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La politique économique ou
la maîtrise des contraintes
Éditions du Seuil
Sommaire
Couverture
Présentation
Page de titre
Introduction
1. Les contraintes politiques et administratives ou les œillères de la décision
La contrainte électorale
Assises socioculturelles ou dogmatisme doctrinal
Le conformisme ambiant
L’influence simplificatrice des médias
La recherche du consensus
La lutte pour le pouvoir au sein d’un parti ou d’une tendance politique
3. TROIS SUGGESTIONS
BIBLIOGRAPHIE
Le « dilemme du prisonnier »
3. LE MODÈLE JAPONAIS
L’emploi à vie
Une économie duale
La mobilité interne
L’ajustement de la durée du travail
Avancement à l’ancienneté et flexibilité salariale
La flexibilité fonctionnelle
4. LE SALARIAT EN QUESTION
5. PERFORMANCES ÉCONOMIQUES ET EXEMPLARITÉ DES
MODÈLES SOCIAUX
BIBLIOGRAPHIE
Le plan Keynes
BIBLIOGRAPHIE
À propos de l’auteur
Notes
Copyright d’origine
Achevé de numériser
Introduction 1
La contrainte électorale
Aucun critère aussi simple à concevoir et facile à mesurer que le profit
pour l’entrepreneur capitaliste ne s’impose d’emblée pour déterminer les
motivations du décideur public. Pour ne s’en tenir, dans un premier temps,
qu’au décideur politique, c’est-à-dire soumis à élection, l’hypothèse la plus
couramment admise est que celui-ci vise à maximiser sa popularité en vue
d’obtenir le maximum de votes aux prochaines élections. Nous verrons par la
suite que les motivations du « bureaucrate » sont foncièrement différentes.
La multiplication des sondages donne le sentiment que la popularité est un
phénomène facile à mesurer et que les instituts de sondage parviennent à des
résultats généralement fiables en la matière. Une analyse plus fine des
motivations des décideurs exige cependant des réponses à des questions telles
que : le décideur public oriente-t-il son action en fonction de sa popularité
auprès de l’ensemble de l’électorat ou d’une clientèle politique spécifique ?
privilégie-t-il sa popularité immédiate ou sa crédibilité à plus longue
échéance et, dans cette dernière hypothèse, comment mesurer celle-ci ?
Mais surtout, l’hypothèse que les décideurs politiques privilégient leur
popularité n’a un intérêt opérationnel que si on est à même de formuler une
hypothèse complémentaire sur le lien entre l’évolution de telle ou telle
variable économique et cette popularité. Or, les facteurs de la popularité sont
complexes, difficiles à saisir, a fortiori à mesurer.
Des études théoriques et empiriques ont été effectuées dans divers pays
afin d’analyser l’influence des conditions économiques sur la popularité du
gouvernement (Pommerehne, Schneider, Lafay 1981, p. 110-162). L’un des
premiers modèles élaborés pour analyser le cycle politico-économique est
celui de Nordhaus (1975, p. 168-170 ; description dans Greffe 1987, p. 53-
56). Dans ce modèle, les électeurs jugent la gestion d’un gouvernement en se
fondant sur les performances obtenues dans la lutte contre le chômage et
l’inflation. Le gouvernement va donc stabiliser, dans un premier temps,
l’économie pour combattre l’inflation et la relancer à l’approche des élections
pour réduire le chômage. Ce modèle suppose que les électeurs ne se
déterminent qu’en fonction des derniers indicateurs connus. Les vérifications
empiriques ont donné des résultats mitigés. D’autres économistes ont tenté de
construire un modèle plus complexe dans lequel les électeurs « stockent » les
performances des gouvernements successifs en les affectant d’un
« coefficient de mémoire » dont la valeur diminue au fur et à mesure que l’on
remonte dans le temps de manière à les comparer avec celles du
gouvernement en place (Greffe 1987, p. 61-62).
Le conformisme ambiant
A partir de 1983, alors qu’il s’agissait de réconcilier durablement la gauche
et le pouvoir, les dirigeants socialistes ont acquis une crédibilité économique
en s’inclinant devant le conformisme ambiant et la prétendue fatalité du
chômage. Pour effacer les doutes sur leur capacité à gouverner suscités par
les premières mesures inspirées du programme commun, les socialistes se
sont dédouanés en suivant le droit chemin de l’orthodoxie.
Ils se sont ainsi lancés à corps perdu dans la libération des mouvements de
capitaux, sans que les avantages et les inconvénients de cette politique aient
vraiment été mesurés. De même, ils ne se sont pas contentés de légitimer les
entreprises. Dans leur élan, ils ont également réhabilité les patrons, en les
absolvant tous, quelles que soient leurs insuffisances. La crainte de se placer
en marge de cette réconciliation est telle que plus personne n’ose dénoncer le
conservatisme, l’esprit rétrograde d’une partie du patronat. Le malentendu
traditionnel entre la gauche et les chefs d’entreprise subsiste, mais il s’est
inversé. La hausse de la Bourse dans les jours qui ont suivi la réélection de
M. Mitterrand est apparue comme une reconnaissance éclatante du
renoncement de la gauche aux excès idéologiques d’antan. Le Financial
Times (1990) a même décerné à M. Mitterrand la palme du monétarisme,
expliquant qu’il était allé bien plus loin en la matière que Mme Thatcher...
L’idéal est évidemment de concilier une politique réputée « sérieuse »,
c’est-à-dire conformiste, et des résultats positifs. Dans cette optique, deux
stratégies peuvent très schématiquement être envisagées.
La stratégie de l’ambiguïté concilie un discours conformiste et une action
novatrice. Elle a été pratiquée par le président Reagan qui s’est fait élire et a
conquis la confiance des milieux d’affaires avec un programme
ultraconservateur, avant de relancer l’expansion par un déficit budgétaire
massif. C’est aussi la stratégie adoptée par le général de Gaulle, préparant
l’indépendance de l’Algérie, tout en déclarant « Je vous ai compris » aux
adversaires de la décolonisation. Cette stratégie permet de jouer sur les deux
tableaux : celui de la confiance par un discours orthodoxe ; celui de
l’efficacité par une action audacieuse. Tout le problème, c’est que cette action
porte ses fruits avant que sa non-conformité avec le discours tenu ne
devienne par trop évidente.
La stratégie du « parler vrai » suppose un travail de préparation
progressive de l’opinion publique. Elle doit éviter deux écueils : aller trop
vite au risque de provoquer un rejet, s’enliser dans le conformisme ambiant.
Cette stratégie de longue haleine a d’autant plus de chance de succès qu’elle
est mise en œuvre par des hommes qui bénéficient d’une crédibilité
indiscutable, encore qu’il soit plus facile de devenir crédible en reprenant à
son compte l’orthodoxie dominante qu’en mettant en jeu sa crédibilité pour
rendre crédible un projet original.
La recherche du consensus
Le souvenir cuisant des difficultés rencontrées lors de la relance en 1981 et
les démêlés du gouvernement socialiste en 1984 et de celui de M. Chirac en
1986 avec les parents d’élèves et les étudiants ont fait prendre conscience
qu’il ne suffit pas d’avoir été élu pour appliquer un programme prenant à
rebrousse-poil une large partie de la population.
Les leçons de ces pénibles expériences ont été confortées par une analyse
plus spécifiquement rocardienne. Elle s’inscrit dans une réflexion que le titre
d’un ouvrage de Michel Crozier (1979) résume bien : On ne change pas la
société par décret. Cet axiome détermine l’approche consensuelle que le
Premier ministre a tenté d’imposer à son action. Les choix qui se présentent
au pays sont ardus. Ils supposent le rejet des simplifications idéologiques et
de l’orthodoxie dominante. De plus, dans la plupart des cas, chaque option a
ses avantages, il s’agit donc d’en privilégier une, tout en récupérant les
avantages des autres. Une stratégie judicieuse doit intégrer les contradictions.
La formation d’un consensus réel pourrait ainsi conditionner le succès de la
politique suivie.
Les présentations manichéennes étant heureusement passées de mode, on
en a déduit que la liberté d’action des pouvoirs publics était réduite. Si on
entend par là que le choix n’est pas entre le bouleversement de la société et le
statu quo, cela est vrai. Mais des choix techniques peuvent conduire à des
résultats foncièrement différents : il y a sans doute plus de différence réelle
entre les politiques économiques mises en œuvre par les deux libéraux que
sont M. Reagan et Mme Thatcher qu’entre celles de MM. Barre, Balladur,
Delors et Bérégovoy.
L’environnement extérieur fournit une ultime justification à la
temporisation. A première vue, les contraintes inhérentes au SME, la
perspective de la libéralisation des mouvements de capitaux et du marché
unique auraient dû inciter à accélérer les réformes nécessaires pour préparer
ces échéances. Dans le climat d’atonie actuel, c’est surtout la réduction de la
marge de manœuvre gouvernementale qui a été perçue. Situation paradoxale
si l’on songe qu’en s’engageant avec enthousiasme et sans trop de
précautions dans cette voie, les gouvernements qui se sont succédé depuis
une dizaine d’années ont eux-mêmes contribué à forger le carcan qui les
enserre aujourd’hui.
La logique administrative
La réflexion sur la politique économique demeure ainsi l’apanage presque
exclusif de l’administration. Quels que soient les mérites individuels de tel ou
tel fonctionnaire, chacun sait que l’organisation administrative ne favorise
guère les recherches originales et plus encore leur expression publique. La
promotion par cooptation privilégie davantage le conformisme que
l’imagination créatrice. L’esprit de corps conduit bien souvent à considérer
comme importun tout expert extérieur, a fortiori quand ses recherches
prétendent proposer des alternatives à la politique économique menée sous
l’égide de l’administration. De plus, le système fortement compartimenté et
hiérarchisé qui caractérise l’administration et la recherche françaises n’est
guère propice à la collaboration d’esprits indépendants qui peuvent susciter
des projets novateurs et des institutions susceptibles de les développer. Enfin,
même en matière d’études, la marge de manœuvre des administrations est
généralement limitée par les décisions déjà prises par les pouvoirs publics et
la politique suivie.
L’infiltration de la haute administration dans les principaux centres de
pouvoir est d’autant plus difficile à déceler qu’elle est discrète. Non
seulement elle laisse aux politiques la paternité des décisions qu’elle inspire,
mais, de surcroît, ses recommandations s’inscrivent en général dans l’air du
temps. Partout où elle est confrontée à des intérêts bien organisés
(agriculteurs, enseignants, employés de la SNCF, pharmaciens, etc.), elle
évite l’affrontement brutal et préfère la conciliation. Elle n’est ni
spécifiquement de gauche, ni de droite, et peut prendre diverses colorations
en fonction des opportunités et de ceux qui la représentent ici ou là.
Mais, nous objectera-t-on, leurs qualités intrinsèques ne justifient-elles pas
la progression tous azimuts des hauts fonctionnaires ? Les politiciens sont
toujours soupçonnés d’être guidés par des considérations partisanes, d’abuser
quand ils le peuvent de leur pouvoir, d’avoir des compétences techniques
insuffisantes. A force de se critiquer les uns les autres, ils finissent par
convaincre l’opinion publique de leurs insuffisances communes. Au
contraire, la haute administration affiche en toute occasion une bonne
conscience et une unité de vues exemplaires. Sa compétence et son
dévouement au service public sont rarement contestés. L’appartenance de
membres des grands corps à tous les partis politiques qui concourent pour le
pouvoir apparaît comme le meilleur garant de l’indépendance de ces corps.
De même, leur désintéressement semble d’autant moins contestable qu’il n’y
a le plus souvent pas de lien direct entre les décisions prises et les intérêts
propres des décideurs : qui pourra prétendre qu’un directeur d’administration
qui prône par exemple la stabilité du franc ou l’orthodoxie budgétaire y
trouve le moindre avantage personnel ?
Cette confiance aveugle dans le désintéressement de la haute
administration vient de loin. Alain Leroux (1989, p. 44) rappelle que l’idée
selon laquelle la poursuite de l’« intérêt général » constitue la vocation
naturelle et indiscutable de l’administration a pris le relais sans rupture de
continuité de la confusion des intérêts du roi et du royaume qui avait été le
principe fondateur de la monarchie.
En réalité, on ne saurait recourir, pour la compréhension d’un système
administratif, à une grille de lecture adaptée à l’économie de marché. Les
critères de la réussite et les moyens d’y parvenir ne sont pas comparables.
Bien évidemment, comme tous les groupes humains, les hauts fonctionnaires
peuvent avoir des caractéristiques personnelles très diverses. Des règles
similaires de recrutement favorisent néanmoins la sélection d’un ensemble
relativement homogène d’individus. Mais surtout, comme toute organisation,
la haute administration obéit à des lois sociologiques qui tendent à
conditionner le comportement de ses membres. Ceux d’entre eux qui rejettent
ces lois risquent d’être marginalisés, de même qu’un capitaliste qui ignore la
loi du profit fera vraisemblablement faillite ou qu’un mafioso qui trahit celle
du milieu sera exécuté.
La haute administration forme le premier cercle du système
bureaucratique. Elle est donc soumise à la logique conformiste qui inspire ce
type d’organisation. Dès lors que la cooptation joue un rôle déterminant dans
le déroulement des carrières, la reconnaissance des pairs constitue une
motivation autrement plus importante que l’enrichissement immédiat et peut
du reste permettre l’obtention de positions rémunératrices. Tout fonctionnaire
qui prend une initiative fait courir un risque à ses supérieurs dans la mesure
où ceux-ci devront en endosser la responsabilité devant leurs propres
supérieurs hiérarchiques, voire face à l’opinion publique. La règle est donc de
ne rien faire ou dire qui pourrait susciter des remous.
En outre, les élites administratives appartiennent à des grands corps dont
les membres sont sélectionnés, à quelques exceptions près, à l’issue d’un
même cursus scolaire et sur des critères identiques. Leur promotion dépend
de leur puissance collective, qui leur permet notamment de se partager les
chasses gardées prestigieuses et rémunératrices qui leur sont réservées ou
d’essaimer dans les emplois parapublics ou privés à la suite de l’un des leurs.
On conçoit que, dans ces conditions, les membres d’un grand corps éprouvent
un fort sentiment de solidarité ainsi qu’une volonté à toute épreuve de
préserver et si possible de renforcer un réseau d’amitié et de complicité aussi
précieux.
Le sentiment corporatiste qui l’anime conduit la haute administration à
transformer en arme de combat la logique conformiste qui guide ses pas. Vue
de l’extérieur, une thèse contredisant la politique appliquée à un moment
donné peut être perçue comme une simple contribution à un débat d’idées. A
la lumière de cette logique, elle sera interprétée comme une menace
susceptible de remettre en question des positions auxquelles l’administration
s’identifie. A travers des positions intellectuelles, c’est en fin de compte des
positions stratégiques qui risquent à terme d’être ébranlées. Il s’agit donc
d’étouffer au plus vite tout embryon de débat avant qu’il ne parvienne sur la
place publique. Ce comportement n’est pas incompatible avec la neutralité
politique dont se prévaut l’administration : il vise moins à imposer une thèse
qu’à interdire tout ce qui est dérangeant.
Ce corporatisme se manifeste également par la hiérarchie des fidélités qui
s’impose au membre d’un grands corps. Ainsi, quand il est détaché dans un
cabinet ministériel, celui-ci sait pertinemment que cette affectation est
temporaire. Il n’est du reste pas rare qu’il la doive à l’intervention de son chef
de corps. Il sait également qu’en quittant le cabinet, sa trajectoire dépendra
généralement moins des services qu’il aura rendus à un ministre, qui sera
probablement lui-même en partance, qu’à son corps. Il a donc tout intérêt à se
tenir sur la même longueur d’onde que ce dernier et à s’en faire le porte-
parole auprès du ministre.
Les déboires de certains ministres qui avaient eu, dans les mois qui ont
suivi l’accession de la gauche au pouvoir en 1981, l’outrecuidance de
composer leur cabinet en négligeant de s’entourer de représentants des grands
corps traditionnellement chargés de gérer leur domaine de compétence en ont
fourni une bonne illustration. Non que les décisions prises étaient forcément
moins bonnes, mais simplement parce que des personnalités extérieures
ignoraient les codes non écrits de l’administration ou tout simplement qu’on
ne pouvait faire passer certaines mesures que par l’intermédiaire du
responsable de tel ou tel grand corps...
Enfin, si une décision contraire à ses intérêts a échappé par mégarde à la
vigilance de l’administration, celle-ci peut compter sur l’inertie du système
bureaucratique pour l’enterrer. Il va sans dire qu’une volonté résolue du
pouvoir politique peut annihiler les réticences administratives les plus
farouches. Mais, dans les domaines techniques comme les mesures de
politique économique, l’expression d’une telle volonté est d’autant plus rare
que, comme on l’a vu, les décideurs politiques dépendent principalement de
la haute administration pour leur information.
La classe politique a dans une large mesure intériorisé cette logique
conformiste. Les positions véhiculées par la haute administration constituent
un plus petit commun dénominateur qui sert de base à ce que la classe
politique et les médias tendent à considérer comme la « seule politique
possible ». Jamais sans doute la formule que Serge July (1989, p. 73) prête à
Henri Queuille – « faire de la politique, ce n’est pas poser les vrais
problèmes, c’est faire taire ceux qui les posent » – n’a été aussi vraie.
Certains thèmes – dévaluation, déficit budgétaire, bilan du SME – ont ainsi
été éliminés du débat, sans que personne ait jamais démontré leur
obsolescence.
A première vue, l’agonie des conflits idéologiques contribue à
américaniser la société française. En réalité, aux Etats-Unis, la diversité des
opinions et donc le débat sont en permanence attisés par la lutte qui oppose
des lobbies aussi bien économiques qu’intellectuels. L’absence de débats
véritables et la confusion des pouvoirs au profit d’une nomenklatura
administrative rappelle plutôt l’URSS... d’avant Gorbatchev.
La lassitude exprimée à l’égard des affrontements stériles d’antan
débouche sur l’apologie de la gestion silencieuse. La gestion est à la mode.
Le Premier ministre en a fait à maintes reprises l’apologie en présentant
comme anachronique la formulation d’un « grand dessein ». Dans un ouvrage
publié quelques mois avant qu’il n’entre à Matignon, il avait du reste annoncé
la couleur en décrivant les contraintes qui pèsent sur les dirigeants politiques
et en en déduisant l’impossibilité de définir un projet de société 6. En
commentant à la télévision les résultats du deuxième tour des élections
municipales, Alain Carignon a résumé cette évolution en disant que « l’âge
du faire succède à l’âge du dire ». La campagne de presse du ministère du
Travail stigmatisant les « il n’y a qu’à » et affirmant que « contre le chômage,
la parole est aux actes » (Le Monde, 31 mars 1989) participait du même
esprit. Ces formules sonnent bien, mais elles annoncent – bien
involontairement – une régression technocratique. En réalité, dans une
démocratie, il ne peut pas y avoir de « faire » sans « dire » préalable. La
supériorité de la démocratie sur les autres régimes réside précisément dans la
confrontation des idées et des stratégies envisageables qu’elle permet.
3. TROIS SUGGESTIONS
Peut-on remédier à cet état de fait, et, si oui, comment ? Quelques pistes
paraissent devoir être mentionnées dans cette optique.
1. Proscrire la confusion des prescripteurs et des exécutants. Malgré ses
progrès, l’économie politique est sans cesse menacée par une dogmatisation
de ses théories qui n’auraient plus à prouver leur validité. Le choix d’une
politique économique a d’autant plus de chance d’être judicieux qu’il résulte
d’une confrontation plus ouverte des idées les unes aux autres et chacune
d’elles aux faits. Il convient donc d’empêcher autant que possible les
fonctionnaires chargés d’appliquer une politique de se retrancher derrière une
compétence aussi discutable que difficile à discuter en pratique pour se
transformer en décideurs. Dans cette optique, il serait opportun de transposer
à la politique économique la règle d’or de la comptabilité publique qui exige
la séparation des prescripteurs et des exécutants.
Cette suggestion va évidemment à l’encontre de la « mystique » dénoncée
par Gordon Tullock (1978, p. 35) : « Une mystique est née et se développe,
selon laquelle les bureaucrates ne devraient même pas être contrôlés par les
élus. » A cet égard, s’il était suivi, le plaidoyer de certains hommes politiques
en faveur d’une plus grande autonomie de la banque centrale constituerait
une régression. Loin de contribuer à l’ouverture du débat, cette autonomie
renforcerait le pouvoir de hauts fonctionnaires qui pourraient mener la
politique monétaire de leur choix – et il est à craindre que ce choix ne soit
principalement dicté par le respect des dogmes monétaristes – sans avoir de
comptes à rendre à quiconque, ni à se préoccuper des aspirations de la
population auxquelles les hommes politiques sont forcément sensibilisés par
leurs contacts avec les électeurs. Les exemples de la Bundesbank allemande
comme de la FED américaine sont de mauvais augure.
2. Limiter la symbiose entre l’administration et la politique. La place
exorbitante qu’occupent les (hauts) fonctionnaires dans la vie politique
française a conduit ces derniers temps à un déphasage entre l’ensemble de la
population et la classe politique censée la représenter. Le recours à la
« société civile » a été une première parade – sans doute naive – pour réduire
ce décalage. Le moins que l’on puisse dire est que cette introduction de
représentants de la « société civile » dans la vie politique n’a pas été
couronnée de succès. Il ne suffit pas d’être un amateur en politique pour
parler au nom de ses concitoyens. On peut même prétendre que n’importe
quel homme politique élu, du fait même de son élection, est davantage
habilité à représenter la société civile que des personnalités que nul n’a
mandatées, quels que soient par ailleurs leurs mérites professionnels. Il aurait
été sans doute plus judicieux de diversifier le recrutement de la classe
politique et plus généralement des élites. Dans cette optique, François Furet
(1988) suggère « de mettre fin par la loi au privilège exorbitant qu’ont les
fonctionnaires français de conserver leur poste aussi longtemps qu’ils sont
des élus du peuple ». Privilège d’autant plus exorbitant que, comme le note
Alain Duhamel (1989, p. 173), « leur carrière administrative se poursuit
automatiquement – avec promotion à l’ancienneté – parallèlement à leur
carrière politique ».
3. Créer les instruments nécessaires pour alimenter le débat. Ces dernières
années, la création d’organismes comme l’IPECODE (Institut de prévisions
économiques et financières pour le développement des entreprises) et l’OFCE
(Observatoire français des conjonctures économiques) a ouvert de nouvelles
brèches dans le monopole public des études de la conjoncture. Dans le même
esprit, d’autres instituts pourraient être créés afin d’alimenter le
gouvernement comme les partis en propositions nouvelles non partisanes.
Libre ensuite à chacun d’adapter telle ou telle mesure en fonction de ses
objectifs.
L’objectivité de l’information politique occupe à juste titre tous les esprits.
Le problème posé par l’information économique n’est pas moins
fondamental, même s’il est moins apparent. En le négligeant, on se condamne
moins au triomphe du politique qu’aux errements de la politique économique
au gré des idéologies et des pesanteurs administratives.
Dans cette optique, une transformation du Commissariat au Plan pourrait
également être envisagée en vue d’en faire un centre d’élaboration de
nouvelles politiques économiques. Encore faudrait-il, pour qu’il puisse
s’acquitter d’une telle mission, assurer son indépendance face à
l’administration en le faisant gérer par un conseil composé d’économistes
indépendants français ou étrangers.
La IIIe République a disparu faute d’avoir su préparer la guerre. La IVe
République est morte de son incapacité à résoudre le conflit algérien. Chaque
fois, les institutions ont été rendues responsables de la torpeur d’un personnel
politique dont la valeur intrinsèque n’était pas en cause. Aujourd’hui, les
enjeux sont économiques. Mais la situation est-elle si différente ? Les
principaux acteurs sont à la fois conscients des menaces qui pèsent sur le
pays et incapables de prendre les problèmes à bras-le-corps. Mais suffit-il
d’accuser de nouveau le système sociopolitique français de paralyser les
initiatives, et, si oui, comment transgresser ces règles du jeu aliénantes ?
L’incapacité à concilier durablement réformisme et réalisme serait-elle
inéluctable en France, alors que, par exemple, les sociaux-démocrates
scandinaves continuent à mener des politiques résolument novatrices après
des décennies de pouvoir ?
BIBLIOGRAPHIE
Le « dilemme du prisonnier »
Cette stratégie fournit une bonne illustration du « dilemme du prisonnier »
appliquée à la détermination des salaires : toutes les parties ont intérêt à ce
que l’inflation soit aussi faible que possible et donc que la modération des
salaires prévale. Mais chacune d’elles est fondée à craindre un marché de
dupes en consentant des sacrifices qui profiteront principalement à ceux qui
ne « joueront pas le jeu ». Il est, au contraire, tentant d’adopter un
comportement de « resquilleur » en espérant que les autres n’en feront pas
autant 9. La tentation est d’autant plus grande que, dans un système
décentralisé, la relation entre la détermination des salaires au sein d’une
entreprise, voire même d’une branche, et le niveau des prix au niveau du pays
n’est guère apparent (Tarantelli 1989 ; OCDE 1987, chapitre 3).
A la fin des années 60 et dans les années 70, cette logique a favorisé les
tensions inflationnistes. Les salariés ont cherché à obtenir des augmentations
de salaires supérieures à l’inflation escomptée. Les entreprises ont
généralement été disposées à céder à ces revendications afin d’attirer la main-
d’œuvre dont elles avaient besoin en vue de satisfaire la demande.
Au début des années 80, la montée du chômage, en exacerbant la
concurrence entre les salariés pour garder ou obtenir un emploi, a eu un effet
dissuasif sur les revendications salariales. Mais la pression à la baisse exercée
sur les salaires par un niveau élevé du chômage s’atténue au fil du temps.
Dans certains pays européens, le chômage de longue durée a moins
d’incidence sur la croissance globale des salaires que le chômage de courte
durée. Selon des travaux économétriques effectués par l’OCDE (1989 b,
p. 53-58, et 1987, p. 145-146), ce phénomène serait particulièrement apparent
au Royaume-Uni où les salaires réagissent en général fortement aux
variations du chômage, mais sont relativement peu sensibles à la persistance
de taux de chômage élevés : les chômeurs de longue durée perdent leur
qualification et ne sont plus en concurrence avec ceux qui sont pourvus d’un
emploi. Leur influence sur le marché du travail tend donc à s’atténuer au fur
et à mesure que leur exclusion se prolonge. Les uns peuvent continuer à
revendiquer des augmentations de salaire, alors que d’autres sont au chômage
et ne perçoivent que de faibles revenus. C’est ce qui explique le déplacement
de la courbe de Phillips depuis une vingtaine d’années, le niveau de chômage
« nécessaire » pour maîtriser l’inflation ayant augmenté.
Graphique 2
SÉCURITÉS DU TRAVAIL « MACRO » ET « MICRO »
– Si une entreprise offre une sécurité de l’emploi réduite alors que les
possibilités de trouver un autre emploi sont fortes, l’incitation à travailler sera
faible, l’inconvénient de perdre un emploi peu sécurisant étant réduit alors
que la probabilité de trouver un autre emploi est forte.
– Si les deux types de sécurité sont élevés, l’incitation au travail dépendra
vraisemblablement d’autres variables, telles que par exemple le salaire offert
par l’entreprise ou l’intérêt du travail effectué par rapport à ce que le même
salarié pourrait obtenir ailleurs.
– La conjonction d’une sécurité micro forte et d’une sécurité macro faible
constitue sans doute, de ce point de vue, la combinaison optimale qui conduit
à un fort attachement à un emploi sûr dans un environnement incertain. C’est
le cas de figure que l’on observe par exemple dans l’« emploi à vie » au sein
des grandes entreprises japonaises.
Tableau 2
PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL ET SALAIRES RÉELS
(1975-1987)
La menace bureaucratique
Le redéploiement a été d’autant mieux accepté que les pertes d’emplois
industriels ont été plus que compensées par des créations d’emplois tertiaires,
principalement dans le secteur public. De 1970 à 1983, l’industrie a perdu
358000 emplois, dont 165000 dans l’industrie manufacturière, mais 568000
emplois ont été créés dans le secteur public et près de 100000 dans les
services privés. De 1973 à 1979, l’augmentation annuelle de l’emploi dans le
secteur public a été proche de 5 % au lieu de 2 % dans les autres pays de
l’OCDE. Le nombre de salariés du tertiaire communal a presque doublé
depuis 1970. Il est maintenant supérieur à celui des travailleurs de l’industrie
et près de trois fois plus important que celui des employés de l’Etat, dont le
nombre a été réduit ces dernières années. La part de l’emploi dans le secteur
public est passée de 21 % de l’emploi total en 1970 à 32 % en 1987. Les
principales affectations des salariés communaux sont la santé, l’éducation et
les services sociaux, dont les effectifs sont principalement composés de
femmes travaillant souvent à temps partiel. Les services sociaux représentent
à eux seuls 50 % de l’emploi tertiaire : entre 1974 et 1982, ils auront
contribué pour 78 % à la création nette d’emplois dans les services.
Cette évolution s’est modifiée au début des années 80. La progression de
l’emploi dans le secteur public s’est ralentie sous l’effet de politiques
budgétaires plus restrictives. En même temps, les efforts d’adaptation
consentis, les dévaluations de la couronne suédoise et la reprise de la
demande mondiale ont conjugué leurs effets pour permettre à un secteur privé
largement revigoré de redevenir le principal pourvoyeur d’emplois.
De nouvelles mesures ont été prises pour favoriser les créations d’emplois,
notamment en abaissant le coût du travail pour l’embauche de travailleurs
supplémentaires, de façon générale ou pour des groupes spécifiques comme
les jeunes ou les personnes handicapées, des secteurs d’activité ou des
régions ayant des taux de chômage particulièrement élevés. Le nombre de
personnes concernées par les mesures en faveur du marché du travail est
descendu de 4,6 % de la population active en 1984 à 3,4 % en 1988.
Enfin, si la productivité d’un grand nombre d’emplois publics est sans
doute insuffisante, cela ne signifie pas qu’il faille négliger pour autant les
besoins réels qu’ils permettent de satisfaire. Dans tous les pays, les besoins
d’éducation, de recherche, de santé, de transport, d’audiovisuel sont appelés à
croître. Il est probable que la satisfaction de ces besoins sera la principale
source de création d’emplois dans l’avenir. En multipliant les emplois dans
les services, l’Etat suédois et plus encore les collectivités locales ont en
quelque sorte pris en charge la transition entre une période où la demande de
biens était dominante et celle où la demande de services permettra de créer –
sans intervention publique – suffisamment d’emplois pour compenser la
réduction des emplois industriels. Ce faisant, ils ont évité que cette phase de
transition ne s’accompagne d’un chômage important comme dans la plupart
des autres pays.
Le problème auquel ils sont maintenant confrontés est de rendre ces
services plus concurrentiels, voire de remettre progressivement certains
d’entre eux au secteur marchand. Les premiers pas ont déjà été franchis dans
ce sens. Certes, la plate-forme sociale-démocrate pour les années 90 rejette
l’idée d’une privatisation de services publics ; en revanche, l’idée de séparer
la production et le financement fait son chemin. Par exemple, afin
d’encourager le système hospitalier à réduire ses coûts et à devenir plus
efficace, plutôt que de financer directement les hôpitaux, l’Etat pourrait
verser l’argent aux collectivités locales qui seraient alors chargées d’allouer
ces sommes aux services hospitaliers les plus compétitifs. Dans une optique
voisine, l’organisme public chargé de la formation permanente (AMU) a été
détaché du ministère du Travail et vend désormais ses services aussi bien à
l’Etat qu’aux entreprises privées (environ 15 %).
3. LE MODÈLE JAPONAIS
Tableau 4
RÉPARTITION DE L’EMPLOI SALARIÉ
SELON LA TAILLE DE L’ENTREPRISE (en %)
La mobilité interne
L’« emploi à vie » ne signifie pas la garantie d’un emploi donné et suppose
l’acceptation de la mobilité au sein d’un même groupe, que ce soit d’une
entreprise à l’autre dans des régions différentes ou d’un emploi à l’autre. Ce
n’est pas tant le redéploiement à l’intérieur de l’entreprise que le
redéploiement au sein du groupe, pris dans un sens large, qui tend à se
développer.
Deux types de groupement d’entreprises coexistent au Japon. Le premier
est issu des zaibatsus de l’avant-guerre ou s’est constitué autour d’une
banque. Les groupements de ce type sont formés d’entreprises indépendantes,
se consacrant à des activités variées, « qui ont l’obligation, les unes envers les
autres, de se traiter comme des partenaires commerciaux privilégiés ou
comme des partenaires dans une co-entreprise, de s’aider en cas de crise, etc.
Les liens entre entreprises d’un même groupe peuvent avoir une certaine
importance en cas de réduction d’activité et de sureffectifs. Par exemple,
lorsque le secteur construction navale du groupe Mitsubishi a voulu se défaire
d’une partie de ses effectifs, dans les années 70, il a pu “ prêter ” certains de
ses travailleurs à d’autres entreprises du groupe. Ces travailleurs ont continué
de figurer sur les registres du secteur construction navale et les entreprises qui
les ont “ empruntés ” ont payé une somme forfaitaire pour les employer.
Tableau 5
RÉPARTITION DE LA MAIN-D’ŒUVRE
NON AGRICOLE
PAR TYPES DE TRAVAILLEURS (en %)
« L’autre type de groupement d’entreprises, plus important, est le
keiretsu – groupe d’entreprises constitué selon une structure hiérarchique
autour d’une grande société dont elles sont d’une certaine façon
dépendantes... Les mouvements de personnel engendrés par une récession et
une réduction d’activité se produisent toujours du sommet vers la base dans
la hiérarchie du keiretsu » (Dore et alii 1989, p. 35).
Tableau 6
PROPORTION D’ÉTABLISSEMENTS AYANT ADOPTÉ
DES MESURES D’AJUSTEMENT DE L’EMPLOI
par types de mesures (1er trimestre 1975
et 4e trimestre 1977, 1982 et 1986)
4. LE SALARIAT EN QUESTION
BIBLIOGRAPHIE
Commentant un sondage publié fin 1988 par le Los Angeles Times Mirror,
selon lequel la réduction du déficit budgétaire devrait être la priorité de
l’administration Bush, Robert Heilbroner et Peter Bernstein (1989)
remarquent que vraisemblablement aucune des personnes interrogées n’aurait
été capable d’expliquer en quoi le déficit budgétaire constituait une telle
menace pour l’économie américaine.
Cette anxiété étant largement partagée dans les autres pays et les politiques
budgétaires expansionnistes faisant l’objet d’une large réprobation dans la
plupart des pays occidentaux, il nous a semblé que la meilleure façon de
procéder serait d’examiner les principales critiques, les principaux arguments
avancés contre le déficit budgétaire... et d’y répondre.
Pour cerner les effets réels d’un déficit budgétaire, il convient d’abord de
le mesurer correctement. L’estimation à retenir peut varier en fonction du
problème que l’on entend analyser. Elle n’est pas forcément la même selon
que l’on étudie l’impact expansionniste d’un déficit budgétaire, la charge de
remboursement de la dette publique ou le patrimoine net du secteur public.
De même, dans certains pays, on s’intéresse principalement à l’endettement
de l’administration centrale, dans d’autres à celui de l’ensemble des
administrations publiques (Etat, collectivités locales et sécurité sociale), voire
même du secteur public (en y incluant les entreprises publiques). Dans les
Etats fédéraux, notamment aux Etats-Unis, la perception de la dette publique
peut être sensiblement différente selon que l’on ne considère que la dette
fédérale ou que l’on en déduit l’excédent des Etats et collectivités locales (53
milliards de dollars en 1988) – déduction qui paraît d’autant plus justifiée que
cet excédent est imputable, pour une bonne part, à des subventions accordées
par l’Etat fédéral qui atteignaient 108,6 milliards de dollars en 1988.
Robert Eisner (1986), auquel nous allons fréquemment nous référer dans
ce chapitre, montre que des erreurs d’appréciation sur l’ampleur réelle des
soldes budgétaires peuvent expliquer la mise en œuvre de politiques
économiques inadéquates 18. Ainsi, en 1974, le président Ford convoqua la
conférence « WIN » (Whip-Inflation-Now) en vue de déterminer une
politique d’austérité juste au moment où l’économie entrait en récession. De
même, à la fin de la présidence de Jimmy Carter et au début de celle de
Ronald Reagan, une perception erronée du déficit réel conduisit à l’adoption
d’une politique monétaire et budgétaire restrictive qui a été à l’origine de la
profonde récession de 1981-1982.
Il n’est évidemment pas question d’examiner ici toutes les classifications
auxquelles un déficit budgétaire peut être soumis. L’OCDE distingue ainsi
fréquemment déficits conjoncturel et structurel. On peut également distinguer
un déficit budgétaire actif – provoqué par un accroissement des dépenses
publiques ou une réduction des impôts – et un déficit budgétaire passif
résultant d’une baisse des recettes fiscales à la suite d’un ralentissement de la
croissance économique.
Tableau 7
BESOIN DE FINANCEMENT
DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES
capacité (+) ou besoin (-) en % du PNB/PIB nominal
Tableau 8
QUI DÉTIENT LA DETTE PUBLIQUE AMÉRICAINE ?
milliards de % du
dollars total
Agences et fonds d’investissement
publics 534,2 21,0
Banques du Federal Reserve System 227,6 8,9
Banques commerciales 263,0 10,3
Fonds du marché monétaire 13,4 0,5
Institutions financières 715,8 28,1
Etats et collectivités locales 280,2 11,0
Ménages : bons d’épargne 106,2 4,2
– titres négociables 75,0 2,9
Etranger 332,3 13,0
Dette brute totale 2547,7 100,0
Source : Federal Reserve Bulletin, décembre 1988.
Tableau 10
CINQ MESURES DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE
DES ÉTATS-UNIS POUR L’ANNÉE FISCALE 1988
(en milliards de dollars)
3. LA CHARGE DE LA DETTE
Tableau 11
SOLDE PRIMAIRE DES ADMINISTRATIONS
(en % du PIB)
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4. Les contraintes extérieures et
l’ajustement mondial
Le plan Keynes
Le plan élaboré par J.M. Keynes (1943) en vue de la conférence de Bretton
Woods prévoit un mécanisme international d’ajustement des balances de
paiements qui ne sacrifie pas le développement interne des pays. Les
propositions de Keynes s’ordonnent autour de trois idées majeures :
1) Création entre les Etats d’une « union de clearing » devant « assurer que
l’argent gagné en vendant des marchandises à un pays puisse être
consacré à l’achat de produits de n’importe quel autre pays ».
2) Création d’une monnaie internationale, le « bancor » : pour que les
membres de l’union de clearing puissent faire face à d’éventuels déficits
extérieurs sans avoir à recourir à des politiques récessionnistes, Keynes
proposait d’ouvrir des comptes à toutes les banques centrales, sur
lesquels celles-ci pourraient avoir des découverts. Chaque Etat membre
devait avoir un quota proportionnel à son commerce extérieur et
constituant la limite au-delà de laquelle il ne pourrait s’endetter vis-à-vis
de l’union de clearing. En fonction de son quota, chaque Etat recevrait
une certaine quantité d’une monnaie internationale que Keynes appelait
le « bancor » et qui représentait en fait la marge de découvert autorisée
pour chacun des participants. Dans la conception de Keynes, ce bancor
ne devait pas être convertible en or et, par conséquent, les soldes
créditeurs ne pouvaient pas faire l’objet de retraits de la part de leurs
détenteurs.
3) Un processus d’ajustement des déséquilibres : pour limiter les
déséquilibres, le plan Keynes prévoyait que le pays dont le solde
débiteur dépasserait le quart de son quota serait invité à dévaluer d’un
pourcentage inférieur ou égal à 5 %. Si le solde débiteur dépassait la
moitié de son quota, l’union de clearing pourrait lui demander des
versements d’or ou des remises de bons publics ainsi qu’une dévaluation
plus importante de sa monnaie. En ce qui concerne les pays créditeurs,
Keynes proposait que, lorsque leurs excédents dépasseraient une
certaine limite et une certaine durée, ils soient taxés d’un intérêt négatif.
Il envisageait aussi la possibilité de réévaluer les monnaies des pays
exagérément excédentaires.
Malheureusement, les accords de Bretton Woods (1944) adoptèrent des
positions minimalistes par rapport au plan Keynes. Ainsi, alors que le bancor
annonçait une véritable monnaie internationale, le Fonds monétaire
international, créé à cette occasion, n’est qu’un simple fonds de réserve
chargé de vendre ou de prêter les devises reçues des Etats membres. De ce
fait, sans le déclarer explicitement, ces accords ont pérennisé le Gold
Exchange Standard. Le système instauré à Bretton Woods a ainsi ouvert la
voie au déficit de la balance des paiements américaine et favorisé, ce faisant,
les crises de spéculation qui ont marqué les années 60 et le début des années
70. De plus, la fixité des taux de change, décidée à Bretton Woods, s’est
accompagnée d’une certaine rigidité qui a retardé, sinon empêché, les
ajustements nécessaires des parités. Les déséquilibres des balances de
paiements se sont donc multipliés au fil du temps. La spéculation sur l’une ou
l’autre des monnaies jugées à un moment donné sous – (ou sur-)évaluées a, le
plus souvent, rendu inévitables des ajustements brutaux et de grande ampleur
néfastes au développement harmonieux des échanges internationaux et qui
auraient pu être évités par des ajustements progressifs. En fin de compte,
l’accumulation des déséquilibres, en particulier le déficit croissant de la
balance des paiements américaine, provoquant des crises monétaires de plus
en plus aiguës, a entraîné l’abandon du système instauré à Bretton Woods.
Le flottement des monnaies n’a pas répondu aux espoirs placés en lui par
ses partisans, notamment Milton Friedman. Comme on pouvait le prévoir en
observant le fonctionnement de ce système durant l’entre-deux-guerres, les
phénomènes de « surréactions » ont entraîné une instabilité chronique (A.
Grjebine 1970 ; A. Grjebine et T. Grjebine 1973). Il est vrai que l’adoption de
ce système, en mars 1973, a été rapidement suivie par le premier choc
pétrolier. Le recyclage des capitaux pétroliers a donné une formidable
impulsion au marché des eurodevises qui est passé de 110 milliards de dollars
en 1972 (estimation nette) à 215 milliards en 1974. En mars 1990, l’encours
des prêts bancaires internationaux nets atteignait 2775 milliards de dollars
(BRI août 1990). La masse de capitaux plus ou moins flottants ainsi
constituée alimente des mouvements spéculatifs d’une formidable ampleur.
Les fluctuations du dollar en sont la manifestation la plus éclatante. La
suppression progressive des contrôles des changes et l’intégration
internationale du marché des capitaux depuis le début des années 80 ont
encore accru la volatilité des taux de change. Or, celle-ci conduit à incorporer
des primes de risque plus importantes dans les taux d’intérêt et favorise, par
voie de conséquence, les tendances récessionnistes mondiales (Bismut 1990).
Les interventions des banques centrales ont permis jusqu’à présent d’éviter
une crise financière mondiale de grande ampleur. Mais l’éventualité d’un
embrasement général ne peut être écartée, compte tenu des innombrables
imbrications du marché mondial des capitaux.
2. LA MONTÉE DES CONTRAINTES EXTÉRIEURES
D’une crise à l’autre, le recyclage des capitaux des pays excédentaires s’est
modifié dans un sens moins favorable à l’expansion. Dans les années qui ont
suivi le premier choc pétrolier, les déséquilibres internationaux avaient pour
origine l’augmentation brutale du prix du pétrole. Celle-ci avait d’abord un
impact inflationniste dans la mesure où elle se répercutait sur l’ensemble des
prix et, par voie de conséquence, sur les salaires indexés sur l’inflation. Le
quadruplement du prix du pétrole a également modifié le partage du revenu
mondial en faveur des régions à fort taux d’épargne. L’impact récessionniste
a été néanmoins réduit par les politiques plus expansives adoptées dans
certains pays, en même temps que par le recyclage des capitaux pétroliers,
c’est-à-dire par les crédits que les pays de l’OPEP les plus riches ont accordés
à leurs débiteurs, principalement par l’intermédiaire du marché des
eurodevises. Ceux-ci ont pu, de ce fait, continuer à acheter un pétrole
toujours plus coûteux. Le même processus s’est développé entre certains pays
en développement et les pays industrialisés, les seconds prêtant aux premiers
les montants nécessaires pour accroître leurs importations de produits
industriels. Cette économie d’endettement n’était pas sans risques, mais en
assurant le financement des échanges internationaux, elle a permis d’éviter
une récession plus profonde des économies.
L’impact récessionniste du second choc pétrolier a été plus prononcé. Afin
de lutter contre l’inflation, la plupart des pays occidentaux ont adopté des
politiques plus restrictives. En même temps, les banques occidentales ont
limité leurs crédits aux pays en développement, en raison à la fois du
surendettement de certains d’entre eux et de la raréfaction des fonds en
provenance des pays pétroliers dont certains sont devenus, eux-mêmes,
débiteurs.
Les banques n’accordent jamais un traitement identique à leurs différents
débiteurs, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’Etats. Les risques d’insolvabilité
qui se sont amplifiés dans les années 80 n’ont fait qu’accroître cette inégalité.
Les capacités d’emprunt comme le coût du crédit ne sont évidemment pas
comparables pour un pays africain ou latino-américain et pour les Etats-Unis.
A la suite de la crise de l’endettement survenue en 1982-1983, les pays du
Sud se sont vu imposer des efforts d’ajustement drastiques qui ont conduit à
un renversement des transferts nets de capitaux dans la seconde moitié des
années 80. Les transferts nets de capitaux des pays en développement vers le
reste du monde sont ainsi passés de 37,6 milliards de dollars en 1988 à 42,9
milliards l’année suivante (Banque mondiale 1990 b). Echaudées par
l’aggravation des arriérés (16,4 milliards de dollars en 1989 contre 10
milliards en 1988), les banques commerciales n’accordent plus de nouveaux
prêts qu’au compte-gouttes aux pays du Sud. Les Etats-Unis peuvent au
contraire continuer à emprunter sans problème...
Graphique 3
DISTRIBUTION MONDIALE DES DÉFICITS ET EXCÉDENTS
(flux cumulés par période en % des flux mondiaux
d’opérations courantes)
La zone RdM (Reste du Monde) comprend tous les pays en développement non pétroliers. –
ECART désigne le désajustement statistique au niveau mondial.
Source : Oliveira Martins et Plihon 1990, p. 35.
La contrainte financière
Les débats sur les effets macro-économiques de l’échange international
n’ont porté, pendant longtemps, que sur l’impact des flux commerciaux. Or,
quels qu’aient été les progrès accomplis dans la réduction des barrières
douanières, l’internationalisation des marchés de capitaux a été infiniment
plus rapide que celle des marchés de biens et services. De ce fait, il n’est pas
rare que l’impact des fluctuations financières surpasse – et annihile – celui
des flux commerciaux.
Ainsi, malgré la conjonction d’une forte reprise de l’économie américaine
(+ 3,6 % en 1983, + 6,8 % en 1984), qui a entraîné une croissance en volume
de 9,6 % en 1983 et de 23,9 % en 1984 des importations américaines, et de
l’appréciation concomitante du dollar, qui a renforcé la compétitivité des
produits étrangers, la conjoncture américaine n’a pas eu les effets
expansionnistes escomptés sur les pays européens. Le recours à l’emprunt
pour financer le déficit budgétaire américain a provoqué une montée des taux
d’intérêt américains qui s’est transmise au reste du monde. Les pays
européens ont souffert du contrecoup de la relance américaine (flambée des
taux d’intérêt) sans en partager les bienfaits. L’impact récessionniste de la
montée des taux d’intérêt a été plus réduit aux Etats-Unis qu’en Europe.
D’abord, parce que l’ouverture plus faible de l’économie américaine a réduit
l’effet récessionniste de l’appréciation du dollar. Ensuite, parce que les
fluctuations des taux d’intérêt ont un effet d’autant plus prononcé sur
l’inflation que l’endettement des entreprises est plus élevé, ce qui était bien
plus le cas en Europe qu’aux Etats-Unis où l’autofinancement a toujours
dépassé 80 % au cours des trente dernières années, approchant parfois les
100 % comme en 1985-1986. Enfin, le programme de réforme fiscale adopté
aux Etats-Unis au début des années 80 comportait des mesures d’incitation
fiscale à l’investissement qui annihilaient partiellement l’effet de taux
d’intérêt élevés. De surcroît, la hausse des taux d’intérêt alourdissant la
charge d’intérêts de la dette publique, il en a résulté une aggravation
spontanée des déficits budgétaires et, en raison de la phobie entretenue en
Europe à leur encontre, un durcissement des politiques d’austérité (Fitoussi et
Le Cacheux 1989).
Graphique 4
PRODUCTIVITÉ ET SALAIRE RÉEL
EN FRANCE
Graphique 5
TOTAL DES DÉFICITS MONDIAUX
D’OPÉRATIONS COURANTES 1967-1988
(en % des flux mondiaux d’opérations courantes)
Tableau 13
ACTIFS EXTÉRIEURS NETS
(en % du PIB)
BIBLIOGRAPHIE
1
Robert Eisner, professeur à la Northwestern University, élu en 1988 président
de l’American Economic Association, et Bernard Ullmo, conseiller
scientifique à la Direction de la prévision du ministère de l’Economie, des
Finances et du Budget, ont relu le manuscrit de cet ouvrage et m’ont fait part
de leurs critiques et de leurs suggestions. Je voudrais les en remercier ici.
2
Pour un recensement de la littérature sur ce sujet, cf. notamment J.-D. Lafay
(1986).
3
Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à
la pluralité des voix (1785).
4
Enquête IPSOS (résultats publiés dans Le Monde du 16 avril 1988).
5
On trouvera une présentation des think tanks américains dans la troisième
partie de ce chapitre.
6
« “ Quel est votre projet de société ? ” J’ai répondu cinq ou six fois à cette
question, ainsi formulée à la radio ou à la télévision, depuis quelques années.
Parvenu à quelque connaissance des structures de l’Etat, je pense pouvoir y
répondre correctement dans un livre que je m’efforcerais de limiter à un bon
millier de pages, à condition de m’y consacrer entièrement pendant trois ou
quatre ans » (Rocard, 1987, p. 114).
7
Cette présentation des think tanks américains est fondée sur les enquêtes
publiées par Louda (1988) et Pourquery (18 juillet 1989).
8
Dans cette typologie, gestion administrative s’oppose à marché et n’implique
pas que celle-ci soit le fait de l’Etat. Cf. R Dore et alii (1989).
9
Ce comportement n’est pas envisageable si on se place dans l’hypothèse d’un
marché parfait, avec une circulation parfaite de l’information et une
adaptabilité totale des salariés aux emplois proposés. Mais le moins que l’on
puisse dire est que cette hypothèse est éloignée de la réalité du marché du
travail.
10
La rigidité de l’emploi est l’inverse de la flexibilité de l’emploi. Elle mesure
la réaction de l’emploi aux fluctuations de l’économie. Par exemple, si la
rigidité de l’emploi est de 0,78 en Suède, cela signifie que, si le niveau du
PIB diminue de 1 %, l’emploi ne diminue que de 0,22 % (OCDE 1988 c,
p. 61).
11
Cf. à ce sujet une description de l’expérience japonaise dans K. Koike (1989).
12
Si l’importance de l’enseignement dans le développement économique paraît
incontestable, en revanche diverses explications s’affrontent sur la nature de
cette corrélation. Selon la théorie du capital humain développée à la suite des
travaux effectués à la fin des années 50 et dans les années 60 par Theodore
W. Schultz (1961) et Gary Becker (1964), l’enseignement affecte la
productivité de la main-d’œuvre en raison des compétences qu’il permet
d’acquérir. Selon d’autres auteurs, notamment Phelps (1972), Taubman et
Wales (1973), Stiglitz (1975), ce lien s’expliquerait par le fait que
l’enseignement permet de sélectionner les individus les plus productifs par
nature. On peut par exemple invoquer à l’appui de cette thèse la sélection
naguère par le latin et maintenant par les mathématiques qui caractérise
l’enseignement secondaire français. Enfin, selon la théorie de la socialisation,
issue des travaux de Bowles et Gintis (1975), l’employeur donne la
préférence à des travailleurs instruits parce qu’il suppose que ceux-ci sont
mieux insérés dans la société et dans le milieu professionnel et seront donc
plus productifs dans leur travail. Le chapitre 2 (« Le niveau d’instruction de
la population active ») du rapport de l’OCDE (1989 e) donne un bon résumé
de ces diverses théories.
13
Ces classements doivent être nuancés dans la mesure où ils sont par
construction sensibles aux taux de change de l’année de base considérée.
14
En septembre 1990, le congrès du Parti social-démocrate a décidé de revenir
sur cette dernière décision.
15
Le chiffre des heures supplémentaires n’est pas disponible pour la France.
16
Pour une description de cette procédure, cf. Dore et alii (1989) et Tadashi
(1988).
17
Cette problématique est développée dans la conclusion de notre précédent
ouvrage : « Une crise de l’offre et de la demande », Grjebine 1989, p. 350-
393.
18
Robert Eisner est sans doute l’économiste qui, ces dernières années, a le plus
approfondi la réflexion sur le déficit budgétaire américain et plus
généralement sur la politique budgétaire.
19
Pour une analyse détaillée des différents concepts et mesures de la dette
publique, cf. Chouraqui, Jones et Montador (1986), p. 113.
20
La nécessité de tenir compte de l’inflation pour mesurer l’évolution de la
dette publique ne signifie évidemment pas que, dans des circonstances
précises, un déficit budgétaire excessif ne puisse pas avoir des effets
inflationnistes. Il s’agit là d’un tout autre problème que nous examinerons
ultérieurement.
21
Nous verrons par la suite à quelles conditions une telle création monétaire ne
serait pas inflationniste.
22
R est le taux d’intérêt nominal.
23
Pour une analyse de la combinaison restriction monétaire/expansion
budgétaire, cf. James Tobin, « La banque centrale et le budget », in Grjebine
(1989).
24
En nous référant à la « politique économique du président Reagan », nous
n’avons pas en vue la « Reaganomics », c’est-à-dire la doctrine fort
discutable forgée par les conseillers du président, mais bien la politique
économique réellement suivie aux Etats-Unis, tantôt volontairement, tantôt
involontairement (déficit budgétaire massif par exemple). On trouvera une
analyse détaillée de cette politique dans Grjebine (1989).
25
Dans L’Ancien Régime et la Révolution, publié en 1856, Tocqueville place
déjà la volonté centralisatrice de la monarchie parmi les principales causes de
la Révolution.
26
Dans un discours prononcé à Bruges le 20 septembre 1988, Mme Thatcher a
vigoureusement dénoncé la démarche centralisatrice qui prévaut, selon elle,
pour l’élaboration des décisions communautaires : « coopérer plus
étroitement n’exige pas que le pouvoir soit centralisé à Bruxelles, ni que les
décisions soient prises par une bureaucratie en place par voie de
nomination ».
27
Contre toute monnaie.
28
Nous reprenons – en la résumant – la présentation que proposent J. Oliveira
Martins et D. Plihon (1990).
29
Cf. notamment Borgues et Grjebine (7 juin 1988).
30
Cette approche a été développée en détails dans Grjebine (1986).
EN COUVERTURE : dessin Sandrine Lescarmontier.
ISBN 2-02-012953-1.
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