GLAMET

le nouveau panneau isolant

de Monopanel. LECORBUSIER,
1910-1934
Pour être bien couvert en
toutes saisons.
GLAMET est un panneau sandwich auto-porteur composé
de deux parements en acier galvanisé ou prélaqué
et d'un isolant moussé 'in situ:
GLAMET, grâce à sa nervuration, offre une résistance
49 ARCHITECTURE
MOUVEMENT
CONTINUITE

mécanique exceptionnelle : capacité 'portante

100 kg/ m< à 4,00 m.
La haute qualité de la mousse synthétique assure
aux bâtiments couverts une isolation thermique
élevée (coeff. K: 0,64 W / m2 / °C
pour e = 30 mm
üue ce soit en toiture ou en façade,
GLAMET se pose vite et facilement.
GLAMET : un panneau de la
nouvelle génération,
compétitif par ses
qualités techniques
REVUE ÉDITÉE PAR
LA SOCIÉTÉ DES ARCHITECTES SOMMAIRE
mais aussi par son prix. DIPLOMÉS PAR LE GOUVERNEMENT
C'est une production notre couverture
Directeur de la Publication coupe sur la rampe de la Villa Savoye
GERARD BENOIT -
me Président de la S.A.D.G.
dessin de Maxime Kétoff

Directeur-adjoint
MICHEL MAROT -
Vice-Président de la S.A.D.G.

Comité d'édition
NOËL BOUTET DE MONVEL
JEAN BRASILIER
FRANCOIS GAUTHIER
VINCENT GRENIER
JACQUES MÉRIOT
ROGER NEDONCHELLE
Pour tout problème d'insertion ~ublicitaire FRANÇOISE PAPILLARD-CHARPY
LUCIE SAMOYAULT-MULLER
dans AMC

Rédaction
JACQUES LUCAN L'HYPOTHÈSE LUMINEUSE
LE CORBUSIER, ARCHITECTURE
PATRICE NOVIANT 3 LA FENÊTRE EN LONGUEUR
Jacques Lucan
Fernando Montes 45
pour ossatures métalliques Conseils de la Rédaction CONSTRUIRE UNE PETITE MAISON,
JEAN-LOUIS COHEN RECONSTRUIRE LE MONDE PURETÈ ET LIBERTÉ
UNSEUL
OUTIL JEAN-PATRICK FORTIN
OLIVIER GIRARD
Françoise Véry 5 PLAN LIBRE - FAÇADE LIBRE
Patrick Germe 49
= un maximum d'avantages! ANTOINE GRUMBACH CH. E. JEANNERET À LA BIBLIOTHÈQUE
Plus de modulation : JEAN-PAUL LESTERLIN NATIONALE LE CORBUSIER CHEZ LES RICHES
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des autres éléments constitutifs. Livraison directe sur chantier: Philippe Dubay 9
• plus de travaux de parachèvement en atelier Les textes des articles signés Pierre Saddy 57
AsseCT]blage par système de clames : n'engagent que la responsabilité
• un seul outil suffit: une clé à tube. de leurs auteurs L'APPARTEMENT CHARLES DE BEISTE-
VILLA MEYER, 1925-1926 GUI, 1929-1931
Assemblage ausoldespoteaux NEUILLY
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• économie sur le montage et Société d'édition de la S.A.D.G.
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étudiants : 100 F (étranger : 120 F) NOUVELLE 37 Manfredo Tafuri 85
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Tél. 246.59·.59 1

progressiste d'Occident » et aux techniciens
étrangers - au traitement privilégié qui lui est
réservé par les officiels, et dont il gardera nos-
talgie et illusions : "l'URSS avait créé un voca-
ble admirable : "la ligne générale )).,, " C'est
dans la ligne générale! ... )) " Ce n'est pas dans
la ligne générale ... )) Les hommes ont été au-
dessous de l'idéal; ils sont tombés bas en cer-
taines circonstances (... ) Désastre, trahison,
soufflet donné à l'élite universelle sympathi-
sante. Pour nous réconforter, nous nous
disons : " une petite fièvre de croissance. Ça
passera! " En attendant, elle est grosse, la
petite fièvre!" (54). Mais le mythe de la fusion
organique de la compétence et de l'élan du
technicien avec la puissance d'un état fort fon-
dra comme neige au soleil.
- La fascination - plus durable - pour les
avant-gardes soviétiques : Le Corbusier, réti-
cent en 1925 devant le constructivisme, identi-
fié alors essentiellement avec les néerlandais du
« Stijl » (55), change d'avis lors de son premier
séjour à Moscou : "l'âme germanique n'a pris
qu'un point d'appui momentané sur le tremplin
du constructivisme russe )), Blanchi de l'accu-
sation d'avoir été la matrice de la « Neue Sach-
lichkeit » honnie, le constructivisme soviétique
retrouve ses appâts : "je trouvai à Moscou non
pas des antagonismes spirituels, mais des
adhérents fervents à ce que je considère
comme fondamental dans l'œuvre humaine (... )
je trouvai à Moscou une ferveur extrême pour
les choses de l'architecture)) (56). Cette volte-
face le jette dans les bras d' Aleksandr Vesnin,
" Père du Constructivisme ", " homme de
cœur et de toute passion artistique )), et auquel
il dédie la " Défense de l'architecture " rédigée
en réponse à une attaque de Karel Teige pour
flétrir la « Sachlichkeit » (5 7). Le Corbusier
aura par la suite l'occasion de remercier A. Ves-
nin d'avoir conservé avec lui des « sentiments
amicaux », malgré les" attaques et les accusa-
tions des mesquines gens qui tentent de (le)
noircir en Russie Soviétique)) (58).
- La fascination pour l'habitat collectif et
l'idéal communautaire de l'architecture soviéti-
que. Elle apparaît dès le voyage de 1928, et
l'on a vu l'importance du discours sur les
maisons-communes dans la « Réponse », ainsi
que les réserves qui y figurent. Inversement, le
programme constructiviste en matière d'habitat
communautaire et l'immeuble du Narkomfin de
Ginzburg et Milinis sont critiqués à Moscou pré-
cisément parce qu'ils témoignent d'une "atti-
tude critique vis-à-vis des recherches des archi-
tectes occidentaux " et de Le Corbusier au pre-
(541 Le Corbusier, Quand les cathédrales étaient blan-
ches, Paris, Pion, 1937, p. 264.
( 5 51 " L 'Art n'a que faire de ressembler à une machine
/erreur du constructivisme). Mais nos yeux sont ravis
des formes pures"' in Le Corbusier, L 'Art décoratif
d'aujourd'hui; Paris, Crès, 1925, p. 11 5,
156) Le Corbusier, « L'architecture à Moscou», op,
cil., p. 1.
(571 Le Corbusier, « Défense de l'architecture»,
1929, in« Le Corbusier et Pierre Jeanneret », n° spé-
cial, L 'Architecture d'Aujourd'hui, 1933, n° 10,
pp, 37 et suiv,
(58) Le Corbusier, lettre à A. Vesnin, 10 août 1934,
84
mier chef... " Les principes guidant la recher-
che de nouvelles formes et de nouveaux types
d'habitat de Le Corbusier, qui répondent à la
" commande sociale " du capitalisme (... ) ne
peuvent servir de programme à la construction
d'un habitat de type nouveau)) (59). C'est par
contre pour toucher le public français que
M. ll'in, présentant un an plus tard le même
Narkomfin dans L 'Architecture d'Aujourd'hui,
n'y voit rien moins qu:une manifestation du
« Corbusianisme en URSS » : " en recherchant
un " style " qui répondit à la vie toute neuve de
l'URSS, nos architectes se sont inspirés dans
leurs premières réalisations de l'œuvre de Le
Corbusier, l'artiste le plus radical des formes
nouvelles, pour l'acheminer dans une route de
découverte de formes, volumes, compositions,
dans le cadre du rationalisme créateur" (60).
Ainsi, dans le même temps qu'il glisse un cou-
plet anticollectiviste dans la « Réponse à Mos-
cou », Le Corbusier se voit-il désigné comme
inspirateur des expériences communautaires
soviétiques.
L'URSS, le PCF, Le Corbusier:
un triangle fatal?
lnstrumental.isé dans le débat soviétique, Le
Corbusier joue de ses rapports avec le pays des
Soviets dans le débat français, et notamment
dans les polémiques avec la gauche et le PCF.
Condamné par Jacques Mesnil - un des pre-
miers sympathisants à faire le voyage de Mos-
cou en 1921 -, dans l'Humanité dès le salon
d' Automne de 1922, Le Corbusier y est à nou-
veau cloué au pilori en 1932 (61).
Condamné à Paris pour le contenu de sa
« Réponse à Moscou », Le Corbusier devra
attendre le Front Populaire pour voir les hostili-
tés s'apaiser : Paul Vaillant-Couturier entend
faire cesser le « grave malentendu » qui
l'oppose au PCF, et déclare regretter les atta-
ques de l'Humanité. Le Corbusier avance de ce
fait de nouvelles offres de service, liées au pro-
jet qui est le sien pour !'Exposition de 1937 :
" il n'existe, pour le Front Populaire, qu 'uni!
seule manière de démontrer que quelque chose
de nouveau a commencé sur le terrain de la jus-
tice sociale : ce serait de construire, tout de
suite, à Paris des éléments de logis qui refléte-
raient à la fois le dernier état des techniques
modernes et votre volonté de mettre celles-ci
au service des hommes" (62).
Ce n'est qu'après 19 54, au moment où le fonc-
tionnalisme connaît en URSS un triomphe aussi
total qu'il est tardif, que Le Corbusier retrouve
cf. A.G. éinjahov, « Le Korbjuz'e i Vesniny », in
Sovetskaja Arhitektura, n° 18, Moscou, ·strojizdat,
1969, pp. 133-142.
159) V. Lavrov, A. Popov. « Protiv nekriticeskogo
otno~enija k eksperimentam zapadnyh arhitektorov »
in Stroite/'stvo Moskvy, 1930, n° 10, pp, 8-12.
(60) Michel llyine, « Le Corbusianisme en URSS », in
L 'Architecture d'Aujourd'hui, 1931, n° 6, pp. 59-61.
(61) " Foncièrement idéaliste "· sa « Ville Radieuse »
est basée sur « une conception essentiellement petite
bourgeoise et contre-révolutionnaire, puisqu'elle con-
sacre le système capitaliste de production n.
A Le Corbusier, qui "prétend vouloir ignorer les rap-
LECORBUSIER
A ALGER
LA CRISEDEL'UTOPIE
Manfredo Tafuri
progressivement sa place dans la culture archi-
tecturale soviétique. Un article de N. Ja, Kolfi
assurément au fait de toutes les péripéties'
rétablit Le Corbusier dans ses droits historique;
(63). La porte est dès lors ouverte à une canoni-
sation et à une récupération académique des-
formes du « maître » qu'il est redevenu et qui
caractérise toujours d'ailleurs une bonne pan
de l'architecture soviétique. Et quant aux fric-
tions et aux insultes des années trente, elles
sont tout simplement tues ou, mieux, noyées
dans un flou bien commode (64).
« Guest Star» dans l'URSS du tournant stali-
nien et de la mort des avant-gardes, référence
fondamentale dans la pratique des architectes
du constructivisme, Le Corbusier est d'autant
plus facilement réintégré aujourd'hui dans le
Panthéon de l'architecture soviétique qu'il a lar-
gement pris sa revanche sur le terrain : s'il est
en effet un pays où les règles établies dans la
« Ville Radieuse » et mises en code dans la
« Charte » d'Athènes ont valeur de loi, c'est
bien l'URSS ...
Pourtant, s'il est un trait frappant des deux
grands projets architecturaux constituant la
« réponse » spatiale la plus authentique de Le
Corbusier à l'URSS, n'est-ce pas aussi, para-
doxalement leur autonomie par rapport à
l'urbain : autonomie de la structure interne du
Centrosojuz, dont le plan fait apparaître dans
les courbes et les droites les yeux, les joues et
la bouche d'un visage humain lu par le purisme;
autonomie encore de I' « organisme » du Palais
des Soviets dont le plan peut aussi être lu
comme une forme humanoïde. Ce très curieux
anthropomorphisme est-il le volet inconscient
de la « Réponse » affirmant la valeur de
l'humain, comme Le Corbusier se plaît à le répé-
ter? N'est-il pas surtout une étape fondamen-
tale dans la transformation de son univers for-
mel, une sorte d'anticipation sur l'architecture
de l'après-guerre qui seule lui permettra d'en
tirer toutes les conséquences? o
Photo Lucien Hervë
doit organiser son action selon plusieurs axes : de l'esprit d'entreprise, la permanence de
Avec une clairvoyance unique à son époque, Le
L'appel aux industriels et la normalisation typo- systèmes économiques archaïques comme la
Corbusier décrit les objectifs que doit se fixer le
logique sont des offres de service à l'entreprise; rente foncière, freinent dangereusement le
mouvement architectural progressiste en
la recherche d'une autorité capable de concilier développement et le rendement « humain » de
Europe : résorber la multiplicité, compenser
la planification urbaine et celle du cadre bâti l'expansion de cet univers technologique.
l'improbable par le déterminisme du plan, conci-
avec les programmes de réorganisation sociale De 1 91 9 à 1 9 2 9, une recherche patiente *,
lier l'organique et le non organique en accen-
débouche au niveau politique sur la création des poursuivie à travers la création typologique de
tuant la dialectique de leurs rapports, démon-
CIAM; enfin, la production de la forme conduite la maison Dom-ino, reprise dans le type de
trer que le niveau maximum de programmation
à son niveau le plus élaboré doit permettre de I' Immeuble-vil/a, puis l'étude pour la Ville pour
de la production coïncide avec la plus grande
transformer le public en sujet actif de la con- trois millions d'habitants, enfin appliquée dans
« productivité de l'esprit ». Il est conscient que
sommation. le Plan Voisin pour Paris, permet à Le Corbusier
l'architecture moderne doit se battre sur un tri- de fixer les échelles et les outils spécifiques de
ple front. Car, si l'architecture est désormais Plus précisément, la forme est chargée
ports sociaux, des hommes entre eux et /'oppositio;' d'authentifier et de « naturaliser » l'univers l'intervention architecturale et de vérifier ses
synonyme d'organisation de la production, la hypothèses générales dans des réalisations
des classes n, le rapport de L.M, Kaganovit est pre·
distribution et la consommation sont, au même artificiel de la précision technologique. Et puis-
senté comme alternative. J. Peyralbe, « Deux concep- que cet univers vise à assujettir totalement la fragmentaires traitées comme des recherches
tions de l'urbanisme »,-in L'Humanité, 31 mars 1 932.
titre que la production, des facteurs détermi- de laboratoire. Percevant la dimension correcte
nature dans un processus continu de transfor-
1621 Maximilien Gauthier, Le Corbusier, ou l'architec- nants du cycle. Pour Le Corbusier, le fait que à laquelle il faut poser le problème urbain, il peut
l'architecte n'est pas un dessinateur d'objets mation qui investit tous les niveaux de la réalité,
ture au service de l'homme, Paris, Denoel, 1 94~, enfin dépasser les modèles du « rationalisme »
p. 223. mais un organisateur n'est pas un slogan, mais c'est la structure anthropogéographique tout
(63) N. Kolli, « K 7 5-letiju Le Korbjuz'e (Le Korbjuz'e v entière qui sera pour Le Corbusier la base à par- allemand.
un impératif qui permet à l'activité intellectuelle
Moskve). in Arhite/1.tura SSSR, 1962, n° 12, pp. 36- de s'inscrire dans la civilisation machiniste *. tir de laquelle devra être réorganisé le cycle de
42. . L'architecte se situant à l'avant-garde, anticipe la production du cadre bâti ( 1).
1641 voir à ce propos V. Khazanova, O. Chvidkovskl, Mais Le Corbusier comprend également que la
cette civilisation *, et en détermine les plans_,
« L'architecture soviétique 1900-1930 », in Pans- prudence des investissements, l'individualisme *en français dans le texte.
Moscou, op. cit., p. 302.
même lorsqu'ils sont sectoriels. Pour cela, 11
85
 - .- ,

tant » du développement. Depuis la réalité de la

De 1929 à 1931. avec les plans expérimen-
taux pour Montevideo, Buenos-Aires, Sao
Paulo, Rio, qui conduisent au plan expérimental
Obus pour Alger, Le Corbusier formule l'hypo-
thèse théorique la plus achevée de l'urbanisme
moderne, hypothèse qui n'a pas encore été
dépassée, ni sur le plan idéologique, ni sur le
plan formel (2).
A l'inverse de ce que Bruno Taut, Ernst May ou
Walter Gropius réalisent, il brise la séquence
continue architecture/quartier/ville : la struc-
ture url::1aine en tant que telle, comme unité
physique et fonc.tionnelle, est l'expression
d'une nouvelle échelle de valeurs, et c'est dans
la dimension même du paysage qu'il faut cher-
cher la signification de ce qu'elle communique.
A Alger, la vieille Casbah, les collines de
Fort-l'Empereur, la courbe formée par la baie,
sont des matériaux bruts disponibles que Le
Corbusier considère comme de véritable ready-
made objects à échelle gigantesque; la nouvelle
structure qui les détermine bouleverse leur
signification originelle et leur confère une unité
qu'ils n'avaient pas auparavant. Mais au plus
grand déterminisme doit correspondre un maxi-
mum de liberté et de 'flexibilité. Le présupposé
économique de toute l'opération est très clair :
le plan Obus ne se contente pas, en effet,
d'exprimer la nécessité d'un nouveau « statut
du sol » qui mettrait fin à l'anarchie paléo-
capitaliste de l'accumulation foncière et qui
rendrait la totalité du sol disponible pour une
réorganisation unitaire et organique de la ville
qui transformerait réellement celle-ci en
système urbain (3).
L'objet industriel ne présuppose aucune situa-
tion univoque dans l'espace, car la production
en série Implique au départ le dépassement radi-
cal de toute hiérarchie spatiale. L'univers tech-
nologique, comme l'avaient déjà compris les
cubistes, les futuristes et les élémentaristes,
Ignore l'ici et le là: c'est tout le milieu humain
- comme simple champ topologique - qui est
le lieu naturel de ses opérations. Pour réorgani-
ser la ville, la disponibilité totale du sol n'est
plus suffisante; maintenant, c'est l'intégralité
de l'espace, dans ses trois dimensions, qu'il
faut rendre disponible. Et il va falloir distinguer à
l'intérieur de l'unité-ville deux échelles d'inter-
vention, correspondant aux cycles de la produc-
tion et de la consommation.
La restructuration de la totalité de l'espace
urbain et paysager répond à la nécessité de
rationaliser l'organisation globale de la machine
urbaine. A cette échelle d'intervention, les
structures technologiques et les réseaux de
communication doivent être en mesure de
constituer une « image » unitaire où l'anti-
naturalisme des terrains artificiels•, disposés à
des hauteurs différentes, et le caractère excep-
tionnel du réseau de communication, constitué
par l'autoroute qui parcourt le dernier niveau de
l'immeuble courbe destiné aux logements
sociaux, peuvent se charger d'una signification
symbolique. La liberté formelle des blocs
d'habitation de Fort-l'Empereur intègre les
valences emblématiques de l'avant-garde sur-
réaliste; les édifices Incurvés constituent
d'énormes objets architecturaux qui miment de
façon abstraite une sorte de « èlanse des con-
tradictions » sublimée, à la manière des formes
libres contenues dans la villa Savoye, ou des
assemblages* ironiques de l'appartement-
terrasse Beistegui aux Champs-Elysées (4).
Ce qui transparaît dans ces œuvres, comme
dans toute la structure urbaine enfin transfor-
mée en unité organique, c'est le caractère posi-
tif des contradictions, la conclllation du.problé-
matique et du rationnel, la composition « héroî-
que " de tensions violentes. A travers la struc-
ture de l'image, et uniquement à travers elle, le
règne de la nécessité se confond avec le règne
de la liberté; le premier est exprimé dans le
déterminisme rigoureux du plan, et le second
dans la réappropriation, â travers oe plan, d'une
connaissance humaine supérieure.
Le Corbusier recourt lui aussi â la technique du
choc, mais les objets /J réaction poétique• sont
maintenant reliés les uns aux autres par un
organicisme dialectique. Puisque rien ne peut
échapper â la dynamique formelle et fonction-
nelle de ces objets, le plan de Le Corbusier
Impose une implication totale du public à tous
les niveaux d'usage et de lecture. Mais le public
est ici contraint à une participation intellec•
tuelle, consciente et critique. En effet, toute
« lecture distraite » des images urbaines con-
duirait à une persuasion occulte. Rien ne dit,
d'ailleurs, que Le Corbusier n'ait pas également
prévu ce genre d'effet secondaire, comme
moment nécessaire de stimulation indirecte (5).
Même si Le Corbusier cherche à " éloigner
l'angoisse par l'introjection de ce qui la cause »,
son propos ne se réduit pas à cela. Au niveau
élémentaire de la production, c'est-à-dire celui
de la simple cellule d'habitation, l'objectif qu'il
se fixe est de concevoir un objet flexible et
interchangeable qui favorise une consomma-
tion rapide. Dans les mailles des macrostructu-
res formées par les terrains artificiels* superpo-
sés, Le Corbusier laisse toute liberté dans les
modes d'insertion des cellules d'habitation pré·
constituées; autrement dit, le public est Invité à
projeter activement la ville. Un dessin particuliè·
ement éloquent de Le Corbusier ff10nt!.e qu'il
jet d'urbanisation de la ville d'Alger, p~o1et ". A "
r 111 ême jusqu'à prévoir la posslblhté d insérer
~a éléments excentriques et éclectiques dans
essmailles des structures ·fixes. La « liberté »
1:issée au public (le prolétariat dans l'immeuble
1 Citii d'Affaires sur les terrains de la Merme; demèr'! la
d'habitation dont la courbe se déroule devant la
rner, et la haute bou.rge_oisie sur les co!llnes,de résidence sur les terrains de Fort-l'Empereur, r~hee a la
Fort·l'Empereur) doit etr~ poussée 1usqu au
point de lui permettre. 1 expression de. son
« mauvais goût ». L' arch1tecture,_dev1ent ainsi à
la fois un acte didactique et I instrument de
l'intégration collective. . .. .
Mais cette liberté prend une_ s1gnif'.cat1on
encore plus grande dans le domaine _de I indus-
trialisation du bâtiment. Le Corbusier ne fixe
pas la plus petite unité de production sous la
forme d'éléments fonctionnels standardises
comme le faisait Ernst May dans sa Frankfurter
Küche. Pour lui, la définition de l'objet isolé ne
peut se faire sans tenir compte du styling , de la
révolution permanente de la technique, et de la
consommation rapide imposée par la logique
capitaliste de l'expansion. La cellule d'habita-
tion, puisqu'elle est théoriquement consomm~-
ble à court terme, doit pouvoir être remplacee
chaque fois que les besoins individuels chan-
gent, chaque fois que de nouveaux bes~1ns
sont créés par le renouvellement des modeles
et des standards de l'habitat dictés par la pro-
duction (6). Ainsi la signification du projet
devient très claire.
Le sujet de la réorganisation urbaine, c'e_st un
public sollicité de participer de manière critique
et de jouer un rôle créateur dans ce;te réorga_ni-
sation. L'avant-garde industrielle, 1 " autor1te »
et les usagers, dotés de fonctions théorique-
ment homogènes, sont engagés à l'intérieur de
ce processus continu, irrésistible et " exal-
Toutes les illustrations de cet article sont celles du pro-
encore dénommé « projet obus ", ex cep tee la figure
ci-dessus.
Page de gauche : Vue d'ensemble (au P(emier plan, la
Cité d'Affaires, la Casbah; au second plan, la C'.te_de
Cité d'Affaires par une passerelle; de gauche a droite,
la liaison des deux banlieues extrêmes d'Alger par une
autostrade établie à la cote 100 mètres, supportée par
un viaduc dans lequel seraient aménagés des logis
pour 180 000 personnes) - Dessin Fondation Le Cor·
busier,
Page de droire, cl-dessus : L 'a_utostrade à la cote
100 mètres (projet "B », dessm AL 3031 (VAR./),
6 décembre 1932 - au fond, la Cité de résider:ce s_u~
les terrains de Fort-/'Empereur, reliée, à droite, a la Cite
d'Affaires par une passerelle) - Dessin Fondation Le
Corbusier.
Page de droite, ci-dessous : Vue de la maquette
d'ensemble - Photo Lucien Hervé.
production jusqu'à l'image, puis l'utilisation de
l'image, la machine urbaine tout __entière
exploite le potentiel « soci_al » de la c1vtl1_sat1~n
machiniste * jusqu'à la l1m1tede ses poss1b11ites
'implicites. . .
li nous faut tenter, maintenant, de repondre a
une question. Comment se fait-il que le proJet
de Le Corbusier pour Alger, ses plans pour les
villes européennes et sud-américaines, et
même ses propositions théoriques le,s plus
modestes, soient restés lettre morte? N Y a-t-11
pas contradiction entre l'échec personnel de L_e
Corbusier et le fait que son œuvre soit co~s1de-
rée encore aujourd'hui comme l'hypothese la
plus progressiste et la plus achevée, _sur le plan
formel, que toute la culture bourgeoise a1.tpro-
duite dans le domaine du design et de I urba-
nisme?
Il y a beaucoup de réponses po~sibles, ;outes
valables et complémentaires, Mais ce qu_11faut
préciser avant tout, c'est que le Corbusier tra-
vaille en « intellectuel », au sens strict du
terme. A l'inverse de Bruno Taut, Ernst May ou
Martin Wagner, il n'est pas lié à un pouvoir local
ou à un pouvoir étatique. Pour poser ses hypo-
thèses, il part d'une réalité particulière. Dans la
mesure où le projet pour Alger tient compte
d'une orographie et d'une stratification histori-
que exceptionnelles, sa forme ne peut pas ê~re
répétée; mais la méthode selon laquelle le proiet
est conduit est amplement généralisable.
Corbusier va du particulier à l'universel; 11suit
une démarche exactement inverse de celle des
intellectuels de la République de Weim_ar. Ce
n'est donc pas un hasard si Le Corbusrer tra-
vaille à Alger, du moins jusqu:en 1937'..sans
mission officielle ni compensation f1nanc1ere. Il

it today, and bringing both research and mass-

11l Il serait nécessaire à ce propos de procéder à
l'analyse complète du problème de la peinture do Le
Corbusier, en relation avec le 1hème de l'adaptation
active de l'individu à la réalité technologique et à ses
nouvelles condhions d'espaces. Ce 1hème, même
après l"exposltlon du palais • Strozzi • à Florence en
1963. !ail toujours l'objel de recherches après l'article
ancien de Nave. non dénué d'lndica1ions ICI. An1onla
Nava, « Poetica di Le Corbusier », dans la revue Critica
d'arte, Ill, 1 938, pp. 33-38). Ce thème n'a été traité
que dans très peu d'articles dont l'intérêt était évi-
dent: Colin Rowe et Rober! Slu1zKy, Transparenz. Le
Corbusier - Studian 1, Basel, Birkhaüser Verlag -
Z0rich, Eidgenôssische Technische Hochschule,
1968; Chris1opher Green, « Léger, Purism and lhe
Paris Machines •· Art News, LXVIII, n° 8, 1970,
pp. 54·56 et 67; Stephan A. Kurtz, « Public Planning,
Prlva1e Planning•• Art News, LXXI, n° 2. 1972,
pp. 37-41 81 73-74.
Sur la période de I'« Esprit Nouveau», cf. Roberto
Gabetti et Carlo Olmo, Le Corbusier "/'Esprit Nou-
veau", Turin, Einaudi, 1976, e! le numéro monogra-
86
phique de la revue Paramerro, VII, n° 49 01 50, 1976.
(2) Ce n'est évidemment pas Ici la place pour le faire,
mais il serait nécessaire d'articuler et d'enrichir le pro•
cessus accompli par Le Corbusier, et que nous n'avons
esquissé que par trop synthé1iquement. L'étude de
Brian Taylor sur les documents des archives Le Corbu-
sier à Paris, relatifs aux projets et à l'e,cécu1ion de
l'ensemble do Pessac et à do précédentes études pour
des habitations ouvrières, constitue le début d'un nou-
veau courant <;!'études,destiné à revoir radicalement
les jugements acquis sur Le Corbusier en 1ant qu'urba-
niste. Cf. Brian Brace Taylor, Le Corbusier et Pessac,
f 914 • f 928, Fondation Le Corbusier-Harvard Univer-
sity. 1972.
Voir également, Philippe Baudon, Pessac de Le Corbu-
sier, Paris, Dunod, 1967.
A toutes fins utiles, il faut également noter I' anicle de
Paul T'ùrner • The Beginnings of Le Corbusier's Educa-
tion», The Art Bulletin, LIii, n° 2, 1971, pp. 214·
224.
131 Sur l'expérience de Le Corbusier à Alger, il est
nécessaire de faire encore des recherches. Voir pour·
tant le chapitre consacré à l'urbanisme de Le Corbu·
sier, dans le livre de Giorgio Piccinato, L 'Archittetura
contemporanea in Francia, Bologne, Capelli. 1965.
Stanislaus von Moos, Le Corbusier Elemente einer
Synthese, Verlag Huber Frauenfeld, 1968. (Pour l'édi·
tian francaise, Le Corbusier l'architecte et son mythe,
Paris Ho;izons de France. 1 9 71 .1
Rafaele Panella, " Architettura e citta intorno a/'30.
Algeri nei progeui di Le Corbusier• dans l'ouvrage col·
lec1if Per una ricerca di progettezione, 3. Il ruolo del/'
abitazlone ne/le formez/one e nello svt1uppo della citta
modems e contamporanea, Venise, LU.A.V., 1971.
(4) Les dessins du Po6me de l'angle droit, Paris,
Verve, 1955, expliquent le sens attribué par Le Corbu·
sler au parcours intellectuel accompli à 11aversle laby-
rin1he : comme pour Klee, dont le goOt graphique des
dessins est très proche de celui de Le Corbusier•
l'Ordre n'est pas une totalité exterr,e à l'activité
humaine qui lo crée. La recherche de la synthèse es1
d'autant plus enrichie par los Incertitudes de la
mémoire, par la 1ensionproblématique, qu'elle donne
même des directions en contraste avec le but final. et
parvient à se retourner dans la plénitude d'une expé-
rlence autenthique.
Pour Le Corbusier aussi, l'absolu de la forme est la
complète réalisation d'une constante victoire sur
1'incertitude du futur, en passant par 1'avènement
d'une auitude problématique comme garantie unique
de sauvegarde collectjve. . .
(5) Parmi les nombreux témoignages httéra11esde Le
Corbusier, où l'intervention de l'architecture comme
Instrument d'intégration sociale est explicitement pla-
cée au premier plan, celui relatif l'_u,sin~
holla~da!sc
Van Nelle est particulièrement s1gn1flcat1!," L Usina
des tabeés Van Nelle de Rotterdam - écrrt Le C?rb_u_-
sier - création des temps modernes, efface se s,gmf,_-
carion d6sespérante au mot prolé~ire ». Ce/re d6n-
a1lon dusentlment de propr,6té 6go,sre vers un serw-
11
meor d'action collective, nous conduit b ce ph6no·
mène"neureux de l'intervention personnelleen chaque
point de /'entreprise humalne. Le trevail demeure tel
dans sa metér/e/lté, mais l'esprit /'{Je/aire. J~ le rép6te,
tout est dans ce mot: preuve d'amour. C es_tla que
par une administration autre, il faut condwre, epurer et
amplifier l'événement contemporain; dites-n_ous ce production to e stop. ,, (En préférant des normes et
que nous sommes, à quoi nous pouvons serv11, pour-
des genres établis, les architectes optent pour des
quoi nous travaillons. Donnez-nous des plans, pauses où l'évolution normale de la te,chnologle se
montrez-nous les plans, expliquez-nous les plans.
•trouve interrompue; ces processus d _évolutl~n et
Rendez-noussolidaires (... ). Si vous nous montrez les
d'innovation, pour autant que nous puissions en Juger,
plans et nous les expliquez, il n'y aura plus m caste
ne peuvent être arrêtés que par l'abandon de la tech·
poss6dente ni prolétariot sans espoir. Il Y aura une nologie telle que nous la connaissons aujourd'h~I, par
soci6t6 croyante et agissante. A l'heure ac_tuelle de,s
un arrêt délibéré de le recherche et de la production de
plus strictes rationalisations, c'est de conscience qu ,t
s'agit"· Le Corbusier, La ville radieuse, chapitre sur_le masse.) ,,. M h"
R. Benham, Theory and Design in the rlfSt ac me
« Spectacle de la vie moderne », Pans. Vincent, Freal
Age, Londres,The Architectural Press, 1960, p. 329,
et C.. 1964, p. 177. . .
11est certainement superflu de relever que_101;1tela
(61 Il serait possible, sur la base de ces cons_1dera-
science-fiction architectonique, qui a prolifère ~es
tions, de s'opposer aux thèmes de Banham qu1 criti-
années 1960 à aujourd'hui, rachetant. la d1mens1on
que, d'un point de vue interne au développeme.'.'ttech-
« des images » des processus technologiques, est - è
nologique, l'immobilisme typologique des maitres du
l'égard du plan Obus de Le Corbusier - en-deçà des
« mouvement moderne >1.
modèles les plus désolants.
" ln opting for stabilised types or norms, écrit-il, archi-
tects opted for the pauses when the normal processes
of technology were interrupted, those processes of
changes and renovation that, as far we can see, can
only be halted by abandoning technology as we know
87
 Plan d'ensemble, raccordements aux grandes routes
Les trois étapes du projet « A " d'urbanisation de la (dessin AL 2873, 21 mars 1932) - Dessin Fondation
vl'lle d'Alger /dessins AL 3061, AL 3062, AL 3063, Le Corbusier, 14 116.
dllbut 1933} Dessins Fondation Le Corbusier. En bas : Vue de la maquette d'ensemble - Photo
Lucien Hervé.

1\,\.t:1:mrn1m EN'l'S
AIJX GI\ANnl!S llOUTES

·J ETAPE
« invente » sa commande, la généralise, et il
est prêt à payer de sa personne pour jouer un
U UOli'l'I': "'"" ,,: (. IU \H
rôle actif et proposer des solutions. c:
C'est pourquoi tous ses modèles ont le carac- u l~FUl•:1'\:'l'S "11 \.nlT \T ltt1'\:
,~
tère d'expériences de laboratoire; or, il est
absolument Impossible de faire passer un
modèle de laboratoire dans la réalité. De plus, le
caractère généralisable de ses hypothèses
théoriques se heurte aux retards des structures
qu'elles se proposent de transformer. Si l'on
considère qu'il faat faire une •révolution archi-
tecturale pour harmoniser l'architecture avec
les impératifs du progrès dans le domaine de
l'économie et de la technologie, alors que dans
ces domaines, aucune forme organique cohé-
rente ne peut encore apparaître, on ne s'éton-
nera pas que le réalisme des conceptions de Le
Corbusier soit considéré comme une utopie.
Il est impossible d'interpréter correctem/:)nt
l'échec du projet d'Alger - et plus générale-
ment, la « faillite » de Le Corbusier - si on ne le
relie pas à la crise internationale de I 'architec-
ture moderne, autrement dit, à la crise de l'idéo-
logie du Neue Welt (7).
Il est intéressant d'examiner comment les his-
toriens contemporains tentent habituellement
d'expliquer la crise de l'architecture moderne;
ils en situent le début autour des années 30 et 2 E'l'APE
ils admettent communément qu'elle n'a fait que .-\
,.
sier. Keynes est confronté au « parti de la
IUIUE,\IIX s1;1, OIUH'J IEB 111: 1 \ !\IABl,\I•: catastrophe » et tend à en récupérer la menace
l,'.!:,n1H.Ull (IINTl'.\:\,,"t' '.!!;JIOO 1;111•11111:s en l'intégrant à des niveaux toujours différents
,'ill'l.,U' 1:,n11
EI.EY.l'l'EMI (8). Le Corbusier prend acte de la réalité de
111:!O ,l rn ooo Il \lil'f,\N'r, classe de la ville moderne; il en déplace les con-
.. un: 111s A From :s
flits au niveau le plus élevé; il élabore un projet
extrêment complet d'intégration du public, qui
est impliqué à la fois comme opérateur et
comme consommateur actif dans le mécanisme
du développement « urbain ». Ce ménanisme
.\ devient alors organiquement « humain ».
A Notre hypothèse de départ se confirme. L'archi-
Il tecture comme idéologie du Plan est dépassée
par la réalité du plan, dès lors que celui-ci quitte
le niveau de l'utopie pour devenir un mécanisme
opératoire efficace.
La crise de l'architecture moderne s'ouvre au
moment précis où le grand capital industriel,
son interlocuteur naturel, dépasse l'idéologie
fondamentale véhiculée par l'architecture, pour
la reléguer au rang des superstructures. Dès ce
moment, la fonction de l'idéologie architectoni-
que est terminée. Et lorsqu'elle s'obstine à vou-
loir malgré tout la réalisation de ses hypothèses
théoriques, elle peut à la rigueur devenir un ins-
trument pour faire évoluer certaines situations
de retard; mais dans la plupart des cas, elle est
plutôt un facteur de gêne.. . . .
On comprend dès lors les sItuatIons regressIves
et angoissantes dans lesquelles le mouve_ment
moderne s'est débattu de 1935 à nos Jours.
All'l't~STUAUI~ '111'1,\U mou

s'aggraver jusqu'à nos jours; mais ils attribuent 11

t'll,llTl>I
u, ..1soI1vn11ms
~l•l,.\.'l!IIIIIS ,\llfllSTIL\lll
n, :m,,:ionoo11.u11T,1:\:'I., , .......... ·••!..,.
Les conditions les plus générales de rationalisa-
presque toute la responsabilité de cette crise à 4~ RE~l'S II IIAIUTA'l'l(>N ,..,1,1.,u 1:ouu 111111 ,,:..:1uuu111 ,,...- tion de la ville et du territoire ne sont toujours
Il IIUilf'.AIIX ..... \'1.?...,IJ 11.u1:rul
pas remplies, mais la nécessité de cette rationa-
des phénomènes de régression politique, tels --;::~--tJ:,.,~.......-
que le stalinisme ou les fascismes européens; lisation continue néanmoins à servir de stimu-
ils ignorent systématiquement, dans le même lant indirect, pour des réalisations compatibles
temps, l'apparition à l'échelle mondiale, juste- avec des objectifs partiels, fixés au coup par
ment après la grande crise économique de coup.
1929, de facteurs nouveaux aussi décisifs que Il se produit alors quelque chose d'apparem-
la réorganisation internationale du capital par le ment inexplicable. Les idéologues de la forme
recours généralisé à des systèmes de planifica- semblent renoncer à s'inscrire dans le réel, pour
tion anti-cycliques, ou encore la mise en place se replier sur le second pôle de la dialectique
du premier plan quinquennal soviétique. ordre/chaos proposée par la culture bourgeoise.
li est significatif de retrouver (sous une forme Sans abandonner I' « utopie du projet », ils cher-
purement idéologique) presque tous les objec- chent une compensation contre les processus
tifs formulés dans le domaine économique par concrets qui ont provoqué le dépassement de
la General Theory de Keynes, comme principes l'idéologie, dans la récupération du chaos e~
fondamentaux des poétiques de l'architecture dans la sublimation du désordre. Ils se livrent a
moderne. « Se libérer de la crainte du futur en la contemplation de cette angoisse que les
déterminant ce futur comme un présent » : le constructivistes semblaient avoir définitive-
principe même de la politique d'intervention ment surmontée.
préconisée par Keynes est à la base, non seule- Parvenus indéniablement dans une impasse*
ment des poétiques de l'art moderne, mais éga-
lement des théories urbanistiques de Le Corbu-

181 A Negri, • La \eorla capltalista dello stato nel'29 :

~• E'l'Al 1 E John M, Keynes~. Contropieno 1, 1 968. op. c,t. Cf S:
171 L'idéologie de« Neue Weil "• du Nouveau Monde, ,\. l,(.GIS<:-UITl:1 111:;;41,1 7:i04MIH.
Bologne, G.P. Rawick, M. Gobblni, A. Negri, L. Fer_ran
comme champ infini de potentialité libératoire, est H ,\(~]l.\.NUISSt:MJ,;N'I' MIJSJ<.:t-: Bravo, S. Gambino, Operai _e Stara_. Lotte ope~e,e e
t: 1um,~1Vl'S ll.\lll'l~fl'l(l~ a,: :-,~A '!00 lfL•~a,\:I 1M'!0A;'.()000M
commun à Lissitiky et à Hannes Meyer. Voir dans 1) IUJIU:AIIX 1.~111n,
riforma della Stato cap1ta/1st1co tra nvo/uz,one d 0tto-
Hannes Meyer, l'ar1icle significatif à ce sujet, • Die E ,\lfl'OS't'H,\.OE FllOi'~'l' UJ~ Mt-:~ bre e New Deal, Milan, Feltrinelli, 1972.
Noue Welt • dans la revue Des Werk, n° 7, 1926.
89
88

qu'ils ne peuvent nier, les idéologues de l'archi-
tecture renoncent à jouer un rôle dynamique
dans _la ville et dans les structures de produc-
tion; ils se retranchent alors derrière le masque
d'une autonomie disciplinaire retrouvée ou se
réfugient dans des comportements névr~tiques
d'auto-destruction.
La critique contemporaine étant incapable
d'analyser les causes réelles de la crise du
design, concentre toute son attention sur les
prob!?mes internes du design lui même; de
maniere symptomatique, elle accumule les
inventions idéologiques pour tenter de donner
une nouvelle substance à l'alliance entre les
techniques de communication visuelle et les
utopies technologiques. Cette alliance
aujourd'hui énoncée en termes d'un « néo'.
humanisme » ambigu, présente par rapport à la
Ne1,1eSachlichkeit le grave inconvénient d'être
beaucoup plus mystificatrice quant à sa fonc-
tion de médiation entre l'utopie et le développe-
~ent. Ce n'est pas un hasard si l'image de la
ville est le champ privilégié où l'on cherche à
réaliser cette alliance.
La ville est donc considérée comme une supers-
tructure, et l'art est désormais chargé d'en don-
~er une image superstructurelle. Le Pop art,
I,0p ar~,_les analyses sur l'imageability urbaine,
1 es the tique prospective*, concourent au
même objectif : masquer les contradictions de
la ville contemporaine par leur résolution dans
d_esIm,ages polyvale_ntes, par l'exaltation figura-
tive d une complexité formelle qui, si on veut
bien l'interpréter correctement, n'est rien
d'autre que l'éclatement des dissidences irré-
ductibles, incontrôlables par un plan capitaliste
avancé. La récupératon du concept d'art joue
donc une fonction précise dans cette opération
couv~rture. Il est certain que, tandis que
1mdustrtal design se place à l'avant-garde de la
production technologique pour en conditionner
la qualité afin d'accroître la consommation
pop art, en réutilisant les déchets et les « r~s-
tes », se place à l'arrière-garde de cette produc-
tion. Mais cela recouvre exactement la double
demande à laquelle les techniques de communi-
cation visuelle doivent répondre aujourd'hui. En
renonçant à se situer à l'avant-garde des cycles
de production, l'art démontre, malgré ses con-
testations verbales, que le processus de la con-
sommation tend vers l'infini : même les
déchets, sublimés dans des objets inutiles ou
nihilistes, peuvent prendre une nouvelle valeur
d'us~ge, et être réintroduits dans le cycle pro-
ductionlconsommation, même si c'est par la
porte de service.
Mais cett~ position d'arrière-garde est égale-
ment le signe d'un renoncement à résoudre
totalement les contradictions de la ville et à la
tr~~sf?rmer en une mécanique bien organisée,
ou 11n _Y~uraIt p_lusni gaspillage de type archaï-
que, ni d1sfonct1ons généralisées.
En effet, dans cette phase, il faut absolument
que le public soit convaincu que les contradic-
tions, les déséquilibres, le chaos, caractéristi-
ques ,de la ville contemporaine, sont inévitables;
et meme que ce chaos renferme des richesses
inexplorées, des_possibilités d'usage illimitées,
des valeurs ludiques qui peuvent devenir de
nouveaux fétiches sociaux.
Ci-d~ssus et ci-dessous: Le viaduc dans lequel
sere,~nt eméneg6s des logis, qui supporte l'eutostrode
éteblre le cote 100 mimes - Dessins Fondation L
Corbusier.
le
Cet article constitue la première partie du chapi-
tre 6 de Progetto e utopia, Architettura e svi-
luppo capitalistico, La terza, 19 73. Article
repris de Contropiano 1, 1969.
Traduction Françoise Brun et Ligia Rave Emy.
Reproduit avec /'autorisation
o Bordas-Dunod.
LELIEUDE LAVILLERADIEUSE
Chaque ville s'inscrit, sans confusion possible,
en un lieu et en un instant précis. Les villes ima-
ginaires elles-mêmes sont toujours, même si
a leurs auteurs le nient, le produit de conditions
historiquesconcrètes. C'est le cas de la « Ville
Radieuse » de Le Corbusier, ultérieurement
codifiée dans le programme de la Charte
d'Athènes. La présente étude ( 1 l a pour objet
d'expliquer quelles influences de telles condi-
tions ont eues sur cette production architecto·
nique. Une telle explication semble en effet être
la condition à respecter pour replacer dans une
juste perspective politiqué un débat qui aurait
tendance à s'égarer sur un plan trop stricte-
ment formel. Le lieu d'inscription de la « Ville
Radieuse » est Moscou-Paris, et l'instant, l'été
1930.
Quand Le Corbusier est invité pour la première
fois à Moscou, en octobre 1928, et que le com-
missaire à la culture, Lunal':arskij, assiste à sa
cortférence sur l'Urbanisme au Musée Polytech-
nique, il semble alors qu'enfin, après un long
isolement, se réalise l'espoir de trouver un
mécène d'Etat pour ses projets. Moscou lui
apparaît comme une "usine à plans" (2). On
lui confie la construction du « Centrosojuz », un
bâtiment d'administration pour 3 500
employés. Cette tâche rendra nécessaires
d'autres sé1oursà Moscou en 1929 et 1930.
Ce projet, jusque-là le plus grand qu'ait conçu
Le Corbusier, doit servir de modèle. Il inaugure
en eHet l'utilisation de techniques occidentales
des éditions
dans la reconstruction de la capitale (3).
L'architecte s'y fait le ml!dlateur d'une techni-
qùe de construction américaine, d'une architec-
ture à base de matériaux modernes. " Moscou,
embryon d'un monde nouveau, habite encore
une vieille càrcasse de village asiatique "•
rapporte-t-il. " La ville a la volonté de se mettre
sous le signe nouveau " (4). Là est le para-
doxe : c'est d'abord cette intention de faire
monumental qui a déterminé l'intérêt de Le Cor-
busier pour l'architecture fonctionnelle et cons-
tructive d'une machine à habiter.
Le monument de Tatlin pour la Ill• Internationale
devait être, lui aussi, une manifestation de la
r~pture avec la « culture du bois » (5). Ce prin-
cipe de la « bouteille thermos » dont Tatlin
avait exigé l'utilisation pour la construction
(1)On trouvera une étude plus approfondie du projet
urbain de Le Corbusier et de son arrière-plan socio-
Polilique dans : Thllo Hllperl, Die Funkrionelle Stedt.
Corbuslers Sledrvision - Bedingungen, Motive.
mtergriïnde, Braunschweig,Vieweg, 1978.
!2) L.C.. Précisions sur un état présent de l'erchltec-
rure et de l'urbanisme, Paris, 1930, p. 262.
(~1 Voir L.C., Surlesquotreroures, Peris, 1941, réédi-
tion 0enoël-Gonthler, 1970. p. 169 s.
14) L.C., L'archi1ecture à Moscou, Manuscrit sans
Thilo Hilpert
exclusif de maîtres d'ouvrage fortunés, Le Cor-
busier fait l'expérience d'une pratique sociale-
~1$P
ment pertinente en collaboration avec un maître
d'ouvrage collectif. Cette pratique profession-
nelle d'un autre genre aura sur lui aussi des
effets durables. " Ne plus gagner d'argent en
faisant des maisons. Je n'apprécie pas, je
raconte " (9). Considéré comme "/'éminent
réalisateur dans le domaine de la réforme de la
culture matérielle " ( 10), il sera invité de 1928
l---file~~~1·
à 1930 à participer aux premières tentatives de
..
. .·•
.
changement global de l'environnement matériel
où il ne s'agira plus "de construire des palais à
une aristocratie financière désormais disparue "
'
(11 ). De plus en plus il oppose désormais
I'" atmosphère moscovite " à la " température
parisienne" (12) : "J'observe ces temps, en
Russie, l'éclosion de l'architecture moderne. Là
où, depuis trente années, nous sommes rabat-
tus sans trêve sur des tâches étriquées et humi-
liantes pour l'esprit, ce pays appelle les concep-
Schéma de la Ville Radieuse - La Ville Radieuse,Edi- teurs( ... ) Deux faces de l'architecture: Nous :
tions de /'Architecture d'Aujourd'hui, 1935, réédition des combinaisons estropiées épuisant sans
Vincent, Fréal & Cie, 1964, p. 142. résultant une habileté professionnelle excep-
tionnelle qui fit autrefois la gloire de notre pays.
EUX: des organismes à l'époque de la réorgani-
dans sa tour des volumes de verre (6), c'est Le
sation" (1 3).
Corbusier qui l'appliquera le premier dans la
En mai 1 930, Gornij, L' « Administrateur en chef
construction du Centrosojuz avec son système
du bureau pour la préparation du plan d'agran-
de « respiration exacte », c'est-à-dire de clima-
dissement de Moscou future et socialiste », lui
tisation totale d'un bâtiment à facade de verre
fait parvenir un «questionnaire» (14). On y
entièrement close. On le considér~ra désormais
demande, en prévision d'un concours pour le
comme le médiateur d'une architecture de
plan de Moscou, à des spécialistes d'URSS de
matériaux nouveaux et de la technique de cons-
donner leur« avis sur la structure et l'organisa-
truction de cette Amérique du Nord dont il avait
tion d'une ville socialiste, en particulier de la
transplanté les gratte-ciel en Europe occiden-
capitale ». Le Corbusier ne se contente pas de
tale. répondre aux questions mais aborde le ques-
Mais les instruments d'une technique progres-
tionnaire comme un « travail de laboratoire » :
siste ne sont pas les seuls à recevoir une inter-
en juillet, il propose, en 21 plans, un projet
prétation symbolique autre; les systèmes archi-
urbain pour la « reconstruction de Moscou ».
tectoniques, eux aussi, connaissent un renver-
Faisant abstraction des conditions qui ont pré-
sement de sens dans leur utilisation. Les projets
sidé à sa conception il présentera plus tard sa
de Le Corbusier pour des villas se muent en
« Réponse à Moscou " comme une contribution
décors d'une technique au service de la collecti-
à I'" organisation de la vie dans les villes d'une
vité. Ejzen~tejn faisant, dans "· La Ligne Géné-
époque machiniste - de l'époque présente "
rale", ce film sur l'industrialisation de l'agricul-
(15). Mais ce projet urbain provient directe-
ture, construire les décors d'une ferme technici-
ment des discussions qui ont eu lieu dans la
sée de l'avenir sur le modèle de l'architecture
métropole soviétique. Par ce projet, il s'oppose
de Le Corbusier (7), est la parfaite illustration
aux « Désurbanistes » dont il avait, déjà en
des effets d'un « Corbusianisme » en URSS
mars 1930, critiqué, dans sa lettre à Gornij le
(8). Après des années d'activité au service
(11) L.C., L'architecture à Moscou, p. 1.
date, 6 pages, p. 2. (1 2) Cf. supra note 2.
(5) Fül6p-Miller, René, Geist und Gesicht des Bolsche·
(13)L.C., «Décisions», 1931, in L.C., La Ville
wismus, Wien, 1926, p. 96. •
Radieuse, 1935, p. 148.
(6) ibid. ( 14) C'était Nicolas Kolli, collaborateur pendant la
(7) Voir L.C., Sur les quatre routes, p. 1 71.
(8) llytne. Michel, « Le Corbuslenismeen U.R.S.S. » in
construction du Centrosoyus, qui de la part de Serge
Gornîj avait envoyé le questionnaire à Le Corbusier.
L 'Architecture d'aujourd'hui 6, juillet-août 1931.
Lettre de Kolli à Le Corbusier, Moscou, 5.V. 1930.
(9) L.C., L'architecture à Moscou, p. 6.
(15) L.C.. La Ville Radieuse, p. 90.
(10) S.M. Gornij in Stroite/'stvo Moskvy, 1930,
n° 12.
91