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Il ne s’agit pas ici de faire une typologie des sens que peut prendre le prédicat
« politique » dans les différentes évocations de l’« écologie politique ». Il s’agit ici de montrer
les enjeux d’une définition du politique pour l’écologie politique. Pour cela, il suffit
d’imaginer certaines oppositions qu’il peut y avoir dans cette définition, ce que la typologie
de Bourg et Whiteside permet de faire. On peut facilement imaginer que l’écologie politique
« institutionnaliste » ne donnerait pas la même définition du politique que celui de l’écologie
politique « anarchiste ». Les disparités posent la question : à quel point ces définitions sont
idéologiques ? Et s’il y a une dimension idéologique à l’écologie politique, ne va-t-elle pas
contre son caractère politique ?
1
ROBBINS Paul, Political Ecology. A Critical Introduction, John Wiley & Sons Ltd, 2nd Ed, 2012.
2
BOURG Dominique, WHITESIDE Kerry, « Écologies politiques : essai de typologie », La Pensée
écologique, 2017/1 (N° 1), DOI : 10.3917/lpe.001.0001. URL : https://www.cairn.info/revue-la-
pensee-ecologique-2017-1-page-a.htm
3
JAEGGI Rahel, « Qu'est-ce que la critique de l'idéologie ? », Actuel Marx, 2008/1 (n° 43), p. 96-108.
DOI : 10.3917/amx.043.0096. URL : https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2008-1-page-96.htm
4
« la politique, qui ne se réduit pas à l’exercice du gouvernement (distinction commandement-
obéissance), est ce qui donne pleinement sens à la condition de pluralité, puisque dans la politique, on
s’expose, on décide, on justifie ses décisions par la parole. » BUSSY, Florent. « Hannah Arendt, la
politique et la pensée », L’Enseignement philosophique, vol. 67a, no. 2, 2017, pp. 19-24.
qu’appuyé sur un réseau d’idée prédéterminé, n’est-elle pas un obstacle à la politique comme
exercice de la pluralité ? On peut prendre une autre définition philosophique du politique :
Badiou considère que « La politique commence quand il y a deux orientations majeures, deux
voies » 5. Ces deux voies ce sont en réalité le capitalisme et le communisme ; on peut donc
dire deux idéologies. Pourquoi nécessairement deux ? car sans ça il n’y a pas de discussion.
« L’existence de ces deux voies, la capitaliste et la communiste, est le principe majeur de
l’existence effective de la discussion politique. »6 Cette « discussion politique » se distingue
de la discussion « gestionnaire », qui ne comprend pas cette opposition idéologique. Discuter
ce n’est pas avoir une conversation indéfinie. Badiou est ici conforme à l’étymologie de
discuter : [discutere] fendre. On voit dans cette action de « fendre » l’action du « choix » que
décrit Badiou. Discuter (selon Badiou et conformément à l’étymologie), c’est donc avoir
conscience de sa propre idéologie, et de celle à laquelle on s’oppose. Et c’est dans cette
discussion que se situe la politique.
On se pose donc la question, à partir de ces définitions philosophiques du
politique mais sans nous y arrêter : l’écologie politique peut-elle prétendre être politique
sans discuter du sens dans lequel elle est « politique » ?
NB : notre étude porte plus sur le champ de l’écologie politique française, car il s’agit
d’étudier un champ sémantique, ce qui est plus aisé à faire au sein d’une même langue.
Cependant, elle pose la question problématique de l’idéologique dans la pensée qui est
certainement présente dans la « political ecology ».
Tout d’abord, pour juger que les définitions du politique au sein de l’écologie politique
sont idéologiques, il faut montrer qu’il n’existe pas de définition commune du politique au
sein de cette pensée.
Il semble tout d’abord que la notion d’« écologie politique » désigne une écologie qui
se distingue de l’écologie scientifique. Le « politique » serait donc un adjectif distinctif, en
réaction au « scientifique ». Larrère fait effectivement cette distinction : « L’écologie ne peut
se contenter d’être scientifique ; il lui faut aussi être politique. »7. Elle reprend en fait sur une
distinction que fait André Gorz entre « écologie scientifique » et « écologie politique »8. On
peut ainsi se référer à la pensée de Gorz pour comprendre en quoi il faut se distinguer de
5
« La politique commence quand il y a deux orientations majeures, deux voies, et qu’avant toute chose,
le choix concerne la voie dans laquelle on est engagé, et comment cette voie peut et doit exister dans la
situation, à tous les niveaux. » BADIOU Alain, LANCELIN Aude, « I. Qu’est-ce que la politique ? »,
dans : , Éloge de la politique. avec LANCELIN Aude. Paris, Flammarion, « Champs - Essais », 2019,
p. 7-28. URL : https://www.cairn.info/eloge-de-la-politique--9782081451766-page-7.htm
6
ibid
7
LARRERE Catherine, « L’écologie politique existe-t-elle ? », Esprit, janvier-février 2018 (N°441).
URL : https://esprit.presse.fr/article/catherine-larrere/l-ecologie-politique-existe-t-elle-39827
8
GORZ André Ecologie politique, Paris, Seuil, 1978.
l’écologie scientifique : « il importe d’éviter que la démarche politique soit présentée comme
le résultat qui s’impose avec une “nécessité absolue” à la lumière de “l’analyse scientifique”
et que soit réédité sous une nouvelle forme le dogmatisme scientiste et antipolitique »9. Si on
s’en tient à la distinction avec l’écologie scientifique, l’écologie politique n'est donc politique
que par opposition à l’antipolitique. C’est une définition purement négative.
Il semble en fait difficile de trouver une définition commune et positive du
« politique » de l’écologie politique. Paul Robbins cherche à produire une définition
commune à partir des différentes définitions positive et il tombe sur cette même définition
négative : “The many definitions together suggest that political ecology represents an explicit
alternative to “apolitical” ecology. »10 Il semble que les définitions positives du politique
soient toujours déjà inscrites dans un des courants de l’écologie politique.
Pourrait-on considérer une définition minimale mais positive du politique de
l’écologie politique ? Bourg et Whiteside, pour justifier l’intégration de l’écologie
malthusienne à leur typologie de l’écologie politique, écrivent :« ils abordent […] des aspects
déterminants du vivre-ensemble et de l’organisation de la Cité. »11. Aborder la question du
vivre ensemble, ne serait-ce pas une des définitions que l’on pourrait donner du politique ?
« Comment vivre ensemble ? », c’est la question politique par excellence selon Barthes 12. Et
toute écologie politique aborde effectivement cette question.
Mais, en réalité, l’écologie politique ne se limite jamais à « aborder » cette question :
elle veut proposer des réponses. Dans sa plus grande part, elle a pour ambition de proposer
des modèles de « vivre-ensemble », ou bien les suppose dans ses propositions. C’est ce que
traduit la définition positive du politique que donne finalement Larrère dans le même artcile
cité plus haut : « Ce qui distingue l’écologie politique des connaissances scientifiques
auxquelles elle peut faire appel, c’est sa capacité à élaborer un projet de société différent des
modèles en vigueur. »13
C’est aussi précisément ce que la typologie de Bourg et Whiteside révèle : les courants
de l’écologie politique se distinguent par les propositions politiques qu’ils font et qui
s’opposent. Certains comme les « démocrates délibératifs » dont Dominique Bourg pensent
qu’il faut créer de nouvelles institutions ; d’autres, au contraire, comme ceux du courant
« démocratique agonistique », jugent les institutions négativement car productrices d’un
« espace public unifié » et prônent donc une « prolifération d’espaces publics radicalement
nouveaux et différents »14.
L’écologie politique se veut être une pensée appliquée. C’est d’ailleurs peut-être en ce
sens qu’elle mobilise la notion de politique : dans une ambition d’ancrage dans la vie
9
DELEAGE Jean-Paul, « En quoi consiste l'écologie politique ? », Écologie & politique, 2010/2
(N°40), p. 21-30. DOI : 10.3917/ecopo.040.0021. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-
politique-sciences-cultures-societes-2010-2-page-21.htm
10
Op cit, ROBBINS Paul
11
Op cit, BOURG Dominique, WHITESIDE Kerry, « Écologies politiques : essai de typologie », La
Pensée écologique, 2017/1 (N° 1), DOI : 10.3917/lpe.001.0001. URL : https://www.cairn.info/revue-la-
pensee-ecologique-2017-1-page-a.htm
12
BARTHES Rolland, Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces
quotidiens, édité par Cl. Coste, sous la direction d’É. Marty, Seuil/IMEC, « Traces écrites », 2002.
13
Op cit, LARRERE Catherine
14
LACLAU E., MOUFFE, C., Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics,
London: Verso, 1985.
pratique. Pour autant, c’est dans cette aspiration que l’écologie politique devient
problématique : ses propositions prennent pour acquis une certaine conception du politique
qu’elles ne questionnent pas.
15
Op cit, GORZ André
16
ZIN Jean, « Qu'est-ce que l'écologie-politique ? », Écologie & politique, 2010/2 (N°40), p. 41-49. DOI :
10.3917/ecopo.040.0041. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-sciences-cultures-societes-
2010-2-page-41.htm
17
Op cit
18
JAEGGI Rahel, « Qu'est-ce que la critique de l'idéologie ? », Actuel Marx, 2008/1 (n° 43),
p. 96-108. DOI : 10.3917/amx.043.0096. URL : https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-
2008-1-page-96.htm
mènent à la crise écologique (ce que fait déjà l’écologie politique), mais aussi aux idéologies
qui sous tendent les propositions de l’écologie politique et qui font leur insuccès.
On rentre donc ici dans le problème de l’idéologie, avec les outils de la critique de
l’idéologie hérités de la théorie critique. Le problème n’est pas tant en soi dans le caractère
idéologique d’une pensée. Toute pensée contient peut-être de l’idéologique. Mais que faire de
cet idéologique lorsque l’on veut être une pensée effective ?
19
op cit., ZIN Jean
20
Op cit
21
FLIPO Fabrice, «Penser l’écologie politique», VertigO - la revue électronique en sciences de
l'environnement [Online], Volume 16 Numéro 1 | mai 2016, posto online no dia 09 maio 2016,
consultado o 28 maio 2023. URL: http://journals.openedition.org/vertigo/16993
Remarquons que Zin écrit « ecologie-politique », avec un tiret, ce qui est déjà en soi
une nouvelle proposition de définition, critique. Il annule par là notre question : en quel sens
l’écologie est-elle politique ? Car le politique, par ce tiret, n’est plus un prédicat de l’écologie
mais un autre nom, qui compose le nom composé écologie-politique. Zin opère ce geste car
selon lui le politique et l’écologie sont deux réalités corrélées. La crise écologique, selon lui
est entièrement corrélée à l’état du politique, produite par le politique actuel. Pour sortir de la
crise écologique, l’écologie doit donc mener une critique du politique actuel .
Ainsi, la définition du politique n’est plus du tout idéologique comme lorsque l’on
essaye de dire dans quel sens l’écologie doit être politique. L’écologie est chargée de mener
une critique du politique, dans sa réalité et dans sa définition actuelle, pour le transformer.
Mais qu’est ce qui fait que l’écologie politique critique aurait une capacité à
transformer que la pensée en élaboration de « projets de société » n’aurait pas ? N’est-elle pas
plutôt, en tant que critique de la pensée, dégagée d’une pensée appliquée ? On peut de
nouveau se référer à la présentation de la critique de l’idéologie que fait Jaheggi : « La
critique immanente, en tant que ferment d’un tel processus, n’est pas simplement destructrice,
mais constructive ou affirmative. Le « nouveau » est ici toujours le résultat d’une
transformation de « l’ancien », qui, en lui, est « dépassé » (au triple sens du verbe aufheben :
supprimer, conserver et surmonter). »22.
On ne peut donc plus dire qu’une pensée constructive est nécessairement une pensée
qui fait des projets. Au contraire, la constructivité nécessite la critique de l’actuel, car le
nouveau apparaît dans une dialectique avec l’actuel. Cela nous fait penser à l’idée de
déconstruction, très présente dans le militantisme aujourd’hui. On fait le rapprochement car il
nous fait penser que l’écologie politique pratique admet cette efficience de la
critique contrairement à l’écologie politique pensante. On fait aussi le rapprochement car il
nous semble qu’il nous permet de mieux comprendre l’idée de déconstruction, souvent
mésinterprétée.
On interprète souvent l’idée de déconstruction comme une opération purement
négative. Or, il nous semble qu’il en va de la déconstruction comme de la critique.
Déconstruire c’est détruire les constructions actuelles. Est-ce pour autant renoncer à toute
nouveauté ? C’est au contraire potentiellement rendre possible la nouveauté, si l’on considère
qu’il n’y a de nouveauté que dans un « dépassement » de l’« ancien ». D’ailleurs, la
déconstruction n’est pas pensée comme destructive dans le militantisme. Au contraire, elle est
pensée comme geste constructif : un geste pour le dépassement, donc positif.
Pour conclure : une écologie politique non-critique peut-elle même être politique ?
L’écologie est politique si elle parvient à transformer le politique. C’est aussi un point
qui devrait mettre d’accord tout courant de l’écologie politique : il s’agit par l’écologie
politique de transformer le politique.
22
Op cit JAHEGGI Rahel
Or nous avons essayé de montrer que la force de transformation d’une pensée est
indexée à sa force critique plutôt qu’à son caractère propositionnel. Surtout, il est possible que
la transformation ne puisse avoir lieu que dans la critique, dans un dépassement de l’ancien
qu’elle permet. C’est donc à une critique du politique (dans sa pratique et dans sa définition)
que l’écologie devrait s’atteler pour être politique.
Bibliographie
GORZ André Ecologie politique, Paris, Seuil, 1978. JAEGGI Rahel, « Qu'est-ce que la
critique de l'idéologie ? », Actuel Marx, 2008/1 (n° 43), p. 96-108. DOI :
10.3917/amx.043.0096. URL : https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2008-1-page-96.htm
ROBBINS Paul, Political Ecology. A Critical Introduction, John Wiley & Sons Ltd, 2nd Ed,
2012.
ZIN Jean, « Qu'est-ce que l'écologie-politique ? », Écologie & politique, 2010/2 (N°40), p.
41-49. DOI : 10.3917/ecopo.040.0041. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-
politique-sciences-cultures-societes-2010-2-page-41.htm