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Nicolas Drocourt

LES GESTES DE LA DIPLOMATIE


À LA COUR DES COMNÈNES

Il semble délicat de saisir la totalité et la complexité des gestes


exécutés lors des rencontres diplomatiques à l’époque des Com-
nènes. À priori, les sources grecques paraissent moins riches et
moins complètes que celles dont l’historien dispose pour des
périodes antérieures. Songeons ici à cette source normative majeure,
mais basée sur des réalités vécues, qu’est le Livre des cérémonies, texte
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compilé sous les auspices de Constantin VII, et document indispen-


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sable pour la connaissance des rituels et du protocole palatins. Moins


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d’un siècle et demi après, lorsque débute le règne d’Alexis Ier Com-
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nène, un tel texte n’est sans doute pas oublié, mais le contexte n’est
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plus identique. D’une part, l’Empire est alors sur la défensive face
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aux Turcs et aux Normands et, d’autre part, le Grand Palais cesse
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d’être le lieu privilégié de résidence impériale et de réception des


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délégations étrangères 1. Au milieu du Xe siècle, le long chapitre


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quinze du second livre du De cerimoniis décrit ainsi en détail le céré-


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monial associé à l’accueil de ces délégations, et il n’a pas manqué de


susciter l’attention des chercheurs 2. Mis en parallèle avec d’autres
témoignages, quatre éléments principaux semblent devoir être dis-
tingués sur le plan des gestes associés à la première rencontre offi-
cielle. Indiquons-les rapidement pour permettre des éléments de

1. Le palais des Blachernes lui est progressivement préféré: E. Malamut,


Alexis I er, Paris 2007, 158.
2. Constantinus Porphyrogenitus, De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo, éd.
J. J. Reiske, 2 vol., Bonn 1829-1830, II, 15, 566-70; cf. O. Kresten, “Staat-
sempfänge” im Kaiserpalast von Konstantinopel um die Mitte des 10. Jahrhunderts.
Beobachtungen zu Kapitel II 15 des sogenannte “Zeremonienbuches”, Vienne 2000;
N. Drocourt, Diplomatie sur le Bosphore. Les ambassadeurs étrangers dans l’Empire
byzantin des années 640 à 1204, Louvain 2015, 492 et s., Constantin VII Porphyro-
génète, Le Livre des cérémonies, sous la dir. de G. Dagron et B. Flusin, Paris 2020,
tome IV, 2e section, 685 et s.

Les gestes à la cour • SISMEL - Edizioni del Galluzzo, 2022, pp. 113-133
(ISSN 1123-2560 • ISBN 978-88-9290-128-5 © SISMEL - Edizioni del Galluzzo)
NICOLAS DROCOURT

comparaison avec les cas attestés à l’époque des Comnènes, et offrir


un angle d’étude en vue de saisir les spécificités de cette période.
Le premier constat de cette lecture montre que faits et gestes sui-
vent un ordre rigoureux – depuis la question du placement hiérar-
chique des dignitaires et fonctionnaires présents, jusqu’aux différents
moments qui scandent cette réception solennelle. Cette réalité est
basée sur un idéal, lui-même reflet de l’idéologie, où l’ordre céré-
moniel renvoie à la taxis impériale: on ne saurait imaginer que la
cour soit tenue dans le désordre (ataxia), car la cour du basileus est
celle du lieutenant de Dieu sur terre, donc un reflet ici-bas de la
cour céleste. Dans cette même logique, la volonté d’inaccessibilité
du souverain pour le visiteur est une autre donnée fondamentale.
Elle semble contradictoire avec la volonté et la nécessité diploma-
tiques de communication, d’autant plus pour des ambassadeurs qui
ont parcouru de longues distances pour rencontrer le basileus. Rap-
pelons toutefois qu’il s’agit bien ici de la première rencontre, sans
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doute la plus solennelle, de toute une suite d’entrevues marquées par


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les réelles tractations. Cette inaccessibilité passe par plusieurs atti-


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tudes et postures. L’empereur y demeure totalement muet 3. Si


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échanges oraux il y a, ils se tiennent avec le logothète du drome et


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par le truchement des interprètes. Autant de filtres humains qui


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contribuent à mettre le souverain à distance, dans une mise en scène


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ritualisée et excessive de «non-communication» 4. En outre, au fur et


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à mesure de l’avancée de l’hôte diplomatique vers le trône, celui-ci


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s’élève grâce à un système mécanique. Une telle distance est la porte


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ouverte à des formes de communication par des gestes ou des signes,


comme l’indique l’émissaire Liudprand en 949, gestes dont la teneur
et la nature précises nous échappent 5.

3. Voir ainsi le témoignage d’un ambassadeur arabe en 860, dans Drocourt,


Diplomatie, 1, avec les références. Un «idéal statuaire» semble ainsi caractéris-
tique de l’empereur: A. Kazhdan, «Body Language», in Oxford Dictionary of
Byzantium, Oxford 1991, I, 299-300, et son aspect figé tient aussi au poids de ses
vêtements, comme l’avance un autre émissaire arabe en 1071: Drocourt, Diplo-
matie, 481.

in Η ἐποικοινωνία στο Βυζάντιο, Athènes 1993, 89-90.


4. Qualificatif de G. Dagron, «Communications et stratégies linguistiques»,

5. Liudprand souligne la prise de parole impossible et l’ordre donné de quit-


ter la salle «sur un signe de l’interprète (interprete sum innuente egressus)»: Liud-
prand de Crémone, Antapodosis, VI, 5, dans Liudprand de Crémone, Œuvres,
trad. F. Bougard, Paris 2015, 328-29.

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LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

Deux gestes, toutefois, apparaissent. Lors de leur entrée dans la


salle de la Magnaure du Grand Palais, les ambassadeurs ne semblent
pas avoir eu liberté de mouvement. Au contraire, tout émissaire offi-
ciel est encadré, entouré et même tenu lorsqu’il s’avance vers le
trône impérial. Le De cerimoniis le précise en effet, et ce par le biais
du catépan des Impériaux et du comte de l’Écurie, auxquels s’ajoute
la présence d’un interprète. La chose est d’une certaine manière
confirmée par Liudprand qui dit avoir été conduit «en présence de
l’empereur appuyé sur les épaules de deux eunuques». Ce rituel a
des origines perses, et il est aussi d’usage dans les cours califales de
Bagdad et du Caire 6. Dans le cadre de la cour impériale, et pour en
revenir à Liudprand, être porté ou soutenu par des eunuques a un
sens symbolique fort: celui de passer du monde terrestre au monde
céleste, les eunuques étant apparentés aux anges 7.

cour impériale byzantine: la prosternation ou proskynèse (προσκύ-


Enfin, dernier geste, le plus significatif, et si souvent associé à la

νησις). Elle aussi d’origine perse, elle constitue un geste fréquent,


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presque commun, dans le cérémonial byzantin 8. Dans le cadre des


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réceptions qui nous occupent, le De cerimoniis dit bien que l’hôte


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accueilli doit l’effectuer, une fois entré, avec l’aide des deux officiels
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bant à terre (πίπτει ἐπ᾽ ἐδάφους). La précision est de taille car une
qui l’encadrent. Il précise du reste que ce geste doit se faire en tom-
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lecture des textes médio-byzantins montre en fait une assez grande


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variété des formes prises par cette révérence: de la prosternation


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totale à la génuflexion, ou encore au simple mouvement de tête qui


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s’incline.
Ces quatre aspects, sommairement présentés, composent une
grammaire basique des gestes et attitudes des deux parties en pré-
sence, du moins au moment de leur première rencontre. Elle est une
grille de lecture possible pour l’époque des Comnènes dont la
diplomatie fut active 9. Certes, si un Livre des cérémonies fait défaut

6. Cf. M. Canard, «Le cérémonial fatimide et le cérémonial byzantin, essai


de comparaison», Byzantion, 21 (1951), 355-420.
7. De Cer., II, 15, 568 et 584; voir le commentaire de F. Bougard, dans Liud-
prand de Crémone, Œuvres, 516, n. 20.
8. Cf. O. Treitinger, Die oströmische Kaiser- und Reichsidee nach ihrer Gestaltung
im höfischen Zeremoniell. Vom oströmischen Staats- und Reichsgedanken, Homburg
19693, 84-90.
9. Outre les références aux études qui suivent, voir: J. Shepard, «“Father” or
“Scorpions”? Style and Substance in Alexios’s Diplomacy», in Alexios I Komne-

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NICOLAS DROCOURT

pour le XIIe siècle, les traditionnelles sources narratives grecques ne


manquent pas, et l’on peut y ajouter les harangues et panégyriques de
cour. En outre, les sources extérieures à l’Empire, en particulier
latines, viennent compléter leurs données et suggérer à l’historien des
comparaisons. Le contexte des croisades y invite, tout autant qu’il
démultiplie les rencontres entre les basileis et les souverains, princes
ou puissants occidentaux investis d’autorité politique, de passage par
Byzance sur la route de l’Orient latin. Une thèse récente a d’ailleurs
pu dénombrer que sur les cent trente rencontres directes de souve-
rains avec les basileis entre 473 et 1204, soixante-cinq, soit la moitié
exacte, se tiennent entre l’avènement d’Alexis Ier en 1081 et 1204 10.
De fait, les sources permettent de saisir la nature, la variété,
comme la singularité des gestes accomplis en contexte de rencontre
diplomatique. Deux lieux seront privilégiés: la cour au sein du palais
impérial, mais aussi le camp militaire et la tente impériale en parti-
culier, lorsqu’un basileus est en campagne – ce qui ne signifie pas que
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l’activité diplomatique cesse, au contraire 11. Des travaux récents ont


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mis en exergue combien cette tente est une cour ambulante, ou un


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tante12, et il convient de souligner que le terme de σκήνη désigne à


palais en miniature. La part d’exhibition du pouvoir y reste impor-
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la fois la tente et la scène. Les empereurs Comnène se sont du reste


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souvent déplacés, et leur Empire connaît des gains territoriaux signi-


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ficatifs, ce qui a pu entretenir un certain triomphalisme dans les


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sources grecques. Ce contexte rappelé, trois thématiques seront rete-


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nos, Belfast 1996, 68-132; A.Ş. Anca, Herrschaftliche Repräsentation und kaiserliches
Selbstverständnis. Berührung der westlichen mit der byzantinischen Welt in der Zeit
der ersten Kreuzzüge, Münster 2010; P. Magdalino, The Empire of Manuel I Kom-
nenos, 1143-1180, Cambridge 1993.
10. Thèse désormais publiée: M. M. Vučetic´, Zusammenkünfte byzantinischer
Kaiser mit fremdem Herrschern (395-1204). Vorbereitung, Gestaltung, Funktionen,
Berlin 2021, 2 vol.; voir en particulier le tableau récapitulatif et chronologique,
vol. II, 3-7. Je remercie M. M. Vučetic´ de m’en avoir transmis les épreuves.
11. Cf. N. Drocourt, «L’activité diplomatique pendant les campagnes mili-
taires de l’empereur byzantin (Xe-XIIe siècle)», in Guerre et Paix dans le Proche
Orient médiéval (X e-XV e s.), Le Caire 2019, 165-88.
12. E. Malamut, «La tente impériale à Byzance: une cour ambulante (IVe-
XIIe siècle)», in Dynamiques sociales au Moyen Âge en Occident et en Orient, Aix-
en-Provence 2010, 65-88; M. Mullett, «Tented Ceremony: ephemeral Perfor-
mances under the Komnenoi», in Court Ceremonies and Rituals of Power in
Byzantium and the Medieval Mediterranean. Comparative Perspectives, Leyde-
Boston 2013, 487-513.

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LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

nues ici dans l’étude des gestes associés à la première rencontre


effective entre les basileis et leurs hôtes diplomatiques 13. Les ques-
tions liées à la proskynèse méritent attention d’une part; son corol-
laire qu’est la place ou le placement occupé par les uns par rapport
aux autres est un autre aspect incontournable. Il conduira à aborder
les enjeux multiples derrière les stations assise et debout des souve-
rains et de leurs hôtes, avant de terminer par les gestes singuliers lors
des fameuses humiliations des princes latins d’Antioche à l’époque
de Jean II et de Manuel Ier.

Le geste de la proskynèse et la question du placement

Le règne du premier empereur de la dynastie des Comnènes


administre un exemple resté célèbre relatif à la proskynèse. Non
content d’avoir pris Antioche lors de la première croisade sans la res-
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tituer à Alexis Ier, le prince normand Bohémond s’est en plus lancé


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dans une campagne militaire contre ce dernier en 1107-1108, après


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avoir gagné à sa cause de nombreux chevaliers en Occident 14. Il est


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finalement battu par les armées d’Alexis et doit le rencontrer pour


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conclure la paix en septembre 1108 à Déabolis. La préparation puis


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le déroulement de cette rencontre, tout comme le traité de paix qui


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est alors conclu entre les deux souverains, connaît un témoin remar-
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quable en la personne d’Anne Comnène, la fille du basileus. Dans son


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Alexiade, elle indique qu’avant la rencontre, Bohémond a émis plu-


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sieurs conditions aux émissaires byzantins venus le rencontrer. Il


demande en particulier que lorsqu’il fera face à Alexis Ier, il avancera
vers lui «sans nullement fléchir le genou ou incliner la tête devant
l’autokratôr en signe d’adoration» 15. C’est clairement ici la prosky-
nèse qui est décrite, geste auquel souhaite se soustraire le prince
normand. Elle est sans doute jugée trop humiliante par ce dernier,
quand bien même il vient de démontrer son infériorité sur le plan
militaire face à l’empereur. La réponse toutefois est sans appel: les
ambassadeurs refusent.

13. Les gestes associés à la remise des dons ne seront pas étudiés en tant que
tels, ni d’autres gestes à d’autres moments du séjour des hôtes officiels auprès
des empereurs.
14. Malamut, Alexis I er, 397-422.
15. Anne Comnène, Alexiade, éd. B. Leib, Paris 1967, XIII, IX, 4, t. III, 119.

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Plus tard dans le siècle, une rencontre entre Conrad III et


Manuel Ier Comnène en 1147, dans le cadre de la seconde croisade,
pose des problèmes identiques – alors que le contexte n’est pas à
l’affrontement militaire entre les deux. Si l’on en croit Arnold de
Lübeck, Conrad III aurait lui aussi refusé d’embrasser les genoux du
«roi des Grecs», l’empereur, et donc de s’incliner. Ce refus aurait été
signifié dès les échanges préparant l’entrevue entre les deux souve-
rains. Dans ce cas toutefois, ces demandes furent satisfaites et l’éga-
lité apparente entre les deux hommes respectée. Elle fut même illus-
trée par le fait que les deux hommes restèrent sur leurs montures
respectives, et échangèrent ainsi un baiser de salutation (osculum salu-
tationis)16. Dans ces deux cas de 1108 et de 1147, une identique
volonté d’éviter une humiliation au double sens du terme face à un
basileus. Des cas antérieurs, plutôt issus du monde arabe, témoignent
de refus similaires face à la prosternation 17. Geste de portée symbo-
lique tout aussi fort, le baiser sur le pied ou sur une partie inférieure
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du corps de l’empereur existe, mais semble moins souvent attesté 18.


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Rabaisser son hôte, d’autant plus lorsqu’il est investi d’un pouvoir
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politique officiel, peut en effet s’avérer problématique pour les basi-


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leis, ne serait-ce que pour la suite de l’entrevue, et en dépit d’une


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idéologie qui affirme la supériorité absolue des empereurs byzantins


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sur tous les hommes de leur temps 19. Il semblerait que cette question
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ait été en partie résolue par la cour impériale byzantine, en dépla-


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çant le problème toutefois, et en démontrant d’une autre manière la


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hiérarchie entre l’empereur accueillant à sa cour, le supérieur, et son


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hôte, inférieur, quand bien même ce dernier est souverain. Le pro-


blème est crucial, en un temps où, précisément, les rencontres entre
souverains se démultiplient. La solution que trouve la cour relève de

16. Arnold de Lübeck, Chronica slavorum, éd. J. M. Lappenberg, Hanovre


1868, I, 10, 25-26, qui qualifie les deux souverains de reges, mais souligne dans
ce passage la grande arrogance du «roi des Grecs» à se qualifier d’imperator; cf.
G. Althoff, Spielregeln der Politik im Mittelalter: Kommunikation in Frieden und
Fehde, Darmstadt, 1997, 301-2; Vučetic´, Zusammenkünfte byzantinischer Kaiser,
114-15, considère cette rencontre comme «certainement fictive»; voir aussi
Anca, Herrschaftliche Repräsentation, 82-85.
17. Cf. Drocourt, Diplomatie, 572 et s.
18. Sur cette question, voir Treitinger, Die oströmische Kaiser, 92-94.
19. Mais la période des Comnènes offre sans doute une inflexion majeure à
une disposition idéologique très répétée auparavant: cf. G. Dagron, «Empires
royaux, royauté impériales. Lecture croisées sur Byzance et la France médiévale»,
in Summa. Dieter Simon zum 70. Geburtstag, Francfort-sur-le-Main 2005, 81-97.

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LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

la place occupée, autrement dit du placement des uns et des autres


lors des entrevues.
C’est particulièrement le cas lors de la venue en personne du
sultan seldjoulkide Kilij Arslan II en 1161-1162 dans la Constanti-
nople de Manuel Ier Comnène. Le sultan vient pour trouver en
l’empereur un allié contre ses propres ennemis et voisins turcs 20. Si
l’on en croit Jean Kinnamos, contemporain des faits, sa réception
posa avec acuité la question de la place occupée, lors de la première
rencontre, par le basileus et par celle de son invité. Cet accueil solen-
nel ne se fit d’ailleurs pas dans la Magnaure, mais, par déduction au
regard de la description de Kinnamos, dans le palais des Blachernes,
dans la partie nord de la ville. Ce palais était devenu le lieu de rési-
dence et d’administration depuis le premier des Comnènes, sans que
le Grand Palais plus au sud ne soit totalement abandonné toutefois 21.
C’est d’ailleurs là une mutation nette par rapport aux descriptions
connues des réceptions diplomatiques dans les siècles antérieurs. En
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1161, la distinction hiérarchique entre Manuel et son invité ne fut


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toutefois pas esquivée. Le chroniqueur grec précise en effet qu’une


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«estrade magnifique» fut édifiée sur laquelle fut installé un siège «très
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élevé au-dessus du sol». Après en avoir donné une description met-


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hyacinthes…), il précise que sur ce trône (δίφρος) l’empereur avait


tant en valeur sa richesses (pierres précieuses, perles, escarboucles,
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pris place, et sa stature était idéalement proportionnée au siège.


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En outre, de chaque côté du trône «se tenait la hiérarchie des


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dignitaires»: la cour est donc bien présente avec ces derniers, et leur
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placement reflète la maîtrise par la cour impériale de la taxis, suite


logique des prescriptions du Xe siècle quand bien même le lieu a
changé 22. Kinnamos avance que tout cet apparat ne put que saisir de
stupeur Kilij Arslan II. Cependant, quand «le basileus l’invita à s’as-
seoir, [le sultan] refusa énergiquement». Et l’empereur d’insister et

20. Cf. M. M. Vučetic´ «Das Abkommen zwischen Kaiser Manuel I. Komne-


nos und Sultan Kiliç Arslan II. (1161/1162). Mechanismen zur Absicherung von
Verträgen und ihr Scheitern», Zeitschrift für Historische Forschung, 55 (2018), 175-
202, avec les références; A. Beihammer, «Defection across the Border of Islam
and Christianity: Apostasy and Cross-Cultural Interaction in Byzantine-Seljuk
Relations», Speculum, 86 (2011), 597-651, ici 634-39.
21. Malamut, Alexis I er, 158 et s.; Drocourt, Diplomatie, 541 et s.
22. On soulignera que cet ordre des présents est aussi respecté et signalé lors
de la réception en marche d’ambassadeurs d’un autre souverain turc, vers 1111-
1112, par Alexis Ier: Anne Comnène, Alexiade, XIV, III, 8, t. III, 158.

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d’avoir gain de cause car son hôte officiel «finit par s’asseoir sur un
siège bas et près de terre» 23. On comprend mieux, par cette dernière
précision, la réticence du sultan: il lui fallait s’asseoir, siéger ainsi en
position d’inférieur face à l’empereur, son supérieur dans tous les
aspects de leur relation. Une manière d’humiliation qui a donc sus-
cité une résistance, mais cette opposition ne semble pas avoir modi-
fié le choix impérial.
Un choix tactique, au sens étymologique du terme là encore, que
l’on retrouve pour un autre invité officiel et hôte de marque
accueilli à la cour de Manuel Ier: le roi de France, Louis VII 24. Lors
de sa venue dans l’Empire, à l’occasion de la seconde croisade, les
plus grands honneurs lui furent rendus lorsqu’il pénétra dans
Constantinople. Une escorte des hauts dignitaires et des fonction-
naires les plus importants l’a ainsi conduit jusqu’au palais impérial,
d’après le même chroniqueur grec. Ce dernier ajoute qu’au palais «le
basileus occupait un trône élevé» alors qu’au roi des «Germains»,
Louis VII, «on apporta un siège bas qu’on appelle sella sur lequel il
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s’assit» 25. Du côté latin, le célèbre Eudes de Deuil tait cet aspect de
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la rencontre. Il insiste, au contraire, sur l’égalité apparente des deux


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souverains, signe manifeste que cet équilibre des dignités pèse: à part
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les vêtements et les habitudes, ils étaient tous les deux de même
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taille et sans doute de même âge, assure Eudes 26. Il faut souligner
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que de telles positions entre un basileus et son hôte sont identiques


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à celles occupées par Manuel Ier et Amaury Ier lorsque ce dernier est
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accueilli, lui aussi en grande pompe, en 1171 dans la capitale impé-


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riale. Guillaume de Tyr, témoin de la scène et hôte de marque dans


la suite royale, affirme ainsi que lorsque la tenture séparant les deux
monarques, déjà assis, du reste de l’assistance fut levée subitement,
on pouvait découvrir l’empereur «assis sur un trône d’or» et, à ses
côtés, le roi «sur un trône d’honneur mais un peu plus bas» 27.

23. Jean Kinnamos, Historiae, éd. A. Meinecke, Bonn 1836, 205-6; Jean Kin-
namos, Chronique, trad. J. Rosenblum, Nice 1972, 136-37; Vučetic´, «Das Abkom-
men», 183.
24. Voir, plus largement, les exemples rassemblés par Treitinger, Die oströmi-
sche Kaiser, 94-95.
25. Jean Kinnamos, 82-83, trad. Rosenblum, 64. Anca, Herrschaftliche Reprä-
sentation, 67-68.
26. Eudes de Deuil, De Ludovici VII profectione in orientem, éd. H. Waquet,
Paris 1949, III, 44: «erant fere coevi et coequales, solis moribus et vestitu dissimiles».
27. Guillaume de Tyr, Chronicon, éd. R. B. C. Huygens, Turnhout 1986, XX,
23, 943-44.

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LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

Notons enfin, que cette proskynèse semble plus avoir gêné les
princes et souverains latins, plusieurs fois accueillis par les basileis,
que d’autres souverains, notamment issus des terres d’Islam. Nous
manquons il est vrai de textes et d’un nombre d’exemples suffisants
de ce côté oriental des relations de la cour impériale, comparés aux
cas multiples enregistrés pour les contacts avec les souverains occi-
dentaux. Deux exemples semblent toutefois significatifs car ils tou-
chent à cette question délicate de la prosternation, quoiqu’il ne faille
pas non plus les sur-interpréter. En 1116 tout d’abord, Alexis Ier ren-
contre le sultan turc d’Ikonium au cœur de l’Asie mineure, entre
Akroinon et Augoustopolis précisément, et les deux hommes
concluent alors un traité de paix. Anne Comnène assure que les
«satrapes» qui accompagnaient alors le sultan, ses principaux chefs

ver l’empereur et «s’acquittèrent de l’adoration (προσκύνησις) que


militaires et dignitaires, descendirent de cheval lorsqu’ils virent arri-

l’on a coutume de faire de devant les basileis». Le sultan aurait voulu,


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lui aussi, descendre de cheval, mais le basileus l’en empêcha. Le pre-


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mier sauta néanmoins subrepticement et prestement de sa monture


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pour aller embrasser le pied de l’empereur, se courbant donc pour


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finalement effectuer le geste en question. Et l’empereur de lui


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donner la main pour le faire monter sur un autre cheval de son


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choix, un cheval de prix, puis de lui donner son manteau 28. La suite
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de gestes est ici remarquable, car les deux souverains retrouvent de


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la sorte une manière d’égalité dans la dignité et le prestige, après que


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l’un des deux, au témoignage d’Anne, s’est abaissé devant le pre-


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mier 29. Ces gestes précisément décrits cachent toutefois mal le


silence d’Anne sur les réelles tractations et les clauses exactes du
traité. Bien plus, comme l’a récemment rappelé Alexander Beiham-
mer, cette supériorité retrouvée du basileus ne doit pas faire oublier
les vicissitudes de l’armée d’Alexis sur le champ de bataille avant
ladite rencontre 30.

28. Anne Comnène, Alexiade, XV, VI, 5, t. III, 209.


29. Et cette égalité retrouvée rappelle celle de Conrad III et de Manuel Ier
lors de leur entrevue à cheval, d’après Arnold de Lübeck, sans le geste de pros-
ternation toutefois.
30. A. Beihammer, Byzantium and the Emergence of Muslim-Turkish Anatolia,
ca. 1040-1130, Farnham 2017, 373-75, et sa suggestion de considérer ces gestes
comme le signe de l’intégration du Turc dans le système de dignités de la cour
byzantine.

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Par ailleurs et de lui-même, un autre souverain seldjoukide aurait


effectué une proskynèse: Kilij Arslan II face à Manuel en 1161-1162.
Ce n’est toutefois pas Kinnamos ni Choniatès qui l’avancent mais
une source grecque sans doute plus partisane encore que ces deux
chroniqueurs pourtant contemporains et proches de Manuel Ier. Si
l’on en croit Euthymios Malakès dans l’une de ses harangues de cour
en l’honneur du basileus, le sultan seldjoukide aurait en effet effectué
une prosternation volontaire devant les pieds de Manuel. Une infor-
mation qui mérite d’être toutefois considérée avec la plus grande
prudence, précisément au regard du genre de source dont elle
émane, tout acquise par la rhétorique à la supériorité de l’empereur.
Ce texte qui relève la littérature encomiastique dresse à cette occa-
sion un parallèle entre d’un côté l’empereur, assimilé à Alexandre le
Grand et Salomon, et, de l’autre, le sultan, assimilé aux Darius et
Xerxès, et dont le geste spontané n’est toutefois nullement confirmé
par d’autres sources narratives 31.
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Les stations assises et debout, et leurs enjeux


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Au-delà du seul geste de prosternation et de la question du pla-


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cement des hôtes de l’empereur, d’autres enjeux de hiérarchie appa-


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raissent avec la nature précise des stations des hôtes en question. Être
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assis ou debout n’implique pas les mêmes avantages ni les mêmes


LU
ZZ

gestes. En toute logique, et au regard des normes définies au


O

Xe siècle, l’empereur est a priori bien assis sur son trône lors de ces
rencontres, qu’elles se tiennent à la cour ou dans la tente impériale,
comme c’est le cas en septembre 1108 avec Bohémond. Même si
Alexis Ier tend la main à ce dernier – ce qui avait aussi été demandé
par le Normand avant l’entrevue – il semble bien que le basileus soit
resté assis pour accueillir son rival, puis le placer du reste près du
trône impérial 32. Lors des entrevues en contexte militaire, en dehors
du palais, si l’empereur n’est pas dans sa tente, il est assis sur son
cheval, ce dont témoigne la rencontre avec le sultan turc en 1116, et

31. Euthymios Malakes, Logoi, 6, in Noctes Petropolitanae, éd. A. Papadopou-


los-Kerameus, Saint Petersbourg 1913 (repr. Leipzig 1976), 162-87, ici 165-68;
voir Beihammer, «Defection across the Border», 636-37.
32. Anne Comnène, Alexiade, XIII, X, 3, t. III, 122; des salutations de bien-
venue ont, entre temps, été prononcées.

122
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

celle avec Conrad III en 1147 d’après Arnold de Lübeck, nous


l’avons vu.
Plusieurs témoignages démontrent même à quel point Alexis Ier
est souvent resté vissé sur son siège lors d’accueils solennels ou d’en-
tretiens, pas uniquement avec des visiteurs étrangers d’ailleurs. Cette
position constitua sans doute une preuve évidente de sa majesté,
répondant à un «idéal statuesque» déjà évoqué, mais cette immobi-
lité relative illustrait aussi une part du respect de la paix et de l’ordre
qu’il incarnait. Il sait ainsi rester «fermement assis sur le trône», sans
prendre les armes comme le font beaucoup de personnes de son
entourage lorsqu’échauffourées et violences apparaissent entre les
premiers croisés et les résidents de la capitale, sous les murailles de
Constantinople. La proximité du palais des Blachernes avec ces der-
nières est telle que le trait d’un croisé vient blesser à la poitrine l’un
des hommes debout à côté du trône. La réaction impériale est sans
appel: tous reculent «mais lui reste assis sans broncher, réconfortant
SI

les siens», suscitant ainsi l’admiration 33.


SM

Lors de mention d’audience face à des hôtes, audience non plus


EL
-E

solennelle, mais pour des réelles tractations, il peut être présenté assis
D
IZ

sur son trône, ainsi lorsqu’il converse avec Bohémond lors de son
IO

passage à Constantinople, durant le même hiver 1096-1097 34. En


N
ID

dressant une sorte de bilan du règne, Anne Comnène répète com-


EL

bien le pauvre Alexis a dû endurer, toujours à la même place, les


G
AL

interminables audiences avec ce qu’elle nomme les «comtes celtes»,


LU
ZZ

allusion aux chefs de la croisade et aux principaux membres de leur


O

entourage. Assis sur le trône impérial dès le lever du jour, il devait


donc les écouter alors qu’ils entraient dans le désordre, et faisaient
preuve d’une loquacité «qui défi[ait] toute autre race humaine».
Même à la fin du jour, une fois levé de ce trône pour se rendre dans
ses appartements, ces Celtes le poursuivaient et l’obligeaient à
demeurer debout, semblable «à une statue travaillée au marteau»,
pendant de longues heures 35. Une attitude proche de celle inatten-
due du chevalier latin qui, lors de la rencontre solennelle entre les
principaux chefs de la croisade et l’empereur en ce même palais des
Blachernes, s’était permis de s’asseoir sur le trône impérial! L’occa-

33. Ibid., X, IX, 4-6, t. II, 222-23.


34. Ibid., X, XI, 8, t. II, 234.
35. Ibid., XIV, IV, 5-7, t. III, 161-62.

123
NICOLAS DROCOURT

sion pour Anne de rappeler l’arrogance des Latins, comme de souli-


gner combien ce « noble » fut l’objet de vives remontrances de la
part du comte Baudouin. L’épisode est très instructif, car ce geste si
déroutant pour les habitués des usages de la cour implique qu’à ce
moment-là le siège était vide, et l’empereur debout 36.
L’incident en tant que tel n’est pas relayé par les chroniqueurs
latins. Néanmoins, les propos d’un Albert d’Aix renvoient tant à
cette question de l’empereur assis qu’aux gestes que cela implique
pour ces augustes visiteurs, au premier rang desquels Godefroi de
Bouillon que ce chroniqueur suit. Lorsqu’il décrit le baiser de paix
(osculum pacis) échangé entre l’empereur et le duc Godefroi, puis
entre l’empereur et les hommes qui l’accompagnent aux Blachernes,
il ne manque pas de préciser que le basileus demeura assis en effec-
tuant de tels gestes. Certes, d’être assis sur son trône est bien l’habi-
tude de ce souverain poursuit Albert d’Aix. Cependant, en ne se
levant point pour embrasser les Latins, il obligea ces derniers, et en
particulier le duc, à s’incliner, genoux fléchis 37. On sent là le ton
SI
SM

d’une critique de l’attitude impériale…mais on retrouve ce qui a été


EL

évoqué plus haut: une stratégie pour rappeler un lien de hiérarchie


-E
D

entre un supérieur et des subordonnés. Bohémond, de nouveau, s’en


IZ
IO

souviendra en septembre 1108: dans les pourparlers qui préparent sa


N
ID

nouvelle rencontre avec Alexis, il demande en particulier que l’em-


EL

pereur se lève de son trône pour l’accueillir. Là encore, la demande


G
AL

est jugée «excessive» et n’est pas acceptée 38. C’est le contraire pour
LU

l’accueil d’Amaury Ier de Jérusalem par Manuel Ier. Guillaume de Tyr


ZZ
O

avance que l’empereur «se leva familièrement vers lui», le roi de


Jérusalem, ce que le basileus fit «au milieu de l’assemblée de ses
grands», de «ses illustres siens», et non en présence de toute la cour
car cela aurait trop «dérogé à sa majesté» 39. Un tel geste, empereur se

36. Ibid., X, X, 6, t. II, 229; Treitinger, Die oströmische Kaiser, 95, n. 248; M.
Carrier, L’autre chrétien pendant les croisades: les Byzantins vus par les chroniqueurs
du monde latin (1096-1261), Saarbrücke 2012, 125, 150 et 192.
37. Albert of Aachen, Historia Ierosolimitana. History of the Journey to Jerusa-
lem, edited and translated by Susan B. Edgington, Oxford 2007, II, 16, 84-85.
Albert précise aussi qu’un certain ordre fut respecté, car chacun fut embrassé
selon son rang (osculatis denique omnibus ex ordine) – la taxis trouve ici valeur de
confirmation, d’autant plus remarquable que le témoignage est latin.
38. Anne Comnène, Alexiade, XIII, IX, 7, t. III, 119.
39. Guillaume de Tyr, XX, 23, 943, et pour ce qui suit. Je reprends la traduc-
tion de Monique Zerner dans Croisades et pèlerinages. Récits, chroniques et voyage
en Terre sainte XII e-XVI e siècle, éd. D. Régnier-Bohler, Paris 1997, 684-85.

124
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

levant du trône, témoigne sans doute du caractère exceptionnel de


cet accueil. Là encore Guillaume de Tyr le confirme par ses propos,
dès le début de sa description: l’entrée du «palais supérieur» (i.e. le
palais des Blachernes), jusqu’alors réservée au seul empereur, fut
permise pour le roi, ce qui était «grande faveur et honneur, en relâ-
chant un peu les règles habituelles» (preter communes regulas aliquid
indultum est).
La question de la station assise ne concerne toutefois pas le seul
souverain, fût-il byzantin. Dans les dérapages et gestes déplacés,
signes de plus en plus fréquents des tensions entre Byzantins et leurs
partenaires latins dans la seconde moitié du XIIe siècle, elle apparaît
de manière nette et concerne au premier chef le personnel diploma-
tique qui circule entre cours et souverains 40. C’est ce qui semble
s’être passé avec des représentants de l’empereur Frédéric Ier, alors
que celui-ci est en chemin vers Constantinople, dans le cadre de la
troisième croisade, et je donnerai ici le seul exemple en dehors de la
période stricte des Comnènes, de peu postérieur à 1185 néanmoins.
SI
SM

Si l’on en croit les sources grecques et surtout latines, cette déléga-


EL

tion fut l’objet des pires brimades à la cour d’Isaac II Ange. Envoyés
-E
D

vers ce dernier vers le mois de juin 1189 dans le but de lui annoncer
IZ
IO

l’arrivée imminente de Frédéric Ier, les envoyés de ce dernier furent


N
ID

mal reçus car bien des inimitiés étaient apparues sur la route entre
EL

croisés et sujets du basileus 41. Parmi les déconvenues des émissaires à


G
AL

la cour d’Isaac II, celles qui sont décrites par Nicétas Choniatès méri-
LU

tent attention – sans doute moins partisanes que les sources latines
ZZ
O

qui ont eu tendance à amplifier ce mauvais accueil 42. D’après Cho-


niatès, Isaac II aurait non seulement refusé de faire repartir les légats
vers Frédéric Ier 43, mais, en plus, lors de leur accueil à la cour, le basi-

40. Voir les exemples rassemblés par Drocourt, Diplomatie, 649 et s. Pour des
cas du XIe siècle antérieurs aux Comnènes et l’enjeu de leur mise en récit, voir
aussi T. Hoffmann, «Von verlorenen Hufeisen und brennenden Nüssen – Über
Konflikte im Rahmen des “diplomatischen” Zeremoniells des byzantinischen
Kaiserhofes», in Transcultural Approaches to the Concept of Imperial Rule in the
Middle Ages, éd. C. Scholl, T. R. Gebhardt et J. Clauss, Francfort-sur-le-Main
2017, 221-44, ici 224-25 et 234-35.
41. Sur le contexte: C. M. Brand, Byzantium Confronts the West, 1180-1204,
Cambridge Ma 1968, 176 et s.
42. Voir ainsi les relectures de S. Neocleous, «Byzantine-Muslim Conspira-
cies against the Crusades: History and Myth», Journal of Medieval History, 36
(2010), 253-74, ici 267-68.
43. Nicetae Choniatae Historia, éd. J.-L. van Dieten, Berlin, 1975, 402-3.

125
NICOLAS DROCOURT

leus n’aurait même pas daigné leur offrir des sièges. Le chroniqueur
grec précise que cette attitude impériale byzantine revint aux oreilles
de Frédéric Ier. Ce choix est bien sûr humiliant pour ces ambassa-
deurs, les ravalant à de simples sujets de l’empereur byzantin. En
aucun cas, ajoute-t-il, leur rang d’évêques, de comtes, ni leur statut
de proches de Frédéric Ier n’aurait donc été pris en compte 44. Ces
faits et gestes vexèrent considérablement l’empereur germanique 45.
Mais cette affaire ne s’arrête pas là. Toujours d’après le même
chroniqueur, Frédéric Ier adopta une manière de réponse en forme
de surenchère, comme l’histoire des contacts diplomatiques entre
Byzance et ses voisins en administre plusieurs fois l’exemple. Quand
les émissaires de Frédéric Ier revinrent auprès de lui, ils furent
accompagnés des propres ambassadeurs d’Isaac II et de leur suite.
Frédéric imposa non seulement aux ambassadeurs en titre de s’as-
seoir à ses côtés lors de l’entrevue, mais il fit de même avec les cui-
siniers, boulangers et palefreniers qui relevaient de la suite. Les der-
SI

niers concernés protestèrent, indiquant que cela ne relevait nulle-


SM

ment du droit de tels serviteurs que de s’asseoir auprès d’un puissant


EL
-E

souverain, et que cela ne devait être qu’un privilège de ses grands.


D
IZ

Mais Frédéric d’insister et de les asseoir de force avec leurs propres


IO

maîtres, les ambassadeurs d’Isaac.


N
ID
EL
G
AL

Des gestes de domination et d’humiliation extrêmes? Les empereurs


LU
ZZ

Comnène et la question d’Antioche


O

Quelques ultimes gestes demeurent pour terminer ce tour d’ho-


rizon. Ils méritent une place à part par leur caractère extrême, quoi-
qu’ils s’inscrivent dans une certaine logique et continuité par rap-
port aux gestes déjà présentés. Ils sont, pour chacun d’entre eux,
associés aux relations tumultueuses entre les souverains de la dynas-
tie des Comnènes et les princes latins d’Antioche 46. La chose a déjà
été entrevue dans le cadre des relations entre Alexis Ier et Bohé-
mond, notamment autour de leur rencontre en septembre 1108 à

44. Présentation des sources et des acteurs dans Drocourt, Diplomatie, 660-64.
45. Nicetae Choniatae Historia, 410, et pour ce qui suit.
46. Cf. R. J. Lilie, Byzantium and the Crusader States, 1096-1204, Oxford 1993,
passim.

126
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

Déabolis. Rappelons que lorsqu’Antioche est prise définitivement


par les croisés en juillet 1098, la cité est conservée par Bohémond et
non restituée à l’empereur byzantin, en dépit des accords passés à
Constantinople en 1096-1097 47. Le traité de Déabolis dix ans plus
tard ne résout que partiellement la question car Tancrède, le succes-
seur de Bohémond à la mort de ce dernier, en 1111, ne le reconnaît
pas. De fait la fameuse «question d’Antioche» est relancée, et elle va
rester lancinante jusqu’en 1159. Dans ce cadre, trois épisodes méri-
tent attention, quoiqu’ils ont souvent été remarqués par l’historio-
graphie ce qui permettra d’être rapide, tout en établissant des paral-
lèles avec d’autres situations.
Durant l’automne 1137, Jean II Comnène décide de mener une
campagne contre la principauté d’Antioche tenue alors par Rai-
mond de Poitiers. Alors que le siège contre la cité a débuté, Ray-
mond se consent à traiter avec l’empereur. Une solution est trouvée,
confirmant la mainmise du basileus sur Antioche, et les deux souve-
SI

rains se rencontrent. Guillaume de Tyr en fournit sans doute la des-


SM

cription la plus complète. On retiendra ici que le prince latin prête


EL
-E

un serment d’allégeance et de fidélité, et que ce serment est prêté


D
IZ

en joignant ses mains à celles de l’empereur 48. Au-delà d’une


IO

manière de soumission du prince d’Antioche, la nature du geste est


N
ID

remarquable: elle s’inscrit bien dans une série de gestes qui mar-
EL

quent le lien de vassalité dans l’Occident chrétien au même


G
AL

moment. Or, ces gestes ne sont pas pratiqués dans le monde byzan-
LU
ZZ

tin, sinon lorsque l’empereur doit s’entendre avec des princes latins
O

précisément 49. Ils ne sont toutefois pas inconnus des Byzantins,


notamment car nombreux sont les chrétiens d’Occident de passage
dans l’Empire à ce moment-là – pèlerins, marchands, émissaires offi-
ciels, mercenaires etc.50 Un auteur grec décrit comment, à la fin des

47. Malamut, Alexis I er, 368-76, avec les références.


48. Guillaume de Tyr, XIV, 30, 671, l. 47-48: «fidelitatem suam domino imperatori
manualiter exhibuit». Un encomiaste byzantin, Nicéphore Basilakes, avance que
le prince «courba le cou» face à l’empereur: Nicephori Basilacae Orationes et Epis-
tuale, éd. A. Garzya, Leipzig 1984, Or. 3, 63, l. 28; voir aussi M. M. Vučetic´,
«Emperor John II’s encounters with foreign rulers», in John II Komnenos, Empe-
ror of Byzantium: In the Shadow of Father and Son, Abingdon-New York 2016, 71-
90, ici 81.
49. Sur ce point, voir Vučetic´, «Emperor John II», 85-86, avec les références.
50. Cf. K. N. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople. The West and
Byzantium, 962-1204: Cultural and Political Relations, New York-Cologne 1996.

127
NICOLAS DROCOURT

années 1070 déjà, des mercenaires «francs» s’étaient rangés dans le


camp d’un rebelle, certifiant leur engagement en «plaçant leurs
mains» dans celles du rebelle, «suivant leur coutume nationale pour
l’assurer de leur bonne foi» 51. Les basileis ont donc intégré cette pra-
tique dans leur rencontre et leur gestuelle d’entente avec certains
princes latins. Avant Jean II, Alexis Ier en usait si l’on en croit Albert
d’Aix décrivant la première rencontre entre Godefroy de Bouillon
et l’empereur 52.
Au printemps 1138, à l’issue d’une campagne menée par Jean II
dans l’espace syrien tenu par les musulmans, le basileus procède à une
entrée triomphale dans la cité d’Antioche. Qu’il s’y rende ne doit pas
surprendre, à la fois du fait de la proximité des lieux de combat, mais
aussi parce que l’entrée de l’empereur dans cette dernière pouvait se
faire désormais à sa guise, en vertu des clauses établies l’année précé-
dente avec Raimond de Poitiers. En revanche la dimension triom-
phale a pu paraître plus surprenante à certains historiens, car tenue en
dehors de Constantinople, bien qu’elle restât associée avant tout aux
SI
SM

succès militaires que Jean II venait de remporter 53. Le plus important,


EL

toutefois, semble ailleurs, avec les gestes des protagonistes de ces


-E
D

contacts diplomatiques et militaires. Si l’on en croit encore une fois


IZ
IO

Guillaume de Tyr, les deux princes latins présents, Raymond de Poi-


N
ID

tiers et Josselin II d’Edesse furent bien associés à cette entrée quoiqu’à


EL

une position particulière: ils rendirent en effet le fameux service de


G
AL

strator en tenant les rênes du cheval impérial 54. Ce geste et rituel est
LU

ancien et bien connu 55. Précisons ici toutefois que nous disposons de
ZZ

discours d’éloge byzantins autour de cet événement et cette entrée


O

triomphale; or les auteurs grecs n’évoquent nullement ce geste 56. Ils

51. Nicéphore Bryennios, Histoire, IV, 10, éd. et trad. P. Gautier, Bruxelles
1975, 275.
52. Albert of Aachen, Historia Ierosolimitana, II, 16, 86-87; le lien de vassalité
entre les deux hommes demeure toutefois discuté, cf. Malamut, Alexis I er, 371,
et voir 373 pour le cas de Tancrède qui joignit sa main droite à celle
d’Alexis Ier, après bien des hésitations d’après Raoul de Caen.
53. Nicetae Choniatae Historia, 28-31; Vučetic´, «Emperor John II», 86-89; Anca,
Herrschaftliche Repräsentation, 24 et s.
54. Guillaume de Tyr, XV, 3, 676-77; sur cette rencontre: Vučetic´, Zusam-
menkünfte byzantinischer Kaiser, vol. II, 109-11.
55. A. Paravicini Bagliani, Le Bestiaire du Pape, Paris 2018, 63 et s.; Anca, Herr-
schaftliche Repräsentation, 42-46.
56. Nicephori Basilacae Orationes et Epistuale Or. no. 3, 63, 69 et 71-73; Theodore
Prodromos, Historische Gedichte, éd. W. Hörandner,Vienne 1974, 258; Michel Ita-
likos, Lettres et discours, éd. P. Gautier, Paris 1972, n°. 43, 260-61 et 265-66.

128
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

ne mentionnent pas non plus nommément les deux princes latins…


mais assurent quand même que des Francs nobles couraient aux côtés
de l’empereur, là où d’autres se jetaient au sol face à lui. La soumis-
sion est ici explicite. Mais ont-ils compris l’autre geste, l’office de
maréchal, décrit par Guillaume de Tyr? En tout cas, si ce dernier dit
vrai, le choix d’un tel geste, si chargé de symbolique en Occident
chrétien, démontre une habile adaptation de la cour que les rhéteurs
de celle-ci n’étaient pas en mesure de comprendre totalement 57.
Vingt-et-un ans plus tard, un dernier geste peut être appréhendé.
Il concerne une autre rencontre, cette fois entre Manuel Ier et le
prince d’Antioche, Renaud de Châtillon. La question d’Antioche
demeure toujours épineuse à cette date, mais le contexte est au
triomphalisme byzantin 58. Le basileus reçoit à Mopsueste, non loin
d’Antioche même, la soumission du prince arménien Toros et de
Renaud de Châtillon. Les formes prises par la subordination de ce
dernier sont assez bien connues, notamment grâce à Guillaume de
Tyr. Elle passa d’après lui par des attitudes et des gestes significatifs.
SI
SM

Renaud se présenta devant l’empereur «à la vue de toutes les


EL

légions, pieds nus, vêtus de laine, les manches raccourcies jusqu’aux


-E
D

coudes, le cou entouré d’une corde, ayant en main un glaive nu qu’il


IZ
IO

ne portait par la pointe afin de pouvoir tendre la poignée au sei-


N
ID

gneur empereur». L’humiliation fut telle que tous les témoins furent
EL

«pris de nausée et […] qu’il changea en opprobre la gloire de la lati-


G
AL

nité» 59. Plusieurs témoignages grecs confirment la tonalité de cette


LU

rencontre, sans nécessairement fournir les mêmes informations, en


ZZ
O

particulier les textes encomiastiques dont le fort parti-pris n’est pas


à démontrer 60. Manganeios Prodromos livre toutefois des détails qui
font écho aux propos du célèbre chroniqueur latin, évoquant en par-
ticulier la corde au cou 61.

57. Voir les remarques de J. Shepard, «Knowledge of the West in Byzantine


Sources, c.900-c.1200», in A Companion to Byzantium and the West (900-1204),
Leyde, à paraître.
58. Vučetic´, Zusammenkünfte byzantinischer Kaiser, vol. II, 121-28; voir aussi
Anca, Herrschaftliche Repräsentation, 147-74, et la comparaison des deux
triomphes de 1138 et 1159: 37-41.
59. Guillaume de Tyr, XVIII, 23, 845; trad. M. Zerner, 652.
60. Jean Kinnamos, 182-83; Euthymios Malakes, 179-80.
61. E. Jeffreys et M. Jeffreys, «A Constantinopolitan Poet Views Frankish
Antioch», Crusades, 14 (2015), 49-151, ici 84-85 (Poem 35), vers 31 et 42, et l’au-
teur confirme que Renaud, terrifié, était pieds nus, tunique remontée jus-

129
NICOLAS DROCOURT

Ces divers textes mentionnent la présence de nombreux témoins,


les «légions» de Guillaume de Tyr par exemple, ou encore les ambas-
sadeurs des autres voisins, notamment musulmans, de l’Empire et de
cette principauté d’Antioche 62. Cet aspect renvoie à la publicité que
l’on veut faire de ces rencontres et des gestes qui y sont tenus. En
outre, la nudité partielle de Renaud mérite attention; elle renvoie à
l’évidence à l’humilité forcée du prince qui devient ici humiliation.
Mais surtout, la corde au cou paraît encore plus signifiante. Il est ten-
tant d’y lire, à la suite de Jean-Marie Mœglin, le sens d’une pénitence
publique en l’honneur de Dieu, qui passe ici par une réparation face
au lieutenant de Dieu sur terre, par un geste qui permet au prince de
gracier en quelque sorte un coupable, tout comme Dieu accorde
miséricorde 63. Le prince d’Antioche est ainsi montré en pécheur qui
se repent, tout en rappelant sa condition de dépendance et d’infério-
rité vis-à-vis du basileus. On retrouve d’ailleurs, sur le plan des gestes
et du corps, cette double dimension imposée par le même basileus
SI

d’une nudité partielle (tête, pieds, éventuellement bras jusqu’aux


SM

coudes) et de la corde au cou, dans les contacts avec les princes hon-
EL

grois, puis serbe 64. Ils administrent la preuve que ces gestes forts ne
-E
D
IZ

sont pas réservés aux seules rencontres avec les Latins, et prennent le
IO

sens, comme en 1159, d’une «mise à mort symbolique du coupable»


N
ID

assurant «vengeance et rétablissement de la majesté blessée» 65.


EL
G
AL
LU
ZZ

Conclusions
O

Les gestes de la première rencontre diplomatique à l’époque des


Comnènes se lisent relativement facilement dans les sources dont
l’historien dispose. Ils sont polysémiques quoiqu’ils témoignent en
premier lieu, et logiquement, de la volonté de puissance et de supé-

qu’aux genoux et aux coudes, et qu’il a incliné sa tête face au basileus: vers 11-
18; voir aussi ibidem, 78-81 (Poem 9); ailleurs, Renaud peut y être décrit comme
tenant les brides du cheval de l’empereur: ibidem, 134-35 (Poem 10).
62. Cf. Drocourt, «Activités diplomatiques», 174-78.
63. J.-M. Mœglin, «‘Performative turn’, ‘communication politique’ et rituels
au Moyen Âge. A propos de deux ouvrages récents», Le Moyen Âge, 113, (2007),
393-406, ici 403; Id., «Le christ corde au cou», dans La dérision au Moyen Âge.
De la pratique sociale au rituel politique, Paris 2007, 275-89.
64. Jean Kinnamos, 245 et 287-88.
65. Mœglin, «‘Performative turn’», 403.

130
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

riorité des basileis sur leurs hôtes. En ce sens, ils s’inscrivent dans la
continuité des gestes davantage décrits dans les textes normatifs
grecs du Xe siècle. On notera ainsi la volonté de maintenir la taxis
impériale: l’ordre prévaut tant dans celui des gestes précisément, que
dans la manière dont les témoins sont présents et placés auprès des
empereurs. La question du placement vaut aussi pour l’hôte
accueilli, et elle pèse souvent lourd dans le rapport de forces qui
s’instaure. Il est nécessairement favorable à l’empereur avec l’usage
d’un geste ancien, la proskynèse, signifiant tant la majesté impériale
que le rôle de lieutenant de Dieu sur terre dévolu aux basileis.
Assurément, ces gestes précis ne sont pas sans poser des pro-
blèmes, des réticences et, partant, peuvent conduire à des adapta-
tions. D’une certaine manière, la cour impériale sait se montrer plus
souple et modifier s’il le faut certaines normes protocolaires, comme
la réception d’Amaury Ier de Jérusalem le suggère…mais elle n’est
pas la seule. L’historiographie moderne a souvent noté que l’empe-
SI

reur d’époque des Comnènes devient plus accessible que ses prédé-
SM

cesseurs, notamment macédoniens 66. Il est vrai aussi qu’il se déplace


EL
-E

souvent pour des raisons militaires, ce qui n’empêche pas de le ren-


D
IZ

contrer dans ce cadre: sans y renoncer à des gestes fondamentaux –


IO

comme la rencontre de Déabolis en 1108 en témoigne – le cadre


N
ID

moins pesant d’une tente a pu jouer en faveur d’une gestuelle moins


EL

figée et plus spontanée. Trop de spontanéité mène toutefois encore


G
AL

à des formes de transgressions du protocole, lisibles dans les témoi-


LU
ZZ

gnages grecs comme latins. Ils démontrent que le basileus n’est pas
O

toujours cette figure hiératique vissée sur son trône, encore plus
lorsque les rencontres se déroulent en marche et qu’il est à cheval 67.
Enfin, au-delà d’une posture de supériorité de l’empereur, sou-
vent louée par ses panégyristes et qui passe par des attitudes et des

66. Malamut, Alexis I er, 175-78; Shepard, “Father” or “Scorpions”?, 91-93; Car-
rier, L’autre chrétien, 124-26, 196-98, voit un cérémonial globalement moins
rigoureux qu’auparavant, et moins d’intransigeance protocolaire dès le règne
d’Alexis Ier.
67. Au Latin qui s’assied subrepticement sur le trône d’Alexis aux Bla-
chernes font écho diverses entorses lors de l’accueil et du séjour de Baudoin III
de Jérusalem à Antioche, début 1159, souvent traité par les historiens récents –
accueil marqué aussi par beaucoup d’honneur reconnu à ce roi: cf. E. Jeffreys
et M. Jeffreys, «A Constantinopolitan Poet», 135-36, vers 183-96 (Poem 10); Car-
rier, L’Autre chrétien, 124-26, 142 et 194-96; Anca, Herrschaftliche Repräsentation,
46-49, 51-52, 68-69, 72 et 117-18.

131
NICOLAS DROCOURT

gestes singuliers – tant de ce dernier que de ses hôtes – il convient


sans doute de souligner l’adaptation de la cour aux pratiques et aux
gestes qui, à l’origine, ne semblent pas de son usage. L’empereur se
fait plus visible et accessible, mais il devient aussi tangible, en sui-
vant des gestes qui ont cours en Occident latin. Certes le baiser de
paix existe à Byzance avant les Comnènes 68, mais il ne devient
régulièrement attesté sous cette dynastie, précisément lors des ren-
contres officielles avec les puissants d’Occident. Il en est de même
pour la pratique du toucher par la main et des mains jointes, étroi-
tement associée en Occident aux engagements de fidélité ou de
vassalité, ou encore pour l’office de maréchal. À ce titre, donc, les
Comnènes ont su faire preuve d’adaptation et de réalisme dans leur
gestuelle diplomatique.

ABSTRACT
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Nicolas Drocourt, Diplomatic Gestures at the Comnenian Court


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As far as diplomatic contacts at the imperial court of Constantinople are


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concerned, there was a wide variety of gestures made by the actors of these
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official encounters. For the tenth century, historians can rely on the precise
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descriptions made by the famous De cerimoniis. These gestures seem to


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follow a rigourous order, notably during the very first official encounter
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between foreign embassies and the basileis. Some are particular and have
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remained famous, such as the proskynesis or prostration. Nevertheless, two


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centuries later, at the time of the Comnenian emperors (1081-1185), a


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period which is being examined in this study, modern scholars miss such a
document. Such significant gestures are mentioned in narrative sources –
be they Greek or Latin – in such circumstances. Of course, the proskynesis
is still in use. It concerns each official visitor facing the emperor, either in
the Blachernae or the Great palace in Constantinople, or in the camp of
the basileus if the latter is leading a military campaign. A single word refers
to different movements. The gesture can range from full prostration to a
simple movement of the head. In all circumstances, it illustrates both the
respect of the taxis (order) and the superiority associated to the Byzantine
sovereign. This last point leads to another observation. Face to the emperor,
the exact positioning of the diplomatic guest is often very significant. It is
logically close to another delicate aspect of these encounters: the position

68. N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IX e et X e siècles, Paris


1972, 206-7.

132
LES GESTES DE LA DIPLOMATIE À LA COUR DES COMNÈNES

of sitting down or the one of standing up. Some cases reveal thus the strate-
gic stakes of these encounters and even illustrate the geopolitical ratio of
power. At the end of the article, a special attention is devoted to the pres-
ence of John II and Manuel I Komnenos in Antioch. As we interpret it,
their presence was characterised by some highly humiliating gestures tar-
geting the Latin princes of this city.
Nicolas Drocourt
Université de Nantes
nicolas.drocourt@univ-nantes.fr
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