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Mélanges de la Casa de

Velázquez

Le costume des Musulmans de Castille au XIIIe siècle d'après les


miniatures du Libro del Ajedrez
Mme Rachel Arié

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Arié Rachel. Le costume des Musulmans de Castille au XIIIe siècle d'après les miniatures du Libro del Ajedrez. In: Mélanges
de la Casa de Velázquez, tome 2, 1966. pp. 59-69;

doi : https://doi.org/10.3406/casa.1966.941

https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1966_num_2_1_941

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LE COSTUME DES MUSULMANS DE CASTILLE AU
XIIIe SIÈCLE D'APRÈS LES MINIATURES DU
LIBRO DEL AJEDREZ

Par Mme. Rachel ARIÉ


Membre de la Section Scientifique

Retracer l'histoire du costume musulman en Espagne s'avère encore


une entreprise hasardeuse. Les écueils signalés par E. Lévi-Provençal
dans son Histoire de l'Espagne musulmane l subsistent: la terminologie
vestimentaire éparse dans les textes littéraires ou poétiques, dans les
documents notariaux d'al-Andalus est d'une interprétation difficile, — par
suite de l'absence d'un contexte explicatif — , l'iconographie arabe fait le
plus souvent défaut. Force nous est donc, dans l'état actuel de nos
connaissances, de nous limiter à quelques sondages 2 et de livrer au public
des études fragmentaires sur le costume des Musulmans d'Espagne 3.

1 Tome III, Paris, 1953, p. 442.


8 Nous sommes loin de pouvoir appliquer à l'histoire du costume musulman en
Espagne les conseils méthodologiques que formulait il y a quelques années Roland
Barthes dans les Annales en s'inspirant du renouveau des études historiques
survenu en France depuis les recherches de Marc Bloch et de Lucien Febvre. Il
reprochait notamment aux historiens du costume, médiévistes pour la plupart, d'avoir
négligé la «dimension économique et sociale de l'histoire, les rapports du vêtement
et de faits de sensibilité», ... «la saisie idéologique du passé»; il souhaitait que
l'histoire du costume fût replacée dans sa «perspective institutionnelle». Cf. Histoire et
Sociologie du Vêtement. Quelques observations méthodologiques in Annales. Economies,
Sociétés, Civilisations, 1957, n° 3, pp. 430-441.
3 II y a plus d'un siècle, R. Dozy tentait une enquête sur la mise des Andalous
dans son Dictionnaire détaillé des noms de vêtements chez les Arabes
(Amsterdam, 1845), en abrégé: Vêtements. E. Lévi-Provençal a minutieusement décrit le
costume musulman au temps du califat de Cordoue (o. c, t. III, pp. 422-429). Quelques
pages riches en aperçus suggestifs ont été consacrées au vêtement andalou par
G. Marçais dans Le Costume Musulman d'Alger, Paris, 1930, passim et par R. Ricard
dans Espagnol et Portugais «marlota». Recherches sur le vocabulaire du vêtement
hispano-mauresque in Bulletin hispanique, t. LUI, 1951, n° 2, pp. 131-156. Mademoiselle
J. Jouin a retrouvé dans un album de gravures italiennes du XV le siècle des
Documents sur le costume des Musulmans d'Espagne (Revue Africaine, 1934, pp. 43-46).
Sur la chaussure de rue à grosse semelle ou kurk, on se reportera à la remarquable
étude de J. Oliver Asin, Quercusenla Espana musulmana in Al-Andalus, vol. XXIV,
fasc. 1, 1959, pp. 125-181. Les allusions à l'accoutrement dans la poésie arabe d'Es-
5*
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Nous tenterons,- pour notre part, de dégager — dans la courte note


qui va suivre — les éléments essentiels de l'habillement musulman dans
les États de la Couronne de Castille au XIIIe siècle, en faisant appel à
un document iconographique chrétien qui permet de pallier l'indigence
des sources arabes en la matière.

Des travaux récents ont souligné l'importance de la miniature


chrétienne au temps d'Alphonse X en tant que source d'information
historique. C'est ainsi qu'un eminent professeur de l'Université de Barcelone,
Monsieur J. Guerrero Lovillo, a pu consacrer une étude exhaustive aux
miniatures qui illustrent l'un des manuscrits des Cantigas de Santa Maria
et font revivre sous ses aspects les plus divers la société castillane du
XIIIe siècle \ Un autre manuscrit de l'époque du Roi Sage, composé
à Seville en 1283, le Libro del Ajedrez 2, orné d'environ cent cinquante
miniatures qui constituent, aux dires de J. Amador de los Rios, un précieux
témoignage sur les arts et la civilisation de l'Espagne dans la seconde
partie du XIIIe siècle, ne semble pas avoir retenu l'attention des his-

pagne — relevées par H. Pérès dans La Poésie Andalouse en arabe classique au XI*
siècle, Paris, 1953, pp. 316-321 — ont été complétées et présentées en un tableau par
Madame J. Albarracin de Martinez Ruiz dans Vestido y adorno de la mujer musulmana
de Yebala (Marruecos), Madrid, 1964, pp. 27-29. Cf. également R. Arié, Quelques
remarques sur le costume des Musulmans d'Espagne au temps des Nasrides in Arabica,
t. XII, 1965, fasc. 3, pp. 244-261 et Acerca del traje musulman en Espana desde la
caida de Granada hasta la expulsion de los Moriscos in Revista del Instituto de Estudios
Islâmicos en Madrid, vol. XI-XII (sous presse).
Poèmes attribués à Alphonse X, les Cantigas chantent la Vierge en dialecte galicien,
sur des airs et des rythmes arabes. Sur le manuscrit del'Escurial n° T-I-l, cf. J.
Guerrero Lovillo, Las Cantigas, Estudio arqueolôgico de sus miniaturas, Madrid, 1949;
G. Menéndez Pidal, Los manuscrites de las Cantigas in Boletin de la Real Academia
de la Historia, t. CL, 1962, pp. 25-51; F. Sànchez Canton, La vida en Espana en
tiempos del Rey Sabio in Arbor, t. XIV (1949), pp. 471-478.
Conservé à la Bibliothèque du Monastère de l'Escurial, il se présente sous la forme
d'un manuscrit de 97 feuilles de parchemin écrit en caractères gothiques et porte
la cote n° T-I-6. En voici le titre complet: Juegos de ajedrez, dados y tablas, ordenados
por mandado de D. Alfonso el Sabio. Nous adressons nos remerciements sincères
à Monsieur P. Guinard, directeur honoraire de l'Institut français de Madrid pour
les conseils qu'il nous a prodigués au cours d'un entretien à la Casa de Velâzquez,
en mars 1964. Nous tenons à exprimer notre vive gratitude au Révérend Père
Gregorio Andrés, O. S. A., directeur de la Bibliothèque de l'Escurial, qui a bien
voulu nous autoriser à consulter longuement le Libro del Ajedrez. Les planches
ci-jointes sont dues à José de Prado Herranz.
LE COSTUME DES MUSULMANS DE CASTILLE AU XIIIe SIÈCLE 61

toriens du costume musulman *. Autour d'un échiquier (ajedrez), sont


groupés — dans un décor d'architecture gothique ou musulmane — des
personnages s'adonnant à leur passe-temps favori: ainsi apparaissent le
roi Alphonse X dictant ses textes, présidant aux jeux étudiés dans le
livre ou y prenant part, son épouse Dona Violante d'Aragon, chevaliers
et dames de la cour, moines et soldats, nobles et manants, juifs et
musulmans. Les Mudéjares, ces Musulmans demeurés en terre chrétienne
alors que leurs coreligionnaires s'étaient regroupés dès 1238 dans le
royaume nasride de Grenade 8, les Mudéjares défilent souvent sur la
scène du Libro del Ajedrez. Hommes et femmes, riches et pauvres, citadins
et guerriers figurent dans une vingtaine de miniatures dont nous ne
présenterons ici que les plus caractéristiques, la gamme des classes
sociales musulmanes offrant moins de variété dans ce manuscrit que dans
celui des Cântigas 3.

On consultera avec profit les renseignements bibliographiques sur le Libro del


Ajedrez dans J. Amador de los Rios, Historia Critica de la Literatura espanola,
vol. III, Madrid, 1863, pp. 549-551 et dans J. Puiggari, Estudios de indumentaria
espanola, concreta y comparada, Barcelone, 1890, pp. 33-37. On se reportera à la
remarquable étude philologique et littéraire d'A. Steiger, Alfonso el Sabio: Libros de
Acedrex, Dados y Tablas in Romanica Helvetica, vol. 10, Genève, 1941. On trouvera
une description des miniatures dans FI. Janer, Los libros del Ajedrez, de los Dados y de
las Tablas in Museo Espanol de Antigùedades, vol. III, 1874, pp. 225-257 et la
reproduction complète du texte en 194 planches par procédé phototypique dans J. G. White,
El Tratado del Ajedrez, prdenado por mandado del Rey Don Alfonso el Sabio, en el
afio 1283, Leipzig, 1913, 2 t., avec une introduction en allemand et en espagnol.
J. Dominguez Bordona (Manuscritos con pinturas, t. II, Madrid, 1932, p. 101) et
J. Guerrero Lovillo (Miniatura gôtica-castellana, siglos XIII y XIV, Madrid, 1956,
p. 40) s'accordent à trouver les miniatures du Libro del Ajedrez moins belles que
celles des Cântigas mais en soulignent l'intérêt pour l'historien de l'art. Cf. également
L. Torres Balbâs, Miniaturas médiévales espanolas de influjo islâmico in Al-Andalus,
vol. XV (1950), pp. 191-202.
Sous la conduite d'un chef arabe d'Arjona (près de Jaén), Muhâmmad b. Yûsuf
b. Nasr, appartenant à la famille des Banû-1-Ahmar. Dernière enclave musulmane
dans la péninsule ibérique, le royaume nasride devait se maintenir jusqu'à la fin
du XVe siècle qui vit la reddition de Grenade aux mains des Rois Catholiques.
Cf. article Nasrides (E. Lévi-Provençal) in Encyclopédie de l'Islam (Ie éd.), t. III,
pp. 938-942; H. Terrasse, Islam d'Espagne, Paris, 1958, pp. 174-177, 202-232,
241-247. Sur les relations entre la Grenade nasride et la Castille au temps
d'Alphonse X, cf. Crônica de Alfonso X in Biblioteca de Autores Espanoles, t. 66 de la
collection Rivadeneyra, Madrid, 1953, passim et A. Ballesteros y Beretta, Alfonso el
Sabio, Barcelone, 1963, pp. 362-417. Le système de transcription des caractères
arabes que nous adoptons est celui de Y Encyclopédie de l'Islam, Ie éd. (Leyde-
Paris, 1913-1936) et 2" éd. (Leyde-Paris, 1959), en abréviation El1 et El2.
Faisant allusion à la fréquente représentation de Musulmans dans le Libro del
Ajedrez, le grand Juliân Ribera s'est exprimé ainsi: «Para caracterizar a los moros
(los miniaturistas de la Casa Real] empleaban un procedimiento algo infantil: el
de pintarlos negros, cual si fueren de Guinea; si alguna vez los pintan blancos, para
que no hubiese duda de que eran moros, lés ponen unas barbas redondas en las
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Les Musulmans d'un rang élevé (khâssa) sont vêtus de la djubba,


robe flottante à larges manches déjà en usage dans la péninsule ibérique
au temps de l'émirat cordouan x: ample djubba blanche chez le personnage
représenté à droite dans l'une de nos miniatures (planche 1-1), méditant
sur la partie d'échecs en cours, robe verte de coupe plus simple chez
son compagnon qui consulte un ouvrage en caractères arabes. C'est
également une djubba aux coloris chatoyants: orange et rose que portent
les deux doctes Mudéfares qui apparaissent dans une autre miniature
du Libro del Ajedrez (planche 1-2). Les textes arabes 2 nous apprennent
que ces robes étaient fabriquées de longue date à Cordoue en de
somptueuses étoffes aux brillants coloris, à Murcie et surtout à Jaén, célèbres
pour leurs tissus de soie 8. La masse plébéienne ('âmma) devait se con-

mejillas y en la cabeza un turbante. Otras veces los pintaban negros y con turbante
para mayor identification.» (La Mûsica de las Cânligas. Estudio sobre su origen y
naturaleza, Madrid, 1922, p. 142.) Nous ne saurions souscrire à ce jugement
lapidaire et par trop sévère; les miniaturistes anonymes ont pu puiser leur inspiration
dans l'observation directe de la réalité musulmane. En effet, Seville, Murcie et
Tolède qui servent souvent de cadre à nos miniatures étaient demeurées des villes
à fort peuplement mudéjar; elles comptaient de puissantes aljamas de moros dont
l'existence est attestée par des documents d'archives espagnols. C'est précisément
sous Alphonse le Sage qu'eurent lieu de fructueux contacts de civilisations entre
Chrétiens et Musulmans: une équipe de traducteurs, réunie à Tolède sous l'égide
du roi, fit connaître à l'Europe chrétienne la culture et la science arabes, un collège
musulman fut fondé à Murcie. Cf. A. Gonzalez Palencia: Historia de la literatura
arâbigo-espanola, Barcelone, 1928, pp. .306-308. Enfin la présence de Musulmans
noirs dans certaines miniatures du Libro del Ajedrez (folios 22 r° et 55 r°) n'est
qu'une preuve de plus de leur authenticité: la population de l'Espagne musulmane
comptait des esclaves noirs, d'origine soudanaise, dès l'époque califienne (cf. E. Lé-
vi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane, en abrégé Esp. Mus., t. III, p. 208).
Parmi les Musulmans capturés au cours des combats frontaliers qui opposèrent
Castillans et Grenadins dans le dernier quart du XIIIe siècle, les artistes chrétiens
purent rencontrer des guerriers africains faisant partie de ces milices mérinides que le
Nasride Muhammad II al-Fakïh avait appelées à l'aide après 1273. Rappelons enfin
que le port de longues barbes avait été imposé aux Mudéjares castillans dès 1256 et
réaffirmé par les Cortes de Valladolid en 1258 afin de les différencier des Chrétiens.
Cf. Cortes de Leôn y de Castilla, Madrid, 1861, t. I, p. 59.
Elle avait été introduite chez les Musulmans d'al-Andalus par le célèbre musicien
de Baghdad, Ziryâb, sous le règne dîAbd al-Rahmân III. Sur la djubba, cf. Dozy,
Vêtements, pp. 107-117; E. Ivévi-Provençal, Esp. Mus., t. III, p. 425.
Cf. al-Shakundï, écrivain arabe du début du XIIIe siècle, Elogio del Islam espanol,
trad. E. Garcia Gômez, Madrid-Grenade, 1934, p. 107.
Ce vêtement d'apparat ne tarda pas à 3tre adopté par les Chrétiens d'Espagne sous
le nom d'aljuba: cf. Don Juan Manuel, El Conde Lucanor,éd. E. Julia, Madrid, 1933,
p. 126, cité par J. Guerrero Lovillo, Las Cântigas, p. 184. L'influence musulmane
sur le costume chrétien en Espagne, signalée par E. Lévi- Provençal (Esp. Mus.,
t. III, p. 425) pour le Haut Moyen-Age, a pu être décelée en ce qui concerne la Cas-
tille au XIIIe siècle par J. Nevinson, Costume in Castile in The Connoisseur, vol. 146,
Londres, 1960, pp. 10-15. Les étoffes d'origine arabe retrouvées dans les sarcopha-
LE COSTUME DES MUSULMANS DE CASTILLE AU XIIIe SIÈCLE 63

tenter d'une tenue vestimentaire plus modeste: djubba de laine ou de


coton dans les villes, simple saie (shâya) x de bure dans les campagnes,
selon la mode castillane.
La tenue de voyage demeurait au XIIIe siècle chez les Mudéjares
castillans le burniïs *, manteau de laine garni d'un capuchon dont les
artistes chrétiens ont revêtu — par dessus une djubba de couleur bleue — un
chef musulman devisant avec un joueur d'échecs chrétien (planche II-l).
Il semble que les sujets musulmans d'Alphonse X aient eu, comme
leurs frères du royaume nasride, une préférence pour le port du taylasan *
ample pièce d'étoffe que personnages de rang élevé et gens du commun
enroulaient sur les deux épaules ou sur une seule, «d'un tour très
gracieux», aux dires d'un contemporain, l'historien grenadin Ibn Sa'îd,
l'auteur du Mughrib *. Les hauts dignitaires et les théologiens le posaient
sur la tête. Les consciencieux miniaturistes qui illustrèrent le Libro del
Ajedrez ont drapé dans un fin taylasan blanc deux notables musulmans
(planche 1-2) assis autour d'un échiquier.
Comment se chaussaient les Mudéjares de Castille en cette fin du
XIIIe siècle? Les jambes souvent protégées par des bas-de-chausses
(diawrab) 6 de couleurs vives, ils portaient, selon nos miniaturistes, des
escarpins noirs à bout recourbé (planches 1-1, 1-2 et II-l) que nous
n'avons pu identifier avec les chaussures couramment employées par
les Musulmans d'al-Andalus: kurk à grosse semelle, sandale dite na'l,
patin de bois avec courroie (kabkâb) a. Nous inclinons à penser que les
Mudéjares de Castille auxquels les Ordonnances de Seville avaient inter-

ges royaux du Monastère de las Huelgas, près de Burgos, datant également du


XIIIe siècle, ont été étudiées par M. Gômez Moreno (El Panteôn Reaide las Huelgas
de Burgos, Madrid, 1946) et Mademoiselle Carmen Bernis ( Tapiceria hispano-musul-
mana. Siglos XIII g XIV in Archivo Espanol de Arle, t. XXIX, 1956, pp. 95-115).
1 Sur la shâya, cf. Dozy, Vêtements, pp. 212-213.
• Sur le burnûs, en usage dans l'Espagne umayyade dès le Xe siècle, cf. Dozy,
Vêtements, pp. 79-80; E. Lévi-Provençal, Esp. Mus., t. III, p. 428; G. Marçais, Le
costume musulman d'Alger, pp. 17-19.
8 Sur le taylasan dans l'Espagne musulmane, cf. Dozy, Vêtements, pp. 278-280;
E. Lévi-Provençal, Esp. Mus., t. III, p. 429. Sur la persistance du port du faylasân
chez les Maures d'Algérie au XVIIIe siècle, cf. G. Marçais, o. c, p. 85.
4 Sur Ibn SaTd, cf. El1, t. II, p. 439. Le passage d'Ibn Said est cité dans un ouvrage
postérieur, le Nafh al- fTb fl ghusn al-Andalus al-Rafîb du Tlemcénien al-Makkarï
(début du XVII* siècle); cf. éd. Caire, 1949, t. I, pp. 207-208.
« Cf. Esp. Mus., t. III, p. 424.
• Sur kurk, on renverra à J. Oliver Asin, Quercùs en la Espana musulmana (supra
p. 59 n. 3). Sur na'l. Cf. les Documents arabes inédits sur la oie sociale et économique
en Occident musulman au Moyen- Age, publiés par E. Lévi-Provençal, Le Caire, 1955,
p. 73. Sur kabkâb, cf. Dozy, Supplément aux Dictionnaires arabes, Leyde, 1927,
t. II, p. 303*.
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dit en 1252 le port de chaussures blanches ou dorées x ne faisaient que se


conformer à la mode castillane au temps du Roi Sage 2.
En ce qui concerne le couvre-chef des Musulmans d'Espagne au
XIIIe siècle, un texte d'Ibn Sa'ïd fait état de l'abandon du turban
('imma ou 'imâma) 8 pour son temps dans les provinces de l'Est, en
particulier à Murcie et à Valence, au sein de toutes les classes de la
population. Le port de cette coiffure était rare dans le royaume de Grenade:
le fondateur de la dynastie nasride, Muhammad Ier, et ses soldats
allaient tête nue 4. Le turban s'était maintenu dans l'Ouest d'al-Andalus
où les Berbères en avaient généralisé l'emploi dès l'époque umayyade;
il était d'ailleurs devenu l'attribut distinctif des hommes de loi, des
fonctionnaires et des savants. Il est vraisemblable que les artistes
chrétiens, en représentant leurs contemporains musulmans coiffés de 'imàmas
aux aspects divers, aient voulu mettre en relief l'importance sociale des
personnages qui s'en revêtaient, au sein des communautés mudéjares
de Seville, de Cordoue et de Tolède. Le turban, confectionné d'avance,
n'emboîtait que le crâne et pouvait se poser à la manière d'un chapeau
(planche 1-1); il se caractérisait aussi par un bonnet de couleur sombre
et de forme pointue émergeant de la pièce d'étoffe blanche qui
enveloppait la tête (planche 1-1). La 'imâma classique comportait un voile
qui, pareil à celui des nomades, entourait le cou et les joues, masquait
le bas du visage: c'est la coiffure que porte, dans une de nos miniatures,
le guerrier musulman assis sous une tente, l'épée au côté, jouant aux
échecs avec un chevalier chrétien (planche III).
Les femmes mudéjares ne sont pas restées absentes du Libro del Aje-
drez. Les musulmanes de condition (folio 38 v°) y apparaissent drapées
dans une ample djubba* rose, la tête curieusement enturbannée •, le
bas du visage voilé au-dessus des yeux par un fin mouchoir de gaze, le

1 Cf. F. Fernandez y Gonzalez, 'Estado soc'ial y politico de los Mudéjares de Castilla,


Madrid, 1866, p. 127. Cet interdit fut renouvelé par les Cortes de Valladolid en 1258,
cf. Cortes de Leôii y de Castilla, t. I, p. 59.
2 Les chaussures retrouvées dans les tombes royales du Monastère de las Huelgas
(Burgos) datant de Ja fin du XII« siècle présentaient cette forme pointue qui allait
devenir d'un usage courant en Castille au treizième siècle. Cf. J. Puiggari, o. c, p. 29.
8 Sur le turban cf. Dozy, Vêtements, pp. 305-311; E. Lévi-Provençal, Esp. Mus.,
t. III, pp. 427-428; G. Marçais, o. c, p. 81.
4 Texte cité par al-Makkarï (supra p. 63 n. 4).
6 E. Lévi-Provençal (o. c, p. 424) a rappelé que dans l'Occident musulman «beaucoup
de vêtements de même tissu, dé même nom et de même forme étaient communs
à l'homme et à la femme».
6 Un siècle plus tard, les artistes anonymes qui exécutèrent les peintures du Partal
dans l'Alhambra de Grenade (seconde moitié du XIVe siècle) y représentèrent la
même coiffure féminine.
LE COSTUME DES MUSULMANS DE CASTILLE AU XIIIe SIECLE 65

khimâr, les pieds chaussés d'escarpins noirs à bout recourbé pareils à


ceux des hommes représentés dans les mêmes miniatures. Les dames de
la cour d'Alphonse X y figurent enveloppées dans une d[ubba flottante
de soie grise ou rose dont le col et les manches sont garnis de galons ou
encore dans une large et fine tunique (kamïs) de gaze transparente,
brodée de fils d'or (planche II-2). Elles ont le visage découvert, les
cheveux retenus par un simple serre-tête: wikâya (folios 18 r° et 54 r°) ou bien
recouverts d'un foulard (mandîl) à rayures. Un bandeau d'étoffe ceint sur
le front un ample voile à fin liséré (mikna'a) dont les pans retombent en
franges noires sur les épaules de la musicienne jouant de la viole
(planche 1 1-2). Bien qu'il n'entre pas dans notre propos de décrire la parure
féminine, nous noterons rapidement que les Mudéjares castillanes se
paraient de colliers ('iqd), de pendants d'oreilles (shanf), de lourds
bracelets (dumludj) et de bagues (khâtim) dont les textes arabes
attestent l'existence et précisent qu'ils étaient en or pur chez les femmes de la
noblesse et en argent chez les Musulmanes de classes modestes K

Avant de clore cette brève étude, nous voudrions rappeler ce que nous
apprennent les sources chrétiennes sur la mise des Mudéjares castillans
au XIIIe siècle. Dans les Ordonnances de Seville édictées en 1252 par
Alphonse X, défense était faite aux Mows de se vêtir, dans les
agglomérations chrétiennes, de draps de couleur blanche, rouge ou verte, de
porter des vêtements de cendal ou de fourrure, des chaussures blanches
ou dorées. Il était interdit aux femmes musulmanes de se draper dans
des chemises brodées autour du cou de fils d'or, d'argent ou de soie. Les
Cortes de Jerez réunies en 1268 ne firent que proscrire le port de l'hermine,
d'étoffes de couleur écarlate ou orange ainsi que l'usage de chaînes d'or *.
La vivante galerie de portraits de Musulmans que nous venons
d'évoquer ne vient-elle pas suggérer que, somme toute, cette réglementation

Cf. H. Pérès (o. c, p. 324) et J. Albarracin (o. c, pp. 28-29). Dans un contrat de
mariage datant de 1285 et émanant de la communauté mozarabe de Tolède, il
est fait état de vêtements et de bijoux pareils à ceux de nos Mudéjares castillanes:
une tunique bordée de fils de soie, un collier d'argent d'une valeur de 60 miihkâls,
des boucles d'oreilles en or garnies de perles. Un testament de mai 1281 mentionne
un voile (mikna'a) murcien en or avec liséré de taffetas jaune. Cf. A. Gonzalez Pa-
lencia,
III," Los Mozarabes de Toledo en los siglos XII y XIII, Madrid, 1930, I, p. 387,
p. 283.
Cf. F. Fernandez y Gonzalez, o. c, p. 127.
66 R. ARIÉ

demeura lettre morte? Les miniatures du Libro del Ajedrez affirment la


persistance de la tenue vestimentaire musulmane au sein des
communautés mudéjares de Castille, compte tenu de quelques modifications
dues à la mode chrétienne; elles témoignent de cette «symbiose parfois
cordiale» — pour reprendre l'expression de Monsieur H. Terrasse * — qui
s'établit entre Chrétiens et Musulmans dans l'Espagne du Bas Moyen-Age.
Elles présentent, à notre sens, une indéniable valeur documentaire.

1 Islam d'Espagne, p. I.
PLANCHE I

Illustration non autorisée à la diffusion


PLANCHE II

Illustration non autorisée à la diffusion


PLANCHE III

Illustration non autorisée à la diffusion

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