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Charles Ateba Eyene est devenu une personnalité politique à part entière cette année,

grâce au succès de son dernier livre qui stigmatise la gestion du pouvoir par l’élite de la
province du Sud dont est originaire le président Paul Biya. À la fois militant du parti au
pouvoir et virulent pourfendeur du système, ce tribun aux méthodes souvent contestées
suscite des interrogations, qu’il transforme en autant d’arguments. Rencontre à Mfou avec
un homme sous pression.

Il a jeté un pavé dans la mare avec son ouvrage Les paradoxes du pays organisateur sorti le 19
juin dernier. Depuis, c’est un succès de librairie – fait rarissime au Cameroun ! C’est aussi une
nouvelle référence dans les salons huppés de la capitale, un phénomène bienvenu dans les
medias, dans les arènes politiques et même dans les chaumières. Certains célèbrent l’auteur qui,
dit-on, est venu dire tout haut ce qui depuis longtemps se disait tout bas. D’autres tentent de
relativiser. Fervent militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti
au pouvoir) Charles Ateba Eyene s’illustre par des critiques acerbes contre ses frères de chapelle.
Ses récentes publications et ses sorties médiatiques ne distillent que du fiel à l’encontre des
pontes du régime Biya. D’où le qualificatif d’empêcheur de tourner en rond qui lui colle désormais
à la peau. Lui se dit simplement puriste et surtout fin analyste de l’idéologie présidentielle : « Le
RDPC a une doctrine qui n’est pas suivie. Les principes de rigueur, de moralisation et de justice
sociale prônés par Paul Biya ne sont pas respectés. Ces principes m’ont amené dans le parti, d’où
mon combat qu’on les respecte. J’ai fait miens les mots éthique, mérite, norme. Je rejette la
médiocrité ». À la question de savoir s’il ne cherche pas un poste ou un positionnement
quelconque, Ateba Eyene marque un temps d’arrêt, histoire de mesurer son propos. « Un poste
pour un poste ne me dit rien. Je veux bien d’un poste s’il cadre avec mes aspirations, mon profil,
mes potentialités », lâche-t-il.

Si les ambitions sont masquées, les prises de parole sont retentissantes. Brillant orateur à l’accent
Beti très marqué, souvent passionné, parfois pédagogue, toujours les pieds dans le plat, l’homme
est devenu le chouchou des débats radiophoniques ou télévisés bien avant la sortie de son livre-
événement. Multipliant les tacles verbaux, Ateba Eyene s’est progressivement taillé un costume
d’électron libre spécialiste de la critique contre son camp.

Tireur « d’élites »

Celui qu’on confondait au début avec son presque homonyme Théodore Ateba-Yene (auteur, lui,
du fameux livre Mémoire d’un colonisé) s’est fait un nom, à force de noircir des pages. Sa dernière
livraison, déjà remarquable par le titre (Les paradoxes du pays organisateur, élites productrices ou
prédatrices : le cas de la province du Sud-Cameroun a l’ère Biya (1982-2007) cloue au pilori l’élite
originaire de la même province que le chef de l’Etat. Celle-ci, selon lui, est la cause du retard de
développement multisectoriel qu’accuse la région. L’essayiste stigmatise la « mentalité
rétrograde » qui annihile l’intelligence des populations et de la génération montante. Sur près de
deux cents pages, il examine quatre échecs majeurs: l’annulation du comice agropastoral
d’Ebolowa, l’aménagement du port en eau profonde et l’usine à gaz de Kribi, l’érection du
sanctuaire à gorilles de Mengame et le nébuleux barrage hydroélectrique de Memvé’Elé. De
manière générale, évalue-t-il, les thuriféraires du régime, au lieu de contribuer au désenclavement
abandonnent les populations, affichent leur richesse et accaparent les domaines fonciers des
paysans. Ateba Eyene préconise « un changement radical de mentalité du peuple car l’élite ne
sert à rien».

Certains membres de l’élite indexée ont tenté de prendre le contre-pied de ce brûlant réquisitoire
en indiquant que le président de la République est la première élite du Sud. Peine perdue. Ateba
Eyene se jette sur l’idée pour asséner que Paul Biya est le président de tous les Camerounais et
que lui au moins a essayé d’aider sa région en nommant ses « frères » à des postes juteux.
D’autres attaquent la probité morale du chercheur qui aurait publié des confidences faites « en
off » par des aînés. D’autres encore se gaussent de la forme du texte qui, il est vrai, s’égare dans
quelques confusions méthodologiques. Mais le sémillant militant n’en a cure. Ceux qui ont
coutume de lire savent qu’il laisse souvent errer sa plume, ses textes épousent rarement une
forme unique de discours et rament entre récit, interview, essai, pamphlet…

Un pamphlétaire à bonne source

Quand le débat s’étend au reste du pays, on lui reproche d’avoir un parti pris tribal. L’œuvre
suscite également des interrogations quant aux sources d’information de l’auteur. D’aucuns
veulent mettent en exergue sa proximité avec le général Pierre Semengue (qui est de son village
et dont il a écrit la biographie), un personnage mythique supposé maîtriser les rouages de la
République. En pleine Opération Epervier, du nom de la campagne de lutte contre la corruption
qui a vu l’incarcération de plusieurs hauts responsables du régime originaires du Sud, ce
document qui aurait été validé par le Cabinet civil voire adoubé par le Prince lui-même, subit aussi
des soupçons d’instrumentalisation politicienne. Sur ces questions et bien d’autres, Ateba Eyene
reste coi mais promet une réponse sous peu dans le tome II des Paradoxes du pays
organisateur à paraître.

Né le 15 janvier 1972 à Bikoka dans le département de l’Océan, province du Sud, Charles


Sylvestre Ateba Eyene fait ses premières années d’études à l’école du village. Élève au CES de
Lolodorf puis au lycée de Bertoua dans la province de l’Est où il obtient le baccalauréat, il
débarque à l’Université à Yaoundé pour y décrocher une licence en lettres. Il entre alors à l’Ecole
supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic), filière
Relations publiques. C’est pendant son séjour dans cette institution qu’il rencontre son mentor
Jacques Fame Ndongo avec qui il effectue ses premiers pas en politique, au sein du RDPC. Il y
apprend les rudiments du militantisme dans la branche jeune du parti et publie l’ouvrage Paul Biya
et l’intégration sociopolitique des jeunes. Peu après, il crée le Club Ethique du Cameroun et sort
son deuxième livre, La jeunesse camerounaise et l’éthique de responsabilité. Il enchaîne avec une
bonne dizaine de publications dont la thématique oscille entre son parti, des biographies, des
enquêtes et des essais. Il y récoltera deux procès et l’essentiel de ses avoirs. Marié à Suzanne,
sa compagne de galère à l’université aujourd’hui professeur des écoles et mère de ses enfants,
Charles est fonctionnaire depuis une dizaine d’années mais continue de se former. Il prépare un
3e cycle en communication politique pour « libérer les gens de l’ignorance ». L’homme se
positionne comme un libre-penseur que rien ni personne n’arrachera à son idéal. Même pas un
poste « juteux ». Comme il fait de la politique, on dira que c’est sa position du moment.

Irène Mbezele

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