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Le rap, outil d’expression féminine Manar Attiya Hebdo Al Ahram 24-06-2015

Écrit et chanté par des jeunes rappeuses, l'album Bent Al-Massarwa aborde, dans une expérience
inédite, les difficultés des femmes dans la société égyptienne.

«On nous répète toujours que nous sommes des filles, qu’il
nous est défendu de parler, de protester, que notre voix est
un affront tout comme notre corps. Mais, c’est à nous de
changer les mentalités, et pour cela, il faut une révolution »,
tel est un extrait de la chanson Horriyati (ma liberté) de
l’album Bent Al-Massarwa .

«Tu me regardes mais je n’ai pas honte. Tu siffles et tu me harcèles et tu penses que c’est bien. Mais ce
ne sont pas mes vêtements qui sont inappropriés. C’est ta façon de penser et c’est toi qui es à blâmer »,
chante Israä Saleh, âgée de 26 ans et diplômée de la faculté de droit. Elle est douée dans l’écriture et
travaille depuis deux ans avec une troupe de théâtre. Elle apparaît sur scène en robe à manche courte,
alors qu’elle portait avant le voile. C’est son père qui le lui avait imposé. « Pour mes parents, le rap est
une musique indécente. Ils n’ont commencé à l’accepter qu’en écoutant mes chansons », rapporte Israä.
Et d’ajouter : «Nous, les filles et les femmes, avons besoin d’une double révolution, l’une contre les
dictateurs qui ont ruiné nos pays et l’autre contre un ensemble de coutumes et de traditions qui
entravent l’émancipation de la femme ».
C’est à travers le rap que les filles ont trouvé le moyen d’aborder des sujets tabous tels que la frustration
dont elles font l’objet. Elles appuient sur la nécessité de l’égalité entre les deux sexes et parlent de la
discrimination contre les femmes.
«Ma vie est un long combat … dont je ne vois pas la fin … Pourquoi voulez-vous transformer ma vie en
un calvaire ? … », chante Mayam Mahmoud. Sur scène, Mayam porte son voile, un chemisier blanc et
une jupe serrée. Elle tente de s’imposer avec ce style musical très masculin face à une société réputée
pour son conservatisme. Quelques spectateurs connaissent déjà cette jeune rappeuse de 20 ans,
étudiante en sciences politiques à l’Université du Caire. En fait, peu de gens peuvent comprendre le
message que veut transmettre cette jeune fille qui se sent opprimée par la société. « Les gens pensent
qu’on imite l’Occident, ce monde qui, selon eux, est pervers et impie », regrette Mayam qui, tout en
parlant, saisit un clou de 10 cm et ajoute sèchement : « D’habitude, je l’utilise pour attacher mes
cheveux. Mais un jour, alors que j’étais parmi une foule de gens, un homme m’a touchée. Je lui ai planté
le clou dans la main. Depuis, j’en transporte toujours un avec moi ».
Tout le long du spectacle, les jeunes rappeuses chantent avec brio, sans craindre d’être censurées. Elles
abordent avec dérision et intrépidité des sujets comme l’injustice, le chômage, la pauvreté, la corruption,
la frustration sexuelle, la violence contre les femmes, et même des sujets d’ordre politique.
L’idée de cet album vient de Nada Riyad, productrice de l’album. « A travers notre musique et nos textes,
nous voulons transmettre un message à la société. Nous avons choisi le rap parce que c’est un style de
musique qui permet de s’exprimer plus librement », explique-t-elle.
«Nous sommes toujours jugées selon notre apparence. On nous indique toujours ce qu’il faut por ter, ce
qu’il faut faire. On a droit à des remarques sur la façon de nous coiffer, de nous maquiller ou de nous
habiller, sur mes cheveux et mon look », s’indigne la rappeuse Marina Samir, étudiante en économie à
l’Université allemande.
Imane Salaheddine, compositrice, explique que le rap est une musique contestataire qui s’est propagée
parmi les jeunes du monde arabe, pris entre chaos et incertitude. «Pour exprimer leur colère et leur
envie de changement, les jeunes ont choisi une langue commune au ton rude, complètement
étrangère à leurs aînés », constate-t-elle.

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