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Tromelin - Chapitre IX. Sauvetage des survivants de l’Utile - CNR... https://books.openedition.

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CNRS
Éditions
Tromelin | Max Guérout

Chapitre IX.
Sauvetage des
survivants de
l’Utile
p. 55-61

Texte intégral

Tentatives de sauvetage des survivants


1 A peine revenu à l’île de France, Castellan embarque le 1er
janvier 1762 comme premier lieutenant à bord du Comte de
Provence, dont le capitaine est de Trehoüart de Beaulieu. M.
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de Saint-Georges, chef d’escadre, a mis sa marque à bord1. Ce


dernier, tenu au courant de la promesse de Castellan de
secourir les Malgaches abandonnés, propose d’envoyer une
goélette de secours2. Mais l’apparition de navires de la Royal
Navy à Rodrigue fait surseoir à l’opération, car on craint la
capture du bâtiment par les anglais. Castellan débarque du
Comte de Provence et le 4 septembre 1762 embarque comme
passager à bord de la flûte le Chameau qui regagne la
France. Après son départ, la promesse qui lui avait été faite
d’aller rechercher les Malgaches ne fut pas tenue.
2 Il est certain que Castellan resta tourmenté par la promesse
formulée aux Malgaches restés sur l’île, puisqu’en septembre
1772, onze ans après les faits, il écrit au comte de Boynes,
secrétaire d’Etat à la Marine (1771-1774), pour lui demander
d’envoyer un navire pour vérifier s’il ne se trouve pas de
survivants sur l’île. Il commence sa lettre en ces termes :
« L’humanité m’engage de vous faire part ». On a cependant
peine à comprendre pourquoi il a attendu aussi longtemps
pour entreprendre cette démarche. Le contexte géopolitique
de l’océan Indien et les déboires de la Compagnie des Indes
expliquent probablement ce délai. Sans doute Castellan a-t-il
tenté de faire réagir la Compagnie des Indes, mais celle-ci est
au bord de la faillite lors de la signature du traité de Paris, le
10 février 1763, qui met un terme à la guerre de Sept Ans. La
Compagnie va devoir transmettre l’année suivante
l’administration des îles au pouvoir royal. La transition est
difficile et on comprend qu’il ne soit pas entendu.
L’administration royale en place, il se résout à adresser sa
supplique au secrétaire d’Etat à la Marine. Sa réponse est
favorable ; il demande des précisions sur les circonstances
du naufrage de l’Utile et un plan de l’île, que Castellan
s’empresse de lui faire parvenir3. De Boynes donne
probablement des ordres au gouverneur de l’île de France
pour qu’on aille s’assurer de la présence d’éventuels
rescapés. A. d’Epinay4 assure que ces ordres ont été donnés.

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Cependant la première tentative dont nous ayons retrouvé la


trace ne date que de 1775.
La Sauterelle
Cotre construit à Lorient de décembre 1770 à juin 1771 par
Antoine Groignard. Rayé des listes en 1777 à l’île de France.
Caractéristiques : 40 tx (ce tonnage diffère de celui indiqué
par Demerliac 1995, p. 104) – L (Q) 40 pieds – largeur 21
pieds – creux 9 pieds – tirants d’eau lège 5 pieds 6 pouces et
en charge 9 pieds 6 pouces. Equipage : 3 off. 18/24 hommes
d’équipage. Armement : 6 canons de 3 ou 4 livres. Sous le
commandement de Mengaud de la Hage, elle arrive en océan
Indien en 1772 en provenance de Lorient.

Vaine tentative du cotre la Sauterelle


3 En août ou septembre 1775, le cotre la Sauterelle5 reçoit du
gouverneur de Ternay la mission d’essayer de récupérer les
naufragés.
4 Dans un « état des flûtes, frégates, corvettes, présents au
Port-Louis », daté du 2 août 1775, on indique justement
que « la Sauterelle - 4 canons – 70 tonneaux – En bon état
(dans le cas d’être vendue) » est « prête à partir pour l’Isle de
Sable6 ». Cette tentative malheureuse de l’équipage de la
Sauterelle et de de Ternay est narrée par Guiran de la
Brillane le gouverneur de l’île de France qui lui succédera :
« un des bâtiments qu’il avait envoyé à cet effet, ayant eu
son câble coupé, dans le moment que deux hommes avaient
été à terre sur un radeau ; fut obligé d’appareiller. Le
radeau ayant été brisé ; un des deux regagna le bâtiment à
la nage avec beaucoup de peine ; et l’autre qui n’en eut pas
le courage ; resta parmi les noirs7… »

5 De Ternay envoie alors successivement deux autres


bâtiments pour tenter le sauvetage, mais par deux fois l’état
de la mer empêche tout débarquement.

Sauvetage par la Dauphine (1776)


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6 Ce n’est que seize mois plus tard qu’une corvette de la


marine royale, la Dauphine, est dépêchée à son tour vers l’île
de Sable. La corvette est commandée par l’enseigne de
vaisseau Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin. Ce
dernier, averti des difficultés du débarquement sur l’île a pris
soin d’embarquer une pirogue utilisée par l’hôpital de Port-
Louis pour pêcher ; elle est mentionnée dans l’inventaire des
embarcations présentes dans le port en 17758.
La Dauphine
Corvette de 4 canons construite à l’île Bourbon mise en
chantier en 1772 et terminée en août 1773. Armement : de 4 à
8 canons. Achetée par la marine royale pendant sa
construction vers juin 1773, elle participe sous le
commandement de Ferron avec comme second Jacques
Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin au troisième voyage
d’exploration d’Yves de Kerguelen-Tremarec pour les terres
australes. Ce dernier embarqué sur le Roland est
accompagné de le frégate l’Oiseau (capitaine de Saulx de
Rosnevet). Ils partent de l’île de France le 17 octobre 1773.
Elle sera capturée par trois corsaires anglais en juin 1780.
7 La Dauphine appareille de Port-Louis le 25 novembre 1776 et
est en vue de l’île le 28 dans la soirée. Le 29 novembre, servi
par des conditions de vent et de mer favorables, de Tromelin
met à l’eau la pirogue et une chaloupe sous la direction de Le
Page, l’un de ses officiers, dont on retrouve le nom dans un
rôle de la Dauphine9. Les derniers rescapés sont récupérés et
débarquent à l’île de France le 14 décembre.
8 Trois ans plus tard, Tromelin rend compte brièvement du
sauvetage, dans un document où il retrace les principaux
évènements qui ont marqué son séjour dans l’océan
Indien10 :
« En 1776, M. le chevalier de Ternay voulut faire un nouvel
effort pour sauver les nauffragés qui s’étaient perdus
en 1761 dans le vaisseau l’Utile sur un écueil de la mer des
Indes connu sur les cartes sous le nom de l’Isle de Sable.

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Mrs. les administrateurs du Roi me chargèrent de cette


mission honorable, dans le tems où l’arrière-saison ne
permettait pas que je pusse naviguer et servir à
l’approvisionnement de la colonie.
Tous ceux qui avoient tenté avant moi de sauver ces
nauffragés y avaient échoué : j’eus le bonheur de réussir
complettement dans mon expédition, mais il est de mon
devoir d’annoncer publiquement que je dois une partie de
mes succès au S. Lepage officier sur ma corvette. Je le
chargeai du commandement de la chaloupe destinée à
approcher de cet écueil. Cet officier prit si bien ses mesures,
que, sans perdre un seul homme il fit passer à la pirogue la
Barre dans l’endroit le moins dangereux, et sauva sept
négresses et un enfant. Seul reste des 300 naufragés, qui
depuis 15 ans vivaient sur ce danger ; de tortues, de
poissons et d’eau saumâtre, car on ne trouve sur cette Isle,
que la mer couvre presqu’en entier dans les gros tems, ni
arbrisseaux, ni même d’herbe. »

9 Ce récit nous apporte la confirmation du rôle joué par Le


Page, dans le sauvetage. Dans ce compte rendu non daté qu’il
envoie à Antoine de Sartine, secrétaire d’Etat à la Marine,
Tromelin insiste sur le rôle de Le Page11, d’autant que ce
document vise, de toute évidence, à obtenir une récompense
pour le Page qui avec les autres officiers de la corvette la
Dauphine l’a suivi à bord de la flûte la Pintade, dont il reçut
le commandement le 28 décembre 1778 avec mission de
porter en France les lettres et les paquets de la colonie à
destination de la Cour. Pendant ce voyage, au large des
Açores, Tromelin livre en avril 1779 un combat contre un
corsaire anglais. S’il se tire avec honneur de l’engagement
contre un cotre mieux armé que lui, Le Page est grièvement
blessé.
10 Ce document livre une information capitale : le nombre des
esclaves embarqués, Tromelin cite en effet le nombre de 300
naufragés. L’équipage et les passagers sont au total 142 (122
rescapés et 20 noyés). Il reste donc 158 esclaves. Ce chiffre
est recoupé par celui de 160 mentionné par Bernardin de
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Saint-Pierre dans son manuscrit : un passage qui ne sera pas


publié dans le texte définitif du Voyage à l’Isle de France.
Condorcet s’il cite le chiffre de 300 fait quant à lui une
confusion en indiquant qu’il s’agit du nombre d’esclaves,
mais ce chiffre et la mention du nom de Le Page semble
indiquer qu’il puise l’information à sa source : le compte
rendu de Tromelin. Bien que non daté, le document écrit par
Tromelin est probablement rédigé peu de temps après le
retour de la Pintade à Lorient, fin mai 1779. La première
édition du livre de Condorcet a lieu quant à elle en 1781.
11 On peut donc désormais savoir ce qu’il est advenu de ces 158
esclaves : 70 sont morts noyés au moment du naufrage, sans
doute, pour nombre d’entre eux, pris au piège dans des
soutes. On en avait cloué les panneaux, nous précise
Keraudic. En effet, sur les plans de l’île dessinés au retour, à
côté des tentes les plus au nord il est indiqué : « campement
des noirs : 88 » ce qui indique le nombre esclaves rescapés.
80 esclaves malgaches étant abandonnés sur l’île deux mois
après, 8 sont donc morts pendant cette courte période, très
probablement dans les premiers jours, de soif et de faim
comme l’indique sans trop insister Keraudic, car il semble
bien que, devant la pénurie de vivres et d’eau, on en ait privé
d’abord les esclaves.

Les naufragées racontent (1776)


“It is a very human story, a story of the ingenuity and
instinct for survival of people who were abandoned because
they were regarded by some of their fellow human beings
as less than human12.”

12 Les naufragés sauvés on apprend enfin comment ils se sont


organisés et sont parvenus à survivre, plusieurs pièces de
correspondances en témoignent :

1 - « Lettre du Chevalier de Guiran La Brillanne au


Ministre13

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Au Port Louis – Isle de France, le 22 Xbre 1776


Il y a quinze ans que le vaisseau de la compagnie l’Utile se
perdit sur l’Isle de Sable. L’équipage se sauva dans une
chaloupe et aborda heureusement à Madagascar. On avait
promis à un certain nombre de noirs qui les avaient aidés à
mettre ce bâtiment en état, de les envoyer chercher le plus
tôt possible : on l’avait cependant négligé. M. le Chevalier
de Ternay, instruit qu’on avait vu ces malheureux sur cette
île, a donné à plusieurs fois des ordres pour aller à leur
secours, mais la difficulté d’aborder avait fait toujours
échouer ce projet ; un des bâtiments qu’il avait envoyé à cet
effet, ayant eu son câble coupé, dans le moment que deux
hommes avaient été à terre sur un radeau ; fut obligé (f°
228 v°) d’appareiller. Le radeau ayant été brisé ; un des
deux regagna le bâtiment à la nage avec beaucoup de
peine ; et l’autre qui n’en eut pas le courage ; resta parmi les
noirs. M. de Ternay a fait depuis cette époque, d’autres
tentatives infructueuses. Il y a environ un mois que le
général y a envoyé M. de Tromelin, enseigne de vaisseau,
commandant la corvette la Dauphine qui a été plus
heureux : une pirogue qu’on luy avait donné dans le port
luy a été d’une grande ressource ; le temps l’a d’ailleurs bien
servi. Il y a envoyé à terre : où l’on a trouvé sept négresses
et un petit enfant de huit mois : c’est tout ce qu’il restait. Il a
appris que, depuis trois mois, le blanc, trois noirs et autant
de négresses avaient fait un radeau et qu’ils s’étaient
aventurés dessus, pour tenter d’aller à Madagascar. Il y a
apparence que ce projet, dicté par le désespoir leur aura été
funeste et qu’ils auront péri. J’ay appris par ces négresses
que pendant le long séjour qu’elles avaient fait à l’Isle de
sable, elles avaient vécu ainsi que tous ceux qui étaient avec
elles de quelques racines et de tortues de mer qui abondent à
ce rivage en grande quantité ; un puit qu’ils avaient creusé
leur donnait de l’eau et comme l’isle manque de bois, ils
avaient ménagé la carcasse de l’Utile qui leur en a toujours
fourni. M. le Chevalier de Ternay à qui ces négresses
doivent le bonheur d’être rendues icy, a demandé leur
liberté, c’est un acte de justice de sa part, qui caractérise la
bonté de son cœur et qu’il est en droit d’exiger.

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Je suis avec respect Monseigneur,


Votre très humble et très obéissant serviteur »

2 - « Lettre de M. Maillart, Intendant des Isles de


France et de Bourbon à Monsieur de Sartines,
Ministre de la Marine, datée du 16 décembre 177614
On savait que le 31 juillet 1761, le vaisseau l’Utile15 avait
naufragé sur l’Isle de Sable. Quelques blancs de l’équipage
échappés dans la chaloupe gagnèrent Madagascar. On sut
par eux dès lors tous les détails du naufrage et qu’ils avaient
laissé sur l’Ile un grand nombre de noirs Javas. La
Compagnie des Indes n’a pas envoyé chercher ces
malheureux. Je n’ai pas ouï dire depuis la prise de
possession16 de ces îles qu’on y eut pensé. M. de Ternay et
moi depuis notre arrivée y avons envoyé quatre fois et les
trois premières n’ont opéré que la certitude qu’il y avait
encore quelques personnes. On n’a pu mettre à terre parce
que le temps ne le permettait pas et même dans ces voyages
un matelot d’un bâtiment du roi resta à terre, la mer étant
trop grosse et n’ayant pu joindre la pirogue. Enfin nous
avons envoyé la corvette du roi la Dauphine commandée
par M. Tomelin [pour Tromelin] le cadet, enseigne de
vaisseau, qui a eu le bonheur d’arriver par beau temps. Il y
a ajouté l’intelligence et la bonne manœuvre et en moins de
3 heures, 7 négresses et un négrillon de 8 mois, créole de
cette île aride, se sont embarqués dans la pirogue, ont
gagné le bord de la corvette et sont arrivés ici hier.
Nous avons appris que le matelot blanc avec six noirs ou
négresses avaient, il y a environ quatre mois hasardé de se
mettre à la mer sur un seul radeau fait de débris espérant
gagner Madagascar. Ils ont laissé sur l’île sept femmes et le
négrillon qui viennent d’arriver, mais nous n’espérons pas
que le blanc et ses compagnons d’infortune aient eu le
bonheur d’atteindre Madagascar.
Nous avons considéré ces malheureuses femmes et l’enfant
comme libres. Je les ai sur le champ fait vêtir et placer à
l’hôpital. Une d’entre elles est très vieille et très infirme. Les
autres sont encore jeunes et se portent bien. Dans le nombre
se sont trouvés une mère et sa fille. C’est à cette dernière

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qu’appartient le petit enfant de 8 mois très bien portant,


mais sa mère est très fatiguée.
Leur sort m’a si fort intéressé que j’ai offert à cette mère, sa
fille et son enfant l’asile de ma propre maison. Ils l’ont
accepté avec joie et j’en ai une grande de les faire soigner et
de les rendre heureux. Je fais baptiser l’enfant, je lui donne
le surnom de Moyse et le nom de baptême sera Jacques qui
est le mien et je le ferai élever. M. le Chevalier de Ternay,
Monseigneur, vous fera le détail de la manière dont ces
malheureux sur cette île de sable aride ont vécu, se sont
logés et se sont nourris. Il est à remarquer qu’ayant proposé
à ces femmes de retourner libres dans leur patrie
(Madagascar) et croyant leur faire une proposition très
agréable, elles ont paru l’entendre avec froideur, elles y
seraient esclaves des autres noirs. »

3 - Lettre datée de 1776, non signée17


« Après le départ des officiers majors et de l’équipage du
vaisseau de la Compagnie l’Utile naufragé sur l’île au Sable
le 31 juillet 1761, il resta sur ladite île les noirs esclaves de la
traite de ce bâtiment qui ont vécu depuis le départ de ces
officiers, de tortues, d’oiseaux et d’huîtres. Leur maison était
bâtie avec de petites roches et mal couverte de sorte que
quand il faisait de la pluie ils étaient obligés d’en sortir pour
abriter le feu. Les femmes ramassaient les plumes d’oiseaux
pour en faire de petits pagnes pour se couvrir. Il en partit il
y a environ douze ans un radeau fait de débris du vaisseau,
amarrés avec des cordes de plumes d’oiseaux, cloués avec
quelques clous jetés à terre dans les mauvais temps ; leur
voile était d’un pagne de plumes aussi excepté qu’elle était
un peu plus grande que leurs pagnes qu’ils faisaient pour
eux. Il y avait sur ce radeau 18 nègres. Il y a plusieurs
femmes qui ont accouché ; mais le défaut de vivres et de
logement à l’abri ont été la cause de la perte de ces femmes
et de leurs enfants. Il est parti encore un autre Radeau
construit par le matelot resté sur cette isle, d’un vaisseau
passant pour prendre les dits naufragés dans la même
forme que celuy porté cy dessus avec trois noirs et trois
négresses. Ils disent avoir toujours conservé le feu depuis la

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perte dudit vaisseau. »

13 Nous avons retranscrit au chapitre 6 l’extrait d’une lettre


reçue de l’île de France qui fut publiée par plusieurs
journaux en 1777.

Baptême de l’enfant et secours porté à sa


mère
14 Dès le lendemain de son arrivée à Port-Louis à bord de la
Dauphine, on a fait baptiser l’enfant :
« Baptême de Jacques Moyse, libre
Le quinze décembre mil sept cent soixante seize, je soussigné
ay baptisé Jacques Moyse âgé d’environ huit mois fils
naturel de Semiavou négresse malgache déclarée libre par
Mrs les administrateurs pour le Roy, parrein a été Jean
Pierre Paschal et marreinne Apaulinne libres. Le Parrein a
déclaré ne savoir signer.
apolline Contenot
Préfet apostolique »18

Figure 9-1 – Certificat de baptême de Jacques Moïse.


15 Ainsi la mère de l’enfant ne fut pas affranchie, mais déclarée
libre, car ayant été « traitée » en fraude, elle n’était pas
considérée officiellement comme esclave. Son nom malgache
était Semiavou, « celle qui n’est pas orgueilleuse », mais elle
fut nommée d’office Ève et déclarée libre. Bien curieuse
manière de donner la liberté à un être humain que
d’oblitérer de la sorte son nom et de nier ses origines. Ainsi
l’enfant est-il baptisé et la mère « débaptisée » par le
gouverneur avec la même bonne conscience. Plus encore que
les violences physiques subies par ailleurs par les esclaves, la

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violence de cet « acte de charité » en dit long sur le chemin


qui restait à faire vers l’égalité.
16 Un texte relatant le relevé hydrographique de l’île de
Tromelin effectué en 1875 par le HMS Shearwater (voir ci-
après), mentionne la présence en 1911 à l’île Maurice de
l’arrière-petite-fille de l’une des rescapées19. Cette
information est reprise par le Northern Avocate (Nouvelle-
Zélande) du 16 novembre 1911, p. 6, sous le titre : « An island
tragedy ».

Notes
1. SHD – Marine – Lorient, 1 P 201 – 732 (Rôle du Comte de Provence).
Débarqué le 4 septembre 1762. Castellan reçoit 3 parts de prises soit 309
livres 4 sols 3 deniers sur la prise le 31 mars 1762 de la palle le William.
2. AN – Marine, B4 118, fo 242 v - Lettre de Castellan du Vernet à Mr. De
Boynes datée du 14 sept.1772.
3. AN –Marine, B4 118, fo 241 - Lettre de Castellan du Vernet à Mr. De
Boynes datée du 29 sept.1772.
4. d’Epinay 1890, p. 193.
5. AN – Colonies, C4 39, fo 446.
6. AN – Colonies, C4 39, fo 446.
7. AN– Colonies, C4 40. Correspondances générales. Ile de France –
1776, fo 228. Lettre du Chevalier de Guiran La Brillanne au Ministre, Au
Port Louis – Isle de France, le 22 Xbre 1776.
8. AN – Colonies, C4 39, fo 446 du 2 août 1775.
9. AN – Marine, C6 992, Rôle d’équipage de la corvette la Dauphine
(1778 – 1779) : Etat-major (5) :
Jacques-Marie Boudin de Tromelin – Commandant
Morphy – Officier de la Compagnie des Indes.
Le Page – Offi cier bleu
Le Chevalier Stuart – Officier bleu
Gueho – Chirurgien non entretenu.
Officiers mariniers (8), matelots (21), soit 29 hommes de mer, 3
surnuméraires, 4 mousses, 1 personne en augmentation.
10. SHD – Marine – Brest, Ms 161 90, Compte rendu par le Sr. de
Lanuguy-Tromelin, Lieutenant de Vaisseau du Roi, à Monseigneur de
Sartine, de sa mission aux Indes.

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11. Seul Condorcet cite son nom dans : Condorcet Antoine de, Réflexions
sur l’esclavage des nègres et autres textes abolitionnistes, Paris, 2003,
p. 52.
12. Lichfield John, The Independent, 05 February 2007.
13. AN – Colonies, C4 40 – Correspondances de M. de Ternay et Maillard
Dumesle au Ministre de la Marine – 1776, fo 228.
14. AN – Marine, G 222 – fo 34B – Lettre publiée par la Revue d’Histoire
des Colonies françaises, 1929, p. 296-297.
15. La corvette du Roi la Dauphine a sauvé 7 négresses et un négrillon.
Les sept négresses restes infortunés de noirs naufragés sur le vaisseau
l’Utile à l’Isle de Sable le 31 juillet 1776 (sic).
16. C’est à dire depuis la remise de l’Ile de France et de Bourbon à
l’autorité royale, le changement d’administration explique un peu cette
extraordinaire négligence.
17. AN – Marine, G 222, fo 34A publiée par la Revue d’Histoire des
Colonies françaises, 1929, p. 298.
18. AN – Ile Maurice – Série KA-Civil Status and population records,
Registre KA 63 – Extrait de Baptêmes, Mariages & Sépultures. Blancs,
libres & Esclaves. 2 janvier-31 décembre 1776, fo 51 à 82 recto, fo 89
verso.
19. Lowson Geoffrey, Lieutenant, Royal Indian Navy, A little-known
island of the Indian Ocean, in Chambers’s Journal of Popular Literature,
Science and Art, Seventh Series, 1911, p. 604.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés)


sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Référence électronique du chapitre


GUÉROUT, Max. Chapitre IX. Sauvetage des survivants de l’Utile In :
Tromelin : Mémoire d'une île [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2015
(généré le 20 février 2024). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/27877>. ISBN :
978-2-271-13042-6. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.editionscnrs.27877.

Référence électronique du livre


GUÉROUT, Max. Tromelin : Mémoire d'une île. Nouvelle édition [en
ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2015 (généré le 20 février 2024).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs

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/27814>. ISBN : 978-2-271-13042-6. DOI : https://doi.org/10.4000


/books.editionscnrs.27814.
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Tromelin

Mémoire d'une île


Max Guérout

Ce livre est cité par


Manfio, Stefania. von Arnim, Yann. (2020) Maritime archaeology
of slave ships: reviews and future directions for Mauritius and the
Indian Ocean. Azania: Archaeological Research in Africa, 55.
DOI: 10.1080/0067270X.2020.1841967
Weeks, Joëlle. (2019) The Shipwrecked Slaves of Tromelin Island:
A Crime of Lese-Humanity. Angles. DOI: 10.4000/angles.820
Béarez, Philippe. Bouffandeau, Laurie. (2019) Fishing for survival:
The forgotten slaves of Tromelin Island (Indian Ocean).
International Journal of Osteoarchaeology, 29. DOI:
10.1002/oa.2763
Guérout, Max. Romon, Thomas. Laroulandie, Véronique. Lefèvre,
Christine. Béarez, Philippe. (2013) Survivre à Tromelin. Stratégies
d’adaptation de naufragés sur une île déserte au xviiie siècle.
Archeopages. DOI: 10.4000/archeopages.493
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