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Espace Sculpture

De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle


Michèle Deschênes

Numéro 31, printemps 1995

URI : https://id.erudit.org/iderudit/206ac

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Éditeur(s)
Le Centre de diffusion 3D

ISSN
0821-9222 (imprimé)
1923-2551 (numérique)

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Citer cet article


Deschênes, M. (1995). De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle.
Espace Sculpture, (31), 32–35.

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Depuis les bas-reliefs cubistes jusqu'aux cupée par le lieu et les conditions de ture et le non-paysage, termes qu'elle réu-
installations postmodernes, en passant par présentation des objets qu'elle met en tilise, comme nous l'avons vu, dans leur
la sculpture ouverte, la sculpture ciné- scène. Krauss élabore ainsi un champ ou condition négative ou positive pour con-
tique, la sculpture linéaire, la sculpture une structure quaternaire articulant quatre ceptualiser le «champ logiquement élargi
objet, etc., le domaine de la sculpture au couples de termes d'opposition, comme [expanded]» 2 de la sculpture. Suite à sa
XXe siècle a été marqué par la multiplicité paysage/non-paysage ou paysage/archi- démonstration, formulée en réaction à ce
et la nouveauté des formes sous lesquelles tecture, auxquels correspondent respec- qu'elle nomme la critique moderniste: «Il
l'objet sculptural s'est présenté. Cette diver- tivement quatre formes particulières de (lui) apparaît clairement que la logique de
sité a contribué tout au long de ce siècle à sculptures ou de constructions, telles l'espace de la pratique post-moderniste
mettre en question de façon incessante la celles des sites marqués ou des structures n'est plus induite par la définition d'un
définition de la notion de sculpture. L'une axiomatiques. Selon elle, cette structure médium donné en fonction du matériau
des plus récentes réflexions théoriques parvient aussi bien à définir de façon ou de la perception du matériau. Elle
importantes à ce sujet, bien qu'elle globale et logique l'ensemble des produc- s'organise au contraire, ajoute-t-elle, en
remonte déjà à une quinzaine d'années, a tions visées qu'à redonner un certain sens mettant en jeu des termes perçus comme
été mise au point par Rosalind Krauss à la notion de sculpture dans le contexte opposés à l'intérieur d'une situation cul-
dans son fameux texte Sculpture in the de l'art postmoderniste. turelle donnée.» 3
Expanded Fields D'autre part, dans une perspective his- Il faut reconnaître que la proposition de
torique, Krauss assimile la tradition sculp- Krauss est intéressante par son originalité
Une d é f i n i t i o n de la s c u l p t u r e dans le turale occidentale à la logique du monu- et son apparente habileté à englober dans
contexte postmoderniste ment qu'elle estime avoir été dissolue par un raisonnement unifié plusieurs siècles
Rappelons brièvement que Krauss, dans la sculpture moderniste. Elle définit cette d'histoire de la sculpture occidentale.
ce court article, tente d'apporter une solu- dernière comme une condition négative de Mais il semble, à première vue, que cette
tion à ce problème définitionnel en foca- la logique du monument, c'est-à-dire une proposition minimise l'importance capi-
lisant toutefois son attention sur la sculpture nomade, opérant néanmoins dès tale que peut revêtir, dans l'analyse de
production sculpturale postmoderniste le début des années soixante à l'intérieur l'objet sculptural, une réflexion sur les
qui, à son avis, est principalement préoc- d'un champ élargi entre la non-architec- particularités du médium de la sculpture,

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sur ses constituantes et son organisation tation spatiale évoque, de façon tile» 7 appliquées à la ronde-bosse. Read
spatiale à proprement parler, même métaphorique, un paysage urbain assorti conçoit ainsi la sculpture comme un objet
lorsqu'il s'agit d'étudier une installation en "arrière-plan", tel un bas-relief sur l'un tridimensionnel dont le volume ou la
sculpturale dont les unités combinées en des murs, d'un paysage cosmique loin- masse, constitué de matière solide et
un tout et interreliées sont distribuées tain. Au sein de cette mise en scène, un compacte, est lié à l'occupation de
dans un espace architectural. D'ailleurs, parallélépipède massif, au format "gigan- l'espace physique. Envisageant l'art de la
même si au cours de son argumentation tesque" par rapport aux autres objets de sculpture comme un véhicule de symboli-
Krauss laisse entendre dans un premier petit format, et juché à la verticale sur un sation de nos expériences sensorielles,
temps que la catégorie moderniste de "socle" improvisé, fait, quant à lui, figure principalement de nos expériences tac-
sculpture est en théorie inactive à d'une espèce de monument "commé- tiles aux côtés de nos expériences hap-
l'intérieur de la situation élargie de la morant" la sculpture abstraite, et par là tiques et visuelles, Read pose une
sculpture postmoderniste, elle réintroduit une sculpture soucieuse de définir sa spé- corrélation entre, d'une part, la solidité et
cette catégorie au sein de ce champ cificité et qui a marqué la pensée mod- la compacité tactile de la masse et,
lorsqu'elle associe la sculpture postmo- erniste, bien que cette installation affiche d'autre part, la notion de «sensibilité spé-
derniste de Joel Shapiro à la combinaison par ce dispositif paradoxal, entre autres, cifiquement plastique» 8 ou sculpturale.
binaire de termes qui particularise le son inscription dans l'actualité historique Celle-ci recouvre trois éléments qui pré-
fonctionnement du champ de la sculpture et sa filiation à une certaine tradition cisent la nature du volume de la sculp-
moderniste. Malgré cette correspondance, sculpturale. ture, la ronde-bosse et les qualités
elle soutient que les sculptures de Shapiro Il importe donc ici de mettre en plastiques dont, toujours d'après lui, elle
sont de celles qui «reflètent, dans leur exergue certaines des principales doit idéalement témoigner.
organisation et leur contenu, l'existence hypothèses qu'ont développées dans le Le premier élément a trait à «une sensa-
de (l')espace logique» 4 de la pratique contexte du modernisme certains auteurs tion de la qualité tactile des surfaces»9,
sculpturale postmoderniste. pour définir leur conception de la sculp- c'est-à-dire aux qualités texturales de la
Pour justifier mon point de vue, je ture. Les auteurs auxquels je me référerai matière qui stimulent le sens tactile. Le
prendrai ici à témoin une sculpture sont l'historien d'art Herbert Read, les second facteur concerne «une sensation
installative de Claude Mongrain présentée artistes du constructivisme polonais de volume» 10 ou «de la masse entourée
par une série intégrée de plans surfaces»"
et réfère à la sensation de profondeur que
dégage le modelé de la sculpture. Enfin
le dernier élément de cette triade, et le
seul qui, selon Read, se rattache unique-
ment au domaine de la sculpture dans
toute sa spécificité et en détermine ainsi
l'unicité par rapport aux autres formes
d'art traditionnelles, consiste en l'accom-
plissement synthétique de la rotondité de
la masse en rapport avec sa pondérabilité
ou son aspect gravitationnel. Cette défini-
tion générale de l'objet sculptural amène
toutefois cet historien à exclure du
domaine spécifique de l'esthétique de la
sculpture des objets d'art rejoignant les
problématiques du bas-relief et du haut-
relief pour ne privilégier comme modèle
sculptural que la ronde-bosse, le free-
standing sculpture, d'autant plus s'ils sont
constitués d'une masse compacte.
Katarzyna Kobro et Wladyslaw En vertu de son caractère tangible et
Strzeminski et, finalement, le sculpteur palpable, en sa qualité de forme solide
minimaliste Robert Morris. Il faut d'abord autonome, la sculpture, selon Read, est
mentionner, en guise de préambule, que un art du toucher et de palpation qui
ces quatre auteurs ont tous cherché à for- trouve son entière complétude dans
(gauche) Mane- muler leur conception de l'objet sculp- l'objet sculptural imprégné de la pensée
France Brière, Sans à la galerie Christiane Chassay, en 1989. tural en opposant la bidimensionnalité du vitaliste. Cette rhétorique implique, entre
titre, 1994. Granite, Même si elle s'inscrit dans le contexte plan pictural à la tridimensionnalité du autres, que les techniques les plus aptes,
marbre, acier patiné, postmoderniste, cette installation, qui volume sculptural. sinon les seules, à rendre compte des sen-
laine minérale. 2,03
incidemment s'intitule Paysage avec sations que procure la perception de la
m x 6.7 m x 40 cm.
monument, présente à mon sens une syn- La s c u l p t u r e c o m m e masse c o m p a c t e forme sculpturale et de ses textures sont
Galerie Christiane
thèse de plusieurs problématiques abor- L'esthétique de la sculpture proposée celles de la taille directe et du moulage.
Chassay. Photo :
Denis Fartey. dées par la sculpture de ce siècle. par Herbert Read en 1956 5 , et qu'en Or, dépouillés des principes relatifs à la
Installée dans l'encoignure de deux murs 1964 6 il a tenté d'appliquer avec un doctrine vitaliste et de la stricte notion de
(droite) Katarzyna adjacents de la galerie, Paysage avec succès plutôt mitigé à l'ensemble de la volume solide, les trois éléments repérés
Kobro. Composition monument, qui regroupe à intervalles sculpture moderne, est étroitement reliée par Read pour qualifier la sensibilité plas-
spatiale, no 2, 1928. réguliers six îlots circonscrits en forme de à la conception traditionnelle de la forme tique peuvent contribuer, en tout ou en
cercle, montre des petits chats placés en sculpturale monolithique compacte. Cette partie, à la description analytique des
divers endroits parmi des objets compos- esthétique est axée sur les notions de variables visuelles et «tactiles» de divers
ites assemblés. L'ensemble de la représen- solidité de la forme et de «compacité tac- types d'objets sculpturaux, dont les

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«objets trouvés» et même les reliefs, et par totalement la sculpture de l'espace envi- ture des transformations de perspectives
conséquent, à l'analyse des rapports syn- ronnant. De même, dans un second dues aux changements de points de vue
taxiques entre ces variables, soit au sein temps, bien qu'ils considèrent de façon du spectateur, ils soutiennent que «dans
d'une seule unité sculpturale, soit au sein positive les efforts de la sculpture gothi- l'oeuvre d'art tridimensionnelle [le temps]
d'un assemblage de plusieurs unités inter- que ou architectonique pour lier ses est manifeste à cause du mouvement du
reliées en liaison avec leur environ- formes aux formes de l'espace externe, en spectateur autour de l'oeuvre». 18 De là, ils
nement. l'occurrence celles de son espace archi- conviennent que la perception de la sculp-
tectural, ils contestent cette sculpture en ture se déroule dans le temps.
La s p a t i a l i s a t i o n de la s c u l p t u r e laquelle ils voient en fin de compte,
Dans l'ensemble, les valeurs sculp- lorsque soutirée de son con-
turales que Read défend dans son esthé- texte environnemental, une
tique de la sculpture et qu'il érige en sculpture-volume, comme
valeurs traditionnelles, s'opposent à celles dans la sculpture égyptienne.
qu'ont soutenues et définies K. Kobro et Finalement, tout en reprochant
W . Strzeminski 12 dans une analyse des à la sculpture baroque, com-
éléments structurels de la sculpture qui posée d'un volume central
s'impose comme une théorie de l'unisme duquel émergent des pro-
sculptural. Dans celle-ci, ces deux auteurs tubérances, d'avoir conservé
formulent une conception de la sculpture un volume compact, ils lui
essentiellement basée, d'une part sur attribuent le mérite d'avoir
l'expérience visuelle et non sur l'expé- partiellement ouvert la sculp-
rience tactile et, d'autre part, sur l'ouver- ture à l'espace général. Cette
ture du volume sculptural à l'espace ouverture provient de l'amé-
ambiant. Toutefois, puisqu'ils systéma- nagement, dans les couches
tisent l'organisation spatiale de la sculp- périphériques de la sculpture,
ture uniste à partir de la mise en forme d'une zone de transition qui,
tridimensionnelle d'un rythme spatio-tem- limitée à l'intérieur de la
porel, leur réflexion porte non seulement sculpture par les limites
sur l'organisation spatiale de la sculpture virtuelles du volume central et Joel Shapiro, Sans
en relation avec la question du lieu pro- en périphérie par la liaison des apex des L ' o b j e t dans son espace d'accueil titre, I975.
prement sculptural, mais sur les inci- protubérances, englobe aussi bien des Installation
Ce commentaire de Kobro et Strzeminski
espaces intérieurs ou positifs que des d'édicules en fonte
dences du temps dans la sculpture. qui date de 1931, et que Michael Fried 19
interstices d'espace extérieur ou négatif. et en plâtre.
En prenant pour point de départ une aurait assurément désapprouvé, nous le
C'est en étendant pour ainsi dire à retrouvons également dans un texte fon-
première hypothèse selon laquelle
l'ensemble de la zone sculpturale le damental de Robert Morris 20 publié en
l'espace général est le support de la sculp-
principe baroque de la zone de transition 1966 dans le cadre de l'art minimal
ture et une seconde hypothèse qui définit
que Strzeminski et Kobro définissent les américain. La conception sculpturale de
l'espace général comme équipotentiel,
termes de la notion de volume ouvert en ce dernier s'articule principalement
Strzeminski et Kobro énoncent une
opposition à celle de volume compact ou autour de la spécification de l'objet sculp-
théorie de «la spatialisation de la sculp-
fermé. Cette argumentation leur permet
ture»' 3 . C'est-à-dire une théorie où la tural comme tel et de la mise en situation
d'affirmer que «la sculpture uniste ne pro- de cet objet dans son espace d'accueil en
sculpture, conçue à l'image de son sup-
duit pas des sculptures. La sculpture relation avec le temps et le corps du regar-
port avec lequel elle doit fusionner, en
(uniste), arguënt-ils, sculpte l'espace en le dant.
serait une de «pures divisions d'espa-
condensant dans les limites de la zone
ces» 14 , alors que la forme au sein de la Malgré un important décalage entre les
sculpturale». 17 De cette remarque réflexions théoriques de Morris et de
sculpture serait, quant à elle, «l'expression
transparaît en quelque sorte la prise de
de relations spatiales»15, le tout étant Read, la définition que propose celui-là
conscience par la sculpture moderne du de l'objet sculptural rejoint, sous certains
ordonné dans les trois dimensions, en
phénomène des espaces négatifs en tant angles, celle qu'a développée celui-ci,
hauteur, en largeur et en profondeur selon
que fait spatial et sculptural. notamment en ce qui concerne la dimen-
un système de rapports numériques iden-
tiques qui fonde le rythme spatio-temporel De concert avec cette analyse, ils met- sion physique de l'objet sculptural et les
de la sculpture. Aux yeux de ces deux tent au point un petit système qui concep- aspects perceptuel et conceptuel
artistes, le problème majeur soutenant une tualise un ensemble de relations que la impliqués dans son appréhension globale.
telle théorie est celui du «rapport de sculpture entretient avec le phénomène de Ainsi, à partir de la dimension foncière-
l'espace contenu dans la sculpture à la temporalité. Ils identifient ainsi trois ment littérale ou concrète de la sculpture
l'espace situé hors de la sculpture»' 6 , qui genres de rythmes, à savoir le rythme du qui se transcrit, en premier lieu, dans ses
implicitement soulève la question de la mouvement qu'ils retrouvent dans la éléments constitutifs, soit l'espace, les
limite de la sculpture ou de l'espace sculpture baroque axée sur l'obliquité vec- matériaux et la lumière, Morris insiste sur
sculptural. torielle et qu'ils estiment nuire à la percep- le caractère spécifiquement tactile de
Dans leur analyse, ils tracent un par- tion des formes au profit de la perception l'objet sculptural, non pour mettre en
cours historique de la sculpture ponctué plus globale du mouvement; le rythme des relief la texture de la matière, mais en
par trois principaux types de sculptures formes qu'ils appliquent aux formes hori- l'identifiant à l'aspect volumétrique de la
qu'ils critiquent en fonction de ce rapport zontales et verticales de la sculpture uniste forme sculpturale en laquelle il voit une
dialectique et de leur objectif. Ainsi, ils pour en régulariser le quotient énergétique «masse résistante et bien réelle». 21 À ce
s'objectent d'abord au volume compact, et, enfin, le rythme spatio-temporel qui, titre, il soutient que l'échelle, la propor-
fermé sur lui-même, de la sculpture égyp- lui, est directement lié au trajet de percep- tion, la forme, la masse ainsi que les sur-
tienne, où la limite de l'objet coïncidant tion du spectateur autour de la sculpture. faces sont, en raison de leur qualité
avec la surface de son volume coupe Puisque par ce trajet surgissent de la sculp- physique, les valeurs essentielles de la

(4 ESPACE 31 PRINTEMPS / SPRING 1995


NOTES :
sculpture, la forme étant, dans son esprit, gissement de l'espace sculptural à la
1. October, no 8, printemps1979, p. 31-44.
la plus importante d'entre elles. Ces mesure des dimensions architecturales de 2. "La sculpture dans le champ élargi" (1979),
affinités se manifestent aussi dans l'objec- la pièce d'accueil, il établit un groupe de L'originalité de l'avant-garde et autres mythes
tion de Morris au bas-relief. Il estime que relations spatiales entre l'objet, la pièce modernistes, trad, par Jean-Pierre Criqui, Paris,
cette forme d'art tend à partager avec le et le corps du regardant. Dans cette situa- Macula, 1993, p. 119.
3. Ibid., p. 126.
tableau son espace bidimensionnel et à tion, comme il le dit lui-même, «l'objet
4. Ibid., p. 127.
échapper aux forces de la pesanteur. Cet n'est plus qu'un terme [parmi d'autres] 5. The Art of Sculpture (1956), |New York],
effet amenuise, selon lui, le caractère tout de la nouvelle esthétique». 26 Bollingen Series XXXV°3, Pantheon Books, 1964,
à fait objectai que doit posséder une Même si Morris imagine l'objet sculptural 152 pages.
6. A Concise History of Modem Sculpture (1964),
sculpture. comme une antithèse de l'objet sculptural
[London], Thames and Hudson, 1983, 310 pages.
D'autre part, en s'appuyant sur certaines de petite ou moyenne dimension qui 7. The Art of Sculpture, p. 103. Toutes les citations
hypothèses de la théorie de la Gestalt, par- aménage dans son espace propre des tirées des ouvrages de Read sont traduites par
ticulièrement celle de la complétude de la relations spatiales entre les composantes, l'auteure.
8. Ibid., p. 71.
"bonne forme", et compte tenu du fait que (ce à quoi correspond l'organisation spa-
9. Ibid.
la sculpture est accessible à l'oeil dans sa tiale de la sculpture uniste telle que 10. Ibid.
totalité à partir d'un seul point de vue sur pensée par ses théoriciens), sa réflexion 11. A Concise History of Modem Sculpture, p. 107.
elle, Morris entend affirmer le caractère recoupe celle de Strzeminski / Kobro 12. "La composition de l'espace : Le calcul du rythme
puisqu'il pose, comme eux, le problème spatio-temporel" (1931), L'espace uniste : Écrits
volumétrique de la sculpture posée au sol, du constructivisme polonais, Lausanne, l'Age
non seulement par sa présence physique, de la relation entre l'espace interne de la d'Homme, 1977, p. 85-125.
mais par la visualisation de sa forme dans sculpture et l'espace externe, question- 13. Ibid., p. 108.
l'espace mental. À cette fin, il restreint le nant les limites de l'espace sculptural, 14. Ibid., p. 106.
particulièrement dans un contexte simi- 15. Ibid.
champ des configurations de la forme
16. Ibid., p. 85.
tridimensionnelle à des volumes simples, laire à celui de la sculpture gothique, le
17. Ibid., p. 106.
comme le parallélépipède ou la poutre sujet en plus. Dans cette perspective, on 18. Ibid., p. 116
inclinée, qu'il associe à des «tout(s) indi- peut se demander si la conception du 19. Voir "Art and Objecthood" (1967), Artstudio, no.
6, 1989-90, p. 11-27.
visible^) et indissoluble(s)»22 les qualifiant sculptural chez Morris ne soulève pas une
20. "Notes sur la sculpture" (1966), Regards sur l'an
de «formes unitaires». La notion d'image certaine ambivalence quant à la détermi-
américain des années soixante, Paris, Territoires,
mentale à laquelle il réfère se rapproche nation de la localisation de la limite de 1979, p. 84-92.
de celle d'image mnésique que Read l'espace sculptural, du fait que le sujet, le 21. Ibid., p. 8b.
regardant, par sa position dans l'espace 22. Ibid., p. 90.
utilise dans son esthétique de la sculpture
23. Ibid..
pour désigner les différentes perspectives par rapport à l'objet sculptural, circonscrit
24. Ibid..
que prélève le regardant sur l'objet au une certaine limite de l'espace sculptural, 25. Ibid..
cours de son trajet de perception et qu'il alors que les cloisons de la pièce font de 26. Ibid., p. 89.
même, s'intégrant ainsi physiquement à 27. "La sculpture dans le champ élargi", p. 111-127.
engramme dans sa mémoire pour se figu-
rer une image mentale tridimensionnelle l'espace sculptural.
du volume de la sculpture. Ce rapproche- The multiple transformations through which sculpture
ment est d'autant plus justifié que Morris Une saisie qui déstabilise has evolved during the present century has led a
veut confronter le regardant à ce qu'il Hormis le particularisme de chacun des number of authors to attempt various new definitions
nomme «le constant connu», 23 c'est-à-dire trois précédents points de vue sur l'objet ofthe medium. Michèle Deschênes isolates and
l'image gestaltienne de la forme unitaire, de la sculpture et un certain dogmatisme, confronts some of these and tries to extract their
au «variable expérimenté», 24 c'est-à-dire ce corpus de textes offre un ensemble de relative merits.
les transformations de perspectives de problématiques générales qui, tour à
l'objet découlant des changements de In Sculpture in the Expanded Re/d, Rosalind Krauss
tour, en s'entremêlant, nourrissent la
points de vue du spectateur. Avec cette "théorie" de la sculpture au XXe siècle. states that postmodern sculpture is especially
idée, liée aux conditions de présentation Ces problématiques, dont les modalités concerned with the site and conditions of its scenic
et de réception de l'objet, Morris, tout conceptuelles et descriptives demandent presentation. She delineates the nomadic character of
comme l'ont fait avant lui Strzeminski et à être développées plus amplement, sont sculpture, whose field has been widening ever since
Kobro, affirme que «l'expérience de l'oeu- celles, par exemple, de l'opposition ou the '60s.
vre se fait nécessairement dans le temps».25 du dialogue entre le volume compact et
Other critics before Krauss have attempted to
Parallèlement à ces commentaires, il le volume ouvert ou partiellement ouvert,
entre la peinture et la sculpture, du rap- redefine sculpture. Among them are Herbert Read,
ressort que les quatre auteurs étudiés
envisagent la sculpture comme un port de l'espace interne de la sculpture à constructivist artists Katarzyna Kobro and Wladyslaw
moteur d'expériences kinesthésiques l'espace externe ou environnant, de la Strzeminski, as well as the minimalist sculptor Robert
chez le spectateur. Cet aspect volumétrie en relation avec les modes Morris. Interestingly enough, all of them have sought
kinesthésique, et donc corporel, de visuel, conceptuel et corporel de préhen- to oppose, in their search for a new definition, the
l'expérience de l'objet sculptural revêt sion, etc. Par delà la conception post-
two-dimensionality ofthe pictural plane with the
toutefois une signification capitale dans moderniste de la sculpture proposée par
three-dimensionality ofthe sculptural volume.
la pensée sculpturale de Morris, en ce Rosalind Krauss,27 l'objet sculptural (une
sens qu'il considère que c'est la distance sculpture "autonome", une sculpture These theoretical concerns (over the opposition
du spectateur par rapport à l'objet sculp- installative, un site marqué, un relief, between compact and open volume, between painting
tural, en corrélation avec sa dimension etc.) définit par l'entremise de ces problé- and sculpture, between internal space and
ou son échelle, qui détermine les limites matiques une organisation spatiale environmental space) have all contributed to the
du champ visuel du spectateur. En adop- particulière dotée d'une signification par- critical sculptural discourse of the twentieth century.
tant le mode public de la perception qui ticulière dont la saisie déstabilise parfois
convient aux objets de grand format notre perception de l'espace, du lieu
dénués de détails et qui autorise un élar- sculptural. I

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