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L E S C H A M P S L E X I C A U X
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Paul Éluard
a littérature est l'alchimie par laquelle les choses, les idées, les êtres
deviennent des mots. On ne cherche souvent chez eux que leur fonction
référentielle : simple traduction du réel, ils renverraient à des données
objectives qu'ils se contenteraient de désigner. Or, dans le texte littéraire, les
mots ne renvoient qu'à eux-mêmes, à leur propre charge poétique : leur choix
décalé, leurs connotations, leurs sonorités évoquent souvent tout autre chose
que la "réalité". Ainsi parler de "champ lexical", au sens où les mots constituent
parfois un ensemble cohérent renvoyant à un même "domaine", suppose que
l'on définisse utilement cette notion devenue très systématique dans l'analyse
littéraire.
Commençons par un inventaire simple de termes qui, par leur affinité de sens,
sont susceptibles de constituer un champ lexical :
Ainsi identifiés, ces champs lexicaux constituent, bien sûr, un outil intéressant.
Ils pourraient ici mettre en valeur la particularité chez Baudelaire d'un vieux
thème lyrique : l'angoisse d'un Temps inéluctable et ravageur progresse en
images à la fois réalistes et hallucinées (voir aussi le poème intitulé Spleen).
Mais, notamment dans le langage poétique, les mots sont trop chargés
de connotations pour qu'on puisse toujours les asservir à leur
seule dénotation. Cette contestation de l'asservissement des mots à un « thème
» nous amène maintenant à approfondir la notion de champ lexical :
I - Thème ou métaphore obsédante ? Champ ou réseau lexical ?
Regardons le texte suivant :
[L'ouvrier Goujet fait visiter à Gervaise la forge où il travaille - Émile Zola : L'Assommoir
, 1877.]
Elle ne voyait rien encore, tout dansait. Puis, comme elle éprouvait au-dessus
de sa tête la sensation d'un grand frôlement d'ailes, elle leva les yeux, elle
s'arrêta à regarder les courroies, les longs rubans qui tendaient au plafond une
gigantesque toile d'araignée, dont chaque fil se dévidait sans fin ; le moteur à
vapeur se cachait dans un coin, derrière un petit mur de briques ; les courroies
semblaient filer toutes seules, apporter le branle du fond de l'ombre, avec leur
glissement continu, régulier, doux comme le vol d'un oiseau de nuit.
Convenons donc qu'un champ lexical ne fait vraiment sens que s'il est perçu
grâce au décalage que les mots manifestent à l'égard des représentations
habituelles ou commandées par le réel. On appellera ainsi champ
lexical l'ensemble des termes qui renvoient par dénotation à un même thème.
Pour y ajouter l'ensemble des termes qui y renvoient aussi
par métaphore ou connotation, on parlera plus judicieusement de réseau
lexical.
II - Les connotations :
L'analyse littéraire s'enrichit d'un sens second des mots, qu'on appelle la
connotation (voir des exemples de connotations à l'œuvre dans une image
publicitaire). Échappant au sens utilitaire assigné par les dictionnaires (la
dénotation), les mots ont en effet un pouvoir d'évocation que leur donnent les
référents culturels auxquels ils peuvent être associés (le nom Parme fera
penser à Stendhal, mais aussi au jambon, à la violette, au fromage et vous fera
tour à tour rêver, sentir ou saliver !) mais aussi leurs sonorités. Votre relevé de
champs ou de réseaux lexicaux sera beaucoup plus riche d'interprétations si
vous pensez à les constituer aussi autour de leurs connotations.
Plusieurs connotations sont à l'œuvre dans ce texte :
- des connotations culturelles : elles seront plus ou moins sensibles au lecteur
selon son degré de culture. Dans le texte, l'association de Bayeux et de la
dentelle est naturelle si l'on connaît la vieille tradition dentellière de cette ville ;
les coiffes bretonnes de Pont-Aven justifient l'envolée de l'aile ; le coche,
appelant le souvenir d'une fable de La Fontaine, est donc suivi de la mouche...
- des connotations phonétiques : Le son yod final de Bayeux appelle celui du
vieil or, Lannion fait sans doute penser à la lanière du cocher, Bénodet à ces
plantes aquatiques qu'on appelle des élodées ; dans Pont-Aven, on reconnaît
aussi l'aile de l'oiseau (latin avis) et de l'avion; Quimperlé enferme
naturellement une perle et la diphtongue finale de Coutances appelle le rance
du beurre ; le nom Lamballe contient les phonèmes du mot blanc... Questambert
est lié à la référence triviale du camembert et les contorsions du rire rendent
risible la ville de Pontorson !
- on peut même parler de connotations graphiques, l'accent aigu de Vitré
figurant l'encadrement d'un vitrage.
On voit comment les mots s'enferment dans leur univers, qu'ils rendent
signifiant sans que le "réel" fournisse ses clés de fer blanc !
Documents :
« Le nom de Parme, une des villes où j'ai désiré le plus aller depuis que j'avais lu La
Chartreuse, m'apparaissait comme compact, lisse, mauve et doux, si on me parlait
d'une maison quelconque de Parme, on me causait le plaisir de penser que j'habiterai
une demeure lisse et compacte, mauve et douce, puisque je l'imaginais seulement à
l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce
que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et de reflet de violet. Et quand je
pensais à Florence, c'était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable
à une corolle, parce qu'elle s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie des
Fleurs. »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann.
« Le langage tout entier est [pour le poète] le Miroir du monde. Du coup, d'importants
changements s'opèrent dans l'économie interne du mot. Sa sonorité, sa longueur, ses
désinences masculines ou féminines, son aspect visuel lui composent un visage de chair
qui représente la signification plutôt qu'il ne l'exprime. Inversement, comme la
signification est réalisée, l'aspect physique du mot se reflète en elle et elle fonctionne à
son tour comme image du corps verbal. Comme son signe aussi, car elle a perdu sa
prééminence et, puisque les mots sont incréés, comme les choses, le poète ne décide
pas si ceux-là existent pour celles-ci ou celles-ci pour ceux-là. Ainsi s'établit entre le mot
et la chose signifiée un double rapport réciproque de ressemblance magique et de
signification.»
Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature ? © Gallimard 1948.
« Florence est ville et fleur et femme, elle est ville-fleur et ville-femme et
fille-fleur tout à la fois. Et l'étrange objet qui paraît ainsi possède la liquidité
du fleuve, la douce ardeur fauve de l'or et, pour finir, s'abandonne
avec décence et prolonge indéfiniment par l'affaiblissement continu de l'e muet
son épanouissement plein de réserves. A cela s'ajoute l'effort insidieux de la
biographie. Pour moi, Florence est aussi une certaine femme, une actrice
américaine qui jouait dans les films muets de mon enfance et dont j'ai tout
oublié sauf qu'elle était longue comme un long gant de bal et toujours chaste,
et toujours mariée et incomprise, et que je l'aimais, et qu'elle s'appelait
Florence. »
Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature ? © Gallimard 1948.
Michel LEIRIS, Glossaire : j'y serre mes gloses ("La Révolution surréaliste", n°3
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter
leurs relations mutuelles. C'est dans ce but d'utilité qu'ils rédigent des dictionnaires, où
les mots sont catalogués, doués d'un sens bien défini (croient-ils), basé sur la coutume
et l'étymologie. Or l'étymologie est une science parfaitement vaine qui ne renseigne en
rien sur le sens véritable d'un mot, c'est-à-dire la signification particulière, personnelle,
que chacun se doit de lui assigner, selon le bon plaisir de son esprit. Quant à la coutume,
il est superflu de dire que c'est le plus bas critérium auquel on puisse se référer.
Le sens usuel et le sens étymologique d'un mot ne peuvent rien nous apprendre sur
nous-mêmes, puisqu'ils représentent la fraction collective du langage, celle qui a été faite
pour tous et non pour chacun de nous.
III - La polysémie :
Un mot est susceptible d'accepter plusieurs sens. C'est ce que l'on appelle la
polysémie. C'est pourquoi il est impossible de constituer un champ lexical en
dehors du tissu d'un texte qui les organise et les fait signifier selon son
intention de communication.
Attention à cette polysémie des mots et donc à ce que leur fait dire leur
contexte ! Lisez le texte suivant, qui est une lettre d'amour. Mais, après l'avoir
lue, prenez connaissance de l'indication que nous vous donnons et relisez la
lettre pour constituer un tout autre champ lexical !
Nous avons affaire ici à une double énonciation : dans la lettre précédente,
Valmont a en effet révélé à la marquise de Merteuil - et au lecteur -avoir écrit ce
message au cours d'une nuit d'amour avec la courtisane Émilie et en se servant
de son corps pour pupitre ("l'autel sacré de l'amour" !). Lettre, dit-il,
« interrompue même pour une infidélité complète, et dans laquelle je rends [à
Mme de Tourvel] un compte exact de ma situation et de ma conduite. Émilie, qui
a lu l'épître, en a ri comme une folle et j'espère que vous en rirez aussi. »
Un mot peut en cacher un autre !
IV - Outils de lexicométrie :
Internet offre une fonctionnalité particulièrement intéressante en matière de
recherche lexicale, puisqu'il est possible de comptabiliser les occurrences des
mots que vous choisirez d'étudier dans tel texte ou dans telle œuvre intégrale.
Nous vous proposons deux sites où ce travail est possible :
- sur ABU
- sur Weblettres, la page "Lexicométrie" (dont nous avons la charge) :
indexation de liens concernant la documentation, les logiciels et les
applications.