la famille Karma. Robert Deer, encre sur papier.

L’artiste-peintre américain Jackson Pollock personnifie l’action et la


synchronicité. Il cloue sa toile directement au sol et marche énergiquement
tout autour, travaillant à partir des quatre côtés. Par de grands mouvements
du corps, la fluidité de la peinture et le risque inhérent au recours à des
facteurs contrôlables et incontrôlables, il créé ce qu’il est convenu d’appeler
la peinture gestuelle (action painting). Il peut contrôler les couleurs, les
mouvements de son corps et ses instruments de travail (pinceaux rigides,
bâtons, poires à jus), mais une fois sur la toile, le médium échappe jusqu’à
un certain point à son contrôle. L’effet de mouvement est inhérent à son
œuvre; les lancers énergiques, les déversements, les égouttements fluides
ajoutés à la grande dimension des toiles ont donné lieu à une conception
tout à fait nouvelle de la peinture.
L’architecture associée à Karma est pratique et mise sur l’efficacité. Les
postes de travail modulaires et les studios sont Karma. L’intérieur d’une
résidence Karma est très dégagé, bien organisé, propice au mouvement et à
l’activité. Il est spacieux, des plantes vertes suspendues au plafond se
balancent dans la brise qui entre par les nombreuses fenêtres ouvertes. On y
trouve peut-être un espace pour faire de l’exercice ou du yoga, de même
que différents objets tels qu’une planche gyroscopique ou une balançoire
intérieure. Le vert et le noir prédominent.
L’été, quand tout bouge, est la saison de la famille Karma. Au Colorado,
les éclairs illuminent le ciel pendant les gros orages, souvent suivis de
magnifiques arcs-en-ciel. La plupart de nos grands pins ponderosas portent
les cicatrices verticales de la foudre. Il y a une incroyable ruée de vert
quand soudain tout se met à pousser très vite. Au printemps, les nouvelles
pousses prennent tout leur temps pour se développer, mais vient le milieu
de l’été, et voilà que tout s’emballe. Ratna est le temps des réalisations et
des récoltes, Karma celui où tout concourt à atteindre le plus vite possible
un rythme de croissance. Dans la famille Karma, tout est en croissance et la
destruction est une étape de la création. L’énergie verte abonde: croissance,
argent, changement, mouvement.
Minuit est l’heure de la famille Karma. La journée finie, nous nous
tournons vers d’autres commencements. Minuit offre aussi quelque chose
d’aérien, une sensation de mouvement, de tous les possibles. Une chose se
termine, une autre est sur le point de commencer. Le paysage de la famille
Karma est venteux, complexe, acéré et pierreux comme les mesas du sud-
ouest des États-Unis. Karma correspond aussi au paysage urbain: villes
animées, vitesse, entrecroisements de voies rapides, circulation automobile,
transports souterrains et foules de piétons.
Morphologiquement, une personne appartenant à la famille Karma est
mince, presque menue, toujours en mouvement et pressée, car elle est
constamment en route vers sa destination. La silhouette est différente de
Vajra, mince elle aussi. Le corps Vajra est musclé et en forme, le corps
Karma est plus délicat. La personne Karma ne se fixe nulle part, elle sautille
d’un endroit à l’autre, toujours pleine d’une énergie nerveuse, tandis que la
personne Vajra se pose et s’arrime fermement. Les types Karma aiment les
cheveux courts qui demandent peu d’entretien; ils n’ont pas de temps à
perdre. Ils portent peut-être une montre, mais dans l’ensemble ils jugent les
bijoux inutiles. Leur garde-robe de tous les jours est efficace et polyvalente
et rassemble, par exemple, des tenues de yoga ou des vêtements d’extérieur
extensibles qui s’adaptent aux mouvements du corps.

KARMA EST INVITÉ À UNE SOIRÉE


Évidemment, le type Karma n’a pas le temps d’aller à une soirée. Sarah,
blonde, quadragénaire, est agente littéraire. Elle est très occupée, mais elle
décide quand même d’y faire acte de présence pour enrichir son réseau de
contacts. Elle ira directement du bureau à la réception sans prendre le temps
de se changer et préviendra clairement ses hôtes qu’elle ne restera pas
longtemps parce qu’elle a des choses plus importantes à faire. Elle n’y va
que dans un but précis.
À son arrivée, Sarah survole la salle d’un air déçu. Elle sait qu’il y a une
autre réception ailleurs, réservée aux happy few, à laquelle elle n’a pas été
invitée. Elle se dit: Qu’est-ce que je suis venue faire ici? Je devrais être à
l’autre réception. Elle se demande pourquoi on ne l’a pas invitée, elle est
verte d’envie à la pensée de tous ceux qui profitent de la soirée plus
branchée.
Elle se hâte de partir après avoir fait quelques contacts et distribué sa
carte de visite, mais ces gens-là ne l’intéressent pas; ils ne font pas partie du
gratin. Pourquoi perdre mon temps quand je ferais mieux d’être au travail?
À la maison, elle pédale une demi-heure sur son vélo stationnaire, puis
travaille encore quelques heures avant d’aller dormir.
Tom, à l’autre bout du spectre, est très présent. Il ne s’inquiète pas de
savoir s’il se donne ailleurs une réception plus alléchante. Il est disposé à
s’engager pleinement dans ce qui se passe ici. Il va se restaurer (peu: la
nourriture n’est pas son dada), puis il circule parmi les invités. Quand vous
parlez à Tom, il s’intéresse à vous, pas à ce qu’il y a autour, il ne se
demande pas s’il devrait plutôt aller parler à quelqu’un de plus intéressant.
Quelqu’un met de la musique et les invités se mettent à danser. Tom aussi.
Il est agile, pirouette et prend beaucoup de place. Très dynamique, il s’offre
à mettre sur pied une soirée de suivi et d’y inviter les personnes présentes. Il
rencontre Sarah juste avant qu’elle ne s’éclipse, parle boutique avec elle
puisqu’ils ont des points professionnels communs, puis il l’invite à danser.
Ils sont beaux à voir, ils forment un beau couple quand ils se donnent à la
musique. Plus tard, Tom invite Sarah à faire du vélo avec lui le lendemain,
non pas du vélo ordinaire, mais du vélo de montagne. Elle accepte, car elle
adore cette activité. Le lendemain, ils grimpent à vélo jusqu’à un col, puis
s’assoient dans le vent qui caresse agréablement leur peau.

LE SCHÉMA OBSCUR: L’ENVIE


Le mot tibétain qui décrit le schéma obscur de la famille Karma est tadrel,
ce qui se traduit par «jalousie». Mais, comme je comprends la famille
Karma, ce n’est pas de jalousie amoureuse qu’il s’agit. Le Karma névrosé
se mesure aux autres, il les envie et a besoin de rivaliser avec eux. Voilà
donc un mélange d’envie et d’ambition, une attitude paranoïaque de
comparaison, le sentiment d’être exclu d’un groupe sélect. Il veut en faire
partie, mais le groupe va de l’avant sans lui et il se sent laissé-pour-compte.
Nous sommes passés de la sagesse discernante de la famille Padma à
l’action, à l’agir de la famille Karma. Dans son pôle névrotique, la famille
Karma s’occupe beaucoup pour ne pas ressentir le vide intérieur et les
émotions qui émergent quand on ralentit la cadence. En outre, quand on
reste libre, on s’épargne les déceptions amoureuses. La personne qui ne
s’engage pas, qui continue seule son petit bonhomme de chemin, évite la
souffrance inhérente à l’engagement. Si vous êtes très occupé, vous ne
risquez pas d’être déçu et la solitude ne vous pèse pas. Même en vacances,
les Karma sont toujours en train de travailler. Les fêtes sont l’occasion
d’œuvrer à se faire plaisir, à tout organiser. Le calendrier des activités de
vacances est obligatoire. Les personnes qui appartiennent à l’énergie Karma
doivent toujours tout organiser et tout coordonner.
Les personnalités Karma sont impulsives et casse-cou, elles aiment la
vitesse et foncent sans égard aux dangers. À cela s’ajoute la peur de se
laisser dépasser par les événements et de perdre pied; voilà pourquoi elles
doivent tenir les rênes et tout surveiller. Elles veulent sentir qu’elles
contrôlent les résultats avec énergie et célérité.
Appartenir à la famille Karma, c’est défendre son territoire et avoir les
autres à l’œil pour s’assurer qu’on pourra faire face à la concurrence. Cette
attitude est courante dans le champ de la technologie. À San Francisco, mon
amie Gena était directrice de l’exploitation dans une entreprise en
démarrage du domaine de la technologie. L’entreprise connaissait une
croissance rapide. Quand le conseil d’administration a congédié le chef de
la direction, elle l’a remplacé au pied levé. Elle a fait du bon travail, mais sa
vie était intense, une course effrénée contre la montre, alors même qu’elle
s’efforçait d’élever sa fille. Elle cherchait toujours à rassembler les sommes
nécessaires à la capitalisation de l’entreprise, qui perdait et gagnait des
millions chaque jour. Tout changeait à un rythme effréné dans un milieu de
travail impitoyable. Gena s’est rapprochée d’un collègue et ils sont devenus
amants. Elle croyait avoir trouvé en lui un ami sincère, mais il a manigancé
dans son dos et obtenu du conseil qu’il la congédie. À quarante-cinq ans,
Gena s’est retrouvée au chômage, avec une indemnité tout juste suffisante
pour vivre un an. Pendant ce temps, elle se remettait d’une crise de zona
due au stress. C’est là l’environnement typique de la famille Karma: très
stressant, haletant, paranoïaque.
Quand nous ne pouvons pas suivre le rythme, nous en voulons à la
concurrence, et c’est à ce moment que la jalousie entre en jeu. Nous
essayons d’abattre nos adversaires, de les détruire. Cette paranoïa peut
s’immiscer jusque dans notre vie spirituelle. Nous méditons à fond de train
pour atteindre l’Éveil avant tout le monde, le plus tôt possible, toucher au
but, puis devenir célèbre. C’est ainsi que naissent les charlatans.
Paradoxalement, l’Éveil est l’ultime lâcher-prise, le but sans but, si bien que
les tactiques de la famille Karma sont sans effet.
La personne qui appartient au pôle névrotique de la famille Karma met
la charrue avant les bœufs et court à la conclusion. Son attitude est qu’il
faut venir à bout d’un projet aujourd’hui même. La mention URGENT
coiffe souvent ses courriels. Ses décisions trop précipitées ne sont pas
toujours sages. Il faut comprendre qu’un fort sentiment d’insécurité sous-
tend ce besoin d’en faire trop, trop vite. La famille Karma ne s’attache pas
facilement; elle n’a pas vraiment de temps à consacrer aux relations. Ces
types évitent les écueils relationnels faute de temps. Ils sont trop occupés
pour l’amour.
Voilà bien la vie des parents et des conjoints ergomanes. Sous prétexte
qu’ils sont occupés à gagner l’argent de la famille, les parents ne consacrent
pas de temps au bonheur familial. Beaucoup de ces personnes persistent
dans ce mauvais pli, même quand il est clair que leur ergomanie nuit à leurs
relations et à leur santé. L’obsession du travail de la famille hyperactive est
due à l’anxiété, à une piètre estime de soi et à des problèmes d’intimité.
Dans ce schéma obscur, la personne est souvent perfectionniste et incapable
de déléguer des responsabilités. Un de mes amis qui se tuait à la tâche et
négligeait sa famille m’a dit avoir pris conscience de l’étendue de son
problème quand, un matin, alors qu’il partait travailler, il a salué
distraitement sa femme en disant: «Bon, eh bien, je file à la maison.»
J’ai vécu une expérience Karma à l’époque où je travaillais à mon
premier livre, Women of Wisdom. Je vivais à Rome avec mon mari et mes
enfants alors âgés de trois, huit et neuf ans. J’avais dû aller au Népal
recueillir quelques biographies supplémentaires de maîtres femmes et
vérifier certains faits. Mes enfants étaient encore jeunes et je ne disposais
pas de services de garde adéquats, si bien que je devais les confier à mes
beaux-parents qui traitaient mes filles comme des Cendrillon puisqu’elles
étaient issues de mon premier mariage. Inquiète de ce qui leur arriverait en
mon absence, je savais que je ne pourrais pas rester absente bien longtemps.
J’avais hâte de partir, de mener mon projet à terme, puis de rentrer chez
moi.
En arrivant à l’aéroport de Fiumicino, je me suis aperçue que j’avais
laissé mon passeport à la maison. J’ai rebroussé chemin jusqu’à Rome, un
trajet de quarante-cinq minutes, et j’ai raté mon avion. Les choses
commençaient mal. Je n’ai pas pu obtenir un autre vol avant quelques jours,
si bien que j’ai d’emblée perdu beaucoup de temps.
Rien ne va, au Népal, quand on fonctionne avec l’énergie névrotique de
la famille Karma. Il y a quarante-deux congés fériés par année dont certains
s’étendent sur plusieurs semaines. La vie des Népalais n’est pas aussi
stressée que la nôtre. Et je ne parle pas des inconvénients omniprésents:
pannes d’électricité, pénuries d’eau, épouvantables bouchons de circulation,
niveaux élevés de pollution, et ainsi de suite. C’est un problème quand on
est pressé. En outre, dans les années 1980, la téléphonie cellulaire n’existait
pas. Je ne pouvais jamais m’assurer que la personne que je désirais voir
serait là à mon arrivée et, en général, elle n’y était pas! J’essayais tout de
même de forcer les choses, en vain. Il en a été ainsi pendant toute la durée
de mon séjour. Rien ne fonctionnait, j’ai accompli fort peu de choses et rien
de ce que je m’étais proposée de faire. Au bout du compte, je suis rentrée à
Rome déçue et frustrée. J’avais compromis la sécurité de mes enfants sans
même atteindre mon but.
Quelques jours après être revenue, je suis allée voir mon maître
Namkhai Norbu Rinpoché à Merigar, son centre de méditation à plusieurs
heures de route au nord de Rome, au pied du mont Amiata. Il n’y était que
depuis peu et n’avait pas encore des milliers de disciples, si bien que ces
rencontres avaient un caractère assez informel. Nous passions du temps à
discuter avec lui, nous prenions nos repas avec lui et nous méditions tous
ensemble. À mon arrivée, on m’a dit qu’il était souffrant. Je lui ai rendu
visite à sa chambre, dans la vieille maison ocre qui, bien que rénovée, n’en
était pas moins humide et glaciale. Je lui ai offert des présents rapportés de
Katmandou et je me suis assise à son chevet.
— Com’è andata? m’a-t-il demandé en italien (Ça s’est passé
comment?).
— Pas bien du tout, ai-je répondu dans un grognement. Ç’a été très
difficile, Rinpoché. J’ai affronté beaucoup d’obstacles. Pourquoi?
Il m’a regardée quelques instants sans rien dire. Puis:
— Peut-être y as-tu mis trop d’espoir et de peur.
Ces quelques mots résumaient tout: un excès de vitesse Karma.
Quand on possède déjà l’énergie de la famille Karma, nos habitudes
aggravent la situation. Supposons que vous soyez déjà hyperactif et que
vous buviez trop de café. L’excès de caféine augmente votre nervosité et
votre énergie Karma vous consume encore plus. Si vous vous entourez
d’appareils à haute vitesse que vous consultez régulièrement – téléphone,
tablette, ordinateur –, votre agitation n’en est que plus grande. Le travail
compulsif s’ajoute au penchant de Karma pour la concurrence, engendré par
la certitude qu’être ne suffit pas, qu’être n’a aucune valeur, que ce qui
compte, c’est agir.
Ce message vous vient parfois des parents, de leur façon de vous
applaudir. L’important est ce que vous faites: vos réalisations, vos résultats
scolaires, vos performances sportives. Vous n’avez pas l’impression qu’on
vous apprécie pour ce que vous êtes. Cela commence très tôt, quand les
parents félicitent l’enfant: «Bravo! C’est du bon travail!» L’enfant
s’imagine que, pour être aimé, il doit faire «du bon travail». Devenu adulte,
il se laisse happer par ses réalisations, persuadé que l’affection qu’on lui
porte dépend de sa réussite. Longtemps après être entrés dans la vie adulte,
quand nous pensons n’avoir que faire de l’opinion de nos parents, nous
avons intériorisé leurs exigences et nous continuons à rechercher leur
approbation. Il n’est pas facile de préférer l’être au faire. L’image que nous
projetons, notre métier, nos biens matériels et nos réussites, voilà ce qui
nous importe. Quand nous faisons une nouvelle rencontre et que nous
disons: «Qu’est-ce que vous faites dans la vie?» nous renforçons la notion
selon laquelle nous ne valons que par nos actes. De là vient la névrose de
Karma.
Un autre aspect du schéma obscur de Karma réside dans ce qui relie
l’esprit à la perturbation de l’air. L’esprit agité ne s’arrête jamais. Il passe
constamment d’un sujet à un autre, ce qui affecte le lung, c’est-à-dire l’air
qui circule en nous. L’hyperactivité, la caféine, la volubilité agitent
l’élément air et le perturbent, ce qui se traduit par de la nervosité et un
coefficient élevé de réactivité. La perturbation du lung bouscule l’esprit.
Avez-vous déjà tenté d’arrêter votre esprit? C’est impossible. Quand on dit
de quelqu’un qu’il est très motivé, cela montre en général qu’une
perturbation du lung stimule l’énergie de Karma. Les praticiens
expérimentés en médecine tibétaine savent identifier et calmer les
déséquilibres bénins du lung par l’alimentation, le comportement, les
médicaments et les thérapeutiques externes. Mais ses perturbations
profondes sont difficiles à guérir. Quand l’air est ainsi perturbé, ce n’est pas
vous qui vous poussez à l’action, mais l’énergie du lung. C’est elle qui
commande.
Le maître tibétain Tsoknyi Rinpoché a dit ce qui suit au cours d’une
interview:

Tout ce que nous faisons, en méditant ou autrement, peut intensifier


le lung. Cela se produit quand nous sommes affairés et stressés, ou
quand nos émotions sont exacerbées et qu’elles nous écrasent. Toute
pratique que motive un désir de réussite mais qui ne s’accompagne
pas de détente et de légèreté intensifie ce qui précède et crée de la
nervosité. Je parle ici d’une pratique forcée, surmotivée, axée sur les
résultats. […] Le lung hyperactif confond et perturbe le système
nerveux subtil, il se durcit et se solidifie. Il entrave de ce fait
l’aptitude spontanée à la compassion, l’aptitude innée de l’être à
éprouver un amour inconditionnel et impartial, à être chaleureux et
disponible. Il nous faut reprendre contact avec notre nature profonde
et nous y détendre60.

RALENTISSEZ, VOUS ALLEZ TROP VITE


Comme le Lapin blanc des Aventures d’Alice au pays des merveilles qui ne
cesse de répéter «Oh, là là! Oh, là là! Je vais être en retard!», la personnalité
Karma n’a pas de temps à perdre. En fait, elle court tout le temps, on a du
mal à la suivre.
La hâte du type Karma trouve aujourd’hui sa pleine expression dans
Internet, qui augmente la vitesse de toute chose. Nous nous disons que, plus
les choses vont vite, mieux c’est, parce que nous pouvons en faire plus en
moins de temps et ainsi avoir plus de temps pour nous détendre. Mais c’est
là un raisonnement névrotique. Le fait est que nous sommes simplement
toujours plus occupés et que la vie est devenue intenable. Nous n’avons pas
plus de temps qu’avant puisque la vitesse engendre la vitesse. La névrose de
Karma règne de plus en plus sur le monde dans lequel nous vivons. Chez
nos enfants, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité est un
véritable fléau. Pas plus tard qu’en décembre 2015, le Milken Institute
School of Public Health de l’université George Washington a rapporté une
augmentation de 43 pour 100 des diagnostics de TDAH chez les enfants
d’âge scolaire aux États-Unis61. La prise de Ritaline, également connue
dans la rue sous le nom de «speed», est une des rares solutions qui ait été
trouvées à ce problème. Ritaline est la marque de commerce du
méthylphénidate, que la Drug Enforcement Administration (DEA) a classé
parmi les narcotiques de Classe II avec la cocaïne, la morphine et les
amphétamines.
Le TDAH est une réalité. Il exige parfois un traitement médicamenteux,
mais c’est aussi une affection qui fait l’objet de diagnostics d’autant plus
excessifs que certains de ses symptômes se retrouvent également dans
d’autres troubles tels que la dyslexie62. Ce que je veux dire, c’est que la
prévalence de ce diagnostic n’est pas étrangère à la vitesse généralisée qui
sévit dans nos sociétés, une vitesse qui n’améliore en rien notre qualité de
vie. Je veux dire aussi qu’administrer du «speed» à nos enfants, ce n’est pas
leur rendre service. De nos jours, on soigne à coups de médicaments les
enfants dissipés en classe au lieu de tenter d’identifier la source de leur
comportement perturbateur parmi une vingtaine de diagnostics possibles.
La névrose de Karma est cette hâte qui nous pousse vers un but ultime
indéterminé, le besoin d’accomplir un «exploit», d’être le premier, le plus
rapide et le meilleur. Elle a un côté paranoïaque qui fait craindre de ne pas y
arriver. Karma correspond à l’énergie sombre et orageuse du nord qui n’est
pas dénuée d’agressivité. Contrairement à la colère de la famille Vajra,
l’agressivité de Karma est davantage le fait d’une vive impatience.
L’énergie de Karma, consciente de tout ce qui doit être fait, renverse les
barrières qui se dressent sur sa route. Mais c’est aussi, dans son pôle éclairé,
l’énergie qui balaie les obstacles à l’Éveil.

LA SAGESSE TOUT-ACCOMPLISSANTE
La sagesse de la famille Karma est dite tout-accomplissante. Transformé, le
schéma obscur de cette famille devient l’aptitude à mener une chose à terme
et à réfréner ou retrancher tout ce qui nuit à sa réalisation. Cette sagesse
exécute ce qui a été développé dans les quatre autres familles. Elle exige à
la fois une conscience attentive et les aptitudes requises pour achever ce qui
doit être achevé. Les bouddhas et les bodhisattvas doivent posséder les
moyens habiles pour œuvrer dans l’intérêt de tous les êtres sensibles. C’est
ainsi que la sagesse tout-accomplisssante est l’énergie propre aux
dynamiques actions héroïques.
Le nom du grand lama tibétain Karmapa indique qu’il est une
émanation de la famille Karma et que l’animent l’audace et l’adresse
d’Amoghasiddhi. À noter que l’actuel dix-septième Karmapa transporte
cette sagesse dans le XXIe siècle et en incarne les valeurs en militant en
faveur des droits de la personne, de l’autonomie des femmes et de
l’environnement.
La sagesse de Karma permet d’achever une chose avec une remarquable
efficacité quand on a atteint l’état de flow, qu’on est dans la zone. On voit
alors comment tout s’agence, on a une vue d’ensemble très claire et on agit
sans être stressé. Quand nous étions occupés à la construction extrêmement
complexe de Tara Mandala, mon mari Dave et moi nous disions souvent:
«Essayons de tout faire avec aisance.» Nous érigions un temple de trois
étages, une résidence, des annexes communautaires polyvalentes, tout cela
en surveillant nos trois enfants, en gérant le personnel, en recueillant des
fonds, et ainsi de suite. Tout faire avec aisance était un fichu défi, mais nous
faisions bien de nous encourager l’un l’autre à le relever. Cette sagesse nous
inciterait à remplacer la salutation de Star Wars «Que la Force soit avec
vous!» par «Que le flow soit avec vous».
Avec la sagesse tout-accomplissante, on est là quand le vent se lève et
qu’il gonfle les voiles, on se laisse porter par lui, on est présent sans rien
forcer. Il n’y a pas de stress, car on sait que, dans l’absolu, on ne va nulle
part. Il n’y a personne à qui se comparer. La sagesse tout-accomplissante,
c’est l’aptitude à entrer dans le mouvement pour accomplir une action tout
en étant prêt pour l’imprévu et la spontanéité. On atteint ses objectifs, car
tout est naturellement efficace. On ne force pas les choses. Quand on est
dans l’état de flow, on rencontre les bonnes personnes au bon moment et
une solution se présente quand on est en face d’un obstacle.
L’état de flow donne souvent lieu à des synchronicités. Le psychiatre
Carl Gustav Jung a introduit la notion de «synchronicité» dans son exposé
sur ce sujet en 1951 au Cercle d’Eranos, à Moscia (Suisse), et ensuite dans
un livre où il approfondissait les travaux du physicien et Prix Nobel de
physique Wolfgang Ernst Pauli63. Jung croyait que des événements
possédant un sens identique ou analogue pouvaient ne pas avoir entre eux
de lien causal, car une coïncidence signifiante (ou une série de
coïncidences) pouvait clarifier une situation ou indiquer la voie à suivre. Ce
concept lui avait été inspiré par le cas d’une patiente dont la thérapie
stagnait en raison d’un blocage rationalisant – elle était possédée par son
animus, par les aspects négatifs de sa part masculine – qui l’empêchait
d’assimiler une importante matière inconsciente. Elle opposait un refus
rationnel à toutes les suggestions de Jung. Il ne savait trop que faire. Puis,
une nuit, voilà que sa patiente rêve qu’on lui offre un luxueux bijou, un
scarabée d’or.
Le lendemain, pendant qu’elle lui rapporte ce rêve, Jung, assis le dos à
la fenêtre fermée, entend un bruit, comme si quelqu’un frappait légèrement
au carreau. Curieux, il se lève, ouvre la fenêtre et capture une grande
cétoine dorée qui avait essayé d’entrer dans la pièce obscure. «J’ai tendu
l’insecte à ma patiente en lui disant: “Voici votre scarabée.” L’expérience a
percé son rationalisme et brisé la glace de sa résistance intellectuelle. Nous
pouvions désormais poursuivre le traitement avec efficacité64.» Le choc
causé par la synchronicité entre le rêve du scarabée et sa réalité a généré
chez elle un nécessaire déblocage mental.
L’aptitude à voir dans les événements extérieurs des symboles
d’événements intérieurs et des «indices» qui montrent la voie à suivre fait
partie intégrante de la sagesse tout-accomplissante. Les lamas guettent
toujours des signes, que ce soit dans les rêves, le temps qu’il fait, le vol des
oiseaux, les animaux de passage ou l’arrivée inattendue d’une personne. De
nombreuses occurrences peuvent ainsi être «lues» et interprétées quand on
est en phase avec le non-rationnel. On reçoit alors des conseils pratiques ou
des prophéties.
Avant d’entreprendre la construction du temple de Tara Mandala, je
voulais enterrer un vase d’abondance traditionnel qui renfermait des
offrandes aux esprits de la terre et de l’eau. C’était un grand vase d’environ
soixante centimètres de hauteur que nous avions mis plusieurs jours à
remplir avant de le sceller. Je n’étais pas très au fait du déroulement de la
cérémonie, mais j’avais tout préparé en me disant qu’il arriverait bien
quelque chose pour m’orienter. Un peu avant le début du rituel, le lama
Tulku Sang-ngag, que je n’avais pas vu depuis plusieurs années, est passé
nous voir. Ce fut la première de plusieurs synchronicités. De tous les lamas
que je connais, il est le plus versé dans ce genre de rituels, puisqu’il a vécu
quatorze ans aux côtés du grand maître Dilgo Khyentse Rinpoché.
Quand le vase a été prêt, Tulku Sang-ngag Rinpoché a déployé une
grille textile sur la circonférence du site du temple, dont chaque case
correspondait à un jour du calendrier. Il a marqué le jour du rituel et, sous la
grille, à l’emplacement de ce jour, il a peint une nagini, un esprit femelle de
l’eau, en l’orientant vers le jour suivant, autrement dit, vers l’avenir. Ainsi,
elle transporterait symboliquement notre offrande dans le futur. Tulku Sang-
ngag Rinpoché nous a dit de creuser un trou là où nous voulions enterrer le
vase. Dès la première pelletée de terre, il nous a arrêtés et l’a soigneusement
tamisée en y cherchant une prédiction pour l’avenir du temple. Aussitôt,
nous avons vu un fossile en forme d’œil. Il en a été très heureux et m’a dit
de le garder. Cet œil, a-t-il dit, était «l’œil de la sagesse», le troisième œil. Il
signifiait que le temple inculquerait la sagesse à tous ceux qui viendraient
s’y recueillir.
Le fossile dit «œil de la sagesse» découvert dans la première pelletée de terre lors de l’enfouissement
du vase d’abondance, une offrande aux esprits de la terre, sur le site du temple de Tara Mandala,
2007.

Les synchronicités se produisent habituellement quand on est réceptif,


pas trop pressé et qu’on laisse les événements se produire sans les forcer.
Dans cette sagesse Karma, on se fie au mouvement naturel des choses, on
s’ouvre à la synchronicité au lieu de chercher à tout planifier et tout
contrôler rationnellement. Souvent, on est plus productif en se donnant de
l’espace, car Karma correspond à l’air, venteux et névrotique ou spacieux et
léger, là où l’on n’est pas confiné et où les actions sont menées à terme sans
effort.
Dans la suite des familles, Karma est la dernière, celle de l’activité
éclairée qui résulte des quatre autres. Bouddha est la famille de la
spaciosité; Vajra celle de la précision intellectuelle; Ratna développe la
générosité, l’enrichissement, la stabilité; Padma enseigne le sage
discernement; et nous arrivons à la famille Karma, qui est celle des
réalisations. La sagesse consiste ici en une énergie existant en soi dans
laquelle les réalisations sont spontanées et non pas forcées, ce qui est la
façon la plus rapide de faire les choses. L’aspect «déjà fait» de la sagesse
tout-accomplissante de la famille Karma signifie qu’il ne sert à rien de
s’énerver: on se détend en se disant que «c’est déjà fait». Il ne s’agit pas de
ne rien planifier, de ne pas être organisé ou de ne pas prendre les mesures
qui s’imposent pour mener à bien une action, mais d’être libre
intérieurement et détendu.
L’HISTOIRE DE CARY
Le père de Cary était un grand avocat et sa mère, qui avait été professeur de
sciences économiques, avait renoncé à l’enseignement après s’être mariée
et avoir eu des enfants. Les parents de Cary s’aimaient et se respectaient,
mais son père travaillait souvent très tard et, de retour à la maison, il ne
désirait rien d’autre que son vodka tonic, son journal, et la paix. Il n’avait
aucune envie de consacrer du temps à ses trois enfants. Cary était la cadette.
Pour attirer l’attention de son père, elle devait toujours trouver une façon de
l’impressionner. Quand elle gagnait une épreuve de cross ou obtenait de
bonnes notes à l’école, il l’en félicitait avec effusion. Elle a ainsi appris que,
pour être aimée, il fallait réussir.
Plus tard, elle a fréquenté la même université de l’Ivy League que son
père et est devenue avocate, comme lui. Sa mère a projeté sur elle ses
ambitions professionnelles déçues en faisant son éloge auprès de sa famille
et de ses amis. Cary a donc travaillé très fort et est devenue associée du
cabinet qui l’employait. Mais elle était impatiente avec ses subalternes et
leur imposait des délais tout à fait irréalistes.
Cary s’est mariée et a eu deux enfants. Elle était souvent retenue à son
bureau et rentrait tard, ce qui nuisait à sa progéniture: ses horaires décousus
se soldaient par des changements fréquents de gouvernantes. Son mari
faisait ce qu’il pouvait, mais puisqu’il travaillait beaucoup lui aussi,
l’éducation des enfants était ainsi laissée aux gouvernantes. Cary voyait sa
charge de travail augmenter. Elle avait peu d’intimité avec son mari, prenait
des appels d’affaires à la maison et consacrait très peu de temps à son fils
qui avait des problèmes de comportement à l’école, ainsi qu’à sa fille
adolescente qui souffrait d’un trouble alimentaire. Au cours de la thérapie
familiale demandée par la thérapeute que consultait sa fille, Cary a compris
qu’elle négligeait sa famille et qu’en la faisant passer après son travail elle
traitait ses enfants comme elle-même avait été traitée.
Elle a aussi compris qu’elle vivait le rêve de ses parents et non pas son
propre rêve. Au cours d’une retraite mandala, elle s’est reconnue dans la
famille Karma. Dès ce jour, elle a intégré une méditation mandala à son
emploi du temps quotidien. Elle a pris l’habitude de rentrer tôt à la maison,
de passer les week-ends avec sa famille et de refuser de répondre aux appels
d’affaires. Petit à petit, la relation de Cary avec ses enfants s’est améliorée.
Elle s’est rapprochée d’eux, elle a pu parler à son fils et sa fille adolescents,
leur expliquer ce qui s’était passé et leur demander pardon de les avoir
négligés dans les premières années de leur vie. La famille s’est rabibochée
et s’est même ressoudée. Depuis, Cary poursuit sa pratique de la méditation
mandala.

LES MÉDITATIONS DE LA FAMILLE KARMA

Neuf respirations de détente


Avant chacune des méditations ci-après, faites les neuf respirations de
détente et l’exercice de motivation décrits au chapitre 8 (pages 173 et 174).

Libérez l’énergie obscure


Prenons quelques instants pour ressentir le schéma obscur de notre corps.

• Décelez l’énergie associée à l’envie, la jalousie ou l’ambition qui circule


en vous. Par exemple, est-ce un essoufflement dans la poitrine? Une
tension à l’épaule? Une sensation d’oppression à l’abdomen?
• Imprégnez-vous de cette énergie obscure. Si vous ne sentez rien en ce
moment, évoquez une occurrence, un incident ou une période de votre
vie où cette énergie obscure était présente.
• Intensifiez cette envie, cette jalousie ou cette ambition afin de la
ressentir fortement et en profondeur. Vous faites ainsi l’expérience
sensible d’un blocage affectif de la famille Karma.
• Articulez maintenant la syllabe germe lentement et à voix basse: SA. Le
son se répand en vous. Imaginez que de l’air et une lumière verte vous
imprègnent. Le schéma obscur de l’ignorance devient sagesse tout-
accomplissante. Accueillez cette sagesse venue du son et de la lumière.
• Restez dans cette sagesse aussi longtemps que vous le désirez. Répétez
la syllabe germe lentement et attentivement en vous ménageant une
pause après chaque répétition, aussi souvent que vous le voulez, en
restant toujours quelque temps dans l’énergie de la sagesse à la fin.

Méditation sur l’élément: l’air


• Décidez de la durée de votre méditation avant de commencer. Je suggère
de quinze minutes à une heure.
• Pour méditer sur l’élément air, le mieux est d’être caressé par la brise,
dehors autant que possible. À défaut de cela, un ventilateur fera tout
aussi bien l’affaire. Toutefois, la méditation sur les éléments préfère,
pour être spontanée et naturelle, que l’on profite du contexte dans lequel
on se trouve: assis au bord d’une rivière, allongé sur le sable de la plage,
près d’un feu de bois. Il est aussi significatif de créer une situation
propice à cette méditation. Pour l’élément air, trouvez un endroit où
souffle une brise légère ou allongez-vous sous un ventilateur. Installez-
vous confortablement et, si désiré, appuyez la tête sur un coussin. Vous
pouvez aussi faire cette méditation dehors, la nuit.
• Après les neuf respirations de détente, respirez normalement. Ensuite,
les yeux ouverts ou fermés, prenez conscience de la brise qui effleure
votre peau. Remarquez son contact. N’essayez pas de savoir si vous
aimez ou n’aimez pas cela. Accueillez simplement sa caresse. Si un vent
fort souffle, vous l’entendez aussi. Ouvrez votre esprit pour qu’il n’y ait
pas de séparation entre vous et le vent, pas de distance à parcourir. Si
vous êtes distrait, détendez-vous et entrez de nouveau dans la sensation
que vous procure le mouvement de l’air.
• Si vos yeux sont ouverts, évitez autant que possible de regarder quelque
chose fixement. Laissez-vous aller à la caresse de la brise sur votre
peau. L’air se fusionne littéralement avec votre corps quand vous
respirez.
• Quand vous en avez terminé, dédiez cette énergie positive au bien-être
de tous les êtres sensibles.

Votre méditation finie, notez ce que vous ressentez et restez conscient


de cette sensation en vaquant à vos occupations. J’aime beaucoup cette
méditation. Elle est puissante même quand le vent souffle fort. Quand on
entre dans un état de fusion avec le vent, on a l’impression de se dissoudre.
QUATRIÈME PARTIE

À LA RENCONTRE DE LA SAGESSE:
LES PRATIQUES
13
Le Mandala des cinq dakinis

La fonction de la femme médium est d’apporter son concours lors


des passages difficiles. En tant que sage-femme de la psyché, elle
se consacre aux situations où un esprit, un chant, une solution de
rechange, un nouvel être émerge – partout où des choses semblent
apparaître spontanément depuis les profondeurs de l’inconscient.
[…] La femme médium est évocatrice: elle évoque ou provoque
l’esprit intérieur.
Nor Hall

Nous entreprenons ici notre parcours dans le Mandala des cinq dakinis.
Nous avons déjà décrit les concepts, l’historique, les récits et les
méditations qui correspondent aux cinq familles de bouddhas pour ressentir
et intégrer celles-ci plus intimement. Le moment est venu de regrouper les
cinq familles et les dakinis de sagesse en une seule méditation à votre façon
toute personnelle.

POINTS À RETENIR DE LA MÉDITATION MANDALA:


• Aménagez chez vous un espace sacré de méditation, un autel devant
lequel vous pourrez vous asseoir. (Voir les instructions du chapitre 15.)
LES CINQ DAKINIS DE SAGESSE

• Avant de commencer, imaginez qu’une «tente» protège votre espace de


méditation. Des doubles vajras aux couleurs de l’arcen-ciel la
composent, mais ces couleurs sont faites de lumière pure, si bien qu’on
dirait une tente lumineuse à mailles losangées. Les couleurs lumineuses
rehaussent le champ vibratoire qui vous entoure et vous protège.
• Choisissez un moment de la journée où vous ne risquez pas d’être
dérangé, éteignez votre téléphone et tout appareil pouvant créer une
distraction. La durée de la méditation ne sera pas la même pour tout le
monde. Après un peu de pratique, vous saurez intuitivement combien de
temps il vous faudra.
• Repassez mentalement votre motivation: les bienfaits de votre pratique
n’iront pas au-delà. La motivation influence dès le départ tout ce que
nous faisons. Si la vôtre a une grande portée, vos résultats auront une
grande portée. Si votre intention est limitée et égocentrique, il en sera de
même de vos résultats. Donnez-vous une motivation qui profitera à tous
les êtres.
• Inspirez longuement, puis prononcez la syllabe germe lentement et
profondément en remarquant la sensation corporelle que suscite ce son.
Les syllabes germes sont des sons sanscrits sacrés dont la tradition
remonte à plus d’un millénaire. Elles ne sont pas le fruit du hasard.
Parce que le sanscrit est une langue sacrée, ces sons n’ont pas été
traduits en tibétain ou en anglais.
• Ne perdez pas de vue que les dakinis ne sont pas des créatures aux
caractéristiques physiologiques humaines. Elles ont une apparence
humaine, mais elles sont faites de lumière pure aux couleurs radieuses et
resplendissantes. N’oubliez pas non plus la signification des objets
rituels qu’elles tiennent dans leurs mains, leur posture, leur couleur et le
point cardinal qui leur correspond.
• Si vous devez vous rafraîchir la mémoire, revoyez le diagramme détaillé
des attributs du Mandala des cinq dakinis de la page 270. N’essayez pas
de les apprendre par cœur – ils seront évoqués dans le cadre de la
méditation. Consultez-les autant de fois que nécessaire; après un certain
temps, vous les aurez mémorisés sans vous en rendre compte.

Commencez par vous asseoir confortablement sur le sol ou sur une chaise,
là où vous pourrez facilement vous tourner dans toutes les directions.
Où que vous soyez, identifiez l’est (la plupart des téléphones intelligents
sont dotés d’une boussole). Asseyez-vous face à l’est et détendez-vous afin
de bien sentir que votre corps est présent ici et maintenant. Gardez le dos
droit mais sans tension pour une respiration décontractée. Pour vous aider à
garder le dos droit en posture de méditation, visualisez l’image
traditionnelle des pièces d’or empilées les unes sur les autres. Laissez-vous
aller à la détente dans cet espace. Attendez d’être parfaitement détendu
avant de commencer.

NEUF RESPIRATIONS DE DÉTENTE


Fermez les yeux et essayez autant que possible de ne pas les rouvrir avant la
fin de la séance. Vous prendrez neuf respirations de détente profondes.

• Pour les trois premières, inspirez en visualisant une partie du corps où


vous ressentez une tension physique et prenez note de son emplacement.
Retenez cette tension dans votre souffle et relâchez-la en expirant.
• Pour les trois respirations suivantes, inspirez en visualisant une partie du
corps où vous ressentez une tension émotionnelle et prenez note de son
emplacement. Encore une fois, retenez cette tension dans votre souffle
et relâchez-la en expirant.
• Pour les trois dernières respirations, inspirez en visualisant une tension
mentale ou une inquiétude en prenant note de son emplacement dans
votre corps. Puis retenez cette tension dans votre souffle et relâchez-la
en expirant.

LA MOTIVATION
Soyez sincèrement motivé à pratiquer cette méditation, pour vous-même et
pour tous les êtres sensibles. Bien qu’il s’agisse ici d’une pratique
personnelle, nous sommes tous reliés; notre méditation profite à tous et plus
particulièrement à nos êtres chers. Méditons donc pour le bien-être de
l’univers entier pour commencer. Prenez un moment pour faire naître cette
aspiration au fond de votre cœur. C’est ce qu’on appelle l’émergence de la
bodhicitta.

Quand vous avez complété ces deux méditations introductives, vous êtes
prêt à entreprendre votre parcours du Mandala des cinq dakinis. N’oubliez
pas qu’une famille de bouddhas règne sur chacun des points cardinaux –
Bouddha au centre, Vajra à l’est, Ratna au sud, Padma à l’ouest et Karma au
nord – et que chacune est associée à un poison ou schéma obscur, et à sa
contrepartie sage. Allons-y.

LA DAKINI BOUDDHA
Nous commençons au centre, avec la famille Bouddha. Sa couleur est le
blanc. Son élément est l’espace. Son symbole est la Roue du Dharma, la
roue aux huit rayons qui représente le Noble Chemin Octuple de l’Éveil,
l’enseignement fondamental du Bouddha issu de son premier sermon sur les
Quatre Nobles Vérités65. Son poison est l’ignorance, c’est-à-dire une sorte
d’apathie, de capitulation, d’attente passive d’un changement. Ce schéma
obscur englobe aussi la dépression et le déni. La stupeur, et non pas la
spaciosité, est le propre des personnes qui appartiennent au schéma obscur
de la famille Bouddha.
La sagesse de cette famille est la sagesse transcendante, là où la
conscience et la vacuité ne font qu’un, où l’esprit possède l’immensité du
ciel. Le corps de la dakini Bouddha est d’un blanc luminescent. Elle danse
en levant la jambe droite et en tendant la jambe gauche. Elle brandit dans sa
main droite un trigug, ou couteau serpette, dont le manche s’orne d’une
roue à huit rayons. Sa main gauche, levée vers son cœur, tient la coupe
crânienne remplie du sang de la transformation du désir. Le khatvanga,
symbole de son consort intérieur, repose dans le pli de son coude gauche.
Elle est si intense et féroce que les flammes de la sagesse émanent d’elle.
Elle est nue, vêtue de ses seuls bijoux d’ossements66.
La syllabe germe de la dakini Bouddha est BAM. En premier lieu, vous
allez localiser dans votre corps le blocage associé à la famille Bouddha.
Puis, par l’émission de la syllabe germe, la visualisation de la lumière
blanche et l’assimilation en vous de la dakini Bouddha, vous vous libérerez
de son schéma obscur pour en ressentir la sagesse transcendante.

• Ressentez physiquement le blocage, l’énergie de la dépression et de


l’apathie, par la façon dont se manifestent en vous les schémas de la
famille Bouddha: proscrastination, passivité, dépression, dissociation,
paresse ou capitulation. Faites l’expérience de cette manifestation en
profondeur, par exemple en revivant une occasion où vous en avez
ressenti intensément le poison.
• Accentuez cette sensation, ressentez-la vivement. Faites une pause.
• Vous prononcerez maintenant la syllabe germe, BAM. Par le truchement
de ce son et de la lumière blanche, translucide et radieuse, vous vous
identifiez à la dakini Bouddha.
• BAM. Prononcez la syllabe germe et devenez la dakini Bouddha. Tandis
que vous prononcez cette première syllabe germe, votre corps absorbe le
corps blanc de la dakini Bouddha: il assimile sa poitrine généreuse, sa
danse, sa nudité, ses bijoux d’ossements, sa blancheur luminescente.
Vous ressentez l’intensité de la sagesse transcendante, la sagesse de la
conscience-vacuité. Elle émane si intensément de vous qu’elle
s’enflamme. Chacun de vos pores crache des flammes de sagesse.
Incarnez la spaciosité de la dakini Bouddha, l’immensité céleste de sa
conscience. Attendez d’avoir ressenti tout ce qui précède avant de
prononcer la syllabe germe une deuxième fois.
• BAM. Cette fois, prononcez la syllabe germe en tant que dakini
Bouddha. Transmettez des rayons lumineux aux couleurs de l’arc-en-
ciel à tous les êtres de sagesse de l’univers. Cette lumière les invite à
vous donner leur lumière en retour. Vos rayons lumineux sont munis de
crochets qui recueillent la sagesse de ces êtres.
• BAM. Redites la syllabe germe pour la troisième fois. La lumière imbue
de sagesse revient vers vous, elle entre dans la dakini Bouddha. Restez
quelque temps dans cet état et prenez conscience de ce que vous
ressentez quand vous êtes la dakini Bouddha et que la sagesse
transcendante émane de vous. Que ressentez-vous en tant qu’incarnation
de cette sagesse? Savourez cette énergie. Quand vous ressentirez
profondément la présence en vous de la dakini Bouddha, imaginez
qu’elle reste où elle est tandis que vous vous déplacez pour regarder
vers l’est.

LA DAKINI VAJRA
Depuis la dakini Bouddha du centre, déplacez-vous de quelques centimètres
vers l’avant pour vous rapprocher de l’est en gardant le plus possible les
yeux fermés. Ressentez quelques instants l’énergie de l’est. C’est ici le
règne de la famille Vajra. Sa couleur est le bleu, le bleu profond des ciels
d’automne, le bleu du lapis lazuli. L’élément associé à la famille Vajra est
l’eau et son symbole est le vajra, ou dorje, un sceptre comprenant un moyeu
d’où rayonnent cinq branches inférieures et cinq branches supérieures qui
se rejoignent en pointe à chaque extrémité. Il symbolise les moyens habiles,
l’union des cinq bouddhas femelles et des cinq bouddhas mâles et les cinq
agrégats qui se transforment en cinq bouddhas mâles.
Le poison de la famille Vajra est la colère, la dureté, le penchant à
l’austérité et la froideur. Ce peut être une colère froide ou une fureur
bouillante en rapport avec la peur. La sagesse de la famille Vajra est la
sagesse-miroir, l’esprit dans son état réel qui est réfléchissant, qui reflète
toute chose avec clarté, sans porter de jugement et sans être altéré par ce
qu’il reflète. L’attention vigilante est limpide et infinie comme un grand
miroir. Quand nous sommes libérés de notre égocentrisme, nous reflétons
tout ce qui se manifeste devant nous sans y réagir.
La dakini Vajra danse. Elle tient le couteau serpette au manche orné
d’un vajra et le sceptre khatvanga, son consort intérieur, repose dans le
creux de son coude. Elle lève la jambe droite et tend la jambe gauche dans
une posture de danseuse. Les flammes de la sagesse encerclent son corps
d’un bleu luminescent. Elle tient la coupe crânienne contre son cœur et
brûle des flammes de la sagesse. Elle incarne la colère devenue lucidité de
la sagesse-miroir. Sa syllabe germe est HA.

• Prenez le temps de localiser le blocage dans votre corps, le schéma de


colère froide ou de fureur bouillante. Comment se manifeste la colère en
vous? Évoquez un incident récent ou un incident de votre passé où vous
vous êtes mis en colère. Ressentez-en les effets physiquement. Attendez
de ressentir cela avant de commencer.
• Accentuez cette sensation, ressentez-la vivement. Faites une pause.
• Quand vous prononcerez la syllabe HA, vous émettrez une lumière
bleue et votre esprit sera une émanation de la sagesse-miroir. Par le
truchement de ce son et de cette radieuse lumière bleue, vous deviendrez
la dakini Vajra bleue.
• HA. Prononcez la syllabe germe et devenez la dakini Vajra. Quand vous
prononcez cette syllabe, la colère devient bleue, l’élément eau devient
lumière bleue et vous devenez la dakini Vajra bleue d’où émane la
sagesse-miroir. Imaginez que vous incarnez si intensément cette sagesse
que chacun de vos pores crache des flammes de sagesse dans toutes les
directions. Ressentez vivement la transformation de l’émotion en
sagesse.
• HA. En prononçant la syllabe germe en tant que dakini Vajra,
transmettez des rayons lumineux aux couleurs de l’arc-en-ciel à tous les
êtres de sagesse de l’univers. Cette lumière les invite à vous donner leur
lumière en retour. Vos rayons lumineux sont munis de crochets qui
recueillent la sagesse de ces êtres.
• HA. Redites la syllabe germe pour la troisième fois. La lumière imbue
de sagesse revient vers vous, elle entre dans la dakini Vajra. Restez
quelque temps dans cet état et prenez conscience de ce que vous
ressentez quand vous êtes la dakini Vajra et que la sagesse-miroir émane
de vous. Que ressentez-vous en tant qu’incarnation de cette sagesse?
Délectez-vous de cette énergie. Quand vous ressentirez profondément la
présence en vous de la dakini Vajra, imaginez qu’elle reste où elle est
tandis que vous vous déplacez pour regarder vers le sud.

LA DAKINI RATNA
Laissez derrière la dakini Vajra et tournez-vous du côté droit, face au sud.
Laissez-vous imprégner de l’énergie du sud. Voici la famille Ratna, la
famille des joyaux. La couleur de cette dakini est le jaune d’or. Son élément
est la terre, riche et fertile. Son symbole est le bijou doré.
Le schéma obscur, l’état d’esprit qui prime ici est fait de l’arrogance et
de l’orgueil qui masquent le sentiment d’inaptitude, la crainte de ne pas être
à la hauteur, de ne pas suffire. Il engendre l’avidité, une dévorante
convoitise, les excès de toutes sortes. La sagesse de la famille Ratna est
celle de l’équanimité, de l’égalité. On se déleste de la possessivité, des
jugements de valeur, des goûts et des aversions, de la suffisance et des
comportements autoritaires pour entrer dans la stabilité calme de
l’équanimité et de la générosité, à l’image de la terre.
La dakini Ratna a un corps voluptueux et doré. Elle a un bon sens de
l’humour et elle aime les couleurs vives. Sa main droite brandit le couteau
serpette orné d’une pierre dorée ou d’ambre. Elle danse nue, jambe droite
levée et jambe gauche tendue. Elle tient contre son cœur la coupe
crânienne, et le sceptre khatvanga, symbole de son consort intérieur, dans le
creux de son coude gauche. De son corps émanent les flammes de la
sagesse de l’équanimité et de la tranquillité immuable. Sa syllabe germe est
RI.

• Ressentez physiquement le blocage, l’état d’esprit arrogant, le sentiment


de ne pas suffire, de ne pas être à la hauteur qui vous poussent à
l’orgueil, à la suffisance, à la consommation excessive. Faites
l’expérience de cette manifestation en profondeur. Comment ce poison
se manifeste-t-il en vous? Revivez, par exemple, une occasion où votre
profonde insécurité vous a fait agir avec arrogance.
• Accentuez cette sensation, ressentez-la vivement. Faites une pause.
• Prononcez la syllabe germe RI et devenez la dakini Ratna. Quand vous
prononcez cette syllabe, devenez la dakini Ratna d’un luminescent jaune
d’or, avec sa poitrine généreuse et ses bijoux d’ossements, dansez nue,
ressentez l’intensité de la sagesse de l’équanimité. Cette sagesse émane
de vous en tant que dakini si intensément qu’elle s’enflamme. Chacun
de vos pores crache des flammes de sagesse. Attendez de ressentir
vivement cela avant de prononcer la syllabe germe pour la deuxième
fois.
• RI. En prononçant la syllabe germe en tant que dakini Ratna, transmettez
des rayons lumineux aux couleurs de l’arc-en-ciel à tous les êtres de
sagesse de l’univers. Cette lumière les invite à vous donner leur lumière
en retour. Vos rayons lumineux sont munis de crochets qui recueillent la
sagesse de ces êtres.
• RI. Redites la syllabe germe pour la troisième fois. La lumière imbue de
sagesse revient vers vous, elle entre dans la dakini Ratna. Restez
quelque temps dans cet état et prenez conscience de ce que vous
ressentez: votre corps voluptueux et nu, sa poitrine généreuse, la couleur
dorée et radieuse de sa peau; vous dansez dans la lumière dorée en
répandant la sagesse de l’équanimité. Soyez heureux de ne vouloir rien
de plus, de reposer simplement avec équanimité dans ce qui est et
mettez votre confiance dans la terre. Quand vous ressentirez
profondément la présence en vous de la dakini Ratna, imaginez qu’elle
reste où elle est tandis que vous vous déplacez pour regarder vers
l’ouest.
LA DAKINI PADMA
Laissez la dakini Ratna au sud et tournez-vous vers la droite pour faire face
à l’ouest en gardant le plus possible les yeux fermés pour ne pas perdre
votre concentration. Imprégnez-vous quelques instants de l’énergie de
l’ouest. C’est la famille Padma, la famille du lotus, dont le symbole est le
lotus rouge. Elle est du côté du soleil couchant. Sa couleur est le rouge et
son élément, le feu. Le poison de Padma est la séduction compulsive,
l’union possessive, un manque intense qui pousse à appâter les autres pour
sentir que l’on compte. C’est le règne du superficiel, du clinquant. On passe
d’une relation ou d’un objet de désir à l’autre, sans intimité ni profondeur.
La sagesse de cette famille est la sagesse discernante, l’aptitude à
départager, à discriminer sans possessivité égoïste ni arrière-pensée. C’est la
sagesse qui permet de voir clairement les interrelations des choses et des
êtres avec lesquels on est en contact, mais sans ressentir le besoin de les
posséder, de les attirer à soi ou de les séduire.
La dakini Padma est rouge rubis. Son couteau serpette est orné d’un
lotus et la coupe crânienne qu’elle tient contre son cœur contient le sang de
la transformation du désir. Le sceptre khatvanga, symbole de son consort
intérieur, repose dans le creux de son coude. Elle danse, jambe droite levée
et jambe gauche tendue. Sa sagesse est si intense que les flammes
ruissellent d’elle et se répandent dans toutes les directions. Sa syllabe germe
est NI.

• Localisez le blocage dans votre corps: ressentez physiquement cette


énergie, ce besoin de séduire. Revivez, par exemple, une occasion où ce
besoin et ce désir se sont emparés de vous au point de vous pousser à un
comportement que vous avez regretté par la suite.
• Accentuez cette sensation, ressentez-la vivement. Faites une pause.
• Prononcez la syllabe germe: NI. Par le truchement de ce son et la
visualisation de la lumière rouge, l’émotion se transforme en sagesse
discernante et vous devenez la dakini Padma.
• NI. Prononcez la syllabe germe et devenez la dakini Padma. Quand vous
émettez cette syllabe, votre corps devient celui de la dakini Padma à la
poitrine généreuse; ornée de vos bijoux d’ossements et rouge feu, vous
dansez nue et ressentez l’intensité de la sagesse discernante. Cette
sagesse émane de vous si intensément qu’elle s’enflamme. Chacun de
vos pores crache des flammes de sagesse. Attendez de ressentir
vivement cela avant de prononcer la syllabe germe pour la deuxième
fois.
• NI. En prononçant la syllabe germe en tant que dakini Padma,
transmettez des rayons lumineux aux couleurs de l’arc-en-ciel à tous les
êtres de sagesse de l’univers. Cette lumière les invite à vous donner leur
lumière en retour. Vos rayons lumineux sont munis de crochets qui
recueillent la sagesse de ces êtres.
• NI. Redites la syllabe germe pour la troisième fois. La lumière imbue de
sagesse revient vers vous, elle entre dans la dakini Padma. Restez
quelque temps dans cet état et prenez conscience de ce que vous
ressentez en tant que dakini Padma, en tant qu’incarnation de la sagesse
discernante et de la vigilance, quand vous relâchez votre possessivité
dans cette sagesse incarnée. Délectez-vous de cette énergie. Quand vous
ressentirez profondément la présence en vous de la dakini Padma,
imaginez qu’elle reste où elle est tandis que vous vous déplacez pour
regarder vers le nord.

LA DAKINI KARMA
Laissez la dakini Padma à l’ouest et tournez-vous vers la droite pour faire
face au nord, le dernier point cardinal. Gardez les yeux fermés, restez
concentré et imprégnez-vous de l’énergie du nord pendant quelques
instants. Cette famille est la famille Karma. Sa couleur est le vert et son
élément est l’air. Son symbole Karma est l’épée ou le double vajra. Ses
poisons sont la jalousie, la compétitivité, la hâte et le penchant à
l’ergomanie. La famille Karma est encline aux comparaisons à caractère
paranoïaque et à la précipitation. Sa sagesse est tout-accomplissante, celle
de l’action éveillée qui veut mener à bien toutes les aspirations karmiques,
celle qui se fie à l’énergie existant en soi et à l’état de flow plutôt qu’à la
force.
La dakini Karma est légère, aérienne, toujours en mouvement; elle est
toujours en chemin, elle va là où elle a quelque chose à faire. Le couteau
serpette dans sa main droite est orné d’une épée; elle presse contre son cœur
la coupe crânienne remplie du sang de la transformation du désir. Elle
danse, jambe droite levée, jambe gauche tendue. Le sceptre khatvanga, son
consort intérieur, repose dans le creux de son coude gauche. La sagesse
tout-accomplissante qui émane d’elle est si intense qu’elle s’enflamme. Sa
syllabe germe est SA.

• Attardez-vous quelque temps au blocage qui se manifeste ici. La hâte,


l’ergomanie, l’ambition, la jalousie. Vivez cela en profondeur. Évoquez
un incident récent ou un incident de votre passé au cours duquel vous
avez vécu ces émotions. Ressentez-en les effets physiquement.
• Accentuez cette sensation, ressentez-la vivement. Faites une pause.
• Prononcez la syllabe germe: SA. Le schéma obscur se dissout dans ce
son et dans la radieuse lumière verte, vous devenez la dakini Karma et
de vous émane l’énergie de la sagesse tout-accomplissante.
• SA. Prononcez la syllabe germe et devenez la dakini Karma. Quand vous
émettez cette syllabe, votre corps se transforme et devient celui de la
verte dakini Karma à la poitrine généreuse. D’un vert radieux, ornée de
vos bijoux d’ossements, vous dansez nue et ressentez l’intensité de la
sagesse tout-accomplissante. Cette sagesse émane de la dakini que vous
êtes devenue, mais si intensément qu’elle s’enflamme. Chacun de vos
pores crache des flammes de sagesse. Délectez-vous de savoir que tout
s’est accompli naturellement, que tout est déjà fait. C’est un élan qui
vous met dans un état de flow où vous ne forcez rien. L’arrogance, la
jalousie et l’envie se transforment en sagesse. Attendez de ressentir
vivement cela avant de prononcer la syllabe germe pour la deuxième
fois.
• SA. En prononçant la syllabe germe en tant que dakini Karma,
transmettez des rayons lumineux aux couleurs de l’arc-en-ciel à tous les
êtres de sagesse dans l’univers. Cette lumière les invite à vous donner
leur lumière en retour. Vos rayons lumineux sont munis de crochets qui
recueillent la sagesse de ces êtres.
• SA. Redites la syllabe germe pour la troisième fois. La lumière imbue de
sagesse revient vers vous, elle entre dans la dakini Karma. Restez
quelque temps dans cet état et prenez conscience de ce que vous
ressentez en tant que dakini Karma, en tant qu’incarnation de la sagesse
tout-accomplissante. Ressentez profondément en vous cette sagesse déjà
accomplie, détendez-vous et délestez-vous de toutes vos ambitions.
Quel effet cela vous fait-il d’incarner cette sagesse? Savourez son
énergie. Quand vous ressentirez profondément la présence en vous de la
dakini Karma, imaginez qu’elle reste où elle est tandis que vous vous
déplacez pour vous recentrer.

Laissez la dakini Karma au nord, revenez au centre en gardant les yeux


fermés, et faites face à l’est comme au début de la méditation.

• Redevenez la dakini Bouddha, la dakini blanche de la spaciosité, et


ressentez les flammes de la sagesse de l’union de la conscience et de la
vacuité.
• La dakini Vajra bleue est devant vous; d’elle émanent les flammes de la
sagesse-miroir et de la lucidité.
• La dakini Ratna est à votre droite; d’elle émanent les flammes de la
sagesse de l’équanimité et la présence enrichissante.
• La dakini Padma est derrière vous; elle incarne l’énergie rouge et d’elle
émanent les flammes de la sagesse discernante.
• La dakini Karma est à votre gauche; d’elle émanent la sagesse tout-
accomplissante et la libération des ambitions.

Imprégnez-vous de votre complétude dans ce mandala: toutes ces


émanations de la sagesse correspondent à votre vraie nature. Tout votre être
est ici présent. Tout votre être est devenu le Mandala des cinq dakinis. Vous
êtes le Mandala des cinq dakinis. Restez quelque temps dans ce moment de
complétude. C’est ici que guérissent les énergies fragmentées et
incohérentes de votre vie. Vous remarquez cette sensation. Vous restez ici.
Vous restez dans la luminosité du mandala, vous sentez que vous incarnez
la dakini Bouddha et les quatre autres dakinis de sa suite. Votre conscience
repose ici dans cet espace transcendant, vous sentez que vous incarnez la
sagesse. Restez ici aussi longtemps que vous en avez envie. Si votre esprit
s’égare, redites les cinq syllabes germes afin de réactiver les cinq dakinis:
BAM, HA, RI, NI, SA. Quand vous êtes prêt, passez à la dissolution.
LA DISSOLUTION
Le Mandala des cinq dakinis amorce sa dissolution. Les quatre dakinis des
quatre points cardinaux se dissolvent l’une après l’autre dans la dakini
Bouddha du milieu: d’abord la dakini Vajra, puis la dakini Ratna, la dakini
Padma, et enfin, la dakini Karma.
La dakini Bouddha se dissout ensuite graduellement des pieds et du
sommet de la tête vers le cœur où elle se fond à une étincelante sphère de
lumière blanche qui se dissout à son tour. Restez quelque temps dans ce qui
est encore présent après cette dissolution.

DÉDICACE DU MÉRITE
Quand vous serez resté dans la vacuité aussi longtemps que vous l’aurez
jugé opportun, dédiez le mérite de cette méditation, l’accumulation
d’énergie positive que vous avez générée par cette transformation, à tous les
êtres sensibles.
14
Cheminer avec les dakinis

Malgré la variété infinie de mandalas, qu’ils soient le fait de


méditants tantriques ou qu’ils naissent dans les rêves et
l’imagination active des patients de Jung ou d’autres personnes
ailleurs dans le monde, on retrouve une conformité de schèmes,
puisqu’ils appartiennent à l’inconscient collectif de l’humanité.
Ce sont des symboles d’unité qui réconcilient les contraires à un
niveau de conscience supérieur. En même temps, ce sont des
moyens d’expression d’une réalité universelle qui, quand on se
met en rapport avec eux, produisent des effets profonds entraînant
des expériences de transformation.
Radmila Moacanin

Vous pouvez aussi faire la méditation ci-après pour approfondir davantage


une dakini en particulier. Quand vous en avez terminé avec la méditation du
Mandala des cinq dakinis:

• Tournez-vous vers la dakini de sagesse à laquelle vous vous êtes le plus


identifié ou vers celle qui représente le mieux la transformation du
schéma obscur qui semble occuper le plus de place dans votre vie
présente.
• Regardez dans cette direction (ou regardez le centre si vous avez choisi
la dakini Bouddha).
• Fermez les yeux et gardez-les fermés le plus possible jusqu’à la fin de la
méditation. Faites les neuf respirations de détente (voir page 173).
• Faites advenir votre intention de méditer pour votre bien et pour celui de
tous les êtres sensibles. C’est ce qu’on appelle l’émergence de la
bodhicitta.

MÉDITATION DU CHEMINEMENT AVEC LES DAKINIS

PREMIÈRE ÉTAPE: INVOQUEZ LA PRÉSENCE DE LA DAKINI


• Invoquez la dakini avec laquelle vous aimeriez communiquer davantage.
Prononcez sa syllabe germe une fois et visualisez-la qui tient dans sa
main droite le couteau serpette orné du symbole de sa famille et, dans sa
main gauche, contre son cœur, la coupe crânienne. Elle est radieuse, et
d’elle émane la sagesse de sa famille. Les syllabes germes sont BAM
pour la dakini Bouddha, HA pour la dakini Vajra, RI pour la dakini
Ratna, NI pour la dakini Padma et SA pour la dakini Karma. Quand
vous verrez la dakini devant vous, arrêtez-vous à tout ce qui la
caractérise: sa taille, sa couleur, son tempérament, son regard. Cherchez
un détail qui vous avait échappé auparavant.
• Explorez maintenant son environnement. Quel est-il? Quel climat
dégage-t-il? Est-ce un endroit que vous connaissez? À quelle époque
cela a-t-il lieu? Pouvez-vous identifier le pays où se trouve la dakini?
Remarquez-vous des odeurs ou des sons? Est-elle sur terre ou dans une
autre dimension? S’il s’agit d’une autre dimension, notezen les détails.

DEUXIÈME ÉTAPE: LA DAKINI VOUS EMMÈNE AVEC ELLE


• Imaginez que la dakini vous emmène avec elle dans un endroit très
spécial.
• Vous la suivez. Vous marchez derrière elle. Regardez bien le chemin que
vous parcourez et comment il se transforme à mesure que vous avancez.
Remarquez-vous des odeurs ou des sons? Quel climat imprègne cet
environnement?
• Quand vous arrivez à votre destination, notez son emplacement.
• Qu’est-ce qui caractérise cet endroit? Quel est le moment de la journée?
Quel temps fait-il? Remarquez-vous des odeurs particulières? À quelle
époque cela a-t-il lieu? Comment vous sentez-vous? Cet endroit vous
rappelle-t-il quelque chose?
• Votre dakini vous explique maintenant pourquoi elle vous a emmené ici
et pourquoi cet endroit est important pour vous.

TROISIÈME ÉTAPE: INTERROGEZ LA DAKINI


• Vous pouvez maintenant poser des questions à la dakini. Formulezen
une ou plusieurs.

QUATRIÈME ÉTAPE: METTEZ-VOUS À LA PLACE DE LA DAKINI


ET RÉPONDEZ À VOTRE (VOS) QUESTION(S)
• Quand vous avez formulé votre (vos) question(s), substituez-vous à la
dakini. Donnez-vous le temps d’entrer en elle. Remarquez ce que vous
ressentez. À quoi ressemble votre moi ordinaire du point de vue de la
dakini? Quand vous serez bien installé dans le corps de la dakini,
répondez à votre (vos) question(s) en vous exprimant en son nom.

CINQUIÈME ÉTAPE: REPRENEZ VOTRE PLACE


• Dialoguez ainsi avec la dakini en lui posant toutes les questions que
vous voulez.
• Quand vous en avez terminé, reprenez votre place. Pendant quelques
instants, ressentez l’aide et la protection dont la dakini vous a fait
bénéficier.
• La dakini vous tourne maintenant le dos. Quand elle se retourne et vous
fait face à nouveau, elle a un présent pour vous.
• La dakini vous offre ce présent. Vous le prenez et vous en notez toutes
les caractéristiques. La dakini vous en explique la signification.
• Le présent et toute sa puissance se dissolvent ensuite dans votre cœur.
Notez la sensation qu’il vous procure. (Pause)
• Visualisez la dakini en face de vous, regardez-la dans les yeux, sentez
son énergie se répandre en vous. Quand l’énergie de la dakini entre en
vous, elle se répand jusqu’à la plante des pieds, jusqu’au bout des
doigts, absolument partout.
• Imaginez maintenant que la dakini se dissout et devient lumière pure.
Notez la couleur de cette lumière. Sentez-la se dissoudre en vous,
répandre sa luminosité dans toutes vos cellules. Notez la sensation que
vous procure l’énergie intégrée de la dakini.
• Maintenant, vous vous dissolvez avec l’énergie intégrée de la dakini.

SIXIÈME ÉTAPE: RESTEZ DANS CET ÉTAT DE CONSCIENCE


• Restez dans l’état présent après cette dissolution, restez-y paisiblement.
• Attendez que les pensées discursives recommencent à se manifester.
Revenez graduellement à la réalité de votre corps et souvenez-vous de
l’énergie de la dakini en vous.
• En ouvrant les yeux, retenez cette sensation de l’énergie de la dakini en
vous et regardez le monde avec les yeux de la dakini.

DÉDICACE DU MÉRITE
Dédiez le mérite de cette méditation, l’accumulation d’énergie positive que
vous avez générée par cette transformation à tous les êtres sensibles.

APRÈS LA MÉDITATION
En vaquant à vos occupations quotidiennes, imaginez que vous êtes la
dakini et que chaque personne que vous croisez est une manifestation de
votre mandala. Aux repas, vous nourrissez la dakini; quand vous vous
habillez, c’est elle que vous habillez. Dites-vous que le monde est devenu
une dimension de lumière. C’est la perception pure.
15
L’aménagement d’un autel au mandala dakini

Sans mon coin de terre, je n’aurais pas réalisé le travail de ma


vie.
C. G. Jung

À Küshnacht, en banlieue de Zurich, en Suisse, j’ai enseigné à l’Institut


Jung, une grande maison en stuc beige, à volets verts, située sur la rive du
lac. L’intérieur est lambrissé de chêne et les parquets sont en bois dur. Juste
à côté de la remise à bateau, il y a un jardin mandala.
Martin et Sabine Kalff m’offraient alors l’hospitalité dans leur maison
de Zollikon, une petite bourgade qui surplombait le lac. Martin et son frère
Peter avaient hérité de leur mère, Dora Kalff, cette demeure du XVe siècle
au parquet en planches de près de 60 centimètres de largeur. Dora Kalff
avait étudié la psychanalyse jungienne auprès de Carl G. Jung et,
parallèlement, le bouddhisme tibétain. Elle est à l’origine de la célèbre
thérapie du jeu de sable qui s’appuie jusqu’à un certain point sur
l’expérience que Jung avait vécue à la plage. (Voir la méditation dakini du
jeu de sable de la page 305.) Quand Jung a été confronté aux effets
inconscients de sa rupture avec Sigmund Freud, il a ressenti le besoin de
jouer avec le sable et les galets du rivage du lac, comme lorsqu’il était
enfant.
Cette plage étroite – elle ne fait que quatre à six mètres de largeur – est
voisine d’un sentier qui passe derrière la première rangée de maisons en
bordure du lac. Aujourd’hui, il y a là un parc de gravier gris, de sable et de
galets.
Désorienté après sa rupture avec Freud, Jung a voulu obéir à la première
incitation que lui enverrait son inconscient. Il s’est souvenu que, à l’âge de
dix ans environ, il se passionnait pour les cubes de construction avec
lesquels il érigeait de petites maisons et de petits châteaux. Les émotions
intenses qu’a suscitées ce souvenir lui ont fait réaliser que sa créativité
d’enfant avait disparu.
Comprenant le message que lui envoyait son subconscient, Jung a joué
dans le sable de la plage voisine de sa maison. Il a construit des maisons,
des châteaux, tout un village. Mais au moment venu de recréer l’autel de
l’église, il a hésité, ne sachant trop comment procéder. Fidèle à sa nature, il
s’est promené sur la plage pour voir ce qu’il y trouverait. Il a aperçu une
pierre rouge d’environ quatre centimètres de hauteur, en forme de
pyramide, que l’eau du lac avait polie — exactement ce qu’il lui fallait. En
plaçant l’autel sous la coupole de l’église qu’il avait construite, Jung s’est
souvenu du premier rêve significatif qu’il avait fait enfant: un phallus
souterrain qui, ainsi qu’il l’a décodé par la suite, représentait le début de sa
vie intellectuelle. Ce souvenir lui a procuré un tel degré de satisfaction qu’il
a continué à jouer chaque jour sur la rive du lac quand le temps le
permettait.

Évidemment, je me suis demandé ce que signifiait ce que je faisais.


Je me suis dit: «Qu’est-ce qui te prend? Voilà que tu construis une
petite ville comme si c’était un rite.» Je ne pouvais répondre à cette
question, mais j’avais la certitude intérieure que je découvrirais
bientôt mon propre mythe, le jeu de construction n’étant qu’un
commencement. Il a libéré une foule de fantasmes que, plus tard,
j’ai notés soigneusement.
Ce genre de choses est devenu une habitude et, plus tard dans
ma vie, chaque fois que je suis tombé sur un mur aveugle, j’ai peint
une toile ou taillé une pierre. Chacune de ces expériences s’est
avérée être un rite d’entrée pour les idées et les travaux qui ont
suivi67.

La créativité résultant de la découverte spontanée de la pierre d’autel a


enclenché chez Jung le processus de guérison des blessures de l’enfance. La
combinaison du retour aux jeux enfantins qui font surgir des images
inconscientes et de l’interprétation des manifestations spontanées de
l’environnement et du rêve a constitué l’ossature de la recherche de Jung,
orientant sa pratique et le développement de la psychanalyse jungienne.
L’inspiration et la perception intuitive que cette pierre d’autel a
suscitées chez Jung me rappellent l’importance de l’autel domestique. Une
maison sans autel est comme une personne sans âme. Une maison sans autel
n’a pas de noyau spirituel, aucun espace réservé à la vie intérieure de ses
occupants. La présence d’un ou de plusieurs autels domestiques est la
manifestation visible de votre cheminement intérieur.
Un autel peut être important et devrait avoir une signification très
personnelle. Toute ma vie j’ai oscillé entre l’autel bouddhiste tibétain
traditionnel, ceux que je créais moi-même, ou un mélange des deux. Quand
j’ai fondé une famille après m’être défroquée et qu’il m’a semblé important
de m’approprier cet espace, j’ai substitué d’autres objets aux sept bols à
offrandes traditionnels. J’ai ajouté une pierre ayant pour moi une
signification particulière, une plume ou un dessin.
Mes autels ont été des espaces de vie; ils ont changé au fil des ans, mais
j’en ai toujours eu. J’ai même un petit autel portatif de voyage. Celui-ci se
compose habituellement d’une statuette de Tara, du Bouddha ou de Machik
Labdrön, parfois de petits bols à offrandes, et il comporte toujours une
bougie et de l’encens. Sans cet autel de voyage, je ne trouve pas de point de
centrage là où je suis hébergée. Mais dès que je l’ai érigé, je suis heureuse
et je me sens chez moi.

AUTEL DU MANDALA DES CINQ DAKINIS


Il suffit de disposer des foulards aux couleurs des cinq familles sur une
boîte en carton carrée leur servant de base pour ériger un autel au Mandala
des cinq dakinis. Une base carrée convient tout à fait, puisque le centre du
mandala est carré. Mais une table carrée ou ronde est préférable à une boîte
en carton. Quoi qu’il en soit, l’important est d’ériger un autel sans achopper
sur des points de détail et de lui donner un caractère très personnel.
Les foulards neufs aux couleurs unies sont les meilleurs, mais là encore,
laissez agir votre imagination. Vous trouverez peut-être ce qu’il vous faut à
la maison ou dans une boutique de tissus.
Drapez le foulard bleu sur le côté est de la boîte, le jaune sur son côté
sud, le rouge sur son côté ouest et le vert sur son côté nord. Disposez le
foulard blanc sur le dessus pour qu’il recouvre le milieu et les intersections
des quatre autres foulards. Placez ensuite une bougie dans un contenant
sécuritaire au centre du foulard blanc. Voilà un autel de base aux dakinis.
Entourez ensuite la bougie d’objets qui ont une signification pour vous.
Un autel plus élaboré pourrait comprendre des bougies des cinq
couleurs, ou encore des bougies blanches dans des bougeoirs des cinq
couleurs, le tout disposé aux quatre points cardinaux et au centre. Vous
pouvez aussi trouver d’autres objets aux couleurs appropriées, ou ériger
petit à petit votre autel avec divers symboles des cinq familles, des objets
trouvés ou des objets symbolisant votre travail sur les cinq familles.
Certaines personnes ont transformé une pièce entière – leur chambre à
coucher ou une autre pièce – en sanctuaire, en donnant à chaque mur la
couleur d’une famille et en peinturant le plafond et le sol en blanc. D’autres
ont simplement disposé sur les murs des papiers de couleur correspondant
aux cinq familles: un cercle bleu pour Vajra, un carré jaune pour Ratna, un
triangle rouge orienté vers le haut pour Padma et un demi-cercle, le côté
plat vers le haut, pour Karma. D’autres encore ont opté pour des vêtements
aux couleurs de la famille qu’ils veulent invoquer. Dans les retraites
dakinis, les participants revêtent la couleur de la famille sur laquelle porte
notre travail. C’est très impressionnant quand tout le monde est vêtu de
bleu, de rouge ou de jaune…
Si vous avez une image du Mandala des cinq dakinis, placez-la sur le
mur derrière les bougies. Vous pouvez amplifier ou modifier votre autel au
fil du temps. C’est une bonne idée, de temps en temps, de le réduire à sa
plus simple expression, puis de le reconstituer. L’autel doit être agréable à la
vue et devenir votre Mandala personnel.
Quand vous orientez votre travail sur une famille spécifique, il est bon
que votre autel le reflète. Supposons, par exemple, que vous ayez des
problèmes de dépression et de procrastination. L’autel pourrait être dédié à
la famille Bouddha, entièrement recouvert de blanc, comprendre des
bougies blanches et la roue à huit rayons qui symbolise cette famille. Si
vous voulez vous concentrer sur la colère, un tissu bleu, des objets tels que
le vajra, un bol bleu rempli d’eau représenteraient bien la famille Vajra. Si
votre problème concerne plutôt la prospérité ou l’orgueil, érigez un autel à
la famille Ratna avec un tissu jaune, une bougie jaune, de l’or ou des objets
symbolisant la terre.
Les problèmes relationnels et un travail intense avec la famille Padma
peuvent trouver leur expression dans une bougie rouge, un tissu rouge et
d’autres objets appropriés. Et quand vous êtes aux prises avec les schémas
obscurs de la famille Karma, soit l’envie, la jalousie ou l’ergomanie,
choisissez pour votre autel une bougie verte, un tissu vert et tout objet qui
correspond à vos yeux à la famille Karma. L’autel dédié à une famille de
bouddhas vous rappellera la transformation en sagesse du schéma obscur de
cette famille.
J’ai vécu un exemple de la magie de l’autel Ratna en 1986, à mon retour
d’Italie. Mère célibataire, j’étais trop fauchée pour assurer convenablement
le bien-être de mes trois enfants. Je les nourrissais littéralement de riz et de
haricots et j’ignorais avec quel argent je leur achèterais des chaussures
neuves. Mais j’ai quand même pu faire l’acquisition d’une maison
beaucoup trop chère pour moi et d’une spacieuse familiale à trois
banquettes dénichée chez les Hassidim de New Square, non loin de chez
moi. Parce que les Hassidim ont des familles nombreuses, ils ont de grosses
voitures. Mais la voiture, qui roulait au diesel, avait connu des jours
meilleurs.
Environ deux semaines après que je l’eus achetée, la familiale s’est
mise à cracher des nuages de fumée noire comme seuls savent en produire
les moteurs diesel. J’avais déjà fixé au pare-chocs un autocollant
représentant la planète Terre qui disait Aimez votre mère. Aux feux rouges,
la fumée noire toxique qui sortait du tuyau d’échappement recouvrait
complètement l’autocollant. Quand le feu passait au vert, les conducteurs
qui me doublaient me faisaient un doigt d’honneur.
J’avais honte, mais il fallait bien que je conduise mes enfants à l’école,
aux fêtes d’anniversaire, à leurs leçons, il fallait que j’aille à l’épicerie et
que je vaque à mes affaires. Je n’avais pas le choix. Un soir – il faisait déjà
nuit –, alors que j’étais en route pour la maison avec mes trois enfants après
une réunion de famille au Massachusetts, la familiale s’est mise à faire un
bruit sourd, puis le moteur a calé au beau milieu de l’autoroute à six voies.
J’ai réussi à me ranger sur la bande d’arrêt d’urgence. En Nouvelle-
Angleterre, l’hiver est froid et humide. En plein vent sur la chaussée glacée,
tandis que les voitures filaient sans s’arrêter, j’étais complètement abattue.
Finalement, j’ai pu faire remorquer et réparer la voiture, puis rentrer
chez moi, mais le mécanicien m’avait prévenue: la transmission était
foutue. Il me fallait une voiture neuve. Je pratiquais beaucoup la méditation
dakini à l’époque, si bien que je me suis dit: D’accord. Je vais me
concentrer sur la dakini Ratna. Il faut que je trouve une solution. Cette
situation ne peut pas durer.
J’ai placé l’image de la dakini Ratna au centre du mandala et je lui ai
dédié un autel: nappe en tissu jaune d’or, bol doré rempli de monnaies en
chocolat enveloppées de papier métallisé doré, roses jaunes, bougie pilier
jaune. J’ai placé l’autel au sud et j’y ai médité chaque jour. J’ai même porté
des chemisiers et des foulards jaunes. Je n’étais pas certaine de pouvoir
changer quoi que ce soit à ma situation, mais je me suis visualisée dans la
peau de la dakini Ratna. J’ai imaginé mon corps fait de lumière dorée et les
flammes vives de la sagesse qui émanaient de lui. J’ai imaginé que
j’incarnais la sagesse de l’équanimité et de la présence enrichissante. J’ai
accueilli dans mon champ d’énergie les bienfaits des dakinis et senti que la
terre m’apportait son soutien.
Environ dix jours plus tard, j’étais à une soirée à New York quand j’ai
aperçu mon vieil ami Jim, un Américain connu en Italie. Comme j’allais
partir, il m’a dit:
— J’ai glissé quelque chose dans ton sac. Ne regarde pas tout de suite.
C’est un cadeau.
Curieuse, j’ai fouillé dans mon sac dès que j’ai mis le pied dehors. Jim
m’avait donné cinq cents dollars.
Ça ne s’est pas arrêté là. Quelque temps après, mes parents m’ont rendu
visite. Peu avant leur départ, mon père m’a dit:
— Nous avons quelque chose à te dire.
Quand mon père a quelque chose à me dire, c’est sérieux. J’ai craint une
mauvaise nouvelle: une maladie grave ou quelque chose comme ça. Nous
nous sommes assis au salon, moi dans un fauteuil blanc et mes parents sur
le canapé.
— Nous avons discuté de ta situation, a dit mon père, et nous avons
décidé de te donner de l’argent, une partie de l’héritage que tu recevrais de
toute façon, puisque c’est maintenant que tu sembles en avoir besoin.
En quelques semaines, ma situation Ratna s’était métamorphosée. Mes
parents ont décidé de payer les études des enfants qui étaient inscrits à une
école Waldorf très coûteuse. La dakini Ratna n’avait pas perdu de temps.
Mais il faut méditer très sérieusement. Ces manifestations ne sont pas
automatiques.

AMÉNAGER DES AUTELS AVEC LES ENFANTS


Il peut être très agréable et très significatif pour un enfant d’ériger un autel.
Il suffit souvent d’aménager une étagère dans sa chambre. Vous pouvez lui
suggérer des objets et un agencement ou le laisser libre de choisir ce qu’il
veut. J’ai récemment offert une statuette de Tara à ma petite-fille. Elle
l’aime beaucoup et récite des mantras avec sa meilleure amie qui est
«mordue de Tara». Depuis la retraite familiale à Tara Mandala au cours de
laquelle nous l’avions peinte en vert pour son rôle de Tara dans la pièce que
nous y avions montée, cette divinité a acquis pour elle une plus grande
importance.
Vous pouvez créer un autel dédié au Mandala des cinq dakinis avec
votre (vos) enfant(s) pour les familiariser simultanément aux cinq familles.
Des parents de ma connaissance ont un rituel du dimanche matin au cours
duquel ils allument les cinq bougies avec leurs enfants et méditent tous
ensemble. Ils ont mis au point une courte méditation mandala grâce à
laquelle les enfants se sont familiarisés avec les cinq dakinis. Il suffit que
les enfants allument tour à tour les bougies et énumèrent les symboles des
familles pour les initier au mandala.
Il n’est cependant pas nécessaire que l’autel d’un enfant comporte des
représentations de divinités ou de Bouddha; il peut aussi comprendre des
symboles d’autres religions ou simplement regrouper quelques précieux
symboles de sa vie intérieure. C’est aussi très amusant de créer un autel
dans la nature ou même sur la plage où il peut remplacer le traditionnel
château de sable. (Les enfants peuvent contribuer au dessin d’un mandala
ou à sa création dans la nature, comme dans l’exemple qui suit.)
Les autels sont parfois, littéralement, des lieux magiques. Quand elle était
petite, ma fille Sherab aménageait des autels très élaborés, tant dans la
nature que dans la chambre qu’elle partageait avec sa sœur. Je me souviens
de l’autel qu’elle avait créé à Rome dans notre appartement en rez-de-
chaussée, sur une table d’environ un mètre carré. Il y avait dessus une
statuette du Bouddha, une carte postale de saint François d’Assise, une carte
postale de Krishna jouant de la flûte et divers autres objets. J’ai parlé de
l’importance d’un autel, même pour un enfant, dans Women of Wisdom:

Quand Sherab, ma fille aînée, a eu six ans, elle m’a demandé une
statue de Bouddha en me faisant savoir clairement qu’elle devait
être authentique. Pas question de lui offrir un jouet bouddha acheté
dans le quartier chinois. Son père lui a donc fait parvenir des États-
Unis une jolie statuette fabriquée par un ami qui avait appris les
techniques tibétaines traditionnelles du métal fondu.
La statue était creuse, l’ouverture étant fermée par une petite
plaque de métal à la manière tibétaine. Selon les coutumes du pays,
les statues de Bouddha sont remplies de substances sacrées, une
épine de cèdre est placée en leur centre avec des reliques fixées au
niveau des chakras, puis elles sont consacrées. Cependant, nous
n’avions pas placé d’épine au centre de la statuette et n’avions pas
consacrée celle-ci.
Sherab aimait son Bouddha plus que tous ses jouets. Elle avait
monté un autel élaboré et installé tous ses animaux en peluche
autour pour qu’ils puissent «écouter les enseignements». Quand on
lui donnait une friandise ou d’autres présents, elle en offrait à son
Bouddha.
En novembre 1982, Sherab, alors âgée de neuf ans, et moi
sommes allées au Népal. Elle se sentait profondément liée à la
culture bouddhiste. Les stupas – en fait tout ce qui relevait du
bouddhisme – provoquaient en elle une réaction profonde. Elle
passait ses journées à déposer aux stupas des offrandes généreuses
et, la nuit, elle voyageait en rêve dans des royaumes éblouissants et
recevait les enseignements des êtres de lumière.
À bord de l’avion qui nous ramenait à Delhi, elle a pleuré durant
tout le voyage.
— Pourquoi m’arraches-tu à ma maison?
Je m’en voulais beaucoup.
Quelques jours après notre retour à Rome, Sherab et Aloka
m’ont dit qu’il y avait quelque chose dans la statuette du Bouddha.
À l’époque, j’étais très occupée et je n’y ai prêté aucune attention.
Peu après, elles m’en ont reparlé. Cette fois, j’ai décidé de voir
ce qu’il en était. En secouant le Bouddha, j’ai compris que quelque
chose roulait à l’intérieur. J’ai retiré la plaque de métal et trouvé
dans la cavité un ringsel d’un blanc pur, de la taille d’un gros pois.
Les ringsels sont des reliques qui apparaissent dans les lieux sacrés
ou dans les cendres de lamas incinérés. Je n’avais jamais vu un objet
aussi blanc. Le ringsel rutilait. Il avait la consistance du sucre
cristallisé mais en beaucoup plus dense. On pouvait voir sur les
parois intérieures du Bouddha, dans lequel il avait «crû», des traces
blanches. […] La foi ouvre la voie à la magie68.
16
La création d’un mandala

Les mains peuvent souvent résoudre des énigmes avec lesquelles


l’intellect s’est longtemps débattu en vain.
C. G. Jung

La méthode que j’ai mise au point, Mandala Work With Your Hands™,
vous aidera à créer votre propre mandala. Ainsi que le dit Carl G. Jung:
«Toute activité manuelle nous met en relation avec des choses auxquelles
nous n’aurions sans doute pas pu accéder consciemment et nous amène,
par-delà l’intellect, à l’être profond qui peut alors trouver à s’exprimer.» Ce
peut aussi être thérapeutique et créateur.
Je vous donne ici quelques idées pour façonner votre propre mandala,
mais rien ne vous empêche d’imaginer le vôtre, d’en faire une courtepointe,
un tricot, une sculpture mandala ou même le texte d’une pièce de théâtre
mandala.

DESSINER UN MANDALA DE DAKINIS


Rassemblez votre matériel. Le papier noir ou beige est recommandé. Vous
réservez ainsi le papier blanc à la famille Bouddha. J’aime les pastels à
l’huile parce qu’on peut les étaler, mais vous pouvez aussi utiliser des
crayons de couleur, des feutres ou de la peinture. La dimension du mandala
importe peu. Quand Jung a commencé à dessiner des mandalas, il en
dessinait un par jour dans un petit carnet.

PREMIÈRE ÉTAPE:
• Asseyez-vous en silence quelques instants et notez ce que vous
ressentez.
• Visualisez votre mandala intérieur: vous en êtes la dakini centrale
entourée des autres dakinis de sa suite. Le centre de votre mandala est la
syllabe germe du chakra du cœur représentée par la dakini principale.
Prononcez les cinq syllabes germes pour créer l’énergie du mandala et
inviter les cinq dakinis à se manifester: BAM, HA, RI, NI, SA.
• Visualisez la lumière qui va de votre cœur à vos mains, puis aux
instruments que vous avez mis à votre disposition. Bénissez des mains
ce matériel.
• Quand vous êtes prêt, tracez un cercle. Au centre de ce cercle, tracez un
cercle plus petit pour figurer la famille Bouddha. Divisez le grand cercle
en quatre quartiers pour les familles Vajra, Ratna, Padma et Karma, à
main levée ou en les mesurant soigneusement à l’aide d’un compas,
d’une règle, etc.
• Dessinez ce qui vous vient à l’esprit en vous servant des couleurs de
chaque point cardinal et de ses nuances, si vous le pouvez (différentes
nuances de blanc, de bleu, de jaune, de rouge et de vert). Vous pouvez
dessiner les formes géométriques traditionnellement associées aux
éléments de chaque quartier, par exemple, des cercles pour l’eau et
Vajra, des carrés pour la terre et Ratna, des triangles pour le feu et
Padma, des demi-cercles pour l’air et Karma, des points ou de
minuscules cercles pour bindu et Bouddha. Vous pouvez aussi dessiner
des formes spontanées, des symboles, des animaux, des personnes, tout
ce qui vous inspire. Sentez-vous parfaitement libre à l’intérieur du
canevas de base.

DEUXIÈME ÉTAPE:
Quand vous êtes certain d’avoir terminé le mandala, regardez-le et posez-lui
des questions à voix haute ou tout bas. Notez les réponses que vous
recevrez dans votre journal.
Votre première question devrait être: «Quel est le principal message de
ce mandala?»
Posez ensuite des questions sur des aspects spécifiques du mandala ou
sur ce qu’il vous inspire. Laissez ensuite cette partie du mandala vous
répondre.
Demandez, par exemple: «Que signifie le cercle de la famille
Bouddha?»
Et laissez cette partie du mandala vous répondre. La réponse pourrait
être, par exemple: «Ce cercle représente la complétude que tu ressens quand
tu médites sur l’espace en regardant le ciel. C’est une méditation importante
que tu devrais pratiquer souvent.»
Bien entendu, le mandala ne vous parle pas vraiment; sa réponse vient
de vous. Mais le véhicule du mandala vous donne accès à des réponses
intuitives qui vous échapperaient sans doute dans une simple méditation.
Voici une autre question possible: «Que signifie la présence d’une jeune
fille dans la famille Karma?» La jeune fille peut ensuite répondre en son
propre nom: «Je représente ici l’enfant qui a toujours été contrainte de se
dépêcher pour en faire plus. Je veux être libre.»
Et encore une autre: «Pourquoi tant d’agitation dans la famille Ratna?»
Le mandala pourrait répondre: «Je reflète ta propre agitation. C’est ton
sentiment de ne pas être à la hauteur qui l’engendre.»
Et ainsi de suite.
Posez autant de questions que vous le voulez et, plus particulièrement,
celles qui se rapportent à la famille que vous explorez. Imaginez que le
mandala vous répond et notez ses réponses dans un carnet ou enregistrez-les
sur votre téléphone pour le réentendre plus tard.
Si vous vous contentez de contempler le mandala sans l’interroger, vous
ne recevrez pas de réponses directes.

TROISIÈME ÉTAPE:
Pour finir, posez les deux questions suivantes au mandala:

• «Que puis-je apprendre de ce mandala?»


• «Avez-vous autre chose à me dire?»

LA CRÉATION D’UN MANDALA DANS LA NATURE


Rassemblez tout ce que vous avez envie d’inclure dans votre mandala, par
exemple, des cailloux, du sable, des plumes, du bois, du métal, des
coquillages, de l’eau, des fleurs. Ayez tout ce qu’il vous faut à portée de la
main.

PREMIÈRE ÉTAPE:
• Asseyez-vous en silence quelques instants et notez ce que vous
ressentez.
• Visualisez votre mandala intérieur: vous en êtes la dakini centrale
entourée des autres dakinis de sa suite. Le centre de votre mandala est la
syllabe germe du chakra du cœur, représentée par la dakini principale.
Prononcez les cinq syllabes germes pour créer l’énergie du mandala et
inviter les cinq dakinis à se manifester: BAM, HA, RI, NI, SA.
• Visualisez la lumière qui va de votre cœur à vos mains, puis aux
instruments que vous avez mis à votre disposition. Bénissez des mains
ce matériel.
• Quand vous êtes prêt, tracez un cercle sur le sol ou dans le sable avec un
bâton. Divisez ensuite ce cercle en quatre quartiers pour les familles
Vajra, Ratna, Padma et Karma en laissant un espace au centre pour
accommoder la famille Bouddha. Disposez ensuite dans ces quartiers les
objets qui vous semblent correspondre le plus à chacune des familles.

DEUXIÈME ÉTAPE:
Interrogez le mandala comme il vous a été indiqué dans la section
«Dessiner un mandala de dakinis». Posez-lui toutes les questions qui vous
viennent à l’esprit, plus particulièrement celles qui concernent la famille
que vous explorez en ce moment. Laissez le mandala vous répondre et
notez ses réponses dans votre journal.

TROISIÈME ÉTAPE:
Pour finir, posez les deux questions suivantes au mandala:

• «Que puis-je apprendre de ce mandala?»


• «Avez-vous autre chose à me dire?»
LE JEU DE SABLE ET LE MANDALA DAKINI
Le jeu de sable, instauré et développé par Dora Kalff, une disciple de Carl
G. Jung, est une méthode thérapeutique où le jeu sert d’intermédiaire entre
le monde extérieur et celui de l’inconscient et du rêve. Un bac de sable, de
nombreux objets miniatures et des figurines facilitent le jeu créatif. Dans le
cas qui nous occupe, nous nous servons du bac de sable non pas comme
méthode thérapeutique mais pour la création d’un mandala. La thérapie par
le jeu de sable se fonde sur la théorie voulant que la psyché possède des
tendances naturelles d’autoguérison, théorie que Jung a développée en
travaillant sur les mandalas. De même que nos blessures physiques
guérissent dans des conditions favorables, la sagesse naturelle de la psyché
émerge quand on la laisse libre d’agir dans un espace sécurisant.
Le jeu de sable active les énergies guérisseuses enfouies au plus profond
de la psyché au moyen d’un bac de sable, de figurines et d’objets miniatures
qui reflètent le monde intérieur d’une personne. Le jeu permet de donner
une forme visible et tangible aux processus inconscients. Si vous avez accès
à un bac de sable et à sa pléthore d’objets miniatures qui symbolisent les
mondes réels et imaginaires comme ceux qu’utilisent les psychothérapeutes
et qu’on peut se procurer dans Internet, vous pouvez vous en servir pour
créer des mandalas.

PREMIÈRE ÉTAPE:
• Asseyez-vous en silence quelques instants et notez ce que vous
ressentez.
• Visualisez votre mandala intérieur: vous en êtes la dakini centrale
entourée des autres dakinis de sa suite. Le centre de votre mandala est la
syllabe germe du chakra du cœur, représentée par la dakini principale.
Prononcez les cinq syllabes germes pour créer l’énergie du mandala et
inviter les cinq dakinis à se manifester: BAM, HA, RI, NI, SA.
• Visualisez la lumière qui va de votre cœur à vos mains, puis aux
instruments que vous avez mis à votre disposition. Bénissez des mains
ce matériel.
• Quand vous êtes prêt, tracez un cercle. Au centre de ce cercle, tracez un
cercle plus petit pour figurer la famille Bouddha. Divisez ensuite le
grand cercle en quatre quartiers pour les familles Vajra, Ratna, Padma et
Karma en laissant un espace au centre pour accommoder la famille
Bouddha. Disposez ensuite dans ces quartiers les objets qui vous
semblent correspondre le plus à chacune des familles, en vous fiant à
votre intuition.

DEUXIÈME ÉTAPE:
Interrogez le mandala comme il vous a été indiqué dans la section
«Dessiner un mandala de dakinis». Posez-lui toutes les questions qui vous
viennent à l’esprit, plus particulièrement celles qui concernent la famille
que vous explorez en ce moment. Laissez le mandala du jeu de sable vous
répondre et notez ses réponses dans votre journal. Certaines figurines du jeu
de sable peuvent aussi répondre en leur nom propre.
Par exemple, si vous avez placé un cheval blanc dans l’espace réservé à
la famille Bouddha, demandez-lui: «Que fais-tu dans mon mandala?»
Le cheval blanc pourrait répondre: «Je suis au centre du mandala parce
que je représente la liberté et l’espace sauvage. Je veux te faire connaître
l’immensité de la liberté.» Ce n’est là qu’un exemple parmi plusieurs.
Laissez les miniatures que vous disposerez dans le mandala vous inspirer
vos questions et vos réponses.

TROISIÈME ÉTAPE:
Pour finir, posez les deux questions suivantes au mandala:

• «Que puis-je apprendre de ce mandala?»


• «Avez-vous autre chose à me dire?»

DES VÊTEMENTS AUX COULEURS DES DAKINIS DE


SAGESSE
Une autre façon d’explorer les dakinis de sagesse consiste à porter leurs
couleurs. La couleur est très puissante. Beaucoup de gens s’habillent de
noir; le noir regroupe toutes les couleurs, mais ne correspond aucunement
aux dakinis et manque d’éclat. Quand vous travaillez sur une famille en
particulier, efforcez-vous de porter au moins une pièce de vêtement de sa
couleur. Ses capacités de transformation sont immenses, car chaque fois
qu’elle croise votre regard, elle influe sur votre cerveau. Pour certaines
personnes, le port de toutes les couleurs en même temps s’est révélé très
positif. D’autres ont aimé porter des couleurs qu’en temps normal elles
n’auraient pas choisies. Dans les retraites que je dirige, la couleur de nos
vêtements correspond à celle de la famille que j’enseigne ce jour-là. Il est
impressionnant de voir des classes entières refléter ainsi une famille
donnée. Les Brésiliens fêtent le Nouvel An en enfilant des dessous ou des
bikinis qui s’accordent à l’énergie qu’ils veulent évoquer: par exemple,
blancs pour la paix, rouges pour la passion, et ainsi de suite. Si vous voulez
porter plus secrètement les couleurs des dakinis, imitez les Brésiliens, mais
choisissez les couleurs des cinq familles!

MÉDITATION DE RÉGRESSION AVEC LES CINQ


FAMILLES
En pratiquant la méditation ci-dessous, vous en saurez davantage sur les
expériences et les schémas affectifs qui vous relient à chacune des cinq
familles de bouddhas. Dans les retraites de longue durée, je me sers de la
méditation de régression pour accompagner les participants dans leur
exploration des cinq familles; les pratiquants relatent ensuite cette
expérience dans leur journal et travaillent avec ce qui leur a été révélé. Ici,
vous êtes livré à vous-même. Si vous savez ou pensez avoir des
traumatismes enfouis, faites-vous conseiller par un psychothérapeute ou
pratiquez cette méditation sous sa supervision. Si vous n’appréhendez pas
ce que vous pourriez découvrir, vous pouvez procéder seul.

PREMIÈRE ÉTAPE:
• Allongez-vous confortablement, la tête appuyée sur un coussin ou
autrement, de façon à être parfaitement détendu. Ayez de quoi écrire à
portée de la main: du papier, le journal de votre travail sur les dakinis,
ou un grand cahier à dessin où vous tracez aussi des mandalas.
• En commençant par le moment présent, nous reculerons dans le temps
tout en explorant le schéma obscur ou le poison qui correspond à la
famille que vous aurez choisie. Nous examinerons aussi comment ce
schéma s’est manifesté dans votre vie. Cet exercice vous donnera un
point de référence intérieur.
• Allongez-vous confortablement et fermez les yeux. Prenez quelques
instants pour vous ancrer là où vous êtes; entrez en contact avec la terre
au-dessous de vous, sentez qu’un cordon invisible vous relie à son
noyau.
• Décidez de ne voir que ce qui vous sera utile. Ensuite, soyez
sincèrement motivé à pratiquer cette méditation pour le bien de tous.

DEUXIÈME ÉTAPE:
• Passez mentalement en revue les derniers jours en vous arrêtant aux
moments où se sont manifestés les schémas obscurs de la famille que
vous explorez (par exemple, l’ignorance de la famille Bouddha, la
colère de la famille Vajra, l’orgueil de la famille Ratna, le besoin
irrésistible de la famille Padma et l’envie de la famille Karma). Ne
travaillez qu’avec une seule famille par régression. Remarquez ce qui
arrive. (Pause.)
• Inspirez profondément et, en expirant, passez mentalement en revue les
derniers mois. Notez toutes les fois que vous avez été tenté de céder aux
poisons de cette famille. Observez-vous, remarquez ce qui se passe et ce
qui déclenche ces comportements. (Pause.)
• Inspirez profondément et, en expirant, passez mentalement en revue
l’année qui vient de s’écouler; les schémas obscurs de cette famille sont
très évidents. Votre souffle vous ramène en arrière, vous voyez vos
comportements négatifs, vous vous arrêtez à des occurrences précises.
Notez ce que vous ressentez. (Pause.)
• Inspirez profondément et expirez lentement tout en passant en revue
votre vie adulte. Remarquez les occasions où ce schéma a été plus
prononcé que d’habitude. Notez ce qui se passe, ce que vous ressentez
physiquement quand vous constatez votre vulnérabilité à ce poison.
(Pause.)
• Tout est clair quand vous respirez profondément; voyez comment ce
schéma obscur vous domine. Notez les moments où il s’est imposé avec
fermeté. Ne voyez que ce qui vous est utile… et ce que vous êtes
disposé à regarder. (Pause.)
• Inspirez profondément. En expirant, remontez jusqu’à la fin de votre
adolescence, puis jusqu’à la pré-adolescence. Regardez-vous à la fin de
vos études secondaires, et au tout début. Que faisiez-vous à cette
époque? Comment ce schéma obscur se manifestait-il? Notez ce qui se
passe. Observez des circonstances précises. (Pause.)
• Inspirez profondément… l’air emplit votre abdomen, puis vous expirez
lentement. Votre souffle vous transporte jusqu’à votre enfance. Notez
vos interactions avec vos parents, votre fratrie… ce qui se passe à
l’école ou avec vos amis… Ne voyez que ce qui peut vous être utile.
(Pause.)
• Inspirez profondément. Quand vous expirez, votre souffle vous
transporte à l’âge de quatre ans, trois ans, deux ans, un an. Vous
apprenez à marcher. Retrouvez, le cas échéant, des manifestations de ce
schéma obscur dans votre famille. Quels comportements remarquez-
vous? (Pause.)
• Inspirez profondément. À l’expiration, vous redevenez bébé.
Recherchez l’origine de ce poison. (Pause.)
• Inspirez profondément. En expirant, vous reculez jusqu’à votre
naissance, puis vous voilà dans le ventre de votre mère. Ressentez les
interactions entre vos parents. Quel effet cela vous fait-il d’être dans le
ventre de votre mère? (Pause.)
• Inspirez profondément. Quand vous expirez, c’est le moment de votre
conception. Que se passe-t-il entre vous et vos parents? Qu’est-ce qui
vous attire, vous aimante? Cela a-t-il quelque chose à voir avec cette
famille Bouddha? (Pause.)

TROISIÈME ÉTAPE:
• Comme un oiseau, survolez toute votre vie depuis le moment de votre
conception et passez en revue le schéma obscur dont vous avez été
témoin. Visualisez clairement, avec le plus de précision possible, le
développement de vos comportements poisons et leurs récurrences, de
votre conception à aujourd’hui, en passant par la naissance, la petite
enfance, l’enfance, l’adolescence, la vie adulte et l’année qui vient de
s’écouler.
• Quand vous êtes prêt, asseyez-vous et ouvrez les yeux. Transcrivez dans
votre journal tout ce que vous vous rappelez de ce parcours. En faisant
cet exercice avec chacune des cinq familles, les informations que vous
récolterez vous aideront grandement à comprendre les schémas affectifs
qui vous relient à chacune d’elles. Elles vous seront aussi utiles quand
vous voudrez surmonter ces schémas à l’aide de la méthode Feeding
Your Demons®, de la méditation dakini guidée, des dessins de mandalas
ou par les autres moyens qui vous sont suggérés dans ce livre.

MÉDITATIONS MANDALA POUR LES GRANDES ÉTAPES


DE LA VIE
Depuis que mes enfants sont tout petits, nous soulignons les étapes
importantes de leur vie par des rituels. Nous avons aussi créé de nouvelles
traditions pour marquer les grandes fêtes de l’année. Par exemple, à Noël,
nous notons nos aspirations et nos souhaits sur de petits carrés de papier de
couleur, puis nous les lisons à haute voix ou nous les gardons pour nous.
Ensuite, nous les roulons et nous les attachons avec des rubans à l’arbre de
Noël qui devient ainsi un «arbre à souhaits». À l’Action de grâce, nous
formons un cercle de gratitude: chacun de nous dit tout haut ce pour quoi il
est reconnaissant. Ces rituels rendent les fêtes plus significatives.
Aux anniversaires, nous allumons trois bougies: une pour l’année
passée, une pour l’instant présent, une autre pour l’avenir. Avant d’allumer
chaque bougie, la personne dont c’est l’anniversaire dit tout haut ce que
chaque bougie représente à ses yeux. Ainsi accompli devant la famille et les
amis, ce petit rituel magnifie l’importance d’un événement qui, en temps
normal, ne veut pas dire grand-chose. Pour mon soixante-dixième
anniversaire, j’ai décidé de faire plus et, aux trois bougies, j’ai ajouté la
création d’un mandala d’anniversaire.
Nous fêtions mon anniversaire en famille du côté nord de l’île
hawaïenne de Kauai, à Tunnels Beach, où j’avais déniché un endroit très
spécial, un cercle d’arbres à proximité de l’océan. C’était une espèce
indigène aux longs et délicats cirres qui retombaient jusqu’à terre. Avec des
brindilles, mon amie Gaela et moi avons dessiné un grand cercle d’environ
3,5 mètres de diamètre et, aussitôt, l’ambiance du lieu s’en est trouvée
changée. Ensuite, nous avons partagé ce cercle en quatre quartiers. Puis, j’ai
dessiné un autre cercle au centre, plus petit, pour la famille Bouddha. J’ai
trouvé aux alentours des objets des cinq couleurs: des feuilles rouges pour
Padma, des feuilles jaunes pour Ratna, des brindilles vertes pour Karma, du
corail et des coquillages blancs pour Bouddha. Je ne trouvais rien de bleu.
Soudain, Luna Violet, ma petite-fille, m’a tendu une tasse d’eau, l’élément
et la forme de Vajra!
En disposant chaque objet dans le mandala, j’ai formulé des souhaits en
lien avec mon anniversaire. Tout au long de la journée, j’ai fait plusieurs
fois le tour du mandala en y ajoutant d’autres objets et en formulant
d’autres espoirs: avec Bouddha, pour le développement de ma pratique
méditative et mes retraites; avec Vajra, pour une lucidité accrue; avec
Ratna, pour ma prospérité et d’enrichissantes présences; avec Padma, pour
l’amour et mes relations personnelles; enfin, avec Karma, pour
l’accomplissement de mes activités spirituelles.

Mandala créé à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Lama Tsultrim, célébré en famille à


Kauai, Hawaï.
Bodhi Allione faisant une offrande dans le quartier de la famille Bouddha du mandala d’anniversaire
de Lama Tsultrim.

À quelques reprises, j’ai contemplé le mandala en m’imprégnant de tous


ces souhaits et en accueillant le sentiment de complétude qu’il me
transmettait. Je me suis aussi assise en son centre pour bien sentir sa
présence autour de moi. Mais je suis surtout restée allongée dans l’anneau
d’arbres voisin, j’ai regardé le cercle ouvert que formaient leurs branches
au-dessus de ma tête et je me suis imprégnée des mandalas naturels qui
m’entouraient. Je suis allée nager ou faire de la plongée avec tuba à
quelques reprises et j’ai fait la merveilleuse rencontre d’une grande tortue
de mer, celle que les Hawaïens appellent honu, qui m’a fait découvrir ses
paysages sous-marins.
En fin de journée, toute la famille s’est rassemblée et, tout en récitant
une prière, chacun a offert à la famille appropriée du mandala une fleur, une
feuille ou un objet trouvé sur la plage. Il était magnifique, ainsi couvert de
fleurs et de feuilles. Pour finir, nous avons marché autour du mandala dans
le sens des aiguilles d’une montre comme pour un mandala bouddhiste. Ces
gestes tout simples ont suffi à faire de cette journée au bord de la mer un
merveilleux rituel d’anniversaire.
Vous pouvez créer des mandalas pour toutes les occasions. Un couple en
créera un à l’occasion de son mariage. Pour un service commémoratif, amis
et êtres chers pourraient apporter des souvenirs qui leur rappellent la
personne décédée et dire pourquoi ils ont choisi ces objets. Pour les grandes
étapes de la vie, on peut dessiner un mandala sur du papier ou encore le
peindre. Quand vous connaîtrez bien la signification des cinq familles de
bouddhas et des dakinis de sagesse, vous créerez sans peine des rituels pour
toutes sortes d’occasions. Ensuite, notez dans un journal ce que signifient
pour vous chaque objet et chaque famille ou les messages qu’ils vous
transmettent.
Conclusion

D’abord et avant tout, le mandala représente une superficie


consacrée qu’il protège de l’envahissement de forces de
désintégration. […] Cependant, c’est beaucoup plus qu’un espace
consacré dont on doit préserver la pureté. […] Par-dessus tout,
c’est une carte du cosmos. C’est l’univers en entier dans son plan
essentiel, dans son processus d’émanation et de réabsorption.
Giuseppe Tucci

Une question que se posent bon nombre de femmes a été à l’origine de ce


livre: comment puis-je intégrer la spiritualité à ma vie de tous les jours?
Cette exploration des cinq familles et nos méditations sur les éléments et
sur le mandala nous ont appris à composer avec les aléas de l’existence, les
bouleversements affectifs et nos confrontations avec les éléments. J’ai aussi
parlé de la rupture avec la base de l’être et des stratégies que l’ego invente
pour contrer la peur que provoque cette scission. Quand nous réussissons à
comprendre la cause première de tous nos problèmes émotionnels et à
renouer avec la base de l’être, nos souffrances s’évaporent. Nous avons
constaté la présence en nous de la spiritualité, nous savons que le corps est
sacré, qu’habiter un corps de femme est une bénédiction et que notre
expérience du sacré passe par ce corps. Notre spiritualité ne réside pas dans
la transcendance d’une figure masculine abstraite ou une accession à un
monde supérieur. C’est en faisant l’expérience de l’union de la nature et de
l’esprit, de la matière et de l’esprit que nous pouvons guérir le monde et
nous-mêmes. Nous avons aussi vu comment rendre hommage à la terre en
lui rendant tout ce que nous lui prenons, et compris l’importance des rituels
significatifs et des autels domestiques.
Voici comment il est dit que le grand maître Padma Sambhava a été
initié par son gourou femme, Kingamo. Elle a métamorphosé son disciple
en syllabe germe, HUM, et l’a avalé. En transitant dans son corps, il a été
initié au Maha Yoga avant d’être expulsé de Kingamo par son sexe.
Nous avons aussi transité par le corps des dakinis dans ce livre en
parcourant les dimensions de la dakini Bouddha, de la dakini Vajra, de la
dakini Ratna, de la dakini Padma et, enfin, de la dakini Karma. Vous avez
été initié tour à tour à leurs univers avant de renaître par leur sexe sacré.
La nature des dakinis n’en est pas moins mystérieuse et sa découverte
reste un parcours très personnel. Puissiez-vous la connaître intimement
comme si elle vous avait donné naissance. Ainsi, votre expérience de la
dakini vous appartiendra en propre. Si vous l’étudiez encore plus en
profondeur sous la direction d’un maître qui vous transmettra des
enseignements authentiques, le fait de bien la connaître ouvrira les portes
d’une profonde sagesse. Ce livre est la clé qui vous donne accès à son
mandala, à son univers et à sa mystérieuse demeure, le miroir de l’esprit.
Bien que j’aie étudié les dakinis et pratiqué le Mandala de la dakini sous
plusieurs de ses aspects pendant de nombreuses années, quand j’essaie
d’expliquer ce qu’est une dakini, mon cerveau se vide. Mais la dakini
occupe justement cette vacuité; elle nous offre un non-conceptuel qui
débouche sur la compassion. Elle incarne une compassion féroce et sentie
qui échappe à toute description. Le féminin sacré est ainsi fait; de par sa
nature même il défie toute logique. Quand le moine Saraha a abordé la
dakini fléchière, elle lui a dit: «On apprend le sens des enseignements du
Bouddha dans les symboles et les actes, non dans les mots ou les livres.» Il
est par conséquent fort paradoxal d’écrire un livre sur les dakinis dont la
nature se situe par définition au-delà des mots.
Nous vivons une époque éprouvante marquée par le chaos. Le fait de
chercher maintenant les souveraines dakinis, de plonger à fond dans leur
mandala pour en faire le point d’ancrage de votre vie vous procurera une
source d’inspiration et de stabilité dans toutes vos activités. La dakini
symbolise l’aspect mystique secret de la connaissance absolue. Elle est
votre alliée, une sage compagne. Je formule le souhait qu’en communiquant
avec la dakini et en lui rendant hommage nous pourrons commencer à
guérir notre monde intérieur et extérieur. Voilà un demi-siècle que je
chemine vers la dakini et avec elle, parallèlement aux transformations
rapides qui affectent la planète de façon de plus en plus dévastatrice. Je suis
persuadée que nous avons plus que jamais un grand besoin de sa sagesse.
À l’époque où le Bouddha enseignait la voie du renoncement et de la
chasteté, la vie monastique était idéale pour tous ceux qui voulaient
atteindre l’Éveil. Quelque neuf cents ans plus tard, en Inde, la fusion du
tantra et du bouddhisme a donné naissance au bouddhisme vajrayana et son
idéal du siddha, c’est-à-dire le profane qui atteint l’Éveil en intégrant sa
pratique, qui inclut les relations amoureuses et la sexualité, à sa vie
quotidienne. Des moines tels que Naropa ont renoncé à leurs vœux après
avoir rencontré des femmes qui sont devenues leurs maîtres. On peut mettre
en parallèle l’histoire de ces femmes et le monde d’aujourd’hui, puisque
nous nous extirpons d’une culture patriarcale et de domination du logos,
comme celle des moines, pour entrer dans une sagesse du féminin qui influe
sur toute la société. Les femmes qui sont en contact avec le principe de la
dakini et le féminin sage doivent travailler dans des milieux
traditionnellement masculins et occuper des postes de pouvoir. Cela ne doit
pas être une condition facultative, mais une obligation de société.

Je tiens à préciser que tout ce que j’ai dit sur le mandala de la dakini a
son origine dans le bouddhisme mahayana et se fonde par conséquent sur la
compassion, la vacuité et la nécessité de venir en aide à autrui par chacune
de nos pensées et chacun de nos gestes. Le mandala procède de la profonde
certitude que tout ce qui vit est interdépendant. Nous reconnaissons aussi
que la vraie nature de tout phénomène est la vacuité et que les apparences
sont l’expression radieuse de la base de l’être. Quand les pages de ce livre
nous rappellent l’importance du féminin souverain, comme l’histoire de
Tara que j’ai relatée dans l’introduction, il faut garder à l’esprit que, dans
l’absolu, le genre n’est qu’une autre des illusions auxquelles nous nous
agrippons avec force.
Cela n’empêche pas que, comme l’a dit Tara, dans le monde réel
«[n]ombreux sont ceux qui aspirent à l’Éveil en tant qu’hommes, mais rares
sont ceux qui veulent servir les êtres en tant que femmes. Je jure de
continuer à me manifester dans un corps de femme pour aider tous les êtres
jusqu’à ce que l’océan de l’existence se soit asséché69». Elle fait ce vœu
non seulement pour atteindre l’Éveil, mais pour que toutes nos voix soient
entendues: pour le respect des droits humains, pour que cessent la violence,
le viol et le harcèlement sexuel, et pour que la condition féminine fasse
toujours partie des décisions qui nous affectent tous.
Un des aspects très positifs de la Marche des femmes de 2017 a été la
solidarité joyeuse qui a uni les hommes et les femmes. Une résolution
féroce à la fois ludique et bienveillante a caractérisé l’action pourtant
profondément grave des participantes et des participants coiffés de leur
bonnet «Pussy Power» à petites oreilles de chat. Jamais auparavant
n’avions-nous vu sur sept continents des manifestations simultanées
engageant des millions de personnes dans la joie et l’humour. Cette marche
est exemplaire de ce que serait la planète si les femmes étaient au pouvoir.
Votre parcours dans le Mandala des cinq dakinis vous a donné
l’occasion d’accéder à votre sagesse innée dans le contexte du mandala
traditionnel; il est à espérer que vous en aurez retiré de profondes
inspirations. Le cercle divisé en quatre quartiers qui s’unifient en son centre
est depuis des temps immémoriaux une allégorie du cosmos. Nous y avons
exploré les cinq familles: la spaciosité de la famille Bouddha, la lucidité
transparente de la famille Vajra, la présence enrichissante de la famille
Ratna, la chaleur et la créativité de la famille Padma, qui toutes trouvent
leur expression dans l’activité éclairée de la famille Karma. Ce
cheminement est une construction qui encadre l’évolution de votre sagesse
et de votre compassion, tandis que les dakinis font croître en vous le
pouvoir ineffable, le pouvoir sauvage, sage, instinctif, sexuel et féroce du
féminin sacré. En dépit des meilleures intentions du monde, nous souffrons
et faisons souffrir les autres quand nous ne sommes pas conscients de nos
schémas affectifs et que nous ne savons pas les transformer. Le mandala est
un plan d’ensemble universel en vue de notre guérison et notre complétude,
un modèle dans lequel nous incarnons les cinq dakinis de sagesse.
Imaginez un peu que toutes les femmes de la planète (et tous les
humains, quel que soit leur sexe) accèdent à cet aspect de leur être profond
et que, soutenues et recentrées par cette méditation profonde, elles se
portent à la défense de la paix, de la liberté et de la compassion. Imaginez
ce que ce serait si les millions de participantes à la Marche des Femmes
avaient rapporté chez elles le Mandala des cinq dakinis, médité dessus et
relié leur mandala à celui de toutes les autres méditantes sur les sept
continents. Nous vivrions dans un monde très différent. Retenons cette
vision, concrétisons-la en partageant le Mandala des cinq dakinis avec nos
amis et en méditant tous ensemble sur lui.

Tant que nous définirons notre statut, notre influence et notre apparence
en fonction des attentes de la société, nous ne connaîtrons jamais notre
pouvoir véritable ni sa portée. La force intérieure nécessaire pour mettre fin
à ce conditionnement nous vient de la méditation sur le mandala de la
dakini. Quand, par la concentration méditative, nos émotions se muent en
sagesse et que la lumineuse présence des dakinis se substitue à notre corps,
une métamorphose intérieure a lieu, qui préside ensuite à notre
transformation extérieure.
Nous voici parvenus à un moment de l’histoire où les femmes sont
appelées à manifester la sagesse du féminin souverain, dont nous savons
qu’il est respectueux de la nature et qu’il est conscient de l’interdépendance
des humains et du monde qui nous entoure. Puisque les femmes et la nature
ont toujours suivi des chemins parallèles, et puisque les femmes sont au
premier rang de la sensibilisation à l’environnement, si elles reprennent les
rênes de leur pouvoir et l’exercent à travers le monde, elles apporteront des
solutions à nos problèmes environnementaux, rétabliront l’équilibre et le
bien-être planétaires et construiront une culture de la paix.
Remerciements

Avant tout, je tiens à remercier mes maître tibétains et tous ceux qui
cherchent à préserver leurs précieux enseignements, si uniques et si
décisifs. Puisse le monde entier tirer avantage des enseignements
bouddhistes et de leur générosité infinie. Je suis particulièrement
reconnaissante à mon maître Chögyam Trungpa Rinpoché qui, dans les
années 1970, a introduit en Occident dès ses tout premiers sermons les
enseignements du mandala et des cinq familles de bouddhas. Son influence
a été déterminante dans ma découverte et mon approfondissement du
mandala, il y a si longtemps, tant par ses enseignements des cinq familles
que de sa transmission de la pratique de Vajrayogini. J’aimerais également
remercier mon maître Chögyal Namkhai Norbu Rinpoché qui m’a initiée
aux enseignements du Dzogchen et qui en a été pour moi la figure
exemplaire depuis notre rencontre en 1978. J’adresse aussi des
remerciements à Gochen Tulku Sang-ngag Rinpoché sur qui je m’appuie
depuis l’ouverture de Tara Mandala en 1994. Il a présidé à chaque détail du
développement du centre, en plus de m’apporter une aide personnelle de
mille et une façons, dont celle de me conseiller pendant la rédaction de cet
ouvrage.
Merci à Patti Watcher qui, à la manière d’une dakini, m’a mise en
contact avec mon éditrice, Zhena Muzyka, fondatrice de Enliven, à
l’enseigne d’Atria, une des maisons du groupe Simon & Schuster. Elle a
sur-le-champ compris et soutenu l’initiative de ce livre. Merci à Emily Han,
mon éditrice intellectuelle, pour son excellence et sa souplesse. Merci aussi
à Ulli Jaklin, mon assistante si douée et si dévouée. Elle m’a apporté son
soutien durant toute la rédaction de ce livre, en obtenant les permissions
nécessaires à la reproduction des illustrations et des photos, en effectuant
des recherches, en gérant mon calendrier d’enseignement, en soignant les
chevaux et en faisant tout ce qui permet au quotidien de se dérouler en
souplesse. Un grand merci à Bodhi Stroupe pour les diagrammes des cinq
familles de bouddhas et à Matthew Cannelle pour son aide dans la mise au
point de l’iconographie. Je remercie en outre Jenny Terbell pour sa révision
des versions préliminaires du manuscrit et John Cunningham pour ses
conseils concernant l’élaboration du livre et pour ses recommandations.
J’exprime par-dessus tout ma reconnaissance à ma réviseure Resa Alboher,
qui ne m’a pas ménagé ses encouragements et qui a consacré de
nombreuses heures de travail à la préparation de la version définitive de
mon manuscrit, malgré de sérieux ennuis de santé.
Merci à Amy Chender pour ses remue-méninges, d’avoir compris
l’importance de ce livre et de m’avoir aidée à le mettre au monde. Pour leur
aide et leurs conseils, j’adresse aussi des remerciements sentis à Paulette
Cole, Ellen Booth Church, Jeff Tipp, Adriano Clemente, Don Milani, Ken
Greem, Martin Kalff, Cynthia Rubenstein, Laura May (PJ) Pavicevic-
Johnston, Sandy Gougis, Lore Zeller, Naomi Levine, Lama Gyurme,
Acharya Malcolm Smith et Jacqueline Gens.
Ma gratitude va à toutes les personnes associées de près ou de loin à
Tara Mandala: Lopön Chandra Easton, Lopön Charlotte Rotterdam, Reid
Meador, Kimberly Rettenwander, Clinton Soence, Aly O’Desky, Laura
Vitale, Ingrid Li, Ani Thubten Palmo, Natalie Baker, ainsi que tous les
occupants de Tara Mandala qui m’ont soutenue chacun à leur façon pendant
la rédaction de ces pages. Un merci tout particulier va à Susan Szpakowski,
Bridget Bailey, Carol Bailey, Sarah Jacoby et Michelle Stransky pour leur
lecture du manuscrit et leurs commentaires. Merci à feu mon mari, qui m’a
accompagnée dans la pratique du mandala et qui a toujours cru à
l’importance de mes écrits.
Ma reconnaissance la plus profonde est celle que j’adresse à mes
enfants et à ma belle-fille pour leur amour et leur soutien indéfectibles:
Sherab, Aloka et Costanzo, et ma belle-fille Cady Allione. Merci à mes
petits-enfants: Luna Violet Sands (qui a dessiné des mandalas avec moi et
m’a inspiré des façons de pratiquer le mandala avec des enfants), Truman
James Sands, Otto Ziji Adolphi, Enzo Tashi Adolphi, Bodhi Archer Allione
et Jalu James Allione. Ils enrichissent immensurablement ma vie.
Lama Tsultrim et ses trois enfants: Sherab Kloppenburg (à gauche), Costanzo Allione (derrière) et
Aloka Sands (à droite). Photographie de Deborah Howe.
Famille de Lama Tsultrim, Kauai, Hawaii, 2017. De gauche à droite en commençant par le dernier
rang: Aloka Sands tenant dans ses bras Truman James Sands, Eric Adolphi, mari de Sherab
Kloppenburg, Sherab Kloppenburg tenant dans ses bras Enzo Tashi Adolphi, Costanzo Allione tenant
dans ses bras Jalu James Allione, Cady Allione tenant dans ses bras Bodhi Archer Allione, Lama
Tsultrim avec Otto Ziji Adolphi et Luna Violet Sands.
Foire aux questions

Après cette exploration du Mandala des cinq dakinis, du principe du


mandala et des cinq familles de bouddhas, il me semble opportun de
répondre aux questions les plus fréquentes qui surviennent chez ceux qui
entament la pratique du mandala.

Que faire si la connexion à une des familles s’avère ardue ou si je ne


ressens aucune affinité particulière avec elle?
J’ai constaté maintes et maintes fois que les gens qui ne se sentent pas du
tout concernés par une famille en particulier ont un problème caché qu’ils
refusent de regarder en face, un problème si profondément refoulé qu’ils ne
sont même pas conscients de son existence. Souvent, aussi, les émotions et
les schémas affectifs perceptibles en surface masquent quelque chose de
plus enfoui. Quand nous parvenons à discerner notre propre mandala sous
les nombreuses facettes du psychisme, nous percevons les énergies
négatives que recèle chacune des familles et nous pouvons aussi nous
approprier leur sagesse. Si vous n’établissez pas de rapport avec une des
familles de bouddhas, poursuivez quand même votre exploration en restant
disponible et prêtez attention à ce qui se passe. Ce serait aussi l’occasion
de vous demander: cette famille représente-t-elle quelque chose en moi que
je m’efforce de nier?

Puis-je appartenir à plus d’une famille?


Oui, vous pouvez absolument appartenir à plus d’une famille. En fait, c’est
le cas de la plupart des gens. Vous pouvez même appartenir aux cinq
familles en même temps. Il peut arriver qu’une personne soit très nettement
Ratna, Padma ou Vajra, mais en général les personnalités sont un peu plus
mixtes et, selon les contextes, une famille l’emportera sur les autres. Par
exemple, Padma pourrait dominer vos relations personnelles et Karma
régner sur vos émotions et vos comportements dans votre vie
professionnelle. Tout comme différentes facettes de la personnalité
prédominent en fonction des circonstances – avec nos enfants, avec notre
employeur ou avec nos amis –, il est tout à fait possible d’appartenir à plus
d’une famille. Il faut aussi tenir compte de la famille de fuite, celle dont
Trungpa Rinpoché a parlé et dont il est question au chapitre 7.
Il est bon de prendre conscience de tous les schémas de comportement
associés à ces familles, de ne pas perdre de vue que notre énergie n’est que
de l’énergie et que toute énergie peut devenir sagesse. L’un des plus beaux
aspects de vajrayana est que plus nos chagrins sont grands, plus nos
schémas obscurs sont coriaces, et plus leur contrepartie de sagesse sera
bien ancrée. Pour cette raison, il est bien vu pour un pratiquant du
bouddhisme vajrayana d’être très passionné, très irascible, extrêmement
paresseux, ou que sais-je, car l’antidote sage de ces poisons aura une
intensité équivalente.

Que se passe-t-il si je m’enfonce encore plus dans le schéma obscur? Si


je pratique les méditations de ces cinq familles et que non seulement
l’énergie ne se transforme pas, mais qu’elle se renforce et m’enlise?
Comme si j’avais activé une chose pour laquelle je n’étais pas prêt…?
C’est effectivement un risque que l’on encourt dans une pratique aussi
profonde. Si vous vous enlisez dans une émotion durant la pratique d’une
famille de bouddhas, je vous conseille de continuer à travailler sur le son,
la lumière et la visualisation associés à l’aspect sage de cette famille. Par
exemple, si vous êtes embourbé dans la colère, travaillez avec la syllabe
germe de la famille Vajra et la couleur bleue: prononcez la syllabe germe
très lentement et à voix basse pour que le son se répercute en vous. Faites
la méditation de la dakini Vajra décrite au chapitre sur cette famille. Je puis
vous assurer que si vous prêtez attention à ces éléments de la méditation,
l’énergie négative en sera transformée.
Si une découverte traumatisante, par exemple le souvenir refoulé d’une
situation de violence, provoque des émotions très intenses qui vous broient,
je vous conseille vivement de consulter. Un psychothérapeute compétent
vous aidera à explorer ces souvenirs dans un contexte sécurisant. Vous
trouverez un répertoire de psychothérapeutes agréés possédant une
accréditation dans la méthode Feeding Your Demons® sur le site Web de
taramandala.org. Plusieurs d’entre eux offrent du conseil en ligne et ont
bénéficié d’un entraînement dans la pratique du mandala. À vrai dire,
l’émergence d’un souvenir est bon signe: l’inconscient vous dit que vous
êtes prêt à recevoir d’autres informations. L’inconscient nous protège en
nous empêchant de nous rappeler ce que nous ne sommes pas capables de
gérer. Cela étant, n’hésitez pas à rechercher toute l’aide professionnelle
dont vous avez besoin.

La pratique du mandala améliorera-t-elle ma vie?


Absolument! Je dirais que tout ce qui nous aide à mieux comprendre nos
schémas de comportement et à les résoudre par la méditation améliore
notre vie et celle de notre entourage. J’ai constaté encore et encore que la
pratique du mandala mène à des progrès importants, encore plus si vous
approfondissez les choses dans le cadre d’une retraite mandala comme
celle de ma Dakini Retreat ou dans celui d’une pratique bouddhiste
tibétaine traditionnelle. Avec la méditation mandala, les choses peuvent
évoluer très vite; vous êtes conscient du changement. J’ai constaté aussi
qu’avec le temps, tout changement s’avère positif. Vous avez l’impression
que tout se détraque ou que tout va trop vite, mais si vous persistez, vous
entrez tout à coup dans un champ absolument nouveau et inédit. Oui, cette
pratique change votre vie, et ce changement est positif.

Est-ce que je peux faire cela à l’improviste? Si, par exemple, je reçois
un coup de fil qui me met hors de moi et que je ne peux pas
interrompre ce que je suis en train de faire pour aller méditer, qu’est-ce
que je peux faire?
Selon mon expérience, une solution très efficace consiste à prononcer la
syllabe germe à l’instant, silencieusement si nécessaire. Imaginez le son et
la lumière, travaillez avec la couleur de la famille concernée par votre
émotion et restez attentif à l’énergie qui circule en vous. Prenez quelques
instants pour être présent, pour remarquer que vous êtes «vraiment fâché»
et pour noter l’endroit du corps où cette colère se manifeste – vous serrez
les mâchoires, votre cœur bat à tout rompre, vos épaules se tendent. Prenez
conscience de ce que vous ressentez physiquement et transformez cette
sensation à l’aide du son et de la lumière, puis devenez la dakini qui
correspond à l’émotion qui a été déclenchée. Vous êtes en quelque sorte un
spécialiste de la transformation rapide. Vous verrez, c’est efficace. Au lit, la
nuit, quelque chose ou quelqu’un vous inquiète et vous empêche de dormir.
Faites immédiatement cette pratique, laissez-la trancher dans ce qui vous
ronge et restez dans l’énergie de la sagesse.
La méditation assise n’est pas indispensable au travail sur le mandala.
Mais sachez que cette pratique spontanée ne saurait en aucun cas se
substituer à la méditation. N’oubliez jamais que tout ce qui compte dans la
vie demande des efforts et de l’assiduité. Vous ne serez jamais un grand
coureur si vous ne courez jamais, vous ne serez jamais un grand skieur si
vous ne skiez jamais. Il faut s’entraîner. Il en va de même de la méditation
mandala. Si on ne s’entraîne pas, les résultats se font attendre. C’est le cas
de tout ce que nous entreprenons dans la vie.
Je vous encourage fortement à méditer chaque jour à la même heure,
consciencieusement, et si vous voulez approfondir votre pratique, à vous
inscrire au programme Magyu: The Mother Lineage (Magyu: la Lignée
Mère). (Voir page 346.) En général, il est bon de méditer tôt le matin, avant
de commencer la journée. Participer aux retraites collectives Dakini
Retreats est aussi très positif, mais vous pouvez également faire des
retraites individuelles d’un jour ou d’une semaine. Si vous ressentez le
besoin de faire une retraite plus longue, je vous invite à travailler sous la
direction d’un maître agréé de Tara Mandala (voir taramandala.org).
Appendice A: Mandala des cinq dakinis, version
abrégée

La méditation ci-après est une version abrégée et simplifiée du Mandala des


cinq dakinis décrit au chapitre 13, que vous pouvez faire quotidiennement
ou aussi souvent que vous en avez envie.
Le but de cette pratique traditionnelle est de faire naître la bodhicitta,
soit l’aspiration à atteindre l’Éveil, et la motivation d’en irradier les
bienfaits à tous les êtres. Elle vous permet d’entrer dans le mandala de la
dakini par la méditation et de faire l’expérience de la base de l’être dans le
cadre du mandala. C’est une pratique indépendante très intense. Si vous
venez à une retraite Wisdom Rising (Émergence de la sagesse), j’y confère
souvent l’initiation, la transmission rituelle des pouvoirs de cette pratique.
Et si vous vous joignez au programme Magyu: The Mother Lineage
(Magyu: la Lignée Mère), dont il est question dans les Ressources
complémentaires, elle deviendra un aspect fondamental de votre
cheminement. Toutes les pratiques vajrayana exigent une initiation directe.
Si ce cheminement vous intéresse, mettez-vous en contact avec un maître
authentique. La pratique ci-après n’est qu’une introduction; elle ne prétend
pas égaler la profondeur d’une sadhana vajrayana intégrale. Les parties en
italique sont récitées; les autres sections sont des instructions.

LE REFUGE
Visualisez le Mandala des cinq dakinis en tant qu’essence de tous les
refuges. La dakini Bouddha blanche occupe le centre. La dakini Vajra bleue
lui fait face; à sa droite se trouve la dakini Ratna jaune; la dakini Padma
rouge est derrière la dakini Bouddha et la dakini Karma verte est à la
gauche de cette dernière.
La prise de refuge:
NAMO:
Je prends refuge dans les trois joyaux:
Bouddha, Dharma et Sangha.
Je prends refuge dans les trois racines:
Lama, Yidam et Dakini.
Je prends refuge dans le triple corps, ma vraie nature:
Le corps de vacuité, Dharmakaya,
Le corps de jouissance, Sambogakaya,
Et le corps d’émanation, Nirmanakaya.

Répétez trois fois.

Pour faire naître la bodhicitta


Sachant que l’essence de mon être et de tous les êtres est l’Éveil
primordial et la manifestation de la compassion infinie, j’aspire de
tout cœur à accomplir la pratique afin d’amener tous les êtres
vivants, ma famille, en l’état des cinq sagesses primordiales.

Répétez trois fois.


Dissolvez le mandala refuge et restez quelque temps dans la pureté
primordiale.

MANIFESTATION DU MANDALA DES CINQ DAKINIS


Asseyez-vous au centre et devenez la dakini Bouddha blanche.

Devenez la féroce, la luminescente et blanche dakini Bouddha. Elle


est debout sur un disque solaire posé sur un lotus blanc, la jambe
droite levée et la jambe gauche tendue dans une posture de
danseuse, dans le halo des flammes de la sagesse.
Elle brandit dans sa main droite le trigug, ou couteau serpette,
dont le manche est orné d’une roue à huit rayons. Sa main gauche
presse la coupe crânienne contre son cœur. Le sceptre khatvanga,
symbole du consort secret, des moyens habiles et de la compassion,
repose dans le creux de son coude gauche. Ses trois yeux de sagesse
sont ouverts sur l’espace infini.
Elle porte dans son cœur la syllabe germe BAM sur un disque
solaire posé sur un lotus blanc. Elle est l’émanation de la
transformation de la confusion en sagesse transcendante.

Répétez trois fois la syllabe germe. La première fois, vous êtes la


manifestation de la dakini Bouddha. La deuxième fois, en tant que dakini
Bouddha, vous envoyez de la lumière aux êtres de sagesse. La troisième
fois, les êtres de sagesse renvoient cette lumière de la sagesse primordiale et
la dakini Bouddha est activée et habilitée:

BAM. Vous vous manifestez en tant que dakini Bouddha.


BAM. Vous envoyez la lumière aux êtres de sagesse.
BAM. La lumière de la sagesse primordiale revient des êtres de sagesse
et la dakini Bouddha est activée.

Avancez jusqu’à l’est et devenez la dakini Vajra.

Devenez la féroce, la luminescente dakini Vajra bleu nuit. Elle est


debout sur un disque solaire posé sur un lotus bleu, la jambe droite
levée et la jambe gauche tendue dans une posture de danseuse, dans
le halo des flammes de la sagesse.
Elle brandit dans sa main droite le trigug, ou couteau serpette,
dont le manche est orné d’un vajra. Sa main gauche presse la coupe
crânienne contre son cœur. Le sceptre khatvanga, symbole du
consort secret, des moyens habiles et de la compassion, repose dans
le creux de son coude gauche. Ses trois yeux de sagesse sont ouverts
sur l’espace infini.
Elle porte dans son cœur la syllabe germe HA sur un disque
solaire posé sur un lotus bleu. Elle est l’émanation de la
transformation de la colère en sagesse-miroir.

Répétez trois fois la syllabe germe:


HA. Vous vous manifestez en tant que dakini Vajra.
HA. Vous envoyez la lumière aux êtres de sagesse.
HA. La lumière de la sagesse primordiale revient des êtres de sagesse et
la dakini Vajra est activée.

Avancez par la droite jusqu’au sud et devenez la dakini Ratna jaune.

Devenez la féroce, la luminescente dakini Vajra jaune. Elle est


debout sur un disque solaire posé sur un lotus jaune, la jambe droite
levée et la jambe gauche tendue dans une posture de danseuse, dans
le halo des flammes de la sagesse.
Elle brandit dans sa main droite le trigug, ou couteau serpette,
dont le manche est orné d’un joyau. Sa main gauche presse la coupe
crânienne contre son cœur. Le sceptre khatvanga, symbole du
consort secret, des moyens habiles et de la compassion, repose dans
le creux de son coude gauche. Ses trois yeux de sagesse sont ouverts
sur l’espace infini.
Elle porte dans son cœur la syllabe germe RI sur un disque
solaire posé sur un lotus jaune. Elle est l’émanation de la
transformation de l’orgueil en sagesse de l’équanimité.

Répétez trois fois la syllabe germe:

RI. Vous vous manifestez en tant que dakini Ratna.


RI. Vous envoyez la lumière aux êtres de sagesse.
RI. La lumière de la sagesse primordiale revient des êtres de sagesse et
la dakini Ratna est activée.

Avancez par la droite jusqu’à l’ouest et devenez la dakini Padma rouge.

Devenez la féroce, la luminescente dakini Padma rouge. Elle est


debout sur un disque solaire posé sur un lotus rouge, la jambe droite
levée et la jambe gauche tendue dans une posture de danseuse, dans
le halo des flammes de la sagesse.
Elle brandit dans sa main droite le trigug, ou couteau serpette,
dont le manche est orné d’un lotus. Sa main gauche presse la coupe
crânienne contre son cœur. Le sceptre khatvanga, symbole du
consort secret, des moyens habiles et de la compassion, repose dans
le creux de son coude gauche. Ses trois yeux de sagesse sont ouverts
sur l’espace infini.
Elle porte dans son cœur la syllabe germe NI sur un disque
solaire posé sur un lotus rouge. Elle est l’émanation de la
transformation du besoin irrésistible en sagesse discernante.

Répétez trois fois la syllabe germe:

NI. Vous vous manifestez en tant que dakini Padma.


NI. Vous envoyez la lumière aux êtres de sagesse.
NI. La lumière de la sagesse primordiale revient des êtres de sagesse et
la dakini Padma est activée.

Avancez par la droite jusqu’au nord et devenez la dakini Karma verte.

Devenez la féroce, la luminescente dakini Karma verte. Elle est


debout sur un disque solaire posé sur un lotus vert, la jambe droite
levée et la jambe gauche tendue dans une posture de danseuse, dans
le halo des flammes de la sagesse.
Elle brandit dans sa main droite le trigug, ou couteau serpette,
dont le manche est orné d’une épée. Sa main gauche presse la coupe
crânienne contre son cœur. Le sceptre khatvanga, symbole du
consort secret, des moyens habiles et de la compassion, repose dans
le creux de son coude gauche. Ses trois yeux de sagesse sont ouverts
sur l’espace infini.
Elle porte dans son cœur la syllabe germe SA sur un disque
solaire posé sur un lotus vert. Elle est l’émanation de la
transformation de l’envie en sagesse tout-accomplissante.
Répétez trois fois la syllabe germe:

SA. Vous vous manifestez en tant que dakini Karma.


SA. Vous envoyez la lumière aux êtres de sagesse.
SA. La lumière de la sagesse primordiale revient des êtres de sagesse et
la dakini Karma est activée.

Reprenez votre position initiale au centre du mandala et restez dans


l’immensité de la conscience lumineuse et dans la base de l’être, incarnez
en profondeur le Mandala des cinq dakinis et la manifestation lumineuse
des cinq sagesses primordiales. Si votre esprit s’égare, prononcez à nouveau
les syllabes germes sans changer de position.

LA DISSOLUTION
Dissolvez chacune des dakinis de sa suite dans la dakini Bouddha en
commençant par la dakini Vajra bleue. Elle se dissout d’abord en une
lumière bleue, puis se dissout dans le cœur de la dakini Bouddha du centre,
et la lumière bleue se répand dans votre corps qui est devenu la dakini
Bouddha. Sentez cette lumière circuler en vous. Prononcez les autres
syllabes germes et dissolvez de la même manière dans la dakini Bouddha la
dakini Ratna, la dakini Padma et la dakini Karma. Chaque fois, sentez la
couleur de la dakini tourbillonner en vous. Quand tout est fini, le corps de la
dakini Bouddha est un maelström de lumière aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Quand vous prononcez la syllabe germe BAM dans la vacuité, elle se
dissout à son tour.
Restez dans la présence vide, radieuse et naturelle qui s’ensuit.
Redevenez le Mandala des cinq dakinis pour formuler la dédicace du
mérite.

DÉDICACE DU MÉRITE
Que le mérite produit par l’accomplissement de cette pratique du Mandala
des cinq dakinis amène promptement tous les êtres à la réalisation des cinq
sagesses et des cinq lumières et que, par cette dédicace, tous les êtres
sensibles sans exception atteignent la libération.
Appendice B: Attributs des cinq familles de bouddhas
Ressources complémentaires

LE CENTRE DE RETRAITE TARA MANDALA®


Une vue imprenable • À cœur ouvert
Le mandala de Tara est le diagramme symbolique
de l’éveil du cœur compatissant par le truchement de la
manifestation de Tara,
Bouddha féminin de la compassion

Le centre de retraite Tara Mandala a été créé en 1994 par Lama Tsultrim
Allione et feu son mari, David Petit, afin de favoriser le développement de
la sagesse intérieure pour le bien de tous les êtres sensibles. Nous sommes
une dynamique communauté internationale bouddhiste ayant des groupes
dans le monde entier. Le cœur de la communauté est son centre de retraite
de près de quatre cents hectares à Pagosa Springs (Colorado), à quatre-
vingt-seize kilomètres de Durango (Colorado) et à deux cent quarante
kilomètres de Santa Fe (Nouveau-Mexique).
Nous offrons un programme intégral de pratique de la méditation,
d’étude et de retraite profonde selon la tradition du bouddhisme vajrayana.
Nous avons mis au point deux voies de pratique centrées sur les
enseignements de Machik Labdrön, yogini tibétaine du XIe siècle et
fondatrice de la tradition du Chöd – Le programme Magyu: The Mother
Lineage (Magyu: la Lignée Mère), et le programme Gateway (L’Entrée), la
lignée de Dzinpa Rangdrol.

MAGYU: THE MOTHER LINEAGE


(MAGYU: LA LIGNÉE MÈRE)
Le programme Magyu constitue une occasion exceptionnelle de participer à
ce volet de pratique méditative tout à fait nouveau tel que l’enseignent
Lama Tsultrim et ses formateurs agréés. Cette voie développe l’éveil à la
fois spirituel et émotionnel du pratiquant en intégrant aux anciennes
pratiques du bouddhisme tibétain des enseignements psychologiques mieux
adaptés au tempérament occidental. Ce travail d’intégration psycho-
spirituelle est ce qui la distingue des voies bouddhistes traditionnelles. Le
programme Magyu s’adresse directement à chaque individu: après avoir
identifié ses schémas obscurs, on met en œuvre les pratiques qui les
transformeront – entre autres, Feeding your Demons®, le Mandala des cinq
dakinis, le Mandala des cinq bouddhas, le Mandala Yab Yum, ainsi que des
pratiques issues de la lignée historique de Machik Labdrön. Chaque
participant au programme Magyu rencontre mensuellement en privé un
mentor spirituel agréé, suit la voie à son rythme et participe en personne à
des retraites selon ses disponibilités. À noter que Magyu ne s’adresse pas
uniquement aux femmes; le programme comporte aussi des pratiques
associées au masculin sacré, telles que le Mandala des cinq bouddhas et le
Mandala Yab Yum. La lignée Magyu compte également des formateurs et
des mentors masculins. Rappelons que nous avons besoin de liens sacrés
avec des représentants de tous les genres pour atteindre la complétude.

LE PROGRAMME GATEWAY
(L’ENTRÉE)
Gateway (L’Entrée), un programme qui s’échelonne sur dix ans, s’adresse
aux pratiquants dévoués qui, tout en ne pouvant pas faire une longue
retraite, souhaitent intégrer intensément la pratique à leur vie quotidienne et
mener à terme les pratiques de la retraite de trois ans. Le programme
rassemble toutes les pratiques de la retraite solitaire traditionnelle de trois
ans dans la lignée de Dzinpa Rangdrol reçue de Do Khyentse Yeshe Dorje,
mais adaptées au pratiquant d’aujourd’hui qui s’engage à faire des retraites
profondes et à méditer deux heures par jour. L’établissement de cette lignée
a lieu à Tara Mandala avec l’approbation et sous l’aimable direction de
Tulku Sang-ngag Rinpoché qui a reçu ce cycle de son maître, le grand
Dilgo Khyentse Rinpoché.
Pour en apprendre davantage sur les enseignements, les programmes et
les retraites de Lama Tsultrim, consulter le site taramandala.org.
Contact:
info@taramandala.org
Tara Mandala
P.O. Box 3040
Pagosa Springs, CO 81147
(907) 731-3711

Visitez aussi notre boutique en ligne:


dakinibookstore.mybigcommerce.com
store@taramandala.org
(970) 731-3711 poste 2
Suggestions de lecture

Allione, Tsultrim. Nourrir ses démons. Utilisez la sagesse ancienne pour


résoudre vos conflits intérieurs, traduit de l’américain par Jacques
Vaillancourt, Montréal, Le Jour, 2009.
Allione, Tsultrim. Women of Wisdom, Boston et Londres, Snow Lion, 2000.
Brauen, Martin, Peter Nebel et Doro Röthlisberger. Mandala, cercle sacré
du bouddhisme tibétain, traduit par Jean-Daniel Pellet, Paris, Favre,
2004.
Buchalter, Susan I. Mandala Symbolism and Techniques: Innovative
Approaches for Professionals, Londres, Jessica Kingsley Publishers,
2012.
Eisler, Riane. Le Calice et l’Epée, traduit de l’anglais par Eléonore
Bakhtadhzé. Paris, R. Laffont, 1989.
Fremantle, Francesca. Luminous Emptiness: Understanding the Tibetan
Book of the Dead, Boston, Shambhala Publications, 2003.
Namkhai Norbu, Chögyal. The Crystal and the Way of Light: Sutra, Tantra,
and Dzogchen, Ithaca, NY, Snow Lion, 2000.
Patry Leidy, Denise et Robert A. F. Thurman. Mandala: The Architecture of
Enlightenment, Asia Society Galleries, Tibet House, Shambhala
Publications, 1998.
Rockwell, Irini. Les cinq énergies de sagesse. Une approche bouddhiste
pour explorer votre personnalité, traduit de l’anglais (États-Unis) par
Louise Sasseville, Montréal, Le Jour, 2013.
Shaw, Miranda. L’éveil passionnément, les femmes dans le bouddhisme
tantrique, traduit de l’anglais par Muriel Mireur, Paris, Éditions Deux
océans, 2016.
Trungpa, Chögyam. Mandala. Un chaos ordonné, traduit de l’américain par
Richard Gravel, préface de Sherab Sherab Chödzin, postface du
traducteur, Paris, Points, 2011.
Glossaire

AVALOKITESHVARA (mantra). Avalokisteshvara est le bodhisattva de


la compassion. Son mantra est Om Mani Padme Hum Hri (Om Le Joyau
dans le Lotus Hri), le mantra de la grande compassion.

BINDU: Mot sanscrit qui signifie «point» et qui représente le minuscule


point au centre d’un mandala à partir duquel rayonne l’univers du mandala.
Un bindu est une forme qui représente la famille Bouddha, un petit point
qui renferme la totalité de l’espace.

BODHICITTA: Sanscrit pour «esprit ou volonté d’Éveil». On reconnaît la


bodhicitta relative qui aspire à la compassion altruiste, et la bodhicitta
absolue qui est l’expérience de la réalité ultime.

BODHISATTVA. Mot sanscrit qui désigne une personne qui a éveillé la


bodhicitta et pris l’engagement de consacrer sa vie et sa pratique au salut de
tous les êtres sensibles.

BOUDDHA. Bouddha signifie «éveillé». Le nom de Bouddha renvoie à


Siddhartha Gautama qui a vécu vers le VIe ou VIIe siècle avant J.-C. Après
une longue quête spirituelle, il atteint l’illumination sous l’arbre de la Bodhi
et consacre sa vie à enseigner aux autres. Il est le fondateur du bouddhisme.
Le terme bouddha peut désigner d’autres êtres ayant atteint l’Éveil,
notamment les cinq bouddhas des tantras bouddhistes. Ces cinq bouddhas
n’étaient pas des personnages historiques, contrairement au Bouddha
Shakyamuni (autre nom de Siddhartha), mais des représentations des vertus
de l’Éveil; ils correspondent aux points cardinaux du mandala.

BOUDDHISME. Religion qui regroupe plusieurs écoles s’étant


développées à partir de l’Inde autour des enseignements du Bouddha
Siddhartha Gautama, né vers 563 avant J.-C. Ces écoles comprennent, entre
autres, le bouddhisme theravada (doctrine des Anciens), qui a pris forme à
l’époque du Bouddha et qui s’est répandu en Thaïlande, au Laos, au Sri
Lanka, au Cambodge et au Myanmar; le bouddhisme mahayana (grand
véhicule), qui apparaît vers le début de l’ère chrétienne et se répand au
Japon, au Tibet, en Corée, au Vietnam et en Chine; et le bouddhisme
vajrayana (véhicule secret ou ésotérique) qui prend forme au Moyen Âge et
rejoint le Népal, la Chine, le Tibet, le Japon, la Corée et la Malaisie. Le
Bouddha Gautama a atteint le parinirvana (nirvana parfait, c’est-à-dire la fin
de son existence physique) vers 483 avant J.-C.

CÉRÉMONIE DE LA COIFFE NOIRE. Cérémonie de la lignée Karma


Kagyu. Elle comporte une coiffe noire symbolisant celle que cent mille
dakinis ont tissée de leurs cheveux pour la lui offrir et que seuls voyaient
ceux qui avaient des pouvoirs particuliers. Un jour, Yonglé, l’empereur de
Chine (1402-1424), vit une coiffe noire flotter au-dessus de la tête du
cinquième Karmapa, Deshin Shekpa. Avec la permission du Karmapa, il fit
confectionner une réplique de la coiffe dans un brocart d’un bleu profond,
presque noir (d’où son nom), et orné de pierres précieuses, puis il la lui
présenta. Dans la cérémonie, quand le Karmapa porte la Coiffe Noire, il se
visualise sous la forme d’Avalokiteshvara, le bouddha de la compassion, il
entre en profonde méditation et récite le mantra Om Mani Padme Hum Hri
108 fois, en distribuant sa compassion à tous les êtres.

CHAKRA. Sanscrit pour «roue». Selon la philosophie indienne, il y aurait


dans le corps humain sept chakras, ou centres spirituels.

CHENREZIG. Nom tibétain d’Avalokiteshvara, le bouddha de la


compassion. Son mantra est Om Mani Padme Hum Hri.

CHÖD. Pratique méditative tibétaine développée par le maître femme et


dakini du XIe siècle, Machik Labdrön, dont le but est de faire l’offrande de
son corps physique pour rompre avec ses démons (l’amour de soi sous
toutes ses formes).

CINQ FAMILLES DE BOUDDHAS. Structures fondamentales du


principe du mandala. Les familles Bouddha, Vajra, Ratna, Padma et Karma
sont les cinq familles de bouddhas. Chacune possède une personnalité et
des caractéristiques distinctes, ainsi qu’un aspect névrotique, ou schéma
obscur, et une contrepartie éveillée.

CINQ ÉNERGIES DE SAGESSE. Transformés et libérés de la


domination de l’ego, les cinq schémas obscurs, ou poisons, deviennent des
antidotes, des énergies de sagesse: la sagesse transcendante, la sagesse-
miroir, la sagesse de l’équanimité, la sagesse discernante et la sagesse tout-
accomplissante. Percevoir le monde en tant que mandala, c’est reconnaître
la perfection symbolique de ces énergies.

COUPE CRÂNIENNE. Symbole associé à la dakini, sa coupelle contient


le nectar de la connaissance non dualiste. Ce symbole de la vacuité est aussi
un chaudron de transformation et, par-dessus tout, un symbole
d’impermanence. Les yogis et yoginis des siècles passés vivaient dans les
charniers où les corps étaient incinérés ou livrés aux chacals. C’étaient des
lieux étrangers à la société conventionnelle, des entre-deux mondes où ils
étaient sans cesse confrontés à la mort et à l’impermanence. Ils y
fabriquaient des huttes avec les crânes, des instruments de musique et des
ornements avec les ossements. Les calottes crâniennes servaient de
récipients pour les boissons et la nourriture, et sont devenues de puissants
rappels de l’impermanence humaine.

DAKINI. Émanation du féminin sacré, la dakini est une entité féminine


éclairée qui peut prendre une forme humaine, être une divinité d’élection
pendant la méditation, une incarnation de la sagesse ou la protectrice de la
lignée. En tibétain, dakini se dit khandro, «danseuse des cieux» ou «celle
qui marche dans l’espace». Dans le bouddhisme tibétain, les dakinis de
sagesse sont des bouddhas ayant atteint l’Éveil suprême. Il existe en tout
quatorze formes de dakinis, notamment d’autres dakinis mondaines. Les
dakinis sont aussi présentes dans l’hindouisme, mais n’y sont pas des
entités éclairées. Khandro Rinpoché est une des rarissimes réincarnations
féminines du bouddhisme tibétain; son nom signifie littéralement «dakini
précieuse». Elle signale que «[t]raditionnellement, le terme dakini renvoie à
d’exceptionnelles pratiquantes et aux parèdres des grands maîtres, et
représente le principe féminin éclairé de la non-dualité qui transcende le
genre». Selon Khandro Rinpoché, le principe de la dakini authentique est
«un esprit de sagesse très intelligent et perspicace, intransigeant, honnête et
vaguement courroucé70».

DHARMACHAKRA. Symbole de la famille Bouddha, cette roue à huit


rayons représente le Noble Chemin Octuple, la voie qui mène à l’Éveil
selon le Bouddha: la vision juste, la pensée juste, la parole juste, l’action
juste, les moyens d’existence justes, la persévérance juste, l’attention juste
et la concentration juste.

DOHA. Couplets rimés communs à l’hindouisme et au bouddhisme


vajrayana, les dohas sont des chants de réalisation composés spontanément
lors des festins vajrayana, où l’auteur exprime sa compréhension de la
réalité ultime. Ce sont souvent des compositions très métaphoriques ou
occultes, en langage équivoque dit «crépusculaire» ou «langage des
dakinis».

DORJE. Terme tibétain qui traduit le sanscrit vajra et qui signifie à la fois
«diamant», «reine des pierres» et «foudre». Employé comme adjectif, il
signifie «indestructible, invincible, ferme, stable». Ce mot sanscrit est
souvent traduit par «adamantin». Le foudre est l’arme divine invincible qui
peut venir à bout de toutes les situations. Son aspect adamantin évoque la
concentration et la précision du laser quand il tranche dans la matière. Le
Vajra est un sceptre tenu dans la main droite; il représente les moyens
habiles et le masculin sacré.

FLEUR DE PENTAPÈTE ou FLEUR DE BANDHUKA. Fleur écarlate,


symbole érotique dans la littérature sanscrite. Nom scientifique: Pentapetes
phoenicea.

FAMILLE DE FUITE. La notion de «famille de fuite», pour décrire la


façon dont on s’extirpe d’une situation, provient de Trungpa Rinpoché. Par
exemple, quelqu’un qui appartient à une famille de fuite Bouddha est rendu
hagard face à une situation ou nie qu’elle existe, tandis que, dans la famille
Vajra, il se met en colère, et ainsi de suite. La famille de fuite peut être la
même que votre famille primordiale ou tout à fait différente, comme si vous
entriez quelque part par la grande porte et que vous sortiez par la porte de
service.
FÉROCITÉ. Dans la tradition tibétaine, la férocité ou le courroux est une
énergie très puissante. Le courroux est l’énergie la plus rapide que puissent
émettre les humains. Les divinités féroces ou courroucées de l’art tibétain
représentent l’énergie qui consume nos limites et notre ignorance. L’énergie
féroce se compare à l’attitude de la femelle qui défend ses petits, ou à la
force invincible de l’énergie maîtrisée et concentrée du rayon laser.

INDIVIDUATION. Selon Carl G. Jung, c’est la prise ou la reprise de


conscience que l’individu est une unité autonome et indivisible. Le
cheminement vers l’individuation passe par une blessure psychologique
nécessitant pour sa guérison un retour au Soi.

JALING. Littéralement, «trompette indienne». Il s’agit du hautbois


tibétain, un instrument à la sonorité harmonieuse utilisé dans les
cérémonies, notamment celle de la Coiffe Noire.

JNANA DHARMADHATU. Une des cinq sagesses transcendantes, jnana


dhamadhatu est la sagesse de la famille Bouddha, la sagesse de l’espace
transcendant. On la dit «sans commencement», c’est-à-dire qu’elle est la
connaissance qui transcende les limites du raisonnement, tout ce que nous
savions avant la scission primordiale, avant notre rupture de la base de
l’être. Ce n’est pas la connaissance qu’engendre le cumul des expériences
ou des études, mais la sagesse retrouvée ou re-connue à laquelle nous
accédons par la méditation quand nous discernons notre réalité.

JNANASATTVAS. Sanscrit pour «êtres de sagesse». On fait appel à ces


«divinités de sagesse» pour bénir et se fondre aux divinités du mandala dont
on fait la visualisation.

KARMA. Sanscrit pour «action»; un autre sens est «loi de causalité». Le


Karma en tant qu’action est aussi une des cinq familles de bouddhas; il met
en relief la transformation de l’envie et de la jalousie en sagesse tout-
accomplissante.

KARTARI. Le symbole associé le plus souvent à la dakini est le trigug en


tibétain ou kartari en sanscrit, c’est-à-dire le couteau serpette. Parfois
appelé hachoir, ce couteau à lame recourbée et terminée par un crochet est
inspiré du couteau de boucher indien. Divers symboles en ornent le manche.
Le manche du couteau serpette de chaque dakini est orné du symbole de sa
famille.

KHAITA. Tibétain pour «harmonisation dans l’espace», c’est une danse


tibétaine exubérante qui s’exécute en groupe.

KHANDRO. Ce terme tibétain pour désigner les dakinis signifie «danseuse


des cieux», littéralement «celle qui marche dans l’espace». La dakini est la
plus importante manifestation du féminin dans les enseignements du
bouddhisme tibétain. Elle peut prendre une forme humaine ou celle d’une
divinité, auquel cas elle est féroce et cerclée de flammes, et elle danse nue,
vêtue de ses seuls bijoux d’ossements. Un foudre ou sceptre symbolisant
son consort intérieur repose dans le creux de son coude gauche. Dans sa
main droite, elle brandit le couteau serpette qui fauche sans pitié notre
obsession de la dualité. Elle est compatissante tout en nous arrachant
impitoyablement à l’ego. Elle tient dans sa main gauche une coupe
crânienne qu’elle presse sur son cœur. Cette coupe représente
l’impermanence et la transformation du désir. Elle projette une image
intense et féroce.

KHATVANGA. Le sceptre qui repose dans le creux du coude de la dakini.


Il symbolise avant tout le «consort secret» ou «consort intérieur». Il est
surmonté d’un vajra (foudre), qui représente le masculin. Il est orné de deux
foulards, symboles de l’union de mahayana et de vajrayana: la voie
mahayana de la compassion et la voie vajrayana de la transformation.
Essentiellement, le khatvanga est à la fois un sceptre qui soutient, une lance
qui protège et un bâton. Il est l’énergie yang impersonnelle de la dakini, son
côté masculin, celui qui affermit et fixe. Il est la force des moyens habiles et
de la compassion que la dakini a assimilés.

KYIL KHOR. Mot tibétain qui traduit mandala: kyl signifie «centre» et
khor «la périphérie du centre» ou «le tourbillon à la périphérie du centre».
Le mandala tibétain désigne un cercle de pure essence divisé en quatre
quartiers. Sa circonférence enflammée empêche les énergies invasives
d’entrer. Il existe des centaines de mandalas bouddhistes différents. Tous
s’axent autour d’un noyau central carré réparti en quatre sections ou points
cardinaux, à partir duquel rayonne le reste du mandala et vers lequel celui-
ci retourne. Les mandalas tibétains sont des palais symboliques
tridimensionnels, lieux de résidence des divinités qui, à leur tour,
symbolisent les vertus de l’Éveil.

LUNG. Mot tibétain dont la signification est «vent» ou «souffle», lung


représente l’élément air du corps humain. Les perturbations du lung
appartiennent à la famille Karma et font que le mental devient hyperactif.
Les praticiens expérimentés en médecine tibétaine savent identifier et
calmer les déséquilibres bénins du lung par l’alimentation, le
comportement, les médicaments et les thérapeutiques externes. Mais ses
perturbations profondes sont difficiles à guérir.

MADHU. «Miel» ou «sucré» en sanscrit et dans d’autres langues


indoaryennes, madhu renvoie aux fluides sexuels de la femme.

MALA. Chapelet bouddhiste qui sert à compter les récitations de mantras.

MANDALA. Mot sanscrit qui se traduit par «cercle». On peut aussi y lire
les mots manda, soit «suprême» ou «le meilleur» et la, soit «jalon» ou
«achèvement». Réunis, ces mots signifient «le lieu de l’essence ultime». Le
mandala dans sa forme la plus ancienne fait son apparition au IIIe siècle de
notre ère, mais se répand en Inde durant la période du bouddhisme
tantrique, soit entre 500 et 1200, avant de se propager à la Chine, à la
Corée, au Japon et à la Malaisie sur les traces du bouddhisme vajrayana.
Dès les premiers textes védiques, le terme mandala désigne une enceinte
sacrée, le lieu d’une pratique spirituelle ou d’un rituel. Sa représentation la
plus répandue est celle du cercle réparti en quatre quartiers et axé autour
d’un noyau séminal. Il reflète la structure de l’univers sous toutes ses
facettes, du plus infime microcosme au macrocosme infini.

MANTRA. Sons sacrés sanscrits récités à voix haute ou répétés en silence,


censés posséder des pouvoirs spirituels.

MA RIGPA. Schéma obscur de la famille Bouddha, cette expression


désigne aussi l’état qui suit la séparation d’avec la base de l’être.
Habituellement traduit par «ignorance», ma rigpa, en tibétain, signifie
littéralement «non-conscience».
MUDRA. Mot sanscrit qui signifie «signe» ou «sceau» et désigne un geste
symbolique codifié. Il existe différents mudras pour les différents
bouddhas. Parmi les mudras les plus fréquents, il y a le geste de toucher le
sol de la main, celui pour signifier la méditation, un autre pour signifier
l’absence de crainte, ou encore un geste de générosité.

NAGINI. De naga en sanscrit et pali, mot dont la signification est «cobra»


ou «serpent». Dans le bouddhisme tibétain, les nagas mâles et les naginis
femelles sont les esprits des eaux qui vivent dans les lacs et gardent les
trésors. Selon une légende mahayana, le Bouddha aurait confié aux nagas la
littérature prajnaparamita, trésors littéraires du bouddhisme mahayana,
pour qu’ils la gardent jusqu’à ce que Nagarjuna soit prêt à la comprendre et
à en diffuser le message.

NYOMONG. Mot tibétain qui traduit «schémas obscurs», équivalent de


klesa (poison) en sanscrit. Son sens littéral est «somnolent, engourdi» ou
«nébuleux».

PADMA. «Lotus» en sanscrit. Le schéma obscur de la famille Padma est le


besoin irrésistible et la séduction; sa sagesse est la sagesse discernante. Le
symbole de Padma est le lotus rouge. Dans le bouddhisme vajrayana, le
lotus représente la nature éveillée, car il pousse dans les eaux boueuses dont
il émerge parfaitement intact et parfumé. Ces deux réalités paraissent
incompatibles. Pourtant, les eaux polluées, cette matrice fertile de laquelle
émerge le lotus, n’affectent en rien sa pureté irréprochable.

PRATYAVEKSHANA. Sanscrit pour «sagesse discernante», la sagesse de


la famille Padma. L’empathie et le souci des autres, de même qu’une
connaissance profonde et inquisitrice de la nature de la réalité sont
inhérentes à la sagesse discernante. C’est un savoir profond, qui va au-delà
du savoir ordinaire centré sur le soi, qui touche au cœur de la réalité. Le
bouddha Amitabha, en contemplation, fait le geste de la méditation. Les
gestes symboliques de tous les autres bouddhas correspondent à une
activité. Amitabha seul fait un geste de méditation profonde qui n’est
associé à aucune autre activité.

PRINCIPE DE LA DAKINI. Dans son livre intitulé Dakini Power,


Michaela Haas cite Tenzin Palmo: «Le principe de la dakini représente la
force intuitive. Les femmes comprennent sur-le-champ. En général, elles
n’ont aucun intérêt pour les discussions intellectuelles, qui leur semblent
froides, arides et de peu d’attrait71.»

RAGA. Mot sanscrit qui traduit «passion» et qui désigne aussi la couleur,
plus précisément le rouge, et un genre musical indien. Les ragas étant liés à
une émotion, le rouge est lié à celles-ci. Le rouge de Padma est brillant,
envoûtant, flamboyant et reflète son élément, le feu, soit le feu de la
digestion, du sang qui court dans nos veines, le feu qui nous réchauffe,
l’énergie du soleil, l’énergie vitale.

RANG NGO SHE. Expression tibétaine qui veut dire «connaître son
propre visage». Cette expression est importante car, paradoxalement, notre
visage ne nous quitte jamais, exactement comme la sagesse primordiale,
pourtant nous ne le voyons pas à moins de nous regarder dans une glace. Et
bien que ce visage ne nous quitte jamais, si les miroirs n’existaient pas nous
ne pourrions connaître notre visage qu’en le touchant. C’est par la
méditation, qui est en quelque sorte un reflet puisque nous tournons notre
esprit vers l’énergie qui se déplace vers l’extérieur, que nous apprenons à
connaître notre vraie nature, notre vrai visage.

RATNA. Ratna signifie «joyau». Le symbole de la dakini Ratna est le


joyau qui exauce les souhaits, une pierre ambrée sertie dans de l’or et
possédant les vertus et la beauté du miel. Dans l’Antiquité, la famille Ratna
était réputée idéale pour les gouvernants et les rois, car ils avaient le devoir
d’assurer la stabilité et la prospérité de leurs sujets. Le schéma obscur de la
famille Ratna est l’arrogance, un orgueuil qui inclut le besoin de se grandir
en se vantant ou en multipliant les allusions à des noms connus, la
consommation excessive, les achats compulsifs, les excès de nourriture, la
thésaurisation et l’accumulation. Le pôle éclairé de Ratna est la sagesse de
l’équanimité ou de l’égalité.

RINGSEL. Mot tibétain pour désigner les reliques qui apparaissent dans
les lieux sacrés ou dans les cendres provenant de la crémation d’un lama.
Elles sont le plus souvent blanches, mais peuvent aussi être d’une des cinq
couleurs. Elles se reproduisent spontanément.
SADHANA. Pratique spirituelle du vajrayana. Le sens littéral de ce mot
sanscrit est «moyen d’accomplissement».

SAMSARA et NIRVANA. Sanscrit pour «le monde» ou «ce qui circule»,


le samsara est le courant des renaissances successives. Le nirvana, mot qui
signifie «extinction» ou «cessation», est l’état où l’on est affranchi de la
souffrance et du cycle des renaissances.

SCHÉMA OBSCUR. Chacune des cinq familles de bouddhas est associée


à un poison ou schéma obscur, soit les émotions perturbatrices qui entravent
la sagesse innée. Chacun de ces schémas obscurs a une contrepartie sage.
J’ai choisi le qualificatif «obscur» pour traduire le tibétain nyomong, dont le
sens littéral est «somnolent, engourdi» ou «nébuleux».

SIDDHA. Sanscrit pour «accompli» ou «parfait». Dans le bouddhisme, il


en est venu à désigner un maître spirituel doué de pouvoirs surnaturels, les
siddhis. Dans la pratique tibétaine, il s’applique aussi au profane qui atteint
l’Éveil en intégrant sa pratique à son quotidien.

SOI. Le «Soi» auquel réfère Carl G. Jung n’est pas le soi égocentrique
(ego) du bouddhisme, mais celui qui renvoie à l’individu différencié.

STUPA. Littéralement «amas» en sanscrit, le stupa est un sanctuaire


bouddhiste représentant le mandala, c’est-à-dire la structure fondamentale
du cosmos dans la tradition bouddhiste tantrique – l’architecture circulaire
de l’Éveil, une représentation cosmologique de l’univers. Il sert
principalement de châsse pour les reliques du Bouddha et des autres grands
maîtres de la méditation.

SUKRA. Dans la sexualité tantrique, ce terme désigne les fluides sexuels


de l’homme et de la femme.

SYLLABES GERMES. Sons sanscrits sacrés dont la tradition remonte à


plus d’un millénaire. Les syllabes germes ne sont pas le fruit du hasard.
Parce que le sanscrit est une langue sacrée, ces sons n’ont pas été traduits en
tibétain ou en anglais. Une syllabe germe est associée à chacune des
familles des dakinis de sagesse: BAM pour la dakini Bouddha; Ha pour la
dakini Vajra; RI pour la dakini Ratna; NI pour la dakini Padma et SA pour
la dakini Karma.

TADREL. Mot tibétain pour «jalousie» et schéma obscur de la famille


Karma. Il désigne aussi une attitude paranoïaque de comparaison, le fait
d’envier les autres et le besoin de se mesurer à eux. Le mélange d’envie et
d’ambition est inhérent à ce mot.

TANTRA. Quelque neuf cents ans après la présence du Bouddha sur terre,
la fusion du tantra et du bouddhisme a donné naissance en Inde au
bouddhisme vajrayana et son idéal du siddha, c’est-à-dire le profane qui
atteint l’Éveil en intégrant sa pratique, qui inclut les relations amoureuses et
la sexualité, à sa vie quotidienne. Le bouddhisme tantrique, aussi appelé
bouddhisme vajrayana (ou véhicule du diamant), est infiniment plus
complexe que le néo-tantra et s’ancre dans la méditation, le yoga des
divinités, les mandalas, le yoga dont la pratique implique indispensablement
une transmission de maître à disciple. Le tantrisme se sert de la
visualisation créative, du son et des positions codifiées des mains (mudras)
pour engager l’être entier dans la méditation. Sa pratique sollicite et engage
l’être dans son intégralité. Il ne doit pas être confondu avec le néotantrisme
(ou néo-tantra), une pratique sexuelle enseignée en Occident.

TROIS KAYAS. Le mot sanscrit kaya se traduit par «corps». Les trois
kayas sont les trois dimensions spirituelles. La première, le dharmakaya, est
le corps de vacuité de l’Éveil. La deuxième, le sambhogakaya, est le corps
de félicité, le plan de l’illumination. La troisième, le nirmanakaya, le corps
d’émanation de l’Éveil, le corps physique représenté dans notre monde par
le Bouddha ou le Dalaï-Lama.

UNE BASE UNIQUE, DEUX CHEMINS, DEUX RÉSULTATS.


Enseignement provenant d’un texte tibétain, La prière de Samantabhadra.
L’expression «Une base unique, deux chemins, deux résultats» désigne la
base unique omniprésente, et la rupture primordiale, la scission qui a créé
une distinction entre «soi» et «l’autre», dont découlent toutes nos
souffrances. Cette base renvoie souvent à la «base de l’être», la Terre Mère,
c’est-à-dire la base à l’origine de tout être ou de toute chose.
VAJRA. Sanscrit pour «diamant» ou «foudre», Vajra renvoie à la fois à la
famille Vajra et à son symbole, un petit sceptre comprenant un moyeu d’où
rayonnent des pointes supérieures et des pointes inférieures qui se
rejoignent à leur extrémité. Ces pointes représentent l’énergie venant du
moyeu. Le vajra est un objet rituel, un symbole de pouvoir dans le
bouddhisme, le jaïnisme et l’hindouisme. Le poison de la famille Vajra est
la colère, l’agressivité glaciale ou la fureur bouillante, et son pôle sain est
une sagesse-miroir qui réfléchit tout mais n’est en rien altérée par ce qui se
reflète en elle.

VAJRAYANA. Également appelé bouddhisme tantrique ou bouddhisme


ésotérique (voir Tantra et Bouddhisme), le vajrayana est issu du
bouddhisme de l’Inde médiévale. Adopté par la dynastie des Pala, il s’est
répandu au Tibet et ailleurs. Les pratiques du mandala ont leur origine dans
la période vajrayana.

YAB YUM. L’union sexuelle entre un bouddha mâle et un bouddha


femelle. Le terme tibétain de yab yum signifie littéralement «père-mère».
Notes

1. Eller, Cynthia. Living in the Lap of the Goddess: The Feminist Spirituality Movement in
America, Boston, Beacon Press, 1995, p. 136.
2. Mies, Maria et Vadana Shiva. Ecofeminism (Critique. Influence. Change.), Londres et New
York, Zed Books, 2014; Rosemary Radford Reuther. Sexism and God-Talk: Toward a Feminist
Theology, Boston, Beacon Press, 1983; Karen J. Warren. Ecofeminist Philosophy: A Western
Perspective on What It Is and Why It Matters, Lanham, MD, Rowman & Littlefield, 2000;
Daly, Mary. Beyond God the Father: Toward a Philosophy of Women’s Liberation, Boston,
Beacon Press, édition revue et corrigée en 2015; Macy, Joanna. Coming Back to Life: The
Updated Guide to the Work that Reconnects, Gabriola Island, BC, New Society, édition revue et
corrigée en 2014; Macy, Joanna et Chris Johnstone. L’espérance en mouvement. Comment faire
face au triste état de notre monde sans devenir fous, Genève, Éditions Labor et Fides, 2018;
Anderson, Sherry Ruth et Patricia Hopkins. The Feminine Face of God: The Unfolding of the
Sacred in Women, New York, Bantam Books, 1991.
3. Nuccitelli, Dana. «2017 Is So Far the Second-Hottest Year on Record Thanks to Global
Warming», The Guardian (13 juillet 2017), https://www.theguardian.com/environment/climate-
consensus-97-per-cent/2017/jul/31/2017-is-so-far-the-second-hottest-year-on-record-thanks-to-
global-warming.
4. Ibid.
5. UNHCR. «Questions fréquentes sur les déplacements provoqués par le changement et les
catastrophes climatiques» (6 novembre 2016),
http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/11/582336e8a/questions-frequentes-deplacements-
provoques-changement-catastrophes-climatiques.html.
6. Clark, Liat. «Great Barrier Reef», Wired (10 avril 2017), http://www.wired.co.uk/article/great-
barrier-reef-coral-bleaching-damage-2017.
7. Klein, Naomi. Tout peut changer: capitalisme et changement climatique, Montréal, Lux éditeur
et Paris, Actes Sud, 2015.
8. Organisation mondiale de la Santé (OMS). «La violence à l’encontre des femmes», 29
novembre 2017, http://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/violence-against-women.
9. Gibson, Caitlin et Emily Guskin. «A Majority of Americans Now Say That Sexual Harassment
Is a ‘Serious Problem’», The Washington Post (17 octobre 2017),
https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/a-majority-of-americans-now-say-that-sexual-
harassment-is-a-serious-problem/2017/10/16/707e6b74-b290-11e7-9e58-
e6288544af98_story.html?utm_term=.2dda5484db9d.
10. Trungpa, Chögyam. The Collected Works of Chögyam Trungpa, Volume 6, Boston et Londres,
Shambhala, 2004, p. 289.
11. «Justin Trudeau promotes feminist movement of men sticking up for women», The
Independent, vidéo d’une minute de Justin Trudeau s’addressant à l’Assemblée générale de
l’ONU lors de l’événement WE Day qui s’est tenu au Madison Square Garden le 20 septembre
2017, publié par Harriet Agerholm le 21 septembre 2017,
http://www.independent.co.uk/news/world/americas/justin-trudeau-men-feminist-movement-
stick-up-women-sexism-canada-prime-minister-a7960196.html.
12. Chenoweth, Erica et Jeremy Pressman. «This Is What We Learned by Counting the Women’s
Marches», The Washington Post (7 février 2017),
https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2017/02/07/this-is-what-we-learned-
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28. Trungpa, Chögyam. The Collected Works of Chögyam Trungpa, Volume 7, Boston et Londres,
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29. Ibid., p. 87.
30. Allione, Tsultrim. Women of Wisdom, p. 23.
31. Ibid., p. 106.
32. Shaw, Miranda. L’éveil passionnément: les femmes dans le bouddhisme tantrique, traduit de
l’anglais par Muriel Mireur, Paris, Éditions Deux océans, 2016.
33. Ibid., p. 74.
34. Ibid., pp. 155-56.
35. Ibid., p. 157.
36. Ibid., pp. 38-39.
37. Chapitre sur la relation avec les dakinis protectrices locales, Les cent mille chants de Milarépa,
Paris, Fayard, 2006.
38. Ibid.
39. Allione, Tsultrim. Women of Wisdom, pp. 106-107.
40. Shaw, Miranda. L’éveil passionnément: les femmes dans le bouddhisme tantrique.
41. Allione, Tsultrim. Women of Wisdom, p. 121.
42. Ibid., p. 175.
43. Mackenzie, Vicki. Un ermitage dans la neige: l’itinéraire d’une Occidentale devenue nonne
bouddhiste, Paris, J’ai lu, 2003.
44. Ibid., p. 133.
45. Haas, Michaela. Dakini Power: Twelve Extraordinary Women Shaping the Transmission of
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46. Jeu d’illusion. Vie et enseignement de Naropa, Paris, Points, 1997.
47. Clifford, Terry. La médecine tibétaine bouddhique et sa psychiatrie: la thérapie de diamant,
avant-propos de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, introduction de Lokesh Chandra, Paris, Dervy,
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48. Shaw, Miranda. Lettre personnelle à Tsultrim Allione, 1988.
49. Shaw, Miranda. L’éveil passionnément: les femmes dans le bouddhisme tantrique.
50. Allione, Tsultrim. Nourrir ses démons: Utilisez la sagesse ancienne pour résoudre vos conflits
intérieurs, traduit de l’américain par Jacques Vaillancourt, Montréal, Le Jour, 2009.
51. Trungpa, Chögyam. The Tantric Path of Indestructible Wakefulness: The Profound Treasury of
the Ocean of Dharma, Vol. 3, Boston et Londres, Shambhala Publications, 2013, p. 296.
52. Trungpa, Chögyam. Transcript 5 Buddha Seminar Talk 2 (inédit).
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63. Jung, C. G. Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 2001.
64. Ibid.
65. Le Noble Chemin (ou Sentier) Octuple de l’Éveil est la quatrième des Quatre Nobles Vérités,
premier enseignement du Bouddha. Il comprend la vision juste, la pensée juste, la parole juste,
l’action juste, les moyens d’existence justes, la persévérance juste, l’attention juste et la
concentration juste.
66. Les huit bijoux d’ossements: couronne, boucles d’oreilles, collier court, collier long, ceinture,
bracelets aux poignets, aux bras et aux chevilles.
67. Jung, C. G. Ma Vie. Souvenirs, rêves et pensées recueillis et publiés par Aniela Jaffé, nouvelle
édition revue et augmentée d’un index, Paris, Éditions Gallimard, 2012.
68. Allione, Tsultrim. Women of Wisdom, p. 43.
69. Jo Nang Taranatha. The Origin of Tara Tantra, Dharamsala, Library of Tibetan Works and
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70. Ibid.
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Autorisations

L’auteure et l’éditeur remercient les personnes et organismes suivants de


leur avoir accordé l’autorisation d’utiliser ces photographies publiées
antérieurement.

Page 46: Pèlerins tournant autour du stupa dans le sens des aiguilles d’une
montre tout en actionnant des moulins à prières – Swayambhunath.
Photographie de Jorge Lascár. Source:
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Pages 55 et 56: 16e Karmapa Rangjung Rigpe Dorje. Avec l’aimable


autorisation de Diamond Way Buddhism (Voie du Diamant).

Page 64: Chou rouge. Photographie de Biush. Source:


https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Red_cabbage.tiff. Sous licence
Creative Commons 3.0.

Page 93: Chögyam Trungpa Rinpoché. Avec l’aimable autorisation de


Shambhala Archives. Collection photo VTR n° 2005.1.103.

Page 160: Shadow Patterns, Gold Dunes. Photographie du Great Sand


Dunes National Park and Preserve. Source:
https://www.flickr.com/photos/greatsanddunesnpp/21092019348/sizes/o/.
Sous licence Creative Commons 2.0.

Pages 178, 202, 222 et 246: Détails du Vajra Varahi. Province de Kham, est
du Tibet; XVIIIe siècle; pigment minéral en poudre sur coton. Rubin
Museum of Art. Don de la Fondation Shelley et Donald Rubin,
C2006.66.396 (HAR 839).
Page 181: Moon and Half Dome. Copyright © The Ansel Adams
Publishing Rights Trust.

Page 204: La Dame endormie. Photographie de Jvdc. Source:


https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7b/245.jpg. Sous
licence Creative Commons 3.0.
Table des matières

Note de l’auteure
Introduction

Première partie À LA RENCONTRE DU MANDALA


1. Mon cheminement vers la complétude
2. Pourquoi le mandala?
3. Une base unique, deux chemins, deux résultats

Deuxième partie À LA RENCONTRE DE LA DAKINI


4. La quête du féminin souverain
5. Le principe de la dakini
6. Éveil et émanation

Troisième partie À LA RENCONTRE DES CINQ FAMILLES ET DES


DAKINIS DE SAGESSE
7. Les cinq familles
8. La dakini Bouddha: la sagesse transcendante
9. La dakini Vajra: la sagesse-miroir
10. La dakini Ratna: la sagesse de l’équanimité
11. La dakini Padma: la sagesse discernante
12. La dakini Karma: la sagesse tout-accomplissante

Quatrième partie À LA RENCONTRE DE LA SAGESSE: LES


PRATIQUES
13. Le Mandala des cinq dakinis
14. Cheminer avec les dakinis
15. L’aménagement d’un autel au mandala dakini
16. La création d’un mandala

Conclusion
Remerciements
Foire aux questions
Appendice A: Mandala des cinq dakinis, version abrégée
Appendice B: Attributs des cinq familles de bouddhas
Ressources complémentaires
Suggestions de lecture
Glossaire
Notes
Bibliographie
Autorisations
Les pouvoirs du féminin sacré: ce que le bouddhisme apporte aux femmes
ISBN EPUB 978-2-89044-909-1

Infographie: Chantal Landry


Révision: Caroline Hugny
Correction: Joëlle Bouchard et Odile Dallaserra

09-18

Imprimé au Canada

© 2018, Joan E. Allione

Traduction française:
© 2018, Le Jour, éditeur,
division du Groupe Sogides inc.,
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Dépôt légal: 2018


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