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Espaces Temps

La science politique ou le contournement de l'objet


Monsieur Bernard Voutat

Résumé
Contre les tentatives visant à fonder l'objet de la discipline sur un domaine repérable dans la réalité, cette contribution propose
une conception qui saisit le politique comme objet problématique des sciences sociales. Il s'agit moins de s'interroger sur la
délimitation empirique que d'élaborer un point de vue pour construire le politique à partir des apports de l'anthropologie, de la
sociologie et de l'histoire. Dans cette perspective, le politique apparaît comme étant à la fois différencié en un espace de
pratiques spécialisé et immergé dans les logiques profondes du monde social.

Abstract
Contrary to the attempts which want to lay down the object of the discipline on a field that can be spotted in the reality, this
article proposes a conception which considers that politics is a problematic object in social science. The problem is less to think
of an empirical demarcation than to adopt a point of view that leads us to built the political dimension thanks to the benefits of
anthropology, sociology and history. At this prospect, it appears to be differentiated in an arena of specialized practices and
submerged in the deep logics of the social world.

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Voutat Bernard. La science politique ou le contournement de l'objet. In: Espaces Temps, 76-77, 2001. Repérages du politique.
Regards disciplinaires et approches de terrain. pp. 6-15;

doi : https://doi.org/10.3406/espat.2001.4159

https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_2001_num_76_1_4159

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Bernard Voutat

La science politique
ou le coiitouriiement de l'objet.

Contre les tentatives visant à fonder l'objet de la discipline sur un domaine repé-
rable dans la réalité, cette contribution propose une conception qui saisit le
politique comme objet problématique des sciences sociales. Il s'agit moins de
s'interroger sur la délimitation empirique que d'élaborer un point de vue pour construire
le politique à partir des apports de l'anthropologie, de la sociologie et de l'histoire.
Dans cette perspective, le politique apparaît comme étant à la fois différencié en
un espace de pratiques spécialisé et immergé dans les logiques profondes du
monde social.
Contrary to the attempts which want to lay down the object of the discipline on a
field that can be spotted in the reality, this article proposes a conception which
considers that politics is a problematic object in social science. The problem is less
to think of an empirical demarcation than to adopt a point of view that leads us
to built the political dimension thanks to the benefits of anthropology, sociology
and history. At this prospect, it appears to be differentiated in an arena of
specialized practices and submerged in the deep logics of the social world.
Bernard Voutat est politiste, enseignant à l'Université de Lausanne (Faculté des
sciences sociales et politiques).

EspacesTemps 76-77/2001, p. 6-15.


La science politique est une discipline paradoxale, ambiguë,
équivoque ; une discipline récente, floue dans ses contours
comme dans ses contenus, parfois même jugée "introuvable" à
ses débuts, dont l'existence suscite des débats théoriques récurrents
à propos de son objet et de son autonomie par rapport aux autres
sciences sociales. Revendiquée par ceux des politistes qui estiment La science politique est une
pouvoir fonder une science autonome du politique à partir de discipline floue, paradoxale,
l'identification d'un objet propre, empiriquement repérable, cette ambiguë, équivoque, parfois
existence est aussi régulièrement contestée par d'autres (politistes ou jugée "introuvable"
praticiens des sciences sociales) qui récusent pareille conception empi- à ses débuts.
riste à l'œuvre dans la délimitation des différents domaines
scientifiques. Alors que les uns affirment une identité disciplinaire forte,
dont la spécificité tiendrait à l'objet étudié, les autres, en revanche,
soulignent les difficultés, sinon même l'impossibilité1, à définir cet 1 Pierre Favre évoquait du reste à cet
objet et, par conséquent, à justifier l'autonomie même de la science égard l'échec fondamental qui, selon
lui, devait être constaté s'agissant des
politique. définitions multiples et contradictoires
Ces appréciations sont assez largement partagées et surgissent de de l'objet de la science politique
produites depuis le début des années
manière récurrente dans la littérature (notamment les manuels de 1950. Voir «Pierre Favre, "La question
base), même si les politistes en tirent des conséquences parfois de l'objet de la science politique a-t-
elle un sens ?", in Mélanges dédiés à
différentes. Ainsi, par exemple, Mattei Dogan estime que la science Robert Pelloux, Lyon : Hermès, 1980.
politique est probablement "la plus éclectique de toutes les sciences p. 124-141.
sociales"2, et il en diagnostique par ailleurs le morcellement. Il se 2 • Mattei Dogan, "Morcellement des
fonde en particulier sur la préface de l'ouvrage majeur de Greenstein sciences sociales et recomposition des
spécialités autour de la sociologie",
et Polsby3, dans lequel les deux éditeurs avouent leur embarras Revue internationale des sciences
devant l'éclatement et la diversité de la science politique. Mais il se sociales, n. 139, février 1994, p. 47.
3 «Fred Greenstein et Nelson
réfère également au politologue américain William Andrews4, pour W. Polsby, Handbook ofPolitical
qui l'existence de la science politique ne se justifie pas, du fait, Science, Reading (Mass.) Addison-
Wesley, 1975.

:
notamment, qu'elle n'a ni une méthodologie distincte ni un objet clairement 4 «Andrews William G., International
défini, lequel, de plus, est revendiqué par d'autres disciplines Handbook of Political Science,
(histoire politique, anthropologie politique, sociologie politique, London Greenwood Press, 1982.
:

géographie politique, philosophie politique, psychologie politique) pouvant


se prévaloir d'aborder les "questions politiques" dans leurs propres
cadres intellectuels.
À l'inverse, les directeurs du Traité de science politique jugent ces L'ambivalence des débats
griefs secondaires et invitent plutôt à prendre acte de la (relative) à propos de ce dont parle
réussite institutionnelle de la science politique et à considérer les la science politique introduit
travaux effectués sous son égide, quitte à accepter une définition large, une confusion entre la
conventionnelle et sans doute provisoire de son objet : "Nous réflexion théorique relative
n'éprouvons plus le besoin de définir longuement en quoi consiste la à la définition du politique
science politique, ni même de débattre de son intitulé, 'Science et celle qui concerne plus
politique', 'sciences politiques', 'science du politique'. L'idée qu'une spécifiquement la légitimité
discipline doit avoir une loi fondamentale, un objet construit et bien de l'organisation sociale des
identifiable et des frontières incontestables n'est plus aujourd'hui la connaissances scientifiques.
conception dominante de la science. Comme le rappelle Pierre Favre,
la notion de discipline n'a épistémologiquement pas de sens"5. 5 «Madeleine Grawitz, Jean Leca (éd.),
Ces débats à propos de ce dont parle la science politique sont Traité de science politique, Paris : PUF,
1985, vol. 1, "Introduction", p. XII.
ambivalents : ils se déploient sur un terrain théorique (qu'est-ce que
le "politique" ?) tout en ayant une finalité pratique, institutionnelle
(quelle place pour la science politique dans l'univers académique ?).
Et cette ambivalence marque durablement la discipline, non
seulement dans son contenu intellectuel, mais aussi en instituant une

La science politique ou le contournement de l'objet.


confusion relativement importante entre, d'un côté, la réflexion
théorique relative à la définition du politique et, de l'autre, celle qui
concerne plus spécifiquement la légitimité de l'organisation sociale,
c'est-à-dire académique, des connaissances scientifiques. Il en résulte
à nos yeux un certain hiatus entre, d'un côté, un contenu intellectuel
relativement flou, mais "légitime"6, et, de l'autre, une reconnaissance 6 Pour reprendre une expression de
institutionnelle certes encore marginale, mais bien réelle. • Pierre Favre, in "La connaissance
politique comme savoir légitime et
L'objectif de cette contribution est de revenir sur la question de comme savoir éclaté", Revue Française
l'objet de la science politique et les différentes manières de de Sociologie, vol. 24, 1983, p. 467-503.
l'envisager, pour proposer une réflexion qui, tout en récusant la pertinence
de la question, retient néanmoins diverses pistes pour construire le
politique comme objet problématique des sciences sociales.

Le repérage du politique : un enjeu intellectuel


et institutionnel.

L'institutionnalisation de la science politique comme discipline L'institutionnalisation de


reconnue dans l'univers académique n'allait pas de soi au lendemain la science politique comme
de la seconde guerre mondiale en Europe, mais a nécessité, à partir discipline reconnue dans
d'une impulsion extérieure de I'Unesco, un travail collectif l'univers a nécessité, à partir
considérable de légitimation. La discipline était alors considérée comme d'une impulsion extérieure
nouvelle. Il s'agissait de se démarquer du modèle des sciences politiques de I'Unesco, un travail
(où les "phénomènes politiques" étaient appréhendés dans le cadre collectif considérable
des disciplines constituées, droit, économie, histoire), pour de légitimation.
revendiquer l'autonomie de la science politique, revendication d'un singulier
donc, impliquant dès lors un travail de démarcation par rapport aux
autres sciences, qui s'est en partie appuyé sur la revendication, et 7 Sur cette mutation, qui s'opère entre
donc aussi la définition, d'un objet propre à la science politique7. Sans 1943 et 1946, et qui met
revenir ici de façon détaillée sur les nombreux débats qui ont principalement en jeu des professeurs de droit
public, voire de lettres, s'appuyant sur
ponctué l'histoire de la science politique quant à son objet8, on relèvera les perspectives institutionnelles
cependant que ceux-ci ont assez largement tourné autour d'une offertes par la nationalisation de
Sciences-Po, voir • Favre Pierre,
conception empiriste du découpage entre les différentes disciplines : Naissances de la science politique en
la science politique peut justifier son existence en la fondant sur celle France. 1870-1914, Paris Fayard,
1989, p. 314 sq. Pour la Suisse, voir
:

correspondante d'un objet empiriquement observable, qui lui est •Philippe Gottraux, Pierre-Antoine
spécifique et dont elle peut s'autoriser pour gagner ses titres Schorderet et Bernard Voutat, La
académiques, c'est-à-dire obtenir reconnaissance et statut en tant que science politique suisse à l'épreuve de
son histoire. Genèse, émergence et
discipline à part entière. institutionnalisation d'une discipline
C'est dans ce contexte que la question du repérage du politique doit scientifique, Lausanne Réalités
sociales, 2000.
:

être examinée. La notion le dit bien : il s'agit de poser des critères d'
observation de l'univers politique permettant de le localiser, de le délimiter 8 Outre le texte de Pierre Favre déjà
dans le monde social et de le spécifier — en tant que domaine, territoire, mentionné, on se bornera à signaler
deux classiques résumant cette
segment, portion, ... de la réalité - par rapport aux autres phénomènes problématique telle qu'elle se présentait
sociaux. Les divergences étaient importantes. Pour les uns (Marcel durant les années cinquante :
•Maurice Duverger, Méthodes de la
Prélot, par exemple), partisans d'une conception étroite du champ science politique, Paris : PUF, 1959 et
couvert par la science politique, l'objet se ramenait principalement à l'État. •Jean Meynaud, Introduction à la
science politique, Paris Armand Colin,
D'autres (comme Maurice Duverger), sans doute plus nombreux, et 1959.
:

principalement désireux de s'affranchir de cadres d'analyse propres au


droit public, se ralliaient, sous des contenus assez différents, à une
conception large, plus sociologique, définissant la science politique

Repérages du polique. Regards disciplinaires et approches de terrain.


comme science du pouvoir, de la structure d'autorité (selon une Les débats à propos
expression de Raymond Aron, reprise par Jean Meynaud) ou encore des de l'objet de la science
relations entre gouvernants et gouvernés dans la gestion des affaires politique se sont d'abord
publiques. Les premiers reprochaient aux seconds l'imprécision de leurs fondés sur une conception
définitions (et donc aussi celle de la science politique ainsi conçue), en empiriste de la délimitation
invoquant notamment le fait que le pouvoir n'est pas spécifique aux des domaines scientifiques.
phénomènes politiques, mais se manifeste — et serait donc réparable —
dans l'ensemble des rapports sociaux. Les seconds contestaient l'étroi-
tesse d'une définition trop empreinte selon eux des catégories
juridiques, et pouvaient dès lors accepter que la délimitation des sciences,
nécessaire pour des raisons de spécialisation, n'ait pas été absolue9. D'où 9 Cette opposition devrait
précisément le fait que cette opposition à propos de l'objet se combinait, certainement être nuancée, comme le relève
opportunément Daniel Gaxie, qui
là encore selon des variations nombreuses, à des débats sur le reproche aux partisans d'une
"domaine" couvert par la science politique, sur ses "frontières" avec les autres conception large de s'en tenir en réalité, dans
leurs écrits et dans les objets analysés,
sciences et donc aussi sur son degré d'autonomie à leur égard. à une définition restreinte. Voir
Certains, encore imprégnés du modèle des sciences politiques, • Daniel Gaxie, "Sur quelques
concepts fondamentaux de la science
étaient hostiles à l'idée même d'une science politique autonome et la politique", in Droit, institutions et
considéraient tout au plus comme une science-carrefour, c'est-à-dire systèmes politiques. Mélanges en
hommage à Maurice Duverger, Paris PUF,
au croisement de l'ensemble des sciences sociales qui, toutes, mais en 1987, p. 609-610.

:
fonction de la spécificité de chaque configuration disciplinaire, sont
conduites à aborder le problème du pouvoir. Proches de cette
conception, d'autres pouvaient voir dans la science politique une
science de synthèse, destinée à systématiser les connaissances sur les
phénomènes politiques développées dans les autres disciplines.
Enfin, de manière plus restrictive du côté des praticiens des autres
sciences humaines ou sociales, la science politique était pensée
comme une science résiduelle, traitant des aspects négligés par celles-
ci. Ainsi, par exemple, certains historiens traditionnels (rattachant leur L'institutionnalisation
métier aux archives) pouvaient sereinement abandonner à la science de la science politique,
politique l'"histoire du temps présent", c'est-à-dire l'étude du passé dans un premier temps,
immédiat. De même, certains spécialistes de droit attribuaient à la s'est réalisée sur la base
science politique le rôle d'analyse des phénomènes étrangers aux d'une définition plutôt
catégories juridiques d'analyse (partis, comportements politiques,...). conventionnelle et flexible
En fait, la position qui s'exprime progressivement chez les artisans de de ses frontières avec
l'institutionnalisation de la science politique combine ces différentes les autres disciplines.
dimensions pour légitimer l'existence d'une discipline nouvelle dans
l'univers académique, autonome et affranchie du modèle des sciences
politiques. L'institutionnalisation de la science politique, dans un
premier temps, s'est dès lors réalisée sur la base d'une définition plutôt
conventionnelle et flexible de ses frontières avec les autres
disciplines : la science politique répondrait aux nécessités de la
spécialisation scientifique en s'emparant d'un objet qui la place dès lors au
carrefour des autres sciences, mais avec une perspective de synthèse et
la promesse de traiter de phénomènes jusque là écartés de leurs
champs traditionnels d'investigation. Cet accord général se traduit du
reste dans la position exprimée par Madeleine Grawitz et Jean Leca et
permet sans doute à la discipline de se consolider institutionnelle-
ment, en suscitant des travaux sur les objets légitimement reconnus
comme politiques en son sein.

La science politique ou le contoumetnent de l'objet.


Limites et impasses.

La reconnaissance institutionnelle (certes relative) de la science Durant les années 1960-70,


politique ne clôt cependant pas le débat sur la question de son objet. les controverses entre
Durant les années 1960-70, les controverses entre différents différents paradigmes -
paradigmes - marxisme, systémisme, fonctionnalisme, principalement - marxisme, systémisme,
ont contribué à déplacer le questionnement à propos du "repérage" fonctionnalisme
du politique : il ne s'agissait plus tant d'identifier des critères principalement - ont contribué
d'observation et de délimitation d'un domaine de la réalité que de construire à déplacer le questionnement
des outils théoriques permettant de qualifier, penser et analyser le à propos du "repérage"
politique. C'est ainsi que se sont développés un ensemble de travaux du politique.
consacrés à la question du pouvoir (Qui gouverne ?), où s'opposaient
les théories élitistes, pluralistes et marxistes10, en désaccord sur la 10 Cf. par exemple «Pierre Birnbaum,
question des limites de l'univers politique dans le cadre d'un débat où Le pouvoir politique, Paris Dalloz,
1975 ; • La fin du politique, Paris

:
cet univers était tantôt retreint "à la partie visible de l'iceberg", tantôt Seuil, 1979.

:
étendu à l'ensemble des relations sociales en raison de leur dimension
fondamentalement conflictuelle.
Dans un article déjà ancien, précisément intitulé "Le repérage du
politique"11, Jean Leca proposait ainsi une réflexion destinée, à ses 11 «Jean Leca, "Le repérage du
yeux, à dépasser l'alternative entre les définitions restreintes de politique", Projet, n. 71, janvier 1973,
p. 11-24.
l'univers politique, réduisant celui-ci à une supposée essence, voire à celle
qui est socialement instituée, et les définitions larges, selon lesquelles
il n'y a pas de lieu politique en soi, puisque, en définitive, "tout est
politique". Si ce texte est marqué par les débats d'alors - aujourd'hui Il s'agit de poser une
obsolètes -, le problème soulevé reste globalement posé : la réflexion en vue de dépasser
définition du politique est un enjeu de lutte politique. Dès lors, si tout est l'alternative entre
potentiellement politique, c'est un rapport de force qui va déterminer une définition restreinte de
les frontières du politique. D'où la nécessité, selon Leca, d'identifier le l'univers politique, réduisant
critère permettant un repérage objectif du politique, et donc de celui-ci à celle qui est
qualifier certains faits comme politiques indépendamment des points de socialement instituée, et une
vue subjectifs mobilisés par les acteurs (et par ailleurs reproduits dans définition large selon
certaines constructions savantes). laquelle tout est politique.
Si Leca se rallie un peu abruptement et de manière fort critiquable
aujourd'hui à une conception fonctionnaliste (assimilant de façon
unilatérale le politique - l'État ? - à sa fonction de régulation de l'ordre
social), on peut néanmoins en retenir le message principal, qui
demeure actuel : la difficulté à repérer le politique tient à ce que ses
limites sont à géométrie variable, dès lors que ce repérage comporte
une dimension inévitablement subjective. En fait, cet univers institué
ou, comme le dit Pierre Bourdieu, cette "région du monde social",
plus que tout autre peut-être, "livre et impose sa propre
représentation d'elle-même"12. Les définitions restreintes reproduisent, voire 12 «Pierre Bourdieu, "Penser la
consolident les découpages pré-construits de l'univers politique, et politique", Actes de la Recherche en
Sciences Sociales, n. 71-72, p. 2-3.
restent donc captives des enjeux politiques de définition et de
délimitation de celui-ci. Les définitions larges diluent le politique dans le
social, sans considération de ses éventuelles spécificités. Dès lors,
pour dépasser cette alternative, il s'agit au fond de rompre avec les
catégorisations des acteurs, en intégrant dans l'objet même — le
politique - les luttes de définition, et donc aussi de classement du monde
social, à partir d'une démarche qui devra s'attacher à fonder sociolo-

10 Repérages du polique. Regards disciplinaires et approches de terrain.


giquement et historiquement \<e, politique. Là encore, Leca ouvrait une
piste générale : "Le politique naît de la tension entre le conflit et
l'intégration dans une société"13. 13 «Jean Leca, "Le repérage du
Autrement dit, le politique est à la fois un univers institué (un politique", op. cit. n. 11 p. 24.
espace de relations obéissant à des logiques en partie spécifiques et
dont les limites peuvent être un enjeu de luttes en son sein même) et "Le politique naît de
une dimension de toute vie en société, qui excède donc les frontières la tension entre le conflit
socialement reconnues de cet univers. Ces deux aspects devraient dès et l'intégration dans
lors être pensés ensemble pour éviter de reproduire dans la science une société" (Jean Leca).
les divisions du monde social (entre l'économique, le politique, le
social,...) et de verser dans l'objectivisme caractéristique de la
science politique qui, en considérant "la réalité politique comme un
univers spécifique, possédant en soi ses propres principes de
compréhension et d'explication"14, et en reprenant à son compte l'objet 14 •Bernard Lacroix, "Ordre politique
préconstruit que lui impose la réalité, se réduirait ainsi largement à et ordre social. Objectivisme, objectiva-
tion et analyse politique", it. Madeleine
rationaliser la compétence pratique des professionnels de la politique, à Grawitz et Jean Leca, Traité de science
en accroître l'efficacité et à la légitimer en lui donnant les apparences politique, op. cit. n. 5, p. 492.
de la scientificité15. 15 Cf. «Pierre Bourdieu, "Questions
Ces différents éléments ont largement nourri le débat en science de politique", Actes de la Recherche en
Sciences Sociales, n. 16, 1977, p. 87 ;
politique et certains paradigmes mobilisés à l'occasion - comme ceux • "La représentation politique'", Actes
évoqués par Leca, systémisme, fonctionnalisme ou marxisme - ont de la Recherche en Sciences Sociales,
n. 36-37, 1981, p. 6.
certes contribué à critiquer le repérage naïvement empirique du
politique, sans pour autant lever toutes les ambiguïtés inhérentes à des
définitions conduisant à l'extraire de la réalité sociale pour l'ériger en Les controverses examinées
objet - certes "construit" - de la science politique. établissent une confusion
entre deux problèmes qu'il
s'agit de distinguer, soit celui
Dépasser un faux débat. de la définition du politique
et celui de l'objet de
Il apparaît ainsi clairement que les problématiques évoquées plus la science politique.
haut établissent une confusion entre deux problèmes qu'il s'agit de
distinguer, soit celui de la définition du politique et celui de l'objet de
la science politique. Cette confusion apparaît notamment chez Pierre 16 On précisera que, pour Favre,
Favre qui, en constatant l'échec des politistes dans leurs multiples étudier l'histoire de la science politique
procède d'une préoccupation qui est
tentatives de définir l'objet de leur discipline, en conclut que celles-ci davantage épistémologique
n'ont en définitive pas de fondement épistémologique, mais que la qu'historique stricto sensu. Il s'agit en effet de
question peut être résolue empiriquement, en effectuant une histoire penser la discipline, à la façon de
Thomas Kuhn, en tant qu'institution
de la discipline : l'objet de la science politique, c'est au fond le construisant un espace problématique
domaine couvert par les travaux de science politique ; il se déduit de pour une communauté de chercheurs.
Et en ce sens, une telle étude peut
l'ensemble des objets particuliers appréhendés dans la discipline16. aussi être considérée comme un
On s'accordera certes avec Favre pour reconnaître que la notion instrument de la réflexivité scientifique,
de discipline n'a épistémologiquement pas de sens. L'idée, en effet, propre à dégager, comme l'indique
Pierre Bourdieu, "les présupposés qui
que l'on puisse découper la réalité en domaines spécifiques, justifiant sont inscrits au principe même des
dès lors une classification des sciences en unités indépendantes, ne entreprises scientifiques du passé et
que perpétue, souvent à l'état
résiste pas à l'examen du fonctionnement effectif de la science où les implicite, l'héritage scientifique collectif,
disciplines sont "à géométrie variable", sans frontières fixes et problèmes, concepts, méthodes ou
techniques". «Pierre Bourdieu, "La cause
définitives, où elles peuvent disparaître ou se recomposer selon des de la science. Comment l'histoire
principes différents et de surcroît s'emparer d'objets empiriques sociale des sciences sociales peut
identiques. Le prolongement critique de ce constat est connu : "On verrait servir le progrès de ces sciences", Actes
de la Recherche en Sciences Sociales,
les liens qui rattachent encore la sociologie savante aux catégories de n. 106-107, p. 3.

La science politique ou le contournement de l'objet. 11


la sociologie spontanée dans le fait qu'elle sacrifie souvent aux
classifications par domaines apparents, sociologie de la famille ou
sociologie du loisir, sociologie rurale ou sociologie urbaine, sociologie des
jeunes ou sociologie de la vieillesse. Plus généralement, c'est parce
qu'elle se représente la division scientifique du travail comme
partition réelle du réel que l'épistémologie empiriste conçoit les rapports
entre sciences voisines [...] comme conflits de frontière"17. 17 «Pierre Bourdieu, Jean-Claude
Les classifications empiristes des sciences soulèvent en effet des Chamboredon, Jean-Claude Passeron,
Le métier de sociologue, Paris,
problèmes insurmontables, comme le démontre bien le La Haye Mouton, 1983, p. 51-52.
raisonnement de Max Weber - parfaitement transposable à notre réflexion sur

:
le repérage du politique18 — à propos du domaine ou des 18 Ces développements s'inspirent
phénomènes susceptibles de relever d'une science "économiques et de «Max Weber, "L'objectivité de
la connaissance dans les sciences et
sociale". En commençant par rappeler que les faits (événements ou la politique sociales", in Essais sur
institutions) peuvent être qualifiés d'économiques selon qu'ils sont la théorie de la science, Paris Pion,
1992, p. 136-143.

:
économiques "au sens étroit" ou qu'ils sont "économiquement
importants" (par les effets qu'ils produisent) ou encore qu'ils sont
"conditionnés par l'économie"19, le sociologue allemand relève "que la 19 S'agissant du politique (notion
sphère des manifestations économiques est flottante et difficile à définie à partir de celle de groupement de
domination), Max Weber procède à
délimiter avec précision [...] et que le cercle de cette sorte d'objets - qui un raisonnement analogue, en
varie chaque fois avec la direction de notre intérêt - s'étend précisant que le cercle des objets politiques
comprend non seulement les activités
naturellement au travers de la totalité des phénomènes culturels [...], qu'il est de la direction administrative (activités
quasi illimité". Pour autant, ce constat n'autorise pas à conclure que politiques stricto sensu) et celles qui se
tout est économique, mais seulement que l'économique constitue déroulent sous son autorité (activités
politiques conditionnées d'après les
Y aspect de la vie en société (Weber parle aussi de prédicat permettant règlements du groupement), mais
de délimiter les problèmes) à travers lequel le chercheur envisage le aussi celles qui se rapportent au
groupement politique lui-même (activités
monde social (y compris dans sa dimension historique) ou, selon une orientées politiquement) et qui ont
formule plus consacrée, le point de vue sous l'angle duquel il pour objet de l'influencer, en
maintenant ou transformant les relations de
construit ses objets. Et l'auteur de préciser : "Ce ne sont pas les domination qui le constituent. Cf.
relations 'matérielles' des 'choses' qui constituent la base de la •Max Weber, Économie et société,
Paris Pion, 1995, p. 96-100.
délimitation des domaines du travail scientifique, mais les relations
:

conceptuelles des problèmes". Voilà une formule que Favre ne renierait sans 20 Encore que Favre ait, dans son
doute pas20, et qui tend à récuser la conception selon laquelle le article rédigé en 1980, formulé de
sérieuses réserves envers la pertinence
repérage du politique pourrait constituer un critère de délimitation de même de définir pour la science
l'objet de la science politique. Bien au contraire, l'objet empirique de politique un "état de choses fondamental",
position sur laquelle il revient
la discipline (comme pour la science économique et sociale), ce cependant de façon très nuancée dans une
serait l'ensemble de la réalité sociale, mais considérée d'une manière contribution plus récente, où il
spécifique, qui en fait voir un fragment. Par analogie, le raisonnement souligne la parenté entre les objets traités
par les politistes. Cf. «Pierre Favre,
weberien invite donc à penser (ou construire) le politique comme un "Retour à la question de l'objet ou
ensemble de pratiques empiriquement observables relativement à faut-il disqualifier la notion de
discipline ?", Politix, n. 29, 1995, p. 141-157.
une dimension de la vie en société - Weber parle d'"état de choses
fondamental" - limitant notre regard de politiste sur le monde social.
Au fond, comme le suggérait déjà la formule bien connue de Comme le rappelle Max
Saussure, le point de vue crée l'objet. Ce dernier ne se déduit donc Weber, ce ne sont pas
pas d'un repérage de la réalité. Il est le produit d'une élaboration les relations "matérielles"
théorique, à partir de laquelle seulement peut se déterminer un des "choses" qui constituent
espace d'observation et d'analyse. la base de la délimitation
Si, sous l'angle disciplinaire, l'objet de la science politique peut des domaines du travail
être déduit (ou plutôt décrit) à partir d'une recherche empirique énu- scientifique, mais
mérant, à un moment donné, la somme des objets (et des les relations conceptuelles
problématiques qui leur sont associées) mobilisant une communauté scienti- des problèmes.

12 Repérages du polique. Regards disciplinaires et approches de terrain.


fique, il reste que le politique peut être pensé comme objet
scientifiquement construit indépendamment de la façon dont il est analysé
par les spécialistes de science politique. Cela signifie, à nos yeux, que
l'affirmation selon laquelle la notion de discipline scientifique est sans
fondement épistémologique ne conduit pas logiquement à ne plus
concevoir le politique comme objet problématique des sciences
sociales dans leur ensemble.

Penser le politique comme objet problématique


des sciences sociales.

Considérée sous cet angle, la question du repérage du politique


prend une dimension différente. Il ne s'agit plus de fonder la
légitimité institutionnelle d'une discipline scientifique en lui assignant un
objet spécifique, ni non plus d'espérer constituer un cadre d'analyse
unitaire, homogène des phénomènes politiques, mais d'envisager
différentes perspectives de recherche et d'analyse pour penser le La voie est ainsi ouverte vers
politique. La voie est ainsi ouverte vers la diversification des points de la diversification des points
vue, l'élargissement des objets et, surtout, la transgression des de vue, l'élargissement
frontières académiques. Un constat semble dès lors s'imposer : "En un des objets et, surtout,
certain sens, toutes les sciences sociales traitent du politique ou doivent la transgression des
être convoquées pour traiter du politique", de sorte que, précise frontières académiques.
Bernard Pudal, "la science politique tient aussi sa légitimité des
disciplines extérieures pour l'essentiel à son univers"21. 21 «Bernard Pudal, "Science
En fait, l'autonomisation sur le plan institutionnel de la science politique : des objets canoniques
revisités", Sociétés Contemporaines, 1994,
politique - qu'il ne s'agit pas ici de contester, tant il est vrai n. 20, p. 6-7.
notamment qu'elle a contribué à désenclaver l'analyse politique des cadres
intellectuels relevant du droit public — repose, comme pour la science
économique, sur une "abstraction originaire, qui consiste à dissocier
une catégorie particulière de pratiques, ou une dimension
particulière de toute pratique, de l'ordre social dans lequel toute pratique est
immergée"22. Le problème est ainsi globalement posé et avait du reste 22 «Pierre Bourdieu, Les structures
déjà été souligné au cours des années 1960-70, dans différents sociales de l'économie, Paris Seuil,
Liber, 2000, p. 11.
:

manuels ou travaux reconnaissant le caractère hybride de la science


politique et justifiant dès lors le vocable de sociologie politique,
23 On pense en particulier aux
mieux à même d'inscrire la discipline dans le champ de ouvrages de «Maurice Duverger,
préoccupations des sciences sociales23. Du reste, Pierre Favre suggère également notamment Sociologie politique, Paris
PUF, 1966 et Sociologie de la politique,
:

qu'il faudrait abandonner "ce vieux terme de science politique [...] Paris PUF, 1973, ainsi qu'au manuel
hérité et chargé de sens, et qui soulève bien des difficultés"24. Cela de «Jean-Pierre Cot, Jean-Pierre
:

d'autant plus qu'une réelle "sociologisation" est à l'œuvre en science Mounier, Pour une sociologie
politique, Paris Seuil, 1974, qui a
politique, de même que s'y opère un "tournant historique", à la faveur largement contribué à inscrire une
:

notamment des travaux "constructivistes" se revendiquant de la socio- perspective sociologique dans la définition
même des orientations intellectuelles
histoire ou de l'histoire sociale du politique25. de la discipline.
Dès lors, n'y a-t-il pas, comme le suggère Jean-Baptiste Legrave, un
choix pour la science politique : "Consolider une discipline autoréfé- 24 Pierre Favre, "Retour à la question
de l'objet...", op. citn. 20., p. 157.
rencée qui penserait avoir suffisamment de travaux originaux pour
s'autonomiser ou participer à la construction d'une science sociale du 25 Sur la "sociologisation" de la
science politique, voir «Erik Neveu, "Les
politique qui plongerait ses racines dans la sociologie, l'histoire et manuels de science politique. Relève

La science politique ou le contoumement de l'objet. 13


l'anthropologie"26 ? Assurément, la seconde partie de l'alternative est
de génération et variations d'un genre
mieux à même de surmonter les apories des débats évoqués plus haut académique", in Pierre Favre et Jean-
à propos de l'objet de la science politique. À une question mal posée Baptiste Legavre (dir), Enseigner la
science politique, Paris : L'Harmattan
correspond un faux débat, avons-nous dit, qui pourrait être dépassé 1998, p. 63-123 ; sur le tournant
en mobilisant des problématiques permettant de mettre en historique, voir «Yves Deloye, Sociologie
perspective les différentes dimensions du politique historique du politique, Paris La
Découverte, 1997. Bien entendu,

:
On doit ainsi à l'anthropologie politique {on pense à Pierre Clastres, l'hybridation disciplinaire de la science
Georges Balandier, Maurice Godelier, pour n'en citer que quelques- politique repose sur un
renouvel ement considérable des problématiques
uns) de souligner la nécessité de distinguer le politique comme dans les sciences sociales depuis les
dimension universelle, inhérente à l'existence des sociétés humaines, et la années 1950, moment où la discipline
politique comme forme spécifique (ou "ordre") et ensemble de s'est autonomisée par rapport à elles.
La question des rapports entre les
médiations historiquement instituées27. Attentive à la variété des formes sciences se posent donc en science
d'organisations des sociétés, cette démarche permet alors de mettre en politique de manière très différente.
perspective les spécificités de l'ordre politique différencié sur lequel
nous faisons porter nos analyses, mais elle engage aussi à penser les 26 «Jean-Baptiste Legavre, "Comment
parler d'un objet canonique ? in Pierre
dimensions invariantes du politique, concevables par delà ses Favre et Jean-Baptiste Legavre, op. cit.
manifestations historiques singulières. Elle indique également que n. 25 , p. 123.
l'ensemble des activités spécialisées que cet ordre configure n'épuise pas 27 Pour une vue d'ensemble sur ces
le politique, qu'il s'agit au contraire de rendre compte des formes questions, voir notamment «François
politiques instituées, sans pour autant s'y limiter. Et comme le relève Marc Masnata, Le politique et la liberté.
Principes d 'anthtropologie politique,
Abelès, alors que "l'anthropologie a été conduite à penser le politique Paris L'Harmattan, 1992.

:
sans l'État [...]", elle nous enseigne aussi une pensée de l'imbrication,
prenant la mesure de "l'immersion du politique dans le corps social"28. 28 «Marc Abèles, Anthropologie de
D'où d'ailleurs le caractère fondamentalement ambivalent des l'État, Paris Armand Colin, 1990,
p. 114-116.

:
phénomènes de pouvoir : "Dans la mesure où [le pouvoir] s'appuie sur une
inégalité sociale plus ou moins accentuée, dans la mesure où il assure Ne faudrait-il pas
des privilèges à ses détenteurs, il est toujours, bien qu'à des degrés abandonner le terme de science
variables, soumis à contestation. Il est en même temps accepté (en tant politique et ouvrir la voie
que garant de l'ordre et de la sécurité), révéré (en raison de ses vers la diversification des
implications sacrées) et contesté (parce qu'il justifie et entretient l'inégalité). points de vue, l'élargissement
Tous les régimes politiques manifestent cette ambiguïté"29. des objets et, surtout,
Dans le prolongement, on doit également aux approches la transgression
socio-historiques du politique d'avoir mis en évidence les ressorts à l'œuvre des frontières académiques ?
dans les processus de construction sociale de l'univers politique et de
désencastrement de celui-ci par rapport aux autres sphères d'activités 29 «Georges Balandier, Anthropologie
politique, Paris PUF, 1967, p. 49.
sociales. Ces travaux ont ainsi rendu attentif à la nécessité de porter
:

un regard socio-génétique sur les conditions sociales par lesquelles 30 «Voir notamment «Michel Offerlé,
"Le nombre de voix", Actes de la
s'opère la division du travail politique entre professionnels et Recherche en Sciences Sociales, mars
profanes et sur les logiques de dépossession et de domination à l'œuvre 1988, n. 71/72, p. 5-21 ; «Alain
dans ces processus d'objectivation de la "réalité" politique. Ils ont par Garrigou, "Le secret de l'isoloir",
ibidem, p. 22-45 ; «Yves Deloye et
exemple renouvelé les connaissances sur les objets les plus consacrés Olivier Ihl, "Des voix pas comme les
en science politique, comme le vote, en l'appréhendant sous un angle autres. Votes blancs et votes nuls aux
élections législatives de 1881", Revue
a priori peu légitime : les travaux consacrés à l'isoloir, à la Française de Science Politique, vol.
représentation graphique des résultats électoraux ou encore aux fraudes 41, n. 2, avril 1991, p. 141-170 ;
• Daniel Gaxie (dir.), L'explication du
électorales ont ainsi largement contribué à remettre en perspective des vote, Paris : Presses de la Fondation
notions aussi communes dans la discipline que l'élection, la nationale des sciences politiques,
représentation, l'opinion, l'électorat ou le comportement politique30, et cela 1985.
en ouvrant un champ d'analyses et de problématiques inscrivant les 31 Selon un formule que nous
relations politiques contemporaines dans des structures sociales his- empruntons à Jean-Baptiste Legavre,
"Comment parler d'un objet
toricisées31. canonique ?, op. cit. n. 25, p. 122.

14 Repérages du polique. Regards disciplinaires et approches de terrain.


Ces questionnements anthropologiques et socio-historiques sont
bien entendu au cœur des travaux sociologiques consacrés au champ
politique et à ses transformations actuelles. Concevant ce dernier
comme un espace différencié et concurrentiel d'activités spécialisées,
orientées vers la conquête des pouvoirs d'État que permet la
représentation politique légitime32, ces travaux participent d'une critique 32 Pour une synthèse, voir •Christian
des catégories indigènes - parfois demi-savantes comme le relèvent de Montlibert, La domination
politique, Strasbourg Presses
les analyses de Patrick Champagne33 - à travers laquelle l'univers universitaires de Strasbourg, 1997.

:
politique est communément appréhendé. Attentives aux relations qui se 33 «Patrick Champagne, "Le cercle
nouent dans cet espace, de même qu'entre celui-ci et le corps social, politique. Usages sociaux des
ainsi qu'aux logiques d'institutionnalisation des règles du jeu qui s'y sondages et nouvel espace politique",
Actes de la recherche en sciences
objectivent, ces approches effacent les frontières académiques entre sociales, n. 71-72, p. 71-101.
sociologie politique et sociologie générale. En ce sens, si elles pensent
le politique comme un univers particulier, c'est aussi pour montrer Les regards croisés de
qu'il constitue une dimension particulière de toute pratique, deux l'anthropologie, de l'histoire
"particularités" toutefois qui doivent être rapportées aux rapports de et de la sociologie
forces qui se nouent dans l'espace social, considéré dans sa totalité. permettent de penser la tension
Cette problématique traduit en somme le fait que le politique ne se constitutive du politique en
comprend que comme "une forme objectivée des rapports sociaux" : tant qu'espace de pratiques
"différenciation de l'ordre des activités politiques d'une part, insertion différencié, mais en même
[...] de ces activités spécialisées dans l'ensemble des activités sociales temps immergé dans
d'autre part, la sociologie politique doit tenir compte de cette tension les logiques profondes
constitutive du politique"34. Et cela vaut bien entendu pour tous les du monde social.
objets classiques de la science politique, partis, élections, État, 34 «Jacques Lagroye, Sociologie
décision, politique publique, . . . , qui tout à la fois indiquent une politique, Paris Dalloz, Presses de la
FNSP, 1993, p. 129.

:
différenciation du politique en un espace de pratiques spécialisé et son
immersion dans les logiques profondes du monde social.

La science politique ou le contoumement de l'objet. 15

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