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Velázquez
Arié Rachel. Les relations diplomatiques et culturelles entre Musulmans d'Espagne et Musulmans d'Orient au temps des
Nasrides. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 1, 1965. pp. 87-107;
doi : https://doi.org/10.3406/casa.1965.928
https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1965_num_1_1_928
Dès 1904, H. Lammens, S. J., étudiait les Correspondances diplomatiques entre les
Sultans Mamluks d'Egypte et les puissances chrétiennes. (Revue de l'Orient chrétien,
1904, n° 2, pp. 151-187; n° 3, pp. 359-392.) En 1938, A. S. 'Atïya consacrait un long
article à l'échange d'ambassades, de lettres et de cadeaux entre les cours chrétiennes
et l'Egypte musulmane sous les règnes de Jacques II d'Aragon et d'al-Mâlik al-Nâsir
(Egypt and Aragon. Embassies and Diplomatie Correspondence between 1300 and
1330 A. D. in Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes, vol. XIII, fasc. 7, 1938).
Mme. A. Masiâ de Ros a brossé un tableau de l'expansion aragonaise en Méditerranée
à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle. (La Corona de Aragon y
los Estados del Norte de Africa. Politica de Jaime II y Alfonso IV en Egipto, Ifriqiyya
y Tremecen, Barcelone, 1951.) Mme. A. Lôpez de Meneses a publié les lettres adressées
par Pierre le Cérémonieux au souverain d'Egypte. (Correspondencia de Pedro el Cere-
monioso con la Soldania de Babilonia in Cuadernos de Historia de Espana, Buenos
Ayres, 1959, pp. 293-337.) A. M. al-'Abbâdï a donné une brève et utile synthèse
des relations hispano-égyptiennes à travers les âges (Algunos aspectos de las re-
laciones histôricas hispano-egipeias in Boletin de la Embajada de Egipto en Madrid,
Madrid, juillet 1953, pp. 14-18). Récemment, P. Martinez "Monta vez a traité des
relations entre la Castille et les Mamlûks, en se fondant sur les sources arabes d'Orient.
Il a non seulement relaté l'envoi d'ambassades et la conclusion de traités commerciaux
s'échelonnant entre 1261 et 1382 mais mis l'accent sur la présence castillane en
Egypte depuis la seconde moitié du XIII* siècle jusqu'à la chute des Mamluks,
en dégageant les motifs d'ordre politique ou économique qui animèrent les
monarques castillans. Cf. Relaciones de Alfonso X de Castilla con el Sultano Mameluco
Baybars y sus sucesores (Al-Andalus, vol. XXVII, 1962, fasc. 2, pp. 343-376) et
Relaciones castellano-mamelucas (1282-1383) in Hispania, 1963, t. XXIII, pp. 505-523.
88 R. ARIÉ
1 Cf. Mémoire sur les relations entre l'Egypte et l'Espagne pendant l'occupation
musulmane, in Homenaje a Codera, Saragosse, 1904, pp. 455-481.
2 Le système de transcription des caractères arabes que nous avons adopté est
celui de l'Encyclopédie de l'Islam, 1«™ édition (Leyde-Paris, 1913-1936) et 2e édition
(Leyde-Paris, 1959) en abréviation El1 et El2, sauf q au lieu de k sous-pointé. Les
abréviations Brockelmann, I, II et Brockelmann, S. I, II, III, se réfèrent
respectivement à C. Brockelmann, Geschichte der Arabischen Literatur, Leyde, 1943-1949
et Geschichte der Arabischen Literatur, Erster, Zweiter, Dritter Supplementband,
Leyde, 1937-1942.
B Sur la Grenade nasride, cf. articles Alhambra (J. Strzygowski) in El1, t. I, pp. 280-
283; Grenade (G. F. Seybold) in El1, t. II, pp. 186-187, Gharnâta (A. Huici-H.
Terrasse) in El2, t. II, pp. 1012-1020; Nasrides (E. Lévi-Provençal), in El1, t. III,
pp. 938-942; cf. H. Terrasse, Islam d'Espagne, Paris, 1958, passim et Le royaume
nasride dans la vie de l'Espagne du Moyen-Age. Indications et problèmes, in Mélanges
offerts à Marcel Bataillon par les hispanistes français, Bordeaux, 1963, pp. 253-260.
4 Sur les Ayyûbides, cf. art. de Cl. Cahen in El2, t. I, pp. 939-959.
6 Sur les Mamlûks, cf. et H. Kramers, art. Mamlûks in El1, t. III, pp. 230-236; outre
l'ouvrage vieilli de Sir W. Muir, The Mameluke or Slave Dynasty of Egypt, 1896,
on se reportera, pour une étude d'ensemble de la dynastie, à G. Wiet: Le Régime des
Mamlûks in L'Egypte arabe de la conquête arabe à la conquête ottomane (642-1517 de
l'ère chrétienne), Histoire de la Nation Egyptienne de G. Hanotaux.t. IV, pp. 387-636.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 89
Khaldun in Studi Orientalistici in onore di Giorgio Levi délia Vida, vol. II, Rome, 1956,
pp. 304-329; R. Brunschvig, La Berber it Orientale au temps des Hafsides, t. II,
pp. 385-393; W. J. Fischel, Ibn Khaldûn's Autobiography in the light of External
Arabic Sources in Studi Orientalistici in onore di Giorgio Levi délia Vida, Rome, 1956,
vol. I, pp. 287-308 et à la bibliographie établie par W. J. Fischel dans la traduction
de la Muqaddima publiée à New York en 1958 par F. Rosenthal. Les données d'Ibn
Khaldûn relatives aux rapports entre le Maroc et l'Egypte ont été mises en œuvre,
entre autres sources, par M. Canard dans Les relations entre les Mérinides et les
Mamlûks au XIV* siècle in Annales de l'Institut d'Etudes Orientales de l'Université
d'Alger, t. V, 1939-1941, pp. 41-81.
1 II s'agit d'un fragment manuscrit retrouvé en 1951 par 4Abd al'Azïz Al-Ahwânï,
actuellement professeur à l'Université du Caire, dans un legajo de la Bibliothèque
Nationale de Madrid (n° 18602) et publié sous le titre Sifâra siyasiyya min Gharnata
ilâ-l-Qàhira fï-l qarn al-tâsi' al-hidjrï sanat 844 in Madjallat Kulliyyat al-Âdâb,
Le Caire, XVI/1, 1954, pp. 95-121 du texte arabe. Cf. C-R d'E. Lévi-Provençal in
Arabica, t. II, 1955, pp. 252-253.
s Sur l'historien et théologien Shams al dîn al-Dhahabï, m. à Damas en 748/1348,
auteur d'une histoire de l'Islam amplement documentée, finissant en 700/1300-1,
le Ta'rlkh al- Islam, cf. l'article de M. Ben Cheneb (J. de Somogy) in El2, t. II,
pp. 221-222, Brockelmann, II, pp. 46-48, S. II, pp. 45-47. Nous avons consulté
l'abrégé que fit al-Dhahabï de sa chronique, soit le Kitâb Duwal al-Islâm, éd. à
Hayderabad en 1337/1918-9.
» Sur le jurisconsulte shâfi 'ite syrien Ismà'ïl Ibn Kathîr, m. 774/1373, auteur d'une
chronique universelle, al-Bidâya wal nihâya, cf. l'article de C. Brockelmann in El1,
II, p. 417; Brockelmann, II, pp. 60-61 et S. II, pp. 48-49; H. Laoust, Ibn Kathir
historien in Arabica, t. II, 1955, pp. 42-88.
4 Sur l'historien égyptien, al-Maqrîzï (m. 845/1442) dont l'histoire des Sultans
Mamlûks s'arrête au début du XVe siècle, cf. l'art, de C. Brockelmann in El1,
t. III, pp. 186-187, Brockelmann, II, p. 38. Nous avons utilisé l'édition en cours
du Sulûk, due à M. M. Ziyada.
» L'historien Abû-1-Mahâsin Ibn Taghribirdî (m. 874/1469), fils d'un Mamlûk d'Asie
Mineure, est l'auteur du Kitâb al-Nudjûm al Zàhira fi mulûk Misr wal Kâhira,
histoire de l'Egypte entre 20/641 et sa propre époque; cf. l'art, de C. Brockelmann,
in El1, t. I, pp. 101-102 et celui de W. Popper in El2, t. I, p. 142; Brockelmann, II(
p. 41, S. II, p. 39.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D 'ESPAGNE ET MUSULMANS D 'ORIENT 91
d'al-'Aynï *, le Tibr al-Masbùk d'al-Sakhâwi *, les Badâ'ï al- Zuhûr d' lbn
Iyâs ».
2) les encyclopédies historico-géographiques d'Orient telles que le
Taqwïm al Buldân d'Abû-1-Fidâ 4, le Masâlik al-Absâr d'Ibn Fadlallâh-
al'Umarï s, la Nihâyat al- Arab d'al-Nuwayrî •.
3) les manuels composés à l'intention des secrétaires de la
chancellerie d'état égyptienne, inappréciable mine de renseignements non
seulement pour la connaissance de la vie administrative sous les Mamlûks
mais aussi pour la politique extérieure de ces derniers, les
correspondances politiques qui y sont reproduites tenant lieu de véritables pièces
d'archives. Ce sont le Ta'rif bil mustalah al-sharïf 7 d'al-'Umarï, le Subi}
al-A'sha d'al-Qalqashandï 8, le Muqsid al-RafV d'al-Khâîidï ».
1 Sur l'historien égyptien Badr al-cïïn al-'Aynï (m. 855/1451), qui vécut au Caire où
il fut tour à tour muhtasib, cadi suprême des Hanafites, familier des Sultans mamlûks,
cf. l'art, de W. Marçais in El2, t. I, pp. 813-814; Brockelmann, II, pp. 64-66, S. II,
pp. 50-51. Al'Aynï est l'auteur d'une monumentale histoire générale de l'Islam,
encore à l'état de manuscrit, intitulée • Uqd al-Djumân fï ta'rïkh ahl al-zamân, allant
de la création jusqu'à 850 H.
• Le jurisconsulte shâfi'ite al-Sakhâwî a poursuivi l'histoire des Sultans mamlûks
d'al-Maqrizï dans son Tibr al-Masbùk qui s'arrête à 898 H. Cf. Brockelmann, II,
pp. 34-44 et S. II, pp. 31-33.
» Le Cairote lbn Iyâs (m. 928 H) est l'auteur d'une importante chronique atteignant
la conquête ottomane, qui demeure pour le début du Xe siècle de l'Hégire, une
excellente source historique. Cf. M. Sobernheim, El1, t. II, p. 414; Brockelmann, II, 295.
• Abû-1-Fidâ (m. en 1331), prince syrien de la famille des Ayyubides, fut à la fois
mécène, historien et géographe. Cf. article de H. A. R. Gibb in El2, t. I, p. 122;
Brockelmann, II, pp. 44-46 et S. II, p. 44. Son Taqwïm al- Buldân, ouvrage de
géographie descriptive, a été édité en entier par Reinaud et de Slane (Paris, 1840),
traduit par Reinaud (Paris, 1848) et St. Guyard (Paris, 1883).
• Originaire de Damas, lbn Fadl Allah al-'Umarî vécut au Caire où il fut cadi et
secrétaire d'état. Il a résumé dans le Masâlik al-Absâr fï mamâlik al-amsâr les
connaissances essentielles à un homme cultivé. Cf. les pages consacrés au Masâlik par
M. Gaudefroy-Demombynes dans La Syrie à l'époque des Mamelouks, d'après les
auteurs arabes, Paris, 1923 (Intr.); les chapitres ayant trait à l'Afrique, moins
l'Egypte, ont été traduits par M. Gaudefroy-Demombynes (Paris, 1927).
• Fonctionnaire de l'administration mamluke, al-Nuwayrï (m. en 1332 J.-C.) tenta de
présenter dans sa Nihâyat al- Arab un somme de connaissances en matière d'histoire,
de géographie, de botanique, de zoologie, à l'usage des secrétaires cf. El1, t. III,
pp. 1035-1036, Brockelmann, II, 175.
7 Le Ta'rif est un «véritable manuel du parfait secrétaire-rédacteur» (M. Gaudefroy-
Demombynes). Il n'en existe qu'une seule édition, celle du Caire (1312 H./1894-
1895 J.-C).
8 ' L'Egyptien Abù-l-'Abbâs Ahmad al-Qalqashandï (m. en 1418), fonctionnaire de la
chancellerie du Caire, a réuni dans le Subh toutes les connaissances que doit posséder
un secrétaire -rédacteur. Cf. article de C. Brockelmann in El1, t. II, pp. 742-
743. M. Gaudefroy-Demombynes, La Syrie à l'époque des Mamelouks (Intr.) Le
Subh al A'shâ a été édité au Caire en 14 volumes (1918-1922).
• Le manuscrit du Kitâb Muqsid al-RafV al munshâ al hâdï ilâ sinâ'at al-inshâ' se
trouve à la Bibliothèque Nationale de Paris sous le n° Arabe 4439. Nous ne savon»
92 R. ARIÉ
rien sur l'auteur, Bahâ' al-dïn al-JÇhâlidï qui, dans ce texte, a utilisé tant le Ta'rïf
que le Masâlik et résumé les chapitres de géographie du Subh auquel son œuvre
semble postérieure.
1 Sur 'Abd al-Bâsit, cf. G. Levi délia Vida, // regno di Granala nel 1465-1466 nei
Ricordi di un viaggialore egiziano (Al-Andalus, t. 1, 1933, pp. 307-334), R. Brunschvig,
Deux Récits de voyage inédits en Afrique du Nord au XV* siècle, fAbd al-Bâsi{ b.
KJialil et Adorne (Paris, 1936) et La Berbérie orientale au temps des Hafsides
(Introd. XXXIV).
• Dans les Durâr al-Kâmina, le shaykh al-Islâm Ibn Hadjar al 'Asqalânï a établi les
biographies détaillées des grammairiens, lettrés, poètes et princes qui s'illustrèrent
au VIIIe siècle de l'Hégire. L'œuvre • a été éditée à Hayderabad en 1348-1350/
1929-1930, en 4 vols. Sur Ibn Hadjar, cf. Brockelmann, II, p. 67 sq. et article de
C. Van Arendonk in El1, t. II, pp. 402-403.
» Notament par les Banù Ashqîlûla dont la rébellion s'étendit de 663/1265 à 686/1287.
Cf. I. S. Allouche, La révolte des Banû Astiqilùla contre le sultan nasride
Muhammad II, d'après le «Kitâb A'màl al-A(lâm d'Ibn al-Khatib* in Hespéris, 1938, t. XXV,
pp. 1-11.
4 Muhammad II al Faqih envoya, peu de temps après son accession au trône, une
ambassade au sultan de Fez, Abu Yûsuf Ya'qûb. Celui-ci accepta (3 de rabï' I
673/5 septembre 1274), moyennant l'occupation de Tarifa et d'Algésiras, d'engager
la lutte contre les Chrétiens d'Espagne. Cf. Crônica de Alfonso X, in Biblioleca de
Autores Espanoles, t. 66 de la collection Rivadeneyra, pp. 48-49.
8 Ed. Caire, p. 26 sq. Traduction assez libre du texte arabe dans A. Zaki, op. cit.,
pp. 473-474.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 93
sultan mamlùk Ashraf Sayf al din Qâ'it Bay 1 assistance en faveur des
Grenadins assiégés de toutes parts par les armées chrétiennes. Mais,
conclut mélancoliquement al-Maqqarî, le résultat fut entièrement négatif.
Pourtant Qâ'it Bay ne resta pas insensible aux appels du monarque
naçride aux abois. Nous laisserons la parole à l'Egyptien Ibn Iyâs qui,
dans son Histoire des Mamlûks Circassiens 2, donne, sous l'année 892/1487,
une notice ainsi conçue: «Dhul-Qa'da 892. Le sultan reçut la visite d'un
ambassadeur du prince de l'Occident et du souverain de l'Espagne 3,
porteur d'un message par lequel son maître demandait l'envoi d'une armée
de secours pour l'aider à combattre les Francs qui l'assiégeaient dans
Grenade et étaient sur le point de s'emparer de cette ville." Le sultan
jugea bon d'écrire au clergé de l'église de la Résurrection, à Jérusalem,
pour l'engager à faire porter une lettre au roi de Naples par un de leurs
ecclésiastiques: le prince serait sollicité de s'entremettre auprès du roi
de Castille pour l'inviter à cesser ses attaques contre l'Espagne et à
évacuer la contrée. En cas de refus, le sultan prévenait qu'il userait
de représailles envers les membres du clergé de l'église de la Résurrection,
qu'il interdirait aux Européens l'accès de ce sanctuaire et qu'il le ferait
démolir au besoin» 4. Près d'un an et demi après réception du message
grenadin au Caire, deux Franciscains espagnols du Saint-Sépulcre arri
vèrent en Espagne, porteurs du message de Qâ'it Bay (1489). Depuis
deux ans, Malaga était tombée aux mains des Rois Catholiques qui
étaient en train d'investir Baza. Ferdinand reçut en son camp les deux
religieux qui avaient également été chargés de lui remettre des lettres
du Pape Innocent VIII et du roi Ferdinand de Naples, conseillant la fin
de la guerre de Grenade. Fernando del Pulgar, qui fut, au cours de cette
campagne, le secrétaire des Rois Catholiques, nous a rapporté l'entrevue
dans sa Chronique6. Ferdinand répondit qu'il avait toujours adopté
une politique uniforme à l'égard de ses sujets musulmans aussi bien qu'à
l'égard des Chrétiens. D'ailleurs les Musulmans étaient étrangers en
Espagne depuis des siècles; s'ils consentaient à se soumettre au pouvoir des
Rois Catholiques, ils jouiraient de l'indulgence dont avaient bénéficié
1 Au pouvoir depuis 873/1468. Sous son règne, l'Egypte connut une véritable
renaissance artistique; cf. G. Wiet, op. cit., pp. 589-612.
8 Tome II, p. 273 de la traduction G. Wiet.
8 Le dernier Nasride Abu *Abd Allah Muhammad XI, le Boabdil des sources
chrétiennes, proclamé roi dans l'Albaycin de Grenade le 16 shawwâl 891/17 octobre 1486.
* Sur cette démarche de Qâ'it Bay, cf. A. Zaki, op. cit., pp. 476-477; G. Colin, op. cit.,
p. 203, n° 3; L. Seco de Lucena Paredes, op. cit., p. 7; Al-Ahwânï, op. cit., p. 120
6 F. del Pulgar, Crànica de los Reyes Catôlicos, éd. J. de Mata Carriazo, Madrid, 1943 ,
vol. II, pp. 395-397. Le consciencieux J. Zurita a repris ce récit au début au XVII»
siècle dans ses Anales de la Corona de Aragon, t. 4, livre 20, chap. 79, pp. 363-364.
96 R. ARIÉ
leurs frères vivant en terre chrétienne, les Mudejars. Les deux religieux
se rendirent ensuite à Jaen où Isabelle les reçut avec des marques de
déférence, octroya a leur monastère une pension royale de mille ducats à
titre perpétuel et leur offrit un riche voile brodé de ses mains pour qu'il
fût suspendu sur le Saint-Sépulcre 1. La Reine leur réitéra le ferme
dessein des Chrétiens d'Espagne de poursuivre jusqu'au bout la guerre
de Grenade. Citons à nouveau Ibn Iyâs, pour conclure: «Cette démarche
ne servit à rien. Les Francs s'emparèrent de Grenade» 2.
Les menaces de Qâ'it Bay étaient, du reste, purement verbales.
L'existence de jelations amicales entre le Sultan mamlûk et la monarchie
espagnole, en pleine guerre de Grenade, a pu être mise en lumière grâce
à la publication récente de documents espagnols ayant trait à la politique
extérieure des Rois Catholiques. Le 2 janvier i488, Ferdinand avait
demandé au Pape l'autorisation de vendre du blé «au Sultan de Baby-
lone» (Qà'it Bay) pour venir en aide aux sujets syriens de ce dernier
menacés de famine. Grâce au montant de la vente, les Rois Catholiques
pourraient subvenir aux frais de la guerre de Grenade 3. Dans cette
mesure, Ferdinand voyait un moyen- d'aider le Sultan contre la Turquie
dont la puissance croissante inquiétait la Chrétienté d'Occident. Le 27
avril 1489, Ferdinand écrivait de Cordoue à un certain Mateo Coppola
pour obtenir des précisions au sujet d'un projet consistant à envoyer
cinquante naves au «Sultan de Babylone», qu'il tenait pour le seul chef
musulman capable de contrecarrer la poussée turque en Orient 4.
Tels sont les quelques documents connus concernant les relations
diplomatiques entre les cours de Grenade et du Caire. D'après les
indications qu'ils renferment, il nous semble permis d'inférer que la
Grenade nasride se tourna vers l'Egypte des Mamlûks au moment où
l'aide mérinide lui fit défaut, et, à partir du XVe siècle, sous la pression
d'une série d'événements: déclin des Mérinides et indifférence des régents
1 Sur la lenteur des informations qui arrivaient en Egypte au sujet des événements
d'al-Andalus, cf. Al-'Ayni, 'Uqd al-Djumân, Manuscrit Bibliothèque Nationale
du Caire Ta'rikh 1584, t. 25, f° 647, al-Sakhàwî, al-Tibr al-Masbûk, in E. Fagnan,
Extraits inédits relatifs au Maghreb, Alger, 1924, p. 284.
• Cf. al-Qalqa§h'andï, Subi), t. 5, pp. 260-263. La chronologie des souverains nasrides
s'arrête en 794/1392, soit à l'époque de Muhammad VU, contemporain de l'auteur.
8 Les indications d'Ibn Taghribirdî, Nudjûm (éd. W. Popper, vol. XIX, p. 3,
notamment) sont utiles pour l'établissement de la généalogie na§ride.
4 L'un des rares portraits de souverains naçrides que nous ayons pu relever au cours
de nos minutieux dépouillements figure dans le Kitâb Duwal al-Islàm d'al-Dhahabî.
p. 134. Muhammad al-Ghàlib billàh, premier souverain na§ride, y est dépeint comme
un homme pieux, courageux et ferme en ses desseins.
8 Ta'rlf, p. 60.
• Le cinquième souverain nasride Isma'il Ier qui régna de 713/1314 à 725/1325.
Cf. article Nasrides (supra p. 88, n° 3), le tableau généalogique dressé par L. Seco
de Lucena (art. cit. supra, p. 93, n° 6); Ibn al-Khatîb, Lamha, pp. 65-76.
7 Bidàya, t. XIV, éd. Caire, pp. 96-97 et E. Fagnan, op. cit., p. 260.
8 Masâlik al-absâr, Manuscrit Bibliothèque Nationale Paris, Arabe n° 2328, f° 142 v°;
cf. traduction M. Gaudefroy-Demombynes, Paris, 1927, p. 236.
• Tome 30, folios 130-134 de la Nihâya, Manuscrit Bibliothèque Nationale du Caire,
Ma'ârif 'Amma 549.
10 Subh, t. V, p. 272. Récit fondé sur celui du Masâlik.
11 Sulûk, éd. Ziyâda, t. Il1"8, p. 198.
18 'Uqd al-D[umân, Manuscrit Caire précité, t. 23, l°* 177-178.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 99
De récentes études 3 ont mis l'accent sur les échanges culturels qui,
dans le Haut Moyen-Age, unirent les Musulmans d'Orient demeurés
dans l'obédience 'abbâside et leurs coreligionnaires installés dans la
Péninsule Ibérique depuis la fondation de l'émirat umayyade (750 J.-C).
Le lien spirituel le plus profond fut, à coup sûr, le pèlerinage à la Mekke
qui attirait nombre d' Andalous en Orient. Les savants se déplaçaient
également «à la recherche de la science» (fi falab al-'ilm), mus par le désir
de suivre les cours de maîtres orientaux réputés, de conquérir leurs
diplômes et d'accroître ainsi leur prestige auprès de leurs compatriotes.
Des commerçants qui sillonnaient la Méditerranée et maintenaient d'ac-
1 Pour une rapide vue d'ensemble de l'histoire des derniers Nasrides, on renverra à
l'article de L. Seco de Lucena Paredes, Panorama politico del Islam granadino
durante el siglo XV in Miscelânea de Estudios Arabes y Hebraicos, vol. IX, Grenade,
1960, fasc. 1, pp. 7-18.
1 Cf. E. Fagnan, op. cit., pp. 278-284 et G. Wiet, Histoire des Mamlûks Circassiens,
p. 273.
• Cf. E. Lévi-Provençal, La civilisation arabe en Espagne, Paris, 1948 et Le Mâlikisme
andalou et les apports doctrinaux de l'Orient in Revista del Instituto Egipcio de Estudios
Islâmicos, t. I, Madrid, 1953'; H. Mones, Le rôle des hommes de religion dans l'Espagne
musulmane jusqu'à la fin du Califat in Studia Islamica, fasc. XX, 1964, pp. 47-88;
M. A. Makkl, Ensayo sobre las aportaciones orientales y su influencia en la for-
maciôn de la cultura hispano-arabe in Revista del Instituto de Estudios Islâmicos
Madrid, 1961-1962, vols. IX-X, pp. 65-231.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 103
1 Cf. Ch. Pellat, Langue et Littérature arabes, Paris, 1952, pp. 182-185; F. J. Sânchez
Canton, Viajeros espanoles en Oriente in Revista del Instituto Egipcio de Estudios
Islâmicos en Madrid, vol. IV, Madrid, 1956, fasc. 1-2, pp. 1-45 (bref tableau des
voyageurs musulmans et chrétiens d'Espagne les plus connus qui se rendirent en
Orient au Moyen-Age et aux temps modernes).
» Cf. \ Ibn Shâkir al Kutubï, Fawât al Wafâyât, t. I, 204, al-Maqqarî, Nafh al-Tib,
éd. Caire, t. II, pp. 44-45.
» Ct supra, p. 99, n° 6.
* Sur al-Sbusitârî, né en 610/1212 à Shushtâr, en Andalousie; m. en 668/1270, à
Damiette selon L. Massignon, Investigations sobre al-Shushtarï, poeta andaluz,
enterrado en Damieta in Al-Andalus, fasc. 1, t. VII, p. 162; A. S. al-Nashar, Abul-
Hasan al-Shushtârî, mlstico andaluz y autor de zéjeles y su influencia en el mundo
musulman in Revista del Instituto Egipcio de Estudios Islâmicos, Madrid, 1953,
pp. 122-155.
* Histoire des Berbères, texte, t. II, pp. 330-332, trad, de Slane, t. IV, pp. 153-154.
104 R. ARIÉ
1 Cf. Masâlik, manuscrit Paris Arabe n° 2327, fol. 214 r° et 214 v°. Cf. G. S. Colin,
Quelques poètes arabes d'Occident au XIV' siècle in Hesperis, t. XII, 1931, n° 5,
p. 245.
2 Cf. G. S. Colin (art. cit. supra, n° 1). Masâlik, Manuscrit Paris, fol. 215 r°.
' Suluk, t. I, p. 189. Le Nasride dont il s'agit est sans doute Ism a 'il Ier; cf. supra p. 98,
n° 6.
* Sur Ibn al-yâdjdj (né en 713/1313), cf. Masâlik, ms. précil, fol. 215 r°. II}â{a, éd.
Caire, 1319, t. I, pp. 193-210. Ibn Hadjar Durâr, t. I, n° 69, p. 28. Nafh, t. I, p. 594,
t. IV, p. 659.
5 Sur al-Mizzï, cf. H. Laoust, Ibn Kathîr historien (supra p. 90, n° 3).
• Sur les manuscrits d'al-Balawï, cf. O. Houdas et R. Basset, Mission Scientifique en
Tunisie in Bulletin de Correspondance Africaine, 1884, p. 35; R. Brunschvig, La
Berbérie orientale au temps des Hafsides, Introd ; Brockelmann, II, p. 266.
7 Cf. Gaspar Remiro, Presentimiento y juicio de los moros espanoles sobre la calda
inminente 'de Granada y su Reino en poder de los cristianos in Revista de Estudios His-
tôricos de Granada y su Reino, 1911, t. I, pp. 149-153.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 1 05
1 Le port du turban était assez rare en Espagne musulmane à cette époque. Sur la
prononciation grenadine, cf. Ibn al-Kljatlb, Lamha, p. 27.
2 Cf. art. de S. Glazer, in El2, t. I, pp. 129-130, Ibn ^adjar,
"~ Durar, t. IV, n° 832,
Brockelmann, I, p. 109 et S. II, p. 136.
3 Cf. Durar, t. III, n° 929.
* Cf. El, II, pp. 398-399, art. de C. F. Seybold.
6 Cf. Durar, t. I, n° 961.
6 Cf. Durar, t. I, n° 848.
7 Oncle de l'auteur du Dîbâdj, supra, p. 105, n° 9; cf. Durar, t. II, n° 2228.
8 Cf. Brockelmann, II, p. 266, Azhar al-Riyâd, t. I, p. 71; t. III, pp. 318-319.
9 Cf. supra, p. 94, n° 9.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 107
1 Cf. H. Terrasse, L'art hispano-mauresque des origines au XIII* siècle, p. 127 sq.
2 Cf. F. Hernandez, La techumbre de la Gran Mezquita de Côrdoba in Archivo Espanol
de Arte y Arqueologia, n° XII, 1928, p. 191 sq.
3 Cf. G. Marçais, Les échanges artistiques entre l'Egypte et les pays musulmans
occidentaux in Hespéris, 1934, pp. 95-106. L. Torres Balbâs, Intercambios arttsticos entre
Egipto y el Occidenle Musulman in Al-Andalus, vol. III, 1935, fasc. 2, pp. 411-424.
4 Cf. L. Torres Balbâs, Los edificios hispano-musulmanes in Revista del Instituto Egip-
cio de Estudios Islâmicos, t. I, Madrid, 1953, pp. 92-121.