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Histoire, lieu et espace

La renaissance, avec l’apparition de la perspective linéaire (appelée aussi ‘la


perspective albertienne’), va révolutionner la composition picturale et poser les
bases de la représentation durant la période de la Première Renaissance et ce,
pour les 5 siècles à venir, jusqu’à ce qu’au XXe siècle le cubisme et l’abstraction
mettent à bas ce système et permettent à l’art d’explorer de nouvelles horizons.
Après Giotto (1266/67-1366), les artistes européens se sont posé le problème de
représenter l’illusion de la profondeur et de la troisième dimension dans l'espace
bidimensionnel du tableau afin de créer des images dont le rendu serait au plus
proche de la vision humaine.
C’est dans ce contexte que les efforts combinés du peintre Masaccio, du sculpteur
Donatello et de l’architecte Brunelleschi ont abouti à la mise en place d’un système
mathématique précis : la perspective ‘monofocale’, centralisée. Alberti (1404-
1472), humaniste, écrivain, peintre, théoricien de la peinture et architecte
florentin va écrire, vers 1436, un texte intitulé « De Pictura » qui contient la
première formulation claire du principe de la perspective centrale (« La peinture
sera donc une section de la pyramide visuelle à une distance donnée, le centre
étant posé »).

Dès lors la scène possède une unité de lieu, de temps et d’action. La composition
gothique devint du coup inutile et l’image s’exprima à travers un nouveau langage
capable de traduire le nouveau mode de pensée dans lequel l’homme, en accord
avec la philosophie humaniste, se trouvait non seulement au centre de la
composition grâce aux lignes de construction convergeant toutes vers un point de
fuite unique mais aussi sujet central, exclusif et absolu du tableau
I – Les principes de la peinture gothique, bouleversée depuis l’apparition de la
perspective.

L’art de mémoire

« L’Ecole d’Athènes », 1508-12, Raphaël (1483-1520), fresque : 440 x 770 cm,


Musées du Vatican, Palais du Vatican.
Totalement intégrée à la culture humaniste, la peinture, devenue savante,
propose à partir de la période de la Renaissance classique une figure originale de
l’être humain dans un souci de cohérence entre le résultat visuel de l’œuvre et le
sens de ce qui y est représenté. Le peintre doit maîtriser les techniques qui lui
permettent un mimétisme proche de la réalité ainsi que posséder une érudition
particulière afin d’intégrer des motifs en accord avec le sujet : les épisodes
religieux ou mythologiques, par exemple, sont représentés dans un décor
d’époque et les personnages sont vêtus à la mode de la Rome antique

L’œuvre de Raphaël « L’Ecole d’Athènes » représente l’ensemble des principaux


philosophes de l’Antiquité. La perspective centrale que l’on retrouve chez Raphaël
permet notamment la hiérarchisation de l’espace. Par exemple, en représentant
un lieu commun où traversent des personnages venant des côtés de la toile, cela
permet à travers la perspective l’unification des espaces, de même pour l’histoire
qui se raconte. La fonction de l’œuvre est la représentation et l’association
mnémotechnique des principaux philosophes de l’Antiquité, et transmet plusieurs
groupes idéologiques à travers son œuvre. L’œuvre reprend le principe de l’art de
la mémoire. Par exemple, on voit au pied d’Aristote et de Platon ceux qui ont été
influencé par leurs pensées : DIOGENE, ERACLITE… Les pratiques culturelles vont
ainsi reprendre ce concept : lier un concept abstrait à la figuration. De même, le
pape SIMONI est le précurseur de cet art de la mémoire qui existe donc depuis
l’art médiévale. Comme le disent les traités, il faut que cet art soit frappant pour
affecter la mémoire et permettre un savoir. Les dominicains utilisaient souvent cet
art de la mémoire pour transmettre un savoir religieux (c’est de cette manière que
les prêtres apprenaient leurs discours). Il existait de même cet art dans le domaine
juridictionnel. L’avocat lorsqu’il se présentait devant la cour devait se constituer
une image frappante qui pourra utiliser durant sa plaidoirie

(cf bbl : YATES, « l’art de la mémoires », « Machina memorialis »)

Ce qu’on appelle une image de mémoire ne s’apparente à aucune image de


figuration, qui permet de rassembler les différents épisodes de la passion du Christ
(le coq, les 3 dés, les clous, les mains, le fouet, la grande bouche…). Le tout forme
la représentation d’un lieu mental.
« La Maestà », DUCCIO, panneau de bois composé de plusieurs vignettes.

Les tableaux d’autel qui représentent des ‘armoires de mémoires’, éléments rangés
pour se souvenir de l’histoire racontée. En effet, avec les quarante-trois panneaux
qu’il comportait à l’origine, un extraordinaire ‘bâtiment de mémoire’ s’offrant au
parcours visuel et spirituel.
« L’annonc e de la
mort de la Vierge »,
1308-11, DUCCIO,
détrempe sur bois :
41,5 x 54 cm,
Sienne, Museo
dell’Opera del
Duomo.

« Les Adieux de
la Vierge à saint
Jean ».

« Les Adieux de
la Vierge aux
apôtres ».

DUCCIO suit une


‘logique des lieux’
en créant pour les
trois épisodes

précédents de la mort de la Vierge un lieu unique dont il fait emploi différencié


dans chacun des épisodes. Le panneau suivant « l’Annonce de la mort de la
Vierge » représente « Les adieux de la Vierge à Jean » : la ‘porte’ est utilisée de
façon à montrer que seul saint Jean est entré dans le ‘lieu de Marie’ – indication
soulignée par l’extrémité de son
pied droit, visible de l’autre côté du
pilier qui sépare ici l’intérieur de
l’extérieur de ce lieu. Dans
l’épisode suivant, au contraire,
« Les adieux de la Vierge aux
apôtres », tous les apôtres sont
présents auprès de Marie et, plutôt
que de changer de lieu en
agrandissant par exemple
‘l’intérieur’ aux dimensions du panneau entier, DUCCIO maintient la même
structure architecturale, le pilier qui passe ‘devant’ le lit de la Vierge et l’épaule
d’un des apôtres suffisant à indiquer que la scène tout entière se déroule ‘à
l’intérieur’ du même lieu. Parler ici de ‘distorsion spatiale’ est anachronique et n’a
de sens qu’en fonction d’une conception postérieure de l’espace narratif. DUCCIO
encore une fois, ne raisonne pas en termes d’espace figuratif continu et unifié ;
son ‘espace pictural’ est conçu sur le modèle des ‘lieux’ attribués à des figures en
fonction de leur nature et des nécessités du récit.

« Le Christ devant le roi


Hérode »

« Le Christ devant les


Pilates »

« Le Christ devant Caïphe »


DUCCIO représente le jugement du Christ faite de plusieurs figures historiques
différentes (ici organisés de sorte à reconnaître le lieu négatif du juge et le lieu
positif de Jésus) qui débouche sur la passion du Christ. Récit raconté par le prêtre
pour les fidèles qui s’appuie sur ces images. Le but n’étant pas de construire un
espace homogène (problématique de la représentation de l’espace).

« La Cène », Léonard de Vinci. Thème peint par plusieurs artistes. Le dernier repas
du Christ.

Tous ces peintres respectent cette norme mnémotechnique malgré l’essor de la


storia. Dans « La Cène » peint par _, en plaçant Juda de l’autre côté de la table, on
n’a pas de doute quant à la trahison qu’il va commette alors que durant la scène
aucun personnage ne peut le savoir. Alors que dans d’autres œuvres de « La
Cène », d’autres artistes vont mêler Judas aux autres personnages : abandon de la
tradition mnémotechnique pour laisser place à la cohérence narrative. Le Christ
annonce que quelqu’un le trahit, ce qui va se raconter est : qui l’a trahi.

De même que pour remémorer les figures des sept péchés capitaux par exemple,
c’est à travers la monstruosité de ses personnages que l’artiste va représenter les
différents vices dans sa toile.
L’image de dévotion

« La légende de St-Ursule », Vittore CARPACCIO (1465-1526)

GIOVANI BELLINI,
représente la Vierge à
l’enfant qui va être reprise
chez plusieurs artistes.
« Madone David »,
« Madone Lochis ».

À travers ces œuvres, on


représente une mère qui
perd son enfant. En
effet, on remarque
dans le regard de la Vierge
qu’elle ressent le futur drame
du Christ. Cela fait ressentir
au spectateur ce que peut
sentir une mère à la
perte d’un enfant créant
ainsi un effet dramatique et
empathique. On voit que dans une peinture qui se consacre au thème de la Vierge
à l’enfant, le Christ a le regard perdu, et dans certains tableaux on voit que la
Vierge cache le sexe de l’enfant qui serait la marque de sa réincarnation et de sa
douleur.

L’apparition de la perspective

1410-12 : expérimentations scientifiques de Philipo BRUNELLESCHI durant


l’époque moderne. Principalement connu comme architecte (transformation du
statut d’artiste), il a couvert le toit de la cathédrale de Florence. Il va inventer un
système de structure autoportant qui lui permet de couvrir le toit de monuments.
L’église de San-Florensso qu’il exécute sur le modèle de la basilique antique mais
surtout sur des règles de proportions (‘l’ordre’), ce qui donne à l’architecture de
Brunelleschi une rigueur mathématique.

Il va mener deux expériences durant ses activités d’architecte : Le palasso Requio


en Florence dont l’architecte se dit que s’il représente une rigueur mathématique,
cela mettrait en valeur la vraisemblance du monument. Il va utiliser une règle de
perspective en grille (panneau peint selon des règles mathématiques) afin de le
coïncider avec l’espace réel. Cela permet d’organiser l’espace de manière
proportionnel.

La seconde expérience sur le même principe est celle qui mène devant le
Batistère, la cathédrale de Florence. Il peint sur un panneau de bois le B, va creuser
un trou à l’endroit où se trouve le point de fuite pour y placer son œil et ainsi
observer grâce à un miroir son B, et s’il l’enlève on voit le vrai B. Il respecte le point
de vue de la peinture au vrai monument.

Une autre technique pour représenter une perspective, c’est avec des fils
rassemblé en un point de fuite par un clou. L’ensemble créé une grille pour mieux
représenter l’espace. Ainsi, le point de fuite est égal au point de vue, ce que
démontre Brunelleschi. L’œil à travers l’image se projette aussi sur le point de fuite
qui permet la représentation dans un espace réel. La composition d’une peinture
est pensée au préalable sur l’effet qu’il veut présenter à son public ; est inventé
fictivement le spectateur, le
regard extérieur.
Cela a des conséquences
pratiques qui vont être
exploités : tout d’abord
en créant l’illusion de la
profondeur (l’église de
San Maria,

caractéristique : crée de la profondeur dans l’espace en créant de l’ampleur dans


l’église.)
« La Trinité », 1420-21, MASACCIO, fresque : 636,3 x 317,5 cm, Florence, Santa
Maria Novella.

« La Trinité » est une fresque qui fait l’objet d’un manifeste. Figure que l’on a
normalement dans les œuvres dévotionnelles. Mais Masaccio va organiser l’espace
de son œuvre : Tout d’abord grâce à la perspective géométrique, il va non
seulement creuser l’espace qui donne l’impression qu’il s’y trouve une autre
chapelle mais aussi développer au-devant du mur un nouvel espace qui représente
un autel. Cela est permis grâce au regard depuis un certain point de vue de la
fresque qui crée cette illusion d’une profondeur spatiale. Puis cela engendre une
conséquence symbolique entre point de fuite et point de vue. Il va permettre au
spectateur de le situer et de lui conférer un point de vue spécifique et donc créer
l’illusion de la scène. En effet, le point de fuite est situé à un quart du sol, ce qui
permet d’avoir un angle de prise de vue en contre-plongée sur le Christ ainsi créant
un sentiment de supériorité. Le point de vue du spectateur est donc fondamental
pour comprendre ce qui se raconte.

Ensuite Masaccio nous permet de voir la scène de la Trinité d’un point de vue de la
mort, celui du mort. Le point de fuite est à la hauteur de la taille du squelette s’il
était debout : l’artiste prend en compte le spectateur du point de vue du mort, une
manière d’imposer le regard de manière subjective. La perception de la Trinité ne
peut se faire qu’à travers un point de vue mortel, sa condition de mort. Ainsi est la
manière pour que la perspective fonctionne.
« Saintes conversations », FRA ANGELICO, panneaux peints.
Ainsi, la perspective tient une dimension symbolique (selon PANOFSKY),
c’est-à-dire qu’elle va être capable de faire une démonstration géométrique
indépendamment du point de fuite. L’artiste fait le choix de la manière dont il va
organiser l’espace, et va exprimer un message à travers lui. La peinture délivre
ainsi les clés de l’interprétation à travers la profondeur, les perspectives…

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