Vous êtes sur la page 1sur 22

Mélanges de la Casa de

Velázquez

Les relations diplomatiques et culturelles entre Musulmans


d'Espagne et Musulmans d'Orient au temps des Nasrides
Mme Rachel Arié

Citer ce document / Cite this document :

Arié Rachel. Les relations diplomatiques et culturelles entre Musulmans d'Espagne et Musulmans d'Orient au temps des
Nasrides. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 1, 1965. pp. 87-107;

doi : https://doi.org/10.3406/casa.1965.928

https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1965_num_1_1_928

Fichier pdf généré le 14/05/2018


LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
ET CULTURELLES ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE
ET MUSULMANS D'ORIENT AU TEMPS
DES NASRIDES

Par Mme. Rachel ARIÉ,


Membre de la Section Scientifique

Les relations entre les Etats de l'Europe chrétienne — Aragon et


Castille — d'une part et l'Egypte des Mamlùks d'autre part, au cours
du Bas Moyen-Age ont fait l'objet de plusieurs études dès le début du
XXe siècle K Erudits européens et orientaux se sont penchés sur les
riches fonds d'archives de la Couronne d'Aragon et sur les sources arabes
pour retracer l'histoire des rapports hispano-orientaux de la seconde
moitié du XIIIe siècle à la conquête ottomane en l'intégrant dans le
jeu complexe de la politique méditerranéenne 2.- Plus rares ont été les

Dès 1904, H. Lammens, S. J., étudiait les Correspondances diplomatiques entre les
Sultans Mamluks d'Egypte et les puissances chrétiennes. (Revue de l'Orient chrétien,
1904, n° 2, pp. 151-187; n° 3, pp. 359-392.) En 1938, A. S. 'Atïya consacrait un long
article à l'échange d'ambassades, de lettres et de cadeaux entre les cours chrétiennes
et l'Egypte musulmane sous les règnes de Jacques II d'Aragon et d'al-Mâlik al-Nâsir
(Egypt and Aragon. Embassies and Diplomatie Correspondence between 1300 and
1330 A. D. in Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes, vol. XIII, fasc. 7, 1938).
Mme. A. Masiâ de Ros a brossé un tableau de l'expansion aragonaise en Méditerranée
à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle. (La Corona de Aragon y
los Estados del Norte de Africa. Politica de Jaime II y Alfonso IV en Egipto, Ifriqiyya
y Tremecen, Barcelone, 1951.) Mme. A. Lôpez de Meneses a publié les lettres adressées
par Pierre le Cérémonieux au souverain d'Egypte. (Correspondencia de Pedro el Cere-
monioso con la Soldania de Babilonia in Cuadernos de Historia de Espana, Buenos
Ayres, 1959, pp. 293-337.) A. M. al-'Abbâdï a donné une brève et utile synthèse
des relations hispano-égyptiennes à travers les âges (Algunos aspectos de las re-
laciones histôricas hispano-egipeias in Boletin de la Embajada de Egipto en Madrid,
Madrid, juillet 1953, pp. 14-18). Récemment, P. Martinez "Monta vez a traité des
relations entre la Castille et les Mamlûks, en se fondant sur les sources arabes d'Orient.
Il a non seulement relaté l'envoi d'ambassades et la conclusion de traités commerciaux
s'échelonnant entre 1261 et 1382 mais mis l'accent sur la présence castillane en
Egypte depuis la seconde moitié du XIII* siècle jusqu'à la chute des Mamluks,
en dégageant les motifs d'ordre politique ou économique qui animèrent les
monarques castillans. Cf. Relaciones de Alfonso X de Castilla con el Sultano Mameluco
Baybars y sus sucesores (Al-Andalus, vol. XXVII, 1962, fasc. 2, pp. 343-376) et
Relaciones castellano-mamelucas (1282-1383) in Hispania, 1963, t. XXIII, pp. 505-523.
88 R. ARIÉ

travaux consacrés aux relations entre l'Espagne musulmane et l'Empire


des Mamlûks, au cours de la même péiiode. En 1904, l'érudit égyptien
Ahmad Zaki, faisant état de notes glanées dans des œuvres alors inédites
d'auteurs orientaux, avait attiré l'attention sur les liens qui unirent
les Musulmans d'Egypte à leurs frères d'al Andalus *. Depuis, la
découverte et la publication de textes andalous et orientaux sont venues éclairer
la question d'un jour nouveau. C'est une vue d'ensemble des rapports
diplomatiques et culturels entre les Musulmans d'Espagne et leurs
coreligionnaires d'Orient au temps des Nasrides que nous tenterons de
présenter dans la modeste contribution qui va suivre 2.
Nous rappellerons tout d'abord brièvement la succession des
événements. Dès la première moitié du XIIIe siècle, un chef arabe de la
région de Jaen, appartenant à la famille des Banù-1-Ahmar, Muhammad b.
Yûsuf b. Nasr, se taillait dans l'Andalousie du Sud-Est, sur les débris de
la puissance almohade, un royaume nouveau avec, en 635 H/1237 J.-C. ,
Grenade pour capitale 3. Quelques annés plus tard, dans une Egypte où
déclinait le prestige des Ayyûbides 4, d'anciens esclaves, pour la plupart
d'origine turque, organisés en une force armée, les Mamlûks 5, s'emparaient
du pouvoir (647/1249), infligeaient aux Mongols une sérieuse défaite à
'Ayn Djalùt (658/1260) en Syrie et se rendaient bientôt maîtres du pays.
Dernière enclave musulmane dans la péninsule ibérique, le royaume
nasride de Grenade, quoique déchiré par les luttes intestines, réussit à
se maintenir, à travers une longue histoire de trêves et de guerres avec

1 Cf. Mémoire sur les relations entre l'Egypte et l'Espagne pendant l'occupation
musulmane, in Homenaje a Codera, Saragosse, 1904, pp. 455-481.
2 Le système de transcription des caractères arabes que nous avons adopté est
celui de l'Encyclopédie de l'Islam, 1«™ édition (Leyde-Paris, 1913-1936) et 2e édition
(Leyde-Paris, 1959) en abréviation El1 et El2, sauf q au lieu de k sous-pointé. Les
abréviations Brockelmann, I, II et Brockelmann, S. I, II, III, se réfèrent
respectivement à C. Brockelmann, Geschichte der Arabischen Literatur, Leyde, 1943-1949
et Geschichte der Arabischen Literatur, Erster, Zweiter, Dritter Supplementband,
Leyde, 1937-1942.
B Sur la Grenade nasride, cf. articles Alhambra (J. Strzygowski) in El1, t. I, pp. 280-
283; Grenade (G. F. Seybold) in El1, t. II, pp. 186-187, Gharnâta (A. Huici-H.
Terrasse) in El2, t. II, pp. 1012-1020; Nasrides (E. Lévi-Provençal), in El1, t. III,
pp. 938-942; cf. H. Terrasse, Islam d'Espagne, Paris, 1958, passim et Le royaume
nasride dans la vie de l'Espagne du Moyen-Age. Indications et problèmes, in Mélanges
offerts à Marcel Bataillon par les hispanistes français, Bordeaux, 1963, pp. 253-260.
4 Sur les Ayyûbides, cf. art. de Cl. Cahen in El2, t. I, pp. 939-959.
6 Sur les Mamlûks, cf. et H. Kramers, art. Mamlûks in El1, t. III, pp. 230-236; outre
l'ouvrage vieilli de Sir W. Muir, The Mameluke or Slave Dynasty of Egypt, 1896,
on se reportera, pour une étude d'ensemble de la dynastie, à G. Wiet: Le Régime des
Mamlûks in L'Egypte arabe de la conquête arabe à la conquête ottomane (642-1517 de
l'ère chrétienne), Histoire de la Nation Egyptienne de G. Hanotaux.t. IV, pp. 387-636.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 89

l'Espagne chrétienne, jusqu'à la fin du XVe siècle qui vit la reddition


de Grenade aux mains des Rois Catholiques (897/1492). Les Mamlûks
dominaient alors l'Egypte et la Nubie jusqu'à Massawa ainsi que la
Syrie, ils exerçaient la souveraineté sur les lieux saints de la Mekke et
de Médine. Ils avaient doté leur empire d'une administration efficace,
encouragé l'agriculture, les métiers et les industries d'art, bref «écrit
dans l'histoire de l'Egypte des pages splendides» (G. Wiet) *.
Pour retracer l'histoire des rapports diplomatiques et culturels entre
Musulmans d'Espagne et Musulmans d'Orient au temps des Nasrides,
l'historien de l'Islam ne dispose pas, comme son confrère l'historien
de l'Occident médiéval, de documents d'archives classés et inventoriés 2.
Parmi les documents officiels nasrides ayant échappé à la destruction, il
en est qui, rassemblés il y a vingt-cinq ans en un important recueil par
les soins de deux orientalistes espagnols 3, éclairent principalement le
jeu de la politique nasride à l'égard des Mérinides du Maroc d'une part
et des royaumes chrétiens de la Péninsule Ibérique d'autre part.
Le recours aux sources littéraires ne s'avère guère plus fructueux.
Le célèbre polygraphe grenadin, Lisân al-din Ibn al-Khatib 4, qui fut
mêlé de très près à la vie politique du royaume nasride dans la seconde
partie du XIVe siècle, ne nous a livré ni dans sa Lamha ni dans son
Ihâta aucun élément d'information sur les rapports qui purent exister
entre les deux souverains nasrides dont il fut le vizir et les Sultans du
Caire. Seule la correspondance diplomatique échangée entre la Cour de
Grenade et celles de Berbérie figure dans sa Rayhânat al-Kuttâb 8. Les
matériaux diplomatiques font également défaut dans l'œuvre — par
ailleurs si précieuse pour l'étude des relations entre Mamlûks et
Mérinides — de son contemporain Ibn Khaldûn 6. Pour le XVe siècle,

1 Cf., p. 88, n° 5, op. cit, p. 401.


2 Sur les causes de cette pénurie de documents d'archives en ce qui con cerne l'histoire
de l'Islam en général, cf. J. Sauvaget, Introduction à l'histoire de l'Orient Musulman,
édition refondue et complétée par Cl. Cahen, Paris, 1961, pp. 18-23.
8 M. Alarcôn y Santon et R. Garcia de Linares, Los Documentos arabes del Archivo
de la Corona de Aragon, Madrid-Grenade, 1940.
4 Sur Ibn al-Khatlb (m. 1374 J.-C), il existe une abondante bibliographie. Nous ne
mentionnerons que l'art, de C. F. Seybold in El1, t. II, p. 21, les pages que lui
consacrent Brockelmann II, pp. 337-340, S. II, p. 372, Pons Boygues (F.), Ensayo bio-
bibliogrâfico sobre los historiadores y geôgrafos arâbigo-espanoles, Madrid, 1898, pp. 334-
347. La liste des œuvres d'Ibn al-Khatîb est donnée par al-Maqqarï dans Nafh
al-Tïb, t. 9, pp. 303 sq. et Azhar al-Riyâd, t. I, pp. 189-190.
5 La Rayhânat al-Kuttâb a été éditée et partiellement traduite par M. Gaspar Remiro,
Correspondencia diplomâtica entre Granada y Fez (siglo XI V). Extrados de la Raihana
alcuttab de Lisaned din Abenaljatib El Andalosi, Grenade, 1916.
« Sur Ibn Khaldûn, outre Y El1, t. II, pp. 418-419 (art. de A. Bel), Brockelmann, II,
pp. 244-245, on se reportera à H. Pérès, Essai de bibliographie sur la vie et l'œuvre d'Ibn
90 R. ARIÉ

la maigreur de la documentation andalouse rehausse l'intérêt de la


découverte — dans un legajo de la Bibliothèque Nationale de Madrid —
d'une relation de voyage qui jette quelque lumière sur une ambassade
nasride en Egypte 1.
Au cours des XIVe et XVe siècles, l'Empire des Mamlûks vit
s'épanouir une brillante pléiade d'historiens et de lettrés dont les œuvres
viennent remédier à l'indigence des sources arabes d'Occident. Nous
disposons ainsi des sources orientales suivantes:
1) les chroniques syro-égyptiennes consacrées à l'histoire du monde
musulman: le Kitâb Duwal al Islam de l'historien al-Dhahabï *, la
Bidâya d'Ibn Kathîr 3, le Kitâb Sulûk H Ma'rifat Duwal al-Mulûk d'al-
Maqrîzï 4, le Nudjiïm al-Zâhira d'Ibn Taghribirdî », le 'Uqd al Djumân

Khaldun in Studi Orientalistici in onore di Giorgio Levi délia Vida, vol. II, Rome, 1956,
pp. 304-329; R. Brunschvig, La Berber it Orientale au temps des Hafsides, t. II,
pp. 385-393; W. J. Fischel, Ibn Khaldûn's Autobiography in the light of External
Arabic Sources in Studi Orientalistici in onore di Giorgio Levi délia Vida, Rome, 1956,
vol. I, pp. 287-308 et à la bibliographie établie par W. J. Fischel dans la traduction
de la Muqaddima publiée à New York en 1958 par F. Rosenthal. Les données d'Ibn
Khaldûn relatives aux rapports entre le Maroc et l'Egypte ont été mises en œuvre,
entre autres sources, par M. Canard dans Les relations entre les Mérinides et les
Mamlûks au XIV* siècle in Annales de l'Institut d'Etudes Orientales de l'Université
d'Alger, t. V, 1939-1941, pp. 41-81.
1 II s'agit d'un fragment manuscrit retrouvé en 1951 par 4Abd al'Azïz Al-Ahwânï,
actuellement professeur à l'Université du Caire, dans un legajo de la Bibliothèque
Nationale de Madrid (n° 18602) et publié sous le titre Sifâra siyasiyya min Gharnata
ilâ-l-Qàhira fï-l qarn al-tâsi' al-hidjrï sanat 844 in Madjallat Kulliyyat al-Âdâb,
Le Caire, XVI/1, 1954, pp. 95-121 du texte arabe. Cf. C-R d'E. Lévi-Provençal in
Arabica, t. II, 1955, pp. 252-253.
s Sur l'historien et théologien Shams al dîn al-Dhahabï, m. à Damas en 748/1348,
auteur d'une histoire de l'Islam amplement documentée, finissant en 700/1300-1,
le Ta'rlkh al- Islam, cf. l'article de M. Ben Cheneb (J. de Somogy) in El2, t. II,
pp. 221-222, Brockelmann, II, pp. 46-48, S. II, pp. 45-47. Nous avons consulté
l'abrégé que fit al-Dhahabï de sa chronique, soit le Kitâb Duwal al-Islâm, éd. à
Hayderabad en 1337/1918-9.
» Sur le jurisconsulte shâfi 'ite syrien Ismà'ïl Ibn Kathîr, m. 774/1373, auteur d'une
chronique universelle, al-Bidâya wal nihâya, cf. l'article de C. Brockelmann in El1,
II, p. 417; Brockelmann, II, pp. 60-61 et S. II, pp. 48-49; H. Laoust, Ibn Kathir
historien in Arabica, t. II, 1955, pp. 42-88.
4 Sur l'historien égyptien, al-Maqrîzï (m. 845/1442) dont l'histoire des Sultans
Mamlûks s'arrête au début du XVe siècle, cf. l'art, de C. Brockelmann in El1,
t. III, pp. 186-187, Brockelmann, II, p. 38. Nous avons utilisé l'édition en cours
du Sulûk, due à M. M. Ziyada.
» L'historien Abû-1-Mahâsin Ibn Taghribirdî (m. 874/1469), fils d'un Mamlûk d'Asie
Mineure, est l'auteur du Kitâb al-Nudjûm al Zàhira fi mulûk Misr wal Kâhira,
histoire de l'Egypte entre 20/641 et sa propre époque; cf. l'art, de C. Brockelmann,
in El1, t. I, pp. 101-102 et celui de W. Popper in El2, t. I, p. 142; Brockelmann, II(
p. 41, S. II, p. 39.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D 'ESPAGNE ET MUSULMANS D 'ORIENT 91

d'al-'Aynï *, le Tibr al-Masbùk d'al-Sakhâwi *, les Badâ'ï al- Zuhûr d' lbn
Iyâs ».
2) les encyclopédies historico-géographiques d'Orient telles que le
Taqwïm al Buldân d'Abû-1-Fidâ 4, le Masâlik al-Absâr d'Ibn Fadlallâh-
al'Umarï s, la Nihâyat al- Arab d'al-Nuwayrî •.
3) les manuels composés à l'intention des secrétaires de la
chancellerie d'état égyptienne, inappréciable mine de renseignements non
seulement pour la connaissance de la vie administrative sous les Mamlûks
mais aussi pour la politique extérieure de ces derniers, les
correspondances politiques qui y sont reproduites tenant lieu de véritables pièces
d'archives. Ce sont le Ta'rif bil mustalah al-sharïf 7 d'al-'Umarï, le Subi}
al-A'sha d'al-Qalqashandï 8, le Muqsid al-RafV d'al-Khâîidï ».

1 Sur l'historien égyptien Badr al-cïïn al-'Aynï (m. 855/1451), qui vécut au Caire où
il fut tour à tour muhtasib, cadi suprême des Hanafites, familier des Sultans mamlûks,
cf. l'art, de W. Marçais in El2, t. I, pp. 813-814; Brockelmann, II, pp. 64-66, S. II,
pp. 50-51. Al'Aynï est l'auteur d'une monumentale histoire générale de l'Islam,
encore à l'état de manuscrit, intitulée • Uqd al-Djumân fï ta'rïkh ahl al-zamân, allant
de la création jusqu'à 850 H.
• Le jurisconsulte shâfi'ite al-Sakhâwî a poursuivi l'histoire des Sultans mamlûks
d'al-Maqrizï dans son Tibr al-Masbùk qui s'arrête à 898 H. Cf. Brockelmann, II,
pp. 34-44 et S. II, pp. 31-33.
» Le Cairote lbn Iyâs (m. 928 H) est l'auteur d'une importante chronique atteignant
la conquête ottomane, qui demeure pour le début du Xe siècle de l'Hégire, une
excellente source historique. Cf. M. Sobernheim, El1, t. II, p. 414; Brockelmann, II, 295.
• Abû-1-Fidâ (m. en 1331), prince syrien de la famille des Ayyubides, fut à la fois
mécène, historien et géographe. Cf. article de H. A. R. Gibb in El2, t. I, p. 122;
Brockelmann, II, pp. 44-46 et S. II, p. 44. Son Taqwïm al- Buldân, ouvrage de
géographie descriptive, a été édité en entier par Reinaud et de Slane (Paris, 1840),
traduit par Reinaud (Paris, 1848) et St. Guyard (Paris, 1883).
• Originaire de Damas, lbn Fadl Allah al-'Umarî vécut au Caire où il fut cadi et
secrétaire d'état. Il a résumé dans le Masâlik al-Absâr fï mamâlik al-amsâr les
connaissances essentielles à un homme cultivé. Cf. les pages consacrés au Masâlik par
M. Gaudefroy-Demombynes dans La Syrie à l'époque des Mamelouks, d'après les
auteurs arabes, Paris, 1923 (Intr.); les chapitres ayant trait à l'Afrique, moins
l'Egypte, ont été traduits par M. Gaudefroy-Demombynes (Paris, 1927).
• Fonctionnaire de l'administration mamluke, al-Nuwayrï (m. en 1332 J.-C.) tenta de
présenter dans sa Nihâyat al- Arab un somme de connaissances en matière d'histoire,
de géographie, de botanique, de zoologie, à l'usage des secrétaires cf. El1, t. III,
pp. 1035-1036, Brockelmann, II, 175.
7 Le Ta'rif est un «véritable manuel du parfait secrétaire-rédacteur» (M. Gaudefroy-
Demombynes). Il n'en existe qu'une seule édition, celle du Caire (1312 H./1894-
1895 J.-C).
8 ' L'Egyptien Abù-l-'Abbâs Ahmad al-Qalqashandï (m. en 1418), fonctionnaire de la
chancellerie du Caire, a réuni dans le Subh toutes les connaissances que doit posséder
un secrétaire -rédacteur. Cf. article de C. Brockelmann in El1, t. II, pp. 742-
743. M. Gaudefroy-Demombynes, La Syrie à l'époque des Mamelouks (Intr.) Le
Subh al A'shâ a été édité au Caire en 14 volumes (1918-1922).
• Le manuscrit du Kitâb Muqsid al-RafV al munshâ al hâdï ilâ sinâ'at al-inshâ' se
trouve à la Bibliothèque Nationale de Paris sous le n° Arabe 4439. Nous ne savon»
92 R. ARIÉ

4) aux données sur les relations entre l'Espagne musulmane et


l'Empire des Mamlûks que l'on recontre dans les textes indiqués, il
convient d'ajouter d'utiles renseignements recueillis dans le récit de
voyage (rihla) de l'Egyptien *Abd al-Bâsit * et dans les notices de répertoires
bio-bibliographiques tels que les Durar al-Kâmina du jurisconsulte shâfi'ite
Ibn Hadjar al-'Asqalânï *.

I. Les relations diplomatiques entre Nasrides et Mamlûks

Les relations entre les premiers souveraines grenadins et la cour


d'Egypte demeurent obscures, aucune pièce antérieure à la première
moitié du XIVe siècle ne nous étant parvenue. Aussi en sommes-
nous réduits à évoquer les débuts de la politique extérieure na§ride.
Soucieux de consolider un pouvoir parfois gravement menacé par des membres
de leur propre famille 3, préoccupés de se libérer du lien de vassalité à
l'égard de la Castille, les premiers Nasrides furent conduits à se tourner
vers l'allié le plus proche, par conséquent à rechercher l'alliance de la
dynastie mérinide qui venait de supplanter les Almohades au Maroc *.
C'est à partir du XIVe siècle que le témoignage d'Ibn Fadl Allah
al-'Umari apporte dans le Ta'rïf*, quelque précision sur une
correspondance diplomatique échangée entre les cours de Grenade et du Caire.

rien sur l'auteur, Bahâ' al-dïn al-JÇhâlidï qui, dans ce texte, a utilisé tant le Ta'rïf
que le Masâlik et résumé les chapitres de géographie du Subh auquel son œuvre
semble postérieure.
1 Sur 'Abd al-Bâsit, cf. G. Levi délia Vida, // regno di Granala nel 1465-1466 nei
Ricordi di un viaggialore egiziano (Al-Andalus, t. 1, 1933, pp. 307-334), R. Brunschvig,
Deux Récits de voyage inédits en Afrique du Nord au XV* siècle, fAbd al-Bâsi{ b.
KJialil et Adorne (Paris, 1936) et La Berbérie orientale au temps des Hafsides
(Introd. XXXIV).
• Dans les Durâr al-Kâmina, le shaykh al-Islâm Ibn Hadjar al 'Asqalânï a établi les
biographies détaillées des grammairiens, lettrés, poètes et princes qui s'illustrèrent
au VIIIe siècle de l'Hégire. L'œuvre • a été éditée à Hayderabad en 1348-1350/
1929-1930, en 4 vols. Sur Ibn Hadjar, cf. Brockelmann, II, p. 67 sq. et article de
C. Van Arendonk in El1, t. II, pp. 402-403.
» Notament par les Banù Ashqîlûla dont la rébellion s'étendit de 663/1265 à 686/1287.
Cf. I. S. Allouche, La révolte des Banû Astiqilùla contre le sultan nasride
Muhammad II, d'après le «Kitâb A'màl al-A(lâm d'Ibn al-Khatib* in Hespéris, 1938, t. XXV,
pp. 1-11.
4 Muhammad II al Faqih envoya, peu de temps après son accession au trône, une
ambassade au sultan de Fez, Abu Yûsuf Ya'qûb. Celui-ci accepta (3 de rabï' I
673/5 septembre 1274), moyennant l'occupation de Tarifa et d'Algésiras, d'engager
la lutte contre les Chrétiens d'Espagne. Cf. Crônica de Alfonso X, in Biblioleca de
Autores Espanoles, t. 66 de la collection Rivadeneyra, pp. 48-49.
8 Ed. Caire, p. 26 sq. Traduction assez libre du texte arabe dans A. Zaki, op. cit.,
pp. 473-474.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 93

Ibn Fadl Allah reproduit un modèle de lettre à adresser au sultan régnant


alors en Espagne musulmane, Yûsuf Ier, le vaincu de Tarifa K Nous
apprenons ainsi que le roi de Grenade s'était adressé au Sultan mamlùk,
soit al-Sâlih 'Imâd al-dïn Ismâ'ïl 2 pour implorer son aide dans la lutte
contre les Chrétiens. Prétextant la nécessité de défendre ses propres
frontières gravement menacées par les infidèles, le MamlQk refusa
d'envoyer une expédition de secours et se borna à formuler des vœux pour la
victoire du Nasride.
C'est à Qalqashandi 3 que nous devons quelques indications sur l'envoi
d'une ambassade grenadine en rjjumâdâ I 765/5 février 1364 auprès du
Sultan mamlûk (probablement al-Ashraf Nâsir al-dïn Sha'bân 4. Les
envoyés nasrides étaient porteurs de riches présents et d'une lettre
dans laquelle Muhammad V informait le Mamlûk de la victoire qu'il
venait de remporter sur les Castillans.
Dans un recueil de lettres officielles datant du XVe siècle, examiné
par G. S. Colin à la Bibliothèque Nationale de Paris s, figure le texte
de deux missives envoyées par des souverains nasrides au Sultan du
Caire. Toutes deux ont pour thème principal une demande d'expédition
de secours dans la lutte que soutiennent les Musulmans grenadins contre
la Castille. La première, écrite à l'Alhambra le 13 Djumâdâ I 845/1441-
1442 (folio 57 v°) émane du Nasride Muhammad IX al Aysar 6 qui implore

1 Le souverain naçride AbQ-1-yadjdjâdj Yûsuf (Yûsuf Ier) est dénommé à tort


Abû-1-Fadl Yûsuf dans le texte d'al-'Umarî. Les troupes na§rides, alliées à celles
du Mérinide Abû-1-Hasan, se firent infliger une sanglante défaite à Tarifa le 7
Djumâdâ I 741/30 octobre 1340 par l'armée castillane d'Alphonse XI et celle du roi de
Portugal Alphonse IV. Les Mérinides repassèren* la frontière après avoir perdu
Algésiras et Yûsuf regagna en hâte Grenade. Cf. article Tarifa in P. Madoz, Diccio-
nario geogrâfico-estadistico histôrico de Espana, t. XIV, Madrid, 1840, pp. 606-609,
art. Tarifa dû à E. Levi-Provençal, in El1, t. IV, p. 099; Ibn al-Khatïb, Lamha, p. 93;
H. Terrasse, Histoire du Maroc, Casablanca, 1950, t. II, p. 55; A. Huici Miranda,
El sitio de Tarifa y la batalla del Salado in Las grandes batallas de la Reconquista
durante las invasiones africanas, Madrid, 1956, pp. 331-387.
2 Al-Sàlih 'Imâd al-din régna du 22 Muharram 743/7 juin 1342 au 4 Rabi 'II 746/3
août 1345. Cf. St. Lane-Poole, The Muhammadan dynasties, Paris, 1925, p. 81.
M. Canard, op. cit., pp. 64-65, analyse une lettre, transmise par al-Maqqarî (Nafh,
t. II, pp. 698 sq.) dans laquelle le Mérinide Abû-1-Hasan, s'adressant de Fez en
745/1344 à Mâlik Sâlih Ismâ 'il, relate les événements d'Espagne.
3 Subh al-A'shâ, éd. Caire, t. VII, pp. 415-117.
4 II régna de 764/1363 à 778/1376. Ces dates coïncident avec le second règne de
Muhammad V.
8 II s'agit du manuscrit Arabe 4440; cf. G. S. Colin, Contribution à l'étude des relations
diplomatiques entre les Musulmans d'Occident et l'Egypte au XV* siècle, in
Mémoires de l'Institut français d'Archéologie orientale, t. 68, Le Caire, 1935, pp. 197-206.
6 Pour l'identification du souverain nasride, nous renvoyons à l'article de L. Seco
de Lucena Paredes, Una rectificaciôn a la historia de los ûltimos Nasries, in Al-Anda-
lus, 1952, vol. XVII, fasc. 1, pp. 153-163 ainsi qu'à Al-Ahwânï, op. cit., pp. 111-118;
94 R. AR1É

l'assistance du sultan mamlùk en faveur de ses frères andalous, isolés


et menacés par les Chrétiens d'Espagne. Le porteur du message, le
négociant Muhammad al-Bunyûlï, est chargé de ramener à Grenade tous
les dons qu'accordera la cour d'Egypte à «cette marche de guerre sainte»
qu'est l'Andalousie.
Les détails sur l'entrevue qui eut lieu entre le Sultan mamlûk Abu
Sa'id Djaqmaq al-Zâhir x et les envoyés grenadins nous sont fournis
dans le fragment de la vivante relation de voyage retrouvée en 1951 à la
Bibliothèque Nationale de Madrid par 'Abd al'Azîz Al-Ahwâni et dont
l'auteur a pu être identifié à juste titre par L. Seco de Lucena Paredes
avec le messager grenadin Muhammad al-Bunyûli 2. Au marchand
andalou et à ses compagnons éblouis par le cérémonial de la Cour mam-
lûk'e, le Sultan du Caire opposa un refus fondé sur l'éloignement d'al-
Andalus et se contenta de remettre argent, armes et somptueux
présents 3.
La deuxième lettre conservée dans le manuscrit de Paris (folio
62 r°) porte la date de Djumâdâ I 868 /janvier 1464. Les Chrétiens
s'étant emparés de Gibraltar, de la forteresse d'al-Liqûn et d'Archidona,
la situation était devenue si grave que le roi de Grenade, Sa 'd al-Musta'fn
billâh 4, par le truchement du cheikh Muhammad Ibn al-Faqïh 8,
sollicitait un secours urgent de la part du Sultan Khushqadam 6. Nous
ignorons tout de la suite qui fut donnée à cette ambassade.
Dans la vaste compilation que rédigea le Tlemcénien Al-Maqqarî 7
au début du XVIIe siècle, le Naffy al-fib min ghusn al Andalus al-
Ratïb, il est fait état d'une démarche ultérieure 8 tentée par le lettré
grenadin Ibn al-Azraq 9 qui, réfugié à Tlemcen à la suite des progrès
de la Reconquête chrétienne, gagna bientôt l'Egypte et demanda au

L. Seco de Lucena Paredes, Nuevas rectificaciones a la historia de los ûllimos nasries,


in Al-Andalus, vol. XX (1955), pp. 382-405.
1 II régna de 842/1438 à 857/1453.
2 Cf. L. Seco de Lucena Paredes, Embajadores granadinos en El Cairo, in Miscelânea
de Estudios Arabes y Hebraicos, Grenade, 1955, t. IV, pp. 5-30.
8 Cf. AI-Ahwânî, op. cit., p. 103; traduction espagnole in L. Seco de Lucena Paredes,
op. cit., p. 16.
4 II avait été porté au pouvoir en 1455 par la famille des Abencérages.
8 Nous n'avons pu identifier ce personnage.
6 II régna de 865/1461 à 872/1467.
7 Sur le littérateur et biographe maghrébin Al-Maqqarî, cf. art. d'E. Lévi-Provençal
in El1, t. ÏII, pp. 184-185.
8 Cf. Nafh al-Tib (éd. Leyde) t. I, pp. 941-942.
• Ibn al Azraq, originaire de Guadix, fut qadï-1-djamâ'a à Grenade; auteur de
nombreux ouvrages de grammaire et de morale; cf. Brockelmann, II, p. 266, al-
Maqqarï, Azhâr al Riyâd, t. I, p. 71; t. 3, pp. 318-319.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 95

sultan mamlùk Ashraf Sayf al din Qâ'it Bay 1 assistance en faveur des
Grenadins assiégés de toutes parts par les armées chrétiennes. Mais,
conclut mélancoliquement al-Maqqarî, le résultat fut entièrement négatif.
Pourtant Qâ'it Bay ne resta pas insensible aux appels du monarque
naçride aux abois. Nous laisserons la parole à l'Egyptien Ibn Iyâs qui,
dans son Histoire des Mamlûks Circassiens 2, donne, sous l'année 892/1487,
une notice ainsi conçue: «Dhul-Qa'da 892. Le sultan reçut la visite d'un
ambassadeur du prince de l'Occident et du souverain de l'Espagne 3,
porteur d'un message par lequel son maître demandait l'envoi d'une armée
de secours pour l'aider à combattre les Francs qui l'assiégeaient dans
Grenade et étaient sur le point de s'emparer de cette ville." Le sultan
jugea bon d'écrire au clergé de l'église de la Résurrection, à Jérusalem,
pour l'engager à faire porter une lettre au roi de Naples par un de leurs
ecclésiastiques: le prince serait sollicité de s'entremettre auprès du roi
de Castille pour l'inviter à cesser ses attaques contre l'Espagne et à
évacuer la contrée. En cas de refus, le sultan prévenait qu'il userait
de représailles envers les membres du clergé de l'église de la Résurrection,
qu'il interdirait aux Européens l'accès de ce sanctuaire et qu'il le ferait
démolir au besoin» 4. Près d'un an et demi après réception du message
grenadin au Caire, deux Franciscains espagnols du Saint-Sépulcre arri
vèrent en Espagne, porteurs du message de Qâ'it Bay (1489). Depuis
deux ans, Malaga était tombée aux mains des Rois Catholiques qui
étaient en train d'investir Baza. Ferdinand reçut en son camp les deux
religieux qui avaient également été chargés de lui remettre des lettres
du Pape Innocent VIII et du roi Ferdinand de Naples, conseillant la fin
de la guerre de Grenade. Fernando del Pulgar, qui fut, au cours de cette
campagne, le secrétaire des Rois Catholiques, nous a rapporté l'entrevue
dans sa Chronique6. Ferdinand répondit qu'il avait toujours adopté
une politique uniforme à l'égard de ses sujets musulmans aussi bien qu'à
l'égard des Chrétiens. D'ailleurs les Musulmans étaient étrangers en
Espagne depuis des siècles; s'ils consentaient à se soumettre au pouvoir des
Rois Catholiques, ils jouiraient de l'indulgence dont avaient bénéficié

1 Au pouvoir depuis 873/1468. Sous son règne, l'Egypte connut une véritable
renaissance artistique; cf. G. Wiet, op. cit., pp. 589-612.
8 Tome II, p. 273 de la traduction G. Wiet.
8 Le dernier Nasride Abu *Abd Allah Muhammad XI, le Boabdil des sources
chrétiennes, proclamé roi dans l'Albaycin de Grenade le 16 shawwâl 891/17 octobre 1486.
* Sur cette démarche de Qâ'it Bay, cf. A. Zaki, op. cit., pp. 476-477; G. Colin, op. cit.,
p. 203, n° 3; L. Seco de Lucena Paredes, op. cit., p. 7; Al-Ahwânï, op. cit., p. 120
6 F. del Pulgar, Crànica de los Reyes Catôlicos, éd. J. de Mata Carriazo, Madrid, 1943 ,
vol. II, pp. 395-397. Le consciencieux J. Zurita a repris ce récit au début au XVII»
siècle dans ses Anales de la Corona de Aragon, t. 4, livre 20, chap. 79, pp. 363-364.
96 R. ARIÉ

leurs frères vivant en terre chrétienne, les Mudejars. Les deux religieux
se rendirent ensuite à Jaen où Isabelle les reçut avec des marques de
déférence, octroya a leur monastère une pension royale de mille ducats à
titre perpétuel et leur offrit un riche voile brodé de ses mains pour qu'il
fût suspendu sur le Saint-Sépulcre 1. La Reine leur réitéra le ferme
dessein des Chrétiens d'Espagne de poursuivre jusqu'au bout la guerre
de Grenade. Citons à nouveau Ibn Iyâs, pour conclure: «Cette démarche
ne servit à rien. Les Francs s'emparèrent de Grenade» 2.
Les menaces de Qâ'it Bay étaient, du reste, purement verbales.
L'existence de jelations amicales entre le Sultan mamlûk et la monarchie
espagnole, en pleine guerre de Grenade, a pu être mise en lumière grâce
à la publication récente de documents espagnols ayant trait à la politique
extérieure des Rois Catholiques. Le 2 janvier i488, Ferdinand avait
demandé au Pape l'autorisation de vendre du blé «au Sultan de Baby-
lone» (Qà'it Bay) pour venir en aide aux sujets syriens de ce dernier
menacés de famine. Grâce au montant de la vente, les Rois Catholiques
pourraient subvenir aux frais de la guerre de Grenade 3. Dans cette
mesure, Ferdinand voyait un moyen- d'aider le Sultan contre la Turquie
dont la puissance croissante inquiétait la Chrétienté d'Occident. Le 27
avril 1489, Ferdinand écrivait de Cordoue à un certain Mateo Coppola
pour obtenir des précisions au sujet d'un projet consistant à envoyer
cinquante naves au «Sultan de Babylone», qu'il tenait pour le seul chef
musulman capable de contrecarrer la poussée turque en Orient 4.
Tels sont les quelques documents connus concernant les relations
diplomatiques entre les cours de Grenade et du Caire. D'après les
indications qu'ils renferment, il nous semble permis d'inférer que la
Grenade nasride se tourna vers l'Egypte des Mamlûks au moment où
l'aide mérinide lui fit défaut, et, à partir du XVe siècle, sous la pression
d'une série d'événements: déclin des Mérinides et indifférence des régents

1 La présence des deux Franciscains en Espagne est également attestée par un


document des Archives de la Couronne d'Aragon, en date du 14 juillet 1490, publié
par A. de la Torre (Documentes sobre Relaciones Internationales de los Reyes Catô-
licos, t. III, Barcelone, 1951, p. 331) dans lequel il est ordonné au trésorier général
de verser 400.000 sueldos — en monnaie de Valence — à Fray Alfonso de Luzcano et
à Fray Francisco de la Aguila, du monastère du Mont-Sion pour leurs frais de retour
en Terre sainte.
• Ibn Iyâs, op. cit., t. II, p. 273.
8 Cf. A. de la Torre, op. cit., t. III, p. 551.
* Sur la politique extérieure de Ferdinand le Catholique dans le monde
méditerranéen, on renverra à l'étude de C. Marinesco: Los Documentos sobre Relaciones
Internationales de los Reyes Catôlicos, publicados por don Antonio de la Torre y su impor-
tancia para la historia general in Pensamiento politico; politico international y
religiosa de Fernando el Catôlico, V Congreso de Historia dê'la Corona de Aragon,
Estudios II, Saragosse, 1956.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 97

wattasides à l'égard de la guerre sainte en Espagne, installation des


Portugais à Ceuta et mainmise chrétienne sur le Détroit de Gibraltar,
progrès alarmants de la Reconquista en Andalousie. Dans le bref tableau
de ces rapports entre Nasrides et Mamlûks, le rôle des Sultans d'Egypte
apparaît comme purement passif x; aucune aide efficace ne fut envisagée
pour sauver l'Islam d'Espagne agonisant. Dès la fin du XVe siècle,
un commentateur anonyme du Daw1 al-Lâmi' d'al-Sakhàwï a voyait dans
l'éloignement d'al-Andalus un obstacle sérieux; en outre, notait-il, les
Sultans d'Egypte ne disposaient pas d'une flotte suffisamment équipée
pour rivaliser avec celle des Souverains chrétiens. La passivité des Sultans
mamlûks s'explique également si l'on tient compte des données de leur
politique étrangère, tout entière tournée vers l'Orient: aux XIIIe et
XIVe siècles, il leur fallut contenir la poussée mongole et au XVe siècle,
contrecarrer les projects turcs d'expansion en Asie Mineure; l'on sait
combien cette menace devint aigiie dès le règne de Qâ'it Bay.

II. Les relations culturelles entre Musulmans d'Egypte et Musulmans


d'Orient sous les Nasrides.

En dépit de l'indifférence des souverains mamlûks pour les affaires


d'Espagne, la Grenade nasride, ce lointain vestige de la domination
musulmane dans la Péninsule Ibérique, resta chère au cœur des
Musulmans d'Orient. Nous n'en voulons pour preuves que l'intérêt qu'elle
suscita au sein de l'historiographie musulmane d'Orient et la persistance
des échanges culturels et artistiques entre les Musulmans d'Espagne et
leurs coreligionnaires d'Orient, pendant plus de deux siècles et demi
d'histoire.

1) Le royaume nasride vu par l'historiographie musulmane d'Orient.

Sans doute la place réservée au royaume de Grenade dans les


chroniques universelles et les vastes compilations historico-géographiques
d'Orient apparaît-elle restreinte, si l'on évoque les longs développements

1 A l'égard de la dynastie marocaine des Mérinides, les sultans mamlûks adoptèrent


une position analogue, se bornant à échanger ambassades, lettres et présents.
M. Canard, op. cit., p. 73, souligne que les «allusions à une assistance possible de
l'Egypte contre les Chrétiens d'Espagne» contenues dans la correspondance
diplomatique adressée par la Cour du Caire à celle de Fez «ne recouvraient pas une
intention sincère».
* Réflexion portée en marge du manuscrit du Ça w' al-Lâmi* et reproduite par l'éditeur,
t. II, p. 67; cf. Al-Ahwânï, op. cit., p. 121. Sur Al-Sakhâwi, cf. supra p. 91, n° 2.
Le Daw' est un recueil biographique portant sur les personnalités musulmanes
décédées au cours du IXe siècle de l'Hégire/XV» siècle J.-C.
98 R. ARIÉ

consacrés à la vie politique et administrative de l'Empire mamlûk. Sans


doute également serait-il vain de vouloir, à partir de ces renseignements
fragmentaires et peu abondants *, retracer une histoire politique et
militaire — même succincte — de la Grenade nasride. L'historiographie
musulmane orientale se contente le plus souvent d'indiquer qu'il ne reste
plus entre les mains des Musulmans que le royaume de Grenade et ses
dépendances, d'esquisser une brève histoire de l'Espagne avant et après
la conquête musulmane ', de signaler ça et là les changements de règnes
survenus dans al-Andalus 3. Les monarques nasrides sont généralement
désignés par le nom de l'ancêtre Ibn al-Ahmar 4; on nous les montre
tantôt guerroyant contre les Chrétiens tantôt concluant une trêve avec
eux », sans qu'il soit fait mention de la situation précaire de la Grenade
musulmane.
Les victoires musulmanes sur les troupes castillanes sont mises en
relief avec un évident souci de frapper les imaginations. L'exemple le
plus significatif est celui de la bataille de la Vega qui opposa, devant
Grenade en 719/1319, les troupes du Na§ride Abû-1-Walid Ismâ'îl b.
Muhammad ibn al-Ahmar6 à celles des Infants. Don Pedro et Don Juan,
tuteurs du roi de Castille Alphonse XI. A la relation concise d'Ibn
Kathïr 7 s'ajoutent les récits détaillés d'al-'Umari 8, d'al-Nuwâyrî •,
d'al-Qalqashandi 10, d'al-Maqrîzï u et d'al-'Ayni **, qui font ressortir le

1 Sur la lenteur des informations qui arrivaient en Egypte au sujet des événements
d'al-Andalus, cf. Al-'Ayni, 'Uqd al-Djumân, Manuscrit Bibliothèque Nationale
du Caire Ta'rikh 1584, t. 25, f° 647, al-Sakhàwî, al-Tibr al-Masbûk, in E. Fagnan,
Extraits inédits relatifs au Maghreb, Alger, 1924, p. 284.
• Cf. al-Qalqa§h'andï, Subi), t. 5, pp. 260-263. La chronologie des souverains nasrides
s'arrête en 794/1392, soit à l'époque de Muhammad VU, contemporain de l'auteur.
8 Les indications d'Ibn Taghribirdî, Nudjûm (éd. W. Popper, vol. XIX, p. 3,
notamment) sont utiles pour l'établissement de la généalogie na§ride.
4 L'un des rares portraits de souverains naçrides que nous ayons pu relever au cours
de nos minutieux dépouillements figure dans le Kitâb Duwal al-Islàm d'al-Dhahabî.
p. 134. Muhammad al-Ghàlib billàh, premier souverain na§ride, y est dépeint comme
un homme pieux, courageux et ferme en ses desseins.
8 Ta'rlf, p. 60.
• Le cinquième souverain nasride Isma'il Ier qui régna de 713/1314 à 725/1325.
Cf. article Nasrides (supra p. 88, n° 3), le tableau généalogique dressé par L. Seco
de Lucena (art. cit. supra, p. 93, n° 6); Ibn al-Khatîb, Lamha, pp. 65-76.
7 Bidàya, t. XIV, éd. Caire, pp. 96-97 et E. Fagnan, op. cit., p. 260.
8 Masâlik al-absâr, Manuscrit Bibliothèque Nationale Paris, Arabe n° 2328, f° 142 v°;
cf. traduction M. Gaudefroy-Demombynes, Paris, 1927, p. 236.
• Tome 30, folios 130-134 de la Nihâya, Manuscrit Bibliothèque Nationale du Caire,
Ma'ârif 'Amma 549.
10 Subh, t. V, p. 272. Récit fondé sur celui du Masâlik.
11 Sulûk, éd. Ziyâda, t. Il1"8, p. 198.
18 'Uqd al-D[umân, Manuscrit Caire précité, t. 23, l°* 177-178.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 99

contraste entre l'importance de l'appareil militaire castillan et


l'insuffisance numérique des troupes grenadines. «Ce fut une mêlée comme il
n'y en eut point de pareilles dans l'Islam» \ écrit al-'Umarî, contemporain
des événements. Les chroniqueurs orientaux mettent l'accent sur la
déroute chrétienne, évaluent le chiffre des pertes castillanes à cinquante
mille tués et celui des morts musulmans à onze, «fait le plus curieux et le
plus inouï» 2. Ils dressent le bilan du butin considérable dont s'emparèrent
les Grenadins et relatent la fin tragique du régent de Castille, Don Pedro,
au cours de la bataille, à titre d'exemple, sans toutefois que leurs versions
concordent sur ce point. «Le cadavre de Pedro est encore dans un cercueil,
suspendu à la porte de l'Alhambra», rapporte al-'Umarî 3,
contemporain des événements. Selon al-Maqrizi, «on écorcha le roi Don Pedro;
son cadavre, bourré de coton, fut suspendu à la porte de Grenade».
L'image du royaume nasride que donnent les chroniqueurs arabes
au XIVe siècle et au début du XVe siècle s'inspire des mêmes
préocupations laudatives. C'est la description de l'Espagne musulmane
aux temps glorieux de la domination umayyade, déjà consignée par le
géographe al-Idrlsl 4 et l'historien al-Mas'ûdî 8 au cours du Haut Moyen-
Age, reprise par le grenadin Ibn Sa'ïd 8 au XIIIe siècle, qui apparaît
dans le Taqwïm d'Abû-1-Fidâ' 7, dans la Nihâya d'al-Nuwâyri 8, dans le
Subfy d'al-Qalqashandî 9, dans le ' Uqd al-Diumân d'al-'Aynï 10. Après
une notice générale sur la géographie physique de la péninsule, les auteurs
orientaux énumèrent les principales villes d'Espagne, les cours d'eau,

1 Cf. trad. Gaudefroy-Demombynes, p. 237.


a Bidâya, p. 97.
8 Sur le traitement que subit le cadavre de Don Pedro, se repporter aux versions
données par les historiens arabes postérieurs, tels qu'al-Maqqarï, citées par
Gaudefroy-Demombynes, p. 237 n° 3. Dans la Chronique d'Alphonse XI (t. 66 de la
Biblioteca de Autores Espanoles, collection Rivadeneyra, pp. 183-184), le récit
de la bataille de la Vega est consigné sans qu'il soit donné aucune précision
numérique. Selon le chroniqueur castillan, le corps de Don Pedro fut ramené en terre
chrétienne et enterré au monastère de Las Huelgas, non loin de Burgos.
* Sural-Idrïsï, cf. El1, t. II, p. 479, article de C. F. Seybold. Sa Description de l'Afrique
et de l'Espagne a été éditée par Dozy et de Goeje à Leyde en 1886.
6 Sur al-Mas'ûdî (m. en 345/956), cf. El1, t. III, pp. 457-458, article de C. Brockel-
mann. Son ouvrage capital, les Murudj al-Dhahab, a été édité et traduit par Barbier
de Meynard et Pavet de Courteille sous le titre: Les Prairies d'Or, Paris, 1861-1877,
9 vols. Le tome premier de cette traduction revue et corrigée par Ch. Pellat a
paru à Paris en 1962.
• Sur Ibn Sa'ïd, cf. El1, t. II, p. 439.
7 Cf. trad. Reinaud, Géographie d' Aboul-féda, t. II, pp. 253-254.
« Tome XV de l'édition du Caire, pp. 285-287.
» Tome V, pp. 213-221.
« Manuscrit du Caire précité, t. I, f<>» 169-189.
100 R. ARIÉ

la flore et la faune, les productions du pays. D'Abû-1-Fidâ' à al-Khâlidî lt


ils consacrent plusieurs pages à la ville de Grenade dont l'admirable
position géographique et la ressemblance avec Damas 2 frappèrent .à
maintes reprises les voyageurs orientaux au cours du Moyen-Age. Ils
vantent la richesse de la Vega en arbres, fruits et eaux courantes, louent
la prospérité de la ville voisine, Loja et ceUe d'Alhama — déjà réputée pour
l'excellence de ses eaux — décrivent Almeria, «caravansérail d'al-Andalus»,
important port qui assure le commerce avec Alexandrie, et s'extasient
sur la qualité des figues de Malaga que l'on exporte tant en Orient qu'en
Occident 3.
La place du royaume d'Andalousie est toutefois plus importante
dans l'œuvre de l'intelligent al-'Umarî, contemporain du Nasride Yûsuf
Ier, qui dresse un intéressant tableau de l'Espagne musulmane en
738/1337 *. Il ne se borne, pas à la classique description géographique de
la capitale nasride et de ses faubourgs 5, il donne de vivantes notices
consacrées aux principales villes du royaume grenadin; il nous livre de
précieuses indications sur le costume des Andalous de son temps ainsi
que des renseignements sur la solde des troupes et la défense du territoire
maritime nasride. -
Dans la seconde moitié du XVe siècle, on trouve de nouveaux
accents chez les chroniqueurs orientaux traitant d'al-Andalus. Ecrivant
avant 1450, le consciencieux al-'Aynï avait déjà souligné le fait qu'Ibn
al-Ahmar, toujours vaincu par les Espagnols, ne pouvait compter sur
aucun secours de l'étranger. Au fur et à mesure que tombaient les
principales défenses du royaume nasride, on mit en lumière l'habileté et le
courage des Grenadins encerclés, on ne put taire ce qu'al-Sakhâwi appelait
«l'humiliation infligée par les Francs par suite de leur entreprise contre

1 Manuscrit du Caire précité, f°» 280 r° et v°.


2 La remarque du Taqwim (p. 253) «Grenade est une ville fort agréable, elle ressemble
à Damas, elle surpasse même Damas, en ce qu'à la différence de l'autre, elle domine
son propre territoire» est souvent reprise dans les textes postérieurs.
3 Al-'Aynî, ms. Caire, t. I, fol. 187.
4 Cf. trad. Gaudefroy-Demombynes, pp. 224-246. Sur les divers manuscrits du
Masàlik, cf. p. 224, n° 2.
6 Les notations d'al-'Umari permettent de compléter les données que laissera Ibn
al-Khatîb (m. en 776/1374) dans son histoire de la dynastie nasride (Lamha,
p. 23 sq.) et dans sa monographie de Grenade (Ihâ(a, éd. M. A. *Inân, Le Caire,
1955, t. I, pp. 99-105); cf. le plan de Grenade au XIVe siècle, d'après le texte
du Masâlik par M. Gaudefroy-Demombynes, op. cit., carte V. Sur l'utilisation des
sources littéraires pour l'étude de l'économie et de la société grenadines, cf. I. S. Allou-
che, La vie économique et sociale à Grenade au XIV» siècle in Mélanges d'histoire
et d'archéologie de l'Occident Musulman, t. II, pp. 7-12
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D 'ORIENT 101

Grenade» *, on fit le récit des troubles qui marquèrent la fin de la dynastie


nasride.
La curiosité qu'éveilla l'Espagne musulmane dans l'esprit d'un lettré
égyptien de la seconde partie du XVe siècle se manifeste dans la
relation de voyage (riljla) d''Abd al-Bâsit 2, à la fois historien et
marchand, qui, parti d'Alexandrie en shawwâl 866 /juillet 1462, se rendit
d'abord dans la Tunisie des Flafsides pour s'y perfectionner en médecine,
y rencontra des littérateurs et des commerçants andalous qui avaient
fui devant les progrès de la Reconquista et décida, durant son séjour à
Oran, d'entreprendre un. voyage en Espagne. Le récit qu'il nous en a
laissé — consigné dans sa chronique générale intitulée al-Rawd al-bâsim
fi hawâdith al 'umr wal-târâdjim 3 — apporte un témoignage oculaire sur
les milieux sociaux et cultivés de l'Espagne musulmane et projette quelque
lumière sur les détails de l'histoire politique et militaire de la dynastie
nasride à son déclin 4. C'est à 4Abd al-BâsiÇ que nous devons l'une des
dernières descriptions de la Malaga musulmane où il débarqua le 23
Rabî* II 870/13 décembre 1465, en compagnie de marchands andalous
et tlemcéniens. Après avoir dépeint l'Alcazaba, il nous dit son admiration
pour les poteries fabriquées à Malaga, relate son entretien avec le
prédicateur de la Grande Mosquée, fait état d'incursions castillanes aux
environs de. la ville. Si Vêlez Malaga le frappe par la qualité de ses fruits secs
et Alhama où il se rend ensuite5 par l'aménagement de ses bains, la
capitale du royaume, Grenade, le remplit d'enthousiasme. Il y admire
le site, la fertilité de la Vega, loue la vaillance des habitants, signale la
densité de population; il y prend contact avec les milieux cultivés de la
ville, est reçu en audience à l'Alhambra par le Sultan Abû-1-FIasan
(17 juin 1466) qui l'interroge sur les événements d'Egypte et de Syrie,
lui remet une exemption de droits de douanes pour ses marchandises et

1 Cf. E. Fagnan, op. cit., p. 278.


2 Sur 4Abd al-Bâsit, cf. supra, p. 92, n° 1; Brockelmann, II, p. 54, n° 17, 82, n° 24,
183 a). Il était le fils du fonctionnaire mamlûk Khalil b. Shâhïn al-Zâhirï, auteur
de la Zubdat KashJ al-Mamâlik (éd. Ravaisse, Paris, 1894).
3 Al-Rawd al-bâsim est une chronique générale de l'Egypte, de la Syrie et des autres
pays musulmans allant de 844/1440-1441 à l'époque de l'auteur. Cf. édition et
traduction des fragments concernant l'Espagne dans G. Levi délia Vida (art. cit., p. 92,
n° 1); la partie concernant l'Afrique du Nord a été traduite par R. Brunschvig
(cf. supra, p. 92, n° 1); cf. également R. Brunschvig, La Berbérie Orientale au temps
des Hafsides, t. I, Alger, 1940, Introduction XXXIV.
4 La partie historique du Rawd al-bâsim a permis d'utiles recoupements à L. Seco de
Lucena Paredes, Cuando subiô Muley Hacén al trono de Granada, in Al-Andalus,
1957, XXII, fasc. 1, p. 26 et à J. Torres Fontes, Las treguas con Granada de 1462
y 1463 in Hispania, Madrid, t. XXIII, 1963, pp. 188-189.
5 Levi délia Vida, art. cit., fait remarquer que l'itinéraire d"Abd al-Bâsit correspond
à celui qu'avait suivi le voyageur maghrébin Ibn Battûta un siècle auparavant.
102 R. ARIÉ

le comble de présents. 'Abd al-BàsiÇ visite le quartier populeux de l' Albay-


cïn et la Grande Mosquée, note que les contacts humains sont fréquents
entre Musulmans et infidèles aux frontières du royaume de Grenade et
laisse entendre que les Chrétiens s'emparent peu à peu des principales
villes et défenses naturelles du pays. Dans la partie historique de sa
Chronique, il relate les dissensions survenues entre le Sultan Sâ'd al-
Musta'in billâh et son fils Abû-1-Hasan 1 puis indique l'évolution de la
situation militaire à l'avantage des Chrétiens.
La faiblesse de l'Islam andalou, transmise aux chroniqueurs orientaux
par des informateurs oraux — pèlerins ou commerçants andalous faisant
halte à Alexandrie — perce dans le Tibr al-Masbûk d'al-Sakhàwï et dans
les Badà'i' al-Zuhûr d'Ibn Iyâs, rédigés dans le dernier quart du
XVe siècle 2. Ce ne sont plus que villes perdues, batailles «horriblement
sanglantes», «lutte sans merci» dans les rubriques historiques s'échelon-
nant de 1483 à 1492. Sous l'année 897/1492, Ibn Iyàs donne la nouvelle
de la prise de Grenade, «une des catastrophes les plus terribles qui aient
frappé l'Islam».

2) Les contacts culturels et les échanges artistiques.

De récentes études 3 ont mis l'accent sur les échanges culturels qui,
dans le Haut Moyen-Age, unirent les Musulmans d'Orient demeurés
dans l'obédience 'abbâside et leurs coreligionnaires installés dans la
Péninsule Ibérique depuis la fondation de l'émirat umayyade (750 J.-C).
Le lien spirituel le plus profond fut, à coup sûr, le pèlerinage à la Mekke
qui attirait nombre d' Andalous en Orient. Les savants se déplaçaient
également «à la recherche de la science» (fi falab al-'ilm), mus par le désir
de suivre les cours de maîtres orientaux réputés, de conquérir leurs
diplômes et d'accroître ainsi leur prestige auprès de leurs compatriotes.
Des commerçants qui sillonnaient la Méditerranée et maintenaient d'ac-

1 Pour une rapide vue d'ensemble de l'histoire des derniers Nasrides, on renverra à
l'article de L. Seco de Lucena Paredes, Panorama politico del Islam granadino
durante el siglo XV in Miscelânea de Estudios Arabes y Hebraicos, vol. IX, Grenade,
1960, fasc. 1, pp. 7-18.
1 Cf. E. Fagnan, op. cit., pp. 278-284 et G. Wiet, Histoire des Mamlûks Circassiens,
p. 273.
• Cf. E. Lévi-Provençal, La civilisation arabe en Espagne, Paris, 1948 et Le Mâlikisme
andalou et les apports doctrinaux de l'Orient in Revista del Instituto Egipcio de Estudios
Islâmicos, t. I, Madrid, 1953'; H. Mones, Le rôle des hommes de religion dans l'Espagne
musulmane jusqu'à la fin du Califat in Studia Islamica, fasc. XX, 1964, pp. 47-88;
M. A. Makkl, Ensayo sobre las aportaciones orientales y su influencia en la for-
maciôn de la cultura hispano-arabe in Revista del Instituto de Estudios Islâmicos
Madrid, 1961-1962, vols. IX-X, pp. 65-231.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 103

Jfs échanges économiques entre pays musulmans consignaient souvent


leurs observations dans des récits de voyage. Par suite de troubles
politiques ou bien pour avoir encouru la défaveur du souverain, des lettrés
furent souvent contraints de chercher asile en des terres plus hospitalières.
Dans les premiers temps de la domination musulmane en Espagne, ces
échanges eurent lieu dans les deux sens, mais à partir du début du
XIIIe siècle de l'ère chrétienne, un nombre plus important d'Andalous
se dirigèrent vers l'Orient *. On relève parmi eux les noms illustres du
botaniste de Malaga Ibn al-Baytâr 2 qui se rendit en Egypte au temps
des Ayyûbides, composa à Damas ses œuvres les plus célèbres et mourut
en cette ville vers le milieu du XIIIe siècle, du géographe grenadin
Ibn Sa'îd 3 qui partagea une vie itinérante entre Alexandrie, Baghdad
et Damas, du mystique sûfî al-Shushtârï, né près de Cadix, qui quitta
l'Andalousie pour Bougie et Tripoli, fit le pèlerinage plusieurs fois, se fixa
en Egypte vers le milieu du XIIIe siècle, y combattit les Croisés près
de Damiette où il avait établi un ribât et composa des poèmes en dialecte
oriental *.
Au XIVe siècle, la situation devint plus complexe. Sous le règne des
Mérinides, Ibn Khaldûn note une reprise très nette du pèlerinage de son
temps et le départ de caravanes pour la Mekke: «Un grand nombre de
Maghrébins» [auquel se joignaient sans aucun doute les pèlerins andalous],.
«voyant la sûreté des communications si bien établie que les caravanes
se rendaient à destination sans être inquiétées, formèrent le projet
d'accomplir le pèlerinage et sollicitèrent du sultan la permission de
s'embarquer pour aller à la Mekke. Jusqu'alors les chemins avaient été
si dangereux pour les voyageurs et l'autorité des gouvernements africains
si peu respectée que l'occasion de remplir ce saint devoir ne s'était pas
présentée depuis longtemps» 6.

1 Cf. Ch. Pellat, Langue et Littérature arabes, Paris, 1952, pp. 182-185; F. J. Sânchez
Canton, Viajeros espanoles en Oriente in Revista del Instituto Egipcio de Estudios
Islâmicos en Madrid, vol. IV, Madrid, 1956, fasc. 1-2, pp. 1-45 (bref tableau des
voyageurs musulmans et chrétiens d'Espagne les plus connus qui se rendirent en
Orient au Moyen-Age et aux temps modernes).
» Cf. \ Ibn Shâkir al Kutubï, Fawât al Wafâyât, t. I, 204, al-Maqqarî, Nafh al-Tib,
éd. Caire, t. II, pp. 44-45.
» Ct supra, p. 99, n° 6.
* Sur al-Sbusitârî, né en 610/1212 à Shushtâr, en Andalousie; m. en 668/1270, à
Damiette selon L. Massignon, Investigations sobre al-Shushtarï, poeta andaluz,
enterrado en Damieta in Al-Andalus, fasc. 1, t. VII, p. 162; A. S. al-Nashar, Abul-
Hasan al-Shushtârî, mlstico andaluz y autor de zéjeles y su influencia en el mundo
musulman in Revista del Instituto Egipcio de Estudios Islâmicos, Madrid, 1953,
pp. 122-155.
* Histoire des Berbères, texte, t. II, pp. 330-332, trad, de Slane, t. IV, pp. 153-154.
104 R. ARIÉ

Plusieurs lettrés andalous auxquels les chroniqueurs orientaux font


souvent allusion obéissaient aussi à des mobiles divers: inquiets des
progrès de la Reconquête chrétienne, ils quittaient l'Espagne à
destination de l'Afrique du Nord ou de l'Orient dans l'espoir de pouvoir
s'y fixer. Ce fut sans doute le cas de ce poète originaire de Grenade,
Ibrâhïm Ibn Muhammad al-Sâhilî al-Tuwaydjin qui, après avoir vécu
au Caire, alla voir al-'Umarï à Damas, puis se rendit au Soudan et mourut,
croit-on, à Tombouctouen 1346 J.-C. \ L'état précaire dans lequel vivaient
certains lettrés les conduisait souvent à s'exiler, tels ce Muhammad b.
Sâlim al-Ilbïrî, rencontré par al 'Umarî au Caire, qui dut se réfugier
chez le sultan d'Egypte, pour être tombé en disgrâce auprès du souverain
na§ride 2 et ce lettré grenadin, du nom d'Abû-1-Walîd al-Tudjibï qui,
dépossédé par le monarque Ibn al-Ahmar à la mort de son père, quitta
al-Andalus, alla chercher asile à Tunis puis au Caire et dont al-Maqrîzï
rapporte la mort à Damas, sous l'année 718 de l'Hégire 3.
D'autres, à l'occasion du pèlerinage, établissaient d'utiles contacts avec
les milieux cultivés d'Orient. Ainsi Ibrâhïm al-Numayrï al Gharnâtï, plus
connu sous le nom d'Ibn al-Hâdidj 4, juriste mâlikite et poète, après
avoir été secrétaire à la cour de Grenade, effectua le pèlerinage en
737/1336, en fit la relation, suivit à Damas les leçons du célèbre tradition-
niste al-Mizzï B, revint par l'Afrique et devint secrétaire des sultans
mérinides.
A la même époque, Khâlid al-Balawî, quitta le royaume de Grenade
en 736/1335, visita l'Afrique du Nord, gagna l'Egypte puis les Lieux saints,
revint dans sa patrie trois ans plus tard pour y noter ses pérégrinations
dans une rihla intitulée Tâdj al mujriq bitahliyat 'ulamâ'al-mashriq 6.
Dès le XIVe siècle, les Musulmans d'al-Andalus eurent une
singulière prescience du danger qui les menaçait 7. Ibn al-Khatïb, sous ,

1 Cf. Masâlik, manuscrit Paris Arabe n° 2327, fol. 214 r° et 214 v°. Cf. G. S. Colin,
Quelques poètes arabes d'Occident au XIV' siècle in Hesperis, t. XII, 1931, n° 5,
p. 245.
2 Cf. G. S. Colin (art. cit. supra, n° 1). Masâlik, Manuscrit Paris, fol. 215 r°.
' Suluk, t. I, p. 189. Le Nasride dont il s'agit est sans doute Ism a 'il Ier; cf. supra p. 98,
n° 6.
* Sur Ibn al-yâdjdj (né en 713/1313), cf. Masâlik, ms. précil, fol. 215 r°. II}â{a, éd.
Caire, 1319, t. I, pp. 193-210. Ibn Hadjar Durâr, t. I, n° 69, p. 28. Nafh, t. I, p. 594,
t. IV, p. 659.
5 Sur al-Mizzï, cf. H. Laoust, Ibn Kathîr historien (supra p. 90, n° 3).
• Sur les manuscrits d'al-Balawï, cf. O. Houdas et R. Basset, Mission Scientifique en
Tunisie in Bulletin de Correspondance Africaine, 1884, p. 35; R. Brunschvig, La
Berbérie orientale au temps des Hafsides, Introd ; Brockelmann, II, p. 266.
7 Cf. Gaspar Remiro, Presentimiento y juicio de los moros espanoles sobre la calda
inminente 'de Granada y su Reino en poder de los cristianos in Revista de Estudios His-
tôricos de Granada y su Reino, 1911, t. I, pp. 149-153.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 1 05

le règne brillant de Muhammad V dont il fut le ministre,


signalait déjà à ses fils l'instabilité des temps et la menace constante de
l'invasion chrétienne 1. Celui qui fut son contemporain et ami, Ibn Khaldûn.
mêlé à la politique intérieure de la Grenade nasride aussi bien qu'à celle
de la Fez méiinide, laissait entrevoir des pressentiments concernant le
déclin du royaume nasride 2. Implorant l'aide du roi de Tlemcen pour
l'Espagne musulmane, le poète grenadin Ibn al-yâdjdj faisait ressortir
l'isolement du royaume de Grenade, cerné par la mer et l'ennemi 3.
Vivant à une époque de troubles politiques et de conflits quasi incessants
avec le puissant voisin castillan, nombre de lettrés andalous prirent le
chemin de l'exil, rejoignirent en Afrique du Nord la première vague
d'émigration andalouse qui y avait déferlé vers le milieu du XIIIe
siècle lorsque s'effondra la puissance almohade 4; d'autres, attirés par le
prestige de l'Empire mamlûk 5 alors en plein essor politique, économique
et culturel, se fixèrent de préférence au Caire 6 et à Damas 7 où régnait
un climat de discussion juridique intense et dans les deux villes
saintes: La Mekke et Médine. Les dictionnaires biographiques orientaux
colligés au XVe siècle par deux Egyptiens, le grand-cadi Ibn Hadjar
al 'Asqalânî et le jurisconsulte al-Sakhâwï, tous deux shâfi'ites, consacrent
de longues notices à ces professeurs et cadis andalous qui souvent
constituèrent de véritables dynasties en Orient, les Banû Sayyid al-Nâs 8 et
les Banû Farhûn 9 par exemple. Ils appartenaient aux branches les plus
diverses du savoir: traditionnistes, grammairiens, prédicateurs, ils
jouèrent un rôle non négligeable dans la vie intellectuelle de l'Islam d'Orient»
surtout à partir du XIVe siècle. Ils commentèrent des traités maghré-

1 A. M. al-'Abbâdî, Muhammad V al Ghànï billûh, rey de Granada in Miscelânea de


Estudios Arabes y Hebraicos, 1960, vol. IX, pp. 107-125, cite deux passages d'al-
Maqqari (Nafh, t. X, p. 259 et Azhâr al-Riyâd, t. I, p. 334) à ce sujet.
2 Cf. Muqaddima, éd. Quatremère, vol. I, Paris, 1858, p. 45, trad, française de Slane,
Prolégomènes, vol. I, Paris, 1862, p. 63.
3 /M/a, éd. Caire, t. I, pp. 193-210, cité par Al-'Abbâdî, (supra, n° 1), p. 111.
4 Sur l'émigration andalouse à Tlemcen et à Tunis après la Reconquête par les
Chrétiens de Cordoue, Valence, Murcie, Seville, cf. Ch-E. Dufourcq, Les Espagnols et
le royaume de Tlemcen in Bolelin de la Real Academia de Buenas Leiras de Barcelona,
t. XXI, 1948, p. 10. Sur les échanges constants entre la Grenade najride et le Maroc
mérinide, cf. H. Terrasse, Histoire du Maroc, t. II, p. 76.
5 Comme leur célèbre contemporain Ibn Khaldûn qui arriva en Egypte en 784/1382
et y déploya par la suite une activité intellectuelle (il fut grand cadi mâlikite) et
politique, cf. W. J. Fischel, Ibn Khaldûn and Tamerlan, their historic meeting in
Damascus, 1401 A. D./803 A. H., Berkeley, 1952.
8 Cf. art. Le Caire (C. Becker) in El1, t. I, pp. 833-846.
7 Cf. art. Damas (R. Hartmann) in El1, t. I, pp. 923-934.
8 Cf. Ibn Hadjar, Durar, vol. IV, n°8 431, 573, 574, 575 et 576.
9 Idem, vol. I, n08 124 et 476. A cette famille appartint le jurisconsulte médinois
Ibn Farhûn (m. en 1397 J.-C.) auteur de l'important recueil al D'ibâdj al-mudhahhab
s>ur les biographies de savants mâlikites.
106 R. ARIÉ

bins, délivrèrent des fatwas, propagèrent les œuvres du mâlikisme


andalou et firent parfois connaître la poésie occidentale des muwashsha-
hât. Ils conservèrent souvent des particularités andalouses dans leur
manière de se vêtir et de parler l.
Nous nous limiterons, dans le cadre de cette brève étude, à
rénumération de quelques personnalités andalouses qui s'illustrèrent dans
l'Orient des Mamlûks. Parmi ceux qui s'installèrent au Caire, on compte
le fameux grammairien Abu Hayyân 2 qui gagna l'Egypte dans la seconde
partie du XIIIe siècle, fut un disciple assidu des maîtres orientaux,
donna à son tour des leçons de morphologie et de syntaxe, fit autorité
dans la science des traditions et laissa une œuvre considérable. Dans
l'ambiance égyptienne, il abandonna le zâhirisme pour le rite shâfi'ite et
mourut au Caire en 745/1345.
A Damas vécut au début du XIVe siècle Ibn al-Hâdjdj .al-Tud|îbI 3
qui, versé dans la jurisprudence, gagna l'estime de tous par son
désintéressement et fut imâm des mâlikites. C'est dans un ribât de cette ville
que mourut en 1300 J.-C. le traditionniste Abû-l-'Abbâs b. Farah al-
Lakhmï al-Ishbîli qui avait fui sa ville natale lors de l'entrée des
Castillans 4 et fut le maître d'al-Dhahabî.
A Hamâ résida Ismâ 'ïl al-Lakhmï al-Gharnâtï 8, un des maîtres de
la lexicographie en son temps, commentateur mâlikite réputé. C'est à
Alep que se fixa, après avoir accompli le pèlerinage, Ahmad b. Yûsuf b.
Mâlik al-Gharnâtï Abu Dja'far al-Andalusî • dont Ibn al-Khatîb loua
le talent à versifier et l'abondante production lexicographique.
A Médine trouva refuge un autre lettré andalou qui émigra en Orient
au XIVe siècle, Abû-1-QâsTm b. Farhùn b. Muhammad al-Ya4mûrî 7
et dispensa son enseignement tout en assumant la judicature.
C'est à Jérusalem enfin que devait s'établir, dans les dernières années
du XVe siècle, le cadi grenadin Ibn al-Azraq 8 qui avait tenté, peu
de temps avant la chute de l'Islam na§ride, de susciter une intervention
égyptienne dans les affaires d'Espagne 9.

1 Le port du turban était assez rare en Espagne musulmane à cette époque. Sur la
prononciation grenadine, cf. Ibn al-Kljatlb, Lamha, p. 27.
2 Cf. art. de S. Glazer, in El2, t. I, pp. 129-130, Ibn ^adjar,
"~ Durar, t. IV, n° 832,
Brockelmann, I, p. 109 et S. II, p. 136.
3 Cf. Durar, t. III, n° 929.
* Cf. El, II, pp. 398-399, art. de C. F. Seybold.
6 Cf. Durar, t. I, n° 961.
6 Cf. Durar, t. I, n° 848.
7 Oncle de l'auteur du Dîbâdj, supra, p. 105, n° 9; cf. Durar, t. II, n° 2228.
8 Cf. Brockelmann, II, p. 266, Azhar al-Riyâd, t. I, p. 71; t. III, pp. 318-319.
9 Cf. supra, p. 94, n° 9.
RELATIONS ENTRE MUSULMANS D'ESPAGNE ET MUSULMANS D'ORIENT 107

Nous ne saurions enfin nous dispenser de sonder les échanges


artistiques entre la Grenade naçride et l'Egypte des Mamlûks, à la lumière
des derniers travaux. Au temps du califat umayyade, l'influence des
écoles orientales s'était déjà exercée sur l'art cordouan *■ et l'on a voulu
voir dans l'exécution des décors au plafond de la Grande Mosquée de
Cordoue une intervention d'artisans mésopotamiens 2. Les textes font
cruellement défaut qui permettraient de retracer des voyages d'artisans,
du reste vraisemblables, étant donné les relations constantes qui unirent
l'Espagne musulmane et l'Orient. On a souvent signalé dans
l'architecture de la mosquée d'Ibn Tûlûn, au Caire, le caractère andalou du
minaret à double fenêtre, «les modillons à copeaux de la façade jointe au
minaret, la porte en fer à cheval» exécutés au cours des restaurations
qu'ordonna le sultan mamlûk Lâdjïn en 1296. Examinant un blochet
en bois sculpté qui figure «dans une salle annexe de la mosquée, accolée
extérieurement à la Qibla», G. Marçais le rapprochait de ceux de la
synagogue de Tolède, dite Sainte Marie la Blanche, œuvre d'artisans
musulmans. Il considérait, pour conclure, «comme très admissible
l'intervention dans les chantiers égyptiens travaillant pour le sultan mamlûk
Lâdjïn en 1296 d'ouvriers musulmans émigrés d'Espagne, probablement
tolédans ou conservant les traditions tolédanes» 3.
L. Torres Balbâs relevait dans l'architecture andalouse du XIVe
siècle deux exemples d'une influence égyptienne sur l'art nasride. Examinant
le Corral del Carbon— funduq construit à Grenade dans le premier quart
dji XIVe siècle dont la caractéristique principale est un portail
monumental, assez rare dans l'Islam espagnol — il rapprochait cet accès à
l'édifice de l'ïwàn oriental, formule présentant les mêmes détails de
construction, et assez répandue en Egypte aux XIIIe et XIVe siècles.
Les fenêtres cintrées à meneaux (ajimez) que l'on trouve dans les villes
andalouses de Lucena et d'Alhama, dans l'Albaycin de Grenade lui
semblaient une adaptation des mashrabiyyas qui ornent encore les façades
de vieilles demeures au Caire; cette tradition aurait pénétré en Espagne
musulmane au XIVe siècle 4.

1 Cf. H. Terrasse, L'art hispano-mauresque des origines au XIII* siècle, p. 127 sq.
2 Cf. F. Hernandez, La techumbre de la Gran Mezquita de Côrdoba in Archivo Espanol
de Arte y Arqueologia, n° XII, 1928, p. 191 sq.
3 Cf. G. Marçais, Les échanges artistiques entre l'Egypte et les pays musulmans
occidentaux in Hespéris, 1934, pp. 95-106. L. Torres Balbâs, Intercambios arttsticos entre
Egipto y el Occidenle Musulman in Al-Andalus, vol. III, 1935, fasc. 2, pp. 411-424.
4 Cf. L. Torres Balbâs, Los edificios hispano-musulmanes in Revista del Instituto Egip-
cio de Estudios Islâmicos, t. I, Madrid, 1953, pp. 92-121.

Vous aimerez peut-être aussi