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PLAN DU COURS
Introduction
Axe 1 – L’explication des phénomènes politiques et régimes politiques
A. Explication des phénomènes politiques
1. Explication par les fonctions (en l’occurrence, régulatrice)
2. Explication par les conflits
3. Insuffisance d’une explication unilatérale
B. Les régimes politiques
1. Régimes dictatoriaux et régimes totalitaires
2. Les démocraties
Axe 2 – Partis politiques et participation politique
A. Les partis politiques
1. La notion de parti politique
2. Typologie des partis politiques
3. Fonctions des partis politiques
B. La participation politique
1. Les électeurs
2. Les militants
3. Les dirigeants politiques
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
Antonin Cohen & Al. (2015), Nouveau Manuel de Science Politique, Paris, La
Découverte.
Jean-Marie Denquin (2001), Introduction à la Science Politique, Paris, Hachette.
Pierre-Yves Baudot & Thomas Ribémont (dir.) (2010), Science Politique, Paris,
Foucher.
René-Gérard Schwarzenberg (1998), Sociologie Politique, Paris, Montchrestien.
Philippe Braud (2008), Sociologie politique, Paris, LGDJ.
Jean-Yves Dormagen & Daniel Mouchard (2007), Introduction à la science politique,
Bruxelles, De Boeck.
Sandrine Lefranc & Frédéric Lambert (2007), 50 fiches pour comprendre la science
politique, Paris, Bréal.
INFORMATIONS
La discipline sera dispensée sur la base d’un enseignement magistral de 25 heures. La
participation des étudiants sera nécessaire afin d’assimiler les enjeux de la matière.
L’évaluation se fera sur la base d’un contrôle continu puis d’un examen ordinaire. En cas de
non-validation, un rattrapage sera organisé.
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INTRODUCTION
Les développements qui ponctueront cette introduction s’inspirent de l’article de
Jean- Louis Loubet Bayle, « De la science politique »1 dont le mérite est de clarifier les
questions sur l’objet de la science politique, les controverses sur sa dénomination,
l’interrogation de sa scientificité et d’avertir tant les politologues que les apprentis
politologues de quelques dangers qui nous guettent.
De prime abord, la science politique peut être définie comme la discipline ayant pour
objectif l’étude scientifique des phénomènes politiques. Cette définition simple, en
apparence, est beaucoup moins claire qu’il n’y parait et soulève toute une série de questions.
C’est ainsi qu'une première incertitude apparaît lorsqu’on s’interroge sur ce qu’est un
phénomène politique. On s’aperçoit alors que le mot apparemment banal de politique n’a
pas une signification aussi évidente qu’on pourrait le penser. Il suffit par exemple de faire
varier l’article précédant le mot politique pour constater des glissements de sens qui
révèlent la polysémie de ce terme. Ainsi se révèle une première interrogation qui concerne
la définition de l’objet de la science politique.
En second lieu, on vient de le noter, l’intitulé de la discipline fait lui-même question,
aux yeux des observateurs extérieurs comme aux yeux des spécialistes de la discipline eux-
mêmes. En fait, ces débats sémantiques sont loin d’être sans enjeu et les flottements que l’on
constate en la matière renvoient, d’une part, à ce qu'a été l’histoire occidentale de la
réflexion politique et, d’autre part, à des incertitudes encore actuelles sur ce qu’est la
science politique, la méthodologie de ses recherches et sa place institutionnelle par rapport
aux autres disciplines intellectuelles et universitaires.
En troisième lieu, le terme de « science » – dans « science politique – appliqué à la
connaissance des phénomènes politiques est parfois contesté, si bien que c’est alors
l’existence de la science politique en tant que discipline « scientifique » qui se trouve mise en
question. Cette interrogation s’explique d’autant plus que le développement du discours
scientifique sur les phénomènes politiques se heurte à un certain nombre d’obstacles et
qu’un certain nombre de tentations menacent le spécialiste de science politique et sont
susceptibles de compromettre le caractère scientifique de son travail.
Cette interrogation parait tout à fait naturelle pour définir une discipline, en
délimitant le territoire dans lequel se développent les activités de la discipline considérée.
Comme le notait Marcel Prélot, en ouvrant le premier cours de doctorat dispensé après la
création, en 1956, du Diplôme d’Etudes Supérieures de Science Politique : « Dans chaque
ordre de réalité, il y a lieu de délimiter un domaine à explorer où la science qui s’y rapporte
réclamera l’exclusivité par rapport aux autres sciences qui l’entourent ». Pourtant, cette démarche
au premier abord banale ne fait pas l’unanimité dans le monde compliqué des politologues.
C’est ainsi que certains sont tentés de considérer que la réflexion sur la science politique en
terme d’objet ou de discipline serait sans intérêt en aboutissant à des simplifications
démenties par la complexité des faits et de la réalité. Si cette position est loin d’être sans
intérêt sur le plan intellectuel, en avançant des arguments qui méritent l’attention, elle paraît
beaucoup plus discutable sur le plan de l’opportunité et de la reconnaissance sociale et
institutionnelle de la discipline. D’ailleurs, l’argumentation même de ceux qui soutiennent ce
point de vue le reconnaît, dans la mesure où elle note que les contestations
épistémologiques n’épargnent pas les sciences dites exactes, ce qui n’empêche pas l’usage
pratique de ces notions et le fait que l’on ne confonde pas un physicien avec un géologue,
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même si les deux disciplines peuvent ne pas être sur certains points sans connexion. Il
semble pertinent d’agir de même en ce qui concerne la science politique, même si l’on sait –
et il est utile que l’on en est conscience – les limites intellectuelles de cette approche en
termes d’objet et de discipline. Cette prudence se justifie d’autant plus que, comme on l’a
noté précédemment, la signification du terme politique est ambiguë. Ainsi, suivant l’article
dont on le fait précéder, le mot ne désigne plus exactement la même chose : « une »
politique ne désigne pas exactement la même réalité que « la » politique et « la » politique
ne désigne pas le même objet que « le » politique.
Cette difficulté à définir l’objet de la science politique fut par exemple illustrée, en
1948, lorsqu'une conférence d'experts réunis par l’UNESCO pour discuter de cette question
n’aboutit qu’à une définition énumérative, distinguant quatre champs d’investigation : les
théories et les idées politiques – les institutions politiques – les partis, les groupes de
pression et l’opinion publique – les relations internationales. Si cette solution énumérative
est révélatrice de l’existence d’un certain nombre de difficultés, il faut néanmoins souligner
que les politologues ne s’en sont pas tenus à ce constat d’impuissance et que des tentatives
ont été faites pour donner de la politique une définition plus conceptuelle. En particulier, cet
effort s’est traduit pendant un temps par une controverse devenue classique entre tenants
de la science politique comme « science de l’État » et tenants de la science politique comme
« science du pouvoir », une controverse dont on ne peut pas ne pas rappeler les termes,
même si l’on considère qu'elle appartient au passé et ne permet pas de parvenir à une
solution pleinement satisfaisante du problème soulevé ici.
La première conception relativement classique et traditionnelle, qui a été fortement
influencée par les juristes, définit la science politique, en suivant l’exemple du Littré, comme
« la science du gouvernement des États ». La science politique serait la discipline qui étudie
les phénomènes relatifs à l’État. Cette définition est une définition à dominante juridique, car,
si la notion d’État comporte des éléments sociologiques — un territoire, une population —
elle insiste surtout sur l’idée que l’État est une organisation juridique, une personne morale,
exerçant un pouvoir souverain pour prendre des décisions s’imposant aux membres de la
collectivité étatique. En France, cette conception que l’on rencontre avant la seconde guerre
mondiale développée par les juristes et par certains sociologues, comme Georges Davy, a
surtout été illustrée après la 1945 par les écrits de Marcel Prélot. On la retrouve aussi chez
des auteurs comme le belge Jean Dabin. Ce point de vue n’a en revanche trouvé que peu
d’adeptes chez les auteurs anglo-saxons. À cette thèse de la science politique comme «
science de l’État » on reconnaît en général le mérite de la précision, dans la mesure où elle
renvoie à une réalité bien connue, celle de l’organisation des États modernes. Cependant,
cette approche, centrée sur la notion d’État, et sur son corollaire juridique la théorie de la
souveraineté, a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Tout d’abord, sa précision reste
relative car les frontières de l’État ne sont pas évidentes, particulièrement dans une période
qui a vu s’étendre les activités et les interventions de l’État dans la vie sociale et, en même
temps, contesté ses pouvoirs. Ensuite, et surtout, on reproche à cette définition de conduire
à une vision restrictive du politique en privilégiant ses aspects juridiques et institutionnels au
détriment de ses dimensions sociologiques, en oubliant qu’avant d’être des phénomènes
juridiques les phénomènes politiques entrent dans la catégorie plus générale des
phénomènes sociaux. Enfin, le caractère restrictif de cette approche se manifeste par son
orientation ethnocentrique, dans la mesure où elle exclut du champ de la science politique
des modes d’organisation politique qui n’ont pas atteint la complexité du modèle étatique
caractérisant les sociétés modernes. D’où, en face de la thèse « statologique », s’est affirmée
une autre conception de la science politique, d’inspiration souvent anglo-saxonne, envisagée
comme l’étude des phénomènes de pouvoir. La science politique devient alors la discipline
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consacrée à l’analyse des rapports d’autorité, de commandement, de gouvernement dans
quelque société que ce soit, et pas seulement dans le cadre de l’organisation étatique.
Cette conception de la science politique comme étude des phénomènes de pouvoir,
insiste fondamentalement sur les rapports inégalitaires gouvernants-gouvernes et que l’on a
trouvé particulièrement développée chez les politologues anglo-saxons comme Harold
Lasswell ou Robert Dahl, aussi bien que chez des auteurs français comme Raymond Aron,
Georges Burdeau, Bertrand de Jouvenel ou Maurice Duverger. Ainsi Robert Dahl a-t-il pu
définir un système politique « comme un ensemble persistant de rapports humains qui impliquent
dans une mesure significative des relations de pouvoir, de domination ou d’autorité ». L’intérêt de
cette conception est de souligner que la notion de pouvoir se retrouve dans la plupart des
groupes sociaux et que l’on rencontre dans tous les groupes sociaux des phénomènes qui ne
sont pas sans présenter d’assez fortes analogies avec ceux que l’on rencontre dans le cadre
de l’organisation étatique, avec la possibilité d’enrichir la connaissance des uns par la
connaissance des autres, et inversement. Dès lors, tout groupe humain comportant des
rapports de pouvoir relèverait de la catégorie des phénomènes politiques. Ceci étant, si la
thèse « statologique » est apparue restrictive, cette approche du politique par la notion de
pouvoir paraît exagérément extensive, car multiples sont les formes de pouvoir que l’on
rencontre dans la vie sociale. Ainsi du pouvoir du patron dans son entreprise, du chef
religieux dans son église, du professeur dans sa classe, pour ne citer que quelques exemples
parmi bien d’autres possibles. Il n’est pas jusqu’au groupe familial qui ne connaisse des
relations de pouvoir, entre mari et femme ou entre parents et enfants et même entre
enfants ! Dès lors le politique tend à se dissoudre dans le social et à perdre toute identité
spécifique.
Les deux approches qui viennent d’être évoquées se heurtent donc à des objections
d’une portée non négligeable. Ces objections sont tellement fondées que les tenants des
thèses antagonistes ont été obligés d’en tenir compte et d’amender la radicalité de leurs
positions. Ainsi Prélot qui, tout en maintenant sa référence à l’État, a été conduit à préciser
que la science politique doit s’étendre à la connaissance de « tout l’État », dans ses diverses
formes et dans ses diverses composantes, juridiques certes, mais aussi sociologiques. Il
ajoute en outre que la science politique ne saurait négliger l’étude de ce qui a précédé l’État
– les « phénomènes préétatiques » – l’étude de ce qui peut, dans certains cas, le remplacer –
les « phénomènes para-étatiques » – et enfin l’étude de ce qui peut éventuellement le
dépasser – les « phénomènes supra étatiques ». De même, les tenants de la science politique
comme science des phénomènes de pouvoir admettent que les formes les plus
perfectionnées et les plus complexes de pouvoir se situent dans le cadre de l’organisation
étatique. De fait, Duverger constate-t-il « que ceux qui définissent la politique comme la science
du pouvoir en général reconnaissent qu’il atteint dans l’État sa forme la plus achevée, son
organisation la plus complète et qu’on doit surtout l’étudier dans ce cadre; dans les autres sociétés
humaines il reste embryonnaire ». Cette controverse classique laisse donc le chercheur
insatisfait, dans la mesure où les concessions des tenants des deux thèses illustrent les limites
de leurs positions respectives. Cette impasse a conduit d’autres auteurs à se tourner vers
Max Weber et vers l’idée qu’il y a organisation politique d’une collectivité « lorsque son
existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un territoire
géographique déterminé par l’application ou la menace d’une contrainte physique de la part de la
direction administrative ». Cette définition fait apparaître comme éléments de référence la
notion d’organisation, celle de territoire et celle de contrainte physique, toutes notions qui
permettent de ne pas être enfermé dans la notion moderne d’État, tout en évitant de
tomber dans les excès liés à la définition par référence à l’idée de pouvoir sans autre
précision. Néanmoins, la référence au territoire peut être considérée comme un obstacle à
l’universalité de cette définition en excluant par exemple du champ du politique
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l’organisation de groupes nomades. Aussi certains auteurs préfèrent-ils évoquer la notion de
société globale. Ainsi de Jean Meynaud définissant la politique comme « les décisions
autoritaires qui assurent le fonctionnement de la société globale », position reprise par Jean
William Lapierre, qui relativise en outre la référence à la contrainte physique : « Nous
entendons par pouvoir politique la combinaison variable d’autorité légitime (recours au consensus) et
de puissance publique (recours à la coercition) qui rend certaines personnes ou certains groupes
capables de décider pour (et au nom de) la société globale et de commander à celle-ci afin de faire
exécuter les décisions prises ».
À partir de là, on peut retenir trois points principaux pour une approche du
politique:
- les phénomènes politiques concernent l’organisation des sociétés globales ;
- il y a phénomène politique lorsque l’organisation de la société considérée comporte
l’existence de processus décisionnels permettant la prise de décisions pour et au nom de
cette société ;
- il y a phénomène politique lorsque les décisions ainsi prises ont une valeur
obligatoire fondée soit sur une obéissance consentie soit sur la mise en œuvre de moyens
coercitifs pouvant aller jusqu’au recours à la contrainte physique.
Cette approche du politique conduit à poser un problème qui, lui aussi, est
controversé, celui de la fonction de ce mode d’organisation des sociétés. On peut ici
répondre, de façon générale, que la fonction du politique est de créer l’unité là où règnent la
diversité et les contradictions engendrées par cette diversité. D’une autre manière, on peut
dire que la fonction de l’organisation politique d’une société est de répondre aux besoins de
la collectivité, en assurant la coordination de la multiplicité des activités des individus et des
groupes qui constituent une société globale par des décisions engageant la totalité de la
société. Si un accord peut s’opérer concernant cette définition générale, il existe en
revanche de sensibles divergences sur la manière d’analyser la façon dont le pouvoir
politique assume cette fonction. Pour les uns, le pouvoir politique remplit cette fonction en
cherchant à satisfaire l’intérêt de tous, par delà la diversité des intérêts particuliers. Dans
cette perspective, le rôle du politique est d’assurer la primauté de ce que l’on appelle, selon
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les vocabulaires, l’intérêt général ou le bien commun, dont tous les membres de la société
sont en principe censés profiter.
Telle est la conception du politique qu’a développée la philosophie politique classique
depuis Aristote et que l’on retrouve dans la façon dont la pensée libérale conçoit par
exemple le rôle du pouvoir politique. Pour les autres, le pouvoir politique contribuerait
certes à résoudre les tensions et les contradictions collectives, mais il le ferait, non pas en
faisant triompher un illusoire intérêt général, mais en imposant des solutions qui satisfont
certains intérêts particuliers au détriment d’autres intérêts particuliers, qui avantagent
certains groupes sociaux au détriment d’autres groupes sociaux. Au lieu d’être un arbitre, le
pouvoir politique serait un instrument permettant à certaines parties de la société d’imposer
leur domination à d’autres. Telle est par exemple la thèse marxiste qui fait du pouvoir
politique un instrument et un enjeu de la lutte des classes. Après l’exposé de ces deux
thèses, il faut noter que, tout en étant excessives, elles comportent sans doute chacune une
part de vérité. C’est ainsi que si l’idéal est que le pouvoir politique soit effectivement
l’instrument de l’intérêt général s’imposant aux intérêts particuliers, les tenants de la
première thèse sont obligés de reconnaître que, dans la pratique, il n’en est pas toujours
ainsi et que le pouvoir politique est souvent menacé de faire le jeu d’intérêts particuliers plus
ou moins masqués. Inversement, les tenants les plus radicaux de la seconde thèse sont
obligés d’admettre que les pouvoirs les plus tyranniques remplissent néanmoins aussi des
fonctions d’intérêt général profitant à tous, comme celui d’assurer un minimum de sécurité
des personnes et des biens ou, plus prosaïquement, d’organiser par exemple la régulation de
la circulation automobile.
Ces controverses et leur relativisation conduisent à la conclusion que l’organisation
politique d’une société a sans doute toujours un caractère ambivalent, c’est-à-dire qu’elle
présente toujours plus ou moins deux aspects : d’une part, c’est un instrument permettant
de réaliser un certain ordre social et une certaine intégration de la collectivité pour assurer
un bien commun profitant à tous, et, d’autre part, c’est aussi un instrument de domination
qui peut permettre de favoriser certains groupes sociaux par rapport à d’autres, d’avantager
certains groupes sociaux par rapport à d’autres. Ceci étant, la proportion respective de l’un
et de l’autre de ces aspects est susceptible de varier très sensiblement selon les régimes
politiques, les époques, les sociétés, les circonstances. Cette ambivalence contribue d’ailleurs
à expliquer l’intensité des affrontements auxquels donne lieu la vie politique pour contrôler
et orienter les décisions du pouvoir politique.
Comme nous venons de le voir, la science politique est bien une science, précisément
une science humaine, qui tend à conquérir son autonomie et son identité scientifique. Mais
cette conquête qui a été difficile, reste toujours menacée par un certain nombre de
tentations que l’on ne peut ignorer, car elles peuvent compromettre le caractère scientifique
du travail du politologue.
La première tentation pouvant menacer le politologue, est « la tentation du discours
militant », c’est-à-dire la tentation de substituer au discours scientifique un discours orienté
vers la défense ou la promotion d’une cause politique, ce qui met en question la neutralité et
l’objectivité du discours scientifique. Il arrive en effet, que certains politologues se
comportent alors en militants politiques, l’exercice de la science politique constituant pour
eux, une forme d’engagement au service de la cause politique à laquelle ils sont attachés. Or,
on ne saurait confondre science politique et militantisme politique. De même, il ne faut pas
confondre : « faire » de la politique – au sens où nous l’avons vu précédemment –, ce n'est
pas « faire » de la science politique. Cette confusion peut être favorisée par la prétention de
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certaines doctrines politiques modernes à posséder un fondement scientifique et à ne pas
être seulement un ensemble de préférences normatives. Ainsi de la théorie marxiste de la
révolution et de la société sans classes qui ne se considérait pas comme la formulation d’une
philosophie politique mais comme l’expression d’une théorie scientifique.
La substitution du discours militant ou idéologique au discours scientifique prétend,
selon certains, trouver sa justification dans la difficulté d’évacuer toute dimension subjective
et toute perspective normative dans la recherche sur les phénomènes politiques, notamment
du fait de la prégnance de l’idéologie du milieu social auquel le chercheur appartient, qui
l’amènerait à légitimer par le discours scientifique les valeurs de celle-ci. De cette difficulté
on conclut alors que tout discours à prétention scientifique est en réalité un discours
idéologique qui se dissimule ou qui s’ignore, et qui de ce fait est d’autant plus pernicieux. En
conséquence, il n’existerait pas de discours scientifique neutre, tout discours étant en réalité
un discours « engagé », un discours « militant ». Dès lors, l’opposition entre discours
scientifique et discours idéologique ou militant n’aurait aucun sens. Bien que cette
argumentation se fonde sur des observations qui ne sont pas sans justifications, elle en tire
des conséquences erronées et trop radicales. En effet, ce n’est pas parce que l’idéal
scientifique d’une objectivité totale de la connaissance est sans doute un idéal impossible à
atteindre qu’il faut renoncer à tenter d’y parvenir. Cet idéal d’objectivité doit rester l’idéal
du chercheur, même si les difficultés pour l’atteindre sont évidentes.
Les remarques qui précèdent doivent également prévenir le chercheur contre une
autre tentation : la « tentation angélique ». Il s’agit de la tentation inverse de la tentation
précédente. Elle consiste à affirmer la pureté absolue du discours scientifique, en semblant
considérer qu’il est possible de parvenir sans difficulté à l’idéal de réalisme et d’objectivité,
en croyant à la possibilité d’arriver dans la recherche sur les phénomènes politiques à une «
scientificité » totale. C'est oublier que le chercheur n'est pas un pur esprit et que le
chercheur est un homme « situé », situé sociologiquement, historiquement,
intellectuellement. Il y a donc un conditionnement du savoir scientifique que l’on ne saurait
ignorer. Ce conditionnement est d’abord un conditionnement sociologique en fonction de
l’environnement social du politologue : le politologue d’un pays développé n’aura pas, par
exemple, les mêmes préoccupations que le politologue appartenant à un pays en voie de
développement. Ce conditionnement est aussi historique en fonction du moment où se situe
la constitution d’un savoir (par exemple, l’essor des travaux sur la notion de développement
politique durant la période de la décolonisation dans les années 1950- 60). Ce
conditionnement est également un conditionnement intellectuel en fonction de l’état de la
discipline au moment où se situe la recherche et, s’il y a des modes concernant les objets
étudiés, il y a aussi des modes intellectuelles concernant la manière de les étudier ou les
méthodes mises en œuvre pour le faire. Enfin, il existe un conditionnement personnel du
chercheur en fonction de son histoire individuelle, de ses expériences, des engagements et
des opinions qui peuvent être les siens. En somme, le chercheur ne doit pas faire l’économie
d’une réflexion critique sur les conditions dans lesquelles s’élabore son savoir. Ceci dit,
prendre lucidement conscience de ces conditionnements ne signifie pas capituler devant eux.
C’est, au contraire, en prendre la mesure pour mieux s’en libérer, tout en sachant que cette
libération pourrait ne pas être totale.
Une autre tentation est celle du « discours journalistique ». Ici, la tentation est celle
de s’en tenir à un discours plus ou moins superficiel et descriptif sur les réalités politiques,
nourri notamment des informations que les médias déversent à jet continu dans la société
nationale ou internationale. L’on se trouve là devant une tentation particulièrement
spécifique à la science politique, qui tend à lui donner une place à part parmi les autres
sciences sociales. Ce particularisme tient d’abord au fait que l’on vit de manière quasi
continue dans un univers politique ou politisé et que chacun fait, constamment ou quasi-
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constamment, directement ou indirectement, l’expérience de phénomènes politiques. Par
ailleurs, chacun dispose sur les phénomènes politiques d’une formidable masse
d’informations et d’interprétations auxquelles les médias donnent un accès quotidien, parfois
presque immédiat. Dès lors, chacun porte en lui un stock de connaissances politiques plus
ou moins étendues et un ensemble d’interprétations plus ou moins conscientes des
phénomènes politiques. On peut dire de ce fait que chacun est porteur d’un savoir politique
immédiat, et la tentation peut être grande de confondre ce savoir politique immédiat avec «
la » science politique, d’autant que ce savoir politique immédiat peut se réclamer des
évidences du bon sens ou de la caution de journalistes et commentateurs politiques plus ou
moins réputés. Sous sa forme universitaire, cette tentation prend souvent la forme de la
confusion de la science politique avec ce qu’il est convenu d’appeler la culture générale. La
science politique n’est pas le journalisme politique et son développement implique une
volonté de rupture brutale avec cette science politique spontanée et avec les pseudo-
évidences du sens commun. Ce n’est pas en lisant « L’Union », « Echo du nord », « La Loupe
» ou en suivant « Gabon 24 » que l’on devient politologue. La science politique suppose un
apprentissage au même titre que d’autres disciplines scientifiques, avec l’acquisition d'un
savoir spécifique, avec la maîtrise d’un langage spécifique, avec la mise en œuvre de
méthodes spécifiques. N’importe quel discours sur la politique n’est pas de ce fait, un
discours de science politique.
La tentation que l’on vient d’évoquer suscite parfois des réactions extrêmes se
traduisant par ce que l’on peut qualifier de tentation du discours ésotérique. C’est la
tentation qui consiste à vouloir affirmer et proclamer la « scientificité » de la science
politique par le recours à un discours qui, de façon plus ou moins délibérée, est en rupture
systématique avec le langage commun. Cette tentation, c’est donc la tentation d’affirmer la
spécificité de la science politique par une spécificité qui tend à donner un caractère quasi
initiatique à son discours en le rendant difficilement accessible aux non initiés. On a alors
affaire à des analyses qui usent et abusent d’un vocabulaire spécialisé qui n’est
compréhensible qu’à une minorité d'initiés, si ce n’est pas parfois qu’à leurs seuls utilisateurs.
Or, s’il est vrai que le développement d’une discipline scientifique suppose effectivement
l’apparition progressive d’un vocabulaire précis et spécifique, il n’en reste pas moins que le
vieil adage selon lequel « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » (Nicolas Boileau) garde
une part de sa vérité, même pour les politologues. L’obscurité d'un discours n’est donc pas
obligatoirement une garantie de son caractère scientifique.
Un autre risque auquel est exposé le politologue est aussi celui du « discours
simpliste ». Il faut garder à l’esprit que le but d’une science est de parvenir à l’explication des
phénomènes étudiés en établissant des relations entre ces phénomènes. Or, face à la
tentation du « discours simpliste », le risque est qu’une volonté démesurée d’arriver à une
compréhension claire de la réalité politique ne conduise à des schématisations
intellectuellement séduisantes par leur simplicité, mais peu conformes aux faits. Sur ce plan,
la tentation la plus typique est constituée par les théories explicatives fondée sur le schéma
d’un facteur dominant qui permettrait d’expliquer tous les aspects de la réalité sociale et
politique, en les ramenant à l’influence déterminante d’un type donné de phénomènes. Ainsi,
par exemple, des thèses de l’école du déterminisme géographique expliquant les
phénomènes politiques par l’influence déterminante des facteurs géographiques, ou les
interprétations du marxisme ramenant l’explication des phénomènes politiques à l’influence
déterminante de leur contexte socio-économique.
Enfin, l’on peut attirer l’attention sur la tentation scientiste qui surestime les
possibilités de la science politique en croyant que cette discipline puisse devenir une «
science de la politique », c’est-à-dire une science qui permettrait aux acteurs politiques de
déterminer scientifiquement leur comportement et leur action, en rendant par-là même,
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inutile toute réflexion philosophique sur les fins et les moyens de l’action politique. Cette
tentation est une illusion, et une illusion dangereuse. C’est d’abord une illusion en raison des
limites de la science politique qui ont été soulignées précédemment et qui tiennent à la
complexité des phénomènes politiques et à la part d’indétermination qu’ils comportent. La
tentation scientiste est donc à rejeter en rappelant que le politologue ne saurait se substituer
au philosophe politique ni au décideur politique. La science politique n’est pas en effet, la
philosophie politique, c’est-à-dire que sa vocation n’est pas de dire ce que doit être la
meilleure organisation politique, ou ce qui est le meilleur comportement politique dans tel
ou tel cas. La réflexion sur ces problèmes relève de la philosophie politique, même s’il est
vrai que les connaissances apportées par la science politique peuvent contribuer à éclairer la
signification et les conséquences de ces choix.
En mettant en garde contre l’illusion que représentent les explications simplistes de la
réalité politique et en évoquant les risques de dérives scientistes de la science politique, on a
entendu souligner les limites de la science politique. Certes, et nous l’avons dit plus haut,
cette prise de conscience ne saurait être interprétée comme une mise en question de son
importance et de son utilité. Au contraire, on ne peut qu’insister sur l’importance que
présente le développement de la connaissance des phénomènes politiques dans des sociétés
qui voient s’étendre le domaine du politique et se multiplier les aspects de la vie humaine
concernés par des décisions de nature politique. Jamais sans doute l’existence de chaque
individu n’a été influencée à ce point par le fonctionnement politique de la société et jamais
n’a donc été aussi utile l’analyse de ce fonctionnement. Ce, que ce soit pour permettre une
meilleure compréhension du monde qui nous entoure ou pour nourrir la réflexion
philosophique sur les réalités politiques et pour éclairer l’action des décideurs politiques. Les
limites réelles qui sont celles de la science politique, les difficultés qu’elle rencontre, les
résultats partiels, et parfois un peu décevants, auxquels elle parvient ne sauraient remettre
en cause le progrès de la connaissance qu’elle représente.
a. Principe
Si l’on adopte le point de vue du sens commun, une institution s’explique par son but.
En effet, l’explication des phénomènes politiques par les fonctions qu’ils remplissent est ce
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qui nous vient à l’esprit le plus facilement. Pour cause, lorsqu’on observe le « monde
politique », l’on voit des institutions (Gouvernement, parlement, etc.) avec, à leur
disposition, des moyens pour atteindre leurs buts (services publics, armée, police, etc.).
Chose assez remarquable : Parce que ces institutions passent toujours pour être utiles pour
la société – « elles ne déclarent jamais qu’elles ne servent à rien – l’on peut penser qu’elles
existent précisément pour accomplir « ce qu’elles accomplissent ». Ainsi, l’on peut penser
que la police existe forcément pour le maintien de l’ordre et que tout recrutement au sein
de la police obéît donc, à ce but.
Il est en effet, remarquable que les institutions justifient leur existence en décrivant
ce qu’elles font. Ainsi, un Gouvernement justifiera son existence par le rôle d’animation de la
vie collective qu’il remplit, la lutte contre la criminalité qu’il assure, le maintien de la paix
civile qu’il permet, etc. Cette explication fonctionnaliste – qui débouche sur un discours
auto-justificatif – fait que même quand le Gouvernement n’arrive pas à atteindre les buts par
lesquels il justifie son existence, les gens, plutôt de conclure qu’il ne sert à rien – son
inexistence est inutile – préfèrent conclure que ce sont les gouvernants qui ont mal fait leur
travail. C’est dire que les institutions sont pour les gens, des « principes idéaux censés
accomplir les fonctions qu’implique leur nom ». Elles ne sont jamais mauvaises. Ce sont toujours
ceux qui ont la charge de les diriger qui peuvent être jugés mauvais quand elles ne
remplissent pas leurs rôles. Il est difficile de ce point de vue, d’admettre qu’un
Gouvernement ne gouverne pas puisque comme son nom l’indique, un Gouvernement
gouverne. Les mots sont pris au pied de la lettre. C’est aussi pour cette raison qu’il est donc,
plus difficile de créer une institution que d’en supprimer une car le sens commun estimerait
qu’en supprimer, ce serait priver les gens d’un bien, un bien que seul ne peut remplir ladite
institution. Le monde paraîtra anormal en l’absence de cette institution. A tout cet égard,
vous pouvez noter toutes les difficultés qu’il y a pour certains pays africains, à supprimer le
Sénat alors même que dans la plupart d’entre eux, cette institution dont l’utilité est souvent
remise en cause, n’existait même pas il y a une vingtaine d’années. En dépit de ce qui
précède, il importe de souligner que les institutions politiques ont au moins une fonction
irréductible. Autrement dit, aucun mécanisme ne peut remplir cette fonction à la place. Il
s’agit en l’occurrence de celle de « dégager et mettre en œuvre les décisions collectives ».
b. La décision collective
Toutes les sociétés sont confrontées à des choix. Même les sociétés qualifiées de
primitives n’y échappent pas. En effet, à un moment donné de leur existence, ces sociétés
sont par exemple, amenées à décider s’il faut aller vers le nord ou le sud pour trouver du
gibier ou des plantes comestibles ; se déplacer ou pas pour échapper à une épidémie comme
Ebola ; etc. Les décisions collectives ne sont donc pas le seul fait des sociétés modernes.
Ceci dit, les mécanismes qui y conduisent apparaissent plus complexes. Ainsi par exemple,
quand dans les sociétés modernes, l’on est amené à se demander s’il faut choisir entre
l’organisation d’une CAN ou un meilleur développement du système éducatif et de santé ;
privilégier l’achat de nouvelles armes ou investir dans le social pour assurer la paix ; etc.
Bref, les sociétés modernes se trouvent souvent confrontées à des « questions concrètes »
qui appellent des « réponses concrètes ». D’où le besoin de recourir à la décision collective.
Confrontées à divers choix, les sociétés recourent en effet, à la décision collective
car si chacun fait comme bon lui semble, la société ne sera plus en réalité qu’une «
juxtaposition d’individus sans lien social ». L’idée est donc, de dégager une volonté unique à
l’égard d’un problème concernant la collectivité entière. Le résultat recherché en est une
volonté « expression de la société comme unité, éventuellement opposable aux volontés
individuelles ». Pour y arriver, les processus peuvent varier. Ainsi, par exemple, les décisions
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collectives peuvent être obtenues à l’issue d’un processus de palabre, réunissant des
individus qui discutent jusqu’à ce qu’une solution faisant l’unanimité soit trouvée. C’est le cas
dans certaines sociétés primitives. Si ce procédé a pour mérite d’éviter le recours à toute
forme de contrainte, il n’est cependant, viable que si la décision à prendre n’est pas urgente
(Ex : organisation d’un mariage qui a lieu dans quatre mois) et si les individus ayant droit au
chapitre de cette palabre, sont prêts au compromis (Ex : le chef de la collectivité et les
anciens). Dès lors que par exemple, l’une de ces conditions n’est plus réunie, la collectivité
pense naturellement à élaborer d’autres mécanismes pouvant aboutir à une décision
engageant la collectivité. De là, se pose alors, au moins deux questions :
- Comment obtenir une volonté « une » de la pluralité de volontés individuelles ?
- Comment imposer celle-ci à ceux qui ne s’y reconnaîtraient pas et ne voudraient
donc, pas s’y soumettre ?
c. Critiques
Cette analyse fonctionnaliste est cependant, périlleuse dans la mesure où elle tente
d’interpréter des phénomènes qui comme l’écrit Denquin, dans son Introduction à la science
politique, « s’expliquent par la combinaison d’un hasard historique et de l’inertie propre aux choses
humaines ». L’analyse fonctionnaliste a en effet, ceci de limitatif qu’elle se borne à constater –
les fonctions – plutôt qu’à expliquer la véritable raison d’être des choses. Or, qu’elle ait été
instituée en vue d’un but précis ou sous la contrainte de données conjoncturelles, une
institution pourrait durer simplement, comme souligné précédemment au sujet du Sénat,
parce qu’il est plus simple de laisser les choses en l’état que de les faire disparaître et/ou les
modifier. C’est donc, une des premières critiques faites à cette approche par les fonctions.
A ce qui précède, s’ajoutent d’autres critiques accusant l’analyse fonctionnaliste de «
déformer la réalité » et de justifier l’ordre existant étant entendu qu’elle « se borne en effet,
à constater l’état des phénomènes, sans faire l’hypothèse que ceux-ci pourraient être autres
qu’ils ne sont ». Ces critiques sont entre autres, celles des partisans du changement social
qui « considèrent volontiers le fonctionnalisme comme une idéologie camouflée », une
explication scientifique au service du conservatisme. Ce, d’autant que l’analyse des
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phénomènes en termes de fonctions occulte une dimension fondamentale des sociétés
humaines, savoir : la dimension conflictuelle.
Si dans la société, chaque chose a sa fonction et partant, concourt au bien social, d’où
viennent les mécontentements des acteurs sociaux, leurs rivalités ou leurs affrontements ?
Eu égard aux lacunes de l’explication des phénomènes politiques en termes de fonction, ne
vaut-il pas mieux, pour comprendre les sociétés humaines – en l’occurrence dans leur
dimension politique – les expliquer par les conflits, c’est-à-dire partir du désordre plutôt que
de l’ordre pour les saisir ?
L’idée, certes paradoxale, d’une explication des phénomènes politiques par les
conflits nous est suggérée par les limites que comporte l’explication fonctionnaliste.
a. Principe
Expliquer les phénomènes politiques par les conflits plutôt que par les fonctions –
manifestes ou latentes – qui leur sont trouvées, heurte de prime abord, le sens commun.
Ceci dit, elle n’en est pas moins popularisée dans la mesure où elle est « politiquement
satisfaisante pour ses partisans ». Il peut en effet, paraître paradoxal d’expliquer les
phénomènes politiques par les fonctions qu’ils remplissent plutôt que par des conflits. Pour
cause, l’on pense tout de suite au fait par exemple, qu’un affrontement entre forces
antagonistes ne peut être qu’un évènement destructeur, une perte. Dans ce cas, comment
penser que cet affrontement entre forces antagonistes puissent constituer ne serait-ce qu’un
seul instant, l’élément fondateur d’une institution ? S’il est admis, selon l’explication
fonctionnaliste, que l’institution est un fait positif, il est aussi admis que les conflits sont des
faits négatifs. Dès lors, comment saisir le réel à partir d’un conflit ?
Si l’on se place d’un point de vue partisan – c’est-à-dire celui des individus se trouvant
engagés dans une lutte et pensant la société sous l’angle de celle-ci – force est de constater
que les « difficultés se changent en avantage ». Pour cause, le partisan valorise tout ce qui
l’oppose à l’adversaire au point où il élève au rang de « valeur », les phénomènes qui le
servent dans sa lutte. De ce point de vue également, il soupçonne tout ce qui le gène comme
instrument au service de l’ennemi. De ce fait, il cherchera à démontrer que tout ce qui
obstrue sa lutte résulte de la volonté de nuisance de l’adversaire. En somme, pour celui qui a
un point de vue partisan, le conflit dans lequel il est engagé (conflit entre la classe à laquelle il
appartient et la classe adverse ; conflit entre les sexes ; conflits entre la SEEG et les
consommateurs ; etc.) constitue la clé du passé et du présent, l’unique principe d’explication
de l’histoire et de la société. Ainsi, Pour Karl Marx, la lutte des classes constituait le principe
d’explication des phénomènes politiques.
b. Critiques
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permettant d’aboutir à une volonté une s’imposant à tous et que l’on pourra faire exécuter y
compris par ceux-là qui ne se reconnaitraient pas en la décision collective ainsi obtenue.
Sachant que l’existence de classes est antérieure à la lutte des classes, l’on voit que
l’explication par les « conflits ne permet pas de contourner la nécessité de mécanismes
susceptibles de dégager des choix collectifs ». En conséquence de quoi, le « rôle des conflits
dans la genèse des institutions ne saurait être, dans la meilleure des hypothèses, que subsidiaire »,
c’est-à-dire secondaire.
C’est le cas des fonctions de commandement qui engendre au sein d’une société
globale ou d’un groupe spécialisé, des rivalités. Comme abordé plus haut, les détenteurs du
pouvoir ont la légitimité de prendre des décisions pour et au nom de la collectivité toute
entière. Cependant, ces décisions collectives peuvent engendrer des conflits à partir du
moment où, certains ne se reconnaissant pas en elles, refusent de s’y soumettre. Pour cause,
la décision collective ne signifie pas l’absence de mécontentements de certains individus.
Avant d’aller plus loin dans la présentation des régimes politiques, l’on peut se
demander ce qu’est un régime politique – pour éviter la confusion avec un « système
politique » –, et si tous les régimes sont politiques. N’existe-t-il pas ou n’y a-t-il pas existé
des régimes apolitiques ? Si oui, comment un régime devient politique ?
Selon le Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, la notion de
régime politique « rend compte de la manière spécifique dont sont organisés les pouvoirs publics,
c’est-à-dire de leur mode de désignation, de leurs compétences respectives et des règles juridiques et
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politiques qui gouvernent leurs rapports. Cette notion doit être distinguée du concept plus large, de
système politique qui inclut non seulement l’organisation constitutionnelle des gouvernants mais aussi
d’autres acteurs et d’autres processus tels que, par exemple, le régime des partis, les libertés
publiques et les médias, les mécanismes de socialisation politique des citoyens, etc ». Il est possible
d’envisager plusieurs régimes dans un même système.
Si tous les régimes présentent des aspects politiques, ils ne peuvent pas pour autant,
être tous qualifiés de régimes politiques. Pour des auteurs comme Denquin, le passage de
l’apolitisme à la politique s’opère à partir de l’affirmation d’une opinion publique. Ce, dans la
mesure où ce phénomène entraîne la disparition de la dichotomie caractérisant les régimes
apolitiques. En effet, dans les régimes dits « apolitiques », seule « une infime minorité pense
en termes politique » tandis que la grande majorité « tient le système politique et social pour
une donnée de nature », transcendant leur volonté au même titre que les tremblements de
terre ou les tsunamis. Cette grande majorité ne parle pas de politique, puisqu’elle estime les
sujets y relatifs, réservés aux grands seigneurs, ceux appartenant au « cercle dirigeant ». De
là, l’idée de changer de souverain « est aussi inimaginable que celle de changer de père » en
raison de la relation affective qu’elle entretient avec les détenteurs du pouvoir politique.
Comme le père que l’enfant ne choisit pas, ainsi apparaît le souverain à leur conscience.
Cette frontière disparait avec l’émergence d’une opinion publique. En effet, dès
l’émergence d’une opinion publique, même si l’ensemble de la collectivité ne s’intéresse pas
forcément à la politique, il est notable que la formation d’une opinion publique se manifeste
dans un cercle désormais beaucoup plus large que le « cercle dirigeant ». Les affaires
publiques ne sont plus regardées comme le monopole légitime des gouvernants. Bien au
contraire, au-delà du cercle dirigeant, les actes du pouvoir sont examinés et jugés, et des
alternatives pensées. L’une des conséquences est que les dirigeants peuvent être soutenus
ou censurés par cette opinion publique.
L’on peut distinguer deux processus possibles dans ce passage de l’apolitisme à la
politique. Le premier se manifeste par une « évolution » (Ex : en Grande-Bretagne) tandis
que le second, par une « révolution » (Ex : en France). Dans l’un comme dans l’autre cas,
l’apparition d’une opinion publique entraîne l’instauration d’un gouvernement d’opinion,
c’est-à-dire un gouvernement dont les grandes lignes reflètent les « sentiments de la majorité
du peuple […] Ce gouvernement est par essence politique puisque l’opinion peut changer et que les
gouvernants ne se maintiennent au pouvoir qu’en conservant son appui. C’est donc un
gouvernement démocratique ».
L’on pourrait être tenté de dire alors qu’un régime est, soit apolitique, soit
démocratique quand il passe de l’apolitisme à la politique vu que c’est l’émergence d’une
opinion publique qui fonde ce passage. Cependant, nous savons qu’il n’en est rien. En effet, si
tous les régimes modernes sont politiques, ils ne sont pas pour autant, tous démocratiques.
A côté, l’on peut identifier les régimes dictatoriaux et les régimes totalitaires.
« Par des procédés variés, inégalement violents, inégalement élaborés sur le plan intellectuel
», les dictatures et totalitarismes modernes « prétendent démontrer qu’ils ne peuvent être autres
que ce qu’ils sont. Ni la personne de leurs dirigeants ni les principes sur lesquels ils reposent ne
sauraient être modifiés, et les gouvernés n’ont donc à priori aucun droit à intervenir dans leurs
propres affaires », ce qui laisse penser que l’objectif de tels régimes est de restaurer
l’apolitisme de jadis où les gouvernés n’avaient aucune opinion publique et où seul, un
groupe restreint de dirigeants pouvaient avoir intérêt à un changement politique. Toutefois,
la grande majorité des citoyens – impuissante mais pas abusée –, ne doute pas du caractère
politique des dictatures et des totalitarismes.
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a. Les dictatures
Notons que l’on peut distinguer entre plusieurs types de dictatures. Duverger
distingue les dictatures « techniques » des dictatures « sociologiques ». Les dictatures «
techniques » ne correspondent à aucune mutation du corps social et se plaquent comme un
parasite, sur lui. « Elles naissent beaucoup moins d’une crise sociale que de l’ambition, de la volonté
de puissance animant un clan, qui dispose des moyens techniques propres à la prise du pouvoir ».
Quant aux dictatures « sociologiques », elles sont engendrées par une crise des structures
sociales. L’Allemagne des années 1930 illustre ce type avec la dictature hitlérienne qui s’était
appuyée sur la crise des structures socio-économiques que connut la société allemande au
sortir de la défaite de 1918, l’appauvrissement des classes moyennes et l’accroissement du
chômage, etc.
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Les dictatures sociologiques peuvent être à leur tour, « révolutionnaires » ou «
réactionnaires ». Selon Roger-Gérard Schwarzenberg, elles sont dites révolutionnaires
lorsqu’elles « visent à promouvoir un ordre social nouveau en s’appuyant sur les classes
défavorisées » et réactionnaires – ou encore, conservatrices – lorsqu’elles « visent à
maintenir l’ordre social établi en s’appuyant sur les classes privilégiées ». Cependant, cette
distinction n’est pas toujours aisée vu que certains régimes comportent aussi bien des traits
« progressistes » que des traits « conservateurs ».
Un autre type de distinction dissocie les dictatures « civiles » des dictatures «
militaires ». Les civiles se distinguent généralement par l’existence d’un parti unique qui vide
de sens le régime dans la mesure où les dirigeants concentrent tous les pouvoirs. Les
dictatures civiles se dissimulent toutefois, « derrière la façade constitutionnelle d’un régime
démocratique (parlement, élections, etc.) ». Ce, contrairement aux dictatures militaires qui
par exemple, suppriment ou mettent en vacance les parlements, neutralisent les partis et les
élections n’ont plus lieu, etc. Dictature militaire ne signifie pas pour autant, que c’est l’armée
qui est au pouvoir. Souvent, en effet, elle « intervient par défaut. Non par volonté d’établir le
pouvoir militaire comme tel, mais pour pallier les carences des civils qui ne parviennent plus à
gouverner ou à faire participer la population au processus politique ».
L’on peut s’arrêter sur un autre type de distinction dissociant dictatures «
personnelles » et dictatures « fondées sur un projet » comme nous le propose Denquin. Les
dictatures personnelles se définissent par « l’absence totale ou quasi-totale de justification au
règne d’un individu ou d’un clan : ce sont des pouvoirs de fait ». Contrairement à la monarchie
qui suppose une légitimité admise par la population en raison d’une tradition immémoriale, «
[…] Dans le cadre d’une dictature personnelle, le dictateur n’a pas hérité du pouvoir. Il l’a conquis
par la violence et le conserve par la répression. L’origine du pouvoir est généralement un coup d’Etat
». Parfois, le dictateur parvient légalement au pouvoir mais se libère de toute légalité en
s’émancipant de toutes limitations juridiques pour imposer son pouvoir personnel. Les
illustrations sont nombreuses.
A contrario, les dictatures fondées sur un projet se déclarent « au service d’une
cause » qui les dépasse et les légitime. Cette cause est présentée comme une cause sacrée
pour justifier les moyens employer et disqualifier à l’avance toute opposition. Tout cela, de
sorte que le pouvoir qui en est présenté comme l’émanation nécessaire ne puisse être
remise en cause. L’on pourrait parler dans ce cadre d’une dictature de salut public, ce qui
correspond à la magistrature suprême qu’exerçait le dictateur romain lequel était présenté,
comme souligné plus haut, comme un « sauveur providentiel ». C’est dire que dans cette
perspective, la fibre nationale est beaucoup sollicitée, la cohésion du pays mise en avant, la
fierté nationale sans cesse rappelée, etc., pour rendre acceptable ce que l’individu
n’accepterait pas en temps normal. L’objectif peut être la conservation de l’état social
existant « mais peut être aussi la subversion de celui-ci ».
b. Les totalitarismes
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Le totalitarisme se caractérise par une articulation entre la valorisation de la
nouveauté et des ressorts archaïques, ainsi que par une très forte dimension idéologique.
Le totalitarisme suppose des idées nouvelles, le rêve d’une domination totale
devant engendrer une transformation radicale de la société. Le totalitarisme
suppose aussi, la maîtrise des technologies modernes (armes de destruction
massive, moyens de communication et de surveillance, etc.) pouvant faciliter la
concrétisation du rêve poursuivi par ce régime. L’on comprend pourquoi
plusieurs auteurs à l’instar d’Arendt, classent le nazisme et le communisme
dans cette catégorie de régime. A côté de la valorisation d’idées nouvelles, le
totalitarisme fait appel aux instincts les plus archaïques. Ainsi, par exemple,
dans l’Allemagne nazie, l’obsession de la pureté du sang supposée caractériser
la race aryenne, déterminait le sort des individus. Par ailleurs, le pouvoir
hitlérien excitait à la haine envers certains groupes comme les Juifs et les
Tziganes, considérés comme expulsés de l’humanité et jugés dignes d’être
exterminés.
Le totalitarisme se caractérise par ailleurs, par l’existence d’une puissante
force unificatrice qu’est l’idéologie, cette doctrine qui se définit elle-même
comme scientifique et qui est sensée inspirer et justifier la conduite des
dirigeants dans un régime totalitaire. En principe, il s’agit d’un instrument
manipulé par les gouvernants qui y recourent au gré de leurs intérêts
conjoncturels. A l’observation des exemples nazis et communistes, plusieurs
traits communs ont pu être trouvés aux idéologie totalitaires :
- Elle est d’abord un mythe de salut accessible en ce monde ;
- Il est interdit de réviser l’idéologie. Vu qu’elle n’est pas un savoir
quelconque, elle ne peut en effet, ni être révisée ni être contestée. Ainsi, non
seulement ses ennemis n’ont pas droit à la parole mais même ceux qui se
réclament d’elles ne peuvent la modifier (totalement absurde sur le plan
scientifique) ;
- L’idéologie est un facteur de politisation conduisant à qualifier
politiquement des phénomènes normalement exclus de la sphère politique
comme l’art ou la science. L’idéologie politise tout pour donner au pouvoir le
droit d’agir en tous les domaines.
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ou supposés. Les ennemis sont parqués dans des champs de concentration. Pour arriver à
ses fins, les gouvernants de régimes totalitaires n’hésitent pas à s’en prendre à leurs propres
serviteurs, le présentant comme visant à éliminer des traitres, des éléments suspects de
crimes idéologiques.
C’est également une analyse similaire que nous livrent Carl Joachim Friedrich et
Zbigniew Brzezinski qui définissent le totalitarisme par la réunion de six critères :
i. Une idéologie imposée et que l’on ne peut critiquer ;
ii. Un parti unique ;
iii. La terreur exercée par la police secrète ;
iv. Le monopole des communications ;
v. Le monopole des armes, et ;
vi. La centralisation de l’économie.
2. Les démocraties
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- Gouvernement par le peuple : C’est dans cette troisième expression que se trouve
la signification distinctive de la définition de la démocratie comme « gouvernement du peuple,
par le peuple et pour le peuple ». Sauf à penser en effet, que le peuple soit masochiste, l’on ne
voit pas comment un gouvernement par le peuple ne serait pas aussi un gouvernement pour
le peuple. En en tenant compte, l’on peut définir la démocratie comme « l’exercice direct des
responsabilités gouvernementales par le peuple lui-même ». Cette idée est-elle cependant,
applicable à la réalité sociale ? A quelle (s) condition (s) peut-on dire que le peuple se
gouverne lui-même ? La démocratie directe n’est-elle pas un concept limité ?
- La démocratie représentative
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représentative lorsque le peuple désigne des individus qui gouvernent en son nom.
Cependant, partant de la définition ci-avant abordée, de la démocratie comme «
gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », l’on peut se poser la question de
savoir si dans ce cas de figure, l’on peut encore parler de démocratie. Une première réponse
peut être apportée en considérant la nature du mandat qui lie les représentants aux
citoyens, plutôt qu’en considérant le mode de désignation de ces derniers.
L’élection est le seul procédé démocratique de désignation des représentants.
Certes, les modalités peuvent varier par exemple, dans la définition tant du corps électoral
que du mode de scrutin. L’élection d’un représentant ne désigne cependant, en rien de la
nature des relations établies entre les électeurs et lui. Or, ces relations peuvent être
conçues selon deux principes différents : le mandat représentatif et le mandat impératif.
Il y a mandat représentatif lorsque l’élu est libre d’agir à sa guise, sans être lié
d’aucune manière par la volonté de ses électeurs. En effet, les électeurs se bornent à
désigner les représentants de sorte que leurs droits sont pour ainsi dire, considérés
comme épuisés après l’élection. Ils ne peuvent de ce fait, demander des comptes aux
représentants. Ce système est évidemment incompatible avec l’idée de démocratie.
Il implique seulement que personne ne peut gouverner s’il n’a été désigné par le
peuple mais ne concède aux mandants aucune faculté d’influencer et de contrôler
leurs représentants. Ces derniers n’ont donc, aucun compte à rendre de leurs
initiatives.
Contrairement au mandat représentatif, le mandat impératif suppose que les élus ne
peuvent s’écarter des prescriptions de leurs électeurs. A cause de cela même, d’une
part, ces élus ne peuvent par exemple, pas se prononcer sur des questions
imprévues sans avoir au préalable, consulter leur base électorale pour en obtenir des
instructions complémentaires. D’autre part, les électeurs jouissent dans ce cas, du
droit de révoquer en cours de mandat, les élus ne respectant pas leurs prescriptions.
Ceci dit, il est inapplicable et dans une certaine mesure, même utopique. On imagine
mal des élus suspendre des débats parlementaires au motif qu’ils ne disposeraient
pas sur le moment, des instructions complémentaires de leurs électeurs pour voter
une loi introduite par le Gouvernement et que ni les électeurs ni les représentants
n’avaient vu venir.
- La démocratie semi-représentative
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voulant être réélu va dans la mesure du possible, s’efforcer de plaire aux électeurs pour
atteindre ses objectifs politiques.
- La démocratie semi-directe
Personne n’a droit au pouvoir dans un régime démocratique. Ainsi, les rois en sont
exclus. Et quand ils existent comme en Grande-Bretagne ou en Espagne, ils subsistent sous
forme de monarques constitutionnels, c’est-à-dire qu’ils consentent « à se limiter en
établissant une Constitution et en acceptant l’existence » à côté d’eux « d’autres organes
subordonnés mais efficients », le cas des assemblées élues. Les délégations permettent donc
d’assumer un caractère politique. Toutefois, elles sont limitées car tous les pouvoirs ne sont
pas confiés aux gouvernants.
Les délégations peuvent être d’une durée limitée. Contrairement au règne d’un roi
qui ne peut être abrégé que par son abdication ou une révolution, le mandat d’un élu dans
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un système démocratique a une durée connue d’avance. Dès lors, à la fin de son mandat,
seule une nouvelle sollicitation des suffrages des électeurs peut lui permettre de renouveler
son mandat. Cette obligation de quitter le pouvoir constitue un garde-fou contre les dérives
de tous ordres.
Durant leur mandat en effet, les gouvernants ne jouissent pas d’un pouvoir absolu. Il
existe un droit public (droit constitutionnel, droit administratif) pour limiter le pouvoir de
l’élu. Certes, il en existe aussi dans les régimes dictatoriaux et totalitaires comme en
témoigne leurs Constitutions. Cependant, ils ne sont bien souvent que de simples décors
législatifs. L’« absence d’un contrôle effectif sur les gouvernants a pour conséquence que le respect
du droit n’y est jamais qu’un fait : si le droit n’est pas appliqué, il n’existe aucun moyen ni de le faire
respecter, ni même de constater sa violation ». C’est pour cela que seuls, les régimes
démocratiques paraissent constituer des Etats de droit. Les régimes démocratiques sont en
effet, les seuls à respecter le principe de séparation des pouvoirs.
Le principe de séparation des pouvoirs élaboré par Montesquieu – dans De l’Esprit des
lois – pose que le pouvoir de gouverner (le pouvoir exécutif), le pouvoir d’édicter des lois (le
pouvoir législatif) et le pouvoir de les appliquer et/ou les faire appliquer (le pouvoir
judiciaire) doivent être exercés par des autorités différentes pour écarter tout risque
d’arbitraire pouvant mener à l’autoritarisme. En l’occurrence, pour que le pouvoir exécutif
soit arrêté par la loi, il faut que celui-ci ne soit pas lui-même celui qui édicte la loi.
Autrement, il pourrait être tenté d’édicter et promulguer des lois l’autorisant à faire ce qu’il
projette d’accomplir, ou interprétera tendancieusement la loi de sorte à rendre ses
agissements licites. Voilà pourquoi, dès lors que le pouvoir est fondé sur l’idée de délégation
– la délégation est limitée, et non plénière –, l’on peut envisager tout à fait naturellement, de
la consentir à plusieurs autorités et non à une seule.
- Démocratie et libertés
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compatible avec le respect des libertés. D’ailleurs, sans ces libertés, la démocratie reste
précaire, car les libertés ne sont pas seulement une conséquence de l’absence de dictature.
Elles sont un moyen efficace d’empêcher son instauration. Ainsi en est-il de la liberté de
réunion, d’association et d’information qui conditionnent l’action politique. Pour le reste,
notons que même si les médias peuvent avoir des effets pervers, la liberté qu’il constitue est
un puissant rempart contre les aventuriers. Grâce à leur travail, l’opinion publique est
informée, ce qui lui permet d’exercer un contrôle sur le pouvoir, permettant ainsi à ce
dernier d’échapper à la tentation de s’isoler de la société comme c’était le cas dans les
régimes apolitiques.
Somme toute, même si la démocratie n’implique pas forcément les libertés comme nous
l’avons vu en prenant l’exemple des libertés des minorités, au regard de l’histoire, elle reste
à ce jour, le seul régime à même de garantir les droits de l’homme de sorte que ces derniers
riment souvent, avec démocratie.
Le parti politique est une réalité récente qui est apparu dans le courant du XIXème
siècle. En Angleterre, l’apparition des partis politiques est située en 1832, avec la réforme
électorale et l’organisation locale. Aux USA, c’est en 1830 que les partis politiques se
développent « jusqu’à la création de puissantes bases locales appuyées sur de larges couches
populaires. En France et dans d’autres pays du continent européen, la transformation des cliques
parlementaires et des clubs politiques en organisations de masses est liée à la révolution de 1848.
Au Japon, les partis n’apparaissent pas avant la nouvelle ère Meiji de 1867, voire même avant la
première guerre mondiale ». En Afrique, si l’on prend le cas du Gabon, l’on notera par
exemple, que c’est en 1946, de retour de la déportation en Oubangui-Chari – l’actuelle
Centrafrique – que Léon Mba créera le comité mixte franco-gabonais que l’on pourrait
considérer comme une préfiguration d’un parti politique.
Il faut distinguer les partis des autres organisations qui animent le jeu politique. Pour
Joseph Lapalombara et Myron Weiner définissent un parti politique, en se fondant sur quatre
(4) critères :
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l’inévitable discontinuité résultant de la mortalité des fondateurs. Ces derniers ont souvent
un rôle décisif dans le processus de formation du parti mais même après leur mort, le parti
peut leur survivre après leur mort. Certes, l’organisation juridique ne garantit pas la durée
de vie d’un parti. Un parti peut en effet, s’éteindre alors même que son fondateur est encore
vivant.
- Le souci de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière
Ce dernier critère permet de distinguer les partis politiques des clubs. Ces derniers font
pression sur les partis, le gouvernement ou l’opinion sans participer aux élections (tout au
plus, ils peuvent s’allier à un parti ou provoquer la formation d’un parti politique (Ex : cas du
Labour Party). Les partis politiques ne recherchent pas le pouvoir pour le pouvoir. Ils
représentent les diverses tendances de l’opinion publique dans un univers politique dominé
par celle-ci. Ainsi, « triomphe des idées démocratiques implique que seules des formations
enracinées […] possèdent une légitimité ».
Certes, de profondes différences existent entre les partis politiques des régimes
démocratiques. Il est cependant, possible d’en dégager les types dominants. A ce titre,
Duverger distingue entre partis de création électorale et partis de création extérieure quant
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à leur origine. Pour ce dernier, les plus nombreux sont 1°) les partis politiques ayant une
origine électorale et parlementaire qualifiés de « partis de cadres » et 2°) les partis de
création extérieure, c’est-à-dire ceux « essentiellement établis par une institution
préexistante dont l’activité se situe en dehors des élections et du parlement », qualifiés de «
partis de masses ». Sigmund Neumann propose une distinction similaire par l’opposition des
« partis de représentation individuelle » – ils réunissent des membres peu nombreux et peu
actifs – aux « partis d’intégration sociale » qui recrutent massivement et sont exigeants
envers leurs adhérents. Ceci dit, nous nous baserons sur la distinction établie par Duverger
pour examiner ces partis.
Si Duverger y voit des partis de création électorale, c’est parce qu’à l’origine de ces
partis politiques, il y a l’institution parlementaire. Ces derniers sont nés en effet, avec
l’extension des prérogatives parlementaires et du suffrage universel.
Avec l’accroissement du rôle des assemblées, les élus ayant des affinités idéologiques
et/ou personnelles furent tentés de se réunir pour agir de concert, ce qui entraîna la
formation de groupes parlementaires. Puis, avec l’extension du droit de vote – elle devait
déboucher plus tard sur le suffrage universel – le besoin se fit sentir de canaliser les
suffrages. Ainsi, dans la perspective non seulement de patronner leurs candidats, soutenir
leurs campagnes, mais aussi d’encadrer de nouveaux électeurs, les élus créeront des comités
électoraux. Ces comités n’étaient pas permanents et se dissolvaient une fois l’élection
terminée. Plus tard, considérant qu’une structure permanente accroit l’efficacité du travail
politique, vont s’établir une coordination permanente et des liens réguliers entre groupes
parlementaires et comités électoraux des élus. Ainsi furent crées les premiers partis
politiques. Historiquement donc, « les partis modernes naissent de la promotion du parlement
[…] et de l’extension du droit de suffrage […] C’est particulièrement net en Grande-Bretagne, où
s’affirme un système de partis moderne à mesure que se succèdent les réformes électorales de
1832, 1867 et 1885 ».
Parmi les traits distinctifs de partis de cadres, l’on peut relever d’une part, l’autorité
personnelle et décentralisée au sein du parti et d’autre part, le fait que la légitimité de
l’autorité repose sur le volontariat.
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de cadres est symbolisée par le principe de la liberté de vote au Parlement : dans les débats, chaque
parlementaire se détermine comme il veut ». Aucune décision majoritaire ne saurait dès lors,
limiter l’orientation librement choisie par un élu.
b. Partis de masses
On le voit bien, contrairement aux partis de cadres, la création des partis de masses
procèdent de la volonté consciente de faire d’eux des instruments de lutte politique au
service de fins variées. De là, l’on ne peut être étonné de ce que par exemple, les syndicats
et les associations d’un autre type figurent parmi les organismes ayant provoqué la naissance
de ces partis dits « extérieurs ». Les syndicats furent par exemple, à l’origine de plusieurs
partis socialistes. C’est le cas du Labour Party (en Grande-Bretagne) ou du parti radical (en
France), dont la création fut aussi influencée par plusieurs sociétés de pensées. C’est
également le cas des partis agraires générés par des groupements professionnels paysans en
Europe ; des partis démocrates-chrétiens dont les associations religieuses en Italie, en France
et en Allemagne, ont contribué à l’essor ; etc. Nonobstant la diversité de leur origine, pour
Duverger, ces partis dits « de masses » ou « extérieurs », présentent tous des traits
communs qui les différencient des partis de création électorale. Il s’agit en l’occurrence des
traits suivants :
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Caractère plus centralisé : Il existe un système pyramidal où « chaque instance élue
est élue par l’instance immédiatement inférieure ». Ainsi, les décisions qui en
résultent sont regardées comme démocratiques puisqu’à la base, ce sont les
adhérents qui élisent des délégués aux congrès, lesquels éliront les instances
dirigeantes et ainsi de suite. Il en résulte que, contrairement aux partis de cadres où
par exemple, les élus restent maîtres de leurs choix et où les notables riches peuvent
diversement influencer le parti même quand ils n’en sont pas membres, dans les
partis de masses, ce sont les instances dirigeantes qui jouissent d’un pouvoir « très
considérable, et très difficile à remettre en question ». C’est d’ailleurs, l’une des
raisons des tendances oligarchiques observées en leur sein par Roberto Michels .
Pour ce dernier en effet, le parti « en tant que formation extérieure, mécanisme,
machine, ne s’identifie pas nécessairement avec l’ensemble des membres inscrits, et
encore moins avec sa classe.
Discipline et cohérence plus forte : Les militants des partis de masses considèrent
volontiers, leur action politique comme un engagement au service d’une cause et
dans cette perspective, « conçoivent qu’une discipline interne constitue une condition
nécessaire du combat ». D’où, ils sont prêts à consentir plus de sacrifices que les
militants d’un parti de cadres.
Prépondérance non des élus mais des dirigeants internes doublée d’un détachement,
voire d’une défiance, envers le jeu parlementaire : Les adhérents de partis de masses
– ceux élisant les dirigeants internes – craignaient que les députés ouvriers couraient
le risque de s’assimiler à la notabilité au contact de l’atmosphère parlementaire et
donc, qu’ils finissent par s’embourgeoiser et se détacher des préoccupations de la
classe ouvrière. Aussi, par idéal révolutionnaire, dans les partis de masses, existe-t-il
« un principe de subordination des députés aux dirigeants intérieurs élus par les adhérents »
encore perceptible aujourd’hui dans des partis comme le Parti démocratique gabonais
(PDG) soumis aux instances dirigeantes du parti plutôt que directement à leur base
électorale.
La typologie proposée par Duverger a provoqué plusieurs critiques dont celles d’Aaron
Wildavsky qui lui reproche une analyse « uni-factorielle » et donc, qui néglige les « autres
variables, comme la structure économique et sociale, l’histoire nationale, la culture, les traditions
institutionnelles, la géographie, le climat, […]. ». Comme lui, Schwarzenberg estime qu’il «
conviendrait de replacer davantage le parti dans l’ensemble de son environnement », qu’en plus, la
division entre partis de cadres et partis de masses devrait être révisée ne serait-ce que dans
la mesure où quand cette distinction fut conceptualisée en 1951, elle rendait compte d’une
situation ayant évolué depuis. Schwarzenberg propose à cet égard, qu’en raison des
modifications survenues entre temps, dans l’environnement du phénomène partisan, il serait
plus productif de considérer cette opposition du point de vue des réalités du sous-
développement et du surdéveloppement.
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a. La clarification des choix électoraux (formation de l’opinion)
Devenant une fin en soi, se donnant des buts et des intérêts propres, il se sépare peu
à peu de la classe qu’il représente.
Les partis contribuent à la création ou au maintien d’une conscience politique par le
moyen de l’information et de la formation de l’opinion. Ce, par exemple, en présentant des
options franches (par exemple, « des programmes »), entre lesquelles les électeurs peuvent
« exercer un véritable choix ». L’on parle alors, de « fonction programmatique » des partis
politiques et de « structuration des votes ».
Les partis assurent un encadrement doctrinal ou idéologique tant des électeurs que
des candidats. Les choix étant explicités plus clairement au moyen par exemple, de débats
politiques, l’électeur peut savoir les idées et/ou le programme d’un candidat et partant, les
actions qu’il mènera s’il est élu. Même si rien ne garantit que le futur élu respectera ses
engagements, l’on peut de ce fait, reconnaître que par son existence même, un parti
politique « dissipe des équivoques et accroit le contrôle des électeurs » sur les candidats
et/ou les élus.
Un autre objectif poursuivi à travers la formation de l’opinion, c’est que dès lors, le
vote cesse d’être « un acte d’allégeance envers tel individu ». Autrement dit, l’électeur ne
vote plus en se basant sur le nom ou même, sur la confiance aveugle qu’il a en un individu.
Procédant d’un électeur formé, le vote « devient le choix de telle option politique » grâce à
cette fonction primaire des partis politiques.
Les partis politiques ont également pour fonction de former et sélectionner les
candidats. Ils participent activement en effet, au recrutement politique de sorte que ce sont
les partis qui désignent la plupart des candidats proposés aux électeurs. Même si ce tri peut
donner lieu à certaines dérives oligarchiques, il permet, comme le souligne Duverger, « de
constituer une classe dirigeante issue du peuple, qui remplace les anciennes […] La signification des
partis politiques, c’est qu’ils tendent à la création de nouvelles élites ».
Par ailleurs, les partis assurent l’encadrement des élus. Ce, d’un côté, en maintenant
un contact permanent entre élus et électeurs. Dans ce cadre, les militants du parti servent
de relais entre élus et électeurs. En ce sens, non seulement ils informent les électeurs, leur
expliquent l’activité parlementaire de l’élu, font sa propagande, etc., mais aussi ils informent
l’élu des réactions, des attentes et des besoins des électeurs.
De l’autre, les partis assurent « l’encadrement parlementaire des élus ». Ce entre
autres, par la réunion au sein d’un même groupe parlementaire, des élus d’un même parti
pour assurer la concertation entre eux.
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aux mouvements collectifs. Pour les individus peu favorisés, ils y trouvent un moyen
de promotion sociale pour peu qu’ils sachent se distinguer.
- Au niveau des groupes, certains partis politiques servent de porte-parole à des
catégories sociales mécontentes ou simplement, voulant défendre une cause à l’instar
des mouvements écologistes. Les partis politiques assurent aussi une fonction
d’agrégation des intérêts de groupes initialement opposés. Ils sont en effet, le lieu de
compromis entre les diverses classes sociales et permettent donc, de rapprocher les
points de vue et de désamorcer les affrontements potentiels entre catégories
sociales.
B. La participation politique
A partir de quel moment peut-on dire d’un individu qu’il est un acteur politique ? Il
importe peu que les individus refusent d’assumer la dimension politique de leurs actes vu
que cela est sans conséquence si cette dimension existe effectivement. De plus, même s’ils
n’assument pas tous un rôle visible, ils jouent tous au moins, un rôle dans la constitution de
l’opinion publique. Ce qu’ils pensent compte en effet, dans la formation de l’opinion. De là,
l’on peut conclure que chaque individu joue un rôle au moins infime, mais jamais nul. C’est le
cas des acteurs individuels du jeu politique, en l’occurrence les électeurs (1) – même s’ils
n’ont d’influence que par agrégation ; des militants qui sont des individus plus engagés dans la
vie politique et peuvent occuper des positions stratégiques (2) et enfin, des dirigeants
politiques qui en raison de leur pouvoir de décision ne sont plus – politiquement parlant –
des individus quelconques (3).
Bien que la question du rôle de ces derniers se pose dans tous les régimes politiques,
nous nous limiterons à l’étude de l’action individuelle de ces derniers dans les régimes
démocratiques, ces régimes étant les seuls à même d’offrir aux individus les possibilités d’une
action politique que l’on juge normale.
1. Les électeurs
Ces derniers intéressent au plus haut point car dans un régime démocratique, c’est
d’eux que dépend la dévolution du pouvoir. Dans cet examen de leur action politique, il
convient de distinguer l’étude de la participation électorale de l’étude de la motivation des
choix électoraux.
a. La participation électorale
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électeurs ». Sur ce point, l’abstention qui est le revers de la participation électorale, doit être
également considérée.
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favorable. Cette abstention peut être aussi le reflet d’une désaffection
collective à l’égard du système politique. Les citoyens désertent les urnes en
raison d’un sentiment de lassitude face à une situation semblant sans issue
après plusieurs votes dont ils espéraient qu’ils changeraient les choses. Cette
désaffection peut également naître de ce que l’ensemble des partis « en
compétition tiennent tous le même discours, et que la possibilité d’une alternative
semble donc exclue a priori » ou encore, « lorsque l’ensemble des dirigeants
quelles que soient leurs tendances politiques, sont confondus par l’opinion publique
dans un même sentiment de réprobation », etc. L’abstention sociologique traduit
l’indifférence de l’opinion publique, ce contre quoi les institutions
démocratiques luttent difficilement. Alors que nous avons vu que l’explication
des phénomènes politiques par les fonctions qu’ils remplissent avait ceci
d’étrange que même quand elles n’accomplissent pas leurs missions, les
institutions sont toujours jugées bonnes et la faute rejetée sur les dirigeants,
ici ce n’est pas le cas : le système n’est pas jugé comme imparfait mais comme
mauvais. Autrement dit, il est perçu comme incapable d’atteindre les buts qui
lui sont fixés.
L’abstention active ou idéologique : L’abstention active ou idéologique
constitue un acte politique conscient et utilisée pour exprimer dans certains
cas, « une hostilité précise à l’égard d’un régime » ou plus encore, exprimer «
un scepticisme plus profond devant la valeur ou la légitimité de la procédure
électorale et du mécanisme de la représentation ». Cela peut même exprimer
un rejet absolu de toute forme d’Etat s’agissant des anarchistes par exemple.
On peut alors parler d’abstention de combat puisque « loin d’être le
symptôme d’un désengagement de la part de ceux qui la suivent, cette
consigne manifeste au contraire la volonté de faire entendre un point de vue
avec une force particulière ». Il s’agit-là, d’une contestation de principe. De ce
point de vue, l’on peut distinguer l’ « abstention structurelle » – dite aussi, «
systématique » – de l’abstention « conjoncturelle ». Cette dernière est « liée
simplement aux enjeux ou aux circonstances d’un scrutin particulier ».
La motivation des choix électoraux porte sur la possibilité ou non d’expliquer les motifs
qui poussent les électeurs à voter pour X plutôt que pour Y. Est-il possible de connaitre les
motivations des choix des citoyens qui votent effectivement ? Deux grands systèmes
d’interprétation tentent d’y répondre : le premier qui pose l’hypothèse déterministe et le
second qui pose l’hypothèse des choix stratégiques.
- L’hypothèse déterministe
L’hypothèse déterministe pose comme explication que les choix des individus sont
déterminés par une ou plusieurs variables tenues pour objectives. En effet, selon ce système
d’interprétation, il existerait une corrélation statistique entre certaines variables et certains
types de vote. Si cette hypothèse s’avère « pertinente, il en résulte que l’on doit
normalement être en mesure de prévoir les résultats » d’une consultation future. Parmi les
variables, certains se sont efforcés à mettre en lumière la « géographie » et d’autres – devant
le simplisme du déterminisme géographique – la « sociologie ».
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- Le déterminisme géographique / géographie électorale
Selon cette approche, les votes ne sont pas homogènes mais sont inégalement
distribués dans l’espace. Autrement dit, il existerait un rapport entre les « divers terroirs, les
formes contrastées de sociabilité qu’ils induisent et les tendances politiques ». Dans cet élan,
André Siegfried, dans son « Tableau politique de la France de l’Ouest », après avoir étudié
les résultats électoraux de quatorze départements entre 1871 et 1910, propose un modèle
d’analyse électorale fondée sur la structure du sol, du mode de peuplement et du régime de
propriété. Pour lui « le granite vote à droite, le calcaire vote à gauche ». Autrement dit, pour
ce dernier, l’on pouvait parler d’un électorat « du granite » et d’un électorat « du calcaire ».
Tout de suite, ces oppositions dont on peut admettre qu’elles aient pu rendre compte de la
réalité de ces départements entre 1871 et 1910, « apparaissent incohérentes dès qu’on
prétend les généraliser ». Même si ses observations paraissent légitimes, elles sont
empreintes d’arbitraires et peuvent donc, donner lieu à une lecture toute aussi arbitraire qui
soutiendrait que le granite vote à gauche, le calcaire vote à droite.
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l’identification partisane », c’est-à-dire l’attachement plus ou moins,
quasiment affectif, à une formation politique donnée, à ses
programmes et à ses candidats, qui oriente leurs préférences
politiques. Aux Etats-Unis, ces enquêtes montrent que l’identification
partisane : · Est le principal déterminant du vote. Souvent forgée dès
l’enfance au sein du milieu familial, celle-ci agit comme un raccourci
cognitif qui filtre la vision du monde. On votera par exemple,
Républicain parce que c’est de tradition dans la famille. · Augmente
avec l’âge, ce qui signifie que la mobilité sociale n’affecte pas
l’identification partisane. Par conséquent, pour les tenants de cette
approche, il est préférable de se focaliser sur l’électeur socialisé de
manière continue depuis l’enfance, notamment à travers la famille – au
moment où fut réalisé leur étude, la famille assurait largement la
transmission des préférences politiques –, plutôt que sur les facteurs
sociaux mis en avant par le modèle de Columbia. Cette approche a
aussi pour mérite de souligner les dimensions psychologiques de la vie
politique : le concept d’identification partisane permet de comprendre
comment des personnes peu intéressées par la politique peuvent
néanmoins participer aux élections et voter autant par habitude que
par conviction. Néanmoins, « l’objection majeure contre l’idée de
déterminisme demeure […] le fait que celle-ci rend incompréhensible les
changements quand les facteurs explicatifs ne changent pas, et l’absence de
changement quand les facteurs explicatifs qui passent pour des tendances
lourdes sont néanmoins bouleversés ».
L’hypothèse des choix stratégiques : Ce second système
d’interprétation voit dans le vote des électeurs, un choix stratégique
face à une situation donnée. L’hypothèse des choix stratégiques pose
comme explication, que l’électeur à un sentiment subjectif de l’intérêt
qui le pousse à voter pour un candidat/parti plutôt que pour un autre.
En effet, nonobstant les facteurs idéologiques et sociaux dont la forte
influence peut expliquer la stabilité de certains comportements
électoraux, l’électeur demeure en dernier ressort libre de ses choix. Il
peut par conséquent, en fonction de la conjoncture et de ses intérêts
propres, décider d’opérer une rupture avec ses convictions
idéologiques, et renverser son vote. Dans les démocraties, la
probabilité de l’hypothèse des choix stratégiques est d’autant plus
forte que les clivages idéologiques – Gauche/Droite – sont désormais
moins marqués, le progrès étant un objectif aussi bien défendu à
Gauche qu’à Droite. Les programmes des partis en compétition sont
en effet, souvent proches désormais. Aussi, sauf dans les cas où les
convictions demeurent tranchées, il n’est plus rare de voir un électeur
de Gauche voter pour un candidat de Droite et vice-versa. Le clivage
idéologique n’est plus facteur de positionnement politique dès lors que
l’électeur déciderait de juger les gouvernants en fonction des résultats
obtenus par ces derniers. Ce type d’électeur apte à opérer des choix
stratégiques mettant au détriment de leur formation politique,
constitue ce qu’on qualifie d’« électorat flottant ». Ceci, même s’il ne
constitue souvent qu’une minorité, cet électorat ne joue pas moins un
rôle décisif puisque c’est li « qui détermine l’orientation politique du
pays ». Dans tous les cas, ces observations ne sont que relatives
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puisque des contre-exemples existent. De plus, notons tout de même,
que chercher à connaître les motifs présidant aux votes des citoyens «
dépasse de loin la recherche de la connaissance désintéressée ». En
effet, rechercher l’explication de ces votes, c’est chercher à les rendre
prévisibles et/ou transformables à souhait, ce qui servirait les intérêts
des politiciens.
2. Les militants
Ceci dit, les militants constituent une minorité, ce qui fait qu’ils se trouvent
confrontés à certaines difficultés.
D’entre les difficultés rencontrées par les militants, l’on peut citer :
L’affichage public des militants : Militer équivaut en effet, à se découvrir. Ainsi,
contrairement aux électeurs qui sont protégés par le secret du vote, les militants
s’affichent publiquement. Cet affichage peut avoir des conséquences très variables
selon les partis et selon la situation politique. Cela expose à l’hostilité, parfois vive,
des personnes professant des opinions contraires, ce qui est un fait suffisant pour
écarter les individus qui veulent militer mais qui craignent le regard d’autrui.
Une activité pas toujours gratifiante : Le militantisme implique souvent des tâches
pouvant paraître dégradantes (distribuer des tracts ou des kits alimentaires, par
exemple). Par ailleurs, elle est prenante surtout pour le militant qui espère en retirer
les avantages que dans certains pays, la puissance publique distribue aux militants des
partis au pouvoir. Pour cela, il peut donc, être amené à tout ou partie de ses loisirs.
Le pire, c’est que l’ensemble de ses servitudes qui engendrent parfois des difficultés
personnelles et même familiales, est rendu encore plus grand par le caractère
aléatoire des résultats obtenus. Ce, d’autant plus que même en cas de victoire, rien
ne garantit que tous les militants pourront être récompensés et quand ils le seraient
tous, qu’ils le seront en proportion de leur implication. En dépit de ces difficultés, il
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continue d’exister des militants dans les formations politiques, ce qui amène à
s’interroger sur les motivations de ces derniers.
Ces motifs du militantisme ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Ils peuvent donc, se
combiner en proportions variables chez un même militant.
Les dirigeants politiques sont un groupe suffisamment individualisé pour que l’on
puisse en parler comme d’une unité. De plus, ce groupe présente des particularités, ne
serait-ce qu’en raison de leur recrutement.
a. Un groupe individualisé
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contrairement par exemple, à la catégorie socioprofessionnelle des ingénieurs qui est une
donnée stable, la catégorie des dirigeants politiques est plus fluide. Plusieurs dirigeants n’y
figurent que le temps d’un mandat comme Nicholas Sarkozy qui n’aura été chef d’Etat que le
temps d’un mandat avant de retrouver sa catégorie d’origine. Par ailleurs, il existe au sein du
groupe des dirigeants politique, un conflit structurel dès lors que ledit groupe est fondé sur
l’existence d’une rivalité individuelle pour tous les postes en compétition. En effet, aucun de
ces postes ne peut être occupé simultanément par deux dirigeants politiques. D’où les
rivalités individuelles qui font obstacles au sentiment d’unité. Certes, il existe des
professionnels de la politique qui « ont réussi à se bâtir une position suffisamment solide pour
ignorer les fluctuations de la conjoncture politique […] ils sont assurés de conserver leur siège
malgré les aléas que connait la formation politique à laquelle ils sont affiliés […] Pour de tels
hommes politiques […], l’appartenance à la catégorie des dirigeants est un fait acquis dans la
durée… ».
Le groupe que forment les dirigeants politiques ne se reproduit pas comme les autres
groupes sociaux. En effet, dans les régimes démocratiques, même si un dirigeant politique
succède à son père, il doit obtenir une légitimité élective. De ce constat, l’on peut
s’interroger sur le rapport qui existe entre l’origine sociale et la carrière politique.
On se rend alors, compte de ce que tous les individus n’ont pas de possibilités égales
d’accéder à une carrière politique. Il apparaît fréquent que les individus issus de classes
favorisées ont beaucoup plus de possibilités de devenir dirigeants politiques que ceux issus
de classes défavorisées. Cela se vérifie même dans les partis politiques dont l’orientation
idéologique et le public auquel s’adressent les instances dirigeantes devraient conduire à
privilégier les candidats d’origine modeste. En effet, même si par exemple, les partis de
masses comptent dans leurs rangs des dirigeants politiques issus de classes défavorisées, ils
en comptent aussi plusieurs issus de classes favorisées. Cela montre que les militants ne
votent pas toujours pour les individus ayant la même origine sociale qu’eux, qu’ils sont
parfois sensibles au prestige et aux compétences qu’engendre l’appartenance aux classes
favorisées (aisance, éducation, études, etc.).
Cependant, dans les partis communistes à l’instar du parti communiste chinois ou
encore, du parti communiste de l’ex-Union soviétique (PCUS), la très grande majorité des
dirigeants politiques sont issus des classes défavorisées. Certes, qu’ils soient électriciens,
commerçants ou maçons, pour arriver au sommet de la hiérarchie du parti, il « faut qu’ils
aient mené, durant plusieurs décennies, la vie et la carrière d’un professionnel de la politique ».
Toutefois, leur origine contraste avec celle des dirigeants des autres partis et révèle peut-
être une conscience de classe plus aigüe chez les militants communistes que chez les
militants.
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