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LA REPRÉSENTATION DU "JUGEMENT DERNIER"

DANS L'ART MÉDIÉVAL DE L'ORIENT ET DE L'OCCIDENT

ELLY YOTOPOULOU-SISSILIANOU

L'élément du "Jugement Dernier" est parmi les éléments fondamentaux


de la Religion Chrétienne et l'Art Chrétien l'a représenté déjà très tôt.
Ce qui fera l'objet de notre examen sera le fait de savoir sous quelle
forme apparaît principalement ce thème en Orient et en Occident au cours
des siècles où sa représentation est dorénavant consacrée, soit aux 1 lième
et 12ième siècles.
La représentation iconographique du "Jugement Dernier" s'est défini-
tivement fixée entre le 9ième et le lOième siècle en Orient. Je voudrais
préciser qu'en disant 'Orient' j'entends bien certainement Byzance; pour-
tant je fais plus spécialement allusion au courant de Byzance dans lequel
a surtout prédominé l'esprit purement oriental qui s'est principalement
manifesté par l'Ecole monastique.
Cette conception orientale a formé la représentation définitive du "Juge-
ment Dernier" qui comprend comme élément de base le Christ-Juge do-
minant une représentation disposée par zones, entouré d'anges et d'Apô-
tres où trouvent leur place, après une 'psychostasie', les bienheureux et
les damnés et où des scènes d'horreur se déroulent dans l'Enfer.
Néanmoins, dans cette représentation qui se distingue par une multi-
tude de personnages et une variété d'épisodes, il y a deux points qui, dans
cet Orient où elle s'est formée, ont acquis une importance toute particu-
lière et ont remplacé en grande partie l'ensemble de cette représentation
pendant les siècles où elle fut consacrée, soit aux 1 lième et 12ième
siècles.
Ces deux détails sont la "Déisis" (Prière) et la "Préparation du Trône"
(Hétimasie).
La "Déisis", comme nous le savons, se compose de la figure du Christ
encadrée de la Ste. Vierge et de St. Jean Baptiste qui s'interposent
comme médiateurs auprès du Juge pour obtenir un Jugement clément en
faveur des hommes; quant à 1' "Hétimasie", elle est figurée par un trône
surmonté de l'Evangile, des symboles du martyre et souvent aussi de la
Colombe. C'est le trône sur lequel doit s'asseoir le Christ-Juge.
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La limitation du thème à ces deux représentations est intéressante par


deux points de vue. D'une part comme expression d'une certaine con-
ception et, d'autre part, d'un point de vue purement iconographique.
Il est caractéristique qu'au cours des 1 lième et 12ième siècles la repré-
sentation du "Jugement Dernier" est presque inexistante, du moins autant
que nous sommes en mesure de le savoir, dans les églises de la Grèce à
proprement dit, ainsi que dans celles des régions de Byzance où prévaut
l'Ecole de la Capitale influencée en majeure partie par l'esprit Hellénique.
Par contre, dans les églises de cette région qui ont pu être sauvées
jusqu'à nos jours, nous rencontrons fréquemment 1' "Hétimasie", ou
alors la "Déisis" qui devient très fréquente dans les siècles suivants.
Malgré le fait que l'on peut rencontrer la représentation du thème tout
entier dans des églises des 1 lième et 12ième siècles désignées comme
Byzantines il est fort caractéristique qu'il s'agit là d'églises en dehors de
Byzance, comme c'est le cas pour le dôme de Torcello, en Italie, et des
églises de Néréditsi, de Pskof et de la Vieille Ladoga, en Russie.
Il est, en effet, caractéristique que même dans les régions de Byzance
où prédomine la manière monastique Orientale mais dans lesquelles
l'Hellénisme compose la majorité de la population, comme cela est sou-
vent le cas en Cappadoce, on rencontre très souvent la "Déisis", fréquem-
ment aussi 1' "Hétimasie" et relativement peu de fois le développement
complet du thème.
La prédominance dans l'espace Byzantin des deux scènes séparées, soit
de 1' "Hétimasie" et de la "Déisis ' au cours des siècles pendant lesquels
la représentation du "Jugement Dernier" a été consacrée, ne parait pas
être l'effet d'un hasard.
Avec l'isolement de l'un ou de l'autre détail, la scène, perdant son
caractère réaliste, assume un caractère d'expectative: Expectative dans
1' "Hétimasie" où le thème s'idéalise avec la représentation symbolique de
l'imposant trône vide, mais expectative aussi dans la "Déisis" étant
donné que la médiation de la Ste. Vierge et de St. Jean se manifeste afin
que le Christ se montre indulgent dans son Jugement qui aura lieu à
l'avenir. Ici la possibilité de l'approche et de l'exercise d'influence par
l'entremise de la Ste. Vierge et de St. Jean comme médiateurs pendant
le moment décisif du Jugement du genre humain démontre une tendance
d'humanisation de la religion - tendance à laquelle le Christianisme fait
face dans l'environnement Hellénique.
Parallèlement, le caractère de l'expectative, en corrélation avec la foi
dans le rôle médiateur de la Ste. Vierge et de St. Jean, créent le sentiment
de l'espérance et, par conséquent, une manière optimiste d'affronter le
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Jugement qui n'a pas lieu ici, dans le "Dies Irae", mais qui est simplement
désigné comme "Deuxième Présence".
Du point de vue iconographique, la composition de la "Déisis" avec sa
représentation trimorphe, acquiert un équilibre architectural; la figure du
Christ au milieu avec les deux autres figures inclinées vers lui, forment
une composition achevée, bien balancée par une harmonieuse contre-
partie d'attitudes et avec un caractère de simplicité et le laconisme d'une
métope qui est en opposition avec le caractère narratif des représentations
par zones avec la multitude des figures qui caractérise la représentation
développée d'origine monastique orientale que nous trouvons également
en Occident.
L'idéalisation du sujet, ainsi que la sobriété de la représentation for-
ment, tant dans la scène de la "Déisis" que dans celle de 1' "Hétimasie",
l'expression figurative de la conception Hellénique de l'événement.
En Occident où, à la même époque (les llième et 12ième siècles) la
représentation de ce thème est consacrée et répandue d'une manière plus
générale d'abord par la peinture et, à partir du 12ième siècle, aussi par la
sculpture, nous trouvons ce thème développé par zones avec un caractère
narratif intense où la terreur du vide se répète selon la manière orientale
et où le caractère réaliste des personnages dans la représentation de
l'Enfer l'est de même, quoique souvent plus intense encore avec les
figures grotesques qui envahissent en général les églises médiévales de
l'Occident et qui jouent un rôle de terrorisation que le Clergé a intro-
duit, mais que le tempérament nordique était aussi plus disposé à ac-
cepter pour des raisons traditionnelles.
Le caractère inabordable de la Divinité se manifeste dans la représenta-
tion du "Jugement Dernier" où le caractère médiateur des figures qui en-
cadrent le Juge est amoindri précisément par le fait qu'il ne forme qu'un
détail dans l'ensemble. Par contre, l'invention des scènes d'horreur dans
la représentation de l'Enfer, établit l'impression de l'inévitable et l'effroi
des tourments éternels.
On mentionne souvent dans les Histoires de l'Art Byzantin que le thème
du "Jugement Dernier" (dans sa forme intégrale) est usité dans les églises
grecques. Ce fait est, jusqu'à un certain point, exacte, mais pour des
époques ultérieures et surtout pour ce qui concerne des églises post-
byzantines c'est à dire celles de la période de la domination turque. Et
sur ce point également l'explication peut être diverse.
Le thème du "Jugement Dernier" commence à apparaître, cependant
encore assez rarement, aux 13ième et 14ième siècles, c'est à dire à
l'époque de la conquête franque et du rétablissement partiel de l'Empire
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lorsque les moines avec le mouvement des Zélotes, et, par la suite, avec
celui des Hésychastes, acquièrent une puissance énorme et s'imposent au
reste du Clergé. Le mouvement des Hésychastes, ayant pour centre le
Mont Athos, gagne une masse de partisans et, à une époque difficile
et troublée comme le 14ième siècle, le Mont Athos devient un refuge,
comme l'est du reste la vie monacale en général. L'atmosphère qui est
créée avec la prépondérance de l'élément monacal, en conséquence du
climat tout entier qui caractérise Byzance au cours des derniers siècles
de son existence ainsi que certaines influences occidentales qui sont
assez précises dans d'autres manifestations de l'art, expliquent l'appari-
tion de la représentation du "Jugement Dernier" aussi en Grèce.
Néanmoins, nous devons arriver à la période post-byzantine, c'est à
dire à une époque où pas seulement les moines et les tendances occiden-
tales exercent une influence, mais, par surcroît, l'oppression émanant du
joug turc créa une conception pessimiste de la vie, pour que le thème du
"Jugement Dernier" devienne plus fréquent, en règle générale, dans des
églises d'origine monastique.

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