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L’Allégorie de la Foi de Vermeer

Dans sa définition la plus classique, l’allégorie est une figure rhétorique permettant
d’évoquer une chose abstraite à partir d’une chose concrète. Étymologiquement, le terme
«allégorie» provient des deux mots grecs que sont «allos» renvoyant à «autre» et «agorein»
signifiant «parler». En d’autres termes, il s’agit à la base d’« un procédé littéraire selon lequel, en
parlant d’une chose, on parle d’autre chose ». 1

En peinture, la définition s’applique de la même manière, et l’allégorie était un genre


particulièrement valorisé pendant la Renaissance, et encore plus pendant le 17e siècle Baroque.
André Félibien, le théoricien de l’Académie Royale Française de Peinture et Sculpture, la plaçait
au-dessus de la peinture religieuse dans la hiérarchie des genres, parce qu’elle était définie
comme traitant les plus sublimes et les plus excellents sujets. Toute fois, elle peut aussi être
indiquée comme trans – générique, étant donné qu’il peut y avoir des natures mortes à valeur
allégorique, voire les Vanitas, des portraits à valeur allégorique, et même des scènes de genres -
allégories.

Dans l’œuvre du peintre hollandais Johannes Vermeer, par exemple, il y a au moins deux
allégories intégrées dans le genre de la peinture de vie quotidienne, qu’il a dressé au rang de
grand art, par toute son œuvre. La première c’est «L’Art de la peinture» et la deuxième c’est
«L’Allégorie de la foi», bien que Daniel Arasse suggère qu’on pourrait éventuellement voir une

1
Aron, Saint-Jacques, Viala, 2010, p.10
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allégorie déguisée même dans « La Leçon de musique», entre autres à cause des effets de
cadrage qu’elle comprend (les seules autres scènes d’intérieur par Vermeer dans les quelles on
voit a la fois le sol et le plafond, en dehors de la « Leçon de musique », ce sont les deux
allégories reconnues comme telles).2 Entre ces deux dernières, si «L’Art de la peinture», qui a été
créé environ 1667, est considéré comme une chef d’œuvre absolue du maitre, «L’Allégorie de la
foi», qui date depuis vers 1674 (elle mesure 114 X 89 cm, et se trouve à présent au Metropolitan
Museum of Art de New York), donc de la période juste avant sa mort, a été souvent décrite
comme un signe de son déclin, un tableau ou «rien ne fonctionne plus», ou même la figure
centrale semble déplacée dans le répertoire du peintre. En plus, «son imagination s’est tarie, sa
main s’est affaiblie, (…) il laisse son pinceau se surcharger, se ferme sur le monde extérieur et en
vient à nous décevoir»3        

La peinture est encadrée à gauche par le même épais rideau de théâtre tiré, qui dévoile
aussi «L’Art de la peinture», et le dallage de la chambre est le même; sur le mur derrière le
personnage, où, dans la toile antérieure, se trouvait la carte, il y a une reproduction modifiée du
«Christ en Croix» par Jacob Jordaens. La femme, assise sur une sorte d’estrade, couverte d’un
tapis vert et jaune, est vêtue d’une robe blanche et bleu, tient sa main droite sur son cœur, en
signe de foi ardente, et a le regard fixé sur la sphère noire et luisante qui pend du plafond, au
bout d’un ruban bleu. Le bras gauche repose sur une table, où se trouvent une Bible ouverte, un
calice et un crucifix d’ébène; on voit le crucifix sur le fond d’un panneau de cuir doré, et le calice
– sur le fond du cadre noir de la toile de Jordaens. Le pied de la femme s’appuie sur un globe
terrestre par Jodocus Hondius (le seul connu a l’époque, et qui a été représenté aussi dans
«Le géographe»), comme pour symboliser la victoire de la foi chrétienne dans le monde.
Sur le dallage, en face de l’estrade, on peut voir une pomme, signe du péché originaire, et
un serpent écrasé par une pierre angulaire, qui symbolise le Christ (terrassant la mort).    

Vermeer a pris presque tous les composants du tableau de «L’Iconologie» de Cesare Ripa,
qui avait été traduit en néerlandais en 1664, bine qu’il y ait des éléments changés par rapport aux
images de la foi que Ripa répertorie.

2
Arasse, 1993, p. 70

3
Cabanne, 2004, p. 235
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Si la couleur des vêtements du personnage, le blanc de la pureté et le bleu du ciel, sa
posture, la présence du calice, du serpent écrasé et de la pomme viennent directement de
«L’Iconologie», l’orbe pendu du plafond est repris d’un emblème de l’auteur jésuite Willem
Hesius, et signifie «l’immensité de l’âme humaine des lors qu’elle a la Foi»4.

Aussi, au lieu de représenter la Foi tenant le calice, et avec une main posée sur le livre
ouvert, comme dans la description de Ripa, Vermeer place ces attributs près du crucifix, comme
pour «suggérer de façon symbolique le rôle de l’eucharistie pour relier le monde matériel et le
monde spirituel»5. En plus, tandis que Ripa fait allusion a l’histoire de Abraham et d’Isaac
comme symbole du triomphe de la foi, Vermeer remplace cette préfiguration du sacrifice du
Christ, tirée de L’Ancien Testament, par la «Crucifixion» appartenant a Jordaens, d’où il élimine

4
Arasse, 1993, p. 175

5
Broos, Wheelock Jr., 1996, p. 192
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néanmoins, pour des raisons compositionnelles, la figure de Marie Madeleine et le personnage
figuré sur une échelle, derrière la croix6.

Il a été suggéré, même s’il n’y a pas vraiment des preuves pour cela, que Vermeer a
réalisé ce grand tableau pour un riche mécène catholique, ou pour l’ordre des Jésuites à Delft.
L’insistance des jésuites sur la prière dans l’intimité de sa maison pourrait expliquer la décision
de Vermeer de situer l’allégorie dans un intérieur d’habitation, mais un des critiques
fondamentales qu’on a formulé par rapport à la toile c’était que «la pose (affectée) extatique de
la femme et le serpent écrasé sont incongrus dans cet intérieur hollandais» 7, et d’ailleurs, on
pourrait rajouter, dans l’ensemble de l’œuvre de Vermeer. Pour le spectateur soussigné, c’est
cette « incongruence » même qui ouvre les sens de l’œuvre. La pose «affectée», si elle n’était pas
habituelle dans les peintures hollandaises du temps, était pourtant souvent utilisée dans les
tableaux italiens, surtout ceux de Guido Reni, que Vermeer connaissait bien 8. Cela va pousser un
théoricien comme Benjamin Binstock à affirmer que la toile de Vermeer n’était pas une ode a la
foi catholique, comme généralement considérée, mais par contre, une ironie très fine et très
pointue à son égard. L’auteur base cette hypothèse sur plusieurs faits: Vermeer avait renoncé a
représenter des sujets catholiques très tôt après le final de son apprentissage chez le peintre
catholique Abraham Bloemaert d’Utrecht, et après y avoir conçu les toiles «Sainte Praxède» et

6
Arasse, 1993, p. 55

7
Broos, Wheelock Jr., 1996, p. 195

8
Broos, Wheelock Jr., 1996, p. 193
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«Jésus dans la maison de Marthe et Marie» (on peut en déduire que son attachement au
Catholicisme était tout simplement de circonstance, précisément la circonstance de son mariage).
Le modèle du tableau est affirmé avoir être sa belle mère Maria Thins qui, si elle abritait chez
elle le couple Vermeer et tous leurs enfants, était en même temps tyrannique et matérialiste (un
peu probablement comme le catholicisme par rapport aux protestants)9. Dans un tel contexte, la
pose affectée de la Foi, son pied littéralement pesant sur le globe terrestre, et l’insertion presque
absurde de tous les symboles catholiques mentionnés en dessus dans l’intérieur du décor habituel
du peintre, qui est l’intimité de la demeure protestante, ne pouvait être qu’une réponse très
audacieuse et subtilement moqueuse a une commande que l’artiste n’avait peut-être aucun désir
d’honorer, bien qu’il soit forcé par sa situation sociale. La théorie, quoiqu’un peu trop fantaisiste
et risquée, semble néanmoins soutenable, et, en tout cas, élimine l’idée de l’affaiblissement de
l’art du peintre, dans la dernière part de sa vie.

Plus élégante et plus argumentée, la lecture que fait Daniel Arasse du tableau affirme que
c’est, au contraire, l’expression d’un catholicisme fondamental, dans l’esprit, si non dans la
lettre. L’interprétation s’appuy sur le traitement que Vermeer applique aux ses sujets, protestants
par excellence, mais qui semble faire preuve d’une croyance dans l’union de l’invisible, du
transcendantal, avec le visible, dans l’image peinte. Si le protestantisme rejet l’idée de
l’utilisation de l’image dans la méditation religieuse, ainsi l’idée que l’image peut comprendre
l’essence divine de la réalité, la peinture de Vermeer en ensemble, et spécialement cette dernière
«Allégorie de la Foi», est construite sur l’approche catholique du thème. Le personnage de la Foi
est placé donc dans le décor d’une demeure hollandaise pour évoquer la pratique des «églises
cachées» qui, aménagées a l’intérieur de bâtiments laïcs, étaient le lieu de culte forcé des
catholiques a Delft. En plus, élaborer une allégorie au sein du genre le plus actuel de la peinture
en Hollande, la scène d’intérieur, était aussi, en quelque sorte, repenser la théorie même des
genres. Mais l’aspect le plus original et significatif que Arasse semble identifier dans le tableau,
c’est le traitement de l’orbe représentant l’âme croyante, où il insert aussi une image du rôle de
l’artiste. Il n’y représente pas le reflet du peintre dans son atelier, qui est d’habitude présent dans
ce type de globe, quand le motif possède la signification de Vanitas, et il omet aussi la réflexion
de la Croix, prévue dans l’emblème du Père Hesius, bien que il ait peint, sur la sphère, le reflet
9
Binstock, 2009, p. 117
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d’une fenêtre a meneaux, ce qui lui aurait offert un bon moyen de la figurer, et de suggérer ainsi
le Christ Salvator Mundi.10 Par contre, il peint dans l’orbe cette fenêtre en partie ouverte, en
partie fermée, réglant l’intensité de la lumière selon la volonté du peintre. Le clair-obscur dans ce
tableau est le plus contrasté de Vermeer, et il contribue au contenu religieux de la toile. Dans
cette lumière, dont il est le créateur souverain, le peintre n’est pas visible: il est absent du monde
qu’il donne à voir. «Il est comme le Dieu chrétien, invisible dans le monde visible qu’il a créé de
son amour, qu’il éclaire de sa lumière, et qui devient la figure vivante de sa mystérieuse et
incommensurable présence»11.

Ioana Tataru, No. 15606052

ERASMUS FAD TIMISOARA, Histoire et théorie des arts

Les genres picturaux - B, avril 2016

10
Arasse, 1993, p. 176

11
Arasse, 1993, p. 178
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