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UNIVERSITE DE LA REUNION

FACULTE DES LETTRES & SCIENCES HUMAINES


_____

Vincent PAYET
_______

*
Sous-série Colonies C4 des Archives nationales
Correspondance à l’arrivée en provenance
de l’île de France
*
Edition de l’article C4 11

CORRESPONDANCE DE L’ILE DE FRANCE


AU TEMPS DU GOUVERNEUR MAGON

(1759)
*

Mémoire pour l’obtention du master Lettres et Sciences


Humaines
Mention : Interculturalité
Spécialité : Civilisations et Cultures
Parcours A : Sociétés de l’océan Indien

Présenté sous la direction de Philippe LE TREGUILLY

2010
Introduction
Les Mascareignes ont connu bon nombre de gouverneurs. Certains sont restés célèbres,
comme Mahé de Labourdonnais (juin 1735-octobre 1746), d’autres restent largement
méconnus, tel est le cas du gouverneur Magon. Il existe très peu de documents et
d’informations sur celui-ci. Que savons-nous de lui ?

René Magon de La Villebague, né à St-Malo le 23 avril 1722, est le fils de Julien-Alain


Magon, seigneur de La Villebague, et de Marie Moreau de Maupertuis, sœur du savant
Maupertuis1. En 1753 il devient colonel, et en 1754 directeur de la Compagnie des Indes. Il
est nommé gouverneur des îles de France et de Bourbon le 21 mai 1755, et exerce ses
fonctions de janvier 1746 à novembre 1759.

Durant cette période Magon favorise l’essor de l’agriculture à l’île de France. Il introduit
des industries nouvelles, en créant une saline que dirigent les sauniers venus de Saintonge2. Il
apporte sa protection à des spéculateurs, Mrs Rostaing et Hermans, qui essayent de fonder une
forge. Il s’ingénie également à développer le commerce avec Madagascar pour suppléer à
l’insuffisance de la production vivrière de la colonie. Il s’interesse même à l’exploration des
îles Seychelles : il y envoie en 1756 le capitaine Morphy pour en reprendre possession, mais
celle-ci n’est suivie d’aucune occupation effective. La paresse et l’incurie des colons ont
rendu son administration bien difficile, même s’il faut reconnaître qu’il n’avait pas les
qualités administratives d’un Labourdonnais.

Pendant la guerre de Sept Ans, l’île de France sert de base de ravitaillement pour les
opérations militaires françaises en Inde. Malgré ses efforts, il ne parveint pas à ravitailler
convenablement l’escadre du comte d’Aché, chef des forces navales dans l’océan Indien.
Cette mission lui donne tant de problèmes qu’il demande et obtient son rappel. Mais avant de
quitter l’île de France il achète le 2 novembre 1759, aux Pamplemousses, avec Mrs Henri et
Le Vigoureux, l’habitation et la sucrerie de La Villebague (aujourd’hui La Rosalie), créés vers

1
Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, né le 28 septembre 1698 à Saint-Malo et mort à Bâle le 27 juillet 1759, est
un philosophe, mathématicien, physicien, astronome et naturaliste français.

2
La Saintonge est aujourd'hui à cheval sur quatre départements, la Charente-Maritime , un quart ouest de
la Charente , l'extrême-sud des Deux-Sèvres et de la Vendée.

2
1740 par Athanase Ribretière, que ses associés font prospérer durant son absence. Cette
initiative de sa part reflète un trait commun qu’il a avec ses prédécesseurs depuis
Labourdonnais, c’est-à-dire cet amour de la terre et l’ambition de créer des
« gentilhommières » à la manière des petits seigneurs bretons3. Il possédait également deux
autres propriétés situées au Camp de Masque, la Retraite et Médine.

Après son rappel il est nommé intendant de justice, police et finance de Saint Domingue
et des îles-Sous-le-Vent, condition qu’il exerce du 23 août 1764 au 19 janvier 1766. Il décide
ensuite de revenir à l’île de France. A son retour on le nomme juge au Conseil supérieur, en
1768, mais il est révoqué au bout de quelques mois pour avoir pris le parti du gouverneur
Dumas4 contre l’intendant Poivre5. Il vécut ensuite jusqu’à sa mort en simple particulier sur
son domaine de la Villebague en s’occupant de sa sucrerie. Il meurt aux Pamplemousses le 1er
octobre 1778 et on y voit encore aujourd’hui sa tombe couverte d’une dalle armoriée.

Les archives utilisées pour ce mémoire proviennent du volume 11 de la sous-série C4 des


Archives nationales, qui renferme la correspondance adressée au ministre par les autorités de
l’île de France sous l’Ancien Régime. Le volume 11, constitué de 39 pièces, contient non
seulement la correspondance du gouverneur Magon, mais aussi celle du comte d’Aché, chef
d’escadre, et de diverses personnes ayant eu affaire au Conseil supérieur ou au gouverneur,
comme l’ingénieur de Cossigny, Mr de Mondion, commissaire de l’escadre des Indes, ou
cencore Mr de Ruis commandant d’une division d’escadre.

Le contenu de ces correspondances est dominé par les répercussions de la guerre de Sept
Ans (1756-1763) sur l’île, surtout pour ce qui regarde l’approvisionnement de l’escadre du
comte d’Aché. Chaque ligne ou presque se rapporte aux difficultés de la guerre : manque de
nourriture et divers effets, mais aussi rivalités et tensions entre autorités de la colonie et le
comte d’Aché commandant des vaisseaux du roi, chacun voulant défendre son pré-carré. La

3
TOUSSAINT A., Histoire de l’île Maurice, Que sais-je, PUF, Paris, 1971.

4
Gouverneur de 1767 à 1768.

5
Pierre Poivre, né le 23 août 1719 à Lyon et mort le 6 janvier 1786, fut un administrateur colonial et
agronome français.

3
problématique de l’aménagement des défenses de l’île de France pour faire face à une attaque
de la marine anglaise revient aussi très souvent.

Edmond Dziembowski6 à écrit que « bien peu engageante, la guerre de Sept Ans n’en
reste pas moins un des événements les plus importants du XVIIIe siècle. Dès son
déclenchement, le conflit montre une originalité profonde. L’embrasement vient du Nouveau
Monde et non point de l’Ancien. Aux ambitions territoriales des souverains d’Europe et aux
querelles nées des crises de succession vient s’ajouter une cause de guerre nouvelle :
l’expansion maritime et coloniale. En d’autre termes, cette guerre ô combien barbare, se
donne à voir, dans ses premiers mois, comme une guerre de la modernité la plus éclatante. »7

Cette guerre se déroule en deux conflits qui se chevauchent, le premier commence en


1754 en Pennsylvanie, jusqu’en 1760, et à pour origines des rivalités coloniales entre la
France et l’Angleterre. Et l’autre en 1756, en Bohême, jusqu’en 1662, en conséquence du
renversement des alliances en Europe après la paix d’Aix la Chapelle en 1748. On assiste à un
rapprochement inattendu entre des pays qui étaient ennemis. L’Angleterre s’allie à la Prusse
et la France se rapproche de l’Autriche. L’année 1763 marque la fin des hostilités par un
ensemble de traités de paix, dont le traité de Paris entre la France et l’Angleterre.

Peu de guerres, avant le XXe siècle, furent plus complexes que celle-là, car elle engage de
nombreux pays (Grande-Bretagne, France, Prusse, Russie, Autriche, Espagne, Suède,
plusieurs nations amérindiennes et du sous-continent indien). Le théâtre des opérations est
vaste et le conflit est aussi bien terrestre que naval.

Dans l’océan Indien s’opposent les deux grandes puissances coloniales et maritimes que
sont l’Angleterre et la France. Mais nous ne sommes plus alors à l’époque de la prise de
Madras en 1746, par l’escadre de Mahé de Labourdonnais, dont l’armement s’est fait à Port-
Louis. Les Anglais tiennent partout la mer et peuvent attaquer le commerce français. C’est
d’ailleurs en s’emparant de 300 navires de commerce français dans différents ports que
l’Angleterre prend l’initiative des hostilités dès juillet 1755.

6
Enseignant à l’université de Besançon.

7
Cité par DULL J., La guerre de Sept Ans, Edition les Perséides, Bécherel, 2005.

4
Le port de Pondichéry ne permet pas de construire ou réparer des navires, et c’est donc à
l’île de France que revient la charge de pourvoir aux besoins des flottes françaises envoyées
dans l’océan Indien en temps de guerre. Pour cette nouvelle guerre franco-anglaise, les
directeurs de la Compagnie pensent avoir trouvé la personne capable de faire respecter par la
force ces possessions en Inde : Lally-Tollendal8. Ce fut un mauvais choix. Soldat d’une
grande bravoure et d’une vive intelligence, il est cependant ignorant des affaires
commerciales et de celles de l’Asie. Il conseille toutefois à la Compagnie de chasser les
Anglais de l’Inde afin d’y accroître sa puissance commerciale. Ce problème de compétence
des officiers sur la connaissance de la situation politique locale est récurent. Magon dans ses
mémoires écrit :

« L’on a pu remarquer que toutes les fois que la France entre en guerre, les meilleurs
officiers généraux sont, comme de raison, les premiers employés, et qu’ensuite lorsqu’il est
question de ces expéditions mixtes et éloignées, il est très difficile de trouver des chefs
propres à l’objet de leurs missions. »

Lally a disposé de 5 800 hommes, composés de soldats du roi, des forces de la


Compagnie et de volontaires de Bourbon, sans compter les cipayes9. Il avait également
l’appui d’une escadre de onze vaisseaux, sous les ordres du contre-amiral d’Aché, et d’autres
navires devaient venir s’y ajouter. Lally a de plus des pouvoirs étendus : lieutenant-général
des armées du roi, commandant des troupes de l’Inde, il est aussi syndic10 de la Compagnie,
commissaire du roi et commandant général de tous les établissements français aux Indes
orientales.

Il connaît des débuts prometteurs par la prise de possessions anglaises, comme Goudelour
ou fort Saint-David. Cependant, sur mer, d’Aché ne peut rien contre la flotte anglaise.
8
Général français, né le 13 janvier 1702, envoyé en Inde, en qualité de gouverneur général des établissements
français de l'Inde, où il s'aliène les indigènes ainsi que les officiers de son propre corps expéditionnaire. Son
autoritarisme, son échec à Madras et sa reddition à Pondichéry, lui valent une condamnation à mort pour cause
de trahison.

9
Soldats indiens servant dans une armée occidentale.

10
Les syndics représentent les actionnaires et ont la charge de surveiller les actions des directeurs, et le bon
fonctionnement des comptoirs.

5
Refusant l’idée de Lally d’une action contre Madras, d’Aché abandonne l’expédition à son
sort dès septembre 1758. Il se réfugie à l’île de France. Les succès de Lally ne durent pas. Il
est finalement assiégé dans Pondichéry en septembre 1760 et capitule le 16 janvier 1761. La
reddition de Pondichéry marque la fin de tous les établissements français dans l’Inde.

Le comte d’Aché est de retour à l’ile de France en octobre 1758, après une croisière de
misère où ses vaisseaux ont été durement éprouvés et où ses équipages ont beaucoup souffert
de l’insuffisance des vivres. Ne trouvant rien à l’île de France il doit démonter quelques-uns
de ses vaisseaux afin d’utiliser leur gréement pour réparer les autres. Le 17 juillet 1759 il
repart pour une seconde croisière avec une escadre réduite et des équipages à moitié morts de
faim. Ils ont vécu pendant plusieurs mois de pain avec du manioc râpé et préparé par Mr
Figeac, dont l’habitation était heureusement abondamment pourvue de cette plante. Cette
seconde croisière est encore plus lamentable que la première et le 17 novembre 1759 d’Aché
rentre à l’ile de France sans avoir remporté aucun succès sur les Anglais.

Cette escale d’octobre 1758 à juillet 1759 est le principal objet de ce mémoire. Les
diverses lettres mettent en évidence la situation grave de l’île de France, c’est-à-dire les
difficultés de la colonie à subvenir à ses propres besoins et à ceux de l’escadre, mais aussi les
tensions vives entre la marine du roi et la direction de la Compagnie des Indes à l’île de
France.

Règles adoptées pour l’établissement du texte

L’orthographe d’époque a été conservée, hormis pour la ponctuation, l’accentuation et les


majuscules, qui ont été adaptées aux usages contemporains. Le lexique et la syntaxe peuvent
avoir des formes très différentes de celles d’aujourd’hui. Pae exemple, on trouve le mot
« tems» et non la forme contemporaine « temps ». Un principe est également récurent : le
phonème « ai » est remplacé par « oi ». Exemple : « anglais » se transforme en « anglois » ou
« connaissance » en « connoissance ».
Les mots écrits en italique sont des noms de bateau.

6
Les astérisques signalent les mots qui ont posé une difficulté lors du déchiffrage des
manuscrits, souvent parce qu’ils étaient à moitié dissimulés par le creux de la reliure. La
consultation des originaux à Aix devrait permettre de résoudre la plupart des doutes.

Lors du déchiffrage des manuscrits, des annotations ont été trouvées dans les marges.
Celles-ci sont indiquées dans le corps du texte entre parenthèses avec l’expression « dans la
marge »

Abréviations utilisées dans les manuscrits :


L. : livre tournois
s. : sol
d. : denier
d° : ditto
p.% : pour cent

S. ou Sr : sieur

7
Correspondance générale
*

8
Mr Magon
Gouverneur

Copies des lettres échangées entre Magon, D’Aché, Gosse, le


Conseil supérieur de l’isle de France, Courcy, Hubert

(4 juin-18 juillet 1759)

9
Lettre de M. Magon, gouverneur de l’isle de France, [à M. d’Aché], du 4 juin 1759.

Je crois, Très Cher Général, être obligé en honneur et en conscience de vous présenter ce
petit mémoire. Plaise à Dieu qu’il vous serve de préservatif contre les voyes détournées ou les
phrases populaires de certaines gens ! Vous ne trouverés ici qu’un étalage assesoiré de vérités
tristes qui m’ont été dictés par une expérience de vingt ans et qui vous sont présentés par les
mains de l’amitié.

L’envoi du D’Argenson au fort Dauphin, que nous avions résolu de concert, dont vous
avés été détourné par des bruits populaires, que j’ay intérompu par complaisance pour vous, et
dont enfin nous ressentons si vivement aujourd’hui l’utilité. Cet armement, dis-je, peut vous
donner un préjugé favorable en lisant mes remarques qui (quelque jugement qu’on en puisse
porter) sont certainement dépouillées de tout intérest personnel et ne sont faittes que pour
vous. Plaise à Dieu, Mon Cher Général, (je le répète) que je ne ressemble point à cette
Troyenne qui lisoit si juste dans l’avenir, Sed fato, nunquam credita tener*. Je finis en vous
assurant que je suis pour la vie*, Mon Cher Général, le plus zélé de vos serviteurs.

Signé : MAGON

10
Mémoire de M. Magon présenté à M. le comte d’Aché le 4 juin 1759

P°. Il est de la dernière conséquence que les* vaisseaux, aussitôt qu’ils seront prêts,
partent pour Foullepointe, où ils vivrons et déchargeront cette isle déjà trop épuisée d’un*
fardeau qu’elle ne soutiendroit pas longtems et* qui la rendroit non seulement inutile pour
l’avenir, mais même hors d’état de nourrir ses habitans, et ceux que le soin de sa deffense y
attache nécessairement. Or il est très peu* important que les vaisseaux se rendent seuls à
Foullepointe, ou par divisions. Il est moralement impossible qu’ils fassent aucune rencontre,
soit dans le trajet, soit dans le séjour*. Les équipages y seront nourris de viande fraîche au lieu
qu’ils ne peuvent plus vivre icy que sur le reste des salaisons qui auroient dû être réservées
pour la mer. La confection du biscuit sera d’autant plus accélérée que la consommation du
pain frais sera moins forte. Je vais passer à l’examin de quelques objections.

1° L’air est dit-on malsain à Madagascar ; oui depuis décembre jusqu’en mai, mais très
sain les autres mois de l’année.

2° Les équipages boirons du tock, mais ne boivent-ils pas ici de ces boissons du Cap dont
l’excès les rend furieux et qui ne sortent de leur yvresse que pour aller à l’hôpital ? D’ailleurs,
il est aisé de les contenir à bord, dont le séjour ne pourra leur être contraire pendant qu’ils y
seront bien nourris.

3° Il y a des négresses dont la pluspart sont gâtées. Le sont-elles moins ici ? Il est très
facile de leur en interdire le commerce à Madagascar.

4° Les distributions des agrets, apparaux, d’hommes et des vivres, retardent le départ,
mais de quel poids peut être cette distribution scrupuleuse lorsqu’on la mettra en comparaison
des malheurs inévitables que je détaillerai cy-après, et auxquels il peut être déjà trop tard de
chercher du remède ? D’ailleurs, Messieurs les Commissaires, munis d’états exa[c]ts de ce qui
aura été fournis aux vaisseaux, ne sont-ils pas en état de remetre la balance entre les vaisseaux
avant le départ de Foullepointe ? On peut tout emporter, j’offre tout : je sens que le moment
est venu de jouer le tout pour le tout, et que ce moment passé nous n’en seront plus les
maîtres. On m’objectera peut-être que l’escadre ne sera pas [en] état de passer aux Indes cette
année. Hélas ! La saison déjà fort avancée ne me le fait que trop craindre, mais c’est dans ce
cas qu’il est encore plus nécessaire que les vaisseaux vivent sur Madagascar pendant que la
11
saison le permet : autrement que deviendront-ils ? Que deviendra la colonie pendant
l’hivernage ? On me dira peut-être qu’on aura la ressource du Cap, mais outre qu’il est fort
douteux qu’il puisse fournir cette année la [même] quantitée de grains que la précédente, où
est l’argent nécessaire pour en faire l’achat ? Je suppose toutes ces difficultés vaincues. Les
Anglais n’auront-ils pas portés les plaintes les plus amères sur les secours qui nous ont étés
fournis ? Les Etats Généraux, qui paroissent décidés à rester neutres à tels prix que ce soit, ne
donneront-ils pas des ordres en conséquence ? Alors il nous faudra donc faire la conquête du
Cap pour pouvoir vivre : quelle terrible ressource ! Quel avenir affreux !

Ne nous flattons point si notre escadre ne paroist point cette mousson aux Indes, que les
Anglais ayent reçu des renforts de troupes et puissent trenquillement y joindre les secours de
Bombay : l’Inde et l’armée sont perdus sans ressources ; sauvons au moins l’isle de France et
l’escadre menacés par un ennemi plus terrible que les Anglais. Je ne vois donc, soit que
l’escadre aille dans l’Inde, ou n’y aille pas, qu’un seul parti à prendre, c’est, je le répète,
d’aller à Madagascar et de ne pas perdre un moment.

S°. Le peu de fonds qui nous reste est notre seule ressource dans tous les cas : si l’escadre
va aux Indes, je ne connois que Batavia où elle pourroit trouver d u secours sur un* pouvoir
très ample du Conseil de Pondichéry, ce qui n’excluroit pas la nécessité d’y joindre quelques
fonds en argent. Les deux isles sont épuisées par un séjour de près de dix mois, au point
qu’on ne doit pas se flatter d’y trouver de grands secours pour l’année prochaine, d’autant
plus que sans hommes pour armer les vaisseaux, on ne peut rien tirer du dehors, et que
d’ailleurs tout ce que peut fournir Madagascar va être consommé par le présent armement. Si
l’escadre ne va point aux Indes, il devient absolument nécessaire de tirer des secours de
Queda, de Jean Ceïlan, de Batavia, de Madagascar, et enfin du Cap. Or toutes ces opérations
deviennent impossibles sans argent. [Dans la marge : Nota que toutes ces opérations ne
peuvent se faire plus tard qu’en juillet et doivent être soutenues par des vaisseaux de forces.]

T°. Je crois très convenable d’emploier sur l’escadre le plus d’officiers qu’il sera
possible. Ils resteront ici inutils à de très grands frais pour la Compagnie, ce qui ne les
empêcheroit pas de se ruiner par un séjour de plus d’un an dans une isle ou le très long séjour
de l’escadre a tout rendu d’une cherté excessive. Je dis cecy en passant, n’ayant aucune
connoissance des arrangements pris et à prendre dans cette partie.

12
Réponse [de M. d’Aché] à la lettre et au mémoire de M. Magon du 4 juin 1759

Du 5 juin

Je ne répond point à votre lettre, Mon Cher Gouverneur, je répond simplement au


mémoire que vous m’avés envoyés. Vous verés par là que je ne suis pas en reste avec vous sur
les vérités que nous devons nous dire naturellement.

Signé : Le comte d’ACHE

Réponse au mémoire

Il seroit bon avant de répondre à ce mémoire, de sçavoir précisément quel en peut être
l’objet et la cause. S’il ne s’agit que de détacher les vaisseaux successivement, ou deux à
deux, au lieu de les faire partir tous ensemble pour Foullepointe comme je le projetois ; que
cet arrangement convienne mieux pour la célérité, il ne falloit point de mémoire pour
m’i déterminer. Mais comme de cette proposition accessoire on passe à d’autres points
essentiels, je demande si les exhortations et les instances sont devenues nécessaires par
quelques demarches de ma part tendantes à prolonger le séjour des vaisseaux dans cette isle,
et a-t-on pu entrevoir chez moi des répugnances pour leur départ ? Ai-je besoin d’éguillon
pour expédier l’escadre, et si elle est encore à l’isle de France, n’en suis-je pas plus fâché que
qui que ce soit ? N’y suis-je pas retenus depuis huit mois par la farine, la séparation de mes
vaisseaux, et une disette totale des moiens ? L’état où j’ai trouvé cette colonie à mon retour de
la côte, n’est-il pas la cause immédiate des retardements qui m’affligent et me désespèrent
depuis si longtems ? Et depuis que la mission du Cap nous a pou[r]vue* de vivres, a-t-on vu
que je ne me sois pas porté dans tous les tems et dans tous les lieux à ce qui pouvoit accélérer
le réarmement des vaisseaux ? Me suis-je refusé à quelque arrangement utile, n’ai-je pas au
contraire emploié toute mon authorité à lever les obstacles ? Pouroit-on citer quelque
préférence, quelque considération qui m’ai arrêté ? Les vaisseaux du roi ont-ils été épargnés ?
Je les ai traittés comme les autres, et mon propre vaisseau comme le dernier de tous. Agrets,
vivres, équipages, tous biens ont été égaux dans mon escadre et le partage y est aussi égal que
l’ardeur et la bonne volonté. S’il y a eu des obstacles, des disputes, des observations et des
lenteurs, je défie qu’on m’en impute la moindre partie. J’ai au contraire taillé, tranché,
renversé, tout ce qui nous acrochoit. Nous en serions encore à délibérer, à écrire, à procéder
sur plusieurs points, si je n’avois pas pris sur mon compte et prononcé définitivement en
13
homme qui ne redoutois que la lenteur et les retardements. J’ai arrêté l’expédition du
D’Argenson pour Madagascar et me suis privé du secour qu’il nous auroit procuré, pour ne
point ôter à l’escadre de gens utiles aux ouvrages du point et des vaisseaux. Et la disette où
nous sommes de bestiaux ne me fais pas regretter le parti que j’ai pris à cet égard, parce qu’il
tendoit plus directement à l’objet principal, qui est le passage de l’escadre à la côte. Si la
farine ne vient pas assés abondamments, s’il y a peu de moulins pour mettre promptement en
œuvre la denrée venue du Cap, si les cordages nous manquent absolument, si on lézine, si on
chicane sur les moindres choses, est-ce moi qu’il faut exhorter à céder, à concourir, à presser ?
Qu’ai-je besoin de mémoire d’observations, de spéculations, sur une affaire que je désire plus
ardemment que personne et dont je ne puis être détourné que par des impossibilités absolues,
s’il s’en trouve. J’espère encore aller à Pondichéry cette année, je travaille en conséquence et
je ne songe point pour le présent à d’autre objet. Vainement on me présente l’épouvantail
ordinaire de cette isle, qui est la famine. Je n’ai combiné le départ des divisions pour
Foullepointe, que relativement au point essentiel de notre passage aux Indes. Les secours
venus du Cap, ceux qui nous sont annoncés d’Europe et les ressources de Ceilan, de Batavia,
de Madagascar et de Queda, ou tels autres, qu’on auroit dû emploier dans le tems puisqu’on
les connoît si bien, tout cela supléeroit à nos besoins et on y auroit recours, si je n’avois pas
un point de vue plus intéressant et qui l’emporte sur les autres. Je n’ai d’ailleurs jusqu’à
présent expédié aucun vaisseaux. Mais quand* j’y aurois trouvés autant de facilités que j’ai
rencontrés d’obstacles de tous genre, aurois-je dû le faire avant de savoir s’il étoit possible
d’équiper les autres ? Belle combinaison de pousser quelques vaisseaux dehors, pour aller
manger des bœufs à Madagascar, pendant que le reste, manquant d’agrets et d’hommes, auroit
resté sans action dans ce port ! Ce parti seroit d’autant plus singulier que le tems nécessaire
pour développer et distribuer nos ressources est d’ailleurs emploié à travailler vivement à
l’armement total de l’escadre, qu’il n’y a de moment perdus que ceux qu’on emploie à faire
des observations et des chicanes. Il est certain que si par un malheur que je n’ose envisager,
on ne peut pas* armer l’escadre et passer en forces convenables à la côte de Coromandel, je
puis bientôt dans les moments convenables détacher et distribuer la partie qu’on poura armer,
pour occuper des croisières et faciliter le transport des vivres, et enfin telle autres opération
utile qui conviendra. Mais que je sois sollicité à mettre dehors les vaisseaux, dans un instant
où je ne m’occupe que de leur armement et de leur sortie, qu’on croie toujours m’épouvanter
par la famine, moi qui n’ai vu que cela depuis que je suis aux Indes, qu’on me mette l’épée

14
dans les reins, lorsque je ne demande que d’aller en avant, c’est ce que je ne conçois pas. De
quoi dattent les négresses de Madagascar ou de l’isle de France et leur corruption, le tock, les
boissons du Cap, la répartition des cordages qu’on n’a point et qu’on ne réussit pas à faire
dans ce port, mais qu’on suppose praticable à Foullepointe, la bonté de l’air et tant d’autres
sur lesquelles je n’ai jamais ny bataillé ny même insisté ? Qu’on me fasse trouver ce qu’il me
faut d’indispensablement pour équiper l’escadre. Je pars pour la côte sans aucune inquiétude
pour ces misères qui n’entrent pour rien dans mes projets et dont j’aurois honte de m’occuper.
Je ne veux point séjourner à Madagascar, je n’y ferois rien d’utile pour le service du roi et
l’intérest de la Compagnie. Ainsi peu m’importe qu’on se fasse des phantomes auxquels je
n’ai jamais songé. On dit qu’on me donne tout, mais on n’a rien. On me propose de jouer le
tout pour le tout, et quoique ceux qui peuve mettre cela en avant ne risque point, je suis
cependant de leur avis, mais qu’on me fournisse de quoi mettre à ce jeu dangereux, dont je
dois affronter les hazards. Il faut du bray, du gaudron, et non des observations.

Il n’a été pris aucun arrangement diffinitif pour le nombre d’officiers à distribuer sur
chaque vaisseau. Je voudrois en être au point de n’avoir à m’occuper que de la destination de
30 à 40 jeunes gens remplis de bonnes volontés et qui seroient très affligés d’être icy inutils et
à charge. Il est cependant à observer que les capitaines, excédés de dépenses et ruinés, ne
peuvent nourrir tous ceux qui désireroient être embarqués sur les vaisseaux.

Signé : Le comte d’ACHE

[M. d’Aché] à M. Gosse, second de l’isle de France.

À l’isle de France, ce 10 juin.

Les moulins ne marchent point encore, Monsieur. Il est bien douloureux que l’on
m’enraye de partout. Je suis forcé d’en prendre acte, et vous remest, Monsieur, et au Conseil,
à prendre sur vous tous les retardements. Pour moi je me mets en règle et ne veux pas
répondre de ce qui se passe et m’empêche de mettre à la voile.

Je suis, &a.

Signé : Le comte d’ACHE

15
Réponse de M. Gosse [à M. d’Aché]

Du 10 juin 1759

Mon Général,

Le moulin de l’islot à remis hier à dix heures du matin 54 sacs de farine de 100 livres
chaque. Faute de sacs, on n’a pu y renvoyer dans l’instant. Informé de cet inconvénient, j’y ai
aporté un remède prompt, en faisant travailler toutte la nuit à en faire 200. J’ai même
suspendu tout autre travail et ai associé une petite récompense. Les deux autres moulins de
l’hôpital n’ont cessé de rouler toute la nuit, et leur travail n’a été suspendu ce matin que
pendant le tems nécessaire pour faire peser. Le bled y est arrivé à dix heures et demi. Les
deux susdits moulins ont remis entre-eux 33 sacs de 100 livres qu’ils avoient reçu hier en
bled, preuve que leur moutures n’a point été intérompue depuis hier. Au reste, les
boulangeries n’ont point manqué de la quantité que nos moulins peuvent fournir, tant par
raport au peu d’eau pour celui de la Grande Rivière, que par l’inconvénient de vents pour
ceux à vents. La boulangerie de l’escadre a reçue avant-hier, 8 du courant, 16 802 livres de
farine, hier 6 000, et tout dans le moment ils en reçoivent 2 850. Le transport de cette farine a
emploié 193 sacs dont ils n’ont renvoyés que 131, ce qui a retardé l’envoi du moulin de
l’islot.

La petite quantité de noirs que nous avons*, tant pour la pesée que l’emplissage des sacs,
occasionne une lenteur dont nous ne sommes certainement pas responsable. Le reste des noirs
étant divisés et répartis entre divers objets qui, quoique différents, n’en sont pas moins relatifs
aux traveaux de l’escadre.

Vous pouvés être persuadé, Mon Général, du zèle en mon particulier qui m’anime, et de
la bonne volonté du Conseil. Mais il est de ces positions auxquelles toute la prudence
humaine ne peu supléer. Je me flatte que convaincu des raisons que je ne fais qu’ébaucher*,
vous nous rendrés toute la justice que nous attendons de vous, et que vous n’attriburés point
ce retardement de quelques heures au déffaut* d’activité et de prévoyance que nous devons
apporté* en tout, ce qui dépendra de notre ministère et de nos *.

Je suis…

Signé : C. GOSSE

16
Lettre de M. le comte d’Aché à M. Gosse

Du 11 juin 1759

J’ai reçu hier, Monsieur, la lettre que vous m’avés écrite en réponse à mon billet du
matin. Quoiqu’elle contienne plusieurs raisons détaillées qui tendent à excuser les
retardements inouïs que j’éprouve, je vous écris une seconde fois, plus au long, pour vous les
mettre sous les yeux et vous prier d’y apporter le remède le plus prompt et le plus efficace.

Puisqu’il a plu à M. Magon, sans doute par des raisons indispensable, de s’absenter dans
la circonstance où sa présence et ses soins étoient le plus nécessaires à notre armement, je
m’adresse à vous, et j’espère que, quoique chargé du détail par intérim, vous vous porterés en
bon citoïen à lever au moins une partie des difficultées qui m’arrêtent. Elles sont en si grands
nombre de la part du gouvernement intérieur de la colonie, qu’il faudroit entrer dans toutes les
parties pour mettre au clair la mauvaise volonté avec laquelle on me traverse. Je vous
demande de mettre quelque ordre et quelque célérité dans la mouture des farines. Je me
restraints pour le présent à ce seul article parce que votre commandement momentané ne peu
vous rendre responsable des autres anicroches qui se succèdent sans interruption. La
boulangerie ne fournit pas à beaucoup près la moitié de ce qu’on pourroit attendre du bon
ordre qui y est et de la façon dont cet attelier est monté par les secours des vaisseaux. Les
moulins ne vont point, ne fournissent point, et les boulangers restent les bras croisés. Quelque
chose manque au moulin de la Grande Rivière. On a emploié 12 jours à raccommoder ce qui
pouvoit et devoit être rétablie en deux jours, et pendant ce tems-là, nos boulangeries ont resté
en panne. Les moulins à vent ne tournent que par intervale, particulièrement depuis une
semaine entière. On n’en tire presque rien ; le vent n’a pas manqué, c’est le bled. Comment
comprendre de tels procédés, y ayant dans le* port des vaisseaux chargé de bled, et comment
peut-on alléguer de pareilles excuses ? Elles font horreur à tout le monde, j’en suis outré
personnellement. Je vous en parle au surplus, d’autant plus volontiers qu’il est bien certain
que vous ne pouvés y entrer pour rien.

Cette confection du biscuit devient actuellement une affaire si obscure, que M. de


Mondion, commissaire de l’escadre, qui s’étoit chargé de la conduite dans le détail,
indépendament du droit d’inspection que sa place lui donne dans cette partie, M. de Mondion,
dis-je, ne voyant pas que les opérations du port ressortent à cet égard d’une manière

17
convenable, et n’ayant jamais de quoi occuper tous les ouvriers de la boulangerie, se décharge
dès à présent de cette partie de détail, dont il avoit pris la manutention par pure bonne volonté
et par extention à ses fonctions.

Il n’est plus possible qu’on se fasse illusion sur toutes les chicanes qu’on nous fait. J’ai
été malheureusement le dernier à les croire parce que je pense bien de tout le monde. Mais
plus j’ai été joué cruellement, plus je me plaindrai. Le roi sera instruit des obstacles qu’on met
au départ de l’escadre et je ne laisserai ignorer à personne combien on accumule ici les
difficultés, dans un tems où mes vaisseaux, dénués de tout, sans agrets, ne s’équipent que par
la bonne volonté et le zèle de la marine qui est tel que rien ne peut nous rebuter.

Depuis trois semaine on prie, on presse pour la farine, les moulins se dérangent, le vent
manque, et lorsque les moulins et le vent reviennent, le bled manque avec les sacs pour le
porter. Excuses singulières ! On fait 6 et 800 sacs dans 24 heures, mais n’y a-t-il ni quarts, ni
bariques vuides ? Il manque 280 milliers de biscuit et beaucoup de farine pour completter
l’escadre ; quand est-ce que cette affaire sera remplie, ou plustôt quand est-ce que les
intrigues personnel, les tracasseries, la méchanceté, la mauvaise volonté, seront bannies des
affaires d’Etat, et qu’on ne sacrifiera plus le bien du service aux haines particulières ? Je suis
excédé de tout ce qu’on* fait pour m’enrayer et me nuire. Je ne ménagerai pas la vérité en
rendant compte de tout ce que j’ai essuié depuis que je suis aux Indes, et je chargerai comme
je le dois ceux qui travaillent sourdement contre l’Etat.

Je viens de me faire rendre compte des remises de farine qui ont été faites aux diverses
boulangeries de l’escadre, depuis le 8 du courant jusqu’au 10 compris. Elles montent à la
quantité de 24 521 livres brut et à celle de 16 570 livres net, et cette dernière quantité seroit
nécessaire pour chaque jour. Ainsi vous voyés, Monsieur, que de trois jours en voilà deux de
perdus.

Je suis, &a.

Signé : Le comte d’ACHE

18
Copie de l’ordre donnés [par d’Aché] au Sr Maingard, capitaine de port à Maurice.

Au port Louis, isle de France, le 10 juin 1759.

Il est ordonné à M. Maingard, capitaine de port, de se mettre en état de donner aux


vaisseaux de charge des jumelles et des mèches de gouvernail pour le besoin de l’escadre.

Signé : Le comte d’ACHE

Copie de l’ordre qui m’a été donnée par M. Magon

A l’isle de France, le 14 juin 1759.

Le Sr Maingard observera qu’étant sous nos ordres, il ne peut recevoir que ceux qui lui
seront donnés par nous, et sous quelque prétexte et dans quelque cas que ce soit. Attendu que
dans les arrangements où le port doit concourir avec les vaisseaux pour l’armement présent,
les demendes doivent m’être adressés pour être par moi donnés les ordres nécessaire, et est
ordonné en conséquence au Sr Maingard, sous peine de désobéissance, de se conformer à
l’avenir à cette partie des règles de ses fonctions.

Signé : MAGON

Certiffie le présent conforme à l’original qui m’a été donné par Monsieur Magon.

Signé : MAINGARD

19
Lettre écrite au Conseil de l’isle de France dans l’assemblée de MM. de La Guarigue, de
Ruis, Bauchène, Gotho, St-Léger et de Mondion, laquelle lettre a été communiquée à M.
de L’Éguille qui étoit malade.

Du 27e juin 1759

Messieurs,

L’expédition de l’escadre devant faire la plus intime de nos attentions, puisque c’est elle
qui peut décider du salut ou de la perte de l’Inde, je ne puis espérer une réussite favorable
qu’autant que mes vaisseaux seront armés convenablement. Dans le premier résultat du
Conseil, l’on m’avoit accordé 200 soldats de la Compagnie ; par des lettres recues du comité
et de M. le Contrôlleur Général, vous m’en avés ôtés 100. Aujourd’hui, Messieurs, il me
manque 146 hommes blancs pour completter l’escadre, sans compter 187 hommes qui sont à
l’hôpital et les noirs qui restent à donner, c’est à vous à me les faire fournir.

À quatre mille lieues de France, peut-on voir la position où nous nous trouvons ? Il y va
du bien de l’Etat, de la gloire des armes du roy, et peut-être du salut de l’Inde. Je ne puis partir
sans me voir en état de remporter les avantages que j’ai lieu d’espérer de la force de mon
escadre. Je vous somme donc, Messieurs, au nom du roy, de me mettre en état de partir au
plutôt et de combattre les ennemis. Sans quoi j’en rendrai compte à la cour, qui je crois
n’approuvera pas le party que vous paroissés prendre de m’enrayer dans le port. J’attends
votre réponse pour me déterminer. J’ay l’honneur d’être, &c.

Signé : Le comte d’ACHE

20
Réponse du Conseil à la lettre de M. le comte d’Aché

De l’isle de France, le 27e juin 1759.

Monsieur,

Nous répondons à la lettre que vous nous avés fait l’honneur de nous écrire ce matin. Ce
que nous avons fait jusqu’à cette heure pour concourir au réarmement de votre escadre, doit
assés pour prouver que nous sentons combien nos établissements des Indes en ont besoin.
C’étoit pour accélérer, Monsieur, votre départ que nous avons fait le sacrifice de tout ce que
nous avons pu et même de ce que nous ne devions pas. Aujourd’hui que vous nous avés
épuisés en tout genre, que vous avés désarmés tous nos vaisseaux, ce que nous avons souffert
en considération des avantages que la prochaine arrivée de vos navires aux Indes peut opérer,
vous venés encore nous faire de nouvelles demendes en matelots et en Noirs. Mais envisagés
votre situation et la nôtre, vous avés tout, nous vous avons tout laissé prendre. Vous ne nous
laissés seullement pas de quoi armer une chaloupe. Où voulés vous que nous vous trouvions
300 matelots ? Les équipages de nos navires de Madagascar sont destinés à passer sur votre
escadre et les navires à pourir à la côte. C’étoit pourtant sur eux que nous fondions une
ressource pour assurer quelques provisions dans l’isle, où vous nous menacés de revenir
incessament. Le St-Charles vient d’être désarmé au port du Sud-Est, son équipage et celui du
Dromadaire viennent encore d’être répartis sur vos vaisseaux. Qu’eussiés vous fait si ce
Dromadaire ne fut point arrivés, puisque vous auriés eu 80 matelots de moins ? Croyés vous
que nous ne serions pas bien fondés à nous opposer à un désarmement si général et à un
enlèvement total des matelots de cette isle, qui va se trouver quand vous y reviendrés dans un
embaras, dont toute les sommations de l’univers ne nous tirerons, ny vous, ny nous ? Il n’est
pas surprenant, Monsieur, que sur 6 250 hommes dont vous voulés monter votre escadre, vous
vous trouviés à court de 300 matelots, tandis que les officiers ne sont pas compris sur les
rôles, non plus que les mousses. Ne sont-ce pas des hommes ? Les mousses ne sont-ils rien ?
Vous avés promu au grade d’officier de la Compagnie, une quantité de volontaires sans notre
participation, qui seroient autant de matelots si vous les aviés laissés dans leur premier état.
Vous prétendés que sur les équipages que vous avés à prendre à Bourbon, la septième partye
doit être malade. Les nouvelles que nous avons, détruisent ce calcul, et nous disent qu’ils sont
tous parfaittement rétablis et qu’ils ne désirent que le moment d’embarquer. Au reste,
Monsieur, sur une escadre comme la vôtre, est-ce une dixaine d’hommes sur chaque navire
21
qui doit l’arrester ? Et encore ce moins est-il bien prouvé ? Sçavés vous précisément ce que
vous avés à prendre à Bourbon ? Beaucoup plus de noirs que vous ne comptés. Vous êtes
témoin de tous les mouvements que nous nous sommes donnés pour vous en ramasser la plus
grande quantité. Exprès nous les avons taxés à un prix exorbitant. Nous avons prévenu à
Bourbon d’en faire autant pour concourir de toutes parts, à vous fortiffier. Nous avons depuis
deux mois à Foulpointe, avec des fonds considérables, le Sr Duverger, occupé encore à en
traiter pour votre escadre. Nous ne craignons pas, Monsieur, de trop avancer en vous déclarant
que vous n’en manquerés pas, si vous voulés tenir main à empêcher l’intérest particulier de
les accaparer. Enfin nous avons humainement fait ce que nous pouvions, et même ce que nous
ne pouvions pas, suivant les ordres précis de la Compagnie, auxquels nous sommes
contrevenus en vous donnant 100 hommes de notre garnison et restant icy avec 900 hommes,
dont 100 invalides. C’est maintenant à vous, Monsieur, à penser à partir avec les forces que
vous avés, et infiniment supérieures lorsque vous quitterés Foulepointe, à celle d’une escadre
pareille à la vôtre, si elle étoit armée en France. Il vous manquera ditte vous 300 hommes, si
on avoit voulu charger quelques peu d’effets sur chaque vaisseau de guerre, et par là se
dispenser d’armer la Balleine, vous ne trouverés pas cette différence. Mais quant il vous en
manqueroit davantage, sçavés vous où il y en a ? Pouvons-nous être responsable de ce
manquement occasionné ou par la mort des équipages de M. de L’Eguille à Rio Janeiro, ou
par les maladies, par le feu ou autres événemens fâcheux et malheureux, qui sont pareillement
survenus à vos vaisseaux. Après tout, ne deviés vous pas régler le nombre d’hommes de votre
escadre, et la distribution à en faire, sur celui que vous sçaviés en cette isle, et non sur un
nombre arbitraire que vous étiés certain qu’il étoit impossible de vous completter en vous
abandonnant tout, même partye de notre garnison, et plusieurs habitans que vous avés
engagés ? Nous aurons l’honneur, ainsy que vous, de rendre compte au ministre de nos
opérations, et de tout ce que nous avons fait pour contribuer au succès des vôtres. Nous
sommes très parfaittement, Monsieur, vos très humbles et très obéissants serviteurs

Signé : MAGON, GOSSE, LE JUGE, BOURCERET de St-JEAN,

de CANDOS, et GAMARD de COURCELLE.

22
Réponse [de M. d’Aché] au Conseil de l’isle de France ce 2e juillet 1759

Votre réponse, Messieurs, à ma lettre du 27e, est si pationnelle, est si remplie


d’expressions choquantes, qu’il ne me convient pas, même de marquer icy mon ressentiment.
J’espère que le roy me rendra justice de chaque membre du Conseil qui à signé cette pièce
odieuse. Il est d’ailleurs très fâcheux pour moy de vous avoir réduit à n’avoir plus de
ressource pour justifier les fausses mesures et la mauvaise volonté du gouvernement présent,
que de sortir entièrement des bornes de la considération que vous devés à ma place, et de me
faire connoître pour la première fois les dispositions où vous êtes à mon égard. Au lieu de
répondre en détail au fait particulier du complet d’équipages, vous embrassés tous les autres
objets par une déclaration vague, qui prouve d’autant moins qu’elle se détruit pas les faits. Il
est bon cependant, Messieurs, que je sache, d’aujourd’hui seullement, que c’est de votre aveu,
et par un concour unanime du Conseil, qu’on a négligé les moyens d’expédier plutôt mon
escadre, qu’on ne me présente que des difficultés, qu’on a coupé les bois* et fabriqué des
cloux pour les carennes que lorsqu’on abbattoit les vaisseaux, c’est-à-dire que les ressources
les plus abondantes de cette colonie n’ont pas étés fournyes avec aucunne sorte d’ordre et de
célérité, que les moulins ont manqué à l’abondance du bled, et successivement le bled ou les
sacs au petit nombre de moulins, et qu’enfin je n’ai rien tiré de ce pays-cy sans peine, sans
lenteur et sans difficulté. J’avois lieu de penser dès mon retour de la côte que la négligence,
l’impéritie d’un seul, pouvoient occasionner les abus énormes, dont j’ai été le témoin et la
victime. Mais votre propre expérience et l’apologie que vous faitte du gouvernement intérieur
sur ce qui concerne l’escadre, vous rendent responsables de tous les événements qui y ont
raport. Il ne m’est pas possible de douter que vous n’ayés connoissance du mémoire qui me
fut remis le 4 juin par M. Magon, puisqu’il s’est concerté en tout avec vous sur nos affaires
respectives, et que d’ailleurs c’est la substance de votre lettre, au ton près, qui n’est pas si
impératif, même offres de donner tout, de sacrifier tout, pour mon prompt départ, et le tout
écrit aussi à propos que votre lettre, qui traite beaucoup d’objets étrangers à l’état des
équipages, et n’éclaicit rien que vos intentions sur ce qui me regarde. Ma réponse à ce
mémoire de M. le gouverneur, met à leur juste valeur ces offres emphatiques que vous faitte
rentrer sur la scène au nom du Conseil. Je n’ai rien eu sans tracasseries, sans observations, et
sans retardements. Je dois précisément à quelques actes d’authorité, dont j’ai usés dans les

23
cas forcés, à beaucoup de patience, et peut être à certainnes combinaisons de politiques dont
on n’est pas dépourvu icy, les secours tardifs qui m’ont mis en état d’expédier quelques
vaisseaux pour Foulpointe. Et puisque vous êtes de moitié de tout ce qu’on a fait, je puis vous
dire que je n’ai pas vu la moindre bonne volonté. Quoique ma réponse à M. le gouverneur
éclaircisse tout cecy, et qu’il soit très évident qu’elle est plus l’objet que le Conseil m’écrit,
que ma demende du complet d’équipage, il est à propos d’entrer un peu dans le détail, pour
vous prouver que je ne suis pas plus la dupe que vous de ces sacrifices, de cet abandon total
de vos moyens, et de ce zèle qui, au fond ne produit que des procédures et des lenteurs. J’ai
apostillé mes réflections en marge de votre lettre, en écartant le plus qu’il m’a été possible les
impressions que font chez moi votre exposé et votre stile.

Je suis Messieurs, &c.

Signé : Le comte d’ACHE

24
Réponse [de M. d’Aché] au Conseil du 2e Lettre du Conseil [à M. d’Aché] du 27e
juillet juin

Ce qu’on a fait jusqu’icy est la plus Nous répondons à la lettre que vous
forte preuve de la négligence et de la nous avés fait l’honneur de nous écrire ce
mauvaise volonté. Nous sommes au 30e matin. Ce que nous avons fait, jusqu’à
juin et on n’a expédié que quatre vaisseaux cette heure, pour concourir au réarmement
qui n’ont pas leurs équipages complets. de votre escadre, doit assés vous prouver
Encore a-t-il fallu bien des instances pour que nous sentons combien nos
mettre ces vaisseaux en état de sortir établissements des Indes en ont besoin.
comme ils sont. Voilà le zèle et les C’étoit pour accélérer, Monsieur, votre
sacrifices ! Il falloit donner sans chicanne départ, que nous avons fait le sacrifice de
et sans retardement ce que vous pouviés, et tout ce que nous avons pu, et même de ce
à l’égard de ce que vous ne deviés pas que nous ne devions pas.
donner, c’est sans doute un article très
étendu. Il est fâcheux que vos devoirs
s’accordent si mal avec l’expédition de
l’escadre.

Il étoit indispensable que je laisasse


Aujourd’hui que vous nous avés
peu de gens de mer dans l’isle. Je suis
épuisé en tout genre, que vous avés
encore très court avec cette ressource qui a
désarmés tous nos navires*, ce que nous
été prise de concert avec le gouvernement.
avons souffert en considération des*
C’est le bureau des armements qui a fait ce
avantages que la prochaine arrivée de vos
mouvement et réglé les répartitions. Ainsy
navires aux Indes peut opérer, vous venés
votre patience et vos bontés n’ont pas étés
encore nous faire de nouvelles demendes
mis à une grande épreuve. Les états,
en matelots et en Noirs, mais envisagés
d’ailleurs, sont réglés depuis longtems, la
votre situation et la nôtre. Vous avés tout,
demende n’est donc pas nouvelle. Il falloit
nous vous avons laissé tout prendre, vous
que le Conseil dit s’il ne veut pas ou s’il ne
ne nous laissés pas seullement de quoi
doit pas fournir, le monde dont j’ai besoin.
armer une chaloupe. Où voulés vous que
Il cite son pouvoir, mais quels sont ses
nous vous trouvions 300 matelots ? Les
devoirs, je
équipages de nos navires à Madagascar
25
l’ignore parfaittement. Tout ce que je vois sont destinés à passer sur votre escadre* et
clairement, c’est qu’il peut et apparament il les navires à pourir à la côte.
doit me contrarier et me retarder.
C’étoit pourtant sur eux seuls que nous
Le Conseil sçait qu’il arrivera fondions une ressource, pour assurer
incessament des vaisseaux d’Europe. quelques provisions dans l’isle, où vous
Ainsy, indépendament de ce qui échapera nous menacé de revenir incessament.
icy de matelots à la scrupuleuse vigilance
et à la bonne volonté, il sera en état de se
pourvoir pour ce tems critique de mon
retour dont il paroît effrayé. J’espère que
cette crainte obligeante pour la marine et
pour moy, engagera ces MM. à se déranger
un peu de la conduite prudente qu’ils ont
tenu l’an passé sur la partie des vivres.
Le St-Charles vient d’être désarmés au
L’interrogation est décente, j’eusse été
port Louis*, son équipage, et celui du
touché comme je le suis, pour l’Etat et
Dromadaire, vient d’être répartis sur vos
pour Compagnie, de me voir contrarier et
vaisseaux. Qu’eussiés vous fait si ce
retarder. Je vous eusse demendé plus de
Dromadaire ne fut point arrivé,* puisque
secours en blancs et en Noirs, et vous
vous auriés eu 80 matelots de moins ?
auriés certainement plus bataillé, plus écrit
et plus différé.

L’enlèvement n’est point total, il n’est Croyés vous que nous ne serions pas
pas question d’établir, ny de disputer vos fondés* à nous opposer à un désarmement
droits dans une chose qui vous réussira général et à un enlèvement total de nos
mieux par adresse que par la force. Faitte matelots de cette isle, qui va se trouver
chercher de bonne foi les gens de mer, et quant vous y reviendrés dans un embaras
nous sçaurons ensuitte si c’est à vous à en dont toutes les sommations de l’univers ne
disposer. Les embaras dans les quels vous nous tirerons ny vous, ny nous ?
avés étés sont la suitte des fausses mesures.

26
Les officiers sont des hommes et les Il n’est pas surprenant, Monsieur, que
meilleurs hommes. Mais je vous ai répété, sur les 6 250 hommes dont vous voulés
mille fois que nous ne les comprenons pas monter votre escadre, vous vous trouviés à
dans l’équipage. Et à l’égard des mousses, court de 300 matelots, tandis que les
j’ai à vous observer que les enfans ne officiers ne sont pas compris sur les rôles,
passeronts pour des hommes qu’à un non plus que les mousses. Ne sont-ce pas
tribunal où les hommes seronts des enfans. des hommes ? Et les mousses ne sont-ils
rien ?
Depuis mon arrivée icy, 14
volontaires, dont plusieurs de concert avec Vous avés promu au grade d’officier
M. Magon, le surplus est de la façon de M. de la Compagnie une quantité de
de Leyrit et de M. Magon lui-même. Ces volontaires sans notre participation, qui
MM. ont ont eu tort de manquer au Conseil seroient autant de matelots, si vous les
et de ne pas m’instruire de mes devoirs. aviés laissés dans leur premier état.

Il se peut que je craigne qu’il y ait plus


de malades dans les équipages qui sont à
Vous prétendés que sur les équipages
Bourbon qu’on ne le dit icy. J’ai tort sans
que vous avés à Bourbon, la septième
doute d’avoir les moindres soupçons, après
partye doit être malade, les nouvelles que
avoir tant éprouvé la solidité des raports et
nous en avons détruisent ce calcul, et nous
des promesses qu’on m’a fait à l’isle de
disent qu’ils sont très parfaittement
France. La plus légère défiance est bien
rétablis, et qu’ils ne désirent que le
déplacée. Tous les malades sont rétablis,
moment d’embarquer.
tous sont en état de se rembarquer. Je
prétendois que cela seroit fort heureux,
mais je ne sçavois que le Conseil avoit
Au reste, Monsieur, sur une escadre
garanty cette nouvelle.
comme la vôtre, est-ce une dixaine
J’ai desjà diminué plus de 10 hommes d’hommes de moins sur chaque navire qui
par vaisseaux pour le premier projet, qui doit l’arrester ? Et encore ce moins est-il
étoit au tau des vaisseaux du roy quant ils bien prouvé ? Sçavés vous précisément ce
font la guerre dans les mers d’Europe, sans que vous avés à prendre à Bourbon ?

27
compter la différence qu’il y a des matelots Beaucoup plus de Noirs que vous ne
à des nègres. Vous me parler encore d’un comptés.
autre retranchement de 10 hommes, et en
supposant que vos refus, vos lenteurs, et la
saison, m’obligeront à en passer par où
vous voudrés, vous me renvoyés à
Bourbon pour y prendre un nombre de
Noirs qu’il plaît à votre imagination de
grossir. Mais ne sçavés vous pas comme
moy le crédit et la confiance que votre
gouvernement a dans l’isle de Bourbon ?
Me voicy retombé dans les défiances, j’ai
tort, mais j’ai été tant attrapé.
Vous êtes témoins de tous les
Je suis témoin d’une partye de vos
mouvements que nous nous sommes
mesures. Je sçai que Mrs Vigoureux
donnés pour vous en ramasser la plus
offroient une quantité de bons Noirs à 800
grande quantité exprès, nous les avons taxé
L. Vous avés refusé ce marché expéditif et
à un prix exorbitant, nous avons prévenu à
proposé 1000 L. aux habitans qui avoient*
Bourbon d’en faire autant pour concourir
en partye le rebut de leurs habitations, et
de toute part à vous fortiffier.
qui trompés la guerre dernière sur pareil
arrangement, s’i refusent. Vous faitte si je
ne me trompe en cecy tout ce que vous
voulés. Voilà tout ce que je puis vous
assurer. Nous avons depuis deux mois à
Foulpointe, avec des fonds considérables,
Si M. Duverger traite depuis deux
le Sr Duverger, occupé* à encore à en
mois à Foulpointe, qui a pu l’empêcher de
traitter pour votre escadre. Nous ne
faire les marchés, les bâtimens ? Et ceux
craignons pas, Monsieur, de trop avancer
qui y sont depuis, à 15 jours près, ne sont-
en vous déclarant que vous n’en
ils pas sous vos ordres ? Comment puis-je
manquerés pas si vous voulés tenir la main
régler une chose qui n’est pas de mon
à empêcher l’intérest particulier de les
accaparer.

28
ressort, et sur laquelle on se gardera bien
de me faire des confidences ?
Enfin nous avons humainement fait ce
Vous m’aviés proposé avant d’avoir que nous pouvions, et même ce que nous
les ordres de la Compagnie de passer 200 ne pouvions pas, suivant les ordres précis
soldats à M. de Lally, vous en avés de la Compagnie auxquelles nous sommes
diminué 100 depuis ces ordres remis. Il est contrevenus en vous donnant 100 hommes
vrai que je n’ai voulu m’engager à les de notre garnison et restant icy avec 900
remettre à Pondichéry qu’autant qu’on me hommes dont 100 invalides.
les y remplaceroit par des gens de mer.
Pouviés vous faire cela ? Ne le pouviés
vous pas ? Jugés en vous-même. C’est maintenant à vous, Monsieur, à
penser à partir, avec les forces que vous
Je ne puis que sçavoir gré au Conseil
avés, et infiniment supérieures lorsque
de me réveiller de l’assoupissement où je
vous quitterés Foulpointe, à celle d’une
suis sur mon départ, et de me faire
escadre pareille à la vôtre, si elle étoit
connoître qu’avec un retranchement dans
armée en France.
mes équipages, grand nombre de nègres
dont partye n’a aucunne idée de la langue
ny d’un vaisseau, avec une disette totalle
d’agrets, je suis, grâce aux soins et à la
bonne volonté de ces MM., mieux armés
que dans un port de France. Il est bon
d’observer en sus que le Centaure n’est pas
encore doublé entièrement, qu’il manque
du bois, de la farine, et du biscuit pour
l’escadre. Comment donc le Conseil me
dit-il décemment : « Nous avons tout fait Il vous manquera, ditte vous, 300
de nôtre côté, c’est à vous à partir. » ? hommes. Si on avoit voulu charger
quelques peu d’effets sur chaque vaisseaux
Je sais ce que je devois en homme du
de guerre, et par-là se dispenser d’armer la
métier. Le Conseil peut mal raisonner sur
Balleine vous ne vous trouveriés pas* cette
les affaires de marine, mais il pouroit
différence.
raisonner décemment.
29
Puisqu’on veut bien m’interroger avec Mais quand il vous manqueroit
tant de ménagement, je répondrai que si davantage, sçavés vous où il y en a ?
l’impossibilité de ramasser des Blancs est Pouvons nous être responsable de ce
prouvée, je dis prouvée et je m’entends manquement occasionné par la mort des
bien, il faut donner de bons Noirs, mais équipages des vaisseaux de M. de*
pour donner ces Noirs, il faut le vouloir. Je L’Éguille à Rio Janeiro, ou par les
demende à mon tour : « Voulés vous maladies, par le feu ou autres événemens
sincerement m’expédier ? Le voulés vous fâcheux et malheureux, qui sont
sérieusement ? » pareillement survenus à vos vaisseaux ?
Après tout, ne deviés vous pas* le nombre
Le Conseil me fait la grâce de croire
d’hommes de votre escadre, et la
que j’ai formé un état d’armement et des
distribution à en faire sur celui que vous
demendes dont je reconnoissois
sçavé* en cette isle, et non sur un nombre
l’impossibilité absolue. Je ne suis pas
arbitraire que vous étiés certain qu’il étoit
surpris, j’ai effectivement ouï dire qu’il y
impossible de vous completter en vous
avoit des gens qui procédoient comme cela
abandonant même partye de notre
pour faire échouer tout. Mais on me fait
garnison, et plusieurs habitans que vous
trop d’honneur, je n’en sçai pas si long. Il a
avés engagé.
été engagé 2 ou 3 hommes de la colonie, la
colonie a enrôlé 2 ou 3 domestiques dans
les vaisseaux, cela s’est fait sans aucunne
observation. Misère toute pure !
Nous aurons l’honneur, ainsy que
J’espère que le Conseil voudra bien ne
vous de rendre compte au ministre de nos
se plus donner la peine de me faire de
opérations, et de tout ce que nous avons
lettres. Le tems est précieux, il faut
fait pour contribuer au succès des vôtres.
l’employer à prendre les mesures les plus
promptes, les plus droittes et le plus Nous sommes très parfaittement, &c.
efficaces pour le départ de l’escadre. Il ne
m’est pas possible de résister aux chagrins
que me donnent les tracasseries
continuelles et les retardements, et de
fournir à des écritures immences dans

30
lesquelles on noye la vérité et on blesse
toutes les bienséances.

31
Réponse du Conseil de l’isle de France [à M. d’Aché] ce 2e juillet 1759

Monsieur,

Nous n’avons rien à nous reprocher : il est inutil de vous le répéter d’avantage, et d’entrer
dans une plus longue discution sur le détail des faits. Nous en rendrons compte au ministre et
à la Compagnie, et nous justiffieronts notre conduitte en tout ce que nous avons pu faire pour
mettre votre escadre en état de partir.

Nous sommes très parfaittement, Monsieur, vos très humbles et très obéissans serviteurs.

Signé : MAGON, GOSSE, LE JUGE, BOURCERET de St-JEAN, de CANDOS, GAMARD de


COURSELLE et CLOUET.

32
Lettre de M. Magon [à M. d’Aché] relative aux précédentes, à l’isle de France, le 2e
juillet 1759.

Monsieur,

Le désir de finir des discutions, qu’il me paroist comme à vous fort inutil d’éclaircir icy,
m’a empêché de répondre à un mémoire par lequel vous avés cherché à détruire quelques
remarques que je vous avois présentés dans un tems que l’amitié sembloit me donner ce droit.
Je persévérerai jusqu’à la fin dans les mêmes sentimens de modération, ainsy je ne relèverai
point les imputations dont votre lettre au Conseil est remplie contre moi personnellement. Je
suis accoutumé à n’opposer que la prudence aux insultes qui ont été faittes au caractère dont
j’ai l’honneur d’être revêtus ; j’ajouterai seullement icy, que vous étant chargés de tout,
quoique quelques articles de vos instructions semblassent supposer le contraire, le Conseil et
moi ne sommes tenus de vous rien fournir que sur vos demendes, auxquelles nous nous
sommes prêtés aussitôt que vous nous les avés fait connoître, et qu’il a été en notre pouvoir de
les remplir. Au reste, nous sommes prêts de répondre sur les événements qui s’ensuivronts,
vraisemblablement des lenteurs et des fausses mesures. J’en répondrai, je vous assure, devant
ceux à qui je dois des comptes. Quant à vous, il ne me reste qu’à vous assurer de la
considération respectueuse avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Signé : MAGON

33
Copie de la lettre de Monsieur Magon écrite à MM. de Courcy et Querdisien

À l’isle de France, le 12 juillet 1759.

N° 811

Messieurs,

Je ne puis assés vous marquer mon étonnement de la demande ridicule et extravagante de


M. de Mondion. Où a-t-il pris qu’il eut le droit d’ordonner sans ma permission des arrêts à
terre ? Il met le comble à cette extravagance en les ordonnant pour être gardés dans ma propre
maison. Je n’aurois regardé le tout que comme une plaisanterie, si je n’avois apperçu au bas
de cette pièce singulière, l’approbation de M. le comte d’Aché. Mais comme ce général n’a
pas plus de droit de commander à terre que le commissaire, je vous deffend au nom du roi,
d’observer dans cette isle, où j’ay l’honneur de commander, des arrêts donnés non seulement
sans ma permission, mais même à mon insçu. La régularité du service m’oblige à vous écrire
cette lettre que vous pouvés communiquer à M. le comte d’Aché, qui sentira comme moi les
conséquences de la fausse démarche de M. de Mondion, auxquelles il n’a pas
vraisemblablement fait l’attention nécessaire.

Je suis avec le plus sincère attachement, Messieurs, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Signé : MAGON

Pour copie conforme à l’original resté entre nos mains.

Signé : COURCY, PICHOT de QUERDISIEN.

11
D’Aché répond à lettre à la page 55 du mémoire. Ce qui prouve que ces lettres ont été mal reliées.

34
Copie de la lettre de M. Hubert, commandant l’Hermione, [à d’Aché] de St-Denis,

Isle de Bourbon, le 20 juillet 1759.

N° 9

Monsieur,

Après avoir rassemblé me[r]credy 18 de ce mois, le plus qu’il m’a été possible de
matelots après votre départ, il s’en trouvoi 27 à bord lorsque Monsieur Magon et M. St-Jean
m’envoyerent un ordre d’en faire débarquer dix de l’équipage du Vengeur. Aussitôt je fus
trouver M. le gouverneur et lui faire une représentation à ce sujet. Mais ce fut inutillement, en
me disant que j’étois à ses ordres, qu’il étoit surpris de ce que je fesois difficulté d’obéir
lorsqu’il commandoit. Voilà, Monsieur, tout ce que j’ai pu faire à ce sujet. Il les envoya
prendre par un officier du port nommé Bourleinne. Il ne m’en reste à bord que 17 sans quoi je
n’aurois pu sortir. Je vous envoye la coppie de l’ordre, par la crainte que ma lettre ne vous
trouve pas à St-Paul. On m’a fait sortir hier matin sans me fournir le restant de bois à feu qui
m’étoit nécessaire, n’en ayant que pour environ 15 jours, ainsi que de tous vivres, en me
disant que l’on me fourniroi à Bourbon et à Foulepointe ce qui me manque.

Je suis très respectueusement, Monsieur, votre, &c.

Signé : HUBERT

35
Copie de l’ordre de M. Magon donné à* Mr Hubert

Monsieur Hubert, capitaine commandant la frégate l’Hermione, enverra à terre les dix
matelots cy-après dénommés avec leurs effets, tant pour ceux qui ont été pris pour le vaisseau
du roi le Zodiaque, que pour les sept qui ont été enlevés furtivement à bord de la frégate la
Silphide lors de son départ. Suivant l’ordre par écrit qui m’a été donné par M. Magon,
lesquels dix hommes doivent être remplacés sur le* vaisseau le Vengeur tant par ceux enlevé
par la Silphide, que ceux qui ont été conduit à bord du vaisseau du roi le Zodiaque.

Eustache DOHUR

Maurice PASQUION

Jean LAMY

Louis L’ARRET

André PICHARD, &c, &c.

Au port Louis, isle de France, le 18 juillet 1759.

Signé : MAGON, St-JEAN.

36
M. de Cossigny
Ingénieur

37
Cossigny à [la Compagnie]

Reçu le 3 février 1760 par le vaisseau le Massiac

Isle de France, le 31 aoust 1759.

Messieurs,

J’ay reçu le 15 de juin de la présente année 59, la lettre que vous me fîtes l’honneur de
m’écrire le 10 décembre 58 par la frégate la Subtile.

Le Conseil Supérieur de l’isle de France en reçut une aussy de même date à mon sujet,
que Mr Magon eut grand soin de rendre publique l’instant d’après. Il est vray que celle-cy ne
fit pas honneur à la Compagnie dans l’esprit du public, dans l’esprit même de Mrs les
Conseillers, moins encore dans celuy de l’escadre qui estoit icy.

J’avois, Messieurs, prévenu vos intentions sur mon retour en France par ma requête du
mois de may, pour obtenir mon passage sur le premier vaisseau de partance pour Lorient, et
mon parti estoit si bien pris d’abandonner votre service, que si j’eusse essuyé un refus de la
part du Conseil, je me serois embarqué sur l’escadre pour aller chercher dans l’Inde l’occasion
de quelque vaisseau étranger.

Mais le Conseil supérieur ne pouvant apparamment se refuser à ma demande, l’accorda


sans dificulté. Et suposé qu’il n’eût pas le droit de me l’accorder, il sufisoit ce semble de votre
lettre, que je reçus le mois suivant et que j’aurois fait valoir, pour l’autoriser, sans qu’il fût
nécessaire d’ordonner à ce Conseil de me signifier juridiquement d’arrêter mon compte avec
la Compagnie du jour 15 de juin, que mes fonctions, gages, &c., cessoient.

En effet, Messieurs, il paroîtra toujours fort singulier que ne devant pas une obole dans
cette isle, après un séjour de plus de 6 ans, mais au contraire, où l’on me doit, ne fût-ce que la
Compagnie elle-même, l’on* ayt recours à la menace de m’envoyer un huissier pour
m’obliger d’arrêter mon compte avant que de m’embarquer.

C’est sans doute une absence de jugement dans celuy que vous avés chargé de la
correspondance. Et quoy que le* public, icy témoin de ma conduite et de mes opérations, ne
se soit pas prêté à cette espèce de mépris que votre* ordre au Conseil me préparoit, et qu’un
silence de 3 ans de votre part m’annonçoit, je n’en suis pas moins redevable aux attentions de

38
Mr votre correspondant de m’avoir éguillonné sur mes propres intérêts, car* peut-être trop
livré aux détails de ma mission, je pouvois fort bien, sans miracle, oublier d’arrêter compte
avant mon départ.

La Compagnie me fait la grâce de me marquer qu’elle ne me suivra pas dans les diférens
articles que mes lettres renferment. Du moins suis-je aujourd’huy très satisfait qu’elle veuille
bien m’accuser la réception de nombre de pièces, de plans, d’états qui les accompagnoient.

Je conçois bien, Messieurs, que dez que votre correspondant n’avoit plus d’exhortations
et de longs sermons à me faire, comme dans les premiers temps, sur la concorde qui devoit
régner icy tandante à accélérer les travaux nécessaires à la sureté de votre colonie, il ne
pouvoit s’amuser à éplucher des minuties telles que les divers établissements pour lesquels je
ne m’estois non plus engagé dans ma mission, que je l’estois à vous former d’excellens sujets
canonniers, bombardiers, et surtout à conserver ceux qui se vouent à la manutention de la
poudre de guerre auparavant si périlleuse.

Je suis cependant ravi que le succès de ce seul objet des moulins à poudre vous paroisse
intéressant. Et pour le rendre plus digne des réflexions de Mr votre correspondant, je me
borneray entre tant d’autres ouvrages répandus sur notre côte qui n’en valent pas la peine, à ne
vous parler que de la nouvelle méthode de fabriquer la poudre, trop heureux si* par le calcul
que j’en fais, que je prens la liberté de vous adresser, et que vous aurés la bonté de luy
communiquer, je parviens à mériter en cela son approbation et celle de la Compagnie, d’après
le rapport qu’il vous en fera.

Au reste, si je ne puis mériter à cet égard son sufrage et le vôtre, je m’en consoleray fort
aisément par toutes les marques de reconnoissance que me donne chaque jour ces malheureux
ouvriers, que 5 exemples des plus funestes en moins de 4 ans, suivis de la perte* de leurs
semblables, avoient découragés à ce point de ne trouver plus qui que ce fût qui voulût
s’exposer à périr si misérablement, quelque attention qu’ils eussent à prévenir le coup.

Ce seroit même si je les en crois, peu de chose de périr dans l’instant, mais de traîner,
comme plusieurs ont traîné pendant les 8 et 9 jours un reste de vie à demy-rôtis, dans des
soufrances inexprimables, c’est à quoy je ne les voyois pas disposés, et peu s’en est falu que
faute de sujets de bonne volonté, nous ne nous soyons vus forcés d’abandonner la dépense*
considérable faite à la baye des Tortues, tant pour les dépendances* qu’exigeoit la fabrique de
la poudre que pour les fréquentes réparations du moulin à pilons démentibulé chaque fois

39
qu’il sautoit. Mais au surplus, soit meules, soit pilons, au moins faut-il des cribles, des tamis,
des toiles propres aux blutoirs12, des cuves en cuivre pour la rafinerie, et l’on n’a rien icy de
tout cela. C’est à la Compagnie à s’y pourvoir, ainsy qu’à tant d’autres choses, suposé,
comme elle me le marque, qu’il y ayt en France assés de navires pour transporter ce qui est
nécessaire à ses colonies, et qu’elle soit en état de faire une telle dépense. Je reviens au calcul
du moulin.

Je n’établis comme vous le verrés, Messieurs, que des principes bien simples et des
axiomes13 connus de toute la terre pour la comparaison que vous serés en état de faire des
deux espèces de machines propres à faire icy de la poudre.

Quant aux conséquences qui dérivent du plein succès de la nouvelle méthode, je suis bien
sûr qu’elles n’échaperont pas à la pénétration de Mr votre correspondant. Un seul fait qu’il
ignore et qui le frappera sans doute, quand il le sçaura, c’est qu’un capitaine des vaisseaux de
la Compagnie, dont le nom qui m’intéresse seroit peut-être par cette raison un titre de
réprobation dans l’hôtel des Indes, plustôt qu’une espérance d’obtenir une marque d’honneur
qu’il a si bien méritée, se soit trouvé dans le cas de combattre aussy vaillamment qu’il a fait,
pendant 4 h, de l’aveu de toute l’escadre, et contre Pocock14 luy-même, avec 40 milliers de
poudre de carguaison sous ses pieds, sans celle de l’approvisionnement de son navire qui fut
criblé de toute part, où l’on a trouvé des boulets de 32 jusque dans ses soutes.

On conviendra que, soit en paix, soit en guerre, c’est dans tous les temps un[e] fort
dangereuse pacotille que celle de 4 à 500 barils de poudre entassés dans un vaisseau.

Cependant il en faut, et c’est l’objet que la nouvelle méthode de la faire peut remplir à
souhait, au-delà même des besoins, sans bruit, sans risque, sans réparations onéreuses, si les
matières ne manquent pas. Car enfin les 24 pilons qui cy-devant manquoient souvent d’eau
dans une isle sujette à de longues sécheresses, ne produisoient qu’environ 50 milliers de
poudre par an, et les 3 meules dans la même caze des pilons, quelque sécheresse qui

12
Le blutoir, encore appelé la barite ou le moulin à cerné, est un coffre qui sert à trier la mouture, c'est-à-dire à
séparer le son de la farine. Il remplace le tamis, il est utilisé dans les moulins depuis le XVIème siècle.

13
Désigne une vérité indémontrable qui doit être admise.

14
Sir George Pocock (1706-1792) est un officier de la marine anglaise, il devient vice-amiral en 1756. Il est le
commandant des forces navales britanniques en Inde.

40
survienne, rendront les 15 milliers par mois, que je réduis à 13, lesquels x par 12 font 156
milliers par an, c’est-à-dire le triple des 24 pilons, abstraction faite des accidents, par
conséquent, du temps employé à réparer le moulin.

Si cependant cette quantité ne sufisoit pas pour l’approvisionnement de l’Inde, des isles,
et pour les traites, rien n’empêche de la doubler, en construisant à l’autre bout de la retenue
d’eau, ou peut-être au-dessous du premier moulin, un second moulin semblable, et ce seroit
312 milliers.

Tout ce qu’on peut opposer à cette assertion, c’est que l’entrée du Gange vous est
interdite, et bientôt peut-être celle de toutes nos Indes françoises. En ce cas plus de salpêtre de
nos côtes, partant, plus de poudre pour vous, et je crains bien encore que ce ne soit les Anglais
qui se serviront de mon moulin.

Cecy me conduit insensiblement à l’article de votre lettre, où vous me marqués que la


Compagnie sçait que l’isle de France est autant fortifiée qu’elle peut l’estre par des batteries.

La Compagnie en sçait donc là-dessus plus que moy, si elle parle sérieusement. Il est bon
qu’elle s’en flate. Mais je luy répondrois volontiers ce que l’amoureux Xiphares répond à la
belle Monime : « Vous ne sçavés pas, Messieurs, encore tous vos malheurs. »15

La Diligente ne vous a appris qu’une honteuse équipée dans l’Inde. Le temps vous
apprendra bien d’autres événements encore plus honteux. Et quant à votre isle de France, je
serois curieux de sçavoir de qui la Compagnie tient qu’elle est fortifiée autant qu’elle peut
l’estre ?

C’est sans doute quelque flateur complaisant qui l’aura trompée, qui a ses raisons pour la
tromper. Pour moy, Messieurs, qui ne connois pas ces faux détours de complaisance, je vous
prédis que votre isle est perdue pour la Compagnie. Il est bien vray, si l’on m’eut cru, qu’elle
seroit de toutes part en sûreté, et pour tous les temps pour peu que vous luy prêtassiés les
secours qui ne dépendent que de son souverain, qu’elle ne peut tirer d’ailleurs, et qu’ensuite
on ne luy enlevât pas impitoyablement ce que vous luy envoyriés pour sa propre défense.

Mais vous voulés icy un botaniste à qui l’on ne doit rien refuser, uniquement pour
l’enrichir et satisfaire ses passions. Si c’est dans ces vues que vous le tenés* à l’isle de France,

15
Extrait de la pièce Mithridate , une tragédie en cinq actes et en vers de Jean Racine.

41
il les remplit très bien. Vous avés raison de le préconiser. Il mérite assurément les éloges que
la Compagnie charge le Conseil de luy prodiguer.

Vous voulés, Messieurs, pour gouverner cette colonie, des Sardanapales16 qui se sont
embarassés du sort à venir de votre isle, comme je me soucie de celuy des Moluques17. Ne
soyés donc pas surpris, si vous ayant servis à souhait, vous perdés sans resource l’isle de
France.

S’agissoit-il simplement que la côte sous le vent fût d’un bout à l’autre aussy redoutable
qu’elle l’est ? Serat-ce l’islot de la Passe du sud-est qui défendra le Grand-Port, tandis que son
rivage intérieur est abordable en 8 ou 9 endroits. J’en revins dernièrement avec le Sr Desny,
très capable de le bien fortifier, s’il en eut eu les moyens. On en retire aujourd’huy tous les
Noirs du Sr Vigoureux. On ne s’en est pas procuré pour les remplacer, et le Sr Desny
s’embarque sur le Condé.

Voilà, Messieurs, l’état cruel où se trouve votre isle, après des dépenses immenses et mon
séjour de 6 ans pendant lequel j’ay fait plus de besogne qu’il n’estoit naturel de l’espérer.
Mais je n’ay pas tout fait. Ce n’est pas ma faute, et la Compagnie quatrupleroit les gages
qu’elle m’avoit accordés, que je ne diférerois pas d’un moment mon départ.

A propos de gages, la Compagnie est sans contredit très puissante. Mais se croit-elle
équitablement en droit de contrevenir à l’article 5e signé de tous Mrs les directeurs dans son
assemblée d’administration le 29 de novembre 1752, par lequel article elle s’est engagée de
me faire payer mes appointements du jour de mon débarquement dans l’isle de France
jusqu’au jour que je me rembarqueray pour l’Europe ?

Pense-t-elle qu’il soit gracieux pour moy qui n’ay icy ni feu, ni lieu, ni ne désire d’y en
avoir, de chercher au* poids de l’or dans une isle totalement épuisée, de quoy vivoter pendant
3 mois ½ jusqu’au jour de mon départ, c’est-à-dire de dépenser ce que j’ay pu ménager
pendant* la dernière année en la servant avec autant de zelle, que d’activité et de fidélité à
tous égards ? Comment me traiteroit-elle, si d’un naturel indolent, je n’avoit fait icy en
modique quantité, que de pitoyable besogne ? Me voilà bien récompensé des mouvements que

16
Référence à Sardanapale, un roi légendaire de Ninive en Assyrie qui aurait vécu de 661 à 631 av. J.-C. Il serait
une mythologisation d'Assurbanipal, un roi très cultivé, peu belliqueux.

17
Les Moluques sont un archipel de l'est de l'Indonésie.

42
je me suis donnés, des peines infinies que j’ay essuyées, des risques que j’ay courus de me
noyer ou de me tuer en traversant à pied des ravines profondes, escarpées des deux côtés, pour
juger par moy-même si l’ennemi débarqué à la rivierre Noire pouvoit de là pénétrer dans le
cœur de l’isle. Ce que je maintiens présentement impossible.

Il est vray, Messieurs, que le temps de mes engagements* avec la Compagnie estoit
expiré au mois de jeuillet de l’année dernière 58. Que ne m’accordoit-on mon passage sur la
Diligente, comme je le proposay ? Il est encore vray que par respect pour Mr le comte de
Montmorancy, accablé dans cette frégate d’un trop grand nombre de passagers qui fuyoient
votre service de l’Inde, je n’insistay pas aussy fortement pour l’obtenir, que j’aurois insisté
sans cette raison.

Cependant il me restoit encore la resource de plusieurs vaisseaux qu’on envoyait au cap


de Bonne-Espérance chercher à vivre. Je proposay d’y passer dans l’idée d’y trouver quelque
navire hollandois de retour pour l’Europe. Mais M. Magon m’assure positivement que le
gouverneur du Cap l’avoit prié de ne plus luy envoyer de passagers, parce que sa compagnie
luy défendoit absolument de permettre à qui que ce fût de nos colonies de s’embarquer sur les
vaisseaux de Hollande.

C’est donc bien malgré moy que je suis icy. Et vous verrés, Messieurs, par ma requête au
Conseil, combien j’allègue de faits pour obtenir mon passage en m’y prenant 5 à 6 mois
d’avance.

Au surplus, ne croyés pas que mon séjour icy, plus long que vous ne le souhaittiés et que
je ne le souhaitois moy même, vous ayt esté infructueux.

Rapportés-vous en à l’escadre pour ses bois de radoub, pour la conversion de son bled du
Cap en farine, pour les fours à cuire la provision de biscuit. Interrogés les* habitans sur la
conservation de leurs bestiaux, de leurs voitures, de leurs esclaves qui portent de loing leurs
denrées au bazard et leur remises aux magazins.

Je ne vous cite pas en cela vos propres avantages puisque l’intérêt de la Compagnie fut
sans contredit le premier motif qui me fit entreprendre de rendre commode un chemin qui luy
a fait périr plus de 6* paires de bœufs de charroy, perte inestimable dans cette isle, sans
compter qu’on ne pouvoit sufire à réparer les voitures, dont la Compagnie aura besoin dans
tous les temps.

43
On me dira peut-être que cette chaussée de 2 milles, ces ponts si vantés, pouvoient fort
bien estre exécutés dans le même goût par tout autre icy que par moy. C’est, Messieurs, ce
que je ne sçay pas. Et je serois en* droit d’en douter, si j’en croyois l’opinion commune de* la
colonie.

D’ailleurs, à ne considérer que le seul objet dont le succès, dites-vous, est très intéressant
pour la Compagnie, je vous diray que je ne fus pas longtemps à remarquer que les 3 meules
du moulin à poudre, obligées d’écrazer et de pulvériser les matières propres à la faire,
corrodoient considérablement leurs paliers de bois.

Chaque meule estant un cône tronqué du poids de 1 115 L. chacune, il est évident que
quoyque la pression soit la même sous les points de la surface extérieure du cône, la plus forte
action sur le palier se fait sous le trajet de son plus grand et de son plus petit diamètre, plus
sous celuy-cy dans la raison de la longueur du bras de levier qui joint la meule à l’arbre
vertical, par le moyen duquel elle fait ses révolutions.

Il résulte de là que ces paliers inégalement rongés à leur superficie, eussent occasionné de
la dépense pour les renouveller et surtout, de fréquents chômmages du moulin. Ce que je
devois prévenir.

Il ne s’agissoit pour cela que de composer un second mouvement aussy simple que le
premier, et qui par 6 forts maillets accouplés de deux en deux, réduisît en poudre impalpable
le salpêtre, le soufre et le charbon, que des bluteaux placés au-dessous des maillets reçoivent
séparément, et c’est-ce qui a esté exécuté.

Ainsi les meules n’ont désormais qu’à comprimer de leur poids et mélanger les matières
dozées à l’ordinaire, la poudre s’en fera mieux et en moins de temps.

C’est cette seconde machine, que Mr le comte de Montmorancy, qui a bien vu le jeu des
meules, n’a pu voir, parce que non seulement elle n’estoit pas faite de son temps, elle ne fut
même imaginée que plus de 6 mois après son départ d’icy par la Diligente en novembre 58.

Vous me marqués, Messieurs, dans votre lettre, que quoyque la Compagnie ne pense
point actuelement à se faire un point d’appuy dans l’isle de France, je luy feray cependant
plaisir d’examiner avec la plus grande attention la position qui y conviendroit le mieux, au cas
que l’on vînt à changer d’avis, même de faire relever avec la plus grande précision le plan du
terrain que je jugeray le plus propre, d’en laisser une copie au greffe et de vous en envoyer

44
une ou deux par d’autres vaisseaux que celuy dans lequel je m’embarque, que si je puis même
jetter quelques idées sur le papier, tracer les parties principales de la fortification, il
conviendra que j’en laisse également des copies… Que ce travail au reste ne doit pas retarder
mon retour.

Pmo. Messieurs, je n’ay jamais bien conçu ce que la Compagnie entend par un point
d’appuy, dont elle parle depuis longtemps. Et je vous avoue que je serois fort embarassé de
désigner icy un lieu qui y fût propre, qui convînt le mieux et qui vous fût utile.

En fait de fortification, un point d’appuy est tantôt une place fortifiée selon toutes les
règles, tantôt une citadelle ordinaire*. Mais l’une et l’autre tiennent à des derrières, qui en
font* toute la force. Quelquefois, comme en campagne, c’est un village bien retranché.
Souvent ce n’est qu’un simple poste ou camp, appuyé et couvert de droite et de gauche, soit
par des bois, soit par des rivierres ou des marais, dans lequel poste on ne craint pas d’estre
forcé. Ces endroits-cy sont autant de points d’appuy pour quelques jours ou quelques mois de
campement, dans lequel une partie de l’armée ou l’armée entière se rallie, est assurée de tirer
des environs sa subsistance, et sçait bien que l’ennemy ne sçauroit passer outre qu’il ne se soit
rendu maître du poste par un coup de main ordinairement très vif.

Dans votre isle de France, nul de ces sortes de points d’appuy ne peut avoir lieu, quelque
part qu’il soit situé, quelques provisions qu’il y ayt dans les magazins. Ces provisions seroient
bientôt épuisées. On ne pourroit en tirer sufisamment de l’intérieur d’une isle où les récoltes
sont si incertaines. On ne peut donc se passer icy des secours de France, de l’Inde, de
Madagascar, &c.

Le projet que j’envoyay à la Compagnie en 53 ne remplissoit pas, par cette raison, ses
vues. J’en aurois combiné deux mille de cette espèce, qu’ils ne les auroient pas mieux
remplies.

Celuy du Sr David fils, dont on étoit enthousiasmé dans l’hôtel des Indes, que vous
m’ordonnâtes en 55 d’examiner et de calculer, estoit, n’en déplaise aux experts* consultés par
la Compagnie, le plus absurde, le plus extravagant et le plus dispendieux point d’appuy qu’il
fût possible d’imaginer. Mais il avoit l’avantage d’estre puissamment protégé par quelques
membres de la Compagnie.

Enfin le projet d’un camp retranché, que j’eus l’honneur de vous adresser en mars 54 par
le St-Priest, avec un mémoire pour son attaque et sa défense, quoyque le plus raisonnable de
45
tous ceux qu’on pourroit former relativement au local, et qu’il eût le bonheur de réunir en sa
faveur le plus grand nombre des sufrages, du moins si j’en crois la lettre que Mr de Moras
m’écrivit, ne me paroissoit pas moins alors, et ne m’en paroît pas moins aujourd’huy, tout
aussi inutile.

C’est la côte, Messieurs, ce sont vos deux ports, qui sont icy vos points d’appuy, qu’il
s’agit de bien fortifier et de bien défendre.

Si l’ennemy s’attache à forcer une baye ou quelque autre point de la côte par une
descente bien soutenue et qu’il réussisse, il ne tient rien, ou bien peu de chose. Il aura mille
embuscades à essuyer qui le feront périr s’il marche en avant.

Mais s’il pénètre avec ses vaisseaux dans le grand port, comme la chose me paroît
infaillible, si la guerre dure, l’isle est perdue pour vous sans resource, et qui plus est sans coup
férir, sans qu’il s’amuse à parcourir l’intérieur.

Maître de ce vaste port, il luy sufira pour faire tomber la colonie sous sa puissance,
d’intercepter toutes les communications, de quelque côté que les secours viennent, soit au
vent de l’isle, soit sous le vent. Et c’est ce que la Compagnie doit craindre dans l’état actuel
du Grand-Port, dans la réduction qui se fait encore de tout ce qui pouvoit contribuer à la
défense de l’isle, qu’on aime mieux employer dans un armement particulier. Aussy je plains
fort mon camarade Desforges, du funeste présent que la Compagnie luy fait aujourd’huy en
luy déférant le commandement d’une isle que son prédécesseur a si bien boulversée.

Mr Magon sçaura, sans doute s’excuser d’avoir préféré depuis qu’il est icy d’employer au
Réduit18 les 180 et les 200 esclaves, en vous disant que c’estoit de votre ordre, en vous faisant
entendre que sans cela, il luy eût esté impossible de fournir à l’escadre et à l’hôpital les
herbages dont ils avoient besoin. Mais c’est à cet hôpital et surtout à cette escadre qu’il faut
demander quelles espèces d’herbes Aublet envoyoit.

Il ira enfin jusqu’à vouloir vous persuader que le mal n’est pas aussy pressant que je le
fais, et que d’ailleurs, le port du Sud-Est n’est pas d’une si grande importance.

18
Le Réduit est la résidence officielle des gouverneurs français.

46
Je voudrois, Messieurs, pour vos intérêts, qu’il eût raison en ce dernier point. Je voudrois,
qui plus est, qu’il n’y eût jamais eu dans l’isle de France que le port du Sud-Est ou celuy du
Nord-Ouest. La colonie en seroit infiniment plus en sûreté.

La tâche que vous me prescrivés, les plans de terrain levés avec la plus grande précision,
le nombre de copies que vous en souhaités, mes idées jettées sur le papier, avec le tracé des
principales pièces de fortification, les copies de ces idées et de ce tracé que vous me
recommandés de laisser au successeur de Mr Magon affin de conduire à leur perfection les
ouvrages commencés, travai,l ajoutés-vous, qui ne doit pas retarder mon retour en France.

Tout cela, Messieurs, qui sans doute a paru à votre correspondant aussy aisé à faire qu’il
luy est facile de barbouiller une pitoyable épitre où le sens commun ne* brille guerre, n’est
cependant icy qu’une petite besogne de 4 mois aidé de gens entendus à relever avec précision
le plan d’un terrain quelquonque, des dessinateurs qui en fassent les copies, de scribes qui
mettent au net les mémoires instructifs, les idées jettées sur le papier, &c.

Mr le correspondant oublia dans cet endroit de sa minute, que mes fonctions devoient
cesser le jour de la réception de vos lettres, c’est-à-dire le 15 de juin.

Franchement, Messieurs, nos conseillers icy et quantité d’autres personnes qui sçavent
par cœur le contenu de la lettre de la Compagnie au Conseil, et ce que celle de même date que
j’ay reçue contient aussy, trouvent de l’une à l’autre tant de contradiction, qu’ils ne peuvent
croire que vous en ayés eu la moindre connoissance et se persuadent que vous les avés signées
sans les voir, à peu près comme on signe un contrat de mariage sans le lire lorsqu’on y est
invité.

Le surlendemain 17 juin, Mr Magon, charmé de faire éclater le mépris de la Compagnie à


mon égard, convoqua chez luy tous ceux employés icy dans le génie et leur déclara que mes
fonctions ayant cessé le 15e, selon la lettre de la Compagnie qu’il lut, je n’avois plus à me
mêler des travaux et que désormais ils n’avoient aucun compte à m’en rendre.

Cela ne les empêcha pas de devenir tout de suite chez moy, me marquer la douleur qu’ils
avoient de ne plus servir sous mes ordres.

Je dois aussy à chacun d’eux les témoignages de la plus grande assiduité qu’ils ont eue en
faisant exécuter les diférens ouvrages dont je les chargeois. Ils méritent par leur conduite, et
par l’intelligence qu’ils ont acquise dans une profession qui ne peut s’exercer icy qu’avec des

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peines infinies, bien diférentes, à tous égards, de celles de Mrs les officiers de plume et d’épée,
ils méritent, dis-je, toute la bienveillance de la Compagnie.

Je connois déjà à ce sujet les sentiments de Mr Desforges. Je suis bien persuadé, de la


probité dont-il est, qu’il entretiendra parmy eux, comme parmi les diférens états qui
composent la colonie, cette union si désirable, au lieu de la division que son prédécesseur se
plaisoit tant à semer, non seulement parmi ceux qui servent sur terre et sur mer, mais même
dans toutes les familles.

Je remets au Sr Dulacq qui va s’établir au Grand-Port, à la place du Sr Desny, les


desseings particuliers des batteries qu’il y a à faire.

Je laisseray au Sr Dubreuil le plan et le profil de l’aqueduc neuf pour le passage


seulement de la Grande Ravine au Ris. C’est icy la besogne qui demandera le* plus
d’attention quand on la reprendra. Le nivellement le plus exact qu’il m’a esté possible de faire
moy-même de cette ravine de 50 et tant de toises d’étendue luy sera fort utile. Et je luy
recommande de le répéter plusieurs fois, quelque peine qu’il y ayt, tant il est indispensable
d’opérer juste, avant que d’établir les doubles arceaux. Je luy laisseray aussy le desseing d’un
regard tel qu’il doit estre exécuté dans les distances et les endroits qu’il jugera le plus
convenable.

La Vigne, qui est un sujet impayable par ses mœurs, par son intelligence et par son
assiduité sur le travail, conduit le grand corps double des cazernes. Il en a les plans et les
profils que la Compagnie recevra quelque jour, ou pour le mieux, comme je l’ay conseillé à
Mr Desforges, d’en faire le modelle en bois et de vous l’envoyer.

Mais ne vous attendés pas, Messieurs, à voir les cazernes à la façon de celles de Lorient,
qui ne sont que des cahutes, espèces de maladrerie de l’ancien temps. Je ne bâtis point pour un
Etat, pour une célèbre compagnie dans ce goût-là.

Il s’agissoit icy de cazerner solidement, commodément et proprement, mille hommes de


garnison et quelques officiers, et de renfermer cette troupe comme dans un séminaire. De
toutes les dépenses nécessaires, corps de garde, prison, cachot, cuisines banales des deux
côtés, dont je viens de faire les desseings que je laisseray, ce qui m’a le plus excercé, ce sont
les latrines pour tant de monde. Je compris qu’en m’obstinant à vouloir conduire les matières
fécales à la mer par des conduits voûtés sousterrains de 72 toises de longueur, ce seroit une
aussy longue et dispendieuse qu’inutil besogne, à moins que d’avoir, ce qui ne se peut icy, un
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puissant véhicule à ces matières, un torrent d’eau qui les entraîne, sans quoy elles
s’accumulent à l’entrée de la conduite, elles y regorgent et rendent un quartier insuportable,
comme l’estoit l’hôpital avant que j’eusse fait la citerne et le bassin à laver, au milieu de la
cour.

Je me suis donc déterminé pour nos cazernes à faire la fosse des deux latrines en puits
perdu dont la profondeur doit dépendre de la lesse de la plus basse mer par un coup de niveau
qu’il sera fort aisé d’y donner. J’en ay remis au Sr La Vigne le plan et le profil.

Voilà, Messieurs, pour ce qui concerne seulement la Compagnie, ce qui n’a pas laissé que
de m’occuper depuis que mes fonctions ont cessé. Quant au plan du* terrain à relever avec la
plus grande précision, vous jugerés aisément que je ne me trouvois plus en situation de vous
contenter à cet égard, et tout aussy peu à dessiner des plans, à vous en envoyer des copies et
en laisser au greffe.

Mais je ne sçay si vous ne trouverés pas dans le cours de ma lettre quelques-unes de ces
idées jettées sur le papier qui pourroient estre utile à la Compagnie. Quoyque je sois bien
persuadé qu’elles ne trouveront pas plus de faveur auprès d’elle, qu’en ont trouvé depuis 3 ans
tant d’autres idées, tant de desseings, tant d’états de dépense que je me suis inutilement donné
la peine de former et de luy adresser, lorsqu’elle me devoit tout au moins la grâce de me
marquer ce qu’elle pensoit, entre diférens objets, d’un employ de 105 545 L. monnoye de
l’isle porté sur les grands livres de régie pour une cahute de bois qui renferme un moulin à
ciment.

Que dois-je augurer de cette indiférence pour un article de cette espèce, pour une batterie
portée sur les mêmes livres, au quintuple de ce qu’elle a coûté ?

Permettés moy, Messieurs, de tourner la phrase. A quels reproches, à quel juste


resentiment de la part de la Compagnie, ne me serois-je pas exposé, si comptable de ses
derniers, et chargé tout à la fois de fortifier l’isle de France, j’eusse esté capable d’évaluer
cette même cahute de bois, seulement à 50 milles L. monnoye de l’isle, et qu’un Sr Bouvet
vous eût prouvé clairement parmi bien d’autres infidélités, que je n’y aurois dépensé
qu’environ 6 mille L. ? La diférence à 50 mille est frappante.

La Compagnie s’en seroit-elle tenue au bout de 3 ans à luy marquer, qu’elle ne le suivra
pas dans ce que ses lettres renferment, et pour prix de ses servives, eût-elle ordonné au

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Conseil Supérieur de luy détacher l’ambassade d’un huissier pour l’obliger à arrêter son
compte ?

L’argument est un peu fort, mais il ne prouve pas, j’en conviens, que cette équitable
compagnie se serve de deux poids et de deux mesures.

Le cours ordinaire des événements de cette vie est si rempli de contradictions sur le
même objet, la partialité à des ressorts de tant d’espèces, les préjugés ont tant de pouvoir sur
les esprits, qu’on ne doit pas être étonné que les Aublet, les Bouvet, soyent exaltés jusqu’aux
nues, et les Cossigny anéantis. D’accord de tout. Mais le public, ce juge de tout temps si
redoutable, que pensera-t-il ? C’est ce qui reste à sçavoir.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obeissant serviteur.

COSSIGNY

Quelques jours après la cession de mes fonctions, Mr Magon, informé par ma protestation
remise au Conseil, que si le Grand-Port n’estoit pas fortifié, comme il devroit l’estre, c’estoit
d’avoir tenu un nombre excessif d’esclaves au Réduit aux ordres du Sr Aublet, au lieu d’en
avoir envoyé une centaine au Sr Desny, avec lesquels en suplément il eût satisfait à tout.

Ledit Mr Magon, pour infirmer ce que j’avançois, prit le parti d’aller au Grand-Port suivi
de deux acolythes logés, nourris chez luy, et dévoués à toutes ses volontés.

Arrivé au Grand-Port, il témoigna beaucoup de satisfaction au Sr Desny des ouvrages


faits. Jamais il ne l’avoit tant caressé, ni promis de l’obliger. Il luy demanda enfin s’il n’avoit
pas assés d’esclaves pour finir le projet des batteries, et s’il n’avoit pas besoin de quelques
ouvriers blancs, comme maçons, tailleurs de pierre, &a.

Ledit Sr Desny luy répondit qu’il avoit toujours eu assés d’esclaves s’ils n’avoient esté
presque continuellement appliqués à tout autre usage qu’à la fortification, et qu’à l’égard des
ouvriers blancs, il les employeroit strictement si on luy en envoyoit avec un nombre de Noirs
pour les travaux. Delà, Mr Magon, ne saisissant que la moitié de la réponse, se tournant vers
ses deux acolythes : « Vous voyés, leur dit-il, que cet ingénieur convient qu’il a toujours eu
autant d’esclaves qu’il luy en faloit, et qu’il ne luy a manqué que des ouvriers blancs que Mr
de Cossigny auroit dû luy envoyer.»

50
Charmés les uns et les autres de cette belle réponse tronquée, ils revinrent icy. Le bruit fut
bientôt répandu que l’ingénieur du Grand-Port estoit convenu qu’il n’avoit jamais manqué
d’esclaves pour ses ouvrages. Et 2 jours après que 10 ouvriers furent envoyés au Grand-Port,
j’écrivis sur-le-champ au Sr Desny pour l’informer de ce qui se débitoit icy, pour sçavoir de
luy ce qui en estoit au vray, et je le priois aussy de m’envoyer incessamment le toisé de toute
sa pierre de taille mise en œuvre.

Cet ingénieur, qui ne se doutoit de rien lorsque Mr Magon l’interogeoit*, me fit la


réponse suivante dont je garde l’original.

Du port Bourbon, 12 juillet 1759

Monsieur,

Je suis au désespoir de vous avoir fait tant attendre le toisé de la pierre de taille. Mais le
mauvais temps et le vent impétueux qu’il a fait depuis plusieurs jours ne permettoient pas
l’approche du l’islot de la Passe. Je vous envoye le tout aujourd’huy avec assés d’exactitude.

Vous pouvés, Mr, estre persuadé que je prouveray partout que je ne suis pas seulement en
état de faire la batterie de la Pointe du Diable, tant par le manque des Noirs des travaux de
terre* que de ceux de la marine. Je manque icy de batteaux, le peu que j’en ay coule bas. Je
n’ay ni cordage, ni bray, ni cloux pour* rétablir. On me promet le tout au départ de l’escadre,
mais actuelement on ne transporte pas un moilon, ce qui arrive toutes les fois que nous avons
un vaisseau dans le port. Les lascars19 ou* autres de la marine ne sufisant pas pour les
chargements, il* faut tirer les Noirs des travaux de terre.

De plus la manutention et arimage des magazins, le service de l’hôpital, le bois à feu qu’il
faut aller chercher, le ris en paille à émonder et qui crève nos esclaves, la pêche, comme* les
Noirs du troupeau de la Compagnie, ceux du moulin, de la* loge et de la boulangerie, le
transport des grains tirés de Flach, les moulins à bras lorsque celuy à vent ne roule pas, les

19
Lascar : matelot indien, embarqué sur les navires de l’océan Indien.

51
malades, tout cela compose un grand nombre de Noirs qui ne peuvent servir aux travaux de
défense.

Je travaille à un dépouillement de tout. S’il n’est pas fini avant votre départ, j’auray
l’honneur de vous l’envoyer bien circonstancié pour faire honneur à la gestion dont vous
m’avés chargé.

Je suis, &c.

Signé : DESNY

Je luy récrivis pour luy marquer que sa réponse du 18 juillet ne détruisoit point l’aveu
qu’on prétendoit icy qu’il eut fait à Mr Magon, qu’il avoit toujours eu assés d’esclaves ; qu’il
me feroit plaisir de me dire ce qui en estoit ; qu’au reste, il se gardât bien de m’envoyer après
mon départ son état de dépouillement dont je n’avois que faire ; mais qu’il me feroit plaisir de
m’envoyer le plan de la batterie de Bourgogne puisqu’elle estoit entièrement finie et que
j’estois bien aise de le comparer au plan du projet.

Voicy la copie de la réplique que cet ingénieur me fit.

Du port Bourbon, 27 juillet 1759.

Mr, faute d’occasion je n’ay pu répondre plutôt à la lettre que vous m’avés fait l’honneur
de m’écrire, le 18e du courant.

J’ignore Mr ce qu’on a débité dans votre loge. Mais voicy ce qu’il y a de vray. Mr Magon
paroissant satisfait des travaux, me demanda si je n’avois pas assés d’esclaves pour les
ouvrages qu’il y avoit à faire icy.

Je luy répondis que j’en avois, et aurois toujours eu assés pour exécuter tous vos projets
de défense, si la plus grande partie de ces esclaves, n’estoit journellement employée à tout
autre usage qu’à ce qui s’appelle fortification, et je luy dis que je luy en ferois voir l’employe
par un état détaillé.

Je ne vois pas que Mr Magon, ni qui que ce soit, puisse inférer de ma réponse que j’avois
icy assés d’esclaves pour sufire à tout.

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Comment, Mr, aurois-je pu avancer que j’en avois assés, puisque dez qu’il y a seulement
un vaisseau dans notre port, ce qui arrive très fréquemment, il ne me reste, ni hommes, ni
batteaux, pour faire transporter les matériaux* sur les atteliers.

Quant aux Blancs, Mr Magon me demanda si j’en aurois besoin. Je luy dis que si l’on
m’en envoyoit, soit maçons, soit tailleurs de pierre, je trouverois à les employer, ne fût-ce
qu’à préparer des matériaux.

J’auray soin de vous envoyer le plan de la batterie de Bourgogne qui est finie, où vous ne
trouverés aucune diférence avec celuy que vous avés.

Je manque de tout à présent, cloux, voile, suif, bray, cordage, fers de diférente qualité,
étaux, souflets de forge, batteaux propres aux transports. Tous les cordages que l’on
m’envoye sont refoits à votre port, et ne peuvent résister aux fortes brises qu’il fait icy.

J’ay l’honneur d’estre, &c.

Signé : DESNY

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Le comte d’Aché
Commandant l’escadre de la mer des Indes

54
D’Aché au contrôleur général

Au port Louis, isle de France, le 13 juillet 1759.

M. le contrôleur général

Monseigneur,

Je reçois dans le moment une nouvelle marque de tracasserie qui est trop forte pour que je
ne vous en demande pas la justice qu’elle mérite. M. de Mondion, commissaire en chef de
l’escadre, a jugés à propos de mettre aux arrêts MM. de Courcy et de Querdisien, tous deux
commissaires sous ses ordres. Et pour cela, a cru devoir réclamer par écrit mon authorité pour
leur enjoindre de garder jusqu’à nouvel ordre la maison de campagne du gouverneur où ils
sont établis depuis longtems. M. Magon n’a rien eu de plus pressé que d’écrire à ces deux
MM. la lettre cy-jointe n° 820. Jugés je vous prie, Monseigneur, si je suis fais pour essuyer les
propos indécents dont elle est remplie, et si je puis tenir à voir ainsi avilir en quelque façon
mon état et mon grade par les indignités dont on m’accable à tout instant.

J’ay l’honneur de vous envoyer en même tems la copie de la lettre que j’ay reçue de M.
de Mondion au sujet de ces deux MM. Vous y verés, Monseigneur, que j’ay été forcé de
souscrire aux ordres qu’il leur a donné pour ne pas arrêter mal à propos les traveaux pressant
de l’escadre.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Le comte d’ACHE

P. C. M. de Mondion vous rendra compte, Monseigneur, de tout ce qui s’est passé entre
lui et MM. de Courcy et de Querdisien. Aussi je ne vous en parle point, si ce n’est que le
mémoire de ces deux MM. est extrêmement violent, et que la lettre qu’ils m’écrivent m’a
surpris à un point que je ne puis vous l’exprimer. Il est bien malheureux, Monseigneur, que
tout le monde n’ait été occupé qu’à ce former des tracasseries, et* que le bien du service en ait
autant souffert. A l’égard de M. de Mondion, je dois lui rendre la* justice qu’il mérite, et je
puis dire qu’il a toujours été occupé du bien des affaires du roy.

20
Elle se trouve en faite à la page 34.

55
Copie de la lettre de M. de Mondion à M. le comte d’Aché

À l’isle de France, le 9 juillet 1759.

Monsieur,

La répugnance que vous m’avés marquée à concourir de votre autorité à la justice que je
vous ay demandée de MM. de Courcy et de Querdisien, après le libelle diffamatoire qu’ils
viennent de remettre au greffe du Conseil supérieur de cette isle contre moi, et dont je vous ai
donné communication, et cette dernière violence de leur part ayant consommé leur
insubordination et leurs procédés. La répugnance, dis-je, que vous m’avés témoignée à les
arrêter, m’a entièrement déterminé à en aller porter mes plaintes moi-même en France au
ministre de la Marine. En conséquence je vous remets, Monsieur, le détail de commissaire en
chef à la suitte de l’escadre dont j’ai été chargé jusques à présent, et vous le ferés remplir par
qui vous jugerés à propos. Je vous demande votre agrément pour passer d’icy à Bourbon sur
un des vaisseaux de votre escadre, et je me flatte que vous aurés la bonté de me l’accorder.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Signé : MONDION

56
D’Aché au contrôleur général

M. le contrôleur général

Au port Louis, isle de France, le 13 juillet 1759.

Monseigneur,

Je dois présumer que les lettres que j’ay eu l’honneur de vous écrire par la frégate la
Diligente, ou les duplicata expédiés du cap de Bonne-Espérance, vous sont parvenus. Ainsi je
pars de cette dernière époque pour continuer les détails peu agréables de ma position à l’isle
de France.

Le départ de M. le chevalier de Ruis pour le cap de Bonne-Espérance avec la majeure


partie de mon escadre, et presque tous les gens de mer qui alloient périr exactement de faim
dans cette colonie, n’a pas empêché que ceux qui y sont restés, n’ayent eu beaucoup à souffrir
de la disette générale où nous étions de toutes choses. Nous avons cependant employé
utilement ce tems de misère à radouber nos vaisseaux, à racommoder nos mâtures, la mienne
surtout étoit criblée de coups de canons. Nous n’avons pas perdu un instant pour remettre le
moins mal qu’il étoit possible nos vaisseaux délabrés par dix-huit mois de navigation et deux
combats. J’ay trouvé beaucoup de ressource dans la capacité et l’activité du Sr Maingard,
capitaine du port, et son second, le Sr Deslomchamps. Mais la colonie m’a peu secouru, les
nègres dont j’aurois eu besoin pour ces traveaux continuels, ne m’ont point été fournis.

Ce sont mes matelots mal nourris et tous nuds qu’on* a excédé d’ouvrage, et par une
fatalité qui me suit constamment depuis mon départ d’Europe, je n’ai éprouvé que des
difficultés, des fourberies, des chicanes et des mauvais procédés dans cette isle comme aux *
le même esprit, la même politique et conséquemment les mêmes mortifications pour moi qui
me suis sacrifié* si entièrement aux succès de l’expédition dont je suis chargé et qui ne pense
qu’au bien de l’Etat et à celui* de la Compagnie. Ce n’est point icy, Monseigneur, la
déclamation d’un homme fatigué d’une longue mission et excédé de misère. Mon attachement
pour le roi me soutient contre ces malheurs et je dois être familiarisé avec la disette et la
famine. Mais je ne m’accoutume pas à la mauvaise volonté et aux procès*continuels. J’aime
la guerre en militaire, mais je déteste les conduites tortueuses et ces rafinements qui*
masquent les plus noires intentions sous la couleur du* zèle et de la prévenance. On débute
dans ce pays par promettre et offrir tout, mais on ne veut pas le faire* sincèrement. Ainsi les
mesures sont toujours prises de façon qu’en présentant des facilités, on ne fait rien* que des
57
obstacles et de l’impossibilité. Une chose pas* praticable, on croit pouvoir y compter, mais en
avant on voit que quelque moyen essentiel a été totalement négligé, ou on suscite quelques
difficultés imprévues,* écrire, disputer, batailler, revenir sur ces pas ou même renoncer à son
projet. Je n’ai ny le tems ni la force* de faire des volumes et il en faudroit pour prouver en*
détail ce que j’ay l’honneur de vous dire. Il faudroit encore des témoins plus justes et plus
impartials que les* gens auxquels j’ai affaire, pour prouver l’esprit de conciliation et de
condescendance que j’ay porté dans les procédés personnels et dans les affaires du service, et
l’oublie des mauvais services qu’on m’a rendus, même des indignités que j’ay essuyées, et
cette malheureuse fatalité que j’ay comme tous les honnêtes gens, à suposer dans les
personnes en place de la droiture et de bonnes intentions. On veroit alors ce que c’est que
cette campagne où je ne puis véritablement regarder les Anglais comme les plus grands
ennemis que j’aye eu à combattre.

Passé moi, Monseigneur, ce début qui sent un peu l’humeur et le chagrin, ma position
actuelle ne me permet pas d’être insensible. Je vais entrer dans un détail qui vous prouvera
que c’est l’intérest de l’Etat, celui de la Compagnie et la gloire des armes du roi, qui sont
l’unique cause de mes peines présentes. Il ne m’est pas possible de n’être pas pénétré de
douleur quand je me vois traverser dans des objets si précieux à mon cœur et si intéressant
pour ma façon de penser.

Le succès de l’expédition du Cap et l’arrivée prochaine d’un puissant secours de vivres


annoncés en mars par une frégatte que M. le chevalier de Ruis me détacha, et qui fut suivie
des flûtes chargées de bled et de vin, me firent espérer qu’il ne me resteroit plus d’obstacles à
surmonter pour passer à la côte, que le deffaut d’agrets et le peu de bray que nous avions ici
pour les carennes indispensables de quelques vaisseaux de cette division. Ayant ainsi de quoi
mettre l’ouvrage en bon train, je présumois que pour peu qu’il nous parvint quelques
vaisseaux d’Europe sous deux mois, je serois en état de sortir de l’isle de France en juin,
pourvue que le gouvernement intérieur se prêta à mes vues. [Dans la marge : plainte contre le
service]. Il n’est espèce d’amitié, ni de bons procédés que je n’aye mis en usage auprès du
gouverneur pour l’engager à m’aider dans ce qui dépendroit de ses soins, mais les ressources
mêmes que l’isle produit comme bois et fer n’ont jamais été fournies suivant les besoins et la
célérité des traveaux, quoiqu’ils fussent demandés depuis longtems et* qu’on ait eu un grand
intervalle pour s’en pourvoir, et que j’eusse pressé dans le tems sur ces articles pour lesquels
on* me promettoit entière satisfaction, comme pour le reste. Mais les carennes des vaisseaux
du Cap n’en ont pas moins été retardées, tantôt par le deffaut de cloux, tantôt par celui de
58
bordages ou de doublages. Le Centaure n’a pu* être abattu en quille que le 17 juin et nous
n’avons cependant eu de toutte cette division que le Vengeur et de* carenner. À l’égard du
cordage, après un recensement exact des vaisseaux de mon escadre, j’ay tout partagé sans*
aucune distinction, les vaisseaux du roi et le mien propre n’ont eu aucune préférence. Mais
excédé de voir que nous n’avions pas à beaucoup près le nécessaire, je fis fouiller un jour au
dépourvue tous les bâtiments de côte* et ceux qui étoient désarmés. On y trouva beaucoup de
manœuvre cachées dont je m’emparai d’authorité et qui ont utilement servie. J’en ay icy joint
l’état afin que vous jugiés de l’intelligence et de la bonne volonté de l’homme avec lequel j’ay
eu à traitter. [Dans la marge : Idem]

La confection du biscuit, pour laquelle on me fesoit croire* qu’on prenoit des mesures
dès le départ de M. de Ruis, s’est considérablement retardés par le deffaut de précaution et des
négligences criminelles dans la circonstance. Je ne croirois jamais qu’ayant eu tout le tems
nécessaire on n’a* pas voulu faire construire quelques moulins de plus, mais ce* qui est
encore plus inouï, c’est que des moulins qui sont au bord de l’eau et dans le port ne vont
point, tantôt, dit-on, faute de bled, dont il y a des flûtes chargées dans le port même, tantôt
faute de sacs dans le tems qu’il y en avoit 300 pleins dans l’Hermionne, qu’on pouvoit
voiturer dans une demi-heure aux moulins.[Dans la marge : Idem] Un moulin à l’eau qui est
le seul qui puisse fournir abondament a été retardée dix jours pour une petite avarie qui
pouvoit être aisément réparée en 24 heures. Ainsi contrarié de toute part, nous avons été trois
semaines à faire 45 000 de biscuit qui n’est que l’armement d’un seul vaisseau pour trois
mois, parce qu’avant que je me fusse instruit de ce retardement et que j’y eusse mis ordre, les
semaines s’écouloient à prier, à presser, à écrire et à faire des démarches. C’est dans cet
intervalle et dans les moments où je portois tous mes soins à la plus prompte expédition des
vaisseaux que M. Magon, dont je recevois d’ailleurs des marques extérieures d’amitié et de
politesse, me fis remettre le mémoire cy-joint n°1, dont les détours et l’énoncé tortueux me
firent ouvrir les yeux sur des intentions que je n’avois pas cru devoir soupçonner. L’abandon
total qu’il me fait des moiens et des ressources de la colonie me frapa d’autant plus vivement
que c’étoit précisément dans l’instant où, désespéré des contre-tems successifs, je
commencois à prendre de la défiance et à montrer de l’humeur. Ma réponse à ce mémoire est
un fidèle tableau de ma position, quoique ce ne soit qu’un extrait, car il faudroit une rame de
papier pour énoncer en détail chaque contrariété dont la discution a emporté deux, trois jours,
une semaine de retardement. Aussi n’a-t-il pu répliquer à cette pièce dont la vérité l’a sans
doute térassé, et il n’a pas tardé à me donner la preuve la plus indécente de sa véritable façon

59
de penser.[Dans la marge : Procédé contre M.* d’Aché et contre le service] Il part pour la
campagne et dans son absence je donne ordre au capitaine du port de faire embarquer les
jumelles pour les mâts et des mèches de gouvernail, ces pièces essentielles à des vaisseaux qui
vont combattre dans un pays où il n’y en a absolument point, ne pouvoit être oubliées après
l’expérience que j’avois fais l’année dernière de la disette où on est à cet égard à la côte de
Coromandel. Cet ordre, dont copie est ci-jointe, est suivi de celui que M. Magon donna au
sieur Maingard. Il n’a pas fallu moins que mon attachement aux intérêts de la Compagnie et
ma considération pour la place de gouverneur et de directeur dans un de ses comptoirs, pour
ne pas éclater sur une impudence dont je demande une justice d’autant plus éclatante que je
n’ai pas formé le mot sur cette levée de bouclier.[Dans la marge : Demande justice] J’ay
même fait un secret au corps à la tête duquel j’ay l’honneur d’être, afin d’éviter des sçènes,
mais par la lecture de cette pièce insolente, vous vérés, Monseigneur, que soit par la ruse et
les détours, soit par la force, on a toujours prétendu dans ces climats se rendre maître de mes
opérations, les contrecarer et me* faire échouer partout. Il me seroit impossible de pénétrer
pourquoi des gens que j’ay toujours comblé d’amitié, et pour ainsi dire de déférence, me
traverse* avec tant de malignité. M. de Lally m’a joué les tours les plus sanglants, ou plustôt,
il a joué l’honneur des* armes du roi et le succès qu’elles auroient eu pour la marine*.

Le pouvoir énorme qu’il s’est arrogé et l’indépendance * croyent les autres, ont produit
avec le malheur de l’Etat des* mortifications continuelles pour moi. Traité à la côte et avec
plus que de l’indifférence, on m’a laissé personnellement manquer du nécessaire, quelques
égards momentanés et simulés sont tout ce que j’ay tiré de gens au-devant desquels j’ay
toujours été et qui me rendent justice sur les qualités de citoyen. Comblés des grâces de la
foule*, se fondent sans doute sur l’oubli dans lequel je paroist enseveli. Je n’ai pas reçu
depuis mon départ* d’Europe une lettre consolante des ministres du roy. La Subtile et le
Dromadaire viennent d’arriver, quelles fâcheuses inductions ne tire-t-on pas du silence qu’on
garde* avec moi, pas une lettre pour un officier général commandant ! On sent trop aux Indes
que je ne suis pas l’homme du jour, je m’entends presque menacer des plus puissantes
protections. Je ne puis, Monseigneur, vous rien dire là-dessus dans une lettre, si ce n’est
seulement qu’un caractère franc, ouvert et conciliant, n’est pas propre pour ces sortes
d’expéditions. Je sais conduire des vaisseaux et les faire battre, mais je vois clairement que je
suis très peu versé dans l’art de manier tant d’esprits différents et d’éviter les surprises. Je
demande mon rapel à M. de Berryer, il est apparant que j’aurai encore combattu les ennemis
du roi avant de recevoir ses ordres. Je forcerai les obstacles, la disette et pour ainsi dire la

60
nature, pour passer cette année à la côte. Dussai-je n’y avoir le tems que de combattre et
d’arrêter au moins les progrès des Anglais qui profitent malheureusement de nos divisions
intestines et du mauvais gouvernement. Ce combat livré par mon escadre, je vous préviens
qu’à moins de renforts d’Europe et de secours très forts en toutte espèce, il n’y a plus rien de
considérable à attendre de la marine des Indes ; agrets, mâtures, corps de bâtiment, équipages
tout cela exigera des réparations immenses et mettra hors d’état de sortir de ce port où nous
serons forcé de revenir. M. de Leyrit me mandant positivement que je n’ai aucune sorte de
secours à attendre là-bas, soit en vivres, soit en effets de marine, notre situation actuelle est
pitoyable dans tous les vaisseaux que j’ai ramené de la côte, que sera-ce après une action qui
sera certainement bien chaude, et que j’engagerai de près si j’en suis le maître ? Voilà bien
des véritées tristes, mais il ne me convient pas de vous les dissimuler. Il règne une grande
volonté dans l’escadre et je ne puis que me louer de la disposition générale où sont les esprits
pour passer à la côte. On se réduit, on se retranche, on se passe même du nécessaire sans
murmurer, et jamais je crois escadre ne fut ny plus mal équipée pour la guerre, ny plus
empressée d’y aller. L’affection de la marine de la Compagnie ne s’est jamais refroidie pour
ces braves gens qui m’ont si bien secondé, m’aiment toujours et me suivent avec plaisir et
confiance, quoiqu’ils ne voyent comme beaucoup d’autre qu’un général persécuté, critiqué,
oublié, et je ne puis le dissimuler, un général disgracié.

Un nouvel incident me force d’ajouter encore à cette longue lettre. Je m’adressai le 27


juin au Conseil pour avoir au plus tôt le complet de nos équipages, et je le sommai* de faire
ses diligences pour m’expédier. M. Magon fit signer* la réponse à laquelle j’ay répondu par
apostilles en marge par une lettre où je reproche au conseil l’indécence avec laquelle* il
m’écrit. Cela m’a encore attiré une réplique de M. Magon aussi indécente que la première. Je
suis persuadé d’avance, Monseigneur, que vous me procurerés la* justice que j’attends de
l’insolence avec laquelle ce gouverneur a traitté avec moy. [Dans la marge : Procédé
injurieux demande une réparation éclatante*]

Ayés la bonté de lire ces lettres cy-jointes et jugés de l’impression qu’elles m’ont dû faire
de* la part d’un homme tel que M. Magon, que j’avois jusqu’alors* comblé d’amitié et de
déférence, et qui se servit de ma confiance* pour perdre tout. Son caractère ne s’est dévelopé
à mes yeux qu’au moment où je l’ai sérieusement pressé sur mon départ, mais si j’ay pu me
laisser tromper pour un tems par ses* protestations de zèle et de dévouement, je ne devois pas
être* désabusé par des invectives et le ton le plus indécent. La lecture des pièces cy-jointes
vous fera voir si j’ay droit de me plaindre. J’avois toujours cru jusqu’à présent que mon état,
61
mon âge et mes services, devoient me mettre à l’abry des hauteurs et des duretés de M.
Magon et de son* conseil. Je m’en rapporte à votre justice, Monseigneur, d’autant plus qu’il
m’en à bien coûté pour me contenir, et qu’il ne m’est pas échappé un seul mot désobligeant *
qui pût instruire le public, ou troubler un reste de correspondance nécessaire pour presser mon
départ. [Dans la marge : La pièce cy-jointe prouve que M. Magon a toujours agi seul.]

Je n’avois pas tort, Monseigneur, de vous citer plus haut combien l’oubli où on m’a laissé
feroit d’impression sur les esprits, en voicy de bonnes preuves. M. Magon, méprisé dans son
propre gouvernement, croit pouvoir me traitter sans ménagement, et le bien des affaires me
force de le souffrir.

Je ne puis vous dissimuler combien je suis excédé d’une campagne qui ne m’a pas laissé
un moment de tranquillité. J’ay actuellement un pied ouvert en cinq endroits, qui me tient sur
le lit et dans les remèdes depuis plus d’un mois. Je me rembarque en cet état et vais donner un
dernier coup de collier à la côte, après lequel je laisserai le commandement de l’escadre à M.
de L’Eguille qui pourra s’il le juge à propros hyverner à la côte de l’Est ou à celle de Malabar.
Je reviendrai à l’isle de France selon les circonstances avec un vaisseau de guerre, et pour
remplir jusqu’au bout une carrière de plus de trois ans de fatigues consécutives. Je prendrai
sous mon escorte les vaisseaux de la Compagnie qu’on pourra charger icy, et nous les
escorterons en Europe. Je souhaitte que ma santé altérée par les peines et les dégoûts,
soutienne encore cecy, et me permette de tenter le passage en Europe dans l’hyver. Je n’ai
rien fait jusqu’à présent pour ma fortune, la vie est icy d’une chèreté excessive, j’ay ruiné
Madame d’Aché en partant, et je retournerai insolvable.

Je viens d’être instruit que M. Magon, dans le tems qu’il me caressoit le plus, a fait des
observations à M. de Moras sur deux voyages du Cigne à Madagascar, cette ressource dont
tant d’autres auroient profité, ne m’a pas procuré dix mille francs, et méritoit peu les malignes
réflextions. Mais il faut bien que les méchants se développent en tout. Je suis donc en tout
genre la duppe et la victime de cette campagne où je n’ai trouvé que perfidies et traverses.
J’ay été à la dernière extrémité en venant d’Europe, et depuis balotté et pour ainsi dire baffoué
par MM. de Lally et Magon, j’ay perdus à mes côtés mes parents et mes amis, j’ay été blessé,
je n’ay vu que famine et procès. D’autres seront peut-être plus adroits et plus heureux. Mon
amour pour le roi ma soutenu et me fait encore tenter un dernier effort, qui est certainement
au-dessus de mes forces. Je désire* ardemment de joindre les ennemis, et de terminer mes
opérations militaires dans l’Inde par un combat que la* supériorité décidée à M. de L’Eguille.

62
Ce seul point de vue m’anime et m’encourage. Je ne pourrais, sans ces*, soutenir l’idée de
près d’un an de fatigue que j’ay eu à supporter, encore faut-il que mon vaisseau puisse faire la
traversée. Il est rompu, et si j’ay le bonheur de joindre les* Anglois, il est fort douteux que le
Zodiaque résiste à cette troisième épreuve, tant pour le corps du vaisseau, que pour la*
mâture, qui est jumelée dans toutte sa longueur.

Je finis, Monseigneur, cette ébauche de ma situation, tout* cecy est peu agréable, mais
n’en est pas moins vrai, et je* doutte que vous receviés des comptes plus consolants des*
officiers générales, à moins que ce ne soit de la part de gens qui ont intérest de déguiser tout.

Je suis avec un très profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Le comte d’ACHE

63
D’Aché au Comité secret

MM. du Comité

Reçu le 30 novembre 1759 par la frégate la Fidèle

Au port Louis, isle de France, le 13 juillet 1759.

Messieurs,

J’ay reçu la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire par le vaisseau le
Boullogne. Je suis bien sensible aux marques de satisfactions que vous paroissés me donner
pour ce que j’ay fait jusqu’icy dans l’Inde et à vos bonnes dispositions pour toutte la marine
en général. Vous me rendés bien justice de croire que j’ay toujours été guidé par un zèle
sincère pour vos intérêts et pour la gloire des armes du roy. Comptés, Messieurs, sur ma façon
de penser et d’agir, elle sera toujours la même, et j’espère que malgré tout vous me
reconnoîtrés tel que je suis et que je veux être.

Je commence à voir arriver bien des secours, un peu tard à la vérité, mais que faire ?
Cecy nous met toujours plus à notre aise. Je vois aussi avec un vrai plaisir tous les
mouvemens que vous vous donnés pour la réussite de notre besogne. Il est bien malheureux
que vos peines deviennent presque infructueuses, tant que vous ne pourrés pas inspirer dans
ce païs-cy les motifs qui vous animent si à propos, nous réussirons sans doutte, ou du moins,
nous n’aurons qu’à combattre les ennemis de l’Etat, devenus dès lors nos ennemis communs.

Je vous envoye cy-joint la copie de la lettre que j’écris à M. le controlleur général, elle
vous mettra au fait des traverses et des contretems que j’éprouve à* l’isle de France, et de
ceux que j’ay constamant essuyé* depuis que je suis aux Indes. Vous y verrés que mes*
bonnes intentions ont été toujours combattues par les* personnes qui devoient les seconder
avec le plus d’affection et de zèle. Votre confiance et l’authorité que vous aviés confiée à des
gens qui en abusent fort contre vos intérêts, sont les plus grands ennemis que j’aye eu à
combattre depuis mon départ d’Europe. J’ay cependant expédié partie de mon escadre avec
des* peines infinies, et malgré des chicannes perpétuelles, je compte mettre à la voile avec le
reste le quinze du mois.

64
Nous avons perdu M. de Laubry, commandant le Fortuné, et M. de Nœuville lieutenant
sur le Saint-Louis*. Au reste, Messieurs, la copie de la lettre que j’écris à M. le controlleur
général, vous fera voir plus au long ce que j’ay fait pendant mon séjour à l’isle de France.

J’ay l’honneur d’être au-delà de toutte expression, Messieurs, votre très humble et très
obéissant serviteur.

Le comte d’ACHE

65
Etat d’effets de marine

Reçu par la frégate la Fidelle le 30 novembre 1759

Etat des effets de marine trouvés dans les vaisseaux le Moras, le Duc de Berry, le Comte
d’Argenson, le Bourbon, la Reine, la Renommée, l’Hermione, et l’Utile, et réunis dans le
magazin de la marine le 9 juin 1759, après la visite faite à bord desdits vaisseaux par ordre de
Mr le comte d’Aché.

Savoir

1 câble de 11 pouces 70 brasses hors de service

1 d° …de…9..pouces..30 brasses…Idem

3 grelins 1 d°…de…8…………80…………Id.

1 d°…de…8………..120…….…..Id.

2 faux étays …….de… 8…………32………..

2 haubans ……...de…8 …………32……….

1 d° ...de…7 ½

2 d° …de 7

4 d°…de 6
9 amures
2 d°…de 5

1 d°…de 8
2 orins
1 d°…de 7

1 d° …de 7

8 drisses 2 d°…de 2½……de grand hunier

5 d°…de 3…… de basse vergues 66


1 guinderosse [i.e. guinderesse]…de 7 pouces…60 brasses

4 itaques [i.e. itagues] de grand huniers 4

4 garants de caillorne de 3½

2 d° …de 5……40…de grande vergue*

2 d°…de 4½…..40…Id.

15 écoutes 6 d° …de …5……de hune

1 d°…de 5 ……… de misaine

4 d° …de 4 ……..Id.

6 haubans de péroquet de fougue

16 galhaubans de mâts d’hune de 4 pouces à 4½

2 étaits de mâts d’hune

2 pantoires

2 pantoires de candelette

2 drailles de focq

1 bosse debout

1 garniture d’haubans de 5 pouces et ½

2 garants de capon

1 baratte

1 martinet de vergue de 2 pouces ½

1 pièce de cordage de 7 pouces ½ 120 brasses

55 depuis ……………6………½ jusqu’à 2 pouces

1 pièce de kais*

68 pièces ½ quarentunier depuis 118 jusqu’à 6 fils

67
1 pièce de drosse de Berry

13 d° lignes d’amarage

16 d° de luzin

144 manoques de bitord

3 pièces de lignes de soude

150 livres mèche à canon

18 pièces toile à voile de cachemire

1d° à voile de 50 à 60 à 3 fils

300 livres de soulphre

315 livres cloux à calfas et autres

1 barique de bray gras

1½ de bray sec

1 baril idem

⅓ de baril de gauldron

2 avirons

50 seillots

1 vielle aussière de 6 pouces………120 brasses

1 boud idem………de 9 …………….. 24………

1 grande drisse

1 drisse de misaine

2 grandes écoutes

2 grandes amures

2 écoutes de grand hunier

68
2 d° de péroquet de fougue

2 d° de misaine

2 d° de petit hunier

1 drisse d’artimon

2 amures de misaine

Autres effets trouvés à bord de l’Hermione dans une seconde fouille

11 pièces de cordages de 5 à 2 pouces et de 120 à 301*

5 d° de quarentuniers en 18 fils

100 livres de bray gras

50 pots de gauldron

69
D’Aché à la Compagnie

MM. les directeurs

Reçu le 30 novembre 1759 par la frégatte la Fidèle

De Madagascar, le 31 juillet 1759.

Messieurs,

Je suis enfin parti de Maurice le 17 de ce mois, malgré des contrariétés perpétuelles et la


mauvaise volonté du gouvernement intérieur de cette isle. J’ay fait route pour Bourbon avec
M. de L’Eguille, le Centaure, la Silphide et la Fidelle ; j’y ai mouillé deux jours après, pour y
prendre à la hâte le peu de monde et de provisions qui nous y attendoient. Il ne m’a pas été
difficile de faire la différence des deux hommes auxquels j’avois successivement à faire. M.
Bouvet, toujours zélé pour le bien de la chose, et connoissant d’ailleurs par expérience tout ce
dont des vaisseaux peuvent avoir besoin, s’étoit précautionné d’avance. Volailles, bœufs,
quantité de raffraîchissemens, tous nous à été fourny aussi abondamment que le pays le
permet. Et enfin je songeois déjà à mettre à la voile pour aller joindre le reste de mon escadre,
quand l’Hermione que j’avois laissée à l’isle de France pour y completter son chargement et
ramasser le reste de nos équipages, qui étoient restés à terre, m’apporta avec la nouvelle du
triste état où on l’avoit laissée partir, sans monde et sans vivres, la confirmation de touttes les
indignités que je venois d’essuyer pour l’armement de mes vaisseaux. Je ne puis, Messieurs,
m’empêcher de vous mettre encore sous les yeux ce dernier trait de violence qui met le
comble aux procédés injurieux et criminels qu’on a exercés contre moy et contre l’Etat.
J’étois convenu avec M. de St-Jean, commissaire de la marine à l’isle de France, de prendre
sur les vaisseaux nouvellement arrivés d’Europe le même nombre de matelots que je laisserois
malades à l’hôpital. Je me complettai à l’instant, pour ne pas retarder mon départ, mais à
peine étois-je à là * que le capitaine de l’Hermione reçut un ordre signé de M. Magon et de
St-Jean, dont j’ay l’honneur de vous envoyer copie cy-jointe n° 921. En conséquence on avoit*
pris à bord de ce vaisseau dix hommes choisis, que le Vengeur avoit laissé pour travailler à
nos boulangeries, jusqu’à ce que je fusse sur le point de partir. Vous jugerés par* la lecture de
cette pièce odieuse et insolente, si j’ay pu voir avec tranquillité insulter ainsi à mon grade,
trahir ouvertement les intérêts du roi et de la Compagnie. M. Magon, il est vrai, avoit été

21
En fait cette lettre se trouve page 27.

70
malheureusement le maître de me refuser tous secours, d’arrêter mes opérations cette année,
et il n’y a que trop bien réussi, mais je n’avois pas encore dû m’imaginer que la haine qu’il*
nourrissoit contre l’Etat fut assés généralle, pour que* je pusse être exposé jamais aux insultes
atroces d’un homme tel que lui. C’est à vous, Messieurs, à décider sur une suitte de procédés
aussi infâmes et dont je demande une justice d’autant plus compte que de pareilles indignités
sont jusqu’icy sans exemple.

J’ay continué ma route le 22 et j’ay heureusement arrivé en trois jours et demie à


Madagascar où j’ai* joins le reste de mes vaisseaux, à plusieurs desquels étoit déjà arrivés des
accidents fâcheux fautte d’agrets* et de ustancilles nécessaire pour les réparer. Malgré cela je
compte pouvoir mettre à la voile le premier jour* du mois prochain. Il ne me reste qu’à
trouver les ennemis pour les combattre et donner au roi cette dernière marque de mon zèle et
de mon amour pour l’intérêt de la Compagnie. Dieu veuille que je réussisse, on en a grand
besoin.

J’ay mis à même le gouvernement de l’isle de France d’expédier cette année plusieurs
vaisseaux de charges pour l’Europe, rien ne doit y mettre obstacle. Il arrive de tout dans les
bâtiments qui ont été relâcher à la côte du Brésil. J’ay laissé dans cette colonie une quantité de
matelots suffisante. Ainsi je compte que la Compagnie ne differrera pas à l’arrivée de ses
vaisseaux, de nous les renvoyer aussitôt, pour nous empêcher de nous revoir dans l’état de
misère d’où nous venons de sortir.

Je dois aussi vous marquer ma satisfaction, Messieurs, sur tous les bons services qu’a
rendu au roi et à la Compagnie M. de Lavalle, officier de la côte, qui avoit été chargé de
veiller à l’approvisionnement de l’escadre à Madagascar. Nous devons notre prochain départ à
tous les soins qu’il s’est donnés, et je ne crains pas de dire que sa capacité et sa vigilence
viennent de supléer en quelque sorte à l’indolence et à l’impéritie des gens de l’isle de France.
Il n’y a rien d’exagéré, Messieurs, dans tout ce que j’ay l’honneur de vous dire de cet officier,
c’est réellement lui qui nous fait partir.

J’ay l’honneur d’être au-delà de toutte expression, Messieurs, votre très humble et très
obéissant serviteur.

Le comte d’ACHE

71
D’Aché à la Compagnie

MM. les Directeurs de la Compagnie

Reçu* le 30 novembre 1759 par la frégatte la Fidèle

De Madagascar, le 31 juillet 1759.

J’ay eu l’honneur de vous mander, Messieurs, la satisfaction que j’avois eu en général de


tous mes capitaines. Mais j’ay celle de vous représenter que MM. Mahy et de Becdelièvre,
tous deux commandant chacun un vaisseau, se sont très distingués. Ils ne sont que premiers
lieutenants, et ils méritent que vous les fassiés capitaine. De même que ceux dénommés cy-
après qui servent de capitaine en second dans les vaisseaux de guerre.

Capitaines en second, ou en faisant fonction sur les vaisseaux de l’escadre.

Messieurs,

Trémolières ...............sur le Vengeur

Nogués………………sur le Duc d’Orléans

Le Maître de Monlue …sur le Fortuné

Jouanne ……………… sur la Bourgogne

De Gennes……………. le Comte de Provence

Caro……………………le St-Louis

La Bretonnière……….. le Centaure

J’ay l’honneur d’être au-delà de toutte expression, Messieurs, votre humble et très
obéissant serviteur.

Je vous recommande, Messieurs, M. de Lostie, embarqué depuis France avec moy.


C’est un excélent sujet, il est premier lieutenant, mais il n’est pas sur le tableau, je vous prie
de lui accorder cette grâce que je regarderai comme personnel.

Le comte d’ACHE

72
D’Aché au contrôleur général

M. le contrôlleur général

De Madagascar, le 31 juillet 1759.

Monseigneur,

C’est de tout mon cœur que je vous fais mon compliment sur la justice que le roi vient de
vous rendre en vous nommant contrôleur général de ses finances. Je me flatte que vous me
continurois l’honneur de votre amitié. Je la mérite par l’attachement sincère que je vous ay
voué pour la vie. Vous verrés par touttes les pièces que je vous adresse, combien j’ay de sujets
de me plaindre de M. Magon, gouverneur de l’isle de France. Tout ce que je puis vous dire,
c’est que le bien du service, mon amour pour le roi et mon attachement pour la Compagnie,
m’ont toujours retenu, et qu’il m’a fallu une patiance à toutte épreuves pour ne pas éclater au
vis-à-vis d’un homme qui m’a manqué essentielement. La protection dont il compte que vous
l’honoré, lui fait tout oublier. Je vous en demande justice et telle qu’on ne la peut refuser à un
homme de mon rang, de mon âge, et à mes services. [Dans la marge : Procédés injurieux et il
demande justice]

M. Bouvet à qui j’ay donné un ordre pour passer en France et que je charge de porter mes
paquets, vous rendra compte de mon départ pour* Madagascar et de la position de l’escadre
du roy. C’est un excélent sujet dont la valeur et les services qu’il vient de rendre dans mes
deux combats mérite des grâces marquées et l’honneur de votre protection.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

Le comte d’ACHE

73
D’Aché à la Compagnie

MM. les directeurs de la Compagnie des Indes

Copies des lettres de Mr Desforges à Mr le comte d’Aché, et du conseil de marine assemblé le


4 décembre 1759.

[Desforges au comte d’Aché]

À l’isle de France, le 3 décembre 1759.

Monsieur,

Plus j’examine la position critique de cette colonie, dont vous avés, comme moy, une
parfaite connoissance, et plus je considère combien le temps passe, et que les moments sont
précieux. Voyant d’ailleurs nos espérances à venir très bonnes, je crois devoir vous proposer,
Monsieur, comme la chose qui m’a paru la plus propre aux circonstances, de faire passer à
Pondichéry les secours qu’on y attend, et que vous vous êtes engagés d’y faire parvenir,
suivant la lettre que m’a écrite Mr de Leyrit du 1er octobre dernier.

La mousson ne nous laissant qu’un certain temps dont il faut proffiter avant le retour des
vaisseaux de guerre anglais à la côte de Coromandel, voicy, Monsieur, ce que je jugerois le
plus expédient pour saisir le moment qui nous presse.

La situation de nos vaisseaux de guerre ne nous permettant pas comme il seroit à désirer
de le faire, d’en arimer un assés grand nombre pour exporter à Pondichéry les secours que Mrs
de Lally et de Leyrit me demandent, et en sus les cargaisons que j’ay icy destinés par la
Compagnie pour y être remises, je pense donc, Monsieur, que pour plus de célérité, il
convient d’envoyer le vaisseau la Compagnie des Indes, qui a encore son chargement en
entier pour ledit lieu, et d’y joindre le vaisseau le lys qui est plus que suffisant pour achever
cette expédition. Afin de mettre en sûreté autant qu’il est possible les intérests de la
Compagnie, je vous demande, Monsieur, le vaisseau le Vengeur pour leur servir d’escorte, ce
vaisseau me paroissant le seul qui puisse être prêt à partir du 10 au 20 de ce mois au plus tard.

Cette expédition importante achevée, Monsieur, et dont vous sentés comme moy les
conséquences, nous n’aurons plus à nous occupper que de celles du cap de Bonne-Espérance,
à laquelle nous donnerons tous nos soins, la regardant comme très instante pour nous

74
préserver tous d’une misère inévitable par la quantité de monde* qu’il nous faut faire
subsister.

Je suis très respectueusement, &a.

Signé : DESFORGES

Réponse de Mr le comte d’Aché à Mr Desforges du 4 décembre 1759

J’ai reçu, Monsieur, hier à 8 h du soir, la lettre que vous me faites* l’honneur de m’écrire.
Je pensais que vous y auriés joint les représentantions* de Mrs les capitaines de la Compagnie
au sujet de leurs prétendus droits sur le* commandement du Comte de Provence que nous
étions convenus, Mr de *, vous et moy, de donner à Mr de Beauchesne pour la mission de*
l’Inde, ce qu’ils croyent que je ne puis prendre sur mon compte, ce* vaisseau ne pouvant,
disent-ils, être commandé que par des capitaines de la*Compagnie.

Au lieu de cela, Monsieur, vous demandés un nouvel arrangement qui détruit celui arrêté
entre M. de L’Eguille, vous et moy, et ne parle plus du Comte de Provence. Vous demandés
seulement le Vengeur pour les flottes destinnés à porter à Pondichéry les secours que vous
avés pour ce* comptoir.

Quoique ce party exclue les officiers du roy de cette mission qui semble* les regarder
directement.

Comme dans une opération de cette nature ce ne peut être que la* grande diligence qui en
puisse assurer le succès, et que le moindre retardement n’y pourroit être que préjudiciable, le
conseil de la marine* veut bien se désister de ses droits dans ce moment.

Ainsi, Monsieur, nous donnerons tous les secours qui dépendront de* nous pour acellérer
le départ de ces vaisseaux dont la mousson avance et presse le départ. Mais le conseil de la
marine et moy nous nous déchargeons de tout ce qui pourra arriver tant au convoy qu’aux*
secours que vous envoyés à Pondichéry, et nous ne nous occuppons qu’à réparer les vaisseaux
qui nous restent en nous prêtant à tout ce que* vous pouvés demander de nous. Vous pouvés
prendre telles arrangements* qui pourront vous convenir, cependant, Monsieur, je ne puis
m’empêcher* de vous demander par écrit les représentations que Mrs les capitaines de la
Compagnie vous ont fait au sujet de leurs prétentions, et de* mon authorité bornée pour la

75
nomination des vaisseaux de la Compagnie armés en guerre à des officiers du roy, je vous la
demande, Monsieur, ne pouvant me dispenser d’en faire part au corps de la marine et au
ministre du roy sans que cela puisse apporter aucun retardement aux opérations.

Fait au conseil de la marine assemblé le 4 décembre 1759

Signés : le comte d’ACHE, FROGER de L’EGUILLE, le chevalier de LA TULLAYE,


BAUCHAINE, LA GUARIGUE de SAVIGNY, chevalier de MONTEIL, chevalier de BEAL, chevalier
de RETZ, GOURSOLAS, le chevalier de COURS.

76
Lettre [de M. d’Aché] lue au conseil de marine assemblé le 4 décembre 1759

Messieurs,

Le corps de la marine partageoit à juste raison l’envie que j’avois de mettre un officier du
roy à la tête de l’expédition de Pondichéry. Il n’est sorte de remontrances que Mr de
Beauchesne ne m’ait fait à ce sujet, ny de démarches que je n’aye entrepris pour y parvenir.
Mais en même temps, comme vous le sçavés, Messieurs, son vaisseau, ny les trois autres
vaisseaux du roy, n’étant point en état de remplir une* pareille destination, je ne pouvais que
lui donner un vaisseau de la Compagnie. Dimanche dernier 2 de ce mois, il fut arrêté entre M.
de L’Eguille, Mr Desforges et moy, que l’on enverroit à Pondichéry le Comte de Provence,
commandé par Mr de Beauchesne, la frégate la Silphide, et le Vengeur, commandé par Mr de
Pallière, et qu’en conséquence de cet arrêté on alloit prendre les arrangemens pour accélérer le
départ de ces vaisseaux, mais à peine ai-je pu y songer que les capitaines des vaisseaux de la
Compagnie ont fait les représentations les plus vives à Mr Desforges en avançant que je ne
pouvais pas disposer d’un vaisseau de la Compagnie à moins que ce ne fût en faveur de l’un
de leurs capitaines. Ils ont persuadé Mr Desforges, et ce gouverneur m’a porté la parole de leur
part pour me représenter le landemin leurs droits que je viole, et paroît vouloir détruire en
donnant aux officiers du roy des vaisseaux de la Compagnie, du commandement desquels je
ne puis disposer en faveur d’autre qu’eux. Quoique Mr de La Chaise eût quitté le
commandement du Comte de Provence pour prendre celui du D’Argenson qui doit partir pour
France, je demandai au gouverneur qu’ils* me fissent leurs représentations par écrit, mais par
la lettre que* m’écrit hier au soir le gouverneur, vous verrés, Messieurs, que loin* de
m’envoyer les représentations que j’avois demandé, il me propose un nouvel arrangement qui
exclut les officier du roy de cette mission. Et il est aisé de pénétrer que l’objet de cette lettre*
est de me mettre dorénavant dans le cas de ne leur en donner* aucunes dès que leurs
vaisseaux ne seront pas en état de naviguer ou n’y seront pas propres.

77
D’Aché à la Compagnie

MM. les directeurs de la Compagnie des Indes

Reçu le* 24 mars 1760 provenant du vaisseau* le D’Argenson

Au port Louis, isle de France, le 15 décembre 1759.

Messieurs,

Dans le nombre des officiers qui ont été tués au combat du 10 septembre, dont j’ay
l’honneur de vous envoyer la liste, dans le nombre, dis-je, de vos officiers tués, est le sieur
Nogués, capitaine en second sur le Duc d’Orléans. Ce digne officier avoit été blessé de
plusieurs coups, sans vouloir se faire penser, ny quitter son poste. Enfin il a été tué sur le
gaillard d’avant22, d’où il n’a jamais voulu dessendre.

Il laisse une veuve très pauvre, un garçon de 10 ans et une fille qui en a 5. Je crois,
Messieurs, qu’il est du bien du service et de votre honneur, que vous n’abandonniés pas cette
malheureuse famille. Il a de plus deux beaux-frères à votre service, l’un, le Sr de La Fontaine,
qui s’est rendu très nécessaire icy et à Madagascar, pour l’avittaillement de l’escadre, l’autre
est le Sr Michel, soubrecargue. C’est comme vous le voyés, Messieurs, bien des motifs et des
titres pour la veuve et les enfants du Sr Nogués.

J’ay l’honneur d’être au-delà de toutte expression, Messieurs, votre très humble et
très obéissant serviteur.

Le comte d’ACHE

22
Gaillard d'avant : pont surélevé à l'avant du navire.

78
Liste des officiers tués et blessés dans l’escadre des Indes commandée par Mr le comte
d’Aché, pendant le [combat] contre celle anglaise commandée par l’amiral Pokoop, livré
entre Portenove et la rivière le Colram le 10 septembre 1759.

Savoir

Tués

Messieurs
De Gotho…………………..capitaine de vaisseau
Le Zodiaque
De La Pommerais……………lieutenant

De Gaudion……………...lieutenant
Le Minotaure
Koos……………………officier danois

L’Actif ………….Rullié……………………garde de la marine

De Gennes…………..capitaine en second
Le Comte de Provence
Silvaigre……………...officier des volontaire de Bourbon

De Surville l’aîné…………………capitaine
Le Centaure
De Neufvelly……………………...officier de troupes

Le Duc d’Orléans Nogués…………………………..capitaine en second

10 officiers tués

79
Blessés

Mrs

Le comte d’Aché………..le gras de la cuisse droite emporté

Rouillé…………………sa main coupée, mort de ses blessures.

Le Zodiaque Genlis……………………blessé à la tête et au côté

De Grésigny…….
Légèrement
De Sillart……….

Le chevalier de Ruis….capitaine. La mâchoire inférieure brisée, la jambe


offencée *.

Babinet……….. à l’estomach et à la jambe légèrement


L’Illustre
Psilaudrihielm*, officier danois.. un éclat à la cuisse droite jusqu’au grande*

Le chevalier de la Galissonnière… l’œil gauche dangereusement offencé, et *

De Villier, chirurgien major….. un éclat à son poste

De Rets*………………………légèrement

L’Actif De [i. e. Goursolas]…………………dangereusement

De Traversay………………… légèrement

80
Suitte des blessés

Mrs

De La Chaise, capitaine.
Légèrement
De Case
Monthaurand…………..dangereusement
Le Comte de Provence Brossard……………….légèrement
Haché…………………Id.

Panon, officier des vaisseaux du roy.

La jambe gauche cassée et couvert d’ailleurs de blessures


De Trémolière capitaine en second
très dangereuses

Potelet…2[d] lieutenant…diverses blessures dangereuses


Le Vengeur
La Martinière…………….blessé au pied
Chantoiseau……………...légèrement

Astruc l’aîné……..2[d] lieutenant


Millard…………..enseigne
Le Centaure Duval…………….Id.
Des Ruisseaux……Id.

Le Duc d’Orléans………Besnard fils………mort de ses blessures

81
Du Camper*…..l’épaule gauche extrêmement offencée

Le Fortuné Prieuré, officier de côte.. brûlé à la cuisse et au bras

Duffleau 1er enseigne…. un coup de mitraille dans la poitrine.


Le Duc de Bourgogne
Fisjeac 2e enseigne…la jambe droite emportée, mors de sa blessure.

Equipage tués Equipages blessés

Le Zodiaque...tués………………42 hommes Blessés…………………….320 hommes

Le Minotaure tués………………34 Blessés……………………...81

L’Illustre……tués……………….25 Blessés……………………...71

L’Actif…….. tué………………..22 Blessés……………………...41

Le Comte de Provence..tués……...32 Blessés…………………….109

Le Vengeur………….tués……….9 Blessés……………………...35

Le Centaure………….tués……….5 Blessés……………………...37

Le St-Louis…………..tués……….7 Blessés……………………...22

176 416

[i. e. 516]

82
Suitte des blessés

Le Duc d’Orléans….tués…….7 hommes Blessés……………………26 hommes

Le Fortuné………......tué…. Blessés…………………….16

Le Duc de Bourgogne…tué….26 Blessés……………………..81

33 183 [i. e. 123]

D’autre part………………….176 Idem………………………416 [i. e. 516]

Total général…………………209 hommes Blessés…………………539 [i. e. 639] hommes.

83
D’Aché à la Compagnie

MM. les directeurs de la Compagnie des Indes

Reçu* le 24 mars 1760, provenant du vaisseau le D’Argenson.

Au port Louis, isle de France, le 15 octobre 1759.

Messieurs,

J’ai l’honneur de vous envoyer cy-joint la liste des volontaires qui ont été fait second
enseigne sur vos vaisseaux pendant le cour de cette campagne, de concert avec MM. de
Leyrit, Magon et Desforges.

J’ay l’honneur d’être au-delà de toutte expression, Messieurs, votre très humble et très
obéissant serviteur.

Le comte d’ACHE

84
Liste des volontaires de la Compagnie faits seconds enseignes, tant par M. le comte
d’Aché que par Mrs de Leyrit, Magon, et Desforges,

le tout de concert entre ces Messieurs.

Sçavoir

Mrs

La Pierre par commission de Mr Magon du 19 may 1757.

Du Brocard par id. et Mr le comte d’Aché du 14 aoust 1758.

Dauzon par id. de Mr de Leyrit du 22 aoust 1758.

De Montigny par id. de Mr le comte d’Aché du 18 juillet 1758.

De Jouannis par id. de Mr Magon du 13 janvier 1758.

Le Roy par id. de Mr Magon du 13 janvier 1758.

Visce* de Loup par id. de Mr le comte d’Aché du 6 aoust 1758.

Bassemaison par id. de Mr le comte d’Aché du 1er janvier 1758.

De St-Mars par Mr le comte d’Aché du 11 aoust 1758.

Granière par Mr le comte d’Aché du 1er septembre 1758.

De Premavert par Mr le comte d’Aché du 11 aoust 1758.

De La Barte par Mr le comte d’Aché du 18 juillet 1758. Vu par Mr de Leyrit.

Chevalier de Palmaroux par id. de Mr le comte d’Aché du 24 avril 1759.

Chevalier Dumongouère Le Chaponier par id. du 25 may 1759.

Ecars par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Rousseau de St-Trident par id. de Mr le comte d’Aché du 26 may 1759.

Durocher de Flinkinger [Flickinger] par id. de Mr le comte d’Aché du 26 may 1759.

De Montalais par id. de Mr le comte d’Aché du 1er juin 1759.

85
De La Tournelle par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Portier par id. de Mr le comte d’Aché du 2 septembre 1758.

Suitte de l’autre part

Mrs

Preiche* de Richemont par Mr le comte d’Aché du 1er juin 1759.

Chantoiseau par commission de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Du Faïs par id. de Mr le comte d’Aché du 5 juin 1759.

Kerasir* Jagu par id. de Mr le comte d’Aché du 14 juin 1759.

Fraboulet par id. de Mr le comte d’Aché du 15 juin 1759.

André par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Messan par id. de Mr le comte d’Aché du 16 juin 1759.

Officier de côte...Prieuret par id. de Mr le comte d’Aché du 18 juin 1759.

Le Brun cadet par id. de Mr le comte d’Aché du 15 septembre 1759.

Calmet par id. de Mr le comte d’Aché du 16 septembre 1759.

Tressard par id. de Mr le comte d’Aché du 26 septembre 1759.

Huret par id. de Mr le comte d’Aché du 14 octobre 1759.

Patton par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Le Bel par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.


Visé* par* Mr*
Chevalier de Pourpry par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

Grand Champs par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

La Gravelle par id. de Mr le comte d’Aché dudit jour.

86
M. de Mondion

Commissaire à la suite de l’escadre des Indes

87
Mondion au Comité secret de l’Inde

À* Messieurs du Commité secret de l’Inde

Première

Reçu* le 29 juin 1759. Renvoy de la cour par Mr Mabille, passé du cap de Bonne-Espérance
par la voye d’Hollande.

Au cap de Bonne-Espérance, le 17 février 1759.

Messieurs,

J’ai eu l’honneur de vous informer par mon expédition des 2 et 5 novembre de l’année
dernière, partie sur la Diligente, de tout ce qui s’étoit passé à l’isle de France à l’arrivée des
escadres commandées par M. le comte d’Aché, et par M. de L’Eguille.

J’ai remis le duplicata de cette expédition à M. de St-Martin, capitaine du Duc de Berry,


et ensuite de la Renommée, lequel passe en Europe sur le vaisseau danois le Graaf Mot,*
capitaine Mathias Christoffel Smit, et j’ai aussi* remis le triplicata à M. le chevalier de Luker
qui passe sur l’autre vaisseau danois, la Sop* Magdalene, capitaine Laars Swaane. Sur le
premier de ces 2 bâtiments est embarqué M. de Soëcmann, ci-devant directeur de la
compagnie danoise à Bengale. Comme les François que nous avons vu de ce païs-là nous ont
assuré que la nation en avoit reçu de grands services dans le tems de la prise de
Chandernagor, nous lui avons fait ici toutes les politesses imaginables, M. le chevalier de Ruis
et moi, et c’est à sa considération que nous avons donné à ces 2 vaisseaux 51 prisonniers du
navire anglois le Grantham dont je vous parlerai plus au long dans le courant de cette lettre.

J’ai encore eu l’honneur de vous écrire, Messieurs, le 12 novembre dernier à mon arrivée
à Bourbon, par la frégate la Diligente ; le duplicata de cette lettre est joint aux paquets de M.
le chevalier de Luker, et en voici une 3e expédition.

Je me réfère au détail contenu dans toutes ces lettres, et dans les pièces qui y sont jointes.
Je vais actuellement, Messieurs, vous rendre compte de ce qui s’est passé depuis le départ de
la Diligente.

En conséquence des résolutions prises à l’isle de France, l’escadre détachée sous les
ordres de M. le chevalier de Ruis se rassembla à la rade de St-Paul, isle de Bourbon, du 20 au
24 novembre dernier, et le 26 novembre nous en apareillâmes après nous y être aprovisionés*

88
au-delà de ce qu’on pouvoit attendre d’une colonie dont il est plus aisé d’épuiser les
ressources que le zèle de celui qui la gouverne et des habitants qui y demeurent. Vous verrés,
Messieurs, par les lettres du conseil de cette isle jointes à mon triplicata, qu’il y avoit aux
hôpitaux près de 800 malades et convalescents*, et la triste scituation où elle étoit à la veille
d’être réduite pour les vivres.

Nous arrivâmes en cette baye le 28 décembre après 33 jours de traversée sans avoir
eu aucune rencontre. La première affaire dont il fut question à notre arrivée fut celle du salut,
le second commandant de la place, auquel M. le chevalier de Ruis en avoit écrit, répondit pour
le gouverneur qui étoit malade à la campagne, qu’il y avoit un ordre absolu des Etats
Généraux et de la Compagnie d’exiger le salut de tous les vaisseaux de guerre et autres
bâtiments étrangers qui mouilleroient en cette rade, que les Anglois en avoient usé de même
lorsqu’ils ont relâché ici en dernier lieu, et qu’enfin il ne pouvoit être traité d’aucune affaire
qu’au préalable celle-ci ne fût d’abord finie, quoiqu’il sçût bien d’ailleurs les égards dus au
pavillon de S.M. le roi de France. M. le chevalier de Ruis ayant lui-même débatu la question,
reçut la même réponse, et n’ayant point d’ordre contraire, mais lui étant prescrit de se
conformer à ce que les Hollandois exigeroient décidemment, il fut convenu que le vaisseau du
roi l’Illustre salueroit la forteresse de 15 coups de canon qui lui seroient rendus coup pour
coup, ce qui fut exécuté le lendemain 29, et a depuis été suivi par M. de Marnière ; ensuite
nous entamâmes l’affaire pour laquelle nous sommes venus ici.

Nous exposâmes nos besoins au gouvernement avec de certaines précautions, et nous le


trouvâmes* très disposé à nous donner les secours qui nous étoient nécessaires. Il nous permit
même de faire nos achats partout où nous le pourrons* et jusques à présent les affaires ont été
assés rondement. Il paroît d’ailleurs que la bonne discipline qui règne dans l’escadre, et la
tournure* que nous avons fait prendre à notre service n’ont pas peu contribué à nous procurer
les facilités que nous avons éprouvées dans nos opérations. Je pourrois même ajouter que
cette conduite de notre part a un peu calmé les inquiétudes que le sort arrivé à Pondichéry à
leur vaisseau le Harlem lui a causé.

La frégate la Renommée, dont je vous avois fait entrevoir le départ d’ici pour l’Europe,
Messieurs, par ma lettre des 2 et 5 novembre, s’en reviendra à l’isle de France avec nous. Il a
été pris d’autres arrangements pour vous faire passer les paquets, et pour vous donner des
nouvelles sûres de vos colonies, arrangements desquels je ne doute pas que vous ne soyés

89
exactement informés par les personnes qui les ont fait. J’ai profité seulement de cette occasion
pour vous faire tenir mes lettres.

Conformément à ce qui avoit été convenu entre M. le comte d’Aché et M. le chevalier de


Ruis, la corvette la Pénélope fut expédiée d’ici pour l’isle de France le 29 du mois dernier
pour y porter des nouvelles de nos opérations, et le 9 de ce mois les flûtes l’Eléphant, le
Chameau et l’Hermione, commandées par les Srs Winslow, Omerat et Morphey mirent à la*
voile pour la même destination, avec chacune un chargement dont j’ai l’honneur de vous
envoyer, Messieurs, un état auquel je n’ai point porté de prix, parce que les denrées n’ont pas
de taux fixe et qu’elles augmentent à mesure de la consommation journalière qui s’en fait. Le
blé seul est resté au prix convenu dez en arrivant ici, c’est-à-dire à 25 escalins ⅓ de 6 s.
chacun monnoie d’Hollande valant 12 s. argent de France la mesure de 180 livres poids du
païs qui est comme la nôtre à peu de chose près. La grande quantité de vaisseaux qu’il y a eu
dans cette baye et surtout les trois vaisseaux de Mr de Marnière ont aporté une infinité
d’obstacles à nos opérations, quoique nous nous soyons concertés ensemble à cet égard. Mais
leurs besoins, sans être aussi considérables que les nôtres étant presque les mêmes, et leur
départ d’ici étant encore plus pressé, il s’en ensuivi de là une concurrence qui nous a retardé
et traversé dans beaucoup de nos arrangements.

Cependant j’ai commencé le chargement de la flûte la Baleine commandée par M. de La


Londe, et je compte que s’il ne survient pas d’obstacle imprévu ou insurmontable, je lui ferai
prendre près de 700 milliers de blé et d’autres effets avec lesquels elle s’en ira à l’isle de
France sous l’escorte du Duc d’Orléans et du Vengeur que M. le chevalier de Ruis a ordre de
faire partir très promptement afin qu’ils ayent le tems de se radouber avant d’aller aux Indes.
Au surplus je fournirai tous les vaisseaux en vivres de toute espèce le plus abondamment qu’il
me sera possible. Les besoins pressants de vos colonies et de l’escadre me prescrivent des
aprovisionnements que je ne négligerai certainement pas de pousser aussitôt qu’ils pourront
l’être.

J’ai acheté quelques effets de marine comme cordages, toiles et autres effets. Ils sont très
chers et en fort petite quantité relativement à ce qu’il en faut à l’isle de France et aux
vaisseaux, mais cela sera toujours fort utile puisqu’il n’y en a point du tout là-bas.

Je vous enverrai à la fin de notre relâche, Messieurs, un état sommaire de notre dépense.
Ce que je peux vous en dire quant à présent est que le vaisseau du roi l’Illustre m’a fourni 64
caisses de piastres, lesquelles avec 41 mille que m’a remis la colonie de l’isle de France
90
forment un capital de 215 milles piastres, mais j’ai tiré sur M. Péchevin 4 lettres de change
par triplicata dont voici le bordereau, Messieurs, montant ensemble à 12 317 florins 8
sluywer, ou 54 s. argent d’Hollande, à raison de 2 florins 7/10e la piastre comme vous le verés
dans ma note au bas de ce bordereau. Je pourrai peut-être tirer davantage par la suite, mais je
le ferai toujours avec beaucoup de modération parce que vos intentions ne me sont pas assés
connues. J’ai trouvé de l’argent ici à prendre et bien des gens m’ont conseillé de le recevoir
pour des traites sur votre caisse*, d’autant que ç’auroit été vous raporter les mêmes sommes à
l’isle de France ou à Pondichéry. Mais je n’ai pas osé le faire, autant par crainte que mes
lettres de change jointes à la quantité de celles que vous recevés des isles ne fussent trop à
charge à la Compagnie, que parce que je ne suis pas assés au fait des affaires de commerce et
de finances pour hasarder quelque chose en ce genre sans une nécessité forcée, ainsi suposé
que je ne fasse pas bien dans l’un ou l’autre cas, je vous prie de m’excuser et je vous le répète,
Messieurs, je ne tirerai que très modiquement.

Le 5 du mois dernier la frégate la Renommée qui s’étoit séparée du Vengeur et du Condé,


partis tous trois de l’isle de France après nous, mouilla en cette rade. Le 7, ces deux derniers
vaisseaux y arrivèrent et ils nous aprirent que le 4 ils s’étoient emparés, à la vue de cette côte,
du navire le Grantham appartenant à la compagnie des Indes d’Angleterre. C’est le Condé qui
l’a amariné après quelques coups de canons tirés de part et d’autre sans qu’il y ait eu personne
de tué ni de blessé. Ce bâtiment étoit parti de Madras le 8 octobre l’année dernière et relâchoit
ici contre ses ordres parce qu’il n’avoit point de vivres. Il est armé de 26 canons, dont 20 du
calibre de 9 et 6 de 4, avec 107 hommes d’équipage et 28 passagers, fesant en tout 135
personnes. J’aurai peut-être le tems avant de fermer ma lettre, Messieurs, de vous envoyer
l’extrait de l’arrangement que M. le chevalier de Ruis et moi nous avons fait avec M.
Soëcmann pour les prisonniers de ce bâtiments que nous avons mis sur les vaisseaux danois ;
nous en avons fait un avec les passagers et nous comptons finir totalement cette affaire avec le
gouverneur de cette colonie.

Je joins ici, Messieurs, une copie de la facture du chargement de cette prise, par laquelle
vous verrés qu’il consiste en 1663 balles de marchandises* de la côte, 592 candy de salpêtre
fesant à 500 livres le candy 296 milliers, et 637 pièces de bois rouge. On m’a dit qu’il avoit
peu de fin dans les marchandises et que ce ne sont que des toiles ordinaires. Comme j’ai*
trouvé dans les papiers du vaisseau 2 mêmes factures en anglois dudit chargement, je vous
en* adresse une, dont celle ci-dessus est la copie. Voici également 2 autres factures traduites

91
de l’anglois, des diamants, rubis et autres pierreries qui étoient sur ce vaisseau, dont le
montant est porté par ces factures à 77 677 pagodes23, &a.

J’ai vérifié avec les formalités ordinaires ce que contenoit un coffre de fer dont j’ai 2
même clés et une petite caisse marquée DDC n°3, qui m’ont été remis par les capitaines et
écrivains des vaisseaux preneurs avec leurs procès verbaux, desquels je leur ai donné
décharge. J’ai l’honneur de vous envoyer la copie du procès verbal de la visite de ces
pierreries par lequel vous verrés qu’il s’en trouvé 37 paquets de diamant et rubis
conformément aux 2 factures. Quant à la dernière caisse dont nous n’avions pas le détail, j’y
ai trouvé 11 paquets divers de grenats, de petites pierres que nous croyons être des rubis de la
grandeur des karats, des perles et des semences de perles, en sorte que pour remplir totalement
ladite facture, il manque les 2 boëtes n°1 (marque SM) et n°2 (marque CN), ce ne sont
heureusement que des cornalines de la valeur de 410 pagodes comme vous le verrés par la
facture.

J’aurois bien désiré, Messieurs, pouvoir vous faire passer tout de suite ces pierreries par
la voie d’Hollande, ou par celle de Danemarck, parce qu’elles ne peuvent avoir de valeur
réelle dans la liquidation qu’après avoir passé à la Compagnie. Mais je n’ai pas osé prendre
sur moi une affaire d’aussi grande conséquence et j’ai cru devoir suivre mes instructions à la
lettre.

J’ai desjà fait plusieurs interrogatoires pour découvrir les auteurs du pillage, mais je n’ai
vu* autre chose que l’enlèvement total des 2 boëtes sans pouvoir en pénétrer les coupables. Je
continuerai mes recherches avec tout le soin et toute l’exactitude que mérite cette circonstance
et je vous en rendrai compte, Messieurs, ainsi qu’au conseil supérieur de l’isle de France.
Tout ce qui me paroît très certain jusques à présent, c’est qu’il y a eu une déprédation très
considérable dans cette prise de la part de l’équipage du Condé qu’on a envoyé pour
l’amariner. Le Sieur Gouardun, officier de ce vaisseau, fut détaché pour prendre le
commandement du bâtiment et eut à ses ordres le S. de Fijeac, autre officier du Condé, avec le
S. de La Martinière 2e enseigne du Vengeur. Je n’accuse point ces gens-là d’avoir pris eux-
mêmes aucuns effets, mais il est prouvé qu’ils n’ont en aucune façon remédié au désordre et à
l’enlèvement et brisement des malles et coffres. Pour prendre un parti définitif sur leur compte
je pense qu’il faut attendre de plus grands éclaircissements.

23
La pagode est monnaie d'or frappée aux Indes.

92
Cependant, dès que la prise fut mouillée en rade et que M. le chevalier de Ruis et moi
nous fûmes informé de ce désordre, il y envoya un officier suédois du vaisseau du roi
l’Illustre pour y établir la police. Il y est demeuré avec un détachement de soldats du même
vaisseau jusques à ce que les équipages n’ayent été changés et visités très soigneusement.
Ensuite on a établi la communication à terre et les officiers ayant été renvoyés à bord de leurs
vaisseaux, le commandement de cette prise a été confié au S. Pottelet, officier du Vengeur, qui
est un sujet intelligent, actif, et capable de maintenir le bon ordre en toute occasion.

Nous avons trouvé beaucoup de papiers dans cette prise, les Anglois ayant d’ailleurs jetté
les plus essenciels à la mer avant de se rendre, mais il nous est tombé quelques lettres qui
m’ont paru mériter attention, et j’en joins ici le cahier que j’ai l’honneur de vous envoyer pour
que vous en fassiés l’usage que vous croirés convenable. En lisant toute ces lettres, dont la
traduction a été faite par le S. Thébault, nous n’avons pas pu nous empêcher M. le chevalier
de Ruis et moi d’y mettre les apostilles que vous y verrés, elles sont d’après la relation de M.
le comte d’Aché et le raport unanime de ceux des capitaines et officiers actuellement ici qui
étoient aux deux affaires, moyennant quoi on peut compter sur ce qu’elles contiennent.

Voici, Messieurs, une copie du règlement arrêté par le Conseil supérieur de l’isle de
France pour la répartition qu’il s’est attribuée du droit de 8 pour % des frais de garde et de
magasinage dont l’ordonnance du 20 décembre 1756 prescrit le prélèvement sur les produit
net des prises. Ce n’est point à moi de juger si le Conseil a été en droit de disposer en sa
faveur avant d’en avoir obtenu le consentement de la Compagnie d’un fonds dont la retenue
doit toujours avoir lieu à la vérité, mais ce que je dois vous observer, c’est que les équipages,
bien moins au fait que nous, et de l’esprit des ordonnances, et de certaines choses locales,
n’ont pas vu de trop bon œil un arrangement qui comparé avec leur traitement dans les prises
leur fait envisager leur part encore plus médiocre qu’elle n’est réellement, et en effet il paroît
d’abord assés singulier en voyant cette répartition qu’un sous-marchand, dont le travail ne
contribue en général pas davantage à une prise que sa présence, soit traité comme, et même
mieux, qu’un capitaine de vaisseau du roi, ainsi qu’il est arrivé pour la prise le Cigne. Je
pourrois peut-être ajouté la comparaison du commissaire de l’escadre, dont vous sentirés
aisément que le travail en ce genre est assés considérable quand il s’agit d’établir une
préparation juste, exempte d’omission, et par conséquent de plaintes. Ce n’est pas qu’en mon
particulier je sois interressé, la Compagnie m’a fait un assés bon traitement pour n’avoir
d’autre objet que celui de lui consacrer mes services, mais j’ai pensé qu’il étoit de mes
fonctions, et même de mon devoir, de vous prévenir de tous ces petits incidents qui
93
mécontentent des équipages qui ont bien servi et qui serviront encore mieux par la suite, en
sorte que je croirois permis d’insinuer à la Compagnie qu’elle pourroit se relâcher de quelque
chose de plus que du tiers des prises en faveur des équipages preneurs, ou faire tel autre
arrangement subséquent à l’ordonnance qu’elle jugeroit à propos. Ce seroit un bien qui
produiroit un très bon effet pour son service particulier. Je vous prie au surplus, Messieurs, de
croire que je parle sans partialité, et comme quelqu’un qui voyant tous les jours les parties
intérieures de votre service de marine, sent en même tems qu’un peu d’aisance donné à
propos réveille le zèle et l’activité de gens qui ne se conduisent que par l’intérêt ; comparaison
faite surtout de leur traitement à cet égard avec celui accordé chés les étrangers dont il ont*
les exemples sous les yeux aux Indes à tout instant, c’est du matelot dont je veux parler,
pensant bien que l’officier est conduit par un motif différent.

Comme il n’y a pas d’aparence que je puisse faire si tôt la répartition du Grantham, pour
laquelle je tiendrai seulement mes matériaux tous prêts dez mon arrivée à l’isle de France,
j’aurai le tems de recevoir vos ordres sur ma proposition, ou observation avant de consommer
cette affaire, et j’espère que si vous n’accordés rien, vous ne désaprouverés pas du moins les
vérités que je viens de vous exposer.

Voici, Messieurs, une carte de l’exportation du monde que nous avons faite de l’isle de
France ici sur nos vaisseaux. J’ai cru que vous seriés bien aise de la voir.

M. Lobry a perdu depuis notre arrivée son second fils, 2e lieutenant sur le Fortuné qu’il
commande. Il est mort de la petite vérole et le* bon homme en a été sensiblement touché. J’ai
vu le moment que cette cruelle maladie auroit des suites fâcheuses, car elle avoit pris dans ce
vaisseau et dans le Centaure, mais elle s’est heureusement dissipée tout à fait et nous avons
caché le mal* avec beaucoup de soin parce qu’on le craint extrêmement ici, et que si on nous
eut découvert on nous auroit infailliblement mis tout de suite dehors.

Ce n’est pas sans étonnement que le 15 du mois dernier nous vîmes arriver en cette baye
les vaisseaux du roi l’Achille, commandé par M. de Marnière, le Zéphir, par M. le chevalier de
Grasse, et la Sirenne*, par M. Dumas. Ils ne furent pas moins surpris de leur côté de nous y
voir en aussi grand nombre. L’arrivée de ces 3 vaisseaux, jointe à 22 bâtiments hollandois et
danois qui se sont trouvés en même tems dans cette rade, a occasionné une consommation et
une exportation si prodigieuses qu’elles ne pouvoient être suportées que par une colonie aussi
abondante que celle-ci.

94
Comme la flotte hollandaise, composée de 17 vaisseaux, va partir le 25 de ce mois, et que
M. de Marnière a mis aujourd’hui à la voile, j’espère que tous les secours qui étoient pour ces
navires seront désormais pour nous, et qu’enfin n’y ayant plus aucune concurrence notre
travail deviendra moins difficile. La nouvelle escadre françoise avoit aporté une lettre de M.
le comte de Massiac qui l’a annoncée et recommandée au gouvernement de ce païs-ci,
moyennant quoi elle a trouvé des vivres et de l’argent. Il y a dans l’Achille un homme nommé
Marchis à ce que je crois habitué à St-Malo, lequel a servi autrefois de pilotin sur les
vaisseaux de la compagnie de France et a ensuite commandé des vaisseaux des Indes pour les
Hollandois, qui n’ont pas encore oublié que cet homme leur en a perdu un à Surate. Il s’est
trouvé d’ailleurs mêlé dans tous les projets formés contre nous la guerre dernière par le feu
baron d’Imoff, générale de Batavia, de concert avec l’admiral anglois Barnes. Ce personnage
n’a pas, heureusement pour lui, descendu au Cap, mais l’Achille ayant mouillé à l’isle Robin,
il a eu la prudence [i. e. l’imprudence] d’aller à terre, où il a été reconnu par des officiers
hollandois, et cette reconnoissance auroit eu des suites si M. de Marnière n’eut pas été
annoncé comme il l’est et qu’il ne se fut pas conduit aussi prudemment. D’ailleurs il y a
beaucoup d’affaires intérieures dans le vaisseau à cause de ce Marchis et de son grade, qui n’a
été sçu qu’à la mer, et les officiers de la marine ne sont pas peu étonnés de se trouver à la
veille d’être tous les jours commandés par un capitaine de frégate de cette trempe. Du reste
nous ne savons rien de la mission de ces 3 vaisseaux et ce n’est qu’à vous, Messieurs, que je
parle de tout ceci.

C’est par ces vaisseaux que nous avons apris beaucoup de nouvelles fâcheuses pour la
marine et pour nos colonies dont nous sommes fort touchés. Il nous a été insinué que M. le
commandant général des isles de France et de Bourbon étoit rapellé. Je ne vous dirai rien sur
ce changement, Messieurs, j’ai trop à me plaindre personnellement de sa dignité pour vous en
parler, et en même tems je respecte trop les membres de la Compagnie dont il a l’honneur
d’être confrère pour m’expliquer ouvertement sur son compte. Ma modération est la meilleure
preuve que je puisse donner de ma profonde considération et de ma sincère reconnoissance
envers la Compagnie en général et envers ses membres en particulier. Il m’a été aisé de leur
faire* les choses personnelles après les égards qu’ils ont bien voulu me marquer et les
politesses que j’en ai reçues, mais il a été bien difficile pour moi de voir de sens froid les
secousses redoutables et réitérées que votre service a reçues si fréquemment depuis mon
arrivée à l’isle de France. J’en demeure là, parce que je pense que vous vous aperçevés depuis
longtems du vice qui règne dans l’administration de vos colonies, il y a desjà quelques années.

95
Ce qu’il y a de vrai c’est que je me suis refusé le plus honnêtement qu’il m’a été possible à
signer la pluspart des lettres qui ont été écrites à la Compagnie depuis celles que le Conseil
supérieur de l’isle de France a reçues d’elle par le vaisseau le Fortuné, tant j’ai trouvé les
réponses de la colonie, faites par M. le commandant seul, dénuées de vraisemblance,
d’exactitude, et en un mot, si peu analogues à vos intentions et à vos principes.

J’ai montré à M. le comte d’Aché ce que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire le 18
janvier de l’année dernière, sur les plaintes qui vous ont été portées à l’occasion des vivres
distribués aux passagers sur le vaisseau le Bien-Aimé, et des mauvais traitements qu’ils ont
prétendu y avoir reçus. Je lui ai en même tems fait part de ma réponse, ainsi qu’à M. Bouvet*,
ils l’ont trouvé conforme à la vérité et je n’ai pas cru devoir aller plus loin à cet égard sans de
nouveaux ordres du commité.

Je vous ajouterai sur toutes ces choses-là en général, Messieurs, que pour vous donner
une idée nette de toutes les affaires sur lesquelles il vous est sans doute revenu beaucoup
d’écritures, il faudroit que je fusse le maître de vous envoyer la lettre secrète que M. le comte
d’Aché a écrite au ministre de la Marine. Elle enferme un détail vrai de tout ce qui s’est passé
à Pondichéry pendant que l’escadre a été à la côte. Il seroit certainement essentiel que vous
pussiés en avoir connoissance afin de prendre un parti convenable pour l’avenir.

Je vous dirai encore que M. le comte d’Aché m’a expressément chargé de prendre les
ordres du ministre de la Marine sur l’enrollement qu’on fait à Pondichéry pour le service de
terre des matelots de son escadre, indépendamment de ceux qui y servent desjà depuis
longtems. Vous aurés pu voir dans la correspondance de M. Babinet, Messieurs, qu’il a été
question de cette affaire entre M. le comte d’Aché et le Conseil supérieur de ce comptoir,
mais pour vous la remettre sous les yeux, je vous envoye la réponse que lui a fait le conseil
avec des apostilles qui y ont été mises. Vous remarquerés, s’il vous plaît, le stile de cette lettre
et vous y verrés que le conseil, ne se contentant pas de favoriser une prévarication aussi
formelle contre les ordonnances de la marine et aussi contraire au bien du service, écrit encore
à M. le comte d’Aché avec assés peu de mesure. Vous jugés aisément que si cela arrivoit une
seconde fois, il en pourroit résulter de certains inconvénients. C’est* pour les prévenir que j’ai
cru devoir vous en rendre compte, et votre intention ne peut pas être qu’on dégrade le service
à ce point-là. D’un autre côté, les manières dures et hautaines que l’on a eues dans l’Inde pour
la marine en général et en particulier, ont très fort indisposé les* officiers du roi et les vôtres,
soit ceux qui y ont desjà été et qui sont obligés d’y retourner, soit ceux qui doivent y aller

96
pour la première fois, de façon qu’on est résolu de répondre suivant le * ton qui sera pris à
l’avenir et de ne rien souffrir qui soit contraire aux règles et au bien du service. Ajoutés à cela,
Messieurs, que les lettres écrites contre les opérations maritimes ont été vues et lues, et ce
n’est moins qu’un secret aujourd’hui. Ainsi jugés de ce qui arrivera si lorsque l’escadre sera à
la côte, on ne veut pas donner au service une tournure honnête quant à la forme et quant au
sort utile à vos affaires. Il seroit à souhaiter qu’on eût pris de M. le comte d’Aché tout une
autre idée que celle qu’on s’en est formée. Qui que ce soit n’eût fait ce qu’il a fait et n’eût fait
le sacrifice de retourner dans l’Inde après les dégoûts et les procédés qu’on y a eus pour lui. Il
aime le bien de la chose, il le veut et personne ne désire plus ardemment que lui le succès de
vos opérations. Toute votre marine lui est singulièrement attachée et ne croyés pas, Messieurs,
qu’on eût trouvé toutes ces choses-là chés un autre, même plus connu que lui, et peut-être plus
à la main en aparence. Je connois la marine et je sais ce que j’avance* en vous disant cela.
D’ailleur M. le comte d’Aché est très désinterressé, qualité unique et d’autant plus estimable
dans la place qu’il* occupe qu’il en a seul* donné l’exemple*. Pardonnés, Messieurs, les
vérités que j’ai* l’honneur de vous dire, mais il faut que vous les sachiés, parce que la marine
les mande aux minsitres, et qu’elle leur fait voir clair ; du reste, rendés moi la justice* de
croire que je vous ai parlé sans partialité et sans prévention, et soyés en je vous suplie
exactement sûrs.

Je vous demande vos ordres, Messieurs, sur l’arrangement à prendre par raport aux
matelots des vaisseaux du roi qui ont été embarqués sur ceux des bâtiments de la Compagnie
qui sont venus ici. Il s’agit de savoir si l’exportation de ces gens de mer doit être à votre
compte, tant pour la solde que pour les vivres, ou si elle doit être au compte de Sa Majesté,
comme si ces matelots ne fussent pas sortis de ses vaisseaux. Il faut vous dire, Messieurs, que
cette exportation a été forcée parce que l’isle de France manquoit de vivres et qu’il a falu
armer vos vaisseaux de ce même monde pour les faire subsister, vous savés tout cela et je n’y
ajouterai rien, mais en conséquence de ce qui aura été convenu par le ministre de la Marine et
par la Compagnie, dont je vous prie de me faire pars, je déterminerai le travail qu’il y aura à
faire pour vous mettre en état de réclamer le montant de cette* dépense qui sera peut-être
assés considérable, ainsi j’attendrai votre réponse avant de faire aucun travail à cette occasion.

J’ai trouvé dans la prise 2 morceaux de* vernis en boëtes et calin dont l’usage* nous n’est
pas trop connu. J’ai trouvé aussi une très grande balle de porcelaine*, j’ai cru que je ferois
bien de vous les envoyer. La caisse vous parviendra par la même voie que cette lettre.

97
J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint la* liste des passagers qui sont venus des Indes
et* de l’isle de France ici pour aller en Europe avec les apostilles qui les concernent.

M. le chevalier de Ruis a demandé par écrit que je comptasse à M. Mabille, qui va


en Europe chargé de ses paquets, une somme de 3 000 piastres que je lui ai remise pour les
fraix de son voyage. Je pense qu’il informe M. le contrôleur général et le Commité de
l’arrangement convenu à cet égard par la marine du roi depuis mon départ de l’isle de France.

M. le chevalier de Luker, qui comme vous savés, Messieurs, étoit commissaire des
guerres à la suite des troupes du roi aux Indes, est arrivé ici de Tringuebar sur un vaisseau
danois par lequel je vous ai dit qu’il passoit en Europe. Il m’a représenté qu’il manquoit de
fonds pour sa subsistance et pour son voyage. Je lui ai compté 600 piastres gourdes dont voici
son billet qu’il m’a consenti par triplicata.

Le S. de St-Hilaire, 2e lieutenant sur le St-Contest, qui passe également par un vaisseau


danois, m’a demandé 120 piastres pour les fraix de son voyage, et je lui ai payé pour sa
subsistance 41 piastres. J’ai fait le même traitement au S. Brossard, 2e lieutenant sur la frégate
l’Hermione et ensuite sur le St-Contest, aussi passager sur un danois, et voici les billets que je
leur ai fait donner à chacun d’eux.

Je n’ai fait tous ces payements de fraix de voyage, Messieurs, que sous votre bon plaisir
et votre aprobation.

J’ai enfin dressé pendant la traversée de Bourbon ici le compte général des dépenses que
j’ai faites sur les fonds embarqués à Brest et à Lorient dans les vaisseaux de la division de M.
le comte d’Aché, et j’ai l’honneur de vous en envoyer ci-joint un bordereau préliminaire,
auquel je ne vois pas qu’il y ait par la suite beaucoup de changements à faire. Je viens de faire
passer au Conseil supérieur de l’isle de France par la corvette la Pénélope toutes les minutes
de ce compte afin que je puisse le trouver prest à être arrêté à mon arrivée, et je vous en
enverrai les états en règle par les vaisseaux qui iront en Europe de 1759 à 1760.

Je ne perds point de vue, Messieurs, les ordres que vous avés donné au conseil par votre
lettre du 18 février de l’année dernière, et pour continuer de m’y conformer, je dois vous
prévenir que j’aurai à vous envoyer :

Primo. Le compte dont je viens de vous parler.

2°. Celui des dépenses de notre mission actuelle.

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3°. Celui des dépenses qui auront été faites à l’isle de France par les vaisseaux du
roi et par vos vaisseaux et frégates de guerre, depuis le retour de M. le comte d’Aché de l’Inde
et depuis l’arrivée de M. de L’Eguille d’Europe jusques au tems de leur départ pour l’Inde
cette année.

Je ne pourrai pas comprendre dans cet envoi* la dépense faite par l’escadre de M. le
comte d’Aché pendant qu’elle a été à la côte de Coromandel en 1758, parce qu’un vaisseau a
deux* états pour un qu’il lui faudroit, en sorte que je ne vois pas la nécessité de multiplier les
écritures desjà trop considérables dans ce qu’elles sont* en elles-mêmes, ainsi je tâcherai
d’engager Mrs du conseil supérieur de Pondichéry à suivre ce que nous avons arrangé à l’isle
de France en conséquence de vos ordres, dont vous aurés vu les premières pièces par le St-
Priest et par la Diligente. M. Babinet m’a d’ailleurs rendu compte que les états des vivres
n’étoient pas signés dans le comptoir malgré tout ce qu’il avoit pu faire pour y parvenir avant
son départ, de manière qu’il faut nécessairement attendre ce travail du tems et des
circonstances.

Je n’ai pas oublié non plus les ordres contenus dans votre lettre au Conseil supérieur de
l’isle de France en date du 10 avril 1758, sur les effets distribués aux régiments embarqués en
France sur vos vaisseaux. Ce qui a raport aux troupes commandées par M. de Soupire a été
mis dans la meilleure règle par M. Babinet et j’ai la pièce, mais comme c’est le seul original
que nous ayons, il faudra qu’à mon retour je le dépose au bureau des livres, et que le conseil
vous envoye des copies certifiées de lui. Quant à ce qui concerne le régiment de Lally et la
division des vaisseaux de M. le comte d’Aché, il faudra nécessairement attendre que nous
soyons à Pondichéry pour terminer cette affaire comme vous le demandés, et j’y tiendrai la
main.

Je n’ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que tous les différents objets de compte
relatifs aux fonctions dont je suis chargé renferment un travail* et un détail immense, sans
parler du courant de la précipitation avec laquelle se font les* expéditions des vaisseaux. Je
pourrois y ajouter pour quelque chose la confusion que les gens qui veulent toujours faire le
métier des* autres sans l’entendre, portent nécessairement partout où ils mettent la main, en
sorte que malgré notre vigilance et notre exactitude, il nous est impossible à M. Babinet et à
moi de vous faire passer aussi promptement que nous désirerions tous les états dont je sens
que vous avés besoin, mais je vous prie d’être persuadés qu’avec le tems vous aurés ces
pièces et qu’elles seront en bonne forme.

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Ozerois-je vous suplier, Messieurs, d’avoir la bonté de me marquer si vous pensés que je
puisse obtenir un jour la place que j’ai cherché à mériter en venant ici. Dez que je serai assuré
de l’avenir, je resterai volontiers chargé des affaires de vos escadres ou de toutes autres qu’il
vous plaira de me confier. Je m’y porterai même avec le zèle dont je dois répondre aux égards
et aux bons traitements que j’ai reçus de vous, Messieurs, mais si par des circonstances
particulières que je ne peux pas prévoir, je ne* pouvois pas avoir cette place, je vous serois
obligé de me le marquer tout franchement, parce qu’alors je m’en retournerois tout de suite en
Europe, soit en tems de paix, ou en tems de* guerre, sans attendre aucun autre éclaircissement
ni permission. J’attendrai donc votre réponse, mais quelle qu’elle puisse être, je n’oublierai
jamais les bontés que vous avés eues pour moi depuis que j’ai l’honneur d’être connu de vous.

Je n’ai pas cru devoir laisser échapper une aussi belle occasion que celle-ci, Messieurs,
d’acheter du vin du Cap pour la Compagnie. Je l’ai pris chés le propriétaire de Constance, et*
tous ceux qui l’ont goûté l’ont trouvé bon. [Dans la marge : Remis l’extrait cy-contre au
bureau des achats le 22 octobre 1762.]. Il y en a :

2 lègres de vin de Pontac rouge.

1 autre ditto d’autre vin rouge.

3 lègres à 200 piastres la lègre et

4 demies-legres de vin blanc à 106 piastres 6 escalins la lègre que vous savés qu’on
compte pour 2 barriques ½, fût de Bordeaux, quoiqu’on nous la passe ici à 2 barriques ⅔. Je
n’ai pas osé risquer ce vin par les vaisseaux de M. de Marnière et je l’ai fait embarquer sur
l’Illustre, sur le Centaure et sur le Chameau, pour être déposé à l’isle de France jusques à des
tems plus favorables.

Voici quelques nouvelles du Gange que je n’ai pas cru devoir vous laisser ignorer. Le
capitaine Pascho, Suisse parlant fort bien français avec lequel je me suis entretenu assés
fréquemment, et qui vient de commander l’artillerie des Anglois dans toutes leurs expédition
de Bengale, en est arrivé ici le 11 de ce mois pour* s’en retourner en Europe, étant parti le 13
novembre dernier du Gange sur le navire hollandois le Wild Reyck. Cet officier raporte qu’au
commencement du mois d’octobre de l’année dernière, il est parti de Golgotha une flote de 13
à 14 bâtiments anglois apartenant tant à la Compagnie qu’aux particuliers, qui avoient à leur
bord 600 Européens et 2 000 cipayes avec un train d’artillerie dont lui, capitaine, dit avoir fait
l’équipage qui est assés considérable. Que cette flote devoit débarquer le tout à Visigapatam
100
où le raja de Visapour avoit desjà fait arborer le pavillon anglois et devoit y joindre nos
ennemis avec 50 mille hommes de ses troupes.

Que 2 autres rajas, moins puissants à la vérité que l’autre, devoient également les joindre
avec les leurs, ces 3 princes leur ayant à cet effet envoyé des ambassadeurs dans le Gange.
Que les Anglois de cette expédition étoient commandés par le colonel Fort et qu’ils devoient
pénétrer dans le Décan, d’où M. de Bussy avoit été rapellé à Pondichéry.

Que le siège de Mazulipatam devoit se faire au moins de décembre dernier, M. de


Moracin ayant eu ordre de se rendre à Pondichéry, en sorte qu’on ne doutoit pas que le Décan
et toute la partie de la côte d’Orixa dont nous étions les possesseurs et les maîtres ne
passassent à nos ennemis, les forces que nous y avions n’étant rien moins que suffisantes pour
leur faire face et les chefs les plus acrédités n’y étant plus.

Il a ajouté qu’il étoit arrivé à Madras au mois de novembre dernier 5 vaisseaux du roy*
d’Angleterre et des vaisseaux de compagnie portant 700 hommes commandés par le colonel
Drapper, indépendamment de 3 autres vaisseaux de compagnie au nombre de qui est le
Pond*, lesquels après avoir relâché ici sont arrivés à* la côte en octobre avec le régiment du
roy*, qu’il y avoit outre cela 400 hussards à Madras sous les ordres du baron de Wasserot*.

Qu’il a laissé 1 000 hommes de garnison à Golgotha lors de son départ. Que les Anglois
sont toujours les maîtres du païs, qu’ils ont fait une nouvelle fortiffication sur la pointe de
Growenport*, vis-à-vis le banc de Chanok, qui a coûté près de 3 lacqs24, qu’elle a un fossé de
120 pieds de large sur 20 pieds de profondeur, dans lequel entre l’eau du Gange au moyen
d’une écluse qui a été pratiquée. Que les Anglois ont relevé toutes les bouées, et que tous les
vaisseaux ne peuvent plus se servir que de leurs pilotes. Que Chandernagor, quant au fort, est
totalement rasé, que Mrs Courtin et St-Ré sont toujours prisonniers à Cazinbazar, et qu’enfin
M. Law continue de demeurer chès le nabab des Hout*, ou des bois, auquel les Anglois l’ont
demandé, mais que ce nabab leur a répondu qu’il ne vouloit pas le leur livrer, et qu’il lui
donneroit seulement l’asile, et la nourriture en payant, sans l’assister pour faire la guerre.

Voiàa, Messieurs, tout ce que j’ai sçu de ces officiers qui paroît au surplus très instruit et
avoir beaucoup de bon sens, et de* raisonnement. Comme je ne connois point ce* païs, vous
saurés mieux que moi la possibilité* de ces nouvelles ou non.

24
Un Lakh c'est 100 000.

101
Du 23 févier

M. de St-Martin, que je vous ai annoncé, Messieurs, dans le premier article de ma lettre,


comme passager sur un vaisseau danois, ne va plus en Europe. Son zèle pour le service de la
Compagnie l’a déterminé à continuer ses services dans le commandement de la Renommée
qu’il a actuellement, et c’est au sieur de St-Hilaire, officier du St-Contest, venant de
Chandernagor, que j’ai remis le duplicata de mon expédition des 2 et 5 novembre dernier.

Ses vaisseaux danois ont mis à la voile le 21 de ce mois.

Je compte que sous peu de jours le Duc d’Orléans et le Vengeur apareilleront pour l’isle
de France avec 6 mois de vivres chacun en boissons, farine, biscuit et ris. La flûte la Baleine
les suivra. Elle a actuellement 450 900 L. de blé, et je juge d’après les arrangements convenus
aujourd’hui avec le conseil de cette colonie ici que ce bâtiment en embarquera 90 milliers de
plus, ce qui fera un chargement de 540 900 L. en total.

Nous restons ici les vaisseaux : l’Illustre, le Fortuné, le Centaure, le Condé, la


Renommée, et la prise angloise le Grantham.

Je ne présume pas que nous puissions mettre à la voile avant le 20 ou le 25 du mois


prochain. Je vais actuellement achever l’aprovisionnement de* ces vaisseaux et je ferai en
sorte de pouvoir donner* pour 6 mois de vivres en tout genre aux vaisseaux de guerre.

Nous avons aujourd’hui 179 malades aux hôpitaux.

Je crois devoir vous prier, Messieurs, d’engager le ministre à faire remercier les Etats
Généraux des secours que nous avons reçus ici. Cette politesse me paroît due à tout qu’on y a
fait pour nous. Je vous ajouterai même que si la Compagnie pouvoit en faire une particulière à
M. de Tulback, gouverneur, et à M. le baron de Reede*, fiscal, cela seroit très bien. Ils nous
ont favorisé en tout point jusques à présent et nous en sommes extrêmement contents. Sur les
connoissances que j’ai prises ici des ressources qu’on en peut tirer pour les escadres et pour
les colonies tandis que la guerre durera, je ne craindrai point d’engager le Conseil supérieur
de l’isle de France à envoyer au moins 2 vaisseaux en cette baie à la fin de cette année pour y
prendre une carguaison de blé et de vin, et il seroit peu[t-ê]tre à désirer que quelqu’uns de nos
vaisseaux venant d’Europe pussent y relâcher pour y charger quelques natures de vivres.
Notre opération semble avoir donné de la confiance au gouvernement et aux gens du païs, et il
paroissent disposer à nous aider. D’ailleurs quelqu’uns des principaux membres du conseil ont

102
fait faire des ouvertures sur le désir qu’ils auroient que les compagnies de France et
d’Hollande pussent se lier ensemble de façon à contenir celle d’Angleterre. La* personne
chargée des paquets vous expliquera cela plus clairement, Messieurs, et si j’aprens qu’on en
ait écrit à la compagnie d’Hollande comme on a* insinué qu’on devoit le faire, j’aurai
l’honneur de* vous le marquer par la seconde flote.

La première, composée de 17 voiles, part après-demain, et je vais fermer mon paquet.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

103
Mondion à Silhouette

Première

Au cap de Bonne-Espérance, le 21 février 1759.

Monsieur,

J’ai trop peu de tems à moi pour pouvoir vous faire sur nos opérations ici tout le détail
que je désirerois, mais comme je m’étends avec le commité secret de l’Inde sur toutes les
parties qui intéressent notre objet, vous verrés, Monsieur, où nous en sommes à cet égard. Je
souhaite que dans la manœuvre que la malheureuse situation de l’isle de France nous à forcé
de faire, vous* soyés au moins content des soins et des peines que j’ai pris pour subvenir aux
aprovisionnements. Je ne vous cacherai pas qu’il en coûte beaucoup à* la Compagnie, mais je
vous prie en même tems de* considérer qu’il y a dans tous ces païs-ci des dépenses locales
qu’on ne sçauroit éviter*. 6 000 hommes de mer qui n’ont rien pour vivre et des colonies
épuisées, exigent nécessairement des secours immenses. En cherchant à les leur procurer*
nous avons autant songé au présent qu’à l’avenir.

Je vous suplie très instamment, Monsieur, de* ne point prendre en mauvaise part la petite
observation que je fais au commité touchant M. le commandant général des isles, je sçais que
vous l’honoriés de votre protection, mais il est tems de vous assurer qu’il en a abusé et qu’il a
toujours surpris votre religion. J’ai sacrifié les écarts que sa vanité ridicule* lui a fait faire
contre moi, à vos bontés et à la confiance que la Compagnie m’a marquée en toutes*
occasions, mais ce n’est pas sans un véritable chagrin* que j’ai vu les opérations arrangées en
France avec le* plus d’apparence de succès, renversées et arrêtées par le peu d’ordre et de
prévoyance dans les colonies. Je n’ose pas vous en dire davantage et je vous prie seulement de
croire que je vous parle avec toute la vérité que vous désirés partout.

Vous verrés par ma lettre au commité, Monsieur, que je le prie de se décider sur mon
compte pour la place de directeur que j’ai eu en vue de mériter en venant ici. Ce n’est point
pour lui forcer la main que je l’en presse, je ne demande pas non plus à jouir de cette qualité
aux Indes, suposé qu’on se détermina en ma faveur, j’en sens trop la conséquence, mais la

104
certitude de l’avoir lorsque le tems sera venu, me tranquilisera, et jusqu’alors mes services
seront entièrement à la Compagnie.

Oserois-je me flater, Monsieur, que vous voudrés bien y contribuer et me continuer votre
protection dont j’ai déjà reçu des* marques si intéressantes.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

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Mondion au comité secret

Reçu* le 23 aoust 1759 par voye d’Hollande

Au cap de Bonne-Espérance, le 19 mars 1759.

Messieurs,

La lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire le 17 du mois dernier, et ce que j’y ai ajouté
en date du 23, vous aura instruit en détail de toutes les opérations que nous avons faites ici
depuis que nous y sommes arrivés. Il ne me reste actuellement qu’à vous rendre compte de ce
qui s’y est passé depuis le départ de la flote hollandoise qui mit à la voile le 26.

1. Le 4 de ce mois nous expédiâmes pour l’isle de France les vaisseaux de guerre le Duc
d’Orléans et le Vengeur, et la flûte la Baleine. Les deux premier avec six* mois de vivres, et
la flûte chargée de 684 milliers de blé et d’autres effets pour la colonie. C’est par là que j’ai
terminé notre aprovisionnement, le gouvernement ayant depuis arrêté les fournitures en blé et
farine à cause de l’exportation trop considérable qui s’en fesoit et des besoins de cette
colonie-ci et de celle de Batavia. Cependant nous avons mis les six vaisseaux restants et
particulièrement les navires de guerre à six mois en* boissons et à 4 mois en farine, biscuit, ris
et viande salée. Au surplus, je peux* vous assurer, Messieurs, que les subsistances que nous
avons prises ici peuvent mener loin, et que l’escadre destinée pour aller cette année à la côte
Coromandel doit sortir de l’isle de France très bien munie en vivres indépendamment de ce
que les récoltes des isles fourniront. La partie des agrets, que j’ai encore augmentée par divers
achats, sera la moins complette. Cet objet mérite toute votre attention, car les vaisseaux ont
besoin de radoub, de carenne, et de gréément, et il sera même bien difficile de les envoyer en
Europe s’il ne parvient pas des secours en ce genre. Mais si les circonstances vous permettent
d’en faire passer, je crois devoir vous observer qu’il faut en recommander l’éconnomie et
surtout la distribution la plus convenable.

2. Je vous ai annoncé par ma dernière lettre, Messieurs, que je vous enverrois un état
préliminaire de la dépense que j’ai faite ici, et je l’espérois alors. Mais le grand travail que j’ai
eu m’en empêche, en sorte que ne pouvant vous rien adresser quant à présent de correct, ni
d’exact, j’ai trouvé plus à propos d’attendre que je puisse vous faire passer les états en forme
par les vaisseaux qui partiront de* l’isle de France pour Europe de 1759 à 176*. Je vous

106
informerai seulement que des 215 mille piastres que j’ai aportées de l’isle de France ici, je
n’en ai pu rembarquer que* 20 mille, et que je me suis trouvé forcé, par les gros
aprovisionnements et les achats indispensables pour le service de l’escadre et de la colonie, de
tirer sur M. Péchevin pour 134 401 florins ¾ courant d’Hollande fesant 49 778 piastres 2
escalins de lettres* de change, dont voici un bordereau triplicata*, vous adressant les deux
autres par 2 lettres particulières que M. le baron de Reede, fiscal de cette régence, et M.
Hemmy, négociant de cette ville, ont souhaitté que je leur donnasse pour les traites qu’ils y
ont en leur nom. Je ne vous cacherai pas que je crains beaucoup que cet arrangement ne soit à
charge à la Compagnie. Mais soyés certains, Messieurs, que ce n’est que malgré moi et
forcément que je l’ai fait. Représentés vous, Messieurs, ce que c’est que la dépense d’une
escadre de 13 vaisseaux armés de près de 4 000 hommes, laquelle manquoit généralement de
tout quand elle est arrivée ici. Il a falu la faire subsister au journalier jusqu’à présent,
l’aprovisionner en toute espèce de denrées et d’effets autant qu’il a été possible d’en trouver.
Il a falu songer aux autres vaisseaux qui sont restés à l’isle de France et aux besoins des isles
relatifs aux relâches et séjours de tous ces vaisseaux. Il a falu enfin porter ses* vues
extrêmement loin pour que les commandants de la marine fussent exactement convaincus que
votre intention étoit de ne négliger aucun des moyens propres à faciliter les opérations dont ils
sont chargés. Toutes ces réflexions que je ne vous fait qu’en abrégé, mais que votre
expérience et vos lumières déveloperont comme elles doivent l’être, m’ont déterminé à passer
au-delà de ce que je m’étois promis à moi-même*, de ce que j’avois eu l’honneur de vous
écrire par ma lettre du 17 du mois dernier. Bien des personnes sensées et attachées à votre
service m’avoient conseillé de prendre dès en arrivant ici tout l’argent que la confiance du
païs dans vos affaires auroit pu me faire trouver, parce que j’aurois raporté* à l’isle de France
ou à Pondichéry une somme fort au-dessus de celle qui est rembarquée. Peut-être trouverés-
vous que j’ai mal fait de ne pas suivre cet avis, mais les lettres que la Compagnie a écrites à
l’isle de France au sujet des traites m’ont tellement intimidé, quoique ces circonstances-ci
soient fort différentes de celles dont ces lettres fesoient mention, que je n’ai pas osé aller au-
delà du nécessaire absolu, et j’ai d’ailleurs aporté dans cette opération-ci toute l’économie et
tout l’ordre qu’elle exigeoit. C’est ce dont je vous suplie d’être bien persuadé.

3. Il est arrivé depuis quelques jours en cette baie plusieurs vaisseaux hollandois venant
de Zélande et d’Amsterdam par lesquels nous avons apris les événements fâcheux survenus à
des vaisseaux du roi, et les gasettes holandoises nous ont assuré qu’il y avoit encore du
changement dans le ministère de la marine. Un de ces vaisseaux a parlé à un bâtiment danois

107
allant à Trinquebard*, lequel n’a pu relâcher en cette baie à cause des vents contraires, et il a
sçu de lui que M. Pieter Hendrik Meyer, qui alloit commander dans ce comptoir à la place de
M. Krog qui* est relevé, étoit mort dans la traversée d’Europe ici. Un autre de ces navires a
été rencontré et visité le 5 du mois dernier par nos vaisseaux partis le 4.

4. Il y a un de ces vaisseaux destiné pour le* Bengale qui doit toucher à Négapatam. Je
me suis servi de cette occasion pour écrire à M. de Leyrit.

5. Nous fîmes avant-hier nos visites d’adieu et des remerciements au conseil de régence.
Les choses s’y passèrent fort honnêtement et même très cordialement, et nous nous quittons
tous fort contents les uns des autres. Depuis mon post-scriptum du 23 février et ma lettre
particulière du 24 du même mois, il m’a été encore insinué quelque chose sur ce que vous y
aurés vu, Messieurs, et j’ai tout lieu de croire que le conseil de cette régence écrira à
quelqu’unes des personnes les plus acréditées dans la direction en Hollande conformément à
ce que j’ai eu l’honneur de vous marquer.

6. Le nommé Jean Vivois fils [de] Guillaume, de Plouhinec, département de Quimper,


matelot à 22 L. 10 s. servant dans la chaloupe du vaisseau le Fortuné, a été trouvé ces jours-ci
flotant dans la rade et mort par conséquent. Il n’a pas été possible jusques à présent de savoir
comment cet accident lui étoit arrivé. Tout ce qu’il y a de vrai, c’est que la chaloupe de ce
vaisseau étoit resté à terre par mauvais tems, qu’elle avoit chargé des lègres de vin sur
lesquelles il manquoit 9 pouces*, le patron ayant permis aux matelots de boire ce vin, que
presque tout le monde étoit ivre, entre autre 3 hommes dont le mort fait parti*, et tout le reste
est ignoré. Le patron et* quelques gens de son équipage sont actuellement aux fers comme
prisonniers en attendant de plus grands éclaircissements et M. le fiscal doit nous donner le
raport que la justice du* païs a dressé en levant ce corps du bord de la mer. Cela s’est passé
dans la nuit du 14 au 15 et nous n’en avons été informé, le commandant et moi, que le 15 à
midy, c’est-à-dire trop tard pour faire vérifier si cet homme n’avoit pas reçu quelques coups
de bâton comme on l’assure. Il faut ajouter à cela qu’il y avoit un officier qui* commandoit la
chaloupe, lequel n’a pu rendre aucun compte de ce qui s’est passé.

7. Il est encore arrivé hier un autre accident à bord du Condé. La drisse de sa grande
vergue a rompu en la hissant, et comme elle n’étoit soutenue par aucune autre maneuvre, elle
a tombé sur le font et s’est éclatée, mais 3 jumelles qu’on y a mises la feront resservir.

108
8. De 5 hommes qui étoient dessus, le nommé Charles Courrouge, matelot à 15 L.
provenant du vaisseau le Machault, a été tué roide ; 2 autres matelots ont eu chacun le bras
droit cassé avec d’autres blessures, et les deux derniers ont aussi des blessures considérables.

9. Je vous prie d’envoyer à Lorient la note de la mort de ces deux matelots n’ayant pas le
tems d’écrire à M. d’Igoville.

10. Le Sr de Kercambre, premier lieutenant du vaisseau le Duc d’Orléans, est malade et


reste ici pour passer en Europe par les premiers navires hollandois qui en partiront avec le
sieur Deschamps, capitaine des gardes de M. de Leyrit, et le Sr de St-Martin, employé des
Indes au comptoir de Mahé.

11. J’ai remis à M. le Baron de Reede le duplicata de mon expédition des 17, 23 et 24 du
mois dernier, sur la parole qu’il m’a donnée qu’il vous parviendroit sûrement, et c’est au
secrétariat du conseil de régence que je remets le présent paquet. En voici un de M. Clouet
pour vous, Messieurs, et je vous suplie de faire passer à Mr Desbrières l’autre paquet ci-joint.

Je n’ai, Messieurs, rien autre chose à vous marquer.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

109
Copie de la lettre écrite à M. de Berrier, secrétaire d’Etat de la Marine, par M. de
Mondion à l’occasion de l’affaire de Mrs de Courcy et Querdisien.

Au port Louis, isle de France, le premier juillet 1759.

Monseigneur,

Je suis bien touché d’être obligé de vous porter des plaintes contre deux personnes de
mon corps dont je devois attendre du secours et des ressources au lieu des outrages que j’en
ai* reçus. M. de Querdisien, placé sur l’Illustre à la demande de M. le chevalier de Ruis, noyé
de dettes et embarqué sur les sollicitations pressantes du capitaine de ce vaisseau, étoit
certainement un hors d’œuvre dans notre mission. Il ne* s’agissoit pour lui que de tirer
quelque parti de cette campagne pour ses affaires particulières. On le connoissoit trop bien
dans les bureaux et en général dans notre service pour compter sur lui dans aucune occasion,
et le connoissant moi-même depuis très longtems je trouvois bon qu’il restât ici les bras
croisés* comme il a fait partout ailleurs*.

L’Illustre ayant été détaché pour le cap de Bonne-Espérance, M. le chevalier de Ruis


représenta qu’une mission de cette importance exigeoit un homme* de détail et laborieux, que
la compassion qu’il* avoit eue en France pour M. de Querdisien n’iroit jamais jusqu’à souffrir
qu’on lui confiât les moindre affaires auxquelles il pourroit avoir part comme commandant, et
particulièrement une opération de la conséquence de celle-ci. Comme il n’y avoit rien à
répliquer à cette observation, M. de Querdisien sentant lui-même son incapacité et sa paresse,
resta à terre, et je m’embarquai sur l’Illustre. La suite de cette mission prouve assés à ceux qui
connoissent M. de Querdisien, combien elle étoit au-dessus de ses forces. Il faut cependant
que son amour-propre l’ait rendu trop sensible, car il s’est lâché avec si peu de discrétion sur
le compte de M. le chevalier de Ruis pendant notre absence, que nous en avons été instruits au
Cap, et ayant trouvé dans la fierté et l’humeur violente de M. de Courcy toutes les
dispositions qu’il désiroit pour allumer le feu de la division, ces deux messieurs se sont unis
pour pousser les mauvais procédés à leur dernier période. Leurs batteries étoient dressées et
leur plan pris de façon qu’au moment ou nous arrivâmes ici et avant que je descendisse à
terre, je reçus de M. de Courcy un billet très indécent. J’y répondis modérément, et à peine
fus-je en ville qu’il m’adressa un autre billet encore plus indécent que le premier. Il me
l’écrivit même par duplicata tant il craignoit que je ne le reçusse pas.

110
Je ne puis, Monseigneur, faire entrer dans une lettre le détail de toutes les violences que
j’ai souffertes et de la modération constante que j’y ai opposéee. Pour vous mettre en état
d’en* juger, je prens la liberté de vous adresser le * des lettres et billets que j’ai reçus, et des
réponses que j’ai quelques fois été contraint d’y faire. Ce recueil est long, mais je vous
supplie de vouloir bien prendre la peine de le lire ou de vous en faire rendre compte. Vous
verrés, Monseigneur, qu’il ne faloit pas moins que ces pièces pour démontrer les excès dont je
me plains. Vous y trouverés mêlées quelques lettres de mon frère. Son caractère modéré l’a
engagé à essayer de ramener M. de Courcy et à éclairer M. de Querdisien, moteur de ces
tracasseries indécentes ; il y a perdu peines et démarches, et il a demandé le débarquement
d’un mauvais sujet qui mettoit tout en combustion. Sa lettre en date du 19 mai et les répliques
fières de M. de Querdisien, le refus qu’a fait ce dernier de prendre des moyens de douceur
pour se séparer, et enfin sa dernière lettre du 29 mai à M. de Ruis ironique et méprisante, sont
tels en un mot que cet officier compte vous en demander justice. Au surplus quand même M.
de Querdisien n’auroit pas été un homme absolument inutile, quand son embarquement
n’auroit pas été le fruit* des sollicitations de M. de Ruis, quand il ne m’auroit pas manqué et
fait tourner la tête à M. de Courcy, je me serois toujours cru fondé à le débarquer d’un
vaisseau dont le capitaine ne vouloit absolument pas le recevoir, et j’aurois pensé éviter par-là
des scènes violentes. Mais toutes* raisons se sont réunies pour me déterminer, et M. de
Querdisien ne voulant que de l’éclat au lieu de se retirer doucement, je lui ai donné un ordre
pour se débarquer avec la liberté de retourner en Europe, malgré les menaces et les hauteurs
de M. de Courcy qui a pris parti contre moi et qui a produit en ma présence, à un conseil
mixte où présidoit M. le comte d’Aché, un mémoire pour réclamer l’autorité du conseil contre
mon ordre. Il dit, avec un emportement aussi injurieux à l’assemblée que déplacé à mon
égard, qu’il donneroit un ordre contraire au mien, qu’il n’étoit pas fait pour servir sous un
homme comme moi, qu’il me commandoit peut-être actuellement en Europe, et qu’il se
plaignoit des indignes procédés que j’avois pour M. de Querdisien et pour lui. Cette scène
scandaleuse s’est passée mot pour mot comme j’ai l’honneur de vous en rendre compte devant
près de 40 personnes dont le conseil étoit composé, conseil auquel M. de Courcy avoit été
appellé par grâce. J’étois alors dans le moment le plus important de mes fonctions puisque je
rendois compte du travail que j’avois fait pour former la répartition du cordage à nos
vaisseaux selon ce que nous en avions, et il faut vous ajouter, Monseigneur, que les gestes et
le ton les plus menaçants accompagnèrent cet emportement odieux. Je ne fis d’autre réponse à
M. de Courcy que de lui dire qu’il se conduisoit bien indécemment, que s’il avoit des plaintes
à porter contre moi j’y répondrois en Europe.
111
Cette avanture avoit été précédée de 15 jours d’une explication qu’il eut avec moi en
présence de témoins dans laquelle il débuta par des termes que mon respect pour vous,
Monseigneur, m’empêche de répéter. Après lui avoir dit sèchement ce que j’en pensois, je me
retirai un quart d’heure pour calmer l’agitation que des propos de cette espèce avoient fait
naître, et enfin pour éviter une affaire particulière que je ne pensois pas devoir me faire en
pareille circonstance. Et l’ayant rejoint, il me dit* pendant plus d’une heure des choses de la
dernière violence et termina son impétueuse digression par me signiffier qu’il vouloit tous les
détails ou rien, et qu’il ne me regardoit que comme un commissaire rendant ses comptes et
renfermé dans son cabinet. En vain je lui offris dans la vue de la paix le détail des vaisseaux
du roi, tandis que je garderois celui des vaisseaux de la Compagnie, en l’admettant d’ailleurs
dans tous les arrangements que je ferois pour l’escadre. Rien ne fut capable de le faire revenir
et il me quitta presqu’aussi indécemment qu’il m’avoit abordé.

Depuis ce tems-là, Monseigneur, il y a eu deux autres explications à l’une desquelles M.


le chevalier de Ruis me fit l’amitié de se trouver. M. de Courcy fut moins violent qu’à
l’ordinaire, mais toujours aussi entêté à ne pas vouloir travailler, et je ne pus rien gagner sur
un esprit aussi altier et aussi emporté. Au surplus il a fait ce qu’il a pu pour que je lui
donnasse un ordre de se débarquer et de s’en retourner en Europe, et lorsqu’il a vu que ses
vivacités ne pouvoient me l’arracher, il y a employé une sorte de ménagements. Mais je l’ai
laissé livré à lui-même et j’ai conservé le même froid dans ses moments de tranquilité
apparente que dans ses accés d’emportement. Il m’a menacé d’écrire contre moi à tous les
intendants et commissaires généraux de la marine, à l’exeption de M. de Ruis*. Et pour
achever de vous peindre ces deux hommes, je vous rendrai compte, Monseigneur, qu’avant de
partir pour le Cap, je réglai la subsistance de M. de Querdisien à 4 piastres par jour, c’est-à-
dire 21 L. 1 s. 4 d. argent de France, la piastre à 5 L. 5 s. 7 d.*, et 14 L. 8 s. monnoie de cette
isle. Je prescrivois par mon mémoire que cette somme seroit payée moitié en piastres
effectives et moitié en billets de caisse. Vous verrés, Monseigneur, par l’apostille mise à mon
mémoire par M. de Courcy, que M. Magon a fait payer M. de Querdisien en piastres
effectives, ce qui dans les différents mouvements du courant de la place lui a produit jusqu’à
20 L. monnoie de cette isle ou 27 à 28 L. monnoie de France. Mais ce traitement trop honnête
pour un sujet comme lui, exactement inoccupé et inutile, ne lui ayant pas paru assés
considérable, il a désiré, et il m’a même sollicité de lui faire payer 20 L. par jour monnoie de
l’isle, parce que M. Magon lui fesant donner à la caisse des piastres effectives à 3 L. 12 s.,
lesquelles on revend dans le public 5 à 6 L. argent de l’isle, il se seroit trouvé jouir de 36 L. de

112
subsistance par jour monnoie de France, et le tems qu’il a choisi pour me faire cette demande
est précisément celui où je me plains de lui, de ses mauvais procédés et d’une inaction totale
dans le service. J’ajouterai à ce petit détail qu’il fit tout ce qu’il put le jour qu’il vint chés moi
m’en parler, pour réduire les choses à une affaire personnelle. Mais je n’épargnai rien pour
l’éviter, et cette dernière scène de sa part m’excéda tellement qu’il n’y a que l’espérance que
vous m’en ferés justice, Monseigneur, qui ait pu me la faire supporter.

D’un autre côté, la tête de M. de Courcy travailloit sans cesse, comme vous le verrés par
ses lettres des dernières dates, et malgré les justes motifs que j’avois d’être piqué contre lui, je
ne lui ai répondu de vive voix et par écrit que les choses les plus modérées. J’ai même fait aux
gens venus ici avec lui toutes les petites grâces personnelles qui ont dépendu de moi, et
lorsque par un ménagement poussé trop loin sans doute je l’en* ai fait prévenir, il a eu l’esprit
assés peu réfléchi pour me faire répondre des duretés, et pour décrier* mes bons procédés. Il a
fait plus, Monseigneur, il a écrit à M. Barry l’ainé, écrivain sur le Minotaure, la lettre dont je
lui reproche si justement l’indécence par la mienne du 22 juin. M. le chevalier de Ruis l’a lue
comme moi. Enfin que ne vous dirai-je pas de cet homme et de ses vivacités ? Personne ne
veut avoir affaire à lui et quand il a été chargé de quelque chose, c’étoit à qui ne lui parleroit
pas. D’ailleurs il ne finit rien, et je ne sçais si depuis 8 mois qu’il est ici il a rendu les comptes
de sa relâche à Rio Janeiro. Il ne connoît rien à la constitution du service de la Compagnie, et
tous ses arrangements s’en ressentent bien. Qu’on juge d’après cela s’il s’est acquis beaucoup
de considération et si les officiers et employés de la Compagnie servent volontiers vis-à-vis de
lui.

Je me flate, Monseigneur, qu’ayant opposé à toutes ces fureurs une patience dont mes
services, ma naissance et mon état pouvoient bien me dispenser, et ayant tout sacrifié au bien
du service, je ne serai pas trompé dans la justice que j’ose attendre de vous. Je demande
premièrement que M. de Querdisien soit cassé pour son insubordination, ses propos, ses
intrigues et la malignité avec laquelle il* a perpétué les violences de M. de Courcy. Quant* à
celui-ci qui en mérite autant, il ne laisse pas ignorer ses grandes protections. Il s’en vente très
haut, et il m’en a menacé verbalement plus d’une fois. Je ne sçais si l’intérest que des
personnes très respectables prennent à * ira jusqu’à le soutenir contre tout droit et toute
raison. Mais j’en doute beaucoup sur la réputation qu’elles ont.

J’ai offert plusieurs fois à M. de Courcy de* servir comme on le voit dans mes lettres et
par ce que je viens, Monseigneur, de vous mettre sous les yeux, mais tout ou rien a été ce que

113
j’ai tiré de moins violent de lui, et ne pouvant* décemment lui donner tout, il s’est
effectivement réduit à rien, car il s’est retiré à la campagne avec M. de Querdisien et le Sr de
Bergicourt, volontaire débarqué du vaisseau de la Compagnie des Indes le Fortuné et très
mauvais sujet dont il a fait son secrétaire. C’est de cette boutique scandaleuse que j’ai été
excédé de lettres, de propos et de menaces, tout cela dans une circonstance où j’étois accablé
de travail et en sortant de la mission du Cap où j’avois eu un ouvrage immense, dans un tems
enfin où il s’agissoit d’armer avec presque rien une escadre aussi considérable, et quoique je
l’invitasse à suspendre toute explication pour remplir au moins l’affaire générale et ce que
nous devions à l’Etat et à la Compagnie.

Je suis encore fort heureux, Monseigneur, que tout ceci soit écrit et énoncé dans nos
lettres respectives, car on devroit croire que je parle avec passion, et il faut que ces messieurs
ayent signé leurs violences pour les rendre croyables. Ils ont également manqué vis-à-vis de
moi, au service et au personnel, et si je me suis refusé jusqu’à la satisfaction de répondre aux
invectives et aux menaces, c’est que j’ai compté, Monseigneur, l’avoir à votre tribunal, et j’y
ai recours. Vous verrés par les pièces jointes à cet exposé que je ne pourrois sans infamie
passer sous silence leurs* procédés, et que pour tolérer leurs exès, il ne faloit pas moins que
l’espérance d’en obtenir châtiment. J’aurois désiré de tout mon cœur pouvoir vous cacher des
écarts de cette espèce, mais ces messieurs m’ont forcé de vous en rendre compte et n’ont
cherché qu’à me détourner des moments que je sacrifiois à mon devoir et à mon état. Il seroit
bien affligeant que m’étant comporté comme je l’ai fait, je n’obtinsse pas la justice que
j’attends de vous*, tant de modération de ma part deviendroit pour moi un sujet de honte et de
déshonneur. Je vous supplie donc, Monseigneur, d’avoir égard à* mes plaintes et aux pièces
jointes à ma lettre*, et j’ose espérer que si le vaisseau le Minotaure ne retourne pas en Europe
avant que ma lettre vous parvienne, vous aurés la bonté de rapeller M. de Courcy, car il n’est
plus possible que je puisse servir avec un génie aussi peu mesuré. Je ne sçais pas même ce que
je ne ferois point pour éviter une pareille association.

A St-Paul, isle de Bourbon, le… .

Je me flatois, Monseigneur, que je ne vous importunerois plus par mes plaintes contre
Messieurs de Courcy et Querdisien. Ce premier m’avoit vu, nous nous étions arrangés sur
quelques faits de service avec beaucoup de ménagement de ma part, et enfin sur ma réponse*
du 22 juin dernier, je comptois que ne voulant pas servir, il me laisseroit au moins tranquile et
114
ne* me troubleroit plus dans les occupations dont j’étois accablé sur la fin de l’armement de
l’escadre à l’isle de France. Mais quel fut mon étonnement, Monseigneur, lorsqu’après sa
retraite furtive au Réduit avec M. de Querdisien, ces deux messieurs envoyèrent sous cachet
volant à M. Magon un libelle diffamatoire contre moi en lui mandant de le présenter au
conseil de justice de cette isle, ce que ce gouverneur, depuis* longtems leur appui et leur
conseil, fit le 7 de ce mois sans rien témoigner de ce qu’il en pouvoit sçavoir et ayant étayé
cette noirceur de tout son crédit. L’enregistrement de cette pièce au greffe fut décidé sans
même aller aux voix. Par ce moyen elle est devenue publique, et sur ma requête, le conseil
m’en a fait donner une copie en forme.

Je ne sçaurois vous peindre, Monseigneur, la juste douleur dont me pénétra cette


démarche scandaleuse. J’écrivis sur-le-champ à M. le comte d’Aché pour le prier de
concourrir de son autorité à contenir des hommes aussi violents, et vous verrés par les pièces
sur cette affaire que j’ai ajoutées au dossier, que Mrs de Courcy et Querdisien ont été
suspendus de leur fonction et mis aux arrêts au Réduit jusques à ce que les frégates
l’Expédition et la Subtile, sur lesquelles ils seront embarqués, partent pour France. Cette
démarche de ma part, quoiqu’un peu forte dans le premier point de vue, est encore fort au-
dessous de la leur, car ce dernier trait met le comble aux horreurs dont ils m’ont accablé sans
cesse depuis mon retour du Cap. Pour cette fois-ci, Monseigneur, je vous demande hautement
une justice exemplaire, et je vous supplie de me permettre de poursuivre deux inférieurs, qui
ne s’étant pas contentés d’une insubordination outrée et des plus violents procédés à mon
égard, finissent par attaquer ma réputation et ma probité dans une mission qu’ils ne
connoissent point, à laquelle ils ne peuvent participer en aucune manière, et contre laquelle ils
ne disent que des absurdités et des faussetés énormes comme je le prouve dans ma réponse.
En un mot ils se sont rendus mes accusateurs et mes* calomniateurs, et mon honneur exige
une réparation et un châtiment proportionné à l’offense. Il n’y a que de votre équité et de
votre amour pour la justice que je puisse l’attendre, et je vous la demande, Monseigneur,
encore une fois tant en mon nom qu’à celui de mes frères qui se joindront à moi pour
l’obtenir. Des noirceurs et des excès de cette espèce m’ont mis dans un état affreux, et ma
santé, déjà fatiguée par un travail immense et continu depuis 8 mois, est altérée au point que
je ne sais pas si je pourrai suivre l’escadre jusques aux Indes. La lettre de service que j’ai
l’honneur de vous écrire séparément vous informera, Monseigneur, de toutes les dispositions.
Je suis venu ici sur l’Illustre pour y accellerer l’expédition de l’escadre, et mon départ
précipité laisse de l’arrière sans pouvoir faire autrement tous les comptes des vaisseaux pour

115
ce qui émane des comptoirs et arcenaux des isles, sans parler d’un compte particulier de plus
de 350 mille piastres que j’ai à rendre pour la mission du Cap et ses suites, mais je
m’arrangerai cependant pour envoyer toutes ces affaires-là à la Compagnie par les premiers
vaisseaux qui s’en iront en Europe, si comme je le prévois je ne peux pas aller plus loin qu’ici
ou Foulpointe.

Voilà, Monseigneur, dans la plus exacte vérité, l’état où m’ont réduit les assauts continus
de Mrs de Courcy et Querdisien. Ce premier a abandonné le service et m’en a fréquemment
détourné par ses inquiétudes. J’ai travaillé le* courant de notre armement sans pouvoir faire
autre chose, et enfin ma santé est dans le plus mauvais état du monde.

Je finis cette lettre déjà trop longue mais* indispensable, Monseigneur, en vous réitérant
que je vous demande justice de ces deux messieurs pour leur insubordination, leur
manquement de service et leurs calomnies atroces.

M. le comte d’Aché m’a fait part à son arrivée en cette isle, Monseigneur, de la pièce
qui* ferme le dossier joint à cette lettre. Je ne ferai aucune observation sur sa singularité, les
ordres de M. Magon ont été suivis, et Mrs de Courcy et Querdisien sont venus au camp
pendant les 2 jours que le vaisseau du roi le Zodiaque a resté après nous à l’isle de France. Il y
a de plus une lettre de ces messieurs à M. le comte d’Aché dont je ne vous parle pas, parce
que je crois ce général obligé de vous en écrire et pour plus d’une raison.

Nous écrivons, M. le chevalier de Ruis et moi, à M. de Ruis notre frère ainé, intendant de
la marine à Rochefort, de se joindre à nous pour vous demander justice. Comme je n’ai pas eu
le tems de lui envoyer les pièces, oserois-je vous suplier, Monseigneur, de vouloir bien les lui
faire communiquer ?

Je suis avec un profond respect, &a .

Pour copie conforme à l’original, à St-Paul, isle de Bourbon, le 22 juillet 1759.

MONDION

116
Mondion à la Compagnie

À* Messieurs les sindics et directeurs de la Compagnie des Indes à Paris

À St-Paul, isle de Bourbon, le 21 juillet 1759.

Messieurs,

J’ai reçu par la flûte le Dromadaire, arrivée à l’isle de France le 14 juin dernier après
avoir relâché ici, la lettre que la Compagnie m’a fait l’honneur de m’écrire le premier
décembre de l’année dernière.

Je vois avec plaisir que toutes les lettres que j’ai écrites au commité depuis la date du 22
septembre 1767 jusques et compris celle du 26 avril 1758, sont heureusement parvenues. Je
me réfère à toutes mes dépêches en date* des 9 juin, 9 et 17 septembre, 2 et 12 novembre
1758, 17, 2* et 24 février, et enfin 17 et 19 mars de la présente année, lesquelles sont parties
par le St-Priest, la Diligente et la voie du Cap. Les pièces jointes de toutes ces lettres auront
informé la Compagnie, Messieurs, de tout ce qu’il y a eu d’intéressant dans cette colonie et
dans notre mission chés les Hollandois. Avant d’entrer dans le détail que j’ai à faire à la
Compagnie de tout ce qui s’est passé depuis ma dernière lettre, je vais répondre à quelques
articles de la sienne.

1. Je vous ai prévenu, Messieurs, que j’allois travailler pendant mon voyage du Cap
à la reddition totale des comptes des dépenses faites pour l’escadre et autres objets, sur
les fonds embarqués à Brest et à Lorient dans les vaisseaux partis en mai 175*. Ce
compte est enfin rendu et j’en adresse ci-joint un bordereau à la Compagnie. Le
Conseil supérieur de l’isle de France s’est chargé de lui faire passer les états qui ont
été dressés par triplicata, moyennant quoi cela fait une affaire absolument finie dans la
forme prescrite par la lettre de la Compagnie du 18 janvier 1758, du moins pour ce qui
est de ma compétence.

2. J’envoye aussi à la Compagnie une carte des effets délivrés aux troupes de la
division de M. de Soupire, qui à ce que je crois, la mettra en état de former
l’arrangement dont elle parle au Conseil supérieur par sa lettre du 10 avril de la même
année. Il me reste pour satisfaire totalement aux ordres contenus dans cette lettre, à
remplir ce qui regarde le régiment de Lally, et c’est ce que je ne perdrai point de vue

117
dans l’occasion, ainsi que toutes les autres affaires de mon détail, dont la Compagnie
parle dans ses différentes lettres au Conseil.

3. J’ai fait part aux capitaine des vaisseaux de la Compagnie de ce qu’elle veut bien
me marquer sur les représentations qu’ils lui ont envoyées touchant le prix des rations
de table, eu égard à la cherté des vivres. Ils se flattent qu’ils recevront à ce sujet des
marques de bienveillance de sa part, et M. le comte d’Aché vous dira comme moi*,
Messieurs, que la distinction et le zèle avec lesquels servent vos officiers, méritent des
égards et des récompenses.

La Compagnie aura vu que l’affaire arrivé* entre le S. de Pallière et moi, à l’occasion de


l’écrivain de son vaisseau, est absolument finie, et comme je ne présume pas que cela puisse
se renouveller, je la prie de laisser cela là, ainsi que je l’ai fait.

Je suis fâché de la perte que la Compagnie a faite des 3 vaisseaux frétés partis de cette
isle pour France les deux années dernières.

M. Lobry, commandant le Fortuné, est mort à l’isle de France d’une hydropisie, nous
l’avons tous beaucoup regretté et c’étoit un bon serviteur de la Compagnie.

Le S. Masson, enseigne sur le Duc d’Orléans, resté malade ici après le départ de ce
vaisseau pour Foulpointe, y est mort ces jours derniers d’une inflammation au bas ventre.

4. M. Mahy ayant passé au commandement du Duc de Bourgogne par la démission


qu’en a donné M. Bouvet, la frégate la Silphide a été remise à M. le chevalier de
Monteil, et la Compagnie sentira aisément quel a été le motif de cet arrangement qui
convenoit par beaucoup de bonnes raisons.

Le sieur Le Houx, commandant la Fidelle, s’en étant démis par des motifs de
santé, le commandement en a été donné au S. Maugendre, premier lieutenant, qui avoit
remplacé le S. Bergé en qualité de second sur cette frégate lorsqu’elle est partie pour
aller à Pondichéry.

Je n’ajouterai rien à ce que la Compagnie aura vu dans toutes mes lettres du Cap
touchant les opérations que nous y avons faites. Les secours considérables que nous y
avons * sont arrivés ici à point nommé, et les vaisseaux de Chine sont venus assés à
tems pour suivre de bonne heure leur destination.

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5. Ce fut le 3 et le 4 mai dernier que la dernière division partie du Cap, le 21 mars,
arriva en cette isle, en sorte que tout s’est rendu à bon port.

6. Nous avons trouvé à notre arrivée les vaisseaux le Zodiaque, le Comte de


Provence et le St-Louis carennés après avoir eu des radoubs considérables aux corps
des vaisseaux et des ouvrages immenses dans leurs mâtures. Ensuite le Duc d’Orléans,
le Vengeur, le Centaure, la Silphide et la Fidelle ont été aussi carennés. Je compte
vous envoyer, peut-être par cette lettre, ou par une subséquente, un état exact de tous
ces ouvrages, mais en attendant je vous laisse à juger, Messieurs, du travail
extraordinaire que des opérations de cette nature ont nécessairement exigé dans un
port où il n’avoit été fait aucuns préparatifs à l’avance, et où le zèle et la bonne
volonté des officiers de port, de divers contremaîtres de l’arsenal, et enfin des officiers
de marine, ont seuls suppléé au peu de prévoyance de l’administration de la colonie de
l’isle de France. Il n’est pas possible que je puisse faire entrer dans une lettre le détail
de toutes les difficultés et de tous les retardements dont le peu d’intelligence a été la
cause. C’est à lui seul que l’escadre est redevable d’être partie si tard pour la côte, et la
Compagnie en aura la preuve dans les lettres et mémoires que M. le comte d’Aché m’a
dit qu’il lui envoyoit, ainsi je ne dis rien de plus.

7. L’arrangement des vivres pour l’escadre a été fait pour 6 mois ou environ, à
compter du premier de celui-ci, suivant les intentions de M. le comte d’Aché et
d’après ce qui nous a été écrit de Pondichéry, ainsi que je vous le marque, Messieurs,
dans la suite de cette lettre, en sorte que les vaisseaux dernièrement arrivés de France
nous ont fourni la farine et la viande salée qu’ils avoient, le reste de
l’approvisionnement devant se prendre à Foulpointe avec le complément de Noirs
nécessaires pour achever les équipages.

C’est à compter du 18 juin que les vaisseaux de l’escadre ont commencé à filer de
l’isle de France ici, et ensuite à Foulepointe où est le rendés-vous général.
L’Hermione, bâtiment de charge destiné pour Pondichéry, a mouillé avant-hier à St-
Denis, où elle a quelques effets à prendre, et c’est elle qui est sortie la dernière de
l’isle de France. L’illustre et le Vengeur doivent appareiller d’ici cette nuit, le
Zodiaque, le Minotaure, le Centaure et les frégates la Silphide et la Fidelle, qui y ont
mouillé le 19, en sortiront demain.

119
8. Le senaw le Volant, capitaine Leyridé, arriva ici le 5 mai, venant de Pondichéry,
et fut expédié le 13 du même mois pour retourner à la côte, mais M. le comte d’Aché
lui donna ordre de prendre langue à Mahé où nous avons adressé nos paquets à M.
Louet pour les faire rendre à Pondichéry. Je me suis servi de cette occasion pour écrire
à M. de Leyrit et pour le prévenir de nos mouvements. Il est bon de vous dire,
Messieurs, que par les lettres que nous en avons reçues M. le comte d’Aché et moi, il
nous mande que l’escadre n’a à espérer à Pondichéry ni vivres, ni agrets, qu’il n’a pas
le sou et que les partis ennemis ont enlevé toutes les récoltes à plus de 26 ou 30 lieues
aux environs de la place. Et enfin il m’exhorte, ainsi que M. le comte d’Aché, à
pourvoir l’escadre en tout genre le plus abondamment que nous pourrons, parce que
malgré sa bonne volonté, il ne pourra lui rien fournir. C’est par cette raison qu’elle a
pris à l’isle de France, ici, et qu’elle prendra à Foulepointe, tous les vivres possibles.

Je ne vous parle pas, Messieurs, des nouvelles qu’on a eues de la côte parce que
vous les saurés plus positivement que je ne pourrois vous les dire.

9. Voici, Messieurs, une lettre séparée que j’ai l’honneur d’écrire à la Compagnie,
par laquelle je lui rends compte de quelques discussions qui ont eu lieu à l’isle de
France et parmi lesquelles il y en a qui méritent la dernière attention. De ce nombre
sont celles que Mrs de Courcy et Querdisien m’ont suscitées et qu’ils ont poussées
jusqu’à l’extrême, comme la Compagnie le verra par le dossier énorme que je lui
adresse dans mon autre lettre. Je lui observerai en même tems que M. de Courcy ne
m’a secouru, ni aidé en rien, en sorte que je me suis trouvé chargé d’un travail
immense dans lequel je n’ai reçu de soulagement que de la part de M. Babinet et de M.
de Rochecourte. Heureux encore si on m’eut laissé faire mon métier tranquillement,
mais j’ai été perpétuellement troublé et dérangé par des écrits et des violences, enfin,
sortant d’une mission aussi laborieuse que celle du Cap, je me trouve exténué par
celle-ci et de l’arrière sur toutes les affaires de comptabilité, tant pour les dépenses
dont j’ai fait moi-même les payements, que pour celles à arranger dans le comptoir,
comme les fournitures pour le radoub et armement des vaisseaux de l’escadre, la prise
angloise le Granhtam dont les suites sont très laborieuses, et d’un détail immense, et
en un mot tout ce qui peut servir à constater avec la plus grande exactitude les objets
qui ont rapport à mon détail. Figurés-vous, Messieurs, l’état où je me trouve à cet
égard, et représentés-vous que j’ai maintenant à rendre à la Compagnie un compte de
près de 4 cents mille piastres effectives qui m’ont en grande partie passé par les mains,
120
compte pour lequel je n’ai pu jusqu’à présent former que des minutes d’états
préliminaires pour l’arrangement total desquels il me faut un travail de plus de six
semaines d’arrache-pied à ne faire que cela. Parce que dans ces états il faut d’abord
que je comprenne les premières dépenses faites par les vaisseaux du roi en octobre
dernier à leur arrivée à l’isle de France, celles du Cap, celles faites à l’isle de France
en dernier lieu, et enfin celles faites ici, tous ces objets portant sur les fonds embarqués
à Brest par les vaisseaux de M. de L’Eguille. Si vous voulés bien descendre,
Messieurs, dans le détail que tout cela comporte, vous y verrés un ouvrage très étendu
et très compliqué. Vous en pouvés juger par les dépenses faites sur les fonds
embarqués à Brest et à Lorient dans les vaisseaux de M. d’Aché, dont je vous ai
annoncé le bordereau au commencement de cette lettre et dont le Conseil supérieur de
l’isle de France vous envoye les états. Ce n’est encore rien, Messieurs, que l’ouvrage,
mais ce sont les discussions que j’ai eu à soutenir comme vous le verrés. Les trois
quarts de mon tems ont été employés à des misères qui m’ont altéré considérablement
la santé et qui m’ont mis en panne sur ce que j’avois de plus intéressant à terminer.
Comme il m’a paru par la lettre de la Compagnie du 18 janvier de l’année dernière
qu’il étoit important pour elle d’avoir très promptement les comptes des dépenses des
vaisseaux, j’ai obtenu de la pluspart des capitaines des vaisseaux du roi leurs blancs-
seings pour mon affaire particulière et pour celle du comptoir, et des capitaines de la
Compagnie, leurs blancs-seings pour les payements qui m’ont passé par les mains.
Avec ce secours je vais tâcher d’arranger et de vous faire passer mon compte le plustôt
que je pourrai. Je me suis encore déterminé à venir ici, où je suis arrivé sur l’Illustre le
16, pour faire l’expédition, mais il m’est absolument impossible d’aller au-delà. Je suis
excédé de travail, de fatigues, de tracasseries et de chagrin, et j’ai besoin de repos,
premièrement pour ma santé, et secondement pour rendre des comptes que ma
délicatesse et mon zèle pour le service de la Compagnie me prescrivent de finir avec
netteté. Je supplie la Compagnie, Messieurs, de prendre l’exposé que je viens de lui
faire en considération et en bonne part, parce que certainement je lui parle en bon
serviteur. Le chevalier de Ruis, qui voit* l’état où je suis pour ma santé et mon travail,
est convenu lui-même que je ne pouvois pas faire autrement. Je confierai le détail de
l’escadre à M. Babinet, qui sans trop de prévention, s’en acquittera comme il a déjà
fait, c’est-à-dire tout aussi bien que moi pour le moins. Je sais bien qu’il faut que je
passe dans l’Inde, et je le dois non seulement à mon état, mais même aux vues que j’ai
de m’instruire du service de la Compagnie. Mais il faut aussi que ce soit dans des
121
circonstances qui n’exigent par le sacrifice que je serois obligé de faire aujourd’hui. Il
y a d’ailleurs, Messieurs, beaucoup d’autres motifs à vous dire que je supprime parce
que mes représentations deviendroient trop longues et que vos lumières y suppléeront.

10. Je crois pouvoir vous annoncer, Messieurs, que le dessein de M. le comte d’Aché
est de s’en retourner en Europe avec un vaisseau armé en guerre, en janvier ou février
prochain, qu’il prendra sous son escorte les vaisseaux de la Compagnie qui pourront
être chargés à l’isle de France. Il en informe le ministre et peut-être même le mande-t-
il à la Compagnie. Ce projet aura lieu s’il ne vient pas d’autres arrangements
d’Europe. Je ne prévois pas que je puisse me servir, Messieurs, de cette occasion pour
passer en France, parce que quand bien même j’aurois terminé toutes les affaires que
j’ai actuellement sur les bras, je n’aurois pas vu l’Inde comme je dois la voir. Je
suppose toujours par l’envie que j’ai d’acquérir des connoissances sur le service de la
Compagnie, que vous voudrés bien m’accorder la place que je vous ai demandé et que
je désire avec tant d’empressement. Si par malheur je ne l’avois point, j’en ai vu plus
qu’il ne m’en faut pour mon état de commissaire de la marine.

Vous voyés bien, Messieurs, que ne saisissant point l’occasion de m’en aller en
France avec M. d’Aché, c’est comme je vous le répète, dans la vue de terminer toutes
les affaires du détail que vous m’avés confié, et de pousser mon instruction le plus loin
que je pourrois. Si je sacrifiois le désir naturel que je pourrois avoir de m’en retourner
en Europe, jugés par-là des bonnes raisons que j’ai eues et que j’ai encore aujourd’hui
de ne pas aller aux Indes actuellement. Ce petit détail ne sera pas inutile, et il doit
préparer la Compagnie contre les insinuations qui lui ont été et qui lui seront
certainement faites à cet égard.

11. Ce fut le 11 de ce mois que M. Desforges arriva à l’isle de France sur la Subtile.
Il y a été vu de fort bon œil par tout le monde et la marine du roi lui a fait toutes sortes
de politesses et de prévenances. Le vaisseau du roi le Zodiaque lui tira 13 coups de
canon et la place 11 seulement, sans lui donner aucunes troupes. M. Magon étoit allé
au Réduit ce jour-là, d’où il revint le lendemain matin que le corps de la marine, M. le
comte d’Aché à la tête, alla voir M. Desforges et lui fit dans la salle du gouvernement,
en présence de tous les corps de la colonie, le compliment suivant :

« Le corps de la marine du roi réuni avec celui de la Compagnie vient, Monsieur,


pour vous marquer la joie qu’il a de vous voir gouverneur ici, et vous en faire son
122
compliment. Nous sommes bien fâchés de n’avoir pas plus de tems à y demeurer pour
faire connoissance avec vous. Nous espérons que ce sera à notre retour et que nous
trouverons en vous, Monsieur, un bon militaire, un bon citoyen et surtout un honnête
homme, que nous cherchons depuis longtems sans le trouver ».

Ensuite il embrassa M. Desforges et ils allèrent s’asseoir ensemble au bout de la


salle avec M. Magon, qui pendant tout le compliment étoit resté derrière M. le comte
d’Aché. Il falloit qu’il fût malade ou fatigué, car il étoit fort pâle, encore tout guêtré et
en habit de campagne, quoiqu’il eût pensé que la visitte étoit pour lui, étant venu dans
cet équipage recevoir M. le comte d’Aché jusqu’au milieu de l’escalier. Mais sur ce
que j’entendis qu’on lui disoit, je jugeai qu’on le détrompoit très positivement de cette
pensée.

Du 23 juillet au matin

12. Les vaisseaux le Zodiaque, le Minotaure, le Centaure, et les frégates la Silphide


et la Fidelle ont appareillé cette nuit, après avoir été approvisionnés pour 6 mois en
légumes secs et en raffraîchissements pour leur traversée d’ici à Foulepointe. Je me
réfère au détail que M. Bouvet fait à la Compagnie pour les Noirs destinés pour
l’escadre et pour ceux qui doivent passer à Pondichéry aux ordres de M. de Lally.

J’ai remis le détail de l’escadre à M. Babinet, sur les talents et les soins duquel je
vous répète, Messieurs, que la Compagnie doit être tranquille. Il vous informera de
Foulepointe de l’état positif de l’escadre. Ce que je peux vous en dire et ce que je vous
prie de croire, c’est qu’elle est en bonne position pour le monde et pour les vivres, et
qu’il n’y a à déplorer que les retardements survenus pour son départ.

13. C’est par l’Hermione, qui prend des bombes à St-Denis, que je fais passer mes
paquets à Foulepointe, d’où M. le comte d’Aché doit expédier pour France la frégate
la Fidelle, sur laquelle M. Bouvet, ci-devant commandant le Duc de Bourgogne, doit
aller en Europe porter les expéditions. Cet arrangement a été tenu fort secret, ainsi la
Compagnie ne recevra peut-être pas tous les détails qu’elle pourroit désirer de l’Inde,
touchant la levée du siège de Madrass et les opérations que l’on assure avoir été faites
par les Anglois à la côte d’Orixa.

123
Je vais tâcher, Messieurs, de me rétablir, afin de travailler ensuite aux affaires de
mon détail que j’ai à arranger dans ces deux colonies.

Du 23 juillet au soir

14. Je vais, Messieurs, fermer mon paquet : dès 11h ce matin on ne voyoit plus les
vaisseaux. L’Hermione ayant fait voile de Saint-Denis, nous l’avons fait mouiller ici
ce soir, et elle partira demain dans la nuit.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

124
Mondion à la Compagnie

À* Messieurs les sindics et directeurs de la Compagnie des Indes

À St-Paul, isle de Bourbon, le 22 juillet 1759.

Messieurs,

Cette lettre-ci est uniquement destinée, comme je vous en ai prévenu dans l’autre, à vous
mettre sous les yeux les incidents particuliers que j’ai essuyés de la part du gouverneur de
l’isle de France, et pour entrer en matière je commencerai par quelques faits qui sont
communs au chevalier de Ruis et à moi.

1. Je vous prie de vous rapeller, Messieurs, ce que j’ai eu l’honneur de vous marquer
du Cap à l’occasion de M. le commandant général dont on nous avoit insinué le
rappel. Sa* conduite à mon égard et à celui du chevalier de Ruis a été pire que par le
passé. Il ne s’est pas contenté de décrier la mission que nous venions de remplir, il
m’avoit préparé pendant* mon absence une explication au conseil pour votre* lettre
dont l’extrait est ci-joint, et dans laquelle je me plaignois qu’on ne m’avoit point*
marqué l’envoi de deux conseillers au Cap. Vous verrés, Messieurs, au pied de cette
lettre, la délibération prise contre moi à ce sujet avec un récit* exact de ce qui s’est
passé à mon retour, lorsque je parus pour la première fois au conseil, c’est-à-dire
qu’au lieu d’y recevoir des politesse sur la façon dont j’avois rempli la mission, j’y*
aurois* essuyé une scène très fâcheuses, si par considération pour la Compagnie je n’y
avois pas apporté une sagesse toute particulière, mais m’étant conduit comme je l’ai
fait, ça été dans l’espérance que vous me feriés justice. Je vous la demande donc,
Messieurs, et je vous prie de donner ordre que cette requête en forme de délibération
soit biffée. Je ne suis pas accoutumé à des écritures de cette espèce, et me voir inscrit
de cette façon-là dans des registres est pour moi un sujet de peine que je ne puis
dissimuler. J’espère donc que la Compagnie aura égard à la nature de cette affaire et
qu’elle verra ce qu’une pareille délibération suppose quoiqu’elle ne le dise pas.

2. Vous rapellerai-je encore, Messieurs, ce que je vous ai marqué du Cap sur le


pillage du Gransham ? M. le commandant général a cherché par des pratiques et des
menées sourdes à y interresser M. le chevalier de Ruis et moi. À l’abri du ministerre
public, il a poussé les choses très loin sans cependant oser nous nommer, mais elles
ont été jusques à faire assigner Mr Babinet à qui je donnai ordre de comparoître au

125
greffe. [Dans la marge :* avant son départ de l’isle de France* il a été récollé sur* les
dépositions.] Il y déposa ce qu’il avoit fait par nos ordres, mais d’après ce que nous
savions mon frère et moi, nous sentîmes bien que c’étoit un marchepied pour monter
jusques à nous. Les instigations auprès* du S. de Marceney, officier du Fortuné et
aide-major de l’escadre, que nous avions employé pour l’exécution de nos
arrangements lors de l’arrivée de la prise au Cap, et celle faite aux prisonniers, en sont
des preuves très certaines, mais ce que j’ai l’honneur de vous dire n’est pas écrit. Enfin
la vérité a arrêté ces noirceurs, et vous jugerés aisément, Messieurs, de ce qui auroit
résulté des suites d’un pareil acharnement si nous eussions été aussi peu mesurés que
le commandant général. Nous l’avons laissé travailler lui et sa séquelle sans* en faire
semblant, quoique j’eusse dans mon portefeuille l’information en règle que j’avois
faite au Cap, information par laquelle je pouvois détruire tout ce que des gens
entendus là-bas devant 7 à 8 officiers, auroient pu dire par subornation, et je conserve
cette pièce. Enfin M. de Magon en a été pour ses mauvais procédés, pour ses propos
indécents et pour ses suggestions, ainsi que son procureur général par intérim, et quant
au fond de la question, il leur a été impossible comme à moi de découvrir les auteurs
du pillage fait dans les premiers instants.

3. Faut-il encore que je vous rende compte, Messieurs, que quelques jours avant mon
départ de l’isle de France, M. le commandant général me détacha le S. Dupetitval, son
secrétaire, pour me demander si je n’avois plus besoin des prisonniers anglois parce
qu’il vouloit les envoyer ici. Cette démarche extrêmement insidieuse et dangereuse
pour moi ne m’étonna pas de sa part. Je répondis en présence du chevalier de Ruis,
que je n’avois jamais eu besoin de ces gens-là. Qu’on auroit dû conformément aux
instructions du roi et aux vôtres, Messieurs, les faire sortir de l’isle. Il y a plus d’un
mois et demi au moins, c’est-à-dire depuis que leurs dépositions pour la validité de la
prise ont été faites aux termes de l’ordonnance du 20 décembre 1756, qu’il auroit fallu
les serrer quelque part, ne les faire* loger ni manger au gouvernement comme on
l’avoit fait, ni leur laisser en même tems la liberté d’aller partout comme ils l’ont eue.
Aussi je vous les donne pour très instruits du païs et de tout ce qui s’y est passé depuis
qu’ils y sont. Je terminai ensuite ma réponse en disant que c’étoit au surplus l’affaire
du gouverneur de l’isle, et M. le secrétaire sentit* très bien ce que j’avois l’honneur de
lui dire.

126
4. Vous pensés bien, Messieurs, qu’après une suite aussi constante de procédés
extraordinaires du commandant général, tant dans le service que dans les choses
personnelles, nous sommes certainement très éloignés l’un de l’autre, et il y a bon
nombre d’honnêtes gens dans ce cas-là de* qui vous en entendrés parler. Je
n’insisterai pas même sur cet article à cause de ce que vous savés d’ailleurs sur son
compte, mais je soumets le tout à vos lumières et à votre jugement.

5. M. le comte d’Aché m’a dit qu’il envoyoit au ministre de la Marine, à celui des
Finances et à la Compagnie, un dossier assés considérable de lettre et de mémoires qui
renferment des détails essenciels de tous les événements qu’il y a eu à l’isle de France
à l’occasion de l’armement de son escadre. Ces pièces vous instruiront assés sans que
j’y ajoute rien. Je ne puis cependant, Messieurs, vous cacher un fait qui a raport à ce
général en particulier et dont il ne vous parle pas. Un matelot du vaisseau du roi le
Minotaure fut tué il y a quelque tems d’un coup de bayonnette par un soldat de votre
garnison, et ce soldat ayant été arrêté et conduit chés M. le comte d’Aché, ce général
le renvoya à M. de Magon comme de droit, pour être jugé ainsi qu’il apartiendroit.
Après avoir examiné au conseil criminel la procédure préparatoire de cet assassinat et
lu les conclusions de M. le procureur général, nous vîmes qu’il demandoit à faire
assigner M. le comte d’Aché pour être ouï sur le raport qui lui* avoit été fait, comme
si les commandants étoient dans le cas d’être entendus en qualité de témoins, hors
certaines circonstances qui n’avoient pas lieu dans celle-ci. M. le commandant général
appuya ces conclusions de tout son savoir*. Croiriés, Messieurs, que cela auroit passé
sans M. Gosse, homme droit et éclairé, qui eut bien de* la peine à faire concevoir
l’irrégularité d’une pareille démarche. J’y joignis mes représentations et il n’y eut rien
de fait à cet* égard. Jugés, Messieurs, de l’éclat qu’auroit entraîné un semblable
événement dans l’état critique où se trouvoient les choses, et de quelles façon on traite
les gens et les affaires dans ce païs-ci.

6. À tout ce que je viens de vous dire, Messieurs, qui n’est desjà que trop long, je ne
puis cependant m’empêcher d’ajouter les tracasseries indécentes qui m’ont été faites
par M. de Courcy. Je vous envoye ci-joint son dossier avec la copie de la lettre que
j’écris à M. de Berryer en lui demandant expressément justice.

Ces pièces vous en diront assés sans que j’en augmente encore le détail. Le nouvel
excès que Mrs de Courcy et Querdisien viennent de commettre m’a forcé de recourrir à

127
l’autorité de M. le comte d’Aché, et vous verrés ces Mrs en France par l’Expédition et
la Subtile. Ils auront tout le tems de dire leurs raisons et de me préparer de nouvelles
amertumes s’ils le peuvent. Pour moi je ferai pendant ce tems mon devoir et mon
métier comme je le fesois avant de les avoir dans l’escadre : les opérations alloient
alors tranquillement et sans guerre intestine. Mes frères se joindront à moi, et mon
intention est de poursuivre ces Mrs de manière qu’il en résulte une punition et un
châtiment exemplaire. Ma réputation, et la confiance dont la Compagnie m’a honoré,
l’exigent. Mon frère et moi écrivons à M. de Ruis à Rochefort de suivre cette affaire
auprès du* ministre avec la plus grande chaleur, et si les* pièces contenues au dossier
ne paroissent pas suffisantes pour le décider, nous comptons faire* de plus amples
mémoires. Je ne peux rester dans le corps où je sers, ni entrer dans celui où je cherche
à être admis, sans avoir obtenu la réparation authentique qui m’est due, et je me suis
flaté, Messieurs, que vous seriés les premiers à me le faire avoir. Je finis par ce dernier
trait dans lequel M. le commandant général s’est jetté à corps perdu* selon son
caractère. Je finis donc, car c’en est assés pour vous, et c’est malgré moi que je vous ai
fait tous ce détails, mais que n’ai-je pas tenté pour l’éviter comme vous le verrés ! Je
vous demande toujours, Messieurs, la continuation de vos bontés et* votre confiance,
elles seules me soutiennent dans le poids du travail qui m’accable, et ma santé est dans
un état si pitoyable que je me suis forcé pour venir ici faire l’expédition de l’escadre,
mais je ne saurois aller plus loin et je succombe à tant de fatigues et de peines.

Il y a encore eu du nouveau à l’isle de France depuis que j’en suis sorti sur
l’Illustre, comme vous le verrés par l’avant-dernier article de ma lettre au ministre de
la marine et la dernière pièce du dossier. Je ne ferai point de commentaire sur cela,
Messieurs, il n’y a qu’à lire, et je finis sans vous rien dire de plus, accablé par toutes
ces tracasseries et exténué de travail.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

128
Mondion à la Compagnie

Extrait de la lettre écrite par M. de Mondion à Mrs du Conseil supérieur

à l’isle de France

Au cap de Bonne-Espérance, le 26 janvier 1759.

Voilà, Messieurs, tout ce que j’ai pu rassembler de nouvelles intéressantes, et en même


tems ce que j’ai en général à vous mander sur notre position et mon détail. Je ne crois pas
devoir terminer cette lettre sans vous observer qu’il auroit été bien à désirer que vous eussiés
eu la bonté de me donner avis de la mission de M. Clouet et de M. Mabille. Il semble que cela
convenoit assés aux deux places que la Compagnie m’a confiées, et à tout ce qui s’étoit passé
sur notre opération à l’isle de France dans les différents conseils d’administration auxquels
vous m’avés fait l’honneur de m’admettre. Je vous dirai avec vérité que j’aurois été fort
embarrassé si M. Mabille et M. Clouet ne s’étoient pas conduits aussi sagement qu’ils l’ont
fait. Un mot* de vous, Messieurs, m’auroit instruit et c’est tout ce qu’il me falloit.
Heureusement que tout le monde s’est comporté avec beaucoup de modération sans s’être
même consulté. Le succès de notre opération en est la preuve la plus certaine.

129
Copie de la requête et délibérés présentés au conseil supérieur de l’isle de France par M.
Magon à l’occasion de la lettre ci-dessus

Du 23 avril 1759

M. Magon ayant représenté au conseil que M. de Mondion, par sa lettre du 26 janvier


dernier, affectoit de confondre la mission de Mrs Clouet, député du conseil au cap de Bonne-
Espérance, et Mabille, passager pour ledit lieu, il a été délibéré qu’à l’arrivée de M. de
Mondion sa lettre lui seroit représentée pour en avoir l’explication de lui-même. Fait au
conseil les mêmes jours et an que dessus.

Signé : MAGON

Et plus bas est écrit de la main de M. Gosse : « Je trouve par la lecture de la lettre citée ci-
dessus que M. de Mondion se plaint seulement qu’on ne l’ait pas prévenu des arrangements
pris par le conseil à l’égart de M. Clouet, ni du départ de M. Mabille. »

Le 23 avril 1759

Signé : GOSSE, LEJUGE, BOURCERET de St-JEAN.

Je demande actuellement si ma lettre au conseil, auquel j’ai toujours fait pendant mon
séjour au Cap des détails de service que je ne lui devois pas, exigeoit la représentation et le
délibéré qu’on vient de lire.

Je fus prévenu à mon retour à l’isle de France, que lorsque je paroitrois au conseil pour la
première fois, on me parleroit de ma lettre. Mais il ne devoit être question que de la forme que
je lui avois donnée. C’est-à-dire que je n’avois point détaché le mot de Messieurs en haut ni
en bas, quoique j’eusse donné ceux Je suis avec la plus profonde considération, &c, et que
l’on sente par-là combien je m’étois agenouillé, ne devant cette forme d’écrire qu’à la
Compagnie, vis-à-vis de laquelle je la remplis avec plaisir. Mais M. le Commandant Général
avoit changé de sentiment, et il n’agita que la question de savoir pourquoi je confondois
l’envoi de M. Mabille avec celui de M. Clouet, et ce dernier éleva beaucoup la voix, ainsi que
le procureur général Candos. De ce moment-là je jugeai que ces Messieurs avoient envie que
je fisse comme eux quelque sottise. Mais ne perdant jamais de vue la véritable considération

130
que j’ai pour la Compagnie, je leur dis que je regardois la mission de M. Clouet comme
l’objet le plus important, quoiqu’au fond il n’ait fait que remettre une lettre au Cap, en
rapporter la réponse ici, et recevoir pendant la campagne mille marques de bontés de la part
de M. le chevalier de Ruis. J’ajoutai que quant à la mission de M. Mabille, c’étoit une affaire
de la marine du roi, et d’autres choses vagues et polies dans ce goût-là. Les 3 messieurs,
contents de mon hommage, se turent, mais M. le commandant général se garda bien de me
dire qu’il avoit fait enregistrer d’avance la délibération ci-dessus, dans l’espérance que le
conseil ne feroit nulle difficulté de la signer. Mais le sens de ma lettre étoit trop clair pour
qu’il s’y méprît, et il ne signa effectivement que l’avis de M. Gosse. Peut-être que la
Compagnie ne regardera pas cette affaire du même œil que moi, mais l’éclat qu’elle a fait ici
exige que j’en demande réparation, et je me flatte que votre intention, Messieurs, n’est point
de me mettre dans le cas de rougir* d’avoir toujours été si sage et si modéré, mon respect seul
pour la Compagnie, m’ayant contenu dans des bornes que l’amour-propre devoit si
naturellement me faire franchir.

Fait à St-Paul, isle de Bourbon, le 22 juillet 1759.

MONDION

Mondion à Silhouette

Première

*plainte rremière sur des procédés particuliers*

À St-Paul, isle de Bourbon, le 23 juillet 1759.

Monseigneur,

J’ai reçu par le vaisseau le Boullongne, arrivé à l’isle de France le 8 de ce mois, la lettre
dont vous m’avés honoré le 24 mars de cette année, et je vous suplie de recevoir mon
compliment sur votre nomination à la place de contrôlleur général des finaces.

Le compte que j’ai rendu en détail au commité secret de l’Inde de la mission que nous
avons remplie M. le chevalier de Ruis et moi chés les Hollandois, vous aura mis sous les yeux
le succès inespéré qu’elle a eu et la considération que les François s’y sont acquis*. Elle est en
même tems une preuve du zèle* ardent que j’ai pour mon état et pour le service de la

131
Compagnie. Vous n’ignorés pas, Monseigneur, quelles ont été les vues qui m’ont conduit ici,
puisqu’il a été un tems, il m’a semblé que vous daigniés les protéger. Mon embarquement à la
suite* de l’escadre de la Compagnie, que j’ai désiré avec tant d’empressement et que vous
avés eu la* bonté de favoriser, n’a eu d’autre but que celui de mériter une place de directeur ;
sans cette espérance, il y a longtems que je me serois épargné des tracasseries et des
discutions en m’en retournant en Europe. L’*espoir seul m’a donc soutenu jusqu’à présent
non seulement dans le travail immense dont je suis accablé, mais même contre les noirceurs
qui m’ont été faites. Je vous suplie, Monseigneur, d’en prendre communication dans le
dossier que je suis forcé d’envoyer à M. de Berryer et à la Compagnie.

Je ne crains point les imputations, il me sera toujours très aisé de les détruire, autant par
la façon donc je sers, que par la fidélité de mes opérations et le bon ordre de mes procédés.
C’est ce que je prouverai en tems et lieu s’il le faut. Quant aux personnalités, Monseigneur,
c’est M. de Magon qui a affecté d’en mettre vis-à-vis de tous les honnêtes gens. Vous
recevrés contre lui les plaintes les plus fortes en n’admettant même que les faits de service. Il
se vante de votre protection et en conséquence il entreprend tout. Sera-t-il possible,
Monseigneur, qu’avec l’équité que tout le monde vous connoît, vous continuyiés d’honorer de
vos bontés un homme qui en abuse depuis si longtems ? Je suis pénétré, Monseigneur, des
sages maximes que vous me recommandés de suivre, mais le tems où j’ai commencé à en
faire usage n’est pas celui où j’ai commencé à servir la Compagnie. D’ailleurs, comment ne
pas mettre de personnalité quand on ne trouve jamais que cela partout et dans tout. Par
exemple, Monseigneur, avés-vous permis* à M. de Magon de me menacer de fusiller* ?
[Dans la marge : procédé particulier] Cependant c’est le moindre de ses excès, et pensés-vous
que cette hardiesse de sa part, vis-à-vis d’un homme de condition qui a servi avec tant
d’agrément sous les ministres et les généraux de la marine les plus distingués, pensés-vous,
dis-je, Monseigneur, que ce soit là de ces misères qui puissent s’oublier aisément ? Cependant
j’ai eu* la sagesse de ne vous en point parler et vous* m’écrivés d’une façon mortiffiante et
propre* à me décourager, tandis que je mets tant de modération dans mes procédés, tant de
circonspection dans mes écrits, et que je me livre tout entier aux devoir de mon état.

Lorsque je serai de retour en Europe, et que je vous demanderai justice sur tant d’autres
faits, si vous me la refusiés, Monseigneur, ne seroit-ce pas me dicter l’obligation où je serois
de me la faire moi-même ? De quel œil ma famille et les gens d’honneur me regarderoient-ils
après tant d’affronts restés impunis ? Il y a 15 ans que je travaille avec la Compagnie, vous le
savés, Monseigneur, faite vous rendre compte de la façon dont je me suis conduit, et vous
132
verrés certainement que j’ai mérité l’estime et l’amitié des personnes avec lesquelles j’ai eu à
travailler. Il est vrai que jusques au moment où je suis venu ici, je n’ai eu affaire qu’à ce
qu’on apelle véritablement des honnêtes gens. Il seroit moins humiliant pour moi de sentir que
vous me soupçonnés de quelque tort si j’étois le seul à me plaindre de M. de Magon, mais
c’est la cause commune de tous les gens de probité, il n’en est point qui n’en pense et qui ne
s’en plaigne comme moi. J’ai de plus seulement de nouvelles et de continuelles indignités à
lui reprocher, et* la conduite odieuse de Mrs de Courcy et Querdisien, avec lesquels il a formé
une cabale dont il est sorti un tissu d’horreurs que je suis forcé d’envoyer à M. de Berryer* et
à la Compagnie, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire plus haut, cette affaire pour laquelle
ma famille se joint à moi sera poursuivie très vivement.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre trés humble et trés obéissant
serviteur.

MONDION

133
Pour Messieurs les sindics et directeurs de la Compagnie des Indes

Lettre respectives de M. de Mondion, et de M. de Courcy, qui sont le fondement ou


les suites du mécontentement de M. de Courcy, de sa retraite à la campagne, et de son
refus de servir avec M. de Mondion à terre, ou dans l’escadre.

Observations de M. de Courcy sur le Mémoire que M. de Mondion laissa à


mémoire ci-contre : ces 2 pièces étoient M. de Courcy à l’isle de France en partant
jointes à la lettre de M. de Courcy du 3 mai pour le cap de Bonne-Espérance.
1759.

M. de Mondion laissant à M. de
Ma destination sur les vaisseaux
Courcy, comme il ne pouvoit s’en*
commandés par M. le chevalier de Ruis,
dispenser, le détail de toute l’escadre*, tant
qui vont au cap de Bonne-Espérance y
des vaisseaux du roi que*de ceux de la
faire un approvisionnement de vivres, tant
Compagnie des Indes, de quel droit lui
pour l’escadre que pour la colonie, laisse à
donne-t-il des ordres du cap de Bonne-
M. de Courcy le détail de tous les
Espérance ? Cette façon de faire n’a jamais
vaisseaux du roi, et de ceux appartenant à
été en usage dans aucun service.
la Compagnie des Indes qui restent en ce
port.

Je n’ai rien à lui marquer à cet égard


parce qu’étant au fait* du service, il
arrangera les détails comme il le jugera à
propos. Je* vais seulement lui faire à ce*
sujet quelques petites observations
particulières.

134
Pour mettre le détail de l’hôpital dans Il aura soin, s’il veut bien, que les
un ordre convenable, et tel qu’il auroit écrivains, tant des vaisseaux du roi que de
toujours dû être, M. de Courcy a chargé M. ceux de la Compagnie, comptent tous les*
Barry, écrivain principal de la marine du 15 jours avec l’hôpital de ce* port, et qu’il
roi, de suivre les mouvements de cet n’y ait aucun double employ, ni erreur de*
hôpital. Il n’a jamais été plus en règle. nous dans les journées d’hôpitaux.

M. de Courcy a fait lui-même la* Je pense que dès le départ du* dernier
revue générale à bord de tous les* vaisseau qui doit sortir d’ici pour aller au
vaisseaux restant à l’isle de France, Cap, M. de Courcy fera bien d’ordonner
accompagné du major de l’escadre. qu’il soit fait à bord de chacun des
vaisseaux du roi, et de la Compagnie, un
Cette revue étoit d’autant plus
appel exact des équipages qui restent, et de
nécessaire qu’on avoit pris sans aucune
s’en faire donner un extrait fidèle afin de
précaution, et sans en fournir* avis au
constater au vrai la consommation des
bureau des armes*, du monde dans tous
vivres, et d’y ajouter un recensement des
les* vaisseaux pour composer le nombre
vivres existant à bord, de ceux qui se
d’équipage de ceux de la division de M. de
trouveront dans les magasins à terre, pour
Ruis. Les abus à ce sujet on été extrêmes.
le mettre en état de prendre les
Le recensement des vivres restant* à arrangements qu’il jugera convenables sur
bord des vaisseaux du roi a* été fait. Il y en une affaire d’une aussi grande importance.
a copie dans le* bureau des commissaires
de la marine. Il auroit été à désirer* qu’on
eût remis avant le départ* des vaisseaux
pour le Cap

135
un* état général de ce qui avoit été* pris à
Pondichéry. Ce manque* d’attention a
occasionné beaucoup de travail, et bien des
abus.

M. de Courcy, peu de tems après le Le Sr Tevin, chargé du détail de la


départ de M. de Mondion, avoit eu lieu boulangerie établie sur l’isle aux
d’être mécontent du Sr Sevin. Peu après, Tonnelliers, étoit ci-devant embarqué en
les apparences de sa bonne conduite vis-à- qualité d’écrivain sur le vaisseau de la
vis de lui, l’avoient déterminé à lui confier Compagnie des Indes le Bien-aimé, et il est
le détail de la boulangerie sur l’isle aux resté malade en cette isle. Monsieur de
Tonnelliers. Des raisons trop fortes pour Courcy sçait que ce vaisseau s’est* perdu à
être dédruites ici, ont forcé M. de Courcy à la côte coromandel, et le Sr Leroi de
lui ôter ce détail. Petitval* qui* succédé au Sr Sevin a fort*
mal tenu en règle ses rôles* et écritures.
Le Sr Sevin, en enorgueuilli de la
J’ai chargé le Sr Sevin de mettre cette
bienveillance qu’on lui accorde, a si fort
affaire* au clair, et je prie Monsieur de
démérité auprès de M. de Courcy, qu’il
Courcy de s’en faire rendre* compte de
peut s’attendre à le trouver toujours dans
manière que nous puissions savoir où nous
son chemin. Comme il n’y a pas eu
en* sommes sur cet article, au moins
d’occasion pour France, il est resté à terre.
autant qu’il sera possible, et à qui l’on aura
L’affaire du Bien-aimé est en règle. Le Sr
recours pour avoir les éclaircissements que
Leroy n’a été employé dans* aucun détail.
le défaut d’ordre du S. Leroy a mis dans le
cas de chercher partout où l’on pourra les
trouver. Ce travail fait, autant que les
circonstances le permettront, je prie
Monsieur de Courcy de contribuer en tout
ce qui pourra dépendre de lui à faire
passer en France le Sr Sevin, qui me l’a
demandé très instamment.

136
Le Sr Château Chalon est un* très bon Le Sr Château Chalon, écrivain sur le
sujet qui faute d’occasion est resté à terre. Moras, m’a fait la même demande. Je serai
obligé à Monsieur de Courcy, de lui
procurer la même grâce lorsque l’occasion
s’en présentera. Bien entendu que le Sr
Château Chalon aura mis ses comptes en
règle autant qu’il lui aura été possible de le
faire.

Les Srs Guillemain et Sevin disent que Il y a du travail à faire par M.*
ce travail étoit en règle avant le départ de Guillemain et par le S. Sevin à l’occasion
M. de Mondion. de la prise angloise le Cigne, pour le
Zodiaque et le Bien-aimé, et M. de Courcy
se fera rendre compte par eux de ce qui
reste à arranger sur cet objet.

M. de Courcy a gardé à ses ordres le Je laisse mon canot et son équipage


canot de M. de Mondion, lorsque M. le composé de 7 hommes à la disposition de
comte d’Aché a voulu, à la demande du Monsieur de Courcy, et je le prie d’en
capitaine de port, en prendre l’équipage. commettre le soin et* l’usage particulier à
M. de Courcy s’y est poliment opposé, et M. de Rochecourte, écrivain principal de la
M. le comte d’Aché n’a plus pensé à cette Compagnie des Indes, à qui j’en écris et
affaire. M. de Rochecourte ne s’est jamais qui veillera à ce que qui que ce soit ne
servi* de ce canot. s’empare du canot, ni des canotiers sous
quelque prétexte que ce puisse être. Je n’ai
que trop de raisons pour reccommander
très fortement cet article à Monsieur de
Courcy et à M. de Rochecourte.

137
Les billets qui seront tirés pour les besoins
de ce petit bâtiment, doivent être timbrés
pour le compte du roi, et à porter dans un
chapitre particulier, au compte du vaisseau
du roi le Zodiaque. Quant à celui de
Monsieur de Courcy, c’est la Compagnie
qui doit faire la dépense des agrets et
réparation à y faire, attendu que le canot
est à elle.

Je n’ai pas besoin de recommander M.


M. de Rochecourte a toujours été de Rochecourte à Monsieur de Courcy. Le
malade, s’il avoit* été en santé, il n’auroit bien qu’il en sçait m’est garant de la
jamais été qu’en sous ordres* avec M. de bienveillance que je le prie de lui marquer
Courcy. Il en sera toujours de même des en toute occasion. Il est malade, et je lui ai
écrivains principaux qui se trouveront sous recommandé de ne songer qu’au
lui lorsqu’il sera en chef. rétablissement de sa santé.

Le vaisseau le Vengeur a reçu, pendant la


traversée de Rio-Janeiro en ce port,
Je ne vois que M. de Mondion qui
quelques parties des vivres du vaisseau du
puisse mettre cette affaire en règle. M. de
roi le Zodiaque. Monsieur de Courcy aura*
Courcy n’a pas jugé à propos d’en prendre
la bonté d’en faire dresser un état signé* de
connoissance.
M. de Pallière, du premier lieutenant et de
l’écrivain du vaisseau, et dans cet état il ne
sera question que de la quantité et qualité
des vivres. Le prix des vivres ne pouvant
être constaté qu’après la reddition de mon*
compte,

138
Monsieur de Courcy gardera cet état
jusqu’à mon retour et s’il y avoit quelques
autres fourniture dans le même cas, il en
usera de même.

Monsieur de Courcy trouvera, dans


mon* bureau les cartons où sont les papiers
M. de Courcy n’a rien trouvé* dans les
des vaisseaux venant de l’Inde, dans
cartons du* bureau qui ayent pu lui*
lesquels il pourra prendre les
donner aucun renseignement ; il s’y étoit
éclaircissements dont il aura besoin pour le
attendu*.
service courant. Car pour la relâche de
Pondichéry, nous avons un ouvrage
immense à faire, qui ne pourra s’effectuer
qu’à notre retour : c’est de mettre dans la
forme convenable tous les états de
dépenses, ceux des vivres n’étant pas
même encore signés.

Monsieur de Courcy sait que nous


M. de Courcy a fait payer à* M. de sommes convenus ensemble que la
Querdisien, son camarade et son égal à subsistance de M. de Querdisien lui seroit
tous égards, quatre piastres par jour de payée à raison de 4 piastres par jour, pour
subsistance. lui et pour ses deux domestiques.

139
M. Magon a* bien voulu par amitié pour* Comme cela pourroit faire un objet sur les
ces deux MM. faire payer cette subsistance piastres gourdes, il pourra lui en faire
en piastres effectives de la caisse* payer la moitié en billets de la caisse, et
passer cette dépense dans les comptes du
vaisseau du roi l’Illustre. Bien entendu que
si on* lui donne des piastres effectives, il
faudra que ce soit des fonds de l’escadre,
car on ne sauroit en avoir de la caisse.

Mon avis est que dorénavant les


M. de Courcy n’a donné qu’un enseignes des vaisseaux du roi n’ayent que
modique à compte de subsistance à deux deux piastres gourdes de subsistance et une
capitaines, des vaisseaux du roi, bien demie-piastre idem* pour leurs
malades. domestiques, ou à défaut de piastres, 11 L.
5 s. argent de l’isle. Et je sens que j’aurois
bien fait de traiter sur ce pied-là ce que j’ai
arrangé ci-devant, qui ne doit plus avoir
lieu. Quant aux lieutenants, c’est une
demie-piastre de plus, et je pense encore
qu’il faut que ce soit toujours en billets
attendu la rareté des piastres, et qu’on ne
peut les prendre que sur les fonds
appartenants à Pondichéry.

M. de Courcy n’a pas jugé* à propos Je prie Monsieur de Courcy de se*


de donner le brevet d’écrivain principal à* souvenir du brevet d’écrivain principal à
M. Guillemain. donner à M. Guillemain.

140
C’est M. de St-Martin, sous-marchand
et garde magasin des effets de marine,
auquel j’ai remis un brevet d’écrivain du
roi qui, de l’agrément du Conseil supérieur
de cette isle, a été chargé de suivre en mon
absence le détail des prises. Il a aussi en
dépost tous les papiers concernant le
Zodiaque, le Cigne, et les prises. C’est un
dossier que M. de Courcy se fera
représenter quand il le jugera à propos.

Je n’ajouterai rien au détail ci-dessus,


et Monsieur de Courcy a toutes les
lumières nécessaires pour diriger les
opérations dont il est chargé. Je m’en
raporte à tous les arrangements qu’il
pourra faire pour le service.

Au port Louis, isle de France, le 8 novembre 1758.

Signé : MONDION

141
Lettre écrite par M. de Mondion à M. de Courcy

Au cap de Bonne-espérance, le 26 janvier 1759.

J’ai reçu, mon cher Courcy, la lettre que vous m’avés fait le plaisir de m’écrire le 5
décembre de l’année dernière, et j’ai été flaté de l’attention que vous avés eue à me donner de
vos nouvelles.

Je sçais plus que personne de quoi certains capitaine de* la Compagnie sont capables, et
il m’est arrivé avec eux ce qui n’arrivera certainement à qui que ce soit. Ainsi je sens que M.
… a eu avec vous des torts dont vous avés très bien fait de lui dire votre sentiment. J’aurois
souhaité que vous n’eussiés nommé l’autre capitaine parce que je l’aurois servi en
conséquence de ses procédés, mais aussi il y a à prendre garde, mon cher Courcy, d’employer
des gens de notre tripot qui puissent nous compromettre, et le Sr de Bergicourt est fort propre
à cela. Si d’un côté M. … a eu tort de le relancer au lieu de vous en porter des plaintes tout de
suite, de l’autre le Bergicourt est très condamnable d’avoir osé prendre dans le service un ton
que nous ne prendrions pas nous-mêmes. Si vous continués à l’employer, tenés le dans des
fonctions très bornées, et je vous demande en grâce que cet homme ne soit jamais chargé que
des écritures et des choses les plus communes, c’est-à-dire comme un commis du premier
ordre. Malgré tous ses efforts, il n’avoit pas trouvé auprès de moi l’accès qu’il a sçu s’ouvrir
auprès de vous. La protection que vous paroissés lui avoir accordée, et la considération que je
vous dois, m’ont empêché, ainsi que je vous l’ai déjà marqué de Bourbon, de le faire
renvoyer. Si vous voulés qu’il reste, il faut le contenir afin d’éviter tout sujet de discution.
D’ailleurs, je vous ajouterai que si les choses sont comme tout le monde les raconte, il a été
question, outre l’affaire de Bergicourt, de 9 barils de farine que j’avois permis à M. … de
garder à son bord. Il en a débarqué 3, et il a, se conviens, très mal manneuvré pour garder les
6 autres, ne devant en cela s’adresser qu’à vous. Mais vous, mon cher Courcy, n’auriés vous
pas pu lui laisser cette farine lorsque vous avés sçu que je* la lui avois accordée, quand même
j’aurois mal fait, et mes arrangements, absent comme présent, ne doivent-ils pas avoir leur
effet ? Ce qui vous est échapé sur cela n’a que trop éclaté, et n’a que trop fait jaser toute la
marine de la Compagnie, à laquelle il est bon d’ôter toute occasion de tenir des propos. Je
vous suprime d’autres détails d’affaires arrivées à l’isle de France depuis mon départ, dans
lesquelles je me suis trouvé mêlé, lors des sorties que vous avés faites à différents particuliers.
Je ne vous en parlerois pas si elles n’étoient devenues publiques ici, et même dès avant mon

142
départ de Bourbon. Si je fais mal ma besogne, reprenés moi en particulier, et que ce soit
seulement entre nous.

Le brevet d’écrivain du roi que vous avés donné au Sr Le Dehan est on ne peut pas mieux
placé. C’est un sujet qui a du mérite, et qui y joint un personnel très convenable. Il seroit
même à souhaiter que tous les écrivains de la Compagnie lui ressemblassent.

Quant à la destination que vous avés donnée à M. Régnier, toute sorte de besogne, sera
très bien entre ses mains, mais il auroit été à désirer qu’avant mon départ vous eussiés eu la
bonté de me communiquer vos vues, quand ce n’auroit même été que par un reste de
considération pour un service mourant. Je me flate que vous m’avés rendu la justice de croire
que cet objet ne m’avoit point échapé, et que vous avés jugé en même tems que des raisons
essentielles m’avoient empêché d’effectuer ce qui convenoit à la chose. Vous ne les avés pas
devinées, je vais donc vous en instruire. Rapellés-vous comment les matelots ont été envoyés
à Bourbon, et si jamais vous et moi, nous avons été consultés comme notre état l’exigeoit sur
une affaire presque toute de notre compétence, on y a fait passer des officiers, vous jugés bien
de là que ce n’a pas été pour que nous fissions notre métier plus librement. Ainsi au contraire,
croyés-vous que si j’avois eu part à cette exportation, j’eusse envoyé comme on l’a fait, une
aussi grande quantité de monde sans boissons, sans hardes, sans ustenciles, sans remèdes, et
enfin sans cette préparation d’écritures qui maintient toutes les choses dans le bon ordre ? J’ai
prévu le désordre et la confusion, mais l’épée ayant absolument empoigné cette affaire, je me
suis bien gardé de m’en mêler, résolu d’ailleurs de la* laisser finir comme il plairoit à Dieu, et
me réservant quand je serois éperonné par la marine du roi, et par la Compagnie, de répondre
des choses sans réplique. L’état que nous avons envoyé de Bourbon à M. le comte d’Aché, et
qui vous est sans doute parvenu, a dû vous mettre sous les yeux combien peu de prévoyance
on a apporté dans toute cette affaire, et un homme de notre* métier qui en auroit arrangé une
dans ce goût là mériteroit d’être fouetté par la main du bourreau. Qu’avés-vous donc fait,
vous, mon cher Courcy, en envoyant M. Régnier à Bourbon ? Vous nous avés chargé* par-là
d’un détail exactement dans le plus grand désordre, pour qu’on s’en prenne à nous si les
comptes des dépenses que la Compagnie aura à répéter sur le roi* ne sont pas véritablement
établis, et je vous préviens que quelque chose que l’on fasse, jamais cette affaire ne sera tirée
au clair, parce que moi qui sçais un peu ma besogne, je ne pourrois pas me flater d’en venir à
bout. Vous me répondrés à cela que j’ai laissé le Sr de Villardeau à Bourbon. Mais c’est un
simulacre d’opération, et une chose sans conséquence dont le but est d’ailleurs connu de moi
seul, et puis vous ne sçavés pas les difficultés que j’ai essuyées pour qu’il y restât. Pourrois-je
143
d’ailleurs vous ajouter, mon très cher, que si vous aviés quelque crainte qu’on nous eût accusé
de négligence pour un objet aussi intéressant, vous deviés penser qu’on s’en prendroit à moi,
et que la tête à pérruque que je porte sur mes épaules depuis 40 ans passés, sçauroit bien se
défendre. Avoués-le, mon cher, c’est un coup d’autorité que vous avés voulu faire. Hélas,
vous n’avés pas besoin de ces choses-là avec moi, et mon intention est que vous fassiés tout,
mais laissés moi le soin de la forme. Au reste voici à peu prés, et selon mon sistème, le plan
de conduite que nous devons tenir ensemble, et séparement dans nos fonctions vis-à-vis de
l’épée. C’est de n’être nulle part quand nous ne serons pas l’un et l’autre à notre véritable
place. Il faudra toujours bien qu’on vienne à nous quand il s’agira de terminer les affaires et
nous redonnerons nos signatures, et le tour de maître qu’à celles que nous aurons prises dès
leurs principes, et que nous aurons arrangées comme elles doivent l’être. C’est ainsi que
formé à l’école des niais de Sologne, et à celle des Auvergnacs à nez creux, je me conduis
depuis quelques ans en ça, &a, et puis, &a.

Permettés moi de vous rappeler la requête que je vous présentai à mon départ de l’isle de
France pour vous prier de donner un brevet d’écrivain principal à M. Guillemain. Vous
connoissés ses services, et vous sçavés toute la satisfaction que M. le comte d’Aché en a
marquée. Vous conviendrés d’ailleurs avec moi qu’un officier d’épée à qui le vaisseau du roi
le Zodiaque devroit son salut, comme il* le doit positivement au Sr Guillemain, méritoit la
croix de St-Louis. Je vous dirai de plus, sans reproche, que je vous ai sacrifié les 4 seuls
brevets d’écrivains principal* en blanc qui me restassent, et je vous en ai laissé la distribution
et la signature. Quoique je fusse encore présent là-bas, c’étoit à la vérité un agrément que je
vous devois, mais pouvois-je croire que je désirois si longtems une grâce que j’étois le maître
de faire, et qu’il semble que je n’aurois pas dû attendre autant par raport à moi
personnellement que par raport au sujet dont il s’agit. Je lui écris de se débarquer si vous ne
voulés pas lui donner le brevet d’écrivain principal parce que je ne veux pas qu’il serve en
qualité d’écrivain ordinaire sur les vaisseaux. J’en mande la raison à M. le comte d’Aché, et il
n’y a point d’authorité telle qu’elle puisse être qui révoque cet arrangement.

La façon dont vous vous estes expliqué sur le compte de M. Mabille lorsqu’il est parti de
l’isle de France, a été sçue ici de beaucoup de gens. Je n’ai rien à vous dire sur cela parce que
ce sont de ces choses particulières qui ne me regardent point, mais je crois devoir vous
observer qu’il y a été fort sensible parcequ’il avoit cherché à mériter vos bontés. Prenés garde,
mon cher Courcy, que ce ne soit la une magonade, permettés que je vous conjure de vous
deffier des méchants et des idiots qui sont à l’isle de France. Ne vous fâchés pas de cette
144
petite observation, ce n’est assurément pas pour vous faire de la peine que je vous la fais, ainsi
que toutes les autres que vous verrés dans cette lettre, c’est uniquement par amitié pour vous.

Le chevalier de Ruis m’a fait part des inquiétudes que M. de Querdisien avoit
témoignées, avant notre départ de l’isle de France, sur des opérations qu’il prétend avoir été
faites à bord de l’Illustre, et auxquelles il a semblé donner une tournure ténébreuse et
singulière. Comme l’embarquement du seigneur de Querdisien est l’ouvrage propre de M. de
Ruis, je ne lui ai répondu autre chose sinon que « vous l’avés voulu Georges Dandin »25, mais
je vous préviens que cela avec le reste a fort mécontenté le chevalier de Ruis et qu’il n’est rien
moins que disposé à rembarquer mondit seigneur sur son vaisseau. Vous comprenés bien que
je ne me mêlerois point de cette affaire parce que le voyage de M. de Querdisien est une chose
personnelle de M. de Ruis à lui, et qu’elle n’a nul raport au service. C’est à cette occasion que
je peux très phisiquement, mais avec bien plus de justesse que vous ne l’avés fait, lui
appliquer ce que vous disiés de M. de Rochecourte « cet homme ne n’est point annoncé ». Et
en effet, il n’en est question nulle part dans nos chroniques. Je vous prie donc d’insinuer à
mondit seigneur qu’il se tienne tranquile, qu’il reçoive sa subsistance, et ne se mêle pas
d’autre chose. Quant aux plaintes qu’il pourroit faire passer en France, il en peut prendre la
peine s’il veut, pour moi je ne ferai pas sur cela la moindre écriture où il soit question de lui.
Il y a eu aussi quelques détails faits de l’isle de France sur une certaine conversation qui a été
tenue à l’occasion des lettres de change prises par le chevalier de Ruis, &a. Cela est fort bien,
mais il auroit falu que les causeurs, pour être à leur aise, eussent prévu que ledit chevalier
n’eût point retourné là-bas, ou, ce qui auroit été mieux, c’est de le mander aux ministres. Cette
dernière opération auroit on ne peut pas mieux réussi, et je serois enchanté qu’un pareil coup
fût arrivé, &a, encore une fois.

Je vous souhaite une bonne santé, mon cher Courcy, et je suis bien sincèrement votre, &a.

25
Réplique tiré de George Dandin ou le Mari confondu , une comédie-ballet dramatique en trois actes
de Molière, créée à Versailles le 18 juillet 1668.

145
Autre lettre de M. de Mondion écrite à M. de Courcy

Au cap de Bonne-Espérance, le 28 février 1759.

Voilà encore 3 vaisseaux que nous expédions demain pour l’isle de France, mon cher
Courcy, qui sont le Duc d’Orléan et le Vengeur, et la flûte la Baleine qui a un chargement de*
684 milliers de blé, et c’est par là que nous terminons notre approvisionnement en ce genre.
Ce complet n’a* pas été aisé à obtenir, et je prévois qu’il y aura des difficultés pour avoir le
biscuit et la farine que je comptois faire embarquer sur les six vaisseaux restant. Je me flate
cependant que nous aurons au moins ce qu’il* nous faudra dans ces deux sortes de vivres pour
nous rendre à l’isle de France, mais il est vrai aussi de dire que les Hollandois se sont prêtés à
nos besoins de la façon du monde la plus courante, et nulle autre colonie que celle-ci ne
pourroit soutenir une exportation, et une consommation de 2 millions 400 milles livres de blé,
et 4 000 barriques de vin qui se sont consommées depuis notre arrivée jusqu’à ce jour. Cela
nous prouve ce que c’est qu’une terre entre les mains de ces gens-ci.

Je vais actuellement mettre M. le chevalier de Ruis en état de sortir de cette baie le 20 du


mois prochain, afin de joindre M. le comte d’Aché le plutôt qu’il sera possible.

Les écrivains vous montreront leurs factures, et je prie le Conseil supérieur de l’isle de
France de vous communiquer celles que je lui adresse. En conséquence de ce que vous y
verrés, vous prendrés de concert avec eux, et avec M. le comte d’Aché, les mesures qui seront
jugées les plus convenables, et je pense qu’il en aura été pris de très efficaces pour faire de la
farine et du biscuit. A mon arrivée à l’isle de France les détails de notre tripot seront partagés
comme ils l’étoient lorsque j’en suis parti, et je compte qu’il n’y aura eu que vous seul qui
vous soyés meslé du détail intérieur et particulier du service de la Compagnie, ne voulant
point qu’aucun autre que nous deux, et les deux écrivains principaux de la Compagnie, y
mettent ni le nez, ni la main. M. le chevalier de Ruis est toujours assés peu disposé pour M. de
Querdisien, et il paroît désirer fort ardemment que nous puissions tirer le S.* de Crémont hors
de la férule de ce redoutable commissaire. Vous sçavés ce que je vous ai déjà mandé à ce
sujet, et que je ne regarde la mission de M. de Querdisien en ce païs-ci que comme une chose
personnelle à M. de Ruis. Ainsi, je* vous le répéte encore, je laisserai aller cette affaire
comme il plaira à Dieu d’en disposer, &a.

Je me flate que vous aurés bien voulu faire arranger* pendant mon absence :

146
1o Le compte des dépenses du vaisseau du roi l’Illustre pour* sa relâche à l’isle de
France.

2o Que vous aurés pris une époque pour le dépouillement des billets des fournitures qui
ont raport aux autres vaisseaux du roi, afin que nous ayons moins de paperasse à feuilleter
après le départ de l’escadre, et lorsque le tems d’envoyer toutes ces pièces à la Compagnie
sera venu. Il est vrai que pour faire une besogne nette, je demanderais des blancs-seings ainsi
que j’en ai déjà eu du Zodiaque et* de la corvette le Cigne, au moyen de quoi nous irons
bien*. Soyés persuadé qu’autant que nous, ou les conseils, envoyons de ces pièces en bonne
règle à la Compagnie, autant nous lui envoyons par là de lettres de change dont elle peut sur-
le-champ se faire acquiter par le roi, de la marine, ou terminer par tel autre arrangement qui
convient à ses intérests, et quoique je n’aie aucun doute sur ses finances, je crois cependant
qu’elle a besoin que ses fonds lui rentrent.

Je ne vous parle point, mon cher Courcy, et dépenses que vous avés faites sur les fonds
embarqués en France dans votre escadre. C’est votre affaire particulière, mais n’apportés
aucun retardement à tenir votre compte tout prest pour le faire passer par les vaisseaux qui
iront en Europe de 1759 à 1760, parce que moi qui ai eu des excuses légitimes à apporter de
ce que ma besogne étoit retardée, je n’ai pas laissé que d’être honny. On est là-bas, mais on
n’est pas ici pour voir tout notre courant, et notre précipitation de travail.

Je finis ma lettre, mon cher Courcy, et vous souhaite une bonne santé, et je suis en
attendant le plaisir de vous voir, votre très, &a.

147
Copie de la lettre que M. de Courcy Réponse de M. de Mondion au billet ci-
écrivit à M. de Mondion au moment de contre de M. de Courcy
sont arrivée du Cap à l’isle de France, à
laquelle étoit joint le mémoire apostillé
par M. de Courcy fesant la première
pièce de ce dossier.

Au port Louis, isle de France, le 3 mai


Le 3 mai 1759.
1759.
J’ai reçu, Monsieur, avec un* billet de
Ci-joint, Monsieur, le mémoire que
votre part, un mémoire apostillé que
vous m’aviés laissé, et ma réponse en
j’examinerai dès que mes occupations me
marge. Je me réserve à vous témoigner de
le permettront. Les observations que je
vive voix combien j’ai été sensible et
vous ai faites du Cap, sont fondées sur des
surpris des deux lettres que vous m’avés
motifs de service qui m’ont paru d’assés
écrite du Cap. J’ai l’honneur d’être très
grande conséquence pour vous en faire
parfaitement, &a.
part. Je désire d’ailleurs de m’être trompé
Signé : COURCY dans les idées que je me suis formées sur
certains points, et sur les prévenances que
je vous ai marquées en toute occasion.
Elles me sembloient mériter de certains
égards auxquels j’ai trouvé que vous aviés
manqué. Je vous l’ai laissé entrevoir dans
mes lettres avec des ménagements qui ne
sentent point la supériorité que mon
ancienneté et mes instructions me donnent
sans aucune restriction.

148
Réponse de M. de Courcy à la lettre ci- J’espère que notre première entrevue
contre éclaircira ces petits nuages, et que n’ayant
ainsi que moi, que le bien du service en
Le 3 mai 1759
vue, nous nous accorderons parfaitement
Je suis furieux, Monsieur, de la façon sur tous les points qui sont ou qui seront
dont vous venés de m’écrire. Je vais vous dans la suite, l’objet de mes observations.
faire voir à qui vous avés à faire*. De cet Je suis chargé de cette besogne en chef. Je
instant je* ne suis ni votre ami, ni votre la connois, j’ai des principes pour mon
camarade. travail, nul de ceux qui sont sous mes
ordres ne s’en écartera.
Signé : COURCY

Vous estes sans contredit le seul auquel je puisse confier une portion d’authorité égale à celle
que mon état m’oblige de prendre, mais vous sentés bien que cette distinction que je fais de
mon camarade, et comme je m’en flate, de mon ami, est* un engagement de plus pour ne
trouver en lui que des conseils, des secours, des lumières et point du tout de* contradictions.
L’éloignement des lieux ne peut m’empêcher de donner des avis sur la façon de traiter les
matières qui doivent recevoir leur dernière forme de ma main, sans quoi je serai fondé sans
humeur à refondre tout ce qui ne se trouveroit pas dans la règle que je me suis formée, et à
laquelle j’assujettirai tous ceux qui servent sous mes ordres.

Je suis, &a .

149
Lettre écrite à M. de Courcy par M. le chevalier de Ruis

à l’occasion des pièces ci-dessus

À bord de l’Illustre, le 4 mai 1759.

Je suis aussi surpris qu’affligé, mon cher Courcy, de l’emportement avec lequel vous avés
écrit à mon frère. Il m’a fait part de vos deux billets qui iroient à peine à un homme fort
gradué vis-à-vis d’un subalterne très mince. Je me serois flaté que notre amitié vous eût retenu
dans les bornes de la modération vis-à-vis de mon frère, quand même vous auriés de justes
sujets de vous plaindre de lui. Je me flate même que vous ferés en ma faveur quelque retour
sur votre vivacité et vos expressions. Le titre d’ami et de camarade que vous refusés si
séchement, est une perte égale entre vous deux, et si le conflit de juridiction vous éloigne de
l’un et de l’autre, ce sont choses qu’on pense tout au plus, mais qu’on ne dit pas et qu’on écrit
encore moins quand toutes choses sont si égales entre deux personnes. Eussiés-vous trouvé
bon, si vous vous étiés absenté à Rio-Janeiro, que M. de Querdisien eût déplacé à son gré les
gens que vous auriés placés, qu’il eût dit qu’il étoit maître, qu’il eût cassé, changé, annulé ce
que vous auriés arrangé, qu’il eut nettement refusé de suivre dans son travail la forme que
vous auriés prescrite. Et supposé qu’il eût fait tout cela et que dans un mémoire vous lui
eussiés poliment remis sous les yeux ce qu’il vous devoit comme chef du détail, chargé de la
besogne, et fondé en un mot à la diriger. Qu’eussiés vous pensé s’il avoit traité vos
observations avec la plus grande hauteur ? Jugés* de bonne foi du ressentiment que vous en
auriés conçu. Mais sans entrer plus avant dans un détail de discussion que je ne connois point,
et qui ne feroit qu’animer l’une et* l’autre partie en les approfondissant, c’est à votre cœur
que je veux parler, mon cher Courcy, je vous demande un* retour sur vous-même, et une
marque d’amitié dans la réconciliation que je vous exhorte à faire avec mon frère que je serois
le premier à blâmer hautement, s’il avoit eu avec vous la moindre des vivacités dont sont
pleins vos deux billets. J’espère que mon union avec les deux parties procurera un
raccommodement sincère que les* explications ne pourroient que retarder. Quels effets
produiroit une brouillerie entamée avec vivacité de votre part et qui dégénéreroit dans une
rupture ouverte ? Votre sensibilité sur les moindres observations et l’usage absolu que vous
voulés faire de votre autorité dans les détails qui vous sont confiés, n’est-elle pas un tableau
de celle que vous devés supposer à un camarade qui est votre ancien sous les ordres duquel
vous saviés en partant que vous deviés servir, et qui enfin par lui-même est fait pour consoler
du dégoût de la subordination, qui est souvent dans votre corps, onéreuse à l’amour-propre

150
d’un homme bien né. Comme je vous connois assés tous deux pour savoir que vous vous estes
estimés et aimés, je me flate de vous rappeler à ces sentiments. Vous n’estes certainement l’un
et l’autre dans le cas de vous faire aucun bien, ni aucun mal, mais vos disenssions réciproques
gêneront vos opérations, y porteront un dégoût perpétuel et un grand dommage au service. Il
en résultera un ridicule complet après la compagne, soit sur vous s’il a effectivement le droit
de régir le détail en chef, peut-être sur tous les deux si on ne voit que hauteur et humeur dans
vos procédés respectifs.

Je m’étendrois davantage, mon cher Courcy, s’il ne s’agissoit pas ici d’un ami avec un
frère. Il ne vous faut à tous deux que votre conscience pour juge. Je suis sûr qu’elle a déjà
parlé à l’un et à l’autre. Il faut que vous me sacrifiés ces bagatelles qui ont ému les plaintes de
mon frère, et votre vivacité. Vous sçavés combien j’aime la paix, jugés de la douleur que je
ressens de voir que quelques lignes d’écriture jettées sur le papier dans le premier
mouvement, soient déjà un objet capable de la bannir pour jamais entre deux personnes qui
me sont chères. Il n’est pas possible que vous eussiés voulu avec réflexion employer des
termes de mépris et de hauteur avec mon frère. Il auroit en cela un furieux avantage sur vous,
car en répétant ce qu’il croit dû à son ancienneté, il s’est expliqué avec ménagement et
politesse. Savoir s’il vous commande ou non, s’il est en droit de diriger tous les détails ce
sont choses qui ne doivent exciter aucun emportement entre vous. Que fait là le personnel ? Je
ne vois pas qu’aucun de vous deux ait assés d’avantages sur l’autre pour que cette question se
décide par des traits d’humeur, ou par des qualités personnelles qui n’admettent point de
comparaison entre deux sujets. Tout est égal ici excepté les prétentions. Considérés donc que
si vous vous roidissés tous deux comme je crains de l’envisager, il n’en reviendra que du
chagrin aux personnes intéressées. Celui qui aura disputé contre le bon droit ne peut faire que
des pas de travers, et je vous demande à vous-même si vous serés assés maître de vos
sentiments pour ne pas déranger, contrarier, accumuler tout ce que mon frère aura fait, et si lui
de son côté ne se croira pas fondé à vous rendre les mêmes mortifications. Belle scène pour le
public qui ne réjouira que les esprits brouillons qui ont pu vous indisposer ! Je finis, mon cher
Courcy, par ce conseil d’ami, car je fais un cas infini de la bonté de votre cœur, et je ne puis
renoncer à notre liaison que lorsque vous m’aurés fait connoître qu’elle vous est devenue
assés indifférente pour que vous vous permettiés tout vis-à-vis de mon propre frère. Voici
donc un conseil d’ami, et d’un homme tranquile et clairvoyant. Défiés-vous des mauvais
conseils, des esprits faux, je vous l’ai dit par écrit du Cap, sans prévoir où ils vous
conduiroient. Ce que vous sacrifiés aux mauvais génies est d’un prix bien différent. Nous

151
nous parlerons à cœur ouvert probablement, vous sentirés ce que je vous dis. On a grand
intérest de vous brouiller mon frère et vous. Je mettrois ma main au feu qu’on n’a épargné ni
conseils, ni calomnies pour vous prévenir. On a jugé qu’en vous donnant des impressions
propres à vous porter à des procédés violents, je ne restois pas spectateur impartial des mépris
que vous marqueriés pour mon frère. Ouvrés les yeux, il est tems encore, et voyés où on veut
vous mener ! Comme je suis plus flegmatique que vous, on m’a vainement entamé, on vous a
ébranlé je le vois. Prenés, je vous en conjure, des sentiments de modération, ne vous préparés
pas le reproche amer d’avoir été joué par des génies méchants, et d’avoir obligé un honnête
homme, un sincére ami, à vous plaindre, et à vous oublier. Quelques réflexions de sang-froid
me donneront, j’espère la consolation de cimenter un raccommodement, et de conserver un
ami.

Signé : chevalier de RUIS

152
Réponse de M. de Courcy Autre lettre de M. le chevalier de Ruis

à la lettre ci-contre à M. de Courcy

Du Réduit, le 12 mai 1759. À bord de l’Illustre, le 11 mai 1759.

J’ai reçu, mon cher de Ruis, la lettre Je suis fâché, mon cher Courcy, que
que vous me fîtes hier l’amitié de m’écrire. vous suiviés votre projet de rester à la
campagne et d’abandonner les affaires
Ce n’est pas sans peine, et sans avoir
dans une circonstance qui exige que
fait de très sérieuses réflexions, que j’ai
chacun s’y prête de toutes ses forces, sauf à
pris le parti violent d’abandonner le détail
débrouiller ensuite les tracasseries
de l’escadre des vaiseaux du roi, et de ceux
personnelles, et les conflits de juridiction.
de la Compagnie des Indes qui m’avoit été
Mon frère est prest encore à vous remettre
confié. Je ne suis pas assés vain pour croire
les détails comme ils étoient arrangés entre
qu’il ne soit pas mieux entre les mains de
vous avant le voyage du Cap. Jugés en
M. votre frère qu’entre les miennes. Dans
conscience s’il peut faire ce que vous
mon ordre du roi et dans mes instructions,
exigés de plus, vous ne le feriés pas vous-
tant de Sa Majesté que du Commité secret,
même dans sa place. Il ne suffit pas, pour
il est dit que je ne serois chargé de rien
pousser les procédés à l’extrême, d’être
qu’en l’absence et au défaut de M. de
persuadé qu’ils ne nous procureront aucun
Mondion. On n’aura donc aucun reproche
désagrément personnel. Les titres de
à me faire de lui avoir remis entiérement le
citoyen, de serviteur du roi, ceux même
détail.
d’honnête homme et de chrétien, obligent
Les marques d’amitié, et toutes les essentiellement à réprimer certains
prévenances que vous me fîtes à Versailles, mouvements qui, quoique peu essentiels en
mon cher de Ruis, et dont je ne manquai eux-mêmes, le deviennent pour les affaires
pas d’informer mes parents, m’avoient générales.
pénétré de reconnoissance.

153
C’est l’humeur des autres que vous
servés, mon cher Courcy, aux dépends du
La façon dont vous avés agi avec moi
bien de l’Etat et de la Compagnie. Ceux
pendant mon séjour à Brest, m’avoit bien
qui veulent du mal à mon frère voudroient
prouvé que vous étiés de mes amis, et vos
lui faire un ennemi de son camarade, et
bonnes façons pour moi pendant le séjour
vous vous laissés aller à des impressions si
de notre relâche à Rio-Janeiro, achevèrent
peu convenables entre vous deux. Vous
de me convaincre de tout votre
abandonnés tout le détail, et le laissés
attachement, et dès cet instant je vous ai
surchargé d’une besogne dans laquelle
voué une amitié solide. C’étoit avec tout le
vous deviés l’aider de la main et de la tête.
zèle possible que je partois du Brézil pour
Mes avis vous deviennent suspects, ainsi je
rejoindre M. votre frère, et lui témoigner
ne vous en donne plus. Réfléchissés, mais
bien sincèrement combien j’avois envie de
réfléchissés seul. Voyés, pesés quel est le
mériter son amitié en servant sous ses
caractère de ceux qui ont pu vous animer.
ordres. Au moment de notre première
N’ont-ils point de passions, et d’intérest
entrevue, je lui ouvris mon cœur, je lui fis
dans tout ceci ? Est-ce votre bien qu’ils
part des choses qui m’intéressoient le plus,
cherchent ? Leur amitié, leurs conseils,
il y parut prendre part, et dès ce moment
leurs suffrages sont-ils, je ne dis pas une
nous fûmes on ne peut plus unis. Dans plus
apologie, mais seulement un préjugé en
d’une occasion jusqu’à son départ pour le
faveur de vos démarches ? Si cela est ainsi,
Cap, j’ai rompu* plusieurs lances pour lui.
mon cher Courcy, si ces moteurs de cette
Je le devois, me dirés-vous, à mon
tracasserie, sont gens d’une probité
camarade et à mon ami, mais on est obligé
reconnue, vos amis
de* tant de choses qu’on ne fait pas, que je
pouvois me dispenser de celles-là.

154
Enfin, mon cher de Ruis, M. votre de tous les tems, gens de bonne conduite,
frère part pour le Cap, il me laisse, comme des génies modérés et justes, tels enfin que
il ne pouvoit s’en dispenser, le détail de vous puissiés les avouer hautement pour
l’escadre du roi, et de la Compagnie, il vos amis, et votre conseil. Je me défie de
m’assure en me quittant que je n’ai point mes propres lumières et je conviens que je
de meilleur ami que lui, qu’il fera tout pour me laisserois séduire à de telles conditions,
me le prouver. Qu’à son retour nous et je me croirois sans reproches en citant
prendrions ensemble les arrangements que tels et tels m’ont poussé* et conduit ou
nécessaires pour servir de tout notre mieux même aprouvé. Que ne voyés vous, mon
le roi et la Compagnie, et après quoi, cher, que je ne viens à la charge, et que je
songer à notre fortune ; qu’il n’y a point vous presse parce que je suis votre ami et
d’apparence qu’il aille dans l’Inde avec non parce qu’il s’agit de mon frère ? Je
l’escadre et qu’il me laissera toujours la vous parlerois bien autrement si c’étoit un
conduite de ce grand détail. Je m’arrange homme indifférent. Je ne captiverois pas la
en conséquence, je travaille de toutes mes vérité, mais en voilà assés si vous estes en
forces. Je mets tout mon sçavoir à disposition de m’écouter et beaucoup trop
maintenir la paix et la tranquilité si si votre parti est pris. Passons à une affaire
nécessaires dans le tems présent. Quelle est sur laquelle j’écris le billet ci-joint que je
la fin*, mon bon ami, de tant de belles vous prie de remettre à M. de Querdisien.
choses ? Des lettres humiliantes que je Je lui écris pour le disposer à son
reçois du Cap de M. votre frère, des débarquement de l’Illustre et je sens que
menaces, des gens déplacés par son ordre, ses procédés avec mon frère ne nous
des cabales formées contre moi par des permettent plus de vivre ensemble. Il auroit
gens qui lui sont vendus, des propos pu rompre la glace plus décemment,
humiliants, et enfin arrivé ici, il agit avec m’épargner dans ses propos, et prétexter
moi comme avec un commis de fond de des affaires, ou une mauvaise santé, nous
cale. nous serions séparés de même, je lui laisse
le choix de ces moyens ou de tel autre qu’il
adoptera.

155
Pourra-t-on, dites moi, jamais croire Je me réglerai en conséquence de ses
pareille conduite de sa part ? Et pensés- arrangements. Je vous donne ma parole
vous que ceux qui m’ont envoyé ici ayent que je n’écrirai au ministre que ce qu’il
eu l’intention de m’y faire supporter prendra pour prétexte de son
aucune mortification ? Il n’auroit pas été débarquement, c’est à lui à se décider. Je
nécessaire de m’envoyer si loin pour désire qu’il prenne les tempéraments les
essuyer tant d’avanies. Voici la première plus doux, je les suivrai avec bien plus de
fois de ma vie qu’il me soit arrivé aucune plaisir que les autres. Il est certain que je
sorte de dispute, je ne dis pas même avec ne m’écarterais* point des premièrs pas. Ils
mes camarades, mais avec qui que ce soit, ne sont pas indifférents pour ma façon de
et il est à naître que j’aie jamais songé à penser, mais quels qu’ils soient, une fois
faire le moindre mal à personne. M. votre entamés, je ne les perdrai plus de vue.
frère m’a forcé dans tous mes
Je vous embrasse de tout mon cœur,
retranchements, et a pris pour second un
mon cher Courcy, et vous désire en ville
homme qui ne devoit jamais vis-à-vis de
avec vos véritables amis.
lui et moi prononcer un mot. Cet homme
est le Sr …, qui envoyé de la part de M. Signé : chevalier de RUIS
votre frère pour me faire rendre les clefs de
son bureau, me parla d’un ton, et me tint
des propos si déplacés, que je vous
préviens que j’en demanderai justice au
commité secret, et que j’irai moi-même la
solliciter. Je crois être à tous égards
exempt des mauvais procédés d’un pareil
homme.

156
M. votre frère, mon cher de Ruis, ne voit
que par ses yeux, et ne se conduit que par
ses conseils, je souhaite qu’il ne soit pas
dans le cas de s’en repentir.
Mes véritables amis qui sont en petit nombre, n’ont point désaprouvé le parti que je
prens. Je sens tout comme vous qu’il ne seroit pas nuisible à l’accélération du départ de
l’escadre que je fusse chargé de quelque détail, je sçais tout comme un autre sacrifier mon
repos, et ma tranquilité lorsqu’il est question du service. J’en ai donné des preuves qui m’ont
fait connoître, mais il n’est plus à moi de faire ce qu’on exige. Une fois pour tout, mon bon
ami, je veux tout ou rien ! Supposant toujours que M. votre frère n’ira point dans l’Inde, ce
qu’il devroit cependant faire, dût-il être sur d’y perrir, alors je servirai volontiers en second,
mais je ne serai chargé de rien en chef, pas même du détail du vaisseau sur lequel je serai
embarqué. Par ce que je vous propose là, rendés moi la justice de croire que ce n’est point
l’envie de me trouver en chef qui me fait agir de même, puisque rien ne seroit plus agréable
pour moi que d’être le seul commissaire de l’escadre dans l’Inde. M. votre frère, je le sçais,
mon cher de Ruis, doit être furieusement surchargé de besogne. Je lui connois ses comptes de
Rio-Janeiro à rendre, ceux de son séjour à l’isle de France et ceux de sa campagne du Cap. En
voilà bien assés et peut-être trop pour occuper un homme jusqu’au départ du vaisseau pour
l’Europe. Ajoutés à tout cela le détail immense de l’escadre partante, et vous verrés qu’il aura
peine à y tenir. C’est donc l’envie seule de paroître mon supérieur au détail de la Compagnie
qui le fait manneuvrer de la sorte. Il a grand tort de s’arrêter à pareille chimère. Quelle force
n’aurions nous pas fait si nous eussions été l’un et l’autre unis ! Je suis, mon cher de Ruis,
tout aussi citoyen, serviteur du roi, honnête homme et chrétien que qui que ce soit, mais pour
être utile dans la circonstance présente, faut-il que j’essuie des désagréments marqués du
sceau de l’infamie. Je dois compte de ma conduite à une famille qui ne me pardonneroit
jamais aucune démarche qui sentît la bassesse. N’ayant rien à me reprocher, et ma fortune
étant à faire, ce qui m’inquiète peu, je serai fondé à me plaindre, je suis décidé à ne plus
retourner au port, l’escadre n’en partira pas moins, au moyen de quoi, j’aurai tout le tems de
me préparer au voiage que je suis résolu d’entreprendre. Il est malheureux pour moi, mon cher
de Ruis, qu’avec tous les sentiments de religion que je vous connois, vous soyés le frère de M.
de Mondion ; bien loin de me donner de pareils conseils, vous me diriés comme d’autres, ce
que vous proposés, mon cher Courcy, est raisonnable et placé ; lorsqu’il n’en sera plus tems,
mon cher de Ruis, M. votre frère se reprochera son entêtement et ses mauvais procédés à mon
égard. Il m’en coûte, je vous l’avoue, pour me brouiller de la sorte avec mon ami, mon
157
camarade, et mon égal. Je suis persuadé que vous-même serés affecté de ce qui arrive
aujourd’hui. De grâce, mon cher de Ruis, si M. votre frère persiste toujours dans les mêmes
sentiments, ne m’écrivés plus pour me parler de cette affaire. Les réponses que je suis obligé
de faire m’échauffent et m’agitent. Il est plus que tems que je prenne quelques jours de repos.
Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher de Ruis, et je vous assure que si je me trouve
un jour à portée de vous obliger, je vous prouverai combien je suis de cœur entièrement à
vous.

Signé : COURCY

158
Autre lettre de M. de Courcy Réponse de M. de Mondion

à M. de Mondion. au billet ci-contre

18 mai Au camp, ce 22 mai 1759.

Prenés garde, Monsieur, à l’ordre que Je répons, Monsieur, au billet qui m’a
vous aller lâcher à M. de Querdisien pour été remis de votre part le 18 du courant.
son débarquement. Je vous préviens sur
J’enverrai à M. de Querdisien l’ordre
mon honneur, et je suis honnête homme,
de débarquer du vaisseau du roi l’Illustre
M. de Mondion, que je vais vous forcer à
quand il aura répondu à la lettre, que M. le
m’en donner un pareil.
chevalier de Ruis me dit avant-hier au
Signé : COURCY matin lui avoir écrite. J’informerai le
ministre des motifs qui m’ont déterminé à
donner cet ordre, et je ne vois pas
d’ailleurs quel raport il peut avoir à vous.
Tous les partis que vous prendrés
dépendront absolument de vos réflexions et
point d’aucun ordre de ma part. Si je
croiois que vous eussiés encore assés
d’égard pour mes avis, je vous engagerois
à ne me pas laisser seul dans un travail
immense, et à m’aider dans une
circonstance si importante pour l’Etat et
pour la Compagnie. Je vous le
demanderois même comme une grâce.

Mais si vous continués à me la refuser aux conditions raisonnable que je vous ai proposées,
épargnés-moi du moins dans un tems où je suis accablé d’affaires et de détails. Réservés vos
mécontentements pour l’Europe, où je serai tout à fait en posture d’y répondre comme il vous
plaira. Puisque je me suis contenu dans la plus grande modération sur vos billets et dans votre
explication, il est très apparent que je n’en sortirai pas, c’est donc une peine perdue,
Monsieur, que de vouloir m’animer. J’agirai, je parlerai, et j’écrirai sans humeur et sans
vivacité jusqu’à la fin de notre service respectif.

159
Vous avés le loisir et la volonté de discuter des tracasseries que mes occupations ne me
permettent pas de suivre. Il ne tiendra qu’à vous qu’elles soient oubliées ou éclaircies, dès que
notre position aura changé. Laissés moi en attendant fournir seul à un service immense dans
lequel vous ne voulés pas m’aider. C’est pour la dernière fois que je vous en prie, et à moins,
comme je le désire de tout mon cœur, que vous n’ayés des choses plus modérées et plus
raisonnables à me mander, dispensés moi, je vous prie, de recevoir vos billets et d’y répondre.

160
Lettre de M. de Courcy en réponse Réponse de M. de Mondion

à celle-ci-dessus à la lettre ci-contre.

Au Réduit, le 23 mai 1759. Ce 24 mai 1759

Je vais répondre, Monsieur, article par J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous
article à votre lettre d’hier. m’avés écrite, comme elle ne contient que
des choses semblables à celles que vous
M. de Querdisien n’a point reçu de
m’avés adressées précedemment, je m’en
lettre de M. de Ruis, comment seroit-il
tiens à ce que je vous ai mandé à cet égard.
dans le cas d’y répondre ?
Il n’est question d’aucune
Il est surprenant que vous ignoriés le
prévarication, ni imputation contre M. de
raport qu’il y a de M. de Querdisien à moi.
Querdisien. Je lui adresse son ordre de
L’ordre du roi qu’il a pour s’embarquer sur
débarquement par le porteur de cette lettre.
le vaisseau du roi l’Illustre le destine à
servir directement sous mes ordres. Il ne se
trouve qu’accidentellment sous les vôtres,
et par la jonction des deux escadres, par
conséquent, Monsieur, il ne suffit pas que
vous me disiés que vous rendrés compte au
ministre des motifs que vous avés eu pour
le débarquer. Je dois en être amplemant
informé dès à présent, puisqu’un
acharnement aussi marqué de votre part
suppose une connoissance bien exacte de
prévarication de la sienne. Ceci devient
une affaire de corps. Il n’y a* point

d’exemple qu’un commissaire de la marine ait été traité de la sorte. Ainsi, Monsieur, vous
vous expliquerés plus clairement, ou je formerai la plus forte opposition à son débarquement.
Et si cela ne suffit pas pour vous faire rétracter votre ordre, je me débarquerai aussi prenant
attestation de Mrs les officiers généraux et capitaines du motif qui m’y oblige.

Le travail immense dont vous vous plaignés et dans lequel vous m’insinués si
adroitement que j’aurois du vous aider, me prouve clairement que votre lettre a été dictée par
un homme qui n’a aucune connoissance de notre service.
161
Quant aux tracasseries que j’ai, dites-vous, Monsieur, le loisir et la volonté de discuter,
elles ne viennent ni de ma part, ni de celle de M. de Querdisien, mais bien de votre haine et de
celle de M. votre frère, pour un homme qui paroît n’avoir à se reprocher que d’avoir été l’ami
intime de deux hommes pleins d’ingratitude pour lui. Pour ce qui est du reste de votre lettre,
c’est toujours le même stile, et par conséquent vous n’y avés aucune part.

Je suis, Monsieur, en vous observant que la postérité ne croira jamais que votre haine
pour M. de Querdisien vous ait porté à vouloir humilier un corps que vous estes à la veille de
quitter, dont la force n’a consisté et ne consiste que dans l’union de nos semblables, en
sacrifiant votre camarade au seul objet qui vous intéresse actuellement. Je suis en état de
mettre sous les yeux de ces épétiers, pour me servir de vos expressions, tous les mauvais
propos que vous m’avés adressé et de les faire juger quels doivent être les motifs d’un
changement en vous aussi prodigieux à leur égard. En un mot, Monsieur, il ne doit pas plus
vous en coûter d’en perdre deux qu’un. Si vous avés l’authorité de débarquer M. de
Querdisien, vous avés donc celle de me traiter de même, puisque je ne suis pas plus que lui, et
qu’il n’a pas plus manqué que moi à ce que nous devions à votre seule ancienneté dans le
service. Je compte ce soir sur votre réponse par le porteur qui a ordre de l’attendre, pour me
déterminer sur ce que j’aurai à faire. De grâce, ne m’obligés point de l’aller chercher moi-
même. Le départ de l’escadre aproche, et vous devés sentir qu’il* est plus que tems de mettre
fin à tout ceci.

Je suis, &a.

Signé : COURCY

162
Lettre écrite à M. de Courcy par M. de Mondion

Au Camp, ce 25 mai 1759

J’ai lu, Monsieur, la lettre que mon frère vous a écrite, et le billet que vous lui avés
adressé en réponse. Je suis fâché de l’agitation dans laquelle vous vous trouvés, et il ne
tiendra pas à moi que tout ceci ne finisse à votre satisfaction. Je verrai mon frère, je lui
communiquerai ce que vous m’avés dit ce matin, et je le laisserai le maître d’arranger les
choses vis-àvis de vous, de la manière dont vous avés vu que je désirois qu’elles finissent,
parce qu’il est inouï qu’entre gens comme nous, il passe des scènes aussi peu convenables. Je
ne veux que la paix, mon cher Monsieur, pour peu que vous veuillés écarter toute prévention,
il ne fera pas difficile d’amener les choses à bien, et de faire cesser des disputes qui en
influant nécessairement sur le service, nous donnent, j’ose vous le dire, en spectacle.

163
Lettre de M. de Courcy Réponse de M. le chevalier de Ruis
à la lettre ci-contre
à M. le chevalier de Ruis
Le 30 mai 1759
À l’isle de France, le 30 mai 1759.
Je suis las, Monsieur, d’entrer dans
Je vous adresse, Monsieur, copie de la
des tracasseries que j’ai essayé d’arrêter
lettre que m’écrivit il y a quelques jours,
dans leurs principes, et qui sont
M. votre frère. Comme par cette lettre, il
actuellement à leur période. Mon frère en
me paroît qu’il ne se conduit que par vos
usera désormais avec vous, et vous avec lui
conseils, je vous prie de me dire quel est le
tout comme cela vous conviendra à l’un et
parti que vous lui avés dit de prendre
à l’autre. Votre stile se sert toujours de la
relativement à moi, pour que vous puissiés,
vivacité de votre caractère, et je suis très
Monsieur, l’engager à terminer à l’amiable
résolu à ne me point exposer à ces traits
l’affaire dont il est cas entre nous deux.
d’humeur. Je vous ai donné d’aussi bons
Dites lui que je lui jure ma parole
conseils qu’à mon frère, vous le sçavés,
d’honneur ainsi qu’à vous, que si le
mais je ne le crois pas si foible, et si
premier de juin il ne m’a pas remis en
dépourvu de bon sens qu’il lui en faille à
entier le détail de l’escadre, je vais le
présent que tous mes soins et sa
poursuivre de toutes mes forces pour avoir
modération ont échoué. Que me fait à moi
de sa part le même jour mon ordre de
que vous obteniés de lui un ordre de passer
débarquement. Si je ne parviens pas à
en Europe. Je ne vous le donnerois pas en
l’obtenir de lui, je me débarquerai et
sa place quelque moyen que vous missiés
j’attendrai avec tranquilité à l’isle de
en usage pour l’avoir, mais il est assés
France le départ du premier vaisseau pour
raisonnable pour se conduire dans une
Europe où j’irai rendre compte de ma
forme de service que je ne connois pas à ce
conduite.
que je vois.

164
J’ai l’honneur d’être, &a. A quoi bon m’engager votre parole
d’honneur sur des choses qui me sont
Signé : COURCY
devenues si indiférentes aux suites près ?
Qu’on vous donne le détail que vous
désirés, que vous passiés en Europe, que
vous alliés rendre compte de votre
conduite, et même si* vous voulés de celle
des autres quel raport tout cela a-t-il avec
Autre lettre de M. de Courcy écrite à M.
moi ? Vous me parlés de ces choses avec
de Mondion en conséquence
ce ton sec et absolu qui vous coûte si peu
de celle-ci-contre. vis-à-vis de gens qui se sont toujours
contenus avec vous, et qui ne doivent point
Isle de France, le 30 mai 1759.
essuyer votre humeur. J’agirai, je parlerai,
Voici, Monsieur, une lettre que je j’écrirai quand je serai en tems et lieu, mais
viens de recevoir de M. votre frère en je compte jusqu’à ce moment que toute
réponse de celle que j’ai eu ce matin correspondance sera suspendue entre nous,
l’honneur de lui écrire, dont je vous et que vous ne me ferés plus de lettres,
adresse copie. Je vous prie de me dire ce car* je ne les recevrai, ni ne les lirai, je
que vous pensés de tout ceci, je suis piqué vous en donne aussi ma parole d’honneur.
au vif et si bien piqué que j’ai peine à me Il est bien singulier que pour avoir
contenir dans ce moment. Je vous demande interposé ma médiation dans des
en grâce, Monsieur, de mettre fin à tout tracasseries qui sont venues au comble de
ceci. Je vous avoue que je suis hors de l’indécence, je me trouve exposé à des
moi-même. Je vous demande dans l’instant propos qui me mortifient. Voilà qui est
chés vous ou chés moi une heure de teste à bien engageant pour me porter encore à
teste. Aujourd’hui pour la dernière fois tout
doit être dit entre nous.

165
J’ai l’honneur, &a. proposer des tempéraments. Peu s’en faut
en vérité que vous ne me menaciés, et que
Signé : COURCY
vous ne veuilliés me faire peur.

Je suis, &a.

Signé : Chevalier de RUIS

166
Lettre écrite par M. de Courcy à M. de Mondion

Le 6 juin 1759

Il m’est revenu, Monsieur, et cela de bonne part, que M. votre frère s’étoit venté en
public qu’il m’avoit écrit une lettre des plus sèche, et que je l’avois dû sentir jusqu’au bout
des ongles. En effet, je conviens qu’il n’est guères possible d’écrire à quelqu’un comme moi
avec autant d’indécence. Et plus je relis cette lettre, et plus je la trouve forte. Si dans le
premier moment, Monsieur de Mondion, je n’ai pas fait d’éclat, sachés que ce n’est pas la
peur qui m’a retenu. Assurés en bien M. votre frère, et dites lui que je me suis plus d’une fois
reproché de ne lui avoir pas fait sentir chés vous combien le ton qu’il avoit pris en me parlant
m’avoit déplu, et souvenés vous l’un et l’autre que vos procédés à mon égard ne s’effaceront
jamais de ma mémoire. De grâce, soyés circonspect dans vos propos vis-à-vis de moi. Je ne
vaut rien battu, ni éguilloné, et la moindre petite chose actuellement me mettroit dans le cas
de faire une étourderie hors de mon âge. Je pars demain au soir pour le Réduit, je souhaite, et
je désire de toute mon âme, que pendant mon absence vous ne teniés pas sur mon compte
aucun propos déplacé. Croyés moi, contentés-vous de l’humiliation que vous faites souffrir au
corps de la plume, sans attaquer personnellement un de ses premiers membres.

J’ai l’honneur, &a.

Signé : COURCY

167
Autre lettre de M. de Courcy Réponse de M. de Mondion

à M. de Mondion à la lettre ci-contre

Au Réduit, le 21 juin 1759. Au camp, ce 22 juin 1759.

Le départ de l’escadre me force, J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous


Monsieur, à vous prier de me dire m’avés écrite avant-hier, mais avant d’y
positivement si votre intention est de la répondre il est bon de vous dire un mot sur
suivre aux Indes ou de rester ici. Les plus celle que M. de Bergicourt me remit de
fortes raisons, et dont je réserve votre part le 6 de ce mois. Cette lettre que
l’explication en tems convenable, ne me je décachetai contre la résolution que
permettant pas de servir avec vous, je suis j’avois prise de n’en plus recevoir de vous,
décidé à me charger du district que vous contenoit des choses contre mon frère et
abandonnerés, soit que vous choisi[ssiés] contre moi aussi peu décentes qu’à
l’Inde, ou que vous préfériés de rester à l’ordinaire, je me contentai cependant de
l’isle de France pour l’arrangement de vos vous faire une réponse verbale modérée
comptes, et pour les affaires de la prise le que M. de Bergicourt me promit de vous
Grantham. Enfin, Monsieur, votre choix rendre mot pour mot. Cette conduite de ma
fait déterminera le mien, ainsi une vaine part ne méritoit rien moins que ce que vous
curiosité n’est point le motif d’une avés écrit à mon égard à quelques
demande qui n’est fondée que sur le bien personnes en leur marquant entré autre que
fait des choses. * réponse je vous prie le mon nom vous étoit en horreur, et que je
plustôt qu’il vous sera possible. déshonorois un corps dont vous étiés un

a
des principaux membres, &a.
Je suis très, & …
Comment avés vous pu, Monsieur,
Signé : COURCY
contre la parole que vous m’aviés donnée,

vous lâchés aussi indécemment que vous l’avés fait ? Une fois pour toutes, plus de commerce
entre nous si votre ton et votre stile ne changent absolument. Je réponds maintenant à votre
dernière lettre.

Vos procédés avec moi, Monsieur, et l’inaction où vous vous estes tenu pendant l’armement
des vaisseaux, ne me mettent pas dans le cas de vous faire aucune ouverture sur la conduite
que je tiendrai relativement à mon départ sur l’escadre. Je sais que vous ne voulés pas servir

168
avec moi et vous m’en avés donné la plus forte preuve en réfutant le détail que je vous ai
offert tant de fois, même après les traits de violence que j’ai essuyés de votre part. Je ferai
passer, Monsieur, vos lettres et les miennes avec les plus fortes plaintes, par le premier
vaisseau qui partira pour Europe. Vous n’en serés pas surpris sans doute, et vous devés penser
que de pareilles dispositions ne quadrent guères avec les ouvertures que vous exigés de moi.
Ce n’est pas ici le moment de ménager des répugnances qui sont d’ailleurs très contraires à
l’esprit du service. Vous deviés remplir avec moi, ou sous moi, les détails dont j’aurois pu
vous charger, mais vos refus et même vos menaces ont solidement établi l’insubordination
dans laquelle vous voulés être. Je ne m’exposerai plus à vous rien demander, et encore moins
à vous rien ordonner. Restés à l’isle de France, embarqués-vous dans l’escadre, tout cela
m’est devenu fort étrangers. Vous vous estes mis en possession de ne faire que vos volontés,
et de me traiter avec la plus grande hauteur, ainsi il est à présumer que loin de vous dire le
parti que je compte prendre sur mon embarquement, celui que vous prendrés vous-même
pourra peut-être contribuer beaucoup à me déterminer.

169
Mémoire remis à M. de Mondion par M. le chevalier de Ruis contenant les raisons pour
lesquelles cet officier demande le débarquement de M. de Querdisien

À bord de l’Illustre, à l’isle de France, le 10 mai 1759.

Comme ce sont, Monsieur, des raisons tout à fait personnelles à M. de Querdisien et des
instances qui m’ont engagé à demander au ministre son embarquement sur l’Illustre, et qu’il
s’est totalement écarté par ses procédés avec moi, et mon état-major, de la reconnoissance
qu’il me doit, je vous demande son débarquement. Le service ne peut pas en souffrir parce
qu’il n’a rien fait depuis le commencement de la campagne, et que je vous préviens qu’il en
seroit ainsi dans toute mission particulière pour l’Illustre. M. de Querdisien est aussi
pointilleux que superficiel et inapliqué. Je m’en suis débarassé dans mon voyage du Cap parce
que cette campagne passoit beaucoup ses forces. Je le connois trop pour lui rien confier dans
les opérations dont je répondrai et dont je serai le chef. Cette conduite ne paroît pas lui plaire,
et il s’est répandu trop librement sur mon compte pendant mon absence pour que je reprenne
désormais pour lui les sentiments de compassion qui m’ont fait solliciter le ministre en sa
faveur. M. de Querdisien ne croit pas que son amour-propre lui permette d’être content de
moi, et je ne le suis point du tout de sa façon de parler et d’agir. Je vous prie de m’ôter une
personne qui n’étoit que très inutile dans le principe, mais qui a constamment travaillé à se
rendre fort à charge. Vous nous épargnerés des désagréments mutuels, vous m’assurerés la
tranquilité qui n’est jamais à l’abri des prétentions, des délicatesses, et des propos de M. de
Querdisien, et vous préviendrés quelque éclat peu décent. Je crois que vous lui rendrés aussi
service en l’éloignant d’un homme dont le caractère et les procédés sont tout à fait opposés
aux seins. Placés le plus à son gré s’il est un capitaine qui veuille s’en charger, donnés lui du
détail si vous lui jugés de la volonté et des talents. Je souhaite qu’il soit bien partout ailleurs
que dans l’Illustre où il se déplaît, et où il déplaît à tout le monde.

Le titre de votre frère ne vous empêcheroit pas sans doute, de faire un sérieux examen de
ces mécontentements réciproques, si vous ne sçaviés pas combien les miens sont fondés. Je
me réduis actuellement à une simple séparation, et me réserve un détail circontancié au
ministre si M. de Querdisien abuse de ma modération présente comme il l’a fait de ma
patience, et de mon bon cœur, et qu’il me force à des explications.

Je vous embrasse, Monsieur, &a.

Signé : chevalier de RUIS

170
Lettre écrite à M. le comte d’Aché par M. de Querdisien

Monsieur,

J’apprends que M. de Mondion dit partout que je ne suis embarqué dans votre escadre
que comme écrivain principal. Je crois devoir prouver devant vous combien ce commissaire
se trompe. Je ne puis le mieux faire qu’en joignant à ma lettre l’ordre du roi qui m’a été remis
pour m’embarquer sur l’Illustre. Je vous supplie, Monsieur, d’en donner communication à M.
de Mondion, de le faire lire et enregistrer au premier conseil mixte. Et si ce commissaire
persiste dans son erreur, c’est-à-dire à ne pas reconnoître la validité de cet ordre, de lui en
demander une déclaration par écrit ; dès l’instant je vous demanderai, Monsieur, la permission
de me débarquer de votre escadre, et de m’adresser à M. Magon pour me procurer mon
passage sur le premier vaisseau de la Compagnie qui ira en Europe. Je vous supplierai encore,
Monsieur, de vouloir bien me donner un certificat conçu à peu près dans les termes du projet
ci-joint, et après cela je ne troublerai plus la tranquilité de l’escadre. D’ailleurs, Monsieur, je
dois vous ajouter que M. de Courcy est prest à attester que la dénomination d’écrivain
principal qu’il m’avoit donné étoit une plaisanterie dont il ne croyoit pas que M. de Mondion
pût jamais se prévaloir, et que non seulement M. de Moras ne lui a jamais ordonné ni par
écrit, ni verbalement, de me traiter comme un écrivain principal, mais même qu’il n’en a
jamais été question. Je finis ma lettre, Monsieur, par une réflexion que M. de Mondion fait
souvent dans les siennes : « Ce n’est pas assés de faire le service, il faudroit le sçavoir ».

Je suis, &a.

Signé : PICHOT de QUERDISIEN

Certificat de M. de Courcy donné à M. de Querdisien

Nous, commissaire de la marine à la suite de l’escadre commandée par M. le comte


d’Aché, certifions que M. de Querdisien est embarqué sur le vaisseau l’Illustre dans sa qualité
de commissaire de la marine sans aucune restrictions, et que non seulement M. de Moras ne
nous a jamais ordonné, ni verbalement, ni par écrit, de le traiter comme écrivain principal,
mais nous l’a fait envisager comme devant être chargé comme nous à la réunion de l’escadre,
d’une des divisions qui la composent.

Port Louis, isle de France, le 11 mai 1759.

171
Signé : COURCY

172
Lettre écrite par M. de querdisien Réponse de M. le chevalier de
Ruis à la lettre ci-contre
à M. le chevalier de Ruis
Le 19 mai 1759
Au port Louis, le 12 mai 1759.
On va expédier incessamment,
Aprés m’être examiné bien
Monsieur, votre ordre pour débarquer de
scrupuleusement, Monsieur, je ne me*
l’Illustre, mais avant qu’on le motive, je
trouve capable d’aucun mauvais procédé
dois à ma façon de penser de vous
avec M. votre frère. Je sçais seulement, et
demander pour la dernière fois si vous
tout le monde sçait, qu’il en a eu*
estes déterminé à ne l’avoir que purement
beaucoup avec moi. Les propos qu’il a
et simplement sur mes représentations, et
tenu sur mon compte m’inquiètent peu, et
mon refus positif de vous recevoir à mon
je me contenterai de garder les extraits des
bord, ou s’il ne seroit pas* plus convenable
lettres qu’il à écrites à M. de Courcy à mon
de prendre un prétexte de santé. Je n’ai pas
sujet.
lieu d’être bien satisfait de votre lettre, et
Quant à mes propos sur votre compte, de la certitude avec laquelle vous établissés
peu mesurés, dites-vous, Monsieur, vous que mon goût et ma répugnance doivent si
pouvés en porter vos plaintes et demander peu influer sur votre retour dans l’Illustre,
justice au ministre, et je rendrai compte de ainsi que de quelques traits qui sentent la
mon côté des motifs qui auroient pu les supériorité. Je révolterai votre amour-
occasionner. Mais vous et moi, Monsieur, propre, Monsieur, si je vous dis que je n’ai
sommes trop anciens dans le service pour
ignorer que tout ceci ne nous met pas en

173
droit de rien changer à l’exécution des aucune envie de faire du mal, mais je ne
ordres du roi, qui entre point dans les puis cependant me refuser au penchant que
différents de ses sujets et qui les destine à j’ai pour la modération, d’autant qu’il
servir les uns avec les autres. Je joins ici pourroit arriver qu’après avoir fait peu de
copie de l’ordre que j’ai pour m’embarquer cas de mes avis présents, et de mes
sur l’Illustre. Je suivrai cette destination demarches dans la suite, vous vous
quelque désagrément qu’il puisse m’en trouvassiés la dupe de cette avanture. Je
arriver à moins qu’on ne juge que j’ai n’aurai rien à me reprocher. Ne négligés
délinqué et qu’on ne me débarque pas d’y réfléchir, quoique ce soit moi qui
d’autorité. Si vous m’en croyés, Monsieur, vous y exhorte. Je ne suis encore, et je
nous regarderons jusqu’à la fin de* la vous l’assure, ni votre partie, ni votre
campagne tous les sujets de ennemi, nous pouvons nous quitter
mécontentement que nous pouvons* avoir décemment, c’est moi qui vous en sollicite.
comme non avenus, et* nous en userons Vous verrés un jour combien ce sentiment
respectivement avec la politesse est pur et désintéressé de ma part. Je ne
convenable à l’état que nous avons. veux pas vous mortifier en vous assurant
Arrivés en France nous porterons chacun que je ne crains que pour vous. S’il ne
notre cause au tribunal du ministre. faloit que changer de ton, et vous flater
pour vous faire prendre un parti modéré, je
Je joins encore ici, Monsieur, copie du
vous dirois volontiers, ménagés moi, ne me
certificat que j’ai demandé à M. de Courcy
perdés pas, mais cela auroit l’air d’une
qui m’a
plaisanterie bien déplacée dans une
circonstance où je crois, dans la plus
exacte vérité, que vous risqués beaucoup.
Que ne voyés vous, Monsieur, au* fond de

174
paru nécessaire dans l’occurrence présente. mon cœur. Vous y démêleriés au milieu de
Si après la lecture de cette lettre vous cette fermeté dans mes résolutions, une
voulés bien me faire part de vos crainte bien vive de faire du mal à qui que
sentiments, je me déterminerai en ce soit, et passés moi le mot, une pitié
conséquence sur ce que j’aurai à mander au sincére pour ceux qui me forcent à leur en
ministre. vouloir. A qui a-t-il tenu que je n’aye
conservé pour vous des sentiments encore
Je suis, &a.
plus particulier ? Mais quoi qu’il en puisse
Signé : PICHOT de QUERDISIEN être du passé*, souvenés-vous toujours que
vous avés voulu de l’éclat, des suites, et
des explications. Je ne l’oublierai pas de
mon côté, et supposé qu’il m’en revienne
d’autres chagrins que ceux de vous avoir
nui, je vous assure que je m’en imputerai la
faute à moi seul, et que je vous pardonne
d’avance de tout mon cœur tout le mal que
vous pouvés chercher à me faire.

Je suis, &a.

Signé : chevalier de RUIS

175
Lettre de M. de Querdisien en réponse à celle-ci-dessus

Au port Louis, isle de France, le 29 mai 1759.

Monsieur,

Mon séjour au Réduit m’a empêché de répondre plustôt à la lettre que vous m’avés fait
l’honneur de m’écrire. Je commence donc par vous demander pardon de n’avoir pas rempli
aussitôt que je l’aurois désiré cette part de mon devoir. Je suis au désespoir de ne pouvoir être
malade lorque je me porte bien. Il seroit sans doute assés flateur pour moi que mon défaut de
santé fut la cause de mon débarquement, et non le malheur d’avoir encouru votre disgrâce.
Moi, Monsieur, vous faire sentir ma supériorité ! Comment pareille idée pourroit-il me tomber
dans la tête ? Si je l’avois formée, vous avés pris d’ailleurs assés soin de me convaincre du
contraire. Ne* suis-je pas cet homme dont le sort change à la moindre de vos volontés ? Je ne
sens que trop que je ne suis qu’un foible vermisseau fait pour ramper devant vous, et trop
heureux que vous vouliés bien ne pas l’écraser ; je suis pas moins convaincu que le mal que
j’essayerois vainement de vous faire, occasionneroit ma perte. Il vous suffiroit même de me
retirer votre protection qui a fait jusqu’à présent mon appui et dont la solidité m’a procuré tant
d’avantages. Vous attaquer, Monsieur, quelle folie ! Un homme comme moi, un homme
comme vous ! Ah ! Je me perds dans cette comparaison, la fin de votre lettre me pénettre de
sentiments encore bien plus singuliers. Que de grandeur d’âme ! que de christianisme à ne
pouvoir souffrir qu’un homme qu’on a accablé de la plus cruelle injure songe à s’en venger !
Et ce par la seule considération du mal qui pourroit lui en arriver : ce rafinement de morale
vous étoit réservé. C’est aussi avec les sentiments de la plus singulière admiration que j’en
reçois la preuve et que je suis, M., &a.

Signé : PICHOT de QUERDISIEN

176
Autre lettre de M. de Querdisien à
M. de Mondion
Réponse de M. de Mondion aux deux
Au port Louis, isle de France, lettres ci-contre

le 17 mai 1759. Au Camp, ce 18 mai 1759.

Vous m’apprenés, Monsieur, une J’ai reçu, Monsieur, les deux lettres
chose très surprenante, mon débarquement que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire
de l’Illustre. L’envie que M. de Ruis pour me redemander la clé de votre
témoigne de m’éloigner suffit-elle pour me chambre à bord de l’Illustre. Je l’ai remise
débarquer ? Sur quels motifs sa demande à M. le chevalier de Ruis qui demande
est-elle fondée ? Qui m’a donné ou me votre débarquement. Vous sçavés le reste,
donera l’ordre de me débarquer ? Et enfin, Monsieur, puisque vous vous estes écrit
quel sont les crimes que j’ai commis pour tous deux.
être traité sans aucune sorte de
J’ai l’honneur, &a.
ménagement ? Je vous prie, Monsieur, de
vouloir bien me répondre dans l’instant sur Signé : MONDION
tout ceci.

Je suis, &a.

Signé : PICHOT de QUERDISIEN

177
Autre lettre du même écrite au même

Au port Louis, isle de France, le 18 mai 1759.

J’ai lieu de juger, Monsieur, que vous n’avés pas reçu la lettre que j’ai eu l’honneur de
vous écrire hier, puisque vous ne m’avés pas fait celui d’y répondre. C’est ce qui me
détermine à vous écrire encore aujourd’hui pour vous prier de vouloir bien m’envoyer par le
porteur, la clef de ma chambre de bord afin que je puisse y faire porter mes affaires si vous en
avés retiré les vôtres.

Je suis, &a.

Signé : PICHOT de QUERDISIEN

Lettre écrite à M. de Querdisien par M. de Mondion

Ce 24 mai 1759

Je vous envoye, Monsieur, votre ordre de débarquement du vaisseau du roi l’Illustre qui
m’a paru d’autant plus indispensable que M. le chevalier de Ruis, capitaine commandant ledit
vaisseau, est dans la ferme résolution de ne vous y point recevoir.

Signé : MONDION

Ordre de débarquement

Sur les représentations de M. le chevalier de Ruis, capitaine commandant le vaisseau du


roi l’Illustre, il est ordonné à Monsieur de Querdisien, commissaire de la marine, de se
débarquer dudit vaisseau, et il peut retourner en France s’il le juge à propos.

Fait au port Louis, isle de France, le 23 mai 1759.

Signé : MONDION

178
Mémoire envoyé par Mrs de Courcy et Observations de M. de Mondion sur
Querdisien à M. Magon pour être le mémoire ci-contre.
présenté au conseil de justice de l’isle de
M. de Courcy n’ayant qu’en mon
France, lequel en a ordonné
absence les fonctions de commissaire des
l’enregistrement au greffe.
vaisseaux du roi et de la Compagnie, c’est
À Messieurs du Conseil Supérieur de à M. de Courcy, citoyen et délateur, que je
l’isle de France. vais répondre en réfutant simplement et
sommairement ses odieuses imputations et
Messieurs,
en dévelopant la fausseté et la malignité de
Je suis trop jaloux de mériter votre chaque article. A l’égard de M. de
approbation pour ne pas la rechercher par Querdisien, je ne sçais quel rôle il joue ici,
tous les moyens possibles, c’est dans ce si ce n’est celui de calomniateur. C’est à
dessein que je vais exposer à vos yeux un quoi se réduisent aujourd’hui son état et
détail simple de ma conduite, et des raisons ses fonctions.
qui m’ont forcé d’abandonner des
Il été exporté du Cap à l’isle de France
fonctions que je ne pourrois plus continuer
suivant les factures des flûtes la Baleine,
sans trahir mon honneur. Le seul exposé
l’Eléphant, l’Hermione et la Pénélope, la
des faits suffira pour vous faire sentir la
quantité de 1 922 950 livres de blé, 4 427
livres de farine, 41 939 livres de ris, 32 055
livres de viande salée.

179
force des motifs qui me déterminent, mais Le Chameau a aporté 3 846 barriques
que je soumets cependant à vos lumières de vin du Cap blanc de chargement et 40
pour la partie qui regarde les intérests de la barriques d’araque, non compris ses vivres
Compagnie. Un double de ce mémoire sera pour 45 jours.
adressé à M. de Berrier, secrétaire d’Etat
Il a été embarqué ou consommé dans
ayant le département de la marine. Je crois
les 13 vaisseaux de l’escadre qui ont été au
devoir présenter à ses yeux ainsi qu’aux
Cap tant pour la nourriture journalière de
vôtres la vérité sous les mêmes couleurs.
plus de 5 000 hommes pendant le séjour
M. de Querdisien, qui ne se croit pas
qu’ils y ont fait, que pour leurs vivres de
dispensé de se porter au bien du service,
campagne pour le retour dont ils avoient
quoique par une vaine interdiction on ait
pour près de 4 mois ½ dans quelques
prétendu lui dérober la connoissance des
parties, les quantités ci-après :
affaires qu’on a osé au moins ouvertement
soustraire à mes yeux, a signé avec moi ces Sçavoir
représentations qui ne sont pas moins
160 269 livres de viande fraîche
nécessaires pour le bien des choses que
pour nous mettre à couvert des fausses 113 823 livres pains frais
imputations et de la calomnie. Nous
284 837 livres de biscuit
entrons en matière.
179 844 livres de farine
1° Je ne puis, non seulement comme
commissaire pour le roi, et pour la
Compagnie, mais même comme citoyen,
m’empêcher de m’élever sur la dépense du
Cap de près d’un million et demi qui n’ont
rapporté que seize à dix sept cents milliers

180
de blé, 383 barriques de vin, quelques 234 267 livres de ris
moutons, peu de salaisons, la plus grande
166 422 livres de viande salée
partie jugée mauvaise, un peu de rhubarbe
peu de câbles et d’aggrès, encore moins de 177 bœufs en vie
goldron et de bray, et point de suif, ni de 63 ½ barriques vin rouge
1 306
chandelles. Quand je vois que l’année 1 243 d°…..vin blanc
dernière l’Hermione, avec 16 000 piastres, 161 ½ d° araque
rapporta dans l’isle 700 milliers de blé et
67 ½ d° eau-de-vie
deux barriques de suif, comment justiffiera
t-on qu’on n’a pu se procurer une plus Indépendamment des rafrîchissements
grande quantité de vin ? Quand il est et même vivres.
prouvé qu’il y en a plus de 15 cents
Ce compte très différent de celui de
barriques, dans l’escadre, à en juger
M. de Courcy étoit connu de lui. Il
seulement par l’offre de l’Eléphant d’un
n’ignoroit pas que les vaisseaux étoient
parti de plus de 100 barrique à des pris
arrivés au Cap sans vivres d’aucune
excessifs à la vérité et en piastres effectives
espèce, il ne pouvoit pas calomnier avec
dont on manque dans l’isle. Dira-t-on
plus d’art, il falloit qu’il se tût, mais que
qu’on n’a pu trouver ni suif, ni chandelles
seroient devenu son honneur et sa
au Cap, pendant qu’on en a proposé ici
conscience ?
depuis le retour de l’escadre des achats
considérables à des prix exhorbitants. Il S’il y a eu 1 500 barriques de vin pour
paroît clair que ces manneuvres ont été les particuliers, c’est ce que j’ignore, et ce
faites par des vues particulières et au compte arrangé par M. de Courcy par
détriment de l’Etat. l’évaluation de 100 barriques qui étoient
dit-il dans l’Eléphant n’est probablement
pas plus vrai que le reste des calomnies
répandues dans son mémoire.

181
On me répondra peut-être qu’on a
rapporté une partie des piastres, mais*
On a ramassé des salaisons et des
pourquoi ne paroissent-elles plus ?
moutons le plus qu’il a été possible. Les
Pourquoi est-on obligé d’en faire*
premières ont été consommées dans
descendre du Minotaure ? Doivent-elles
l’escadre et la quantité de moutons restante
donc rester à la disposition de M. de
a été répartie aux vaisseaux qui vont
Mondion ? N’étoient-elles pas destinées
actuellement aux Indes. Quant au bray,
pour l’Inde ? L’opération du Cap finie, ne*
goldron, cordage, toile, fil à voile, clouds,
doivent-elles pas rentrer à leur première
&a ; il a fallu toute la considération dont a
destination ? Ces piastres ont été
joui la nation françoise au Cap pour avoir
dénaturées pour des achats particuliers et
furtivement ces munitions qui ont été tirées
ne peuvent paroître que par la vente de ces
de nuit, en fermant les yeux aux gens
mêmes effets pour lesquels on a mandé si
préposés pour empêcher cette opération,
opiniâtrement des piastres. Si M. de
ainsi les manneuvres prétendues sont
Mondion avoit dû écarter des soupçons si
précisément les preuves de l’estime, de
bien fondés*, n’auroit-il pas représenté
l’amitié et de la confiance des Hollandois
aussitôt la somme qui lui restoit après
pour les chefs françois. Mrs de Courcy et
l’emploi fait au Cap, quoique les comptes
Querdisien qui ne connoissent pas la façon
ne fussent pas arrêtés ?
de traiter une grande affaire et que la
2° Les vols faits à bord de la prise passion aveugle, attribuent facilement et
dont-il n’a été fait aucune recherche au malignement à un défaut de prévoyance ou
Cap et qui se montent à des sommes de soins le manque d’agrets. On peut
considérables suivant la déclaration du ajouter que le cœur citoyen ne devoit pas
capitaine et des officiers de ladite prise, et étouffer les lumières naturelles, le bon sens
le déficit d’une boëte contenant suivant la et la probité qui exigeoient la connoissance
facture des cornalines. du pais où on a traité.

182
Je me croirois moins obligé de parler Des particuliers ont pu ramener
de cette affaire, si l’on n’avoit pas envoyé quelques parties de suif et de la chandelle,
une personne étrangère au corps de la et en donner un grand prix au Cap, ce qui
marine pour aller en France rendre compte fait que les bouchers n’en ont fourni à
de ce qu’on n’a pas fait. l’escadre que l’approvisionnement
particulier que chaque vaisseau m’a
3° L’empressement qu’on a eu de faire
demandé. D’ailleurs je ferai une
retirer des personnes d’une probité
observation tant pour cette espèce de
reconnue, et qui par leurs emplois doivent
munition que pour toutes les autres, c’est
être chargés des affaires, pour y employer
qu’en partant de l’isle de France j’aurois
des gens suspects, ce qui prouve la
dû, si M. le commandant général eut été ce
continuation des manneuvres.
que nous apellons un homme d’arcenal, ou
4° Les mauvais procédés dont on a usé un homme de mer, j’aurois dû dis-je, avoir
avec nous, et que nous ne pouvons souffrir une instruction générale portant d’acheter
sans consentir tacitement à l’avilissement toutes les espèces de marchandises dont les
de nos corps. magasins de l’isle de France manquoient,
chose qu’il ignoroit certainement lui-
5° La consommation très irrégulière
même, et dont je ne pouvois pas avoir une
des fonds destinés pour l’Inde, employés
ample connoissance, ce que j’ai aporté
en acomptes d’appointements, dont le
(l’objet des vivres excepté) a été de ma
montant passe déjà 18 mille piastres.
part une surérogation de prévoyance,
Nouveau motif bien puissant pour que je
personne n’y ayant songé. Au surplus, la
ne veuille pas tremper dans une affaire que
remarque des 2 citoyens seroit tout à fait
tout le monde blâme* hautement,
juste si* tous ceux qui ont travaillé en
détail pour leurs intérests particuliers
n’eussent eu que le bien général en vue,
comme M. de Courcy,

183
parce que la France ne fesant pas passer de qui n’a jamais pensé qu’au service pendant
piastres cette année, l’escadre et l’armée la campagne et pendant son séjour à l’isle
sont dans le cas de périr faute de ce secours de France, à qui toute pacotille est en
prodigué si libéralement. Je serois le horreur, et qui n’a eu de boutique étalée
premier à opiner d’accorder cette douceur que pour la plus grande utilité du public.
dans toute autre occasion que celle où on
On a demandé des piastres du
ne peut se sauver que par l’économie des
Minotaure parce qu’il en restoit plus à bord
piastres, particulièrement aux capitaines,
de ce vaisseau que dans tous les autres.
comme une espèce de dédommagement
Mais à qui auroit-on remis les piastres
des dépenses de leurs tables.
restant dans l’Illustre, d’où on en a
M. de Mondion étoit bien éloigné de effectivement tiré lorsqu’il a plu à M. de
cette façon de penser, lorsqu’il me Magon de ne pas vouloir accéder à
désignoit dans ses lettres du Cap le corps l’augmentation de 5 piastres par barrique
rs
respectable de M les officiers de marine de vin ? A qui M. Mondion devoit-il
sous le nom peu décent d’épétiers, j’ignore compte de ces piastres, à qui les
si c’est aux circonstances qu’ils doivent les représenter ? Pouvoit-il deviner qu’il y
marques de bonne volonté qu’il cherche à avoit deux si honnêtes gens, deux parfaits
leur donner aujourd’hui, mais je suis citoyens qui lui fissent la grâce de
certain que les services les plus importants soupçonner qu’elles étoient employées
ne pourroient jamais changer leurs pour son usage ? M. de Courcy a-t-il rendu
sentiments, ni la solidité de leurs suffrages. compte de celles qu’il avoit entre ses mains
depuis Rio-Janeiro ?

184
Voilà, Messieurs, ce qui m’a Il* en a remis à M. de Mondion en lui
déterminé à quiter mes fonctions. Comme donnant en même tems en juin 1759 un
la partie qui touche la Compagnie vous compte à joindre à celui que ce dernier
regarde, j’ai cru devoir vous rendre compte commissaire a à rendre. Qu’en seroit-il
des raisons qui m’obligent à me débarquer depuis près d’un an ? Cependant il ne lui a
du Minotaure. Je m’explique ouvertement été fait aucune observation à cet égard.
devant vous qui estes sur les lieux, et à Mais ces Mrs jugent que si l’on a eu de
porte de juger des faits que j’avance. l’argent en maniement, on a pu le faire
valoir, et que si on l’a pu, on l’a fait.
J’ajoute, Messieurs, aux
Comment prouveront-ils que cela est ?
représentations qui me sont communes
Comment leur prouvera-t-on que cela n’est
avec M. de Querdisien, que je suis prest à
pas, puisqu’ils sont peut-être certains que
me charger de toutes fonctions qui seront
non seulement la chose est possible, mais
réputées utiles à la Compagnie n’ayant rien
qu’il ne peut même leur tomber dans
tant à cœur que de lui prouver mon zèle et
l’esprit qu’elle puisse aller autrement ? On
mon attachement. C’est pourquoi je
pourroit présumer pourquoi ils jugent si
demande acte et enregistrement du présent
favorablement des autres.
mémoire. Au Réduit, isle de France, ce six
juillet mil sept cent cinquante-neuf. Le capitaine du Grantham, quatre de
ses officiers et les passagers, ont été
Signé : COURCY, PICHOT de
interrogés en forme au Cap devant les
QUERDISIEN.
personnes les plus qualifiées de l’escadre,
Plus bas sera enregistré ainsi qu’il est sur le manque de la boëte de cornalines, et
requis : à l’isle de France, le sept juillet mil sur le pillage fait dans l’instant de
sept cent cinquante neuf. l’amarinage de la prise. Cette pièce est
dans le portefeuille de M. de Mondion qui

185
Signé : MAGON, C. GOSSE, LE JUGE, a donc fait ce qu’il a dû à ce sujet. Mais il
BOURCERET de St-JEAN, GAMART de ne l’a pas communiquée au Conseil de
COURCELLES, ClOÜET, de CANDOS. l’isle de France parce que d’après les
menées sourdes, les intrigues et les soins
Enregistré sur le registre des actes
de M. de Magon pour l’y faire participer
civils du Conseil supérieur de l’isle de
avec M. le chevalier de Ruis, il étoit bien
France soussigné folio 1938°, par nous
aise de produire au besoin une pièce
greffier en chef du Conseil supérieur de
revêtue de l’autenticité convenable qui fût
l’isle de France soussigné.
la honte des démarches du commandant
Au port Louis, isle de France, le dit général. Voilà ce que produisent la passion
jour sept juillet mil sept cent cinquante- et la malignité de Mrs de Courcy et
neuf. Querdisien, auxquels j’ai eu très grant tort
de ne pas rendre compte de notre conduite.
Signé : DERIBES
Nous avons emmené exprès à l’isle de
France le capitaine anglois, un de ses
officiers, l’écrivain de son vaisseau et le
Me canonnier, afin de constater cette
affaire, ils y ont été interrogés et n’ont pas
dû y dire autre chose que ce qu’ils nous
avoient dit au Cap. Cette précaution de la
part de M. le chevalier de Ruis et de la
mienne, marque je pense très nettement
quelles étoient nos intentions. Tout le Cap
nous a sollicité de laisser aller ces gens-là
comme nous avions fait les autres, ce qui

auroit été d’autant plus aisé à faire qu’il y avoit un interrogatoire fort en règle, mais Mrs de
Courcy et Querdisien ne sçavent ni ne sentent notre démarche, et il ne falloit pas moins
qu’eux pour assurer au tribunal de justice de l’isle de France, que les chefs d’une mission,
gens connus et gradués pour agir, ont trempé dans un vol fait en mer 8 jours avant qu’ils
pussent en avoir connoissance.

L’étranger envoyé en France est sans doute M. Mabille qui a été détaché par M. de Ruis.
Ceci est comme tout le reste, du Magon tout pur.

186
L’honneur du corps est donc confié aux deux citoyens et ils le soutiennent par les moyens
qui leur sont propres, c’est-à-dire par la délation, la calomnie et une insubordination complette
dont la preuve existe dans leurs écrits.

M. le comte d’Aché a désiré et demandé qu’il fut donné aux capitaines de son escadre un
acompte pour leurs frais de table et aux officiers inférieurs un acompte pour les mettre en état
de subvenir à leurs dépenses particulières. Les deux citoyens désaprouvent cet arrangement,
leur honeur et leur conscience y répugnent. Ils sont cependant logés et nourris par M. de
Magon, ne font rien que des tracasseries et prennent sans répugnance 4 piastres de subsistance
par jour, en ayant même voulu avoir davantage. Quel désintéressement et quel honneur pour
leur état et pour le corps dont ils sont, disent-il, les principaux membres !

Si l’on a acheté les sufrages des officiers de la marine 18 000 piastres contre les deux
citoyens, cela est exhorbitant, car il auroit été moins dispendieux d’acheter ceux des citoyens.

M. de Querdisien vouloit, et a même fait violence pour se rembarquer dans le vaisseau du


roi l’Illustre, mais M. le chevalier de Ruis qui le connoissoit, et qui l’avoit essayé, l’a
constamment refusé. M. de Courcy vouloit prendre des détails, mais tout ou rien, ce sont ses
dernières volontés qu’il m’a souvent intimées de vive voix et par écrit. Il falloit me dégrader,
et n’être plus rien. Il est fait pour éclairer la conduite des autres, mais il ne convenoit pas que
personne éclairât la sienne. J’ai trouvé ces conditions un* peu dures, l’honneur a parlé dans le
cœur de ces Mrs, et puisque je n’ai point accédé à des demandes si raisonnables, il faut bien
que je sois un mauvais sujet, et pour dire sommairement ce que leur mémoire tend à prouver,
un fripon.

Il me reste en finissant à demander du côté du service un châtiment exemplaire de ces


deux calomniateurs, et que Monseigneur veuille bien me permettre ensuite de les poursuivre,
attandu qu’ils m’ont attaqué devant un tribunal de justice, afin d’obtenir des réparations
proportionnées à la gravité des offenses que j’ai reçues. A moins que Monseigneur ne jugeât à
propos de prononcer lui-même. Et pour finir cette réponse par un résumé de mes demandes, je
la terminerai en fesant sur le compte de Mrs de Courcy et Querdisien les observations ci-après.

1° Aucun des faits qu’ils avancent ne regardoit ni leur état, ni leur honneur, ni leur
conscience, à moins qu’il ne fût de leur état, de leur honneur et de leur conscience de traduire
leur chef et de le calomnier.

187
2° Ce libelle a été présenté au Conseil 5 à 6 jours avant mon départ de l’isle de France,
c’est-à-dire après que ces Mrs ont perdu toute espérance de justiffier l’inaction dans laquelle
ils ont resté, les traits d’insubordination et de violence qu’ils ont marqués, et que M. de
Courcy avoit pris le parti de retourner en Europe, sans ordre ni permission.

3° Le tribunal auquel ils se sont adresés étant incompétent pour juger cette affaire, il étoit
évident que je n’aurois ni le tems, ni la volonté d’entrer dans aucune justiffication sur des
calomnies qui attaquent ma réputations, et de prouver au Conseil de l’isle de France que je ne
suis pas un malheureux, ce qui eût été sans doute trop humiliant pour moi.

4° Les liaisions intimes et les conciliabules entrent ces deux Mrs, et le président dudit
Conseil au Réduit, forment une observation qui sera d’un grand poids lorsqu’on connoîtra ces
trois personnages.

5° La passion avec laquelle M. le président a exigé l’enregistrement du libelle malgré


l’avis de la plus saine partie de l’assemblée qui en avoit une juste indignation.

6° Le secret qu’ils ont fait de leurs découvertes à M. le comte d’Aché, qui dans la qualité
de commandant étoit instruit par les chefs de la mission du Cap de ce qui s’y étoit fait.

7° Les tentatives, ou plustôt les violences qu’ils ont faites pour se rendre maîtres du détail
que leur honneur leur eût permis de prendre si j’avois eu la foiblesse de m’en démettre, mais
qu’ils ne pensent plus devoir suivre en conscience dès qu’il a fallu servir sous les ordres de
quelqu’un.

188
Lettre écrite par M. de Mondion à M. le comte d’Aché en conséquence de la copie du
mémoire ci-dessus qui lui été délivrée du greffe.

Du 7 juillet 1759

Monsieur,

Les exès de Messieurs de Courcy et Querdisien viennent de se consommer à mon égard


par un libelle difamatoire présenté aujourd’hui au Conseil de justice, et enregistré au greffe.
Ces deux commissaire me traduisent devant ce tribunal, et me taxent de manneuvres indignes
de ma naissance, et de mon état. Ces odieux soupçons deviennent publics et authentiques par
l’enregistrement, il ne me reste donc plus aucun retranchement,et* j’ai vainement et sans
doute fort mal à propos, conservé la patience et les bienséances dans toutes les fureurs que j’ai
essuyées de leur part. Ce dernier trait ne peut se souffrir sans déshonneur et sans la plus
méprisable foiblesse. Il ne me convient pas de répondre à des imputations frivoles, dénuées
même de vraisemblance, qui sont produites par deux personnes qui sont sous mes ordres, et
qui ne peuvent me citer d’aucune façon pour rendre compte en justice de ma conduite. Je
seroit fort heureux de pouvoir oublier aussi facilement ces infamies qu’il me seroit aisé de les
détruire, mais la chose est trop grave pour que je ne prenne pas le seul parti que me permet ma
position actuelle de supérieur de Mrs de Querdisien et Courcy. Je réclame, Monsieur, votre
autorité pour concourir à la suspension totale de fonction que je vais ordonner contre ces deux
Mrs, pour leur ordonner de votre côté de garder les arrêts où je vais les mettre au Réduit
jusqu’à leur embarquement. Je vous demande, Monsieur, pour le maintien de la
subordination, pour l’exemple, pour ma réputation, de procurer à ces deux Mrs les moyens les
plus prompts de passer en Europe pour y continuer l’office de délateurs devant des tribunaux
compétents. Je ne les perdrai pas de vue, et j’espère en obtenir une justice proportionnée à
l’énormité de leur conduite avec moi.

Je vous prie, Monsieur, de me répondre par écrit et de me marquer ce que vous pensés à
cet égard, vous avés les lettres précédentes de ces Mrs et les miennes. Jugés et me condamnés
si j’ai tort, je repasserai en France et j’y mettrai ce qu’on appele mes manneuvres dans le plus
grand jour. Mais si je suis attaqué aussi constamment, aussi indignement par deux de mes
inférieurs que je le suis injustement, c’est votre suffrage et votre autorité qui doivent étayer
mes ordres et mes démarches vis-à-vis de ces Mrs. Leur suspension, les arrêts et leur
embarquement doivent être exécutés par vos ordres, et je crois que l’horreur des procédés
vous portera à donner à mon ancienneté cette première satisfaction que je vous demande.
189
Je n’ai encore pu avoir copie du mémoire en question, il faut une permission du Conseil
pour qu’on me la délivre, j’ai présenté une requête à cet effet, j’en ai cependant pris lecture. Je
vous la communiquerai dès que je l’aurai reçue, et je me persuade que vous en serés aussi
indigné que moi.

Ordre de suspension de fonctions des arrêts, &a, donné par M. de Mondion à Mrs de
Courcy et Querdisien, approuvé par M. le comte d’Aché.

À l’isle de France, le 9 juillet 1759.

Mrs de Courcy et Querdisien, commissaires de la marine à la suite de l’escadre des Indes,


s’étant entérieurement écartés de toute subordination par des procédés et des lettres
indécentes, et ayant mis le comble à leur conduite passionnée par un mémoire injurieux à ma
réputation et à mon état remis au Conseil de justice de cette colonie le 7 de ce mois, dont ils
ont demandé et obtenu l’enregistrement au greffe, j’ai eu recours à l’autorité de M. le comte
d’Aché, commandant la marine aux Indes, pour que sur l’examen de cette dernière pièce et
des procédés antérieurs dont il a connoissance, il voulût bien prononcer en me condamnant si
j’ai tort, ou si le droit et la raison sont de mon côté, en concourant et m’autorisant à arrêter des
violences qui sont à leur dernière période. Ainsi de l’aveu et permission de M. le comte
d’Aché, il est ordonné à Mrs de Courcy et Querdisien de garder exactement les arrêts dans la
maison du Réduit où ils se sont confinés, et de n’en sortir que pour venir s’embarquer au port
pour passer en Europe. Ils seront dès la réception du présent ordre, suspendus de leur fonction
de commissaires de la marine jusqu’au moment où ils arriveront en Europe.

Signé : MONDION

Lu et approuvé le présent ordre adressé par M. de Mondion, à Mrs de Courcy et


Querdisien, auxquels il est enjoint de s’y conformer en tout point sous peine de
désobéissance. Ledit jour et an que dessus.

Signé : le comte d’ACHE

190
Lettre de M. le comte d’Aché qui accompagne l’ordre ci-dessus

Au port Louis, isle de France, le 9 juillet 1759.

On m’a présenteé, Messieurs, le mémoire que vous avés remis au Conseil supérieur de
cette isle le 7 de ce mois, et dont vous avés demandé et obtenu l’enregistrement au greffe. Il
contient des imputations contre la conduite de votre ancien, et votre chef ici, qui a réclamé
mon autorité pour arrêter des procédés déjà très violents et auxquels vous venés de mettre le
comble en le citant à un tribunal de justice. Le titre de délateurs que vous prenés gratuitement
sur des objets qui ne vous regardent pas, marque tant de malignité et un acharnement si
indécent que je n’ai pas balancé à la lecture de ce dernier trait de violence à concourir comme
commandant de la marine aux moyens préliminaires que M. de Mondion croit devoir prendre
vis-à-vis de vous deux en attendant l’effet de ses plaintes à la cour et la décision du ministre.

Je vous ai donc fait cette lettre pour vous avertir que je souscris à ce que M. de Mondion
vous enjoint à cet égard, et qui aura lieu jusqu’à votre arrivée en France suivant les termes de
l’ordre qui vous sera remis de sa part. Mon absence et la sienne ne pouvant rien y changer, et
toute infraction de votre part devenant la plus formelle insubordination aux ordres de votre
supérieur. Je joins ici l’ordre de M. de Mondion vu et approuvé de moi. J’ai seulement à vous
ajouter que les soupçons odieux dont vous voulés noircir la réputation de votre supérieur, me
mettent dans le cas de ne recevoir de vous ni lettre, ni mémoire. Ainsi réservés vos moyens de
preuves et de justification pour le tribunal du ministre.

Il sera ordonné au capitaine de la frégate l’Expédition de recevoir M. de Querdisien et au


capitaine de la Subtile de prendre M. de Courcy. Ainsi vous vous tiendrés prêts pour le départ
de ces frégates.

Signé : le comte d’ACHE

Conforme à l’original que j’ai adressé à Mrs de Courcy et Querdisien, commissaires de la


marine. Au Réduit, le 10 juillet 1759.

Signé : le comte d’ACHE

191
Extrait de la lettre écrite à M. le comte d’Aché par M. de L’Eguille

À l’isle de France, le 10 juillet 1759.

Je crus devoir avertir M. de Courcy de se préparer à partir, je lui écrivis un petit billet
pour qu’il apprît ce changement. Le lendemain il partit pour le Réduit sans me voir à mon
grand étonnement, il m’écrivit la lettre ci-jointe dont je vous prie de prendre lecture, et vous y
trouverés de quoi effacer les idées que vous avés prises sur ma façon de penser. J’espère,
Monsieur, qu’il y aura assés de preuves de la vérité que je vous ai dite ce matin, que j’avois
taché de le détourner du désir qu’il avoit de se débarquer, et que vous me ferés l’honneur, &a.

Signé : FROGER de L’EGUILLE.

Copie de la lettre écrite à M. de L’Eguille par M. de Courcy

4 juillet 1759

Monsieur,

Je suis très sensible à l’attention que vous avés de me prévenir de votre prochain départ.
Vous allés, Monsieur, me trouver fort extraordinaire en apprenant que je suis très décidé de ne
point faire la campagne de l’Inde. J’ai l’honneur de vous prévenir que sous votre bon plaisir,
je vais me décharger du Minotaure. Je reste à l’isle de France et je vous proteste, Monsieur,
que rien n’est actuellement capable de me faire changer de résolution. Ce n’est pas sans
beaucoup de peine que je me suis déterminé à prendre ce parti. Croyés je vous en supplie,
Monsieur, et croyés fortement, qu’il m’en coûte infiniment de me séparer de vous. Vos bontés
et vos attentions me pénètrent de reconnoissance, soyés assuré que j’en conserverai
éternellement le souvenir. Je ne puis en honnête homme me conduire autrement, et je dois ce
que je fais à la place que j’occupe ; je vous demande en grâce, Monsieur, et vous le demande
de toutes mes forces, ne me faites point sur tout ceci des représentations, je vous honnore et
vous aime de tout mon cœur, mais je ne puis dans cette circonstance faire ce que vous
pourriés désirer de moi.

Je suis avec respect, M., &a.

Signé : COURCY

192
[P.S.] Je vais au Réduit pour prendre un peu de repos. Ma situation est cruelle, vous
devés croire que je n’ai pas la force de vous dire adieu, disposés de moiens tout pour tout, ne
m’épargne jamais.

Copie de la lettre de M. Magon, commandant général des isles de France et de


Bourbon, écrite à Mrs de Courcy et Querdisien, envoyée à M. le comte d’Aché

par ces Mrs.

À l’isle de France, le 12 juillet 1759.

Messieurs,

Je ne puis assés vous marquer mon étonnement de la démarche ridicule et extravagante


de M. de Mondion. Où a-t-il pris qu’il eut le droit d’ordonner sans ma permission des arrêts à
terre ? Il met le comble à cette extravagance en les ordonnant pour être gardés dans ma propre
maison. Je n’aurois regardé le tout que comme une plaisanterie, si je n’avois apperçu au bas
de cette pièce singulière, l’approbation de M. le comte d’Aché. Mais comme ce général n’a
pas plus de droit de commander à terre que le commissaire, je vous défends, au nom du roi,
d’observer dans cette isle, où j’ai l’honneur de commander, des arrêts donnés non seulement
sans ma permission, mais même à mon insçu. La régularité du service m’oblige à vous écrire
cette lettre que vous pouvés communiquer à M. le comte d’Aché, qui sentira comme moi les
conséquences de la fausse démarche de M. de Mondion, auxquelles il n’a pas
vraisemblablement fait l’attention nécessaire.

Je suis avec le plus sincère attachement, Mrs, &a.

Signé : MAGON

Pour copie conforme à l’original resté entre nos mains.

Signé : COURCY et PICHOT de QUERDISIEN.

Pour copie conforme à la pièce restée entre nos mains. A St-Paul, isle de Bourbon, le 20
juillet 1759.

Signé : le comte D’ACHE

193
Pour copies conformes aux originaux et pièces collationnées qui me sont restés entre les

mains.

Fait à St-Paul, isle de Bourbon, le 23 juillet 1759.

194
Mondion à la Compagnie

*[À] Mrs le sindics et directeurs de la Compagnie des Indes

Reçu le 1er février 1760 par le vaisseau le Massiac

À St-Denis, isle de Bourbon, le 14 octobre 1759.

Messieurs,

Je me réfère aux lettres que j’ai eu l’honneur d’écrire à la Compagnie en date des 21 et 22
juillet dernier, avec toutes les pièces qui y étoient jointes, lesquelles lui parviendront par la
frégate la Fidelle. J’en ai remis le duplicata au S. Sévin, écrivain du vaisseau le Bien-Aimé,
qui passe sur le Dromadaire.

Voici, Messieurs, six états signés des capitaines, officier, et constructeur du port de l’isle
de France, contenant le détail des ouvrages qui ont été fait à bord du vaisseau du roi le
Zodiaque, à bord des vaisseaux de guerre le Comte de Provence et le Vengeur, et à bord des
vaisseaux de Compagnie le St-Louis, le Duc d’Orléans et le Duc de Bourgogne, pour les
radoubs, carennes et armements qui leur ont été faits depuis que ces vaisseaux sont de retour
de l’Inde et du cap de Bonne-Espérance. M. le comte d’Aché a dû vous mander qu’il me les
avoit remis, je les* ai lu et trouvé vrai dans tous les articles qu’ils énoncent. Ils auroient eu
besoin d’être mis un peu en françois, mais comme ce sont des originaux, dont je n’ai même
qu’une seule expédition, je vous les adresse tels qu’ils sont, et j’en rens compte à M. de
Berryer auquel M. le comte d’Aché m’a dit en avoir écrit aussi.

Je pense, Messieurs, que la Compagnie a écrit au Conseil de Pondichéry, comme elle l’a
fait à celui de l’isle de France par sa lettre du 18 février 1758, sur l’arrangement à prendre
pour arrêter les états de dépense des vaisseaux de l’escadre des Indes. Si par hasard elle
l’avoit omis, oserois-je la prier de vouloir bien y donner les mêmes ordres, et de recommander
surtout qu’il ne soit dressé qu’un seul état pour chaque vaisseau, en suivant ce que la lettre
prescrit. Je fais cette demande pour éviter la multiplicité des écritures, parce que dans ce païs-
là, chaque magasin fait son état original séparément, au lieu qu’à l’isle de France tous les
magasins particuliers raportent au bureau des livres, où nous dressons un état général dont je
vous observe qu’il faut 5 copies. Savoir : une pour le comptoir, une pour le vaisseau, et 3 pour
la Compagnie. Jugés par ce petit détail, Messieurs, combien il y auroit d’écritures à faire, si
dans la circonstance présente nous étions obligés de suivre le train d’ordonné. D’ailleurs, ce

195
que je propose ne touche en rien à la forme des livres, mais il n’y a* que la Compagnie qui
puisse donner des ordres pour ce changement. Ou bien elle pourroit écrire de suivre ce que je
désirerois à cet égard, sauf à moi de me consulter quand je serai sur les lieux avec les gens
de* métier pour faire un bon travail. La Compagnie n’a* encore rien reçu en forme de ce
comptoir sur l’objet ci-dessus, et il n’y a que les dépenses de l’escadre de M. Bouvet qui
soient comprises dans les premières expéditions d’états que j’ai adressés à la Compagnie par*
le vaisseau le St-Priest. Je vous serai obligé, Messieurs, de faire attention à ce que j’ai
l’honneur de vous demander.

La frégate la Gloire, commandée par le S. de Laval, officier de côte, mouilla il y a


quelque tems à* St-Paul, venant de Madagascar ici par ordre de M.* le comte d’Aché pour
m’emmener à l’isle de France. Je n’ai pas pu profiter de cette occasion pour y retourner, parce
que ma santé n’est pas encore rétablie et que les affaires que je dois régler avec M. Bouvet ne
sont pas non plus arrangées. Je ne vous dis mot des autres bonnes raisons qui se sont jointes à
celles-là, pour m’enpêcher d’aller dans un païs où j’aurois trouvé le feu de la division allumé
partout.

Il y a encore sur mon affaire, Messieurs, des choses dont vous n’avés pas connoissance,
et qui sont à joindre au dossier que je vous ai envoyé. C’est une lettre que M. le comte d’Aché
a écrite de Foulepointe au ministre de la Marine, d’abord sur l’affaire en général, et puis sur la
lettre qu’il reçut de Mrs de Courcy et Querdisien lorsque nous les interdîmes et mîmes aux
arrêts, et que M. de Magon jugea à propos de les en relever par un effet naturel de l’autorité
dont il est revêtu comme représentant la personne du roi dans ce païs-ci. Je désirerois que
cette lettre vous fût communiquée, vous y verriés des choses étranges sur le compte des 3 Mrs.

J’ai apris par le Massiac qui a mouillé à St-Paul ces jours derniers, que M. de Courcy
resteroit à l’isle de France malgré l’ordre qu’il a eu de s’en aller. Je n’entre dans aucun détail
sur les raisons qui peuvent l’y avoir déterminé, mais ce n’est sûrement pas pour le bien de la
chose. Il faut d’ailleurs avoir toute l’effronterie qu’il a pour hasarder de se trouver vis-à-vis de
M. le comte d’Aché, et de moi. J’espère néantmoins qu’il laissera tranquile et mes plaintes
étant portées au ministre contre son insubordination, et ses fureurs, tout ce qu’il pourra me
susciter m’est devenu égal, cependant je rens compte de cette nouvelle à M. de Berryer, et je
le suplie encore de tirer cet homme-là d’ici, en attendant qu’il m’en soit fait justice, parce que
rien au monde ne peut m’engager à servir avec un personnage aussi hautain et aussi ignorant
que celui-là. Il n’entend absolument rien au mélange de votre service avec celui du roi, ce

196
sont toujours des vivacités et point de travail. Je* ferai très bien mon affaire avec M. Babinet,
avec M. de Rochecourte, et notre détail sera réglé quand je serai assuré d’avoir la paix. Je*
vous prie même, Messieurs, de croire sans trop me flater, que rien ne sera plus net que notre
travail, mais il faut au moins pouvoir être en repos. J’espère que vous voudrés bien prendre
votre parti sur cela et ôter à M. de Courcy, s’il ne va pas effectivement en France avec M. de
Magon, les moyens d’exercer ses violences. Quant à moi je me retire maintenant assés
souvent à l’habitation et j’y travaille aux affaires de mon détail, je m’y établirai tout à fait
quand il sera tems, afin d’éviter toute rencontre fâcheuse. Le respect que j’ai pour la
Compagnie et la reconnoissance dont je suis pénétré m’imposent bien plus que vous ne le
croyés peut-être, Messieurs, la nécessité de me bien conduire jusques au bout. Mais aussi je
me flate que ce n’est pas en vain que nous aurons vu* de sang-froid le chevalier de Ruis et
moi, qu’on nous traite tous deux de fripons par écrit, et moi en particulier d’extravagant, &a.
Jamais les ministres sous qui nous travaillons depuis si longtems n’eurent de nous pareille
idée et ne s’exprimèrent sur notre compte en de semblables termes. Du reste, nos anciens
services, et la conduite que nous avons toujours tenue, nous mettent à l’abri de tout soupçon.
Pour moi je suis entré au service de* la Compagnie avec empressement et avec envie de bien
faire. Et je crois avoir mérité l’estime des personnes respectables de l’administration qui m’y*
ont présenté. Elles me connoissent, elles m’ont vu travailler, la Compagnie même en corps
m’a vu pendant longtems chargé d’affaire auprès d’elle par ordre de M. Rouillé*, et je ne
crois* pas en cette occasion avoir donné la moindre marque de rétulence, d’étourderie et
d’indiscrétion. Je* vous rappelle cela, Messieurs, parce que ce snt des* faits qui avec les écrits
que vous verrés doivent vous déterminer à me rendre la justice qui m’est due sur tous mes
objets de plaintes dans les* choses qui dépendent totalement de la Compagnie*, comme aussi
à la solliciter auprès du ministre de la Marine et de M. le contrôleur général. J’attendrai que la
Compagnie me donne en cette occasion* des marques de son estime et de sa bienveillance, et
je ne cesserai point d’être circonspect. Par exemple, je ne dirai rien à mon retour à l’isle de
France au Conseil supérieur, sur la complaisance qu’il a eue d’enregistrer un libelle contre
moi. Comme membre du Conseil pour la partie d’administration, je méritois bien qu’il me fît
sur cela la politesse qui convient en pareil cas, et il me semble que je n’exige pas trop. Je
m’étois conduit assés décemment au milieu même de toutes les indécences dont j’ai été si
souvent témoin, pour qu’on ne s’oubliât pas au point où on l’a fait. Ce n’est pas à moi
d’indiquer à la Compagnie ce qu’elle a à faire en cette occasion, je m’en raporte à sa justice
avec d’autant plus de confiance, qu’elle ne perdra pas de vue, à ce que j’espère, la modération
avec laquelle j’en ai toujours usé, pas pur égard pour elle, car on doit sentir qu’il ne m’étoit
197
pas difficile d’agir dans toutes ces circonstances avec cette vigueur dont tant d’autres se sont
servi pour contenir les étourderies et les insolences d’un chacun.

Je suplie la Compagnie, Messieurs, de prendre en considération et en bonne part tous les


exposés que* je lui fais. Si je lui ai porté des plaintes c’est que j’y ai été forcé, comme aussi
de nommer quelques particuliers à son service, gens très obscurs par eux-mêmes à la vérité,
mais à qui* le hasard a donné des places pour lesquelles on voit bien qu’ils ne sont pas faits.

Le S. Thébault m’a fait part, Messieurs, d’une lettre qu’il a eu l’honneur de vous écrire
par laquelle il vous demande une place de sous-marchand, soit pour le comptoir des Indes,
soit pour l’isle de France. C’est une grâce que je vous prie de vouloir bien lui accorder en
considération de ses services dont je suis content. Elle le mettra à portée d’être placé
avantageusement, et les connoissances qu’il prend d’ailleurs dans le travail qu’il fait
aujourd’hui ne peuvent que lui* être fort utiles pour tous les détails dont il pourra être chargé.
Je me flate qu’à ma recommandation, et* sur le bon compte que je vous en rens, vous aurés la
bonté de lui accorder sa demande.

À St-Paul, le 22 octobre.

Je me suis rendu de St-Denis ici, Messieurs, pour remettre moi-même mes lettres au
Massiac et au Boullongne. Ce premier vaisseau part la nuit prochaine ainsi que le Boutin, et le
2e apareillera je pense vers la fin de la semaine.

J’ai apris que la liquidation de la prise le Grantham avoit été arrêtée et signée à l’isle de
France par le Conseil supérieur. Je ne puis vous dissimuler mon étonnement à cet égard, et le
vôtre ne sera pas moin considérable, Messieurs, lorsque je vous dirai que les états des
dépenses faites par cette prise au cap de Bonne-Espérance et à l’isle de France, les fournitures
qu’elle a faites à tous les vaisseaux, ainsi que celle qu’elle en a reçues, ne sont pas encore
arrêtées, et ne peuvent l’être que lorsque je rendrai mon compte de la mission du Cap. On m’a
dit qu’on avoit estimé la dépence à vue de païs à une certaine somme. Mais pourquoi partir
d’une fausse position puisqu’on en peut avoir une vraie, et qui est ce qui a pu déterminer à
consommer si vite une affaire qui pouvoit sans inconvénient attendre encore 3 mois, et qui
exige d’ailleurs tant de justesse et de précision. Car je dois vous faire remarquer, Messieurs,
que cette liquidation ayant trait à la marine du roi pour les 6 deniers pour livre des invalides, il
faut que les trésoriers généraux raportent une copie de la liquidation avec les* états qui
peuvent y être mentionnés, comptés, balancés, &a. D’ailleurs si les dépenses du Grantham

198
sont estimées je supose à 50 000 L. et qu’elles n’aillent qu’à 20, ou qu’elles aillent à 70, quel
parti faut-il que je prenne ? Sera-ce celui de suivre une estimation mal entendue, faite au
hasard ? Mes comptes particuliers envers la Compagnie comprendront* des états plus ou
moins forts que ceux qui doivent être* soints à la liquidation ? Tout ce qui sera extrait de ces
comptes pour être porté ailleurs, ne doit-il pas être relatif et conforme à sa source ? Et enfin,
le plus ou le moins tombée certainement sur les ⅔ revenant à la* Compagnie, et sur le ⅓ des
preneurs, et sur les 6 deniers pour livre des invalides. Il faut dans ces* sortes d’affaires un
travail qui ne diffère en rien ni dans son principe, ni dans ses différentes branches, et votre
intention n’est sûrement pas que dans un objet d’aussi grande conséquence, et sujet à révision,
je travaille irréguliérement et à perte de vue comme Mrs du Conseil. Il est bon de vous
observer que j’avois prévenu M. de Courcelles, nommé commissaire pour les prises, et M. de
Ribes, greffier, de ne pas consommer la liquidation à cause de la raison que je viens d’avoir
l’honneur de vous dire. Je les connois assés pour prenser qu’ils n’ont pas été les maîtres de
maintenir la règle qui convenoit. Voilà donc de l’ouvrage fait inutilement, et vous sentés bien,
Messieurs, qu’à moins d’un ordre absolu de votre part, ce que je ne présume pas devoir
arriver, je ne mettrai pas la main à la répartition, si ce n’est que Mrs du Conseil ne voulussent
refaire tout leur ouvrage. La liquidation étant fausse, la répartition le seroit aussi, et ne voulant
point me charger de cette iniquité, la marine va crier de ce qu’on ne lui paye point ses parts de
prise. Les plaintes vous en seront portées, on en fera aussi au ministre de la Marine, et moi je
dis à l’avance que ce sera l’entêtement et le peu d’intelligence du Conseil qui en seront la
cause. Pourquoi a-t-il précipité un ouvrage dont il n’avoit pas tous les matériaux pour le bien
faire ? Je n’en vois* d’autre raison que l’envie de partager les 8 pour %* dont il s’est arrogé le
montant sans attendre vos ordres*. On dit que le commandant général a eu 29 000 pour sa
part. Que pensés-vous que la marine dira de cette part de prise tandis que le chef aura à peine
10 000 L. ? Vous savés ce que je vous ai mandé sur cela, mais vous ne vous imaginés point
le* mauvais effet qu’a produit cette répartition pour laquelle on n’a pas même daigné
demander votre consentement. Le prélèvement de ces 8 pour % doit il est vrai avoir lieu, il
n’y a que l’aplication qui soit vraiment choquante et rebutante. Il s’agit de savoir si vous
l’avés voulu comme cela.

Je vous serai obligé, Messieurs, de donner vos ordres* pour que le travail des prises se
fasse en règle et conformément à l’ordonnance du roi. Et comme je présume que le Conseil se
refusera à refaire son ouvrage que je tiens pour très faux par les raisons ci-dessus, il convient
que vous le lui ordonniés précisement. Nous n’avons pas travaillé comme cela pour le Cigne,

199
M. Mabille et moi. Je vous dis ceci seulement à l’avance pour que vous y mettiés ordre. Je
dois vous ajouter aussi que je n’ai pas pu me dispenser d’en rendre compte au ministre de la
Marine pour le prévenir sur les plaintes qu’on lui fera de ce qu’on ne paye point les parts de
prises, ce qui ne sauroit se faire qu’après que j’aurai arrêté ma répartition. Mais dois-je la
travailler lorsque je suis sûr que la liquidation est insignement fausse ? Je suis avec respect,
Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

200
Mondion à la Compagnie

Première

Reçu le 22 mars 1760 par le vaisseau le D’Argenson

À St-Denis, isle de Bourbon, le 14 décembre 1759.

Messieurs,

J’ai l’honneur d’informer la Compagnie que le navire le St-Luc venant de l’isle de France,
prêté aux Srs Vigoureux, et destiné pour Mozambique, mouilla en cette rade le 25 du mois
dernier, et qu’il en repartit le 28 du même mois pour continuer sa mission. Il a débarqué en ce
quartier 232 hommes, et le vaisseau le Silhouette commandé par le S. de Laval y a mouillé le
4 de ce mois, et en est reparti aujourd’hui pour St-Paul. Il a aussi débarqué 243 hommes
provenant des vaisseaux de l’escadre, mais il en reporte 200 de moins malades à St-Paul, et
parmi ces 475 hommes, il n’y en a guères qu’une trentaine qui soient absolument malades. Le
reste sont des scorbutiques, dyssenteriques, ou gens extrêmement fatigués de la mer. L’on doit
en général regarder cette exportation de monde comme un soulagement qu’il est devenu
indispensable de procurer à l’isle de France dans l’état de disette où elle se trouve
aujourd’hui. Je n’entrerai point, Messieurs, dans le détail de la situation de cette isle parce que
je présume que Mrs les commandants en auront fait part à la Compagnie, avec toute
l’exactitude qu’exigent les circonstances actuelles. Je ne lui parlerai pas non plus de ce qui
s’est passé à la côte de Coromandel pendant que l’escadre y a été. C’est l’affaire de M. le
comte d’Aché et de M. Babinet qui instruiront aussi la* Compagnie. Sans doute des projets
d’opérations particuliers* qu’il paroît que l’on cherche à arranger à l’isle de France, autant
pour le bien de l’Etat que par la nécessité pressante qu’il y a de décharger une colonie qui
manque encore de tout et qui est même, Messieurs, dans une position beaucoup plus fâcheuse
que l’année dernière, car il y avoit au moins alors des ressources en argent qui permettoient de
prendre de certaines partis qu’il semble fort difficile de suivre aujourd’hui attendu qu’il n’y a
point de fonds.

Je ne répons point, Messieurs, à la lettre que la Compagnie m’a fait l’honneur de m’écrire
par la frégate la Gracieuse, mais je le ferai de l’isle de France, où je vais me rendre par le
vaisseau le Silhouette.

201
Je suis convenu avec M. Bouvet d’y envoyer touts les états des dépenses faites ici, afin de
les comprendre dans ceux qui vous seront envoyés de ce comptoir là.

Je me réfèrese aux lettres que j’ai eu l’honneur d’écrire à la Compagnie depuis le cap de
Bonne-Espérance, et j’espére que mes expéditions ayant été faites par duplicata, il vous en
sera au moins parvenu une. Je me flate qu’en réponse, elle voudra bien me donner des ordres
positifs sur tous les objets de ces lettres qui exigent de sa part des éclaircissements, ou des
arrangements au moyen desquels je puisse travailler sûrement. Je suis avec respect,
Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

MONDION

202
Froger de L’Eguille
Commandant le vaisseau le Minotaure

203
Froger de L’Eguille au Comité secret

[À]* Mrs du comité secret

Triplicata

Lisés s’il vous plait, Messieurs, l’apostille.

Reçu le* 30 novembre 1759 par la frégate la Fidelle

À l’isle de France, le 13 juillet 1759.

Messieurs,

La maladie que j’éprouve depuis près de cinq mois et qui m’a mis presque au tombeau,
m’a dérobé la connoissance de tout ce qui s’est passé pendant tout ce tems, d’ailleurs M. le
comte d’Aché vous instruira de toutes les opérations qu’il a dirigé. La foiblesse extrême dont
je suis encore, me permet à peine d’avoir l’honneur de vous écrire, Messieurs, ces lignes.

Le général m’a prévenu que je partirois avec luy dimanche prochain pour Bourbon et
Madagascar, où est le rendez-vous général, et ensuite pour la coste de Coromandel. Je ne
désire rien tant que de pouvoir le seconder d’une façon utile dans les opérations qu’il a à faire.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

FROGER DE L’EGUILLE

À Foulpointe, isle de Madagascard, le 29 juillet 1759.

J’ay eu l’honneur de vous écrire, Messieurs, mes premières lettres* du 13 de juillet de


l’isle de France pour les faire partir par les premiers vaisseaux.

Je suis parti de l’isle de France le 17 juillet et arrivé à Bourbon le 19 où nous avons repris
les équipages malades, qu’on y avoit envoyés pour se rétablir, nous en partîmes dimanche à
minuit, et sommes arrivés ici le 27. En entrant dans ce port, l’officier pratique que m’a donné
la Compagnie a échoué mon vaisseau sur la pointe des rescifs de Bourbon, qu’on dit s’estre
fort alongée depuis 11 ans que cet officier n’y étoit venu. J’y restai deux heures, il y avoit un
peu de mer, et quoique le fond ne fut que de sable et de corail, j’eus toute la frayeur d’y
perdre le vaisseau, mais je fût si bien secouru par toutes les chaloupes de l’escadre qu’il ne
m’est arrivé aucun accident apparent, si ce n’est un morceau de contrequille d’environ 3 pieds

204
de long qui a été emporté et un pouce d’eau par heure. Ainsy j’espère que le vaisseau sera en
état de faire la campagne sans accident.

J’étois retombé malade quatre jours devant, ce qui m’avoit obligé de me purger ce jour là,
et de garder ma chambre, néanmoins après l’accident arrivé, je fus obligé de me donner
beaucoup de mouvement et dont heuresement je n’ai point été plus incomodé.

205
Analyse de la lettre précédente

Lettre de M. de L’Eguille, capitaine du vaisseau du roi le Minotaure, dattée de l’isle de


France le 13 juillet 1759.

Il avoit été cinq mois malade et n’avoit eu aucune connoissance de ce qui s’étoit passé à
l’isle de France. Il devois partir avc M. d’Aché pour l’Inde, et le proposoit de le bien
seconder.

P. S. du 29 juillet de Madagascar

En entrant à Foulepointe l’officier pratique avoit échoué son vaisseau sur la pointe des
réscifs de Bourbon, cet officier n’avoitt point vu cet endroit depuis 11 ans.

Les secours qu’on luy avoit donnés ont empêché qu’il ne soit arrivé d’autre accident au
vaisseau que 3 pieds de long de contrequille emportée, et il espéroit qu’il seroit en état de
faire la campagne sans accident à l’égard de sa santé, elle commençoit à se rétablir.

206
Froger de L’Eguille au Comité secret

Mrs du Comité secret

Reçu le* 21 mars 1760 par la frégate la Subtile

À l’isle de France, à bord du Minotaure, le 22 novembre 1759.

Messieurs,

J’ay l’honneur de vous informer de mon arrivée dans ce port avec les vaisseaux de la
Compagnie le Comte de Provence et le Fortuné, de hier, M. le comte d’Aché les avoit
destinés pour composer ma division pour le retour de l’Inde.

Dans cette dernière traversée le grand mât du Minotaure a consenti dans un endroit où il
avoit reçu trois coups de canon près les uns des autres, malgré les jumelles que j’y avois mis
après le combat du 10 septembre. Je l’ay fortifié de nouveau, il a résisté depuis aux efforts du
vent et aux mouvements de la mer, heureusement je n’ay point eu de mauvais temps. Une
autre raison me les faisoit encore plus redouter.

Depuis l’échouage périlleux du vaisseau à Madagascar et le combat où j’ay reçu 26 coups


de canon à la flottaison, la voie d’eau a toujours augmenté de temps à autre, de façon que
depuis le 7 de ce mois je suis obligé de faire pomper sans relâche avec une pompe et quelques
fois deux, ce qui avoit excédé l’équipage. Je vais travailler à réparer les dommages et autres
avec autant de diligence que les circonstances me le permettront. Quoique ma santé ne soit
point encore entièrement rétablie, je ne perdray pas un instant.

J’ay perdu dans le combat 34 personnes dont deux lieutenants de vaisseau, Mrs de
Gaudion et Kaas, capitaine lieutenant danois ; j’ay eu 84 blessés, dont 10 sont morts à
l’hôpital de Pondichéry. Du nombre de blessé sont Mrs Peynier, lieutenant de vaisseau, et St-
Sauveur, enseigne.

Sur le vaisseau est criblé de coups soit dans le bois, la mâture, les voiles* et les
manœuvres, de façon* que dès la première heure du combat j’étois hors d’état de pouvoir
manœuvrer pas même une voile d’étay. Mon grand mât prest à tomber, j’ay été assez
heureux*, cependant, de tirer les premiers coups et les derniers sans discontinuer un instant.
Quoique le combat n’ait duré que deux heures, il a été très chaud*, comme vous l’apprendrez,
Messieurs, par toutes les circonstances dont vous serez instruit. Je ne peu pas entrer dans un

207
plus long détail, le vaisseau qui part demain ne m’en donnant pas le tems et d’ailleurs c’est à
M. le comte d’Aché seul à qui il appartient de rendre des comptes et circonstances de la
campagne.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

FROGER de L’EGUILLE

Froger de L’Eguille à la Compagnie

Mrs les directeurs de la Compagnie

Duplicata

Reçu* le 24 mars 1760 provenant du vaisseau le D’Argenson

À l’isle de France, à bord du Minotaure, le 22 novembre 1759.

Messieurs,

Je suis arrivé dans ce port, de hier, avec les vaisseaux le Comte de Provence et le
Fortuné. Dans cette traversée le grand mât du Minotaure a consenti dans un endroit où il avoit
reçu trois coups de canon fort près les uns des autres. J’y ay remédié et suis arrivé sans autre
accident.

L’échouage de Madagascar et peut-être les coups de canons que j’ay reçus près de l’eau
m’ont procuré une voie d’eau, qui depuis le 7 de ce mois, m’oblige de faire pomper
continuellement à une pompe et quelques fois deux.

M. le comte d’Aché vous informera, Messieurs, des mouvements de cette campagne et du


combat du 10 septembre dernier, où j’ay eu le malheur de perdre trente-quatre hommes dont
deux lieutenants de vaisseau, M. Gaudion, mon beau-frère, et M. de Kaas, capitaine lieutenant
danois. J’ay lieu d’être bien affligé de la perte du premier et les regrette infiniment tous deux,
c’étoit des officiers du premier mérite. En outre j’ay eu quatre-vingt-quatre blessez, dont Mrs
Peynier, lieutenant, et St-Sauveur, enseigne, sont du nombre. Le premier a resté à Pondichéry
pour achever de se guérir et le second est entièrement rétabli. [Dans la marge : Mr Peynier,
lieutenant de vaisseau, est de retour et guéri de ses blessures] En partant de Pondichéry
j’avois perdu dix des blessez.

208
Le Minotaure a reçu 26 coups de canons à la flottaison, 18 à la première batterie, 23 à la
seconde, 10 au gaillard de l’arière, ce qui fait* en tout 77 coups dans le corps du vaisseau et
farci de mitraille. Le mât d’artimon et le perroquet de fougue hors de service, le grand mât a
reçu 8 coups de canons fort dangereux et celui de* misaine 6, &c. Pour les manœuvres et
voiles, [elles] ont été toutes en pièce de façon que dans la première heure du combat j’étois
entièrement hors d’état de manœuvrer. Cependant j’ay commencé le combat avec l’Actif qui
faisoit l’avant-garde, et puis avec l’Illustre qui étoit de l’arière-garde. Vous aurez, Mrs, des
détails mieux circonstanciez, le* départ du St-Luc pour Bourbon fixé à demain ne me donne le
tems que d’écrire fort à la hâte ce peu de lignes.

J’ay l’honneur d’être avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant
serviteur.

FROGER de L’EGUILLE

209
Froger de L’Eguille à la Compagnie

Mrs les directeurs de la Compagnie

Reçu* le 25 mars 1760, provenant du vaisseau le D’Argenson.

À l’isle de France, le 17 décembre 1759.

Messieurs,

J’ay eu l’honneur de vous informer, du ving-deux novembre, de mon arrivée dans ce port
par la Subtile. Mon premier soin à été de faire visiter les fonds de mon vaisseau par des
plongeurs, ils m’ont raporté qu’il y avoit environ quarante-cinq pieds de quille emportée
jusqu’à la rableure, du ringeau en arière, qu’il y avoit beaucoup de doublage arraché dans
cette partie du vaisseau, et que plusieurs bordages étoient fort endommagez. S’ils ne se
trompent pas, comme il y a toute apparence, il est fort heureux que le Minotaure n’aye pas
coulé bas pendant le combat ou dans le cours de la navigation, d’autant qu’il est certain que
peu de jours après être rendu dans ce port, la voie d’eau a augmenté d’un tiers. J’ay fait placer
des voiles lardées d’étoupe sous la quille ce qui a diminué la quantité d’eau de 6 pouces par
heures, en attendant que je puisse carenner. Mais le bois ainsi que bien d’autres choses
manquent pour me réparer. Je presse cependant autant qu’il est en moi et que les
circonstances me le permettent, ne cessant de représenter que cent hommes occupés nuit et
jour à un travail aussi fatiguant que la pompe tombent malades et qu’ils seroient fort utile à
d’autres ouvrages si celui-cy ne les occupoit pas.

Mrs le comte d’Aché et Desforges vous instruiront, Messieurs, des mesures qu’on prend à
tous égard pour mettre en état les vaisseaux et faire subsister les équipages.

Sans vouloir, Messieurs, anticiper sur le droit exclusif qu’a M. le comte d’Aché de vous
faire le détail du combat, n’y manquer à ce que je lui dois, je crois pouvoir avoir l’honneur de
vous dire que M. de Surville le cadet* qui me suivoit dans l’ordre de bataille et qui étoit le
seul vaisseau derrière moi que la fumée ne m’empêchoit pas de voir, s’est très bien comporté
dans cette affaire à tous égards. Il seroit à souhaitter, Messieurs, que vous en eussiés beaucoup
comme lui et Mrs Jouannis et Pallière.

Je suis avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

FROGER de L’EGUILLE

210
Mr de Ruis
Commandant une division de l’escadre du comte d’Aché

211
Ruis [à la Compagnie]

Reçu le 1er juillet 1759, porté par M. Mabille

Passé du cap de Bonne-Espérance par voye*

Au cap de Bonne-Espérance, le 14 février 1759.

Messieurs,

Je suis persuadé que les lettres qui vous seront parvenues par la Diligente ne vous auront
pas peu inquiété sur la situation de l’isle de France, et celle des vaisseaux qui y étoient tous
réunis par notre jonction avec Mr le comte d’Aché. Vous avés vu le parti forcé où nous avons
été réduit de faire une exportation immense et de sortir au nombre de douze bâtiments pour
venir chercher en païs étranger la subsistance qui alloit nous manquer totallement. J’ai été
chargé de cette mission et j’ai quitté l’isle de France le 18 novembre, j’ai déjourné cinq jours
à Bourbon où partie de mes vaisseaux m’avoient précédé. Le Vangeur, le Condé et la
Renommée ne m’y ayant pas joint, j’appareillai le 25 avec le Fortuné, le Centaure, le Duc
d’Orléans, la Baleine, l’Eléphant, le Chameau, l’Hermione et la Pénélope, plusieurs de ces
bâtiments n’ayant pas pour quarante de jours de vivres. Je n’ai malheureusement rien
rencontré dans ma route, et le 26 décembre j’entrai au cap de Bonne-Espérance. Le 6 janvier
la Renommée arriva, elle s’étoit séparée depuis quelques jours du Vangeur et du Condé. Ces
deux vaisseaux entrèrent le sept avec le vaisseau le Grantham appartenant à la Compagnie
d’Angletterre venant de Madras et allant en Europe chargé de seize cent soixante balles de
marchandises de coste, et d’un parti de diamants considérable, il est suivant la facture
d’environ six cent mille livres. Ils s’étoient emparés de ce bâtiment à la vue des terres du Cap,
Mr de Rosbo l’avoit joint le 1er et lui tira quelques coups de canon qui le firent amener. Dès
qu’il fut dans la rade du Cap, je fis consigner tout le monde à bord du Grantham et j’envoïai
un garde pour empêcher toute communication avec les canots et chaloupes de terre, ou de la
rade, présumant ainsi que s’il avoit fait du pillage, les seuls équipages qui avoient amariné la
prise en seroient responsables. Et sur ce qu’il me revint qu’il y avoit effectivement eu de la
déprédation, des coffres enfoncés et quelques bijoux perdus, je fis destiner des chaloupes pour
venir prendre l’équipage françois dans la prise. On le fit débarquer par une échelle de corde
après avoir fouillé chaque homme exactement. Les scellés furent alors vérifiés et remis où ils
avoient été rompus et je fis passer à bord d’autres officiers et un nouvel équipage. Nous ne
pouvions mon frère et moi prendre de plus grandes précaution mais il est assés vraisemblable

212
que les grands coups avoient été portés à la mer. La déposition du capitaine anglois, et le
rapport des passagers chargent considérablement les officiers qui commandoient la* prise.
C’est ce que vous verrés par les pièces que mon frère vous adressera, on pourra suivre ces
affaires à l’ile de France, elles m’ont paru de nature à mériter un sérieux examen.

Nous avons trouvé ici des secours inespérés, car indépendamment de plus de quatre mil
hommes nourris au journalier, nous avons expédié le 8 de ce mois l’Eléphant et l’Hermione
avec plus de six cent milliers de bled chaqu’un, et le Chameau a pris près de cinq cent
barriques de vin. Nous allons charger la Baleine du dernier envoi de bled et faire des vivres
pour renvoyer le Duc d’Orléans et le Vangeur qui ont besoin de radoub et qu’on aura ainsi le
tems de réparer à l’isle de France, où ils amèneront un secours d’homme, et où ils trouveront
l’abondance. L’arrivée de l’Achilles, du Zéphir et de la Sirenne, le 15 janvier, nous a
beaucoup nui aux uns et aux autres : les denrées ont enchéri, le journalier a manqué, nous
avons été contraints de retrancher deux repas de vin par jour à nos équipage et de leur donner
du ris qui nous restoit. Car avec les seize vaisseaux françois il y a encore deux danois et près
de vingt hollandois, sans compter une seconde flotte aussi forte qu’on attend de Batavia. Nous
amassons de la farine et du biscuit à toutes mains. Mr de Marinade* va partir, les Hollandois
s’en vont, ainsi nous pourrons respirer et suivre avec succés notre opération qui a été traversée
par ces événements imprévus.

Je compte que je pourrai sortir du 15 au 20 de mars avec les vaisseaux que j’aurai pu
expédier avant, et si on se remit à l’isle de France, nous devons être en état de partir pour la
coste en juin prochain. Nous avons trouvé ici quelques cordages, mais cela est fort éloigné de
nos besoins, et si vous n’avés pas envoié des vaisseaux d’Europe, nous serons bien mal
équippés et sans ressource dans cette partie, après un premier combat. Je ne sçais même
comment on pourra mettre la pluspart des vaisseaux en état de sortir de l’isle de France. Ce
tableau n’est pas riant, mais il est exactement vrai. Les fatigues successives et la misère n’ont
point heureusement altéré n’y rallenti la bonne volonté. Mr le comte d’Aché vous a fait,
Messieurs, un grand sacrifice en restant aux Indes, c’est un coup de partie, on le suit avec
affection. Sa bravoure, son zèle, sa franchise et son cœur lui ont gagné toute votre marine, et il
nous conduiroit au bout du monde avec une poignée de ris et de l’eau. Il n’a essuïé depuis son
départ d’Europe que des chicannes, des duretés aux Indes, et le plus affligeant oubli de la part
de la cour. Il falloit cependant qu’il restast avec une perspective bien désagréable, car enfin
après deux combats contre l’ennemi et un tissu d’indignités, il a trouvé la famine à l’isle de
France. Il a bien senti tout cela, il falloit courir encor les mêmes hazards, mais il s’est vu
213
nécessaire, et il n’a pas balancé à risquer sa réputation, sa santé et sa vie pour le bien de l’Etat,
et pour vos intérests. Je parle de ces choses en témoin impartial.

Je ne vous dis rien, Messieurs, de vos affaires dans les Indes, Mesieurs de Breteuil et
d’Estrée passent en Europe chargés des paquets de Messieurs de Lally et de Bussi. Je doute
qu’ils ayent rien de fort satisfaisant à vous dire, je me tais sur ces points que je ne sçais que
par ouï-dire, ce qu’il y a de certain c’est qu’il faut de grands et de promts remèdes car les
maux sont extrêmes.

J’ai trouvé à Bourbon un homme sage, intelligent, un honête homme, Mr Bouvet, qui
malgré les mauvaises mesures prises de l’isle de France, et la défiance qu’ont les habitants de
Bourbon de tout ce qui sort de la boutique de Mr Magon, m’a cependant fait fournir tout ce
qui étoit nécessaire pour mes neufs vaisseaux quoique sa colonie soit sur les dents. J’ai vu
dans ce court séjour ce que peut un homme en place quand il a de la probité, de la sagesse et
de l’esprit.

Mr le comte d’Aché m’avoit laissé maître d’expédier une frégatte pour l’Europe afin de
vous instruire du succès de ma mission et vous tirer de l’inquiétude où vous pouvés être du
sort de ma division, qui étoit dans l’extrémité la plus pressante, si je n’avois trouvé icy des
ressources inespérées et une récolte de bled l’an passé qui n’a jamais eu d’exemple au Cap.
Mais j’ai considéré qu’étant court d’équipages, et le passage, d’une frégatte étant plus que
douteux dans la saison où la mienne arriveroit, il convenoit mieux à tout égard de faire passer
un paquet par la voie des Hollandois. J’en ai chargé Mr Mabille, qui est le seul homme éclairé
que j’aye connu à l’isle de France et qui fust en état de vous faire un portrait fidel de vos isles.
Vous connoissés ses talents et j’espère que l’ayant forcé d’abandonner ses biens pour passer
en France, vous voudrés bien avoir des égards et des bontés pour lui. J’y suis intéressé
personnellement puisqu’il part sur mes ordres. Je me persuade d’ailleurs vous rendre* un très
grand service en vous envoyant un homme instruit à fond de vos intérests, capable de vous
satisfaire sur tous les points, et de vous indiquer les moyens les plus propres à rermettre vos
affaires dans un meilleur train, car elles ne peuvent être plus mal gérées. J’ai presque enlevé
Mr Mabille pour le mener au cap de Bonne-Espérance. Le Conseil de l’isle de France s’étoit
obstiné à me le refuser parce que j’ay laissé voir que je le croïois plus capable qu’un autre de
me guider chés les Holandois, où il a effectivement beaucoup de connoissances et de
considération. Le Conseil s’est roidi et constamment à nommé Mr Clouet que je ne
connoissois ni ne demandois. Je n’ai pourtant lieu que de me louer de ce dernier qui s’est

214
conduit ici fort sagement. M*. Mabille a donc été contraint de me suivre sur un simple congé
de la Compagnie, sans autre titre que celui de passager, et j’ai trouvé icy dans son activité,
dans son intelligence et dans son zèle, toutes les ressources que j’en attendois. Je crois que
personne n’est plus dans le cas de vous rendre compte de cette opération que celui qui y a si
puissamment contribué et qui nous a tant aidé mon frère et moi. Si vos vues, Messieurs,
s’accordoient avec vos* intérests, vous le placeriés autrement qu’il ne l’est et vous ne seriés
pas longtems, je pense, à éprouver des différences considérables. Mais quoi qu’il puisse
arriver de vos intentions sur son compte, je me persuade que Mr Mabille ayant abandonné son
bien, ayant couru pour votre service les risques d’une mission* critique, ayant servi icy si
utilement et faisant encor un voïage dispendieux et pénible pour votre service sur un ordre de
moi, éprouvera des marques essentielles de vos bontés. Je vous les demande instamment pour
lui et je vous l’adresse avec une entière confiance, en vous priant de le récompenser comme il
le* mérite, je compte par-là vous demander beaucoup. Vous sentirés bien, Messieurs,
qu’après deux traversée et incommodé comme je l’étois, une mission telle que celle-cy a dû
me coûter à entreprendre, car indépendamment des soins continuels qu’elle exige, rien n’étoit
plus douteux que le succès, et rien de plus critique que les événements. Je ne puis m’attendre
pour toutes mes peines qu’à quelques expressions de reconnoissance de votre part, et je ne
vous eusse pas parlé de moy, mais vous pouvés me donner une marque personnelle de vos
sentiments sur ma conduite dans les grâces que vous ferés à Mr Mabille. Je sçais qu’il est très
envié, cela est naturel puisqu’il a du mérite, on s’est vanté à l’isle de France de le perdre pour
s’être prêté à me donner à cet égard satisfaction entière. Je lui ai fait donner trois mille
piastres pour subvenir aux frais de son voïage qui sont immenses et à ceux de son séjour en
Europe. J’espère que vous approuverés cet arrangement.

J’ai permis à quelques officiers blessés et prisonniers de repasser en Europe sur


l’agrément de Mr le comte d’Aché qui les avoit envoié au Cap dans cette intention. Mrs Paco,
Du Penher, capitaines du bataillon de l’Inde, Brossar, lieutenant de vos vaisseaux, et St-
Hilaire, pris à Chandernagor.

Quoique Mr de Mondion soit mon frère, je ne puis pas lui refuser la justice que je dois à
son travail et à son zèle. Il remplit très certainement tout ce que vous attendiés de son
attachement pour la Compagnie, j’en dirois beaucoup plus si mes éloges n’étoient pas
suspects. Ses opérations ici et le succès qu’elles ont, sont des preuves incontestables de son
activité. Je m’étendrai avec moins de réserve sur le compte de Mr Babinet qui est un sujet de
la plus grande distinction dans son état, c’est le bras droit de mon frère et le sujet le plus
215
intelligent pour l’administration de vos vaisseaux. Je puis vous assurer, Messieurs, qu’on ne
peut travailler avec plus d’assiduité, de volonté et d’ordre. Vous êtes déjà instruits des
services importants qu’il a rendu dans l’escadre de Mr le comte d’Aché, et j’espére que tout le
bien que j’ai à vous en dire vous disposera de plus en plus à le récompenser avec distinction.

Je n’ai qu’à me louer aussi beaucoup des capitaines de vos vaisseaux qui m’ont suivi icy
et particulièrement de Mrs Lobry et Mrs de Surville qui commandent des vaisseaux de guerre.
On ne peut naviguer avec plus d’attention et la police des équipages est suivie si exactement
que depuis mon séjour icy quatre mille hommes n’y ont pas fait le moindre tapage. Les
Hollandois en sont eux-mêmes émerveillés et j’en dois l’honneur aux sages précautions de
Mrs vos capitaines dont je ne puis dire trop de bien.

Je crois que les Hollandois porteront à la cour de vives plaintes de la confiscation de leur
vaisseau le Harlem, que Mr de Lally a fait juger bonne prise en représailles du petit bâtiment
que les Anglois ont pris sous le pavillon du Négapatnam. Cette fâcheuse catastrophe a pensé
me donner icy de l’embarras, les têtes y sont sages heureusement, je n’aurois point été surpris
sans cela qu’on m’eût refusé les secours dont j’avois besoin après une aventure aussi injuste à
leur advis. Car ils prétendent avoir offert le double de la valeur de notre paquebot. Mais Mr de
Lally avoit besoin d’argent, voilà je pense la grande raison.

J’ay l’honneur d’être avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Le chevalier de RUIS

Mr de Marnière a mis dehors le 17 de ce mois avec ses deux frégattes.

216
Ruis à Monseigneur

Au cap de Bonne-Espérance, le 13 février 1759.

Monseigneur,

Vous aurez été instruit par les comptes qui vous ont été rendus par la frégatte la Diligente,
de l’état de l’isle de France et de celui des vaisseaux qui y étoient réunis en octobre, ainsi que
la résolution prise par M. le comte d’Aché de me détacher au cap de Bonne-Espérance pour
procurer la subsistance aux deux tiers des équipages que j’ai emmené, et assurer celle du petit
nombre qui a resté dans la colonie. Les causes de cet événement et tous les faits antérieurs
vous ayant été détaillés, je partirai du point où l’expédition m’ayant été confiée par le conseil
de marine, je suis parti de l’isle de France.

Je mis à la voile le 18 novembre et joignis le 21 à Bourbon quelques-uns de mes


vaisseaux qui m’y avoient précédé. L’activité, les soins, la bonne conduite de Mr Bouvet,
gouverneur de cette isle, me procurèrent en cinq jours les grands secours dont j’avois besoin,
surtout pour les rafraichîssements de nos équipages. Ce commendant est un homme bien sage,
très éclairé, bon serviteur du* roy et de la Compagnie, sa* probité et son bon gouvernement
lui ont acquis un crédit à Bourbon qui nous a bien servi contre les mesures fausses qu’avoit
pris Mr Magon, dont j’aurois été la dupe si je n’avois trouvé dans Mr Bouvet un homme chéri
et considéré dans sa colonie, malgré sa misère où on la laisse, et la mauvaise foi qu’elle a
éprouvé dans toutes les occasions où elle a fait des avances sur les promesses de l’isle de
France. Je ne* puis m’empêcher en finissant mes observations sur cette relâche de considérer
avec douleur la fatalité qui place à la tête des comptoirs dans les Indes les gents les moins
pourvus des qualités propres pour y commander.

Je partis de Bourbon le 26 novembre avec les vaisseaux le Fortuné, le Centaure, le Duc


d’Orléans, la Baleine, l’Eléphant, le Chameau, l’Hermione et la corvette la Pénélope. Le
Vangeur, le Condé et la Renommée ne pas m’aiant pas joint, je fis route pour le Cap où
j’arrivai le 28 décembre sans aucun événement ny* séparation de mes vaisseaux qui ont très
bien navigué et surtout les trois vaisseaux armés en guerre.

Je détachai une frégatte à la vue du Cap dans laquelle j’expédiai mon major et M*
Mabille, conseiller de l’isle de France, pour prévenir le gouverneur de ma relâche dans sa
rade, et préparer les voies. Les réponses furent polies et telles que je pouvois les désirer avec
des vaisseaux qui avoient* la plupart que huit jours de vivres. Le salut fut réglé, la place me
217
rendit coup pour coup, et nous descendîmes le lendemain pour voir les principaux du lieu et
m’établir à terre.

J’ai bien lieu d’être satisfait, Monseigneur, des facilités qu’on m’a donné et des égards
qu’on a eu pour moi. Vous en jugerez par le détail que mon frère vous adressera du nombre
d’hommes que nous avons eu à nourrir, des vivres que nous préparons pour retourner, et de
l’exportation immense qui a déjà passé à l’isle de France. On a fermé les yeux sur des objets
si considérables et si nous avons été traversés ce n’a point été par les chefs de la colonie. Je
vous demande très instamment, tant pour cette opération présente que pour d’autres de même
espèce qui pourroient avoir lieu, de faire faire des remerciments aux Etats Généraux du bon
traitement que j’ai reçu icy. Cela me paroît très important pour les suittes. Il n’existe aucune
colonie dans les Indes où nous eussions trouvé autant de ressources et des dispositions aussi
favorables. Je serai charmé qu’ils puissent sçavoir icy un jour que nous en sommes
reconnoissants et que le roy en est informé.

Le 6 janvier la Renommée mouilla en cette rade, elle s’étoit séparée depuis huit jours du
Vangeur et du Condé. Ces deux vaisseaux rencontrèrent le 4 janvier à la vue des terres du Cap
le vaisseau le Grantham appartenant à la compagnie d’Angleterre, venant de Madras, et allant
en Europe chargé suivant sa facture de 1 600 balles de marchandises de la coste et d’un parti
assés considérable de diamants. Le Condé le joignit et s’en empara sans résistance, quelques
coups de canon en firent l’affaire. Ils entrèrent icy avec leur prise le sept. Mon frère aura
l’honneur de vous envoyer les détails concernant cette prise. J’ay fait consigner tout le monde
qui étoit à bord du Grantham, et j’envoyai à ce vaisseau une garde pour interdire toute
communication avec ce bâtiment dans lequel je me défiai qu’il pouvoit y avoir eu du pillage
et de la déprédation. Je fis changer l’équipage français qui l’avoit amariné et conduit icy,
après avoir fait fouiller chaque homme en sortant du vaisseau. J’ordonnai aussi une visitte de
toutes les hardes des matelots à bord du Condé, et Mr de Rosbo, capitaine de ce vaisseau qui y
assista, m’a rapporté n’avoir rien trouvé à ses gents que quelques misères qui ne valoient pas
la peine d’être répétées.

Je détachai le 28 janvier la corvette la Pénélope pour tirer Mr le comte d’Aché et l’isle de


France de l’inquiétude où ils devoient être sur le succès de ma mission et leur annoncer un
secours prochain des deux fluttes l’Eléphant et l’Hermione, chargées chaqu’une de plus de six
cent milliers de bled, et le Chameau de cinq cent barriques de vin, ce qui les mettra
premièrement dans l’abondance et en second lieu donnera des vivres pour faire passer

218
l’escadre à la coste Coromandel en y joignant un troisième chargement de bled que nous
ramassons actuellement et qui sera bientost complet. Nous allons travailler ensuitte aux vivres
des vaisseaux, le Duc d’Orléans et le Vangeur, qu’il est important de dépêcher les premiers,
parce qu’ils ont besoin de radoub, et qu’on poura les mettre en train à l’isle de France avec
l’aide de leur propres équipages, et ce qui y est resté de gents de mer, de façon que j’espère
qu’ayant du bled, du vin et du monde, nous trouverons à notre arrivée la besogne avancée
pour l’escadre de Mr le comte d’Aché et que le reste que j’enmène pourra avec une légère
carenne ou même une forte demie-bande partir peu de tems après pour la coste. Nous avons
ramassé icy un peu de cordages, mais point du tout suivant les besoins de l’escadre.

Mr le comte d’Aché, persuadé ainsi que nous tous de l’inquiétude que donneroient les
comptes-rendus par la Diligente sur la disette totale des vivres, de mâtures, de cordage, et en
général de toutes les choses indispensables pour les vaisseaux, la séparation de la majeure
partie de son escadre, et les hazards d’une mission comme la mienne avec 45 jours de vivres,
au hazard de tout ce que j’eusse été contraint d’entreprendre si on m’avoit refusé un puissant
secours, ces motifs l’avoient déterminé à me laisser maître de dépescher la Renommée en
France pour faire sçavoir où j’aurois pris terre, les ressources que j’y trouvois ou que je
pourrois espérer, et ce qu’on devoit présumer des opérations maritimes aux Indes,
puisqu’elles portoient entiérement sur le plus ou moins de succès de mon expédition et
l’époque de mon retour à l’isle de France.

Mais d’une part le besoin où on est d’équipages et de l’autre le peu d’espoir qu’une
frégatte se sauvast à l’atterage d’Europe dans la saison où celle-ci devoit arriver, m’ont
déterminé à me servir de la voie des Hollandois, et j’ai obtenu l’agrément d’y embarquer Mr
Mabille, conseiller de l’isle de France que je charge de mes lettres et de celles qui m’ont été
remises par Mrs d’Aché et de L’Eguille. La situation de l’Inde et celle des isles méritent,
Monseigneur, toute votre attention, et je vous envoye l’homme le plus instruit et le plus
propre à vous donner sur ces objets toutes les lumières nécessaires. Je prends la liberté de le
recommander particulièrement à vos bontés, il a des ennemis, ou plustost il a des envieux,
mais qui n’ont jamais pu lui imputer que des connoissances trop étendues. J’espère que la
mission dont je le charge et pour laquelle je lui fais abandonner ses biens et sont intérest
personnel, lui méritera votre protection, que je vous demande instamment pour lui. Il nous a
été icy de la plus grande utilité à mon frère et à moi. Le Conseil de l’isle de France, qui
sçavoit très bien la considération que Mr Mabille s’étoit acquis parmi les Hollandois dans les
précédents voyages qu’il a fait au Cap, me l’avoit cependant opiniâtrement et indécemment
219
refusé. Il se conduisoit à son ordinaire sur les vues de son chef et je me sçais grand gré d’avoir
arraché Mr Mabille qui nous a été d’un grand secours. Je ne veux pas lasser votre patience,
Monseigneur, en vous racontant les misérables difficultés que le Conseil me fit pour me
refuser un homme intelligent que je leur demandois, un homme connu des Hollandois. Je
voulois avoir Mr Mabille, il étoit nécessaire au bien de ma mission. Ils en ont nommé un
autre, et celui-cy a été obligé de venir sur un simple congé, sans état, partager les risques et les
fatigues de mon opération. Ce sont des vilainies qui ne mériteroient votre attention que pour
châtier des gents infatués de leurs prérogatives et toujours disposés à sacrifier les intérests de
l’Etat à ce qui leur est personnel.

Nous avons icy depuis le 15 janvier l’Achille, le Zéphir et la Sirenne, commandés par Mrs
de Marnière, le chevalier de Grasse et Du Mât, ils sont venus faire des vivres et cette
surcharge nous a beaucoup nui aux uns et aux autres. Les denrées ont enchéri, il eût été à
désirer qu’une des escadres n’eût point rencontré l’autre, car chaqu’un étant obligé de
travailler pour son compte, les ressources sont devenues plus rares et plus difficilles. Ils se
disposent à partir incessament.

Je compte pouvoir m’expédier du quinze au vingt mars avec les vaisseaux qui n’auront
pas pu sortir plutost. Tout sera en train à l’isle de France et j’espère qu’à la fin de juin ou de
juillet nous serons à la coste Coromandel avec les quatre vaisseaux du roy, le Fortuné, le
Comte de Provence, le Vangeur, le Centaure, le St-Louis, le Duc d’Orléans, le Duc de
Bourgogne et le Condé. Voilà, ce me semble tout ce que nous pourrons équipPer tant bien que
mal en mettant les cordages bout à bout et en complettant nos équipages de noirs de l’isle de
France. Je présume, en rassemblant tout ce que j’ai pu ramasser icy, que les Anglois doivent
avoir aux Indes douze vaisseaux et peut-être quatorze. Nous donnerons certainement un bon
coup de collier, mais il faut que le premier ait un succès complet, car la façon dont Mr le
comte d’Aché a été traité l’année dernière ne nous laisse espérer aucune espèce de secours à
la coste. L’impuissance se joindra à la mauvaise volonté. Ainsi, que deviendront nos
vaisseaux délabrés probablement par un combat ? On ne vante* pas à beaucoup près le crédit
et la considération de Mr de Laly dans ce païs-là, et si dans des tems moins malheureux il n’a
eu que des duretés pour la marine, que ne fera-[t]-il point dans la disette totalle des moyens où
je le crois ?

Je sais que sept vaisseaux de guerre anglois ont passé en octobre 1758 à la vue de Ceylan
pour gagner la coste Malabar, et on présumoit à Pondichéri qu’ils pourroient entreprendre sur

220
Mahé qui ne sera pas difficile à prendre. Vous aurés certainement des détails de ce qui
concerne les costes de Coromandel et de Malabar par Mr de Laly qui a expédié Mr de Breteuil,
et encor mieux par Mr de Bussy qui a fait parir Mr d’Estrée. Ces deux colonels sont arrivés icy
de Trinquebard* dans un vaisseau danois qui les passe en Europe. Ils ne disent rien de fort
satisfaisant de notre position dans l’Inde et surtout de la gestion de Mr de Laly. Je me flatte
cependant que moyennant le succès inespéré de ma mission la marine ira brûler de la poudre
là-bas. Mais il faudroit des miracles pour y rétablir les affaires.

J’ai eu l’honneur de vous mander par la Diligente, le zèle et la facilité avec laquelle Mr le
comte d’Aché s’étoit résigné à ne nous point quitter, et combien il étoit essentiel qu’il
conservast un commandement auquel toute la marine de la Compagnie est liée de la plus vive
affection et d’une entière confiance. C’est ce* trait qui lui fait bien de l’honneur et qui mérite
assurément des grâces de distinction, car il n’attend que des coups et de la misère à la coste.
Son séjour à l’isle de France ne lui offroit que la famine, et ce qu’il venoit d’éprouver à
Pondichéry auroit absolument dégoûté tout autre que lui, outre qu’on l’a accablé par le plus
profond oubli pendant que la terre étoit comblée de distinction. Je suis persuadé,
Monseigneur, que vous le récompenserez comme il le mérite. La Compagnie seroit
actuellement maîtresse de l’isle s’il y avoit eu des chefs de la trempe de Mr d’Aché.

Je crois que les Hollandois porteront des plaintes très graves de la confiscation du
vaisseau le Harlem que Mr de Laly a fait juger bonne prise en représaille du petit bâtiment que
les Anglois ont pris sous la protection du pavillon de la république à Négapatnam. Cette
fâcheuse avanture a pensé me donner icy de l’ambarras, les têtes y sont sages heureusement,
je n’aurois point été surpris que sans cela on m’eut refusé les secours dont j’avois besoin
après une aventure aussi injuste. * ils prétendent avoir offert le double de la valeur de notre
paquebot, mais Mr de Laly avoit besoin d’argent, voilà je crois la grande raison.

Un officier suisse ingénieur et commandant l’artillerie au service des Anglois dans le


Bengale, arrivé il y a quelques jours au Cap dans un vaisseau hollandois, rapporte que
Visigapatnam avoit arboré le pavillon anglois qu’un raja avoit cinquante mille hommes* prêts
à se joindre à six cent Européens et deux mil sipaille* qui ont parti de Bengale sur les
vaisseaux anglois pour s’emparer de la province du Decan. C’est le colonel Fox qui
commande ce détachement et on croit que Mr de Bussy aura bien de la peine à se soutenir
contre des forces qui lui sont supérieures, outre qu’il devoit être absent dans le temps où cette

221
armée se sera mise en mouvement. Cet ingénieur suisse paroît homme de sens et de bonne
foy, il m’a semblé qu’on pouvoit compter sur ce qu’il dit.

Il a ajouté qu’il étoit arrivé en novembre cinq vaisseaux du roy d’Angleterre et des
vaisseaux de compagnie chargés de dix-sept cent hommes commandés par le colonel Draker,
indépendamment de trois vaisseaux de compagnie qui ont apporté en octobre le régiment du
roy que les maladies avoient un peu diminué. Quatre cent hussards commandez par le baron
de Vasserod étoient aussi arrivés. Il* est a désirer que ces rapports ne soient pas vrais, car le
gouvernement actuel auroit bien de la peine à se soutenir, même avec des succès, que sera-ce
contre de forces supérieures et la défection de nos alliés ?

J’ai l’honneur d’être avec respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant
serviteur.

Chevalier de RUIS

[Dans la marge : l’Achille et les deux frégattes ont mis dehors aujourd’hui 17e]

222
Mémoires et projets
(Vers 1759)

223
Mémoire sur les isles de France et de Bourbon (s. d.)

[Dans la marge : Isles de France et de Bourbon. La position de ces isles rend facile
l’expulsion des Anglois de l’Indostan et du Bengale. Indication des moyens qu’il convient de
préparer pour en assurer la réussite]

La victoire se range plus souvent du côté du plus habile que du côté du plus fort. Des
projets bien concertés, approuvés par un prince dont la volonté est absolue, diriges dans le
secret par un ministère assuré et tranquille, dont les moyens auroient été préparés longtems à
l’avance et dont les détails auroient été confiés à une personne capable de l’exécution. De tels
projets réussissent infailliblement et malgré la supériorité des forces maritimes des Anglois,
une conduite si bien mesurée et si peu analogue à la nature de leur gouvernement, peut nous
procurer sur eux des avantages dont les fruits nous dédommageront avec usure de tous les
malheurs que nous avons essuyés pendant la dernière guerre.

Les Anglois et les François sont les deux seules nations en état de se disputer l’empire du
continent de l’Inde, les autres nations européennes qui y ont des établissements n’ont jusqu’ici
pris aucune part à toutes les guerres et révolutions arrivées dans ce pays. Les Hollandois qui
auroient pu, et peut-être même dû le faire, y sont tombés dans le plus grand mépris et il y a
tout lieu de croire que le terme de leur grandeur est passé.

L’Europe est aujourd’hui suffisamment instruite de l’état politique, militaire et


commerçant des Indes orientales, les querelles intestines des Anglois et des François ont mis
sous les yeux de tout le monde, et les trésors de ces riches contrées, et les moyens de s’en
emparer. Il en résulte que celle des deux nations qui pourra chasser l’autre de l’Indostan et du
Bengale se procurera facilement un revenu annuel de cinquante millions, et de plus un
commerce annuel de la même valeur pour lequel par conséquent elle ne feroit plus
d’exportation d’argent.

La position des isles de France et de Bourbon rend cette expédition facile pour les
François et son succès sera presque asuré, si l’on veut dès aujourd’hui commencer à le
préparer par les moyens qui vont être proposés.

1° S’arranger avec la Compagnie des Indes pour lui laisser l’administration de ces isles
ainsi qu’elle le propose, mais à deux conditions : la 1er, que dans les trois premières années sa
dépense exèderoit d’un quart en sus pour le moins la somme que le roi lui feroit remettre pour
cet objet, sauf à l’en dédommager dans les années suivantes. La seconde, que cet arrangement
224
n’auroit lieu que pendant la paix seulement, et qu’au moment où le roi entreroit dans une
guerre maritime, Sa Majesté se chargeroit de l’administration civile et militaire non seulement
des isles mais même de celle de Pondichéry, et qu’alors la Compagnie étant uniquement
restreinte à son commerce, la dépense et conséquemment les profits et pertes de la guerre, s’il
y en a avoit, seroient entièrement pour le compte de Sa Majesté.

2° Désigner dès aujourd’hui celui qui sera chargé de la conduite de cette importante
expédition. Nul officier général capable du commandement de cette entreprise ne pourra s’en
charger, s’il n’est préalablement instruit de toutes les connoissances locales qui lui seroient
nécessaires au moment d’agir, s’il ne connoît pas d’avance les caractères et les talents de ceux
qui devroient servir sous ses ordres, et s’il n’est assuré de trouver sur les lieux tous les
différents moyens, soit en troupes, soit en officiers, soit en vaisseaux, soit en munitions de
guerre et de bouche dont il auroit besoin, dans des expéditions aussi éloignées, où le pays
fournit si peu de ressources en hommes et en munitions de guerre. L’on ne peut s’engager à
exécuter de grandes choses, sans être certain d’avance d’y trouver tous les moyens rassemblés
et toutes les personnes propres à les mettre en action. L’on a pu remarquer que toutes les fois
que la France entre en guerre, les meilleurs officiers généraux sont, comme de raison, les
premiers employés, et qu’ensuite lorsqu’il est question de ces expéditions mixtes et éloignées,
il est très difficile de trouver des chefs propres à l’objet de leurs missions.

3° Charger celui qui seroit désigné pour commander en tems de guerre l’expédition de
l’Inde, de la correspondance à établir entre le ministre et la Compagnie pour l’exécution des
ordres du roi, c’est-à-dire que ce seroit à lui à mettre sous les yeux du ministre tous les plans
des ouvrages, établissements et opérations à faire dans les Indes, tant pour y mettre nos
possessions en sûreté que pour y améliorer notre commerce et y préparer une grande
entreprise, ce seroit à lui à prendre de toutes les personnes capables et instruites les
connoissances relatives à ces objets, à conférer avec les administrateurs de la Compagnie, à
convenir avec eux des ordres à donner de leur part et de celle du ministre pour le détail des
opérations qui seroient exécutées, à s’assurer soit par des correspondances dans les isles, soit
par ceux qui iroient dans l’isle et en reviendroient, non seulement de l’exécution des ordres du
roy et de ceux de la Compagnie, mais aussi des talents, des connoissances et de l’application
des officiers qui y seroient employés. Personne ne pouvant être plus intéressé à suivre ces
détails que celui dont la gloire et la fortune devroient un jour en dépendre, il est à présumer
qu’il y apporteroit la plus grande attention et qu’il ne laisseroit échapper aucune occasion de
perfecttionner les connoissances qu’il pourroit déjà avoir* acquises en ce genre.
225
Une commission de cette importance ne devant être confiée qu’à un officier général
expérimenté avancé en grade, instruit déjà de la pluspart des détails qui peuvent y être relatifs,
et qui veuille bien par un travail assidu et une fréquentation habituelle de toutes les personnes,
de toutes professions, qui vont et viennent de ces contrées éloignées chercher à augmenter ses
connoissances, il paroît convenable que pour lui donner un juste dédommagement de ses
peines et de sa dépense qu’il sera dans le cas de faire pendant la paix, le roy veuille bien lui
assurer dès à présent un état honorable et des appointements proportionnés à la dépense à
laquelle ses nouvelles fonctions l’obligent.

La déclaration royale de 1 664, article 35, s’exprime ainsi :

« Pour le commandement des armes, ladite Compagnie nous* nommera un lieutenant


général du pays et autres qui seront compris, lequel sera par nous pourvu et son serment de
fidélité reçu. »

Tout ce qui est énoncé dans cet article prouve évidemment que toutes les colonies et
établissements françois des Indes orientales doivent former un gouvernement général tel que
nos gouvernements de province, et en laissant à la Compagnie la nomination du lieutenant
général, le roy pourra remplir tous les objets dont il a été question cy-dessus par la nomination
d’un gouverneur général.

226
Demande d’échantillons de bois et de graines pour silhouette.

Mémoire

M. de Silhouette, commissaire du roi, désire d’avoir des éclaircissemets sur les diférens
bois qui croissent dans l’Inde et aux isles de France et de Bourbon.

En conséquence la Compagnie désire que Messieurs les gouverneurs et conseils envoyent


des échantillons des différens arbres de l’Inde. Il suffit que l’échantillon soit épais de signe
[i. e. six] lignes, large de deux pouces et long d’un pied comme une espèce de règle, sur
laquelle on aura soin d’écrire le nom de l’arbre.

La Compagnie demande pareillement que l’on envoit quelques petites branches de ces
arbres, coupées dans le tems qu’elles sont chargées de feuilles et de graines. Et que ces
branches quoique séches soyent serrées et envelopées soigneusement dans une feuille de
papier sur laquelle sera pareillement écrit le nom de l’arbre.

Enfin on demande des graines de tous les arbres et arbustes On mettra chaque espèce de
graines dans une petite boule de cire, où elles seront pétries et envelopées en observant
toujours d’enveloper chaque petite boule dans un papier où sera écrit le nom de l’arbre.

On prie les gouverneurs et conseils de joindre à l’envoy de ces échantillons, branches et


graines, un mémoire qui contienne :

1° Le nom de chaque arbre dont-ils auront envoyé des échantillons ou des graines.

2° En combien d’années il acquiert toute sa grandeur et quelles sont alors sa hauteur et sa


grosseur.

3° La nature du terrein où il croît, sable, terre grasse ou pierreuse, bas ou montagneux,


sec ou humide. *

4° Le degré où il croît et la nature du climat, s’il est sec ou humide, et quel y est l’ordre et
la nature des saisons.

5° La manière dont cet arbre se provigne et s’il y a quelque observation à faire sur sa
culture.

6° A quel usage on emploit ordinairement cet arbre dans le pays.

227
On demande spécialement :

1° De la graine de poivre et de celle de l’arbre sur lequel le poivre s’attache.

2° De la graine de canelle de la plus fine que l’on pourra trouver, de celle de Ceylan, s’il
étoit possible d’en avoir, ainsi que des autres épiceries de l’Inde.

3° Des échantillons et de la graine des arbres qui servent à la construction des navires,
surtout de ceux que l’on fabrique à Surate et que l’on prétend durer plus d’un siècle.

228
Observation sur les difficultés que présente le projet d’acquisition de l’ile de France

pour le compte du roi (s. d.)

Le projet d’acquisition pour le compte du roy présente plusieurs difficultés dans


l’exécution.

1° On pense que l’échange d’un domaine de Sa Majesté en Europe, contre un domaine


très éloigné, quoique plus considérable, entraînera beaucoup d’inconvéniens, et qu’il est
d’autant moins praticable que les colonies sont dans l’impuissance de payer cette dette.

2° Indépendamment des créances hipotèques sur l’entreprise dont la liquidation à 4 % est


proposée, on sçait que les propriétaires sont grevés de dettes particulières, pour lesquelles ils
ont donné ou pu donner hypotèque sur leur intérêst particulier. Ces derniers créanciers
prétendront avec quelque justice être traités comme les premiers, ou même s’oposer à la vente
du gage de leur hypotèque. Il faudroit leur faire le même sort qu’aux autres et les arrérages à
payer toutes les années augmenteroient d’autant.

3° Dans le cas où les ennemis de l’Etat s’empareroient de l’isle de France, il n’est pas
douteux que l’établissement appartenant au roy tomberoit en pure perte pour Sa Majesté et
peut-être même pour la colonie, au lieu que restant dans les mains de ses fondateurs, ils
auroient toujours le même intérêt à le conserver sous une domination étrangère. Et la
restitution de la colonie seroit celle des forges.

On pense donc qu’il ne convient pas que le roy fasse l’acquisition de l’établissement,
d’ailleurs l’expérience a fait connoitre combien les régies pour le compte du roy lui sont
onéreuses, etc. Celle-cy entraîneroit un détail et commerce qu’il faut laisser à des négociants.
Cependant la plus fâcheuse extrémité étant celle d’abandonner à ses forces actuelles une
entreprise aussi utile au service de Sa Majesté et à la prospérité de la colonie, l’administration
doit non seulement la protéger et la soutenir, mais aussi* faire tout ce qui sera possible pour la
porter à sa perfection. Pour cet effet on propose d’accorder aux propriétaires.

1° Un arrêt de surséance pour le terme de 4 années. Pendant ce tems ils porteront


l’entreprise à son point de perfection et l’acroissement du produit leur donnera la faculté de
liquider leurs dettes en contrats à * avec hipotèque sur la chose.

229
2° Une avance en argent comptant de 100 mille livres par année dont le remboursement
sera fait dans l’espace de 6 mois en fers et autres production des forges nécessaires au service
du roy dans la colonie.

Cet arrangement qui convient aux sujets du roy, assure la prospérité de l’établissement et
le payemant des créanciers.

230
Projet d’économie sur les troupes (s. d.)

[Annotation en marge]

Pour diminuer les dépenses du gouvernement, l’on propose d’accorder la paye morte à
tous les soldats qui trouveront à vivre dans la colonie par leur travail et d’appliquer cette
économie à l’achèvement des fortifications.

Il est très intéressant de rendre promptement le port de l’isle de France sûr pour les
vaisseaux contre les ouragans. C’est de touts les travaux à faire dans l’isle le plus presé,
puisque la perte des vaisseaux occasionnée par les tempêtes jette dans des dépenses
considérables.

Il est encore très intéressant d’achever promptement les fortifications pour que l’ennemy
ne puisse pas surprendre l’isle sans défense dans un cas de guerre, et l’on sent qu’une année
de retard peut-être de la plus grande conséquence.

On ne manquera pas de bras si l’on veut pour remplir à la fois ces deux objets avec la
plus grande célérité. J’en ai indiqué les moyens dans mon dernier mémoire sur l’isle de
France. Mais les fonds pourront manquer aux dépenses que touts ces travaux exigent. L’on
seroit peut-être forcé, si on se déterminoit à les faire exécuter avec célérité, à outrepasser la
somme annuelle qui est fixée pour les dépenses d’administration. Peut-être seroit-il possible
d’apporter de l’économie dans les différentes branches de l’administration et d’appliquer les
sommes qui en proviendroient aux travaux du port et des fortifications.

L’entretien, le solde et la nourriture des troupes, sont les objets de dépenses les plus
considérables dans notre isle. Je ne prétends pas dire qu’il faille en réduire le nombre, pour
trouver dans cette économie des sommes dont on puisse disposer. Je sens qu’il est esentiel,
surtout dans l’Etat actuel des choses, que l’isle de France ait une garnison nombreuse qui
assure sa conservation à l’état. Mais je proposerai un moyen d’économie sur l’objet des
troupes que la Compagnie avoit cy-devant mis en usage. C’est d’accorder à tous les soldats
qui trouveront à vivre dans la colonie par leur intelligence ou par leur labeur, ou par leur
talent, la paye morte. C’est-à-dire que ces mêmes soldats seront exempts de tout service
excepté celui des revues de touts les mois et qu’à cette condition ils ne seront plus à la solde
du roy, ny entretenus, ny nourris. On leur imposeroit encore la loy de se rendre au 1er ordre
au 1er signal dans le cas où l’on auroit besoin d’eux. Quantité d’ouvrier de touts les métiers,

231
quantité de jeunes gens intelligents qui trouveroient à se placer chez les colons pour économes
ou pour commandeurs, accepteroient volontiers des conditions aussi profitables pour eux.

Par ce moyen, on ne diminueroit point le nombre des défenseurs de la colonie, on


contribueroit à sa prospérité et l’on économiseroit annuellement une somme assés
considérable que l’on rejetteroit sur les travaux les plus pressés et les plus essentiels.

232
Bibliographie

CHELIN A., Maurice : une île et son passé, éditions du CRI, île de La Réunion, 1989.

Dictionnaire de biographie mauricienne, édité par A. TOUSSAINT, L. Noël REGNARD, J.R.


D’UNIENVILLE, Port-Louis.

DULL J., La guerre de Sept Ans, éditions Les Perséides, Bécherel, 2009.

GIBLOT DUCRAY Ch., Ile Maurice, ancienne isle de France, histoire et anecdotes, édition
Pourquoi pas ?, Port-Louis, 1965.

HAUDRERE P., LE BOUËDEC G., Les Compagnies des Indes, éditions Ouest-France, Rennes,
1999.

HAUDRERE P., La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle, 2t, Les Indes Savantes,
Paris 2005.

NAGAPEN A., Histoire de la colonie, isle de France - île Maurice 1721-1928, Diocèse de
Port-Louis, Port-Louis, 1996.

PLUCHON P., Histoire de la colonisation française, le premier empire colonial, des


origines à la Restauration, t1, Fayard, 1991.

SELVON S., L’histoire de Maurice des origines à nos jours, éditions M.D.S, île Maurice,
2003.

TOUSSAINT A., Histoire de l’île Maurice, collection « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1971.

233
Sommaire
Introduction .............................................................................................................................. 2

Correspondance générale ........................................................................................................ 8

Mr Magon gouverneur ............................................................................................................ 9

M. de Cossigny ingénieur..................................................................................................... 37

Le comte d’Aché .................................................................................................................. 54

M. de Mondion ..................................................................................................................... 87

Froger de L’Eguille ............................................................................................................ 203

Mr de Ruis .......................................................................................................................... 211

Mémoires et projets ............................................................................................................ 223

Bibliographie......................................................................................................................... 233

Sommaire .............................................................................................................................. 234

234

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