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LARCHITECTURE PEINTE

DU « LIEU MNÉMONIQUE » À L'ESPACE PARCOURU


Traditionnellement, l'architecture peinte ou le cadre du panneau ou de la fresque,
installe le « lieu » de la figure: or, selon une formule celebre de saint Thomas,
le lieu n'est rien d'autre essentiellement que « la surface occupée par le corps de
la figure ». Celle-ci occupe alors son lieu en tant que configuration-support de
notions à méditer, de vérités à se rappeler ou d'émotions à éprouver. On l'a vu
plus haut, l'image a une fonction mnémonique et émotive. Fondée sur les techniques
de l'ars memoriae toujours bien vivantes au xve siècle et reposant sur une
combinaison mentale de lieux et d'images que l'on y place, l'image artistique
développe une spatialité dont le but est, avant tout, de fournir aux figures un
support plastique efficace par sa clarté, par sa dimension adaptée à celle de la
figure, par la variété calculée que l'on y introduit (Yates). Dans un lieu de ce
type, les figures n'ont pas à se déplacer; c'est plutôt le spectateur qui se
déplace mentalement et physiquement devant les images, tout comme l'orateur, le
moine ou le dévot se déplacent à travers les « bâtiments de mémoire » qu'ils se
sont construits et dans lesquels ils ont disposé leurs images, supports mnémoniques
ou émotifs:
« Le mieux a faire pour imprimer sur votre esprit l'histoire de la Passion et pour
en mémoriser chaque action plus facilement, c'est de fixer dans votre esprit les
lieux et les gens: une ville par exemple, qui serd Jérusalem, en prenant dans cette
intention une ville que vous connais sez bien. Dans cette ville, trouvez les palais
principaux dans lesquels tous les épisodes de la Passion auraient pris place - par
exemple, un palais avec la salle à manger où le Christ eut la Dernière Cène avec
ses disciples... Vous devez ensuite vous figurer dans votre esprit des personnes
que vous connaissez bien, pour vous représenter les personnes impliquées dans la
Passion... » (Extrait du manuel de dévotion Zardino de Oration, Venise, 1494).
Si l'on regarde alors l'histoire de la Passion peinte par Duccio au revers de la
Maesta (pl. 7), on comprend mieux l'espace « étrange » qui organise les différentes
scènes. Dans la Flagellation (pl. 46) par exemple, Rate esi debout sur une estrade
située sous le toit d'un édicule, mais sa main passe devant la colonne qui soutient
le meme toit; il ne pourrait Sarancer vers le Christ car il heurterait alors la
colonne qui lui fait face. les distorsions spatiales sont multiples au long des
divers panneaux et Ales son répetives. On constate en elfer que le peintre a conçu
des Kavainbres a certains personnages, et différencies en fonction de cetle
attribution: « lieu » de Calphe, « lieu » du Christ et de ses disciple a lieu » de
Pilate, dont la distorsion est totale dans la scène du Laverai de mains... La meme
constatation se ferall pour la Vie de la Verge qui
Orne la face anterleure de la Maesta (pl. 7) ; le « lieu » de la Vicige demeure
identique et il se prête, en fonction des scènes qu'il contiens.
des distorsions variées.
Bref, Duccio ne vise pas a construire visuellement l'image d'un espace parcourable
par les figures qui l'occupent; le lieu figuratif consulue le support plastique des
figures, indépendamment de toute « vraisem blance » réaliste ou de toute idée d'un
parcours de l'espace. Limportam est qu'il mette en valeur la composition
signifiante des groupes ou des épisodes: dans la Trahison de Judas, l'édifice situé
derrière les figures sen moins à constituer un « arrière-plan » ou une profondeur,
qu'à fourir une structure clairement construite dont le rythme correspond a celui
des figures: les voussures du portique convergent exactement sur la tête de Judas,
tandis que l'architecture, dans son ensemble, encadre de manière très serrée le
groupe des figures
Cette pratique se maintient tout au long des deux siècles suivants: dans la
Flagellation du polyptyque de Massa Fermana, Crivelli construit également le lieu
clos emblématique de la scène, et la colonne à laquelle est attaché le Christ
offre, à première vue, une distorsion équivalente à celles de Duccio. Simplement,
on constate une nette tendance à « occulter » l'emploi de ces « schèmes structuraux
» (Rudel), pour lesquels l'architecture joue évidemment un rôle essentiel. Dans
l'Annonciation de la collection Gardner (pl. 64), il faut être attentif pour
constater que la tete de l'Ange comme celle de Marie sont exactement inscrites à
l'emplace ment des chapiteaux du portique intérieur et qu'elles sont ainsi, par
l'ar rière-plan architectural, solidement implantées dans l'organisation plastique
de l'ensemble. Mais cette disposition, qui relie étroitement la figure à
l'architecture et à son encadrement, est comme cachée parl'em-ploi d'une
perspective « creusant » l'espace derrière les personnages.
Ce qui se met progressivement en place, c'est l'image d'un espace dont les figures
prennent possession dans la mesure où elles paraisent pouvoir s'y déplacer et agir.
Malgré la disproportion des figures et de l'architecture - normale dans un tei
système pictural -, il est clair quelat je Gioto suscite bien savant aie impression
d'ume relative liberte de douvement des figures dans Despace. Ce processus de
liberiere de
ospendant lent et cornuleerures se peut let qu'en Indiquer quel es coments
decisifs. les ouvertures se multiplient dans le mur qui enterre
poigure. Exemplatre, l'Annonciallon peinte par Glasto de Menabuoi a
Itaistere de Padoue (1370) (pl GO) l'écdicule simple de lAnnonciation
Api « ouvert » en differentes directions, Il est devenu un ensemble de tex relies
entre eux selon la logique d'un parcours eventuel. Lidee sera
reprse avec brio par Pollatolo dans une de ses Annonctations (pl. 68): repage et la
Vierge sont dans un vestibule qui communique d'un core nec un couloir ouvert sur
une lenetre et, de l'autre, avec la chambre dont la porte donne à nouveau sur une
loggia dominant un paysage.
Les ouvertures une fois pratiquées, les figures ont tendance a les emprunter. Dans
la Naissance de la Vierge du Maitre de l'Observance (pal 47), le peintre a ouvert
une porte dans le mur de fond de l'édicule imagine jadis par Pietro Lorenzeti
(Sienne) : c'est pour y placer une figure en mouvement, dont la fonction dans
l'image est nulle du point de vue iconographique; elle ne falt qu'attester
l'interet porte au parcoun des espaces picturaux. Il est d'ailleurs un « outil
plastique » sur leque le peintre « moderne » travaille avec passion: l'escalier.
Son suces tem eidemment au fait qu'il s'agit essentiellement d'un axe de passage.
menant d'un point a un autre. Or, si dans certaines images le there même appelle
éventuellement la présence d'un escalier - il devient un outil récurrent dans la
Présentation au Temple d'inspiration grottesque» on le retrouve dans des scènes ou
rien ne le rend obligatoire. Mats, surou. on constate que, désert à l'origine, il
se peuple progressivement dans le toible panneau du Reniecton de saintPierre,
Duceto uillse un « escaler
danossible » dont la t oretart est plus metaphonque que directealien
* поа тание аля (ез мілас в бо чати Ке сово: Ріетте се челасе а саетет
contraire, dans les Miracles de sait Nicolas. Ambroglo Lorenzait si au
des franchi avec, par exemple le maltre de San Miniato (Uccello1) dans c Nassance
de la Vierge: sur le cote gauche de l'image, une SerVans descend en courant un
escaller qui « va » la mener dans la chambre de
la naissance.
A nouveau, cependant, l'evolution est progressive. Il ne reste d'abord que la trace
du passage :alle, d'ange incompletement entrée dans la plece, pied encore engagé
dans l'ouverture
ede lait que ce parcours de l'espace pictural par les figures peintes précède de
loin les transformations de l'espace scénique théatral montre
2 quel point il serait erroné de chercher dans le theatre et ses mises en scene
l'ongine de telles transformations picturales. La réalité est plus complexe et plus
profondément signifiante. Progressivement, le specta-leur assiste à un « spectacle
» dans lequel l'image porte la trace de sa propre histoire, à travers les
mouvements peints ou supposés des figures

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