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№ SPÉCIAL B/1956 LA H O U I L L E BLANCHE 527

Exposé général sur la nappe alluviale


de la Basse-Durance
General notes on the alluvial water table
in the lower Durance Valley
PAR

A. DECELLE ET E. MULLEK-FEUGA
DIRECTEUR A LA DIRECTION GÉNÉRALE INGÉNIEUR A ÉLECTRICITÉ DE FRANCE
D'ÉLECTRICITÉ DE F R A N C E DIRECTION DE L'ÉQUIPEMENT

L'établissement d'un projet hydroélectrique tel When starting hydro-electric scheme like the
que celui de la dérivation de la basse Durance Lower Durance diversion project various
doit tenir compte de nombreux aspects dont aspects have to be considered some of which
certains sont liés au développement agricole are very closely bound up with the highly-
très poussé de cette partie de la vallée et à developed agricultural activities in that part
l'importance des débits prélevés pour les irri- of the valley and with the large amount of
gations. Ce sont ces aspects qui ont conduit à water taken off for irrigation purposes. Such
étudier le régime actuel d'écoulement des eaux considerations lead to the present ground water
souterraines, le moyen susceptible d'estimer une flow regimen being studied as a means of
conséquence éventuelle de la dérivation, lors- finding out what would be the likely effect of
qu'elle sera créée, sur ce régime et les dispo- the diversion on the regimen and what arrange-
sitions techniques propres à pallier, si besoin ments would have to be made to off set such
était, une telle conséquence. De semblables consequences if they arose. Studies of this
études, qui portent sur 90 km de vallée, néces- kind which take in a 90 kilometre length of
sitent, pour être réalisées, un temps d'obser- the valley must necessarily include observa-
vation prolongé, un réseau de points de mesures tions extending over a prolonged period. Also
suffisamment développé et de nombreux forages necessary is an adequate pattern of measure-
indispensables à la détermination des caracté- ment stations and a large number of boreholes
ristiques hydrodynamiques du milieu aquifère which are indispensable when determining the.
alluvial. Elles ont entraîné des recherches por- hydrodynamic characteristics of the waterbear-
tant sur le régime non permanent des écoule- ing alluvial strata. The studies gave rise to
ments en milieu poreux ainsi que sur l'applica- research on non-permanent flow regimens in
tion de certaines méthodes statistiques, et ont porous media as well as to the application of
abouti, entre autres réalisations, à des essais certain statistical methods and among other
d'alimentation artificielle de la nappe alluviale. things resulted in tests on artificially feeding
the alluvial ground water table.

C'est depuis un siècle, seulement que les tra- Berre remédieront partiellement à cet état (3 mil-
vaux réalisés sur la Durance — digues, ponts — liards de k W h ) .
ont ébranlé la réputation de fléau que cette Ce dernier aménagement doit se développer
rivière au régime torrentiel avait acquise en dans une région de plaines alluviales où l'agri-
Provence. De nos jours, elle est toutefois redou- culture est notoirement prédominante : il a fallu
tée encore par ses riverains : elle n'est en effet de ce fait prendre toutes les précautions désira-
pratiquement pas régularisée. Ses excellentes ca- bles et montrer qu'il serait techniquement possi-
ractéristiques de pente et de débit, qui en font ble de pallier une éventuelle conséquence de la
une source d'énergie exceptionnelle (6 milliards dérivation de la rivière sur la nappe alluviale
de k W h ) , sont par ailleurs à peine exploitées dont la profondeur sous le sol varie entre 0 et
(0,9 milliards de k W h ) . 15 m.
Les pages suivantes se proposent de décrire
La création du réservoir de Serre-Ponçon et la les études qui ont porté sur cette nappe alluviale
dérivation de la Basse-Durance vers l'étang de ainsi que les essais auxquels elles ont abouti.

Article published by SHF and available at http://www.shf-lhb.org or http://dx.doi.org/10.1051/lhb/1956015


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I. — D O N N É E S G É N É R A L E S

La Durance a un bassin versant de 14.127 k m 2


Durance est récent : au Quaternaire moyen une
et draine ainsi plus du quart des Alpes françai- « capture » vers le Rhône, à travers le goulet
ses. Pour plusieurs raisons, on peut considérer d'Orgon, a en effet détourné le cours de la rivière
que la Basse-Durance commence en aval du con- qui s'écoulait auparavant vers la mer par le Col
fluent du Verdon (figure 1) : en ce point situé de Lamanon en épanchant ses alluvions et cons-
à 90 km de son confluent avec le Rhône, la tituant ainsi le vaste glacis caillouteux de la
Durance a reçu son dernier affluent important et Crau.

FlG. 1

3
atteint un module de 200 m / s ; c'est à partir de La plaine alluviale est généralement large,
là que se développe l'important réseau d'irriga- plane, régulière et d'une pente comparable à celle
tions crui confère à l'agriculture bas-durancienne de la rivière; ces conditions se sont prêtées à la
sa renommée et sa richesse; enfin ce point cor- réalisation d'un réseau d'irrigations alimenté par
respond à l'infléchissement du cours de la rivière la rivière elle-même : 14 canaux agricoles, dont
c
qui, quittant le domaine des plissements géologi- le premier remonte au xn siècle, permettent l'ir-
ques alpins (nord-sud), pénètre dans le domaine rigation de 75.000 ha. Ces canaux, base de la ri-
des plissements pyrénéens ou provençaux (est- chesse agricole de la région, possèdent des prises
ouest). en rivière qui sont soumises aux caprices du
La vallée de la Basse-Durance se développe en- tracé du lit mineur de cette dernière, notamment
tre les reliefs du Luberon (qui dépasse 1.000 m) lorsqu'elle connaît son étiage d'été. Les débits
s
situés en rive droite, et la chaîne des Costes pro- ainsi dérivés peuvent atteindre 114m /s, d'après
longée par celle des Alpilles en rive gauche. Sché- des jaugeages effectués en 1952. Les irrigations
matiquement, la structure géologique de toute constituent donc un apport d'eau considérable
cette région se présente sous forme d'une large sur le sol alluvial de la vallée : dans cet ordre
gouttière synclinale, correspondant à la vallée d'idée, il est intéressant de mentionner que près
3
et qui est limitée au nord et au sud par deux de 40 m /s franchissent le col de Lamanon, par
importants bourrelets anticlinaux correspondant les canaux de Craponne et des Alpilles méridio-
aux reliefs et chaînes mentionnés et constitués nales, pour être répandus sur le sol de la Crau.
par des terrains crétacés et tertiaires. Le fond de La création du réservoir de Serre-Ponçon amé-
la gouttière, tapissé par des couches imperméa- liorera indiscutablement la situation souvent
bles d'argiles ou de grès très fins, argileux, mio- grave créée par les sévères étiages d'été de la ri-
cènes ou pliocènes, est rempli par des dépôts vière et les pénuries d'eau agricole qu'ils entraî-
alluviaux dont l'épaisseur varie de 5 à 60 m en nent (le débit de la Durance peut descendre à
3
amont et de 10 à 30 m en aval. 40 m /s en regard des besoins qui, dans le même
Dans sa partie aval, le cours de la Basse- temps, sont voisins de 90 mr/s) ; à cet avantage
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AMENAGEMENT AGRO-INDUSTRIEL
DE LA BASSE DURANCE
CARTE GENERALE

FIG. 2

important viendra s'en ajouter un autre qui, sur tion sensible des débits qui s'écoulent dans la
un plan différent, n'est pas moindre : celui de rivière n'entraînera-t-elle pas une réduction de
l'écrêtement des crues qui, tout en laissant pas- l'alimentation de la nappe alluviale?
3
ser encore un milliard de m d'eau dans la ri- Ces questions ont d'emblée revêtu une très
vière, atténuera leur violence et entraînera une grande importance dans les milieux agricoles ré-
diminution sensible de leur cortège habituel de gionaux; et les principales oppositions rencon-
dommages. trées par le projet sont nées des idées fausses
qui, sans admettre que l'existence même d'irriga-
Toutes ces indications suffisent à suggérer le
tions aussi importantes soulignait l'insuffisance
développement extrêmement poussé de l'agricul-
ou l'inexistence du rôle de la nappe vis-à-vis des
ture de toute cette région : c'est son importance
plantes, liaient étroitement la Durance, la nappe
même qui a entraîné certaines questions con-
et les cultures : n'a-t-on pas entendu parler d'une
cernant les répercussions de l'aménagement de la
nappe se présentant comme un fleuve souter-
Basse-Durance sur l'écoulement de la nappe sou-
rain, d'une région de steppes?... Ce sont ces dif-
terraine qu'on rencontre dans les alluvions et,
ficultés qui ont conduit à mettre en lumière avec
partant sur l'agriculture elle-même. L'aménage-
3 précision l'importance réelle de la nappe souter-
ment prévoit en effet la dérivation de 250 m /s
raine et les relations qui existent entre la Du-
au niveau du confluent du Verdon (cote 256), un
rance et celle-ci. Les études correspondantes,
canal industriel de 80 km débouchant dans
dont les collectivités locales ont été scrupuleuse-
l'étang de Berre, et 5 usines (flg. 2) : il pro-
ment informées, ont porté sur 'deux aspects
fitera, ce faisant, de la forte pente de la rivière
principaux : d'abord bien connaître toutes les
(2,8/1.000).
particularités de l'écoulement naturel de la
Les ouvrages (usines, canal industriel) pour- nappe alluviale, ensuite étudier les remèdes
ront-ils être situés ou conçus de telle sorte qu'ils techniques à mettre en œuvre pour pallier éven-
ne perturbent pas la nappe alluviale? La réduc- tuellement toutes répercussions possibles.

II. — É T U D E G É N É R A L E DE L A N A P P E ALLUVIALE

Depuis 1946, des observations très complètes, niveaux statiques de la nappe; elles sont effcc-
qui sont poursuivies actuellement, portent sur les tuées sur 1.650 points d'eau suivant des fré-
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quences variables : elles peuvent être continues ressortir l'écoulement (fig. 3 et 4), la profondeur,
(130 enregistreurs), journalières, hebdomadaires les battements annuels de la nappe (cartes d'iso-
ou mensuelles. Chaque point observé fait l'ob- amplitudes faisant ressortir les zones où les ni-
jet d'une fiche particulière. veaux, très peu variables, sont liés à l'existence
Préciser que plus d'un million de lectures de d'une condition aval d'écoulement stable), les
niveau de nappe, de débits en rivière, dans les zones où la nappe est en charge (fig. 5) ou
canaux d'irrigation ou les fossés de drainage, de en écoulement à surface libre sous la couche
hauteurs de précipitations... ont été réalisées, a de limons superficiels qui recouvre parfois les
le mérite de fixer l'ampleur de l'opération, mais alluvions.
comporte le risque de masquer l'attention sou- De nombreux forages ont par ailleurs fourni
tenue qu'il a fallu attacher à la qualité de toutes les renseignements concernant les paramètres
ces mesures pour qu'elles soient exploitables. hydrodynamiques qui conditionnent l'écoule-
Tous ces renseignements, accumulés depuis ment et interviennent dans les calculs : H l'épais-
dix ans, constituent un état de référence de la seur des alluvions (précisée également par mé-
situation ou du régime de la nappe avant tous thodes géophysiques), K la perméabilité et m la
travaux, état encore appelé « état initial » . Ils porosité.
permettent de poursuivre des recherches en uti- La perméabilité a fait l'objet de plus de 1.000
lisant les méthodes statistiques, sur les relations mesures ponctuelles, effectuées le plus souvent
qui peuvent exister entre les variations de ni- par « surcharge, débit-constant » : les coefficients
-3 -2
veau de la nappe et les facteurs d'influence de rencontrés varient entre 1.10 et 1.10 m/s. Ces
celle-ci : pluies, irrigations ou crues. Ces rela- mesures ont entraîné diverses recherches : l'une
tions, si elles pouvaient être définies, permet- d'elles a ainsi permis de constater que la fonc-
traient de préciser la part d'influence éventuelle- tion h (Q) était linéaire dans un certain inter-
ment imputable aux travaux par rapport à celle valle et s'infléchissait ensuite soit dans un sens
qui serait le fait de la nature elle-même (années correspondant à un effet de paroi (fuite le long
sèches ou réduction des irrigations par évolution du tube ou cheminement privilégié), soit dans
des cultures, par exemple). un sens correspondant à un accroissement des
pertes de charge. Ce dernier cas étudié a montré
que cet infléchissement, observé au-delà de cer-
** taines surcharges variables suivant les terrains,
Les observations ainsi réunies permettent correspondait à un nombre de Reynolds systé-
d'établir tous les documents susceptibles de faire matiquement voisin de 4, nombre au-delà duquel

C A R T E PHREATIQUE T
du BASSIN de S A N D I O L

COURBES DE NIVEAU
NAPPE

SENS D'ECOULEMEN
•> NAPPE

FIG. 3
N° SPÉCIAL B/1956 LA HOUILLE BLANCHE 531

BASSIN de CHATEAURENARD
CARTE. GENERALE

FIG. 4

la loi de Darcy n'est plus rigoureusement appli- Les observations effectuées sur les niveaux
cable. des nappes souterraines montrent que, sur la
La porosité a fait l'objet de mesures et d'esti- totalité des versants, ces niveaux se trouvent à
mations : la « porosité utile » , différente de la une cote supérieure à celle de la rivière : au col
« porosité totale » qui est de 24 %, s'avère va- de Lamanon notamment, où des écoulements
rier entre 6 et 12 % suivant que le terrain est auraient pu se produire du bassin de la Durance
plus ou moins humide au moment de l'injection. vers la Crau, cette disposition s'est trouvée véri-
fiée et confirmée par des recherches diverses.
* Complétant la notion de berceau étanche, on
a ainsi la certitude que la nappe alluviale ne
Il n'est pas possible de donner ici le détail de s'écoule pas hors du bassin de la rivière.
toutes les études de nature variée qui ont été D'autres observations ont montré que l'écou-
réalisées ni de l'expérience conférée par leur lement de la nappe alluviale s'effectue suivant
réalisation dans un domaine aussi peu connu des traits qu'on retrouve régulièrement dans
et aussi complexe que celui des écoulements sou- chaque bassin (fig. 3) :
terrains. Aussi nous bornerons-nous à relater les — Vers le milieu de chacun d'eux, la nappe
traits principaux de l'écoulement de la nappe s'écoule parallèlement à la rivière;
avant de poursuivre l'exposé concernant les
— Vers l'aval, à l'approche du goulet topogra-
conséquences de l'aménagement et les palliatifs
phique suivant qui entraîne un resserre-
prévus si besoin est.
ment de la section d'écoulement, la pente
De Pont-Mirabeau au Rhône, nous avons vu de la nappe diminue et son niveau se
que la vallée de la Durance est constituée par rapproche de la surface du sol (0,30 à
un remplissage de dépôts alluviaux reposant 1 m) entraînant ainsi l'existence des
sur un berceau géologique étanche dont les cou- zones de paluds et la nécessité de drai-
ches apparaissent parfois sur les reliefs limi- ner;
trophes; la rivière coule sur ces dépôts allu-
viaux. La vallée par ailleurs est géographique- --A hauteur du goulet, la pente de la nappe
ment découpée en une suite de bassins séparés s'accroît sensiblement;
par des goulets topographiques qui sont consti- — A l'aval du goulet, donc en amont du bas-
tués par des resserrements des reliefs voisins et sin suivant, le niveau de la nappe est éloi-
dont les superficies vont en croissant d'amont gné de la surface du sol (5 à 15 m) et
en aval. inférieur à celui de la rivière.
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Les relations entre la Durance et la nappe situations de drainage ou d'apport a présenté


sont donc les suivantes : certaines difficultés lorsqu'il a fallu passer
— Au milieu et à l'aval des bassins, et à hau- d'une notion qualitative à une notion quanti-
teur des goulets, la rivière joue le rôle tative.
classique de drain que jouent les rivières Une première donnée vient des résultats de
à l'égard des nappes latérales : le niveau bilans effectués pour de faibles débits de la
de la rivière ou celui des réseaux de drai- rivière : ceux-ci ont fait ressortir à plusieurs
nage existants constitue la condition aval reprises que, entre le confluent du Verdon (sta-
d'écoulement de la nappe; celui-ci ne tion de Pont-Mirabeau) et le confluent du Rhône
sera pas modifié par la dérivation pro- (Pont de Rognonas), le débit de la Durance,
jetée. compte tenu des apports latéraux ou des prélè-
3

— A l'amont des bassins et sur une zone déli- vements agricoles, s'accroît de 10 à 14 m /s : ce
mitée, la rivière est en charge par rap- débit correspond à l'apport global de la nappe
port à la nappe : une alimentation à par- souterraine sur les 90 km considérés du cours
tir de la rivière est dès lors possible. On de la rivière.
a observé qu'elle ne peut être sensible D'autres évaluations ont porté sur les débits
qu'en période de crues (accroissement de qui peuvent venir de la Durance lorsque celle-
la surface du champ d'inondation, décol- 3
ci a un débit supérieur à 250 m /s. Ainsi au
matages locaux). En dehors de ces pé- droit de la partie amont du bassin de Plan
riodes, le colmatage naturel du lit de la d'Orgon-Saint-Andiol, les relèvements de niveaux
rivière la réduit considérablement : une de la nappe obtenus en 1952 au cours d'une
telle possibilité d'apport est donc épiso- crue, correspondent à un débit de l'ordre de
dique. 400 à 500 1/s pour une porosité de 8%. Sur
l'ensemble de la vallée, un débit épisodique de
3
La définition des relations observées dans ces l'ordre de 1 à 2 m /s a ainsi pu être évalué.

III. — I N F L U E N C E DES O U V R A G E S S U R L A N A P P E A L L U V I A L E

La prise du canal industriel est prévue à de la nappe de telle sorte que le canal n'en-
quelques kilomètres en amont du Pont-Mirabeau traîne pas de perturbation dans l'écoulement
à Cadarache (ait. 256). A partir de ce point, le des eaux souterraines. Dans ces zones, le revê-
canal industriel suivra la rive gauche de la val- tement du canal sera perméable afin de per-
lée de la Durance jusqu'au col de Lamanon mettre des échanges avec la nappe et d'éviter
(ait. 112) au-delà duquel il prendra une orien- des sous-pressions. Partout ailleurs il sera
tation nord-sud pour gagner l'étang de Berre au étanche.
voisinage de Saint-Chamas (fîg. 2).
En période de travaux, un drainage de la
Le premier tronçon comportera trois biefs et nappe existera toutefois sur une distance variant
usines : Jouques (restitution : 225), Saint-Estève- entre 800 et 1 800 m; ses conséquences pour-
Janson (restitution : 160) et Mallemort (restitu- ront être nulles comme par exemple à Saint-
tion : 115) qui seront situés à proximité du lit
Estève-Janson du fait de la quasi-absence de
de la Durance; de la sorte, les chutes amont
nappe.
pourront être mises en service pendant la réa-
lisation des chutes aval, en restituant provisoi- A Jouques, un canal d'essai situé sur l'em-
rement les eaux turbinées en Durance. placement exact et au niveau du futur canal de
Le second tronçon comportera deux biefs et fuite, a été réalisé dans une zone où la vallée
usines : Salon (restitution : 70) et Saint-Chamas est extrêmement étroite, dans le but d'étudier
(restitution : 0). les effets du drainage sur l'écoulement de la
La pente de la vallée (2,8/1 000) est telle que nappe et sur l'alimentation de la nappe du bas-
le canal est amené à gagner très rapidement le sin de Peyrolles-Pertuis qui se développe plus
versant voisin à l'aval immédiat de chaque en aval.
usine pour pouvoir prendre de la hauteur. Ce Les rabattements provoqués ont été en dé-
faisant, il quitte le domaine alluvial et passe croissant d'amont (4 m) en aval (0 m ) . La section
au-dessus d'éventuelles nappes d'eau souter- de la fouille mouillée par la nappe correspond
raines sans les affecter. aux 2/3 de celle du canal définitif. Le débit
A l'aval immédiat des usines les cotes de res- drainé de cette manière est très voisin de celui
titution ont été choisies au voisinage des cotes qui sera obtenu en période de travaux : il a
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atteint 3001/s pour une longueur de canal de dement stabilisés : ils se sont limités à une zone
1 700 m. située au droit de la fouille et n'apparaissent
Le colmatage naturel du lit de la rivière a été pratiquement plus à l'aval de celle-ci. On a ainsi
souligné dans une zone où la différence de pu démontrer que les travaux n'entraîneront
niveau entre le canal et la Durance distants aucune perturbation dans l'écoulement de la
l'un de l'autre de 40 m, était de 3 m; un profil nappe à l'aval de la fouille et en particulier sur
de sondages a montré en effet que la perte de la nappe du bassin de Peyrolles-Pertuis.
charge atteignait plus de 2,50 m à quelques En somme, les ouvrages — usines et canaux
mètres de la Durance (3 m) pour n'être que — ont pu être situés ou conçus de telle sorte
d'une vingtaine de centimètres sur le reste de qu'ils n'affectent pas l'écoulement naturel de la
la distance (37 m ) . nappe.
Les rabattements provoqués se sont très rapi-

IV. — D I S P O S I T I F S D ' A L I M E N T A T I O N ARTIFICIELLE

Nous avons vu que l'accroissement du débit R. M E Y E R dans une étude de caractère général
s'écoulant de la rivière vers la nappe en période sur tes écoulements en milieux poreux, parue
de crues (1 à 2 mois par an), était de 1 à 2 m /s 3
dans la Houille Blanche (1 et 5, 1955 et I, 1 9 5 6 ) .
pour l'ensemble de la vallée : il a paru possible Sur le plan pratique, des méthodes de travail
d'apporter semblables débits à la nappe de ma- ont été élaborées pour mettre en place les dis-
nière artificielle pour pallier une éventuelle positifs d'alimentation artificielle de la nappe
influence de la dérivation sur ces apports. Il alluviale suivant les conditions aux limites ou
fallait pour cela : les caractéristiques hydrodynamiques de chaque
bassin.
— montrer qu'il était possible d'injecter des C'est à la lumière de ces recherches et en uti-
débits de l'ordre de ceux qui viennent lisant ces méthodes que des essais ont été réa-
d'être indiqués; lisés en 1956 dans les bassins de Chateaurenard
— prouver de façon démonstrative l'efficacité et de Peyrolles.
de telles injections; *
— donc provoquer une évolution des
niveaux plus rapide qu'une évolution Les essais de Plan d'Orgon ont duré 1 mois
3
naturelle et réaliser pour cela des au cours duquel un débit moyen de 1 m /s a
relèvements sensibles dans un temps été injecté : les relèvements obtenus ont ramené
court. les niveaux de la nappe de leur minimum moyen
annuel à leur maximum moyen annuel sur la
La nécessité de conférer un caractère indis- quasi-totalité du bassin intéressé.
cutablement démonstratif à de telles réalisations, Ceux de la Seignone, réalisés à 800 m en
a entraîné divers essais et des recherches sur amont de la station de pompage qui alimente
les écoulements souterrains. Avignon en eau potable, ont démontré qu'ils
Des essais de principe ont ainsi été réalisés n'influençaient pas la qualité des eaux pom-
en janvier 1953 à Plan-d'Orgon dans le bassin pées : de nombreuses analyses bactériologiques
de Saint-Andiol qui est le plus vaste bassin de ont souligné qu'un très faible cheminement sou-
la vallée, et dans la région d'Avignon à la Sei- terrain (50 à 80 m) suffisait pour assurer par-
gnone. faitement l'épuration des eaux injectées.
Leurs résultats ont été largement concluants Les essais de Chateaurenard et de Peyrolles
puisqu'ils ont déterminé l'accord des collectivi- l'ont l'objet de la description qui suit.
tés locales à l'égard du projet, d'autres essais
devant être cependant réalisés pour montrer 1. — L'ESSAI DE CHATEAURENARD
que, si les dispositifs d'injection devaient être
adaptés aux conditions propres à chaque bas- Le bassin alluvial de Chateaurenard est situé
sin, les effets de l'alimentation artificielle se en rive gauche de la Durance avant le confluent
feraient sentir partout de façon tout aussi effi- de cette rivière avec le Rhône. Il se présente
cace. comme une plaine large d'environ 5 km qui,
A l'occasion de ces essais, des recherches entre les doux reliefs de la Montagnette, de la
théoriques ont été entreprises sur les lois qui Petite Crau et des Alpilles, s'étend depuis la
régissent les écoulements non permanents en Durance au nord jusqu'à la plaine du Rhône au
milieux poreux : elles ont été traitées par sud-ouest. Un réseau d'irrigation très développé
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couvre sa partie nord alors que le drainage est tion où, comme on vient de le dire, la
systématiquement pratiqué vers l'ouest et le section d'écoulement et la perméabilité
sud (fig. 4). des alluvions diminuent sensiblement.
Ce bassin, ouvert topographiquement vers le — Cette limite de mise en charge de la nappe
Rhône, se présente différemment de celui de sous les limons est marquée d'une façon
Saint-Andiol où avaient été réalisés les premiers continue par des sources et par l'appari-
essais (fig. 3) : il a donc paru nécessaire de tion des réseaux de drainage qui évacuent
démontrer que cette différence, simplement les eaux de débordement de la nappe et
apparente ainsi que les études ont permis de ont constitué les premiers travaux d'as-
s'en rendre compte, ne mettait pas en défaut la sainissement dont cette région a été l'ob-
technique de l'alimentation artificielle. jet au xi" siècle sous la conduite des
L'écoulement de la nappe alluviale s'effectue moines de Montmajour.
de la façon suivante :
— La nappe s'écoule dans des alluvions dont Elle correspond donc à une limite au-delà de
l'épaisseur peut atteindre 30 m et qui sont laquelle l'existence des drains rend impossible
souvent recouvertes par une couche de tout relèvement du niveau de la nappe : on peut
limons superficiels dont l'épaisseur est en effet observer que, dans le courant d'une
variable; celle-ci va en s'accroissant nota- année, les niveaux y varient de 0,20 à 0,30 m
blement vers l'aval (vers Maillane on en environ du fait de l'exploitation des drains, alors
trouve une épaisseur de 14 m) alors que qu'ils varient naturellement de plus de 1 m dans
dans cette direction la perméabilité des toute la partie amont du bassin.
alluvions est sensiblement plus faible
(8 à 10 fois environ).
a) CARACTÉRISTIQUES DE L'ESSAI :
— Dans la partie amont du bassin, l'écoule-
ment de la nappe est à surface libre jus- L'essai d'alimentation artificielle a porté sur
qu'à une zone où le toit de la nappe ren- la zone ainsi délimitée dans laquelle la profon-
contre la base de la couche de limons deur de la nappe varie d'amont en aval de 4 m
superficiels. à 2 m (fig. 5). Le dispositif d'injection a été
— A l'aval de cette zone, l'écoulement s'effectue mis en place à la lumière des études et selon
en charge sous les limons dans une direc- les méthodes précédemment évoquées; les carac-

BASSIN de CHATEAURENARD
ZONE de !_' ESSAI

FIG. 5
№ SPÉCIAL B/1956 LA HOUILLE BLANCHE 535

DÜTflEES G E N E R A L E S SUP L ' E S S A I


DE CMATEAUREIÏARD

Fin. G

téristiques hydrodynamiques retenues pour les moven d'injection a été maintenu au voisinage
3
calculs sont les suivantes : de 8301/s : plus de 2 000 000 de m d'eau ont
été ainsi injectés. Ces données apparaissent sur
Epaisseur de la nappe H = 20 m la figure 6 qui présente également l'évolution
-3
Perméabilité des a l l u v i o n s . . . . K = 8 . 1 0 m/s des surfaces couvertes par des relèvements
Porosité des alluvions m = 6 à 12 % supérieurs à 0,20, 0,40 et 0,60 m.
Après ajustements successifs, les recherches Au cours de l'essai, une crue de la Durance
ont abouti à un dispositif constitué par 5 cen- a été observée. Aussi, pour connaître l'effet
tres équipés pour absorber 1 1001/s. Ces cen- réellement imputable à l'essai, il a fallu recons-
tres comportent des ouvrages de filtration (l'eau tituer par corrélations graphiques, à partir des
d'amenée étant l'eau de Durance distribuée pal- niveaux observés sur des puits comparables
les canaux d'irrigation) de deux types (100 et mais non soumis à l'influence de l'alimentation
200 1/s) et des ouvrages d'injection (25 son- artificielle, ce qu'aurait été l'évolution naturelle
dages de 560 mm foncés jusqu'au fond imper- des niveaux. Ce sont les différences de niveaux
méable). lues sur ces graphiques qui ont permis de tra-
cer la coupe en long du bassin (fig. 7) et les
Pour que de tels essais soient probants, il
cartes des relèvements consécutifs à l'injection.
fallait les réaliser dans des conditions très sélec-
La figure 8 compare les résultats calculés et en
tives, c'est-à-dire en une période où les crues
fonction desquels le dispositif a été mis en place,
et les pluies sont très peu probables et les irri-
et les relèvements observés à 29 jours.
gations interrompues; aussi, comme les essais
de principe de 1953, ceux de Châteaurenard et
de Peyrolles (1956) ont été réalisés en janvier- 2. — L'ESSAI DE P E Y R O L L E S
février. A ce moment par ailleurs, les niveaux
de la nappe sont généralement à leurs minima Entre la chute de .Touques et la chute de Saint-
annuels : cette situation permet de provoquer Estève-Janson et en rive gauche de la Durance,
des relèvements sensibles sans entraîner des s'étend le bassin de Peyrolles. Celui-ci présente
dommages liés à des niveaux élevés inhabituels. des caractéristiques générales comparables à
celles du bassin de Châteaurenard : elles ont
V) R É S U L T A T S DE L'ESSAI :
conduit, de la même façon qu'à Châteaurenard,
L'essai s'est poursuivi 29 jours. Le débit à réaliser l'essai dans la partie amont du bas-
53(5 LA HOUILLE BLANCHE № SPÉCIAL B/1956

: S S A I D E C H A T E A U P E N A Q D
COTES
NGF

35. PPOFIL D'ETUDE

DOSEE DE L'INJECTION •. ?9 JOURS

30 DEBIT HOyEN : 830 LITRES/SECONDE

D R A I M A Cf.

20

15

10
Fie. ?

Résultats de Fessai de Chateaurenard à 29 jours.


Calculés Observés

LEGEtlDE
Courbes de 2o 4o, 6o 8o et foo cm. de relèvement.
t t

Zone d? mise en charge de la nappe sous les limons.


Fie 8

sin (fig. 9). On trouve en effet dans cette — L'existence d'un réseau de drainage qui
région : limite tous relèvements à l'aval de cette
zone.
— La nappe alluviale qui s'écoule librement au
droit de Peyrolles, dans une zone où les Complétant cette limite aval de l'essai, on
irrigations sont très développées. trouve, en amont de Peyrolles et à 500 m à l'est
du ruisseau de Jouques, un haut fond molas-
— Une zone de mise en charge de cette nappe sique sur lequel la nappe est pratiquement
sous des limons superficiels. inexistante et qui constitue une limite amont.
N" SPÉCIAL B/195(i LA H O U I L L E BLANCHI- 537

ZONE D E L ESSAI DE PEYROLLES

FIG. 9

DONMEES GENERALES SUR L'ESSAI


DE PEYROLLES

FIG. 10

a) CARACTÉRISTIQUES DE L'ESSAI :
Par rapport à la première étude, des diffé-
Il a porté sur la zone ainsi délimitée dans rences sensibles apparaissent dans la valeur de
laquelle la profondeur de la nappe sous le sol certains paramètres : du même coup le dispo-
varie d'amont en aval de 3 m à 0,80 m. sitif d'injection est assez différent.

8
538 LA H O U I L L E BLANCHE № SPÉCIAL B/195G

Les caractéristiques retenues pour les calculs Lotal. Il a été possible de s'affranchir des ou-
sont : vrages de filtration du fait de l'existence d'eau
limpide provenant du ruisseau de Jouques
Epaisseur de la nappe H= 8m
3 voisin.
Perméabilité des a l l u v i o n s . . . . K = 5.10~ m/s
Porosité des alluvions m = 6 à 12 % b) RÉSULTATS DE L'ESSAI :

Le dispositif finalement adopté comporte Il a duré 26 jours. Le débit moyen d'injec-


3
13 sondages (560 mm) foncés jusqu'au fond tion s'est fixé à 220 1/s : près de 500 000 m
sous-alluvial et destinés à injecter 240 1/s au d'eau ont été injectés (fig. 10).
*
D'une manière générale, ces essais ont souligné les conclusions qui étaient
apparues au cours des essais de principe de 1953 :
Un débit même supérieur à 1 m /s peut très3
ceux que l'action conjuguée des facteurs
facilement être injecté dans la nappe naturels produit en un cycle annuel;
alluviale; Ces relèvements, au bout du délai d'un mois
indiqué, continueraient à se poursuivre
Les ouvrages d'injection sont extrêmement linéairement sans donner de signe de
modestes ; fléchissement : les débits à mettre en
œuvre pour maintenir la nappe à un
Les relèvements de niveau obtenus en un niveau déterminé seraient donc très sen-
mois dans chacun des cas et avec les siblement plus faibles que ceux qui ont
débits respectifs mentionnés, sont partout été utilisés.

V. — C O N C L U S I O N S

Si la technique spéciale de l'alimentation Sur le plan général de l'hydrologie souter-


artificielle d'une nappe aquifère a fait l'objet raine, ils ont montré que des études théoriques,
d'applications antérieures aux essais décrits, ces généralement ardues dans ce domaine, peuvent
derniers constituent cependant une étape im- parvenir à une approximation très satisfaisante.
portante du fait des exigences très sévères qu'ils Qu'il s'agisse des recherches d'ordre général
ont dû satisfaire. Tant sur le plan pratique que sur les écoulements souterrains, des recherches
sur le plan psychologique, sans préjuger de la statistiques qui visent la définition d'un « état
nécessité d'y avoir recours dans l'avenir, ils ont initial » ou de celles qui concernent les essais
tranquillisé tous les intéressés car ils ont fait d'alimentation artificielle, les questions qui
apparaître que, malgré la complexité des ques- viennent d'être très brièvement évoquées consti-
tions d'écoulements souterrains qui, par cela tuent à vrai dire des ensembles distincts : ceux-
même sont mal connues, on disposait d'un pal- ci mériteraient un développement particulier si
liatif certain en cas d'une éventuelle modifica- on voulait faire ressortir les enseignements qui
tion de l'écoulement de la nappe alluviale im- découlent des études de nappe liées à l'aména-
putable à la dérivation de la Durance. gement de la Basse-Durance.

DISCUSSION
Président : M. BERGERON

Répondant à une question de M . D E Y M I É , M . M U L L E R - valent » du matériau alluvial était pris égal


FEUGA indique que la zone intéressée par l'essai d'ali- dm = 0,18 m m .
mentation artificielle de la nappe (essai de Plan d'Orgon, Répondant à M . G U I L L O T , M . M U L L E R - F E U G A indique
1953) a un rayon global d'environ 4 k m : il est évident que le coefficient de « porosité utile » des alluvions de
toutefois que cette distance, valable pour un débit d'in- la Durance a été évalué en laboratoire c o m m e étant de
jection de 1 m V s , varie autour de la valeur indiquée, l'ordre de 8 % en regard d'une « porosité totale » de
suivent la direction considérée du fait de la pente de la 24 % . En procédant par un analyse des essais d'alimen-
nappe et de l'influence des limites imperméables du tation artificielle, c'est-à-dire en faisant les hypothèses
bassin alluvial. sur 2 ou 3 paramètres qui conditionnent des essais, les
auteurs ont été amenés à trouver que le coefficient de
Répondant à une question de M . DAVIDENKOFF, porosité à considérer était de l'ordre de 10 % pour le
M. MULLER-FEUGA indique que, pour l'étude de la l i m i t e matériau alluvial.
de validité de la l o i de Darcy pour laquelle on a trouvé M . le Président remercie M M . D E C E L L E et M U L L E R -
un nombre de Reynolds égal à 4, le « diamètre équi- F E U G A de leur communication.

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