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Portait de duc de Guermantes au seuil de la mort (TR, 322-323)

« Je ne l’avais pas aperçu et je ne l’eusse sans doute pas reconnu, si on ne


me l’avait clairement désigné. Il n’était plus qu’une ruine, mais superbe, et moins
encore qu’une ruine, cette belle chose romantique que peut être un rocher dans la
tempête. Fouettée de toutes parts par les vagues de souffrance, de colère de
souffrir, d’avancée montante de la mort qui la circonvenaient, sa figure, effritée
comme un bloc, gardait le style, la cambrure que j’avais toujours admirés ; elle
était rongée comme une de ces belles têtes antiques trop abîmées mais dont nous
sommes trop heureux d’orner un cabinet de travail. Elle paraissait seulement
appartenir à une époque plus ancienne qu’autrefois, non seulement à cause de ce
qu’elle avait pris de rude et de rompu dans sa matière jadis plus brillante, mais
parce qu’à l’expression de finesse et d’enjouement avait succédé une involontaire,
une inconsciente expression, bâtie par la maladie, de lutte contre la mort, de
résistance, de difficulté à vivre. Les artères ayant perdu toute souplesse avaient
donné au visage jadis épanoui une dureté sculpturale. Et sans que le duc s’en
doutât, il découvrait des aspects de nuque, de joue, de front, où l’être, comme
obligé de se raccrocher avec acharnement à chaque minute, semblait bousculé dans
une tragique rafale, pendant que les mèches blanches de sa magnifique chevelure
moins épaisse venaient souffleter de leur écume le promontoire envahi du visage.
Et comme ces reflets étranges, uniques, que seule l’approche de la tempête où tout
va sombrer donne aux roches qui avaient été jusque-là d’une autre couleur, je
compris que le gris plombé des joues raides et usées, le gris presque blanc et
moutonnant des mèches soulevées, la faible lumière encore départie aux yeux qui
voyaient à peine, étaient des teintes non pas irréelles, trop réelles au contraire, mais
fantastiques, et empruntées à la palette, de l’éclairage, inimitable dans ses
noirceurs effrayantes et prophétiques, de la vieillesse, de la proximité de la mort. »

Introduction

 Démarche de l’auteur
Cet extrait appartient à la série de passages très remarquables dans l’œuvre de Proust : il représente le
portrait d’un personnage. Cette œuvre est riche par les descriptions détaillées de ces personnages et
l’intention du Narrateur de dégager les lois de comportement des êtres humains. Parmi les plus connus
sont la description de M de Charlus vieillard, l’actrice Berma mourante et la description qu’on va
analyser ici : celle du duc de Guermentes au seuil de la mort. Pourtant ces descriptions sont très
importantes pour découvrir la conception du style ainsi que les descriptions et les images verbales de
l’auteur.

 Situation de l’extrait
Cet extrait est situé aux dernières pages de cette œuvre. La phrase qui nous introduit dans l’extrait « Le
vieux duc de Guermantes ne sortait plus, car il passait ses journées et ses soirées avec elle. Mais
aujourd’hui, il vint un instant pour la voir, malgré l’ennui de rencontrer sa femme. »
Le Narrateur nous introduit dans une situation de petite assemblée de la société de haute classe dans le
salon de mme de Forcheville, où il (le Narrateur) aura de peine à reconnaître duc de Guermantes, ce que
va lui inspirer de se consacrer à la description détaillée de son visage et le changement qui s’est occuru
depuis leur dernière rencontre.

Structuration de l’extrait
1) La transformation d’une personnage faute du temps écoulé
a)L’image de comparaison de personnage avec quelque chose qui appartient à la nature morte
(ruine, rocher) pour approcher le lecteur au niveau de la vieillesse du personnage
2) Les allusions de la mer et la tempête entrecroisées dans la description

Explication

 Dans la première phrase de cet extrait « Je ne l’avais pas aperçu et je ne l’eusse sans doute pas
reconnu, si on ne me l’avait clairement désigné. » on aperçoit la difficulté de Narrateur de
reconnaître le visage d’une personne assez proche de lui (en tout cas qu’il connaissait depuis
longtemps). La difficulté de « apercevoir » et de « reconnaître » une chose que son appareil
observatoire note ou devrait noter tout de suite. Il fallait lui « clairement désigner » pour qu’il
puisse être conscient de la personne trouvée devant lui. Tout son étonnement a été subtilement
exprimé dans cette phrase conditionnelle.
La petite introduction contenue dans la première phrase, nous rend compte et nous fait entrer dans
un épisode consacré à la description en détail du visage de duc de Guermantes. (et peut-être nous
introduit dans le monde de physionomie, encore une fois ?)
Donc, le visage, que le Narrateur va nous décrire en détail dans les prochaines lignes, a éprouvé
une grande transformation provoquée par le Temps écoulé et la conséquence inévitable de la
vieillesse.
Est-ce qu’on est capable de réaliser le changement déroulé sur le visage de duc de Guermantes ?

 « Il n’était plus qu’une ruine, mais superbe, et moins encore qu’une ruine, cette belle chose
romantique que peut être un rocher dans la tempête. » On y voit la comparaison avec la nature
morte que le Narrateur a fait en décrivant le personnage. Cela peut provoquer le sentiment de la
mort proche de personnage, où de cette étape de vieillesse du personnage qui l’approche à la
nature morte.
« il n’était plus qu’une ruine, mais superbe» Est-ce qu’une ruine peut-elle être superbe ? Dans ce cas,
bien sûr que oui. Dans le monde de Proust tout est possible. Contraste inévitable à apercevoir. Ainsi que
la personnification
Dans cette phrase complexe comme s’il voulait dire que maintenant on peut voir juste le reste d’une
personne. Il n’y a plus d’image d’un homme. Ce qui est devant nous, l’objet de description du Narrateur
n’est pas une personne. C’est ce qu’il a resté d’une personne. Une ruine, ou moins encore… Une chose ?
La comparaison avec « belle chose romantique que peut être un rocher dans la tempête » nous fait penser
qu’il s’agit d’une intonation ironique, surtout avec le mot romantique. C’est tout à fait clair que cette
description appartienne, comme toutes les autres de cette œuvre, au monde de subjectivité.
 « Fouettée de toutes parts par les vagues de souffrance, de colère de souffrir, d’avancée
montante de la mort qui la circonvenaient, sa figure, effritée comme un bloc, gardait le style, la
cambrure que j’avais toujours admirés ; elle était rongée comme une de ces belles têtes antiques
trop abîmées mais dont nous sommes trop heureux d’orner un cabinet de travail. »
Fouettée, le mot désignant et provenant du fouet un moyen pour torturer, utilisé à provoquer de douleur,
est dans ce cas-là utilisé d’une manière figurative et dans la plupart des cas utilisé dans un contexte
négatif. Fouettée par… la souffrance, la colère, l’avancée montante de la mort. Il décrit le visage du duc
comme « fouetté par les vagues de souffrance » au lieu de dire, par un seul mot, peut-être « épuisé » ?
« exténué » «à bout de force », « fatigué ».
Dans les mots « d’avancée montante de la mort qui la circonvenaient » Narrateur accentue d’une manière
poétique que notre personnage a atteint ses âges où sa génération (et même les plus jeunes- à cause de la
Guerre) commence à disparaître. Ce n’est pas la première fois que Narrateur inclus la comparaison avec
la mer ex. « vagues de souffrance ».
Deux comparaisons :
a) « effritée comme un bloc » encore une fois comparaison avec la nature morte
Et b) « belles têtes antiques »
La tête du Duc est décrite en comparaison avec un buste d’une grande valeur esthétique.
« gardait le style, la cambrure que j’avais toujours admirés » syntagmes prononcés comme si Narrateur a
décidé d’amuser le public en confessant et en désignant les particularités de sa propre opinion (on le voit
précisément dans la proposition relative).
Une description assez ironique, faite d’une façon comédienne, dans le but de se moquer et tout cela avec
du style d’un mondain.
 Dans la phrase suivante on peut voir encore la description de visage du Duc « Elle paraissait
seulement appartenir à une époque plus ancienne qu’autrefois, non seulement à cause de ce
qu’elle avait pris de rude et de rompu dans sa matière jadis plus brillante, mais parce qu’à
l’expression de finesse et d’enjouement avait succédé une involontaire, une inconsciente
expression, bâtie par la maladie, de lutte contre la mort, de résistance, de difficulté à vivre. » et il
continue jusqu’aux plus petites détailles.
Elle se réfère à la figure de notre personnage décrit (qui est ici comparée avec un buste d’une
beauté extraordinaire). Narrateur perçois la figure de notre personnage par les mots rude et
rompu et il la compare avec l’image de sa figure à l’époque. Il la compare avec une idée ou un
souvenir qu’il a gardé dans la tête et nous y exprime élégamment.
Narrateur nous y mentionne de l’inconscient exprimé sur le visage. « …à l’expression de finesse
et d’enjouement avait succédé une involontaire, une inconsciente expression, bâtie par la
maladie, de lutte contre la mort, de résistance, de difficulté à vivre. » cette énumération nous rend
compte que l’auteur s’intéressait aussi à la psychologie de l’inconscient. L’inconscient, la
distraction provoquée par nos propres pensées… La négativité présentée dans l’esprit (plus
fréquentes pendant avec les années passées), les émotions y attrapés, la résistance aux lois de la
nature qui caractérisent la plupart des gens, laissent de la trace sur le visage d’une personne.
Comme si après un certain temps toutes les pensées et les émotions sont gravés sur le visage. Ils
sont visibles. La peur déguisée dans les idées de la maladie, de la mort faire échapper toute la joie
de vivre et nous implique dans un contexte proche de la mort.

 « Les artères ayant perdu toute souplesse avaient donné au visage jadis épanoui une dureté
sculpturale. » On peut noter encore une comparaison sous-entendue avec un buste dans les mots
« une dureté sculpturale ». Donc, la tête du Duc est représentée comme quelque chose qui
appartient plutôt à la nature morte que vivante. Comme si le personnage est déjà une jambe à sa
tombe.
Peut-être que cette comparaison sculpturale répétée peut être considérée comme une atténuation
de l’état réelle du personnage dont on parle. Une sorte d’euphémisme ?
Dans la phrase on peut sentir encore des indices et des traces de comparaison avec la mer
 « Et sans que le duc s’en doutât, il découvrait des aspects de nuque, de joue, de front, où l’être,
comme obligé de se raccrocher avec acharnement à chaque minute, semblait bousculé dans une
tragique rafale, pendant que les mèches blanches de sa magnifique chevelure moins épaisse
venaient souffleter de leur écume le promontoire envahi du visage. »
Ici on peut réaliser la description des gestes, des mouvements du personnage. L’énumération des parties
du corps est caractérisée par l’acharnement, comme si dans tout son être, le Duc se battait d’y être
présent. Ou si on peut dire comme s’il était en train de se noyer dans la mer. Dans les mots « magnifique
chevelure moins épaisse venaient souffleter de leur écume le promontoire envahi du visage » on peut
apercevoir la métaphore que le Narrateur a fait en comparant les cheveux de personnage avec la mer soit
l’écume de la mer (en référant à la couleur mais aussi peut-être à leur existence temporaire) et le visage
comme le promontoire- ou cette chosification est arrivée à son extrémité.

Et dans la dernière phrase complexe de cet extrait :


 « Et comme ces reflets étranges, uniques, que seule l’approche de la tempête où tout va sombrer
donne aux roches qui avaient été jusque-là d’une autre couleur, je compris que le gris plombé
des joues raides et usées, le gris presque blanc et moutonnant des mèches soulevées, la faible
lumière encore départie aux yeux qui voyaient à peine, étaient des teintes non pas irréelles, trop
réelles au contraire, mais fantastiques, et empruntées à la palette, de l’éclairage, inimitable dans
ses noirceurs effrayantes et prophétiques, de la vieillesse, de la proximité de la mort »
L’étonnement du Narrateur est exprimé ici plus directement. Tout est marqué par la couleur
grise. Grise plombé. Si la mort est marquée par la couleur noire, comme l’obscurité complète, ici
on peut noter même avec les nuances de couleur, qu’on s’est bien approché à ce terme (comme
il, le Narrateur le confirme dans les derniers mots de l’extrait).
joues raides et usées, des mèches soulevées, yeux qui voyaient à peine… tout cela, qui représente la
masque, la transformation du Duc presque irréelle, d’une manière unique, semblait au Narrateur
« fatastique », digne de l’admiration et l’attention.
Conclusion

Cet extrait nous présente l’une des images le plus fréquente dans l’œuvre de Proust : la description d’un
portrait. Le personnage de duc de Guermantes est complétement transfiguré selon la propre perception du
Narrateur. On peut le noter dans la façon dont il voit toute la complexité du personnage, la manière dont il
l’a décrit- la manière d’écriture assez poétique, le vocabulaire utilisé *les comparaison) et celui qui est
employé surtout dans la poésie. Suivi par la phrase complexe comme le signe marquant de l’écriture
proustienne. L’auteur nous expose ici ce qui se passe dans la tête du Narrateur, Marcel, dans sa pensée et
c’est dans cette manière que les images sont présentées (donc d’une manière subjective). Le personnage
de duc de Guermantes trouvé au seuil de la mort vu et décrit dans sa totalité par les yeux de Narrateur.

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