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mardi 19 mars 2019 10:36

1303 mots - 5 min

: MIDI LIBRE VIP

Le témoignage du sous-marinier héraultais sauvé des eaux


Gérard Rosenthal, bientôt 76 ans, réside à Nizas dans le Piscénois. Il
a échappé à deux tragédies successives: le naufrage du sous-marin Mi-
nerve, le 27 janvier 1968, puis celui de l’Eurydice, le 4 mars 1970. Ren-
contre.

Il y a encore cinq ans, "il n’en parlait jamais", confie sa fille Sophie, assise aux
côtés de son père Gérard et de sa maman Marie-José, dans la cuisine de son
appartement du quartier Victor-Hugo à Sète. Et puis, subitement, en 2014, Gé-
rard Rosenthal a pris contact avec Jean-Paul Krintz, l’un des sept membres de
l’équipage de la Minerve qui, comme lui, n’avait pas embarqué à bord du sub-
mersible en ce 27 janvier 1968. "Et c’est à partir de là qu’il a commencé à nous
raconter toute son histoire, qu’il avait tue pendant près d’un demi-siècle". À
la faveur de l’actualité – la reprise des recherches de l’épave de la Minerve, –,
l’ancien sous-marinier a accepté de la retracer de nouveau pour Midi Libre.

La Minerve…

Le 27 janvier 1968, la Minerve (indicatif S647), sous-marin d’attaque à pro-


pulsion dieselélectrique, coulait au large de Toulon, par plus de 2 000 mètres
de fond, avec 52 hommes à bord. Les recherches menées de 1968 à 1970 ne
permirent pas de retrouver l’épave. Il aura fallu attendre un demi-siècle de
“secret-défense” pour que le Ministère des Armées relance une nouvelle cam-
pagne, qui a démarré et va se poursuivre en plusieurs étapes cette année. De-
puis la Seconde guerre mondiale, la Minerve reste le seul sous-marin au monde
ayant sombré mais dont on ne connaît pas la position.

Parmi les victimes se trouvait un Sétois, Jean-Marc Mouton, 19 ans, qui était
quartier-maître électro. "Il était le neveu d’un cheminot et crossman bien
connu à Sète", rapportait Midi Libre le 2 février 1968.

Commis aux vivres

En ce début d’année 1968, Gérard Rosenthal n’a pas encore 25 ans. Il s’est
engagé dans la Marine nationale quand il en avait 18. Le 1er janvier 1965, il
étrenne ses galons de sous-marinier, commis aux vivres, dans l’Amazone, un
submersible de 400 tonnes. "Je gérais trois jours de vivres frais. Après, c’était
les conserves. On buvait de l’eau de soute avec de l’antésite, et du vin. On pou-
vait à peine se laver, sinon avec de la poudre pour bébé… Et avec toute cette
promiscuité…" Marie-José, et même Sophie, se souviennent encore de "l’odeur
pestilentielle qu’il dégageait en rentrant à la maison, mélange de graillon, de
gas-oil, de sueur…".

Mal à l‘estomac

En 1966, année de naissance de Sophie, il devient membre de l’équipage de


l’Eurydice, sous-marin de 800 tonnes, de même classe (Daphné) que la Mi-

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nerve, affecté lui aussi à la surveillance des mouvements en mer durant la
“Guerre froide”.

Le 25 janvier 1968, le commandant de l’Eurydice, le lieutenant de vaisseau


Bernard de Truchis de Lays, le convoque : "Il me dit : lundi, vous appareillez
sur la Minerve pour remplacer le commis aux vivres, Robert Ganglof, qui était
aux arrêts pour avoir planqué une bouteille de whisky dans sa vareuse. Seule-
ment voilà : ce jour-là, je devais aller passer une radio de l’estomac, car je souf-
frais d’un ulcère. Il m’a dit : “D’accord. Vous n’embarquerez pas”. C’était un
homme bon. Si j’étais tombé sur un autre commandant, il m’aurait dit : “Votre
examen, rien à foutre !” Je lui dois la vie."

À la recherche de l’épave de la Minerve

La nouvelle campagne de recherche a démarré le 7 février dernier, sous l’auto-


rité du préfet maritime de Toulon. Le navire Pourquoi pas ? de l’Ifremer a qua-
drillé la zone de disparition présumée avec un sondeur de recherche de coques.
Du 16 au 19 février, un drone maritime AUV a effectué 30 h de plongée, ap-
puyé par le Nautile, sous-marin de l’Ifremer, qui a plongé durant 25 h. 30 km²
de zone, par plus de 2 000 m de fonds, ont été contrôlés.

Le drone et le Nautile ont permis d’identifier plusieurs pièces métalliques, des


fûts, tuyaux, caisses métalliques et bidon d’huile ainsi qu’une cheminée de na-
vire, mais rien qui appartiendrait à la Minerve. Pour autant, "l’espoir de retrou-
ver l’épave est fort, car aucun des éléments retrouvés n’était enfoui, même si le
sous-marin, probablement, gît en plusieurs morceaux", explique Hervé Fauve,
fils du commandant disparu et membre du collectif des familles des victimes,
qui réclamait depuis longtemps la reprise des recherches.

Le gros de la campagne est prévu au mois de juillet, avec le navire l’Antéa, de


l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et un drone qui effectue-
ra les sondages des fonds marins. Si les signes d’une épave sont repérés, il fau-
dra pour l’identification alors faire intervenir le Nautile, qui ne sera disponible
qu’en novembre.

Les mots de De Gaulle

Le 28 janvier, à 8 h du matin, "j’étais en train de nourrir mes poules quand


mon beau-père m’a annoncé le naufrage de la Minerve. Quel choc ! Nous, les
sous-mariniers, on se connaissait tous. On revenait de mission, on se retrou-
vait en famille le week-end au mess." Le 8 février, le Général de Gaulle se rend
à Toulon pour la cérémonie d’hommage aux 52 victimes. Avant d’effectuer une
plongée-surprise à bord de l’Eurydice, "il s’est adressé à l’équipage en nous di-
sant, je m’en souviens très bien : “Messieurs, vous avez choisi un métier très
dangereux, et vous êtes volontaires”…".

Gérard restera encore six mois sur l’Eurydice avant d’être déclaré inapte. Sa
carrière de sous-marinier (30 000 heures de plongée) aura duré quatre ans. De-
venu officier marinier, il est muté à l’école des mécaniciens de Saint-Mandrier
où il effectue une formation de guetteur sémaphorique. Le 4 mars 1970, il est
de service quand survient le naufrage… de l’Eurydice.

"J’ai été le premier à recevoir les messages…". Le submersible sombre corps et

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biens au large du cap Camarat, au large de Saint-Tropez, avec ses 57 hommes,
dont le commandant de Truchis. À la différence de la Minerve, son épave a été
très tôt repérée, à 600 m de profondeur. Mais là aussi, même si l’hypothèse la
plus probable serait une collision avec un cargo tunisien, les causes du nau-
frage restent à établir.

… puis l’Eurydice

Le 4 mars 1970, un sous-marin de la même classe Daphné (800 tonnes) coulait


au large de SaintTropez, au cap Camarat, avec 57 hommes à bord. Son épave a,
elle, été localisée. Mais là aussi, la cause du naufrage n’est toujours pas claire-
ment établie.

Un si long silence

Gérard quittera la Marine le 31 janvier 1971. La suite ? Une longue série de dé-
ménagements avec sa femme et leurs huit enfants, au gré de ses métiers suc-
cessifs (surtout dans l’hôtellerie), en Auvergne, dans le Var, à Aigues-Mortes,
La Grande-Motte, Balaruc, Frontignan-plage… et désormais Nizas dans le Pis-
cénois.

Entre-temps, en 2014 donc, après 44 ans de silence radio, vint le déclic.


D’abord la rencontre avec Jean-Paul Krintz (décédé en 2017) "qui s’était juré
de découvrir la vérité sur le naufrage de la Minerve".

Premières larmes

Puis, le 4 mars, jour anniversaire du drame de l’Eurydice, sa première parti-


cipation à la cérémonie annuelle d’hommage aux sous-mariniers disparus en
mer, au "magnifique" monument qui leur est dédié, à Toulon : "Je l’avais pous-
sé à y aller. C’est là que je l’ai vu pleurer pour la première fois…", rapporte So-
phie.

Depuis, Gérard assiste aux deux commémorations annuelles des tragédies de


la Minerve et de l’Eurydice, "dont on ne parle pas beaucoup", regrette-t-il. Il
fait partie de la Créole, association des anciens sous-mariniers, qui ont tenu un
stand lors d’Escale à Sète 2018. Et il peut enfin livrer ses états d’âme si long-
temps enfouis. Ceux d’un ancien sous-marinier que la providence aura deux
fois épargné: "Si je n’avais pas eu mal à l’estomac, et si je n’avais voulu devenir
officier marinier…"

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Gérard Rosenthal entouré de son épouse et de sa fille Sophie, qui réside à Sète.
Lors d’Escale à Sète 2018, au stand des sous-mariniers..

Parution : Continue Tous droits réservés 2019 midilibre.fr


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