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Histoire de l’art : Renaissance

Cours de M. Saladé

« Symbolique de la Vierge et de la Rose mystique dans la


peinture de la Renaissance ».

Delattre Fantin - STYLISME B2 ENSAV de La Cambre

Soutenu le 10 janvier 2023


Remarquable, la rose représente l’achèvement, l’accomplissement sans défauts de la beauté
terrestre. Lotus de l’Occident, reine des fleurs, elle se dispute son titre avec la pivoine chinoise.

Selon le mythe gréco-latin, la rose fut créée par Chloris. Trouvant le corps inanimé d’une
nymphe bien-aimée, la déesse fit de sa chair la plus belle des fleurs. La nymphe fut graciée par les
dieux et Aphrodite lui accorda la beauté éternelle, Dionysos lui offrit le plus doux des parfums puis
les trois Grâces l’ornèrent de joie, charme et éclat. Dans l’Allégorie du Printemps, Sandro Botticelli
dépeint en 1482 la métamorphose de la déesse comme un changement de nature. Chloris, dont l’âme
pure est prisonnière du froid de l’hiver et poursuivie par Zéphyr, se transforme, de par le viol du
vent chaud et humide, en Flora. Pandemos, elle devient beauté terrestre et victorieuse, remplissant le
monde d’harmonie en semant les fleurs. Nulle surprise que dans l’interprétation du peintre, la déesse
se pare de guirlandes de roses, protectrices de la vie qu’elle porte en elle et qu’elle sème sur terre.

Dans la tradition chrétienne, la rose s’associe à Marie. Cette dernière est même désignée rose
des roses, fleur des fleurs, femme parmi les femmes. La Vierge est à la fois symbole de la natalité,
d’une figure divine et d’un nouveau monde ainsi garante de la beauté la plus pure, Vénus
réincarnée. La Vierge est rose sans épines, sans défaut, tombée du paradis céleste. Elle est aussi rose
du Carmel, fertilisant par la prière le désert d’Israël, sans laquelle il s’aurait vu recouvert de ronces.
La fleur désigne également la coupe contenant le sang du Christ et au nombre de cinq, les roses
rouges renvoient à l’image des cinq plaies du Christ. Sur les symboles rosicruciens, la rose repose
au centre du crucifix comme la plaie fatale du Christ, sur son cœur. Pour finir, Jésus porte lui-même
une couronne d’épines lors de sa mise à mort, tout comme la ronce du rosier.
Au Moyen-Âge, on décore les statues de Marie de couronnes
de fleurs. Naît ainsi la tradition du rosaire ; dévotion mariale de récitations de chapelets. Notre-
Dame du Rosaire devient une autre dénomination de la Vierge. On offre une fleur comme cadeau à
la Sainte, tradition qui plus tard, deviendra celle des fioretti (de florilège) et autres petits actes de
dévotions. La rose s’incruste même dans l’architecture des plus grandes cathédrales puisque les
églises gothiques se parent de rosaces de pierre et de vitraux, dont Marie, glorifiée, est souvent le
centre. La rose des vents marque le passage de la fleur au symbolisme de la roue. La Vierge est
associée à la rose vermeille, comme l’illustre parfois la couleur de son manteau. La Vierge devient
enfin Rose mystique, symbolisant la grâce de Dieu en la plus belle des fleurs, toutefois cachée pour
nous dans son corps. Cette appellation, de l’ordre spirituel trouve ses origines au XI ème siècle déjà
par Saint Bernard qui qualifiait la Sainte de « fleur des fleurs, Rose mystique, rose de Saron, rosa
sine spina, rose de Jéricho ». Déjà des statues de Vierge à la rose émergent, comme en témoigne la
Madonne d’Ardigino de Bustis. La statuaire, ronde -pour pouvoir l’observer de tout côté- met en
scène la Vierge tenant un mince bouquet de roses et l’enfant comme raccroché à la coiffe de sa
mère. En plus du bouquet, le socle présente une inscription et est orné de quatre roses aux pétales
différents, reflétant les étapes de sa floraison.
Au XVIème siècle, Marie est évoquée comme Rose
mystique dans les Litanies de la Sainte Vierge (dont litaniae virginis mariae fut la première version
en 1531). Plus connue sous le nom de Litanies de Lorette, l’ensemble de prières liturgiques
comprend des paroles récitées ou chantées, telles que « Rose mystique, mère de jésus, reine du Saint
Rosaire et mère de l’Eglise, (…) Ave Maria ». La reine des fleurs pour la reine du ciel et de la terre, c’est la
rose qui lui revient de droit. Un épisode des apparitions de la Vierge raconte qu’elle serait descendue portant
trois roses, chacune signifiant des vertus de son culte : la rose blanche exprime l’esprit de prière, pure et
vainqueuse des ténèbres, la rouge désigne la réparation et le sacrifice, le reflet du sang du Christ mort pour

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l’homme sur terre, effaçant les fautes et péchés, et la rose dorée, elle, incarne d’une part la pénitence, d’autre
part, l’amour et la paix triomphant sur toute haine. A elles trois, les trois roses composent le mystère de la
beauté mariale. « Rosa mistica par ses trois roses enseigne aux hommes le message divin : que seuls prière et
sacrifice sauvent l’humanité́ de l’éternel malheur ! ».

Naturellement, la Renaissance voit, par son retour aux iconographies antiques et ses innovations
techniques et figuratives une diversification des représentations mariales. La Dame du Ciel est autant
représentée comme icône religieuse et sainte, que nouvelle incarnation de la Vénus antique et mère nourricière
de l’enfant né. En 1399, Pietro di Giovanni Tedesco sculpte pour une des niches de l’église Orsanmichele de
Florence, une madone , au bouquet discret de roses tendu vers l’enfant Jésus. En plein gothique international,
la statue annonce déjà un attrait pour l’imitation romaine et un certain réalisme, précursant les débuts de la
Renaissance du Quattrocento. Au cours du XVème siècle, ce sont des vierges placées
dans des jardins de roses, roseraies qui feront le sujet de plusieurs artistes. Toujours dans un style gothique
international, Stefano da Verona peint un tempera Madonna del roseto entre 1420 et 1435. Notons que
l’attribution est aussi contestée à Michelino da Besozzo. Le peintre place en tout cas la Vierge aux côtés de la
torturée Sainte Catherine d’Alexandrie, toutes deux couronnées. Suspendues dans un hortus conclusus (jardin
clôturé), les figures flottent parmi les roses, symboles de virginité alors que des paons, pour l’immortalité,
virevoltent aux côtés des anges.
Au nord de l’Europe aussi, les vierges se parent de fleurs. Chez Van Eyck en arrière-
plan (Vierge à la fontaine, 1439), chez Lochner blanches et rouges (Vierge aux buissons de roses, peinture à
la détrempe de 1440). Schongauer, un des peintres et graveurs allemands les plus célèbres d’avant Dürer (qui
lui mit en scène la Vierge célébrée pour la fête du rosaire) poursuit, la tradition de l’iconographie de l’hortus
conclusus liée au symbolisme de la rose mystique. Maintenant conservée dans l’église des dominicains de
Saint Martin à Colmar, son retable sur bois Vierge aux buissons de roses présente une vierge contemplative
dont la robe est accordée à la couleur des fleurs. La représentation picturale tend vers un naturalisme et une
allure plus antique, contrastant pourtant au fond d’or et composition toujours gothique. La Rose mystique,
familière à une minorité cultivée du XV ème siècle, évoque le mystère de l’Immaculée Conception. Cette
doctrine affirme que la Vierge, à sa conception, est exempte du péché originel hérité par les hommes depuis
Adam et Ève, plaçant la Vierge « sans taches », en tant que mère du Christ, préservée par Dieu depuis le
ventre de sa mère Sainte Anne. Le thème du jardin clos puise son origine dans un des livres de l’Ancien
Testament. Dans un passage du Cantique des cantiques (4, 12 de la Vulgate), on y trouve ces mots : « le
jardin clos est ma sœur, ma fiancée ; le jardin clos est une source scellée  ». Cette source scellée -fons
signatus- se réfère à un autre mystère de Marie, sa pureté virginale. La Vierge de Martin Schongauer, qu’il
place adossée sur un treillage au rosier, associe ainsi ces deux mysticismes complémentaires. Le choix d’une
végétation développée permet aussi au peintre de remplacer une part du fond doré pour s’éloigner de la
tradition byzantine puisque sous l’influence de l’esthétique novatrice de la Renaissance italienne plus
qu’émergente à cette période.

En Italie, des exemples remarquables du Quattrocento alimentent le culte de la Vierge à la rose. Nous
voyons des Madones à la rose au début du XV ème ; tel que la Madonna del romitorio (signifiant thébaïde,
ermitage ) du maestro di Sant’Ivo. Comme la Madone sculptée de Giovanni Tedesco, la rose se limite à une
fleur discrète, ici blanche et tenue dans la main de l’enfant Jésus. À l’expression tendre, le peintre rappelle au
fidèle que même divin, l’enfant partage des sentiments innocents, communs à l’enfance vécue par n’importe
quel autre nouveau-né.
Andrea del Verrocchio choisit aussi de représenter la Sainte en utilisant plus subtilement la rose. Sa
Madonna del latte, peinte aux alentours de 1467-1469 se réfère toujours à l’hortus conclusus mais par une
barrière de marbre placée en arrière-plan. La scène choisie nous montre la Vierge s’apprêtant à allaiter son

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enfant. Deux angelots sont présents autour du Christ, l’un portant une tiare fleurie. D’ailleurs, Botticelli
reprendra cette exacte composition pour sa Madonne à l’enfant et deux anges. Une autre Madonna del latte
d’attribution incertaine à Ambrogio da Fossano est une splendide peinture à la détrempe et or sur bois datant
de 1490. Montrant avec grâce la scène d’allaitement, la peinture synthétise les progressions apportées par la
première renaissance. Le peintre représente en arrière-plan un paysage rural typiquement lombard en
perspective. Au second plan un treillis de rosiers crée un espace intime dans lequel la Vierge peut offrir son
sein à l’enfant. Combiné à une expression paisible, la scène, comme suspendue fait voir une Marie maternelle,
à la fois paysanne, par ses vêtements et reine divine irradiée de lumière. Le naturalisme des traits et les détails
anatomiques font assister à une scène sortie d’un quotidien semblant réel, baigné par une lumière blanche
gracieuse et un halo doré sur lequel s’inscrit les mots « béni soit le ventre qui t'a porté et les seins dont tu as
sucé ». Le peintre, par ce portrait singulier affirme l’universalité de l’amour et par un regard complice de
l’enfant nu au spectateur annonce son destin rédempteur, en plus de toucher par son choix de représentation la
réalité physique humaine.
Botticelli lui aussi ne dénigra pas la Vierge en Rosa mystica. Passé l’allégorie du Printemps où il
explora le mythe de Chlorys, il peint une Vierge à la roseraie, tempera sur bois vers 1470. Marie, sous une
loggia est représentée vêtue de rouge et bleu offrant une grenade à l’enfant Jésus. Le fruit représentant l’union
du fidèle (la graine) avec l’église (l’écorce). La roseraie encadre en arrière-plan sa figure pensive. D’un fort
contraste, l’influence de Verrocchio est encore forte dans la composition de l’artiste, dont il a fréquenté
l’atelier. Malgré une certaine incertitude architecturale, les damiers du sol contribuent à un effet de
perspective.

L’esthétique renaissance atteignant toute l’Europe, nous voyons autant les maîtres flamands déjà
évoqués que des gravures allemandes intégrer la rose dans leurs compositions (Vierge sur un banc, Hans
Wechtlin, 1510). De fait, les grands maîtres du Cinquecento l’intégreront également dans des portraits
toujours plus antiques et réalistes, parfois aux paysages fantasmés et au sfumato aux contours effacés, repris
de Léonard de Vinci. Bernardino Luini en 1510 peint pour la chartreuse de Pavie sa Vierge à la roseraie.
L’artiste porte l’attention aux détails aux plantes de l’hortus conclusus, héritant du naturalisme lombard du
gothique tardif. La Vierge devant ce treillis, rappelle les portraits de de Vinci. La figure est douce, presque
effacée, l’extrême douceur de la mère se porte vers son enfant, lequel tend la main vers un vase, mystique lui
aussi repris des Litanies de la Lorette.
En 1517, c’est Raphaël qui utilise la rose, bien qu’ajoutée, dans sa Sainte Famille avec le petit Saint Jean-
Baptiste. L’huile sur bois, d’une composition encore très florentine traite la simplicité des formes avec une
gamme chromatique précise et une lumière restreinte, rendant l’aspect intime et mélancolique.
Du côté de l’école vénitienne, Tiziano Vecellio (Titien) peint dans les années 1530 sa
version de Madonna della rosa. Sa composition reprise de Bellini, un rideau s’écarte pour laisser
voir l’enfant San Giovannino offrir la fleur mariale à la vierge et au Christ. Derrière la scène, l’autre
Saint se confond avec le fond du rideau alors qu’il dévoile un paysage rural à sa droite.

Pour conclure, durant ces deux siècles, la production de vierges à la rose fut la plus
abondante, représentée de différentes manières. Le thème restera tout de même récurrent tout au
long du XVIIème siècle (nature morte aux symboles de la Vierge, Dirk de Bray 1672 / Sainte Rose de
Lima devant la Madonne, José Claudio Antolinez, deuxième moitié du XVII ème) pour s’étoffer et
devenir plus sporadique par la suite. En l’occurrence, son culte subsiste par ses fervents fidèles dont
certains encore aujourd’hui, disent sentir des odeurs de rose lors de pèlerinages liés à la Vierge.

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Galerie

Paraphrase des Litanies de la Lorette par un Serviteur de Marie, première édition 1780, Bibliothèque
les Fontaines, Chantilly

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Retable ; Vierge aux buissons de roses de Martin Schongauer 1473

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Madonna del Latte, Ambrogio da Fossano ? 1490

7
Vierge à la rose, Raphaël, 1518

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Sitographie

Vidéos :

YOUTUBE Sir David Willcocks “A ceremony of carols, Op.28 III. There is no rose, Benjamin Britten 1942” IN
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BERGAMO NEWS.it Accademia Carrara “La Madonna del Latte l’anonimo autore cede il passo all’incantevole
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pittura/388058/ consulté le 02/01/23

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