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Isabelle Ammann

Collection Guidances pour tous


Isabelle Ammann
Cet ouvrage invite le lecteur à réfléchir sur la
nature du handicap de l’enfant porteur de trisomie
21, à travers un regard d’othophoniste. Comment
aborder cet enfant, aborder sa famille, comment
leur apporter une aide adaptée à ce type de
handicap ?

L’auteur reprécise la nature de l’intervention


orthophonique auprès des enfants et de leurs
familles, dans le cadre d’un accompagnement qui
nécessite une coordination interdisciplinaire entre
professionnels.

Trisomie 21, approche orthophonique


Ainsi, nous découvrirons qu’au sein d’un travail
d’équipe indispensable, l’approche orthophonique
présente toute son originalité et ses subtilités.

L’auteur
Après avoir consacré la première partie de sa carrière à la
phoniatrie, au CHUV de Lausanne, en Suisse, Isabelle
Ammann se concentre aujourd’hui sur une problématique
tout autre : le travail orthophonique auprès des enfants
porteurs de trisomie 21. Elle rapporte ici l’essentiel de son
expérience de douze ans passés avec l’équipe du SESSAD La
Repères théoriques
Courte Echelle, au Mans.
et
conseils aux aidants

TRIS21

ISBN : 978-2-5327-0546-2 www.deboeck.com
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Trisomie 21,
approche orthophonique
Repères théoriques
et
conseils aux aidants
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Guidances pour tous


Collection dirigée par Geneviève Heuillet-Martin
et Ariel Conte

Cette collection propose la publication de livres et de cahiers « prati-


ques » destinés à des personnes affectées dans leur vie quotidienne
par un handicap physique, fonctionnel ou cognitif. Elle s’adresse éga-
lement aux familles et aux accompagnants afin de les éclairer et les
conseiller sur la nature de la différence de leur proche et faciliter son
intégration. Rédigés par des professionnels, ces livres n’ont en aucun
cas pour but de se substituer aux intervenants médicaux ou paramé-
dicaux, mais au contraire de prolonger leur thérapie dans la vie quo-
tidienne, en fait de jouer le rôle d’une vraie guidance. A l’heure de
l’hospitalisation à domicile (HAD) et de la proximologie (approche
pluridisciplinaire entre les aidants, le patient et les accompagnants),
Guidances pour tous tentera de répondre le mieux possible aux ques-
tionnements des intéressés.
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C O L L E C T I O N

Guidances
pour tous

La Trisomie 21,
Approche orthophonique
Repères théoriques
et
conseils aux aidants
Isabelle Ammann
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Dans la collection « Guidance pour Tous »

En attendant le retour chez l’orthophoniste - Volume 1


Cahier d’entraînement pour enfants dyslexiques-dysorthographiques,
du CE1 au CM2
D. Gaulier-Mazière et J. Simon-McCullough, 2006, 128 pages, 21 x 29,7.

En attendant le retour chez l’orthophoniste - Volume 2


Cahier d’entraînement pour enfants dyslexiques-dysorthographiques,
du CM1 à la 5e
D. Gaulier-Mazière et J. Simon-McCullough, 2007, 92 pages + corrigés,
21 x 29,7.

Méthode syllabique d’apprentissage de la lecture


Acquisition simultanée de la lecture et de l’orthographe des sons
C. Patry-Morel, 2009, 92 pages, 17,6 x 25.

Le traumatisme crânien - Guide à l’usage des parents


M. Leclercq, 2007, 253 pages, 16 x 24.

Apprendre à grandir en harmonie avec soi et avec les autres


Petite guide à l’usage des parents et de leurs enfants
F. Estienne, 2007, 178 pages, 17,6 x 25.

Mieux connaitre le sommeil des enfants et des adolescents


M.-F. Mateo-Champion, 2008, 80 pages, 16 x 24.

En route pour le cours préparatoire, exercices pour renforcer les apprentissages


D. Gaulier-Mazière et J. Simon-McCullough, 2010, 120 pages, 16 x 24.

Saveurs partagées. La gastronomie adaptée aux troubles de la déglutition


80 recettes hachées et mixées
C. Chevallier, M. Puech, P. Sidobre et G. Soriano, 201, 128 pages, 16 x 24.

Votre enfant est dyslexique. Pourquoi ? Comment l‘aider ?


B. Piérart, 2011, 104 pages, 16 x 24.

Renforcement cognitif par les contes de fées,


thérapeutique visant l‘optimisation de la capacité de réserve mnésique
M. Sant’Anna, 2011, 182 pages, 16 x 24.

Mais... je sais faire !!! Lecture, compréhension et exécution des consignes


J. Simon-McCullough, 2012, 48 pages, 16 x 24.

La voix, un outil précieux pour l’enseignant


A. Chevillot-Sauger, 2012, 64 pages, 17,6 x 25.
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Remerciements

CHALEUREUX REMERCIEMENTS à ceux qui, par leur lecture


attentive, m’ont aidée et encouragée à achever cet ouvrage en me
livrant remarques, critiques et commentaires :
Prof. Pascal Lenoir, pédopsychiatre à Tours,
Dr Michel Rivron, pédiatre au Mans,
Valérie Legros, directrice du SESSAD La Courte Echelle, au Mans,
Dominique Bodineau, orthophoniste au Mans.

Un grand merci aussi à toute l’équipe du SESSAD :


Valérie Legros, directrice, Laurence Bedeau, secrétaire, Cédric
Pesnot, psychologue, Agnès Verlynde et Cindy Cadeau, psychomotri-
ciennes, Laurence Giraudet et Isabelle Michaud, orthophonistes,
Thierry Mabille, Olivier Cornu, Françoise Ouvrard et Emmanuelle
Leprettre, éducateurs, Annie Humblot, éducatrice de jeunes enfants,
Dr Geneviève Henry-Babinet, pédiatre, Dr Gilles Dubois de Prisque,
pédopsychiatre.

Et un clin d’œil à Cynthia Toublan, psychomotricienne.

Merci aussi à l’association Trisomie 21 Sarthe, qui nous a accordé


sa confiance, ainsi qu’à tous les enfants et leurs familles qui m’ap-
prennent mon métier chaque jour.

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Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son


objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour
l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de l’édition
technique et universitaire, le développement massif du
photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à
usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les
établissements d’enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au
point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer
correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite
sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC,
20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine
de spécialisation, consultez notre site web :

www.deboeck.com

© Groupe De Boeck SA
Rue des Minimes, 39
B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment
par photocopie, par toute technique existante ou à venir) partiellement ou totale-
ment le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le com-
muniquer au public, sous quelque forme que ce soit.
Imprimé en Belgique
Dépôt légal : octobre 2012
ISBN : 978-2-5327-0546-2
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Avant-propos

C ’est par hasard, et pour des raisons tout à fait indépendantes de


mon projet professionnel, que j’ai travaillé dans un SESSAD * spécia-
lisé dans le suivi des enfants porteurs de trisomie 21 et de leur
famille. Jamais je n’aurais choisi cette voie. Ayant porté dès le départ
de mes études toute mon attention sur la voix, le chant et la réédu-
cation vocale, le handicap mental était bien loin de mes préoccupa-
tions. De plus, je gardais du ministage dans le domaine du handicap
mental, lors de mes études de psychologie et de logopédie à Genève,
un souvenir perplexe voire franchement ironique. La vision de deux
logopédistes élégantes et un peu froides, en minijupe au milieu d’un
petit groupe d’enfants légèrement baveux qui gribouillaient sur leur
feuille, ne m’avait pas donné une vision époustouflante de ma future
profession. Mes aspirations personnelles m’ont donc d’abord amenée
à travailler pendant 12 ans en phoniatrie. Ensuite, je suis venue vivre
en France et c’est dans cette patrie d’adoption qu’une psychomotri-
cienne pleine de talent, rencontrée hors du milieu professionnel, m’a
encouragée à me joindre à son équipe, dans un SESSAD joliment
nommé « La Courte Echelle ».

Ce qui m’a attirée dans ce travail, c’est d’abord l’accueil des pro-
fessionnels, l’excellent esprit qui régnait dans cette équipe, et sa
dynamique – sans cesse renouvelée au fil des ans et des grandes
transformations de tous ordres. C’est dans ce contexte d’écoute, de
partage et de renouvellement confiant et créatif (pour cela je
remercie la directrice Valérie Legros, qui a su créer et entretenir cet
esprit dans la durée, en dépit des inévitables moments plus houleux),
que j’ai pu me familiariser peu à peu avec le handicap mental. Au

* Service d’éducation spéciale et de soins à domicile.

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sein de cette équipe porteuse, j’ai fait une autre découverte : le han-
dicap mental n’est ni inesthétique, ni rébarbatif. Il constitue un axe
de recherche, de questionnement, d’évolution personnelle et profes-
sionnelle inespérés.

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SOMMAIRE

Avant-propos............................................................................ 7

Introduction ............................................................................. 11

CHAPITRE I
QUAND UN ENFANT PORTEUR DE TRISOMIE 21 PARAÎT

1 - Etre parent d’un enfant porteur de trisomie 21.................... 15


2 - Etre orthophoniste auprès d’enfants porteurs de trisomie 21 18
3 - Parents et orthophoniste face à l’enfant porteur de trisomie 21 22

CHAPITRE II
ENFANT PORTEUR DE TRISOMIE, ENFANT DIFFÉRENT

A. L’anomalie génétique : rappel théorique .............................. 27

B. Les fondements d’un langage : développement cognitif


de l’enfant porteur de trisomie 21 ........................................ 30
1 - Troubles sensoriels et répercussions relationnelles
et éducatives....................................................................... 30
2 - Perception du temps ........................................................... 36
3 - Autres particularités cognitives ........................................... 37

C. Le développement du langage ............................................ 40


1 - L’aspect symbolique .......................................................... 41
2 - La réalisation technique de la parole :
troubles oro-praxiques ....................................................... 48
3 - La mise en place de la parole et l’entrée dans l’écrit ......... 51

D. Handicap et normalité : deux aspects d’une même personne . 56

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CHAPITRE III
THÉRAPIE DU LANGAGE : PRATIQUE ORTHOPHONIQUE

1 - Bilan orthophonique du langage oral ................................. 65


2 - Action thérapeutique en orthophonie ................................ 72
3 - Gestion du temps dans le travail orthophonique :
Le moment, la durée .......................................................... 79
Temps, rythmes et évolutions ............................................. 83
4 - Gestion de la demande ...................................................... 87
5 - Situations relationnelles difficiles ....................................... 89
6 - Travail avec les familles ...................................................... 95

CHAPITRE IV
L’ENFANT PORTEUR DE TRISOMIE DANS LA SOCIÉTÉ

A. Inclure un enfant porteur de trisomie dans l’enseignement


ordinaire : quelques pistes de réflexion ............................... 103

B. Quand la différence éclaire les écueils du monde ordinaire 110

Conclusion ............................................................................. 113

Bibliographie succincte ........................................................... 115

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Introduction

U n des plus grands leurres que l’on peut encore entendre, ou


lire dans certains ouvrages portant sur la trisomie 21, consiste en l’af-
firmation que le développement de l’enfant porteur de trisomie est
« le même que celui de l’enfant ordinaire, simplement avec un retard
important, de plusieurs années ». Si cela est à peu près vrai lorsque
l’on étudie un point très précis et particulier du développement
– comme par exemple l’acquisition de la marche et de la propreté,
l’apparition du premier mot, l’acquisition de la syntaxe en langage
oral –, cela est complètement faux lorsque l’on parle de l’enfant, de
l’adolescent, puis de l’adulte porteur de trisomie dans l’ensemble de
sa personne. Car les retards dans les différents domaines, s’ils exis-
tent bien, ne s’articulent pas du tout de la même façon que dans le
développement ordinaire. La construction d’un savoir, d’une
connaissance, et même d’une vision du monde, prendra des tour-
nures totalement originales, inattendues, et souvent déroutantes pour
l’individu ordinaire. C’est la pensée même de la personne porteuse
de ce handicap qui est influencée par les particularités de son déve-
loppement. Le sentiment d’étrangeté et de malaise que peuvent res-
sentir les personnes qui ne sont pas familiarisées avec ce handicap
s’explique ; il serait naïf et malhonnête d’affirmer le contraire
– même s’il y a dans la population ordinaire des personnes plus
douées que d’autres pour l’abord des différences.
Se familiariser avec le contact des personnes porteuses de trisomie
21 va demander un travail à plusieurs niveaux : d’abord, bien sûr,
cela va supposer de vivre et de partager des expériences avec elles ;
dans nos bureaux, mais aussi parfois en dehors, au contact avec
d’autres professionnels, dans d’autres contextes de la vie de l’enfant.
La personne porteuse de trisomie 21 n’a pas toujours les moyens de
se raconter, de parler d’elle-même, ou elle le fait d’une façon inso-
lite, qu’il ne nous est pas toujours facile de saisir. Tout enfant peut

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montrer des facettes de lui-même très diverses et contrastées en fonc-


tion de la situation ; l’enfant porteur de trisomie également, mais de
manière plus tranchée, plus entière, et il est plus difficile d’établir des
liens entre ces situations et de connaître les différentes facettes de son
comportement. Plus difficile, donc, de connaître quelles sont ses
capacités réelles dans les divers domaines de son développement.
Par conséquent, on comprendra mieux à quel point il peut être
délicat de suivre un très jeune enfant porteur de trisomie en cabinet
libéral. N’être porteur que de notre seul regard, notre seul point de
vue, dans le contexte très limité de notre bureau, peut nous amener
à nous leurrer sur les capacités réelles de l’enfant. Bien sûr, les
parents peuvent nous aider, mais si nous avons besoin d’eux, eux ont
besoin en retour d’un avis professionnel qui soit nuancé et avisé, qui
soit lucide et mesuré. Cet avis, nous l’avons généralement lors du
bilan car notre regard est neuf ; par contre il n’est pas toujours évi-
dent de faire perdurer dans le temps ce regard « neuf », lorsque l’en-
fant vient régulièrement à ses séances durant plusieurs années : une
certaine routine peut apparaître, qui fait alors de la séance d’ortho-
phonie une parenthèse dans la vie de l’enfant, sans lien avec le reste
de ses activités et de sa vie quotidienne. Ce processus n’est pas sou-
haitable et risque de ne pas être suffisamment vecteur de progrès
réels : l’objectif n’est pas que l’enfant progresse dans nos bureaux,
mais qu’il progresse dans sa vie en général. Il faut donc que des liens
soient régulièrement tissés entre ses différents lieux de vie. En libéral,
nous n’avons pas les moyens de mettre en œuvre ce travail de lien.
Il peut se faire par contre dans les SESSAD. Inscrire son enfant dans
un projet de SESSAD permet à la famille de bénéficier d’un plateau
technique plus large et de profiter de la mise en commun des obser-
vations de chacun. Par contre, le travail en libéral se justifie parfaite-
ment lorsque l’enfant est grand (adolescent, adulte), au moment où
des éléments pointus d’éducation ou de rééducation orthophonique
doivent être abordés.
Parallèlement à la pratique de l’orthophonie auprès des personnes
porteuses de ce handicap, nous devons prendre connaissance des
données médicales et scientifiques sur la maladie : lutter ainsi contre
l’ignorance est nécessaire pour nous rassurer, nous professionnaliser,
cela permet de ne pas nous laisser aller à un étonnement naïf et
déplacé face à une situation déconcertante. Mais à vrai dire, se pen-
cher sur les descriptions médicales de cette anomalie génétique peut
prendre une tournure effrayante : lorsque l’on parcourt la liste des
problèmes de santé et de développement liés à la trisomie 21, il y a
de quoi céder à la panique. On a l’impression que, outre l’aspect

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mental et cognitif, pas une fonction du corps n’est épargnée : on note


en vrac les anomalies cardiaques, ORL, gastro-entérologiques, oph-
talmologiques, dermatologiques, orthopédiques, podologiques,
orthodontiques et odontologiques, pulmonaires, endocriniennes,
neurologiques… et peut-être cette liste n’est-elle même pas exhaus-
tive. Il y a quelque chose de désespérant à se pencher sur la maladie
elle-même. L’orthophoniste a heureusement une autre vocation :
celle de se pencher non pas sur la maladie, mais sur l’enfant. Et là,
nous découvrons une réalité très différente, et toujours plus réjouis-
sante.
En effet, la liste des pathologies décrites dans la littérature sont de
l’ordre du possible, ce qui diffère déjà de la fatalité : en fait, il est sta-
tistiquement prouvé que les personnes porteuses de trisomie 21 ont,
plus que les autres enfants, des anomalies dans les différents
domaines cités. Mais chaque enfant présente un tableau différent, qui
s’avère rarement aussi lourd que qui est décrit dans les livres. Notre
choix ici est de ne pas entrer dans la description détaillée de toutes
ces pathologies annexes possibles : nous trouvons ces informations
dans un bon nombre d’ouvrages existants. Par contre, dans notre pra-
tique, nous nous pencherons sur le cas de chaque enfant que nous
serons amenés à suivre : pour lui et rien que pour lui, nous nous ren-
seignerons sur son tableau personnel auprès du pédiatre. Ces rensei-
gnements sont indispensables : le médecin nous fait part des diffi-
cultés et troubles spécifiques de cet enfant, troubles qui ont une
répercussion sur sa vie quotidienne, son comportement, sa commu-
nication, son alimentation, ou sur d’autres aspects de sa personne.
Nous devons connaître tout cela pour établir des objectifs thérapeu-
tiques réalistes et adaptés.
Dans le présent ouvrage, nous faisons volontairement un tri ciblé
des éléments descriptifs de la trisomie 21 et de ses conséquences sur
la santé et sur le développement : nous ne conservons que les élé-
ments qui ont un lien direct avec la pratique et le métier d’orthopho-
niste, et qui ont donc trait au développement de la communication,
du langage et des autres fonctions liées à l’oralité.

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CHAPITRE I
Quand un enfant porteur
de trisomie 21 paraît

1 - Etre parent d’un enfant porteur de trisomie 21

L a mission de tout parent, son engagement, sa fonction biolo-


gique première, consiste à amener son enfant, au fil d’années d’édu-
cation et d’accompagnement, à s’occuper de lui-même et à pourvoir
seul à ses besoins propres. Et ce, avec l’espoir qu’il saura tisser des
liens assez forts pour lui permettre de vivre heureux avec ses pro-
ches, une fois ses parents disparus. Ce projet ne relève pas que d’un
espoir ou d’un désir individuel de chaque parent : c’est la marche
naturelle de la vie, c’est l’établissement ordonné de la continuité.
Alors peut-on mesurer l’angoisse que procure, pour des parents,
l’annonce du handicap de leur enfant ? En effet, c’est ce projet de
continuité fondamental, existentiel, qui est atteint en plein cœur : on
ne peut plus croire en rien, plus savoir en quoi espérer, le temps s’ar-
rête ; rien ne va plus se dérouler comme prévu. Dès l’annonce du
handicap, l’enfant attendu, désiré, est anéanti d’un coup et les
parents vont devoir réviser brutalement leurs projections sur cet autre
enfant. Même si aucune destinée n’est prévisible en réalité, que l’en-
fant soit porteur ou non d’un handicap, il est évidemment plus aisé
de se projeter dans un avenir serein avec un enfant « sain » qu’avec
un enfant « malade ». L’anomalie ouvre une porte sur un inconnu à
l’allure de gouffre.
Cette angoisse est d’autant plus forte dans une civilisation marquée
par la performance, la réussite sociale et la quantité de travail à fournir
pour atteindre une respectabilité. Les critères physiques sont égale-
ment au premier plan des préoccupations de la plupart de nos congé-
nères. Dans l’imagerie mentale généralisée, celui qui se situe en
marge de ce système risque bien d’être mis au ban dans la société. Il

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n’est donc pas difficile d’imaginer qu’un jeune porteur de trisomie,


laissé seul, possède une destinée toute tracée de misère.
Notre société s’est organisée autour de ces valeurs, et même si l’on
n’y adhère pas, il n’est pas aisé de ne pas en être victime. Car à
l’égard de ceux qui n’y correspondent pas, on observe quatre atti-
tudes possibles : la compassion (réservée à un nombre restreint de
sages), la pitié (sentiment empathique certes, mais aveu triste de
totale impuissance), l’indifférence (qui est un déni d’existence) et le
rejet (manifestation de la grande peur que peut provoquer le han-
dicap). Cela doit être très douloureux de penser que son enfant risque
au contour de ses rencontres et de ses relations de susciter ces quatre
types de sentiments, lui qui, comme tout le monde, a besoin de
trouver sa place parmi les autres et d’être aimé et considéré pour ce
qu’il est, comme il est. D’ailleurs, les parents à qui l’on a proposé
l’abandon de leur enfant à la naissance ont été confrontés à un
dilemme inhumain et intolérable, qui correspond en gros à : « Avez-
vous suffisamment pitié de cet enfant pour l’accompagner dans la
“galère” que sera son existence (et la vôtre avec lui), ou préférez-
vous le rejeter, c’est-à-dire exprimer ouvertement un OUI à un
monde totalitaire où la différence est interdite, invivable ? »
L’annonce d’un handicap chez l’enfant qui vient de naître pro-
voque le plus souvent un effondrement chez les parents, un choc
traumatique qui va désorganiser leur fonctionnement psychique. Et
ce, même chez des personnes pas particulièrement fragiles, pas par-
ticulièrement sensibles : du handicap et des images plutôt abstraites,
lointaines, parfois négatives qu’il en a, le parent plonge au cœur
d’une réalité qui devient la sienne propre, et pour toute sa vie : rien
ne sera jamais plus comme avant. Personne ne peut se préparer à un
tel événement. Les effets sur la pensée du parent, et donc sur ses
comportements, sont foudroyants et parfois ravageurs : d’un état de
sidération au départ, où la pensée se fige, les parents vont progressi-
vement apprendre à « faire avec ». D’ailleurs, on entend souvent,
parfois pendant plusieurs années, la phrase qui bloque toute discus-
sion autour du véritable ressenti des choses : « On n’a pas le choix. »
Les parents pansent leur blessure dans l’action, dans le tourbillon des
rendez-vous, des rééducations, de l’organisation du quotidien, de la
lutte pour accéder à une scolarité adaptée. Parfois dans le militan-
tisme. Chaque phrase maladroite, mal placée, qu’ils entendent des
professionnels qui jalonnent le parcours de santé et d’éducation de
leur enfant, reste très longtemps gravée dans leur mémoire. Comme
cette mère qui racontait que, observant son bébé trisomique, le
médecin généticien lança un joyeux : « Il est mignon, quand

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même ! » Oui, c’est vrai, en le regardant, cet adorable bébé, on en


oublierait presque qu’un enfant handicapé ne peut pas être mignon.
Certains parents refusent de sortir avec leur enfant : ils ont honte. Ils
se heurtent avec violence à l’intolérance, à l’ignorance parfois monu-
mentale de certains passants, dans la rue et dans les magasins. Ils
auront peut-être tendance à se replier un temps sur eux. Peut-être
maintiendront-ils cet enfant qui ne demande rien dans un univers où
les expériences possibles sont restreintes, les rencontres rares, les sti-
mulations faibles. D’autres parents se précipitent sur tout ce qui peut
être rééducatif, « correctif » de la trisomie : ils entreprennent un par-
cours complexe chez divers spécialistes pour gommer, effacer le han-
dicap dans la mesure du possible, le plus tôt possible : l’action de
l’orthophoniste sera un des aspects de cette démarche, avec une forte
demande autour de la rééducation du bavage, de l’alimentation, de
la motricité bucco-linguo-faciale, une pression très grande autour du
langage qui, envers et contre tout, tarde, tarde… à tel point que par-
fois on a l’impression qu’il tarde parce qu’on l’attend. Certains s’em-
pressent d’avoir un autre enfant rapidement après ; un enfant normal,
réparateur. Bien d’autres réactions sont possibles encore, mais rien
n’est plus jamais anodin. Rien ne va plus de soi. C’est avec les années
que certaines choses s’apaisent – chez les parents qui parviennent à
faire un chemin du côté de l’acceptation. Car il arrive aussi que la
blessure s’incruste et se fige à long terme.
Par conséquent, un lien très particulier et caractéristique se forge
ainsi, entre parents et enfant, dès l’annonce du handicap : lien fondé
sur une rupture fondamentale, un rêve brisé. Si elle dure longtemps
(par exemple dans les cas où les parents hésitent à abandonner leur
enfant), ou qu’elle prend une certaine tournure (en menant par
exemple un parent à un état dépressif prolongé), cette rupture peut
d’ailleurs marquer la relation à tel point que des symptômes psychi-
ques plus ou moins prononcés viendront s’ajouter au handicap pre-
mier de l’enfant. D’expérience, nous savons que la trisomie 21 ne
protège un enfant ni de troubles psychiques divers, ni de la psychose.
Peut-être même que la trisomie, parce qu’elle fragilise l’enfant dans
son développement à différents niveaux, prédisposerait plutôt à le
rendre sensible aux incohérences relationnelles et éducatives (même
s’il ne le manifeste pas directement). L’enfant porteur de trisomie a
plus de mal à comprendre et à intégrer les codes, les valeurs, les
règles de vie qui aident à structurer son existence et à lui donner
sens ; il a plus de mal à acquérir une maîtrise progressive du monde
qui l’entoure. Il présente donc, peut-être, un terrain plus propice à
développer certaines angoisses. Mais cela est très variable : dans le

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cas de certains enfants porteurs de trisomie 21, on a l’impression au


contraire que les particularités de leur pensée les protègent des
influences négatives ou morbides, les préservent en partie des désor-
dres émotionnels. Chaque enfant est différent, chacun va trouver sa
façon d’affronter ce monde et de s’y construire.
Tout cela va parsemer le chemin éducatif de questionnements
incontournables et parfois douloureux à surmonter, questionnements
qui vont d’ailleurs trouver leur apogée à chaque étape importante de
l’intégration sociale de l’enfant : son entrée à l’école, puis les orienta-
tions qui vont avoir lieu toutes les « X » années. Ce sont généralement
dans ces moments-là que la tension est à son comble et les question-
nements plus délicats, ravivant le souvenir de la rupture première.
L’enfant porteur d’un handicap oblige son entourage à réviser ses
croyances. Il fait souvent exploser bien des repères. Il pousse le
parent à oser penser cette destinée différente, qui paraît très obscure
au départ. Un contexte un peu différent, un peu adapté, est à inventer
pour cet enfant-là. Dans ce contexte, et dès les premiers mois, il va
falloir faire une place à plusieurs professionnels, ce qui va également
nécessiter de la part des parents une capacité d’accueil, de
confiance, d’ouverture qui peut demander un effort lorsque le cœur
n’y est pas. Parfois, ce n’est d’ailleurs pas possible dans un premier
temps. A moins qu’au contraire, les parents se sentent tellement
démunis qu’ils vont tenter de « confier » le plus possible l’éducation
de leur enfant aux professionnels. Dans tous les cas, un nombre
important de réglages est à inventer au fur et à mesure du dévelop-
pement de leur enfant.

2 - Etre orthophoniste auprès d’enfants porteurs


de trisomie 21

O bligation de réfléchir sur le fossé qui nous sépare des familles,


des parents surtout : eux qui vivent et qui affrontent réellement le
séisme de l’annonce du handicap de leur enfant, et nous : nous qui
ne pouvons pas savoir ce que ça fait, qui ne pouvons que l’imaginer,
qui ne partageons pas la violence de ce vécu. Et pourtant, c’est vers
nous qu’on se tourne pour poser des questions, nous qui sommes
censés savoir : que va devenir cet enfant, que saura-t-il faire ou ne
pas faire, jusqu’où ira-t-il dans ses apprentissages, sera-t-il autonome
dans la vie ou non, saura-t-il lire et écrire, etc.

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Paradoxe. Nous qui ne voyons les choses que de l’extérieur, nous


devrions répondre à ce que seuls ceux qui vivent les choses de l’in-
térieur peuvent savoir. Car comme pour tout enfant, la manière dont
il va se développer et grandir nous est inconnue. Alors, de quoi
allons-nous parler avec les parents ?
Nous pouvons parler de la trisomie : oui, là nous en savons un
bout qu’ils ignorent peut-être. Cependant, parler d’une maladie
lorsque l’on a devant soi un enfant avec ses parents, on se rend vite
compte que ce n’est pas confortable du tout. Décrire à la famille les
répercussions de l’anomalie génétique sur le développement est une
entreprise fumeuse et souvent vaine : de qui parle-t-on ? Qui est
concerné par cette description ? On ne sait même pas en quoi cela
correspond ou non à l’enfant ici présent : il y a beaucoup trop de
variables interindividuelles. Alors il faut rapidement retourner à l’en-
fant lui-même : qui est-il, que sait-il faire ? Là, le professionnel est, au
départ, beaucoup moins au courant que la famille proche. Il va
devoir se laisser immerger peu à peu dans une réalité qu’il ignore :
celle qui concerne la façon toute personnelle et unique qu’ont cette
famille-là, cet enfant-là, d’appréhender ce handicap et de vivre avec
lui au quotidien.

Dans le cadre de la trisomie 21, l’action orthophonique s’installe


dans la durée. C’est un travail long, lent, patient, continu… et
confiant dans la mesure du possible, sachant que les épisodes d’es-
soufflement sont inévitables. Toute acquisition va, par définition, être
plus longue à développer et à fixer chez cet enfant. Le suivi dure en
général plus longtemps que pour la plupart des autres pathologies
traitées en orthophonie ; mais c’est surtout au quotidien de ce suivi
(et non seulement dans sa durée effective au fil des ans) que cette
nouvelle appréhension du temps doit être prise en compte et intégrée
par tout l’entourage de l’enfant porteur de trisomie. Nous en reparle-
rons plus loin.
Compte tenu des réactions très variées que peuvent manifester les
parents à l’égard de leur enfant, un premier travail consiste à les aider
à ajuster leurs attentes aux potentiels et capacités réels de leur
enfant ; sans chercher à se projeter dans l’avenir, sans anticiper. Car
si nous pouvons peu à peu nous forger une idée des capacités
actuelles de l’enfant, nous ne pouvons connaître, par contre, ce qu’il
va être à même de réaliser ou non dans l’avenir. Peut-être suggére-
rons-nous quelques alternatives, des variations, des réajustements
des attitudes parentales qui nous paraissent plus ou moins excessives
dans un sens ou dans l’autre. Pour ne pas bloquer des processus,

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pour en provoquer éventuellement de nouveaux, et tout cela sans


nuire à la relation qu’ils ont avec lui… ni remettre en cause leurs
choix fondamentaux – qui sont souvent bons, car adaptés à ce qu’ils
sont.
Nous devons cependant aussi faire face à la charge d’angoisse
bien naturelle qu’ils ont concernant le devenir de leur enfant, même
si nous ne pouvons répondre à tout. Que faire et comment être
parent lorsque notre enfant n’a pas les réactions que l’on attend d’un
enfant ordinaire ? Comment garder ses repères de parents « sains »
lorsque l’on sait que le chemin qui le mènera à une certaine auto-
nomie et à l’épanouissement personnel s’avère être totalement
inconnu, parsemé d’embûches et de pièges, et peut-être même
jamais accompli ? C’est une mission déjà souvent laborieuse avec un
jeune qui n’a pas de handicap, alors qu’en est-il avec un jeune qui
est porteur de trisomie ?
Les actes rééducatifs seuls sont une aide, mais sont dérisoires
lorsqu’il s’agit de répondre à une demande irréaliste de réparation :
que cet enfant ne soit plus (ou presque plus) trisomique. Nos actes
orthophoniques doivent rester adaptés à ce dont l’enfant est capable,
et non à ce que veulent de lui ses parents. Il arrive que ces objectifs
s’ajustent difficilement, ce qui contribue à laisser flotter, parfois à
long terme, un certain malaise.
Cela est d’autant plus compliqué que nous sommes nommés
ortho-phonistes : nous véhiculons donc une idée de rectitude, de
droiture autour de toutes les compétences liées au langage oral ou
écrit. Norme, droiture, correction… malheureusement, cette contes-
table nécessité de rectitude (dont les concours d’entrée dans les
écoles d’orthophonie justifient stupidement l’obsession), s’est glissée,
par la dénomination même de la profession, dans l’imaginaire du
public, et en particulier des parents, qui recherchent plus ou moins
consciemment le « réajustement » de leurs enfants chez les ortho-
phonistes. L’orthophoniste est censé connaître et transmettre ce qui
est correct et bien réalisé dans tous les domaines touchant au langage
oral et écrit, à la voix et à la communication.
En fait, l’acte orthophonique n’est pas une simple réaction profes-
sionnelle à une particularité observée chez l’enfant. Il se situe certes
sur la base d’une expérience professionnelle et de connaissances
théoriques, mais ne se réalise véritablement que dans la collabora-
tion, les échanges mis en place avec l’enfant et sa famille. L’action se
construit donc dans le temps et en articulation avec le patient. Plus
l’enfant est jeune, plus l’action à mener se fait avec et auprès des
parents. Plus l’enfant grandit, plus son autonomie lui permettra de

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prendre en charge lui-même son suivi orthophonique, hors du regard


parental direct. Un point ponctuel avec ses parents de temps en
temps devient suffisant. Cela peut être une étape essentielle, d’ail-
leurs, sur son chemin vers l’autonomie.
Donc, plus qu’un métier de rééducation, la mal nommée « ortho-
phonie » est un métier d’accompagnement et d’action, qui se base
sur une réactualisation permanente et immédiate de ses connais-
sances, dans chaque nouvelle situation qui se présente. Aucun
modèle rééducatif, ou de guidance, ou de suivi, n’est reproductible
d’une famille à l’autre, d’une situation à l’autre : il est nécessaire de
se débarrasser de toute idée préconçue, et d’éviter toute conclusion
rapide. Ne faire les choses que lorsqu’elles sont utiles et que le ter-
rain s’y prête. Il est nécessaire de se donner le temps de faire connais-
sance, d’observer longuement la situation avant de prendre une déci-
sion rééducative ou thérapeutique, quelle qu’elle soit. Et que ces
décisions soient, bien sûr, prises en accord avec la personne
concernée – et/ou ses parents quand elle est dans l’incapacité de le
faire seule. Dans un second temps : poursuivre un objectif réaliste et
bien adapté, dans un délai qui n’appartient qu’à la personne directe-
ment concernée. Ni plus, ni moins.
Enrichie de ce point de vue, l’orthophonie perd de sa raideur et
devient ce métier vivant et en constant renouvellement que nous
apprécions.
Par conséquent, devant la réalité du handicap de l’enfant et
devant le désarroi de ses parents, nous devons nous aussi, parfois,
nous confronter un instant à ce vide, cette sidération, cette paralysie
que peut provoquer en nous cette terrible hypothèse : et si nous-
mêmes avions conçu un enfant handicapé ? Qu’aurions-nous fait ?
Aurions-nous avorté ? L’aurions-nous gardé ? Où en sommes-nous de
notre propre ouverture face au handicap ?
Il faut en finir avec les discours qui ne rassurent, en fait, que celui
qui parle : « Ne vous inquiétez pas, votre enfant aura le même déve-
loppement que tous les autres, simplement c’est plus long, plus
lent. » Comme nous le disions plus haut, une telle affirmation est
trompeuse et ne porte que sur certains symptômes précis de la
maladie, mais non sur l’enfant qui deviendra adulte, porteur de tri-
somie 21. Ce discours est un déni de la différence majeure qu’il ne
faudra jamais cesser d’affronter, dans le souci d’apprendre à
connaître et de vivre avec les personnes qui présentent un handicap
mental.

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3 - Parents et orthophoniste face à l’enfant porteur


de trisomie 21

L e défi de l’attitude « juste » face au handicap est un défi que


nous partageons, parents et professionnels. Il est évidemment nette-
ment moins douloureux de relever ce défi pour l’orthophoniste (qui
a choisi de travailler avec des personnes handicapées mentales) que
pour le parent (qui est contraint de faire face, dans le cadre de l’inti-
mité familiale). Cependant, c’est un défi qui est compliqué pour tous
et qu’il n’est pas aisé d’éclairer complètement. Il met en jeu des élé-
ments très intimes de la personne.
Durant les premières années de prise en charge, le professionnel
est souvent amené à aider le parent à retrouver pleinement son iden-
tité de parent. On observe en effet que le handicap peut prendre une
telle ampleur dans l’image que les parents ont de leur enfant, que
c’est précisément le handicap qu’ils voient, et non plus l’enfant,
lorsqu’ils posent leur regard sur lui. Ce regard parasite leurs senti-
ments, leur attitude et leur comportement relationnel et éducatif à
l’égard de leur enfant. Nous souhaiterions parfois qu’ils puissent
transcender cette vision du handicap pour retrouver l’enfant et tisser
avec lui des liens qui soient les plus « normaux » possibles.
Mais qu’est-ce que cela veut dire ? En effet, l’attitude à avoir à
l’égard d’un enfant porteur d’un handicap est forcément « adaptée »
à ce handicap, c’est normal et nécessaire. Adapter le rythme des
échanges, adapter peut-être sa façon de parler, adapter ses attentes
en fonction de l’âge, adapter l’environnement peut-être aussi en
fonction du type de difficultés de l’enfant… Tout cela est forcément
beaucoup plus complexe qu’avec un enfant ordinaire – même si
l’éducation de ce dernier réserve aussi de nombreuses surprises. Le
parent se devrait donc d’être « naturel » dans sa capacité à
« s’adapter » à une situation inhabituelle. C’est probablement très dif-
ficile. Certains parents sont plus doués que d’autres. Beaucoup ont
besoin d’être accompagnés.
Nous avons plusieurs fois constaté que certains parents d’enfants
porteurs de trisomie, soucieux de bien faire, stimulent sans cesse leur
enfant, et ce dès le plus jeune âge : en le faisant sauter sur leurs
genoux, en le plaçant debout prématurément, en lui présentant mille
et un jouets, en le sollicitant à tout instant, en l’entraînant plus tard à
réciter son alphabet pendant le repas, en consultant spécialiste sur
spécialiste pour pallier tout éventuel « défaut » de développement…

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et ne laissant plus beaucoup de temps à l’enfant pour prendre une


quelconque initiative, ou avancer à son rythme. On observe égale-
ment l’attitude inverse : impressionnés par ce bébé plus calme et plus
dormeur qu’un autre, les parents peuvent le laisser seul trop souvent
et ne lui prodiguer qu’une attention minimale, sans oser chercher à
provoquer les contacts, les réactions, l’échange et le jeu. Parfois
lorsque l’enfant grandit, les parents ont tendance à adopter une atti-
tude directive, usant de formules à l’impératif, laissant peu de place
pour un véritable dialogue ; dans le souci d’être compris et simpli-
fiant au maximum leurs messages verbaux, ils utilisent des phrases
courtes, souvent sous forme d’ordres, en dirigeant au maximum
toutes les actions de leur enfant.
Bien sûr, nous nous devons de rappeler à ces parents que leur
enfant peut apprendre l’échange, qu’il a sa place à prendre dans un
dialogue, dans une prise d’initiative, dans des moments de décou-
verte qu’on lui laisserait le temps de faire seul. Que les parents peu-
vent faire avec lui ce qu’ils feraient avec un autre. Cependant, peut-
on demander aux parents d’être aussi « naturels » avec cet enfant
qu’avec les frères et sœurs non trisomiques, alors même que cet
enfant ne leur renvoie pas de façon évidente les stimuli dont eux,
parents, ont besoin pour se constituer et pour renforcer leur identité
de parents ? Le handicap de l’enfant exige des parents une capacité
d’adaptation hors du commun, et leurs réactions, si elles sont parfois
excessives dans un sens ou dans un autre, ont leur raison d’être et
participeront de toute façon au développement de leur enfant. Ils ont
besoin d’être rassurés contre l’angoisse de « ne pas faire ce qu’il
faut », d’être rassurés dans leur savoir-faire, et dans le fait que même
fortement déstabilisés, ils vont être capables de faire face aux parti-
cularités de leur enfant. Le fait de se sentir rassurés, d’ailleurs, peut
suffire à les amener à modifier des attitudes inappropriées, à décou-
vrir des capacités inattendues et à mieux mesurer les progrès de leur
enfant.
L’orthophoniste se trouve également dans une situation où il faut
à tout instant réadapter son action : il y a une différence entre ce que
l’on « pense qu’il serait bien de faire » (et qui est toujours bien décrit
dans les livres concernant l’éducation et la rééducation de l’enfant
porteur de trisomie 21), et ce que nous faisons effectivement avec la
famille. Pour les professionnels comme pour les parents, la réalité est
bien plus complexe que ce qui est décrit dans les livres. Face à une
difficulté notée (un bavage, une hypotonie bucco-linguo-faciale,
une dysphonie, un trouble d’articulation ou de parole, etc.), et
malgré notre appellation contenant un « ortho », la correction par la

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technique n’est souvent pas possible. Il va être constamment néces-


saire de chercher le bon moment, le bon espace pour que cet acte
puisse être accueilli et donc être efficace. Nous devons rester capa-
bles de changer sensiblement d’attitude et de projet en fonction des
réactions de l’enfant et de son entourage. Sans jamais perdre de vue
nos objectifs fondamentaux, évidemment.
En fait – et cela dépasse de loin la problématique de la trisomie –
l’orthophoniste se trouve fréquemment devant cette difficulté, quel
que soit l’âge ou la problématique du patient : il y a souvent bien des
enjeux inconnus entre la demande consciente de la personne (qu’il
s’agisse d’un patient adulte, d’un enfant ou du parent d’un enfant), et
les véritables « possibles » issus de cette rencontre avec le profes-
sionnel censé connaître les techniques nécessaires pour pallier le pro-
blème en question. Nous en reparlerons plus loin. Soulignons dès à
présent que le fait de consulter l’orthophoniste est une démarche
certes impliquée, un pas manifeste vers une demande de soin ; mais
cela ne suffit pas. D’ailleurs, même si cette demande semble claire,
précise et motivée, que le symptôme est définissable, la rééducation
aisée à programmer… la réussite thérapeutique n’est pas forcément au
rendez-vous pour autant. En effet, la démarche vers un changement
nécessite toujours une implication importante du patient – dans son
corps, mais aussi dans son identité et/ou dans divers aspects de sa vie.
Lorsque ce travail touche au corps et à la communication, une telle
implication exige d’être capable de prendre du recul, de dédramatiser
et, mieux encore, d’avoir le sens de l’humour ! Il arrive alors qu’il
faille ajourner un travail pourtant nécessaire. Ou le contourner.
Lorsque le problème concerne l’enfant très jeune, ce sont les attitudes
et les comportements des parents qui sont visés, puisque c’est surtout
par ses échanges avec eux que l’enfant va se forger de nouvelles com-
pétences. Or, les parents ont une telle implication émotionnelle et un
lien tellement unique avec celui-ci que le travail demandé peut leur
sembler tout simplement impossible. Par exemple, dans le cas de dif-
ficultés d’alimentation avec le tout-petit, une stimulation oro-faciale
peut être préconisée, « en jouant », précise-t-on même parfois, avant
ou pendant le repas. Il est parfois au-delà des forces d’un parent de
« jouer » alors que la prise des repas est source de tension et d’anxiété.
Autre exemple, avec un enfant plus grand, qui présente une incapa-
cité persistante à s’exprimer en langage oral. Il peut sembler vital de
préconiser l’introduction d’un support visuel ou gestuel à la commu-
nication. Or ce choix exige un travail important et continu de la part
de l’entourage proche, qui, parfois, n’en voit même pas vraiment le
sens. Le projet est alors naturellement abandonné.

24
Isabelle Ammann

Collection Guidances pour tous


Isabelle Ammann
Cet ouvrage invite le lecteur à réfléchir sur la
nature du handicap de l’enfant porteur de trisomie
21, à travers un regard d’othophoniste. Comment
aborder cet enfant, aborder sa famille, comment
leur apporter une aide adaptée à ce type de
handicap ?

L’auteur reprécise la nature de l’intervention


orthophonique auprès des enfants et de leurs
familles, dans le cadre d’un accompagnement qui
nécessite une coordination interdisciplinaire entre
professionnels.

Trisomie 21, approche orthophonique


Ainsi, nous découvrirons qu’au sein d’un travail
d’équipe indispensable, l’approche orthophonique
présente toute son originalité et ses subtilités.

L’auteur
Après avoir consacré la première partie de sa carrière à la
phoniatrie, au CHUV de Lausanne, en Suisse, Isabelle
Ammann se concentre aujourd’hui sur une problématique
tout autre : le travail orthophonique auprès des enfants
porteurs de trisomie 21. Elle rapporte ici l’essentiel de son
expérience de douze ans passés avec l’équipe du SESSAD La
Repères théoriques
Courte Echelle, au Mans.
et
conseils aux aidants

TRIS21

ISBN : 978-2-5327-0546-2 www.deboeck.com

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