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Une introduction
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Sommaire
Introduction
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Introduction
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L’usage du terme biopolitique par les uns et les autres comprend
sans doute ces sens pluriels et divergents, ce qui paraît surprenant au
regard de la signification littérale assez claire du mot : Il désigne une
politique qui traite de la vie (du grec : bios). Mais c’est précisément là
que les problèmes se posent. Ce que certains voient comme un fait
trivial (les politiques ne traitent-elles pas par définition de la vie ?)
marque pour d’autres un critère précis de délimitation. Pour ces
derniers la politique est située au-delà de la vie biologique. De ce
point de vue la biopolitique doit être considérée comme un oxymore,
soit une combinaison de deux termes contradictoires. Les défenseurs
de ce point de vue affirment que la politique dans son sens classique
a pour objet l’action commune et la décision et transcende
précisément les expériences corporelles et les faits biologiques, et
ouvre ce faisant le domaine de la liberté et de l’interaction humaine.
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savoir quels processus et structures, quelles rationalités et
technologies et quelles époques et périodes historiques pourraient
être appelés « biopolitique » est toujours, et inévitablement, le
résultat d’un choix de perspective. Sous cet angle, chaque définition
de la biopolitique doit aiguiser son profil analytique et critique contre
les points aveugles et les points faibles des suggestions concurrentes.
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connaissances médicales et scientifiques et des applications
biotechnologiques. Cette interprétation est particulièrement
populaire de nos jours et régulièrement citée dans les discussions
politiques et les débats médiatiques pour décrire les implications
politiques et sociales ainsi que le potentiel des innovations
biotechnologiques. Les différentes dimensions du discours politiste
sont présentées dans le second chapitre (chapitre 2).
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Les effets des innovations biotechnologiques ont démontré que les
processus de vie sont transformables et contrôlables à des degrés
croissants qui rendent obsolète toute idée d’une nature intacte et
sauve de toute action humaine. Ainsi, la nature peut uniquement
être regardée comme une part des liens nature-société. Dans le
même temps, il paraît clair que la biopolitique marque aussi une
transformation de la politique. La vie n’est pas seulement l’objet de
la politique qui serait de plus extérieur à ses processus de décision
mais au contraire affecte l’objet même du politique à savoir le sujet
politique. La biopolitique n’est pas l’expression d’une volonté
souveraine mais vise l’administration et la régulation des processus
de vie au niveau des populations. Elle se concentre davantage sur les
êtres humains que sur les sujets de droit, ou, pour être plus précis,
elle traite avec des sujets de droit qui sont en même temps des êtres
vivants.
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épistémologiquement et pratiquement de la vie concrète des êtres
humains et de la singularité de leurs expériences individuelles.
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biopolitique. Leurs théories respectives assignent un rôle stratégique
à la démarcation et à la délimitation. Pour Agamben c’est la
séparation élémentaire de la « vie nue » - la forme d’existence
réduite aux fonctions biologiques – et de l’existence politique qui a
formé l’histoire politique de l’occident depuis l’antiquité. Il considère
que la constitution du pouvoir souverain exige la production d’un
corps biopolitique et que l’institutionnalisation du droit est
inséparablement liée à l’exposition de la « vie nue ». De leur côté
Hardt et Negri diagnostiquent une nouvelle étape du capitalisme qui
se caractérise par la dissipation des frontières entre l’économie et la
politique, et la production et reproduction. Tandis que Agamben
reproche à Foucault d’avoir négligé le fait que la biopolitique
moderne repose sur la base solide d’un pouvoir souverain pré-
moderne ; Hardt et Negri considèrent que Foucault n’a pas identifié
la transformation postmoderne de la biopolitique moderne. Leurs
contributions respectives sont discutées et analysées dans les
quatrième et cinquième chapitres (chapitres 4 et 5).
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académiques sont analysés dans le septième chapitre (chapitre 7).
Dans ce chapitre je présente de manière critique les concepts de
politique moléculaire, de thanatopolitique et d’anthropopolitique
ainsi que les idées de « biosocialité » (Paul Rabinow) et
d’ « éthopolitique » (Nikolas Rose).
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Caroline Prassel et Heidi Schmitz. Ina Walter m’a assisté dans le
traitement technique du texte et Steffen Herrmann a relu
attentivement et corrigé le manuscrit. Les discussions constructives
qui ont été tenues à l’Institut de Recherches Sociales de Francfort
m’ont aidé à aiguiser mes arguments. Enfin j’aimerais remercier la
fondation de la recherche allemande qui a financé l’ouvrage au
moyen d’une bourse Heisenberg.
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Chapitre 1 : la vie comme fondement de la politique
3 Pour une histoire brève du concept de biopolitique, voir Esposito 2008, 16-24.
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leur développement propre » (1924, 35). Pour Kjellén, la forme
naturelle de l’Etat est l’Etat-Nation qui exprime l’ « individualité
ethnique » de l’Etat (ibid., 103). Selon lui l’ « Etat comme forme de
vie » est caractérisé en dernier lieu par les luttes sociales relatives
aux intérêts et aux idées articulés par les classes et les groupes.
Conjointement à cette conviction Kjellén introduit le concept de
biopolitique : « A la vue de cette tension typique de la vie elle-
même…mon inclination grandit en moi et me porte à baptiser cette
discipline, après la science spéciale qu’est la biologie, la
biopolitique ;…dans la guerre civile entre groupes sociaux on ne
reconnaît que trop clairement la rudesse de la lutte vitale pour
l’existence et la croissance, tandis que dans le même temps on peut
détecter dans ces groupes une puissante coopération tournée vers
l’existence comme objectif » (1920, 93-94).
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elle-même orientée par des lois biologiques qui serviraient aussi de
lignes directrices peut être considérée comme légitime et en
correspondance avec la réalité.
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biologiques est possible. Pour élaborer et formuler ses propres
conceptions politiques et sociales, le mouvement National-Socialiste
usa de nombreuses et différentes sources dont les idées du
darwinisme social ainsi que les idéologies pangermanique et
nationaliste. Il repris des concepts anthropologiques, biologiques et
médicaux et stimula simultanément la production de théories et de
travaux empiriques dans ces disciplines (voir Weingart, Kroll, et
Bayertz 1992). Pour autant, il est difficile de parler d’une conception
cohérente de la biopolitique du fait que des idées très hétérogènes
figurent côte à côte dans les textes du National-Socialisme. Je me
concentre ici seulement sur deux caractéristiques générales qui
marquent de manière décisive la biopolitique Nationale-Socialiste :
premièrement la fondation du programme biopolitique d’hygiène
raciale et d’ « hérédité biologique » (Erbbiologie) et, deuxièmement,
la combinaison de ces idées avec des considérations géopolitiques.
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négatives et positives. Par conséquent, une progéniture inférieure
devait être évitée pendant que le régime supportait tous ceux
considérés comme « biologiquement de valeur» (ibid., 41). Toutefois,
la biopolitique Nationale Socialiste comprenait plus que la
« sélection » et « l’élimination ». L’arsenal légal et réglementaire
gouvernant la politique raciale disposait non seulement d’objectifs de
régulation et de discipline du comportement reproductif mais
contenait aussi des réponses aux dangers imaginaires de la « mixité
des races ». Sous cet angle, le développement et le maintien du
matériel génétique devenait seulement possible à travers la
protection contre « la pénétration du sang étranger » et la
préservation du « caractère racial » du peuple allemand (ibid., 39).
Les questions de pureté de la « race » coïncidaient avec la bataille
contre les ennemis nationaux intérieurs et extérieurs. En ce point, les
idées biopolitiques rejoignaient des considérations géopolitiques ; et
la combinaison du programme politique racial avec la doctrine du
Lebensraum (espace vital) fournissait la fondation idéologique de
l’expansion impérialiste du Reich Nazi.
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volume paru en 1924 (Neumann 1942, 115-124). Dans un des
numéros de ce journal, un auteur du nom de Louis von Kohl
expliquait que biopolitique et géopolitique étaient ensemble « la
base d’une science naturelle de l’Etat » (1933, 306). Cette « biologie
d’Etat » dans la vision de Kohl, examinait le développement d’un
peuple ou d’un Etat à partir de deux points de vue différents mais
complémentaires : « Quand on observe un peuple ou un Etat on peut
s’attacher à mettre l’accent soit sur des observations temporelles ou
bien sur des observations spatiales. Nous parlerons alors soit de
biopolitique soit de géopolitique. La biopolitique concerne ainsi le
développement historique dans le temps alors que la géopolitique
intéresse la distribution concrète dans l’espace ou l’interaction réelle
entre les peuples et l’espace » (ibid., 308).
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fantasmes s’épanouirent idéologiquement et politiquement dans des
camps antagonistes. Ils émergèrent dans les projets du « nouvel
homme soviet » sous le diktat de Staline mais aussi dans les pratiques
eugéniques des démocraties libérales. Les hygiénistes raciaux
allemands étaient en contact scientifique étroit avec des généticiens
du monde entier et s’appuyèrent sur les programmes américains de
stérilisation et les méthodes de restriction de l’immigration pour
promouvoir leurs propres positions politiques (Kevles, 1995). Comme
le régime Nazi, les idéologues staliniens cherchaient à utiliser de
nouvelles connaissances scientifiques et de nouvelles options
technologiques pour « raffiner » et « ennoblir » le peuple soviétique.
Non seulement les visions politiques traversaient les frontières mais
elles étaient aussi soutenues par des acteurs non étatiques et des
mouvements sociaux. Ainsi, la Fondation Rockefeller joua un rôle
significatif dans le financement du développement de la biologie
moléculaire aux Etats-Unis dans les années 30. Elle attendait de cette
science qu’elle produise des connaissances nouvelles et des
instruments de contrôle social et qu’elle soit capable de diriger et
d’optimiser le comportement humain (Kay, 1993).
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« un fondement politique » cet auteur croit que le « rôle important »
de la science politique aujourd’hui consiste en la définition des
causes de l’accroissement des « luttes raciales » et des « chocs
ethniques » (2003, 13). Au-delà de la représentation d’un modèle
spécifiant le problème, la triade biopolitique Peuple-Nation-Race
évoquée dans le titre du livre de Mahieu est aussi une offre de
solutions à la crise qu’il affirme avoir identifiée. « Le sens de la
biopolitique » est, selon lui, « de calculer la totalité des processus
génétiques aussi loin qu’ils influencent la vie des communautés
humaines » (ibid., 12).
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Etats-Unis cette branche de la science politique ne joue guère de
rôle, même si des chercheurs dans de rares pays se considèrent eux-
mêmes comme biopoliticiens5. Quoi qu’il en soit même parmi ses
défenseurs le sens et le périmètre de cette approche sont discutés.
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est causé de manière substantielle – et c’est l’hypothèse sous-jacente
- par des facteurs biologiques démontrables objectivement. Dans ce
modèle explicatif, les motivation ou raisons (inter)subjectives ne
jouent qu’un rôle mineur tout comme les facteurs culturels.
Deuxièmement, l’objectif de l’approche n’est pas l’interprétation de
structures symboliques ou l’apport de critique normative mais est
beaucoup plus orienté vers la description et l’explication de
comportements observables destinés à tirer des conclusions pour
une politique rationnelle c’est-à-dire une politique cohérente avec
des exigences biologiques. Troisièmement, sur le plan
méthodologique, l’approche repose sur la perspective d’un
observateur extérieur qui décrit objectivement certaines formes de
processus comportementaux et institutionnels. Par contraste les
concepts qui approchent la réalité à partir du point de vue des
acteurs ou des participants sont considérés défaillants
scientifiquement (Saretzki 1990, 86-87).
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à remplacer ou à compléter le modèle « réductionniste » des
sciences sociales (Wiegele 1979 ; Masters 2001 ; Alford et Hibbing
2008).
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économiques comme des faits naturels. De la même façon, les êtres
humains sont disposés par nature à la compétition pour l’accès à des
ressources rares et sont même équipés biologiquement
différemment pour répondre à des situations de concurrence, la
puissance étant aussi distribuée inégalement. Pour cette raison, les
hiérarchies sociales sont dites nécessaires et inévitables (Somit et
Peterson 1997). Par conséquent, les préférences pour certaines
formes de gouvernement et d’autorité proviennent de l’histoire de
l’évolution humaine. Il est régulièrement supposé que la dotation
génétique des êtres humains rend plus probable les régimes
autoritaires que les Etats démocratiques. Vu sous cet angle un Etat
démocratique est seulement possible sous de particulières – et
d’occurrence très rare – conditions évolutionnistes. Une démocratie
peut seulement survenir et se maintenir contre le comportement
dominateur d’individus ou de groupes que si les ressources de
pouvoir sont suffisamment et largement distribuées, si bien qu’aucun
acteur ne peut obtenir la suprématie (Vanhanen 1984). Même
l’ethnocentrisme et le conflit ethnique sont rapportés à des
déterminants de phylogénie humaine en contradiction avec le motif
de rareté des ressources et le principe de sélection parentale. Cette
dernière idée suppose que dans les petits groupes le bien-être de ses
membres est plus hautement valorisé que le bien-être des non-
membres en raison d’une plus grande probabilité d’être lié
biologiquement les uns les autres (Kamps et Watts 1998, 22-23).
Dans leur ensemble les travaux des biopoliticiens révèlent plutôt une
image pessimiste des êtres humains et de la société. Cependant, il
serait faux d’afficher la « biopolitique » sur le même tableau que le
National Socialisme ou des positions racistes. Aucune orientation
politique particulière ne convient si l’on suppose l’existence de
caractéristiques innées. De fait, les positions politiques des
biopoliticiens varient considérablement. Le spectre s’étend des
réformateurs sociaux déclarés tel que Heiner Flohr (1986) aux
auteurs dont les arguments suivent de manière distinctive des
schémas racistes, comme par exemple J. Philippe Rushton, qui lie la
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forte prévalence criminelle des Afro-américains aux Etats-Unis à des
comportements hérités dus à la couleur de peau (1998). Analyser
l’approche avec les outils de la critique idéologique n’est pas
suffisant. La thèse des facteurs biologiques jouant un rôle dans
l’analyse des comportements politiques et sociaux n’est pas le
problème, la question qui se pose plutôt est de savoir comment leur
interaction est comprise - et à cet égard les réponses apportées par
les biopoliticiens ne sont pas du tout convaincantes. Une longue liste
de réserves et d’objections a été avancée en réponse aux
perspectives de recherche qu’ils suggèrent. Dans la suite j’en
présente brièvement quelques unes.
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proposent et reconduisent le dualisme entre la nature et la société
dont ils déplorent par ailleurs l’existence. En outre, les représentants
de cette approche de recherche « biopolitique » ne portent pas
suffisamment attention aux structures symboliques et aux
significations des configurations culturelles dans leurs recherches sur
les processus politiques. Ainsi, en traitant uniquement les
phénomènes sociaux du point de vue de leur alignement avec les
conditions naturelles ils manquent une grande part de ce qu’ils
affirment étudier. Par ailleurs, ils ne sont pas sensibles à la question
des effets et des modifications sur les « facteurs biologiques » du fait
de l’évolution sociopolitique. Les biopoliticiens voient ainsi « l’être
humain » comme le produit du seul développement de processus
bioculturels et non comme le producteur de ces processus. Cette
perspective univoque dissimule une dimension cruciale des relations
entre nature et société, biologie et politique : « Au moment où, avec
le développement de la génétique nouvelle et des techniques
reproductives, la capacité de sélectionner ou même de former par
construction sa propre évolution biologique dans des dimensions
totalement nouvelles ; la question n’est plus de prêter attention aux
supposées négligences de « conditions biologiques ». Aujourd’hui,
elles sont devenues contingentes d’une toute autre manière. Quand
une société peut discuter de la « fabrication de la nature » et
« d’êtres humains faits sur mesure », la question première et
principale des objectifs et de la responsabilité d’une mise en forme
de plus en plus forte de la nature par la société devient importante –
tout comme un schéma institutionnel dans lequel se configurent ces
nouvelles contingences peut être adéquatement conçu afin de s’en
occuper. » (Saretzki 1990, 110-111 ; cf. also Esposito 2008, 23-24)
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Chapitre 2 : La vie comme objet de la politique
Biopolitique écologique
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l’environnement et les questions touchant le futur de l’humanité.
Cette arène politique, dans sa forme complète, est relativement
nouvelle et prend en compte le fait que des questions sur la vie et la
survie sont de plus en plus pertinentes » (1978, 9).
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cette transition désirée et c’est précisément là que la théologie et
l’église ont un rôle à jouer. La « biopolitique Chrétienne » consiste à
développer « une perspective éthico-religieuse centrée sur la vie et la
quête du plaisir dans un âge technologique fondé sur les sciences. Ce
modèle écologique appelle une compréhension organique de la
réalité. Une telle compréhension interprète l’homme en tant
qu’unité bio-spirituelle dont la vie est inscrite dans la nature
cosmique autant que dans l’histoire humaine » (Cauthen 1971, 11-
12). Plus spécifiquement, Cauthen vise à promouvoir « un
mouvement vers « un optimum écologique de la communauté
mondiale remplie de justice et de joie dans laquelle la race humaine
ne peut se contenter de survivre et se lance dans d’excitantes
nouvelles aventures de joies physiques et spirituelles » (ibid., 10).
Quoi qu’il en soit les auteurs motivés par des croyances religieuses
n’étaient pas les seuls à faire usage des débats environnementaux
naissants à leurs propres fins. Beaucoup de représentants de
mouvements de droite étaient particulièrement actifs en Allemagne
et assemblaient au message écologique des motifs eugéniques et
racistes. Dès 1960, la division Allemande du Weltbund zum Schutze
des lebens (Union mondiale pour la protection de la vie) était fondée,
et le Gesamtdeutsche Rat für Biopolitik (Conseil Germanique pour la
Biopolitique) fut établi cinq ans plus tard. En 1965, un supplément de
la revue Allemande de droite Nation Europa paru avec le titre
Biopolitik.
Les contributeurs à ce numéro se concentraient sur « deux sujets
biopolitiques indésirables » : l’ «insensée croissance de la
surpopulation sur la Terre » et le « mélange des races et des
généalogies » qui mènent à « la salissure du patrimoine génétique »
(Nation Europa 1965, 1). Les contributeurs affirmaient que dans le
but de préserver « les possibilités de vie de nos enfants », la politique
du futur doit être biopolitique, et son objectif doit être l’éradication
de ces deux problèmes fondamentaux auxquels fait face l’humanité
(ibid., 1-2). Quoiqu’il en soit les enjeux n’étaient pas seulement « la
protection de la santé génétique des générations futures » (ibid., 45)
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et le contrôle de la population mondiale ». Les groupes classés à
droite politiquement furent aussi assez tôt très engagés dans la lutte
contre « la mort nucléaire » et les questions de santé relatives à
l’énergie nucléaire (cf., par exemple Biologische Zukunft 1978).
Biopolitique « technocentrique »
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aux négociations de la collectivité et aux accords conclus sur ces
bases. Le sociologue Allemand Wolfgang van den Daele fournit une
définition exemplaire de cet axe biopolitique. Il écrit ainsi que la
biopolitique renvoie :
On peut affirmer à coup sûr que depuis les années 1970 « la vie » est
devenue une référence de la pensée et de l’action politiques de deux
manières. D’une part, nous pouvons dire que « l’environnement »
humain est menacé par les structures économiques et sociales
existantes et que les technocrates et régulateurs ont besoin de
trouver les bonnes réponses aux questions écologiques pour assurer
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les conditions de vie sur Terre et la survie de l’humanité. D’autre
part, il est devenu de plus en plus difficile de savoir, en raison des
découvertes bio-scientifiques et des innovations technologiques, ce
que sont exactement les « fondations naturelles » de la vie et
comment elles peuvent être distinguées de ses formes
« artificielles ». Avec la transformation de la biologie en pratiques
d’ingénierie et la possibilité de ne pas considérer les organismes
vivants comme des entités indépendantes et délimitées, mais plutôt
comme des constructions composées d’éléments hétérogènes et
échangeables (i.e., organes, tissues, ADN), la protection traditionnelle
de l’environnement et les efforts de conservation des espèces sont
en train de devenir moins pertinents. Et ceci parce que leur
compréhension est toujours enracinée dans l’hypothèse d’une
séparation des ordres du vivant et d’existence de la nature comme
domaine en principe libre des interventions humaines. A cet aune
Walter Truett Anderson remarque un déplacement de
« l’environnementalisme à la biopolitique » (1987, 94). La
biopolitique représente un nouveau champ politique qui donne
naissance à des questions et des problèmes jusqu’ici imprévisibles
qui vont bien au-delà des formes traditionnelles de la protection de
l’environnement. Comme Anderson le voit, la biopolitique comprend
non seulement des mesures de sauvegarde des espèces en danger
mais devrait aussi s’attaquer au problème de « l’érosion génétique »
et réguler le progrès biotechnologique (ibid., 94-147). Il résulte de
cette problématisation que la version écologique de la biopolitique a
été affaiblie jusqu’au point d’être intégrée dans la variante techno-
centrique. Si la première s’assigne une tâche qui tend vers le défensif
et le conservatif, poursuivant ainsi l’objectif de préservation des
fondations naturelles de la vie ; la dernière, plus dynamique et
productiviste, s’intéresse à l’exploitation de ces fondations.
L’interprétation écologique de la biopolitique est dans ce cas
enfermée dans une logique naturaliste qui s’efforce de thématiser les
interactions entre les processus naturels et sociétaux et détermine
ainsi les bonnes réponses politiques aux questions
environnementales. Cependant, au centre de la version techno-
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centrique de la biopolitique ce n’est pas l’adaptation de la « société »
à un « environnement naturel » séparé qui prévaut, mais plutôt les
modifications et transformations de l’environnement par l’emploi de
moyens scientifiques et techniques.
Bien sûr, ces fils interprétatifs sont difficiles à démêler sur un plan
historique ou systématique. Ainsi, par exemple, la technologie
génétique « verte » est régulièrement promue sur la base d’une
argumentation douteuse qui entend résoudre les problèmes
centraux de l’environnement ainsi que ceux des politiques de
développement. A tout prendre, la synthèse des axes écologique et
techno-centrique de la biopolitique représente une promesse
programmatique qui s’efforce d’insuffler l’espoir d’un monde dans
lequel les moyens de production seront efficaces dans l’usage de
l’énergie, peu polluants, et protecteurs des ressources naturelles ;
un monde qui a surmonté le problème de la faim par l’accroissement
des productions agricoles et alimentaires (pour une évaluation
critique de cette vision, voir Shiva et Moser 1995). De son côté le
philosophe Allemand Volker Gerhardt propose une définition
complète de la biopolitique qui inclut les approches écologiques et
techno-centriques. Gerhardt voit la biopolitique comme « un vaste
domaine d’action » caractérisé par « trois tâches principales ». Avec
« la garantie écologique des bases de la vie » et « l’augmentation
biologique des avantages de la vie », la protection de son
développement par l’intervention médicale est aussi devenue un
problème (2004, 32). Les défis posés par ce type d’intervention ont
radicalement changé et étendu la portée de la biopolitique
contemporaine. Gerhardt indique que cela inclut à présent « ces
questions dans lesquelles l’humain devient objet des sciences de la
vie » (ibid., 44). Il déplore le large scepticisme et réprimande ses
représentants de l’Eglise aux Marxistes. Ces personnes créent « une
suspicion générale sur la biopolitique » (ibid.,37) et fomentent des
craintes irrationnelles à l’égard des nouvelles technologies.
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Face à de telles critiques, Gerhardt considère que c’est un devoir
politique d’organiser un débat rationnel traitant des risques et des
possibilités de la technologie. Selon lui, il est nécessaire de se doter
d’une culture politique qui respecte la liberté individuelle et assure
que l’être humain demeure une fin en soi (ibid.,30) :
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telles méthodes de diagnostic. Un enfant handicapé physiquement
ou mentalement devait-il naître ? Les parents pourraient-ils êtres
tenus responsables de leur décision de ne pas avoir recouru au
diagnostic prénatal et à l’avortement thérapeutique ?
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La biopolitique ne peut pas être simplement la « marque » d’une
activité politique spécifique ou un sous-domaine de la politique qui
traite de la gouvernance et de la régulation des processus de vie. Le
sens de la biopolitique réside plutôt dans son aptitude à rendre
visible la toujours contingente et toujours précaire différence entre la
politique et la vie, la culture et la nature, entre le domaine de
l’intangible et de l’indéniable, d’un côté, et la sphère morale et de
l’action légale de l’autre. Il n’est donc pas suffisant de dissoudre ces
distinctions dans un sens ou dans l’autre, soit comme une manière de
promouvoir une plus forte délimitation du politique et son
adaptation aux conditions biologiques ou dans le but de célébrer
l’élargissement du champ politique – un champ qui inclut des
groupes de problèmes qui étaient auparavant compris comme
naturels et d’une évidence factuelle et qui sont ouverts aujourd’hui
aux interventions scientifiques et technologiques.
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Chapitre 3 : Le gouvernement des êtres vivants : Michel Foucault
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« Pour la première fois sans doute dans l’histoire, le biologique se
réfléchit dans le politique…Mais ce qu’on pourrait appeler le « seuil de
modernité biologique » d’une société se situe au moment où l’espèce
entre comme enjeu dans ses propres stratégies politiques. L’homme,
pendant des millénaires, est resté ce qu’il était pour Aristote : un
animal vivant et de plus capable d’une existence politique ; l’homme
moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant
est en question. » (Foucault 1980, 142-143 / 1976, 187-188)
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historique des mécanismes de pouvoir tout en pointant les
différences entre le pouvoir souverain et le « biopouvoir ». Selon lui,
la première forme est caractérisée par des relations de pouvoir qui
opèrent dans la forme du « prélèvement » : par exemple les
privations et préemptions de biens, de produits et de services. Le
caractère unique de cette technologie de pouvoir s’illustre par le fait
que dans le cas extrême le pouvoir souverain peut disposer de la vie
de ses sujets. Bien que ce droit souverain de vie et de mort n’existe
seulement que dans une forme rudimentaire avec nombre
d’exceptions, il symbolise cependant la forme extrême d’un pouvoir
qui opère essentiellement comme un droit de préemption. Suivant la
lecture de Foucault, cet ancien droit sur la mort a suivi une profonde
transformation depuis le 17ème siècle. Il a ainsi été de plus en plus
complété par une nouvelle forme de pouvoir qui cherche à
administrer, sécuriser, développer et promouvoir la vie :
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l’espace de jeu ainsi acquis, l’organisant et l’élargissant, des procédés
de pouvoir et de savoir prennent en compte les processus de la vie et
entreprennent de les contrôler et de les modifier » (ibid.,142 / 187).
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individus) mais un corpus biologique indépendant : un « corps
social » qui est caractérisé par ses propres phénomènes et processus
tels que les taux de natalité et de mortalité, l’état de santé,
l’espérance de vie, ainsi que la production et la circulation des
richesses. La totalité du processus de vie concret dans une population
est la cible d’une « technologie de sécurité » (2003, 249 / 1997, 222).
Cette technologie vise les phénomènes de masse caractéristiques
d’une population et de ses conditions de variation, afin de prévenir
ou de compenser les risques et dangers qui résultent de l’existence
d’une population comme entité biologique. Les instruments utilisés
ici sont la régulation et le contrôle plutôt que la discipline et la
surveillance. Ils définissent une « technologie qui vise donc, non pas
par le dressage individuel, mais par l’équilibre global, à quelque
chose comme une homéostasie : la sécurité de l’ensemble par
rapport à ses dangers internes » (ibid., 249 / 1997, 222).
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de relations » (1980, 139 / 1976, 183). Elles ne sont pas des entités
indépendantes mais se définissent l’une l’autre. Par conséquent, la
discipline n’est pas une forme d’individualisation qui est appliquée à
des individus déjà existants mais présuppose plutôt une multiplicité.
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l’individualité » : « derrière » le comportement visible, « sous » les
mots prononcés et « dans » les rêves dans lesquels chacun cache ses
désirs et motifs sexuels. D’un autre côté, la sexualité est devenue «
thème d’opérations politiques, d’interventions économiques…, de
campagnes idéologiques de moralisation ou de responsabilisation :
on la fait valoir comme l’indice de force d’une société, révélant aussi
bien son énergie que sa vigueur biologique » (1980, 146 / 1976, 192).
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d’inimaginables moyens techniques et politiques de destruction
inconnus jusqu’alors :
Jamais les guerres n’ont été plus sanglantes pourtant que depuis le
XIXème siècle et, …jamais les régimes n’avaient jusque-là pratiqué sur
leurs propres populations de pareils holocaustes…on dresse des
populations entières à s’entre-tuer réciproquement au nom de la
nécessité pour elles de vivre. Les massacres sont devenus vitaux. C’est
comme gestionnaire de la vie et de la survie, des corps et de la race
que tant de régimes ont pu mener tant de guerres, en faisant tuer
tant d’hommes. (1980, 136-137 / 1976, 179-180)
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hostiles et deux groupes sociaux antagonistes qui coexistent sur un
territoire sans se mélanger, et qui se distinguent clairement l’un de
l’autre à travers, par exemple, l’origine géographique, le langage ou
la religion. Ce « contre-discours » conteste principalement la
légitimité du pouvoir souverain et l’universalité postulée des lois qui
sont démasqués comme norme et forme spécifiques de la tyrannie.
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multiplier les chances, d’en détourner les accidents, ou bien d’en
compenser les déficits ?...C’est là, je crois, qu’intervient le racisme»
(ibid., 254 / 1997, 226-227).
7Foucault conçoit ici la mort en un sens large, qui s’étend non seulement à l’élimination
physique mais aussi à toutes les formes de mort politique et sociale qu’il caractérise
comme un « meurtre indirecte » : « exposer quelqu’un à la mort, accroître le risque de
mort pour certaines personnes, ou, plus simplement, mort politique, expulsion, rejet et
ainsi de suite » (2003, 256).
-45-
pas la peine de vivre ». Elle cherche plutôt à « établir une relation
positive du type : « plus tu tueras, plus tu feras mourir » ou « plus tu
laisseras mourir, et plus, de ce fait même, toi tu vivras » (ibid., 255 /
1997, 227). Le racisme facilite par conséquent une relation
dynamique entre la vie d’une personne et la mort d’une autre. Il
permet non seulement la hiérarchisation de « ceux pour qui la vie
vaut la peine d’être vécue » mais situe aussi la santé d’une personne
dans une relation directe avec la disparition d’une autre. Il équipe
ainsi la fondation idéologique pour identifier, exclure, combattre et
même éliminer les autres, le tout au nom de l’amélioration de la vie :
« la mort de l’autre, ce n’est pas simplement ma vie, dans la mesure
où ce serait ma sécurité personnelle ; la mort de l’autre, la mort de la
mauvaise race, de la race inférieure (ou du dégénéré, ou de
l’anormal), c’est ce qui va rendre la vie en générale plus saine. »
(ibid., 255 / 1997, 228). L’idée de société comme tout biologique
suppose l’aménagement d’une autorité centrale qui la gouverne et la
contrôle, surveille sa pureté, et est assez forte pour affronter des
« ennemis » à l’intérieur de ses frontières et au-delà : en deux mots,
l’Etat moderne. Foucault précise que depuis la fin du 19ème siècle au
plus tard, le racisme a guidé la rationalité des actions de l’Etat ; et il
prend forme dans des instruments politiques et des politiques
concrètes comme « racisme d’Etat » (ibid., 261). Bien que le discours
historico-politique sur la race fut toujours dirigé contre l’Etat et ses
appareils (dénoncés comme instruments de domination d’un groupe
sur un autre), et contre ses lois (dont la partialité n’est pas
dissimulée), le discours sur la race place in fine une arme dans les
mains de l’Etat :
l’Etat n’est pas l’instrument d’une race contre une autre, mais est, et
doit être, le protecteur de l’intégrité, de la supériorité et de la pureté
de la race. L’idée de la pureté de la race, avec tout ce qu’elle
comporte à la fois de moniste, d’étatique et de biologique, c’est cela
qui va se substituer à l’idée de la lutte des races. Lorsque le thème de
la pureté de la race se substitue à celui de lutte des races, je crois que
le racisme est né. (2003, 81 / 1997, 70-71)
-46-
Foucault découvre deux autres transformations du discours raciste
au 20ème siècle : l’Allemagne Nazi et l’Etat socialiste de l’Union
Soviétique. Le National Socialisme renvoie aux motifs de la vieille
guerre des races dans le but de lancer son expansion impérialiste
extérieure et d’attaquer ses ennemis intérieurs. Il est caractérisé par
l’ « exaltation onirique d’un sang supérieur ; celle-ci impliquait à la
fois le génocide systématique des autres et le risque de s’exposer soi-
même à un sacrifice total ». (1980, 150 / 1997, 197). Le racisme
soviétique, quant à lui, ne peut se prévaloir de ce moment théâtral. Il
déploie plutôt les moyens discrets d’une force de police médicale.
L’utopie d’une société sans classes devait être réalisée dans l’Etat
socialiste par le projet de nettoyage de la société dans laquelle tous
ceux qui divergeaient par rapport à l’idéologie dominante étaient
traités comme « malade » ou comme « fou ». Dans cette variante de
racisme d’Etat, l’ennemi de classe devenait biologiquement
dangereux et devait être extirpé du corps social (2003, 82-83 / 1997,
72-73).
8Pour une critique de l’analyse foucaldienne du racisme, voir Stoler 1995 et Forti 2006.
(NdT, on peut également mentionner : La matrice de la race, généalogie sexuelle et
coloniale de la Nation Française, Elsa Dorlin, La Découverte, 2006.)
-47-
social. Le racisme n’est pas défini par une action individuelle. Il
structure plutôt des champs sociaux d’action, il guide des pratiques
politiques, et il se réalise par des appareils d’Etat. Plus encore,
Foucault défie la démarcation politique traditionnelle entre les
positions conservatrices et critiques. La vieille notion de guerre des
races était un discours dirigé lui-même contre le pouvoir souverain
établi, ses auto-représentations et principe de légitimité. A travers la
« transcription » Foucault identifie (ibid., 60 / 52) le projet politique
de libération convertit en un projet raciste préoccupé par la pureté
biologique ; la promesse prophético-révolutionnaire devient une
conformité médico-hygiénique à la norme ; de la lutte contre la
société et ses contraintes s’en suit l’impératif de « défendre la
société » contre les dangers biologiques ; un discours contre le
pouvoir est transformé en un discours de pouvoir : « le racisme c’est,
littéralement, le discours révolutionnaire mais à l’envers » (ibid., 81 /
71). L’analyse de Foucault attire l’attention sur une « polyvalence
tactique » (1980, 100 / 1976, 132) et la capacité interne de
transformation contenue dans le discours sur la race. De cette façon
il devient possible de rendre compte de stratégies contemporaines
néo-racistes qui ne se focalisent pas tant sur les différences
biologiques mais plutôt sur les supposées différences culturelles
fondamentales entre les groupes ethniques, les peuples ou les
groupes sociaux.
-48-
Bien que le mot ait un sens purement politique aujourd’hui Foucault
montre que jusqu’au 18ème siècle le problème du gouvernement était
placé dans un contexte plus général. Le terme gouvernement était
employé non seulement dans des tracts politiques mais aussi dans
des textes philosophiques, religieux, médicaux et pédagogiques. En
plus du management ou de l’administration de l’Etat, le
gouvernement s’applique également aux problèmes de contrôle de
soi, de guide pour la famille et les enfants, de management de la
maison, de direction de conscience et d’autres questions encore9.
9 Pour une étude détaillée du concept foucaldien de gouvernement voir Lemke 1997.
-49-
radicalement transformées entre le vivant et la production: la
« seconde nature » de la société civile en évolution (voir Foucault
2007 / 2004).
-50-
quelles fins doit-il poursuivre, à l’égard de la société, pour se justifier
d’exister ? » (2008, 319 / 2004, 325)
-51-
de techniques et de procédures d’ajustement et d’adaptation des
individus à cette norme.
-52-
avec ses travaux antérieurs. Le déplacement théorique résulte d’une
autocritique de sa première analyse de la biopolitique perçue comme
unidimensionnelle et réductrice dans le sens où sa focale pointait la
vie biologique et physique de la population et la politique des corps.
Introduire la notion de gouvernement aide à élargir l’horizon
théorique et lie l’intérêt de l’ « anatomie politique du corps humain »
avec la mise en évidence des processus de subjectivation et les
formes politico-morales de l’existence. De ce point de vue la
biopolitique représente une constellation dynamique particulière qui
caractérise le gouvernement libéral. Avec le libéralisme, et pas avant,
la question qui se pose est de savoir comment les sujets doivent être
gouvernés quand ils sont à la fois des personnes juridiques et des
êtres vivants (voir ibid. 2008, 317/2004, 323). Foucault met en avant
cette question quand il précise que les problèmes biopolitiques ne
peuvent être séparés :
-53-
pression qui résulte des innovations biotechnologiques. Il en est ainsi
de la question de savoir si les embryons possèdent une dignité
humaine et peuvent demander des droits. De plus, de quelle
hypothèse « naturelle » dépend la garantie des droits politiques et
sociaux ? Quelle est la relation entre les différentes formes de
socialisation et les caractéristiques biologiques ? Une telle
perspective concentre notre attention sur les relations entre les
technologies et les pratiques gouvernementales : comment les
formes libérales de gouvernement font usage des techniques
corporelles et des formes d’auto-comportement ? Comment
forment-elles les intérêts, les besoins et les structures de
préférence ? Comment les technologies actuelles façonnent les
individus comme des citoyens actifs et libres, comme membres de
communautés et d’organisations autogérées, comme acteurs
autonomes qui sont en position – ou, au moins, devrait l’être – de
calculer rationnellement leur propres risques de vie ? Dans les
théories néolibérales, quelle est la relation entre le concept de sujet
rationnel et responsable et celui de vie humaine en tant que capital
humain ?
-54-
pouvoir qui cherchent à réguler et à contrôler la vie provoquent des
formes d’opposition qui produisent des demandes et des attentes de
reconnaissance au nom du corps et de la vie. L’expansion et
l’intensification du contrôle sur la vie la fait devenir dans le même
temps la cible de luttes sociales :
Et contre ce pouvoir…les forces qui résistent ont pris appui sur cela
même qu’il investit – c’est –à –dire sur la vie et l’homme en tant qu’il
est vivant…ce qui est revendiqué et ce qui sert d’objectif, c’est la vie,
entendue comme besoins fondamentaux, essence concrète de
l’homme, accomplissement de ses virtualités, plénitude du possible.
Peu importe qu’il s’agisse au non d’utopie ; on a là un processus très
réel de lutte ; la vie comme objet politique a été en quelque sorte
prise au mot et retournée contre le système qui entreprenait de la
contrôler. (1980, 144-145 / 1976, 190-191)
-55-
qu’elles s’opposent à un «gouvernement d’individualisation » (2000b,
330). Elles mettent en question l’adaptation des individus aux
normes sociales déclarées valides universellement, fondées
scientifiquement et qui régulent les modèles du corps, des relations
entre sexes et les formes de vie.
-56-
Chapitre 4 : Le pouvoir souverain et la vie nue : Giorgio Agamben
-57-
Dans ce qui suit je présente les apports et amendements d’Agamben
à la conception foucaldienne de la biopolitique, j’aborde également
les mérites et les limites analytiques de ses travaux. La première
partie présente brièvement la thèse initiale d’Agamben ; la seconde
partie traite de son potentiel diagnostic pour une analyse des
sociétés contemporaines. Dans la troisième partie j’identifie plusieurs
problèmes théoriques posés par la conception biopolitique
d’Agamben, incluant son adhésion implicite à une conception
juridique du pouvoir, sa fixation sur l’Etat, sa négligence des aspects
socio-économiques de la problématique biopolitique, et la fondation
quasi-ontologique de son modèle théorique.
La loi de l’exception
-58-
semble très éloignée de la politique, s’avère être la base solide d’une
politique du corps qui fait de la vie et de la mort des êtres humains
l’objet d’une décision souveraine. Dans cette perspective, la
production d’homines sacri représente déjà une part du
renoncement de l’histoire politique de l’Ouest.
La trace de l’homo sacer s’étend des exilés Romains aux détenus des
camps Nazis et au-delà, en passant par les condamnés du Moyen-
âge. Dans la période contemporaine Agamben conçoit l’existence de
la « vie nue » en quelques exemples : les demandeurs d’asile, les
réfugiés et les personnes en situation de mort cérébrale. Ces « cas »
apparemment sans liens ont cependant une chose en commun : bien
qu’ils concernent tous la vie humaine ils sont exclus de la protection
de la loi. Soit Ils restent tournés vers l’assistance humanitaire et sont
incapables d’affirmer des droits, soit ils sont réduits au statut de
« biomasse » par l’autorité des définitions et interprétations
scientifiques11.
11 Agamben étend ici la pensée d’Hannah Arendt développée dans « Les origines du
totalitarisme » au regard de la « perplexité des droits de l’homme » et la production, par
l’Etat-Nation moderne, de personnes sans Etat et par conséquent sans aucun droit
(Arendt 1968, 267-302). Cf. voir aussi la comparaison instructive de Katrin Braun(2007)
des concepts biopolitiques de Foucault et d’Arendt.
-59-
que Agamben ignore des différences importantes et essentielles. La
critique des « niveaux » de différence d’Agamben est moins
pertinente que son manque de concrétisation et la dramatisation
excessive qui peuvent conduire, en dernier lieu, à l’impression que
l’ « homo sacer » est « partout et pour toujours » (Werber 2002,
622).
-60-
centre du domaine politique. Le seuil de modernité biopolitique sera
franchi, selon Agamben, quand la « vie nue » ira au-delà de l’état
d’exception pour devenir centrale dans les stratégies politiques ;
l’exception deviendra la règle, et la différence entre l’intérieur et
l’extérieur, entre le fait et la loi, entreront dans une « zone
d’indistinction irréductible » (ibid., 9). La biopolitique moderne, écrit
Agamben, a « deux visages » :
En gagnant des espaces, des libertés et des droits gagnés par les
individus dans leurs conflits avec les pouvoirs centraux, les individus
préparent à chaque fois simultanément une inscription tacite mais
toujours plus profonde de leur vie dans l’ordre étatique, offrant ainsi
une assise nouvelle et plus terrible au pouvoir souverain dont ils
voudraient s’affranchir. (ibid., 121 / 1997 131)
Ainsi, Agamben ne suit pas une logique des parallèles trop simplifiée.
Il essaye plutôt d’éclaircir le terrain commun à ces formes très
différentes de gouvernement, c’est-à-dire, la production de la « vie
-61-
nue ». Plutôt que d’insister sur le fait que les camps Nazis
représentent une exception logique ou un phénomène marginal
historiquement, il recherche la « régularité » ou la normalité de cette
exception et demande jusqu’à quel point la « vie nue » est une
composante essentielle de la rationalité politique contemporaine,
depuis que la préservation et la prolongation de la vie est l’objet
croissant des régulations juridiques (2000, 37-45).
-62-
statut de « vie nue » - sans pour autant clarifier le mécanisme de
différentiation qui distingue les différentes valeurs de la vie. Il
demeure pour le moins difficile de comprendre jusqu’à quel point et
de quelle manière les patients hospitalisés dans le coma partagent le
destin des prisonniers des camps de concentration, ou si les
demandeurs d’asile emprisonnés sont en « vie nue » au même degré
et dans le même sens que les juifs dans les camps Nazi. Si d’un côté
Agamben semble tendre vers une dramatisation exagérée plutôt
qu’une sobre évaluation – il voit même comme homines sacri les
personnes tuées dans les accidents de la route (1998, 114 ; Werber
2002, 422) – au surplus son analyse doit accepter la critique que ceci
représente une trivialité inacceptable – qu’il se sert d’Auschwitz
comme d’un objet de leçon qui se renouvelle lui-même
perpétuellement (cf. Agamben 1999, 133-134, 156).
Trois problèmes
-63-
être qualifiée de « plus haute » ou de « plus basse », de
« descendante » ou d’ « ascendante ». Ces processus de
différentiation lui échappent, Agamben n’est pas tant intéressé par la
« vie » que par sa « nudité ». La discipline et la formation, la
normalisation et la standardisation de la vie ne sont pas centrales
dans sa pensée, c’est la mort qui établit et matérialise une frontière.
Pour Agamben, la biopolitique est avant tout « thanatopolitique »
(1998, 142 ; cf. 1999, 84-86 ; Fitzpatrick 2001, 263-265 ; Weber 2002,
419)12.
-64-
l’origine de la politique mais aussi son but et sa définition. Dans cette
configuration la politique s’épuise dans la production des homines
sacri, qui doivent être vus comme improductifs, créés pour la « vie
nue » à la seule fin d’être opprimés et supprimés. Agamben écarte le
fait que les interventions biopolitiques ne se limitent elles-mêmes en
aucune façon au processus d’opposition entre les existences
biologiques et politiques. A la place d’une simple extermination de la
« vie nue », ou de la permission de la supprimer impunément, ces
interventions la subordonne à un impératif bioéconomique
d’accroissement de la valeur dont l’objectif est d ‘améliorer les
chances de survie et la qualité de vie. En d’autres termes, Agamben
échoue à reconnaître que la biopolitique est essentiellement une
économie politique de la vie. Son analyse demeure sous le sceau du
pouvoir souverain et reste aveugle à tous les mécanismes qui
opèrent en dehors du droit.
-65-
truchement des innovations biotechnologiques et médicales, sont
ouverts aux résultats des processus de décision et en dépendent.
Toutefois, sa focalisation sur la politique raciale des Nazis conduit à
une vision déformée du présent. Agamben ne semble pas considérer
que la biopolitique n’est pas seulement la vision pure d’une
régulation gouvernementale. Il s’agit aussi d’un champ de sujets
« autonomes » qui, comme patients rationnels, entrepreneurs
individuels et parents responsables (devraient) demander des
options biotechnologiques. De moins en moins souvent l’Etat, du fait
de son attention à la santé du « corps populaire » (volkskörper),
décide de qui doit vivre parce qu’il le vaut. Ces décisions, de manière
croissante, échoient aux individus eux-mêmes. La détermination de la
« qualité de vie » est devenue une question d’utilité individuelle, de
préférence personnelle et d’allocation de ressource adéquate.
-66-
commerciaux, mais est aussi une allusion aux exemples choisis par
Agamben comme le suicide assisté et la médecine de transplantation.
Il est attendu que dans le futur la volonté et les arrangements
contractuels prendront la place des prescriptions et des proscriptions
explicites de l’Etat.
-67-
moderne, de l’émergence des sciences humaines, et de la formation
des relations de production capitalistes. Sans le nécessaire placement
du projet biopolitique dans un contexte socio-historique, la « vie
nue » devient une abstraction dont les conditions complexes
d’émergence doivent rester aussi obscures que ses implications
politiques. Agamben tend à gommer les différences historiques entre
l’antiquité et le présent, aussi bien que les différences entre le moyen
âge et la modernité. Non seulement il évite la question du rapport
entre la biopolitique et une économie politique de la vie, mais il
supprime aussi l’importance du genre dans sa recherche. Il ne
cherche pas jusqu’où la production de « vie nue » est aussi un projet
patriarcal qui codifie les différences de genre au moyen d’une
proportion stricte et dichotomique de nature et de politique (cf.
Deuber-Mankowsky 2002).
-68-
« vie nue ». De même, Homo Sacer offre une perspective analytique
qui permet de tracer des continuités historiques et des similarités
structurales entre les régimes fascistes et stalinistes d’un côté, et les
Etats démocratiques libéraux de l’autre. La portée politique des
travaux d’Agamben s’illustre en ce qu’il ne suffit pas simplement
d’étendre les droits de ceux qui, jusqu’alors, ne disposaient ni de
droits, et par conséquent, ni de protections. Il insiste sur le fait que
« les chemins et les formes d’une nouvelle politique » (1998, 187)
sont nécessaires ; c’est-à-dire qu’il y a besoin d’une nouvelle
grammaire politique qui annule complètement les différences entre
l’être humain et le citoyen et transcende la conception légale qui
présuppose et stabilise de façon permanente la séparation entre
l’existence politique et l’être naturel13.
-69-
Chapitre 5 : Capitalisme et multitude vivante : Michael Hardt et
Antonio Negri
-70-
Règle impériale et travail immatériel
-71-
Hardt et Negri considèrent que depuis les années 1970 un
changement décisif des modes de production est survenu. Le
paradigme du capitalisme industriel, écrivent-ils, a été de plus en plus
remplacé par un « capitalisme cognitif » (Negri 2008, 64).Cette forme
de capitalisme se distingue par un processus de production
informatisé, automatisé, interconnecté et globalisé, et conduit à une
transformation décisive du sujet au travail. Dans ce contexte, la
connaissance et la créativité, le langage et l’émotion, deviennent
centraux pour la production et la reproduction dans ce type de
société. Selon Hardt et Negri, l’informatisation de la production et
son organisation en réseaux rend de plus en plus difficile le maintien
des divisions entre l’individuel et le collectif et entre le travail
intellectuel et physique. La transformation du processus de
production conduit à la domination d’une nouvelle forme de travail
socialisé que les auteurs décrivent comme « travail immatériel ». Les
trois aspects les plus importants du travail immatériel sont décrits
par Hardt et Negri de cette façon :
-72-
n’y a rien, ni « vie nue », ni point de vue externe, qui puisse être posé
en dehors de ce champ imprégné par l’argent, rien n’échappe à
l’argent » (ibid., 32).
-73-
attirent l’attention sur la dynamique productive et le potentiel créatif
de l’Empire. Afin de marquer une différence conceptuelle plus nette
sur ce point, Hardt et Negri, dans l’ouvrage ultérieur Multitude,
distinguent de manière plus affirmée qu’auparavant les termes
« biopouvoir » et « biopolitique » : « le biopouvoir représente au-
dessus de la société, une transcendance, comme une autorité
souveraine qui impose son ordre. Quant à la production biopolitique
elle est au contraire immanente à la société et créée des formes et
des relations sociales au travers des formes collaboratives de travail »
(2004, 94-95 ; voir aussi Negri 2008, 73-74).
-74-
producteurs et les produits de cette machine unitaire. (2000, 385 ;
voir aussi 2004, 334-335)
-75-
pouvoir peut exercer un commandement efficace sur l’ensemble de la
vie de la population seulement quand il devient une fonction vitale
complète que chaque individu embrasse et réactive suivant son
propre accord. (Ibid., 23-24)
-76-
En opposition à la souveraineté impériale, Hardt et Negri voient
l’émergence d’une « multitude ». Avec ce terme, les auteurs
reviennent à un concept dérivé de la théorie politique classique qui a
joué un rôle décisif dans la pensée du philosophe du tout début de la
modernité, Baruch de Spinoza. « Multitude » décrit l’ensemble des
acteurs qui circulent dans les relations de pouvoir sans évoquer une
autorité supérieure ou une identité sous-jacente. La multitude doit sa
formation à de nouvelles conditions de production dans une
« machine biopolitique globalisée » (ibid., 40). La « multitude
plurielle de production, subjectivités créatives de la globalisation »
(ibid., 60) est aussi l’ « alternative vivante qui croît dans l’Empire »
(2004, xiii). Les mêmes compétences, affects et formes d’interaction
qui sont promus par les nouvelles structures de production et de
pouvoir les déterminent aussi ; en cela elles s’isolent elles-mêmes de
la monopolisation et de l’exploitation et suscitent le désir de formes
de vie et de relations de production autonomes et égalitaires. Les
auteurs exposent la vision d’une force transformative et d’une forme
d’association qui unissent différentes sortes de résistances sociales et
échappent à la représentation politique des peuples, des nations ou
des structures de classe (2004, xiv – xv). La multitude représente une
force globale compensatrice qui signale la possibilité de libération de
la domination et la perspective de nouvelles formes de vie et de
travail.
-77-
S’il n’y avait pas de résistance, il n’y aurait pas de rapports de
pouvoir. Parce que tout serait simplement une question
d’obéissance…La résistance vient donc en premier, et elle reste
supérieure à toutes les forces du processus ; elle oblige, sous son
effet, les rapports de pouvoir à changer. Je considère donc que le
terme « résistance » est le mot le plus important, le mot clef de cette
dynamique. (Foucault 1997a, 167 / 1994, 740-741)
-78-
et d’action politique : « elles sont des luttes biopolitiques, des luttes
pour la forme de la vie. Elles sont des luttes constituantes, créatrices
de nouveaux espaces publics et de nouvelles formes de
communauté » (ibid., 56).
Ontologie et Immanence
-79-
révolutionnaire du plan d’immanence » (2000, 70) qu’ils négligent
cependant de soutenir et d’implémenter comme perspective
théorique. Tandis que Hardt et Negri démontrent l’impossibilité
d’une « position externe » dans l’Empire, leur référence à la « vie »
rompt avec le principe d’immanence. Au lieu de cela la vie n’est pas,
comme chez Foucault (1970), configurée comme une construction
sociale ou un élément de connaissance historique ; elle fonctionne
plutôt comme une entité transhistorique originale. D’un côté, la
conception ontologique de la biopolitique proposée par Hardt et
Negri est si globale qu’elle ne permet pas clairement de comprendre
par quelle voie elle pourrait être circonscrite et comment elle est
reliée à d’autres formes d’action politique et sociale. D’un autre côté,
elle permet l’implémentation d’une chorégraphie bien pensée qui
contredit toujours deux principes au lieu de les analyser sur le « plan
d’immanence », ce que les auteurs appellent de leurs vœux. La
multitude vitale et autonome lutte contre l’Empire improductif,
parasite et destructif.
Hardt et Negri font le diagnostic d’un Empire qui régit et qui trouve
sa contrepartie dans la glorification de la multitude. Seule la
multitude est productive et positive tandis que l’Empire est
contrôlant et restrictif. Pour Hardt et Negri, la « spécificité de la
corruption aujourd’hui est, au lieu d’une rupture de la communauté
des corps singuliers et de l’empêchement de son action, une rupture
de la communauté productive biopolitique et l’empêchement de sa
vie » (ibid., 392). On peut cependant se poser la question de savoir si
la régulation et la production peuvent être séparées si nettement :
chaque exemple de production n’est-il pas toujours déjà un type de
production régulée ? Pourquoi l’Empire ne produit-il seulement que
ce qui est négatif, et la multitude quelque chose de positif ? Les
émotions et désirs ne sont-ils pas toujours déjà une part de l’Empire,
le reproduisant et le stabilisant ? Au lieu de concevoir la relation
entre l’Empire et la multitude comme une relation entre deux entités
ontologiques, il serait plus approprié d’analyser une relation
(biopolitique) de production qui contient en elle les deux pôles.
-80-
Hardt et Negri ne se limitent pas eux-mêmes à tracer le fil de
l’émergence historique d’une nouvelle figure politique. Ils tendent
plutôt à ancrer la multitude ontologiquement. Negri invoque par
exemple le « biodésir » qu’il compare au biopouvoir : « le désir pour
la vie, la force et la profusion du désir sont les seules choses que l’on
peut opposer au pouvoir qui a besoin de placer des limites au
biodésir » (Negri 2004, 65). Il y a un danger que la traduction
ontologique de la biopolitique, de façon contraire aux intentions des
auteurs, ait l’effet d’une dépolitisation de leurs travaux quand ils
conçoivent la multitude en soi comme une force égalitaire et
progressive qui est investie dans un but démocratique radical. Au lieu
de contribuer à une mobilisation sociale, cette façon de penser
pourrait, au contraire, laisser l’impression que les luttes politiques ne
sont rien d’autre que les incarnations de principes ontologiques
abstraits qui procèdent presque automatiquement sans
l’engagement, l’intention ou l’affect d’acteurs concrets (Saar 2007,
818).
-81-
Chapitre 6 : Disparition et transformation du politique
Il n’y a pas de doute que les écrits de Giorgio Agamben et les travaux
de Michael Hardt et Antonio Negri sont les contributions les plus
remarquables aux débats touchant les développements et
l’actualisation de la biopolitique foucaldienne. Cependant de
nombreuses autres tentatives se sont confrontées au concept de
biopolitique. On peut généraliser en disant qu’il y a deux fils
conducteurs primaires par, et au travers desquels, le terme a été
adopté. Le premier, qui est introduit dans ce chapitre, relève avant
tout de la philosophie et des théories sociales et politiques. Ce
domaine d’investigation se concentre sur le mode politique :
comment fonctionne la biopolitique et quelles forces contraires
mobilise-t-elle ? Comment se différentie-t-elle analytiquement et
historiquement des autres ères et des autres formes politiques ? Le
second fil, dans lequel la biopolitique joue un rôle important, est le
sujet du prochain chapitre. Il a pour origine les recherches en
sciences et en technologie, en sociologie médicale, en anthropologie
aussi bien que les études de genre et les théories féministes. Le point
focal réside ici dans la substance de la vie. Si, comme conséquence
d’innovations bioscientifiques, le corps humain est vu aujourd’hui
moins comme un substrat organique que comme un logiciel
moléculaire qui peut être lu et ré-écrit, alors la question des
fondations, moyens et fins de la biopolitique doit être posée d’une
autre manière.
-82-
vie comme une avancée et un complément aux formes
traditionnelles d’articulation et de représentation politique. Une
troisième position est prise par l’anthropologue médical Didier
Fassin. Son terme « biolégitimité » ne représente ni la négation des
formes établies de politique ni leur perpétuation mais plutôt la trace
d’un réalignement politique fondamental où le corps malade ou
blessé se voit assigné une signification politique centrale.
Politique du corps
-83-
conséquences de la santé à la «question de la race». Les auteurs
étudient « le venin totalitaire » qui menace les discussions reliées aux
problèmes biopolitiques (Fehér et Heller 1994, 27). Leur critique vise
les nouveaux mouvements sociaux, notamment le féminisme et le
mouvement pour la paix mais également la culture de gauche
académique « postmoderne ».
-84-
problèmes qui ne sont pas même vus ou pas assez bien vus (ibid., 9).
L’analyse des auteurs contient une gamme d’observations incisives et
d’arguments critiques mais reste globalement et étonnamment assez
vague. La principale raison est que Féher et Heller substituent une
stratégie polémique à une clarté catégorique et une précision
analytique. Cependant, ils signalent l’importante problématique de la
« biologisation » des conditions sociales et critiquent, à raison, la
nature morale du discours sur la santé (cf. ibid., 67-68).
-85-
spécifique d’action politique qui est calibrée uniquement pour
l’usage de thèmes corporels. Ainsi, au centre de leur analyse ne
figurent pas les processus de vie dans un sens élargi et complet qui
inclurait aussi les thèmes environnementaux ou non humains ; mais
des formes d’action politique centrées exclusivement sur le corps
humain. Or, beaucoup de conflits biopolitiques sont initiés par des
questions relatives aux droits animaux ou aux brevets sur le vivant
qui ne peuvent guère être conçus comme parties à la « libération »
du corps humain.
-86-
chaque cas la liberté a priorité sur la vie. Il en résulte que leur analyse
reste située dans un cadre théorique assez simple, qui peut être
réduit, in fine, à une série de termes binaires : la modernité opposée
à la postmodernité, la politique traditionnelle à la biopolitique, et la
liberté à la vie.
Politique de vie
-87-
Le concept de réflexivité est central dans l’argumentation de
Giddens. La modernité, dit-il, est caractérisée par la révision
perpétuelle de la convention qui en principe comprend tous les
domaines et les champs d’action de la vie. Giddens pense que les
pratiques sociales sont constamment contrôlées et changées à la
lumière des nouvelles connaissances relatives à ces pratiques. En
cela, la connaissance des participants est elle-même un élément de
pratique sociale. Cependant, la réflexivité de la vie sociale dans la
société moderne a son prix : elle ronge la notion de connaissance
stable et définitive puisque le principe de réflexivité doit s’appliquer à
lui-même. Le résultat est que le contenu et la production des
connaissances sont considérés provisoires et révisables.
-88-
décisive le projet de modernité on peut aujourd’hui observer un
nouveau type de politique qui représente une voie
fondamentalement différente de compréhension. Giddens décrit
cette nouvelle forme de politique comme « politique de vie » qu’il
comprend comme des « engagements radicaux qui cherchent à
prolonger les possibilités d’une vie pleine et satisfaisante pour tous »
(1990, 156). Tandis que la « politique émancipatrice » est une
politique des possibilités de vie, « la politique de vie » recherche une
politique des styles de vie. Si la première renvoie à des notions de
justice et d’égalité, la dernière est tirée par la quête d’auto-
actualisation et d’auto-identité. Ceci est moins fondé sur des
programmes politiques que sur l’éthique personnelle. Pour Giddens,
les protagonistes de cette nouvelle forme de politique sont les
membres de nouveaux mouvements sociaux, en particulier le
mouvement féministe, qui unit le personnel et le politique.
-89-
reproduction n’est plus un fait accidentel ou un fait du destin mais
plutôt l’expression d’une préférence personnelle et d’un choix. « La
disparition de la nature » et l’émergence de nouvelles options
empiètent non seulement sur la question de la reproduction mais
aussi sur l’apparence corporelle et l’orientation sexuelle ; ces deux
aspects sont vus de plus en plus comme sujets à changements, à
correction, et ouverts à l’intervention.
-90-
différentiation entre la politique émancipatrice et la politique de vie
n’est pas suffisamment élaborée et reste pour une large part diffuse
tout comme sa distinction entre la modernité tardive et la modernité
classique. Giddens essaie d’un côté de renforcer la continuité de la
modernité tout en reconnaissant simultanément une césure décisive
dans le projet des modernes. Son argument se déplace constamment
d’avant en arrière entre ces deux positions dont il résulte deux
problèmes.
-91-
cela se produise. Etant donné cette conception du politique
apparemment très complète, mais en fait dénuée de sens, il n’est
guère surprenant que Giddens traite très marginalement des
dimensions centrales de la politisation de l’existence personnelle. Sa
discussion de la politique de vie se concentre presque exclusivement
sur les formes de connaissance et les possibilités d’intervention au
regard de la nature humaine. Ainsi Giddens est moins intéressé par
l’interaction des relations sociales et les problèmes
environnementaux.
Biolégitimité
15Pour une discussion plus en avant de ce problème, voir Butler 1998 et Fraser et
Honneth 2003.
-92-
normes dans un contexte historique et géographique donné,
accessible aux investigations ethnologiques. Fassin souligne que
l’inclusion de la dimension morale ne remplace pas l’analyse
politique mais l’élargit et l’approfondit. Sa question centrale est :
quels sont les systèmes de valeur et les choix normatifs qui guident la
politique de la vie ? (Fassin 2006).
-93-
gouvernement des corps au travail qui s’organise lui-même autour de
la santé et de l’intégrité corporelle comme valeurs centrales. La « vie
nue » apparaît dans cette perspective comme le vecteur d’une
« biolégitimité » qui exclut le recours à la violence. Tandis
qu’Agamben diagnostique une « séparation entre l’humanitaire et le
politique » (1998, 133), l’humanitaire est pour Fassin la forme en
quintessence de la biopolitique. L’humanitaire n’est pas un champ
social d’action fermé, défini, et administré par de grandes
organisations non gouvernementales (ONG) mais plutôt un principe
moral qui accorde à la vie humaine une priorité absolue. Selon Fassin
il est de plus en plus évident dans le domaine social que le corps
fonctionne comme la dernière autorité sur la légitimité politique
(2006).
-94-
rejeter une demande d’asile considérée infondée que rejeter un
rapport médical qui recommande une résidence temporaire pour
raisons médicales (2006, 2001).
-95-
Ces axes interprétatifs - la politique du corps, la politique de la vie et
la biolégitimité – représentent, il faut l’admettre, une petite portion
de la philosophie et de la théorie sociale dévolue à la biopolitique.
Deux autres tentatives de mise à jour du concept doivent au moins
être mentionnées ici. Bios : biopolitics and philosophy (2008) est le
seul ouvrage du philosophe italien Roberto Esposito traduit jusqu’à
présent en anglais. Il s’agit du dernier volume d’une trilogie et il signe
un point remarquable de la réflexion philosophique sur l’ « énigme
de la biopolitique » (ibid., 13)16. La thèse centrale d’Esposito est que
la pensée politique occidentale moderne est dominée par le
« paradigme de l’immunisation » (ibid., 45). Il montre, via une
reconstruction de la théorie politique depuis Thomas Hobbes, que les
concepts modernes de sécurité, de propriété, et de liberté peuvent
seulement être compris dans une logique d’immunité. La
caractéristique de cette logique est une connexion intérieure entre la
vie et la politique dans laquelle l’immunité protège et promeut la vie
tout en limitant aussi le pouvoir expansif et productif de la vie. La
sauvegarde et la préservation de la vie sont centrales dans l’action et
la pensée politiques. Cet objectif conduit en dernier lieu à des
résultats (auto-) destructeurs. En d’autres termes, la logique de
l’immunité sécurise et préserve la vie jusqu’au point où elle nie la
singularité des processus de vie et les réduit à une existence
biologique. Cette « logique immunitaire » conduit de la maintenance
de la vie à une forme négative de sa protection et finalement à la
négation de la vie (ibid., 56).
-96-
laquelle la politique de vie est entièrement enveloppée dans une
politique de mort négative (thanatopolitique). Esposito, avec
Agamben et Foucault, souligne que le Nazisme se tient dans un
continuum avec l’action et la pensée politiques modernes.
Cependant, à la différence des deux autres philosophes il ne voit la
spécificité du Nazisme ni dans la ré-articulation de la souveraineté ni
dans la suprématie de l’état d’exception. En lieu et place, Esposito
souligne les objectifs médico-eugéniques du Nazisme et l’importance
programmatique de la lutte contre la maladie, la dégénérescence et
la mort. Le projet immunitaire de promotion de la vie conduit ainsi
ultimement aux camps de la mort :
-97-
vulnérabilité, l’ouverture et la finitude constitutive des corps
individuels et collectifs comme la fondation essentielle de la
communauté - plutôt que de les considérer systématiquement
comme un danger à repousser.
-98-
Chapitre 7 : La fin et la réinvention de la Nature
-99-
épistémiques et normatives entre l’humain et le non humain.
J’introduis ensuite brièvement la thèse de l’anthropologue Paul
Rabinow, selon laquelle de nouvelles socialités et formes d’activisme
politique émergent sur la base des connaissances biologiques. Enfin
s’en suit un débat du concept d’éthopolitique proposé par le
sociologue Nikolas Rose.
-100-
« reprogrammer ». Cette épistémologie politique de la vie ne vise
plus le contrôle de la nature extérieure mais plutôt la transformation
de la nature intérieure. En conséquence, la biologie n’est plus conçue
comme une science des découvertes qui enregistre et documente les
processus de vie mais plutôt comme une science de transformation
qui crée la vie et change activement les organismes vivants (Haraway
1991 ; Rheiberger 2000 ; Clarke et al. 2003).
-101-
mais définit ce qu’est la vie, quand elle commence et se termine.
Dans un sens entièrement nouveau, la « thanatopolitique » est une
partie intégrante de la biopolitique (Andrews et Nelkin 2001 ; Iacub
2001 ; Franklin et Lock 2003).
-102-
Biosocialité
-103-
terminologies génétiques et bio-scientifiques de la même façon que
le vocabulaire biomédical s’insinue dans le langage quotidien. Si les
gens se décrivent aujourd’hui eux-mêmes en terme de basse
pression artérielle ou de taux de cholestérol élevé, dans le futur les
individus pourraient se définir eux-mêmes en terme de risque
génétique élevé pour telle ou telle maladie, de tolérance faible à
l’alcool conditionnée génétiquement, ou de prédispositions
héréditaires au cancer du sein ou à la dépression.
-104-
propres publications et à la rédaction de contenus électroniques
destinés à internet (cf. Rabinow 1999)17.
17Aujourd’hui Rabinow est plus prudent et pointe les limites du concept original
formulé dans l’ « âge d’or de la biosocialité moléculaire » : « il y avait de l’espoir, il y avait
du progrès, il y avait une raison pressante et même urgente – il y avait des raisons de
vouloir être biosocial » (2008, 190). Toutefois, comme l’admet Rabinow, jusqu’à présent
très peu des promesses de la médecine génétique ont été réalisées, et il n’y a guère de
procédure adéquat d’évaluation des risques ou de traitements médicaux disponibles.
-105-
Une deuxième arène d’activisme politique concerne la lutte contre
les restrictions matérielles ou idéologiques pour obtenir l’accès aux
technologies médicales et aux connaissances bioscientifiques. Les
groupes d’entre-aide et les organisations de patients se battent
contre les restrictions ou les exclusivités de propriété intellectuelle
dans le domaine de la recherche biomédicale et génétique. Ils
orientent aussi leurs ressources contre l’utilisation des connaissances
génétiques aux seuls usages commerciaux qui peuvent conduire à
limiter le prolongement de recherches, et augmenter le coût de
développement et de diffusion des dispositifs thérapeutiques et
diagnostics. Un troisième champ d’engagement des groupes d’entre
aide et des organisations de patients est leur participation aux
comités d’éthique et aux délibérations parlementaires, aussi bien que
la production de projet de lignes directrices dans la régulation des
procédures technologiques (Rabeharisoa et Callon 1999 ; Rabinow
1999 ; Heath, Rapp, and Taussig 2004 ; Rose et Novas 2005).
Jusqu’à présent peu d’études ont pris pour objet cette « biopolitique
souterraine» et examinées empiriquement les relations entre les
formes collectives d’action, les groupes de patients et les
organisations familiales. Pour cette raison, les motifs d’activisme et
les critères d’affiliation qui guident ces organisations, les canaux
d’influence et de lobbying qu’elles installent afin de supporter leurs
propres intérêts, et la manière dont elles construisent leurs alliances
ont seulement été étudiées de façon rudimentaire.
-106-
Ethopolitique
-107-
d’administrer ces groupes, individus ou localités, où le risque est
considéré élevé » (2001, 7).
-108-
questions politiques et éthiques qui supplante les formes anciennes
de la biopolitique. Rose établit l’éthopolitique de la manière
suivante :
-109-
nouvelles formes d’inégalités sociales et d’exploitation (2007, 31-39).
En outre, Rose voit dans le contexte de l’éthopolitique le
développement de nouvelles attentes institutionnelles et de normes
sociales en vue d’une « responsabilité génétique ». Une gamme « de
pouvoirs pastoraux » et d’autorités se cristallisent autour des
problèmes éthopolitiques et offre des réponses aux questions
relatives à la signification et à la valeur de la vie. Les médecins, les
bioéthiciens, les conseillers génétiques, les scientifiques et les
représentants des entreprises pharmaceutiques et de
biotechnologies popularisent la connaissance scientifique,
disséminent les jugements de valeur et guident la réflexion morale
(ibid. 40, 73-76). Aussi, les efforts personnels pour obtenir santé et
bien être sont ici les proches alliés des intérêts politiques,
scientifiques, médicaux et économiques.
-110-
sur le fait que les questions éthiques abordées par l’éthopolitique
sont liées à des conditions de vie matérielles indisponibles pour des
millions de personnes dans le monde qui doivent lutter chaque jour
pour survivre. Et même si nous limitons la problématique
éthopolitique aux Etats industrialisés de l’Ouest, une dimension
centrale des pratiques biopolitiques contemporaines est encore
manquante. Pour l’illustrer, Braun désigne la réaction politique et
médiatique au sujet de la propagation de la grippe aviaire de 2005. Il
montre que l’idée d’un corps moléculaire isolé et stable, qui pour
Rose fournit le fondement de la décision éthique et des pratiques de
soi, peut-être contrée par d’autres perceptions du corps. Dans les
discours épidémiologiques et politiques relatifs à la propagation d’un
pathogène donné, le corps moléculaire ouvert et vulnérable est en
question – un corps qui interagit avec d’autres corps humains et non
humains sous la menace permanente d’un risque de maladie. Braun
appelle « biosécurité » un ensemble de techniques politiques
destinées à répondre à ces dangers. La biosécurité vise à guider la vie
biologique, ses cycles de développement et ses contingences.
L’argument de Braun, pour faire court, est que chaque portrait
complet de biopolitique contemporaine doit embrasser les questions
de biosécurité aussi bien que les mécanismes éthopolitiques18.
18Sur la biopolitique et la sécurité, voir aussi Reid 2006, Dauphinee et Masters 2007 ;
Dillon et Lobo-Guerrero 2008, ainsi que les recherches du réseau de sécurité de la
biopolitique : http///www.keele.ac.uk/research/lpj/bos (accès du 17 décembre 2009).
-111-
Chapitre 8 : Politique vitale et bio-économie
-112-
résonner avec la nature humaine au lieu de s’y aliéner. Le critère de
mesure de cette politique est naturel et comprend les besoins
humains innés, cette orientation divulgue les fondations
anthropologiques de la politique vitale (ibid., 236).
-113-
solidarité d’entreprise » sur les lieux de travail ainsi que les branches
exécutive et législative de gouvernement travaillant à « l’intégration
du corps populaire (Volkskörper) » dont ils ont la charge (ibid., 237).
19Ce passage est largement basé sur l’analyse de Ulrich Bröckling qui compare ces deux
théories dans l’un de ses essais (Bröckling 2003).
-114-
dépense dans l’éducation, et les conditions d’existence sont
comparées avec les profits que le travail humain produit. L’objectif
de ce calcul économico-humain est d’atteindre le plus grand
« surplus de valeur » possible, c’est-à-dire de maximiser les
avantages en minimisant les dépenses. Cet « optimum vital » (ibid.,
499) exige une comptabilité méthodique et autorise une
administration et un contrôle efficients et rationnels du « capital
organique » c’est-à-dire de la vie et du travail humains.
Plus est grand le soin apporté à la fabrication d’un objet, plus est
élevée la dépense en travail humain exigée pour sa fabrication, plus il
sera durable et compétent. Plus coûteux est le solide artisan qui a
grandi sur une terre natale saine et qui a été procréé par des pères
sains. L’adolescent devrait se voir donné au moins autant de soins et
d’attention que ceux prodigués dans l’élevage des animaux. (1911,
495)
-115-
valeur de surplus organique ». De son côté, Goldscheid accueille
l’alternative socialiste d’une économie complètement planifiée qui
promouvrait la fondation d’une culture rationnelle de la vie. De là, il
anticipe un « réapprovisionnement de l’intégralité de la matière
humaine de la nation » (ibid., 577). Goldscheid se déclarait lui-même
humaniste. Son réquisitoire contre le gaspillage de matériel humain
résulte de sa conception de la vie humaine qu’il rapporte à un capital
économique, si bien qu’il serait traité avec soin et protégé des excès
de l’exploitation capitaliste. Les idées de Goldscheid étaient ancrées
dans une croyance optimiste dans le progrès social et l’amélioration
historique de l’espèce humaine. Deux objectifs qui seraient entraînés
par l’amélioration des conditions de vie individuelle et collective. Par
conséquent, la conception des êtres humains comme biens
économiques pourrait donner naissance à un type très différent
d’analyse en terme de coût-bénéfice. A titre d’exemple l’économie
de la solidarité que l’on trouve dans les écrits de Goldscheid fut
bientôt modifiée par une logique sélective et meurtrière qui pesa
objectivement les coûts et bénéfices, dépenses et revenus potentiels
des individus, et classa ainsi les vies à l’aune de ce qu’elles valaient.
Ainsi après la première guerre mondiale le juriste Karl Binding et le
médecin Alfred Hoche demandaient « la permission d’exterminer la
vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue » (Binding et Hoche 1920).
Les personnes handicapées nécessitant des soins constants devaient ,
selon eux, être éliminées en toute impunité. Cette demande fut
comblée plus tard par le programme meurtrier Nazi « euthanasie »
qui extermina les personnes handicapées mentales.
-116-
population donnée, comme Schultz et Becker le décrivent, est
notablement différente de la Menschenökonomie de Goldscheid.
-117-
et analysées comme des fonctions de choix sélectifs et de structures
de préférence. Ainsi, les hommes et les femmes se marient s’ils
croient que cette décision sera bénéfique, et divorcent si cette action
promet une augmentation du bien-être. Même le désir d’avoir des
enfants suit un calcul économique. Les enfants sont vus soit comme
une source de plaisir psychique, soit comme un ensemble de tâches
qui le jour venu se traduira par un gain monétaire. Que ce soit le
désir d’enfants, la scolarité, la carrière ou le mariage les affirmations
de cette perspective théorique ne connaissent pas de limites
naturelles et valent pour l’ensemble des comportements humains.
L’ « approche économique » (Becker 1976) conçoit que toutes les
personnes sont des managers autonomes d’eux-mêmes qui décident
d’investissements pertinents pour eux seuls ou destinés à produire
un surplus de valeur. En contre partie ils sont aussi responsables de
leurs propres échecs révélés par la concurrence sociale, ceci produit
un contraste assez intéressant au regard des idées présentées par
Goldscheid et d’autres au début du 20ème siècle. Dans le programme
de la Menschenökonomie l’Etat souverain fonctionne comme un
capitaliste global idéalisé qui s’efforce d’accumuler une valeur de
surplus organique. Comme le remarque Ulrich Bröckling dans les
années qui ont suivi la première guerre mondiale, l’Etat décide aussi
de qualifier « ce qui ne vaut pas la peine d’être vécu » et qui peut par
conséquent être légitimement tué (2003, 20-21). Avec la théorie du
capital humain, qui émerge après la seconde guerre mondiale,
chaque individu devient non seulement un capitaliste mais aussi son
propre souverain. Pour chaque action l’individu maximise son
avantage individuel, mais il exerce aussi un pouvoir – selon la
formulation foucaldienne- dans le but de « faire vivre ou de laisser
mourir ». Suivant l’approche économique, les maladies et les décès
(prématurés) pourraient être interprétés comme le résultat de
(mauvaises) décisions d’investissement : « la plupart (sinon tous) des
décès sont, jusqu’à un certain point, des « suicides » dans le sens où
ils auraient pu être repoussé si plus de ressources avaient été
investies dans le prolongement de la vie » (Becker 1976, 10, souligné
dans l’original).
-118-
Biocapital
-119-
sur la création et la régulation de marchés plutôt que sur un
réalignement fondamental de l’économie impliqué par l’usage du
terme « bioéconomie ». Cette signification élargie du mot apparaît
dans des travaux scientifiques qui, par contraste avec les
programmes politiques, font état d’une transformation décisive et
structurelle des relations économiques. Dans leur livre Tissue
Economies : Blood, Organs, and Cell Lines in Late Capitalism (2006),
l’anthropologue médical Catherine Waldby et l’universitaire Robert
Mitchell précisent que des termes comme « biovaleur » ou
« économie des tissus » ne renvoient pas à une économie politique
d’accumulation capitaliste. Il s’agit plutôt d’une économie
symbolique qui relève de l’échange et du don. D’une part, le sang et
d’autres substances corporelles sont couramment entendues comme
des « dons » qui sont donc données pour aider les personnes qui en
ont besoin. D’autre part, les biomatériaux sont de plus en plus
considérés comme des commodités qui peuvent faire l’objet d’un
commerce à but lucratif. Au travers de nombreuses études de cas le
livre révèle les limites d’une juxtaposition dichotomique et exclusive
des « dons » et des commodités échangées, et d’une logique
économique et sociale. Ces modèles binaires ne permettent plus
pour décrire le système complexe de génération, de circulation et
d’acquisition des matériaux corporels. Un bon aperçu des relations
entre les innovations bioscientifiques et les transformations du
capitalisme est fourni par l’anthropologue Kaushik Sunder Rajan dans
Biocapital : The constitution of postgenomic life (2006). L’ouvrage
débute par les résultats des études de sciences et technologies qui
montrent que la « science » et la « société » ne sont pas deux
sphères ou systèmes séparés mais qu’elles se constituent plutôt
mutuellement, Sunder Rajan conduit une recherche sur la
coproduction du savoir bioscientifique et les régimes politico-
économiques. Sa thèse empirique est que l’émergence des
biosciences marque une forme nouvelle et une nouvelle phase du
capitalisme (ibid., 3). La « biotechnologie » et une compréhension
génétique de la maladie sont seulement compréhensibles à la
lumière des réseaux de production et de consommation de
-120-
l’économie capitaliste globale. D’un point de vue théorique, Sunder
Rajan opère le lien entre la conception foucaldienne de la
biopolitique et la critique marxiste de l’économie politique, situées
toutes deux dans le cadre de son analyse anthropologique (ibid., 3-
15, 78-79). La constitution du biocapital peut aussi être cartographiée
dans une perspective duale :
-121-
dernier lieu produire des commodités. Sunder Rajan décrit cette
branche industrielle comme une forme spéciale du capitalisme - un
capitalisme spéculatif basé moins sur la fabrication de produits
concrets que sur l’espoir et les attentes. Il réunit, dans une sorte de
synthèse « organique », les espoirs des patients dans le
développement de nouveaux traitements médicaux et le zèle du
capital-risque en vue de futurs profits.
-122-
biotechnology and capitalism in the Neoliberal Era (2008), elle retrace
l’émergence d’une industrie des biotechnologies indépendante aux
Etats-Unis au début des années 1970 alors que le modèle fordiste
d’accumulation était sur le déclin. Ce modèle avait été fondé sur la
coordination d’une production de masse avec une consommation de
masse qui assura une croissance stable après la seconde guerre
mondiale. La crise économique fut bientôt complétée par une
sensibilité croissante aux problèmes écologiques. The Limits to
Growth (Meadows et al. 1972) et d’autres rapports sur
l’environnement étaient non seulement des rappels de la limitation
des ressources mondiales, mais aussi des effets potentiellement
désastreux de la production industrielle sur le climat et l’écosystème.
Selon Cooper, la promesse d’une « bioéconomie » fut une réponse à
cette double crise. Elle suggère que la « révolution biotech » peut-
être conçue comme partie d’une « révolution néolibérale » plus
complète, et tentative de restructuration de l’économie états-
unienne : « le néolibéralisme et l’industrie biotech partagent
l’ambition commune de surmonter les limites écologiques et
économiques de la croissance associées à la fin de la production
industrielle, par le truchement d’une réinvention spéculative du
futur » (2008, 11).
-123-
L’analyse de Cooper, souvent spéculative, mais toujours intrigante,
opère le lien entre l’augmentation de la dette des Etats-Unis, son
déficit exorbitant, et le projet de recherche astrobiologique de la
NASA sur les formes de vie extraterrestres qui, jusqu’à un certain
point, - c’est espéré- surmonteront les limites de la vie sur Terre. Elle
examine aussi, d’une part, le transfert d’idées entre la biologie
théorique et ses délibérations sur l’évolution et les processus de vie
complexes et, d’autre part, la rhétorique néolibérale d’une croissance
économique sans limite qui s’est récemment avancée sur des
concepts vitalistes. Les deux catégories de pensée accentuent le
potentiel d’auto-organisation et critiquent le modèle de l’équilibre.
Elles célèbrent les crises des processus développementaux comme un
terrain fertile des dynamiques d’innovation et d’adaptation qui sont
supposées transcender les limites économiques et naturelles
existantes. Life as Surplus montre par des détails saisissants les
interconnexions et les correspondances de discours et de pratiques
apparemment sans liens tout en étant eux-mêmes le résultat d’une
synthèse. Le livre rend plausible l’argument qu’une analyse de la
biopolitique ne peut être séparée d’une critique d’une économie
politique de la vie21.
21Pour une autre tentative de lier Marx et Foucault dans une analyse de l’industrie
biotech contemporaine, voir Thacker 2005.
-124-
Chapitre 9 : Prospective, une analytique de la biopolitique
-125-
paraissent constitutives d’une problématique biopolitique commune.
La conception déterministe d’une Nature prisonnière de son destin
est le mauvais côté de sa perméabilité croissante aux sciences et
technologies (cf. Latour 1993). Les deux perspectives réduisent
l’importance du politique de par sa conception réactive, déductive et
rétroactive. L’interprétation naturaliste se limite elle-même à
reproduire l’ordre de la Nature et à exprimer ce qui a été
prédéterminé par des processus biologiques. Dans la variante
politiste, la politique semble n’être qu’un simple réflexe de processus
scientifiques et technologiques dans la mesure où elle ne fait que
réguler la façon dont la société s’adapte à ces développements.
-126-
informationnel plutôt que comme un substrat physique ou une
machine anatomique. Secundo, il était nécessaire de compléter
l’analyse des mécanismes biopolitiques avec un examen des modes
de subjectivation. Ce déplacement théorique nous permet d’évaluer
comment la régulation des processus de vie affecte les acteurs
individuels et collectifs et donne naissance à de nouvelles formes
d’identité. En bref, et suivant Foucault, des études récentes
consacrées à des processus biopolitiques ont souligné l’importance
de la production de connaissance et des formes de subjectivation.
Une analytique de la biopolitique devrait investiguer le réseau des
relations parmi les processus de pouvoir, les pratiques liées au savoir
et les modes de subjectivation. En conséquence il est possible de
distinguer trois dimensions dans cette perspective de recherche (voir
aussi Rabinow and Rose 2006, 197-198).
-127-
Deuxièmement, comme le problème du régime de vérité ne peut
être séparée de celui du pouvoir, la question est de savoir comment
les stratégies de pouvoir mobilisent la connaissance de la vie et
comment les processus de pouvoir engendrent et disséminent les
formes de connaissance. Cette perspective nous permet de prendre
en compte les structures d’inégalités, les hiérarchies de valeur et les
asymétries qui sont re-produites par les pratiques biopolitiques.
Ainsi, quelles formes de vie sont considérées socialement
valorisables, et celles regardées comme « ne valant pas la peine
d’être vécues » ? Quelles existences difficiles, quelles souffrances
physiques et psychiques attirent les attentions politiques, médicales,
scientifiques et sociales, et sont jugées intolérables et comme
priorité de recherche en manque de solutions thérapeutiques ? Et
quelles sont celles qui sont négligées et ignorées ? Comment sont les
formes de domination, les mécanismes d’exclusion et les expériences
du racisme et du sexisme inscrits dans le corps, et comment les
altèrent-elles en terme d’apparence physique, d’état de santé et
d’espérance de vie ? De plus, cette perspective comprend
« l’économie » de la politique de la vie : qui profite, et comment, de
la régulation et de l’amélioration des processus de vie (par exemple
en termes de gains financiers, d’influence politique, de réputation
scientifique et de prestige social) ? Qui supporte les coûts et souffre
des fardeaux de la pauvreté, de la maladie et des morts prématurés
du fait de ces processus ? Ou encore, quelles formes d’exploitation et
de commercialisation des vies humaines et non humaines peuvent
être observées ?
-128-
famille, de la nation, de la « race », et ainsi de suite) et en vue
d’objectifs définis (amélioration de la santé, prolongement de la vie,
plus haute qualité de vie, amélioration des gènes, croissance de la
population etc.), à agir d’une certaine manière (et dans des cas
extrêmes à mourir pour de tels objectifs) ? Comment sont-ils portés à
expérimenter leur vie comme « valant » ou « ne valant pas » la peine
d’être vécue ? Comment sont-ils interpellés comme membres d’une
« race inférieure » ou « supérieure », d’un sexe « faible » ou « fort »,
d’un peuple « en développement » ou « en dégénérescence » ?
Comment les sujets adoptent et modifient les interprétations
scientifiques de la vie dans leurs propres conduites et se conçoivent
eux-mêmes comme des organismes régulés par des gènes, comme
des machines neurobiologiques, comme des corps composés dont les
organes sont, en principe, échangeables ? Comment ces processus
sont ils perçus comme activement appropriables et non comme
passivement acceptés ? Qu’est ce qui fait qu’une telle approche
contribue à la compréhension des sociétés contemporaines ? Où son
« surplus de valeur théorique » peut-il être trouvé (cf. Fassin 2004,
178-179) ? D’un point de vue historique, une analytique de la
biopolitique démontre non seulement comment, au cours des deux,
trois derniers siècles, l’importance de « la vie » pour la politique s’est
accrue mais aussi comment la définition de la politique elle-même a
été, ce faisant, transformée. Du clonage reproductif à la grippe
aviaire en passant par les politiques asilaires, des systèmes de santé
aux politiques de retraite dans des populations vieillissantes – la vie
individuelle et collective, leur amélioration et prolongation, leur
protection contre des risques et dangers variés, sont venus occuper
une place de plus en plus importante dans le débat politique. Tandis
que l’Etat Providence (Welfare state) a été capable jusqu’à
récemment de se concentrer sur la sécurisation de la vie des
citoyens, aujourd’hui, l’Etat doit aussi définir et réguler le tout début
de la vie comme sa fin. Ainsi, la question de savoir qui est membre
de la communauté légale, ou, pour le dire autrement, la question de
savoir qui n’est pas encore ou n’est plus membre de la communauté
-129-
légale (embryons, personne en état de mort cérébral, etc.) devient
très sérieuse.
-130-
L’aspect critique dont il est question ici ne rejette pas ce qui existe. Il
cherche plutôt à engendrer des formes d’engagement et d’analyse
qui nous permettent de percevoir de nouvelles possibilités et
perspectives, ou d’examiner celles qui existent déjà d’un point de vue
différent. La critique, ici, est productive et transformative plutôt que
négative et destructive. Elle ne promet pas de livrer une
représentation définitive de la réalité basée sur des affirmations
universelles produites par les connaissances scientifiques ; au
contraire, elle évalue de façon critique ses propres affirmations et
expose ses propres particularités, partialités et sélectivités. Au lieu
d’être fondée sur un savoir autoritaire, une analytique de la
biopolitique a une orientation éthico-politique : un « ethos » ou
« une critique ontologique de nous-mêmes » (Foucault 1997b, 319)22.
Cet éthos critique permet de forger une voie qui conduit au-delà de
l’alternative futile entre trivialité et dramatisation des phénomènes
biopolitiques. Il n’est ainsi pas très convaincant de dé-problématiser
la biopolitique dans le but de la présenter comme une extension
homogène et une amplification des méthodes de production et
d’élevage agricoles millénaires comme le fait Volker Gerhardt. Pas
plus qu’il ne fait sens d’exagérer la portée de la thématique, et de
suggérer, comme le fait Agamben, que Auschwitz est l’apogée de la
biopolitique. Bien que ces deux positions rendent compte de la
biopolitique de manière opposée, elles priorisent cependant toutes
deux des préférences normatives générales plutôt que d’offrir une
analyse empirique.
22 Notons que cet éthos critique présente des similarités mais aussi des différences avec
le diagnostic de « vie endommagée » d’Adorno (cf. Adorno 2006).
-131-
façon de percevoir la complexité d’un réseau de relations, le discours
bioéthique obscurcit la genèse historique et le contexte social des
innovations biomédicales et biotechnologiques, dans le but
d’alimenter en options alternatives les instances de décision. Ainsi,
elle échoue dans sa contribution aux fondations épistémologiques et
technologiques des processus de vie, et leur intégration dans les
stratégies de pouvoir et les processus de subjectivation. La
bioéthique insiste sur des choix abstraits et ne questionne pas le fait
de savoir qui possède, et à quel degré, les ressources intellectuelles
et matérielles de mise en œuvre de technologies spécifiques ou de
scénarios médicaux. Aussi, la bioéthique néglige souvent les
contraintes sociales et les attentes institutionnelles que les individus
pourraient expérimenter quand ils souhaitent tirer parti d’un choix
qui leur est en principe accessible.
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