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Mélanges de la Casa de

Velázquez

Le règne de Jean II vu depuis Murcie


M. Jean-Pierre Jardin

Citer ce document / Cite this document :

Jardin Jean-Pierre. Le règne de Jean II vu depuis Murcie. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 30-1, 1994. Antiquité-
Moyen-Age. pp. 207-225;

doi : https://doi.org/10.3406/casa.1994.2689

https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1994_num_30_1_2689

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LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE

Jean-Pierre JARDIN
Membre de l'École des hautes études hispaniques

D'autres écrivent des sommes,


dont on ne fait pas le compte. . .

Otros escrïben sumas, de que no se hace cuenta... D'autres écrivent des


sommes, dont on ne fait pas le compte... Par ces mots, le docteur Galindez de
Carvajal entend justifier dans la préface à son édition de la Chronique de Jean II
(en fait une œuvre nouvelle élaborée à partir de textes très divers) une attitude qui
consiste à privilégier les chroniqueurs de ce seul règne au détriment des auteurs
de ces ébauches d'Histoires nationales de Castille que sont les résumés ou
sommes de chroniques générales. Il est vrai que la nature même de ces textes
semble justifier une telle prise de position : comment des œuvres se donnant
comme de simples compilations pourraient-elles apporter sur un règne particulier
de nouveaux éléments justifiant leur reprise au sein d'une entreprise telle que
celle de l'érudit castillan ? Dans les siècles qui ont suivi, il semble bien que les
historiens aient fait leur l'opinion du secrétaire de Charles Quint et partagé son
mépris d'ouvrages jugés mineurs. Il est pourtant arrivé que des voix discordantes
se fassent entendre : c'est ainsi que Juan de Mata Carriazo, citant ces mots de
Carvajal, ajoutait en 1946 :

[...] il est dommage qu'il ne nous dise pas ici les noms et les œuvres de ces autres
auteurs de sommes, c'est-à-dire de sommaires, de résumés ou de chroniques
abrégées : nous eussions préféré qu'il en fît le compte, et le plus exact possible^.

"[. . .] es lâstima que no nos diga aqui los nombres y obras de esos otros que escribieron sumas,
es decir sumarios, resûmenes o crônicas abreviadas : de los que hubiéramos preferido que
hiciera cuenta, y lo mâs detallada posible", Refundiciôn de la Crônica del Halconero por el
obispo don Lope Barrientos (hasta ahora inédita),' ediciôn y estudio por Juan de Mata Carriazo,
Madrid, 1946, p. XXI V-XXV (= Refundiciôn).

Mélanges de la Casa de Velazquez (MCV), 1994, XXX (1), p. 207-225.


208 JEAN-PIERRE JARDIN

Dans la ligne de ce souhait exprimé par un eminent spécialiste de


l'historiographie espagnole, nous nous proposons ici de publier le chapitre consacré à Jean
II dans un texte découvert en son temps par Amador de los Rios qui lui consacra
quelques pages de son Histoire de la littérature, et livré depuis lors au silence de
l'oubli. L'intérêt de cet extrait de résumé de chroniques (la publication de
l'intégralité du résumé dépasserait le cadre de cet article) est triple : proposer du
règne de Jean II une vision originale depuis une perspective très probablement
murcienne, être le seul texte (à notre connaissance) à donner une date précise au
transfert du corps d'Alvaro de Luna de Valladolid à Tolède, enfin mettre en relief
la complexité des liens qui unissent les différents textes de l'historiographie de
cette époque.

LE MANUSCRIT

Aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid sous la cote


10448, il fait partie des manuscrits de la bibliothèque de la maison d'Osuna acquis
par l'État espagnol à la fin du XIXe siècle. Mesurant 20 x 27,5 cm, il est relié en cuir
sur bois et a dû posséder en son temps un système de fermoir. Au dos du volume,
deux étiquettes anciennes : l'une porte le titre ([ComJ pen° V fniv.J de las Hist.),
l'autre, un numéro (60). Le manuscrit garde la trace de classements précédents
(cotes 80-4, 82-4, Ii-132 et 6-1-24). Une page de titre postérieure au reste du texte
(sans doute rédigée au XVIIIe siècle) porte les indications suivantes :

COMPENDIO VNIVERSAL de las Historias Romanas y de otros Autores que aqui


van contenidos. En el quai se tratan los hechos notables de los Principes Romanos,
assi Pontifices como Emperadores, y otros illustres varones. Hay también un
Compendio de las Chrônicas de Castilla. POR Alonso de Âvila (segûn se crée) hijo
del Chronista Hernando de Palencia.

Cette page reprend en fait les indications données en tête du texte par son
auteur :

Syguese el conpedio vniversal sacado de las ystorias rromanas e de otros libros y


actores que aquj van contenjdos, en el quai se tratan los échos notables que los
principes Romanos asi pontifices como enperadores y otros ylustres barones hizierow
asi en lo que pertenesçe en las costituçiones de la yglesia como en el acresçentamjento
del ynperjo Romano, hecho por a.d.a.

en les combinant avec les informations apportées par une note marginale du XVIe
siècle qui tente d'identifier le mystérieux a.d.a. :

. . .créese que fue Alonso de Àvila hijo del coronjsta Hernando de Palencia.

Plusieurs mains sont intervenues lors de la rédaction du premier texte


contenu dans le manuscrit (le Compendio Vniversal), que l'on peut dater de
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 209

l'extrême fin du XVe siècle ou du début du XVIe. Quant au texte qui le suit et qui
nous intéresse ici (une Suma de las coronjcas de espana), il est incontestablement
plus ancien, et la main unique qui a présidé à sa rédaction est une main de la
seconde moitié du XVe siècle.
Le manuscrit comporte aujourd'hui une foliation unique, en chiffres arabes,
allant de 1 à 278. Le second texte du manuscrit commence au folio 232 et conserve
une foliation plus ancienne (au coin inférieur droit des folios) allant de 1 à 68.
Cette apparente contradiction entre les deux foliations (puisque la Suma semble
posséder 47 folios dans un cas, 68 dans l'autre) est due à une triple erreur dans la
foliation la plus récente : le folio 244 est suivi d'un folio 235, le folio 263 (273) est
répété et au folio 269 (280) succède un folio 260 (281).
Dans la partie du manuscrit qui nous intéresse, le papier utilisé ne comporte
qu'un type de filigrane : une tête de bœuf avec yeux et narines très semblable à la
figure n° 14967 de Briquet, ce qui semble indiquer un papier du Sud de la France,
de la fin des années 14402.

SUR QUELQUES HYPOTHÈSES D' AMADOR DE LOS RIOS

Le manuscrit 10448 de la Bibliothèque Nationale de Madrid a fait l'objet


d'un rapide examen de la part de cet érudit alors qu'il était encore en possession
du duc d'Osuna. Les conclusions qu'il a tirées de cet examen ont ensuite été
reprises sans discussion par les (rares) chercheurs à s'être intéressés à ce texte3 :
c'est pourquoi il importe de les rappeler ici.
La datation qu'il propose pour le texte principal du manuscrit (1499)
s'appuie sur la fin de la deuxième partie de celui-ci, où l'on trouve ces précisions
chronologiques (reproduites avec quelques erreurs par Amador de los Rios4) :

Roma ha que es fiindada ijU ccxlv anos.


El miwdo ha que es creado vjU dcxcjx anos.
Esto es en el ano que esta copilaçiôn se acabô de jU cccc°xcjx anos. [fol. 89r]

Contrairement à ce qu'a pensé Amador de los Rios5, cette datation n'est pas
exclusive de celle (1497) qu'ont proposée avant lui les auteurs de YEnsayo de
una Biblioteca espahola de libros raws y curiosos, dans la mesure où cette
dernière date apparaît à deux reprises dans le texte : une première fois au folio
148v. (où l'auteur précise que les Rois Catholiques gouvernent l'Espagne en vno
con el su muy caro e muy amado hijo, el muy exçelente principe don Juan6), et

2. C. M. Briquet, Les filigranes, Leipzig, 1923, IV, p. 750-752.


3. En particulier Georges Cirot, Les Histoires Générales d 'Espagne entre Alphonse X et Philippe II
(1284-1556), Bordeaux, 1905, p. 54.
4. José Amador de los Rios, Historia critica de la literatura espahola, Madrid, 1 865 (réimpr. 1 969),
VII, p. 318, note 1 (= Rios, Historia).
5. Ibid., p. 316-317, note 1.
6. L'infant D. Juan est mort à Salamanque en octobre de cette même année 1497.
210 JEAN-PIERRE JARDIN

une seconde fois au folio 218v. Il semble donc que le Compendio Universal ait
été rédigé en plusieurs étapes, ce que confirme l'existence de plusieurs "mains".
Cette chronologie ne peut de toute façon pas s'appliquer à la Suma qui nous
intéresse, dont Amador soulignait déjà qu'elle était plus ancienne que le
Compendio qui la précède.
Sur la foi de la note marginale postérieure au reste du texte et recopiée sur la
page de titre, Amador de los Rios fait de celui-ci l'œuvre d'un certain Alfonso de
Âvila, fils du chroniqueur Alfonso de Palencia : relevant cependant l'erreur
grossière de cette note (qui parle du chroniqueur Hernando de Palencia),
l'historien espagnol exprime ses doutes quant à l'existence de ce fils dont on ne trouve
nulle trace dans les documents historiques7. Il est vrai que le texte original du
manuscrit ne comporte que les initiales a.d.a. et qu'il est périlleux, sur cette base,
de faire confiance à cette note anonyme. Il faut cependant porter au crédit de son
auteur la prudence avec laquelle il avance son hypothèse {créese, écrit-il) et le fait
que Palencia s'appelait Alfonso Hernandez. Ajoutons pour être complet que si
Palencia fut, semble-t-il, l'un des secrétaires d'Alphonse, le frère d'Henri IV de
Castille, (ou tout au moins en remplit la fonction de façon ponctuelle), on trouve
aussi mention, parmi ceux-ci, d'un Alfonso Rodriguez de Âvila, nommé le 9
septembre 1465 . Deux points font difficulté, si l'on admet cette hypothèse : le
premier est un problème de chronologie : peut-on admettre qu' Alfonso de
Palencia, mort en 1492, ait eu un fils qui, en 1497, souffre de la goutte9 et est sans
doute assez âgé pour avoir été trente ans plus tôt au Conseil du Prince Alphonse ?
L'hypothèse n'est pas invraisemblable, même si elle est hasardeuse10. Le second
touche à l'éducation que l'on peut supposer avoir été donnée à son fils par Alfonso
de Palencia : est-il admissible que le brillant latiniste que fut Palencia ait négligé
d'enseigner ou de faire enseigner cette langue à son descendant direct ? Amador
de los Rios, ébloui par la liste d'auteurs anciens cités par le supposé Âvila dans le
paragraphe où ce dernier énumère ses sources [fol. 3v-4r], en a conclu à une
connaissance directe de ces textes par l'auteur du Compendio11, passant sous
silence une phrase du prologue où celui-ci semble confesser son ignorance ou sa
méconnaissance du latin :

7. "Alfonso debiô decir, si en efecto era el autor del Compendio o Suma Universal hijo del cronista
Palencia, lo cual no hemos tenido la fortuna de comprobar con documentos histôricos." (Rios,
Historia, Vil, p. 316).
8. M" Dolores-Carmen Morales Muniz, Alfonso de Âvila, Rey de Castilla, Âvila, 1988, p. 341 .
9. "[•••] qweriendo en altro ocupar el t/enpo de mjs enfermedades quando los dolores de la gocta
me dan alguwos bagar y descanso..." [fol. lv.-2r.].
10. Un document des archives de Simancas reproduit par Antonio Maria Fabié, Dos tratados de
Alfonso de Palencia, Madrid, 1876, et relatif à la succession du chroniqueur, ne fait aucune
mention de ce fils : "[...] a los herederos del dicho alonso de palencia, o a quien por ellos los
aya de auer..." (leg. n° 6, p. LXXX).
11. "^Conociô Alfonso de Âvila todos estos libres, o se valiô de ellos por referencia? La seguridad
de las citas y la ingenuidad de encabezar su compendio con el catâlogo (poco ordenado) de todos
estos libros y escritores, parecen persuadir que le fueron familiares" (Rios, Historia, VII, p. 3 17,
note 1).
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 21 1

[. . .] e como yo caresca deste saber asi por no alcançar la lengua latina por prmçipios
sino por lenguaje deprendido por los mesones de Françia y de Ytalia y de Greçia como
por mj grosero y rrudo yngenjo que avn las comvnes cosas se me hazen dificiles de
saber... [Fol. lr.]

Il est vrai que cette phrase peut relever de la fausse modestie caractéristique
des auteurs du Moyen Âge. La question de l'identité de l'auteur du Compendio
reste posée.
Il est en revanche certain que la Suma de las coronicas qui clôt le manuscrit,
contrairement à ce que pensait Amador de los Rios, est tout à fait étrangère au projet
initial de l'auteur du Compendio Universal. Ce dernier annonce dans son prologue
le plan d'un ouvrage en cinq parties dont la dernière traiterait des rois d'Espagne,
depuis le premier roi goth jusqu'aux souverains contemporains de la rédaction
(fol. 2v). Mais la Suma n'est pas cette cinquième partie du Compendio : cette
dernière existe par ailleurs et s'étend du folio 148r au folio 219v. S'inscrivant dans
la logique de l'œuvre d'Âvila, cette partie mêle étroitement l'Histoire des Papes,
celle des Empereurs et celle des Rois d'Espagne. Cette dernière est d'ailleurs la plus
négligée, dans la mesure où l'auteur renvoie ses lecteurs à la Valeriana pour le détail
des règnes12. Pour donner une idée de la distance qui sépare le Compendio de la
Suma, nous transcrivons ici le "récit" du règne de Jean II selon le premier texte :

El Rey don Juan, segundo de este nonbre, de gloriosa memoria, començô a rreynar de
veynte meses en el ano de mjll y quatroçientos e siete anos. Rreynô xlvij mos : y por
que sus virtudes y gloriosos échos son présentes, aq«/ no se dira mas de traer a la
memoria de los présentes la muerte que por justa justiçia mandô dar al su prjvado don
Âluaro de Luna, condestable de Castilla, maestre de Santiago, [fol. 208v.]

Ce court paragraphe est suivi d'un développement consacré au Prieur de


Saint Jean13, du récit (très bref) du Pontificat de Calixte III, enfin de celui
(nettement plus long) du Pontificat de Pie II. Cette érudition cléricale est fort éloignée
du point de vue suivi dans la Suma pour évoquer l'Histoire de la Castille. Il est
surprenant qu'Amador de los Rios n'y ait pas regardé de plus près.

12. "y porqwe el discreto cauallero mosén Diego de Valera en vn libro que hizo que yntitulô la
Valeriana hablô algùn tanto largamente de cada vno de los dichos Reyes y de sus notables
fechos, vidas, muertes, aquj no se dirân signo solamente los que suçedieron a Atanarico Rey
godo fasta este nuestro tienpo." [fol. 148r.-v.].
13. "En este tienpo, en el ano de jU ccccliiij0, el Turco afljgia mucho a los cristianos, espeçialmente
en Llevante, y Rrodas estava en gran neçesidad porque se le avia caydo vna gran parte de muro.
Y enbiô el Gran Maestre alla mar al Prior de Castilla, don fray Gonçalo de Qujroga, vn muy
virtuoso cavallero gallego, y a todos los priores de ponjente subgetas {sic) a la horden de Sant
Juan, el quai Prior don Gonçalo de Qujroga tenja en guarda a la rreyna dona Ysabel, muger del
dicho rrey don Juan, madré de la rreyna nuestra senora, y estava en Tordesillas, la quai poco avia
que avia parido al ynfante don Alonso que después fue rrey en tienpo de don Enrrique 4°. Y el
Prjor demandé licencia al Rey y a la rreyna luego como vio el llamamjento del Gran Maestre,
la quai alcançô con dificultad, y fuese a su prioradgo y adereçiô su partida y partie de San Lucar
2 12 JEAN-PIERRE JARDIN

PABLO DE BURGOS ET DIEGO RODRIGUEZ DE ALMELA

II est également surprenant que l'érudit espagnol n'ait pas reconnu le texte
de cette Somme, qu'il connaissait fort bien pour l'avoir notamment décrite dans
son Histoire de la littérature14 : nous sommes en effet en présence d'une copie de
la Suma de crônicas de l'évêque de Burgos, Pablo Garcia de Santa Maria,
actualisée sous le règne d'Henri IV. Tout le texte de la somme, jusqu'à la mort de
Catherine de Lancastre, est identique aux autres versions du texte de l'évêque, à
quelques variantes près, le plus souvent sans grand intérêt (nous avons consulté ce
résumé de chroniques dans la copie du XVIe siècle conservée à la B.N. de Madrid,
Ms. 1279, fol. 121-222). Qu'Amador de los Rios ne s'en soit pas rendu compte
prouve simplement qu'il n'a pas lu le texte du ms. 10448, ce que confirme son
affirmation selon laquelle ce dernier s'arrête au supplice d'Âlvaro de Luna15 : en
fait, la Suma s'interrompt après l'arrivée au pouvoir d'Henri IV, mais il est vrai
que le dernier folio reproduit le texte de la proclamation des crimes du Connétable.
Si l'autorité sous laquelle on peut placer la majeure partie du texte de la Suma
est donc facile à déterminer, il en va autrement du fragment que nous publions ici,
dont l'auteur, matériellement, ne peut pas être l'évêque de Burgos, mort en 1435.
En dehors de cette raison indiscutable, il faut bien reconnaître avec Amador de los
Rios16, qui a eu connaissance de cette continuation par d'autres manuscrits étudiés
par Nicolas Antonio et Fierez, que celle-ci, par le ton, le style et la finalité, est fort
éloignée du reste de la Somme.
Qui, dans ces conditions, peut-il être l'auteur de cette continuation ? Un nom
vient immédiatement à l'esprit (et c'est ce nom qu'avance Amador de los Rios) :
celui du fils de Pablo de Burgos, Alfonso de Cartagena, successeur de son père sur
le siège episcopal et lui aussi auteur d'un résumé de chroniques, YAnacephaleosis,
qu'il rédigea en latin. L'hypothèse, là encore, est vraisemblable. Cependant, en ce
qui concerne le ms. 10448, elle se heurte à un problème d'ordre chronologique : à
une occasion au moins, le texte cite un événement intervenu en 1459 (le transfert
des restes d'Âlvaro de Luna à Tolède). Or Cartagena est mort en 1456. Cela dit,
comme cette continuation, nous le verrons, a été écrite à deux époques différentes,
l'évêque de Burgos pourrait être l'auteur de la première partie de celle-ci, rédigée
très probablement en 1449. Mais le contenu même de cette partie rend l'hypothèse
difficile à admettre : en 1449, Alfonso de Cartagena occupe le siège episcopal de
Burgos et se trouve mêlé de près aux troubles qui secouent la Cour de Castille.

de Barremeda a veynte y quatro de mayo del ano de mjll y qw^troçientos y qwarenta y quatre Y
el rrey fallesçiô en el mes de julio segujente del dicho ano. Fue muy aconpanado de los
cavalleros de su horden y de los suyos : llevô vna nao armada y vn valljnel y vna caravela en
que fueron qujnjentos onbres de pelea, los trezientos hijos dalgo de los buenos de Castilla. El
Prior murjô en Rrodas deste viaje." [fol. 208v.-209r.].
1 4. Rios, Historia, VI, p. 1 99-200.
15. "[. . .] siendo de notar que la narration no pasa del suplicio de don Âlvaro de Luna." (Ibid., VII,
p. 316, note 1).
16. Ibid., VI, p. 200.
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 213

Comment admettre dès lors que la première partie du récit du règne de Jean II qu'on
lui attribue ne fasse que de vagues allusions à ces troubles mais s'attarde
longuement, en revanche, sur les heurs et malheurs de la Reconquête dans les régions de
Murcie et d' Almeria ? Rien ne semble par ailleurs pouvoir rapprocher le texte de la
continuation de ceux de YAnacephaleosis (éditée en 1545 à Grenade), de sa
traduction en langue romane par Villafuerte (1463 : nous l'avons consultée dans les
manuscrits 815 et 9436 de la B.N.M.) ou du résumé de cette dernière (ms. esp. 141
de la B.N.P.).
Il existe en revanche un homme, lié de très près à la famille Santa Maria
puisqu'il devint en 1440, à l'âge de 14 ans, le criado d' Alfonso de Cartagena et ne
le quitta plus jusqu'à la mort de celui-ci, un homme né à Murcie et qui revint dans
sa ville natale en 1464 pour ne plus guère la quitter ensuite, un homme obsédé par
la nécessité de la Reconquête et qui rédigea plusieurs ouvrages autour de ce thème,
un homme, enfin, auteur lui aussi d'un résumé de chroniques (le Compendio histo-
rial ou Compilaciôn de las Crônicas de Espand) dont on conserve deux versions :
cet homme, c'est Diego Rodriguez de Almela. Le supposer auteur de la
continuation dont nous traitons peut sembler une hypothèse gratuite, et le serait
effectivement si elle ne reposait que sur ses liens avec Murcie. Mais d'autres indices, plus
solides, nous incitent à proposer son nom.
Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'on retrouve dans le Compendio d' Almela
des passages entiers de la Suma de Pablo de Burgos, mêlés à des éléments
provenant d'autres sources, dans la mesure où l'auteur a pu facilement avoir accès à ce
texte grâce à sa position privilégiée auprès d' Alfonso de Cartagena, et compte tenu
de l'admiration qu'il a toujours exprimée vis-à-vis de son maître et de ses œuvres
(qu'il a contribué à faire connaître), admiration qui s'est étendue à la personne de
Pablo de Burgos. Le résumé d' Almela, dans sa première version, est antérieur à la
prise de Grenade : on le date généralement de 1491, mais le professeur Torres
Fontes a montré que cette date devait être revue, puisque des documents prouvent
que notre auteur était mort (depuis peu) en 1489 . Il n'est malheureusement pas
possible de savoir si cette version utilisait déjà la continuation de la Suma, le seul
manuscrit la conservant (B.N.M. 1979), incomplet et lacunaire, s'achevant au
règne d'Henri III. La seconde version, qui, elle, l'utilise, est une refonte du XVIe
siècle, rédigée entre la mort d'Isabelle (1504) et celle de Ferdinand (1516). Nous
l'avons consultée dans le manuscrit 1525 de la B.N. de Madrid.
Il est en revanche beaucoup plus difficile d'expliquer pourquoi la partie de
la continuation de la Suma qui s'occupe des progrès de la Reconquête est reprise
mot pour mot dans une lettre de Rodriguez de Almela au Maître de Santiago datée
de 1481, reproduite en tête de la Compilaciôn de los milagros de Santiago, œuvre
de commande réalisée à partir des différentes chroniques connues de l'auteur 1 fi .

1 7. Compilaciôn de los milagros de Santiago de Diego Rodriguez de Almela, estudio por el doctor
D. Juan Torres Fontes, Murcie, 1 946, p. XXVII-XXVIII (= Milagros).
.

1 8. Ibid., p. 4 à 7. On peut aussi la consulter dans le ms. 1 302 de la BNM, fol. 3r.
214 JEAN-PIERRE JARDIN

Les relations entre les deux textes sont indéniables : seule une utilisation de l'un
par l'autre peut expliquer qu'ils commettent tous les deux la même erreur sur
l'identité du vaincu d'Hellin, dont ils font Fernando de Castro (maréchal de
Castille dirigeant à Murcie les opérations militaires contre les Navarrais) alors
qu'il s'agit d'Alonso Téllez Giron19. On pourrait supposer une influence inverse,
la lettre d' Almela - œuvre ponctuelle, mais dont la connaissance est assurée par le
succès de la Compilation qu'elle accompagne- étant alors réutilisée comme
source par l'auteur anonyme de la continuation (qui serait postérieure à 1481).
Mais cette hypothèse est rendue caduque par la façon dont la Suma rend compte
de l'expédition du roi de Grenade contre Montiel : tandis que cet événement (qui
date d'août 1449, comme nous en informe la seule Crônica del Halconero2®)
n'apparaît pas dans la lettre de 1481, qui ne traite que les faits historiques
marquants, notre texte le présente au contraire comme une nouvelle importante, et
d'une brûlante actualité (Et agora no muchos dias ha...). Il est absurde de supposer
qu'un texte postérieur à 1481 puisse se donner, de façon totalement fictive, comme
une œuvre rédigée en 1449 : il faut donc admettre que c'est la lettre d' Almela qui
utilise la continuation de la Suma, et non l'inverse. Et la question se pose de savoir
si cette identité des textes n'est pas due à une identité des auteurs. Comment
expliquer autrement qu' Almela ait pu à ce point plagier un texte historiographique dans
une lettre où il exprime ses sentiments personnels ? Rappelons cependant qu'en
1449, Diego Rodriguez de Almela, âgé de 23 ans, est depuis neuf ans aux côtés de
l'évêque de Burgos, c'est-à-dire très loin du théâtre des combats.

"A.D.A." : ALONSO RODRIGUEZ DE ALMELA ?

Il nous faut enfin prendre en compte la dernière partie du texte, celle qui
présente un bilan du règne de Jean II et expose les derniers événements de celui-
ci, forcément postérieurs à 1449. Si nous voulons proposer une date pour la
rédaction de cette partie, il nous faut tenir compte, comme terme post quern, du transfert
des restes d'Âlvaro de Luna à Tolède (1459, selon le texte). Le terme ante quern
sera 1468, date de la mort de l'Infant Alphonse, présenté ici comme un
protagoniste bien vivant de l'Histoire de Castille (alors que sa sœur Isabelle, moins proche
du trône parce que femme, est à peine mentionnée). Alphonse reçoit le titre de
Maître de Santiago, ce qui pourrait nous inciter à resserrer quelque peu notre
fourchette : ce n'est en effet qu'en novembre 1464 qu'Henri reconnaît ce titre à son
frère. Cependant, nombre de nobles, s 'appuyant sur le testament de Jean II, le

19. Un autre texte de Diego Rodriguez laisse apparaître une possible influence de notre Suma : la
Compilation de las Batallas Campales, publiée à Murcie en 1487 mais achevée, elle aussi, en
1481. On y retrouve évoquées les défaites de l'alcaide d'Antequera et de Saavedra dans l'ordre
dans lequel elles apparaissent dans la Suma, alors que cet ordre est inversé dans la lettre au
Maître de Santiago. Almela est le seul auteur connu à évoquer la défaite de l'alcaide et à préciser
quels sont les liens de parenté qui unissent Saavedra et Ordiales (gendre du premier).
20. Crônica del Halconero de Juan II, Pedro Carrillo de Huete (hasta ahora inédita), ediciôn y
estudio por Juan de Mata Carriazo, Madrid, 1946, cap. CCCLXXXI, p. 534 (= Halconero).
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 215

reconnaissaient comme tel bien avant cette date : nous ne pouvons donc tirer
aucune conclusion de l'emploi de ce titre.
Si nous acceptons cette fourchette 1459-1468 pour la rédaction de cette
dernière partie, l'attribution de la continuation à Diego Rodriguez de Almela ne va
pas, là encore, sans poser quelques problèmes : celui-ci ne revient probablement
pas à Murcie avant 1464 (lorsqu'il dédie son Valerio de las historias à D. Juan
Manrique en 1462, il est encore à Burgos), et s'en absente de nouveau en 1466 ou
1467 pour un voyage à Rome dont il n'est de retour - de façon certaine - qu'en
1468 seulement21. Cependant, l'Histoire personnelle et familiale d' Almela permet
de résoudre ces difficultés plus facilement que dans le cas d' Alfonso de Cartagena.
La famille de Almela est en effet installée à Murcie depuis plusieurs générations :
en 1399, un Berenguer de Almela est regidor de la ville : lui succéderont de
nombreux caballeros principales, regidores, alcaldes ou alguaciles mayores. La
documentation murcienne de l'époque de Diego Rodriguez fait apparaître les
noms de plusieurs proches parents du chroniqueur : en 1454, la veuve d'Alonso
Martinez de Almela, qui ramenait le corps de son mari depuis Burgos, se fait
attaquer au col de la Mala Mujer, et voler tout ce qu'elle portait, y compris les
restes du défunt. Selon Torres Fontes, qui rapporte cette anecdote22, il s'agit de la
tante, ou plus sûrement de la mère, de Diego. En 1475, on trouve parmi les
partisans du roi du Portugal à Murcie un certain Alfonso de Almella, condamné à la
suite de certains troubles à quitter la ville et à servir un mois à Hellin sous les
ordres de Pedro Fajardo, tout cela à ses frais . Il pourrait s'agir cette fois du frère
du chroniqueur, Alfonso Rodriguez (bien qu'il soit douteux que cet homme qui fut,
nous allons le voir, un fidèle serviteur des Rois Catholiques, puisse être le même
que le partisan d'Alphonse V), que l'on retrouve cité parmi les témoins de
l'autorisation de continuer son voyage donnée par le Conseil de la ville à certain vendeur
de livres imprimés de Tolède (Guillermo Alemân) en 148124.
Il nous faut nous attarder un instant sur la figure de ce frère peu connu de
Diego Rodriguez de Almela : d'abord parce que sa qualité d'habitant de Murcie a
pu en faire un informateur privilégié de son frère pour tous les événements de la
Reconquête sur les terres de cet ancien royaume (ce qui pourrait justifier que le
chroniqueur, alors même qu'il résidait à Burgos, ait pu accorder tant de place et
d'importance à ces événements) : mais aussi parce que le professeur Torres Fontes
nous apporte sur cet homme des renseignements fort intéressants pour notre
propos :

ce frère [...] servit à la guerre de Grenade avec deux chevaux et un écuyer, et [...]
présenta plus tard à la reine Isabelle une Chronique manuscrite enluminée avec des
lettres d'or, dont il ne reste d'autre vestige que la mention qui nous en est faite par son

21. Milagros, p. XXIII.


22. Juan Torres Fontes, Don Pedro Fajardo, adelantado mayor del reino de Murcia, Madrid, s.d.,
p. 60-61.
23. Milagros, p. XXIV.
24. J. Torres Fontes, Don Pedro Fajardo, p. 1 88- 1 89.
216 JEAN-PIERRE JARDIN

fils et que recueille Cascales [Discursos histôricos, 3e éd., p.282] : peut-être fut-ce à
cause de cette Chronique, ainsi que pour les services rendus par les deux frères, que
les Rois Catholiques lui firent don par une lettre datée de Tortosa le 20 mars 1496,
longtemps après la mort de Diego, d'une charge de greffier au tribunal "compte tenu
de votre habileté, et de votre efficacité, et des services que vous avez rendus'"25.

Pour nous, il est particulièrement intéressant de noter que le frère de Diego


Rodriguez n'est pas étranger au monde des chroniques. Si l'œuvre qu'il offrit à la
Reine est antérieure à 1496, comme le suggère Torres Fontes, il ne peut s'agir du
Compendio Universal qui précède la Suma dont nous nous occupons. Mais rien ne
nous dit qu'Alonso ait limité sa production à un seul ouvrage. En 1497-1499, cet
homme déjà âgé a pu consacré le temps libre que lui laissait son office à rédiger
l'œuvre monumentale que constitue le Compendio. L'attribution de celui-ci au frère
du chanoine-chroniqueur pose moins de problèmes chronologiques que son
attribution au fils de Palencia. D'autre part, elle permettrait d'expliquer l'abondance des
sources utilisées par un homme qui se dit dans le même temps piètre latiniste mais
qui a pu hériter de la bibliothèque de son frère, et l'ajout à la fin du manuscrit d'une
copie de la Suma de Pablo de Burgos probablement actualisée sous le règne d'Henri
IV par Diego Rodriguez.

QUELLES SOURCES POUR NOTRE TEXTE ?

Nous ne saurions, dans le cadre de cet article, étudier de façon détaillée


chaque épisode du texte : nous nous contenterons ici d'ouvrir quelques pistes. La
première remarque qu'il convient de faire est qu'aucune des chroniques connues
du temps de Jean II n'a servi de source directe à la continuation de la Suma. Les
événements rapportés par celle-ci peuvent évidemment se retrouver dans celles-là,
mais rien ne permet d'affirmer une quelconque filiation entre tel ou tel texte.
Dans la partie du récit qui précède la mort de la reine Catherine de Lancastre,
notre texte n'est qu'une copie de la Suma originale de Pablo de Burgos. Mais les
sources de celle-ci ne nous sont pas connues. On peut supposer que l'évêque a utilisé
la Chronique dont son frère était l'auteur. Cependant, rien ne permet de l'affirmer
avec certitude. L'absence d'une édition critique de l'ensemble de la Chronique rend
difficile l'étude de celle-ci et hasardeuses les conclusions que l'on peut en tirer .

25. "[...] sirviô en la guerra de Granada con dos caballos y un escudero, y [. . .] mâs tarde présenté
a la reina Isabel una Crônica manuscrita iluminada con letras de oro, de la cual no queda mâs
vestigio que la nota que nos da su hijo y recoge Cascales : quizâs por esta Crônica, asi como
por los servicios prestados por los dos hermanos, los Reyes Catôlicos le hicieron merced por
carta fechada en Tortosa a 20 de marzo de 1496, ya muerto Diego, de una escribania del
juzgado 'acatando vuestra abilidad y suficiencia y los servicios que vos avedes fecho'"
(Milagros, p. XXI).
26. Il existe de cette chronique deux éditions partielles et peu satisfaisantes : Crônica de Juan II de
Castilla, ediciôn de Juan de Mata Carriazo y Arroquia, Madrid, 1982 (couvre les années 1406-
141 1) et Crônica de Don Juan II de Castilla por Âlvar Garcia de Santa Maria (1420-1434),
Madrid, CODOIN, XCIX, 1891, p. 79-464 et C, 1891, p. 1-409.
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 217

Dans la partie centrale du texte, le point de vue murcien depuis lequel sont
contemplés les événements est tout à fait frappant. Nous avons dit comment des
épisodes aussi importants que les différents affrontements opposant le roi à sa
noblesse et aux infants d'Aragon, et notamment la bataille d'Olmedo, ne sont
évoqués que d'un mot, comme autant d'obstacles à l'avance de la Reconquête. Car
c'est là, pour notre chroniqueur, la seule entreprise qui compte. Mais dans
l'évocation de cette Reconquête elle-même, il semble que l'auteur ait ignoré tout ce qui
n'avait pas pour cadre le royaume de Murcie, la frontière orientale du royaume de
Grenade. Le nom des fronteros occidentaux (comte de Niebla, Sotomayor,
Ribera. . .) est passé sous silence : dans la liste des châteaux et des villes pris aux
Maures, on relève des omissions curieuses si l'on compare notre texte à celui du
Compendio Historial. En général, les noms cités sont ceux des villes et châteaux de
l'actuelle province d' Almeria, alors que les lieux omis sont situés dans les provinces
de Seville, Cordoue, Jaén. . . Mais cette règle n'est pas constante. Moins qu'un parti
pris systématique, il nous semble qu'il s'agit là de la conséquence de l'utilisation
d'informations partielles (peut-être de souvenirs personnels) en l'absence de source
écrite fiable. Malgré une convergence ponctuelle (l'importance accordée dans les
deux textes à l'action menée contre Montiel par le roi de Grenade et ses alliés
chrétiens), il est impossible que notre texte ait pu à ce moment utiliser comme
source la Crônica del Halconero, rédigée entre 1454 et 1468. Cependant, les points
communs entre notre auteur et Pedro Carrillo de Huete, homme simple, peu
intéressé par les intrigues de la Cour mais inquiet des progrès de la Reconquête qui
lui paraît autrement plus importante, et relégué à la fin du règne dans le royaume de
Murcie27, sont assez troublants. Si l'auteur de la continuation de la Suma a pu être
en contact avec l'un des chroniqueurs du règne de Jean II, c'est du côté du Grand
Fauconnier qu'il faut chercher.
Enfin, la partie qui clôt le texte revient à une forme plus "canonique" de récit
historique (bilan global du règne, récit d'événements intéressant tout le royaume,
précision des indications chronologiques...). C'est dans cette seule partie que
l'auteur de la continuation fait allusion à une Chronique de Jean II à laquelle il
renvoie ses lecteurs : cependant, cette allusion se fait au futur ("lo quai mas larga-
mente sera escrito en la coronjca del buen rrey don Juan"), ce qui semble indiquer
que notre auteur savait que cette partie de la chronique n'avait pas encore été écrite
au début du règne d'Henri IV28. Nous relèverons pour finir l'exactitude du texte du
pregôn final (que l'on peut par exemple comparer avec celui que frère Alonso de
Quiriales obtint le lendemain de l'exécution d'Âlvaro de Luna de la main d'un
écrivain public de Valladolid29), qui prouve que l'auteur de la continuation disposait
d'autres sources d'information que celles strictement murciennes, ou que les
chroniques qui ne fournissent de ce texte qu'une version abrégée.

27. Sur la vie de Pedro Carrillo, cf. les introductions de Juan de Mata Carriazo à Halconero, et
surtout à Refundiciôn.
28. À moins qu'il ne faille n'y voir qu'un simple futur d'hypothèse.
29. Manuel de Foronda, "El tumbo de Valdeiglesias y D. Âlvaro de Luna", Boletin de la RAH, XLI,
1902, p. 174-181.
218 JEAN-PIERRE JARDIN

LE TRANSFERT DU CORPS D'ALVARODE LUNA À TOLÈDE

Nous ne saurions terminer cette brève présentation d'un texte dense, qui
appelle les commentaires, sans mettre l'accent sur une information qu'il est, à notre
connaissance, le seul à proposer : nous voulons parler de la date du transfert des
restes d'Alvaro de Luna de Valladolid à la chapelle qu'il avait fait édifier de son
vivant dans la cathédrale de Tolède. L'auteur de sa chronique et son fidèle serviteur,
Gonzalo Chacôn, donne bien sur ce transfert des renseignements de première
importance, mais reste muet sur sa date : nous savons qu'il visita la chapelle en question
avec les infants Isabelle et Alphonse alors qu'il en avait la garde : à la suite de cette
visite et des interventions répétées de Chacôn en ce sens, et à la demande de frère
Fernando de Torres, du monastère de las Cuevas de Seville, on finit par transférer
"avec beaucoup d'honneur et de solennité" le corps du Maître de Santiago dans la
chapelle où repose aussi le corps de son frère30. Mais rien ne permet de dater ce
transfert, si ce n'est qu'il eut lieu, semble-t-il, avant que Chacôn ne soit fait seigneur
de la ville de Casarrubios par le roi Henri IV ("Fue después este mesmo caballero
sefior de la villa de Casarrubios", dit le texte de la chronique). Ce fait permet de situer
le transfert du corps du Connétable du vivant d'Henri IV, et probablement avant les
années 1464-68, date à laquelle Chacôn, partisan de l'infant Alphonse, tomba en
disgrâce et perdit sa seigneurie au profit du secrétaire du roi Juan de Oviedo : il ne
redeviendra seigneur de Casarrubios qu'après l'accession au trône d'Isabelle et
Ferdinand3 *. Il est curieux que Juan de Mata Carriazo n'ait pas été sensible à ce détail
chronologique et ait préféré, compte tenu de la date tardive de l'ajout de ces derniers
paragraphes au texte de la chronique (après la mort de la première femme de Chacôn,
en 1484 ou 1494), s'en tenir pour ce transfert à 1488, date d'édification des sépulcres
d'Alvaro de Luna et de sa femme, après la mort de cette dernière. Cette date sera
également celle que Carriazo avancera pour VAbréviation perdue de la Refundiciôn
de la Crônica del Halconero, qui elle aussi évoque ce transfert32.
Dans l'article qu'elle consacra en 1967 à YAtalaya de las Crônicas
d' Alfonso Martinez de Toledo , Madeleine Pardo revint sur cette datation. L'un
des manuscrits de YAtalaya en effet [British Museum, Egerton 287] fait allusion
au transfert du corps du Connétable dans une partie finale que l'on ne retrouve
dans aucun autre manuscrit de l'œuvre, et l'on ignore si cette continuation est ou
non de la main de l'archiprêtre de Talavera. Repartant des hypothèses de Carriazo,
et s'appuyant cette fois sur des documents historiques, M. Pardo montra que la
présence du corps d'Alvaro de Luna dans la chapelle de Tolède était attestée dès
1483. En l'absence de textes antérieurs, l'auteur supposa que le transfert avait dû
s'effectuer peu de temps auparavant. Dès lors, l'attribution de la continuation de

30. Crônica de Don Âlvaro de Luna, Condestable de Castilla, Maestre de Santiago, ediciôn y
estudio por Juan de Mata Carriazo, Madrid, 1940, p. 436-437.
31. Ibid., p. XXXIV.
32. Refundiciôn, p. CLXXXII.
33. Madeleine Pardo, "Remarques sur YAtalaya de l'archiprêtre de Talavera", Romania, LXXXVIII,
1967, p. 350-398.
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 2 19

YAtalaya à l'archiprêtre devient, sinon impossible, du moins improbable (ce


dernier aurait alors eu 85 ans). Cette opinion a prévalu jusqu'à présent et James B.
Larkin, dans sa récente édition de YAtalaya, l'accepte lui aussi, sans enthousiasme
excessif cependant : constatant qu'à trois reprises dans cette partie du manuscrit,
l'expression "el rey nuestro senor" est appliquée à Jean II (ce qui implique que le
monarque était encore vivant lors de la rédaction de ces passages) et que la phrase
relative au transfert des restes du Connétable est la seule qui fasse mention d'un
événement postérieur à 1454, Larkin en déduit que le manuscrit en question
pourrait être une copie tardive d'un manuscrit perdu, réalisée peu de temps après
le transfert, lequel aurait suffisamment marqué les esprits pour que l'auteur de
cette copie en incorpore la nouvelle à l'œuvre originale. Cependant, l'éditeur
conclut avec raison que

[...] la date du transfert ne peut être établi avec certitude. [...] La question de la
datation repose donc plus sur des spéculations que sur des faits34.

Aucun fait nouveau n'est en effet venu remettre en question la datation de


Madeleine Pardo, et l'un des récents biographes d'Âlvaro de Luna, Nicholas Round,
rapportant une anecdote de Rodrigo Sanchez de Arévalo selon laquelle le roi Jean II
se serait opposé à certains de ses courtisans qui souhaitaient le voir modifier la
chapelle fondée par le Connétable, ne manque pas de souligner que, malgré cette
absence de rancœur, ce n'est que longtemps plus tard ("some considerable time
[after]") que le corps du Maître de Santiago pourra reposer dans cette chapelle35.
Personne jusqu'à présent n'a cru bon de reprendre l'hypothèse de César Siliô (dont
Madeleine Pardo regrettait déjà qu'il ne citât point ses sources) selon laquelle ce
transfert avait eu lieu sous le règne d'Henri IV36. Pourtant, le texte que nous publions
aujourd'hui confirme cette hypothèse : quant bien même la date de 1459 serait
erronée, le transfert des restes d'Âlvaro de Luna ne saurait être postérieur à 1468,
limite ultime de la rédaction de cette partie de la Suma. Dès lors, il devient nécessaire
de revoir la datation des textes cités plus haut et la biographie de leurs auteurs.

NORMES DE TRANSCRIPTION

Nous ne prétendons pas proposer ici une édition paléographique du texte,


mais en faciliter la lecture par tous ceux qui s'intéressent à l'Histoire du règne de

34. "[. . .] the date of the reinterment cannot be established with any certainty. [. . .] The question of
dating therefore remains largely one of speculation rather than fact". Alfonso Martinez de
Toledo, Archpriest of Talavera, Atalaya de las Coronicas, edited by James B. Larkin, Madison,
1983, p. X.
35. Nicholas Round, The greatest man uncrowned. A study of the fall of don Âlvaro de Luna,
Londres, 1986, p. 223-224.
36. César Siliô, Don Âlvaro de Luna y su tiempo, 3e éd., Buenos Aires, 1 944, p. 238. Nous n'avons
pu consulter Isabel Pastor Bodmer, Grandeza y tragedia de un valido. La muerte de Don Âlvaro
de Luna, Madrid, 1992 (2 vols.).
220 JEAN-PIERRE JARDIN

Jean II ou à son historiographie. C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire de


rétablir, chaque fois que cela a été possible, l'accentuation et l'usage moderne des
majuscules et d'ajouter au texte la ponctuation qui nous a semblé adéquate. Dans
le même souci de clarté, nous avons divisé le texte en paragraphes (le texte original
ne connaît qu'une seule coupure, indiquée ici par un blanc typographique). En
revanche, nous n'avons pas jugé bon de modifier l'orthographe de l'époque, même
dans ce qu'elle peut avoir de plus discutable (alternance b/v/u, iljly. . .), car elle ne
nous a pas semblé susceptible de gêner la compréhension du texte. Le i long a été
rendu par y. Nous n'avons conservé qu'une seule forme de r et de s. Le signe
tironien a été transcrit par e. Les abréviations ont été développées et les
développements transcrits en italiques. Nous avons séparé les mots qui le sont dans la
langue actuelle, indiquant au besoin l'élision d'une lettre par une apostrophe
(d 'armas), à l'exception des formes bien connues des te, dello. Enfin, les mots ou
lettres que nous avons ajoutés au texte sont entre crochets droits, ceux que nous
supprimons sont entre crochets obliques.

MS. B.N.M. 10448 - RÈGNE DE JEAN II DE CASTILLE


(FOLIOS 271R.-278R. DE LA FOLIATION MODERNE)

[Fol. 27 lr.] Don Juan II37

Después que el noble e virtuoso rrey don Enrrique fue muerto , el ynfante don
Fernando con todos los otros senores, asy perlados como cavalleros, que estauan en Toledo
al tienpo que el rrey don Enrrique [fol. 27 lv.] muriô, alçaron por Rrey et senor de los
rreynos de Castilla e de Leôn al prjnçipe don Juan su hijo, el quai no avia mas de su hedad
de veynte e dos meses. Entonçe le besô la mano el ynfante don Fernando su tio et lo rresçiuiô
por rrey e senor, et asy mjsmo fizieron todos los otros senores e cavalleros que y estavan
ayuntados. Et fueron sus tutores el ynfante don Hemawdo su tio, que hera muj discreto y
virtuoso senor e la rreyna dona Cataljna su madré, ca asi lo avia mawdado por su testamento
el rrey don Enrriqwe que la rreyna y el ynfante fuesen sus tutores.
[Et] <e> asy mjsmo mandô a este ynfante don Hemando su hermano que fiziese
guerra a moros, para lo quai el dicho rrey don Enrriqwe dexô grandes tesoros que él avia
allegado con gran boluntad que tenja de fazer guerra a moros e avn ya la avja començada
bien avja mas de vn ano antes que muriese. Et enbjara por frontero a Pero Manrrique
adelantado de Leôn, el quai oviera vna pelea con los moros a par de Qwesada, e fueron muertos
muchos cavalleros de los que el dicho adelantado Uevara consigo, e fue poco menos que
vençido . Et por esto este ynfante don Hemando sacô las huestes del rrey don Juan su
sobrjno e fue sobre Setenjl40. [fol. 272r.] Et después, se fue echar sobre Antiqwera et tôvola
çercada gran tienpo, faziéndola conbatir con lonbardas e engenos e con otros pertrechos.

37. Ajouté dans la marge, de la main du copiste.


38. 25 décembre 1406.
39. Bataille de Collejares, octobre 1406. (Ms. 1279: "[...] a par de Quesada a do diçen los
Coloxares, e aunque auia gran muchedumbre, plugo a Dios que los vençiô e mataron muchos
dellos. En los veynte aîios murieron Martin Des[?]as e Alonso Dâbalos, e otros escuderos. E por
esto...").
40. Octobre 1407.
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 22 1

Et estando asi sobre Antiqwera, vjno el rrey de Granada a la socorrer. Et el ynfante don
Hernando, qwando lo sopo, saliô del rreal con sus hazes contra él. Et asj mjsmo fïzieron los
moros, en manera que la batalla fue juntada por amas las partes en la Cabeça del Asna. Et
plogo a Nuestro Senor Ihesu Chrispto por la su santisima mjserjcordia que los moros fueron
vençidos e arrancados del canpo e muertos e cavtiuos muchos dellos. Et luego a pocos dias
que la batalla fue vençida, mandô el noble ynfante don Hernando conbatir a Antiqwera. Et
tan fortisjmamente la conbatieron que la entraron por fuerça d' armas. Et asy entrada,
tomaron e cavtivaron todos los moros que en ella estavan, saluo los que se acogieron al
castillo. Mas luego fizieron pleytesja con el ynfante don Hernando que le entregarjan el
castillo e los dexase yr a salvo : e el ynfante fizolo asy. Et después que Anteqwera asy fue
ganada, dexô el ynfante don Hernando gentes de armas que la guardasen et él con toda la
hueste vjnose para Castilla. Et por todos los rreynos de Castilla e de Leôn fizieron muj
grandes alegrjas desqwe sopieron que la villa [fol. 272v.] de Antiqwera hera ganada41.
Et luego a poco tienpo murjô el rrey don Martjn de Aragon, et no dexô fijo
heredero . Et por esto partiô este ynfante don Fernando para tomar el rreyno de Aragon
que le venja de derecho, ca él hera fijo de la rreyna dona Leonor muger del rrey don Juan,
que hera fija del rrey don Pedro de Aragon. Et fueron con él muchos grandes senores del
rreyno de Castilla. Et los aragoneses le rresçiujeron por rrey e por senor de los rreynos de
Aragon, saluo los de Valencia que se tenjan por el conde de Hurgel deziendo que él avia de
ser rrey et no el ynfante don Fernando. Et por esto el dicho ynfante enbiô contra los de
Valencia a don Diego Gômez de Sandoval, que después fue conde de Castro, con gente de
cavallo et de pie : et los de Valencia, qwando lo sopieron como el dicho Diego Gômez yva
sobre ellos, salieron todos contra él con mucha gente de cavallo et de pie e pusiéronle
batalla43. Et fue asy que los de Valencia fueron vençidos, e muertos e presos muchos dellos.
Después que la vatalla fue vençida, rresçiujeron los de Valencia por rrey et senor de Aragon
al dicho ynfante don Hernando.
Et después que el ynfante don Hernando fue ydo e cobrado el rreyno de Aragon,
quedà nuestro senor el rrey don Juan en poder de la rreyna dona Cataljna su madré en Valla-
ao/id [fol. 273r.] fasta que la rreyna muriô44.
Et después que la rreyna dona Cataljna fue muerta, ovo muchas divjsjones en el
rreyno et muchos ayuntamjentos de gentes de armas, asi como el de Montaluaw, e Torde-
sillas, e del Espjnar, e de Palençuela, e Âvila45, et otras muchas rrebueltas e presjnos e
destierros, asy como los ynfantes don Juan e don Enrrique e don Pedro e otros muchos caval-
leros de Castilla que se fueron para Aragon, los quales todos se ayuntaron con el rrey de
Aragon et con gran hueste entraron en Castilla bien fasta Gita46. Et asy començada la guerra
entre Aragon y Castilla, ayuntô el rrey don Juan todas las sus huestes de muchas gentes de
cavallo e de pie -ca dizen que heran bien doze mjll de cavallo et mas de treynta mjll de pie- e
llegô fasta Harjza. [Et] <e> allj vjno la rreyna de Aragon, hermana del rrey de Castilla, e tanto
travajô esta rreyna que avjno al rrey de Castilla su hermano con el rrey de Aragon su marjdo :
et la avenençia fecha, tornôse el rrey don Juan con todas sus huestes para Castilla. Et en el

41. Bataille de la Boca del Asna : 6 mai 1410 ; prise de la ville d'Antequera : 16 septembre ; prise
du château : 24 septembre.
42. 31 mai 1410.
43. Bataille de Murviedro, 27 février 1412.
44. 2 juin 1418. Ici s'arrête le texte original de la Suma de Pablo de Burgos.
45. 14 juillet 1420 (Tordesillas), 29 novembre 1420 (Montalbân), 1420 ? (Âvila), juillet-sept. 1421
(El Espinar), 1425 (Palenzuela).
46. Lire : Hita. 28 juin 1429.
222 JEAN-PIERRE JARDIN

rreal que tobo en Almaçan fue preso el duqwe don Fadrique e fue traydo a Penafiel e ay estuvo
fasta que muriô47.
Et porque el rrey avia saujdo como los moros le avian qwerido fazer guerra qwando él
yba a la guerra de Aragon, por esto e por servjçio de Dios, se acordaron todos los grandes e
senores cavalleros del [fol. 273v.] rreyno en vno con el rrey vuestro senor que entrasen todos
a la vega de Granada e que se no partiesen délia fasta que tomasen la çibdad. [Et] <e> fecho
este acuerdo, partie el rrey don Juan westro senor con todas sus huestes e fuese para la vega
de Granada, e asentô sus rreales çerca de la çibdad. Mas qwando los moros vieron cômo el
rrey de Castilla los tenja asy çercados e les qwemava e astragaua toda la t/erra, diéronle
batalla e plogo a Djos que los moros fueron desbaratados, e muertos e cavtivos muchos
dellos48. [Et] <e> todavja fuera tomada la çibdad de Granada syno por la djscordja que fue
entre los cavalleros e senores del rreal; por esto fue forçado al rrey de llevantar el rreal que
tenja sobre la çibdad de Granada e se tornar para Castilla. Pero dexô sus fronteros contra los
moros a Fernân Âluarez, Senor de Valdeconosa49, en guisa que en seys o siete anos que duré
la guerra tomô este Fernân Âluarez a Benamaurel, e el castillo de Arenas, e entré por fuerça
a Bençulema e tomô e matô qwantos moros en ella heran. Et después fue sobre Guadix, et
los moros dieron la batalla, en la quai fueron ellos vençidos, e muertos e cavtiuos muchos
dellos . Et durante la dicha guerra fizo muchas e buenas entradas en to'erra de moros, de
gujsa que los (sic) quemô e astragô toda la t/erra. Et eso [fol. 274r.] mjsmo fue tomada
Ximena por vn cavallero que se llama Pero Garcia de Ferera, marjscal de Castilla, et Ynigo
Lôpez de Mendoza tomô la villa de Huelma, et Rrodrjgo Manrriqwe tomô a Huescar e Horca
e Galera, lugares que ovieraw seydo de la horden de Santiago, que son en el rreyno de
Murçia, e fueron perdidos en tienpo del rrey don Alfonso Onzeno seyendo njno . Et otrosy
en esta guerra de moros el adelantado de Murçia, que avja nombre Alfonsianes Fajardo, con
los del rreyno de Murçia, syn otros front [e] < o > ros algunos que el rrey ynbjase, tomô
estas villas e castillos a los moros, las quales son estas : Béiez el Blanco e Béiez el Rruvio
e Trieça e Xiqwena e Albox e Arbolea e Cantorja e Cûllar e Castilleja e Corrion52. Et astragô
muchas bezes la Sierra de Filabres e Campo Nixar bien fasta Almerja.
Et tal guerra fizieron los chràpfjanos a los moros en este tienpo, talando los panes dos
bezes en cada ano e correrles las tzerras de cada dja, de gujsa que los moros se vieron en muy
grande afruenta, como qujer que avia mucho tienpo que estavan folgados e no avian avido
guerra con chràprianos. Ca después que aquel buen rrey don Alfonso Noveno53 que vençiô
la gran batalla de Tarjfa e murjô sobre Gibraltar que ha bien çient anos e mâs, nunca les fue
fecha guerra [fol. 274v.] saluo vn poco de tienpo el rrey don Pedro quando matô al rrey
Vermejo, e después qwando el ynfante don Hernando fue sobre Setenjl e Antiqwera; et agora
esta de gujsa que en todos los çient anos no se ha fecho guerra a los moros quinze anos
conplidos, e avn con este poco de tienpo, el rrey nuestro senor les fizo esta guerra. Fueron

47. Le duc d'Arjona est arrêté le 20 juillet 1429 ; il meurt en 1430.


48. Bataille de la Higueruela, 1 juillet 1 43 1 .
49. Sic, pour Valdecorneja.
50. Prise de Benamaurel et de Benzalema : 1433 ; bataille de Guadix : 18 mai 1435.
51. Prise de Jimena : 12/13 mars 1431 ; de Huelma : 20 avril 1438 ; de Huescar : 5/6 novembre
1434 ; de Galera : 25 avril 1436. Horca est sans doute la ville d'Orce. Almela (Milagros) ajoute
à cette liste le nom d'Alicum (Alicûn).
52. Les deux Vêlez sont pris en janvier 1436 ; les autres villes, la même année (Trieça = Tirieza;
Castilleja = Castillejar ; quant à Corrion, il peut s'agir d'une mauvaise lecture par le copiste de :
"e corriô e astragô..."). Le texte de Milagros ajoute à cette liste Cabrera, et le Compendio
historial, Bellerfique.
53. Sic, pour Onzeno.
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 223

los moros en tan gran cuyta que vjno a ser que en todo el rreyno de Granada no avja mjll
cavalleros, e avn ésos no buenos , ca no tenjan en el mundo que corner nj esperavan ser
socorridos, et sy la guerra durara otros çinco o seys anos mas, todo el rreyno de Granada
fuera perdido e lo cobraran los chraprianos. Mas el Diablo, que no çesa de fazer sienpre todo
mal, puso tal discordja entre el rrey e los cavalleros qwando fue preso e suelto el adelantado
Pero Manrriqwe55 que se ayuntaron todos contra el rrey. Et por esta cavsa se fizieron las
treguas con Granada, la quai discordja fue saluo y bida para los moros.
Et después deste ayuntamjenfo, se han fecho otros muchos, asy como la entrada de
Medjna e ayuntamjento del Canpo e pelea de Panpljga e batalla de Olmedo e otros muchos,
et presiones e destierros, asy como la presiôn de Tordesjllas, e llevantamjento de çibdades,
asy como Toledo e Murçia, e otras villas e castillos de que se ha fecho e faze gran guerra en
el rreyno, [fol. 275r.] asy como Atiença et Pena de Alcâçar e Torija, et Rrodrigo Manrriqwe
e Alfonso Fajardo de los castillos e villas que tienen en el Maestradgo e rreyno de Murçia,
e asj mjsmo Benabente e otras muchas villas e castillos que son fronteros de moros rreynos
comarcanos, de los quales se fazen muchos rrobos e muertes» . Et por estas grandjsjmas
djscordjas e muchos maies que han seydo e oy son en los rreynos de Castilla e de Leôn, se
han atrevido e atreven los moros enemjgos de miestra santa fe a entrar e qwemar e rrobar e
cavtivar en la tiena de los chrwprianos. Et en menos de no très anos, han vençido por
nuestros pecados dos peleas gruesas : la vna qwando fue vençido el alacayde de Antiqwera e
muerto Juan de Guzmân, et la otra qwando fue preso Juan de Sayabedra e Ordiales muerto,
en las quales se dize ser muertos e presos mas de mjll e dozientos cavalleros e otras muchas
gentes de pie57; e han tornado veynte e très villas y castillos que en las guerras pasadas con
grandisimas espensas e trauajos e esparzjmjento de mucha sangre se ganaron e agora son
perdidas en tan brebe tienpo. Et asj mjsmo tomaron e entraron por fuerça la villa de Çiença58
que es siete léguas aqwende de Murçia faza Castilla con ayuda de Alfonso Enrriqwez e
Alfonso Fajardo, los quales con [fol. 275v.] los moros por sus personas en vno benjercw, et
asy entrada, mataron e cavtivaron qwantos en ella estavan, e dize qwemaron e aportillaron
toda la villa, lo quai nunca se fallara después que el rreyno de Murçia es de chràprianos que
los moros con gente de cavallo llegaron allj donde agora llegaron. Et asj mjsmo qwemaron
los arravales de Mula, e destruyeron e qwemaron a Ayna e llevaron cavtiuos qwantos en ella
heran, e vençieron a don Fernando de Castro a par de Hellin59, e han fecho e fazen grandis-
jmos maies e dapnos por toda la frontera.

54. Almela (Milagros et Compendio) : "e aûn ésos no mucho mejores que otros". La leçon de notre
texte nous paraît meilleure.
55. Emprisonné le 13 août 1437, Pedro Manrique s'évade le 20 août 1438.
56. 28 juin 1441 (entrée des infants d'Aragon à Medina), 1443 (coup de main de Tordesillas), 1444
(concentration de troupes à Santa Maria del Campo [comte de Haro/comte de Benavente] et
combat de Pampliega), 19 mai 1445 (bataille d'Olmedo), 1447 (soulèvements d'Atienza, Torija
et Pena de Alcâzar), 1448-49 (révoltes de Murcie, Benavente, Tolède...).
57. 10 mars 1448 (défaite de Saavedra). La famille de Juan de Saavedra (aidée de Jean II et du
conseil de Seville) dut dépenser la somme de 12 000 doblas pour son rachat (Manuel Gonzalez
Jiménez, "La frontera entre Andalucia y Granada : realidades bélicas, socioeconômicas y
culturales", La incorporation de Granada a la Corona de Castilla. Adas del symposium
conmemorativo del Quinto Centenario (Granada, 2 al 5 de diciembre de 1991), Grenade, 1993,
p. 124). Selon Almela {Batallas Campales), 1' alcaide d'Antequera vaincu à une date qu'il ne
précise pas est Alfonso de Narvâez.
58. Lire Cieza ; printemps ( ?) 1449 (idem pour Ayna). Cf. Luis Suârez Fernandez, Juan II y la
frontera de Granada, Valladolid, 1954, p. 25, note 99.
59. Décembre 1448.
224 JEAN-PIERRE JARDIN

Et agora no muchos dias ha que el rrey Chjqujto de Granada por su persona en vno
con don Alfonso Enrriqwez e Fadriqwe Manrriqwe con gran hueste de moros vjno a correr el
canpo de Montiel . Et dizen que llegô la su algara a quatre [o] <e> çinco léguas de Alcâçar
de Consuegra, asi que por donde este rrey de Granada agora entré fasta donde corriô en tferra
de chràprianos son bien mas de treynta léguas, et qwemô e rrobô e astragô todo el canpo de
Montiel e parte de la Mancha de Aragon e dizese que llevô pasadas de mjll y dozientas
personas, chràprianos cavtiuos - éstos syn los ninos e biejos e otros muchos que fueron
muertos. Et con toda esta cavalgada se tornô para su rreyno de Granada, que no fallô
njnguno qujen gelo rresjstiese nj avn qujen lança alçase contra él, [fol. 276r.] la quai cosa
nunca se fallara después que aquel noblisimo rrey don Fernando que ganô a Cordova e
Seujlla con toda el Andaluzia que el rrey de Granada llegase onde este rrey moro agora llegô,
e de cada dja corren los moros e astragan toda la tzerra de la frontera de los chràprianos se
dize e por çierto aver lleuados en menos de no très afios siete o ocho mjll ornes e mugere?
chràprianos cavtivos a t/erra de moros et al pie de otros tantos muertos.
[E] ste buen rrey don Juan fue casado con dona Maria, fija del rrey don Fernando de
Aragon61, e ovo en ella a la ynfanta dona Cataljna, que finô njna, e al prjnçipe don Enrriqwe,
que rreyna después de su muerte, e ovo mas a la ynfanta dona Leonor, e finô njna. Et después
del fallesçimjento desta noble rreyna dona Marja, este buen rrey don Juan ovo de casar con
la ynfanta dona Ysabel, fija del ynfante don Juan de Portugal, en la quai ovo a la ynfanta
dona Ysabel e al ynfante don Alfonso, maestre de Santiago, e qwedô de hedad de siete meses
quando el buen rrey don Juan fallesçiô a veynte y vno de jullio ano de mjll y quatroçientos
e çinquenta e quatro afios.
<Don Enrrique iiij°>62
Después desto asy pasado, el buen rrey don Juan acatando el gran dano que rresçiujan
sus rreynos en [fol. 276v.] la djscordia que entre los grandes senores de su rreyno hera conta
él, lo quai se dezia cavsar el condestable don Âluaro de Luna por la gran pribança que tenja
con el dicho senor rrey, la quai durô çerca de treynta e çinco afios, et después fue maestre de
Santiago, en el quai tienpo él govemô a su voluntad los rreynos de Castilla e por su consejo
fueron desterrados e muertos en presiones muchos e grandes cavalières del rreyno de sangre
rreal. Et fazia muy grandisimas tiranjas, consejando echar muchos pechos, pedidos e
monedas deziendo que hera para guerra de los moros, e todo lo apropiava a sy e fazia
grandes tesoros, en lo quai vjendo Nwes/ro Senor a qujen njnguna cosa es encovierta, et
cômo él en lo tal no fuese servjdo, puso en voluntad a uuestro senor el rrey don Jwan que le
fiziese prender; la quai presiôn se fizo en Burgos vn dia al alua63, al quai tienpo llegô don
Âluaro d'Estùnjga e lo acometiô a fazer e çercô la posada de Pedro de Cartajena donde
posaba con su gente. Et luego el rrey mandô sacar su pendôn rreal a la plaça e llamando a la
comunjdad, la quai fue allegada en vn punto e fueron conbatir la djcha posada, en gujsa que
se obo a dar a presiôn. Et fue entregado a Rrui Diaz de Mendoça, mayordomo mayor del
rrey, e a su hermano el Prestamero. Fue llevado [fol. 277r.] al castillo de Portillo. El rrey
nuestro senor fue a Vallaoo/id e dende a poco tienpo fue dada sentençia que fuese degollado
en la plaça de Valladolid, por lo quai fue Diego Astùniga, fijo del marjscal Ynjgo de
Astùnjga, e lo traxo con mucha gente. Et fue degollado a vista de todo el pueblo sâvado dos

60. Août 1449. Cf. l'introduction.


61. Desposorios le 20 octobre 1418, mariage en 1420. Catherine naît en 1424, Henri en 1425; le
second mariage du roi est célébré le 22 juillet 1447.
62. Note marginale, de la main du copiste, visiblement erronée.
63. "mjércoles de las ochauas de Pascua de Rresurreçiôn, quatro djas del mes de abril, ano de IU
cccc liij afios" (note marginale, de la main du copiste).
LE RÈGNE DE JEAN II VU DEPUIS MURCIE 225

dias de junjo del dicho ano de çinquenta y très que fue preso, et puesta su caveça en vn clabo
nueve djas, e su cuerpo estovo très dias por sepultar et después fue sepultado en vna ygksia
fuera de los muros, que se llama Sant Andrés. Et después fue traydo al monesterio de Sant
Francisco de Valladolid, et de allj fue llevado a Toledo en la quaresma, ano de mjll y
quatroçientos y çinquenta y nueve anos, e sepultado en su sepultura que es en la ygksia
mayor. Mucho plogo a los pueblos e comunjdades del rreyno de la muerte deste cavallero
tirano, lo quai mas largamente sera escrito en la corônjca del buen rrey don Juan, por tanto
no alargo mâs.
Agora contaremos deste buen rrey como se qujso acordar con los cavalières e rricos
omes que por cavsa deste mal tirano don Âlvaro de Luna estauan desterrados e avsentados
del rreyno e corte del senor rrey. Avjno asy que la rreyna de Aragon dona Marja, hermana del
dicho rrey, vjno en Castilla con licencia e mandado del rrey por ygualar y poner en sosiego al
rrey con los cavalleros, [fol. 277v.] et fiziesen lo que serujçio de Dios fuese, e pro e vien de
los rreynos de Castilla, la quai fue rresçiujda en Yalfodolid muj honrradamente con plazer de
todos los del rreyno en el mes de março, ano de çinquenta e quatro, al quai rresçibjmjento
vjno el prjnçipe don Enrrique, prjmogénjto que después fue rrey, et la rreyna dona Ysabel, fija
del ynfante don Juan de Portugal, segunda muger del dicho senor rrey, con el ynfante don
Alfonso que era nasçido entonçes en Tordesyllas, maestre de Santiago luego fecho.
Et estando en esto como avedes oydo, plogo a Dios en quien es todo poder de dar tal
dolençia en el cuerpo al senor rrey a qwal ovo de fallesçer desta mjserable vida, el quai antes
e en aquel tienpo de su dolençia como santo e vendito catôlico fizo e hordenô su anima a
Nwes/ro Senor, tomando todos sus sacramentos, e fizo su testamento, e tomô por las manos
a su hijo don Enrrique, deziéndole buenos consejos cômo gowrnase vien el rreyno e se
oujese vien con todos sus cavalleros, et acomendândole a su hermano don Alfonso que
dexava peqweno e a la rreyna su madré. Fallesçiô desta vida lunes en la noche a las nueve
horas, a veynte e vn djas de jullio, bispera de la Madalena, ano del Senor de mjll e
quatroçientos e çinquenta e qwatro anos. [fol. 278r.] Mandôse traer al monesterio de
Mjraflores que es çerca de la muj noble çibdad de Burgos; luego fue sepultado en el
monesterio de San Pablo de Valladolid . Todo el rreyno ovo gran sentimjento en perder a tan buen
rrey. Fizieron grandes onrras en todo el rreyno. Fue luego alçado por rrey el prjnçipe don
Enrriqwe en mucha concordja e paz. Todos los grrandes de sus rreynos e los çibda [da] nos
fueron besar las manos con mucha alegrja et él rreçiujendo a todos muj con buena voluntad.

Este que se sjgue es el treslado del pregôn qwando fue degollado el maestre de
Santiago don Âluaro de Luna :
Esta es la justiçia que manda hazer nuestro senor el rrey a este tirano por qwanto con
orgullo de sovervja e loca osadia e ynjurja de la rreal majestad, la quai tiene lugar de Djos en
la T/erra, se apoderô de la casa e palaçio e corte del rrey nuestro senor, vsurpando e ocupando
el lugar que no hera suyo nj le pertenesçia nj podja pertenesçer. Fizo e cometiô en desservjçio
de Dios e del dicho senor rrey, e en menguamjento e avatimjento de su persona, dinjdad e
estado de la corona rreal e de sus rreynos, et en gran dano et desserujçio del patrimonjo rreal
e perturbaçiôn [fol. 278v.] et menguamjento de justiçia, muchos e diversos crimjnes, deljtos
e malefiçios e tiranjas e cohechos, e [n pena de] lo quai [todo] le manda degollar porqwe la
justiçia de Dios e del rrey en él sea executada e a otros sea enxenplo, que no se atrevan a fazer
nj cometer taies e semej antes cosas. [Et] <e> quien tal fizo, tal pena padesca.

64. La phrase manque de clarté : le roi, qui avait exprimé sa volonté de se faire enterrer à Miraflores,
le fut d'abord à Valladolid, avant que son corps ne soit effectivement transféré à Burgos (ce que
ne dit pas le texte).

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