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ICONOGRAPHIE RELIGIEUSE

CM 11 – La Vie du Christ – La Passion

è G. Duchet-Suchaux, M. Pastoureau, La Bible et les saints, Guide


iconographique, Paris, Flammarion, 1994, 2006.

En Italie, le Voici l’homme, le portement de croix et la crucifixion sont les plus


représentées.

I- Ecce homo, Voici l’homme

« Voici l’homme » sont les paroles


prononcées par Ponce Pilate, procurateur de
Judée, à l’intention de la foule pour lui
présenter le Christ, le vendredi en fin de
matinée, au prétoire de Jérusalem.
L’évangile de Jean, Chapitre 19 cite ces
paroles de Pilate, « ecce homo », tandis que
les trois autres évangiles ne décrivent que les
divers moments du procès, sans ces mots ci, procès amenant à la crucifixion.

À ce moment, le Christ vient d’être flagellé, et porte les


effets avec lequel les soldats l’ont paré le jour du
couronnement d’épine. Il a donc pour attribut le manteau
pourpre et la couronne d’épines.
Dans l’évangile de Mathieu, chapitre 27, on trouve la
mention du sceptre roseau donné au Christ, complétant la
« pseudo panoplie royale » (couronne, manteau, sceptre).

Le mot « homo » nous révèle le cœur de l’épisode,


l’humanité du Christ dans sa condition la plus simple,
exhibée (ecce) au monde (inscription « ecce homo » qui
figure au-dessus du Christ sur le tableau).
Le Christ est fait homme, dans un corps de chair et
de sang, afin de sauver l’humanité ; est représenté le
moment d’acceptation du Christ de cette humanité et
son oubli de l’origine divine (fini le petit Jésus, pas
encore le Christ mort et sauveur). Moment charnière
entre l’incarnation et la rédemption.

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La phrase « ecce homo » a suscité le développement d’une iconographie


complexe et ambiguë, fondée sur l’étude d’E. Panofsky, dans « L’Ecce Homo de
Jean Hey », Peinture et dévotion en Europe du Nord à la fin du Moyen Âge, Paris,
Flammarion, 1997.
Les représentations de cet épisode sont rares jusqu’au XVe siècle, n’appartenant
pas au cycle de la Passion au Moyen Âge, ou à la Bible moralisée, ou encore le
Speculum humanae salvationis.
à Mémoire des saluts de l’Homme, fondé sur la
doctrine typologique [AT préfigurant NT], ouvrage
paru d’abord sous forme manuscrite, ensuite imprimé.

Speculum humanae salvationis.

L’épisode de l’Ecce Homo devient populaire dans l’art


du gothique tardif dans le nord de l’Europe. En Italie, il
faut attendre le XVe siècle, dont l’un des petits panneaux
au dos de la Majesté de Duccio.
En réalité, cet épisode représente plutôt la première
discussion entre Pilate et les accusateurs du Christ (pas
vraiment l’ecce homo).
Ce panneau de Duccio nous montre qu’il s’agit d’un épisode ambiguë, souvent
Duccio, Majestis. contaminée par d’autres moments de la passion qui
précèdent ou suivent immédiatement les paroles de Pilate.

À partir du XVe siècle, les représentations de ce thème se multiplient dans le


cadre de la dévotion privée. L’ecce homo deviendra un sujet prédominant en Italie,
surtout en Italie du nord.

Ø Mantegna, Ecce homo


Ce type d’image, destiné à la dévotion privée,
propose un tête à tête intime entre le Christ et le
spectateur.
Cette iconographie jour d’une grande faveur,
rapprochant le fidèle de la divinité, en mettant l’accent sur
l’aspect émotionnel au détriment de l’action.
Plusieurs éléments sont extraits de la scène narrative,
nous poussant à contempler la ou les figures principales.
On ne concerne que les éléments les plus significatifs du
A. Mantegna, Ecce Homo,
contexte. 1500, Paris, Musée
Jacquemart-André.

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Dans son article, Panofsky raconte les origines de représentation du Christ seul,
celles en rapport avec l’ecce homo.
Dans le dernier tiers du XVe siècle,
cette iconographie apparait, les peintres
la développent à partir du Salvator Mundi
et de l’Imago Pietatis (« homme de
douleur »).
Ils ont rajouté une couronne d’épines
au Christ bénissant du Salvator Mundi,
tout en ramenant à la vie l’homme de
douleur, en lui ôtant les signes de la Salvator Mundi. Imago Pietatis.
crucifixion.

Ø Solario, Ecce homo


Un bon exemple est offert par l’ecce homo d’Andrea
Solario, montrant bien l’influence directe du Christ bénissant
du Salvator Mundi.
Le geste de bénédiction est effectué regardant dans les
yeux du spectateur, tout en portant manteau pourpre,
roseau, couronne d’épine et traces de flagellation sur le torse
(attributs de l’ecce homo).
Les éléments provenant de l’Imago Pietatis sont jusqu’au
XVIe siècle celles qu’on rencontre le plus souvent (absence
du tombeau, mains croisées au-dessus du ventre, Christ en
vie), nous permet de différencier les deux iconographies.
Andrea Solario, Ecce Homo, Dans la majorité des œuvres, le Christ a les yeux baissés,
Modène, Galleria Estense.
peint en buste, de face ou de ¾.

Ø Titien, Ecce Homo


Dans l’Ecce Homo de 1548 de Titien, offert à l’empereur
Charles Quint, c’est un Christ de ¾ qui est représenté (assez
rare), aussi bien en figure seule que dans un contexte
narratif.
Le Christ est également montré avec les attributs qu’il
porte lorsqu’il est moqué par ses bourreaux (accoutrement
de souverain bafoué, manteau pourpre glissé, buste
musclé [lignée de Michel Ange]).
Sur le visage du Christ coule des gouttes de sang
provoqué par la couronne, et également par les coups Titien, Ecce Homo, 1548,
portés par le soldat. Madrid Museo del Prado.

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Dans ce tableau, on remarque l’absence du sceptre roseau, cas unique dans les
Ecce homo peint par Titien.
Ø Devotio Moderna
Ces représentations du Christ seul offrent au fidèle la possibilité d’entrer en
relation intime avec lui, entrer en médiation profonde, voir partager ses souffrances
(Saint-Bernard : « contemplez ma douleur, afin de voir votre propre douleur. Ce que
je souffre est l’image de ce que vous souffre »).

Il Faut aussi rappeler les De imitatione Christi, les imitations de Jésus, un ouvrage
anonyme attribué à Thomas von Kempen.
Dans ce texte, au cœur de la Devotio Moderna (succès à la
Renaissance), s’orientant vers la contemplation et la dévotion
privée, invités à partager personnellement aux souffrances du
Christ.
Le peintre invite le spectateur à participer à la scène par divers
procédés, comme ici sur ce tableau de Titien, ou un bâton est
abandonné sur les marches, tourné vers le spectateur, comme à
notre portée. Comme si nous étions causes de la souffrance du
Christ, qui se sacrifie pour l’humanité.
Titien.

Dans ce tableau de Cigoli, sur les parapets se trouve la corde


utilisée pour flageller le Christ, comme si le spectateur était invité
à la prendre (tout comme le manteau du Christ sur la balustrade),
faisant communiquer els deux espaces.

Ludovico Cigoli, Ecce Homo, 1607, Florence


Palazzo Pitti.

Ce tableau montre bien les rapports d’empathie que le


sujet représenté veut susciter chez le spectateur. C’est un
tableau dans le tableau, le spectateur représenté au premier
plan, regardant le Christ d’un air étonné et attristé.
Le Christ ne semble alors pas du tout appartenir à une
peinture, mais il parait vraiment vivant, simplement placé
derrière un parapet, regardant le dévot.

On remarque que dans beaucoup d’Ecce Homo italien, les


blessures du Christ sont très discrètes ou absence, en opposition des
artistes du nord de l’Europe. Dans un cas, le Christ souffre dans son

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corps, tandis que dans l’autre l’attitude et l’expression suffisent à traduire la douleur,
mettant en avant les souffrances morales et intimes.
Dans la Légende Dorée, Jacques de Voragine écrit « sa douleur fut universelle ».

II- Christ montant la croix

La montée du Christ au calvaire est très souvent représentée, à la suite de


l’histoire de la Passion. C’est dans cette partie que s’inscrit l’iconographie du Christ
portant la croix.
Comme dans le cas de la flagellation, et de l’ecce homo, ce sujet peut être
représenté dans un contexte narratif, ou de façon plus synthétique, ou encore isolé.

Contexte narratif. Contexte synthétique. Contexte isolé.

Il y a deux façons de créer une image dévotionnelle :


- Par soustraction (éduction du nombre de personnage d’une scène narrative :
Christ à la colonne, flagellation…) ;
- Pas addiction (ajout du nombre de personnages : présentation au Temple [<
La Madonna de Patsi]).

Ø Origine
L’iconographie semble avoir fait son
apparition à Milan au XVe siècle, où deux
modèles ont joué un rôle important : une
gravure Milanaise, présentant le Christ de ¾,
vêtu ; et un dessin de Léonard de Vinci, Christ
à l’épaule nue tournant sur lui-même pour
regarder le spectateur.
Même si la croix n’est pas présente, il est Gravure milanaise. Croquis Da Vinci.

évident que le dessin de Da Vinci est une étude préparatoire pour un Christ portant
la croix.

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La gravure milanaise comporte une inscription disant « Oh pécheur, casse la


dure pierre de ton cœur et regarde ton Christ bien aimé en train de porter la lourde
croix jusqu’au Mont Calvaire et souffrir une mort terrible pour le salut des
pécheurs ».

1. Soustraction
L’iconographie du Christ montant la croix est une soustraction. De la scène
narrative on peut passer à la scène iconique.

Selon l’évangile de Mathieu, chapitre 27, et de Marc, chapitre 20, le Christ fut
autorisé à garder ses vêtements lors de la montée au calvaire.

Ø Andrea Solario
Les deux origines ont également engendré
l’iconographie montrant le Christ en partie nue (la
première, il est habillé).
Andrea Solario a été l’un des élèves de Da Vinci, et
s’est inspiré de ses dessins pour sa propre
composition.
Il reprend la vision légèrement d’en haut, la tête du
Christ penchée sur l’arrière, regardant le spectateur
par-dessus son épaule.
Andrea Solario.

Ø Giovanni Bellini
Cette iconographie est populaire à Venise, ensuite reprise
par Bellini dont on connait une 12aine de copie alors que
l’originale est perdue.
La tête du Christ regarde le spectateur, s’inspirant de
Léonard ; mais les vêtements sont inspirés de la gravure
milanaise. Les blessures de la couronne d’épines ne sont pas
visibles, seule une larme est visible sur la joue du Christ.
Giovanni Bellini.

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Ø Giorgione
Ce tableau de Giorgione, considéré comme une
image miraculeuse, est encore inspirée de Da Vinci.
Le personnage de gauche exprime un dialogue
psychologique entre Jésus et le persécuteur, tout en
représentant un miroir entre ces deux personnages du
bien / mal, beau / laid… on insiste sur le fait que ce
bourreau soit laid, donc méchant.
Giorgione.

2. Addition
Si l’iconographie du Christ portant la Croix est un exemple de soustraction, elle
fait aussi l’objet de multiplication à partir de l’objet unique à mi-buste du Christ,
autour duquel apparait diverses figures à mi-buste.

Ø Bosch
Dans ce tableau de Bosch, on insiste sur l’opposition
entre le bien et le mal. La composition est coupée en
deux parties par la diagonale de la croix, dont le contre
exact est le front du Christ.
Ce type de composition fondé sur l’addition de
figures autour du Christ est plus fréquent dans le nord
de l’Europe, mais nous la retrouvons aussi en Italie,
notamment dans la gravure milanaise (cf. p.6).
Bosch.

Ø Lorenzo Lotto
Ce tableau offert par Lorenzo Lotto est l’exemple le plus
extraordinaire de ce type de composition ; un tableau surement
de dévotion privée (60cm * 60cm).
Jésus est entouré de ses tuteurs et interpelle le spectateur
avec son expression suscitant la pitié. La composition est assez
proche de celle de Solario, qu’il a peut-être vu lors de son
voyage à Milan. Il reprend également le détail de la gravure de
Lorenzo Lotto, Le Christ
Milan selon lequel le Christ a les cheveux tirés par le bourreau. portant la croix, Parsi,
Musée du Louvre.
Le cadrage est très original, donnant l’impression que la foule est bien plus
imposante que ce que l’on voit, et pousse à se concentrer davantage sur la figure
du Christ.

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Le tableau reprend l’inscription présente sur la gravure milanaise (cf. p.6), et la


renforce avec le visage grimaçant du bourreau.

Lotto a signé cette œuvre sur la croix, dans le bas droit. Seul le Christ peut lire la
signature dans le bon sens, transportant et la croix et l’artiste, présenté comme l’un
des pécheurs.

Ø Femme au tissu blanc – Véronique


Dans certains tableaux, une femme tenant un tissu blanc est présente.

Dans le tableau de Bosch, on voit que son visage


ressemble beaucoup à celui du Christ.

Il s’agit de Véronique, un personnage mentionné


dans l’évangile apocryphe de Nicodème au Ve siècle.
Pendant la montée au Calvaire, le Christ tombe
accablé par le poids de la croix, et une femme se penche
pour lui essuyer le visage. Alors, la face du Christ reste
miraculeusement imprégnée sur le tissu.

C’est un épisode qui


intervient dans la 6ème station
du chemin de croix,
commémorant la Passion du
Christ en 14 moments.

Véronique était l’objet d’une grande vénération populaire à fin du Moyen Âge,
et est souvent représentée aux XIIIe et XIVe siècle.

Elle est facilement reconnaissable, tenant toujours le voile


ave l’effigie du Christ.
Diverses églises affirment posséder un linge, présenté
comme le « vrai voile de Véronique », mais celui conservé au
Vatican est considéré comme l’original.
Une légende antique affirme que le voile de Véronique a
été transporté à Rome ; l’image du Christ prend même le
titre de Véronique, ou encore Sainte-Face.

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Ø Mandylion
La Sainte-Face est un élément important dans la retransmission de
l’iconographie du visage du Christ, censée transmettre les traits véritables du
Christ.

La physionomie de Jésus apparaissant au IVe siècle, s’est


affirmée vraiment à partir du VIe siècle lorsque commence à
arriver en Occident les reproductions des Mandylion, une relique
qui consistait en une pièce de tissu sur laquelle l’image du Christ
s’était miraculeusement imprimée du vivant du Christ, et selon la
légende imprimée par le Christ lui-même pour le roi d’Édesse.

Cette relique était arrivée à Constantinople, puis en France dans la Sainte-


Chapelle, avant d’être détruite en 1204.

C’est pour cette raison que Véronique est restée l’image authentique. Les
artistes ayant représenté le voile de véronique ont été conditionnés par cette
image, et ont tendance à la considérer comme un véritable portrait.

Ø Memling
Dans ce tableau de Memling, faisant partie d’un diptyque, les
rapports entre image et vie sont bafoués.
Le visage du Christ semble vivant, représenté comme un
véritable portrait.
Memling nous explique que dans son étude, même si le
visage semble réel, ne suivant pas les plis, il s’agit bien d’une
image imprimée sur un tissu.
H. Memling, Véronique, vers 1483, Washington, National Gallery.

Ø Van Eyck
Jan van Eyck a poussé un peu plus encore ce
processus, transformant ce visage en véritable
portrait, parfois même avec un buste.

Jan van Eyck, VeraLa Sainte Face,


Icon, 1440, Bruges,Bayonne, Musée
Groeninge Museum. Bonnat.

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III- Crucifixion

Le chemin de croix s’achève avec la crucifixion, dont l’iconographie est la


synthèse des différentes versions des 4 évangiles.

Ø Mantegna
Une fois arrivé sur le Golgotha (lieu
du crâne), le Christ est crucifié et les
soldats se partagent ses vêtements en
les tirant au sort. Au-dessus de la tête
du Christ est placé un écriteau, I.N.R.I
(Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum).

Mantegna, Crucifixion (prédelle du retable de Saint


Zénon), 1457 - 1459, Paris, Musée du Louvre.

Saint Mathieu affirme que sur le Golgotha, trois croix sont présentent (Jésus +
les deux larrons).
Saint-Jean lui ajoute que près de la Croix se tenait Marie, sa sœur Marie, et Marie
madeleine. Une fois Jésus mort, et qu’un soldat romain (centurion Longeant) frappe
Jésus d’un coup de lance, afin de vérifier qu’il est mort.
à La Vierge, Saint-Jean l’évangéliste et Marie Madeleine sont
toujours présents dans les représentations des crucifixions.
à Dans certaines variantes, Marie Madeleine est
remplacée par le donateur, et la croix est associé à
l’arbre de la vie et le pélican.
Au pied de la croix se trouve un crâne, faisant
référence au Golgotha et à la rédemption des péchés par le Christ
(élément récurent).

La prodigieuse éclipse de Soleil survenant au moment de la


mort est aussi un des éléments caractéristiques, comme dans ce
tableau, représentant Soleil et Lune sur le point de se croiser.

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Ø Lorenzo Lotto
Au cours du XVIe siècle, des compositions plus
articulées apparaissent, comme celle de Lorenzo Lotto.
On y retrouve tous les éléments de la crucifixion :
- Les ténèbres de l’éclipse en train de descendre ;
- La lance de Longeant guidant le regard vers le
Christ ;
- La Vierge, Saint-Jean, et Marie au premier plan ;
o Marie Madeleine entre le 1er et 2nd plan.

À gauche, un ange montre la Vierge évanouie au


commanditaire du retable.
La composition s’étale sur deux niveaux, avec d’un
côté la scène de la Vierge, proche du spectateur, et de
l’autre les trois croix isolées sur le fond du ciel.

Lorenzo Lotto, Crucifixion, ~1533 - 1534, Monte San Giusto, Santa Maria in
Telusiano.

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