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Jacques Duran
12 Novembre 1996
2
Table des matières
1 Introduction 5
1.1 Ordres de grandeur et situation du problème . . . . . . . . . 5
1.2 Enjeux économiques et problèmes industriels . . . . . . . . . 7
1.2.1 Traitement industriel de la matière granulaire . . . . . 8
1.2.2 Problèmes d’écoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2.3 Problèmes de ségrégation . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.3 Les matériaux granulaires et la géophysique . . . . . . . . . . 22
1.4 Un peu d’histoire... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.5 Considérations générales - bibliographie de base . . . . . . . . 26
3
4 TABLE DES MATIÈRES
Introduction
1
Ec = mv2 ' 10−12 Joule
2
En supposant la particule animée d’énergie thermique, cette énergie
cinétique correspondrait à une température de 1011 K. Si on calcule main-
tenant la variation ∆Ep de son énergie potentielle pour une chute d’une hau-
teur égale à son diamètre, correspondant à un écoulement dans lequel les par-
ticules perdent leur énergie potentielle en dévalant la pente tout en restant
en contact, on trouve encore une quantité du même ordre de grandeur :
5
6 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
tels que les pâtes, boues et autres mélanges concentrés, dans lesquels les
particules sont en interaction avec un fluide ambiant. Faute de pouvoir faire
mieux, nous limiterons provisoirement notre étude à des ensembles de partic-
ules de formes bien définies (en général, sphériques ou cylindriques) et dont
les propriétés micromécaniques sont bien maı̂trisées. Auparavant et afin de
persuader le lecteur que les milieux granulaires constituent un challenge
fondamental aussi bien en matière économique qu’en physique de base, nous
allons évoquer brièvement quelques domaines d’utilisation de ces matériaux
et quelques problèmes fondamentaux que nous considérerons plus en détail
dans la suite de cet ouvrage. Dans un autre registre mais dont l’importance
humaine est considérable, on peut remarquer que les matériaux granulaires,
plus ou moins complexes, sont au cœur de la géophysique. Il faut d’ailleurs
reconnaı̂tre que les géophysiciens ont souvent précédé les physiciens dans la
définition de certains concepts que nous évoquerons dans la suite .
En réalité, les lois physiques qui régissent le comportement de la matière
granulaire s’applique à des objets dont les dimensions s’étendent sur plusieurs
ordres de grandeur. Entre le comportement collectif de grains de quelques
centaines de microns et la dérive des blocs de glace2 qui couvrent les mers
polaires (sur des distances de l’ordre du millier de km), ou encore les com-
posants solides des anneaux de Saturne (particules glacées de l’ordre du cm
sur des épaisseurs de l’ordre du km), on voit que l’étude de la matière en
grains intéresse des ensembles couvrant, au moins, douze ordres de grandeurs.
On perçoit mieux l’intérêt d’entreprendre une étude fondamentale de
ces problèmes lorsque l’on réalise que la matière en grains présente, quels
que soient l’ordre de grandeur et la nature des objets concernés, des com-
portements universels. Ainsi, la ségrégation et les blocages d’écoulements
plus ou moins intermittents sont des phénomènes que l’on peut observer de
manière constante dans de nombreux processus impliquant des matériaux
granulaires. Il est donc possible d’effectuer une classification à partir de ces
phénomènes. Néanmoins et sans souci d’exhaustivité, nous allons plutôt,
dans la suite de cette section, évoquer brièvement quelques techniques ou
procédés qui font intervenir ces phénomènes de convection, de ségrégation
et de blocages par effet de voûte, très fréquents dans le traitement industriel
de la matière en grains et que nous étudierons plus en détail dans la suite.
L’empilement d’Apollonios (200 avant JC) vise à paver le plan aussi complètement que
possible avec des cercles de tailles variées. Cet objet est auto-similaire.
C’est sans doute en partant de cette idée que les industriels ont pensé à
inclure, dans leurs mélanges sophistiqués destinés à la fabrication des bétons
à haute résistance, des granulats de tailles variées s’étendant sur plusieurs or-
dres de grandeur. Le plus fin de ces composants (de taille submicronique) est
nommé fumée de silice ; son coût est très élevé, mais il a permis de produire
des bétons dont la résistance est telle qu’il est désormais envisageable de
construire des tours d’habitations d’une hauteur d’un kilomètre8 , ainsi que
la ville de Tokyo a projeté de le faire. On imagine cependant les difficultés
rencontrées pour mélanger ces granulats de manière compacte, idéalisée par
le dessin ci-dessus, sans agglomérats de particules identiques, dans un milieu
granulaire que l’on sait soumis à des phénomènes de ségrégation de taille.
Il faut bien constater que tout en ignorant la description physique ef-
froyablement complexe de ces empilements, les industriels du béton et des
granulats, riches d’expérience, sont passés maı̂tres dans l’art de réaliser,
le plus souvent en présence de liquides liants, des édifices complexes dans
lesquels chaque grain trouve sa place. Il est clair que, dans ce domaine, l’-
expérimentation systématique a déjà répondu à la question mais avec des
coûts de fabrication très élevés qui confinent ces matériaux à la construction
7
Il existe d’ailleurs une maxime arabe dont la signification est à peu près celle-ci : “Tu
crois que ton panier est plein lorsque tu l’as rempli avec des oranges. En réalité, il est plein
de vide car tu peux encore y mettre des noix, puis des pois chiches.”
8
La qualité d’un béton à haute résistance peut d’ailleurs être exprimée comme la hau-
teur d’une colonne dont la base est de 1m×1m et qui ne s’écroule pas. On a gagné, sur
cette hauteur maximale, plus d’un ordre de grandeur en quelques années.
1.2. ENJEUX ÉCONOMIQUES ET PROBLÈMES INDUSTRIELS 11
Le remblai d’une route avec un bulldozer permet d’observer l’effet de ségrégation par
cisaillement que l’on étudiera au chapitre 5. La concentration des grosses pierres est
beaucoup plus grande à la surface du remblai qu’à l’intérieur du talus.
sable
sable tassé
métal fondu
Principe de fonderie par polystyrène perdu. La partie droite du dessin représente une
application industrielle dans laquelle on réalise une sorte de “sapin” porteur de plusieurs
modèles à reproduire en fonderie. C’est cet édifice qui se dégrade au cours de la
préparation à cause de la convection granulaire.
laissés par le modèle. Il faut donc agir de manière plus subtile en conservant
la convection utile tout en supprimant la convection violente indésirable.
Des solutions existent mais qui font appel à des procédés et à des granulés
dont les prix de revient interdisent l’usage dans un processus de grande
série. Le procédé ne peut être amélioré que par une adéquation entre les
exigences imposées par la physique et une bonne gestion des prix de revient
qui tempère largement l’idéal du physicien.
Cet exemple offre une illustration d’un mécanisme classique en matière
d’applications des découvertes de la physique et qui s’applique tout partic-
ulièrement au domaine qui nous intéresse. En bref, il ne suffit pas de pro-
poser des solutions, il faut aussi composer avec les impératifs économiques.
En matière de granulats à très faible valeur ajoutée, on conçoit bien que
les progrès scientifiques doivent être réellement décisifs pour convaincre les
industriels d’investir dans de nouveaux procédés.
Dans les domaines de la chimie préparative et de la pharmacochimie, les
problèmes sont particulièrement nombreux et variés. Nous allons brièvement
évoquer quelques situations typiques.
Les poudres et autres granulés sont d’un usage universel en pharmacolo-
gie. Les exigences modernes en matière de préparations pharmaceutiques
sont assez variées. Par exemple, il s’agit de mélanger plusieurs éléments
éléments à effets multiples et (ou) complémentaires qui soient d’absorption
aisée et, autant que possible, agréables au goût. Ceci nécessite une sophisti-
cation accrue des méthodes de préparation.
Le meilleur et le plus simple exemple que l’on puisse trouver est la fab-
rication de l’aspirine dont le composant de base, l’acide acétylsalicylique,
présente lorsqu’il est absorbé seul un goût rebutant et des inconvénients
pour l’estomac. On sait que ce produit, dont le brevet est passé dans le
domaine public, a fait l’objet de nombreuses améliorations destinées à en
atténuer les effets désagréables et à en faciliter l’absorption. Le prix de
revient, qui a augmenté en proportion des difficultés surmontées, est jus-
tifié par la complexité de ces opérations qui relèvent, pour beaucoup, de la
physique des matériaux granulaires. Ainsi la poudre de départ que l’on ob-
tient sous forme cristallisée est-elle recompactée, enrobée de polysaccharides
(pour le goût), mélangée avec de l’amidon (pour une dispersion rapide dans
l’eau), pastillée avec de la vitamine C, ce qui donne la couleur jaune d’un
côté, blanche de l’autre (faute de pouvoir mélanger les poudres intimement).
Ces transformations impliquent encore du stockage, du broyage, du trans-
port en conduites, etc, toutes opérations sujettes aux difficultés que nous
verrons ci-dessous.
Un autre exemple célèbre est la production des talcs et autres produits
cosmétiques qui sont le plus souvent constitués de mélanges savants de
poudres et autres granulats. On peut imaginer que le mélange de poudres
par flux convergents qui peuvent temporairement obturer les conduites et
produire des mélanges de composition indésirable, peuvent être à l’origine
1.2. ENJEUX ÉCONOMIQUES ET PROBLÈMES INDUSTRIELS 15
L’industrie agro-alimentaire
Comme chacun sait, l’industrie agro-alimentaire de notre pays constitue
le fer de lance des exportations et se situe d’ailleurs au premier rang mondial.
C’est une industrie en développement depuis de nombreuses années et qui a
réalisé des progrès sensibles dans le conditionnement de ses produits à défaut
d’avoir pu améliorer, de manière significative, ses méthodes de traitement
de base (en particulier de la matière en grains, c’est-à-dire les céréales, la
poudre de lait, le cacao, etc.). Elle dispose d’ailleurs d’un centre de recherches
spécialisé, le Centre d’étude, de recherche et de documentation des industries
agricoles qui regroupe l’ENSIA et des laboratoires de l’INRA. Les industriels
ont pris conscience de ces problèmes et sont actuellement avides de progrès
16 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
(b)
(c)
(a)
Les schémas (a) et (b) représentent l’arrêt d’un écoulement par la formation d’une voûte
à l’orifice d’un sablier ou d’une trémie. Le schéma (c) donne l’allure d’un édifice en forme
de voûte présentant une stabilité maximale (chaı̂nette inversée).
Il est aisé d’observer des voûtes stables se formant spontanément lorsque l’on retourne
un simple tube de verre de 10 mm de diamètre rempli de sable fin (' 100µ)
préalablement tassé. La photographie de gauche donne une vue transversale, la photo de
droite est prise de dessous pour montrer la forme de l’arche s’appuyant sur les parois.
Trois méthodes utilisées dans l’industrie pour essayer de remédier aux blocages par effet
de voûte. Celle de gauche utilise une vis d’Archimède, celle du milieu un tapis roulant
doté d’aspérités. Celle de droite où un ouvrier frappe la trémie avec un maillet, est
fréquemment utilisée dans l’industrie des grains à faible valeur ajoutée.
mélange mélange
Deux procédés utilisés dans l’industrie pour essayer de contourner les problèmes de
ségrégation granulaire. Le principe est identique dans les deux cas : il s’agit de faire
effectuer aux mélanges de grains des parcours susceptibles de les mélanger.
1
A
B
2 A A
B B
A
3 A
B
B
La suite d’opération représentée sur cette figure constitue l’une des formes
de ce que l’on appelle la “transformation du boulanger”, parce qu’elle rap-
pelle, dans son principe, la méthode de fabrication de la pâte feuilletée. On
commence par étirer le sandwich A/B transversalement, comme cela est in-
diqué sur la figure (étape 2). Puis on superpose les deux parties coupées
(étape 3) et l’on obtient un nouveau sandwich de structure A/B/A/B qui
nous ramène à l’étape 1. On étire chacun des sandwiches perpendiculaire-
ment à l’étirement précédent de manière à restituer à l’objet sa surface
initiale. On voit que le nombre de feuillets après N opérations est égal à 2N .
On poursuit ces opérations jusqu’à ce que les feuillets du mille-feuille soient
d’épaisseur comparable à la taille de la plus grande des particules A ou B.
10
C’est avec des mélangeurs basés sur ce principe que sont réalisés les mélanges com-
plexes de poudres destinés aux propulseurs (boosters) des fusées qui mettent les satellites
en orbite.
22 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
plus souvent des objets plus complexes que ceux qui nous intéressent ici.
C’est ainsi, par exemple, que la physique des sables mouvants constitués de
particules en suspension dans un liquide, relève plutôt de la problématique
des lits fluidisés et d’une discipline différente de celle que nous considérons
dans cet ouvrage.
Dans un autre ordre d’idée, les problèmes des avalanches de neige plus
ou moins surfondue pourraient relever (sans que l’on en soit très sûr) de
modélisations que nous décrirons au chapitre 4. Il faut rester très prudent à
cet égard bien que ces modélisations soient basées sur des fondements heuris-
tiques qui traduisent, dans une certaine mesure, le comportement global des
avalanches quelle que soit leur nature.
Dans le même esprit, on peut considérer qu’il existe une certaine par-
enté entre le phénomène de ségrégation granulaire par cisaillement que nous
étudierons au chapitre 5 et celui du dépôt en strates12 dans les cours d’eau
charriant des roches ou des sables. Cette stratification s’exerce dans la na-
ture sur des échelles énormes, de l’ordre de grandeur de la longueur des
fleuves ou de la taille des montagnes. Elle explique, en partie au moins, le
déplacement des cours d’eau au cours des siècles, les mécanismes d’ensable-
ment des lits des fleuves et bien d’autres phénomènes naturels qui ont une im-
portance écologique considérable. De même, l’érosion par frottement direct
des roches entraı̂nées par le vent ou dévalant des pentes abruptes constitue
un facteur fondamental d’évolution de notre environnement. Il serait utile
de connaı̂tre et de prévoir le comportement de l’ensemble de ces phénomènes
naturels. Cela est peut-être possible, toutes proportions gardées, à partir des
principes que nous examinons dans cet ouvrage lequel constitue donc une
approche élémentaire des mécanismes mis en jeu dans notre environnement
géophysique.
La problématique de l’activité sismique est, sous divers aspects, assez
proche de celle rencontrée en physique des matériaux granulaires secs. Le
difficile problème de la mobilisation et de la rupture des forces de frottement
établit un lien profond entre les préoccupations des géophysiciens et de ceux
qui s’intéressent à la physique de base des granulaires. L’étude du comporte-
ment collectif de particules en contact quasi permanent constitue le cœur de
ces recherches. Il est vrai que les géophysiciens ont affaire à des situations
et à des interactions plus complexes que celles auxquelles nous nous sommes
volontairement limités dans cet ouvrage, puisqu’elles impliquent aussi bien
des effets de cohésion, de fatigue des contacts, d’érosion, d’écrouissage, etc.
que nous ne ferons qu’effleurer. Pourtant, le phénomène de fracturation, qui
est une des bases permanentes de la géophysique se rencontre également, et
sous une forme élémentaire, dans la physique ultrasimplifiée des granulaires,
comme nous le verrons au chapitre 3.
12
Guy Berthault [?] a réalisé un film très instructif sur ce phénomène dont l’étude est
menée à l’Université du Colorado.
24 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
dans un travail de lord Rayleigh [4], publié en 1906 ; le savant anglais cite
l’observation de Roberts, mais non le résultat de Janssen, sans doute parce
qu’il ne le connaissait pas. Notons au passage une analogie intéressante,
suggérée par lord Rayleigh, entre ce problème et la résistance à la traction
d’une corde enroulée autour d’un poteau.
La fin du XIXe siècle a aussi bénéficié de plusieurs travaux fondamentaux,
réalisés autour de 1885 et dus à O. Reynolds [?] qui s’était auparavant
illustré dans le domaine de l’hydrodynamique. Les concepts (notamment
celui de dilatance que nous présenterons au chapitre 3) et les réflexions sur
les angles de talus (chapitre 4), bien que largement discutés, sont encore
d’actualité.
Au XXe siècle, et notamment de 1950 à nos jours, le nombre des chercheurs
et, surtout, des ingénieurs (applications industrielles obligent) qui ont exercé
leur talents dans ce domaine, n’a cessé de croı̂tre. Parmi ceux-ci, on peut
citer au moins un grand nom, celui de R. Bagnold [5] qui, entre 1940 et 1970,
a produit de nombreuses et importantes observations ainsi qu’un livre sur
les dunes désertiques [?]. Depuis cette époque, le nombre des publications
scientifiques sur ce sujet est en augmentation constante, et le foisonnement
actuel est d’ailleurs l’une des premières raisons de l’existence de cet ouvrage,
comme nous l’avons indiqué dans l’avant-propos.
29
30 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
laminaire turbulent
Une sphère en mouvement dans une fluide en régime laminaire et en régime turbulent.
mv 2
Rl = R ∂v
2 I ηπR2 ∂x dx
ρb
Rl ≈ Rv (2.1)
η
Notons au passage que ce problème peut être résolu directement si l’on
se souvient de la formule de la sphère de Stokes. Remarquons aussi que
cette formule 2.1 présente une analogie directe avec la formule du nombre
de Reynolds, qui donne le rapport du flux convectif de la quantité de mou-
vement au flux diffusif d’un fluide en mouvement. On se souvient que ce
nombre de Reynolds Re vaut :
UL ρ
Re = = UL
ν η
où U est la vitesse caractéristique du fluide en mouvement, L une longueur
caractéristique de ce fluide. On voit que U et L jouent, dans cette équation,
les rôles respectifs de v et de R dans l’équation 2.1. La différence essentielle
entre ces deux définitions résulte du fait que, dans le cas d’une particule
solide en déplacement dans un fluide, c’est la densité volumique du solide
qui intervient et non la densité du fluide en mouvement. Cela étant compris,
on peut considérer, par une extension de langage, que le nombre <l que
nous avons défini plus haut n’est rien d’autre que le nombre de Reynolds
du problème considéré. Il est utile de réaliser les implications pratiques de
la formule 2.1 en effectuant une application numérique qui permet de fixer
quelques ordres de grandeur :
Considérant une particule de sable de silice de densité volumique 2, 2 g/cm3
et de diamètre 1 mm, évoluant avec un vitesse de l’ordre du cm/s dans
de l’air sec, on trouve que Rl est de l’ordre de 104 . Cela est rassurant
quant à notre aptitude à modéliser, dans des conditions normales, un mi-
lieu granulaire sec avec des particules de cette taille et de cette masse. Si,
par contre, nous considérons un milieu granulaire du type des poudres avec
des particules de l’ordre de 10 µ, c’est-à-dire cent fois plus petites et beau-
coup moins denses (poudre de lycopode, par exemple), nous observons que
32 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
ρ0 v 2
Ft = kt S
2
où ρ0 est la densité du fluide.
1
Des expériences récentes [?], dont on comprendra mieux la portée après la lecture du
chapitre 3, ont permis de préciser les notions introduites brièvement ici.
2.1. UNE PARTICULE ET SON ENVIRONNEMENT 33
1 ρb
Rt ≈
kt ρ0
Cette équation montre que Rt ne dépend pas de la vitesse (sous réserve
que l’on soit bien en régime turbulent). Elle indique aussi que la notion même
de granulaire sec, c’est-à-dire d’un système particulaire dont les interactions
sont négligeables avec le fluide environnant, s’applique bien aux particules
suffisamment lourdes telles que les grains de sable de silice évoluant dans
un gaz tel que l’air2 . Dans ce cas, le nombre Rt est supérieur à 103 , ce qui
nous permet de négliger les effets de freinage turbulent. Par contre on voit
ici encore qu’il est exclu de négliger les effets de l’interaction avec le fluide
environnant dans le cas où celui-ci est liquide. On sait que le rapport des
densités est de l’ordre de 1 et on voit que, dans cette situation, le freinage
hydrodynamique joue un rôle primordial.
Digitation granulaire
Nous présentons ici un résultat expérimental [?][10], relativement spec-
taculaire et encore incompris, qui met en évidence un type intéressant d’in-
teraction air-matière granulaire. Il s’agit d’une série d’expériences de digi-
tation granulaire réalisées dans l’esprit de celles, bien connues en hydrody-
namique et qui consistent à injecter un fluide dans un autre plus visqueux.
La configuration habituellement utilisée pour des liquides (cellule radiale de
Hele-Shaw) est d’ailleurs reproduite, à l’identique, dans cette expérience.
On dispose une mince couche de sable fin, pas tropcompacté, entre deux
plaques de verre. La plaque supérieure est percée en son centre d’un ori-
fice sur lequel est adapté un tuyau permettant l’injection d’air sous pression
dans le milieu granulaire. Sous faible pression et faible débit, rien ne se
produit. Le milieu granulaire se comporte comme un milieu poreux ordi-
naire. Lorsque le débit augmente, on observe le déplacement de grains et le
développement d’une figure de digitation, plus ou moins fractale, analogue
à celle que l’on obtiendrait avec des fluides non newtoniens et du type de
celle qui est représentée ci-dessous.
2
L’importance cruciale de la densité en physique des granulaires a été illustrée de
manière frappante, et pour la première fois, par une observation simple due à Chladni
(XVIIIe siècle). Il avait remarqué que des petits brins de crin de cheval, arrachés de
l’archet, se disposaient suivant des figures particulières sur la table des violons. Il entreprit
alors une série d’expériences simples en disposant sur une table de violon du sable fin ou de
la poudre de lycopode, très légère. Il observa ainsi que le sable se rassemblait aux nœuds
de vibration de la table, tandis que la poudre de lycopode se rassemblait aux ventres de
vibration, donnant ainsi des figures (dites de Chladni) complémentaires. La poudre de
lycopode est sensible aux vibrations de l’air environnant, à l’inverse du sable qui fuit les
régions de la table où les vibrations sont de plus grande amplitude. C’est un bel exemple
de l’esprit d’observation d’un physicien, rapporté par Michael Faraday en 1830.
34 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
Croissance d’une figure de digitation lorsque l’on injecte de l’air dans un milieu
granulaire confiné. La partie gauche représente la figure au début du processus. Celle de
droite montre une figure bien développée d’environ 10 cm de diamètre.
mg
µ ¶
r2
Fc = πγ lv r2 1 +
r1
Où γ lv est la tension de surface de l’interface air-liquide. Si le poids de la
bille inférieure équilibre cette force capillaire, on obtient une approximation
satisfaisante en supposant que le rayon mouillé est une fraction α du rayon
des sphères, donc r2 ' αR et, grossièrement, r2 /r1 est de l’ordre de 5. On
obtient un résultat à moins d’un ordre de grandeur près en écrivant que :
s
4αγ lv
R≈
gρb
Petites billes d’acier en suspension électrostatique sur les parois d’un tube en matière
plastique.
En tenant compte du poids de ces billes d’acier, que l’on suppose équilibré
par la répulsion électrostatique, on calcule aisément qu’elles portent des
charges de l’ordre de 3 × 10−9 coulomb, ce qui représente typiquement une
densité de charge électrique créée par frottement réciproque et avec les parois
de l’ordre de 300 microcoulomb par kilo. C’est une évaluation qui correspond
aux valeurs constatées dans les applications industrielles. On observe aussi
que les matériaux organiques sont moins sensibles que les matériaux d’orig-
ine minérale (environ d’un facteur 100) et que la charge accumulée dépend de
la nature physico-chimique des surfaces. D’autre part, comme nous l’avons
mentionné plus haut, on observe, sans que l’on en connaisse très bien la rai-
son profonde, que la présence d’humidité minimise ce type d’inconvénient.
Il faut aussi noter que la présence de ces charges superficielles constitue un
grave problème pour l’industrie qui stocke de grandes quantités de grains
secs (par exemple du maı̈s). En effet, ces charges peuvent amorcer l’explosion
des gaz produits dans les silos par la décomposition chimique des matières
organiques. La solution, utilisée dans certains laboratoires, mais qui reste
impraticable à l’échelle industrielle, consiste à vaporiser des produits antis-
tatiques sur les surfaces sensibles.
Quoi qu’il en soit, il convient d’être vigilant à ce sujet et de garder
à l’esprit que ce type d’interaction électrique ou même magnétique peut
devenir très perturbant lorsque les particules sont sèches et ont un diamètre
inférieur à 100 microns.
P3 P3
P2
P1 P2
P1
T T
(celui dans lequel la loi de Hooke reste valide : (voir quelques ordres de
grandeur au paragraphe 2.2.23 ), on réalise alors que ces aspérités en contact
se déforment à pression constante p, jusqu’à supporter la charge normale N .
1µ
10 µ
T
N T
T s
µs = =
N p
Or il se trouve que les constantes s et p varient à peu près dans la même
proportion lorsque l’on change la nature des surfaces4 . En particulier, pour
les métaux, on trouve que :
s
0, 6 ≤ ≤ 1, 2
p
3
On comprend cela aisément en remarquant que la surface réelle de contact entre
deux solides peut être de cent à dix mille fois plus petite que la surface apparente. Ainsi la
contrainte exercée par le poids sur les pointes en contact peut-elle être largement supérieure
à celle de la limite d’élasticité.
4
Cette affirmation peut être mise en défaut si on considère des matériaux
mécaniquement très anisotropes. C’est le cas, par exemple, des matériaux de structure
lamellaire tels que le graphite dans lesquels on peut observer une grande résistance pour
une déformation perpendiculaire aux plans d’empilement des lamelles et une résistance
faible pour un glissement parallèle à ces plans. On tire d’ailleurs profit de cette propriété
en “graphitant” les pièces en mouvement, afin de minimiser le frottement.
2.2. DEUX PARTICULES EN INTERACTION 41
(S)
M
L
N
P T
Is
Is'
L'
( S' )
−
→ −→ → −→ →
v R0 (M ) = −
→
v R0 (Is ) + M I ∧ −
ω n + MI ∧ −
ωt
5
La notion de solide indéformable est parfaitement théorique et contradictoire avec ce
que nous avons exposé sur le modèle du frottement solide et qui indique, au contraire, que
le frottement solide ne peut s’expliquer que s’il y a plusieurs pointes en contact déformées
plastiquement. On relève ici un des points délicats du passage de la mécanique classique
vers la mécanique des solides réels, concernant ici la physique des contacts solide-solide.
42 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
ω ω
θ θ'
Glissement sans roulement
ω ω ?
Rotation frustrée
particules formant l’édifice ( cf. chapitre 3). Nous verrons une illustration
de ces notions de base lors de l’étude de la fragmentation d’un empilement
en chute guidée au paragraphe 3.2.4.
Mouvement stick-slip
Nous aurons l’occasion de voir, à plusieurs reprises, dans la suite (par
exemple aux paragraphes 3.1.1 et 4.2.2) un mode de mouvement que l’on
observe fréquemment lorsque l’on considère des problèmes faisant intervenir
le frottement sec. Le mouvement connu sous le vocable anglais de stick-slip
(collé-glissé) résulte, le plus souvent, du couplage d’un ou de plusieurs ob-
jets soumis aux lois de frottement du type Coulomb-Euler avec une réaction
44 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
élastique. Compte tenu du fait que les objets granulaires auxquels nous nous
intéressons font intervenir ces deux types d’interaction de manière plus ou
moins simultanée, nous pouvons, dès à présent, prévoir que le mouvement
stick-slip sera une caractéristique fréquente de la dynamique de la matière
en grain. Nous aurons l’occasion de donner une image plus générale du
mécanisme stick-slip au cours des chapitres suivants (voir, par exemple,
le paragraphe 4.2.2). Néanmoins et à titre pédagogique, nous donnons ici
une description élémentaire du comportement de l’oscillateur stick-slip le
plus simple que l’on puisse imaginer [?]. Le schéma de cette modélisation
élémentaire est représenté ci-dessous :
k
m v
T = k(x − x0 ) = kvt
¯ ¯
¯ T ¯ kvt
¯ ¯=
¯ N ¯ mg ≤ µs
..
m x= −k(x − x0 )
2.2. DEUX PARTICULES EN INTERACTION 45
p
dont la solution est bien connue et s’écrit en posant ω0 = k/m :
x = x0 + A sin [ω 0 (t − t1 ) + α]
vt1 = A sin α
v = Aω 0 cos α
tan α = ω 0 t1
sµ ¶
2 1
A = v t1 + 2
ω0
Soit :
ω 0 (t2 − t1 ) + α = 2π − α
π−α
t2 − t1 = 2
ω0
2A
t3 − t2 = sin α
v
46 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
collé collé
décollé décollé
t 2
t t
t 1 3
2 2A sin α
t0 = (π − α) +
ω0 v
L’amplitude est celle de la sinusoı̈de. A faible vitesse, elle se confond
avec l’amplitude du mouvement linéaire et l’on a t1 = mgµs /kv. Notons au
passage qu’il est ainsi possible d’évaluer le coefficient de frottement statique
µs en mesurant l’amplitude maximale du mouvement. On peut aussi, à titre
d’exercice, chercher l’allure de la fonction F (v) qui caractérise la force de
frottement en fonction de la vitesse du patin et montrer que cette fonction
possède une pente négative (cf. paragraphes 2.3 et 4.2.2). Notons que cette
modélisation élémentaire pourrait décrire l’entraı̂nement en oscillation d’une
corde de violon avec laquelle les crins de l’archet réalisent, grâce à la colo-
phane dont on les a enduits, des conditions de frottement sec. De manière
plus générale, le stick-slip est observé dans le grincement des portes mal
huilées, le broutement des machines-outils, etc.
v1 v2 u1 u2
m1 m2 m1 m2
Deux billes élastiques redistribuent leurs quantités de mouvement lors d’une collision
frontale.
m1 − m2 2m2
u1 = v1 + v2
m1 + m2 m1 + m2
En réalité et dans la physique des objets granulaires réels, les chocs en-
traı̂nent toujours une perte d’une partie de la quantité de mouvement totale
et une dissipation de l’énergie au moment du choc. On peut concevoir qu’une
partie de la quantité de mouvement incidente est communiquée aux partic-
ules rentrant en contact sous la forme d’ondes élastiques qui se propagent
à l’intérieur de ces dernières. Ainsi une partie de l’énergie élastique stockée
par les deux particules au moment de l’impact est dissipée via la génération
d’ondes acoustiques ou de phonons qui se relaxent en échauffant la masse des
deux particules en présence. La déperdition d’énergie cinétique peut aussi
correspondre à une déformation permanente des matériaux engendrée lors
du choc. Quoi qu’il en soit, on constate expérimentalement qu’une bille ren-
contrant perpendiculairement un plan de masse infinie avec une vitesse − →
v
−→
est réfléchie avec une vitesse plus petite -εp v (avec εp ≤ 1). En première
approximation, et dans le cas du choc frontal de deux billes identiques, il est
commode de représenter[17] la dégradation des vitesses au cours du choc,
dans le référentiel du centre de masse des deux objets, par une équation
matricielle du type :
· ¸ · ¸ · 1−ε 1+ε
¸· ¸
u1 v1 2 2 v1
= C1,2 = 1+ε 1−ε (2.2)
u2 v2 2 2 v2
· ¸ · ¸ · ¸· ¸
u0 v0 1 0 v0
= C0,1 = (2.3)
u1 v1 1 + εp −εp v1
P = m12 (v1 − v2 )
0
P = m12 (u1 − u2 )
P0 (u1 − u2 )
ε=− =−
P (v1 − v2 )
Où le signe − vise à conserver une valeur positive pour ε tout en rendant
compte de l’inversion des vitesses après le choc.
La variation d’énergie cinétique lors de l’impact ∆Ecin se calcule aisément
et conduit à l’équation :
1
∆Ecin = − m12 (1 − ε2 )(v1 − v2 )2
2
vy
vx X
O
C x
Y Φ
m(ux − vx ) = X
uy = vy
ω1 = ω0
50 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
m(ux − vx ) = X
m(uy − vy ) = −µX
2
ma2 (ω 1 − ω 0 ) = aµX
5
ux = −εvx
7 vy − aω 0
µ(1 + ε) <
2 −vx
— La vitesse de glissement est nulle à un instant quelconque t1 du choc :
Dans ce cas, les relations générales s’expriment par :
m(ux − vx ) = X
m(uy − vy ) = Y
2
ma2 (ω1 − ω 0 ) = −aY
5
ux = −εvx
uy − aω 1 = 0
7 vy − aω0
µ(1 + ε) >
2 −vx
On voit donc bien que les deux conditions précédentes s’excluent et que,
selon la valeur du coefficient de frottement µ, c’est l’un ou l’autre de ces
comportements qui sera suivi par le système7 .
On peut maintenant se demander si ces deux situations exclusives sont
les seules qui peuvent survenir et si, par exemple, la vitesse de glissement
pourrait changer de signe au cours d’un choc dans l’intervalle de temps
[t0 , t1 ] ce qui donnerait encore la condition |Y | < µX sans que l’on puisse
rien prévoir a priori sur la valeur finale de uy − aω 1 . On peut reprendre le
raisonnement suivant :
Soit un instant t ∈ [t0 , t1 ] et η et ζ les composantes de la réaction au
contact. Les équations du mouvement deviennent, à cet instant t :
dvx
m = η
dt
dvy
m = ζ
dt
2 2 dω
ma = −ηa
5 dt
d 7
m (v − aω) = ζ
dt 2
(a) (b)
Les deux billes avant (a) et après (b) la collision non frontale. Les paramètres de la
collision sont définis dans le texte.
−→
r1 − −
→
r2
−
→
n = −
| r1 − →
→ −
r2 |
La vitesse relative vc des deux particules au point de contact est donnée
par :
µ ¶
−
→ d1 −
→1 + d2 −
vc = −
v→ −
→
1 − v2 − ω →2 × −
ω →
n
2 2
Où −→
vi et −
→i sont les vitesses de translation et de rotation avant la colli-
ω
sion de la particule d’indice i. Remarquons que le module de la vitesse rela-
tive |−
→
vc | augmente quand, par exemple, les vitesses des particules pointent
8
Nous avons déjà vu au paragraphe 2.2.1 une introduction en mécanique élémentaire
à ces problèmes de glissements sans roulements et de roulements sans glissements.
2.2. DEUX PARTICULES EN INTERACTION 53
dans des directions opposées, et que les vecteurs rotation de ces particules
−→
sont dirigés dans la même direction. − → (n)
vc a une composante normale vc
=− →n (−→
vc · −
→
n ) tandis que la composante tangentielle de cette vitesse s’écrit
−→ −→ −→
vc = −
(t) → (n) (t)
vc − vc . Ce vecteur ¯vc ¯ repère la direction du vecteur unitaire
−
→ −→ −→
(t) ¯ (t) ¯
tangentiel tel que t = vc / ¯¯vc ¯¯ . L’angle d’impact γ est défini comme
l’angle −
→ −
→
¤ π entre
¤ la normale n et la vitesse relative vc et cet angle est tel que
γ ∈ 2 , π .La figure précédente (a) montre la situation des deux particules
entrant en collision lorsque − ω→1 = −→2 = −
ω
→
0.
Considérons maintenant les propriétés de conservation du moment cinétique
de translation lors de la collision, en utilisant les mêmes notations que
précédemment, c’est-à-dire que − →
u i désigne les vitesses après la collision
−→
∆P = m1 (−
→1 − −
u v→ −→ − →
1 ) = −m2 ( u2 − v2 ) (2.4)
−→
La composante normale de ∆P n’affecte pas les vitesse angulaires tandis
−−−→
que sa composante tangentielle ∆P (t) provoque une variation de moment
de rotation. Ainsi, agissant sur le bras défini par le vecteur −(d1 /2)−
→
n , la
−→
variation de l’impulsion ∆P provoque une modification du moment angulaire
telle que :
³→ ´
−→ 2I −
−−
→
n × ∆P = ω0 − −
→
ω (2.5)
d
−
→
Où I est le moment d’inertie autour du centre de la particule et ω 0 est
la vitesse angulaire inconnue après le choc. Il faut remarquer que l’équation
précédente décrit la même variation de moment angulaire pour les deux
particules. La figure (b) permet d’avoir une idée de la situation après le
choc.
−→
On peut calculer les vitesses après le choc si on connaı̂t ∆P d’après les
équations 2.4 et 2.5 :
−→
−
→ −→ ∆P
u1 = v1 +
m1
−→
−
→2 = − ∆P
u v→2 −
m2
−
→0 →1 − d1 − −→
ω1 = − ω →
n × ∆P
2I1
−
→ →2 − d2 − −→
ω 02 = −
ω →
n × ∆P
2I2
On se souvient que la définition de ε donne :
54 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
−−→ −→
uc(n) = −εvc(n) (2.6)
qui relie les vitesses relatives normales avant et après le choc. Cette
−→ −→
équation, introduite dans la composante normale de la somme ∆P ∆P
m1 + m2 ,
permet de calculer la composante normale de la variation de l’impulsion :
−−−→ −→
∆P (n) = −m12 (1 + ε)vc(n) (2.7)
−−−→ −
→
∆P (t) = µm12 (1 + ε)vc cos γ t (2.8)
(n)
avec vc = −vc cos γ car cosγ est toujours négatif. On voit aussi que
−
→ −→
(t)
t = vc /vc sin γ. En combinant les équations 2.7 et 2.8, on obtient la
−→
variation de moment ∆P :
³ −→ −→´
−→
∆P = m12 (1 + ε) µvc(t) cot γ − vc(n) (2.9)
−→ −→ 2 −→
∆P = −m12 (1 + ε)vc(n) − m12 (1 + β)vc(t) (2.10)
7
expression dans laquelle on voit que le deuxième terme, contenant la
composante de vitesse tangentielle, est calqué sur le premier et fait intervenir
le facteur 2/7 qui correspond à l’inertie des sphères pleines de ce modèle9 .
Compte tenu des observations précédentes, il apparaı̂t alors que le coefficient
de restitution tangentielle β doit être pris comme la plus petite des valeurs
[β 0 , β 1 ] qui permet de caractériser les deux régimes :
— Pour de grandes valeurs de γ ≥ γ 0 et donc pour un contact glissé
(c’est-à-dire lorsque les contacts sont rompus), on prend le coefficient
β 0 ∈ [−1, +1] .
— Pour de faibles valeurs de γ ≤ γ 0 , on prend β = β 1 = −1 − 72 µ(1 +
ε) cot γ où l’interaction au moment du choc peut être décrite en termes
d’interaction de frottement sec et de coefficient de restitution élastique.
Notons que l’angle γ 0 caractéristique du basculement d’un régime dans
l’autre est tel que β 0 = β 1 . Soit − tan γ 0 = (7/2) µ (1 + ε) / (1 + β 0 ) . La
référence [21] donne plus de détails quant à la classification pratique des
deux modes de collision en considérant simplement le rapport des vitesses
de collision normale et tangentielle.
Cette simplification, par tout ou rien, permet d’effectuer un calcul numérique
complet impliquant des chocs non frontaux et des rotations de particules.
Ce type de modélisation, utilisant des sphères dures (cf. 6.1.2 et 3.2.4), a été
utilisé dans des simulations numériques de particules sphériques en collisions
multiples.
Cependant, de manière à percevoir un peu plus en profondeur les problèmes
réels soulevés par la mécanique des chocs, nous allons calculer ci-dessous les
ordres de grandeurs de quelques phénomènes qui interviennent lors du choc
frontal de deux billes qui peuvent, comme dans la réalité, s’interpénétrer.
R R
h
Hertz a montré que l’énergie élastique stockée par deux billes de rayon
R, déformées sur une profondeur h vaut :
√
1 5 4 2 E √
Ee = kh 2 où k = R (2.11)
2 15 (1 − σ 2 )
µ ¶2
2 5 dh
M v = kh + M
2 (2.12)
dt
µ ¶2
M 5 4
h0 = v5 (2.13)
k
Z √ ¡ ¢ µ 2 ¶1
h0
dh 4 πΓ 25 M 5
τ =2 q = ¡9¢ (2.14)
0 k 52 5Γ 10 k2 v
v2 − M h
µ ¶ 15
M2
τ = 2, 94
k2 v
τ = 5 × 10−6 secondes
e
R
R
a a
h h
R
R
A B
a2 ∼
= Rh
h
P ∼E
a
Soit :
2.3. UNE PARTICULE SUR UN MILIEU GRANULAIRE 59
3
F ∼ P a2 ∼ Eha ∼ h 2
2
Ou h ∼ F3
h
P ∼ Ee
e
qui donne :
h R
F ∼ P a2 ∼ Ee a2 ∼ Ee h2
e e
Notons que, dans cette hypothèse, la relation pénétration-force est de la
1 3
forme h ∼ F 2 au lieu de h ∼ F 2 dans le cas du problème de Hertz pour des
sphères homogènes. On peut aisément le comprendre en remarquant que,
dans le cas de sphères dotées de croûtes molles, la pénétration varie moins
vite avec la force pressante que dans le cas de sphères homogènes, car, dans
ces dernières, la déformation reste plus localisée au voisinage du point de
contact et s’étale moins à l’intérieur de celles-ci.
Une relation de ce type peut être invoquée pour expliquer des écarts
importants, observés expérimentalement dans certaines conditions, par rap-
port à la relation de Hertz et, notamment, des dépendances en racine de la
contrainte [?]. Notons qu’il existe encore d’autres explications, en particulier
liées au désordre et à l’enrichissement des points de contact d’un matériau
granulaire [22] sous contrainte qui permettent de comprendre les écarts à la
relation de Hertz. Nous en verrons un exemple au paragraphe 3.1.2.
Une bille dévalant une surface rugueuse perd de l’énergie cinétique par frottements et
chocs successifs. Sa trajectoire est composée d’arcs balistiques et de segments de courbe
semblables à la surface rugueuse.
Ainsi que le schématise cette figure, on s’attend à ce qu’une particule
dévalant une surface rugueuse dont les aspérités sont du même ordre de
grandeur que cette particule suive un parcours sinueux et complexe variant
selon qu’elle reste en contact ou s’éloigne de son support. Il est prévisible
que cette trajectoire, composée de segments de courbes paraboliques (tra-
jectoires balistiques) et de segments de courbe ressemblant au contour de la
surface, dépendra largement des caractéristiques mécaniques (coefficients de
restitution de choc et coefficients de frottement) des matériaux en contact.
De même, il est prévisible que la trajectoire dépendra de manière complexe
de la vitesse de la particule libre. Dès lors, comment écrire une équation
globale permettant de rendre compte, en moyenne, de la diversité de ces
comportements [7] ?
Il est utile de considérer la loi de Newton, écrite pour une particule de
masse m et de diamètre D dévalant une pente inclinée d’un angle θ par rap-
port à l’horizontale. Cette particule subit de la part de son environnement
une force retardatrice F analogue à un frottement. On introduit ici la no-
tion d’accélération réduite Γ que nous utiliserons fréquemment par la suite.
Cette accélération réduite Γ est un nombre sans dimension qui vaut A/g, A
étant l’accélération effective à laquelle est soumis le mobile considéré et g
l’accélération de la pesanteur. La loi de Newton s’écrit sous la forme :
F
Γ = sin θ − (2.15)
mg
Un mouvement uniforme sera obtenu quand Γ = 0 , c’est-à-dire quand
la force de friction équilibre exactement les effets de la gravité. Il est clair
que la question posée se résume à donner une expression raisonnable pour la
force de friction F , comme nous en verrons plusieurs exemples dans la suite
(par exemple, au paragraphe 4.2.2). En considérant le cas d’école précédent,
2.3. UNE PARTICULE SUR UN MILIEU GRANULAIRE 61
1 2
Ec = 2 mv
Ep = mgh cos θ
1
Fp ∝ mg v 2
1 + β gD
dans laquelle β est un coefficient ad hoc. Cette forme heuristique reflète aussi
bien le régime lent (terme constant) que le régime rapide (en v −2 ).
62 CHAPITRE 2. LES GRANULAIRES EN INTERACTION
µ ¶
a v2
F = Fp + Fc = mg ³ ´ +c (2.16)
v2
1 + b gD gD
F force de friction
(mg)
2
1
vitesse v
0 1 ( gd)
évolue entre deux états d’équilibre, l’un de stabilité marginale, l’autre sta-
ble, ce qui est une des caractéristiques fondamentales des écoulements gran-
ulaires.
Remarquons aussi, et en relation avec ce qui a été dit plus haut, que
l’on retrouve une parenté avec le système stick—slip vu au paragraphe 2.2.1.
En effet, lorsque la vitesse est nulle, on voit que le système est fixe mais de
stabilité marginale, avec une frottement sec (comparable à µs ) et que cet
état tend à évoluer vers un état de vitesse non nulle dans lequel le frottement
est minoré (comparable à µd ). Il est bon de réfléchir sur cette parenté. En
effectuant ce rapprochement avec les résultats du paragraphe 2.2.1, on a
l’intuition que le système considéré aura tendance à osciller lorsqu’il sera
soumis à une sollicitation extérieure, comme nous le verrons lors de l’étude
des avalanches (chapitre 4). Dans le même esprit, on peut aussi concevoir,
dès maintenant, qu’une force de freinage, telle que celle qui est donnée par
l’équation 2.16, conduit à un phénomène d’hystérésis, car la particule peut
évoluer de manières différentes selon les conditions initiales. Si cette particule
possède une vitesse initiale non nulle, elle rejoindra le minimum de la courbe
représentée sur la figure précédente. En revanche, une particule initialement
au repos dans cette situation, y restera, bloquée par le frottement sec.
Un certain nombre de résultats plus précis et plus détaillés ont été
obtenus récemment par plusieurs groupes qui ont considéré le problème
de la descente d’une bille sur un plan incliné tapissé d’autres billes, soit
expérimentalement [23] soit par simulations numériques [24]. On renvoie le
lecteur à ces travaux pour plus de détails.
Sans rentrer dans les détails de cette expérience où l’on peut aussi
bien utiliser des matériaux granulaires non cohésifs que cohésifs (c’est-à-
dire des matériaux dans lesquels les particules sont maintenues ensemble
par des forces de cohésion), on observe que, dans des limites de contraintes
raisonnables :
— La force de cisaillement nécessaire pour démarrer un mouvement transver-
sal est strictement proportionnelle à la charge portée par le plateau
supérieur et ne dépend pas de la surface cisaillée. On retrouve donc
l’équivalent de la première loi de friction solide11 (paragraphe 2.2.1).
F = µs P
Dans un écoulement en nappe, la vitesse moyenne des particules décroı̂t rapidement avec
la profondeur.
des nappes supérieures et inférieures. Le milieu peut être vu comme une suc-
cession de couches freinées par leur frottement avec les couches adjacentes.
Aussi est-il utile d’introduire la notion de taux de cisaillement qui mesure
de manière générale, et en moyenne, le gradient de vitesse γ̇ = h∂v/∂zi (z
étant la profondeur ) d’une nappe de matériau granulaire qui s’écoule sur une
autre animée d’une vitesse différente. On voit bien que ce taux de cisaille-
ment doit intervenir de manière cruciale dans l’élaboration de notre modèle
et, en particulier, dans la prise en compte de la perte d’énergie cinétique par
frottement. Si D est le diamètre de la particule de masse m, Dγ̇ mesure la
vitesse relative de cette particule par rapport à la nappe sous-jacente. On
voit que la dissipation de l’énergie cinétique en excès qui s’effectue sur une
longueur caractéristique λe , typiquement de l’ordre de grandeur de quelques
diamètres de grains D, est due à la force de friction Fc . On trouve ainsi :
∂Ec mD2 2
Fc =< >= γ̇
∂x 2λe
Fc mγ̇
B= ≈ (2.17)
Fv 2λe ν
Fluidisation, décompaction,
fragmentation
69
70CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
eux, on réalise déjà que la stabilité de cet édifice sans parois nécessite que
les boulets de la rangée inférieure soient figés ou collés au sol. Cela étant ac-
quis, on voit aussi que la statique d’un tel empilement, avec ou sans lacune
(marquée L sur le dessin), c’est-à-dire la détermination de la répartition
de l’ensemble des forces mises en jeu dans le problème, ne présente aucune
difficulté. Il s’agit d’un simple calcul de structure (dite en treillis) dont la
solution est bien connue des ingénieurs des structures.
Le problème1 posé par un empilement réel de ce type est d’une tout
autre nature [25]. En effet, les matériaux et les objets dont nous disposons
impliquent tout à la fois un désordre des contacts et un désordre de la
répartition des forces. Ainsi, un empilement réel présente deux caractéristiques
tout à fait déterminantes pour la physique des matériaux granulaires :
— Un désordre des contacts : les matériaux granulaires réels dont nous
disposons ne sont jamais constitués de granules strictement identiques
à quelques microns près. Or on sait que les forces de contact entre deux
solides s’exercent sur des distances de l’ordre du micron (paragraphe
2.2.1). On observe que l’empilement ”boulets de canon” idéal est réalisé
avec des équilibres hyperstatiques (six points de contact par boulet),
alors que la statique élémentaire n’exige que deux points de sustenta-
tion disposés en dessous du centre de gravité de chaque boulet. On voit
donc que, compte tenu de la dispersion des diamètres et des formes, il
est possible de supprimer aléatoirement plusieurs contacts sur chaque
boulet, tout en conservant la stabilité de l’ensemble et l’apparence
d’un tas ordonné (à quelques microns près). Un tel exercice, générant
ce que l’on appelle un problème de percolation [?] de liens, conduit
à une répartition des points de contact pratiquement aléatoire, même
avec des boulets ne présentant aucun frottement mais présentant une
dispersion de diamètres. Si on considère maintenant que le tas est con-
stitué de boulets frottants, les conditions de stabilité sont encore moins
draconiennes, et le désordre des points de contact peut être encore plus
important. C’est pourquoi l’empilement “boulet de canon” réel, qui, à
première vue, nous apparaı̂t comme ordonné, est en réalité du point
de vue de la simple géométrie des points de contact, nécessairement
désordonné. Ainsi, au vu du grand nombre de choix possibles pour
la suppression des points de contacts non indispensables à la stabilité
de l’ensemble, peut-on considérer que l’équilibre d’un empilement de
granulaires réels est a priori un problème à solution indéterminée (on
peut dire : pluri ou multivaluée).
On peut aussi, dès à présent et sans anticiper sur une analyse que nous
développerons au cours du chapitre 6 (nottament au paragraphe 6.3.2),
1
Il est intéressant de noter que le calcul de la statique de cet édifice fait encore de nos
jours l’objet d’articles théoriques qui, soit dit en passant, ne sont pas toujours en accord
avec les mesures (difficiles) qui ont pu être effectuées...
72CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
?
1
1
3 ? ?
2 2 3
(c)
R = -k x
P
?
θ
(a) (b)
En considérant le dessin ci-dessus (figure b), où l’on voit que le bilan
des forces s’exerçant sur la brique en appui sur deux parois perpendiculaires
dépend de la manière dont la brique a été déposée. Elle a pu être déposée
d’abord en contact frottant avec la paroi de gauche et plaquée orthogonale-
ment sur la paroi de droite, ou l’inverse. Il en est de même pour la figure c
qui illustre la même difficulté pour résoudre le problème de la statique d’une
bille déposée sur deux autres : le bilan des forces dépend de la manière dont
cet empilement a été réalisé et donc de son histoire.
Au vu de ce qui précède, il peut sembler que toute tentative de descrip-
tion des forces de contact d’un édifice granulaire soit a priori condamnée à
l’échec. Bien heureusement, il n’en va pas toujours ainsi, et un calcul reste
toujours possible, pourvu que l’on dispose d’une information suffisante sur la
manière dont l’équilibre a été atteint. Nous allons illustrer ce comportement,
assez général dans le cas des matériaux granulaires (une autre description
sera donnée au paragraphe 2.3), avec un exemple particulièrement simple
que nous aurons l’occasion de développer, sous une autre forme, au chapitre
74CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
4.
k
x + = sin θ+ + +
i = sin θ i+1 − µs cos θ i+1 (3.1)
P θi
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 75
k
x − = sin θ− − −
i = sin θ i+1 + µs cos θ i+1 (3.2)
P θi
puisque la force de friction s’oppose à présent au mouvement ascendant de
la brique. On voit donc que les points d’arrêt de la brique sont différents à
l’aller et au retour, bien que les points de départ et d’arrivée puissent être
les mêmes.
kx
θ
90
−
→ −→ − → −→ −→ −→
F (θi ). T = F (θi+1 ). T + εµs F (θi+1 ) N
−
→ − →
N et T représentent les vecteurs unitaires parallèles et perpendiculaires
au déplacement de l’objet et ε vaut ±1 selon le sens du déplacement. On sait
que µs = tgθs , où θs est l’angle classiquement appelé “angle de Coulomb”,
suivant lequel il faut incliner la paroi pour observer le premier décollement
(dans le sens ascendant) de la brique.
On perçoit très bien le caractère subtil et indéterminé du bilan des forces
de ce système à l’équilibre en se posant la question suivante : nous inclinons
la paroi d’un angle θi donné (plus grand que arctan µs ) et le ressort est
détendu. Comment va se positionner une brique que nous appliquons sur
le plan incliné en contact avec la paroi et avec le ressort ? Si on a bien
suivi la démonstration précédente, on réalise immédiatement que la position
d’équilibre dépend de la manière dont nous déposons la brique et en parti-
culier de l’ordre dans lequel se feront les points de contact, avec le ressort
d’une part, avec la paroi d’autre part. Envisageons successivement les deux
modes de positionnement :
On voit bien que les deux positions d’équilibre ne sont pas identiques et
que l’équilibre dépend de la manière dont le contact a été réalisé.
Il est impossible de prévoir la position d’équilibre et le bilan des forces à
moins de connaı̂tre, de manière détaillée, l’histoire de la mise en équilibre.
On peut réfléchir aux analogies que le comportement de ce système
présente avec l’hystérésis observée dans les composés magnétiques. Dans ces
derniers, l’hystérésis provient (du moins, en partie) du caractère irréversible
de la formation et de la destruction des frontières des domaines. Il est
évident, dès maintenant qu’un milieu granulaire présente, même au repos,
un certain nombre d’indéterminations quant au bilan des forces de con-
tact et l’on s’attend à éprouver de grandes difficultés lorsqu’on cherchera à
modéliser, de manière détaillée, l’équilibre d’un tel édifice.
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 77
−
→ −
→
soit ρ la densité linéique de la chaı̂ne et F A et F B les forces s’exerçant
aux extrémités du segment élémentaire dl comme cela est représenté sur la
figure ci-dessous :
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 79
FA
B
dl
A ρ g dl
F
B
−
→ −
→ −→
F A + F B + ρ−
→
g dl = 0
Si θ est l’angle que fait le segment dl avec l’horizontale, on a, en coor-
données cartésiennes :
dx/dl = cos θ ; dy/dl = sin θ et dx2 + dy2 = dl2 .
L’équation d’équilibre, projetée sur les axes horizontaux et verticaux
donne :
dx
F = Fh (3.3)
dl
où Fh représente la composante horizontale de la tension de la voûte.
C’est une contrainte imposée par les conditions extérieures.
µ ¶ µ ¶
dy dy
F − F − ρgdl = 0
dl A dl B
C’est-à-dire :
µ ¶
d dy
F + ρg = 0
dl dl
80CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
Un bel exemple de la stabilité des voûtes qui ont traversé les siècles : l’aqueduc de
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 81
µ ¶
d dy m0 g dx
+ =0
dl dx Fh dl
Soit :
d2 y m0 g
+ =0
dx2 Fh
En considérant que le point le plus haut est à l’origine avec une tangente
horizontale, on obtient :
1 m0 g 2
y=− x
2 Fh
Cette fois-ci, on obtient une voûte de forme parabolique. La tension dans
la chaı̂ne des contacts au point d’abscisse x est donnée par un calcul simple :
On trouve que :
s µ ¶2 q
dy
F (x) = Fh 1+ = Fh2 + (m0 g)2 x2
dx
3
Pour une discussion plus complète de ce problème, voir l’article de S. Roux [9].
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 83
(déformation)
(Force externe)
Vs V
F ∝ (D − D0 )3.5
Tube contenant
un liquide coloré
sac en caoutchouc
(sable + liquide coloré)
Il est important de rappeler ici que le principe de dilatance doit être pris
dans son intégralité. En particulier, la précision que le matériau granulaire
doit être initialement “fortement compacté” est absolument essentielle. Le
but de la discussion que nous allons mener ci-dessous est de montrer, sur
un exemple particulièrement simple et probablement un peu réducteur, les
limites du principe de dilatance tel qu’il a été exposé par Reynolds.
R
R
θ S
Sous l’action des sollicitations indiquées par les flèches sur le schéma,
nous allons déformer ce losange élémentaire qui relie les centres des qua-
tre disques en contact, en observant les variations de la surface totale oc-
cupée par cet objet. Cette surface est la somme des surfaces des disques
(que l’on suppose indéformables au cours de cette opération) et du petit
secteur curviligne S délimité par les quatre disques. Soient hv et hl les
longueurs respectives des diagonales verticale et horizontale du losange. On
constate immédiatement que la surface des quatre secteurs de disques situés
à l’intérieur du losange est constante au cours de la déformation et vaut
πR2 . Ainsi, la surface totale St couverte par l’objet vaut :
hl hv
St = 3πR2 + (3.6)
2
Avec, bien entendu : h2l + h2v = 16R2 . On voit donc que la surface totale
couverte par l’objet varie comme :
s µ ¶
q h2l
hl
∆St ≈ 16R2 − h2l = 2hl R 1−
2 (4R)2
∆S
1.00
Régime de Régime
0.90 Reynolds Solide
0.80
1 1.2 1.4 1.6 1.8
hl
Variation de la surface totale de l’objet (en unités de 4R2 ) en fonction de la distance des
billes (en unités de 2R ) placées sur l’axe horizontal. La droite inclinée représente le
comportement d’un solide homogène bidimensionnel dont la surface diminue lorsqu’il est
comprimé.
ul dhl hv
σ=− =−
uv dhv hl
µ ¶2
hv
σ=
hl
Ainsi et dans le cas où les deux disques placés sur l’horizontale sont en
contact et où l’on a affaire à un empilement triangulaire compact en deux
dimensions (qui est l’équivalent de l’empilement hexagonal compact en trois
dimensions), l’analogue du coefficient de Poisson vaut 3. Il faut remarquer
que cet empilement de disques durs conduit à un “coefficient de Poisson”
anormalement grand par rapport à celui d’un solide ordinaire pour lequel la
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 89
1
dSt = (hl dhv + hv dhl )
2
qui, rapprochée des équations donnant la définition de σ, conduit à :
1
dSt = hl dhv (1 − σ)
2
Cette équation montre bien que le signe de la variation de la surface
totale St change lorsque σ = 1 . On voit que le principe de dilatance de
Reynolds cesse de s’appliquer, au moins dans le cas que nous venons de
considérer, lorsque le “coefficient de Poisson” effectif devient inférieur ou
égal à 1.
1
σ l = − √ σ v = Kσ v
σ
ph = Kpv (3.8)
10
Une méthode pratique utilisable en simulation et permettant le passage des variables
discontinues (positions, vitesses des particules) aux variables macroscopiques thermody-
namiques habituelles (densité, vitesse d’ensemble et température) sera exposée au para-
graphe 6.1.3.
3.1. LA STATIQUE D’UN EMPILEMENT GRANULAIRE 93
surface A
pV
périmètre P
p V+ dp V
µ ¶
dpv P
+ Kµs pv = ρg (3.9)
dh A
d ³ (Kµs P )h ´ P
e A pv = ρge(Kµs A )h
dh
qui s’intègre aisément suivant :
P A P
pv e(Kµs A )h = ρg e(Kµs A )h + C (3.10)
P Kµs
A h P
i P
pv = ρg 1 − e−(Kµs A )h + pv0 e−(Kµs A )h (3.11)
P Kµs
p sat
0 p
hydrostatique v
h saturée
A ¡ ¢ mg ¡ ¢
Fv = pv .A = m 1 − e−χ = 1 − e−χ (3.12)
P hKµs χ
Applications
h R
h
cellule 2D cellule 3D
Ph 2εh 2h
S= = =
A Lε L
car on ne considère que la partie utile, c’est-à-dire frottante, du périmètre.
Le paramètre de décompaction vaut χ = SKµs = 2Kµs h/L.
L’équation 3.11 devient :
L ³ 2Kµs
´
pv = ρg 1 − e− L h
2Kµs
3.2 Dynamique
Ainsi qu’on a pu s’en rendre compte dans l’analyse élémentaire précédente,
le problème de la statique du ”tas de sable” est loin d’être simple. Le
désordre des points de contact d’une part, le désordre et l’indétermination
des forces de frottement d’autre part, donnent naissance à des comporte-
ments non linéaires tout à fait spécifiques des objets granulaires. Nous nous
intéresserons désormais au comportement dynamique de ces matériaux et
nous pouvons pressentir dès à présent que la formation des voûtes, l’élasticité
non linéaire, les phénomènes hystérétiques, entre autres, vont conférer à la
dynamique des granulaires des caractéristiques propres qu’il nous faudra dis-
cerner. Dans un premier temps, nous allons examiner la question élémentaire
de la fluidisation ou de la décompaction12 de ces matériaux sous vibration.
12
Comme on le verra dans la suite, il est important de bien distinguer le sens de ces
deux termes. Fluidiser un granulaire sec, c’est lui conférer des propriétés dynamiques qui
le rapprochent d’un liquide ou d’un gaz, plutôt non visqueux ; le décompacter, c’est lui
donner la possiblité d’effectuer des mouvements internes de réorganisation, tels que, par
exemple, des mouvements de convection.
3.2. DYNAMIQUE 97
Cette sollicitation est en effet l’une des plus simples à modéliser, aussi bien
sur le plan théorique que sur le plan expérimental. Les écoulements spon-
tanés sous forme d’avalanches seront examinés au chapitre 4.
Passer de la statique à la dynamique fait intervenir un type d’interaction
que nous avons considérée au paragraphe 2.2.2 et qui peut, à côté des in-
teractions de friction, jouer un rôle primordial, en particulier dans le cas de
particules douées de coefficients de restitution élastique élevés. Il s’agit des
chocs. Nous allons donc poursuivre notre progression logique en examinant
le cas le plus simple possible, celui d’une colonne de particules sphériques
superposées, sans interactions avec les parois, et soumise à une vibration
sinusoı̈dale verticale. L’étude de cette situation, qui ne fait intervenir que
des interactions de choc à l’exclusion des frottements, va nous permettre
de dégager quelques principes généraux qui nous seront utiles dans la suite
pour la considération d’empilements 2D et 3D.
N
billes
ω ω
(a) (b)
Aω 2
Γ= (3.13)
g
Compte tenu de ce qui précède, des grandeurs pratiques et typiques du
problème seront choisies : par exemple, si f = ω/2π = 20 Hertz, A sera
supérieur à 0.64mm et la vitesse maximale du plateau sera Aω = 8 cm/s.
Mise en équation
Le problème posé peut être résolu de la manière la plus élémentaire en
résolvant, événement par événement, les équations de Newton [30][?].
On met en place une itération impliquant alternativement des équations
de mouvement balistique :
1
zi (τ ) = zi0 (τ ) + vi0 τ − gτ 2 (i = 1, ..N ) (3.14)
2
où zi0 et vi0 sont mesurées juste après le choc précédent, puis des équations
régissant les chocs (équation 2.2 pour les chocs de deux billes entre elles et
équation 2.3 pour les chocs d’une bille et du plateau excitateur) représentées
par des transformations linéaires du type :
· ¸ · ¸
ui−1 vi−1
= Ci−1,i (3.15)
ui vi
3.2. DYNAMIQUE 99
13
En anglais on utilise le terme de “event driven” (ED) par opposition aux “time driven”
et autres méthodes séquentielles. Cette approche est aussi appelée “méthode collision-
nelle”.
100CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
Mouvements de 10 billes calculés en itérant les équations 3.14 et 3.15, avec εp = 0.6 et
ε = 1. Le dessin supérieur montre les positions des billes en fonction du temps. Le
dessin du bas donne les intervalles de temps entre deux chocs successifs.
séparées de celles qui restent collées entre elles. Ainsi, lorsque les vitesses de
deux particules qui viennent d’entrer en collision présentent une différence
de vitesse ∆ui plus petite que vc , nous les considérerons comme faisant
partie d’un seul bloc. En pratique, on choisit vc aussi petit que possible (par
exemple 10−7 m/s) tout en restant compatible avec la précision de l’ordina-
teur. On vérifie aussi qu’une variation significative de cette valeur minimale,
n’entraı̂ne pas de modification sensible de la dynamique du système. On
teste ainsi la stabilité des solutions par rapport à cette vitesse minimale.
Bien entendu, on veille aussi à conserver le centre de masse du bloc au cours
des mouvements ultérieurs. Comme les masses n’interviennent jamais dans
ce problème, on voit que la notion de bloc doit être prise en compte par le
biais de la variable d’espace z(t). Ayant proposé un critère pour la formation
de bloc, il est indispensable de gérer, de manière particulière, le mécanisme
de choc faisant intervenir des blocs tout en autorisant la désagrégation de ces
agrégats multiparticulaires. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de ces
calculs que nous examinerons au paragraphe 6.2.2. Il suffit de savoir que des
approches différentes donnent des résultats convergents. Nous rapportons,
dans le dessin ci-dessous à titre d’exemple, un schéma collisionnel impliquant
des particules rassemblées en deux blocs qui se réorganisent différemment
après une collision bloc-bloc, traité selon le critère LRV.
choc
3
(a)
(b)
colonne
(a)
plateau
colonne
(b)
plateau
Γ
Diagramme de bifurcation des temps de collision. On reporte ici le produit f.Tcoll ) en
fonction de l’accélération réduite Γ. Ici N = 10, f = 30 Hertz, ε = εp = 0, 6 . Les
triangles sont le résultat de simulations et les cercles le résultat d’expériences. On voit
bien la succession des accrochages sur les harmoniques 1, 2 et 3.
identiques entre elles) entre deux plaques de verre pour former une mono-
couche verticale. Les billes peuvent se mouvoir librement dans l’espace entre
les plaques. On réalise ainsi couramment des empilements de plusieurs mil-
liers de billes métalliques monodisperses de dimensions millimétriques entre
des plaques de verre de quelques centimètres carrés.
L’expérience montre que le comportement global de ces empilements,
excités par une vibration sinusoı̈dale verticale, dépend largement des coeffi-
cients de restitution élastique ainsi que des coefficients de frottement bille-
bille ( µbb ) et bille-paroi (µbp ). Il est donc essentiel d’effectuer une analyse
détaillée en fonction des paramètres micromécaniques des composants des
empilements. Les simulations sur ordinateur (chapitre 6) ont peu à peu pris
en compte, de manière variée, ces différents ingrédients, et on retrouvé ainsi
globalement les comportements observés par les expérimentateurs. Nous al-
lons considérer successivement les différentes configurations, en partant de
la situation la plus simple possible qui est la simple extension au cas bidi-
mensionnel du problème unidimensionnel que nous venons d’analyser.
Il est assez intuitif qu’un empilement de particules sphériques dénuées de
frottement entre elles et avec les parois, ait tendance à se comporter comme
un empilement unidimensionnel. En effet, et comme nous l’avons fait re-
marquer, les seules interactions dissipatrices dans un empilement unidimen-
sionnel (1D) proviennent des chocs interparticules et particules-plateau. Il
en ira de même pour un édifice 2D composé de particules dénuées de frot-
tement. On s’attend donc à observer une phénoménologie assez semblable,
dépendant de manière caractéristique des coefficients de restitution élastique
des matériaux en présence.
Cela est assez bien vérifié par l’expérience illustrée sur la figure ci-
dessous.
z
x
En bas, photographie des trajectoires typiques des billes à la surface d’un empilement 2D
108CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
élastique et sans friction. La partie inférieure du tas (non représentée) reste compacte.
En haut, statistique des distributions de vitesses selon les axes principaux.
Modèle générique
A h0
decompacté
dm ht
compacté
P
h
Γ
Modèle de décompaction progressive d’un cylindre contenant un matériau granulaire
Kµs P
pv = Γ − 1
ρg A
A h P
i
pv = ρg 1 − e−Kµs A (ht −h0 ) (3.17)
P Kµs
P
Γ = 2 − e−Kµs A (ht −h0 )
ht ln(2 − Γ) ln(2 − Γ)
α= =1+ =1+ (3.18)
h0 S0 Kµs χ
0,8
α 0,6
0,4
Σ6
0,2
Σ5
0 Σ4
χ
1 Σ3
1,11
1,25 Σ2
1,39
1,53
Γ
1,67 Σ1
1,81
1,95
images I21 0 1
0 0 1
1 1 1
Cette table montre que l’image résultante portera la trace de tous les
points de l’objet initial qui sont restés immobiles ainsi que les traces suc-
cessives des particules qui ont bougé. C’est ainsi qu’ont été obtenues les
images montrant la convection qui sont reproduites ci-dessous. Notons que,
si l’opération booléenne choisie avait été or (ou exclusif), l’image montrerait
22
C’est un problème plus difficile qu’il n’y paraı̂t. En effet, on est obligé d’utiliser un
éclairage latéral qui marque les billes sur un côté. Il faut alors mettre au point des algo-
rithmes correcteurs qui sont d’utilisation difficile.
116CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
les traces des particules qui ont bougé, ce qui peut être utile dans certains
cas.
Bien entendu, la chaı̂ne des opérations précédentes doit être répétée pen-
dant un temps suffisamment long pour observer des phénomènes intéressants.
Comme ceci sera expliqué par la suite, cette analyse constitue une expérience
aux temps longs (devant la période d’excitation).
C’est à l’aide de cette technique de “photo en pose” (CPP en anglais,
pour “Computer Posed Photograph”) qu’ont été réalisés des clichés tels que
celui reproduit ci-dessous.
Il est essentiel de réaliser ici que le matériau granulaire sur lequel nous
travaillons présente un certain nombre de caractéristiques propres à un
réseau cristallin. Ainsi observe-t-on que, lors de ses déformations, l’empile-
ment 2D monodispersé a tendance à se décompacter selon des lignes de
glissement privilégiées par la géométrie de l’empilement. On relève donc
des déplacements suivant des lignes orientées à l’horizontale et à 60 degrés
de l’horizontale qui sont des directions de fracture privilégiées pour un
tel réseau. En considérant le mouvement relatif des parois latérales et de
l’empilement qui induit un cisaillement vertical, il est facile de voir que la
convection résultante proviendra de lignes de glissement à 60 degrés. En
outre, la conservation de la symétrie verticale du granulaire suppose que les
rouleaux apparaissent alternativement à droite puis à gauche. On se rend
compte que ces mouvements de blocs à 60 degrés sont nécessairement ac-
compagnés de mouvements de réorganisation horizontaux, ainsi qu’on l’ob-
serve sur la figure précédente. Ainsi voit-on que décompaction et convection
sont nécessairement associées, du moins dans cette expérience modèle. Il
faut aussi comprendre dès maintenant que l’expérience aux temps longs que
nous rapportons ici ne met en évidence que des états relaxés de l’empile-
ment. Comme nous l’avons déjà noté, celui-ci tend à retrouver, après chaque
lancement vertical, un état ordonné, énergétiquement favorable. Ainsi que
nous le verrons ci-dessous, l’observation aux temps courts de la dynamique
de l’empilement peut donner une image totalement différente et permettre
l’observation d’états non relaxés du système vibré.
Γ >1
Vibrations
Dans le récipient de gauche, la paroi de gauche est lisse tandis que la paroi de droite,
frottante, provoque un mouvement de convection. Dans le récipient de droite, le
mouvement de convection se produit en sens inverse de celui qui est observé dans le
récipient cylindrique (expérience en 3D).
3.2. DYNAMIQUE 121
log A
-1
-2
1 1.4 1.8 log ω/2π
23
Cette définition du seuil demande à être précisée. En effet, on peut observer de légers
frémissements des particules de la surface du tas avant que la convection ne s’amorce
réellement. L’imprécision sur la définition de ce seuil et d’autres facteurs (désordre,
préparation du tas préalablement tassé ou non, frottements, etc.) peuvent sans doute
expliquer que les résultats de ces expériences ont donné Γ proche de 1, 2 alors que des
expériences ultérieures, effectuées en 2D, ont montré que l’accélération seuil est égale à 1
aux erreurs expérimentales près (±0, 05) .
122CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
temps (secondes)
Tracé en fonction de log(t) de la distance entre les sommets des bosses gauche et
droit en formation et les parois respectivement gauche et droite de la cellule,
pendant une trentaine d’heures. La distance est exprimée en nombre de billes.
On observe expérimentalement un ralentissement progressif du processus
de mise en tas. Celui-ci, qui est correctement représenté par une loi en log(t)
sur quatre décades24 , résulte de la diminution des occurrences des rouleaux
de convection générée par les parois. Notons au passage que cette diminution
du taux d’apparition des rouleaux, au fur et à mesure que ceux-ci descendent
sur les parois latérales de la cuve, est compatible avec la modélisation ex-
posée au paragraphe 3.2.3 ainsi qu’avec les observations que nous décrirons
plus loin et qui concernent la décompaction progressive de l’empilement
sous vibration. En effet, on peut faire observer que la fréquence d’appari-
tion des rouleaux de convection, qui ne peuvent concerner que la portion
décompactée de l’empilement, doit diminuer quand les bords latéraux du
chapeau chinois atteignent une zone inférieure non décompactée. Par con-
tre, il n’est pas évident ni démontré que cette dynamique doive suivre une
loi en log(t).
24
Nous aurons l’occasion de retrouver un peu plus loin (paragraphe 4.2.1) une autre loi
de comportement en log t pour laquelle nous proposerons une explication plus détaillée.
3.2. DYNAMIQUE 123
dx B x x
= C exp( ) exp(− ) = α exp(− )
dt C C C
Compte tenu de la géométrie du système, la variable x qui mesure la
distance du pic à la paroi est aussi proportionnelle à la profondeur du cha-
peau chinois (à deux bosses) en formation. Cette écriture présente l’avan-
tage d’indiquer que α, qui décrit l’efficacité de la mise en tas, dépend de
l’accélération Γ − 1, d’une part, et du couplage par frottement entre l’em-
pilement et les parois latérales (couplage billes-parois), d’autre part25 . Le
coefficient C qui intervient seul dans le facteur de l’exponentielle gère l’ex-
tension du rouleau au sein de l’empilement et définit ainsi une longueur car-
actéristique du problème faisant intervenir le couplage billes-billes. Compte
tenu de l’absence de support théorique solide et de la rusticité de cette de-
scription ad hoc, il serait hasardeux d’aller plus loin dans cette direction,
pour l’instant purement indicative.
Nous donnons ici (en UB, unités de billes) les paramètres C et α trouvés
par l’expérience.
Γ 1,15 1,39
α 3,9 16,8
C 1 2,7
— Les deux figures de droite représentent les résultats des expériences ef-
fectuées pour tester, au moins dans quelques conditions caractéristiques,
la pertinence du diagramme de phase (α, Γ, χ) que nous avons établi
précédemment. Dans ce but, on utilise une cellule bidimensionnelle,
remplie jusqu’à une hauteur donnée de billes d’aluminium oxydées, et
on place l’échantillon granulaire ainsi obtenu sur un pot vibrant dont
on peut contrôler l’accélération (Γ = aω 2 /g). On observe, au moins
pour deux hauteurs différentes d’empilement et comme le prévoit le
modèle, que les résultats expérimentaux s’alignent sur les deux courbes
théoriques obtenues pour le même produit Kf (ici f désigne le co-
efficient de frottement) qui vaut 0, 29 dans ces expériences. Notons,
en passant, que le modèle d’empilement triangulaire que nous avions
décrit au paragraphe 3.1.3 nous avait donné une valeur K = 0, 58.
Ainsi, le coefficient de frottement bille-paroi fbp pouvant varier d’une
cellule à l’autre entre 0, 2 et 0, 5, devrait-on effectivement observer
des coefficients Kf de l’ordre de 0, 1 à 0, 3 selon l’état de surface des
parois et des billes d’aluminium utilisées. C’est bien ce que donne l’-
expérience. Il est à noter aussi que, du fait de l’usure des billes et des
parois latérales des cellules au cours de longues expériences, ce coeffi-
cient peut varier notablement au cours du temps et il convient donc
3.2. DYNAMIQUE 125
réalisées.
fenêtre marquée
K>0 µ >0
Ce dessin permet d’avoir une vue d’ensemble des résultats que nous
venons d’exposer. Le modèle indiquant que le paramètre de contrôle est
χ = SKµ, nous avons pu vérifier l’influence du rapport d’aspect S avec
K et µ non nuls. L’expérience du cylindre 2D sans parois latérales nous a
permis de tester le cas K 6= 0 et µ = 0. Il restait à tester l’hypothèse K = 0
et µ 6= 0. Cela a pu être réalisé grâce à une astuce dérivée de la discussion
du paragraphe 3.1.3 sur l’étude de la variation de la surface occupée par un
empilement en forme de losange soumis à une déformation verticale.
Lors de cette étude, nous avons signalé que les propriétés de dilatance de
cet objet provenaient de son anisotropie et qu’elles disparaissaient lorsque
les deux disques supérieur et inférieur se rapprochaient l’un de l’autre. Le
3.2. DYNAMIQUE 127
Les expériences que nous avons décrites jusqu’à présent concernent fon-
damentalement des observations sur des temps longs (pris dans le sens de la
discussion du paragraphe 3.2.3). En clair, les mouvements de décompaction
observés expérimentalement correspondent à une succession d’états relaxés
dans lesquels l’empilement séjourne un temps suffisamment long (par ex-
emple, plusieurs secondes) pour qu’ils soient enregistrés avec la technique
de prise de vue que nous avons mise en place (CPP). Ce faisant, on ignore
le détail des mouvements successifs, aux temps courts, qui ont pu se pro-
duire mais qui ont conduit à des distorsions réversibles et de courte durée
(c’est-à-dire de l’ordre de grandeur d’une fraction de la période d’excita-
tion). Cela est parfaitement clair du point de vue des expériences, mais
qu’en est-il pour la modélisation simplifiée que nous avons mise en place ?
En quoi ce modèle pourrait-il, malgré ou à cause de ses imperfections, con-
cerner plus particulièrement les expériences sur des temps longs ? Dans l’état
actuel de la question, il est difficile d’avancer une réponse définitive. On
peut simplement constater le fait que cette modélisation simplifiée rend
compte des situations réorganisées ou relaxées de l’empilement. On peut
raisonnablement penser qu’une formulation dynamique de la loi de Coulomb
telle qu’elle est décrite par l’équation 3.16, associée au modèle des tranches
horizontales, rend compte de l’ensemble des situations relaxées, donc sta-
bles sur de longues durées. Elle ignore l’ensemble des solutions plus ou
moins indéterminées et sujettes à des fluctuations, auxquelles conduirait
inévitablement la résolution détaillée du problème.
26
Cette présentation, à but pédagogique, ne suit pas fidèlement le déroulement des
opérations qui ont conduit à ces observations aux temps courts. En réalité, c’est en
voulant mesurer directement le déplacement des particules au sein de l’empilement grâce
à une caméra fixée sur le conteneur que l’on s’est aperçu que la décompaction progressive
résultait, en fait, d’une suite de fragmentations plus ou moins irréversibles.
130CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
lignes de
fracture
Expériences en 2D
On dispose un empilement, initialement ordonné en configuration de
réseau triangulaire, dans une cellule verticale constituée suivant les principes
décrits aux paragraphes précédents. Cette cellule est obturée par une lame
métallique qui peut être retirée rapidement (avec une accélération au départ
de l’ordre de 3g) vers le bas à l’aide d’un mécanisme à ressort. Une caméra
CCD filme la chute de l’empilement dont la durée totale est de l’ordre du
dixième de seconde. La figure suivante reproduit une suite de clichés typiques
obtenus au cours de ces expériences.
Modélisation théorique
Il est intéressant de se demander comment le modèle théorique30 précédent,
qui est une extension dynamique du modèle de Janssen, peut, dans le cadre
des hypothèsesque nous avons discutées plus haut, rendre compte de ces
processus de fragmentation. Nous montrerons ensuite comment une simula-
tion numérique [?] adaptée permet de retrouver et de rendre compte, plus
en détail, du mécanisme d’apparition et de propagation des fractures au sein
de l’empilement.
A h P
i
pv = ρg 1 − eKµs A (h−h0 )
P Kµs
· ¸
L h 2Kµs
(h−h )
i h−h0
pv = ρg 1−e L 0
= ρgζ 1 − e ζ
2Kµs
· ¸
∂Ff rict pv h−h0
= =g 1−e ζ
∂m ρζ
∂Ff rict
γ(h) = gΓ(h) = g −
∂m
ce qui donne l’accélération réduite à laquelle est soumise cette tranche de
l’empilement, située à la hauteur h :
µ ¶
h − h0
Γ(h) = exp pour h ∈ [0, h0 ] (3.20)
ζ
En toute rigueur, cette équation n’est valable, dans le cadre des hy-
pothèses que nous avons discutées plus haut, qu’au moment précis ou débute
la chute vers le bas. Pour simplifier , nous supposerons en outre, en nous
limitant ici à une analyse semi-quantitative, que la même équation reste val-
able au cours de la chute. Nous verrons plus loin que l’expérience confirme
cette hypothèse.
Dans un premier temps, en remarquant que la fonction Γ(h) est une
fonction croissante de la hauteur, nous observons que l’empilement, soumis
134CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
h0
Γ = e− ζ = e−χ
1 bead
h 20
44
93
130
195
h0 −hf
ΓA = e− ζ
hf
−
ΓB = e ζ
ΓB ≥ ΓA soit
h0 − hf hf
≥
ζ ζ
h0
hf ≤
2
C’est-à-dire si et seulement si elle se produit dans la moitié inférieure de
l’empilement. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si une fluctuation provoque
une fracturation de la partie supérieure de l’empilement, cette fracture doit
se refermer au cours de la chute.
On peut établir, à partir des mêmes arguments, une équation de con-
servation, assez inhabituelle en mécanique. Elle concerne la dynamique de
la fragmentation qui subdivise progressivement le tas père initial en tas fils,
petit-fils, etc. Soit i l’indice du tas de hauteur hi , obtenu par subdivisions
successives. On suppose ici qu’une seule fracturation peut se produire à la
fois. L’accélération de ce tas est égale à exp(−hi /ζ). La conservation de la
masse de l’empilement au cours de la chute impose que :
X
hi = h0
i
Y
Γi = Γ0 = e−χ
i
La méthode que nous utilisons ici repose sur le concept des sphères
dures (au sens précisé dans le chapitre 6). Elle est gérée par les événements
(méthode ED), tout à fait dans l’esprit de celle que nous avions mise en place
pour traiter le problème des collisions multiples dans une colonne 1D (para-
graphe 3.2.1). Comme nous l’avons souligné, cette technique est fondamen-
talement dynamique et ne peut rendre compte, en principe, de situations sta-
tiques telles que celle du tas initalement au repos. Cette méthode doit donc
nécessairement être implémentée par une sorte d’“agitation thermique” arti-
ficielle permettant aux particules de percevoir leur environnement immédiat,
même en condition statique31 . La description des équilibres se fera donc en
termes d’impulsions, de quantités de mouvements, de moments de rotation,
toutes quantités qui font intervenir les vitesses de translation ou de rota-
tion. La situation réelle statique ou quasi-statique peut, comme nous l’avons
écrit au paragraphe 3.1.1, recéler une part d’indétermination qui est sans
doute à l’origine de la différence d’appréciation entre la réalité expérimentale
d’une part et la modélisation numérique d’autre part. Du point de vue
expérimental, les hétérogénéités de surface des parois latérales sont iden-
tifiées comme étant à l’origine des amorces de fractures. A l’inverse, l’agi-
tation thermique artificielle introduite dans la simulation crée d’emblée une
situation fluctuante qui est à l’origine de la fracturation indépendamment
de l’état de surface des parois latérales. Ceci étant bien compris, on con-
state que la modélisation numérique reproduit de manière satisfaisante les
résultats des observations expérimentales, comme cela apparaı̂t sur la figure
suivante.
31
L’introduction d’une agitation thermique artificielle pour modéliser, avec une méthode
numérique dynamique, la statique d’un empilement cache une réalité profonde : ainsi
que nous le verrons au paragraphe 6.4, la dynamique des empilements supporte moins
d’indéterminations (au sens du paragraphe 3.1.1) que la statique. Les forces sont con-
stamment mobilisées et sans indétermination lors des collisions multiples, alors que des
inconnues subsistent dans un état d’équilibre statique. D’autre part, l’agitation thermique
que l’on introduit ainsi, implique un terme artificiel de fluctuations qui n’a pas forcément
d’équivalent dans la réalité. On touche ici à un problème fondamental en matière de
modélisation et de compréhension du comportement de matériaux granulaires.
138CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
Ayant reconnu que les simulations qui prennent en compte les mouve-
ments de rotation des particules semblent donner des résultats conformes
à la réalité, il reste à examiner les renseignements que nous apporte cette
modélisation numérique et qui, pour la plupart, ne peuvent être obtenus
par des observations expérimentales. C’est ce que nous allons faire dans la
suite de cet exposé en considérant tout d’abord la répartition des pressions
au sein de l’empilement en chute guidée ainsi que les modes de propagation
de la fracturation. Par la suite, nous examinerons, avec quelques détails, les
modes d’autoorganisation des rotations des particules dans l’environnement
immédiat des fractures.
Pression sur les parois en fonction de la hauteur, calculée par simulation numérique. Le
temps d’intégration est de 10 millisecondes, et chaque point est obtenu en faisant la
moyenne sur une hauteur de 6 rangées.
à l’image intuitive que nous avons de la fonction des voûtes qui, comme
nous l’avons vu au paragraphe 3.5, ont pour propriété essentielle de re-
porter les pressions exercées par la partie supérieure de l’empilement vers
les parois latérales. Nous obtenons ainsi, par le biais de cette simulation
numérique, une information objective et chiffrée sur le processus de frag-
mentation, résultant ici de la formation et de la destruction successives
d’arches de forme triangulaire présentant leur pointe vers le haut, comme
nous l’avions pressenti précédemment.
Dans le même esprit, il est possible d’étudier en détail le mode d’ou-
verture d’une fracture au sein de l’empilement. On observe par le biais de
cette simulation cette ouverture se fait à partir d’une seule particule dont les
vitesses en translation comme en rotation (voir paragraphe 2.2.2) s’adaptent
à la vitesse relative de la paroi. En d’autres termes, à la différence des par-
ticules de l’environnement, la particule qui est responsable de la formation
d’une fracture (c’est-à-dire d’une voûte), entre en régime de roulement sans
glissement, au sens du paragraphe 2.2.2, lors de l’ouverture de la fracture.
On observe aussi que la propagation de la fracture vers l’intérieur de l’em-
pilement se fait bien suivant les lignes de fracture aisée33 du réseau et avec
un accroissement significatif du nombre des collisions particule-particule le
long et autour de la chaı̂ne des contacts.
Il apparaı̂t ainsi que le mécanisme précurseur de la fracture résulte d’une
sorte d’organisation du mouvement de rotation de la particule initiatrice par
rapport à la paroi. Compte tenu de l’augmentation importante du nombre de
collisions particule-particule au sein de l’environnement immédiat, on peut
se demander si cette organisation locale de la rotation peut se propager au
sein de l’empilement. C’est ce que nous allons voir maintenant.
33
On utilise ici la terminologie propre à la cristallographie. Compte tenu de l’ordre
triangulaire de l’empilement compact, les lignes de fracture aisée sont horizontales ou à
60◦ de l’horizontale.
34
Dans ce contexte et par extension, le mot “spin” désigne le mouvement de rotation
des particules avec un moment perpendiculaire au plan de l’empilement bidimensionnel.
3.2. DYNAMIQUE 141
voûte
(a)
contact
fragile
voûte
(b)
impossible
A gauche, organisation des rotations autour des fractures indiquées par les
flèches dans empilement en chute guidée. A droite, le dessin a montre une
organisation des rotations compatible avec des chaı̂nes de contact en V,
ainsi qu’on l’a observé expérimentalement. Le dessin b montre une
organisation incompatible avec le modèle de voûte. En effet, elle n’est pas
observée dans la simulation.
Une grande partie des événements que nous avons décrits dans les para-
graphes précédents tels que la décompaction, la convection ou la fragmen-
tation des milieux granulaires trouvent leur origine dans les interactions
milieu granulaire-parois latérales des conteneurs. Dans la logique de notre
progression et avant d’examiner, au chapitre 4, le comportement de la sur-
face libre d’écoulements inclinés, nous allons considérer ici une situation
notablement différente de la précédente dans laquelle l’empilement présente
une extension latérale beaucoup plus grande que sa hauteur. De manière
plus précise, rappelons les considérations que nous avions développées en
traitant du modèle de Janssen statique (paragraphe 3.1.4) et de son ex-
tension à la dynamique (paragraphe 3.2.3). Nous avions fait remarquer
que, dans les limites de cette modélisation, le paramètre de décompaction
χ = SKµ régissait l’ensemble du comportement de l’empilement de hau-
teur h et de périmètre P aussi bien en statique qu’en dynamique, et cela
par l’intermédiaire d’un facteur exponentiel exp (−χ) . Rappelons que le fac-
teur de forme S = P h/A mesure le rapport surface latérale/aire de la sec-
tion horizontale de l’empilement. Dans le cas d’un empilement 2D, nous
avions montré que S = 2h/L (L étant la largeur). On peut écrire ce terme
d’atténuation de la propagation des contraintes
¡ ¢ dans l’empilementL sous la
2h
forme exp (−χ) ≡ exp −( (L/Kµ) ) ≡ exp − 2h λ dans laquelle λ = Kµ est la
longueur caractéristique de cette atténuation. En reprenant les arguments
développés dans le paragraphe précédent, et de manière imagée, on peut voir
λ comme une mesure de la hauteur d’une voûte moyenne qui redirige la con-
trainte vers les parois et limite ainsi la propagation de la pression verticale
correspondant au poids de la colonne. Dans un cas typique où Kµ ' 0, 3,
cette hauteur de voûte est de l’ordre de trois fois la largeur du silo. On peut
donc s’attendre à des effets non hydrostatiques, prenant en compte les frot-
tements et les redirections aux parois latérales, dans des silos 2D ou 3D dont
la hauteur est de l’ordre de 2 à 3 fois leur largeur. A l’inverse, lorsque la
hauteur de l’empilement est beaucoup plus petite que son extension latérale,
c’est-à-dire lorsque h ¿ L (ou P h ¿ A en 3D), on peut s’attendre à ce que
les effets liés aux parois deviennent négligeables et que les phénomènes que
nous avons étudiés dans les paragraphes précédents laissent la place à des
comportements différents. C’est ce que nous allons voir dans la suite.
vibrations
vibrations
3D 2D
Empilement étendu 3D
36
Il est bon de réfléchir au sens profond de cette observation qui est aussi conforme
à l’image de la décompaction que nous avons décrite précédemment, dans laquelle ce
sont bien les interactions de frottement billes-parois qui décident du comportement du
matériau granulaire de grand rapport de forme, sous vibration. On observe aussi dans cette
expérience, pourtant fondamentalement différente, que les interactions de frottement bille-
bille ne semblent pas influencer le comportement global de ces empilements plats vibrés,
sans d’ailleurs que l’on sache très bien pourquoi.
37
M. Faraday excitait par des vibrations verticales de fréquence f et d’autres har-
moniques ou sous-harmoniques un récipient contenant des liquides plus ou moins visqueux.
Il observait une organisation des ondes de surface assez semblable à celle qui est décrite ici,
sans voir, bien entendu, de phénomènes de bifurcation, qui sont propres aux empilements
inélastiques (voir au paragraphe 3.2.1).
3.2. DYNAMIQUE 145
A B C
3
désordre
f.t v hexagones
plat
1 et
plat défauts rayures
rayures et
carrés (f/4)
1 2 3 4 5 6 7 Γ
Diagramme des bifurcations d’une bille inélastique et figures d’organisation de la surface
d’un granulaire étendu 3D.
30
λ (mm)
20
10
λ min
0
0.002 0.004 0.006
2 2
1/f (sec)
gef f
λ = λmin +
f2
où λmin est proche de 11d et ne dépend que du diamètre d des partic-
ules. Cette équation doit être rapprcchée de la discussion que l’on trouvera
dans un pargraphe du livre de mécanique de Landau et Lifchitz qui porte
sur les excitations paramétriques des ondes gravitationnelles de surface. On
comprend ainsi que le paramètre gef f doit être une fraction de l’accélération
de la gravité, et c’est bien ce que nous trouvons ici (gef f ' 3, 1 m/s2 ).
Empilement étendu 2D
λ 1
λ 2
λ Gef f
√ = λmin (d) + 2
Nh f
qui ne diffère pas, au moins dans la forme, de la relation proposée pour
la situation 3D. Notons qu’une meilleure précision est obtenue dans
cette expérience en 2D que dans celle effectuée en 3D. L’expérience 2D
permet de mettre en évidence la dépendance en racine de la hauteur
de la colonne, toutes choses égales par ailleurs. Il n’est pas prouvé
que cette dépendance persiste en 3D, même si la tendance reste à peu
près compatible avec cette loi simple. Remarquons aussi que λmin (d)
a sensiblement la même valeur en 2D et en 3D.
— Dans le domaine haute fréquence, (f > 10 hertz), on observe un
phénomène assez remarquable : les longueurs d’onde des figures d’or-
ganisation de la couche atteignent un palier, lorsqu’on augmente la
fréquence d’excitation, et ne dépendent plus de cette dernière.
Pour l’instant, l’origine de cette fréquence “propre” est encore inconnue,
de même que le mécanisme du passage du régime des basses fréquences
√ à
celui des hautes fréquences et que la raison de la dépendance en Nh de la
longueur d’onde aux basses fréquences.
3.2. DYNAMIQUE 149
Conclusion
L’étude des figures d’organisation d’un milieu granulaire 2D ou 3D de
grande extension latérale montre qu’elles résultent de la superposition de
deux phénomènes bien connus. D’une part, le diagramme des rebondisse-
ments de la bille inélastique et, d’autre part, les instabilités de Faraday
obtenues dans les liquides. On peut, en partant de cette dernière similarité
de comportements, essayer d’établir un parallèle entre la viscosité des liq-
uides et la dilatation d’une nappe granulaire agitée. On observe ainsi, à
partir des expériences, qu’un matériau granulaire dilaté présente une plus
faible viscosité apparente, au sens des liquides, qu’un granulaire compacté
(voir par exemple le paragraphe 2.4.2). Nous ne persévérerons pas dans ce
type de rapprochement qui, pour l’instant, reste spéculatif.
150CHAPITRE 3. FLUIDISATION, DÉCOMPACTION, FRAGMENTATION
Chapitre 4
Milieux granulaires en
écoulement
151
152 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
tions, proche de 35 degrés. Cet angle, ou plutôt, comme nous allons le voir,
ces angles, sont nommés “angle de talus”.
39°
Convexe
39° Concave
β
α
α>β
θm θr
doit nous rappeler plusieurs observations que nous avons faites au chapitre
3, concernant les indéterminations des forces de frottement et le caractère
hystérétique des écoulements particulaires (paragraphe 2.3).
Il est important de chercher à obtenir quelques précisions sur la nature
de cet angle de relaxation qui est à l’origine de l’indétermination de l’angle
de talus. On voit qu’en l’absence de toute information sur la manière dont a
été construit un tas de grains en situation d’avalanche, la valeur de l’angle
de talus est indéterminée à δ près.
Il faut noter que Reynolds [?] a, dès 1885, proposé une explication
pour justifier l’existence de cet angle de relaxation. Son explication, basée
sur le principe de dilatance, énonce que des particules situées dans l’état
métastable lorsque θ = θr doivent, pour pouvoir bouger, se ménager un es-
pace libre (c’est-à-dire, dilater l’empilement), ce qui implique une inclinaison
supplémentaire jusqu’à θm . Ainsi, d’après un calcul de Reynolds, l’écart δ
correspondrait approximativement à l’inclinaison nécessaire à la dilatation
des nappes supérieures de l’empilement.
Plusieurs considérations permettent d’éclairer notre compréhension de
cette importante question. La première a rapport aux empilements d’un
petit nombre de particules. La seconde concerne l’analyse du passage du
régime d’écoulement intermittent au régime d’écoulement continu lorsque
l’on fait tourner le tambour cylindrique précédent de plus en plus vite. Nous
allons examiner successivement ces deux situations.
N billes
Un empilement d’un petit nombre de billes voit l’angle de relaxation δ tendre vers zéro.
(a) (b)
flux continu
flux
intermittent
Ω- Ω+ Ω
Cette hystérésis doit nous rappeler les remarques que nous avons faites
aux paragraphes 2.3 et 3.1.1. On peut donner une idée de la cause de ce
phénomène hystérétique en considérant que les temps de chute d’un grain
sont différents lorsque l’on se trouve en régime intermittent (temps de chute
t1 ) ou continu (temps de chute t2 ). La transition du régime intermittent
au régime continu se fait lorsque le temps de chute d’un grain devient égal
au temps T qui sépare deux avalanches. Ainsi que nous le verrons plus loin,
cet intervalle T est, en réalité, fluctuant au cours du temps. Néanmoins, ces
fluctuations sont suffisamment faibles pour que l’argument présenté ici soit
158 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
δ
Ω+ =
t1
δ
Ω− =
t2
Si l’existence de l’angle de mouvement θm peut être, assez naturellement,
reliée à une propriété fondamentale du sable et traduit bien un phénomène
critique, il n’en va pas de même pour l’angle de repos θr , c’est-à-dire l’an-
gle que forme l’empilement avec l’horizontale après relaxation. En effet, et
même pour des empilements de grande taille, on constate que l’angle de
repos dépend généralement du blocage de la nappe en écoulement par la
partie inférieure du tambour. Ces effets de taille finie sont moins évidents
que ceux que nous avons évoqués ci-dessus au sujet des petits empilements.
Les effets des parois doivent être pris en compte si l’on désire obtenir une
description détaillée de cette expérience simple en apparence, mais qui se
révèle d’interprétation compliquée.
S’agissant d’un phénomène critique, il est instructif de s’intéresser aux
variations du flux de granulés s’écoulant en surface en fonction de l’incli-
naison θ de l’empilement1 . Par analogie avec les transitions critiques, on
cherche à vérifier si ce phénomène peut être décrit par une loi de la forme
suivante :
J ∼ (θ − θc )m (4.1)
1
J = eΩR2 (4.2)
2
où e est l’épaisseur du tambour et R son rayon.
La figure suivante donne le résultat de mesures effectuées dans un tam-
bour tournant de 19 cm de diamètre rempli à moitié de particules de 0, 3
1
L’angle θ appelé angle dynamique définit une caractéristique des avalanches. Il dépend
évidemment de la vitesse de rotation. On montre par ailleurs que, dans certaines condi-
tions, cet angle dépend de la taille des particules. Nous verrons une application de cette
propriété, assez mal connue, au paragraphe 5.4.
4.1. LE TAS DE SABLE À L’ÉQUILIBRE ET L’ANGLE DE TALUS159
Ω
t/mn
Tracé en log(log) de l’écart à l’angle critique en fonction du flux de matière
transportée par les avalanches (régime continu).
Le graphique obtenu à partir des expériences montre que, dans les limites
du domaine des variables que nous avons considérées, on a bien une loi de
puissance J ∼ (θ − θc )m avec m = 0, 5 ± 0, 1. Il est instructif de rechercher la
signification physique de l’exposant m. Tout d’abord, rappelons le cas bien
connu en hydrodynamique de l’écoulement d’un liquide usuel (écoulement
brownien).
ρgh3
J= sin θ
3η
où ρ représente la densité du fluide.
160 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
On trouve que l’exposant mest égal à un dans le cas d’un liquide ordinaire
pour lequel l’angle critique θc est égal à zéro. L’explication phénoménologique
est la suivante : les particules browniennes composant le fluide sont animées
de vitesses bien plus importantes que la vitesse moyenne v d’entraı̂nement
due à l’écoulement. Dans ce cas, la viscosité η reflète la perte des quantités de
mouvement de ces particules sous l’action de chocs mutuels et répétés. Dans
le même esprit, que peut-on dire de l’écoulement de particules granulaires ?
µ ¶2
∂v
−α + ρgz (sin θ − µ cos θ) = 0 (4.3)
∂z
Où µ = tan θc représente le coefficient de frottement du granulaire sur
lui-même tel qu’il a été défini par Coulomb. Oz est dirigé vers la bas suivant
l’axe de la gravité.
En supposant que ρ et µ varient très peu avec v près de l’équilibre,
nous effectuons un développement limité au voisinage de θc suivi de deux
intégrations successives. On obtient ainsi :
sµ ¶µ
2 ρgh3 ³z ´3 ¶ 1
2
v(z) = 1− (θ − θc ) 2
3 α cos θc h
d’où :
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 161
1
J ∼ (θ − θc ) 2
(pour Cellular Automaton Model ), que nous allons décrire ci-dessous, fait
irrésistiblement penser à une modélisation du processus d’avalanche. Comme
nous le verrons plus loin, cette assimilation requiert les plus grandes précautions.
Le principe :
Les règles du fonctionnement de cet automate cellulaire élémentaire uni-
dimensionnel sont simples. On construit un empilement de carrés composé
de colonnes juxtaposées et obéissant aux règles suivantes :
1. La différence des hauteurs entre deux cellules adjacentes ne peut excéder
deux unités. C’est l’image de l’angle de talus qui ne peut excéder une
valeur limite sans que celui-ci ne s’écroule.
2. Lorsqu’une colonne se détruit parce qu’elle est trop élevée par rapport
à ses voisines, elle entraı̂ne deux unités dans sa chute. C’est l’image de
l’effet “domino” ou effet d’entraı̂nement, dans une avalanche.
En partant d’un empilement quelconque, on laisse le système relaxer
selon les règles précédentes. On aboutit ainsi à un empilement stable tel
celui représenté sur la figure précédente. C’est la configuration initiale de
notre édifice.
On laisse ensuite tomber, un par un et au hasard, des petits carrés sur
cet édifice. Chaque lâcher est éventuellement suivi d’un processus de relax-
ation obéissant aux règles précédentes. La surface du plan de base étant
initialement limitée, on comptabilise le nombre de carrés qui sont éjectés de
dante littérature qui a fait suite à la parution de l’article BTW. Nous contentant ici d’ex-
aminer la pertinence de ce modèle par rapport au problème spécifique des avalanches, nous
remarquons que cette définition ne peut être appliquée qu’avec de grandes précautions aux
avalanches réelles de particules, ne serait-ce qu’à cause de la coexistence des deux angles
θm et θr , au lieu d’un seul.
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 163
Zn → Zn + 1
Zn−1 → Zn−1 − 1
Zn → Zn − 2
Zn±1 → Zn±1 + 1 pour Zn > Zc
Z0 = 0
ZN → ZN − 1
ZN −1 → ZN−1 + 1 pour ZN > Zc
164 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
Zn < Zc (n = 1, 2, ...., N )
Ce qui donne donc ZcN états stables. Une méthode simple pour atteindre
l’état le moins stable à partir duquel on peut commencer à laisser tomber,
au hasard, des carrés sur l’empilement, consiste à initialiser le système en
pourvoyant toutes les colonnes telles que Zn > Zc ∀n. On laisse ensuite le
système relaxer spontanément jusqu’à un état d’équilibre à partir duquel on
commence le processus d’introduction de nouveaux carrés. On observe que
l’état de stabilité minimale ainsi obtenu est un état critique en ce sens que
toute perturbation élémentaire peut se propager sur l’ensemble de l’empile-
ment. C’est donc un problème analogue à celui, bien connu, de la percola-
tion en une dimension. Le problème de la stabilité des états d’équilibre est
autrement plus complexe en dimension supérieure à un. Nous ne pouvons
l’évoquer ici sans sortir du cadre de cet ouvrage et nous renvoyons le lecteur
aux nombreux articles qui ont fait suite à la parution de l’article de BTW.
Quoi qu’il en soit, il est maintenant aisé d’extrapoler l’algorithme précédent
à des dimensions supérieures à un. Ainsi, en dimension 2 et partant d’un
empilement carré Z(x, y), peut-on écrire la chaı̂ne des équations précédentes
sous la forme :
Z(x − 1, y) → Z(x − 1, y) − 1
Z(x, y − 1) → Z(x, y − 1) − 1
Z(x, y) → Z(x, y) + 2
Si la différence des hauteurs excède la valeur critique Zc :
Z(x, y) → Z(x, y) − 4
Z(x, y ± 1) → Z(x, y ± 1) + 1
Z(x ± 1, y) → Z(x ± 1, y) + 1 pour Z(x, y) > Zc
Il apparaı̂t que, dès que l’on s’écarte du modèle unidimensionnel, la
représentation imagée du phénomène d’avalanche de granulaires n’est plus
aussi évidente. Comme nous l’avons déja noté, s’agissant de lois de puis-
sance, l’extension de l’algorithme précédent à des dimensions supérieures
permet de réaliser un test relativement critique du modèle SOC.
les lois de distribution D(s) des avalanches (on dit ”des amas”, pour être
moins spécifique) de taille s sur plusieurs ordres de grandeurs. On en tire
des diagrammes qui donnent log10 D(s) en fonction de log10 s pour des con-
figurations à deux et trois dimensions avec des temps de calcul raisonnables.
On trouve ainsi “expérimentalement” que :
D(s) ≈ s−τ
D(T ) ≈ T −α (4.4)
de réponse plate4 entre ces limites. A l’inverse, le bruit brownien est un bruit
fortement corrélé dans lequel les basses fréquences dominent.
Le bruit, ou les fluctuations dont la courbe de distribution décroı̂t en
1/f, est fréquemment observé en physique lors de l’étude de phénomènes
aussi divers que l’apparition des tremblements de terre, le scintillement des
étoiles, l’écoulement d’un flux de voitures sur une autoroute, etc. Le car-
actère universel du “bruit en 1/f ” et la multiplicité de telles observations
ont, bien entendu, attiré l’attention de nombreux chercheurs. Il est assez
aisé de comprendre en faisant appel à son intuition, que ce type de fluctu-
ations en 1/f constitue une des caractéristiques des objets auto similaires
ou fractals. En effet, on peut observer qu’une loi de distribution du type
S(f ) ≈ 1/f traduit le fait que la puissance de bruit mesurée dans une bande
de fréquence de largeur df est S(f )df, qui est équivalent à df /f. En d’autres
termes, on peut dire qu’un système présentant un bruit en 1/f possède la
même loi de distribution de fluctuations quelle que soit la fréquence [?].
On reconnaı̂t ici la propriété fondamentale des systèmes auto similaires qui
possèdent les mêmes propriétés à toutes les échelles.
Ainsi que nous l’avons observé dans l’équation 4.5, l’automate cellulaire
dont nous avons examiné les réalisations conduit effectivement à une distri-
bution temporelle très proche d’une loi en 1/f . Dès lors, il était très tentant
d’assimiler le comportement d’un tel CAM à celui d’un système critique au-
toorganisé et, au-delà, de s’interroger sur la validité de la modélisation des
systèmes granulaires avalancheux par un système SOC, lui-même modélisé
par l’automate cellulaire précédent. Comme nous allons le voir, la question
est délicate et la réponse demande certainement à être nuancée.
En A, on verse, une à une, les particules sur un petit tas conique sup-
porté par le plateau d’une balance électronique couplée à un ordinateur.
Le poids des particules s’échappant du plateau de la balance permet d’es-
timer, avec une assez bonne précision, la taille des avalanches successives.
En B, un condensateur compte, pratiquement une par une, les particules qui
débordent de l’empilement que l’on alimente régulièrement. En C, toujours
avec un condensateur, on compte le nombre des particules qui s’échappent
du demi-cylindre, fermé par une paroi et en rotation lente autour de son
axe. En D, un cylindre presque à moitié rempli de granulaire tourne lente-
ment autour de son axe, induisant, comme nous l’avons décrit ci-dessus,
une succession d’avalanches de tailles variées. Le bruit provoqué par ces
avalanches est capté par un petit microphone placé à proximité du mon-
tage. Ces différentes méthodes, utilisées par différents expérimentateurs, ont
conduit à des résultats apparemment discordants selon que les empilements
comportaient un petit ou un grand nombre de particules.
Statistique des avalanches observées dans une expérience de cylindre tournant. Le dessin
A représente le nombre de particules en fonction du temps, tandis que le tambour de la
figure précédente (montage C) tourne régulièrement. En B, spectre de puissance obtenu
dans ces expériences. La ligne pointillée donne le résultat que l’on obtiendrait pour une
distribution en 1/f. Le sable est composé de petites billes de verre de 0, 5 millimètres
de diamètre. La vitesse de rotation du tambour est ici de 1, 3 degré par minute.
Cela est illustré par la partie B du dessin ci-dessus où l’on observe une
loi de distribution S(f ) en cloche assez semblable à celle que donnerait une
statistique gaussienne des événements. La droite théorique correspondant
au modèle précédent, représentée en pointillés sur ce dessin, s’écarte très
sensiblement des observations expérimentales. On voit que les distributions
temporelles et en taille des avalanches sont plus proches de celles que l’on ob-
serverait pour une transition du premier ordre que de celles d’une transition
du second ordre comme le prévoit le modèle SOC.
Cependant, une étude attentive du processus d’avalanche tel qu’il se pro-
duit dans l’expérience réelle permet de faire deux observations qui peuvent
expliquer les divergences évoquées plus haut avec le modèle CAM.
— 1. Un grand nombre d’avalanches, notamment de petite taille, ne
parviennent pas à descendre jusqu’en bas de la pente et ne sont
pas comptabilisées dans le processus. On assiste alors à une sorte
d’accumulation de matière dans le bas de l’édifice, ce qui a ten-
dance à diminuer l’angle que fait la pente avec l’horizontale qui
sort ainsi du domaine critique et cela de manière catastrophique
au sens de la physique du processus. Il s’agit là typiquement d’un
effet de taille finie. Cet effet agit, en quelque sorte, à la manière
d’un filtre passe-haut qui sélectionne, en sortie, les avalanches de
taille suffisante.
2. Comme nous l’avons noté plus haut, le dédoublement des angles
critiques en angle de mouvement, d’une part, et angle de repos,
170 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
Expériences portant sur des empilements de petite taille composés de billes de diverses
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 171
On voit que, dans une configuration de ce type [44],[46], les tailles des
avalanches successives présentent effectivement une grande dispersion. On
observe un grand nombre d’avalanches de petite taille et un petit nombre
de grande taille. On voit aussi sur la figure ci-dessus que la statistique des
tailles de ces avalanches obéit bien, et ceci quelle que soit nature des billes
(acier, verre ou polystyrène), à une relation universelle du type loi de puis-
sance comme cela est prévu par le modèle d’automate cellulaire. Il faut
remarquer ici, et cela constitue une objection intrinsèque à l’observation
de lois d’échelles dans les tas de petite taille, que la loi en puissance n’est
guère vérifiée expérimentalement que sur une décade, ce qui peut sembler
insuffisant pour tester une telle loi avec une dynamique satisfaisante.
Bien que plusieurs expériences, menées dans différentes conditions, aient
confirmé l’existence d’un comportement différent suivant la taille des empile-
ments de matériaux granulaires, les raisons de ce ”crossover ” ne sont pas
encore clairement élucidées. Il semble bien qu’avec un modèle plus sophis-
tiqué d’automate cellulaire, des effets de taille finie puissent rendre compte
de ce comportement. Cependant, la coexistence de deux angles θm et θr
et l’existence d’oscillations de relaxations entre ces deux positions extrêmes
constituent une objection difficilement contournable à la modélisation par
un modèle SOC des avalanches de matériaux granulaires secs. Partant de
ces considérations, plusieurs chercheurs ont essayé de provoquer artificielle-
ment des relaxations de l’angle de talus à des fréquences plus grandes que la
relaxation naturelle dont nous avons parlé plus haut. Cette étude, présentée
ci-dessous à titre pédagogique, permet d’introduire artificiellement une no-
tion qui fait encore l’objet de discussions, celle de la température granulaire.
les angles de repos et de mouvement. Ce tambour est placé sur un support vi-
brant verticalement constitué d’un haut-parleur alimenté par une excitation
électrique sinusoı̈dale (dessin A ci-dessous). Dans une première expérience,
le tambour est animé d’une rotation Ω suffisamment lente pour obtenir un
régime intermittent observé lorsque l’empilement présente un angle moyen
θss (ss pour steady state, état stationnaire) avec l’horizontale. Comme on s’y
attend, l’angle θss décroı̂t quand l’amplitude de la vibration augmente. Cet
angle θss , qui est en quelque sorte une mesure de l’amplitude de l’excitation,
sert à paramétrer les résultats obtenus.
θ (deg)
θ
Vibrations
A B C
Résultats des expériences effectuées avec un tambour vibré. Les intensités d’excitation
sont paramétrées par l’angle θss correspondant à l’angle de l’état stationnaire obtenu
pour une vitesse de rotation de 1, 3 degré par minute. En B, la ligne en pointillés
reproduit le résultat théorique en 1/f . En C, Ω = 0 et l’édifice relaxe avec une loi en
log t alors que le modèle CAM prévoit une loi en puissance de t.
Cela étant obtenu en conservant une vitesse de rotation faible ( 1, 3 degré
par minute, régime intermittent), on réalise une statistique des tailles des
avalanches comme dans le cas statique que nous avons considéré au début de
ce paragraphe. Les courbes reportées en B donnent une réponse assez nette à
la question posée. A savoir, est-il possible, en le soumettant à des vibrations
verticales, de placer l’édifice dans un état supercritique, caractérisé par un
seul angle critique et tel qu’une loi de puissance prévue par le modèle CAM
puisse être observée ? Comme on le voit, la réponse est non. Même lorsqu’on
abaisse l’angle d’avalanche, qui était initialement de 39 degrés, d’une quan-
tité supérieure à 2 degrés requise pour annuler δ, on observe sur les deux
courbes du haut de la figure B que le spectre de puissance des avalanches
est encore très resserré et ne présente pas le comportement prévu par le
modèle SOC. Si l’on soumet l’empilement à des vibrations qui abaissent
considérablement l’angle critique, on observe que le système présente une
distribution qui se rapproche d’une loi d’échelle mais avec un coefficient qui
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 173
5
En effet, nous montrerons au paragraphe 4.2.2 que l’effet d’entraı̂nement du disque
en rotation, même très lente (comme c’est le cas dans cette expérience), peut induire une
périodicité artificielle du train d’avalanches. La discussion est encore ouverte sur ce point
important. Cependant, des expériences fines effectuées tout récemment ont confirmé, dans
leurs grandes lignes, les conclusions que nous avons exposées dans ce paragraphe.
174 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
dθ
= −Aθeβ(θ−θr )
dt
où
µ ¶
U0
− kT U1
A ≡ A0 e ef f
et β = sont indépendants de θ.
kTef f
1
θ ≈ θr − log10 (βAθr t + 1)
β
qui reproduit la dépendance en log10 t observée sur la figure C pour des temps
plus grands que t0 = 1/βAθr et donne aussi un accord assez satisfaisant pour
des temps plus courts. Ainsi peut-on rendre compte de la relaxation en log10 t
de l’angle de talus d’un empilement vibré.
Il est évident que ce modèle de dépiégeage des avalanches par agitation
“thermique”est fondamentalement différent du modèle de l’angle critique
proposé par BTW. Ces expériences montrent de manière assez transparente
que la vision simpliste de l’angle de repos θr comme un angle critique ne
résiste pas à une analyse approfondie du processus de relaxation.
h .
x
K ζ
D m V
θ x
(a) (b)
Illustration de l’isomorphisme des processus d’avalanche (a) et de stick-slip (b). Les deux
mécanismes peuvent être décrits par les mêmes équations différentielles couplées.
θ ↔ ζ
.
D ↔ x
ω ↔ V
Ainsi, l’élongation du ressort, lorsque le patin est en mouvement, obéit
à :
.. .
m ζ +Kζ = mgµd (V − ζ)
qui décrit
p simplement le mouvement d’un oscillateur harmonique à la pulsa-
tion K/m oscillant autour de sa position d’équilibre telle que Kζ = mgµd .
Cette analyse est trop succincte quand il s’agit d’une interaction de type frot-
tement sec, pour laquelle il convient de réfléchir davantage au déroulement
du scénario comme nous l’avons fait au paragraphe 3.1.1. On sait que si,
au cours du cycle, il arrive que la force de traction liée au ressort équilibre
exactement la réaction du frottement statique, alors le patin stoppe brusque-
ment son oscillation. On constate que le patin “colle” au support jusqu’à ce
176 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
..
ζ = 0
.
si x = 0 et Kζ < mgµs
. .
D(->x) D=0
.
ω/γ θ=0
0
Φ Φ Φ θ (−>ζ)
f d s
.
Visualisation dans l’espace D(θ) (avalanches) et x (ς) (oscillateur stick-slip) du
fonctionnement de l’oscillateur interrompu.
.
θ = 0 (4.6)
.
D = 0 (4.7)
si D = 0 et tan θ < µs (4.8)
.
θ = ω − γD
.
D = P (sin θ − µd (D) cos θ)
si D 6= 0 ou tan θ > µs
.
.. P ω− θ
θ= −γ sin(θ − arctan µd ( ))
cos(arctan µd ) γ
que l’on peut simplifier en notant Φd = arctan µd et p = P/ cos Φd . En ne
considérant que les petites variations autour de l’angle θ, on obtient :
.
.. ω− θ
θ≈ −γpθ + γpΦd ( )
γ
Equation qui décrit des oscillations de l’angle θ avec un temps car-
√
actéristique propre d’avalanche qui vaut 2π/ γp. La solution stationnaire,
qui correspond à un flux d’espèces roulantes constant, est donnée par :
ω
D0 =
γ
θ0 = Φd (D0 )
µ ¶
.. . ∂Φd
θ +γpθ + p θ = γpΦd (D0 ) (4.9)
∂D 0
∆Φ = Φs − Φf = 2(Φs − Φd )
∆θ ≈ ∆Φ = 2(Φs − Φd )
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 179
µ µ√ ¶¶
2 γp
τ=√ π − arctan (Φs − Φd )
γp ω
Ici encore, il faut noter que le temps mesurée d’une avalanche δT est
différent de τ à cause de la vitesse d’entraı̂nement du cylindre. En fait, δT
est exactement égal à la durée d’une demi-oscillation. Il correspond donc à
la fréquence de relaxation propre du système et devient, quelle que soit la
√
vitesse de rotation, égal à π/ γp, qui se confond, ici aussi, avec τ pour les
vitesses de rotation infiniment lentes.
Si maintenant on considère la situation dans laquelle le frottement dy-
namique varie avec l’écoulement, l’équation 4.9 indique que les trajectoires
précédentes deviennent dissymétriques autour de Φd . Les avalanches s’arrêtent
pour un angle plus petit ou plus grand selon que le coefficient de frottement
décroı̂t ou croı̂t avec le flux d’espèces roulantes D. Par exemple, dans la
limite d’une variation a = −1/2(∂Φd /∂D)0 faible et constante, on trouve en
résolvant l’équation : 4.9
µ µ ¶¶
π
∆Φ ≈ 1 + exp ap √ (Φs − Φd )
γp
0
θ Φ d Φs
Trajectoires D(θ) obtenues par résolution numérique avec une très faible vitesse de
rotation (ω = 10−3 radian par seconde). Le coefficient de friction dynamique décroı̂t
avec la vitesse, induisant une dissymétrie des arcs de courbes, tandis que la différence
d’angle entre deux trajectoires successives augmente.
7
C’est-à-dire qui ne perturbent pas l’objet mesuré. Ces méthodes, le plus souvent op-
tiques, englobent les méthodes d’observation directe par imagerie telles que celles que nous
avons décrites au chapitre 3.
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 181
4
.
−θ
2
2
.
−θ
0
-1
1 θ 1.5
(unités arbitraires)
Mesures optiques de la pente et de sa dérivée effectuées dans les mêmes conditions que
ci-dessus, mais à vitesse de rotation plus rapide (ω = 0, 52 t/mn). On observe que les
trajectoires se symétrisent et que les avalanches deviennent quasi périodiques.
k k k k
K K K K
m m m m
.
frottement F(X)
Une série de patins de masse m frottant sur une ligne horizontale est
entraı̂née horizontalement (il faut éviter que la traction soulève les patins)
au moyen d’une corde qui se déplace à vitesse constante v. La liaison entre
les patins et la corde est faite au moyen de ressorts identiques de raideur k.
Les patins sont reliés entre eux par des ressorts de raideur K. On conçoit
bien qu’un tel équipage puisse être, lorsqu’il est en mouvement, le siège
d’oscillations et qu’il présente une résistance de frottement assez particulière,
dépendant de k et de K, lorsque la vitesse varie. On s’en convainct aisément
en écrivant l’équation différentielle qui régit le mouvement d’un patin d’ordre
j, encadré par les patins d’indices j − 1 et j + 1.
L’équation maı̂tresse s’écrit :
.. .
m Xj = K(Xj+1 − 2Xj + Xj+1 ) − k(Xj − vt) − F (Xj )
1
Xj = vt − F (v)
k
Une analyse détaillée montre que la fonction F (v) présente l’allure dessinée
sur la figure suivante.
F0
instable
Cette courbe, qui présente globalement une pente négative, est suscep-
tible, comme nous l’avons écrit ci-dessus et au paragraphe 2.3, de donner
naissance à une amplification et à des oscillations plus ou moins chaotiques.
Cette fonction, comme d’autres de même allure, correspond à un phénomène
fréquent en matière de tribologie8 qui est l’atténuation des forces de frotte-
ments avec la vitesse9 .
8
Le phénomène d’aquaplaning des roues de véhicule sur une surface mouillée est une
illustration dramatique de l’atténuation brutale du frottement avec la chaussée lorsque
l’on dépasse une certaine vitesse.
9
En anglais, on utilise l’expression ”velocity weakenig friction law ” très répandue en
géophysique.
184 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
Coef. de friction
Force de friction
V V
Une bille sur nappe inclinée: Courbe en U
Courbe en 1/2 W (Heslot et al..1994)
Coef. de friction
Coef. de friction
V V
Fatigue des contacts : Courbe en N
Courbe en V inversé (Barenblatt et al. 1981)
(Carlson et Langer 1989)
·
R (x, t) = −∂x (vR) + ∂x (D∂x R) + Γ(R, h) (4.10)
£ ¤
Γ (h, R) = −R γ∂x h + κ∂x2 h (4.11)
· £ 2
¤
h= −Γ = R(x, t) γ∂x h + κ∂x h (4.12)
Le modèle prévoit qu’une perturbation créée sur la pente va remonter le long de cette
dernière en s’atténuant et en s’élargissant (à cause du terme de diffusion).
Il est assez intuitif que cette remontée vers la haut de l’empilement puisse
survenir si on crée une cavité dans la surface et vers le bas de l’empilement.
En effet, la partie supérieure de la cavité sera la source d’avalanches qui
dépeupleront la partie immédiatement supérieure de cette dépression, créant
ainsi un trou . qui va se propager vers le haut. L’efficacité de cette remontée
mesurée par h ,et donc sa vitesse de propagation, dépendent linéairement de
γ et de R0 , comme on peut le voir à partir de l’équation 4.12. En revanche,
la situation est loin d’être intuitive dans le cas d’une bosse : on imaginerait
plutôt que c’est la partie la plus basse qui va s’écrouler. Il faut bien voir
ici que c’est le système précédent d’équations couplées qui implique que la
188 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
· ¸
v2
R ∼ exp γ (θ − θr ) − t
4D
11
Notons, au passage, que ce modèle conduit à un processus analogue à une transition de
phase du premier ordre comme les conclusions des expériences rapportées au paragraphe
4.2.1 et se trouve donc en opposition avec les prédictions du modèle SOC.
190 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
Mais dans laquelle Ri (x, t) représente une source de bruit (ambiant) due
à l’agitation mécanique du système. On peut visualiser cela en imaginant,
comme nous l’avions fait au paragraphe 4.2.1, que les particules sont piégées
dans un puits de potentiel U dépendant de l’angle θ tel que U = mgdf (θ),
où f (θ) est une fonction décroissante qui s’annule évidemment pour θ =
π/2. Le bruit mécanique est décrit par une température effective Tef f . La
source d’espèces roulantes est alors de la forme : d exp(−U/kTef f ), c’est-à-
dire qu’elle varie comme d exp [α (θ − θm )] où θm est défini comme l’angle
pour lequel le potentiel de dépiégeage est égal à la température effective (le
bruit ambiant). Alors U ≈ kTef f et α = mgd/kTef f . Dans ces conditions,
on vérifie que pour θ < θm la nucléation est bloquée. Elle apparaı̂t pour
θ = θm . Notons que ce modèle implique que l’angle θm dépend du bruit de
manière critique.
On voit donc que ce dernier modèle attribue un rôle essentiel au bruit
ambiant responsable ici du dépiégeage des espèces roulantes et qui participe
de manière cruciale à la définition de l’angle de mouvement.
De Gennes a montré que cette approche rend compte des deux classes
de mouvement auxquelles nous nous sommes intéressés au paragraphe 4.1.
C’est-à-dire un écoulement intermittent à faible vitesse de rotation (classe B)
et un écoulement continu (classe A) à des vitesses plus élevées. En d’autres
termes, le mouvement de classe A conduit à une solution dans laquelle il
y a toujours des grains en mouvement et, en particulier, il existe une solu-
tion stationnaire avec des profils h(x, t) constants, ce qui est parfaitement
conforme avec ce que nous avons observé expérimentalement. L’étude des
avalanches saccadées ou continues dans un cylindre tournant peut être menée
à bien en résolvant le système des équations maı̂tresses :
∂h ∂h
= −γR + ωx
∂t ∂x
∂R ∂R ∂h
= v + γR
∂t ∂x ∂x
4.2. MODÈLES D’AVALANCHES 191
h
θr
-L 0 +L
-L 0 +L
Avec les conditions aux limites telles que R = 0 aux deux bords d’ab-
cisses x = ±L, et en imposant que les dérivées par rapport au temps s’an-
nulent, on trouve les solutions stationnaires suivantes :
ω ¡ 2 ¢
R(x) = L − x2
2v
∂h 2v x
pente = =
∂x γ L2 − x2
qui rendent compte d’un profil d’allure parabolique, mais avec une correction
faible par rapport à une pente rectiligne.
Rappelons aussi que les solutions de type A (continue) et B (saccadée) se
rencontrent de manière quasi systématique dans les écoulements de matériaux
granulaires. Elles reflètent la métastabilité des situations d’empilements dont
les pentes évoluent entre les valeurs θm et θr . On peut, à titre d’exem-
ple, chercher les solutions stationnaires du problème du remplissage d’un
silo de largeur 2L rempli par le haut avec un flux Q de particules issues
d’une trémie (supposée dépourvue d’effets de voûte et donc présentant un
écoulement continu). L’orifice de la trémie est placé au point x = 0, et les
parois latérales du silo sont aux abscisses x = ±L. En posant les mêmes
conditions que précédemment pour la recherche d’une solution stationnaire,
on trouve que :
µ ¶
Q |x|
R(x) = 1−
2v L
∂h v 1
θ − θr = =−
∂x γ (L − |x|)
192 CHAPITRE 4. MILIEUX GRANULAIRES EN ÉCOULEMENT
où l’on voit que la correction de l’angle stationnaire par rapport à l’angle de
repos est très petite puisqu’elle est de l’ordre de −d/L.
Cette modélisation amendée permet d’aborder l’étude de multiples problèmes
de remplissage et d’écoulement dans des situations diverses. Remarquons
que, s’agissant d’un modèle de type ”milieu continu”, elle ne peut, dans l’état
actuel des choses, rendre compte de l’apparitions de fractures et de proces-
sus de fragmentations (paragraphe 3.2.4) qui pourraient sans doute survenir
quand les empilements sont soumis à des sollicitations qui les écartent bru-
talement de leur position d’équilibre, telles que l’ouverture rapide d’une
paroi d’un silo plein, par exemple.
Chapitre 5
Mélange et ségrégation
5.1 Introduction
A la différence des liquides dont on connaı̂t bien l’aptitude à constituer
des ensembles miscibles1 , les matériaux granulaires secs présentent, de manière
quasi générale, une grande résistance aux mélanges homogènes2 . Deux matériaux
granulaires différents par la masse spécifique, par la forme ou par la di-
mension, voire par les paramètres micromécaniques (coefficients de restitu-
tion élastique et de friction) de leurs composants, présentent une tendance
marquée à la ségrégation. Cette ségrégation, qui constitue une propriété
fondamentale, et souvent gênante, des matériaux granulaires, se traduit,
lorsqu’un mélange est soumis à un écoulement, une vibration ou un cisaille-
ment, par une démixtion3 plus ou moins complète du matériau. Par ex-
tension du langage utilisé dans l’étude des réactions chimiques, on peut dire
qu’un mélange de matériaux granulaires, soumis à des sollicitations diverses,
présente une tendance marquée à s’autoorganiser de manière à reconstituer
localement des ensembles de particules identiques entre elles.
Ainsi que nous l’avons précisé dans l’introduction, cette propriété de
ségrégation des matériaux granulaire secs4 peut être aisément observée dans
1
On peut signaler, par référence aux liquides qui sont composés de particules animées de
mouvement brownien, que cette agitation doit favoriser le processus de mélange. Comme
nous l’avons vu au chapitre 1, l’agitation brownienne des particules auxquelles nous nous
intéressons est parfaitement négligeable. On voit donc qu’il est nécessaire d’agiter... même
si on aboutit au résultat contraire à celui qui est recherché !
2
En matière de matériaux granulaires, la notion de mélange homogène demande à être
précisée. Ainsi pourra-t-on dire qu’un mélange contenant une fraction α de granulés A et
β de granulés B (avec α + β = 1) est homogène à l’échelle λ si un élément de volume
λ3 contient effectivement les éléments A et B dans ces mêmes proportions. On conçoit
qu’un mélange granulaire sera vraiment homogène si la plus petite échelle λ pour laquelle
le matériau est homogène est de l’ordre de grandeur de la taille de la plus grande des
particules A ou B (cas d’un mélange dense).
3
C’est-à-dire un processus qui conduit à une séparation des composants du mélange.
4
Il est important de bien comprendre, une fois encore, qu’il s’agit ici de matériaux secs,
193
194 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
De manière à illustrer notre propos par une expérience réelle, nous al-
lons faire référence à la première observation d’une ségrégation en milieu
tridimensionnel décrite par Oyama en 1939.
c’est-à-dire dont les interactions avec le fluide environnant sont négligeables. Lorsque les
fluides environnants jouent un rôle important, comme dans le cas des bétons, les problèmes
sont fondamentalement différents. Ainsi, on sait bien que les bétonnières bien conçues
parviennent à mélanger convenablement des graviers de tailles variées avec du ciment et
de l’eau.
5
C’est ainsi que l’on désigne les expériences si simples qu’on peut les réaliser chez soi
avec des objets courants.
6
Cet exemple des noix du Brésil est d’ailleurs devenu un archétype de la ségrégation des
granulaires par agitation à la suite de la parution [50] dans les colonnes du Phys. Rev. Lett.
d’un article intitulé “Pourquoi les noix du Brésil se trouvent-elles sur le sommet ?” Ainsi
parler de nos jours du phénomène des “noix du Brésil”, c’est faire allusion au problème
de la ségrégation par taille que nous allons évoquer dans la suite.
5.1. INTRODUCTION 195
longueur d'onde λ
Le tambour allongé d’Oyama est en rotation autour de son axe. On observe une
ségrégation longitudinale en tranches successives d’un granulaire qui était initialement
mélangé.
si l’on prend pour référence le plan horizontal sur lequel repose l’édifice.
m et M désignent les masses de chacune des sphères que l’on suppose con-
stituées du même matériau et donc de même densité volumique. On voit
ainsi que l’énergie potentielle de l’édifice est telle que :
5.1. INTRODUCTION 197
Ep ∝ r4 + R4 + 2rR3
Superpositions d’empilements
Deux empilements compacts
Considérons maintenant l’empilement représenté sur la figure ci-dessous.
v2 V
Ep ∝ + (v + )V ∝ (v + V )2
2 2
A
On voit que, du point de vue énergétique, les deux configurations B et
B
A sont équivalentes et qu’ainsi un argument de type énergétique ne permet
198 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
pas de prévoir une tendance des grosses billes à remonter dans un récipient
contenant deux empilements compacts superposés, au moins lorsque l’on
ne tient pas compte des effets d’interface ou de parois. Ce résultat est
évident : deux couches superposées de même densité présentent un équilibre
indifférent.
Ainsi, en faisant l’économie d’une analyse plus détaillée, est-on conduit à
imaginer que les modes d’empilement, et notamment l’existence de défauts
introduits lors de l’empilement de particules de tailles différentes, peuvent
être à l’origine d’un déficit énergétique justifiant la remontée en surface de
grandes particules. De manière à illustrer ce propos, nous considérons les
deux empilements déja vus au paragraphe 3.1.3 et qui sont reproduits dans
le dessin suivant.
Deux modes d’empilements 2D. Celui de droite, triangulaire compact, possède le taux de
compacité maximal et l’énergie potentielle minimale, à l’opposé de celui de gauche qui
possède une énergie potentielle plus grande. Aussi l’empilement de droite est-il plus
stable que l’empilement de gauche.
Défauts
Zone
compacte
Dans cet esprit on voit que le processus de ségrégation par taille peut
être considéré comme une des conséquences du principe de dilatance. En
effet, l’introduction d’un intrus dans un édifice provoque nécessairement une
distorsion plus ou moins locale de l’édifice qui, par conséquent, se dilate plus
ou moins localement. La partie dilatée (donc moins dense) de l’empilement
tend à se retrouver vers le haut en entraı̂nant l’intrus vers la partie supérieure
de l’édifice granulaire. On réalise immédiatement que la forme de l’intrus,
plus ou moins adaptée au réseau environnant, peut jouer un rôle essentiel
dans le processus de ségrégation.
Compte tenu des nombreuses objections que l’on peut lui opposer, il n’est
pas possible de se contenter de cette explication par trop rudimentaire. Par
la suite, pour mieux appréhender ce phénomène, il nous faudra aller plus loin
dans l’examen détaillé des états relaxés successifs que présente un empile-
ment en voie de ségrégation. Néanmoins, si l’on doit retenir une idée qui sera
peu à peu confortée, il faut se souvenir que la ségrégation de taille implique
l’intervention des défauts créés par l’intrus dans son environnement. C’est
ce que nous allons voir, avec quelques détails, dans la suite de cet exposé.
A B
C D
Différentes configurations d’un empilement polydispersé bidimensionnel. A et B sont des
empilements générés par ordinateur (voir le chapitre 6), tandis que C et D sont des
photographies d’empilements réels. On remarque qu’un grand intrus peut être maintenu
dans une position stable sans contact avec les particules situées en dessous (effet d’arche).
Modélisation de l’équilibration d’un intrus par un effet d’arche. Le dessin de gauche est
une photographie en transparence d’un empilement réel de billes métalliques et d’un
disque intrus.
— L’intrus repose sur une ligne du réseau constitué par les billes de l’en-
vironnement.
R
B 1 (T) B 2(T)
r h ij
δ h'
h
r
Ψ Ψ'
i=3 2 1
2 1 0 j
1 1
3D vaults
0
(a) (b)
à √ !
h i1/2 3
2
hsij = (R + r) − r(2j − k) 2
+ 2r 1 + i
2
·µ ¶ µ ¶¸
(−1)i+1 + 1 i+1
si l’indice k parcourt , Int
2 2
√
hv2 − hv1 2− 3
S =1− = √ Φ ' 0.077Φ
Θ 2 3
Une montée continue, par effets d’arche successifs, est obtenue lorsque
S = 1, c’est-à-dire lorsque Φ2D
c ' 12, 9, valeur qui doit donc être considérée
comme un rapport de diamètre critique séparant deux types de comporte-
ments [53][54] : l’un dans lequel la montée est continue, l’autre dans lequel
la montée doit nécessairement s’effectuer par une série de paliers discrets
9
Dans cette approximation, on considère que δ ' 2r, ce qui est du même ordre que
l’écart à la solution exacte qui, elle, nécessiterait d’empiler des cercles réels et de ne plus
considérer les parois comme lisses et rectilignes mais, plutôt, comme une succession d’arcs
de cercles. Cette approximation est justifiée a porteriori par une comparaison avec une
simulation numérique où l’on empile exactement des cercles parfaits.
5.2. LA SÉGRÉGATION PAR VIBRATIONS 205
Φ
20
13
11
Positions stables de l'intrus (UB)
15 9
7
5
10
3
1.2
5
δh
0 1 2 3
Déplacement de l'intrus (UB)
R−r R+r
h − h0 = =
sin Ψ tan Ψ0
avec :
µ ¶ Ã√ !
0 1 0 2
h = 3R h = 3r Ψ = arccos Ψ = arctan
3 2
√
3+ 2
Φ3D
c = √ ' 2.78
3− 2
206 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
ce qui est remarquablement proche des valeurs trouvées par une simulation
numérique [52] dont nous étudierons la mise en œuvre au chapitre 6.
2D 3D
A B
Schéma des dispositifs expérimentaux utilisés pour étudier la ségrégation par agitation
d’une grosse particule en 2D (en A) et en 3D (en B). En A, on dispose d’une grosse
particule marquée par un point en son centre et de traceuses (particules noires) dont on
suit la progression au sein de l’environnement par traitement d’image. En B, on suit pas
à pas le mouvement de particules traceuses au sein de l’environnement par observation
directe.
Caméra
de mesure de
Vibreur l'amplitude 2A
Dispositif expérimental utilisé pour suivre le mouvement ascendant d’un intrus, dans une
expérience en deux dimensions.
Un montage analogue à celui qui est représenté ci-dessus a été utilisé pour
mettre en évidence les différents modes d’ascension de palets cylindriques
de différents diamètres baignant dans un milieu granulaire monodispersé.
Le résultat de ces expériences est éloquent. On observe, en effet, qu’un petit
intrus “voit” les discontinuités de l’environnement granulaire (ce qui est
assez intuitif), tandis qu’un grand palet dont le rayon est tel que Φ > 12, 9
subit une une ascension régulière et sans paliers (ce qui n’est pas intuitif).
On constate aussi que des palets de dimension intermédiaire, conformément
aux prédictions du diagramme d’ascension, présentent des montées continues
entrecoupées de montées par paliers.
10
En traitement d’image, le seuillage consiste à déterminer un seuil de niveaux de gris
tel que ce qui est plus clair deviendra blanc (niveau zéro) et ce qui est plus foncé deviendra
noir (niveau 1). C’est donc une opération de binarisation.
208 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
A B
Fractures de
longue durée
de vie
— Un grand intrus, c’est-à-dire tel que Φ > 12, 9, progresse beaucoup plus
aisément en restant constamment en situation d’arche. On prévoit et
on vérifie que le seuil d’amplitude nécessaire est beaucoup plus faible
que dans le cas précédent. Autrement dit, on constate qu’un grand
intrus remonte beaucoup plus aisément qu’un intrus de plus petite
taille.
Comme nous allons le voir, cela est bien confirmé par l’étude des dia-
grammes de vitesse de montée en fonction de Φ = R/r, au moins tant que
l’on reste en régime d’arche et que l’on ne travaille pas en régime convec-
tif . A ce titre, les expériences qui permettent d’observer, en même temps,
la montée d’un intrus et le mouvement relatif des particules de l’environ-
nement, sont très instructives, en 2D comme en 3D.
Convection et ségrégation en 3D
Dessin représentant le résultat d’expériences de ségrégation d’un seul intrus en 3D. (a)
représente la situation intiale. (b) montre le départ de l’intrus vers le haut et la descente
des petites billes noires le long de parois latérales. Le dessin (c) montre le résultat de la
convection qui entraı̂ne les petites billes situées près des parois vers le bas, tandis que le
flux convectif central entraı̂ne l’intrus vers le haut.
Le dessin montre que l’ascension des intrus se produit, quel que soit
leur taille, à la même vitesse qui est celle du flux convectif de l’environ-
nement. On voit aussi que les grands intrus ne peuvent, pour des raisons
géométriques, redescendre le long des parois comme le font les particules
de l’environnement. Il s’agit donc bien là d’une ségrégation par convection
pure. Il faut remarquer que les processus que nous avons étudiés plus haut
(montée continue et discontinue) n’ont pas été, à ce jour, observés en dimen-
sion 3 (alors que les simulations les mettent en évidence), ce qui ne signifie
pas qu’ils n’existent pas.
∆ (cm)
Nombre d'impulsions
mécanisme par effet d’arche qui provoque une montée différenciée pour des
intrus de tailles différentes.
Convection et ségrégation en 2D
convection
convection
voûtes
A B
10
cm
intermittences
temps (mn)
Positions h(t) d’intrus de différentes tailles dans un bain de particules de 1,5 millimètres
de diamètre. On observe bien que l’ascension est d’autant plus rapide que le diamètre est
plus important.
Cette figure, où les courbes h(t) obtenues pour la même accélération
(Γ = 1.25) sont décalées suivant l’axe des temps de manière à faciliter la lec-
ture du graphique, met en lumière un processus de ségrégation de taille com-
patible avec le modèle par effets de voûte que nous avons exposé ci-dessus.
On observe que les intrus de petite taille, c’est-à-dire tels que Φ < 12, 9,
subissent une ascension discontinue présentant une succession de plateaux
et de montées. On observe aussi, conformément au modèle, que la montée
est d’autant moins discontinue que le disque intrus est plus grand. Lorsque
le rapport Φ devient plus grand que 12, 9, l’intrus subit une ascension con-
tinue au sein de son environnement. Tout cela peut être aisément compris
si on se réfère au diagramme d’ascension établi au paragraphe 5.2.1 et aux
arguments que nous avons développés. On observe aussi, au cours de cette
expérience, que les intrus tels que Φ < 3 ne subissent aucune ascension,
du moins pour cette accélération de la cellule et pour des temps d’attente
de l’ordre de la durée de cette expérience (environ une heure). Cela mon-
tre, comme on peut le voir sur la figure suivante, qu’il existe effectivement
un diamètre critique et une altitude au-dessous desquels l’ascension devient
impossible.
5.3. LA SÉGRÉGATION PAR CISAILLEMENT 213
rotation
particule témoin
bordure
intérieure
rugueuse
e
uid
liq
e
as
ph
injection
phase solide
placées dans une mer de particules de 1,5 millimètre. Dessins du haut, voir le texte. La
vitesse de rotation du cylindre de 160 millimètres de diamètre était typiquement de 2
degrés par seconde.
Q
(r /r ) P (ri+1 )
Q i+1 i =
(ri /ri+1 ) P (ri )
Q
Où P (r) est la probabilité de présence dans la région S et (ri+1 /ri )
la probabilité conditionnelle de trouver la particule en ri+1 après avoir été
à la position ri lors de l’événement précédent. On normalise les résultats en
écrivant que :
Z R2 Y¡ ¢
P (r) = r/r0 P (r0 )dr0
R1
Z R2
P (r)dr0 = 1
R1
218 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
Les expériences ont été moyennées sur une distance de ∆r égale à trois
diamètres de particules.
On réalise immédiatement, au vu des fonctions ri = f (ri+1 ), que l’ex-
ploration de l’espace se fait différemment selon que la particule témoin est
de plus petit ou de plus grand diamètre que les particules du bain. On peut
illustrer cette observation d’une autre manière en représentant le graphe
donnant P (r) dans la région S comme nous le faisons ci-dessous :
est notée S∞ .
bordure
intérieure
rugueuse
rotation
Nous ne donnerons ici que quelques idées générales sur l’état de la ques-
tion. On trouvera une analyse plus détaillée dans la référence [?]. De manière
à caractériser les états du mélange, il est utile de définir le paramètre d’or-
dre de celui-ci de la manière suivante : soit S(t) la surface occupée par les
disques de type A inclus dans l’amas de référence au temps t. Avant que
le processus de ségrégation n’ait été totalement efficace, on voit bien que
S(t) est inférieure à la surface de l’amas de référence S∞ . On définit un
paramètre a(t) caractérisant l’état de la ségrégation en écrivant :
S(t)
a(t) =
S∞
Il est naturel de définir un paramètre d’ordre P0 (t) variant entre 0 (dis-
tribution aléatoire des disques et mélange homogène) et 1 (amas de référence
complet), tel que :
a(t) − a(0)
P0 (t) =
1 − a(0)
P0 (t) est obtenu aisément à partir d’expériences en réalisant un traite-
ment d’images du type de ceux que nous avons décrits au paragraphe 3.2.3.
Les résultats représentés sur la figure ci-dessous donnent une idée de la
cinétique du processus de ségrégation.
5.3. LA SÉGRÉGATION PAR CISAILLEMENT 221
0.8
0.6
0.4 log(1-P)
τ
0.2
temps
τ ' 1, 2Φ si Φ ∈ [0, 2, 0, 8]
Comme nous l’avons fait remarquer, ces deux résultats sont assez inat-
tendus et, pour l’instant, inexpliqués. En effet, on s’attendrait à ce que
l’efficacité du processus de ségrégation croisse avec le nombre de passages
des petits disques dans la phase liquide, c’est-à-dire dans la partie granulaire
en écoulement le long de la pente inclinée. Il n’en est rien : on observe au
contraire que le processus de ségrégation s’effectue à la même vitesse quand
le nombre de passages dans cette phase liquide varie d’un facteur supérieur
à 6. D’autre part, on se serait attendu à ce que le processus de ségrégation,
régi par une cinétique du premier ordre, présente une variation lente avec
le nombre de rotations par minute, plutôt qu’une décroissance brutale de
l’efficacité de la ségrégation à 8 tour par minute.
ligne d'interface
En haut : allure de l’amas obtenu après 300 secondes de rotation du tambour rempli
comme indiqué dans le texte. En bas : schéma représentant une partie du périmètre de
l’amas.
L’amas extrait étant défini comme le plus grand nombre de points con-
nectés, on réalise de manière classique le processus suivant :
— Soit M (r) la longueur de la ligne tortueuse du pourtour de l’amas ex-
trait ; nous calculons cette longueur pour des cercles de rayon r crois-
sant, comme cela est représenté sur le dessin.
— Soit M (rp ) la longueur maximale obtenue lorsque le rayon du cercle
de mesure est égal au rayon des petits disques constituant l’amas de
ségrégation.
M(r)
— Nous traçons le diagramme donnant log( M(rp)
) en fonction de log( rrp ).
Nous obtenons la figure suivante :
5.4. SÉGRÉGATION EN TAMBOUR 3D D’OYAMA 225
log (M)
2
d∼1,62
0
0,4 0,8 1,2 1,6
log(r)
longueur d'onde λ
continu, dépend de la taille des particules. Qu’il s’agisse d’un effet d’en-
traı̂nement cinétique ou, plus probablement, d’un effet de taille finie lié à ce
type d’expérience17 , la variation d’angle cinétique d’une classe de particules
à l’autre induira un mouvement latéral (c’est-à-dire selon l’axe x du cylin-
dre) dépendant du rapport de la taille des particules et aussi de la vitesse
de rotation. Partant de cette observation, on considère un mélange de deux
classes de billes de type A et B, et on désigne par θA et θB leurs angles
cinétiques respectifs à une vitesse de rotation donnée. Soit CA (x) la concen-
tration d’espèce A au point d’abscisse x du cylindre. On s’attend à ce que
l’angle cinétique θ(x) d’un mélange de particules soit une moyenne pondérée
par la concentration des angles cinétiques des particules A et B seules :
θ(x) = θB + CA (x)∆θ
avec ∆θ = θA − θB
∂CB ∂CB
ΦBx = −∆θ −D
dx dx
Autrement dit, le flux horizontal est créé par la différence des angles
cinétiques, mais il est contrarié par un flux diffusif contraire qui tend à niveler
les concentrations. La formation des bandes résulterait de la compétition
entre ces deux effets.
17
Assez curieusement, il semble que cette dépendance d’angle cinétique avec la taille des
particules n’ait pu être observé en 2D (avec un nombre limité de particules) alors qu’elle
existe en 3D. En reprenant les arguments développés lors de l’étude des avalanches de petite
et de grande taille (paragraphe 4.1), il est possible que l’effet du rapport d’aspect ne soit
observé que pour un grand nombre de particules, indépendamment de la dimensionnalité.
228 CHAPITRE 5. MÉLANGE ET SÉGRÉGATION
Chapitre 6
Modélisations numériques
6.1 Introduction
La modélisation numérique des divers aspects de la physique des matériaux
granulaires1 que nous avons évoqués au cours des chapitres précédents répond
à un double objectif. D’une part, il s’agit de résoudre un certain nombre
de problèmes pratiques posés dans le traitement industriel de la matière
en grains. Qu’il s’agisse d’effets de ségrégation intempestive, d’écoulements
bloqués par des effets de voûte, de convections internes perturbantes (voir
le chapitre 1), les besoins du secteur industriel sont considérables et, bien
entendu, immédiats. Compte tenu de cette urgence et de l’essor considérable
que connaı̂t actuellement la modélisation numérique, de nombreux chercheurs2
ont consacré leurs efforts à l’élaboration d’algorithmes appropriés à la de-
scription du comportement des matériaux granulaires.
D’autre part, la simulation numérique revêt un intérêt considérable en
autorisant, dans un but de compréhension fondamentale, l’excursion de nom-
breux paramètres du problème qui sont couramment hors de portée des
méthodes expérimentales3 . Dans ce sens-là, les efforts poursuivis en simula-
tion numérique participent activement à la recherche de base. En retour, la
comparaison entre les résultats des simulations numériques et des observa-
tions expérimentales, constitue un banc d’essai incontournable et contribue
à valider (ou non) la fiabilité des simulations numériques.
Le but des modélisations numériques, très ambitieux, est parfaitement
clair : à partir de la considération des particules élémentaires constituant le
1
Une excellente introduction à ces questions de modélisation numérique des matériaux
granulaires peut être trouvée dans la référence [?]
2
A l’heure actuelle, et dans ce domaine de la physique, le nombre des chercheurs tra-
vaillant en simulation numérique est assez largement supérieur à celui des praticienss de
la recherche expérimentale ou théorique.
3
Comme c’est le cas, par exemple, des coefficients de restitution élastique ε ou des
coefficients de friction µ que le simulateur peut varier à volonté alors que la nature ne
fournit à l’expérimentateur qu’un choix limité de ces derniers.
229
230 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
perte d'événement
Méthode
séquentielle
?
Evénements
temps
Evénements
temps
que les algorithmes (par exemple MD) utilisant des sphères molles s’accom-
modent bien d’échantillonnage périodique.
Dans la suite de ce chapitre, et dans un but essentiellement pédagogique
et pratique, nous donnerons quelques détails sur les deux techniques les plus
pratiquées de nos jours, en matière de matériaux granulaires, c’est-à-dire
les méthodes ED et les méthodes MD. Nous évoquerons ensuite brièvement
les approches mécanistiques qui utilisent les concepts de la mécanique non
régulière des contacts solide-solide et des critères de convergence spécifiques.
Cette dernière technique a remporté récemment des succès remarquables en
matière de simulation de la dynamique d’ensembles granulaires placés dans
diverses situations. Nous décrirons ensuite la mise en œuvre de la méthode
de Monte-Carlo en relation avec le problème des noix du Brésil puis, avec
le même objectif, d’une méthode d’empilement spécifique dite “méthode de
descente la plus rapide”. Enfin, notons que des techniques d’automates cellu-
laires ont été proposées récemment pour simuler la dynamique des matériaux
granulaires. Elles sont dérivées de celles qui sont appliquées, avec succès, à
la résolution de problèmes d’hydrodynamique. Ce sujet est encore en pleine
évolution et il serait prématuré de tenter de l’exposer en détail dans cet
ouvrage.
Avant d’entamer une brève description des méthodes classiques de modélisation
numérique du comportement dynamique des matériaux granulaires, et, en
quelque sorte, supposant le problème déjà résolu, nous allons avancer un
élément de réponse pour une question que nous nous sommes souvent posée
au cours des chapitres précédents, à savoir comment passer d’une représentation
discrète (c’est-à-dire numérique) à une représentation ”thermodynamique”
d’un milieu granulaire ?
½ ¾ ρ
xi ?
⇔ v
ui
T
Il est clair que l’on peut imaginer différentes réponses, plus ou moins
réalistes, à cette question. Nous exposons ci-dessous une technique [?] qui a
le mérite d’être assez intuitive et qui est basée sur la définition du ”halo”.
Ce halo, qui est la clef du passage milieu discret→milieu continu, est défini
par une fonction qui, en quelque sorte, étale le centre de masse de chaque
particule dans un volume plus grand que celle-ci, de telle sorte que les halos
de deux particules voisines peuvent se recouvrir, fournissant ainsi un passage
continu de l’une à l’autre. Cette fonction halo h(r) doit répondre à plusieurs
conditions :
Z ∞
h(r)2πrdr = 1 (6.1)
0
h(r) ≥ 0 (6.3)
L’équation 6.1 donne une condition de normalisation (ici en 2D), la con-
dition 6.2 rend compte de la localisation du halo autour de la particule et
l’inéquation 6.3 assure que la densité ρ et la température T seront bien des
quantités positives. Pour simplifier, on utilise une fonction halo de forme
gaussienne telle que :
1 r2
h(r) = exp(− )
2πσ 2 2σ 2
où σ est plus grand que le diamètre d des particules (par exemple σ = 6d)
et contrôle l’extension du halo. On peut alors définir la densité macro-
scopique ρ, la vitesse macroscopique v et la température T à l’aide des trois
équations enchaı̂nées suivantes :
4
Nous avons déja vu au paragraphe 4.2.1 une définition de la température granu-
laire comme le moteur de l’agitation thermique (par vibration) autorisant le dépiégeage
nécessaire au déclenchement des avalanches. Il n’est absolument pas prouvé que cette
définition s’identifie à celle que nous évoquons dans ce paragraphe.
6.2. SIMULATION COLLISIONNELLE 235
N
X
ρ(x) = m h(|xi − x|)
i=1
XN
ρ(x)v(x) = m ui h(|xi − x|)
i=1
XN
u2i v 2 (x)
ρ(x)T (x) = m h(|xi − x|) − ρ(x)
2 2
i=1
qu’il s’agit là d’un algorithme utilisant une procédure logique quelque peu
prédictive5 , et destinée à accélérer un calcul qui pourrait, sans cela, devenir
exagérément long. Le dessin suivant donne une représentation schématique
d’une telle situation.
choc
3
— Les deux étapes précédentes sont répétées jusqu’à ce que toutes les
différences de vitesse ∆vi soient plus petites que vc .
On peut montrer expérimentalement, c’est-à-dire dans le cas présent
par simulation numérique et en utilisant la procédure LRV ou non, que
ce type de méthode prédictive conduit effectivement au même résultat
que la méthode ED classique.
Z tc
∆p = ∆(mv) = mv − mv0 = Fmc dt (6.4)
0
Z tc
∆(Iω) = Iω − Iω 0 = r × F dt
0
où nij est le vecteur porté par la droite reliant les centres des particules.
C’est simplement l’équation habituelle de déformation d’un ressort de
rigidité K. A l’évidence, cette équation linéaire est irréaliste en ce
sens qu’elle est incompatible avec le modèle de pénétration de Hertz
6.3. SIMULATION MD (DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE) 239
µ ¶1+β
(i) 1
fel = −K (di + dj ) − rij nij (6.6)
2
dans lesquelles mij est la masse réduite des deux particules en présence
et tij le vecteur tangent au contact, c’est-à-dire le vecteur perpendic-
ulaire (tourné dans le sens positif) au vecteur nij . Dn et Dt sont des
coefficients de dissipation caractérisant la rupture des contacts suivant
la normale et la tangente aux surfaces des sphères au point de contact.
Ici encore, l’approximation linéaire décrite par les équations 6.7 et 6.8 se
révèle parfois insuffisante et on peut écrire, par exemple, une équation non
linéaire sous la forme condensée suivante :
µ ¶γ
1
fn(i) = −2Dn mij (vij .nij ) (di + dj ) − rij nij
2
K
x D
ressort
amortisseur
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, cette modélisation élémentaire
ne permet pas de rendre compte de la subtilité des interactions de contact et,
en particulier, des déformations plastiques qui accompagnent fréquemment
la pénétration énergique de deux sphères en collision. Il a été proposé des
variantes imagées [18] du modèle ressort-amortisseur, destinées à reproduire
le phénomène de plasticité que nous avons mentionné au paragraphe 2.2.2.
Une représentation est dessinée ci-dessous à titre d’exemple. On peut don-
ner libre cours à son imagination dans ce domaine à condition de garder à
l’esprit les limitations intrinsèques de ce type de modélisation mécanistique
qui reste, à bien des égards, assez éloignée de la réalité.
6
LSD (linear spring dashpot en anglais). On parle aussi des PLS (partially latching
spring models) que l’on verra ci-dessous.
6.3. SIMULATION MD (DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE) 241
F maximum
force normale
1
K2- K
1
K
K 1 K2
1 cliquet
échappement
2
élongation normale α0 α
7
Pour rester dans les limites imposées, on ne discutera pas ici les modélisations
numériques proposées par Taguchi qui introduit dans les équations figurant dans cette
section, une source de dissipation de type visqueux [65][66].
242 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
.. f (i) f (j)
x= −
mi mj
(i) (i)
avec f (i) = fel + fn . En effet, seule la force normale intervient dans le
cas de la collision frontale. L’équation précédente n’est valable que lorsque
x = 1/2(di + dj ) − rij est positive. On obtient ainsi :
.. .
x +µ x +ω 20 x = 0 (6.9)
v0 ∼
x(t) = ∼ e−µt sin ω t (6.10)
ω
et la vitesse de variation de la distance x est donnée par :
. v0 ∼ ∼ ∼
x (t) = ∼ e−µt (−µ sin ωt + ω cos ωt) (6.11)
ω
∼
où v0 est la vitesse relative
p avant la collision et ω la pulsation de l’oscil-
lation amortie qui vaut ω20 − µ2 . Le temps de contact tc est donné par :
tc = ∼π = √ π
2
ω (K/m)−(D/m)
Il est atteint quand x(tc ) devient négatif. Dans cette modélisation, tc est
indépendant de la vitesse relative des particules. On peut définir l’équivalent
du coefficient de restitution ε que nous avons rencontré au paragraphe 2.2.2
en écrivant que :
.
x (tc )
ε=− .
x (0)
ce qui donne :
6.3. SIMULATION MD (DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE) 243
µ ¶
πµ D
ε = exp(− ∼ ) = exp − tc
ω 2m
∼
v0 −µtmax ∼ v0 − ∼µ ω
xmax = ∼ e sin ω tmax = e ω arcsin( )
ω ω0 ω0
v0
xmax =
ω0
On trouve une dépendance linéaire de la pénétration avec la vitesse rel-
ative des particules. C’est donc un résultat sensiblement différent de celui
du modèle de Hertz (paragraphe 2.2.2) qui prévoit une faible dépendance
de la profondeur de pénétration avec la vitesse relative des particules (en
−1/5
v0 ). On observe que ce modèle d’élasticité linéaire conduit à une diver-
gence profonde par rapport à la physique réelle des chocs8 . Il apparaı̂t donc
nécessaire de mettre en œuvre une modélisation plus réaliste tenant compte
de l’interaction non-linéaire de contact. C’est ce que nous allons voir dans
le paragraphe suivant.
.. .
x +2µ xxγ +ω20 x1+β = 0
8
On pourrait penser, à tort, que ce modèle simple, basé sur le couple ressort-
amortisseur, est inutilisable. En réalité, on montre qu’à partir du moment où on introduit
un temps de contact tc raisonnable, c’est-à-dire réaliste du point de vue de la physique
des matériaux en présence, les simulations MD utilisant ce type de modèle conduisent à
des résultats relativement satisfaisants.
244 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
qui peut être écrite [31] sous une forme plus classique :
³ x ´γ µ ¶β
.. . x
m x +ηd x +Ed x=0 (6.12)
d β
où E dépend du module d’Young et du coefficient de Poisson des matériaux
et η de la compression et aussi de la viscosité par rapport au cisaillement.
Remarquons, en passant, que le terme dissipatif de cette équation corre-
spond à une interaction purement viscoélastique. Cette équation ne rend
donc pas compte de déformations plastiques, de déformations permanentes
ou de dissipation de l’excitation vibrationnelle par des phonons, comme nous
l’avons évoqué lors de l’étude du modèle de Hertz au paragraphe 2.2.2.
Il est utile de considérer quelques cas particuliers, selon les valeurs des
exposants β et γ.
— β = 0 et γ = 0 reproduisent les conditions de l’interaction linéaire
décrite par l’équation 6.9.
— β = 1/2 et γ = 0 reproduisent la situation décrite par l’équation de
Hertz ainsi qu’on pourra l’établir par un calcul simple que nous laissons
à titre d’exercice.
— β = 1/2 et γ = 1/2 reproduisent une situation généralisée [67] (modèle
de Kuwabara et Kono) par rapport à celle de Hertz dans laquelle on in-
troduit une compression viscoélastique en complément de l’interaction
élastique du modèle classique où la non-linéarité provient des condi-
tions purement géométriques de la pénétration.
On a certainement perçu, à la lecture des paragraphes précédents, que la
modélisation des interactions de contact lors des collisions particule-particule
est loin d’être simple. Comme nous l’avons écrit plus haut, la physique des
interactions de contact est intrinsèquement complexe et encore assez mal
connue. De plus, la pratique de la simulation numérique est assez délicate,
car elle se doit de respecter soigneusement les échelles de temps (temps de
choc, vitesses relatives, temps de vol libre, etc.) de la réalité physique, sous
peine de conduire à des résultats irréalistes. Nous reproduisons ci-dessous,
à titre pédagogique, la description d’un effet artificiel [31] que l’on peut
rencontrer dans une modélisation utilisant des sphères molles. Cet effet,
appelé ”effet de détachement” parce qu’il provoque la séparation artificielle
et non physique de particules en collisions multiples, peut être vu aisément
en reprenant le modèle simple du paragraphe 3.2.1 sur le comportement d’un
empilement unidimensionnel de billes sphériques excitées par une vibration
verticale sinusoı̈dale.
L’effet de détachement
Cet effet, observable dans des situations diverses, uni et pluridimension-
nelles, résulte en fait d’une imperfection de modélisation dans une situa-
6.3. SIMULATION MD (DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE) 245
s
Ef
εef f =
E0
ε MD
effectif
0.5
ED-LRV
0
-6 -4 -2 0 2
log σ
est très proche de un. Autrement dit, cette modélisation est en contradiction
flagrante avec l’expérience et avec la théorie qui prévoit que le coefficient de
restitution effectif est une fonction décroissante du nombre de particules.
En effet, on trouve ici que le coefficient εef f est égal ou supérieur à celui
d’une seule sphère (ε = 0, 9). La colonne apparaı̂t donc comme beaucoup
trop ”élastique”, ce qui, du point de vue pratique, conduit à une séparation
artificielle des particules en collision. En revanche, lorsque la distance ini-
tiale entre les particules est suffisamment grande (σ > 1), on observe que
la modélisation en dynamique moléculaire reproduit fidèlement les résultats
de la méthode ED. Notons aussi que cette dernière technique, utilisant la
procédure LRV, indique correctement l’indépendance de εef f avec σ. C’est
cette décompaction artificielle qui est à l’origine de l’appellation ”effet de
détachement” dont on perçoit bien la signification en examinant la figure
suivante.
Z(t) MD ED
0.1mm
0
0.5 msec. 0.5 msec.
T N
µN
0 0
V D
−µ N
T
N
µN
0 0
V D
−µ N
Dessin de droite : conditions de Signorini. D est la distance entre les points de contact,
T et N sont les forces tangentielles et normales. A gauche, représentation de la loi de
frottement sec. Les dessins du bas représentent des formes régularisées des lois
irrégulières de Coulomb et de Signorini. La forme régularisée de la loi de Coulomb
correspond ici à une interaction visqueuse au voisinage du contact, tandis que celle de la
condition de Signorini suppose une réaction élastique lorsque les solides se rapprochent
l’un de l’autre.
.
— Lorsque vn = vn = 0, la force normale s’opposant à la pénétration
peut avoir n’importe quelle valeur N ≥ 0.
.
— Le contact est rompu à l’instant où vn = 0 et v n > 0. Dans ce cas, la
force N doit s’annuler.
.
N = mred vn + Φn
.
T = mred vt + Φt
10
On trouvera une excellente analyse de ces problèmes de mise en équation et
d’indétermination dans la référence [69] à laquelle on renvoie le lecteur pour plus de détails.
11
On néglige ici les moments de rotation des particules qui pourront être introduits
sans difficultés dans ces équations mais qui ne changent rien aux considérations que nous
développons dans ce paragraphe.
250 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
statique
dynamique dynamique
T µ sN T
µN µdN
0 0
V V
−µ N −µ d N
µs N
de ne pas oublier que nous n’avons considéré ici que des objets durs (au
sens des sphères dures des simulations ED), ce qui constitue une approx-
imation fondamentale, largement responsable des irrégularités des lois de
Coulomb et de Signorini. Comme on le sait, la nature même de la création
et de la rupture des microcontacts est loin de présenter des irrégularités
aussi brutales que celles qu’introduisent les lois de la mécanique que nous
venons d’exposer. Il est d’ailleurs tout à fait plausible que les lois régularisées
soient plus proches de la réalité que les lois irrégulières. Dans l’état actuel
de la question, on constate que les arguments que nous venons d’exposer,
et qui sont à la base de nombreuses simulations [69], conduisent à des
résultats généralement vérifiés par les expériences, à l’instar des simulations
ED et MD que nous avons décrites ci-dessus et de celles que nous allons
voir dans la suite de ce chapitre. On ne peut donc pas avancer d’argument
définitif concernant la pertinence de telle ou telle méthode de simulation. Il
est vraisemblable que certains aspects de la physique des matériaux granu-
laires puissent être rendus correctement par certaines méthodes et dans cer-
taines circonstances, tout en acceptant des hypothèses simplificatrices qui,
en d’autres circonstances, peuvent s’avérer catastrophiques. A défaut d’une
vision plus générale sur ces modélisations numériques, il serait imprudent
d’être catégorique sur cette question. Nous allons voir, dans la suite, deux
techniques de simulation basées sur la réalisation d’empilements qui peuvent
paraı̂tre un peu ”rustiques” en comparaison avec ce qui précède. Pourtant,
on constate ici encore que ces méthodes conduisent à des résultats vérifiés,
du moins tant que la géométrie des empilements est un facteur essentiel.
∼
r= {r1 , r2 ....., rN }
³∼´
Ces disques ont pour énergie potentielle Eg r :
³∼´ XN
Eg r = mgzj (6.13)
j=1
³∼´
h ³∼´i 1 Eg r
P Eg r = exp −
Q kT
13
C’est un point essentiel. En effet et comme nous l’avons vu aux chapitres 3 et 5,
les parois sont responsables des mouvements de convection du milieu granulaire. En les
supprimant, on fait disparaı̂tre les effets liés à la convection. On n’observe plus alors que
les effets géométriques que nous avons appelés “effets de voûte” et que nous avons décrits
au paragraphe 5.2.1.
254 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
x0j = xj + ξ x δ (6.14)
zj0 = zj + ξ z δ
½ ¾
0 si s ≥ d
U (s) = (6.15)
∞ si s < d
ce qui, en fonction des critères que nous allons donner, représente un système
de disques durs.
En utilisant les configurations d’essai décrites par l’équation 6.14, et les
énergies potentielle et de répulsion, données par les équations 6.13 et 6.15,
on est conduit à établir des critères de choix indiquant si cette situation est
plausible ou non. Ces critères peuvent être décrits de la manière suivante :
— Si
µ∼¶ ³∼´
∆E = E r0 − E r ≤ 0 (6.16)
Cette configuration est d’énergie plus faible que la précédente. Elle est
donc conservée pour la suite du calcul.
∼
— Si ∆E est positif, on ne rejette pas cette solution r0 sans un exa-
men plus approfondi, car elle peut très bien appartenir à l’ensemble
des solutions déterminées par l’agitation thermique du système. On la
conserve donc avec une probabilité donnée par :
· µ ∼ ¶¸
P E r0 · ¸
∆E
P [∆E] = h ³∼´i exp − (6.17)
P E r kT
6.6. MODÉLISATION SÉQUENTIELLE D’UN EMPILEMENT 255
∼
partant d’un état initial d’énergie E( r), conduit à un état final d’énergie
∼0 ∼
E( r ) < E( r) sans se préoccuper du détail du processus de relaxation. A
l’inverse et de manière à se rapprocher autant que possible de l’idée que
l’on peut se faire de la mécanique locale du système, on peut essayer de
construire des modèles d’empilements utilisant des processus d’évolution
aussi réalistes que possible. C’est dans cet esprit qu’a été imaginé le modèle
numérique [52] dit de ”descente la plus rapide” que nous appellerons, plus
brièvement, modèle de descente rapide DR dans la suite de cet exposé.
Le principe de cette méthode qui vise à rendre compte du processus de
descente des particules les unes sur les autres, est représenté sur le schéma
ci-dessous.
4
5
stop
14
On relira avec profit le chapitre 3 qui décrit en détail les divers modes de décompaction
d’un empilement lancé vers le haut, en particulier en géométrie 1D et 2D, et on réfléchira
sur le réalisme de cet algorithme de “lancé-retombé”.
15
Il est intéressant de remarquer que l’algorithme de Jullien et al [52], que nous décrivons
ici, n’introduit pas de bruit, c’est-à-dire de fluctuations de position pendant la réalisation
de l’empilement qui est entièrement déterministe après l’étape de préparation. Ainsi, le
processus de ségrégation apparaı̂t bloqué pour Φ < Φc , alors que le modèle analytique
(paragraphe 5.2.1) prévoyait qu’il s’agissait simplement d’un changement de comporte-
ment. A la suite de cette observation, la simulation DR a été complétée par l’introduction
du bruit, et le comportement réel a bien été observé.
258 CHAPITRE 6. MODÉLISATIONS NUMÉRIQUES
Bibliographie
259
260 BIBLIOGRAPHIE
264
INDEX 265
Crédits iconographiques
La plupart des dessins sont de l’auteur et sont originaux, à l’exception
de ceux qui sont notés ci-dessous sous le format ”page XX [référence bibli-
ographique]” et qui sont extraits et éventuellement adaptés de travaux déjà
publiés.
Chapitre 1
page 22[?].
Chapitre 2
page 34[10].
Chapitre 3
page 77[26], page 100[26], page 105[30], page 108[32], page 116[36], page
120[7], page 121[?], page 122 [36], page 124[36], page 126[?], page 130[?], page
132[?], page 135[?], page 138[?], page 139[?], page 145[40], page 146[40], page
147[40].
Chapitre 4
page 159[41], page 162[43], page 166[44], page 168[7], page 169[45], page
171 [44], page 172[45], page 175[?], page 176[?], page 180[?], page 181[?],
page 181[?].
Chapitre 5
page 201[54], page 203[54], page 208[54], page 210[56], page 210[56], page
212[54], page 213[54], page 215[?], page 217[59], page 218[59], page 221[?].
Chapitre 6
page 236[?], page 245[?], page 246[?], page 248 [69], page 250[69], page
256[72].