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REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

UNIVERSITE DE LUBUMBASHI
FACULTE DE DROIT

LA SCIENCE POLITIQUE

A l’usage des étudiants de Première licence LMD

PROF. KAZADI MPIANA JOSEPH

ANNEE ACADEMIQUE 2022-2023


1
DESCRIPTIF DU COURS

I. ETABLISSEMENT : Université de Lubumbashi


1. FACULTE : Droit
2. DEPARTEMENT : Droit général
II. INTITULE DU COURS : Science politique
III. ANNEE D’ETUDE : LICENCE 1
IV. GROUPES : Plus de deux mille étudiants)
V. VOLUME HORAIRE : 35 heures dont 20 théoriques et 15 pratiques.
VI. TITULAIRE DU COURS : Prof. KAZADI MPIANA Joseph
Tel. 0974363297 E-mail : kazadimpiana@hotmail.com; mpianaj@unilu.ac.cd
Collaborateurs: Assistants Adolphe Musulwa, Térence Kabwik,, Chris Senga,
Dieudonné Been Masudi, Jean-Paul Lunda, Kabulo, Idriss, Elie Kadima, Tom,
Emmanuel, Mokolo, Chabu, Minani, Bikuba
VII. PRE REQUIS : L’étudiant est censé maîtriser les notions d’introduction générale à
l’étude du droit, et éventuellement du Droit constitutionnel et de la sociologie.
VIII. PRE REQUIS : L’étudiant est censé maîtriser les notions d’introduction générale à
l’étude du droit, du Droit constitutionnel et de la sociologie.

IX. OBJECTIFS DU COURS

1. Objectifs d’ordre général :


L’objectif général de ce cours est de présenter les notions fondamentales de la science politique
contemporaine. Seront privilégiées les approches sociologique, juridique, comparative et
historique. A cette fin, le cours vise à :
- Transmettre des connaissances permettant à l’étudiant de mieux percevoir les faits ayant
des incidences politiques sur l’environnement local, national et international ;
- Fournir aux étudiants des clés pour décrire, analyser et expliquer les faits politiques de
manière objective en distinguant le discours du profane et de celui du scientifique ;
- Développer chez l’étudiant les capacités propices à l’orienter dans les débats et la critique.

2. Objectifs spécifiques :
L’étudiant doit être capable de maîtriser, entre autres, l’objet de la science politique, le
fonctionnement des institutions politiques, les manifestations du pouvoir, la participation
politique, les régimes politiques, les idéologies politiques, les partis politiques, les groupes de
pression. Etant donné que le principal objet de la science politique est constitué par l’étude
scientifique du pouvoir politique et que celui-ci est aussi appréhendé par les juristes, les étudiants
destinataires de ce cours complètent leurs connaissances sous un angle enrichissant l’apport du
Droit constitutionnel.

2
3. COMPETENCE : A l’issue de cet enseignement, les étudiants devraient être
capables de décrire, d’expliquer et d’analyser les différents faits politiques grâce aux
outils méthodologiques et aux connaissances acquises.
4. CONTENU DE L’ENSEIGNEMENT :
Il est structuré en 8 chapitres :
Introduction générale
Chap.1er : La construction de la science politique
Chap.2ème : Le pouvoir politique
Chap. 3ème : L’Etat
Chap. 4ème : Les régimes et systèmes politiques
Chap. 5ème : La participation politique
Chap. 6ème : L’action collective
Chap. 7ème : Les idéologies politiques
Chap.8ème : Les politiques publiques

5. METHODES D’ENSEIGNEMENT
Le Cours sera dispensé ex cathedra pour les 20 heures. Il va procéder par des
exposés ponctués par la participation des étudiants à travers le jeu de questions et
réponses. Les 15 heures pratiques sont consacrées aux TP.
6. EVALUATION
A l’issue de l’enseignement il est prévu la passation d’au moins trois épreuves : un
TP ou TD, une interrogation et un examen. Le TP ou TD sera pris en compte pour
la constitution de la moyenne.
7. RESSOURCES
L’étude de différents manuels de science politique complétés par des ouvrages
spécifiques analysant certaines thématiques de la science politique. Il en est de
même des articles, des chapitres d’ouvrages et différentes contributions
scientifiques auxquels nous avons eu principalement recours dans l’élaboration de
ce cours.

8. NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE (cfr fin du cours)

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INTRODUCTION GENERALE

1. Un cours au contenu variable en dépit des constances

Le cours d’introduction à la science politique, devenue depuis la réforme universitaire de 2021, cours
de Science politique, n’obéit pas, dans sa présentation, à un canevas bien déterminé. Les différents
enseignants élaborent leurs cours ou leurs ouvrages avec plus de liberté et de souplesse dans le contenu
de la matière. Il en résulte une présentation hétérogène du cours selon les auteurs mais avec quelques
constantes. Un bref survol de la doctrine permet de nous rendre compte de cette évidence. Nous partons
de 8 principaux manuels relatifs à l’introduction à la science politique ou tout simplement relatifs à la
science politique auxquels nous avons eu recours pour appuyer notre constat. Dans leur ouvrage relatif
à l’introduction à la science politique, Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick
HASSENTEUFEL subdivisent la matière faisant l’objet du présent cours en huit parties : politique et
science politique (1) ; l’Etat et le pouvoir (2), les régimes politiques (3) ; la compétence politique (4),
les acteurs politiques (5), l’action publique (6), l’action collective (7) et les idéologies et représentations
politiques (8)1.

Pour sa part Pascal DELWIT décompose son ouvrage en huit chapitres ne recoupant pas nécessairement
la présentation des auteurs précédents. Les huit chapitres de son ouvrage se déclinent de cette manière :
l’histoire de la discipline politologique (1), le pouvoir politique et son évolution (2), les régimes et
systèmes politiques (3), les règles électorales dans une démocratie (4), les élections et le comportement
électoral (5), les partis politiques (6), idéologies, clivages et familles politiques (7), les différentes
formes de participation sociale et politique (8)2. Yves SCHEMEIL repartit son ouvrage en se déclinant
en douze chapitres : la science de ce qui est politique (1), l’objet de la science politique (2), une matière
concrète (3), une vraie science (4), une science complexe (5), une science stratégique (6), une science
hybride (7), une science évolutive (8), une meilleure connaissance de l’action politique (9), un savoir
consolidé sur l’action publique et les ordres politiques (10), une science à l’épreuve de la réalité (11) et
un savoir en action (12)3.

L’ouvrage du Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA n’a rien d’introduction à la science politique
au regard de sa richesse, du nombre de chapitres et de la profondeur accordée dans le traitement de
différents chapitres composant son ouvrage. Il ressemble à un « traité de science politique ». Son
ouvrage est structuré autour de dix-neuf chapitres couvrant les différents domaines de la science
politique. Ces dix-neuf chapitres sont précédés par une introduction portant sur l’objet d’étude de la
science politique, les méthodes et les techniques de recherche en science politique, le rôle et la place de
la science politique dans la société. Les dix-neuf chapitres portent successivement sur l’histoire de la
science politique (1), le pouvoir politique (2), la liturgie politique (3), l’opinion publique (4), les partis
politiques (5), les groupes de pression (6), les mouvements sociaux (7), les médias (8), les

1 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018
2 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018.
3 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,

Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015.

4
comportements politiques (9), les élections (10), les antagonismes politiques (11), les professionnels de
la politique (12), la socialisation politique (13), les idéologies politiques (14), les théories politiques
(15), l’Etat (16), le régime politique (17), le système politique (18), le changement politique (19)4. Dans
un ouvrage collectif rédigé sous la direction de Robert E. GODIN, (The Oxford Handbook of Political
Science), les différents auteurs structurent leurs contributions autour des objets ci-après : les institutions
politiques, droit et politique, comportement politique, l’analyse du contexte politique, la politique
comparée, les relations internationales, la politique économique, les politiques publiques, la
méthodologie politique)5.

Dans son ouvrage relatif à la science politique, Léon ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI
développe un aspect particulier de la science politique comme un outil au service de la gouvernance
démocratique dans l’espace politique africain. L’auteur débute son manuel par des préliminaires
abordant tour à tour les origines et la définition de la science politique, l’objet de la science politique,
les différentes conceptions de la science politique, l’autonomie de la science politique. L’introduction
développe par contre, entre autres, les méthodes et techniques utilisées en science politique, la
distinction entre la science politique et les notions voisines. Son ouvrage comprend deux parties :
l’univers politique d’une part et les acteurs du jeu politique d’autre part. L’univers politique se décline
en trois chapitres : les composantes essentielles de l’univers politique : le pouvoir politique et le système
politique (1) ; le cadre d’exercice du pouvoir politique : l’Etat et les régimes politiques (2) les pesanteurs
au fonctionnement du pouvoir politique dans l’espace politique africain (3). La deuxième partie
illustrant les acteurs du jeu politique étudie tour à tour les acteurs institutionnels étatiques et non
étatiques (1), les préalables à la participation politique effective des citoyens dans un Etat moderne (2)
et le pouvoir politique et le droit dans un Etat moderne (3)6.

L’ouvrage consacré à la science politique rédigé sous la direction de Christophe ROUX et Éric
SAVARESE étudie cette discipline en privilégiant les principaux domaines de la science politique en
cinq parties : la sociologie politique (1), l’action publique (2), la théorie politique (3), les relations
internationales (4), l’épistémologie des sciences sociales (5)7.

Un domaine particulier de la science politique s’est développé de manière particulière au XX è siècle :


la politique comparée. Certains thèmes de la politique comparée sont pris en charge également par la
science politique. L’ouvrage consacré à la politique comparée rédigé sous la coordination d’Yves
DELOYE et Jean-Michel De WAELE, analyse, entre autres, les Etats et les nations, la démocratie, les
autoritarismes, les institutions politiques comparées, les politiques publiques, les acteurs politiques
comparés (les organisations syndicales, les partis politiques et les systèmes partisans, les élites, les
comportements politiques comparés (sociologie des mouvements sociaux, l’opinion publique et les
valeurs)8.

Cette brève revue de la littérature sur quelques manuels relatifs à la science politique témoigne d’une
certaine liberté des auteurs dans le choix des thèmes constituant l’essentiel de leur ouvrage. Il convient
de noter que les ouvrages de Droit constitutionnel réservent également une attention particulière aux
thèmes chers à la science politique, comme l’Etat, les régimes politiques, l’élection, le pouvoir politique.
Ce dernier se situe par ailleurs à l’intersection entre le Droit public et la science politique. Pour
l’élaboration de ce cours nous avons fait appel à certains auteurs constitutionnalistes ou à d’autres

4 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014.
5 R.E. GODIN, (Ed.), The Oxford Handbook of Political Science, Oxford, OUP, 2013 (en ligne).
6 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique. Un outil au service de la gouvernance démocratique

dans l’espace politique africain, Paris, L’Harmattan RDC Congo, 2016.


7 Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019.
8 Y. DELOYE et J.- M. De WAELE (dir.), Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018.

5
ouvrages de Droit constitutionnel rédigés indifféremment par les politistes et les constitutionnalistes.
Ces derniers forment parfois une même communauté scientifique au regard de l’objet principal de leurs
études et réflexions9.

De l’analyse de principaux ouvrages de science politique précités, émergent certaines constances ou


mieux certains fondamentaux sont communs aux différents auteurs et constituent le premier socle sur
lequel nous comptons réaliser une synthèse dans le cadre de ce cours et développer quelques spécificités
que certains auteurs ont illustrées dans leurs manuels. En nous inspirant des auteurs précités, notre cours
se structure autour de cette subdivision : l’introduction, la construction de la science politique ( Premier
chapitre ), le pouvoir politique (deuxième chapitre) ; l’Etat (troisième chapitre) ; les régimes et systèmes
politiques (quatrième chapitre) ; la participation politique (Cinquième chapitre) ; l’action collective
(sixième chapitre) ; les idéologies politiques (Septième chapitre) et les politiques publiques (Huitième
chapitre).

Ces 8 chapitres couvrent de manière non proportionnelle les quatre principaux domaines de la science
politique et sont conçus, en termes d’introduction à la science politique10. Il n’a aucune prétention de se
substituer ni à un cours de science politique qui n’existe pas, ni encore moins d’accorder la même
attention à tous les domaines de cette discipline scientifique. Il résulte de cette présentation que la
sociologie politique se fraie la part du lion au point de se confondre avec la science politique 11. Yves
SCHEMEIL note à ce propos que la sociologie politique est la principale partenaire de la science
politique12.

Ce cours s'efforcera d'associer différents types de démarches :


• Une démarche pluridisciplinaire : pour faire de la science politique, il faut nécessairement emprunter
à l'histoire, à l'économie, à la sociologie, au droit constitutionnel, à la philosophie politique ;
• Une démarche comparatiste : pour dégager d'éventuelles structures universelles ;
• Une démarche pragmatique : multiplier les illustrations concrètes pour éviter les propos abstraits.

Ce cours développe une approche descriptive, explicative et critique à la lumière du droit, de la pratique
et de la comparaison.

Etant un cours d’introduction, sa vocation n’est pas d’épuiser les matières relatives à la science
politique, mais d’en esquisser les principaux traits et quelques objets qui seront étoffés par des lectures

9 A titre indicatif nous pouvons citer O. DUHAMEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Editions du Seuil, 2009 :
M. VERPEAUX (dir.), Droit constitutionnel. Méthodologie & sujets corrigés, les annales du droit 2020, 2019., R. RAMBAUD,
Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019 ; J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public.. Principes
constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité de Droit constitutionnel.
Distribution des pouvoirs. Tome 2, Paris, Dalloz, 2012 ; J. CHEVALLIER, Science administrative, 6è édition mise à jour, Paris,
PUF, Thémis Droit, 2019 ; ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015. V.
CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, 2016.
10 Les quatre principaux domaines de la science politique sont constitués par la sociologie politique, la théorie politique, les relations

internationales et l’action publique si nous faisons abstraction de l’épistémologie. Ces domaines sont couverts par Ch. ROUX et E.
SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Année 2020, Bruxelles, Bruylant, Collection Paradigme, 2019. Trois ouvrages du
Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA intéressent deux de ces quatre domaines de la science politique. MULUMBATI
NGASHA, Sociologie politique, 2 è édition revue et mise à jour, Lubumbashi, Editions Africa, 2009 ; A. MULUMBATI NGASHA,
Les relations internationales, Lubumbashi, Editions Africa, 2005 ; - La politique étrangère, Lubumbashi, Editions Africa, 2010.
Nous pouvons ajouter à ces trois ouvrages d’autres portant un focus sur l’Afrique. MULUMBATI NGASHA et alii, , Les systèmes
politiques africains, Lubumbashi, Editions Africa, 1984 ; A. MULUMBATI NGASHA, Le Peuple et la démocratie en Afrique,
Louvain-La-Neuve, Academia l’Harmattan, 2019.
11 J.-Y. DORMAGEN et D. MOUCHARD, Introduction à la sociologie politique, Bruxelles, Editions De Boeck Supérieur, 2015 ;

MULUMBATI NGASHA, Sociologie politique, Lubumbashi, Editions Africa, 1988. Le contenu développé dans ces deux ouvrages
est repris dans le cours d’introduction à la science politique.
12 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,

Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 342,

6
approfondies de différentes thématiques au cœur des recherches et travaux en science politique. En
d’autres termes, ce cours ouvre des portes et des fenêtres à la connaissance de principales notions ou
des rudiments de la science politique à celui qui s’approche pour la première fois de l’étude de la science
politique. Etant étroitement lié au pouvoir politique, le juriste et le politiste se partagent ce lieu commun
ou ce dénominateur que chacun examine toutefois avec un regard privilégié selon que l’un met l’accent
sur la description, l’expérimentation et l’explication (politiste) alors que l’autre focalise son regard sur
les règles de fonctionnement dudit pouvoir. Loin de s’opposer, ces deux regards se complètent et
permettent de saisir mieux les manifestations de l’exercice du pouvoir politique. Il faudrait également
rappeler que la science politique se développe à l’ombre du droit public avant de se frayer un parcours
autonome. Ce cours est conçu en termes d’apéritif. Il doit par conséquent susciter chez les étudiants
l’appétit. Le mot politique peut s’écrire au masculin et au féminin et est susceptible de recouvrir
plusieurs sens.

2. L’androgynie et la polysémie du mot « politique »


Le mot « politique » au féminin tout comme au masculin ou encore au pluriel peut renvoyer à plusieurs
significations : une activité, une profession, un ensemble de mesures, un programme, une spécialité, un
art etc. Un bref relevé de différents ouvrages permet de rendre compte de cette polysémie du substantif
politique utilisé parfois comme un adjectif. Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie
comporte plusieurs entrées au mot « politique ». Au sens large et étymologique (rare), l’adjectif
politique est tout ce qui « a trait à la vie collective dans un groupe d’hommes organisé ». Au sens usuel
le mot renvoie à tout « ce qui concerne l’Etat et le gouvernement, par opposition soit aux faits
économiques et aux questions dites sociales, soit à la justice et à l’administration, soit aux autres
activités de la vie civilisée, telles que l’art, la science, l’enseignement, la défense nationale… ». Au sens
du substantif masculin le politique peut signifier un homme d’Etat ou un homme habile à organiser et à
diriger sa conduite dans ses rapports avec les autres. En tant que substantif féminin la politique renvoie
soit à la science politique (étude ou connaissance des faits politiques), soit une action politique (exercice
des activités politiques) et enfin par extension, l’action conduite suivant un plan élaboré d’avance) 13.

Le Lexique de science politique nous propose plusieurs entrées du mot politique utilisé à la fois comme
substantif, adjectif, masculin, féminin ou pluriel et nous fournit une synthèse que nous reprenons ici .
Politique équivaut au terme générique désignant tout ce qui a trait au gouvernement de la société dans
son ensemble. La notion recouvre différents sens selon l’usage qui en est fait. Elle renvoie à la fois aux
principes fondamentaux justifiant l’existence d’un mode de gouvernement, à l’organisation du pouvoir
dans la société, à la manière de gouverner, aux formes de la compétition pour le pouvoir et, enfin, aux
actions programmées et mises en œuvre pour réaliser des objectifs collectifs. Pour le Dictionnaire de
Droit constitutionnel, la politique renvoie à l’activité caractéristique de toute société humaine organisée.
C’est le mode de régulation de la société ayant pour objet de définir ce qui est bien pour elle (le bien
commun), et dont la pratique engendre une relation de commandement et d’obéissance entre les
gouvernants et les gouvernés14. Pour le Vocabulaire juridique, l’adjectif politique renvoie à ce qui a trait
au gouvernement de la cité, à l’exercice du pouvoir dans un Etat, à la participation qu’y prennent les
citoyens, les organes institués et les partis. Au sens féminin, politique s’emploie en diverses expressions
dans le sens de ligne d’action, de direction imprimée à une action par le choix des objectifs et des
moyens de celle-ci15.

Pour Max WEBER, la politique renvoie à « l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au
pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à

13 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, Quadrige, 2006, p. 785 et s.
14 M. DE VILLIERS, A. LEDIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10è éd., Paris, Sirey, 2015, p. 272.
15 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2009, pp. 691-692.

7
l’intérieur d’un même Etat »16. En d’autres termes, il entend par politique la direction du groupement
politique, aujourd’hui incarné dans l’Etat ou l’influence que l’on exerce sur cette direction17. Ou encore
c’est la direction du groupement politique, aujourd’hui l’Etat ou l’influence que l’on exerce sur cette
direction18. L’auteur reconnaît que le concept de politique est « extraordinairement vaste et embrasse
toutes les espèces d’activité directive autonome »19. Selon cet auteur la politique peut aussi signifier une
profession. Il écrit à ce propos : « Il y a deux façons de faire de la politique. Ou bien on vit pour la
politique ou bien de la politique. (…). Celui qui vit « pour » la politique fait d’elle, dans le sens le plus
profond du terme, le but de sa vie, soit parce qu’il trouve un moyen de jouissance dans la simple
possession du pouvoir, soit parce que cette activité lui permet de trouver un équilibre interne et
d’exprimer sa valeur personnelle en se mettant au service d’une cause qui donne un sens à sa vie. (…).
Celui qui voit dans la politique une source permanente de revenus vit de la politique et que, dans le cas
contraire, il vit pour elle20. Pour cet auteur, on peut faire de la politique de plusieurs manières- ce qui
veut dire que l’on peut influer de plusieurs façons la répartition du pouvoir entre les formations
politiques ou à l’intérieur de chacune d’elles. On peut faire de la politique d’une manière occasionnelle.
Mais on peut également faire de l’activité politique une profession secondaire ou une profession
principale, tout comme dans l’activité économique. Nous faisons tous occasionnellement de la politique
lorsque nous mettons notre bulletin de vote dans l’urne ou lorsque nous exprimons pareillement notre
volonté, par exemple en manifestant notre désapprobation ou notre accord au cours d’une réunion
politique ou enfin lorsque nous prononçons un discours politique etc21. Pour H.ARENDT, la politique
traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents. Les hommes, dans un chaos absolu ou
bien à partir d’un chaos absolu de différences, s’organisent selon des communautés essentielles et
déterminées22.

Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, le politique signifie tantôt le fait politique, tantôt
celui qui s’occupe de la politique ou fait de la politique23. Par contre il définit la politique comme
l’activité qui consiste d’abord à saisir l’ensemble des problèmes et des besoins de la population tels
qu’ils sont générés par le flux et le reflux des événements qui se produisent dans l’environnement
national et international, et ensuite à mettre en place un programme d’action pour les résoudre ou les
satisfaire24.

Maurice DUVERGER utilise l’image de Janus, le dieu à double face pour rendre compte de la politique.
Cette image exprime la réalité politique la plus profonde. L’Etat- et d’une façon plus générale, le pouvoir
institué dans une société- est toujours et partout à la fois l’instrument de la domination de certaines
classes sur d’autres, utilisé par les premières à leur profit et au désavantage des secondes, et un moyen
d’assurer un certain ordre social, une certaine intégration de tous dans la collectivité, pour le bien
commun25.

16 MAX WEBER, Le savant et le politique. Traduit de l’allemand par Julien FREUD, révisé par E. FLEISCHMANN et E. De

DAMPIERRE, Paris, Plon, 1959, p. 125.


17 MAX WEBER, op.cit., p. 124.
18 MAX WEBER, op.cit., p. 124.
19 IDEM, p.123.
20 MAX WEBER, op.cit., p. 137.

21 MAX WEBER, op.cit., p. 134 et s.


22 H. ARENDT, Qu’est-ce que la politique ? Texte établi par Ursula Ludz, Paris, Editions du Seuil, 1993, p. 28.
23 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4 è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, p. 9.
24 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 13.

25 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 22.

8
En résumé, nous pouvons reprendre ici les propos de Christophe ROUX et Éric SAVARESE rappelant
que le terme « politique » est à la fois androgyne et polysémique. Le mot « politique » est utilisé à la
fois au masculin et au féminin. Il est également porteur de plusieurs sens. Il est en effet possible
d’envisager au moins, dans les régimes démocratiques, la politique comme une activité à la fois
professionnalisée (le métier d’élu, la communication politique) et profane puisqu’elle renvoie à
différentes formes de participation citoyenne (le vote, les mobilisations). Saisie au sens de politics (la
vie politique), la politique désigne une compétition entre des acteurs pour l’obtention de positions de
pouvoir, ce dont rendent notamment compte les spécialistes de sociologie politique. Mais la science
politique s’interroge aussi sur les politiques, au sens de public policies (politiques publiques), c’est-à-
dire sur l’ensemble des décisions et programmes d’action élaborés par des autorités politiques, seules
ou en partenariat, et à différentes échelles (locale, nationale, supranationale), pour traiter des problèmes
définis comme relevant de la collectivité. Cet aspect est notamment traité par les spécialistes de
politiques publiques et parfois de relations internationales (la politique étrangère). Enfin, étudier la
science politique, c’est également appréhender ce qui relève du politique (the Political) et ainsi de la
diversité des formes de régulation sociale analysables dans des sociétés politiques organisées et
plurielles (polities)26.

Ce résumé est repris par d’autres auteurs où le politique(Polity) désigne la dimension politique d’une
société, son ordre politique. La politique (Politics) désigne l’ensemble des activités politiques, la vie
politique, la mobilisation des acteurs politiques entendus comme producteurs d’activités touchant au
politique. Dans un sens élargi, la notion recouvre l’activité d’un représentant. Une politique publique
renvoie à l’ensemble de l’action publique qui est produite dans un secteur particulier correspondant à
un découpage spécifique des domaines d’intervention des pouvoirs publics : la politique des transports
ou de la mobilité, la politique de protection de l’environnement, la politique d’égalité hommes-femmes,
etc.27 L’expression « un politique » désigne avant tout un type particulier d’acteur politique, un
professionnel de la politique, un politicien28.

Du point de vue terminologique, renseignons également cette double appellation de Politiste et de


Politologue. Selon Yves SCHEMEIL, aujourd’hui le mot « politologue » désigne souvent des experts
échafaudant en direct à la télévision ou dans les journaux des scénarios pour soirs et lendemains
d’élection, de guerre ou de révolution29. Pour IBRAHIMA SILLA, le terme « politiste » renvoie aux
habilitations universitaires et savantes. Celui de 2politologue » est réservé aux usages médiatiques. Les
deux (le politiste comme le politologue) ont la commune prétention d’analyser les faits et phénomènes
politiques. Le politologue se réserve le droit de réagir à chaud, au moment où le politiste privilégie
généralement une réaction à froid30.

Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick HASSENTEUFEL nous renseignent qu’en


France, les enseignants et chercheurs en science politique en poste dans les universités ou dans les
institutions de recherche tendent à préférer le substantif de « politiste » plutôt que celui de
« politologue ». Le premier correspond au chercheur authentique effectuant de la recherche
fondamentale, neutre et plus rigoureuse du point de vue scientifique, tandis que les seconds
correspondent plus aux commentateurs politiques ou aux conseillers du prince, à proximité des médias

26Ch. ROUX et E. SAVARESE, « Introduction », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles,
Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 9-14, spéc. à la p. 14.
27 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, pp. 30-33.
28 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.33.
29 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,
Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p.43.
30 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 37.

9
et des acteurs politiques. Les trois auteurs ajoutent cependant que cette distinction est proprement
française : la Belgique francophone, la Suisse romande, l’Afrique francophone ou le Québec n’ayant
pas retenu une telle distinction31.

3. La spécificité de la science politique

A quelles conditions la science politique est-elle une science. Il est question d’étudier la politique
comme étant une science. Pour ce faire il importe de dégager les critères permettant d’identifier ce que
signifie une science et vérifier si la discipline étudiant la politique ou les faits politiques constitue une
science.

Selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, la science recouvre plusieurs significations.


L’une nous paraît la mieux élaborée. Elle est proposée à l’entrée D comme « ensemble de connaissances
et de recherches ayant un degré suffisant d’unité, de généralité, et susceptibles d’amener les hommes
qui s’y consacrent à des conclusions concordantes, qui ne résultent ni de conventions arbitraires, ni des
goûts ou des intérêts individuels qui leur sont communs, mais de relations objectives qu’on découvre
graduellement, et que l’on confirme par des méthodes de vérification définies »32. Selon M. BLONDEL,
la connaissance scientifique semble comporter ces caractères essentiels : 1° spécification par le seul
élément formel, c’est-à-dire par un point de vue, par une méthode, de la matière, de telle ou telle
science : car les sciences diffèrent, non par la diversité des objets, mais par la façon d’envisager, sous
un aspect déterminé quelque chose du problème total ; 2° organisation systématique des idées ou des
faits dont l’être scientifique est constitué par leurs relations sériées ; 3° rigueur de la preuve telle que le
Savant est un douteur qui met en quarantaine tout ce qui n’est pas démontré vrai33.

Pour Jacques CHEVALIER, tout champ scientifique se caractérise par un mélange complexe de
diversité et d’unité : diversité qui résulte de l’existence de schémas différents et concurrents
d’explication de la réalité (théories) ; unité qui résulte de l’utilisation de mêmes cadres d’analyse
(modèles) et, plus fondamentalement, d’un accord sur les questions pertinentes de la discipline
(paradigmes) permettant à la communauté scientifique de s’institutionnaliser34.

Pour Yves SCHEMEIL, la science comme connaissance particulière est caractérisée par les traits
suivants :
- Un effort de rigueur intellectuelle ;
- La conception et la construction des instruments et des dispositifs d’observation, de mesure ou de
traitement de l’information les mieux adaptés aux besoins de l’enquête ou de l’investigation ;
- Le recours aux moyens de justification des choix théoriques et pratiques faits à chaque étape du
raisonnement et ce, sans se contenter de déclarations approximatives, confuses et contradictoires ;
- L’adoption d’une méthode rigoureuse35.
Il dresse un tableau de ce que serait un type pur de connaissance scientifique en partant des objectifs
supposés :
1° Mathématiser, au moins partiellement, les relations entre objets, ou tout au moins les formaliser, et,
si possible, les mesurer à l’aide d’instruments. Cela veut dire que tout n’est pas quantifié, voire

31 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 15.
32 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF. Quadrige, 2006, p. 954.
33 E. BLONDEL cité par A. LALANDE, op.cit., p. 956.

34 J. CHEVALLIER, Science administrative, 6è édition mise à jour, Paris, PUF, Thémis Droit, 2019, p. 64
35Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,
Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 166.

10
quantifiable, mais que beaucoup pourrait l’être. Une science dont l’objet ne pourrait en aucune manière
être quantifié ou formalisé ne serait pas une science ;
2° Opérer deux distinctions radicales, d’abord entre le sujet et l’objet, ensuite entre le sacré et le
profane ;
3° Codifier des savoirs partiels et les réunir en un ensemble systématique de connaissances. Là réside
la fameuse unité de la science que l’on trouve dans l’édition scientifique, dans les traités, les manuels
et dans l’épistémologie, qui vise à énoncer les conditions d’une compréhension globale de la nature ;
4° Utiliser un outillage mental et technique particulier, fait de postulats, de paramètres, des lois et des
variables organisés en protocoles autrement dit des séquences de gestes à accomplir dans un certain
ordre, notamment au cours des expériences montées pour tester des hypothèses et lors d’investigations
conçues pour collecter des données empiriques (comme des enquêtes
5° Viser des applications pratiques, une utilité sociale. Pour résumer la science pure serait un savoir
formalisé, codifié et réglé, portant sur des objets empiriques et concrets, dont on pourrait donner des
explications abstraites et théoriques. En plus de tous ces éléments la science requiert aussi une certaine
mentalité ou mieux un esprit scientifique)36.

Cet esprit scientifique est d’abord érigé contre le sens commun des gens ordinaires. Le savant doit
préciser, rectifier, diversifier l’action ; préciser la connaissance en réduisant peu à peu le domaine du
non-vrai ; compléter les résultats antérieurs. L’esprit critique caractérisant la pensée scientifique rejette
deux types d’arguments non scientifiques quoique souvent utilisés par les savants eux-mêmes : les
arguments d’autorité (il faut démontrer ce qu’on affirme au lieu de s’appuyer sur des sources légitimes
ou divines pour convaincre), les arguments de circonstance (lesquels ne s’appliquent qu’en un lieu et à
un moment donné, à un objet particulier à l’exclusion de tous les autres)37.

Pour Pascal DELWIT, s’inscrire dans une démarche scientifique, c’est avant tout respecter des critères
de scientificité essentiels :
- La cohérence du raisonnement ;
- Le contrôle par les données de fait ;
- Le contrôle par ses pairs ; ce qui nécessite la publicité des procédures.

De manière processuelle, Yves SUREL, cité par Christine PINA, propose trois éléments venant spécifier
la recherche scientifique : une approche scientifique nécessite tout d’abord une définition précise des
phénomènes étudiés et une spécification des catégories employées. Dès lors, faire acte scientifique
signifie s’engager dans une démarche qui possède ses règles, ses attendus et ses étapes, même s’il est
réducteur de les présenter de manière linéaire. Ainsi, chercher scientifiquement signifie :
- Soumettre les faits sociaux à des questions qui ne sont ni neutres ni élaborées en dehors de toute attache
théorique, de toute réflexion préalable ;
- Collecter des informations, des données, pour tenter d’établir des relations entre elles. Cette recherche
de data serait vaine si elle n’avait pour but que la collection d’informations disparates. Le chercheur est
invité à inscrire la description dans une démarche plus générale : Construction de l’objet, objectivation
empirique (dont description) et validation des hypothèses constituent ainsi un triptyque qui, s’il ne
résume pas la totalité de la démarche de recherche, en éclaire toutefois des étapes importantes38.

36 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,
Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 184.
37 Y. SCHEMEIL, op.cit., pp. 186-187.
38 Ch. PINA, « Produire des données d’enquête en science politique » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è

éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 299-313, spéc. à la p. 304.

11
La spécificité de la démarche proprement scientifique réside à la fois dans la production et l’analyse de
données empiriques vérifiables, et dans une discussion critique des conditions d’établissement et de
validation de ces données.

La science politique remplit ces critères. On y observe un investissement considérable dans la collecte
de données grâce à des enquêtes de terrain ou du travail sur archives, un souci de discuter les biais
inévitables des méthodes d’extraction et d’analyse ; une recherche de cadres théoriques qui puissent
donner sens aux faits et déboucher sur des modèles explicatifs39. Toute science se caractérise par un
objet (un domaine d’étude) et une démarche (une manière de mener cette étude). L’objet de la science
politique réside dans l’étude des phénomènes politiques. Le terme « phénomène » désigne tout fait-
événement, groupe, comportement, valeur, institution. Ce n’est pas la science qui est politique, mais
son objet40.

En définitive, trois caractères fondent la science politique comme science sociale :


- La neutralité axiologique ;
- L'ambition de systématisation et
- L'utilisation de méthodes rigoureuses.

Faire de la science politique, c’est donc suivre une démarche spécifique pour analyser le pouvoir
politique. La science politique délivre un discours savant sur les faits, les comportements tenus pour
politiques, considérés comme tels à un moment donné par une communauté d'individus. La science
politique permet d'ordonner l'ensemble des faits politiques, d'établir leurs relations dans un système, de
dégager des lois facilitant la compréhension des mécanismes observés. Faire de la science politique,
c’est expliquer les phénomènes politiques, les institutions, les comportements des acteurs, les croyances,
les représentations du réel des acteurs. Un discours à visée scientifique sur le politique signifie avant
tout une ambition de description systématique, produisant des connaissances approfondies sur les
différentes facettes de l’activité politique (du vote aux pratiques gouvernementales en passant par les
activités militantes). Les entretiens, l’observation directe, la consultation d’archives ou encore les
questionnaires constituent quelques-unes de ces méthodes de collecte des données qui balisent le travail
scientifique. L’existence de protocoles d’observation et d’analyse est essentielle. Une conceptualisation
pour rendre compte du politique est ensuite nécessaire. La science, c’est une langue, avec des notions,
des concepts, des théories41.

La politique peut faire l’objet d’une investigation scientifique et donc d’un enseignement de la science
politique qui a essentiellement, pour finalité celle de faire connaître un savoir positif accumulé par la
discipline à travers notamment une tradition de pensée. A titre indicatif, les recherches menées depuis
des décennies ont apporté une masse de connaissances sur les partis politiques, le comportement
électoral, les modes d’exercice du pouvoir et sur d’autres sujets42.

L’expression « science politique » témoigne de la volonté de fédérer les travaux entrepris, et les
connaissances produites par différents chercheurs à propos des phénomènes politiques dans une même
communauté scientifique, une même discipline. Cette discipline unie par une épistémologie et des

39Ph. BRAUD, « La science politique, science du pouvoir ? », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux,
Dynamiques, Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 65-73, spéc. à la p. 66 et s.
40 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.28.
41 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 14-15.
42 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 24.

12
méthodes propres aux sciences sociales au sens positiviste du terme et relativement différente des autres
disciplines des sciences humaines et de leur partie politique43.

Toute analyse de science politique suppose un savoir-faire fondé sur 4 traits essentiels :
• La mise en œuvre de méthodes d'investigation inspirées par le doute curieux ;
• La volonté de systématiser ;
• La nécessité de bannir le jugement subjectif. L’ambition du politologue ne doit pas être d’énoncer le
bien ou le mal. Il s’agit d’essayer d’analyser et d’expliquer ce qui est. Il doit éviter de juger son objet
d’étude. Il doit tenter de le comprendre et de l’interpréter.
• La nécessité d’éviter les pièges de l’ethnocentrisme (juger par rapport aux normes du groupe social
auquel il appartient). Comme le prévient Guillaume DEVIN, « on ne s’engage pas dans une recherche
avec des plans d’ingénieur. L’aventure débute par le tâtonnement : on décrit, on observe, on collecte,
on questionne, on compare, on interprète, en essayant progressivement de donner une forme cohérente
et logique à toutes nos interrogations. Tout commence donc par ce qui ressemble d’abord à une
expérience »44.

Les caractéristiques d’une démarche scientifique non normative peuvent se résumer dans trois
éléments : la séparation entre le jugement de fait et le jugement de valeur ; l’empirie ou mieux la
démarche nécessairement empirique et enfin la systématisation des connaissances45.

En définitive, la démarche scientifique de la politique repose sur trois composantes essentielles : 1) la


prise en compte, dans l’analyse des phénomènes politiques, des jugements de fait et non des jugements
de valeur ; 2) une démarche nécessairement empirique (vocation de construire un savoir sur des bases
empiriques (recours à des méthodes d’investigation spécifiques, des procédures relativement
formalisées d’attestation et d’interprétation des faits, des techniques de récolte et d’analyse des données)
et 3) la systématisation des connaissances (la possibilité de généraliser à partir des cas étudiés et de
produire des connaissances de portée plus générale sur un ordre particulier des phénomènes politiques ;
la mise au jour des modèles généraux de compréhension et d’explication de la réalité46.Comme
discipline scientifique, la science politique entend produire un type de connaissances qui se distingue
de la spéculation, de l’idéologie, de la littérature, pour tendre vers un idéal d’objectivité commun à
l’ensemble des sciences. Pour parvenir à cet objectif ambitieux, il est nécessaire de mettre en œuvre une
méthode, un raisonnement et des instruments de validation et contrôle47.

Ce qui distingue une discipline ou des travaux disciplinaires, c’est le triptyque objet, question et
méthode48. Généralement la question est absorbée par l’objet; ce qui ramène les deux exigences de
scientificité à l’objet ou aux objets et à la méthode ou aux méthodes. Il est rare qu’une discipline
scientifique s’abreuve à une seule méthode ou à un seul objet d’étude. Ce dernier peut se décomposer
dans des objets spécifiques.

43
Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.43.
44 G. DEVIN, « Introduction », in G. DEVIN (dir.), Méthodes de recherche en relations internationales, Paris, Les Presses de
Sciences Po, 2016, pp. 11-14, spéc. À la p. 13.
45 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, pp.46-49.

46 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, pp. 48-49.
47FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 21.
48P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 22.

13
4. L’objet ou les objets de la science politique
Définir, c’est littéralement tracer des limites à un objet d’étude qui devient un objet fini avec une
frontière entre ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Comme les frontières sont toujours artificielles, elles se
déplacent au fur et à mesure que l’investigation progresse49. Définir l’objet de la science politique n’a
pas été aisé bien qu’une tendance dominante se dégage dans la doctrine politiste. Il est permis de retenir
au moins quatre définitions de l’objet de la science politique ainsi que leurs limites. Il s’agit d’une
conception minimaliste, maximaliste, restrictive et enfin élastique. La première identifie dans l’objet
d’étude de la science politique l’Etat (définition minimaliste). La seconde insiste sur l’étude du pouvoir
(définition maximaliste), la troisième définit la science politique par l’étude d’un type spécifique du
pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir politique (conception restrictive) et enfin l’objet de la science politique
porte sur l’étude de tout fait susceptible de politisation (définition élastique).

A. Conception minimaliste de l’objet de la science politique : l’étude de l’Etat

Pour les tenants de cette conception, l’objet de la science politique est l’étude de l’Etat. Ce dernier
désigne le cadre humain et territorial de l'action publique, l'agencement institutionnel permettant la
décision / l'élaboration et la mise en œuvre de l'action publique, l'équivalent contemporain de la polis
grecque antique. L’Etat connote essentiellement la forme moderne du pouvoir politique. Le mot État —
Stato en italien, Staat en allemand, Estado en espagnol, State en anglais... - ne s’est introduit dans les
langues européennes qu’au tournant des XVe et XVIe siècles, sans que l’on puisse en dater précisément
l’apparition50. L’Etat s’est généralisé à partir du XXè siècle. Pour Pierre FAVRE, la focalisation de la
science politique sur l’étude de l’Etat faisait partie des incertitudes entre 1890-1900. Prenant en compte
la littérature de l’époque traitant l’Etat, ce dernier apparaissait comme un objet naturel et permanent de
la science politique51.

Limiter la science politique à l’étude de l’Etat comporte quelques défauts, puisqu'elle suppose un accord
clair et unanime sur ce qu'est l'État, ce qui n'est pas le cas ; de plus l'État n'a pas toujours existé et n'existe
pas partout. D’autres formes d’organisation politique des sociétés telles que les cités, royaumes et
empires ont historiquement précédé l’Etat. L’Etat n’est qu’une forme parmi tant d’autres possibles
d’organisation du pouvoir politique. Tout comme il existe des sociétés politiquement organisées et
structurées sans l’existence de l’institution étatique52.

Réduire la science politique à l’Etat, aux institutions politiques et administratives peut se comprendre
historiquement : la science politique est apparue et s’est consolidée en lien avec la formation des Etats
contemporains. Elle s’intéresse au gouvernement des sociétés. La science politique s’attache à
comprendre la conquête du pouvoir de l’Etat et la conduite des politiques publiques. Mais l’objet de la
science politique, c’est plus que l’Etat. D’abord, il existe des sociétés qui ont des formes de régulation
politique sans qu’apparaisse une entité autonome que l’on puisse nommer Etat. Se centrer sur l’Etat,
c’est également courir le risque de refermer la science politique sur l’étude des institutions, de perdre
de vue les gouvernés (et leurs pratiques de participation plus ou moins officielles), de négliger l’éventail
large d’acteurs non-étatiques (groupes d’intérêts, associations, mouvements sociaux) qui contribuent
plus ou moins directement à la politisation de la vie sociale sans être partie de l’Etat53. D’autres limites
à cette conception minimaliste sont liées au fait que cette conception privilégie une approche juridique
et institutionnelle qui réduit l’étude des phénomènes politiques à celle d’une forme d’organisation

49 Y. SCHEMEIL, op.cit., p. 236.


50 S.GOYARD-FABRE, L’Etat figure moderne de la politique, Paris, Armand Colin, 1999, p. 10.
51 P. FAVRE, Naissances de la science politique en France. 1870-1914, Paris, Fayard, L’espace du politique, 1989, p. 173.
52 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 21.

53 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, pp. 26-27.

14
apparue en Occident avant sa diffusion dans d’autres régions du monde. Or, des travaux d’anthropologie
politique ont montré l’existence des formes d’organisation politique dans les sociétés primitives
dépourvues de toute structure étatique54.

Cette conception minimaliste ne permet pas à la science politique de développer tout son potentiel. D’où
une deuxième conception.

B. La conception maximaliste de l’objet de la science politique : l’étude du pouvoir

Ayant souligné les limites de la conception minimaliste, la science politique serait alors la science du
pouvoir. C'est une définition permettant d'intégrer dans son domaine les organisations et les acteurs non
étatiques jouant un rôle sur la scène politique, d'élargir la science politique à toutes les sociétés humaines
présentes ou passées connaissant des phénomènes de pouvoir. Elle présente néanmoins un inconvénient
majeur car le pouvoir entendu comme capacité de contrainte sur les individus est omniprésent dans
l’ensemble des relations sociales (famille, écoles, associations, etc.) En outre, tous les pouvoirs ne sont
pas politiques (pouvoir du chef de famille sur les enfants, du patron sur les salariés, etc.). Le concept de
pouvoir ne se limite pas à la sphère politique. Il touche à l’ensemble des domaines d’action humaine. Il
devient alors difficile de la définir, soit comme une possession soit comme une relation 55. Le pouvoir
étant un concept si extensible on voit mal quelles dimensions de la vie sociale lui seraient étrangères.
En outre il serait réductif de vouloir définir une discipline scientifique à partir d’un critère unique qui
risque de laisser à côté des pans entiers de ce qui est pourtant considéré spontanément comme relevant
de son domaine56.

Le caractère large de cette conception de la science politique postule que son objet soit de plus en plus
précisé. Si le pouvoir peut constituer l’objet de la science politique, il doit être spécifique. C’est le
pouvoir politique.

C. La conception restrictive de l’objet de la science politique

La conception maximaliste doit être restreinte alors que la conception minimaliste devrait être étendue.
Dans cette optique la science politique portera sur l’exercice d’un pouvoir particulier ou spécifique, à
savoir le pouvoir politique qui est exercé dans certaines collectivités humaines et non nécessairement
l’Etat. Le pouvoir politique peut être défini comme « le gouvernement des sociétés dans leur ensemble.
Le gouvernement d’une société c’est la capacité de certains groupes à diriger la vie en société, à orienter
les comportements des membres de l’ensemble de cette société, de promulguer des règles générales et
de s’assurer de leur mise en œuvre. Il y a en ce sens une spécificité du pouvoir politique par rapport aux
autres manifestations du pouvoir dans la société ; il se traduit par des interdits sur les autres acteurs
sociaux, par une ambition de gouverner la collectivité dans son ensemble »57.

Le pouvoir politique n’est pas à confondre avec l’influence que Robert DAHL définit comme un rapport
entre deux acteurs par lequel l’un d’entre eux amène l’autre à agir autrement qu’il ne l’aurait fait sans
cela. Selon lui l’influence repose sur des facteurs divers, notamment la force matérielle, la possibilité

54
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, pp.16.17.
55J.-V. HOLEINDRE « Introduction. Du pouvoir comme possession au pouvoir comme relation » in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le
Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 5-10.
56 Ph. BRAUD, « La science politique, science du pouvoir ? », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux,
Dynamiques, Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 65-73, spéc. à la p. 65.
57 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 28.

15
d’infliger des sanctions, la richesse, le prestige, l’affection, les normes, les valeurs 58. Le pouvoir n’est
plus à confondre avec la puissance que Max WEBER définit comme « toute chance de faire triompher,
au sein d’une relation sa propre volonté, même contre des résistances peu importe sur quoi repose cette
chance »59. Pour Maurice DUVERGER, la puissance est une situation de fait : celle où se trouve celui
qui peut imposer au moins partiellement son point de vue à l’autre (ou aux autres), dans une relation ou
interaction sociale60.

Le pouvoir se distingue de l’autorité. Pour Pierre-Tavoillot, il faut distinguer l’autorité du pouvoir, ne


serait-ce que parce qu’il peut y avoir du pouvoir sans autorité (l’autoritarisme du petit chef) et de
l’autorité sans pouvoir (la sérénité du vieux sage). L’autorité se distingue aussi de la contrainte par la
force, qu’elle permet d’éviter, et de l’argumentation rationnelle, qu’elle dépasse. L’autorité n’a besoin
ni d’imposer ni de justifier. L’autorité est donc, partant de son étymologie latine augere signifiant
augmenter, une opération qui augmente un pouvoir (le petit chef devient alors un grand homme) ou un
argument (puisque l’argument d’autorité est censé avoir plus de valeur que les autres). Et l’auteur de
conclure, ce qui fait autorité aujourd’hui dans le domaine de la politique, c’est l’autorité du savoir (de
la science), l’autorité charismatique (leadership) et enfin l’autorité compassionnelle61.

Le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA dégage trois définitions du pouvoir politique qui lui
apparaissent les plus importantes. Selon la première définition, est politique le pouvoir qui est souverain,
c’est-à-dire qui décide en dernière analyse, qui n’est limité par aucun pouvoir supérieur. La seule
limitation peut venir des accords et compromis qu’il passe avec d’autres pouvoirs politiques pour régler
leurs différends et délimiter leurs compétences respectives. Le pouvoir politique ainsi défini correspond
au pouvoir exercé par les autorités de l’Etat qui seul a ce caractère de nos jours, tous les autres pouvoirs
étant subordonnés au sien. Dans ces conditions, seules les autorités de l’Etat exercent le pouvoir
politique. Selon la seconde définition, est politique le pouvoir qui s’exerce dans la société globale par
opposition aux pouvoirs qui s’exercent dans des groupes particuliers. Les chefs des tribus, les
gouvernants des Etats modernes seraient, par exemple, titulaires du pouvoir politique par rapport au
pouvoir des dirigeants des clans, des associations, des entreprises qui ne serait pas politique. La
troisième définition est celle de Maurice DUVERGER qui considère le pouvoir politique comme le
pouvoir global exercé dans toute collectivité (groupe ou société globale), c’est-à-dire le pouvoir
d’organiser cette collectivité, de la maintenir, de la développer, de la protéger contre les autres, par
opposition aux pouvoirs relatifs à chacun des secteurs particuliers dans lesquels se manifeste la
collectivité en question. Pour lui, le pouvoir politique se situe au niveau de la globalité, des décisions
générales, des directives d’ensemble62.

La spécificité du pouvoir politique est qu’il s’exerce sur l’ensemble de la société d’une part et ceux qui
imposent leur autorité sur l’ensemble de la société disposent des moyens efficaces de contrainte, d’autre
part63.

L’objet de la science politique a été influencé par la qualité des auteurs. Les juristes tendent à ramener
la politique à l’Etat, les sociologues s’accordent pour considérer que la politique est du domaine de

58 R.DAHL, L’analyse politique contemporaine, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 53 cité par A. MULUMBATI NGASHA,
Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, p. 82 et s.
59 W. WEBER, Economie et société, cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 83.
60 M. DUVERGER, Sociologie de la politique, Paris, PUF, 1973,p. 173, cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 83.
61 P. .-H. Tavoillot, « Pouvoir et autorité », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions

sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 46-54.


62 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, pp. 83-84.
63 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 84.

16
l’exercice du pouvoir. Aucune de ces deux approches, observe IBRAHIMA SILLA, n’est pourtant
satisfaisante aux yeux des politistes contemporains64.

D. La conception élastique de l’objet de la science politique : l’étude des faits politiques

Si la doctrine politiste dominante considère la science politique comme étant la discipline ayant pour
objet principal l’étude du pouvoir politique, cet objet est trop simplifié car la science politique porte sur
plusieurs objets et évolue chaque fois que différentes questions font l’objet d’un certain débat politique
et appellent des réponses politiques appropriées. Yves SCHEMEIL est d’avis que ces dernières
décennies ont élargi les objets de la science politique en embrassant notamment les études régionales,
l’ethnicité, l’écologie, la biologie etc.

Cette quatrième conception procède de l’intensification des recherches en science politique. Il soutient
que l’objet de la science politique est l’étude de la décision politique. Pour lui, la science politique n’est
ni la science du pouvoir, ni une science au service du pouvoir (ou contre les pouvoirs établis), ni une
science consacrée aux pouvoirs publics. En tant que science, elle a vocation à donner de tous ces objets
une explication distancée, car les connaissances produites sont inévitablement réutilisées par les acteurs
eux-mêmes pour défendre leurs intérêts65. Pour cet auteur, la science politique a pour objet « toute
décision qui est contrainte d’être à la fois juste et efficace pour être acceptable »66. Pour le Professeur
Adrien MULUMBATI NGASHA, la science politique est « la science des faits politiques entendus
comme des faits sociaux ayant des conséquences directes ou indirectes, médiates ou immédiates sur
l’organisation et le fonctionnement de la vie politique »67.
Que faudrait-il entendre par fait politique ?

A cette question répondent certains auteurs en soulignant l’élasticité des faits politiques. Les faits
politiques peuvent se diviser en deux classes : d’une part les règles et les institutions, d’autre part les
faits stricto sensu. Les règles sont des dispositions relatives à la conduite humaine ; les institutions sont
des complexes de règles créant un agencement durable ou bien cet agencement lui-même. Les faits
proprement dits sont les événements historiques, les actes, les idées, les sentiments, les situations qui
s’établissent spontanément68. L’objet de la science politique réside dans l’étude des phénomènes
politiques. Le terme « phénomène » désigne tout fait- événement, groupe, comportement, valeur,
institution…tel qu’on se le représente dans notre esprit69.

Pour Yves SCHEMEIL, la politique serait le domaine des chartes, des Constitutions, des statuts, des
organigrammes définissant la chaîne de commandement. Dans cette conception, il ne serait pas
nécessaire d’établir une liste des attributs jugés proprement politiques. Un pareil catalogue ne serait
jamais clos : de nouveaux objets, de nouveaux domaines ou de nouvelles pratiques pouvant être à
chaque instant jugés politiques et traités comme tels. Chaque fois que ces objets sont qualifiés de
politique c’est à l’issue d’un débat public, même restreint à des experts se réunissant sans grande
publicité. Pour lui tout problème est politisé par un débat en public, débat qui oblige les gouvernants à
en discuter à leur tour, que ce soit publiquement ou à huis clos70.

64 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 23.


65 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,
Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 39 et s.
66 Y. SCHEMEIL, op.cit., p.90.
67 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4 è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, p. 14 et s.
68 KAYAMBA TSHITSHI NDOUBA, Agonie et fin de la première République du Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 2018, p.

27.
69 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, p. 28.
70 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,

Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p.91.

17
Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick HASSENTEUFEL estiment qu’il n’existe pas
une essence de la politique. Il n’y a pas de contenu fixe au politique. Qu’est-ce qu’un fait politique ? En
fait, les réponses varient en fonction des contextes. Certaines activités non politiques peuvent se trouver
politisées à la faveur de contextes et de rapports de force spécifiques. Pour une part, l’activité de la
science politique consiste à comprendre comment des problèmes se politisent, c’est-à-dire comment
certaines questions ou activités se voient dotées d’une signification politique et se voient appropriées
par les acteurs intervenant dans l’espace politique. La politisation des problèmes dépend très fortement
de la capacité sociale et politique de certains acteurs à transformer un problème social en problème
politique nécessitant l’intervention des pouvoirs publics. Dès lors, la qualification d’un problème
comme relevant de la sphère politique a trait à la fois au subjectif (certains individus et/ou groupes
sociaux définissant certains problèmes comme politiques) et à l’objectif (c’est-à-dire de l’état des
rapports de force dans une société à un moment donné qui leur permettent-ou non de faire passer leurs
demandes71.

La définition de la science politique par la politisation comporte des limites : d’abord une même
question peut être traitée de politique par certains chercheurs, de religieuse ou de privée par d’autres.
Ensuite, le pouvoir politique- l’Etat en particulier- a très souvent répondu à des conflits et à des
revendications par le silence en lui refusant le statut de problème et ignorant le caractère de fait social
ou de fait politique. Il s’agit en l’espèce d’une réponse par l’indifférence. Cette définition de la
politisation peut aussi présenter l’inconvénient de cacher, voire d’ignorer les interventions dans le
champ politique qui sont peu ou non visibles et non institutionnelles. Plusieurs objets, longtemps
considérés comme faits non politiques au début le deviennent. C’est notamment le cas du féminisme,
du sport, etc. En résumé, suivant les époques et les contextes, la politisation d’une question ou d’un
objet évolue. Et de ce fait, les champs de la science politique 72. Tirant les difficultés de dégager les
objets de la science politique, Yves SUREL soutient qu’il est impossible de définir la science politique
par ses objets, car ceux-ci échappent à des catégorisations stables. Bien plus, la science politique ne
saurait justifier son périmètre scientifique par la monopolisation de certains objets de science73.

Procédant à une synthèse de l’objet de la science politique, c’est-à-dire l’étude du champ politique, des
faits et phénomènes politiques, IBRAHIMA SILLA regroupe les principaux objets de réflexion de la
science politique en ces termes :
- Les objets consensuels (les partis politiques, l’Etat) ;
- Les objets majeurs (la communication politique incluant l’opinion publique, les médias, les stratégies
de séduction des professionnels de la politique) ;
- les objets discutés (le vote, les groupes d’intérêt ou de pression, le pouvoir politique, la socialisation,
les régimes politiques. La science politique s’intéresse autant au fonctionnement effectif des institutions
qu’à leur structure théorique, à l’usage qui est fait du pouvoir plus qu’aux formes juridiques qui le
déterminent ou aux problèmes philosophiques qu’il pose74.

Pour Jacques CHEVALLIER, une science se construit toujours non pas en fonction d’un objet pré-
existant ou préconstruit, mais d’un point de vue, d’un angle d’attaque, d’un ensemble de questions

71 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 30 et s.
72 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, pp. 33-36.


73 Y. SUREL, La science politique et ses méthodes, Paris, Armand Colin, 2015.
74 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, pp. 27-28.

18
posées : c’est cette problématique et non un domaine du réel par avance délimité, qui permet la
constitution d’une discipline scientifique75.

E. Quelques définitions de la science politique

Pour Pascal DELWIT, la science politique étudie les conflits et les modes de régulations des conflits du
ou des pouvoirs politiques en présence. A partir de cette définition synthétique, il propose l’objet d’étude
de la science politique partant de quatre domaines principalement couverts par la discipline (théorie
politique, sociologie politique, science administrative-étude des politiques publiques et relations
internationales). Cet objet vise à :
1) L’étude et à la présentation des conflits et de ses manifestations ;
2) L’étude des espaces des conflits ;
3) L’étude de la nature des conflits ;
4) L’étude des acteurs des conflits ;
5) L’étude des acteurs des règlements ou des tentatives de règlement des conflits.

En d’autres termes, la science politique est l’étude des rapports de forces, des conflits politiques, de leur
évolution et de l’évolution parallèle des régulations des conflits politiques76.
Le Lexique de science politique définit celle-ci comme la discipline des sciences sociales dont le but
est l’analyse des phénomènes politiques. La science politique étudie les objets traditionnellement perçus
comme politiques (ex. l’Etat, les institutions gouvernementales ou parlementaires, les décisions
publiques, les élections, les partis politiques, les doctrines et les idéologies politiques, les relations
internationales, etc.). Mais elle étudie également, dans une perspective sociologique, la dimension
politisée des rapports sociaux (ex. relations entre classes ou communautés, phénomènes de domination
sociale, liens entre la vie économique et le système politique, entre inégalités sociales et participation
politique, entre appartenance religieuse et activités politiques, etc.). Elle s’intéresse enfin à des objets
sociaux qui peuvent peser sur la sphère du politique (ex. organisation du travail, éducation familiale,
représentations sociales et croyances77.

Léon ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI définit la science politique d’un double point de
vue : formel et matériel. Du point de vue formel, la science politique est constituée d’un ensemble de
règles juridiques, des procédures et pratiques relatives à la dévolution, à l’organisation et à l’exercice
du pouvoir politique. Dans ce sens matériel, elle s’identifie à travers les éléments ci-après : le pouvoir
politique, le système politique, l’Etat et les régimes politiques (cadre d’exercice de pouvoir politique),
les acteurs du jeu politique constitués des organes de l’Etat, des partis politiques, des groupes de
pression, de l’opinion publique et des individus. Les préalables à la participation politique des citoyens
(la culture citoyenne et la culture politique), les exigences et conséquences de la gouvernance politique,
le rapport entre la politique et le droit dans la régulation de la vie sociale viennent enrichir le contenu
de la science politique78.
L’objet ou les objets sont étudiés selon des méthodes et techniques appropriées. Les politistes ont
tendance à privilégier le recours à certaines méthodes mettant en relief la collecte, la description et
l’explication des faits étudiés à la lumière de la neutralité axiologique79. Les théories scientifiques sont
75 J. CHEVALLIER, Science administrative. 6 è éd. Mise à jour, Paris, PUF, Thémis, 2019, p. 47 et s.
76 P. DELWIT, op.cit., pp.32-33.
77
O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 560.
78 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 24.
79A titre indicatif, voy. R.COMAN, A. CRESPY, F. LOUAULT, J-B. PILET, E. Van HAUTE, J-F. MORIN (dir.), Méthodes de la
science politique. De la question de départ à l’analyse des données, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2016.

19
tirées de façon rigoureuse des faits livrés par l'observation et l'expérience. Il n'y a pas de place dans la
science pour les opinions personnelles, goûts et spéculations de l'imagination. La science est objective.
On peut se fier au savoir scientifique parce que c'est un savoir objectivement prouvé80. Les méthodes et
techniques sont été conçues pour la démonstration de ce savoir.

5. Les méthodes en science politique

Nous préférons évoquer les méthodes en science politique plutôt que les méthodes de la science
politique. Cette nuance est de taille car la science politique mobilise des méthodes forgées et utilisées
ailleurs par d’autres sciences sociales à l’instar de la sociologie, de l’économie, des relations
internationales. La science politique partage largement les mêmes méthodes que les sciences sociales.
Selon l’objet d’analyse une méthode ou quelques méthodes peuvent être privilégiées.

A. Définition de la méthode

Méthode vient du grec hodos qui signifie le chemin. C’est le chemin à suivre pour arriver où l’on
souhaite aller81. Par méthode, on peut entendre « un chemin, un cheminement, une direction à suivre,
un ensemble de démarches ou de procédés intellectuels plus ou moins complexes qui permettent de
parvenir à une fin, un résultat ou un objectif déterminé : une formule mathématique, une œuvre, une
thèse, une décision, la découverte d’un objet physique… »82. C’est l’ensemble d’opérations
intellectuelles et matérielles à accomplir par le chercheur, de manière à déceler l’existence d’une réalité,
puis d’en comprendre et d’en expliquer les caractéristiques objectives83.

En sociologie, le terme méthodes (au pluriel) désigne des techniques d’observation ou d’analyse des
données. Au-delà de ces techniques descriptives, les méthodes sont aussi – et surtout – des ensembles
de principes qui guident les scientifiques pour élaborer de nouvelles théories et pour procéder à l’analyse
critique des théories existantes84. Cette idée est reprise par FRANCOIS DIEU qui estime que les
méthodes au pluriel, sont synonyme de techniques, c’est-à-dire des procédés de recherche utilisés lors
de la mise en œuvre de la méthode, de sorte que si la méthode est une démarche intellectuelle, les
méthodes sont des instruments pratiques et concrets85. Dans le cadre de cette partie du cours les
méthodes sont utilisées au sens premier de Méthode tandis que les techniques sont entendues au sens
de méthodes au pluriel.

Madeleine GRAWITZ distingue à titre pédagogique quatre conceptions de la méthode dont la


conception philosophique est plus citée. Au sens le plus élevé et le plus général du terme, la méthode
(au singulier) est constituée de l’ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline
cherche à atteindre les vérités qu’elle poursuit, les démontre, les vérifie »86. La méthode est tout
simplement un sentier raisonné emprunté pour atteindre un but. Le choix d’une méthode ne saurait
conduire le chercheur à l’aveuglément. Véronique CHAMPEIL-DESPLATS nous renseigne que les
épistémologues contemporains n’hésitent plus à relever la part d’intuition, d’imprévu, de hasard,

80 ALAN F. CHALMERS, Qu’est-ce que la science ? Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Traduction française, Paris, La
Découverte, 1987, p. 21. L’auteur critique cette formulation qui résulte d’un inductivisme naïf.
81 P. DELNOY, « De la légistique conçue comme la science de la création du droit écrit », in Aux confins du droit. Essais en l’honneur

du Professeur Charles-Albert MORAND, Genève & Lichtenhahn, 2001, pp. 65-79, spéc. à la p. 67.
82 V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p.3.
83
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.49.
84 R.BOUDON et R.FILLIEULE, Les méthodes en sociologie, Paris, PUF, Que sais-je, 2012, p.3.
85 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, pp. 49-50.
86 M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, p. 351 cité par CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du

Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 3 et s. M. GRAWITZ, op.cit., cité par V. CHAMPEIL-DESPLATS, op.cit., p.
4.

20
d’arrangement, d’ajustement ou encore de savoir-faire singulier qui peut s’y glisser87. La méthode
désigne également des schémas d’explication, des modes de mise en récit et de mise en lien de ce que
l’on étudie et cherche à faire comprendre.

Procéder avec méthode, c’est : 1°) déterminer clairement l’objectif à atteindre ; 2°) établir la somme des
opérations à accomplir et de matériaux et instruments à utiliser ; 3°) Réaliser ces opérations dans un
ordre raisonné88. Les exigences du positivisme méthodologique concernant les sciences du droit sont
aussi les mêmes que celles des sciences sociales en général, et de la science politique en particulier. Les
quatre exigences sont :
- La neutralité axiologique (distance aux valeurs dont doit faire preuve le savant dans l’exercice de son
activité de recherche ou d’enseignement).
- La séparation entre les faits et les valeurs ;
- L’observation du droit positif ;
- La vérification des propositions scientifiques89.

Notons que deux principaux aspects méthodologiques guident la recherche en science politique. On
partira soit du déterminisme social (les effets de l’environnement sur l’action des individus), soit de
l’individualisme méthodologique (l’analyse des choix et des actions de l’individu et de leur impact sur
son environnement). Il y a donc deux perspectives dans l’interprétation des faits sociaux90.

B. Individualisme et déterminisme méthodologique

B.1 L’individualisme méthodologique

L’individualisme méthodologique est un paradigme des sciences humaines et sociales selon lequel les
phénomènes sociaux peuvent être étudiés et expliqués comme le résultat des activités et des interactions
entre individus. L’individualisme méthodologique privilégie l’étude des comportements individuels et
des effets qu’ils produisent sur la vie sociale. Ses partisans s’intéressent prioritairement aux choix,
préférences, calculs et/ou croyances des individus91. En d’autres termes, l’individualisme
méthodologique, ensuite, est une méthode explicative qui permet de rendre compte des phénomènes
sociaux en les ramenant aux actions individuelles qui les composent92.

L’individualisme méthodologique est une méthode qui vise à expliquer les phénomènes sociaux en deux
étapes organiquement liées : 1/ une étape d’explication qui consiste à montrer que ces phénomènes
sociaux sont la résultante d’une combinaison ou d’une agrégation d’actions individuelles ; 2/ une étape
de compréhension qui consiste à saisir le sens de ces actions individuelles, et plus précisément à
retrouver les bonnes raisons pour lesquelles les acteurs ont décidé de les effectuer93.

Cet individualisme méthodologique est inspiré par les travaux de l’Ecole sociologique de Chicago et de
la sociologie wébérienne qui considèrent que l’individu est un acteur autonome (non atomique) qui
poursuit ses fins personnelles en raison de sa logique propre ou de ses intérêts privés. Dans cette optique,
87V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p.5.
88 P. DELNOY, « De la légistique conçue comme la science de la création du droit écrit », in Aux confins du droit. Essais en l’honneur
du Professeur Charles-Albert MORAND, Genève & Lichtenhahn, 2001, pp. 65-79, spéc. à la p. 67.
89 V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 111. A la troisième exigence

(l’observation du droit positif peut être remplacée par l’observation des faits sociaux ou politiques).
90 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 23.
91 O. NAY, Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 296.
92 R. BOUDON et R. FILLIEULE, Les méthodes en sociologie, Treizième édition, Paris, PUF, 2012, p. 3.
93 R. BOUDON et R. FILLIEULE, Les méthodes en sociologie, Treizième édition, Paris, PUF, 2012, p. 31.

21
l’activité spécifique de chaque individu est perçue comme le produit du calcul rationnel. Le système
social est compris comme le résultat aléatoire des transactions sociales dépourvues de principe d’unité
en soi. Ainsi, le sens de l’action sociale est-il déduit des logiques individuelles, lesquelles sont variables
selon le rapport coût/avantage. Cette approche se diffère de celles prenant la société comme un système
global et organique, dans lequel chaque individu ou groupe joue un rôle déterminé comme point de
départ de l’analyse94.

B.2 Le déterminisme méthodologique

Contrairement à l’individualisme méthodologique, le déterminisme méthodologique est un paradigme


mettant l’accent sur les déterminismes sociaux niant toute latitude réelle aux individus. Et les faits
politiques sont donc redevables de ces déterminismes et doivent être reliés à la totalité sociale et à ses
lois pour être expliqués. Ils n’ont en soi qu’une autonomie illusoire étant gouvernés par d’autres
phénomènes plus globaux95. Yves SCHEMEIL utilise l’expression holisme pour y inclure les différentes
formes du déterminisme méthodologique. En effet, le holisme constitue un dépassement des approches
individualistes. Les approches holistes ont en commun de souligner la dépendance des individus à
l’égard de leur environnement, et de réduire l’importance sociale de leur liberté de choix personnelle96.
Pour de nombreux spécialistes, l’objet d’une science sociale, c’est la société prise comme un ensemble,
et accessoirement les éléments qui la composent (les individus). Dans cet esprit, notre environnement
naturel et matériel est très déterminant.

La science politique recourt à un ensemble des méthodes qui ne lui sont pas spécifiques, mais puisées
dans celles qui sont communes aux sciences sociales. Elle recourt aussi dans une moindre mesure aux
méthodes juridiques.

C. Un bref inventaire des méthodes en science politique

La science politique mobilise plusieurs méthodes. Cette diversité est principalement due aux différents
domaines qu’elle couvre, notamment la sociologie politique, les relations internationales 97. Elle
emprunte à la sociologie certaines de ses méthodes au regard du fait que les phénomènes politiques sont
avant tout des faits sociaux, observables, mesurables, quantifiables. Peuvent ainsi être distinguées les
méthodes dialectique (exposé d’arguments pro et contra et d’une conclusion), fonctionnelle
(accentuation sur la fonction remplie par les objets étudiés), systémique (présentation de l’objet comme
faisant système), synthétique (accentuation sur l’essentiel et sur ce qui rapproche), analytique
(accentuation des éléments distinctifs)98. L’analyse fonctionnaliste consiste à expliquer les phénomènes
sociaux par le rôle, la tâche, la fonction qu’ils exercent dans l’ensemble social auquel ils appartiennent.
La détermination de la fonction sociale d’un phénomène en question par son rôle dans la perpétuation
du système social99.

94 KAYAMBA TSHITSHI NDOUBA, Agonie et fin de la première République du Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 2018, p.
28,
95 D. CHAGNOLLAUD, Science politique, 7 è éd., Paris, Dalloz, 2010, p. 11 cité par P. DELWIT, Introduction à la science politique.

Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2018, p. 23


96 Ph. BRAUD, Sociologie politique, 12è éd., Paris, LGDJ, 2016, p. 23 et s.

97 G. DEVIN (dir.), Méthodes de recherche en relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2016
98 M. GRAWITZ, op.cit., cité par V. CHAMPEIL-DESPLATS, op.cit., p. 4.
99 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.73

22
Bien que des ouvrages analysent les méthodes en science politique, ces méthodes ne lui sont pas
spécifiques. Elles sont principalement tirées des autres sciences. Elle peut privilégier, selon le contexte,
l’une ou l’autre méthode100.

La science politique emprunte également au droit public sa méthode exégétique dans la mesure où les
faits politiques sont en partie régulés et organisés par le droit dont l’accessibilité et l’intelligibilité
commandent des atouts dans l’analyse et l’interprétation des textes. En outre la science politique
constitue l’une des quatorze branches de la recherche juridique recensées par Boris BARRAUD 101. Pour
Léon ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, eu égard à l’objet de la science politique, la
recherche va être nourrie principalement par les méthodes juridiques et celles de science politique, c’est-
à-dire empiriques. Les méthodes juridiques ont comme préoccupation cardinale la référence constante
au droit applicable au cas sous examen. Ces méthodes vont contribuer à mettre en lumière la régulation
de la dévolution, de l’exercice et de la cessation du pouvoir dans un contexte caractérisé par les
manifestations du phénomène de juridicisation de la vie politique. La juridicisation désigne un
phénomène d’extension du droit et des procédures juridiques à un nombre croissant de domaines de la
vie économique et sociale, mieux la soumission au droit de la vie sociale. Les méthodes empiriques sont
fondées sur la réduction de l’importance de la règle juridique ; elles privilégient naturellement les
actes, les comportements, l’expérience vécue qu’elles substituent à la règle juridique, faisant ainsi de
l’empirisme102.

La méthode comparative est de plus en plus intégrée dans les travaux de science politique. Comparer
est un moyen de tester la validité des explications, il est donc normal que la science politique soit
comparative dans toutes ses dimensions : on compare ainsi des principes philosophiques, des attitudes,
des mesures publiques et des décisions internationales103. Dans un sens plus étroit, comparer, c’est à la
fois assimiler et différencier par rapport à un critère. La démarche comparative consiste à relever des
différences et des points communs en fonction d’un critère qu’il convient de définir et qui oriente
l’attention du chercheur104. La comparaison en science politique a contribué à l’émergence d’un
domaine spécifique, à savoir la politique comparée105.

Les résultats peuvent être généralisés selon deux approches des phénomènes sociaux : une approche
déductive et une approche inductive. La première approche se fonde sur une construction théorique
cohérente, que l’on teste sur la réalité empirique. L’activité de modélisation précède l’observation du
réel. Au contraire, une approche inductive consiste à construire la théorisation sur l’accumulation
d’observations empiriques. La généralisation s’opère à partir de l’observation des cas singuliers 106. Dans
son ouvrage d’introduction à la science politique, le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA dresse
un tableau synoptique de principales méthodes mobilisées dans la discipline ainsi que leurs limites :
l’expérimentation, la méthode comparative, la méthode historique, la méthode dialectique, la méthode

100 Pour plus de détails, FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan,
2021 ; PAPA SAMBA NDIAYE, Méthodes de recherche en science politique appliquées au contexte de l’Afrique, Paris,
L’Harmattan, 2021 ; RAMONA COMAN et alii, Méthodes de la science politique, Bruxelles, DeBoeck supérieur, 2016.
101 B. BARRAUD, La recherche juridique. Sciences et pensées du droit, Paris, l’Harmattan, 2016. Les autres branches de la recherche

juridique sont constituées par la théorie du droit, la philosophie du droit, la science du droit positif, l’histoire du droit, le droit
comparé, la sociologie du droit, l’anthropologie du droit, l’analyse économique du droit, la linguistique juridique, la méthodologie
juridique, l’épistémologie juridique, la légistique, la politique juridique et la science politique que nous avons déjà citée.
102 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 29 et s.
103 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,

Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 374.


104 C. VIGOUR, « La démarche comparative », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant,

Coll. Paradigme, 2019, pp. 299-313, pp. 329-344, spéc. à la p. 330.


105 Y. DELOYE et J.- M. De WAELE (dir.), Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018 ; H. KRIESI, Les démocraties

occidentales. Une approche comparée, Genève, 1994.


106 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés,
Paris, Armand Colin, 2018, p. 15.

23
structuraliste, la méthode fonctionnelle, la méthode systémique107. La méthode expérimentale se
caractérise par un va et vient permanent entre les faits et les résultats de leur observation, ce qui impose
une soumission systématique au fait (d’où l’importance de la phase d’observation de la réalité et un
souci de confronter la pensée avec le réel108. Les méthodes sont complétées par des outils ou des
instruments appelés techniques.

6. Les techniques en science politique


Les techniques constituent « des outils mis à la disposition de la recherche et organisés par la méthode
dans ce but (techniques documentaires, technique de l’enquête, technique de l’entretien, technique de
dépouillage)109. Ce sont des outils de collecte de données. Le recours à des techniques peut varier d’une
discipline à une autre et selon l’usage que l’on se fait d’une technique. La science politique recourt à un
certain nombre des techniques qui ont pour but d’enregistrer ou de collecter diverses informations sur
des individus, des groupes d’individus, des institutions, l’environnement dans lequel les individus et
groupes d’individus vivent ou évoluent, leurs opinions, leurs attitudes, leurs comportements, leurs
cognitions110. En science politique tout comme en sociologie les méthodes peuvent être utilisées comme
des stratégies de collecte des données et de leur analyse111. Pour éviter toute confusion nous utilisons
l’expression « techniques » comme outils de collecte et de traitement des données.

Le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA recense plusieurs techniques mobilisées en science


politique : l’observation, le questionnaire par entretien ou interview, le questionnaire par
correspondance ou questionnaire écrit, le questionnaire par téléphone et enfin les techniques
instrumentales112. Illustrons brièvement ces différentes techniques ainsi que leurs déclinaisons.

A. L’observation
Elle constitue la plus importante des techniques utilisées pour recueillir ou collecter les données
nécessaires à une étude en science politique. L’observation scientifique se distingue de l’observation
intuitive (courante). L'observation intuitive (observation courante) est spontanée, ne fait pas l’objet
préalablement d’une préparation matérielle ou intellectuelle spécifique. Il s’agit pour l’individu
d’observer les phénomènes que le hasard a placés sur son chemin en faisant appel à son intuition, à son
imagination, à sa curiosité, à ses sens. L’observation scientifique est préparée notamment elle fait appel
à des appareils et des techniques d’observation, systématique (elle a pour objet de mettre en évidence
et de recenser l’ensemble des éléments se rapportant au phénomène observé), rigoureuse (elle s’entoure
de certaines garanties de manière à assurer la validité de ses résultats et polémique (elle s’effectue en
refusant tout caractère d’autorité ou de vérité aux résultats des observations antérieures)113.

En tant que pratique scientifique, l’observation ne se limite pas au regard. Elle implique également un
double effort de systématisation et de transcription des phénomènes observés (via des prises de notes
par exemple) afin de rendre compte d’une configuration globale d’acteurs et de relations114.
L’observation comprend l’ensemble des opérations par lesquelles le modèle d’analyse (constitué

107 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 16-20.


108 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.50.
109 M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, cité par V. CHAMPEIL-DESPLATS, V. CHAMPEIL-

DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 4.


110 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 20.
111 R. COMAN, A. CRESPY et alii, Méthodes de la science politique. De la question de départ à l’analyse des données, Bruxelles.,

DeBoeck supérieur, 2022 ; FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris,
L’Harmattan, 2021.
112 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 20-29.
113
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, pp. 52-53.
114
R. COMAN, A. CRESPY et alii, Méthodes de la science politique. De la question de départ à l’analyse des données, Bruxelles.,
DeBoeck supérieur, 2022, p. 325.

24
d’hypothèses et de concepts avec leurs dimensions et leurs indicateurs) est soumis à l’épreuve des faits,
confronté à des données observables. Appelée parfois « travail de terrain », l’observation est une étape
essentielle dans toute recherche en sciences sociales. Ces disciplines peuvent en effet être considérées
comme des disciplines « empiriques » en ce sens qu’elles impliquent toujours la récolte et l’analyse de
matériaux « concrets » tels que des réponses aux questions posées dans un questionnaire, des données
statistiques, des propos recueillis dans le cadre d’entretiens, des documents produits par une
organisation quelconque (comme une entreprise, une administration ou un journal), des documents
audiovisuels ou électroniques ou encore des observations effectuées directement sur les lieux de vie des
personnes étudiées115.

L’observation se présente sous plusieurs formes, notamment l’observation directe, indirecte,


l’observation libre, l’observation dirigée, l’observation participante, la participation observante,
l’observation documentaire. L’observation directe est cette forme d’observation qui porte directement
sur des phénomènes politiques étudiés, qu’il s’agisse des individus, des groupes d’individus, des
institutions, etc.

L’observation peut être dans ce cas libre ou spontanée (faite sans plan d’observation précis), soit dirigée
(faite selon un plan, une grille d’observation), soit participante (l’observateur participe en étant intégré
au groupe qu’il vient observer au point de se faire oublier en tant qu’observateur. Il ne doit pas être
impliqué dans des problèmes du groupe ni être amené à prendre partie sur des questions importantes
qui se posent dans le groupe) ; soit une participation observante (Elle est caractérisée par le fait qu’un
membre du groupe, qui participe d’ordinaire aux activités de ce dernier, prend le statut d’observateur
d’une manière avouée ou clandestine). L’observation participante introduit une pratique mixte dans la
recherche : observer en participant directement à la réalité sociale que l’on étudie116. Les deux auteurs
ajoutent aussi le tracking. Celle-ci représente une forme d’observation participante qui suppose une
familiarité avec le milieu étudié, mais pas exactement une immersion. Le « pisteur » conserve une
certaine extériorité et une certaine mobilité face à la diversité des situations qu’il observe117.

Cette observation ressemble à un entretien de terrain. Cette technique a pour caractéristique de conduire
le chercheur à observer un objet dans son propre environnement et dans les conditions normales de son
fonctionnement. Elle consiste à être le témoin des comportements sociaux des individus et des groupes
dans les lieux mêmes de leurs activités ou de leurs résidences, sans en modifier le déroulement ordinaire.
Synonyme de travail de terrain, elle signifie une présence systématique et souvent prolongée au sein du
groupe social, objet de l’enquête118. Un groupe social peut être étudié à partir de l’observation interne
(les membres du groupe qui est l’objet de la recherche en deviennent les observateurs), l’observation
externe (l’observateur demeure étranger au groupe observé. Il en est le spectateur attentif et désengagé),
l’observation-participation119.

L’observation documentaire consiste à étudier et à analyser les documents aux fins de déterminer les
faits dont ces documents portent les traces. Ces documents peuvent être écrits officiels ou non
(statistiques, archives publiques, correspondances administratives, actes d’état civil, archives
judiciaires, débats des assemblées, documents de la presse, tracts, affiches publicitaires, livres,
correspondances privées, archives personnelles, archives des partis politiques, syndicats, etc.) ou non

115 L. VAN CAMPENHOUDT RAYMOND QUIVY, Manuel de recherche en sciences sociales, 4 è éd., Paris, Dunod, 2011, p. 141.
116 G. DEVIN et M.-F. DURAND, “ Décrire, représenter, interpréter”, in G. DEVIN (dir.), Méthodes de recherche en relations
internationales, Paris, Les Presses de SciencesPo, 2016, pp. 17-37, spéc. à la p. 23.
117 Idem, p. 24.
118
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 108.
119 FRANCOIS DIEU, op.cit., pp. 110-111.

25
écrits (objets, rituels, moyens d’expression (récits, discours, radio, télévision, cinéma, théâtre, musique
etc.).

Cette observation documentaire est l’une des formes que prend l’observation indirecte car celle-ci se
focalise sur les faits qui portent ou ont des traces des faits que l’on veut étudier et qui permettent de
recueillir des informations sur ces derniers faits. L’emploi de l’observation en science politique est
limité par certains facteurs liés notamment au chercheur du fait qu’il peut observer les faits faisant partie
de la société dans laquelle il vit avec moins de recul et d’objectivité. Etant donné que l’observateur
opère dans un espace physique et social déterminé, cela peut l’induire à présenter des résultats des faits
qu’il observe de manière partielle ou encore selon un système de valeurs de l’observateur ou de la
société faisant l’objet d’étude. L’observation documentaire, appelée aussi recherche documentaire a
pour objet d’appréhender la réalité sociale de manière indirecte, grâce à des traces, des preuves, des
témoignages, des documents qui en sont une représentation. C’est donc une observation médiatisée par
des documents120. L’observation doit être complétée par d’autres techniques. C’est notamment le cas
du questionnaire.

B. Le questionnaire
Les enquêtes par questionnaire visent d’ordinaire à recueillir trois catégories de données : des faits qui
ressortissent au domaine personnel des individus composant l’univers social étudié (âge, revenu,
instruction), au domaine de leur environnement (habitat, membres de leur famille), au domaine de leur
comportement : des jugements subjectifs sur des faits, des idées, des événements ou des personnes
(opinions, attitudes, motivations) ; des cognitions, c’est-à-dire des indices du niveau de connaissance
de divers objets étudiés par l’enquête. Celle-ci requiert nombre d’outils, entre autres, les entretiens, la
collecte de données, l’analyse des textes, des images et l’emploi des méthodes quantitatives121.

Le questionnaire peut être administré de trois manières différentes : par entretien, lorsque le
questionnaire est rempli au cours ou à la suite d’un tête-à-tête entre l’enquêteur et le sujet ; par
correspondance, lorsque le questionnaire est envoyé par la poste aux sujets de l’échantillon choisi, avec
prière de le retourner dûment complété ; ou encore par téléphone. Le questionnaire peut prendre deux
formes. D’une part le questionnaire par entretien ou interview et le questionnaire par correspondance
d’autre part. L’entretien de recherche a pour objet, à partir d’un dispositif de face à face, de collecter
des données les plus nombreuses et les plus significatives d’un sujet ou d’un ensemble de sujets sur un
thème déterminé s’agissant de leurs expériences, réactions, interprétations122.

L’entretien est une technique de collecte d’informations orales, un événement de parole qui se produit
dans une situation d’interaction sociale entre un enquêteur et un enquêté ». Avant tout, un entretien
implique une rencontre directe et orale entre un enquêteur et un ou des enquêtés. L’échange de
questions-réponses par écrit (e-mail) n’entre donc pas dans la catégorie des entretiens de recherche.
L’entretien est en outre un événement de parole particulier : c’est un échange de paroles, un dialogue
qui nait dans une relation vécue et immédiate entre des individus123.

B.1 Le questionnaire par entretien est également appelé interview

C’est une technique qui a pour but d’organiser un rapport de communication verbale entre deux
personnes, l’enquêteur et l’enquêté, afin de permettre au premier de recueillir certaines informations de

120
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.91.
121 G. DEVIN et M.-F. DURAND, art.cit., p.23.
122 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 104.
123 R. COMAN, A. CRESPY et alii, Méthodes de la science politique. De la question de départ à l’analyse des données, Bruxelles.,

DeBoeck supérieur, 2022, p. 198.

26
l’enquêté concernant un objet précis. L’interview peut prendre six formes en tenant compte de la liberté
laissée au sujet et du niveau d’informations recherchées par l’enquêteur : l’interview directe (les
questions visent à savoir directement ce que les sujets enquêtés pensent, ressentent, désirent etc.) ;
l’interview indirecte (Les réponses données sont ici des indications à partir desquelles l’enquêteur déduit
certaines conséquences) ; l’interview structurée (l’enquêté répond à une série de questions dont le
nombre, l’ordre et l’énoncé ont été fixés à l’avance dans le protocole d’interview) ; l’interview non
structurée (Les questions que l’enquêteur pose ne sont pas fixées à l’avance. Elle peut se faire sous
forme d’entretien libre au cours duquel l’enquêteur pose spontanément, sur un thème général fixé à
l’avance, des questions qui ne sont pas fixées à l’avance et auxquelles l’enquêté répond librement. Elle
peut aussi se faire sous forme d’entretien centré. Celui-ci est caractérisé par le fait que l’enquêteur pose
à l’enquêté des questions sur les thèmes qu’il a initialement fixés. Tout en laissant au sujet enquêté une
grande liberté d’expression, l’enquêteur s’arrange pour axer la conversation sur ces thèmes. Cet
entretien requiert beaucoup d’habileté de la part de l’enquêteur).
L’interview répétée. Ici l’enquêteur interroge plusieurs fois le sujet au cours du phénomène étudié, en
posant les mêmes questions aux mêmes personnes, mais à intervalles différents. Ceci permet de
discerner l’évolution ou la constance des attitudes des individus au cours du développement du
phénomène étudié. Enfin l’interview clinique en profondeur. Elle est caractérisée par le fait que
l’enquêteur pose spontanément à l’enquêté des questions non fixées à l’avance, questions dont les
réponses permettent à l’enquêteur de recueillir des informations fouillées sur les motivations, la
personnalité et la psychologie de l’enquêté. Il ne s’agit pas d’interviews multiples mais d’une même
interview qui se fait en plusieurs séances. Le questionnaire par téléphone peut aussi constituer une forme
d’interview. Le questionnaire ne peut être que court. Il présente par ailleurs l’inconvénient de ne pas
cibler un échantillon représentant une grande partie de la population124.

B.2 Le questionnaire par correspondance ou questionnaire écrit.

Il peut se présenter sous quatre formes. Le questionnaire ouvert (les questions sur lesquelles on veut
obtenir des renseignements sont rangées et précisées point par point et le sujet faisant l’objet d’enquête
y répond en toute liberté. Ce questionnaire utilise les questions du genre. Que savez-vous de ? Que
pensez-vous de ?). Le questionnaire fermé (les questions sont précises et les réponses précises. Les
réponses sont élaborées par le sujet enquêté lui-même ou sont choisies parmi les réponses préparées à
l’avance par l’enquêteur. Dans le premier cas, le questionnaire n’offre au sujet enquêté qu’une
possibilité de réponses alternatives du genre : oui, non, d’accord, pas d’accord, je ne sais pas. Dans le
deuxième cas, le sujet enquêté se trouve devant un éventail de réponses possibles, élaborées à l’avance,
parmi lesquelles il choisit la sienne. Le questionnaire avec questions directes (les questions posées
permettent de recueillir directement les renseignements dont l’enquêteur a besoin. Le questionnaire
avec questions indirectes. Ici C’est en déduisant des réponses données directement par le sujet enquêté
qu’on obtient les renseignements attendus. Cette technique présente aussi des limites liées notamment
à la sincérité des répondants, à leur niveau de compréhension des questions posées. D’autres limites
peuvent émaner de l’enquêteur lui-même lorsque les questions posées ne sont pas claires ou sont
confuses ne permettant pas de mieux orienter le sujet enquêté dans les réponses qu’il doit fournir.

C. Les sondages
Il convient de compléter les différentes techniques par une autre plus diffuse et non seulement en science
politique. Elle permet d’intégrer des questionnaires par entretien, correspondance et téléphone. Elle est
constituée par ce que l’on appelle le sondage. Selon le Lexique de science politique les sondages
renvoient à une « technique d’enquête statistique auprès d’une population humaine, visant à produire

124 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 20-29.

27
des résultats quantitatifs à partir d’informations collectées de manière standardisée sur un échantillon
de personnes. Les sondages d’opinion jouent un rôle de plus en plus important dans la vie politique des
grandes démocraties libérales. La valeur scientifique du sondage dépend d’un ensemble de précautions
méthodologiques : validité de l’échantillonnage, rédaction de questions à la fois neutres et
compréhensibles par les personnes interrogées : neutralité de l’enquêteur, application de méthodes de
correction des résultats pour des questions sensibles. Les usages des sondages suivent des objectifs très
variés. Ils peuvent permettre à un gouvernement, par exemple, d’anticiper les réactions sociales liées à
certaines réformes. Ils sont utilisés par les grands médias pour rendre compte de l’opinion publique et
commenter l’évolution de la vie politique125. Les sondages d’opinion ont pour objet de permettre
d’avoir connaissance de l’opinion quantifiée d’une population à partir d’une connaissance précise d’une
fraction considérée comme représentative de celle-ci126.

Le sondage d’opinion comporte certaines opérations principales : la constitution de l’échantillon, la


construction d’un questionnaire, l’administration du questionnaire ; l’analyse en vue de l’interprétation
des résultats, la présentation des résultats globaux et l’interprétation desdits résultats. La constitution
de l’échantillon est très importante et obéit à certaines méthodes d’échantillonnage. Par exemple, dans
une population de 24.000 étudiants dont 18.000 sont garçons et 6.000 filles, il faut constituer un
échantillon de 1000 étudiants. Cet échantillon est constitué de la manière suivante :

18.000 x 1000
--------------------------= 750 garçons
24.000

6.000 x1000
---------------= 250 filles
24.000

Il est à observer que de simple instrument d’information, la technique de sondage d’opinion est devenue
aujourd’hui un outil de campagne électorale pour confirmer des intentions de vote et activer des
indécis127.
Les chercheurs en science politique peuvent bénéficier des innovations technologiques pour réaliser à
grande échelle la collecte des données disponibles sur internet ou sur les réseaux sociaux tout en étant
conscients de questions éthiques que soulève cet accès à des informations pertinentes sans au préalable
avoir obtenu le consentement des internautes dont les données sont disponibles. Julien BOYADJIAN
écrit à ce propos : « Lorsqu’ils prennent pour objet des questions relatives aux acteurs politiques, aux
institutions ou aux politiques publiques, les messages publiés par les internautes sur internet et les
réseaux socio-numériques constituent, pour le chercheur en science politique, des indices révélateurs
d’attitudes, de pratiques et d’opinions particulièrement intéressants à analyser. Les données personnelles
numériques peuvent être appréhendées à ce titre comme un matériau d’enquête, au même titre que les
données de sondages d’opinion128. Il convient de souligner, comme l’a fait Christine PINA, que si la
collecte des matériaux ne saurait définir seule la démarche scientifique, elle reste néanmoins un élément

125 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 589.
126 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 116.
127 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 143-148.
128 J. BOYADJIAN, « La science politique face aux enjeux de big data et de la protection des données personnelles sur internet »,

Revue de Droit public, 2016, n° 1, pp. 7-16, spéc. à la p. 8 et s.

28
crucial et complexe de la recherche en sciences sociales, tant celles-ci se construisent sur la nécessité
de la preuve empirique par l’enquête129.

De manière générale, le chercheur en sciences sociales travaille soit à partir d’une approche inductive,
soit dans une logique déductive. Dans une perspective inductive, le chercheur ou l’étudiant part d’abord
d’une observation d’une réalité. Il commence par aller sur le terrain, vierge de tout a priori théorique,
et va tenter de déceler des régularités dans ce qu’il observe. Dans un second temps, il propose une
montée en généralité et en théorisation de la réalité observée. Dans une approche déductive ou
hypothético-déductive, le chercheur ou l’étudiant part de la théorie ou de l’état de l’art, et procède par
hypothèse (s) qu’il teste, valide ou invalide dans la recherche empirique. Le point de départ, ce sont
donc des cadres abstraits ou des lois générales pour formuler les hypothèses que l’on éprouve dans sa
recherche. Procéder par déduction signifie en effet que les formulations d’hypothèses scientifiques
doivent toujours emprunter plus ou moins explicitement la forme de syllogismes. Dans le travail
d’élucidation, il importe de bien distinguer les variables dépendantes des variables indépendantes. Une
variable dépendante est une variable à expliquer. Une variable indépendante est une variable
explicative130. En science politique, comme dans toute autre science, la prudence est nécessaire et la
modestie indispensable131.

Une recherche passe en général par trois phases :


- L’enregistrement de données. En science politique les données peuvent être d’essence différente :
lectures, analyse de documents, observation de terrain, enquêtes quantitatives ou qualitatives… ;
- Le traitement des données. Il faut les rassembler, les agréger, les articuler de façon cohérente dans un
système de relations explicatives ;
- L’interprétation des données. Elle constitue la phase la plus difficile du travail du politologue. A partir
de l’analyse des constances, des régularités, des corrélations, des rapports entre les faits observés, le
politologue avance une ou des interprétations des objets étudiés. Pour Guillaume DEVIN et Marie-
Françoise DURAND, grâce à l’interprétation, on reconstruit les éléments collectés et sélectionnés
pendant la recherche dans un ensemble qui fait sens132.

L’interprétation se distingue de l’explication. La première préfère la question du comment en lieu et place


de la question du pourquoi ou de la recherche des causalités. Les méthodes quantitatives relèvent de
l’approche explicative en recourant à l’identification de variables à expliquer (les variables dépendantes) et
de variables explicatives (les variables indépendantes qui font varier les variables dépendantes)133.

La construction de l’objet en science politique comporte trois étapes successives :


- La question de départ, qui consiste, d’une part, à choisir dans l’immensité de la réalité
sociale le ou les aspects retenus pour la recherche, d’autre part, à énoncer l’objet de la
recherche sous la forme d’une question précise et à en dégager les limites ;
- L’enquête exploratoire, qui, préalablement à tout travail d’observation, permet de
débroussailler le terrain. Cette enquête se traduit par une étude documentaire consistant à
s’informer sur les recherches déjà menées, sur les thèmes étudiés et les problématiques
utilisées de manière à pouvoir situer sa propre recherche par rapport aux recherches
existantes et par des entretiens qui consistent à obtenir des informations auprès des

129 Ch. PINA, « Produire des données d’enquête en science politique » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è
éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 299-313, spéc. à la p. 302.
130 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, pp. 31-32.


131 P. DELWIT, op.cit., p. 36.
132 G. DEVIN et M.-F. DURAND, “ Décrire, représenter, interpréter”, in G. DEVIN (dir.), Méthodes de recherche en relations

internationales, Paris, Les Presses de SciencesPo, 2016, pp. 17-37, spéc. à la p. 30.
133
G. DEVIN et M.-F. DURAND, art.cit., p. 31.

29
spécialistes scientifiques, des témoins privilégiés et des personnes directement concernées
par l’objet de la recherche ;
- La détermination de la problématique qui s’effectue en trois temps : repérer et décrire les
différentes approches du problème et détecter les liens et les oppositions qui existent entre
ces approches ; inscrire sa recherche dans un cadre théorique existant ou concevoir une
nouvelle problématique ; expliquer cette problématique, c’est-à-dire exposer les concepts
fondamentaux, formuler des hypothèses et mettre en situation théorique le sujet en tournant
résolument le dos aux arguments d’autorité et aux fausses évidences134.

Dans la conduite d’une recherche en science politique, les différentes postures du politiste influent sur
les questions qu’il se pose. Trois postures ont été relevées et chacune d’elle tend à se poser des questions
précises. Il s’agit de l’ontologie, de l’épistémologie et de la méthodologie. A titre illustratif, une
recherche portant sur les institutions mobilise des questions en fonction de la posture adoptée. Lorsque
la posture s’inscrit dans l’ontologie le politiste recherche la nature des institutions. Est-ce qu’elles sont
des intermédiaires, des acteurs ou des contraintes ?
La posture épistémologique s’intéresse par exemple à la question de savoir ce que l’on peut et que l’on
doit savoir sur les institutions. Existe-t-il des règles universelles à propos des effets des institutions sur
la société ?
Enfin. Du point de vue de la posture méthodologique, le chercheur se pose la question de comment
observer les institutions ? Devrait-on interroger les individus qui la composent ou plutôt observer leurs
comportements135 ?

À ces questions, différentes conceptions s’opposent au sein de la communauté des chercheurs, chacune
ayant des implications importantes sur le développement des approches théoriques et méthodologiques :
la posture positiviste, la posture compréhensive et la posture réaliste critique.

Ces trois postures ont donné lieu à différents types de savoirs : empirique-analytique, dont l’objectif est
d’identifier des régularités et de les expliquer; historique-herméneutique, dont l’objectif est de
comprendre les significations des phénomènes ; et une forme de connaissance critique, dont l’objectif
est l’émancipation sociale. Ces différentes postures ont marqué durablement l’essor de la science
politique. D’une part, les partisans de l’explication ont développé des méthodes quantitatives et se sont
penchés sur la recherche des relations objectives de cause à effet. D’autre part, les adeptes de la
compréhension ont embrassé des postures sociologiques en essayant de saisir la signification et le sens
des phénomènes par l’étude des motivations subjectives qui guident l’action humaine136.

Après avoir dégagé l’objet ou les objets de la science politique, les méthodes et techniques, il est
question d’illustrer son encadrement parmi les différentes catégories de science et les rapports que la
science politique entretient avec d’autres disciplines.

7. L’encadrement de la science politique parmi les sciences sociales et ses rapports


avec d’autres disciplines
La science politique est une science sociale (à l’instar de disciplines voisines, l’économie, la sociologie
ou encore l’histoire). Elle s’intéresse aux comportements sociaux et politiques qu’elle vise à décrire et
expliquer, ce qui la distingue d’autres approches du réel dont elle s’est historiquement dissociée : le
droit et la philosophie. A la différence de la science juridique, la science politique repose sur
l’observation des comportements et ne les déduit pas des normes juridiques. A la différence de la pure
134
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, pp.61-62.
135 R. COMAN, A. CRESPY et alii, Méthodes de la science politique. De la question de départ à l’analyse des données, 2ème édition,
Bruxelles., DeBoeck supérieur, 2022, p. 16.
136 R. COMAN, A. CRESPY et alii, op.cit., p. 17.

30
philosophie politique, elle ne se donne pas pour mission de débattre des grandes doctrines, mais inscrit
ses raisonnements dans l’analyse des réalités politiques137. Considérer la science politique comme une
science du politique peut conduire à appréhender cette composante du savoir comme une discipline
scientifique relevant des sciences sociales dont elle utilise les concepts, les acquis et les techniques 138.
La science politique est une science sociale, au même titre que la sociologie, la psychologie sociale,
l’anthropologie, l’ethnologie, l’histoire, la géographie humaine, la démographie, la linguistique et la
science économique. Les sciences sociales constituent une branche des sciences humaines étudiant, au
sein des phénomènes humains, les phénomènes sociaux, c’est-à-dire les phénomènes relatifs à
l’existence de l’homme en société139.

Le discours du philosophe sur l’objet politique est dominé par l’accent placé sur la question des valeurs.
Alors que le politiste se demande comment ça fonctionne. Dans cette approche les questions centrales
sont plutôt : qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? Comment envisager un avenir collectif qui assure la
solidarité, la justice ?, etc140. La démarche de la science politique s’écarte du Droit public et de la
philosophie. L’intention de la science politique est d’abandonner la production d’un savoir qui est
d’abord normatif sur les phénomènes politiques, c’est-à-dire centré sur la définition de ce qui devrait
être, sur la détermination d’un ordre idéal ou souhaitable des choses, que ce soit selon une échelle de
valeurs construite par le chercheur, en philosophie politique, ou d’après les normes juridiques en Droit
public141.

A. Les sources de la science politique et quête d’autonomie de la discipline

Pascal DELWIT nous renseigne que les chercheurs en science politique ne s’accordent pas sur les
sources de la science politique. Certains considèrent la science politique comme « la fille incestueuse
de l’histoire et du droit » alors que pour d’autres, dont Yves SCHEMEIL, l’économie et la sociologie
constituent les deux sources d’inspiration rétrospectives de la science politique. Pour sa part Jean
Baudouin évoque une longue confusion de la connaissance du phénomène politique avec le Droit public,
tout spécialement le droit administratif et le droit constitutionnel142. Pour Christophe ROUX et E.
SAVARESE, deux voies sont envisageables. La première est de considérer que la science politique est
une science sociale parmi d’autres, et dont la spécificité est la production d’un savoir scientifique sur le
politique : une science qui se développe, depuis plus d’un siècle, parallèlement à d’autres disciplines
académiques telles que la sociologie- science des faits sociaux ou de l’activité sociale- ou l’histoire,
science de l’activité humaine saisie au passé143.

Toutes ces disciplines précitées (sociologie, économie, histoire, droit) ont chacune influé sur la
naissance et le développement de la science politique en tant que discipline autonome. C’est la raison
pour laquelle elle partage tout au moins un objet avec les disciplines précitées. En effet, l’étude des
institutions peut être à la fois l’objet du droit, de la science politique, de la sociologie (théorie des
Organisations, des élites, etc.), de la psychologie, de l’anthropologie… ; la politique économique peut
être l’objet de recherches de la science économique et de la science politique,… ; l’histoire politique est

137 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 16.
138
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.20.
139
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p.29.
140 Ph. BRAUD, Sociologie politique , 12 è éd., Paris, LGDJ, 2016, p.15 et s.
141 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.46.

142 Ces auteurs sont cités par P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles,
Editions de l’Université de Bruxelles, 2018, p. 21.
143 Ch. ROUX et E. SAVARESE, « Introduction », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles,

Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 9-14, spéc. à la p. 9.

31
un objet d’étude des sciences historiques et de la science politique… ; les relations internationales sont
l’objet d’étude de la science politique mais aussi du Droit international144.

Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick HASSENTEUFEL soulignent l’importance de


cet apport d’autres sciences à la science politique, apport qui constituerait l’un des traits durables de la
science politique : « C’est peut-être d’ailleurs l’un des traits durables de la science politique que
d’entretenir des relations permanentes avec l’histoire, le droit, la sociologie, la philosophie, autour d’un
objet commun : l’observation politique. L’affirmation d’une discipline n’est en effet pas antinomique
de la reconnaissance des bienfaits d’une fertilisation croisée entre différents champs du savoir, ce que
les travaux de socio-histoire, à la croisée entre histoire et science politique illustrent abondamment145.

Pour s'imposer comme discipline scientifique autonome, elle s'est émancipée de la philosophie
politique, du droit public, de la sociologie. L’autonomie de la science politique ne s’oppose guère à
l’apport d’autres sciences sociales. Elle est scientifiquement tirée de leurs entrailles et recourt à plusieurs
méthodes et techniques ayant fait preuve dans les sciences sociales. En outre elle ne peut revendiquer
l’exclusivité du traitement de certains objets comme le pouvoir politique, la forme de l’Etat, les régimes
politiques, les institutions politiques, la politique étrangère qui se situent à l’intersection entre le droit,
la sociologie, les relations internationales et la science politique. Il existe à ce propos une certaine
complémentarité car la science politique ne peut pleinement s’affirmer sans se servir de certains outils
façonnés par les sciences précitées, la philosophie, l’économie.

Après avoir dégagé les quatre domaines de la science politique (la théorie politique, la sociologie de
l’administration et des politiques publiques, les relations internationales attachées à l’analyse des
relations entre les gouvernements mais aussi des relations trans-et supranationales, et enfin la sociologie
politique), Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick HASSENTEUFEL soulignent que la
sociologie politique demeure la branche dominante de la discipline146.

Aujourd'hui, après un effort d'autonomisation, la science politique constitue une science sociale à part
entière. Elle a un objet propre : les faits sociaux acquérant une dimension politique dans certains
contextes. Elle impose la combinaison de plusieurs démarches intellectuelles : l'observation des
pratiques, la collecte et le classement de données, l'interprétation de ces données, l'élaboration de
schémas théoriques. C'est à ces conditions que la science politique est considérée comme une science à
part entière.

La science politique entretient des rapports avec certaines disciplines scientifiques dont les plus
importantes sont constituées par le droit constitutionnel d’une part et la sociologie politique d’autre
part147. La science administrative entretient aussi des rapports avec la science politique que nous
illustrons.

B. Rapports entre science politique et Droit constitutionnel

Bien que la science politique et le Droit constitutionnel soient deux disciplines distinctes, elles
établissent entre elles des vases communicants. Ainsi, comme le note Antoine TINE, « la science
politique et le droit public, notamment le droit constitutionnel, partagent au moins une part de leurs
objets ou thèmes d’étude comme l’Etat et l’administration publique, les institutions politiques, les

144 P. DELWIT, op.cit., p. 22.


145 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit. p. 25.
146 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, p. 23.


147 C’est à titre indicatif. La science politique développe aussi des relations importantes avec l’histoire, la philosophie, l’économie.

32
régimes politiques, les systèmes politiques, les normes constitutionnelles, les politiques publiques, les
relations internationales »148. Pour Marie-Anne COHENDET, la science politique et le Droit
constitutionnel possèdent en commun l’objet d’étude, à savoir l’étude du pouvoir dans la société. Mais
le regard de ces deux disciplines sur l’objet d’étude diverge, observe-t-elle. Pour les Politistes, l’objectif
est d’étudier le pouvoir en lui-même. Pour le juriste, il s’agit de comprendre l’élaboration, le contenu
et le fonctionnement des règles de droit relatives au pouvoir149.

La communauté d’objet d’étude entre le Droit constitutionnel et la science politique exige que soient
combinées principalement les méthodes juridiques et les méthodes des sciences politiques dans l’étude
du pouvoir politique. Par ailleurs, il est à noter que jusqu’à la seconde guerre mondiale, la distinction
entre le droit constitutionnel et la science politique n’avait pas toujours des frontières certaines 150.
Comme le fait observer Borris BARRAUD, les deux matières (Droit constitutionnel et science
politique) sont demeurées pendant longtemps parfaitement confondues dans leurs pans scientifiques —
il ne se trouvait qu’une « agrégation de droit public et de science politique » — autant que dans leurs
pans pratiques (…). Ainsi de grands maîtres comme Adhémar Esmein présentaient-ils la science
politique telle une dépendance ou annexe du droit constitutionnel, servant simplement à lui donner un
certain agrément pratique151.

Cette affirmation est aussi partagée par Francis HAMON et Michel TROPER qui soutiennent que
jusqu’au début du XXè siècle, droit constitutionnel et science politique ne formaient qu’une seule et
même discipline152. Cette situation s’explique, selon eux, par deux facteurs principaux. D’une part, la
distinction d’inspiration positiviste entre le point de vue descriptif et le point de vue prescriptif n’était
pas clairement établie. Et la science politique se donnait pour tâche de découvrir le meilleur système de
gouvernement. D’autre part, même dans une perspective plus proche de la conception positiviste,
décrire l’organisation et le fonctionnement du Pouvoir, c’était décrire les règles effectivement
appliquées, de même qu’on décrit et explique un jeu en énonçant les règles153.

La paire de lunette de la science politique est aussi utile pour un constitutionnaliste car s’il faut chercher
d’abord la description de la répartition réelle du pouvoir, puis à l’expliquer, on ne peut naturellement le
faire qu’en mettant en évidence les rapports sociaux. Il se constitue donc, abondent les deux auteurs, à
côté d’une discipline proprement juridique, le droit constitutionnel qui étudie les règles, une discipline
sociologique, la science politique attachée à décrire la réalité154.

Les connaissances du politiste et du constitutionnaliste se complètent. Bernard CHANTEBOUT


rapproche le Droit constitutionnel à la science politique dans un ouvrage unique155. Il présente la science
politique comme un complément indissociable au Droit constitutionnel156. Le politiste ne peut ignorer
les règles juridiques qui organisent les systèmes politiques, tout comme un juriste ne peut ignorer le
fonctionnement des systèmes politiques. Le politologue ou politiste ne peut écarter de son champs
d’action tout ce qui est normatif. Il peut, au contraire, lui être profitable pour comprendre tel phénomène

148 A. TINE, « Jeux croisés : la politique à l’ombre du droit, et vice-versa ? Considérations sur une dialectique de la régulation
sociale », in Alioune SALL et Ismaila Madior FALL (dir.), Mélanges en l’honneur de Babacar Kanté. Actualités du droit public et
de la science politique en Afrique, Paris, L’Harmattan Sénégal, 2017, pp. 755-795, spéc. à la p. 766.
149 M.-A. COHENDET, Droit constitutionnel, 4ème éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 15.
150 V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 246.
151 B. BARRAUD, La recherche juridique. Sciences et pensées du droit, Paris, l’Harmattan, 2016, p. 197 et s.
152 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel. 2019-2020, 40 è éd., Paris, LGDJ, Lextenso, 2019, p. 47.
153 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, 40 é éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 47.
154 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, 40 é éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 47.

155 CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996.
156 CHANTEBOUT, B., op.cit., p. 5.

33
politique ou de prendre en considération les normes juridiques qui sont censées réguler un phénomène
politique donné157.

Les connaissances du politiste et du constitutionnaliste s’imbriquent. Cette imbrication fait qu’un


constitutionnaliste puisse enseigner le cours d’introduction à la science politique et qu’un politiste
puisse à son tour, sans complexe, dispenser un enseignement de droit constitutionnel (et institutions
politiques). Cette promiscuité scientifique est renforcée par l’élaboration de certains ouvrages en
commun. A titre illustratif, le Lexique de science politique158 tout comme le Dictionnaire
constitutionnel159 sont des œuvres réalisées par le concours des politistes et constitutionnalistes. Ils se
ressourcent à un vocabulaire commun. Ces points de convergence ne peuvent taire les priorités de
traitement par chacun de l’objet d’étude qu’ils ont en commun : une préférence pour une analyse axée
sur les normes, règles et moins sur la pratique (constitutionnalistes) alors que le regard du politiste
privilégie plus la pratique, la description, l’explication en accordant une attention secondaire aux normes
ou règles). Une autre discipline voisine à la science politique est constituée par la sociologie politique.

C Rapports entre science politique et Sociologie politique

La sociologie politique est une branche de la science politique proposant d’étudier les phénomènes
politiques à partir des concepts, des outils analytiques et des méthodes d’observation de la sociologie.
Selon les traditions scientifiques nationales, la sociologie politique est considérée tantôt comme un sous-
ensemble de la science politique160, tantôt comme une branche de la sociologie, parfois les deux. En
France la sociologie politique s’est constituée progressivement comme une sous-discipline de la science
politique. Elle a joué un rôle important dans l’autonomisation de la science politique vis-à-vis des
approches juridiques des institutions qui dominaient dans les facultés de Droit jusqu’à la fin des années
1970.

La sociologie politique prend le parti de considérer que le champ politique ne peut être considéré comme
un espace autonome par rapport aux logiques qui traversent l’ensemble de la société : inégalités,
divisions entre classes sociales etc. Il est difficile de considérer qu’il y ait un objet central de la
sociologie politique. Les premiers travaux développés ont porté sur l’étude des comportements
politiques, lors des élections (sociologie électorale) ou lors des moments ordinaires de la vie
démocratique (mobilisations collectives, militantisme). Depuis quelques années, les outils de la
sociologie politique sont utilisés pour étudier de nouveaux objets, comme le personnel politique,
l’administration, les théories des politiques publiques161. Le Professeur Emile BONGELI définit la
sociologie politique comme une branche des sciences sociales qui, avec la contribution des autres
branches, a pour objet toutes les activités portant sur l’organisation de la société, leurs gouvernements
ainsi que les rapports que les hommes nouent à ces occasions162.

Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, la sociologie politique a une dimension


sociologique et une dimension politique. Vue sous sa dimension sociologique, la sociologie politique
est considérée comme une branche de la sociologie générale. Sa spécificité consiste à étudier les faits
sociaux ayant des conséquences directes ou indirectes, médiates ou immédiates sur l’organisation et le
fonctionnement de la vie politique. C’est dans ce cadre qu’elle est enseignée au département de

157 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, pp.46-47.
158 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017.
159 O. DUHAMEl et Y. MENY (dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992.
160 Ph. BRAUD, Sociologie politique, 12è éd., Paris, LGDJ, 2016 , p. 18. Il est d’avis que la sociologie politique est une branche du
de la science politique.
161 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 585 et s.
162 E. BONGELI YEIKELO YA ATO, Sociologie politique. Perspectives africaines, Paris, L’harmattan, 2020, p. 48.

34
sociologie. Vue sous sa dimension politique, la sociologie politique est une branche de la science
politique qui étudie, selon une approche sociologique, les faits sociaux ayant des conséquences directes
ou indirectes, médiates ou immédiates sur l’organisation et le fonctionnement de la vie politique. La
sociologie politique se différencie de la sociologie générale par le fait que les faits sociaux qu’elle étudie
ont des conséquences politiques. Elle se différencie de la science politique par la méthode sociologique
qu’elle utilise dans l’étude des faits politiques, méthode sociologique qu’Emile DURKHEIM caractérise
par les traits suivants : la méthode sociologique est indépendante vis-à-vis de toute philosophie et vis-
à-vis des doctrines pratiques. Cette méthode est objective. Les faits sociaux doivent être considérés
comme des choses, la cause d’un fait social doit être recherchée dans d’autres faits sociaux163.

Certains sociologues politistes, à l’instar du Professeur OBOTELA LINGULE, considèrent


épistémologiquement la sociologie politique comme la science du pouvoir, du gouvernement, de
l’autorité, du commandement dans toutes les sociétés humaines et pas seulement dans les institutions
composant l’ossature de la vie politique de la société nationale. Par conséquent la sociologie politique
est une discipline scientifique spécialisée qui étudie les aspects politiques des faits sociaux appréhendés
systématiquement en rapports politiques qui s’enracinent dans les systèmes politiques et dans les
relations sociales observées au sein des groupes sociaux ou ensembles sociaux globaux dans leur
perspective historique. Les préoccupations de la sociologie politique débouchent sur un champ vaste
dont les analyses concernent l’Etat, le pouvoir politique et les autres formes de pouvoir non étatique,
l’autorité, le gouvernement, le commandement, les politiques publiques, etc164.

Paul N’DA s’inscrit dans cette optique, lorsqu’il retient de la sociologie politique cette définition :
« l’étude des phénomènes politiques dans la société. Elle se présente mieux, sous un bon éclairage,
quand elle se dit être en fait l’étude des phénomènes de pouvoir. Elle se donne ainsi la possibilité
d’examiner scientifiquement la nature du pouvoir dans l’Etat et le pouvoir dans les sociétés sans Etat
ainsi que tous les rapports de pouvoir. La sociologie politique se consacre par conséquent à l’étude du
pouvoir politique et du système politique, à l’étude des institutions de pouvoir, de l’appareil d’Etat et
ses moyens d’action, à tout ce qui s’y rattache, à l’étude des acteurs qui luttent pour la conquête,
l’exercice et le contrôle de pouvoir, à l’étude des libertés publiques, des médias et des mécanismes de
socialisation des citoyens, de tout ce qui se signale dans la présence d’un ensemble de rôles sociaux
organisés à des fins très diverses. Mais tout cela, bien entendu, sous l’angle de l’analyse
sociologique »165.

Il est parfois difficile de distinguer sociologie politique et science politique car toutes les deux ont la
même démarche, le même objet. Toute approche sociologique de l'objet politique suppose de recueillir
et d'établir des données statistiques, de réaliser des entretiens, des sondages, d'observer certaines
pratiques / certains lieux où l'on étudie l'interaction des acteurs de ce jeu politique. Cette similitude ou
ce rapprochement est d’autant plus prononcé qu’il est difficile de distinguer le contenu de la sociologie
politique et de la science politique. Pour Philippe BRAUD, la sociologie politique est un regard, un
regard seulement parmi d'autres possibles, sur l'objet politique166.

163 A. MULUMBATI NGASHA, Sociologie politique, 2 è éd. Revue et mise à jour, Lubumbashi, Editions Africa, 2009, p. 6.
164 B. OBOTELA LINGULE, Le concept de pouvoir en sociologie politique, Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi,
2009, p. 17.
165 P. N’DA, Sociologie politique. Pour comprendre ce qui se joue, se décide et se passe ici et ailleurs, avec sa géométrie variable,

Paris, L’harmattan, 2017, pp.42-43.


166 Ph. BRAUD, Sociologie politique. 12 è éd., Paris, LGDJ, 2016, p. 16.

35
Les ouvrages de sociologie politique ou de science politique se confondent au regard de leur contenu.
Y sont abordés presque les mêmes objets167. A titre illustratif, le contenu de la sociologie politique de
Philippe BRAUD est repris, en grandes lignes, par les manuels d’introduction à la science politique : le
pouvoir, les groupements sociaux, l’Etat, les systèmes et régimes politiques, la socialisation, l’action
collective, la participation politique, les partis politiques, les politiques publiques168. Il en est de même
de l’Essentiel de la sociologie politique de J.-P. LECOMTE qui traite de sujets figurant de manière
récurrente dans les manuels de science politique, notamment le pouvoir politique, l’Etat, les régimes
politiques, les mouvements sociaux, les partis politiques169.

D. Rapports entre science politique et science administrative

La problématique de la science politique est centrée sur l’étude des phénomènes de pouvoir autour
desquels est construit l’objet politique. Or, de même qu’il y a du pouvoir en dehors de la gestion des
fonctions collectives, celle-ci comporte d’autres dimensions que celle du pouvoir. Alors que la science
politique ne s’intéresse à l’administration que dans sa dimension politique et à titre d’élément constitutif
du système politique, la science administrative s’intéresse aux processus qui ont l’administration pour
cible, pour cadre ou pour acteur170.

8. Les domaines couverts par la science politique

En dépit d’apparence d’homogénéité que présenterait la science politique, les chercheurs de cette
discipline se spécialisent dans des domaines particuliers. En d’autres termes, la science politique se
décompose en plusieurs sous-disciplines constituant ce que nous appelons « domaines de la science
politique ». Traditionnellement, on distingue 4 champs d'investigation : • Tout ce qui a trait à la théorie
politique : on étudie l'histoire des doctrines et des mouvements d'idée, le pouvoir, la nation, l'État... Un
certain nombre de concepts transversaux ;
• Tout ce qui concerne la sociologie politique : dynamique des rapports de forces politiques,
comportements et stratégies des acteurs politiques, élections, processus de socialisation /
communication... ;
• Tout ce qui concerne les relations internationales : les activités des organisations internationales ;
• Le plus récent, connaissant un développement important, concernant l'administration publique et les
politiques publiques : processus décisionnels...

Un groupe d’experts de l’UNESCO avait procédé à l’une des premières tentatives de définition
institutionnalisée de la science politique en 1948. Ce groupe classa la science politique en quatre grandes
rubriques :
- La théorie politique entendue comme non normative ;
- Les institutions politiques, à savoir l’étude-souvent dans une perspective comparative- des types de
gouvernements aux divers échelons (national, régional, local,…), l’étude de l’administration publique
et, souvent, l’étude des fonctions assumées par ces différentes institutions. Ce domaine s’est beaucoup
développé ces dernières années à l’aune de l’étude des politiques publiques ;
- Les partis politiques, les groupes et tout ce qui est du ressort de l’opinion ;

167 A titre d’exemple, MULUMBATI NGASHA, Sociologie politique, Lubumbashi, Editions Africa, 1988 ; J.-Y. DORMAGEN et
D. MOUCHARD, Introduction à la sociologie politique, 4è éd., Bruxelles, De Boeck, 2015.
168 Ph. BRAUD, Sociologie politique. 12 è éd., Paris, LGDJ, 2016.

169 J.-P. LECOMTE, L’essentiel de la sociologie politique, 2 è éd., Paris, Gualino, Lextenso, 2010.
170 J. CHEVALLIER, Science administrative. 6 è éd. Mise à jour, Paris, PUF, Thémis, 2019, p. 51.

36
- Le domaine des relations internationales : organisations internationales, politique étrangère des Etats,
coopération, conflits…171.

C’est à partir de ces éléments que plusieurs autres catégorisations ont été proposées. Etant donné le
caractère évolutif de la science politique, une autre catégorisation a été proposée par Philippe BRAUD
pour le champ de la science politique :
- La théorie politique qui, à la différence de la philosophie politique, n’aurait pas de vocation normative ;
- La sociologie politique ou science politique interne, centrée sur l’analyse des institutions, du processus
décisionnel et des acteurs présents dans l’Etat ;
- La science administrative regroupant l’administration publique et un domaine en plein développement,
l’étude des politiques publiques ;
- Les relations internationales, champ d’étude en pleine mutation en raison notamment du développement
important d’acteurs non étatiques et de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques à l’échelle
supra-étatique172. Les relations internationales sont définies très largement comme « toutes formes de
relations entre membres de sociétés séparées, étatiques ou non »173. L’objet des relations internationales
est complexe car il est constitué de multiples liens et de plusieurs niveaux d’action qu’il s’agit de relier
et de penser ensemble174.

L’un des domaines des relations internationales ayant mobilisé l’attention de certains politistes est constitué
par l’analyse de la politique étrangère. Des monographies portant sur la politique étrangère ont été
élaborées175. La politique étrangère est définie par le Lexique de science politique comme la « politique
conduite par l’Etat sur la scène internationale, en particulier dans sa relation avec les autres acteurs
étatiques »176.

9. Intérêt de l’étude de la science politique dans la société


La science politique, comme le soutient le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, contribue à
« faire voir les choses autrement qu’elles n’apparaissent au profane, à faire connaître les choses autrement
que ne les connaît le profane, empêche n’importe qui de dire n’importe quoi sur la vie politique, nationale
et internationale, et cela, par des idées et considérations qu’elle développe, par des méthodes et des
techniques scientifiques qu’elle utilise dans ses investigations et analyses des faits politiques. En
réunissant des connaissances sur les collectivités politiques, la science politique fait apparaître les failles
ou les déficiences dans leur organisation et dans leur fonctionnement (…). Là où les pires passions peuvent
brusquement fanatiser les individus, obscurcir leur conscience, elle introduit un regard froid,
démythologisant, distant (…) elle invite en permanence à la compréhension de l’Autre, au relativisme, à
la modestie aussi car il n’est pas de savoir indispensable (…). Ce sont, d’ailleurs, ces différentes
caractéristiques de la science politique qui font que le politologue est, dans ses réflexions, méditations,
jugements, explications, discours sur la vie politique, différent du politique qui, en participant à la vie
politique, se plie aux rationalités qui gouvernent son engagement dans un parti politique »177.
Pour IBRAHIMA SILLA, l’utilité sociale de la science politique réside dans le fait qu’elle permet :

171 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 20.
172 P. BRAUD, La science politique, Paris, PUF, 1993, p. 9 cité par P. DELWIT, op.cit., p. 20 et s.
173 KALEVI HOLSTI, International Politics. A Framework for Analysis, Londres, Prentice Hall, 1992, p. 10 cité par G. DEVIN, “

Introduction”, in G. DEVIN (dir.), Méthodes de recherche en relations internationales, Paris, Les Presses de SciencesPo, 2016, pp.
11-14, spec. à la p. 12 et s.
174 G.DEVIN, art.cit., p. 13.
175
J.-F. MORIN, La politique étrangère. Théories, méthodes et références, Paris, Armand Colin, 2013; A. MULUMBATI
NGASHA, La politique étrangère, Lubumbashi, Editions Africa, 2010; F. CHARILLON (dir.), Politique étrangère. Nouveaux
regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002. Voy.aussi H. MEIJER, “ La politique étrangère” in Chr. ROUX et E. SAVARESE
(dir.), Science politique, 3 è éd.., Année 2020, Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 269.
176 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 464.
177 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4 è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, p. 29 et s.

37
1) De faciliter le repérage des principaux problèmes politiques à affronter ;
2) D’identifier les processus réels de décision politique ;
3) De comprendre des langages propres à la scène politique et administrative
4) De transmettre ce fonds de savoirs et connaissances de la discipline dans les instituts de formation
et d’enseignement178.

10. Les différentes postures en science politique

Les politologues ou politistes sont divisés sur un certain nombre de questions. Les origines de ces
controverses se trouvent dans les réponses que les politologues donnent aux questions suivantes : quelle
est la nature de la réalité que la science politique étudie ? Comment la connaître ? Comment l’observer
? La première question relève de la branche de la philosophie qui s’intéresse à la nature de la réalité à
observer, c’est-à-dire l’ontologie.

La deuxième question invite les chercheurs à s’intéresser aux modalités de production de la


connaissance. Ce type de questionnement sur la production du discours scientifique a mis les bases
d’une branche de la philosophie de la connaissance connue sous le nom de l’épistémologie.

La troisième interrogation porte sur la méthode et invite les chercheurs à s’intéresser aux stratégies de
collecte et d’analyse des données rassemblées pour comprendre le phénomène soumis à l’analyse
(ontologie, épistémologie et méthodologie).

L’ontologie est la branche de la philosophie qui s’intéresse à la nature de la réalité (objective ou


subjective) à observer. L’ontologie s’interroge sur les composantes de la réalité, leurs caractéristiques
et leur lien. L’épistémologie est une branche de la philosophie qui porte sur la nature de la connaissance.
Elle permet de définir ce que constitue un savoir juste ou légitime. La méthodologie constitue la
stratégie de recherche. Elle porte à la fois sur les stratégies de collecte de données et sur les stratégies
d’analyse de ces données179. La science politique est la résultante de plusieurs siècles d’efforts, de
réflexions, de pensées, d’analyse, de remise en question qui trouvent leur origine depuis l’antiquité et
qui se sont consolidés et précisés au cours du XXè siècle. C’est ce parcours que nous retraçons
brièvement dans les lignes qui suivent.

178IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 26.


179
R. COMAN, A. CRESPY et alii, Méthodes de la science politique. De la question de départ à l’analyse des données, Bruxelles.,
DeBoeck supérieur, 2022, p.15.

38
CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DE LA SCIENCE POLITIQUE

Il s’agit de répondre à la question de savoir comment la science politique est née. Ce chapitre retrace
les différentes étapes au cours desquelles la discipline s’est progressivement construite en soulignant,
de manière limitée, les apports des uns et des autres. Précurseurs et fondateurs de la science politique
sont alignés dans une optique complémentaire. Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA,
depuis l’antiquité grecque jusqu’aujourd’hui, la science politique s’est développée autour de trois axes
principaux. Le premier est celui de la séparation entre le jugement de fait et le jugement de valeur. Le
deuxième axe est celui de recourir, dans les diverses investigations sur les faits politiques, aux méthodes
et techniques scientifiques. Le troisième axe est celui de l’élaboration des modèles ou des cadres
généraux d’analyse permettant de découvrir des lois180.

Pour IBRAHIMA SILLA, trois faits majeurs ont contribué à la naissance de la science politique :
- le triomphe du modèle de la science positive (par opposition à la science normative ;
science des faits et science des normes) ;
- Le développement de la démocratie moderne ;
- La croissance de l’Etat ayant entraîné elle-même une transformation profonde de la
sociologie des élites et un esprit nouveau. A ce titre, l’apport d’Alexis Tocqueville dans
« De la démocratie en Amérique » est considérable181.

Dans le processus de maturation de la science politique en tant que discipline autonome, celle-ci a
bénéficié, depuis l’antiquité grecque jusqu’aujourd’hui, des héritages des penseurs, philosophes,
juristes, diplomates qui, au cours des millénaires ont produit des réflexions sur l’homme et
l’environnement social et politique dans lequel il évolue. Ces héritages peuvent être scindés selon les
époques significatives de l’Antiquité, du Moyen Age, des Temps modernes et de l’époque
contemporaine en mettant en exergue l’apport des auteurs à la construction de la discipline. En d’autres
termes, la science politique est tributaire de plusieurs apports. Pour IBRAHIMA SILLA, même dans les
sociétés africaines, marquées par l’oralité, on peut y déceler une réflexion sur le pouvoir traditionnel et
mille et une autres questions relatives à l’autorité, au pouvoir politique, à la légitimité et à la
participation à la chose publique de la part de grands érudits. L’absence d’écriture n’équivaut pas à une
absence de réflexion, notamment sur le politique et la politique182. La philosophie grecque développée
depuis l’Antiquité est considérée comme le premier pas dans la construction de la science politique.

1. Apport de la philosophie grecque à la science politique

Dès l'Antiquité, il existait des formes d'organisation politique. C'est du mot polis, signifiant cité, que
découle le mot politique. Puis c'est la res publica, la chose publique, instaurant l'égalité des droits
politiques pour tous dans la Rome Antique, à l'exception des esclaves. La réflexion sur les problèmes
politiques est ancienne, elle remonte aux V et IVè siècles avant JC. À ce moment-là, elle est l'œuvre de
la philosophie : l'objet politique est d'abord appréhendé sous l'angle philosophique. Platon et Aristote
plaçaient déjà la science politique au cœur de leurs réflexions. A partir du V è siècle, avant J.C., les
Grecs développent l’idée que la politique ne relève pas seulement de l’action, mais aussi du savoir, de
la réflexion. A partir de Socrate, les penseurs classiques vont nous léguer une réflexion politique
considérable centrée sur la question du meilleur régime183. Ainsi naît la philosophie politique qui sera

180A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 31.


181
IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 39.
182 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 37.

183 Par exemple, dans le Politique de Platon, la monarchie était considérée comme le meilleur des gouvernements de l’époque. Mais
lorsque le monarque pouvait agir sans lois, la monarchie était le plus dur et le plus pesant régime. La démocratie (tout y est faible ; il
n’est capable d’aucun grand bien, d’aucun grand mal, parce que le pouvoir y est divisé en mille parcelles, entre mille individus. Il est le

39
le cœur de la science politique classique jusqu’à sa réorientation dans la seconde moitié du XIX è siècle
en direction d’une science plus positive et empirique.

Dès l’origine, les approches diffèrent. Platon privilégie un raisonnement spéculatif visant à édifier un
idéal pur et parfait. Son point de vue est donc idéaliste et normatif au sens où il cherche à déterminer ce
qui doit être à partir d’une analyse logique des termes en présence. Aristote, au contraire, incarne un
point de vue bien plus réaliste, collecte, puis compare les Constitutions grecques pour tenter de discerner
les mérites et défauts des unes et des autres. Il manifeste ainsi un souci du réel en même temps qu’une
analyse en situation. Il privilégie ce qui est. De ce fait, la science politique se voit offrir d’emblée deux
voies : l’une privilégiant les idées pour construire un idéal, c’est-à-dire un ensemble cohérent de valeurs
et principes premiers conditionnant le fonctionnement de la société dans son ensemble ; l’autre
privilégiant le réel pour tenter de rendre compte de l’intelligibilité de ce qui peut être fait en situation.
Les deux tentatives restent cependant solidaires d’une approche morale centrée sur la recherche du bien
à travers le meilleur régime. Toutes deux présupposent également le caractère naturel de l’ordre
politique. Cette forme de réflexion va disparaître avec l’Antiquité184.

Au Moyen-Age, la réflexion est dominée par les références religieuses et théologiques. La politique ne
fait plus l’objet d’une réflexion autonome ; elle est absorbée par la théologie et le plus souvent reléguée
au second plan. Les œuvres des penseurs grecs sur la politique sont perdues et il faudra attendre le XIII
è siècle pour qu’on les redécouvre grâce à la civilisation arabe (en particulier Aristote)185.

En résumé, De Platon à Rousseau, les auteurs portent des jugements de valeurs. Ils insistent sur ce qui
devrait être au lieu d'analyser les processus politiques réels. Pourtant, certains auteurs commencent à
livrer des réflexions fondées sur une observation empirique rigoureuse : ils apparaissent comme des
précurseurs de la science politique moderne. Ils sont les premiers à tenter de théoriser ce qui se rapporte
à la science du gouvernement, aux affaires de la cité (Aristote, Machiavel et Montesquieu).

2. Apport des temps modernes à la science politique

A l’époque moderne, les penseurs rompent avec la détermination éthique et largement théologique
surplombant le politique. En même temps l’ordre politique n’apparaît plus comme naturel, mais plutôt
comme le fruit d’une construction collective. Des auteurs comme Nicolas Machiavel vont réaliser une
véritable révolution en affirmant que la politique est indépendante de la morale et de la religion et qu’elle
doit être analysée en elle-même. La réflexion devient essentiellement logique, qu’elle emprunte la voie
réaliste comme chez Machiavel ou la voie idéaliste comme chez Kant. Cela signifie que la réflexion
politique continue d’être menée selon deux voies différentes : la première se centre sur les conditions
logiques de fonctionnement d’une société ; elle interroge les conditions de possibilité d’une notion (la
démocratie, l’Etat, la représentation…). Au XX è le philosophe libéral américain John Rawls en est un
parfait exemple à travers la recherche sur les principes structurant une société juste. A ce premier
courant, nous devons de grandes réalisations comme les notions d’Etat, de droits de l’homme, de
libertés, de représentation, d’individu… La seconde voie prétend renoncer au devoir-être pour interroger
ce qui est en privilégiant la dimension de l’action. Dans la droite ligne du réalisme de Machiavel, de
l’empirisme de Hume prolongé par la philosophie écossaise, ce courant introduit plusieurs catégories
centrales de la pensée moderne, comme celles de société civile, de l’opinion publique. Au XX è siècle,

pire des gouvernements, quand ils obéissent aux lois et le meilleur quand ils les violent. PLATON, Le politique ou de la royauté.
Traduction Dacier et Grou. 1885, Paris, Librairie Charpentier et Cie, 1885, 322 p (Edition électronique 2003, pp.9-144).
184 A. LECLERC, « Théories de l’institution politique » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles,
Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 173-220, spéc. à la p. 173.
185 A. LECLERC, « Théories de l’institution politique » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), op.cit., 173-220, spéc. à la p. 173.

40
la contribution de Hannah Arendt à l’analyse du totalitarisme relève, par exemple, de cette
orientation186.

On peut considérer que la science politique naît réellement au XVIe siècle avec Machiavel : il est le
premier à séparer morale et politique. En 1532, Machiavel publie Le Prince, œuvre de circonstance
dédiée à Laurent II de Médicis. Sa contribution à la naissance de la science politique est décisive car il
lui apporte un objet, une méthode et des lois. Un objet : il centre son étude sur l'État, il crée d'ailleurs le
mot au sens moderne ; il réfléchit sur la conquête, l'exercice du pouvoir, le maintien au pouvoir,
l'accroissement / la perte du pouvoir. Il adopte une démarche positive qui coupe la science politique de
la morale et de la religion : il cesse de mener ses travaux en juge et philosophe pour devenir observateur
et témoin. L'analyse du politique devient descriptive et non plus normative (école des faits). Il substitue
l'observation directe au raisonnement pur. À partir des faits qu'il observe, il tente de dégager des
constances, des relations, des successions significatives, il s'efforce de découvrir des lois qui relient et
expliquent les événements. Ce n'est pas par hasard si Machiavel évoque la force (le lion) et la ruse (le
renard), et que ceux-ci sont l’emblème de Sciences Po. L’émancipation de la politique par rapport à la
morale est la philosophie au fondement de la pensée de Nicolas Machiavel qui invite le prince à
gouverner hors de toute considération morale. Pour Machiavel, la fin justifie les moyens187.

Un autre précurseur de la science politique est Montesquieu, qui a publié L'esprit des lois en 1748,
servant de vaste enquête sur les lois, les systèmes juridiques et politiques de divers pays.

3. Le tournant de la science politique au XIX et XX è siècle

Plusieurs conditions historiques sont réunies pour qu’apparaisse et se consolide une science politique
en tant que discipline à la fin du XIX è siècle. Certaines tiennent à la transformation de la façon dont
s’exerce l’activité politique ; la fin du XIX è siècle est caractérisée par la montée des interventions de
l’Etat, la naissance d’une administration moderne, la démocratisation et la laïcisation du politique mais
aussi la professionnalisation de la politique. D’autres raisons permettent d’expliquer l’essor des sciences
sociales (de l’économie à la géographie humaine en passant par la psychologie, l’histoire et la
sociologie) au cours du XIX è siècle ; la révolution industrielle (production à grande échelle, division
du travail, croissance urbaine ou encore émergence de la question ouvrière) et le surgissement de
l’individualisme donnent lieu à de nouveaux questionnements, tandis que l’idée de science commence
à se voir conférer son sens moderne (étude des faits, observations rigoureuses, établissement de lois) et
que l’élévation du niveau scolaire moyen favorise l’émergence de l’Université moderne.

Cependant, il est difficile de situer la naissance de la science politique avant la fin du XIX è siècle.
Pascal DELWIT en donne les raisons : « Ce n’est véritablement que dans le courant du XIX è siècle
que naissent les sciences de la société, de l’homme et du politique. Durant ce siècle, l’appréhension du
politique devient petit à petit un objet d’étude et d’analyse à part entière. L’idée que le monde social, la
société, l’organisation des êtres humains et l’agencement des faits sociaux peuvent être compris et
interprétés à partir d’observations minutieuses, rigoureuses, récurrentes et rationnelles date de cette
époque »188. Aux termes de toutes ces considérations, Xavier CRETTIEZ, Jacques De MAILLARD et
Patrick HASSENTEUFEL concluent, en s’accordant avec P. FAVRE, que l’on peut voir, dans la
période 1875-1914, la première naissance de la science politique. Mais les travaux demeurent encore
épars, il n’ y a pas de communauté intellectuelle ayant constitué un espace de discussion, ni de lieux
autonomes de recherche et d’enseignements, les facultés de droit restant globalement hermétiques

186 A. LECLERC, art.cit., p. 174.


187 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p.73.
188 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p.10.

41
(fermées ou impénétrables) à ce type de savoirs C’est essentiellement dans l’après- Seconde Guerre
mondiale que la science politique va se structurer comme discipline autonome, ce qu’ils appellent avec
P. FAVRE, la deuxième mutation de science politique189.

La fin de la deuxième guerre mondiale marque en Europe le véritable développement, la reconnaissance


réelle de la science politique et de ce fait, de son institutionnalisation comme discipline à part entière.
L’UNESCO a aussi contribué à cette institutionnalisation en stimulant la recherche dans ce domaine.
Elle multiplia, dès sa création, à la sortie de la seconde guerre mondiale, des initiatives (soutien aux
associations internationales naissantes, lancement de programmes de recherche, édition de revues…)
pour favoriser la comparaison des configurations politiques de l’époque190. En 1948, elle lança un
programme de développement des sciences sociales dans le monde reprenant sept objets, parmi lesquels
les méthodes des sciences politiques191. Cette promotion de la science politique ne vise pas uniquement
la production des connaissances, mais aussi l’espoir est que la connaissance clinique des phénomènes
politiques mène les acteurs politiques à plus de sagesse, aident à l’adoption de meilleures politiques
publiques192.

Tenant compte de l’apport des précurseurs de la science politique partant de philosophes grecs jusqu’au
XX è siècle, le politologue américain Gabriel Almond retrace ainsi le parcours de l’émergence de la
science politique : « Il y a une tradition sociologique qui part de Platon et Aristote, qui continue avec
Polybe, Cicéron, Machiavel, Hobbes, Locke, Montesquieu, Hume, Rousseau, Tocqueville, Comte,
Marx, Pareto, Durkheim, Weber et qui se poursuit aujourd’hui avec Dahl, Lipset, Rokkan, Sartori,
Moore et Lijphart. Cette tradition a cherché et cherche toujours à comprendre les liens entre les
conditions socio-économiques et les arrangements institutionnels ou les Constitutions politiques et à
établir une corrélation entre ces caractéristiques, de nature structurelle, et les tendances qui émergent
dans des circonstances de guerre et de paix »193. Cette tradition sociologique a posé les jalons pour la
naissance au XX è siècle d’une discipline scientifique appelée science politique.

Selon Pierre FAVRE, une discipline scientifique, c’est à la fois un mode de raisonnement spécifique,
mais aussi une communauté savante, communauté qu’il définit selon quatre critères : l’existence d’une
dénomination revendiquée en commun, l’accord sur le fait qu’un certain nombre d’objets sont le quasi-
monopole de cette discipline, des institutions de recherche et d’enseignement reconnues comme
légitimes, des supports propres de diffusion des résultats de recherche (colloques, revues, ouvrages). Si
l’on retient ces deux critères (raisonnement spécifique et communauté savante), ce n’est qu’à la fin du
XIX è siècle que l’on peut parler d’apparition de la science politique comme discipline scientifique194.
Ces critères de l’autonomie de la science politique sont repris par François Dieu qui insiste sur la
constitution, à partir du XXè siècle, dans le processus d’émergence de la science politique, d’une
communauté scientifique institutionnelle se rattachant formellement à un objet d’étude commun, la
reconnaissance du statut de discipline scientifique nécessitant la conjonction de quatre éléments : un
objet ou un ensemble d’objets d’étude spécifiques et communs ; la conservation du savoir par le
189 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 20-21.
190 Y. DELOYE et J.-M. DE WAELE, « Avant-propos », in Y. DELOYE et J.- M. De WAELE (dir.), Politique comparée, Bruxelles,

Bruylant, 2018, pp. 11-13, spéc. à la p. 11


191UNESCO, La science politique contemporaine. Contribution à la recherche, la méthode et l’enseignement, Unesco Publications n°
427, Liège, Imprimerie Georges Thone, 1950.
192 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.53.
193 G. ALMOND, « Les tables séparées », Ecoles et sectes dans la science politique américaine », Politix, 1997, Vol. 10, n° 40, p.
50 cité par P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université
de Bruxelles, 2018, p. 9.
194 Cité par X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices

corrigés, Paris, Armand Colin, 2018, p. 18.

42
stockage des données et des acquis de manière à en permettre une utilisation rationalisée et continue ;
la diffusion du savoir auprès d’un public spécialisé ou non ; l’application du savoir pour la résolution
de principaux problèmes rencontrés par le système social dans le domaine concerné195.

Une communauté scientifique se structure autour de l’Association internationale de science politique et


au niveau continental et national se créent des associations de science politique. A titre d’exemple
l’Association internationale de science politique (IPSA) voit le jour en 1949 à Paris. Plusieurs
associations régionales et nationales de science politique prolifèrent parmi les communautés savantes.
L’IPSA naît à l’initiative de quatre associations nationales de science politique : L’Association
américaine de science politique, l’Association française de science politique, l’Association canadienne
de science politique et enfin l’Association indienne de science politique. La mission générale de
l’Association est de promouvoir le développement de la science politique à un niveau national et
mondial. Elle s’appuie sur quatre instruments : l’encouragement à la création d’associations nationales
de science politique ; l’organisation régulière (triennale puis biennale) de congrès mondiaux, des
conférences ; la création de réseaux thématiques de recherche transnationaux et enfin la production des
revues spécialisées, notamment, à partir de 1980, la Revue internationale de science
politique/International Political Science Review. En 2011, l’Association internationale de science
politique a publié en 8 volumes l’Encyclopedia of Political Science196. Au niveau continental des
associations de science politique sont nées. C’est le cas de l’Association européenne de science
politique, l’Association africaine de science politique.

Ce sont ces caractéristiques qui permettent de distinguer les précurseurs et/ou les fondateurs de la
science politique. Cette affirmation peut paraître surprenante, tant on sait que des philosophes grecs
(Aristote, Platon) aux grands auteurs du XIX è siècle (Tocqueville, Marx) en passant par les auteurs
importants de l’absolutisme (Hobbes, Montesquieu et d’une certaine façon Machiavel) ou des Lumières
(Voltaire, Rousseau, Condorcet), mais aussi hors d’occident, depuis les réflexions du pharaon égyptien
ou, les écrits sur le politique sont à la fois nombreux, variés et anciens. Pour autant, à ces différentes
époques, il n’y a pas de communauté savante au sens évoqué plus haut ; ni dénomination revendiquée
en commun, ni institutions d’enseignement et de recherche, ni supports spécifiques et reconnus. Ce qui
distingue le politiste du moraliste, du prophète, du conseiller du prince, du philosophe, du journaliste
ou encore de l’essayiste, est, selon François DIEU que le politiste, entre autres, se comporte comme un
observateur attentif et interrogatif de la réalité politique ; s’attache à ce qui est plutôt qu’à ce qui doit
être de manière à comprendre et expliquer, à rendre intelligibles les phénomènes politiques, ne se
contente pas d’avoir des intuitions sur le pouvoir politique, mais réalise des enquêtes dont les
conclusions résultent d’un processus maitrisé d’administration de la preuve. Il s’efforce de faire preuve
d’une curiosité perpétuellement insatisfaite et de faire table rase de ses jugements de valeur et a priori
idéologiques. Il prétend, par conséquent, proposer un regard savant sur les phénomènes politiques à
partir de leur mise notamment à distance par une posture d’externalité et de neutralité ; en recherche par
le recours à la méthode et aux outils d’observation des sciences sociales ; en problématisation par la
capacité à définir des questionnements pertinents sous différents aspects ; en perspective, par
l’inscription des objets observés dans une approche globale en relation avec des mutations d’ensemble
et d’autres phénomènes sociaux197.

Dans les différents Etats la naissance ou l’émergence de la science politique en tant que discipline
scientifique n’a pas observé le même itinéraire. Dans les Etats développés son émergence a été favorisée
par les conditions propices dans ces Etats et surtout grâce au financement de la recherche dans ce
domaine.

195 FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 6.
196 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.55.
197
FRANCOIS DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Nouvelle édition, Paris, L’Harmattan, 2021, pp.6-7.

43
4. L’émergence de la science politique dans certains Etats

A. Dans quelques Etats développés

Il y a lieu de situer la naissance de la science politique moderne dans la seconde moitié du XIXe siècle,
aux États-Unis, à l'université de Columbia. En 1857, Francis Lieber est le premier professeur d'histoire
et science politique. En 1880 y est créée la première école de sciences politiques (La School of Political
Science). Elle lance en 1886, la première revue de la discipline : Political Quarterly. En parallèle, la
recherche et l’enseignement de la science politique naissent aussi à la Johns Hopkins University198. En
1904, l'Association américaine de science politique voit le jour. Entre 1890 et 1940, des départements
de science politique sont créés dans presque toutes les Universités américaines avec la reconnaissance
de son statut de discipline universitaire. Ces départements vont bénéficier du soutien de nombreuses
fondations dont la Fondation Ford, fondation Rockefeller).

En France, la science politique connaît une apparition plus difficile. Au XIXe siècle, c'est l'ère
industrielle, la société se transforme profondément : on cherche davantage à comprendre le
fonctionnement de la société. L'école libre des sciences politiques est créée en 1872. En 1945, cette
école est nationalisée, devenant l’Institut d’Études Politiques (IEP), tandis que la Fondation Nationale
des Sciences Politiques (FNSP) a pour mission de développer la science politique. En 1949 est créée
l'Association française de science politique (AFSP), en 1951 la Revue française de science politique.
On assiste aussi à la création de nombreux laboratoires de recherche, aux formations de thèses. Peu à
peu on cherche à rompre avec le droit, pour être plus autonome. Des instituts d’études politiques vont
s’étendre dans plusieurs régions françaises à partir de 1948. Ces innovations affectent également les
Facultés de Droit avec l’introduction à partir de 1954 d’un cours de Droit constitutionnel et institutions
politiques. C’est également à partir des années 1950 et 1960 qu’apparaissent les premiers manuels et
collections (par exemple « Thémis » aux Presses Universitaires de France) chez des éditeurs
universitaires. Ce développement de la science politique en France s’inscrit plus globalement dans le
développement des sciences sociales (psychologie, sociologie, etc.) en France et à l’étranger.
L’organisation, en 1971, du premier concours d’agrégation de science politique a consacré l’autonomie
de la science politique par rapport aux autres disciplines universitaires 199. Pierre Favre utilise
« naissances » de la science politique en France en retenant la période située entre 1871 (création par
Emile Boutmy de l’Ecole libre des sciences politiques), 1913 (publication par André Siegried de son
ouvrage portant sur Tableau politique de la France de l’ouest sous la Troisième République)200

En Italie, la première Faculté de science politique est fondée à Florence en 1874 alors que naît vingt ans
plus tard au Royaume-Uni, la London School of Economics and Political Science qui affiche sa volonté
de comprendre et d’enseigner le monde social et politique. Au début du XX è siècle, d’autres institutions
sont portées sur les fonts baptismaux : l’Ecole des sciences sociales et politiques de Lausanne en 1903
et la Deutsche Hochschule fur Politik de Berlin en 1920201. En Belgique, le début de
l’institutionnalisation de la science politique commence en 1889 à l’Ecole de sciences politiques et
sociales créée par Ernest Solvay. Elle est intégrée à l’Université libre de Bruxelles (ULB) en 1897. En
1892, une structure dénommée de façon similaire est créée au sein de l’Université catholique de

198 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 15.
199 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 61.
200 P. FAVRE, Naissances de la science politique en France. 1870-1914, Paris, Fayard, L’espace du politique, 1989, p. 7.
201 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 12 et s.

44
Louvain. En 1893, les Universités de Liège et de Gand instituent aussi des enseignements en sciences
politiques202.

B. Dans les Etats en voie de développement.


Les informations pertinentes intéressant chaque Etat n’étant pas d’accès facile, nous nous limitons à
rendre compte de la situation de la science politique dans ces Etats de manière globale et approximative
en nous servant des écrits du Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA. Dans les pays en voie de
développement, la science politique connaît une situation complexe. Grace à la création des Universités
du type occidental dans ces pays, la science politique y a assez tôt acquis le statut de discipline
universitaire. Malgré ce statut la science politique peine à se développer parce que dans les programmes
d’enseignement destinés à former les politologues et qui sont modelés sur les programmes
d’enseignements des Universités des anciennes métropoles, les cours de science politique occupent une
place marginale au profit des cours de science économique, de la science administrative et de droit. Sur
le plan de la recherche, les Universités des pays en voie de développement ont créé des centres et des
instituts de recherche qui sont toutefois contrariés dans leur fonctionnement par l’insuffisance des
moyens mis à leur disposition et peu d’encouragement matériel et financier au profit des chercheurs. En
outre, au regard des régimes politiques de nature dictatoriale institués dans la plupart des Etats africains
entre 1960-1990, les chercheurs ne pouvaient pas toujours aborder les faits politiques en toute liberté.
Comme l’a souligné François DIEU, la science politique ne peut exister et se développer sans l'existence
de conditions favorables en termes de liberté de conscience et d'expression : le conformisme, la
répression politique, le totalitarisme sont, il est vrai, de puissants facteurs de sclérose en matière de
sciences203. Ce sont ces différentes contraintes et d’autres qui expliquent, selon le Professeur Adrien
MULUMBATI NGASHA, les raisons pour lesquelles les centres et instituts de recherches en science
politique ne publient pas suffisamment dans les pays en voie de développement204. Notons aussi au
niveau africain la création de l’association africaine de science politique.
La situation de la science politique dans les Etats africains est aussi dépeinte par IBRAHIMA SILLA
qui constate que la science politique s’inscrit aujourd’hui dans les cycles de formation dans de nombreux
Etats africains même s’il n’y a pas encore pour le moment d’instituts d’études politiques semblables à
ceux de l’Occident. Au Sénégal, il évoque la mise en place d’un cours d’introduction à la science
politique depuis bientôt dix ans dans le programme du tronc commun de la première année de sciences
juridiques et politiques à côté du cours d’introduction au droit. La création de filières principalement
réservées aux études politiques est récente, voire inexistante, dans nombre des Etats africains. Le
Cameroun et le Sénégal ont cependant ouvert la voie depuis plus de vingt-cinq ans, avec la mise en
place de départements spécialisés en science politique. L’autonomie s’est accentuée avec l’ouverture
d’un jury de science politique au concours d’agrégation alors que pendant longtemps cette agrégation
était logée dans le jury de Droit public au niveau du Conseil africain et malgache de l’enseignement
supérieur205.

En RDC, le développement de la science politique se situe à trois niveaux qui interfèrent : le niveau de
l’enseignement, le niveau de la recherche et le niveau des publications. Au niveau de l’enseignement,
la science politique a acquis le statut d’une discipline universitaire depuis 1954 lors de la création de
l’Université de Kinshasa avec l’introduction des enseignements de science politique. Les deux autres
Universités créées en 1956 et 1963 (respectivement l’Université officielle du Congo devenue
l’Université de Lubumbashi et l’Université de Kisangani) dispensaient aussi des enseignements de
science politique. Avec la libéralisation de l’enseignement supérieur et universitaire en RDC, plusieurs

202 Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, p.57.
203 F. DIEU, Introduction à la méthode de la science politique, Paris, L’harmattan, 2008, p. 9.
204 MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014 p. 62.
205 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p.44.

45
écoles, instituts supérieurs et universitaires organisent des enseignements de science politique et des
départements de science politique et administrative sont rattachés aux Facultés des sciences sociales et
administratives.

Du point de vue de la recherche et en nous limitant aux trois premières Universités citées, elles sont
dotées chacune d’un centre de recherche en science politique. Il s’agit de l’Institut de Recherches en
Sciences sociales (IRES) pour l’Université de Kinshasa ; du Centre de Recherches interdisciplinaires
pour le Développement de l’Education (CRID) pour l’Université de Kisangani et du centre d’Etudes
Socio-politiques pour l’Afrique centrale (CEPAC) pour l’Université de Lubumbashi. Chacun de ces
instituts et centres de recherches publie les résultats de ses recherches dans un organe dénommé
« Cahiers »206. Signalons aussi la création en 1978 de l’Association congolaise de science politique qui
organise de temps en temps des colloques au cours desquels sont présentées des communications sur
les différents faits politiques. Les contraintes liées à la recherche dans les pays en voie de développement
et sus-évoquées concernent aussi la RDC. Du point de vue de la publication nous pouvons, à titre
indicatif, citer, entre autres, certains ouvrages « classiques » ou monographiques à la science
politique207. D’autres ouvrages et articles analysent des objets particuliers de la science politique comme
les partis politiques208, les institutions politiques209.

Aujourd’hui, la constitution d’une communauté internationale de chercheurs et d’enseignants en science


politique, à l’instar de l’Association nationale des chercheurs et métiers de la science politique
(ANCMSP) basée en France, contribue à faire rayonner la discipline à la faveur de toute une série
d’initiatives scientifiques (colloques, séminaires, journées de réflexions, tables rondes, etc.), notamment
par la mise en place d’un réseau d’échanges, d’information et de collaboration scientifique.
L’étude du pouvoir politique étant au cœur de la science politique, elle mérite un traitement prioritaire
par rapport à d’autres objets210.

206 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 62-63.


207 MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014 ; MULUMBATI
NGASHA, Sociologie politique, Lubumbashi, Editions Africa, 1988 ; L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de
science politique, Paris, L’Harmattan, 2016 ; G. AUNDU MATSANZA, Comprendre la science politique en 9 leçons, Paris,
L’Harmattan, 2017.
208 A. MAKENGO NKUTU, Les partis politiques de la République Démocratique du Congo. Analyse faite à partir de différents

textes légaux portant organisation et fonctionnement des partis politiques (1990 à nos jours), Paris, L’Harmattan, 2017.
209 Th. MAWANZI MANZENZA, Les dérives de l’Etat postcolonial en République Démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan,

2018 ; A. MAKENGO NKUTU, La théorie générale du Droit constitutionnel et les institutions politiques. Sous la Ière, II è et III è
République de la République démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2016.
210 IBRAHIMA SILLA, Introduction à la science politique, Paris, L’harmattan, 2020, p. 44 et s.

46
CHAPITRE II : LE POUVOIR POLITIQUE

1. Les différentes conceptions du pouvoir


L’objet principal de la science politique, comme nous l’avons souligné, porte sur l’étude du pouvoir
politique. Celui-ci implique une relation d’autorité, de commandement et de soumission. Il est avant
tout un phénomène social se manifestant dans toutes les sociétés humaines. Il est susceptible de
plusieurs définitions selon plusieurs points de vue, notamment celui des juristes spécialistes du droit
constitutionnel, des politologues ou politistes et enfin selon les philosophes politiques.

Joël MEKHANTAR nous résume ces trois points de vue en procédant à une synthèse de différents
auteurs. Pour les premiers (Constitutionnalistes), deux principales idées se dégagent de la notion du
pouvoir politique. Il s’explique comme un phénomène d’autorité d’une part et joue un rôle dans la
société au regard de ses fonctions sociales. Pour les seconds (Politologues ou Politistes), le pouvoir
politique repose sur la relation de commandement et de l’obéissance. Enfin les philosophes politiques
se sont intéressés à l’origine du pouvoir politique, selon que celle-ci est divine, sociale, conventionnelle.
Faisant la synthèse de ces trois points de vue, Joël MEKHANTAR conclut que le pouvoir politique est
un phénomène social caractérisé par l’existence de relations de commandement et d’obéissance au sein
d’une société politique211.

Le pouvoir politique exerce principalement deux fonctions : celle d’organisation sociale d’une part et
celle de direction de la société ou le gouvernement des hommes d’autre part212. C’est dans cette optique
que Bernard Chantebout définit le pouvoir politique comme « le pouvoir d’organiser la société en
fonction des fins qu’on lui suppose »213. Les missions de l’autorité politique que d’aucuns considèrent
comme pouvoir politique consistent à assurer la sécurité extérieure du groupe, sa concorde et sa
prospérité ainsi que celle de réaliser l’intérêt général en recourant, le cas échéant, à la police
administrative214. Geoffrey Grandjean entend le pouvoir politique dans une triple mission. L’exercice
du pouvoir politique vise à maintenir ensemble des individus en vue d’une certaine fin et ainsi à faire
société. Il concrétise également une lutte que des acteurs se livrent pour faire triompher leurs décisions
dans le cadre de cette société. Enfin, il trouve diverses traductions dans des politiques publiques
adoptées par les décideurs215.

Le pouvoir politique est étroitement lié à l’Etat même s’il ne s’épuise pas dans ce dernier. C’est dans
ce sens que Jacques DONNEDIEU DE VABRES estime que le terme d’Etat évoque d’abord l’idée de
pouvoir, de pouvoir efficace, protégé, organisé. L’Etat est une forme d’organisation sociale qui garantit,
contre les périls extérieurs ou intérieurs, sa propre sécurité et celle de ses ressortissants. Il dispose à cet
effet de la force armée et de multiples mécanismes de coercition et de répression. Il n’y a pas d’Etat
sans un degré élevé de cohésion sociale et d’organisation hiérarchique, permettant au pouvoir de faire
rayonner son autorité et exécuter ses décisions216.

Le pouvoir en droit constitutionnel renvoie à deux réalités différentes : une réalité fonctionnelle (le
pouvoir en tant qu’activité- l’activité législative par exemple, exécutive et judiciaire) et une réalité

211 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, pp. 8-9.
212 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 13.
213 B. CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p. 19.
214 E. MPONGO-BOKAKO, « La théorie des relations civiles et militaires » in S. BULA BULA (dir.), Pour l’épanouissement de la

pensée juridique congolaise. Liber Amicorum Marcel Antoine Lihau, Bruxelles, Bruylant, Kinshasa, PUK, 2006, pp. 225-248, spéc.
aux pp. 231-232.
215 G. GRANDJEAN, Pouvoir politique et audace des juges. Approche européenne et comparée, Bruxelles, Bruylant, Manuels,

2018, p. 28.
216 J. DONNEDIEU DE VABRES, L’Etat, 3 è éd., PUF, Que sais-je, 1967, p. 6

47
organique (le pouvoir en tant qu’organe- le pouvoir législatif pour désigner le Parlement par
exemple)217.

Selon Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick HASSENTEUFFEL, la notion de pouvoir


est susceptible de plusieurs acceptions :

- Le pouvoir peut être tout d’abord synonyme de gouvernement ou plutôt de l’Etat, ce dernier incarnant
alors le pouvoir institutionnellement. Et si on met au pluriel la notion en parlant des pouvoirs publics,
on évoque dans ce cas la figure de l’Etat ;
- Le pouvoir est une donnée, une sorte de capital détenu par certains acteurs : avoir du pouvoir revient
à prétendre détenir des ressources singulières assurant la domination ;
- Dans une troisième signification, le mot renvoie à une interaction. C’est un pouvoir sur quelqu’un.

De ces trois formes, ils proposent, comme Philippe BRAUD218, trois visions du pouvoir, à savoir le
pouvoir institutionnaliste, le pouvoir substantialiste et enfin le pouvoir interactionniste219. Dans la
perspective substantialiste il s’agit de l’idée d’avoir du pouvoir (en termes militaires, financiers,
hiérarchiques, intellectuels…). On parlera du pouvoir de l’argent, du pouvoir de l’information, du
pouvoir de situation…En l’espèce il s’agit de la substance, du fond, qui fonde le pouvoir. La perspective
institutionnaliste met en exergue le pouvoir en tant qu’institution. Cela peut être un jury de délibération,
les parents, le gouvernement, le parlement, l’assemblée des actionnaires. Dans le champ politique la
perspective institutionnaliste renvoie à l’Etat. Enfin la perspective interactionniste. Ici le pouvoir se
caractérise par la mobilisation de ressources pour obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement
auquel il ne se serait pas résolu en dehors de cette relation220.
Suivant les ressources mobilisées pour l’obtention d’un résultat, on distinguera le pouvoir d’injonction
du pouvoir d’influence. Le pouvoir d’injonction est, ou peut être, basé sur la contrainte- menace ou
coercition. En revanche, le pouvoir d’influence fait plutôt appel à la séduction ou à la persuasion. Les
deux peuvent être mobilisés concomitamment (politique du bâton et de la carotte). D’autres auteurs
distinguent le pouvoir fondé sur la contrainte du pouvoir fondé sur la légitimité221. Les détenteurs du
pouvoir recourent aussi à la puissance entendue comme la capacité de forcer les individus ou les
groupes d’individus à agir dans un sens plutôt que dans un autre222. Le pouvoir peut aussi être utilisé
par un recours systématique à la force ; ce qui est appelé « déflation du pouvoir politique ». Pour le
Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, il y a déflation du pouvoir politique lorsque ce dernier est
systématiquement exercé par la force223.
Les composantes de l’univers politique sont constituées, selon Léon ODIMULA du pouvoir politique
et du système politique. Cet univers politique présente certaines caractéristiques : c’est un monde
compétitif (l’émulation et la recherche de l’excellence), aléatoire (l’imprévisibilité), magique (l’usage
d’un langage captivant ou mobilisateur tel que Yes we can, le changement, c’est maintenant, le peuple
d’abord, etc.) ; monde d’intérêts (la politique n’est pas une activité caritative ou philanthropique) et un
monde de dialogue et fait de compromis (nécessité pour les acteurs politiques d’échanger

217 A. FAYE, « La Constitution de 1958 met-elle en œuvre un modèle de régime parlementaire ? », S. SEGALA et S.
AROMATARIO (dir.), Les modèles constitutionnels, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 153-177, spéc. à la p. 156 et s.
218 Ph. BRAUD, « La science politique, science du pouvoir ? », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux,

Dynamiques, Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 65-73, spéc. aux pp. 67-68.
219 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, p. 60.


220 G. HERMET, B. BADIE, P. BIRNBAUM, P. BRAUD, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris,

Armand Colin-Cursus, 1994, p. 221 cité par P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée,
Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2018. P. 37.
221 Pour plus de précisions, P. DELWIT, op.cit., p. 38.
222 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 103.
223 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 114

48
continuellement autour de grandes questions relatives à la gestion de l’Etat. Le maintien d’un dialogue
permanent est nécessaire)224. Le pouvoir est le fruit d'un long processus historique. A l'origine, il était
diffus, ensuite personnel avant de devenir institutionnel.

2. Les différentes manifestations du pouvoir politique


Le pouvoir s’est manifesté de différentes manières dans la diversité de collectivités humaines selon que
son détenteur n’est pas identifiable (diffus), ou que le pouvoir est exercé en vertu de certains attributs
spécifiques que détient celui qui exerce le pouvoir (pouvoir personnel) et enfin le pouvoir se détachant
de la personne qui l’exerce pour devenir une institution (pouvoir institutionnalisé). Pour sa part le
Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA distingue quatre formes de pouvoir : le pouvoir politique
communautaire appartenant à tous les membres du groupe ; le pouvoir politique institutionnalisé, le
pouvoir politique personnalisé (exercé par celui qui en est le titulaire comme s’il s’agissait d’un bien
propre) et le pouvoir politique personnifié (c’est celui à qui on prête les sentiments, les aptitudes, le
langage d’une personne)225. Généralement trois formes de pouvoir politique sont retenues : le pouvoir
diffus, le pouvoir personnel et le pouvoir institutionnalisé.

A Le pouvoir diffus
Il correspond à la forme primitive du pouvoir antérieur à l'apparition des formes organisationnelles des
sociétés humaines. Le pouvoir diffus n'était pas confié à un titulaire physiquement identifié mais était
dispersé dans la communauté. Tout le monde commande et obéit en même temps. Invisible, le pouvoir
était néanmoins présent en ce sens que des mécanismes de sanction existaient. Ils pouvaient être
déclenchés automatiquement en cas de violation. Des sanctions pécuniaires (amendes), morales
(réprobation), l'exclusion du groupe etc. punissaient les infractions aux règles sociales. Ce pouvoir
subsiste dans certaines sociétés africaines sous le poids des traditions.

B Le pouvoir personnel ou individualisé.


Selon Georges BURDEAU, cité par Joël MEKHANTAR, le pouvoir individualisé est celui qui s’incarne
dans un homme concentrant en sa personne, non seulement tous les instruments de la puissance, mais
encore toute la justification de l’autorité. Le chef porte en lui son titre au commandement226. Le pouvoir
personnel ou individuel repose sur des rapports personnels entre le souverain et ses sujets. Le pouvoir
s'incarne dans la personne de son détenteur respecté pour ses vertus personnelles : sa force physique,
son prestige naturel, sa puissance matérielle ou occulte etc. L’inconvénient du pouvoir personnel est
qu'il survit difficilement à la cessation des fonctions du chef en place et engendre inévitablement des
guerres de succession. Le pouvoir personnel doit être distingué du pouvoir personnalisé. La
personnalisation du pouvoir est un phénomène qu'on retrouve dans les démocraties contemporaines qui
trouve son fondement dans la concentration du pouvoir entre les mains d'une autorité institutionnelle et
l’identification sociale du pouvoir à son détenteur.

C. Le pouvoir institutionnalisé
Le pouvoir est dit institutionnalisé lorsqu'il est dissocié de la personne de son détenteur pour se reporter
sur une entité abstraite qui lui sert de support. Le pouvoir existe en lui-même, indépendamment de ses
agents. Il se déploie conformément à des règles générales, impersonnelles et objectives qui déterminent
son mode d'acquisition et ses conditions d'exercice. La dissociation du pouvoir avec les individus qui
en assument momentanément la charge garantit ainsi sa continuité dans le temps. Le pouvoir se
distingue désormais de ses agents d’exercice qui ne sont que ses dépositaires provisoires. Etant
institutionnalisé ce pouvoir s’acquiert par plusieurs moyens dont l’élection, la nomination, l’hérédité,
224 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 36 et s.
225 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 84.
226 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p.13.

49
la cooptation. Dans les sociétés anciennes, le tirage au sort était également une modalité d’accès aux
fonctions publiques. Dans d’autres Etats, les coups d’Etat, les révolutions constituent des modalités
d’établissement des gouvernements non démocratiques. Le pouvoir peut s’acquérir selon plusieurs
modalités.

3. Modes d’acquisition ou de dévolution du pouvoir politique


Au sens large, le lexique de science politique définit la dévolution comme un ensemble de
« mécanismes de transfert de compétences et de pouvoir »227. Le pouvoir peut s’acquérir de différentes
manières. Le Professeur Adrien MULUMBATI distingue cinq principaux modes, à savoir l’élection, la
nomination, l’hérédité, la conquête (accès par la force- coup d’Etat, révolution) et la cooptation228. Nous
pouvons y ajouter les primaires, l’investiture, le tirage au sort, la nomination.

a) L’élection
L’élection est un mode de désignation par lequel les électeurs expriment leur choix par le biais d’un
vote des gouvernants, généralement pour une durée déterminée.

b) L’hérédité
Elle constitue le mode par lequel le pouvoir politique se lègue à un individu, comme un élément
patrimonial. Il est utilisé dans les différentes monarchies.

c) L’élection
C’est le mode par lequel les gouvernants sont désignés par les gouvernés.

d) La conquête
La conquête du pouvoir se réalise lorsqu’une personne ou un groupe de personnes accèdent au pouvoir
par la force de l’armée ou du peuple. Deux formes de conquête du pouvoir sont présentées : d’une part
la révolution (elle utilise généralement la force populaire ou mieux les masses populaires pour conquérir
le pouvoir politique) et d’autre par le coup d’Etat. Celui-ci utilise la force du gouvernement précédent
pour le détruire et le remplacer. Lorsque l’armée prend le pouvoir, à la suite d’un coup d’Etat, deux
situations peuvent se présenter : soit l’armée conquiert le pouvoir politique à l’issue d’un putsch, soit
elle hérite d’un pouvoir abandonné229.

e) La cooptation
Elle est définie par Maurice DUVERGER, selon les propos du Professeur Adrien MULUMBATI
NGASHA, comme le mode par lequel le prédécesseur désigne son successeur (cooptation individuelle)
ou que les survivants désignent le successeur du membre décédé d’un comité ou assemblée (cooptation
collective). La cooptation peut être utilisée à plusieurs fins. A titre indicatif, au sein des assemblées
provinciales des chefs coutumiers peuvent être cooptés en qualité de députés provinciaux pour exercer
mutatis mutandis les mêmes droits que les députés provinciaux qui les ont cooptés ou désignés. La
cooptation peut aussi être utilisée pour combler des vacances. C’est ce sens qui est repris par le
Vocabulaire juridique qui définit la cooptation comme étant un « procédé de recrutement consistant, de
la part des membres d’un organe ou d’un corps constitué, à désigner eux-mêmes de nouveaux membres

227 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 170.
228 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 87-99.
229 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 55.

50
afin de combler les vacances230. Il est curieux de constater que le Lexique de science politique ne réserve
aucune entrée au mot cooptation231.

d) Le tirage au sort
Il constitue un mode de désignation aléatoire des représentants d’une communauté politique. Ce mode
pratiqué notamment dans les démocraties antiques, est souvent considéré comme une forme de sélection
des gouvernants plus juste que l’élection. Le suffrage présente un caractère aristocratique dans la mesure
où il conduit souvent à porter au pouvoir des élites sociales dont les positions de pouvoir se trouvent
légitimées et institutionnalisées par le vote. A l’inverse, le tirage au sort, parce qu’il permet en théorie
à n’importe quel individu d’occuper des responsabilités politiques ou juridiques pour un laps de temps
déterminé, apparaît comme un vecteur d’identification et de participation plus démocratique232. Le
tirage au sort peut être complémentaire à l’élection en compensant ses faiblesses. Cette sélection
aléatoire est susceptible d’accroître significativement la diversité des représentants233.

e) L’investiture
Elle a trois entrées au Vocabulaire juridique. Seules deux entrées nous intéressent. C’est l’action de
conférer à quelqu’un une fonction ou un titre par élection ou nomination. Par extension, celle de conférer
à quelqu’un une mission ou une charge par convention. Selon la deuxième entrée, l’investiture renvoie
à une décision d’une formation politique par laquelle celle-ci désigne son candidat en vue d’une
élection234. L’investiture confère le pouvoir au bénéficiaire de concourir pour le compte du parti. Il
reçoit un mandat. L’investiture est aussi prévue dans certains Etats pour « confirmer » les élus. C’est le
cas des Gouverneurs et vice-gouverneurs de provinces en RDC qui sont investis par ordonnance
présidentielle au lendemain de la publication définitive des résultats de leur élection. L’investiture est
aussi l’acte par lequel le parlement donne sa confiance au gouvernement après l’approbation de son
programme.

f) Les primaires
Elles constituent « une technique de choix par le suffrage universel des candidats aux élections »235.
Selon le Lexique de science politique, les primaires renvoient à un « système de désignation des
candidats d’un parti à une élection, par le biais d’une consultation électorale antérieure à cette dernière
et ouverte au-delà des adhérents du parti »236. Elles constituent aux États-Unis la procédure normale
pour la désignation des candidats, notamment à la présidence de la Fédération et elles sont organisées
au sein des partis politiques. Longtemps regardées avec méfiance par les Etats européens, les primaires
se sont invitées dans certains Etats européens pour la désignation des potentiels Chefs du gouvernement
(Italie) ou des candidats à la présidence de la République (France en 2011 pour la gauche ; en 2016 pour
la droite). Les primaires intéressent aussi la doctrine constitutionnaliste et politiste française comme
objet d’étude237.

230 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 241 et s.


231 O. NAY (dir.), op.cit.
232 O. NAY (dir.), op.cit., p. 616.
233 P. E. VANDAMME, “ Le tirage au sort est-il incompatible avec l’élection ? », Revue française de science politique, Vol. 68, n°

5, 2018, pp. 873-894.


234 G. CORNU, op.cit., p. 514.
235 M. DE VILLIERS, A. LEDIVELLEC, Dictionnaire du droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 291.

236 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 484.
237NOLWENN DUCLOS, « Faire avaler un bifteck à un ruminant. A propos de l’institutionnalisation des primaires en France »,
RFDC, décembre 2016, n° 108, pp. 851-864. Voy. aussi le dossier consacré aux Primaires de la Revue française d’études
constitutionnelles et politiques (Pouvoirs), n° 154, septembre 2015, 216 p.

51
L’organisation des primaires peut procéder de deux logiques : d’une part les primaires ouvertes au sein
des partis et auxquelles peuvent participer tous les sympathisants et d’autre part les primaires fermées
du fait qu’elles sont réservées aux seuls militants ou accessibles aux seuls électeurs ayant fait connaître
leur souhait d’y participer. L’organisation des primaires répond à deux objectifs : résoudre la crise du
leadership au sein du parti lorsque celui-ci n’est pas naturel ; combler par la participation des masses le
défaut de représentativité des partis devenus de moins en moins attractifs et militants238. Julie BENETTI
souligne que le développement des élections primaires organisées en France en vue de l’élection
présidentielle porte la marque de cette évolution politique profonde. Les primaires anticipent la
compétition électorale par une bataille intestine au parti pour désigner le meilleur d’entre les siens. Ce
double mouvement de translation du pouvoir de sélection des candidats du parti à la base militante,
voire à ses sympathisants, et de légitimation des candidats ainsi désignés explique sans aucun doute le
succès grandissant des élections présidentielles françaises qui étaient jusqu’à une période récente
étrangères à la culture politique française239.
Le pouvoir politique est déterminé, dans son organisation et son fonctionnement par plusieurs facteurs
dont les plus importants sont : le facteur démographique, le facteur culturel, le facteur social,
économique, historique, les faits nouveaux240.

4. La structure du pouvoir politique


Il est généralement réparti selon les trois organes principaux : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif
et le pouvoir judiciaire. Toutefois ce dernier ne figure pas parmi les pouvoirs politiques. Cette
conception anachronique devrait être repensée au regard de l’influence du juge constitutionnel dans la
modération et l’arbitrage des conflits entre les organes de l’Etat devenant un déterminant, dans certaines
circonstances, du pouvoir politique.
4.1 Le Parlement (Le législatif)
Le Parlement peut être constitué d’une seule chambre (parlement monocaméral appelé selon les Etats
Assemblée nationale, chambre des représentants, Chambre des députés). Il est bicaméral lorsqu’il est
composé de deux chambres : l’une appelée généralement l’Assemblée nationale ou la Chambre des
représentants (Chambre basse) et l’autre le Sénat (Chambre haute). Dans un ouvrage consacré à la
politique comparée, les activités parlementaires ont été résumées de manière suivante : légiférer,
proposer, voter, scrutiner, débattre et questionner, s’opposer et se rassembler241. Le verbe « scrutiner »
a été préféré au contrôle parlementaire (mettant principalement en jeu la responsabilité politique) pour
indiquer différents moyens d’information, d’influence du parlement sur l’exécutif242.

Généralement le parlement représente, légifère et contrôle. Certaines Constitutions précisent parfois les
fonctions des parlements : voter les lois, consentir l’impôt, contrôler l’action du gouvernement et des
services publics. A ces trois fonctions classiques (en considérant la représentation comme une fonction
découlant de l’attribut de tout parlement) s’est ajoutée une autre introduite dans la révision
constitutionnelle française de 2008243 et reprise par certaines Constitutions africaines, notamment
ivoirienne, sénégalaise, gabonaise, tchadienne, consistant dans l’évaluation des politiques publiques.

238 X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p.. 169.


239 J. BENETTI, “ Les primaires et notre monarchie républicaine », Pouvoirs, n° 154, 2015, pp. 5-13, spéc. à la p. 5.
240 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 99-101.
241 Pour plus de détails sur cette question, O. ROZENBERG, « Comparer les parlements », in Y. DELOYE et J-M. DE WALE (dir.),

Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 303-349.


242 O. ROZENBERG, art.cit.
243 Article 24, al.1er de la Constitution française du 4 octobre 1958 telle que révisée et complétée jusqu’à ce jour est libellé de cette

manière : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Notre soulignement.

52
4.2 L’Exécutif
L’Exécutif peut être monocratique (Le pouvoir exécutif est exercé dans le chef d’une seule personne)
ou dualiste (l’exécutif est partagé par la présence d’un Chef d’Etat et d’un Chef de gouvernement appelé
généralement Premier ministre) ou collégial (directorial) lorsque le pouvoir exécutif est confié à deux
ou plusieurs titulaires exerçant le pouvoir de manière égalitaire (Cas de la Suisse et de la République de
Saint-Marin). Contrairement à son intitulé (pouvoir exécutif), la fonction de l’exécutif est plus large
comprenant la détermination et la conduite de la politique de la nation et en exerçant, selon le cas, un
pouvoir législatif délégué.
4.3 Le pouvoir judiciaire
Le pouvoir judiciaire est souvent tenu à l’écart de l’étude des pouvoirs d’autant plus que dans certains
Etats, comme la France, l’on évoque l’expression « Autorité judiciaire ». Le pouvoir judiciaire lorsqu’il
comprend en son sein une juridiction constitutionnelle devrait, à tous les effets, être intégré dans l’étude
du pouvoir politique d’autant plus que le juge constitutionnel intervient tantôt comme arbitre des conflits
institutionnels, tantôt comme régulateur des institutions et des activités des pouvoirs publics, tantôt
comme garant de l’exercice des droits et libertés des individus, des groupes et des acteurs politiques. Il
joue un rôle essentiel dans le règlement du contentieux électoral au plus haut niveau de l’Etat. Les
fonctions du juge constitutionnel sont devenues de plus en plus nombreuses selon qu’elles sont bornées
ou élastiques.

Le pouvoir politique doit reposer sur un ensemble des facteurs justifiant ou expliquant le droit des uns
de commander et le devoir des autres d’obéir. Cet ensemble des facteurs permet d’asseoir la légitimité
du pouvoir politique.

5. La légitimité du pouvoir politique


Selon le Lexique de science politique, la légitimité est le caractère de toute domination qui semble
justifiée, normale, habituelle, c’est-à-dire conforme aux valeurs dominantes dans une société. La
légitimité se distingue de la légalité, car elle ne se limite pas au seul respect des modalités légales de
dévolution du pouvoir et peut même s’y opposer. La notion même de légitimité suppose l’existence
d’un consentement de la part de ceux qui sont soumis au pouvoir244. La légitimité est le ciment des
rapports de pouvoir. Elle confère au pouvoir sa justification. Elle a pour assise la croyance des individus
telle que perçue par celui qui observe les rapports de pouvoir245.
La légitimité renvoie à un ensemble des facteurs, des valeurs qui constituent le fondement de l’exercice
du pouvoir par les uns et son acceptation par d’autres qui sont soumis à l’exercice d’un tel pouvoir. En
d’autres termes, la légitimité confère au pouvoir sa justification aussi bien à l’égard des gouvernants
que des gouvernés.
Max WEBER distingue trois fondements de la légitimité : l’autorité de l’éternel hier ou légitimité
traditionnelle, les vertus extraordinaires ou légitimité charismatique et enfin la légitimité rationnelle ou
légale (légitimité traditionnelle, légitimité charismatique et légitimité rationnelle ou légale). L’autorité
de l’éternel hier, c’est celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude
enracinée en l’homme de les respecter. Tel est le pouvoir traditionnel. En second lieu l’autorité fondée
sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu (charisme). Elle se caractérise par le dévouement
tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu’elle
se singularise par des qualités prodigieuses, par l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui
font le chef. C’est le pouvoir charismatique. Enfin, l’autorité qui s’impose en vertu de la légalité, de la
croyance en la validité d’un statut légal et d’une compétence positive fondée sur des règles établies

244 O. NAY, Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 331.
245 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, p.89.

53
rationnellement. En d’autres termes, l’autorité fondée sur l’obéissance qui s’acquitte des obligations
conformes au statut établi. C’est là le pouvoir tel que l’exerce le serviteur de l’Etat moderne ainsi que
tous les détenteurs du pouvoir qui s’en rapprochent sous ce rapport246. (Pouvoir légal-rationnel). MAX
WEBER ajoute que dans la réalité des motifs extrêmement puissants, commandés par la peur ou par
l’espoir, conditionnent l’obéissance des sujets- soit la peur d’une vengeance des puissances magiques
ou des détenteurs du pouvoir, soit l’espoir en une récompense ici-bas ou dans l’autre monde ; mais elle
peut aussi être conditionnée par d’autres intérêts très variés247.
Pierre ROSANVALLON propose trois composantes ou figures de la légitimité démocratique :
l’impartialité, la réflexivité et la proximité. Ces nouvelles figures sortent du cadre de la typologie usuelle
distinguant la légitimité comme produit d’une reconnaissance sociale et la légitimité comme adéquation
à une norme. Les légitimités d’impartialité, de réflexivité et de proximité se superposent. Elles dérivent
de caractéristiques des institutions, de leur capacité à incarner des valeurs et des principes. Elles sont
simultanément dépendantes du fait qu’elles doivent être socialement perçues comme telles. Leur
déploiement peut faire entrer les démocraties dans un nouvel âge248.
Le pouvoir politique a un fondement dont la recherche a donné lieu à plusieurs théories.

6. Les fondements du pouvoir politique


L’identification au sein d’un Etat du titulaire du pouvoir a opposé pendant plusieurs siècles philosophes,
théologiens, libéraux selon que les uns situaient dans la divinité la source du pouvoir alors que d’autres
soutenaient que le pouvoir reposait sur la volonté du peuple. De cette confrontation sont nées deux
théories sur le fondement du pouvoir ou mieux de la souveraineté : d’une part les théories théocratiques
et d’autre part les théories démocratiques. Dans le monde contemporain, la théorie démocratique du
pouvoir est la plus répandue dans tous les continents, malgré quelques résistances dans certains Etats
de la prégnance de la théorie théocratique du pouvoir. La souveraineté est un pouvoir de commandement
originaire et suprême. Plusieurs théories ont été échafaudées sur la souveraineté. Elles se proposent
toutes de donner une réponse à la même question fondamentale : à qui appartient, dans l'Etat, le pouvoir
de commander et de contraindre ? Qui est le détenteur de la souveraineté ? Qui est le souverain à un
moment donné dans une société donnée ? D'où tient-il son pouvoir ?

A. Les fondements théocratiques du pouvoir ou la conception judéo-chrétienne du pouvoir


Selon la conception judéo-chrétienne, le pouvoir vient de Dieu qui le délègue à certains individus249.
Les théories théocratiques se fondent sur l'origine divine du pouvoir. Tout pouvoir vient de Dieu. Celui-
ci en créant la société, a voulu qu'une autorité s'exerce sur la communauté. Si le consensus existe sur
l'origine du pouvoir, les théologiens se séparent lorsqu'il s'agit d'expliquer l'attribution du pouvoir à son
titulaire. Pour les uns, celui-ci tient directement son pouvoir de Dieu qui en est à la fois le propriétaire
et l'agent d'exercice : c'est la théorie de droit divin surnaturel ou la théorie de l’investiture directe des
gouvernants. Pour les autres, le fondement du pouvoir est bien divin en ce sens que toute son autorité
repose sur la volonté de Dieu, mais sa forme d’expression emprunte une forme humaine. Ce sont les
gouvernés, inspirés par la providence, qui choisissent le détenteur du pouvoir : c'est la théorie du droit
divin providentiel, appelée aussi théorie de l’investiture providentielle. Une autre théorie considérait les
gouvernants comme des représentants de Dieu ou des demi-dieux. Dans ce cas, ils participaient de la
nature divine. C’est la théorie de la nature divine des gouvernants.

246 M. WEBER, op.cit., p. 126 et s.


247 MAX WEBER, op.cit., p. 127.
248 P. ROSANVALLON, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Editions du Seuil, 2008, p. 19.
249 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 85.

54
B. Les fondements démocratiques du pouvoir ou conception gréco-romaine du pouvoir
Selon la conception gréco-romaine qui prévaut aujourd’hui, le pouvoir politique vient du peuple et n’est
pas sacré250. Les théories démocratiques de la souveraineté trouvent leur origine dans la philosophie des
Lumières même si ce furent les grecs à avoir expérimenté la démocratie depuis l’antiquité. Elles
s’inscrivent dans une perspective de rejet des théories théocratiques du pouvoir pour les substituer à la
souveraineté à contenu laïc. Dans l’histoire, la démocratie pluraliste s’est affirmée en réaction contre la
monarchie avec les révolutions du XVIII è siècle. Si le monarque était le titulaire de la souveraineté, les
théoriciens politiques et les révolutionnaires lui ont imposé une nouvelle conception de la souveraineté
trouvant son fondement dans le Peuple ou dans la Nation251.

Tous les penseurs de l’époque, (SPINOZA, John LOCKE. MONTESQUIEU, ROUSSEAU), souligne
Dominique ROUSSEAU, avaient consacré leurs réflexions à concevoir une réorganisation
démocratique de l’Etat. D’abord, à reconcevoir son origine. Elle ne serait plus un décret de Dieu, de la
nature ou du Prince, mais un contrat que les hommes auraient passé entre eux pour garantir leurs droits
et assurer leur sécurité et qu’ils peuvent revoir si l’Etat qui en est issu manque à ces missions. L’Etat ne
serait donc pas une structure imposée aux hommes mais voulue par eux, de sorte qu’en lui obéissant ils
n’obéiraient qu’à eux-mêmes252. Cette idée est traduite, en d’autres termes, dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793 à son article 35 : « Quand le gouvernement viole les
droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des
droits et le plus indispensable des devoirs »253.

La souveraineté du peuple traduit sur le double plan idéologique et politique la victoire de la démocratie
sur les conceptions théocratiques (souveraineté de droit divin surnaturel ou providentiel) ou absolutistes
(souveraineté monarchique) qui prévalaient jusqu'à la fin du 18 èmesiècle. Le peuple justifie ainsi
l'obéissance au pouvoir autrement que par la contrainte. Il donne aux gouvernés les raisons de se
conformer à la volonté des gouvernants. La notion de peuple est cependant complexe. On peut
l'appréhender différemment selon que l'on met l'accent sur l'universalité des citoyens qui le composent
ou sur la communauté qu'ils forment. Il peut alors correspondre à une réalité objective ou une simple
abstraction. De cette situation découlent deux conceptions différentes de la souveraineté : la
souveraineté nationale et la souveraineté populaire. La théorie de la souveraineté nationale et la théorie
de la souveraineté populaire ont été souvent opposées l'une à l'autre. Mais la distinction a actuellement
beaucoup perdu de sa netteté initiale.

B.1 La souveraineté nationale et la souveraineté populaire

B.1.1 La souveraineté nationale

La souveraineté réside dans la collectivité nationale dans son ensemble. Cette théorie fait de la nation
la source et le titulaire exclusifs de tout pouvoir au sein de l’Etat. Or la nation est une abstraction. Elle
est une fiction juridique dépourvue de toute substance physique. La Nation est un être collectif et
indivisible distinct des individus qui la composent. Pour Jean Denis MOUTON, la Révolution française
avait contribué à faire triompher le principe selon lequel la nation, expression d’une collectivité unifiée,
constitue un corps autonome à la base de l’Etat254. Elle est un corps juridique doté d'une existence

250 A. MULUMBATI NGASHA, op. cit., p. 86.


251 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 50.
252 D. ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 86 et s.
253 Notre soulignement.
254 J.D. MOUTON, « Etat et nation en droit international : de la fondation à la déconstruction ? », in I. MINGASHANG (dir.), La

responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de la pratique
du droit par le Professeur Auguste Mampuya, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 177-193, spéc. à la p. 182.

55
propre, un être réel distinct de ses membres. Elle est un groupement humain dans lequel les individus
sont liés par des liens objectifs tels que la race, la religion, la coutume ou les traditions (conception
allemande) et/ou des liens subjectifs tels que la commune volonté de vivre ensemble pour atteindre des
idéaux communs (conception française). La « Nation-Personne » est titulaire de droits et obligations qui
ne se confondent pas avec ceux des individus qui la composent. Pour Joël MEKHANTAR, la
conséquence politique du principe de la souveraineté nationale, comme nous aurons à le relever, sera
surtout d’écarter l’emprise directe du Peuple en prohibant le mandat impératif255.

Le mandat impératif se définit par une dépendance étroite du député à l’égard de ses électeurs ; celui-ci
s’engage pendant la durée de son mandat à ne faire que la politique définie par eux. Le non-respect de
ses engagements entraîne automatiquement sa révocation256. Ce mandat impératif est l’une des
caractéristiques de la souveraineté populaire.

B.1.2 La souveraineté populaire

La théorie de la souveraineté populaire fait des citoyens ou, si l'on veut, du peuple, le détenteur exclusif
du pouvoir souverain. La souveraineté populaire repose sur la prise en considération du peuple concret,
du peuple objectivement situé qui se ramène à l'universalité des citoyens. La souveraineté populaire est
l'apanage de chaque individu. Celui-ci est à la fois sujet et porteur d’une parcelle de souveraineté qui
lui permet de participer au tout. C'est pour ces raisons qu'on parle de souveraineté fractionnée, divisée,
atomisée ou partagée entre tous les individus qui composent le peuple car chaque citoyen est détenteur
d'une fraction du mandat que les gouvernés donnent aux gouvernants. D’après certains auteurs la théorie
tendant à soutenir l’incompatibilité entre la souveraineté nationale et la souveraineté populaire est
erronée257.

7. Les conséquences institutionnelles des théories démocratiques de la souveraineté

7.1 Les conséquences de la souveraineté nationale

La théorie de la souveraineté nationale situe le fondement du pouvoir souverain dans le corps de la


nation. Or la nation est une fiction juridique dépourvue de tout substratum physique. Etant un être
abstrait, la nation ne peut s’exprimer directement. Elle a besoin d’intermédiaires, appelés représentants
de la nation choisis et habilités par elle. L’élection n’est pas le moyen obligé de la désignation des
représentants258. La souveraineté nationale, à l’instar de la souveraineté populaire, influe sur la nature
du suffrage et le statut des représentants
7.1.1 Nature du suffrage
L’acte de choix de l'élu n'est pas un droit mais une simple faculté que la nation accorde à ceux-là qu'elle
juge les plus dignes et surtout les plus aptes ; c'est-à-dire ceux qui ont la qualité de citoyen de la nation.
On parle alors « d'électorat-fonction » qui permet de justifier les restrictions apportées au droit de vote.
Ainsi dans la souveraineté nationale le suffrage peut être universel, c’est-à-dire ouvert à tous, et c’est la
consécration moderne du suffrage universel ou bien restreint c'est-à-dire réservé à quelques privilégiés
dans le cadre du suffrage censitaire ou du suffrage capacitaire. Le suffrage censitaire est un suffrage
restreint limité à ceux qui paient des impôts ou qui justifient une certaine fortune. Par contre le suffrage

255 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p.55.
256
P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens, 2 è éd., Paris, PUF, 1978, p. 27.
257 H. DUMONT, « Le concept de démocratie représentative : de SIEYES à la Constitution belge de 1831 », in REUCHAMPS et

F. BOUHON (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, 2ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2018, p.23.
258 D. ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 45.

56
capacitaire est aussi restreint en ce qu’il subordonne la qualité d’électeur aux capacités intellectuelles
ou niveau d’instruction ou encore à la qualité de l’homme ou de la femme. C’est au nom de ce suffrage
que pendant longtemps les femmes étaient exclues du vote259. Le vote est une fonction publique. C’est
en vertu de la théorie de l’électorat-fonction qu’en Belgique le vote obligatoire a été institué depuis
1893 et que ceux qui manquent à ce devoir sont passibles de poursuites ou d’amendes 260. Ce caractère
obligatoire du vote expliquerait le fait que la participation électorale en Belgique enregistre des
pourcentages de plus de 90 % contrairement aux Etats dans lesquels le vote est facultatif.
7.1.2 Le statut des représentants
L'élu est le représentant, le mandataire de la nation. Il agit au nom de la nation qui supporte toutes les
conséquences des actes qu'il est appelé à prendre. Les élus ne représentent pas une circonscription
territoriale, un groupe ethnique ou un parti politique. Le représentant ne reçoit pas mandat d'une
circonscription électorale déterminée mais de la nation tout entière, le mandat est national. Il reçoit,
en quelque sorte de la nation, une autorisation d’agir en son nom tout en étant libre et indépendant dans
l’exercice de cette fonction que la nation lui a conférée. Le mandat est parfait car son objet est de donner
au représentant le droit de prendre des décisions au nom de la Nation. Le représentant est investi de la
plénitude des compétences. Son mandat est non seulement illimité mais encore irrévocable.

Il existe une présomption de conformité des actes des représentants à la volonté de la nation. L'élu jouit
d'une indépendance juridique vis-à-vis des électeurs. Une fois l'élection acquise, l'élu ne relève que de
sa conscience et vote selon son intime conviction. Il agit en conséquence librement sans contrôle du
représenté ; ne reçoit aucune injonction initiale pour agir dans un sens ou dans un autre et n'est soumis
à aucune vérification a posteriori à partir du moment où son mandat est représentatif et non impératif.
L’interdiction de tout mandat impératif comme de tous les mécanismes qui pourraient limiter la liberté
des représentants constitue le signe distinctif du système représentatif261. Le mandat impératif, comme
le souligne Jean-Claude MASCLET, établit dans son principe une relation de très forte dépendance
entre l’élu et ses électeurs : le candidat s’engage non seulement à leur rendre compte de son mandat
mais aussi à voter en fonction de leurs instructions. Le mandat impératif, poursuit-il, abolit la liberté
des élus en les privant de tout pouvoir d’appréciation personnelle. Sur un plan doctrinal, il exprime
l’idéal d’une démocratie directe où le peuple déciderait par lui-même262. Le mandat est en outre
irrévocable en cours de législature même si le représentant démissionne de son parti ou refuse d'assumer
ses engagements électoraux. Son mandat ne peut prendre fin que dans les cas qui ont été expressément
prévus par la Constitution : dissolution de l'Assemblée, décès, démission ou empêchement définitif du
mandataire. La discipline de vote imposée aux parlementaires dans le cadre de leurs partis politiques
n’est pas incompatible avec la prohibition du mandat impératif dans la mesure où le parlementaire, à
travers le vote, exprime une liberté de choix, de conscience263. Le mandat représentatif confère au
parlementaire une véritable liberté et une indépendance très forte. Celles-ci sont d’abord garanties par
les immunités (souvent absolues) qui protègent le parlementaire de toute poursuite pour des actes
commis à raison de son mandat. Le second mécanisme de protection est l’inviolabilité (souvent relative
et qui peut donc être levée) qui suspend les poursuites contre un parlementaire ayant agi en qualité de
simple citoyen. Des incompatibilités empêchent le parlementaire de cumuler certaines fonctions, à le
soustraire aux risques de conflits d’intérêts264.

259 A. MAKENGO NKUTU, La théorie générale du droit constitutionnel et les institutions politiques. Sous la Ière, II è et IIIè
République de la République démocratique du Congo, Paris, L’harmattan, 2016, p. 64.
260 Voy. pour plus de détails, MIN REUCHAMPS, S. DEVILLERS, D. CALUWAERTS et F. BOUHON, « Le vote obligatoire »,

REUCHAMPS et F. BOUHON (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, 2ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 403.
261 D. ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 42.
262 J-C. MASCLET, « Nomadisme politique et clause de fidélité », in Prévention des crises et promotion de la paix. Volume II.

Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 477-487, spéc. à la p. 480.
263 J-C. MASCLET, art.cit., p. 479.
264 M. TOUZEIL- DIVINA, Dictionnaire de Droit public interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 302.

57
7.2 Les conséquences de la souveraineté populaire

La théorie de la souveraineté populaire est fortement liée à l'idée démocratique. Elle fait de chaque
citoyen un membre actif du corps social. Elle débouche logiquement sur la démocratie directe dans la
mesure où l'aménagement institutionnel du pouvoir qu'elle implique fait du citoyen la source et la fin
de toute organisation sociétale. La souveraineté populaire promeut un gouvernement direct car chaque
citoyen est détenteur d’une parcelle de souveraineté. Cependant la souveraineté populaire n’ignore pas
le mécanisme de représentation. Il convient de noter que l’exercice de la démocratie directe est devenu
rarissime car il est difficile d’impliquer les citoyens dans la prise des décisions. De nos jours la
démocratie directe devrait s’entendre dans le sens de certains mécanismes à travers lesquels les citoyens
sont consultés ou se prononcent sur des votations, des choix politiques.
7.2.1 La nature du suffrage
L’élection est un droit destiné à garantir la participation indispensable de chaque citoyen à l’exercice de
sa part de souveraineté. On parle alors « d'électorat-droit ». Le vote constitue un droit qui appartient à
tout citoyen en tant que détenteur d'une parcelle de souveraineté. On ne peut dénier à un individu, ayant
l'âge requis et la capacité mentale, le droit de voter. N'étant pas une fonction, le citoyen est libre d'exercer
ou non ce droit. La souveraineté populaire exige logiquement le suffrage universel.
7.2.2 Le statut des représentants
Le peuple participe directement à l'exercice du pouvoir politique en désignant ses représentants ou en
s'impliquant dans le processus décisionnel. Dans la souveraineté populaire, les représentants sont liés
aux représentés par un mandat impératif qui permet aux seconds de donner aux premiers des directives
qu'ils sont tenus d'appliquer. Dans cette perspective, le représentant d’une circonscription électorale
devrait reproduire, incarner les intérêts de sa circonscription, c’est-à-dire de ses électeurs265. L'élu peut
être révoqué s'il ne respecte pas les instructions de l'électeur. Il ne formule pas la volonté générale mais
expose la volonté de son mandant. En conséquence, l'élu est directement responsable devant les
électeurs qui peuvent le désavouer ou le sanctionner. C'est le principe de la révocabilité des mandats
qui justifie la perte du mandat d'un élu qui a été exclu ou qui a démissionné de son parti car il est avant
tout un mandataire des électeurs de sa circonscription électorale. Le mandat impératif est un correctif
pratique aux difficultés d’organiser la démocratie directe. Pour Jean-Jacques ROUSSEAU cité par Joël
MEKHANTAR, les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que
ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement266.

Les mécanismes de la représentation se conjuguent avec ceux de la démocratie directe ou semi-directe.


A noter que le recours à la démocratie directe présupposant la participation du peuple à la délibération
et à l’adoption de la décision est rarissime. A titre d’exemple, en Suisse alémanique, le canton de Glaris
pratique des débats où sont physiquement rassemblés les habitants. Ils votent à main levée sur les
propositions et ceux qui le veulent ont la possibilité de s’exprimer267.

8. Techniques d’expression du peuple


Plusieurs techniques d'expression du peuple sont mobilisées. Elles participent de la mise en œuvre de
la démocratie semi-directe. Celle-ci est une forme de démocratie combinant la démocratie représentative
et la démocratie directe : le pouvoir est normalement exercé par des représentants, mais les citoyens
peuvent, dans certaines conditions, intervenir directement dans son exercice en évitant que ne se
développe le sentiment d’une classe politique coupée des soucis des citoyens, puisque ceux-ci peuvent
265 A. MULUMBATI NGASHA, Le peuple et la démocratie en Afrique, Louvain-La-Neuve, Academia L’Harmattan, 2019, p. 117.
266 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, pp. 57-58.
267 O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris, Manitoba/Les belles lettres, 2017, p. 251.

58
décider de la loi, directement au moyen du référendum. Faisant abstraction de l’élection et de la
révolution, les principales techniques d’expression du peuple sont constituées par le veto populaire, la
révocation populaire, l’initiative populaire, le droit de pétition et le référendum.

8.1 Le veto populaire

Le veto est la décision prise par le corps électoral de refuser qu’une loi normalement adoptée par le
Parlement, ou éventuellement qu’une mesure administrative prise par l’autorité compétente, et qui lui
est soumise pour sanction entre en vigueur ou continue d’avoir effet juridique268. Cette technique permet
au peuple, par le dépôt d'une pétition revêtue du nombre requis de signatures et suivie d'une consultation,
de s'opposer à la mise en vigueur ou d'obtenir l'abrogation totale ou partielle d'une loi déjà promulguée.
Cependant dans ce dernier cas, c’est-à-dire l’initiative populaire visant à l’abrogation totale ou partielle
d’une loi déjà en vigueur s’appelle référendum abrogatif ou abrogatoire.

8.2 La révocation populaire

Cette technique est très proche du veto populaire. Elle permet aux électeurs d'une circonscription,
toujours par le dépôt d'une pétition donnant lieu à votation, de mettre fin avant le terme normal à un
mandat électif. En d’autres termes, la révocation populaire consiste dans l’exercice du pouvoir reconnu
aux électeurs de mettre prématurément fin au mandat d’un agent élu. La Constitution du Venezuela,
approuvée par le référendum populaire le 15 décembre 1999, à travers son article 72, prévoit la
révocation populaire de certains élus par le biais du référendum.

8.3 L’initiative populaire

Elle confère au peuple le droit de proposer l'adoption d'une disposition constitutionnelle ou législative.
On parle d’initiative populaire lorsqu’il existe des procédures qui permettent à un nombre déterminé de
citoyens de déclencher un référendum portant sur l’adoption ou l’invalidation d’un acte législatif269. La
procédure débute par le dépôt d'une pétition270. Ensuite le principe de la révision constitutionnelle ou
de la modification législative est soumis aux organes représentatifs et si ceux-ci sont défavorables à
l'ensemble des électeurs par un référendum de consultation. Il reste ensuite à élaborer et faire ratifier le
projet de révision ou de modification.

8.4 Le droit de pétition

Il constitue une initiative permettant à la population de s’adresser directement à ses élus sur tel ou tel
problème, en général pour faire changer la législation271. En RDC, la Constitution du 18 février 2006
prévoit le droit de pétition. Il est rédigé en ces termes : « Tout Congolais a le droit d’adresser
individuellement ou collectivement une pétition à l’autorité publique qui y répond dans les trois mois.
Nul ne peut faire l’objet d’incrimination, sous quelque forme que ce soit, pour avoir pris pareille
initiative »272.

268 Ph. LAUVAUX et Armel LE DIVELLEC, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition mise à jour, Paris, PUF, 2015,
p. 143.
269 F. HAMON, « La loi référendaire », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit constitutionnel.

Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 573-603, spéc. p. 579.
270 Celle-ci constitue une faculté de saisir une autorité aux fins de lui soumettre certaines doléances ou de solliciter l’adoption de

certaines mesures particulières. La pétition peut être individuelle ou collective. Voy. G. MORBIDELLI, L. PEGORARO, A.
REPOSO, M. VOLPI, Diritto pubblico comparato, Turin, G. Giappicchelli Editore, 2004, p. 349. .
271 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 63.
272 Notre soulignement.

59
8.5 Le référendum

La cinquième et principale technique demeure le référendum. Celui-ci est la consultation des électeurs
sur une question ou sur un texte qui ne deviendra alors parfait et définitif qu'en cas de réponse positive.
Il peut s'agir d'un texte constitutionnel ou législatif. Le référendum est obligatoire pour la révision de la
Constitution dans certains Etats. C’est le cas en Suisse, en Irlande, au Danemark. Cette obligation a été
récemment introduite dans certains Etats latino-américains (Equateur, Colombie, Bolivie,
Venezuela)273. En RDC le référendum portant sur cet objet est facultatif. Le référendum peut être
consultatif ou décisionnel. Dans le premier cas il ne modifie pas le droit existant alors que dans le
deuxième la consultation est suffisante pour modifier le droit positif. Il est législatif ou constituant selon
la nature de la norme en cause. Il est abrogatif quand il peut entraîner l’abrogation d’un texte qui, si
cette procédure n’avait pas été mise en œuvre, aurait été définitivement adopté 274. Les différentes
techniques d’expression du peuple participent de mécanismes de la démocratie semi-directe pour
compléter la démocratie représentative la plus répandue dans plusieurs systèmes politiques et qui
traverse, dans plusieurs Etats une certaine crise et ce, au regard de l’écart qui se constate dans la pratique
entre la volonté des électeurs et les choix de leurs représentants.

9. Vers la crise de la démocratie représentative

Pour Dominique ROUSSEAU, l’expression de la volonté du peuple ne peut être qualifiée de directe que
si et seulement si tous les citoyens sont physiquement présents- et donc non représentés- sur une place
publique ou dans une assemblée pour délibérer sur les lois275. Une telle situation est impossible, d’où
l’émergence de la démocratie représentative qui, au cours de son histoire, rencontre une certaine période
que d’aucuns qualifient de crise de la démocratie représentative. A titre indicatif, BERTRAND
MATHIEU soutient que « la démocratie représentative ne fonctionne plus, ou fonctionne mal, car elle
n’est plus réellement la matrice de l’exercice du pouvoir (…). Le pouvoir est ailleurs, il est entre les
mains d’instances supranationales, non démocratiques (…), mais aussi des pouvoirs économiques
… »276.

La relation entre les citoyens électeurs et les représentants connaît aujourd’hui une crise de confiance
flagrante, ce qui pousse les citoyens à s’adresser à d’autres acteurs institutionnels ou à développer
d’autres formes de démocratie, à savoir la démocratie d’opinion véhiculée notamment à travers le
recours aux médias, aux réseaux sociaux, aux sondages etc.

L’évolution de la démocratie représentative a contribué à l’affaiblissement de la démocratie directe ou


semi-directe à telle enseigne que « loin d’être alternative, la représentation se présente comme exclusive
de la démocratie directe ». L’auteur écrit à ce propos : « le rôle historiquement conféré aux représentants
du peuple semble largement remis en cause, précisément parce que les circonstances ont conduit à faire
du Parlement un « souverain », y compris vis-à-vis du peuple par lui représenté, en ce que les citoyens
sont exclus de la faculté d’énoncer par eux-mêmes, sur les objets relevant des décisions de leurs députés

273 A propos des Etats latino-américains, voy. R.V. PASTOR et R.M. DALMAU, « Aspects généraux du nouveau
constitutionnalisme latino-américain », C.M. HERRERA (dir.), Le constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui ; entre
renouveau juridique et essor démocratique, Paris, Kimé, 2015, pp. 29-53, spéc. à la p. 42.
274 J-M. DENQUIN, « Référendums consultatifs », Pouvoirs, n° 77, 1995, pp. 81-95, spéc. à la p. 84.
275 D. ROUSSEAU, op.cit., p.136.
276 B. MATHIEU, « La crise de la démocratie représentative : constats et éléments d’application », Constitutions, 2015, pp.317-323,

spéc. à la p. 319.

60
élus une volonté autre que celle contenue dans ces décisions » 277. L’organisation du pouvoir a fait
l’objet d’une théorisation ayant abouti à la séparation des pouvoirs.

11. Le principe de la séparation des pouvoirs

F.1 Enoncé du principe ou théorie

La théorie de la séparation des pouvoirs avait été esquissée en Angleterre par John LOCKE dans son
Traité sur le gouvernement civil (1690). Mais elle sera systématisée par MONTESQUIEU dans son
ouvrage « L’esprit des lois »278 jusqu’à ce que le nom de ce dernier soit lié à la théorie de séparation des
pouvoirs. C’est avec MONTESQUIEU que la théorie de séparation des pouvoirs sera plus raffinée et
fera l’objet de plusieurs interprétations et même des critiques. Aujourd’hui la théorie de séparation des
pouvoirs est professée en s’inspirant principalement des écrits de MONTESQUIEU. Le pouvoir
démocratique doit être organisé de sorte à éviter qu'il ne dérive en despotisme et qu'il soit plus soucieux
de la protection des libertés fondamentales. Les valeurs sous-tendues et véhiculées par cette théorie ont
reçu une consécration organisationnelle avec Montesquieu qui a élaboré sa théorie à partir de
l'observation du fonctionnement du régime politique anglais. La séparation des pouvoirs conduit à un
système de gouvernement modéré reposant sur une différenciation des fonctions qui sont confiées à des
organes différents. Elle repose essentiellement sur deux règles : celle de la spécialisation (chaque organe
devrait exercer à titre principal une activité spécifique) et celle de l’indépendance organique (reflet de
l’équilibre entre les deux principaux pouvoirs : le législatif et l’Exécutif).

Dans la construction de Montesquieu, la séparation des pouvoirs est parfaitement compatible avec la
collaboration entre des organes séparés, telle par exemple, celle qui existe souvent entre le Parlement et
le Roi dans l'exercice de la fonction législative (initiative des lois, promulgation ou veto, etc.). Pour
Slim LAGHMANI, le principe de la séparation des pouvoirs doit être radicalement repensé du fait qu’il
est « illusoire s’agissant des pouvoirs exécutifs et législatifs, plutôt que de séparer ces pouvoirs, il s’agit
de délimiter leurs compétences législatrices respectives »279. Selon la Cour constitutionnelle de Hongrie,
la séparation des pouvoirs signifie la séparation des fonctions et des compétences les plus importantes
de l’Etat et qu’aucun pouvoir ne peut dessaisir un autre de ses fonctions280. C’est dans cette même
optique que s’était prononcé le conseil constitutionnel algérien281.

La théorie de la séparation des pouvoirs a connu des fortunes diverses au cours de son évolution. Elle
a subi de vives critiques et remises en cause. Même si elle a surmonté l'épreuve de l'usure des temps, la
théorie de la séparation des pouvoirs doit être relativisée, à la lumière de la dimension nouvelle qu'elle
emprunte actuellement dans les démocraties contemporaines.

L'observation du fonctionnement des régimes contemporains met en lumière un certain dépassement de


la séparation des pouvoirs en raison de la concentration du pouvoir d'Etat entre les mains d'une majorité
parlementaire. Joël MEKHANTAR écrit à ce propos en constatant l’archaïsme de la théorie de la

277 M. HAULBERT, « Le référendum d’initiative partagée : représentants versus représentés ? Commentaire des dispositions
législatives et organiques visant à l’application de l’article 11 de la Constitution », RDP, 2014, n° 6, pp. 1639-1665, spéc. à la p.
1643.
278 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 81.
279 Slim LAGHMANI, « Constitution et démocratie », in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris,

Economica, 2006, pp. 593-601, spéc. à la p. 599. Voy. aussi M. BARBERIS, « Le futur passé de la séparation des pouvoirs »,
Pouvoirs, n° 143, 2012, pp. 5-15.
280 Cour constitutionnelle de Hongrie, arrêt n° 42/2005 du 12 novembre 2005 cité par A. SOMA, « Le statut du juge

constitutionnel africain », F. J. AIVO (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges
en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Paris, L’Harmattan, 2014, pp. 451-480, spéc. à la p. 476.
281 Conseil constitutionnel. Décision n°02-D-CC-89 du 30 août 1989 : « (…). Considérant que le principe de séparation des pouvoirs

commande que chaque pouvoir exerce ses prérogatives dans le domaine que lui attribue la Constitution… ».

61
séparation des pouvoirs : « On peut donc dire que la distribution organique des fonctions ne recoupe
pas nécessairement la distribution organique des pouvoirs. Dans les démocraties parlementaires, on
observe d’ailleurs que la fonction législative est largement répartie entre le Parlement et le
Gouvernement, le Gouvernement tendant même à supplanter le Parlement dans beaucoup de pays. (…).
Au plan institutionnel, la fonction législative a été grandement absorbée par l’exécutif qui, non
seulement, a l’initiative de la presque totalité des lois votées par le Parlement, mais qui, de plus,
bénéficie souvent de mécanismes lui permettant d’imposer son point de vue dans la procédure
législative. Au plan politique, il n’existe pas d’opposition entre l’exécutif et la majorité législative dans
un régime parlementaire. Il n’y a donc pas séparation entre les pouvoirs, mais concentration du pouvoir
politique au profit de la ou des formations victorieuses »282.

Carlos-Miguel PIMENTEL, dans un article évocateur soutient que la séparation des pouvoirs est
devenue un sanctuaire vide. Son contenu a été vidé par l’apparition de deux notions entièrement
nouvelles ; celle d’un pouvoir judiciaire distinct de la fonction exécutive d’une part et celle d’un pouvoir
constituant placé au-dessus du pouvoir législatif ordinaire d’autre part283. Le principe de séparation des
pouvoirs sert comme l’un des critères dominants dans la classification des régimes politiques selon que
cette séparation est souple (régime parlementaire) ou rigide (régime présidentiel). Ces notions sont
développées dans le quatrième chapitre. L’Etat est aussi au cœur de la science politique. La définition
restrictive de l’objet de la science politique portait sur l’Etat. Il convient de procéder à une brève
anatomie de l’Etat.

282
J. MEKHANTAR, op.cit., pp. 80-86
283C.-M. PIMENTEL, “Le sanctuaire vide : la séparation des pouvoirs comme superstition juridique ? », Pouvoirs, 2002, pp. 119-
131, spéc. à la p. 127.

62
CHAPITRE III : L'ETAT

1. La notion d’Etat

L’Etat est au cœur de la science politique. Le mot « Etat » peut revêtir trois significations différentes :
Au sens large il désigne une collectivité humaine géographiquement localisée et politiquement
organisée, ayant généralement pour support sociologique une Nation. L’Etat s’identifie dans cette
conception à la nation. Cette identité entre la nation et l’Etat fut soulignée dès 1758 par VATTEL en
ces termes : « Toute nation qui se gouverne elle-même sous quelque forme que ce soit, sans dépendance
d’aucun étranger, est un Etat souverain. Ses droits sont naturellement les mêmes que ceux de tout autre
Etat. (…). Pour qu’une nation ait droit de figurer immédiatement dans cette grande société, il suffit
qu’elle soit véritablement souveraine et indépendante, c’est-à-dire qu’elle se gouverne elle-même par
sa propre autorité et par ses lois »284.

C’est ainsi que la notion d’Etat, selon le droit international, correspond à ce modèle d’organisation
politique qu’est l’Etat-nation285. La nation est comprise parmi les trois éléments essentiels de l’Etat
dégagés par Maurice Hauriou, en plus du gouvernement central et de l’idée et de l’entreprise de la chose
publique286. Il donne de la nation cette définition : « un groupement de formations ethniques primaires
chez lesquelles la cohabitation prolongée dans un même pays, jointe à de certaines communautés de
race, de langue, de religion et de souvenirs historiques, a dégagé une communauté spirituelle, base
d’une formation ethnique supérieure »287. La nation se conçoit aussi bien au sens objectif qu’au sens
subjectif. Au sens objectif elle repose sur certaines caractéristiques communes aux membres telles que
la race, la culture, la langue, la religion. C’est la conception allemande. Au contraire, au sens subjectif,
la nation renvoie à la volonté du vivre-ensemble au-delà des diversités. C’est la conception française.

L’Etat peut précéder la nation ou vice-versa. Ou prendre la forme d’un Etat-nation. Des nations sans
Etats existent et revendiquent parfois leur droit à l’Etat. Stéphane PIERRE-CAPS définit les nations
sans Etat comme « des collectivités qui entendent remettre en cause le cadre territorial et humain de leur
existence étatique présente par la revendication et l’affirmation d’une existence nationale propre. Elles
prétendent, en ce sens, opposer un droit à l’Etat contre l’Etat lui-même »288.

En Afrique, nous pouvons soutenir que l’Etat a précédé la nation au lendemain de l’accession à
l’indépendance et l’un des objectifs de premiers dirigeants était de construire les nations africaines
notamment par le biais de l’institution des partis uniques et une forte centralisation politico-
administrative. Est-il que les constituants africains utilisent parfois de manière interchangeable les deux
expressions « Etat » et « nation ». A titre indicatif, la quasi-totalité des Etats africains qui se sont dotés
de régimes parlementaires énoncent de manière peu variable que le gouvernement détermine et conduit
la politique de la Nation. Pour une partie de la doctrine africaine, les Etats africains présentent les
caractéristiques, non pas des Etats-nations, mais des Etats multinationaux289. Au sein d’un même Etat
284 Vattel cité par J.D. MOUTON, « Etat et nation en droit international : de la fondation à la déconstruction ? », in I. MINGASHANG
(dir.), La responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de la
pratique du droit par le Professeur Auguste Mampuya, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 177-193, spéc. à la p. 178.
285 J.D. MOUTON, « Etat et nation en droit international : de la fondation à la déconstruction ? », in I. MINGASHANG (dir.), op.cit.,

spéc. à la p.179.
286 M. HAURIOU, Principes de Droit constitutionnel, 2 è éd., Paris, Sirey, 1929, p. 79.
287
M. HAURIOU, Principes de Droit constitutionnel, 2 è éd., Paris, Sirey, 1929, p.80.
288 St. PIERRE-CAPS, « Le Droit constitutionnel et les nations sans Etat : le constitutionnalisme face à l’historicisme », Civitas

Europa, 2017/1, n° 38, pp. 43-57, spéc. à la p. 43. L’auteur cite tour à tour les tentatives de sécession du Québec, de l’Ecosse et de
la Catalogne. Si dans les deux premiers cas le cadre constitutionnel est flexible du fait qu’un accord avec le gouvernement central
est possible, en Espagne le cadre constitutionnel est verrouillé.
289 MWAYILA TSHIYEMBE, Etat multinational et démocratie africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, L’harmattan,

2002.

63
peuvent cohabiter plusieurs nations constitutives de l’Etat, comme c’est le cas en Bosnie-Herzégovine
ou encore certains Etats mettent l’accent sur ce caractère plurinational de l’Etat. C’est le cas de la
République plurinationale de la Bolivie. Les caractéristiques culturelles d’un Etat peuvent donner lieu
à un Etat multiculturel. Ces caractéristiques peuvent être prises en compte dans la recherche de la forme
optimale ou appropriée de l’Etat.

Dans un sens plus restreint l'Etat indique, au sein de cette société politique organisée, les pouvoirs
publics, c'est-à-dire les gouvernants par opposition aux gouvernés. On parlera par exemple de la place
du Chef de l'Etat dans le régime politique. C’est la conception de l’Etat-gouvernement. Dans un
troisième sens encore plus étroit l'Etat peut s'identifier, au sein des pouvoirs publics, au pouvoir central
par rapport à ses démembrements que représentent les collectivités locales. On parlera par exemple de
la tutelle de l'Etat sur les régions, communes et communautés rurales ; des compétences du pouvoir
central et des provinces ou des collectivités décentralisées etc.

En science politique comme en Droit constitutionnel, l'Etat peut être utilisé tantôt dans un sens tantôt
dans un autre mais le sens large est le mieux à même de rendre compte de la consistance du phénomène
étatique.

La notion d’Etat est liée à celles de pouvoir souverain, d’organisation permanente, de territoire et de
population. L’Etat peut être défini, selon Renaud Denoix de Saint Marc, d’un point de vue institutionnel
comme l’autorité souveraine qui exerce son pouvoir sur la population habitant un territoire déterminé
et qui, à cette fin, est dotée d’une organisation permanente. L’autorité souveraine, c’est celle qui est
capable d’imposer sa volonté, à l’intérieur du cadre géographique où elle est installée, tout à la fois aux
individus, aux groupements que ces derniers ont pu constituer ainsi qu’aux collectivités à assise
territoriale dans lesquelles ils se sont, en général, regroupés. L’autorité souveraine est également celle
qui est capable de traiter d’égal à égal avec les autres sujets de la Communauté internationale290. L’Etat,
c’est donc l’institution qui détient le pouvoir politique et au nom de qui ce pouvoir s’exerce. C’est
pourquoi Georges Burdeau le définit comme le pouvoir institutionnalisé291. En tant que personne
morale, l’Etat a des droits et des obligations.

L’Etat peut aussi être défini dans une optique sociologique en tant que phénomène social, c’est-à-dire
en tant que produit spécifique de la société parvenue à un stade déterminé de son évolution. Cela
implique la nécessité de tenir compte de la réalité telle qu’elle évolue dans le temps, donc de l’histoire292.

Hugues Dumont et Mathias retiennent trois définitions de l’Etat selon quatre points de vue : juridique,
de la sociologie politique et de la philosophie. Du point de vue juridique, l’Etat est le titulaire abstrait
d’un pouvoir souverain et institutionnalisé. Du point de vue de la sociologie politique, celle-ci
s’intéresse à l’Etat comme fait social. Elle est la branche de la sociologie qui étudie le pouvoir politique
tel qu’il se forme, s’exerce et disparaît de fait. Le Droit public est axé, par contre, sur les règles de droit
qui prescrivent comment les pouvoirs institués dans l’Etat doivent être exercés. Les deux disciplines ont
vocation à se compléter. La particularité de l’approche sociologique et qui fait son intérêt pour les
Constitutionnalistes, c’est de centrer l’attention sur ces conditions de fait sans lesquelles cette
institutionnalisation et cette souveraineté seraient purement formelles. La philosophie politique cherche
à comprendre et à évaluer les concepts, les principes et les catégories qui structurent la vie politique.
Elle porte ses interrogations sur la légitimité de l’Etat, sur ses fondements, son rôle et ses finalités. Son
apport à la définition de l’Etat consiste dans sa réflexion sur ce qui différencie l’Etat d’une simple

290 Renaud DENOIX de Saint Marc, L’Etat, 3è éd., Paris, PUF, 2012, p. 3.
291 B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science politique, 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p. 10 et s.
292 P.-F. GONIDEC, Les systèmes politiques africains. 3 éd. Les nouvelles démocraties, Paris, LGDJ, 1996, p. 2.

64
structure de pouvoir détentrice du monopole de la violence physique autorisée. Ce qui spécifie l’Etat,
ou qui devrait le spécifier, c’est sa finalité qui n’est autre que la recherche du juste et du bien commun293.

Max WEBER définit l’Etat à partir de l’une de ses caractéristiques, à savoir la violence. Pour lui il faut
concevoir l’Etat contemporain comme « une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire
déterminé ,- la notion de territoire étant l’une de ses caractéristiques-, revendique avec succès pour son
propre compte le monopole de la violence physique légitime »294. L’origine de l’Etat, selon les diverses
théories, est à rechercher soit dans un fait naturel insusceptible d’explication juridique (thèse du conflit
ou thèse marxiste), soit dans l’accord intervenu entre les membres d’une société ou encore dans les
événements accidentels. Il convient à ce niveau de passer en revue les différentes théories de la
sociogenèse de l’Etat.

2. La Sociogenèse de l’Etat
Plusieurs thèses ou théories ont été échafaudées pour rendre compte de la naissance du fait étatique. Les
principales théories sont évoquées ci-dessous.

A. Théories de la naissance de l’Etat et le fait étatique

A.1 Les théories conventionnelles de l’Etat


Plusieurs théories ont été échafaudées pour rendre compte de la naissance de l’Etat. Parmi ces théories
figurent celles du conflit ou d’un contrat à la suite desquels les acteurs ont décidé de créer l’Etat en lui
conférant la puissance. A titre indicatif selon Hobbes (dans son livre le Léviathan), l’Etat est le résultat
d’un contrat passé entre tous les individus, contrat en vertu duquel ces derniers ont renoncé à leurs droits
en faveur d’un seul individu qui a, alors, concentré les pouvoirs dans ses mains et créé l’Etat295. Pour
lui, les hommes vivaient dans un état de nature avant l’apparition du pouvoir politique, un état
caractérisé par l’anarchie où chacun cherchait à opprimer les autres. Pour sortir de cette situation, ils
ont conclu entre eux un contrat qui instituait un Etat garant de l’ordre. Mais le monarque placé à la tête
de cet Etat est resté extérieur à ce Pacte296.

Cette conception de Thomas Hobbes a été repensée par John Locke. Pour lui, les hommes de l’état de
nature étaient relativement heureux et ils n’ont voulu instituer l’Etat que pour accéder à un bonheur plus
complet par une vie collective plus dense. Le contrat qu’ils ont conclu à cette fin a été passé par chacun
d’eux avec le futur monarque, à charge pour celui-ci de respecter les libertés et la propriété de ses sujets.
La violation du Pacte par le prince dispense ses sujets de lui obéir297.

Pour Jean-Jacques Rousseau, dans l’état de nature298, les hommes étaient initialement heureux et libres.
Mais par suite du développement de l’inégalité entre eux, les rapports entre les individus se sont peu à

293H. DUMONT, et M. EL BERHOUMI, Droit constitutionnel. Approche critique et interdisciplinaire, Bruxelles, Larcier, 2021, pp.
67-181.
294 M. WEBER, Le savant et le politique. Traduit de l’allemand par Julien FREUND, révisé par E. FLEISCHMANN et E. DE

DAMPIERRE, Paris, Plon, 1963, p. 125.


295 J.P. LOBHO LWA DJUGUDJUGU, Le Congo à l’épreuve de la démocratie. Essai d’histoire politique, Kinshasa, Presses de

l’Université de Kinshasa (PUK), 2006, p. 44.


296 CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p. 14
297 CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p. 14.
298 Dans la littérature philosophique classique, le concept d’état de nature sert à identifier (mythologiquement) ce qui précède
l’avènement de la société. Dans les versions idylliques mais irréalistes, la violence n’existe pas ; au contraire, elle est celle de tous
contre tous dans les versions les plus pessimistes. Voy. Ph. BRAUD, « La science politique, science du pouvoir ? », in J.-V.
HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp.
65-73, spéc. à la p. 71

65
peu dégradés, et pour vivre plus libres et plus heureux, ils se sont résolus à conclure, chacun avec tous
les autres, un pacte par lequel ils s’engagent- non pas, comme le croit Hobbes, à obéir à un prince- mais
à se conformer à la volonté générale. Ce faisant, l’homme n’a rien perdu de sa liberté, mais celle-ci a
changé de nature : il obéit à la volonté générale, mais en échange il participe à l’élaboration de celle-ci.
La volonté générale s’exprime dans la Loi qui traduit l’intérêt général299.

Pour Olivier Babeau, les théories du contrat social ont inspiré les premiers régimes démocratiques de
l’ère moderne en Amérique et en France. Elles s’opposent aux conceptions théocratiques du Moyen
Age et renouvellent profondément les théories antiques. Selon elles, les hommes ne peuvent devenir
libres en société que s’ils abandonnent volontairement, par une sorte de contrat mythique, une partie de
leur liberté au profit d’une entité supérieure. Chez Thomas HOBBES, qui met l’accent sur la sécurité,
cette entité est le Léviathan, qui permet d’éviter la guerre de tous contre tous. Chez John LOCKE, le
contrat garantit le respect des droits naturels que sont la liberté et la propriété privée.

La troisième grande théorie du contrat social est celle de Jean-Jacques ROUSSEAU contenue dans son
ouvrage éponyme « Le contrat social » paru en 1762. Pour lui, l’homme est naturellement bon mais la
société le corrompt. Cette corruption, c’est l’égoïsme, autrement dit le fait d’être intéressé à son intérêt
privé. Alors que l’état de nature est caractérisé par l’altruisme et le sens de la communauté, la civilisation
a fait grandir l’individualisme. L’Etat est là pour y remédier. Il ne s’agit plus ici, comme chez HOBBES
et LOCKE, de garantir les bases de la liberté pour que l’individu puisse développer sa propre volonté,
mais de la contenir dans la mesure où elle ne correspond pas à la notion d’intérêt général. En son nom
l’intérêt individuel pourra être piétiné ; il sera même souhaitable qu’il le soit puisque le désir de
l’homme civilisé- et en tant que tel corrompu par la société- est par définition déviant300. Ces théories
ne sont pas scientifiquement prouvées. Pour Bernard Chantebout, les auteurs des théories
conventionnelles de l’Etat sont parfaitement conscients que le contrat social ou le pacte de sujétion n’a
jamais eu de réalité historique et ne peut intervenir qu’à titre d’hypothèse logique pour fonder leurs
démonstrations. Cependant, en recourant à de telles formules, on postule implicitement qu’à l’origine
les hommes étaient libres et que la création de l’Etat procède de leur libre volonté301.

A côté des théories conventionnelles de l’Etat, d’autres ont été proposées, notamment la théorie
hégélienne, socialiste et institutionnaliste de l’Etat.

A.2 Théorie hégélienne


Hégel (fondateur de la méthode dialectique) axe la réflexion, non pas sur les origines de l’Etat, mais sur
la fonction de l’Etat à partir de laquelle il entend découvrir la nature de l’Etat. Pour lui, l’Homme
moderne est pris dans une contradiction entre son individualisme qui le pousse à promouvoir son intérêt
particulier, et sa raison, qui lui fait entrevoir que sa personnalité ne saurait vraiment s’accomplir que
dans l’intérêt universel. Dès lors la fonction de l’Etat consiste à réaliser la conciliation du particulier et
de l’universel et de surmonter l’opposition entre l’individu et la collectivité.

A.3 Théories marxistes de l’Etat

Pour les doctrines socialistes de l’Etat il convient d’évoquer la théorie marxiste de l’Etat exposée par
Lénine. Pour les marxistes-léninistes, la première idée importante est que la société est divisée en classes
sociales, c’est-à-dire en groupes identifiés par leur place dans la production économique. Par conséquent

299 CHANTEBOUT, B., op.cit., p. 14.


300 O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris, Manitoba/Les belles lettres, 2017, p. 40.
301 CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p. 15

66
l’Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d’oppression d’une classe par une
autre302. La nature de l’Etat a aussi intéressé les juristes qui l’analysent comme étant une institution ou
une personne morale ayant des droits et des obligations. Maurice Hauriou est présenté comme celui qui
incarne mieux cette idée institutionnelle de l’Etat.

A.4 la théorie juridique de l’Etat ou théorie de l’institution


Maurice Hauriou développe la nature institutionnelle de l’Etat dans ses différents travaux entre 1906 et
1929 sur la théorie de l’institution. Il constate que de la volonté d’un certain nombre d’individus de
mettre en commun les moyens dont ils disposent en vue de la poursuite d’un but déterminé, le droit fait
naître des institutions auxquelles il confère la capacité juridique d’agir, de contracter, d’ester en justice.
de telles institutions sont nombreuses aussi bien en droit privé qu’en droit public. L’Etat est l’une d’elles.
Il constitue une institution fondée au départ par le groupe des détenteurs du pouvoir et à laquelle les
gouvernés ont ultérieurement apporté leur adhésion. Mais l’Etat constitue une personne morale d’un
type spécial du fait que ses fondateurs ont mis à sa disposition lors de sa création, non pas leurs capitaux
comme dans le cas d’une société, ni leurs efforts comme dans celui d’une association. Ce qu’ils lui ont
donné c’est le pouvoir politique. Par conséquent, l’Etat est l’institution détentrice du pouvoir politique
et au nom duquel ce pouvoir s’exerce303.

A.5 La théorie socio-historique de l’Etat


Les progrès accomplis par l’analyse sociologique et l’histoire des institutions permettent aujourd’hui
une meilleure compréhension de l’origine du pouvoir politique et de la formation de l’Etat. Toute société
est formée de la juxtaposition d’un certain nombre de communautés naturelles poursuivant chacune
leurs fins propres. Ces communautés sont dirigées par un petit groupe d’hommes (oligarchies) qui les
dirigent selon un certain projet d’organisation sociale. Ces oligarchies organisent la société en fonction
des fins qui sont les siennes. Ces oligarchies disposent ainsi du pouvoir politique que Bernard
Chantebout définit comme le pouvoir d’organiser la société en fonction des fins qu’on lui suppose. C’est
alors que naît l’Etat304.

B. La dynamique de l’Etat
Certains auteurs mettent l’accent sur l’évolution historique de l’Etat à travers ses différentes
manifestations. A. Spadaro retrace en ces termes l’évolution de l’Etat. En tant que toute organisation
juridico-politique d’une société donnée (…), l’Etat serait par exemple constitué par l’organisation
sociale la plus élémentaire, de type tribal, dans laquelle les coassociés ont en commun leur appartenance
à un même lien parental, à un clan, une lignée, ou gens. Il constate que le passage de l’Etat nobiliaire, à
l’origine le plus souvent nomade et donc sans liens particuliers avec le sol et l’environnement, au choix
de la gens de s’établir sur un territoire donné conduit à l’Etat territorial. Par la suite, la transformation
du territoire et du peuple de « patrimoines » personnels du souverain (appelé Etat féodal-patrimonial)
directement aux éléments constitutifs de l’Etat permet de faire la distinction entre droit privé et droit
public et annonce l’évolution de l’Etat pré moderne à l’Etat moderne305.

L’Etat résulte d’une évolution historique de la nation, du moins dans une perspective européiste. Pour
Maurice Hauriou, il n’y a Etat, au sens propre du mot, que lorsque, dans une nation, s’est instauré le
régime civil, c’est-à-dire, lorsque le pouvoir politique de domination s’est séparé de la propriété privée,

302 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 19.


303 B. CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique. 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p.16 et s.
304 B. CHANTEBOUT, op.cit., p. 20 et s.
305 A. SPADARO, « Les évolutions contemporaines de l’Etat de droit », Civitas Europa, 2016, n° 2, pp. 95-120, spéc. à la p. 95.

67
a revêtu l’aspect d’une puissance publique, et qu’ainsi s’est opérée une séparation de la vie publique et
de la vie privée avec accompagnement d’organisation corporative306.

L’Etat comme forme n’est pas stable. Il évolue et se cabre, comme l’écrit Jean-Jacques SUEUR, à
l’occasion et dans certaines circonstances. Cela s’appelle la crise et prive de toute valeur l’exercice assez
stérile qui consiste à établir son acte de naissance ou parallèlement, à prévoir sa mort prochaine. Dans
certaines zones géographiques du monde l’Etat apparaît comme le résultat d’un processus complexe de
stratification sociale307.

Dans une perspective européiste, l’Etat serait né au lendemain des traités de Westphalie consécutifs à
la guerre de Trente ans (1618-1648). C’est dans cette perspective que Jean Denis MOUTON note que
l’Etat moderne (du moins dans la conception européenne- et c’est nous qui ajoutons), renvoie à un
phénomène de domination politique qui réalise une unité s’imposant aux micropouvoirs de la féodalité
mais aussi s’émancipant de ces macropouvoirs que furent la papauté et l’empire308.

D’autres formes semblables à l’Etat moderne étaient manifestes dans d’autres régions du monde à
travers les empires, les tribus, les chefferies etc. C’est pour dire, avec Thomas MAWANZI
MANZENZA que l’Etat, par son caractère polysémique, est un vocable qui est communément admis
pour désigner des groupes extrêmement variés qui exercent le pouvoir politique309. La plupart des Etats
africains sont nés à travers le processus de décolonisation culminé par l’accession à l’indépendance.
D’autres Etats naissent à partir du démembrement d’un Etat prédécesseur310 ou encore à la suite d’une
fusion311, de la sécession312, d’un accord international313 ou d’une résolution d’une organisation
internationale314. Toutes ces différentes modalités attestent la difficulté de situer la création d’un Etat
de manière globale et universelle. Les modalités sont différentes.

Ces différentes théories ainsi que les péripéties de la création et de l’évolution de l’Etat nous ont permis
de dégager la sociogenèse de l’Etat qui ne peut se réduire à une seule explication et qui n’a pas connu
la même trajectoire dans son évolution. Certains auteurs évoquent l’idée d’un Etat postmoderne. En
évoquant l’Etat postmoderne, Jacques CHEVALLIER définit une configuration étatique nouvelle
marquée par son caractère indéfini : tout se passe comme si l’on assistait à la remise en cause des
attributs classiques de l’Etat mais sans qu’il soit possible pour autant de tracer d’une main ferme les
contours d’un nouveau modèle étatique : l’Etat postmoderne est un Etat dont les traits restent,
précisément, et en tant que tels, marqués par l’incertitude, la complexité, l’indétermination : et ces
éléments doivent être considérés comme des éléments structurels, constitutifs de l’Etat contemporain.
Particulièrement perceptible en Occident, cette remise en cause serait précipitée par une série de

306
M. HAURIOU, Principes de Droit public, 2 è éd., Paris, Sirey, 1916, p. VII.
307 J.-J. SUEUR, « Méthodologie de l’Etat », Civitas Europa, 2018, n° 1, pp. 37-51, spéc. à la p. 49.
308 J.D. MOUTON, « Etat et nation en droit international : de la fondation à la déconstruction ? », in I. MINGASHANG (dir.), La

responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de la pratique
du droit par le Professeur Auguste Mampuya, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 177-193.
309 Th. MAWANZI MANZENZA, Les dérives de l’Etat postcolonial en République démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan,

2018, p. 7.
310 La République tchèque et la Slovaquie sont issues du démembrement de la Tchécoslovaquie ; la Slovénie, le Monténégro, la

Serbie, la Croatie…sont issus du démembrement de l’ancienne fédération yougoslave.


311 Les deux Allemagnes à partir de la réunification de 1990.
312 Le Kosovo de la Serbie en 2008; le Sud Soudan du Soudan en 2011 ; l’Erythrée de l’Ethiopie en 1993.
313 La création de l’Etat de la Cité du Vatican à travers la conclusion des Accords de Latran du 11 février 1929 . Nous pouvons aussi

citer la naissance de Singapour à travers la conclusion d’un Accord relatif à la Constitution de Singapour en tant qu’Etat indépendant
et souverain, détaché de la Malaisie signé à Kuala-Lumpur, le 7 août 1975.
314 Israël a été créé en 1948 sur la base de la Résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1947

relative au partage de la Palestine.

68
mutations socio-économiques (déclin industriel et centralité des activités de service, mobilité accrue des
travailleurs, des marchandises et des capitaux, impact de l’information et du numérique etc315.

Pour Jacques CHEVALLIER, l’Etat post-moderne postule une redéfinition des fonctions étatiques.
L’Etat n’a plus d’essence stable et son avenir reste indéterminé. Par ailleurs, les configurations étatiques
restent bien diverses et variant en fonction des traditions mais aussi des conjonctures propres à chaque
pays. En dépit des différences, il constate certaines tendances communes notamment le principe de
subsidiarité (l’intervention de l’Etat n’est légitime qu’en cas d’insuffisance ou de défaillance des
mécanismes d’auto-régulation sociale), la suppléance ( l’Etat encourage les initiatives des acteurs
sociaux); la proximité ( que les problèmes soient traités d’abord au niveau où ils se posent pour les
citoyens); le partenariat ( le fait d’associer les acteurs sociaux à la mise en œuvre des actions
publiques316.

3. Les éléments constitutifs de l’Etat


En tant que phénomène politico-social, l’existence d’un Etat requiert la réunion de trois éléments
constitutifs : un territoire, une population et des pouvoirs publics. Le premier avis rendu le 29 novembre
1991 par la Commission d’arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie avait
repris les trois premiers critères : « L’Etat est communément défini comme une collectivité qui se
compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir organisé ; la reconnaissance par les
autres Etats a des effets purement déclaratifs ; l’existence ou la disparition de l’Etat est une question de
fait ».

Sur le plan international, la définition de l’Etat faisant « autorité » et qui relèverait du droit coutumier
est celle dégagée par la Convention de Montevideo signée le 26 décembre 1933 par certains Etats du
continent américain, notamment les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie. L’article
premier de cette Convention concernant les droits et devoirs des Etats énonce les quatre conditions de
l’Etat comme personne de Droit international : I. Population permanente. II. Territoire déterminé. III.
Gouvernement. IV. Capacité d'entrer en relations avec les autres Etats. Cette Convention se prononce
également sur la valeur de la reconnaissance. L’existence politique d’un Etat est indépendante de sa
reconnaissance par les autres Etats. La reconnaissance d'un Etat signifie tout simplement que celui qui
le reconnaît accepte la personnalité de l'autre avec tous les droits et devoirs d6terminés par le Droit
international. La reconnaissance est inconditionnelle et irrévocable. En d’autres termes la
reconnaissance d’Etat n’est plus un acte constitutif d’un Etat, mais revêt une valeur tout simplement
déclarative permettant à l’Etat reconnu et à celui qui le reconnaît d’entretenir des relations, notamment
diplomatiques.

La capacité d’un Etat d’entrer dans les relations avec les autres Etats est un attribut inhérent à tout Etat
qui, de par cette qualité, est sujet de droit international. Cette condition est superfétatoire, car elle colle
à la « peau » d’un Etat et elle constitue l’une des manifestations de la souveraineté internationale d’un
Etat.

Toutes ces précisions étant apportées, les trois conditions essentielles permettant de rendre compte de
l’existence d’un Etat sont constitués par les trois éléments suivants : humain (population) ; matériel
(territoire) et politique (gouvernement). L’une des caractéristiques principales de l’Etat est la
souveraineté.

315 J. CHEVALLIER, L’Etat postmoderne, 5è éd., Paris, LGDJ, 2017 cité par Chr. ROUX, « L’Etat », in Ch. ROUX et E.
SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 63-76, spéc. à la p. 75 et s.
316 J. CHEVALLIER, op.cit., p. 65.

69
4. L’Etat et la souveraineté
La souveraineté est une caractéristique essentielle de l'Etat dont elle est une condition nécessaire et
suffisante d'existence. Attribut juridique de l'Etat, la souveraineté traduit son indépendance et justifie
les droits régaliens qui lui permettent de s'organiser librement sans aucune ingérence d'un autre pouvoir.
Jean BODIN a théorisé la souveraineté comme principe d’indépendance des Etats modernes. Il la
définissait comme le pouvoir de fabriquer la loi, de battre monnaie, de rendre la justice et de décider de
la guerre et de la paix317. Juger, légiférer, battre monnaie et lever des impôts, faire la paix et la guerre,
tels sont les points d’ancrage d’une vision globale du pouvoir souverain318. La souveraineté peut être
envisagée sous deux angles : elle peut être interne ou externe.

Au plan interne, l’Etat dispose d'une liberté absolue pour définir son régime constitutionnel ou régir les
domaines politique, économique, culturel et social. Dans sa sphère territoriale, l'Etat jouit d'une
supériorité absolue non seulement sur les individus, mais aussi sur les groupements publics ou privés
vivant à l'intérieur de son territoire. Il détermine lui-même ses propres compétences et ses propres règles
fondamentales. Toutefois il est tenu par les règles de droit qu'il a lui-même posées. En outre cette
souveraineté est exercée dans les limites consenties par le droit international. Etudiant les implications
de la souveraineté interne, Blaise KNAPP conclut que sur le plan interne, la souveraineté théorique est
remise en question par les activités quasi-étatiques développées par les privés dans le cadre admis par
l’Etat et par l’influence exercée par les moyens modernes de communication sur les citoyens qui
constituent le souverain319.

La souveraineté est aussi externe. Critère de l'Etat en droit international, la souveraineté externe,
également appelée souveraineté de l'Etat ou souveraineté internationale, se traduit par son
affranchissement de toute forme de domination dans le commerce juridique international. La
souveraineté est à la fois le fondement de la compétence internationale et de l'indépendance de l'Etat.
L’Etat n'est soumis à aucun pouvoir politique de décision supérieur. Dans ses relations avec les autres
sujets de droit international, l’Etat bénéficie d'une indépendance complète qui est la condition de la
souveraineté. Toutefois, ces considérations méritent d’être relativisées dans le monde d’aujourd’hui.
Nous souscrivons aux considérations ci-dessous développées par Blaise KNAPP à propos de la
souveraineté aussi bien interne qu’externe : « En un mot, la souveraineté n’est plus absolue, si elle l’a
jamais été ; elle est de plus en plus relative non seulement en raison de l’internationalisation des
problèmes dans le cadre de la mondialisation mais aussi à cause de la réduction du rôle des Etats dans
la vie sociale et de la multiplication des sources d’influence sur les citoyens chargés de l’exprimer »320.

5. L’évolution des fonctions politiques de l’Etat


Confiné principalement à ses débuts à un rôle de gendarme, c’est-à-dire, qu’il devait s’abstenir de
s’ingérer dans la conduite des affaires publiques pour se limiter à ses fonctions régaliennes
essentiellement axées sur le maintien de l’ordre et la sécurité au sein de ses frontières, le rôle de l’Etat
étudié du point de vue de la perspective européenne, a évolué, surtout après les deux guerres mondiales
pour que ce dernier s’impliquât dans la gestion des crises économiques. Il devait intervenir dans
l’économie et améliorer le social à travers les différentes prestations qu’il devait fournir. L’Etat n’était
plus uniquement gendarme, mais son intervention dans le domaine économique et social lui confère une
autre mission, celle de l’Etat-providence, celui qui doit pourvoir aux besoins essentiels de sa population.
Aujourd’hui l’Etat est devenu lui-même entrepreneur, partenaire de l’économie, régulateur de

317 D.ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Editions du Seuil, 2019, pp. 196-199.
318 A. RIGAUDIERE, « L’invention de la souveraineté », Pouvoirs, n° 67, 1993, pp. 5-20, spéc. à la p. 11.
319 Bl. KNAPP, « L’Etat souverain en 2006 : théorie et réalité ? », Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre PUISSOCHET. L’Etat

souverain dans le monde d’aujourd’hui, Paris, Pédone, 2008, pp. 145-152, spéc. à la p. 152.
320 Bl. KNAPP, art.cit., p. 152.

70
l’équilibre et du progrès économique et social. Il doit satisfaire les revendications de ses citoyens sans
cesse croissantes. Dans la réalisation de ces missions d’autres sujets interviennent en lui assurant la
complémentarité ou même la concurrence. Brièvement nous pouvons retracer cette évolution du rôle de
l’Etat.

A. L’Etat régulateur
Jusqu’au XVIII è siècle, l’Etat exerce essentiellement des fonctions régaliennes : militaires (conduite
de la guerre et défense du territoire), policières (maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières),
judiciaires et fiscales (prélèvement de l’impôt), en s’appuyant sur la mise en place d’instruments
administratifs (police, armée, justice, administration fiscale, administration territoriale…) et la
production de règles de droit distinctes des règles coutumières321. A noter que cet Etat « régulateur » est
appelé par Pascal Delwit l’Etat minimal car l’essentiel de ses pouvoirs réside dans les pouvoirs de police
ou des pouvoirs militaires pour assurer la sécurité intérieure et extérieure, et ses principaux corps, outre
celui des Finances puisqu’il détient le monopole de battre monnaie, sont l’armée, la police et la
magistrature. Les fonctions de cet Etat sont contenues. Elles sont souvent qualifiées de gendarme ou
régaliennes. Cet Etat minimal se confond avec la vision libérale de l’Etat322. Jean-Paul Valette apporte
une certaine nuance de l’Etat-gendarme. Pour lui, il ne faut pas avoir une vision trop simpliste de l’Etat-
gendarme qui le réduirait à un Etat minimal. Il n’a jamais été conçu ainsi. Du début de la Révolution
(1789) à la fin de la Monarchie de Juillet (1848), les pouvoirs publics ont bénéficié de prérogatives
certes limitées, mais déjà en extension, surtout en matière administrative323.

L’Etat régulateur a été contrarié dans son évolution par plusieurs événements justifiant l’abandon de
cette conception de l’Etat minimal en faveur d’une intervention de l’Etat dans d’autres domaines. C’est
l’avènement de l’Etat protecteur.

B. L’Etat protecteur
Une nouvelle rupture décisive se produit à la fin du XIX è siècle avec l’avènement de l’Etat protecteur
qui correspond à l’apparition de politiques publiques d’un autre type : celui des politiques
redistributives. Elles traduisent le passage d’une conception individuelle de la responsabilité à une
conception collective, comme l’illustre la mise en place de systèmes d’assurance collective pour les
accidents du travail. La protection étatique s’étend désormais par-delà la sécurité physique. Il s’agit de
prémunir les individus face à différents risques : travail, maladie, vieillesse, chômage. La mise en place
de cet ancêtre de l’Etat providence est également une réponse à l’essor du mouvement ouvrier et du
socialisme. L’Etat protecteur est producteur de sécurité et réducteur d’incertitudes324.

C. L’Etat providence
Le clivage classique entre un Etat-gendarme replié sur ses fonctions régaliennes (défense, affaires
étrangères, ordre public, finances, justice) et un Etat-providence soucieux d’intervenir dans les
domaines les plus divers ne doit pas être entendu strictement. En outre, il serait difficile de dater
précisément le moment où l’une d’entre elles l’emporta. Les conséquences parfois désastreuses de
l’industrialisation sur la condition ouvrière poussent l’Etat à multiplier les règlementations au milieu du
XIX è siècle aussi bien sociales qu’économiques. La marche vers l’Etat-providence est en route même
si elle ne devient totalement évidente qu’au début du siècle suivant325.

321 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 44 et s.
322 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 55.


323 J.-P. VALETTE, Droit des services publics. 3è éd., Paris, Ellipses, 2020, p. 36.
324 P. ROSANVALLON, La crise de l’Etat-providence, Paris, Editions du seuil, Essais, 2015, p. 22.
325 J.-P. VALETTE, Droit des services publics. 3è éd., Paris, Ellipses, 2020, p. 37 et s.

71
La place des politiques redistributives a été renforcée sous l’effet des deux guerres mondiales qui
accentuent la tendance à l’intervention de l’Etat. Dans cette nouvelle fonction, l’Etat étend des systèmes
de protection sociale (généralisation des assurances sociales). L’Etat-providence est également appelé
Etat social (Welfare State, littéralement Etat de bien-être). La question sociale voit un changement de
paradigme. De manière schématique, jusqu’ à l’aube du XX è siècle, la question sociale est réglée sous
l’angle de la handicapologie : ont droit à une aide sociale les individus qui ne sont pas à même de
subvenir à leurs besoins- vieillards, invalides, malades surtout. La logique est donc assistantielle pour
une partie de la population. La période de l’entre-deux-guerres marque la transition entre cette
dynamique et la logique assurantielle qui prévaut dans l’Etat social. Dans la dynamique assurantielle,
l’optique est de s’assurer contre certains risques sociaux de la société. Cela conduit à la sécurité sociale
moderne, gestionnaire des risques. La sécurité sociale recouvre l’accès aux soins de santé, aux
allocations en fonction des besoins- allocations familiales, de chômage , la pension, etc. Le temps de
déploiement optimal de l’Etat social est souvent identifié aux Golden Sixties (les années soixante).
(1945-1975)326.

Depuis les années 1970, les politiques redistributives et d’intervention économique directe ont été
progressivement mises en cause, ce qui a conduit à l’affirmation d’un Etat devenu essentiellement
régulateur, intervenant plus indirectement que directement. L’Etat agit en interaction avec des acteurs
non étatiques327. L’Etat-providence est en crise dans de nombreux industrialisés pour des raisons liées,
entre autres à l’accroissement des dépenses sociales. L’Etat néo-libéral qui s’en est suivi et répandu à
partir de la fin des années 1970 est entré en crise à partir de 2007. Son alternative réelle consiste dans
l’Etat social et son fondement politique est la démocratie328.

D. L’Etat social
Christophe RAMAUX retient de l’État social une définition large, autour de quatre piliers : la protection
sociale, la réglementation des rapports de travail (droit du travail, négociation collective, etc.), les
services publics et les politiques économiques (budgétaire, monétaire, commerciale, des revenus, etc.)
de soutien à l’activité et à l’emploi. Chacun des piliers joue un rôle important dans la régulation des
économies. Les économies de marché ou les mono-capitalistes partagent leur place avec des économies
mixtes, avec du marché, du capital, mais de l’économie sociale (associations, mutuelles,
coopératives…) et plus encore de l’intervention publique. L’État social et ses quatre piliers existent
dans la quasi-totalité des pays du monde329.

E. L’Etat de droit
L’Etat se présente aujourd’hui, du point de vue de l’évolution juridique comme un Etat de droit ou tout
au moins l’Etat de droit constitue l’aspiration de la plupart des Etats. Pour Jacques Donnedieu de Vabres,
l’Etat moderne est un Etat de droit. Cette formule signifie d’une part que l’action de l’Etat est soumise
à des règles constantes et sûres, et d’autre part que les individus peuvent exiger le respect de ces règles
en faisant valoir devant des juges indépendants les droits qu’elles leur confèrent à l’encontre de l’Etat330.

L’une des caractéristiques de l’Etat réside dans la distribution du pouvoir en son sein entre le centre et
les différentes collectivités territoriales ou périphéries selon que l’essentiel du pouvoir est concentré,

326 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018., p. 63.
327 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 46-47.
328 Ch. RAMAUX, L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2012,.
329 Ch. RAMAUX, L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2012, p.7.
330 J. DONNEDIEU DE VABRES, L’Etat, 3 è éd., Paris, PUF, 1967, p. 6.

72
partagé ou délégué. Cette répartition verticale du pouvoir au sein de l’Etat configure ce que l’on appelle
les formes de l’Etat.

6. Formes de l’Etat
Les formes de l’Etat correspondent à la division verticale du pouvoir entre le Centre et les périphéries
ou entre l’Etat et ses différentes composantes. Elles renvoient aux différentes structures du pouvoir
étatique. L'Etat peut se présenter sous deux aspects principaux. Il peut être structuré sous une forme
unitaire ou composée (principalement l’Etat fédéral avec le déclin des confédérations). Une forme
d’Etat intermédiaire émerge (l’Etat régional).

A. L'Etat unitaire
La structure unitaire ou simple est la forme d'Etat la plus répandue car la plupart des Etats sont organisés
selon le modèle unitaire. Cette évidence se vérifie même en Afrique dans la mesure où excepté
l’Ethiopie et le Nigeria, les autres Etats s’organisent principalement sous la forme de l’Etat unitaire.

A.1. Les caractéristiques d’un Etat unitaire

L'Etat unitaire s'articule autour du principe de l'unité. La notion d’Etat unitaire renvoie à une forme de
répartition du pouvoir de décision, et en particulier à l’unicité du détenteur du pouvoir législatif »331.
Dans l’Etat unitaire le pouvoir étatique procède « d'un centre d'impulsion unique ». La construction de
l’Etat unitaire repose sur une seule direction politique et administrative. Deux traits caractérisent dès
lors l'Etat unitaire : la simplicité organisationnelle et la cohésion de l'élément humain. L'appareil d’Etat
est unique. Il est constitué d'un seul exécutif, d'un seul parlement, d'une seule organisation
juridictionnelle et d'un seul ordonnancement juridique dont le ressort s'étend sans différenciation à
l'ensemble du territoire. En conséquence, il n'existe qu'une seule organisation politique et juridique
incarnée par un seul centre d'impulsion doté de la plénitude de sa souveraineté et exprimant sa volonté
uniforme pour toutes les parties du territoire.

A.2 L’agencement des structures de l’Etat unitaire

L'Etat unitaire connaît des subdivisions territoriales qui apparaissent comme autant de relais entre la
population et le pouvoir central. La construction juridique de son espace administratif peut alors
emprunter des formes variables. Dans certains cas, l'Etat unitaire peut confier au pouvoir central la
direction de l'ensemble des affaires nationales et locales. A ce procédé correspond la centralisation.
Dans d'autres cas, l'Etat peut partager la gestion des affaires publiques en créant des collectivités locales
dotées de la personnalité juridique auxquelles sera confiée la gestion des affaires locales ou particulières
à des personnes publiques, l'Etat se réservant les affaires nationales. A ce procédé correspond la
décentralisation.
A.2.1 La centralisation
La centralisation est un procédé qui consiste à confier la gestion des affaires publiques au pouvoir
central. Dans la centralisation tous les problèmes nationaux ou locaux sont pris en charge par le centre
qui ne reconnaît aucune capacité juridique à la périphérie. Il n'existe pas d'autres collectivités locales
(communes, communautés rurales etc.) pouvant prendre en charge les problèmes spécifiques à une
localité déterminée. En conséquence, l'Etat assure seul sur son budget, par ses agents, la satisfaction des
besoins d'intérêt national à travers ses services centraux confiant aux antennes locales de ces services la

J. FOUGEROUSE, (dir), L’Etat régional, une nouvelle forme d’Etat ? Un exemple de recomposition territoriale en Europe et en
331

France, Bruylant, Bruxelles, 2008.

73
résolution des questions d'intérêt local. La centralisation n'est pas incompatible avec le découpage
territorial en circonscriptions. Celles-ci peuvent exister mais ne disposent d'aucune volonté qui leur soit
propre. Elles ne sont que de simples courroies de transmission d'une volonté unique qui part du centre
de l'Etat et se transmet jusqu'aux parties les plus reculées du territoire national. La centralisation
implique l’existence d’un seul détenteur du pouvoir politique et administratif332. La centralisation peut
recourir à deux procédés : la concentration (a) et la déconcentration (b).
a) La concentration
Dans la concentration tout se décide au sommet des services centraux. Les services locaux ne sont que
des « boîtes à lettres » ou des « courroies de transmission » entre le sommet et la base. Ils ne font que
transmettre les doléances de la base et recevoir des ordres à exécuter.
b) La déconcentration
La déconcentration est un mode d’aménagement des structures de l’administration caractérisé, au sein
d’une même personne publique, par la remise du pouvoir de décision ou par la délégation de celui-ci à
des organes appartenant à la hiérarchie administrative et qui lui demeurent assujettis 333. En d’autres
termes la déconcentration est un mode de gestion de l’Etat dans lequel les autorités du gouvernement
central délèguent aux autorités locales une fraction de l’exercice de leur pouvoir, pour un certain nombre
de matières précises334. Dans la déconcentration le pouvoir ne s'exerce plus depuis la capitale, mais sur
place. Elle consiste à confier d'importants pouvoirs de décision à des agents du pouvoir central placés à
la tête des circonscriptions administratives. Elle repose sur le partage du pouvoir décisionnel entre les
autorités centrales et leurs représentants locaux qui sont nommés par le centre dont elles dépendent et
sont les délégataires. En RDC le territoire, le quartier, le groupement et le village constituent des entités
administratives déconcentrées. Elles sont dépourvues de la personnalité juridique. Ces entités
déconcentrées sont régies par la Loi organique n° 10/011 du 18 mai 2010 portant fixation des
subdivisions territoriales à l'intérieur des provinces335.
A.2.2 La décentralisation
La décentralisation est le procédé inverse de la centralisation. Elle consiste à transférer la gestion des
affaires locales à des collectivités autonomes et élues. En d’autres termes la décentralisation est un mode
de gestion administrative qui réalise un transfert légal de certaines tâches aux autorités locales élues, le
pouvoir central se limitant à en assurer la surveillance et le contrôle. La décentralisation traduit l’idée
d’une certaine auto-administration des entités par des organes locaux336. Elle désigne, dans un sens
générique tout phénomène de transfert d’activité ou de pouvoir d’un niveau plus élevé (généralement
étatique) à des collectivités territoriales dotées d’un certain degré d’autonomie337. La notion de transfert
des compétences de l’Etat aux entités territoriales décentralisées devrait être nuancée dans la mesure où
la décentralisation ne relève pas nécessairement d’une loi qui la réalise, mais peut être inscrite
directement dans la Constitution et ce, même si elle a besoin d’être complétée par des lois particulières.
Dans la décentralisation, l'Etat n'est plus la seule personne publique. Au contraire il cohabite avec
d'autres personnes publiques infra-étatiques qui sont autant de centres de décisions et d'appareils
autonomes. Objectivement, comme le fait noter Robert MBALLA OWONA, la création d’une

332 J-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit constitutionnel, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2013, p. 64.
333G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 271.
334A. MAKENGO NKUTU, L’essentiel de droit public. Le cas de la République démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2014,

p.28.
335 JORDC, 51 è année, N° spécial, Kinshasa, 7 juin 2010.
336 J-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit constitutionnel, Louvain-la-Neuve, Academia-L ‘Harmattan, 2013, p. 66 et s ; A.

MAKENGO NKUTU, L’essentiel de droit public. Le cas de la République démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2014, p.
29.
337L. VANDELLI, « Formes d’Etat : Etat régional, Etat décentralisé », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité

international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 53-76, spéc. p. 64.

74
collectivité locale consiste à identifier une collectivité humaine installée sur une portion du territoire
bien délimitée, reconnaître qu’elle a des affaires qui lui sont propres et dès lors conférer à cette
collectivité une personnalité morale, l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts
régionaux et locaux338. La décentralisation peut se faire sur une base territoriale (a) ou technique (b)
A) La décentralisation territoriale
La décentralisation territoriale ou horizontale s'opère sur une base géographique. Elle consiste à
individualiser une collectivité humaine circonscrite sur une portion du territoire national et à lui confier
la gestion des affaires locales. La décentralisation territoriale aboutit à la création des collectivités
locales qui sont des personnes publiques à caractère territorial. La RDC, quoiqu’elle se présente sous la
forme juridique d’un Etat régional sous la Constitution du 18 février 2006, ne connaît pas moins la
décentralisation. Le Parlement congolais avait adopté en 2008 une loi sur la décentralisation 339. La
décentralisation se traduit non seulement par l’existence de collectivités territoriales et l’ébauche de
leurs compétences dans la Constitution mais aussi par le renvoi à une loi organisant la décentralisation.
b) La décentralisation technique ou par services
La décentralisation technique consiste à reconnaître une certaine autonomie administrative et financière
à des Etablissements publics. La décentralisation technique ou verticale, également appelée
décentralisation par services, s'opère sur une base fonctionnelle. Elle consiste à détacher un service ou
un ensemble de services spécialisés de l'Etat et à confier leur gestion à un établissement public qui est
une personne publique spécialisée. En d’autres termes, selon le Vocabulaire juridique, la
décentralisation technique ou par service consiste, dans le cadre d’une collectivité publique territoriale
(Etat, région, département, commune), à conférer une certaine autonomie à tel ou tel service public à en
confiant la gestion à une personne administrative spécialisée, l’établissement public340. A titre indicatif,
les universités publiques congolaises constituent un exemple de décentralisation technique en ce sens
qu’elles bénéficient d'une autonomie juridique et financière. Les établissements publics en RDC sont
pour la plupart la manifestation de la décentralisation technique.

En définitive, la décentralisation est par conséquent « un système de transfert des compétences de l’Etat
vers les collectivités territoriales ou institutions publiques, pour qu’elles disposent d’un pouvoir
juridique et d’une autonomie financière »341. La décentralisation repose sur quatre conditions
cumulatives:- l'existence d'intérêts individualisés,- la personnalité juridique,- L'existence d'autorités
propres et la tutelle administrative.

En résumé, l’Etat unitaire se présente sous la forme d’un Etat centralisé (hypothèse rare) ou sous la
forme d’un Etat décentralisé (tendance dominante). La centralisation et la décentralisation posent le
problème du partage de la gestion des affaires publiques entre l'Etat et les collectivités qui lui sont
subordonnées. Elles doivent dès lors être distinguées de la concentration et de la déconcentration du
pouvoir qui posent le problème de la localisation du pouvoir de décision au sein d'une entité donnée.

338 R. MBALLA OWONA, « Le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in M. ONDOA et P. E. ABANE
ENGOLO (dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique, Paris, L’Harmattan, Cercaf, 2018, pp. 133-147,
spéc. à la p. 137.
339 Voy. la loi organique n° 08/16 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales

décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et la province, JORDC., n° spécial du 10 octobre 2008. Il convient de noter que la Province
ne constitue pas une entité décentralisée sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006. L’article 3 de la Constitution est plus
explicite à ce propos : « Les provinces et les entités décentralisées de la République démocratique du Congo sont dotées de la
personnalité juridique ».
340 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 265.
341 MWAYILA TSHIYEMBE, Quel est le meilleur système politique pour la République Démocratique du Congo : Fédéralisme,

Régionalisme, décentralisation ?, Paris, L’Harmattan, 2012, spéc. à la p. 23.

75
L’Etat unitaire décentralisé peut tendre vers une nouvelle forme d’Etat intermédiaire appelé Etat
régional.

B. L’Etat régional

B.1 Notion de la région et régionalisme politique

Le terme région renvoie ici à un niveau particulier d’organisation territoriale. Il découle du latin
« regio » qui désignait une province romaine342. Ce terme est ici utilisé pour identifier « l’institution
territoriale à la dimension la plus vaste à l’intérieur d’un Etat, dotée d’un caractère représentatif, apte à
exprimer les exigences de la communauté correspondante. Une communauté généralement liée par des
identités historiques, sociales, économiques, culturelles propres »343.

Cette institution territoriale peut être indifféremment dénommée : province, région, communauté. En
RDC la définition précitée de la région correspond à la province, ce qui justifie le recours au néologisme
de Mwayila TSHIYEMBE « provincialisme constitutionnel »344 pour traduire la réalité du régionalisme
politique institué en RDC sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006. D’après le Vocabulaire
juridique rédigé sous la direction de Gérard CORNU, le régionalisme, dans une première acception et
celle qui nous intéresse ici, signifie « système de décentralisation politique et administrative donnant à
des portions du territoire d’un Etat possédant une certaine unité géographique, historique,
ethnographique ou économique, une indépendance plus ou moins importante à l’égard du pouvoir
central »345.

Dans la conception occidentale, le régionalisme politique est apparu au XIXème siècle comme doctrine
fondée sur le principe de l’existence au sein de l’Etat des communautés culturelles, sociologiques,
économiques, correspondant aux régions et réclamant la reconnaissance politique de cette réalité. Des
conditions particulières comme les inégalités économiques, le sentiment d’oppression et d’injustice,
l’insularité et l’isolement ont contribué à l’affermissement du régionalisme346. Le régionalisme politique
peut être considéré comme la doctrine visant la promotion et la protection des identités régionales au
sein d’une nation et d’un Etat indivisible, moyennant l’octroi d’une autonomie relative, qu’elle soit
économique ou politique347. En RDC le régionalisme politique (couplé avec la décentralisation) ne
procède pas du même fondement occidental. Il constitue un moyen d’éradiquer l’ingouvernabilité et le
sous-développement chroniques qui ont caractérisé la gestion de la RDC348. La doctrine du régionalisme
a favorisé l’émergence de l’Etat qualifié tantôt de régional (Italie), tantôt d’Etat des autonomies
(Espagne).

342 J. FOUGEROUSE (dir), L’Etat régional, une nouvelle forme d’Etat ? Un exemple de recomposition territoriale en Europe et en
France, Bruxelles, Bruylant, 2008 p.3 et lire la note de bas de page n° 9).
343 L. VANDELLI, « Formes d’Etat : Etat régional, Etat décentralisé », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité

international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 53-76, spéc. à la p. 56. L’auteur
ajoute que le régionalisme indique généralement les doctrines, les tendances ou aspirations aptes à valoriser les dimensions et les
identités. Par contre la régionalisation renvoie à une articulation réalisée par les institutions sur le territoire correspondant (p. 57).
344 Le provincialisme constitutionnel signifie « la constitutionnalisation des provinces comme centres d’impulsion et de

développement à la base structurelle de la territorialité de l’Etat ». MWAYILA TSHIYEMBE, Quel est le meilleur système politique
pour la République Démocratique du Congo : Fédéralisme, Régionalisme, décentralisation ?, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 9.
Souligné par nous.
345 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 787.
346MWAYILA TSHIYEMBE, Quel est le meilleur système politique pour la République Démocratique du Congo : Fédéralisme,

Régionalisme, décentralisation ?, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 32 et s.


347MWAYILA TSHIYEMBE, op.cit., p. 33.
348 MWAYILA TSHIYEMBE, op.cit., p. 49.

76
L’Etat régional, appelé aussi autonomique ou Etat des autonomies, se situe dans une position
intermédiaire entre l’Etat unitaire et l’Etat fédéral349. Jacques DJOLI ESENG’EKELI définit un Etat
régional comme « une organisation intermédiaire caractérisée par la reconnaissance constitutionnelle
d’une réelle autonomie politique et normative au profit des collectivités régionales, tout en sauvegardant
le caractère uni de l’Etat (…). En fait, l’Etat régionalisé n’est pas formellement différent de l’Etat
unitaire décentralisé. Mais il va au-delà et se veut être la forme extrême de la décentralisation garantie
par la Constitution »350.

B.2 Critères de l’Etat régional

Quoique le régionalisme évolue dans un cadre national et traduit certaines spécificités nationales, il y a
lieu, à partir de la pratique, parfois contingente et moins homogène, de dégager quelques critères plus
ou moins communs aux Etats qui se réclament de cette appartenance. Le régionalisme demeure marqué
par les circonstances qui ont justifié au sein d’un Etat et à un moment donné son adoption. C’est un
processus qui peut admettre certains pas à reculons. Nous utilisons de manière indifférente région ou
province. La communauté autonome y est également comprise. Les critères ci-dessous peuvent
caractériser un Etat régional :
- L’existence constitutionnelle de la région (province) ;
- La libre administration des régions par des autorités élues ;
- La répartition des compétences constitutionnellement garantie entre le pouvoir central et les
provinces (régions) ou collectivités territoriales351 ;
- La détention du pouvoir législatif primaire et réglementaire par des organes électifs de la province
(région ou communauté autonome) ;
- La soumission du pouvoir législatif provincial au contrôle de constitutionnalité à l’instar du pouvoir
législatif national ;
- L’arbitrage des conflits entre le pouvoir central et les provinces (régions, communautés autonomes)
dévolu à une Cour constitutionnelle352 ;
- La (faible) non représentation des provinces au sein de la deuxième chambre parlementaire (Sénat)
et par conséquent leur exclusion ou faible participation à la formation de la loi nationale, à l’initiative
de révision constitutionnelle et à la nomination des membres de la Cour constitutionnelle dans les Etats
réservant l’élection d’un quota de ces membres aux deux chambres réunies ;
- Le contrôle du pouvoir central sur les actes ou sur les organes des autorités régionales ;
- La possibilité que les provinces se dotent de Statuts définissant l’organisation et le fonctionnement
de ces dernières et ce, en harmonie avec la Constitution ;
- La diversification du volume des compétences détenues par les régions selon que les unes sont plus
étendues par rapport à d’autres353 ;

349 Voy. G. AMBROSINI, Lo Stato regionale come tipo intermedio di Stato tra l’unitario e il federale, Rome, 1933 cité par L.
VANDELLI, « Formes d’Etat : Etat régional, Etat décentralisé », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international
de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 53-76, spéc. à la p. 57.
350 J. DJOLI ESENG’EKELI, Droit constitutionnel. L’expérience congolaise (RDC), Kinshasa, L’Harmattan, 2013, p. 192.
351 Voir les art.117 de la Constitution italienne ; 148 et 149 de la Constitution espagnole, les articles de 201 à 206 de la Constitution

congolaise du 18 février 2006. La Constitution espagnole du 27 décembre 1978, en son article 149.1 dispose que l’Etat jouit d’une
compétence exclusive dans trente-deux matières dénombrées. Le reste relève de matières de la compétence des Communautés
autonomes si elles décident d’en disposer dans leurs Statuts. Dans les matières dites résiduelles, non expressément réservées à l’Etat
et non exploitées par les Communautés, le droit étatique dispose d’un caractère supplétif. En d’autres termes les chambres législatives
(Cortes) peuvent légiférer tant que la norme autonome n’intervient pas. St. PINON, Les systèmes constitutionnels dans l’Union
européenne. Allemagne, Espagne, Italie et Portugal, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 360.
352 Voy. à propos de l’Italie DE VERGOTTINI, « La fonction arbitrale de la Cour constitutionnelle italienne dans l’évolution du

modèle régional », Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges offerts à Louis FAVOREU, Paris, Economica, 2007, pp. 1155-
1171. La fonction arbitrale est réalisée entre les sujets et les organes titulaires de pouvoirs publics (p.1157). La Cour constitutionnelle
de la RDC exerce également cette fonction.
353 Cas de l’Italie entre les régions à statut ordinaire et celles à statut spécial.

77
- La distribution homogène ou non des compétences à des régions plutôt qu’à d’autres suivant une
diversité des critères (linguistique, géographique, culturel)354;
- La compétence résiduelle (non expressément attribuée à la législation nationale revient aux Régions
et aux communautés autonomes)355. ;
- L’unité et le caractère indissoluble de l’Etat.
La RDC adopte la forme de l’Etat régional en vertu des dispositions de la Constitution du 18 février
2006.

C. La Fédération (Etat fédéral)


Il existe une différence entre fédéralisme et fédération. Le fédéralisme est une idée politique alors que
la fédération est similaire à l’Etat en ce qu’elle repose sur des institutions356. Le lexique de science
politique propose deux entrées au mot « fédéralisme ». Il renvoie à un système politique reposant sur
des principes de partage des pouvoirs entre l’Etat fédéral, cantonné dans des compétences régaliennes
(en particulier la politique étrangère et la défense), et des Etats fédérés disposant de compétences
étendues (qui ne dépendent pas du pouvoir central) et de garanties d’autonomie, inscrites dans la
Constitution fédérale. A la deuxième entrée, le fédéralisme fait allusion à l’« ensemble des doctrines et
des thèses prônant la mise en place-ou le renforcement- d’un système fédéral. Le terme fédéralisme
vient du latin foedus (alliance, convention) lui-même dérivé de fides (la foi jurée, la confiance) »357.

La fédération est le terme générique qui désigne, selon Joël MEKHANTAR, l’entité qui se superpose
aux diverses collectivités regroupées358. Les Etats fédéraux ou les fédérations, quoiqu’ils soient assez
peu nombreux, représentent près de 40 % de la population mondiale. Dans une contribution publiée en
2006, 24 Etats au monde se sont dotés d’un système fédéral alors que plus d’une vingtaine utilisent les
principes du fédéralisme dans leur système politique359. L’organisation de l’Etat fédéral ou de la
fédération repose sur un certain nombre de principes. La fédération est aussi à distinguer avec la
confédération d’Etats qui est une association d’Etats indépendants ayant conclu un pacte confédéral
pour la gestion commune de certaines affaires notamment diplomatiques, de défense.

C.1 Une association d'Etats ou une dissociation d’Etat

La fédération est une union d'Etats au sein de laquelle des Etats jusqu'alors souverains acceptent de se
regrouper sous une bannière unique en transférant une partie de leurs compétences à un super Etat. Le
mot même « fédéralisme » dériverait du latin « foedus » et qui signifie « alliance »360. Cette association
est fondée sur des relations de droit public interne, précisément de Droit constitutionnel, et non point
des relations de nature internationale comme c'est le cas de la confédération. Le fédéralisme se réalise
par l’association d’Etats antérieurement souverains qui décident à un moment de leur histoire de
déléguer une partie de leur souveraineté, de leurs compétences à une superstructure appelée Etat fédéral

354 Les éléments linguistiques, géographiques et culturels assument une importance particulière dans le régionalisme italien et
espagnol et dans une moindre mesure dans le régionalisme congolais.
355 Art.117, al.4 de la Constitution italienne et 149, al.3 de la Constitution espagnole. La Constitution congolaise est muette à ce sujet

ou tout moins entretient un flou lorsqu’elle dispose que les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère
réglementaire sans préciser si le pouvoir réglementaire appartient uniquement au gouvernement central et au gouvernement
provincial.
356 O. BEAUD, « Fédéralisme et souveraineté. Notes pour une théorie constitutionnelle de la Fédération », Revue du droit public,

n°1, 1998, pp. 83-122, spéc. à la p. 85.


357 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 243.
358 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p.35.
359J.A. SCHIAVON, « The Central-Local division of power in the Americas and Renewed Mexican federalism : Old Institutions,
new Political Realities”, International Journal of Constitutional Law, Vol. 4, n° 2, April 2006, pp. 392-410, spéc. à la p. 395.
360 MWAYILA TSHIYEMBE, Quel est le meilleur système politique pour la République Démocratique du Congo : Fédéralisme,

Régionalisme, décentralisation ?, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 17

78
(fédéralisme par association d’Etats ou par agrégation). C’est dans cette optique ce dernier naît d’un
processus d’intégration. C’est notamment le cas du fédéralisme aux Etats-Unis, en Suisse et en
Allemagne. Le fédéralisme par dissociation consacre la naissance d’un Etat fédéral à partir des
transformations d’un Etat unitaire prédécesseur. La Belgique illustre mieux cette forme de fédéralisme
dans la mesure où elle s’était constituée en 1830 comme Etat unitaire, avant de devenir un Etat fédéral
à la suite de l’adoption de la loi constitutionnelle du 14 juillet 1993. La Constitution belge, en son article
1er dispose : « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des communautés et des régions ».
L’Autriche, le Mexique, le Brésil s’inscrivent dans ce même schéma de fédéralisation, c’est-à-dire, des
transformations internes d’un Etat unitaire à un Etat fédéral à travers la révision de la Constitution361.

C.2 Une superposition d’entités fédérées

La fédération apparaît comme une construction à deux étages. A l'étage inférieur se trouvent les entités
fédérées qui conservent une série de compétences étatiques et à l'étage supérieur siège la nouvelle
collectivité étatique, le super-Etat dénommé Etat fédéral. Technique de partage du pouvoir étatique, la
fédération repose sur un compromis entre la souveraineté internationale de l'Etat et la souveraineté
interne limitée des Etats fédérés.

C.3 Le principe de l'autonomie constitutive

Le principe d’autonomie constitutive peut se définir comme la compétence dont une entité fédérée
dispose pour régler, dans le cadre fixé par la Constitution, l’organisation de ses pouvoirs, le statut de
ses gouvernants et de ses gouvernés362. L'étendue et l'intensité des compétences des entités fédérées
sont telles que le fédéralisme donne lieu à de véritables « Etats » et non des collectivités décentralisées
comme dans l'Etat unitaire. L'autonomie est garantie par le statut constitutionnel des Etats fédérés qui
restent largement maîtres de leur destin constitutionnel. Dans le cadre du fédéralisme par association,
les Etats fédérés participent à la fondation de l'Etat central. A cet égard ils partagent la souveraineté dès
l'origine et cette autonomie continue durant la vie de l'Etat fédéral puisque toute révision de la Charte
fondamentale implique leur accord. Les Etats fédérés sont des « corps constituants » dotés d'une
autonomie existentielle. Chaque Etat a sa propre Constitution qui est distincte de la Constitution de
l'Etat fédéral, dispose de compétences législatives, judiciaires, exécutives, d'un drapeau et d'un hymne
distincts de ceux de la fédération.

L’autonomie est également fonctionnelle. Cependant il importe de préciser que l’étendue de


l’autonomie dont bénéficient les entités fédérées est relative et ne se manifeste pas de la même manière.
A titre d’exemple, les entités fédérées belges (régions et communautés) ne disposent pas d’un appareil
judiciaire propre363. Les entités fédérées russes en sont aussi dépourvues. Les régions et les
communautés belges sont protégées au même titre que l’Etat fédéral à telle enseigne qu’en aucune
manière le droit fédéral ne peut primer le droit communautaire ou régional364.

361 Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 53.
362 Q.PEIFFER, « Autonomie constitutive », cité par Ch. BEHRENDT et S. VANDENBOSCH, « Le réaménagement de la
répartition des compétences dans le fédéralisme asymétrique belge », Civitas Europa, 2017/I, n° 38, pp. 241-254, spéc. à la p. 246.
363 Les Communautés et les régions détiennent une autonomie juridictionnelle partielle du fait de la création par décret de juridictions

administratives dans certains domaines relevant de leur compétence. Voy. Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge. Fondements
et institutions, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 220.
364 F. DELPEREE, « La Belgique existe-t-elle ? », Pouvoirs, n° 136, 2011, pp. 9-19.

79
C.4 Le principe de la participation

Les Etats fédérés concourent à la vie de la fédération qui est une création volontaire des entités fédérées
dans le cadre du fédéralisme par intégration ou de la volonté de l’Etat unitaire prédécesseur. Les Etats
fédérés sont parties prenantes de la fédération. La participation est le volet démocratique de l'Etat
fédéral. Elle se rattache à l'idéal démocratique originel de l'implication des citoyens à la gestion du
pouvoir. Le bicaméralisme est une nécessité dans un système fédéral. Il est une garantie de la
participation des Etats membres de la fédération aux institutions fédérales, notamment à travers la
Chambre qui assure leur représentation (Sénat, Bundesrat (en Allemagne). Les Etats sont représentés
sur un pied d'égalité quelle que soit leur importance démographique ou économique. Aux Etats-Unis
chaque Etat a droit à deux sénateurs. Les Etats fédérés participent ainsi à l'exercice des pouvoirs
constituant et législatif ainsi qu'au contrôle du pouvoir exécutif par le biais des ratifications des
nominations ou des traités signés par le Chef de l'Etat. La participation des entités fédérées se manifeste
également dans la procédure de révision constitutionnelle. Au Nigeria où la fédération est composée de
36 Etats fédérés, la révision constitutionnelle est adoptée en plus de la majorité requise au Sénat et à
l’Assemblée nationale, du vote positif d’au moins 24 Etats fédérés sur les 36. En Ethiopie les Etats
fédérés appelés « Killliloch » sont représentés de manière inégalitaire au sein du Sénat (House of
Federation) composé de groupes nationaux.

C.5 Le principe de la subsidiarité

Ce principe tend à protéger les entités fédérées des interventions de l’Etat fédéral, celles-ci n’étant
autorisées que lorsqu’elles sont jugées nécessaires pour coordonner ou atteindre efficacement la
réalisation de l’intérêt général. Pas de fédéralisme si les entités fédérées ne peuvent pas exercer leurs
compétences sur certaines matières, qu’elles soient résiduaires ou d’attribution. La répartition
constitutionnelle des compétences entre le niveau fédéral et le niveau fédéré constitue l’illustration du
principe de la subsidiarité.

C.6 Le fonctionnement de la Fédération ou de l’Etat fédéral

Le fédéralisme repose sur le principe d'un dualisme fonctionnel et structurel entre l'Etat fédéral et les
Etats fédérés. Il en résulte un partage de compétences souvent organisé par la Constitution et régulé par
un pouvoir judiciaire indépendant. La Constitution fédérale recourt à plusieurs techniques et critères
pour opérer la répartition des compétences entre l’échelon national et provincial ou fédéré.

C.6.1 Le partage des compétences

Les critères de répartition des compétences de l'Etat fédéral et des entités fédérées sont multiples. En se
basant sur une approche du droit comparé la tendance dominante est celle de privilégier dans la
répartition des compétences le pouvoir central. Ainsi il a été observé qu’en Autriche, en Argentine, au
Mexique, en Inde, au Nigeria, en Australie, au Canada, en Allemagne, à titre indicatif, la répartition des
compétences favorise le pouvoir central. Ces Etats développent un fédéralisme coopératif
s’accompagnant d’une forte centralisation365. Les compétences peuvent être d’attribution ou de droit
commun, selon le cas soit au profit du pouvoir central, soit au profit des Etats fédérés. Les compétences
peuvent être exclusives d’attribution, exclusives parallèles, partagées, et concurrentes. Celles qui ne
sont pas expressément attribuées relèvent du domaine de la compétence résiduelle.

365 Chr. HECKLY, Aspects budgétaires du fédéralisme, Paris, LGDJ, Lextenso, 2016.

80
Les compétences (exclusives) d’attribution constituent « les compétences matérielles énumérées par ou
en vertu de la Constitution et expressément attribuées soit aux autorités fédérales, soit aux autorités
fédérées ; les compétences (exclusives) parallèles évoquent « les compétences identiques attribuées
d’une part aux autorités fédérales, d’autre part aux autorités fédérées ; les compétences partagées sont
« les matières dans lesquelles les autorités fédérales peuvent exercer leur compétence sous forme de
lois-cadres, les autorités fédérées restant maîtres de fixer les détails par voie législative ; les
compétences concurrentes se réfèrent aux « matières dans lesquelles les autorités fédérées peuvent
exercer leur compétence tant que, et dans la mesure où, les autorités fédérales s’abstiennent de le faire ;
toute loi fédérale adoptée dans ce domaine prime les lois fédérées existantes et interdit aux autorités
fédérées de légiférer à l’avenir sur le même objet. Le domaine de compétence résiduelle comprend
« toutes les compétences matérielles qui ne sont pas expressément attribuées soit aux autorités fédérées
et qui reviennent à titre de « reste » aux autorités fédérées dans le premier cas, aux autorités fédérales
dans le second ; dans la majorité des Etats fédéraux, la compétence résiduelle appartient aux autorités
fédérées »366.
On retient généralement trois critères de partage des compétences : les critères « autonomiste »,
« centraliste » et « mixte ».

C.6.2 Critères de partage des compétences

a) « Le critère « autonomiste »

Le critère autonomiste est plus fidèle à la philosophie fédéraliste fondée sur un transfert par les entités
fédérées de certaines de leurs prérogatives de souveraineté. Certains Etats ont adopté ce mode de
répartition (Etats-Unis, Suisse, Argentine). Le critère autonomiste consacre la règle de la compétence
d’exception ou d’attribution de l’Etat fédéral face à la compétence de droit commun des Etats fédérés.
Dans cette hypothèse l’Etat fédéral n’a qu’une compétence limitée à celle qui lui est expressément et
limitativement réservée par la Constitution. Le principe de la compétence de droit commun des Etats
aux Etats-Unis avait été confirmé dans le 10ème Amendement à la Constitution américaine en
1791367.Tout ce qui n’est pas expressément attribué relève de la compétence des entités fédérées qui
bénéficient de clauses générales de compétence. La Cour suprême a interprété la répartition des
compétences dans le fédéralisme américain en privilégiant tantôt la clause de la souveraineté fédérale
consacrant la primauté du droit fédéral sur celui des Etats fédérés tantôt en assurant une interprétation
large au profit des Etats membres de la fédération368. La Belgique s’inspire aussi de ce critère à la lecture
de l’article 35 de la Constitution fédérale de 1993 : « L’autorité fédérale n’a de compétences que dans
les matières que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution
même.
Les communautés ou les régions, chacune pour ce qui la concerne, sont compétentes pour les autres
matières, dans les conditions et selon les modalités fixées par la loi. Cette loi doit être adoptée à la
majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa ». Mais en attendant l’adoption de cette loi et comme le
confirme la doctrine, c’est le critère centraliste qui fonctionne dans la pratique dans la mesure où
l’autorité fédérale dispose de compétences résiduelles alors que les Communautés et les Régions ne
possèdent que des compétences d’attribution369.

366 Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 54.
367 “ The Powers not delegated to the US by the Constitution, nor prohibited by it to the States, are reserved to the States respectively,
or to the people”.
368 Pour l’analyse de cette jurisprudence flottante, J. BEAUTE, « Le partage des compétences entre les Etats et la fédération »,

Pouvoirs, n° 59, 1991, pp. 85-100.


369 Ch. BEHRENDT et S. VANDENBOSCH, « Le réaménagement de la répartition des compétences dans le fédéralisme

asymétrique belge », Civitas Europa, 2017/I, n° 38, pp. 241-254, spéc. à la p. 247.

81
b) Le critère « centraliste »
Cette technique de partage est celle qui a été adoptée notamment par le Canada et l’Inde. Elle repose
sur une compétence générale ou de droit commun de l'Etat fédéral et compétence d'attribution aux Etats
fédérés. En d’autres termes l’exercice des compétences résiduelles est reconnu à l’Etat fédéral. A titre
illustratif, l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (du Canada) énonce que toutes les matières ne
tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi relèvent de la compétence du Parlement
fédéral370.
c) Le critère « mixte »
Ce critère a cours, notamment en Allemagne, en Australie. Il repose sur la reconnaissance du principe
de la double compétence des entités fédérale et fédérées. La Constitution réserve deux domaines
distincts d'intervention. Il y a deux listes énumératives de compétences respectives de l'Etat fédéral et
des Etats membres de la fédération. Entre les deux domaines existe un espace libre qui relève de la
compétence commune ou « concurrente ». Cette compétence partagée n'est que potentielle car le
premier qui s'en saisit et y légifère a la priorité sur l'autre.

La division verticale du pouvoir ayant mis en exergue les trois formes d’Etat (unitaire, régionale et
fédérale) est complétée par la division horizontale des pouvoirs entre les différentes institutions ainsi
que les interactions qu’elles entretiennent.

370Pour un commentaire de cette clause, voy. P. TAILLON et A. BINETTE, « Le fédéralisme canadien : sources, pratiques et
dysfonctionnements », Civitas Europa, n° 40, 2018/1, pp. 237-261, spéc. à la p. 256.

82
CHAPITRE IV : LES REGIMES ET LES SYSTEMES POLITIQUES
Ce chapitre sera traité de manière disproportionnée en faveur du régime politique. Le poids accordé à
ces deux expressions n’est pas le même. Le système politique complète l’étude du régime politique et
permet de rendre compte du fonctionnement concret des institutions et ce, au-delà des règles.

1. Définition des régimes politiques


Plusieurs définitions peuvent être proposées pour cerner la notion de régime politique. Il peut signifier
« un ensemble complet d’institutions coordonnées et articulées, qui se réfèrent à la fois au fondement
du pouvoir, aux choix des gouvernants, à leur structure et à leur limitation »371. Dans son ouvrage
consacré à l’introduction à la politique, Maurice DUVERGER définit les régimes politiques comme
« les différents types d’organisation du pouvoir. Ils résultent à la fois d’institutions formelles, officielles,
établies par les Constitutions, les lois et les textes juridiques en général et d’institutions de fait,
d’habitudes, de coutumes, d’usages, de pratiques372.

Par régime politique il faudrait également entendre « tous les éléments de droit et de fait qui permettent
de rendre compte du mode d’organisation et de fonctionnement du pouvoir politique dans une société
déterminée »373. Selon le Lexique de science politique, le régime politique désigne les institutions d’un
Etat. En Droit constitutionnel et en science politique, il désigne « le mode d’organisation du pouvoir
politique à un moment donné »374. Le régime politique est déterminé dans son organisation tout comme
dans son fonctionnement par plusieurs facteurs dont les plus importants sont les forces socio-politiques,
les cadres du régime, la philosophie sociale, les fins que le régime politique se propose de réaliser375.

Un régime politique se base sur deux éléments. En premier lieu il se fonde sur un ensemble de règles
concernant les modalités de la détention et de l’exercice du pouvoir politique qui reposent sur différents
types d’institutions politiques. Le plus souvent ces règles sont définies dans le cadre d’une Constitution
(mais aussi dans d’autres textes juridiques, en particulier les lois organiques et les lois concernant les
élections). A ces dimensions juridiques s’ajoutent des dimensions politiques sur lesquelles la science
politique met l’accent. Un régime politique combine un système juridique (constitutionnel) et un
système politique qui, lui, renvoie à l’ensemble des interactions entre les institutions et les acteurs
politiques376.

2. Classification des régimes politiques

Selon Maurice DUVERGER, toute classification des régimes politiques se réfère, implicitement ou non,
à un système de valeurs377. Les classifications ont pour ambition de « dresser une systématisation et
d’offrir des points de repères dans une réalité complexe et plurielle »378. Dans les sciences du droit les
classifications sont utilisées pour mettre en ordre des ensembles de données d’étendue variable 379.

371 M. DUVERGER, Institutions politiques et Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1965, p. 233 cité par A. MULUMBATI NGASHA,
op.cit., p. 405.
372 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 157.
373 M. DE VILLIERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 318.

374 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 522.
375 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4 è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, pp. 406-412.
376 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 75
377
M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 158.
378 M.C. PONTHOREAU, « La métaphore géographique. Les frontières du droit constitutionnel dans le monde global », RIDC,

Juillet-Septembre 2016, n° 3, pp. 611-628, spéc. à la p. 615.


379 V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 333. Notre soulignement.

83
L’observation et la comparaison sont au cœur de la classification. Les classifications des régimes
politiques sont nombreuses. Il est possible de distinguer trois grands types de classifications :
- Les classifications s’inscrivant dans le cadre de la philosophie politique mettant l’accent sur
l’orientation de l’exercice du pouvoir ;
- Les classifications juridiques qui se focalisent sur les règles juridiques organisant l’exercice du pouvoir
politique ;
- Les classifications de science politique qui intègrent les acteurs politiques et leurs interactions dans
une perspective plus sociologique380.
Pour le Lexique de science politique, les critères permettant de distinguer les régimes politiques sont
assez variables : le nombre des dirigeants, les procédures de désignation des gouvernants, le degré de
séparation entre les différentes composantes du pouvoir, ou encore le type de relation entre gouvernants
et gouvernés (garantie des droits de la personne, degré de pluralisme)381. En tenant compte de valeurs
et principes affirmés dans les textes constitutionnels il y a lieu, du point de vue qualitatif de distinguer
d’une part les Constitutions qui opèrent un choix entre le régime politique favorisant le pluralisme
politique (régimes démocratiques) et celles qui l’étouffent (régimes autocratiques)382.
Pour Michel TROPER, certains ouvrages et manuels de Droit constitutionnel, particulièrement en
France, utilisent, en vue de distinguer les différents régimes politiques, la classification proprement
constitutionnelle, c’est-à-dire « une classification qui ne porte pas sur la structure, le fonctionnement
du pouvoir politique en général ou le but poursuivi par les gouvernants mais seulement sur les règles
relatives à l’exercice du pouvoir politique et notamment sur celles qui se rapportent à l’exercice des
grandes fonctions étatiques, c’est-à-dire qu’il s’agit en définitive et pour l’essentiel d’une classification
des règles relatives à l’édiction de règles »383.

Cette perspective juridique tranche avec la perspective « politiste » plus large classant les régimes
politiques selon plusieurs critères. En effet, l’analyse des régimes politiques se situe traditionnellement
à la limite de la science politique et du Droit constitutionnel. Elle exige les compétences de différentes
disciplines scientifiques, celles de l’historien, du politologue, du sociologue, du constitutionnaliste384.
Ce foisonnement des disciplines scientifiques explique la diversité des typologies de régimes politiques
proposées par les politistes et rarement reprises dans les manuels du Droit constitutionnel. A titre
illustratif, dans son ouvrage portant sur l’introduction à la science politique, le Professeur Adrien
MULUMBATI NGASHA énumère onze (11) typologies de régimes politiques selon les auteurs
(Aristote, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Evans-Pritchard et Fortes, Lucy Mair, Gabriel Almond
et Binham Powell, Jean-Louis Vullierme, Pascal Delwit) et des critères fondés sur les fonctions de
l’Etat, sur le nombre de partis politiques et sur l’étendue des pouvoirs des gouvernants de l’Etat et sur
leur limitation par les citoyens385. Maurice DUVERGER retient une classification opposant d’une part
les régimes pluralistes ou démocratiques (la lutte politique s’y déroule au grand jour et à ciel ouvert et
l’existence de plusieurs partis politiques) et d’autre part les régimes unitaires ou autocratiques
(inexistence officielle de la lutte politique, pas de contestation du Prince et du régime)386.

380
X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 76. Notre soulignement
381 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 522.
382 G. MORBIDELLI, L. PEGORARO, A. REPOSO, M. VOLPI, Diritto pubblico comparato, Turin, G. Giappichelli Editore, 2004,
p. 239 et s.
383 M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, PUF, 1994, p. 251 et s.
384 G. De VERGOTTINI, « Régimes politiques », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit

constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 113-157, spéc. p. 114.
385 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, 4è éd., Lubumbashi, Editions Africa, 2014, pp. 412-428.
386 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, pp. 168.

84
En lisant les différents manuels de science politique, il est permis de dégager trois types de régimes
politiques, à savoir les régimes démocratiques, les régimes autoritaires et les régimes totalitaires 387.

Etant donné que l’étude des régimes politiques mobilise le savoir du constitutionnaliste et du politiste,
nous proposons de cerner les classifications des régimes politiques selon les différents critères partant
de celui classique basé sur la séparation des pouvoirs et les critères abondamment utilisés par la science
politique complétant le critère dominant des constitutionnalistes : critères basés notamment sur le
nombre, le but poursuivi dans l’exercice du pouvoir, les modalités d’exercice du pouvoir, le système de
partis politiques, la tolérance ou la compréhension des libertés, etc. Le degré de séparation des pouvoirs
sert ainsi d’étalon de mesure pour classer les régimes politiques.

A. Classification des régimes politiques fondée sur le critère de la séparation des pouvoirs
Pour les juristes constitutionnalistes, le critère prioritaire permettant de distinguer les régimes politiques
est tiré de la manière dont le pouvoir est attribué aux organes constitutionnels. Pour revêtir l’aspect
démocratique, il ne doit pas être concentré mais réparti entre les différents organes constitutionnels. En
outre un critère complémentaire réside dans les relations que ces organes constitutionnels tissent entre
eux dans l’exercice de leurs attributions respectives388. La séparation des pouvoirs sert ainsi de repère.
Ce critère est considéré comme le plus classique depuis sa théorisation par Montesquieu dans son œuvre
passée à la postériorité (Esprit des lois). Il est repris par la doctrine dominante pour rendre compte de
la classification des régimes politiques. C’est au regard de ce principe que la doctrine constitutionnelle
et politiste distingue généralement les régimes parlementaire et présidentiel :- le premier se caractérisant
par une séparation souple impliquant une collaboration entre le gouvernement et le parlement qui
expriment la volonté politique de l'Etat.- le second se fonde sur une séparation rigide organico-
fonctionnelle des pouvoirs exécutif et législatif. L’intérêt heuristique de la classification repose sur une
corrélation étroite entre les structures constitutionnelles retenues comme critères et le fonctionnement
attendu du régime389.

Toutefois, soulignons que la distinction entre séparation souple et rigide n’est guère pertinente et peut
prêter à confusion comme le soulignent Philippe LAUVAUX et Armel LE DIVELLEC tout en
admettant que le principe de séparation des pouvoirs reste le concept de référence, sans doute assez
formel de la classification des régimes390. Pour Richard MOULIN, le souci d’opposer systématiquement
le régime présidentiel au régime parlementaire conduit à donner une description déformée du régime
américain, en accentuant la séparation des pouvoirs et la prééminence présidentielle391. A l’issue d’une
analyse critique des critères retenus pour la classification des régimes politiques, Michel TROPER
conclut que « la classification traditionnelle présente donc toutes sortes de faiblesses : elle heurte la
logique ; elle n’enseigne rien ; elle repose sur le présupposé absurde que les régimes purs sont des êtres
réels et malgré tout cela, elle ne sert de fondement à l’argumentation que lorsqu’il existe un doute sur
leur réalité ou leur substance »392. Les opérations de classement relèvent de la convention393.

387 A titre indicatif, P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de
l’Université de Bruxelles, 2018, pp. pp. 79-150. D’autres y ajoutent deux autres typologies, pour en constituer cinq (la démocratie,
l’autoritarisme, le totalitarisme, les régimes de gouvernement personnel et les régimes du post-totalitarisme. Voy. MOHAMMAD-
SAID DARVICHE, « Les régimes politiques », in Ch, ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant,
2019, pp. 77-90.
388G. De VERGOTTINI, « Régimes politiques », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit

constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 113-157, p. 144.
389 R. MOULIN, « Election présidentielle et classification des régimes », Pouvoirs, n° 14, 1980, pp. 29-40, spéc. à la p. 35.
390 Ph. LAUVAUX et Armel Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition mise à jour, Paris, Puf, 2015, pp.

185-189.
391 R. MOULIN, « Election présidentielle et classification des régimes », Pouvoirs, n° 14, 1980, pp. 29-40, spéc. à la p.38 et s.
392 M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, PUF, 1994, p. 262.
393 R. MOULIN, « Election présidentielle et classification des régimes », Pouvoirs, n° 14, 1980, pp. 29-40, spéc. à la p.29.

85
Les régimes parlementaires et présidentiels sont considérés comme des modèles constitutionnels servant
de référence dans la rédaction des Constitutions. Ici par modèles constitutionnels, il convient d’entendre,
« ce qui peut servir de référence. En ce sens, l’existence d’un modèle permet, dans un cadre
constitutionnel, l’imitation par un Etat d’une institution instaurée dans un autre Etat. On s’inspire de ce
qui existe déjà ailleurs parce que cela fonctionne parfaitement (…). Ils peuvent être une représentation
construite plus ou moins abstraite comme ils peuvent être la reprise d’un exemple que l’on s’efforce de
reproduire »394.

La construction de modèles peut être présentée comme un travail de sélection de certaines données
volontairement simplifiées et généralisées afin de constituer des repères comparatifs ou évaluatifs. Les
modèles sont souvent destinés à être provisoires et à être ajustés après confrontation avec la réalité (…).
En tant qu’il simplifie la multitude des données juridiques, le modèle comporte une dimension
pédagogique. Il doit permettre de comprendre par l’extraction de quelques données jugées significatives
et de quelques connexions simples établies entre elles, la récurrence de certains rapports de causes à
effets ou de la présence de certains mécanismes dans des ensembles d’énoncés juridiques semblables
mais non identiques395.

L’instauration de tel ou tel régime politique dans un Etat ne dépend pas du hasard ou de l’arbitraire
des hommes. Comme toutes les institutions, celles-ci sont conditionnées par de nombreux facteurs, et
surtout par des facteurs socio-économiques396. Les facteurs politiques, l’histoire, la projection,
l’expérience, le droit comparé informent aussi ou inspirent le choix d’un régime politique plutôt qu’un
autre.
A.1 Le régime parlementaire
Le régime parlementaire constitue un ensemble dont les composantes semblent tantôt s’interpénétrer
tantôt se séparer plus nettement, tantôt s’équilibrer, tantôt entrer dans des rapports de hiérarchie 397. Le
régime parlementaire peut être défini de manière opératoire comme un régime à base de séparation
souple des pouvoirs sous-tendue par des interférences qui traduisent une collaboration des pouvoirs. Le
régime parlementaire est, de nos jours, la forme d'organisation du pouvoir politique la plus répandue
dans les démocraties libérales. En Europe, le parlementarisme a été largement adopté par de nombreux
constituants398. Il est également répandu dans beaucoup d’Etats africains francophones malgré que ces
derniers lui préfèrent l’expression forgée par Maurice DUVERGER de « régime semi-présidentiel ».

Selon Pierre LALUMIERE et André DEMICHEL, la notion de régime parlementaire inclut trois
principes de la démocratie libérale : le principe de séparation des pouvoirs, le principe représentatif et
le principe de légalité399.

Le régime parlementaire n'est pas homogène car ses applications diffèrent d'un environnement socio-
politique à un autre et, de surcroît, ce régime évolue constamment. Le propre du régime parlementaire

394 S. SEGALA et S. AROMATARIO (dir.), Les modèles constitutionnels, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 9.
395 V. CHAMPEIL-DESPLATS, op.cit., pp. 340 -341.
396 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 168.
397 D. BARANGER et A. LE DIVELLEC, « Régime parlementaire », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité

international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 159-193, spéc. p. 166.
398 St. PINON, Les systèmes constitutionnels dans l’Union européenne. Allemagne, Espagne, Italie et Portugal, Bruxelles, Larcier,

2015, p.19. L’auteur constate qu’au sein de l’Union européenne, et à l’exception du régime chypriote (de nature plutôt présidentielle),
les caractéristiques majeures du parlementarisme (bicéphalisme de l’exécutif, droit de dissolution, responsabilité politique du
Gouvernement devant le Parlement) sont présentes dans toutes les Constitutions nationales. Au total 27 Etats sur 28 (p. 19). Voy.
aussi M-A. COHENDET, « La classification des régimes, un outil pertinent dans une conception instrumentale du droit
constitutionnel », in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 299-314.
399 P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens. 2 è éd., Paris, PUF, 1978, pp.17-35.

86
est de mettre directement en rapport la légitimité du gouvernement et la légitimité de la loi. Il suppose,
pour son existence, un régime représentatif, une logique de liberté politique, le principe de séparation
des pouvoirs400. Quelques traits caractérisent le régime parlementaire eu égard aux rapports entre les
trois principales institutions politiques : le Chef de l’Etat, le Chef du gouvernement et le parlement.

Le régime parlementaire, comme l’ont souligné Pierre Lalumière et André Demichel inclut trois
principes juridiques, à savoir le principe de la séparation des pouvoirs, le principe représentatif ainsi
que le principe de la légalité. Il repose sur un critère incertain. Deux critères ont été à ce sujet proposés :
le premier critère utilisé fut la théorie de l’équilibre, autrement dit, la théorie du dualisme. Et d’autre
part la théorie de la responsabilité politique. C’est cette dernière qui s’est plus imposée en dépit de ses
limites. La théorie de l’équilibre n’a pas été écartée car elle figure dans certaines définitions du régime
parlementaire ou parmi ses traits caractéristiques.

Forgée par la doctrine constitutionnelle française (Esmein, Duguit, Hauriou), cette théorie de l’équilibre
repose sur deux idées principales ; une idée d’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif et une
idée de collaboration entre ces deux pouvoirs. Cette théorie a été critiquée. Elle présente l’inconvénient
d’avoir été une systématisation du fonctionnement concret des régimes parlementaires à un certain
moment de leur développement historique. En effet, le régime parlementaire s’est caractérisé
historiquement par la montée politique d’une Assemblée élue dont les pouvoirs se sont lentement accrus
et par la régression simultanée du pouvoir monarchique. En outre, le dualisme de l’Exécutif n’existe
qu’au moment où le roi reste assez puissant pour conserver un rôle gouvernemental et où le cabinet est
devenu une force politique suffisamment constituée pour partager le pouvoir exécutif avec le roi. C’est
cette phase du parlementarisme qui est qualifié en France du terme d’orléanisme401.

Selon la théorie de la responsabilité politique, il faut et il suffit, pour que l’on se trouve en présence
d’un régime parlementaire, que le gouvernement soit responsable devant le parlement- au minimum
devant la Chambre basse, c’est-à-dire qu’il soit juridiquement contraint de démissionner lorsqu’il est
mis en minorité. Dans cette optique, le rôle du Chef de l’Etat s’efface et le droit de dissolution est tout
à fait subsidiaire. Il s’agit d’une théorie moniste insistant sur la prépondérance du parlement. Cette
théorie s’appuie sur un argument historique de valeur indiscutable : la qualification de parlementaire a
pu être attribuée à un régime à partir du moment où il est devenu évident que le gouvernement devait
se retirer devant un vote de défiance du parlement. Par ailleurs la responsabilité politique a effectivement
constitué l’élément essentiel des Constitutions élaborées en Europe après la Première guerre mondiale.
La doctrine postérieure à la Première guerre mondiale s’est limitée à définir le régime parlementaire par
la responsabilité politique en abandonnant la théorie de l’équilibre devenue inutilisable pour analyser
les régimes parlementaires402.

Pour ces deux auteurs, cette théorie de la responsabilité politique comporte des limites. C’est le cas
d’accorder au régime parlementaire une extension indéfinie car elle conduit à qualifier de parlementaires
tous les gouvernements responsables devant le parlement. En outre, dans la pratique même des régimes
parlementaires, la responsabilité politique tend à perdre de son importance à cause de la rareté de
l’adoption des motions de censure. La responsabilité politique ne cesse moins d’être un critère essentiel
du fait de son usage403. L’usage de la motion de censure qui participe du régime parlementaire doit être
distingué de son utilisation ou de son aboutissement dans les procédures parlementaires.

400 D. BARANGER et A. LE DIVELLEC, « Régime parlementaire », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité


international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 159-193, spéc. pp. 162-165.
401 P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens, 2 è éd., Paris, PUF, 1978, pp. 36-39.
402
P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens, 2 è éd., Paris, PUF, 1978, pp.41-44.
403 P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, op.cit., pp. 42-43.

87
Tenant compte de l’insuffisance du critère juridique (la théorie de la responsabilité et même de la théorie
de l’équilibre) les deux auteurs le complète par l’intégration de la notion sociologique du régime
parlementaire qui constitue un produit de l’histoire ayant évolué et dont certaines institutions ont
conservé leur permanence. Pour ces auteurs, le régime parlementaire repose sur un contexte
économique, à savoir le capitalisme, une structure sociale oligarchique et un certain type d’idéologie,
l’idéologie libérale404. En définitive, concluent ces deux auteurs, « la notion de régime parlementaire
comprend des éléments juridiques eux aussi permanents : ce sont les principes fondamentaux du régime
(séparation des pouvoirs, principe représentatif, principe de la légalité) dont l’existence est d’ailleurs
liée à leur fondement sociologique. Le régime parlementaire est en définitive un complexe où les
principes juridiques et les éléments sociologiques sont intimement mêlés et s’expliquent les uns par les
autres »405.

Il est évident que cette optique est trop restrictive car ces composantes reflètent plus le développement
du régime parlementaire dans les Etats européens et exclut par conséquent tous les Etats hors de
l’Europe qui appliquent le régime parlementaire selon leurs réalités. C’est pourquoi les traits
caractéristiques ci-dessous du régime parlementaire intègrent les deux théories précitées avec un parti
pris de notre part en faveur de l’importance du critère de la responsabilité politique qui constitue
l’élément essentiel du régime parlementaire et ce, indépendamment de ses composantes sociologiques.

A.1.1 Les traits caractéristiques du régime parlementaire

a) Le pouvoir exécutif
Il peut être monocéphale (une seule tête qui est généralement le Chef de l'Etat qui est en même temps
le chef du gouvernement. C’est une exception) ou bicéphale (deux têtes bien distinguées : le Chef de
l'Etat et le Chef du gouvernement ou Premier ministre-règle). En général, l'exécutif parlementaire est
dual en ce sens qu'il est formé de deux éléments : un Chef de l'Etat et un cabinet ministériel placé sous
la direction d'un Chef de gouvernement. Il convient de se garder de considérer comme régime
parlementaire tout exécutif dual. Dans des régimes non parlementaires un Premier ministre peut être
institué comme coordonnateur de l’activité gouvernementale sous l’autorité et la responsabilité du Chef
de l’Etat ou encore un exécutif monocéphale dans un régime parlementaire comme en Afrique du Sud
où le Président de la République est aussi Chef du gouvernement.

- Le Chef de l'Etat
Dans un régime parlementaire, la forme du Chef de l'Etat importe peu. Ce type de régime est en effet
très souple car il peut s'accommoder avec la monarchie ou avec la République. Dans un système
monarchique, le Roi est le Chef de l'Etat. Il est désigné selon les modes traditionnels de dévolution du
pouvoir, notamment l'hérédité. Dans un système républicain, le Chef de l'Etat est incarné par un
Président de la République qui est élu au suffrage universel soit indirect (Italie, Allemagne, Ethiopie,
Liban, Irak, Turquie jusqu’à la révision constitutionnelle de 2010) soit direct (France, Autriche,
Finlande, Portugal et la quasi-totalité des Etats africains). Le Chef de l’Etat représente la nation. Il en
constitue le symbole de l’unité nationale. Il veille à la continuité de l'Etat et au bon fonctionnement des
institutions. Il est, à cet égard, politiquement irresponsable pour les actes accomplis à l'occasion de
l'exercice de ses fonctions. La plupart de ses actes sont contresignés par le Premier ministre ou le
ministre intéressé qui en assume la responsabilité.

404P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, op.cit., pp. 45-97.


405 P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens, 2 è éd., Paris, PUF, 1978, p.46

88
L'irresponsabilité politique du Chef de l'Etat est un des dogmes de l'orthodoxie parlementaire 406. Cette
irresponsabilité du Chef de l’Etat est relative dans certains régimes parlementaires contemporains. C’est
le cas du Chef d’Etat sud-africain qui peut faire l’objet de motion de censure conjointement avec son
gouvernement. Cette éventualité est virtuelle quant à son aboutissement positif, à moins d’un désaveu
par le parti ou la coalition majoritaire au Parlement, dans la mesure où le Chef d’Etat émane du
Parlement et dispose de la majorité parlementaire. Constitutionnellement, ses pouvoirs sont très étendus.
En effet, il nomme formellement le Chef du gouvernement ainsi que les autres ministres ; signe les
décrets ainsi que les traités internationaux; nomme les fonctionnaires et dispose du droit de grâce.
Toutefois, si constitutionnellement les pouvoirs juridiques du Chef de l'Etat sont très étendus,
politiquement il ne les exerce pas, surtout dans les monarchies. En réalité, son pouvoir est apparent ou
formel. Son rôle est purement honorifique. Il « règne mais ne gouverne pas » ou, plutôt, gouverne par
son influence et non par des ordres impératifs (moral persuasion). Si les décisions fondamentales sont
prises en son nom, le Chef de l'Etat n'est en réalité que « la main qui signe » les décisions du cabinet ou
du parlement. Il ne peut, lui-même, prendre aucune décision propre. Tous ses actes doivent être, en
principe, contresignés par les ministres chargés de leur exécution407.

Dans le régime parlementaire classique comme celui britannique, le souverain n’agit pas. Mais il est
informé de la vie politique grâce à la rencontre qu’il a une fois par semaine avec le Premier ministre. Il
reçoit chaque jour le procès-verbal analytique des séances du Parlement ainsi que les dépêches
diplomatiques. Il préside à l’ouverture du Parlement où elle lit le discours du Trône largement écrit par
le Premier ministre408.

C’est au regard de cet élément, par exemple que Maurice DUVERGER considère que le régime
parlementaire se caractérise par la distinction du chef de l’Etat et du chef du gouvernement, le premier
ne remplissant qu’un rôle honorifique, sans pouvoirs réels, le second assumant seul la direction de
l’exécutif, au sein d’un cabinet ministériel responsable avec lui devant le Parlement. C’est en tenant
compte de cet effacement qu’il soutient que la différence réelle entre les républiques parlementaires et
les monarchies parlementaires est très faible puisque, roi ou Président, le Chef de l’Etat n’a pratiquement
pas de pouvoir409. Cette caractéristique du régime parlementaire telle que présentée par Maurice
DUVERGER et concernant le rôle effacé ou peu de pouvoirs du Chef de l’Etat doit être relativisée.
C’est dans les monarchies parlementaires que le Chef de l’Etat est généralement effacé ou exerce des
fonctions honorifiques et non dans les républiques parlementaires dans lesquelles le Chef de l’Etat tire
souvent sa légitimité du suffrage universel direct.

- Le gouvernement
Le gouvernement est une institution solidaire et collégiale composée de ministres placés sous l'autorité
d'un chef de gouvernement qui prend la dénomination de Président du Conseil, de Premier Ministre ou
de Chancelier. La solidarité gouvernementale, spécificité des régimes parlementaires, constitue « une
obligation pour les différents ministres d’agir de concert après une prise de décision- normalement
commune-qui reste confidentielle (…). Cette obligation d’union est liée à la responsabilité collective du
gouvernement devant le Parlement »410. Il revient, en effet, au gouvernement, le pouvoir de déterminer
et de conduire la politique de la Nation dont il endosse la responsabilité devant les représentants élus de

406 Le parlementarisme sud-africain fait exception à cette règle dans la mesure où le Président de la République est responsable
conjointement avec ses ministres devant le Parlement. Ce dernier peut adopter une motion de censure à son égard.
407 Il exerce certains pouvoirs qui lui sont propres. C’est le cas de la nomination du Premier ministre, de la dissolution des Chambres

etc.
408 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 189.
409 M. DUVERGER, Introduction à la science politique, Paris, Gallimard, 1964, pp. 162-163.
410 Chr. De NANTOIS, « La solidarité gouvernementale sous la Vè République : se soumettre, se démettre ou disparaître », Jus

politicum, 2009, n°2, p.3.

89
la nation. Cette politique de la nation ou mieux de l’Etat est déterminée collégialement par le
gouvernement au sein du Conseil des ministres qui, dans certains Etats, est présidé par le Chef d’Etat et
dans d’autres par le Premier ministre.

En Grande-Bretagne, il existe une différence entre gouvernement et cabinet. Au sens strict, le


gouvernement est beaucoup plus large que le cabinet qui politiquement dirige en fait la politique sous
l’autorité du Premier ministre et sous le contrôle du parlement. Au sens large le gouvernement officiel
de Grande-Bretagne se divise en cinq sections : le cabinet, les départements ministériels du
gouvernement, le ministère de la justice, les whips et la maison royale). Le cabinet proprement dit est
plus restreint. Il ne peut compter plus de vingt postes salariés, Premier ministre et Grand chancelier non
compris. Les membres du gouvernement en Grande-Bretagne sont obligatoirement membres du
Parlement 411. Les principales fonctions du Cabinet sont : la mise au point du programme politique à
soumettre au Parlement ; le contrôle de l’exécutif dans l’optique voulue par le Parlement ; la
coordination et la répartition du travail ministériel412. C’est en raison de cette spécificité du cabinet en
Grande Bretagne que le régime parlementaire y est parfois qualifié de régime de cabinet ou, au regard
de l’influence du Premier ministre qui est aussi Chef de la majorité parlementaire, de régime primo-
ministériel.

Dans certains Etats, notamment de l’Afrique australe, l’exécutif est monocéphale du fait que le Chef de
l’Etat est aussi chef du gouvernement. Le gouvernement est la pièce maîtresse du régime parlementaire.
Il est l'institution privilégiée par laquelle s'opère la collaboration des pouvoirs entre le Chef de l'Etat qui
incarne la continuité et la chambre élue du Parlement qui reflète la conjoncture politique. Le
gouvernement procède du Chef de l'Etat qui nomme formellement ses membres même si, dans la
pratique, la nomination lui est imposée par les circonstances politiques. Toutefois, une fois nommé, le
gouvernement ne dépend plus, pour sa survie, du Chef de l'Etat, mais de l'Assemblée élue devant
laquelle il est politiquement responsable.

La responsabilité politique du gouvernement devant le parlement (ou tout au moins devant la Chambre
élue) constitue la condition sine qua non du régime parlementaire413. Le gouvernement doit être
l'émanation de l'Assemblée ou tout au moins doit bénéficier de la confiance de cette dernière. Certaines
Constitutions imposent au Chef de l’Etat de choisir le Premier ministre, Chef du gouvernement au sein
du parti vainqueur des élections législatives414. Dans d’autres Etats une pratique s’est développée
consistant pour le Chef de l’Etat à nommer le candidat Premier ministre susceptible d’obtenir le soutien
de la majorité parlementaire. La désignation du Premier ministre peut être précédée par une mission
d’information ou une mission exploratoire que le Chef de l’Etat peut confier à une personnalité pour
rechercher l’existence d’une majorité parlementaire avant de procéder à la nomination du Premier
ministre. Certains Etats prévoient la procédure d’investiture du gouvernement de la part du parlement à
l’issue de l’approbation du programme gouvernemental. Cette investiture témoigne de la confiance. En
Allemagne l’investiture ne concerne pas tout le gouvernement, mais uniquement le Chancelier415.

411 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, pp. 205-206.
412 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 207.
413 M-A. COHENDET, « La classification des régimes, un outil pertinent dans une conception instrumentale du droit

constitutionnel », L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 299-314, p. 303.
414 Voy. l’article 47 (al. 1er) de la Constitution marocaine du 29 juillet 2011. Le Roi nomme le Chef du gouvernement au sein du

parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants et au vu de leurs résultats. Sous l’empire de
l’ancienne Constitution, le roi était libre de nommer le Chef du gouvernement sans être lié.
415 Pour plus de détails sur le temps, la composition du gouvernement et la procédure de son entrée en fonction, voy. B. NABIL,

« Le temps et la formation du gouvernement », Constitutions, 2017, pp. 550-559.

90
b) Le Parlement
Le Parlement est une institution collégiale qui exerce la fonction législative. A travers ses délibérations,
le Parlement vote la loi qui est l'expression de la volonté générale, octroie des moyens d'action au
gouvernement à travers le vote du budget et contrôle l'action gouvernementale qu'il peut sanctionner si
l’Exécutif s'écarte de la volonté du peuple exprimée par ses représentants. Il autorise, dans certains
Etats, le Chef de l’Etat à ratifier une certaine catégorie de traités internationaux. Le gouvernement est
redevable de sa gestion devant le parlement ou l’une de ses chambres.
c) La collaboration entre les pouvoirs
La collaboration des pouvoirs et l'existence de moyens d'action réciproques entre les pouvoirs
juridiquement différenciés sont les principaux traits marqueurs du régime parlementaire. Le régime
parlementaire est un régime à base de séparation souple des pouvoirs. Le régime met les protagonistes
du jeu politique dans l'impérieuse nécessité de collaborer pour exprimer la volonté politique du pouvoir
d'Etat. Cette collaboration qui ressort au demeurant de la théorie de la séparation telle qu'elle a été
formulée par Montesquieu permet à l'exécutif de participer à l'exercice de la fonction législative et au
législateur d'octroyer des moyens et de disposer d'un droit de regard sur l'action de l'exécutif. Ces
interférences sont fondamentales. Elles s'inscrivent dans la perspective d'un équilibre des deux
principales forces politiques qui doivent collaborer sur un pied d'égalité dans une entente et non une
subordination.

- La participation de l'exécutif à l'exercice de la fonction législative


Dans un régime parlementaire, l'exercice de la fonction législative n'est pas l'apanage exclusif du
Parlement. L'exécutif y est associé en ce sens qu'il dispose de l'initiative en matière législative à travers
le dépôt des projets de loi qui, adoptés par le Parlement, deviendront des lois au même titre que les
propositions de loi des parlementaires qui ont fait une sanction positive du législateur. Il a été démontré
que le taux des lois adoptées sous initiative gouvernementale est plus élevé que celui émanant des
parlementaires. Joël MEKHANTAR souligne cette évidence caractérisant « l’archaïsme » de la théorie
de la séparation des pouvoirs : « Au plan institutionnel, la fonction législative a été grandement
absorbée par l’Exécutif qui, non seulement, a l’initiative de la presque totalité des lois votées par le
Parlement, mais qui, de plus, bénéficie souvent de mécanismes lui permettant d’imposer son point de
vue dans la procédure législative »416. Mathieu TOUZEIL-DIVINA abonde dans la même optique
qu’en Europe, c’est désormais un lieu commun que d’affirmer au contraire que les gouvernements sont
les principaux législateurs au détriment des parlements nationaux. En France, comme ailleurs, le
parlement vote formellement la Loi qui, géographiquement, est bien adoptée dans les palais caméraux
mais sur le fond, l’initiative et le contrôle du processus législatif échoient à l’exécutif417.

- La maîtrise gouvernementale du parlement


La prégnance de l’Exécutif sur le parlement est l’une des caractéristiques du régime parlementaire
moderne. Cette prégnance a aussi été observée en France. En effet, nous pouvons lire sous la plume de
Pierre ALBERTINI qui souligne l’affaiblissement parlementaire en ces termes : « Les premiers indices
concernent l’élaboration de la loi, sous l’angle de son origine comme de son contenu. Si formellement,
le Parlement est toujours le seul à l’adopter et à lui conférer sa valeur, il n’est guère à l’initiative des
textes les plus importants. L’initiative, qu’il partage avec le Premier ministre, se heurte, dans les faits,
à la fixation de l’ordre du jour qui donne la priorité au Gouvernement et à l’information que ce dernier

416 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 85. Notre
soulignement. Voy. aussi dans cette optique, O. ROZENBERG, « Comparer les parlements », in Y. DELOYE et J,-M. DE WAELE
(dir.), Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 303-364.
417 M. TOUZEIL-DIVINA, Dictionnaire de Droit public interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 343.

91
se réserve largement »418. Il est rejoint par Hugues PORTELLI qui, étudiant les 60 ans de la Constitution
française et en se consacrant à la place du parlement français, évoque la subordination parlementaire
tout au long de ce parcours419.

L’exécutif dispose d'un droit d'entrée et de parole dans les assemblées. Il a le pouvoir d'interrompre ou
de clore les sessions parlementaires car il est étroitement associé à l'élaboration de l'ordre du jour des
travaux du parlement. L’exécutif intervient également dans la procédure législative car il dispose d'un
droit d'amendement qui lui permet de corriger ou de parfaire les textes qui sont discutés dans les
commissions ou en plénière. Il peut soulever l'exception d'irrecevabilité visant à rejeter ou à écarter des
discussions les amendements ou propositions de loi des parlementaires. Une fois le texte adopté par le
Parlement, l'exécutif peut retarder sa mise en vigueur en demandant une seconde lecture ou bien
s'opposer à son application en exerçant son droit de veto. Enfin le Chef de l'Etat est chargé de la
promulgation des lois votées par le Parlement.
d) Le contrôle de l'exécutif par le législatif
Le contrôle parlementaire revêt un contenu plus élastique qu’aucune définition ne peut l’épuiser.
Conscient de la difficulté de circonscrire la portée du contrôle parlementaire, Alain DELCAMP le
définit comme « l’ensemble des moyens, juridiques ou non, mis en œuvre par les assemblées pour
amener le gouvernement à s’expliquer sur les choix qu’il propose, l’adéquation des moyens affectés aux
fins qu’il dit poursuivre, le mode d’emploi des fonds qui lui sont accordés par les assemblées, l’examen
du fonctionnement des services publics qu’il dirige, les anomalies ou les dysfonctionnements dont ils
peuvent être le théâtre et qui justifieraient des investigations particulières, les conditions dans lesquelles
il met en œuvre la législation »420.

Pour sa part RYM FASSI-FIHRI définit le contrôle au sens juridique comme « l’ensemble de missions
visant à exercer une influence (lato sensu) sur l’action du gouvernement »421. Dans un article consacré
à la comparaison des parlements, Olivier ROZENBERG distingue contrôler et scrutiner (du néologisme
formé à partir de l’anglais scrutiny). Pour lui le terme contrôle renvoie in fine à la mise en œuvre de la
responsabilité gouvernementale alors que le scrutiny exprime une volonté d’influence par l’information,
le questionnement et le droit de suite. En d’autres termes, le scrutiny désigne une action de contrôle
approfondie par différents instruments et aux finalités multiples422.

Le législatif surveille l’Exécutif de manière à ce qu'il ne s'écarte pas de sa volonté politique. Le contrôle
parlementaire a essentiellement trois objectifs : vérifier l’accomplissement de la Constitution et des lois
de la République, vérifier leur ajustement au programme de la majorité parlementaire, amener le
gouvernement à rectifier ses orientations si on constate une certaine déviation. Cependant, comme
l’observe KAYAMBA TSHITSHI, la fonction de contrôle ne se limite pas seulement à ces trois aspects.
Elle implique une perspective d’influence sur l’activité gouvernementale, car il ne s’agit pas d’une
simple activité de vérification, mais de critique passible des sanctions politiques423.

418 P. ALBERTINI, « La place du parlement sous la Vè République », in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel
TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 21-33, spéc. à la p. 26.
419 H. PORTELLI, « Soixante ans de subordination parlementaire », Pouvoirs, 2018, n° 166, pp. 69-80.
420 A. DELCAMP, « La perception du contrôle parlementaire. Comment le rendre plus attractif ? », Pouvoirs, 2010/3, n° 134, 2010,

pp. 109-122, spéc. à la p. 111.


421 RYM FASSI-FIHRI, « Pour une classification des missions de contrôle gouvernemental du parlement », RFDC, n° 117, 2019, n°

1, pp. 73-95, spéc. à la p. 75.


422 O. ROZENBERG, « Comparer les parlements » in Y. DELOYE et J-M. DE WAELE (dir.), Politique comparée, Bruxelles,

Bruylant, 2018, pp. 303-365, spéc. à la p. 340.


423 KAYAMBA TSHITSHI NDOUBA, Agonie et fin de la première République du Congo-Kinshasa, Paris, l’Harmattan, 2018, p.

101.

92
Ce contrôle s’exerce par différents moyens comme les questions orales et écrites ayant principalement
le but pour le gouvernement d’informer l’Assemblée nationale, de répondre aux différentes
préoccupations des députés, de fournir des réponses appropriées. Le défaut pour le membre du
gouvernement de répondre à l’invitation du parlement peut constituer l’infraction d’outrage au
parlement. Généralement le parlement représente, légifère et contrôle. Une autre modalité de contrôle
parlementaire sur l’action du gouvernement se manifeste à travers l’évaluation des politiques publiques.
Pour RYM FASSI-FIHRI, l’évaluation des politiques publiques constitue un contrôle certes, mais ne
correspondant pas au critère du contrôle-sanction424. Philippe HOUILLON considère l’évaluation des
politiques publiques comme relevant du « contrôle extraordinaire »425 du parlement.

En bref , dans un régime parlementaire, les différents moyens d’information et de contrôle de l’action
du gouvernement sont énoncés par la Constitution ou résultent de la pratique. Ils sont déterminés ou
précisés dans les différents règlements intérieurs des assemblées parlementaires. Les moyens les plus
communs sont les suivants : l’interpellation, la question écrite, la question orale avec ou sans débat, les
questions d’actualité, la commission d’enquête, l’audition en commission, la motion de censure
collective ou individuelle. Dans certains Etats la motion de censure ne figure pas parmi les moyens de
contrôle parlementaire, mais les différents moyens d’information et de contrôle peuvent, le cas échéant,
aboutir à la motion de censure ou de défiance426 alors que d’autres citent, parmi les moyens
d’information, de contrôle et d’action du parlement sur le gouvernement, outre les questions orales ou
orales avec ou sans débat, l’interpellation, l’audition en commission, mais aussi la motion de censure427.
e) Les moyens d'action réciproques
La collaboration des pouvoirs est assortie de moyens permettant à chacun des pouvoirs d’influencer
l’action de l’autre et à la limite de le sanctionner. Bien que ces moyens soient nombreux et ne s’épuisent
pas dans la sanction comme nous l’avons souligné précédemment, nous retenons néanmoins les deux
formes ultimes de sanction constituées par la responsabilité politique du gouvernement devant le
Parlement d'une part, et le droit de dissolution d'autre part.

- La responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement


La responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement ou devant la Chambre élue au
suffrage universel, est la règle d'or du régime parlementaire, à tel point que, pour certains auteurs, elle
est un « 'élément essentiel qui caractérise le régime parlementaire »428.

Pour René CAPITANT, la responsabilité politique des ministres est la condition du régime
parlementaire. Elle consiste dans l’obligation juridique pour les ministres de se démettre s’ils perdent
la confiance de l’assemblée. Elle a pour but de maintenir l’accord entre la politique ministérielle et la

424 RYM FASSI-FIHRI, art.cit., p. 95.


425 Ph. HOUILLON, « Le contrôle extraordinaire du parlement », Pouvoirs, 2010/3, n° 134, pp. 59-69, spéc. à la p. 61.
426 Par exemple l’article 138 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006: “ Sans préjudice des autres dispositions de la présente

Constitution, les moyens d’information et de contrôle de l’Assemblée nationale ou du Sénat, sur le Gouvernement, les entreprises
publiques, les établissements et services publics sont : 1. la question orale ou écrite avec ou sans débat non suivi de vote ; 2. la
question d’actualité ; 3. l’interpellation ; 4. la commission d’enquête ; 5. l’audition par les Commissions. Ces moyens de contrôle
s’exercent dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur de chacune des Chambres et donnent lieu, le cas échéant, à la
motion de défiance ou de censure, conformément aux articles 146 et 147 de la présente Constitution ».
427 Art.89 de la Constitution centrafricaine du 30 mars 2016.
428 M. A. COHENDET CHASLOT, Le Président de la République, Paris, 2ème édition, Dalloz, 2001, pp. 4-5 ; M-A. COHENDET,

« La classification des régimes, un outil pertinent dans une conception instrumentale du droit constitutionnel », L’architecture du
droit. Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 299-314, spéc. p. 303 et s ; Voy. D. BARANGER et
A. LE DIVELLEC, « Régime parlementaire », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit
constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 159-193, spéc. pp. 162-165, spéc. p. 172.

93
politique de la majorité de l’Assemblée. Elle entre en jeu dès qu’un désaccord se manifeste. Le régime
parlementaire est donc le gouvernement d’un cabinet responsable devant l’assemblée429.

La responsabilité politique peut être engagée sur l'initiative du parlement par le biais de la motion de
censure ou bien de l'exécutif qui peut solliciter la confiance des élus de la nation (vote de la question de
confiance) sur un programme, une question ou une déclaration générale. Il convient de noter que cette
mise en jeu de la responsabilité politique peut engager tout le gouvernement (motion de censure) ou
viser tout simplement individuellement un membre du gouvernement (motion de défiance). Le régime
parlementaire peut se définir, de ce point de vue comme un mode spécifique de légitimation de l’exécutif
à travers la confiance. Celle-ci apparaît comme une manière pour la Chambre de déterminer, d’exercer
une contrainte sur le choix des personnes430. La durée du gouvernement est appréciée en fonction de la
persistance de cette confiance.

Il importe de distinguer les deux formes de responsabilité politique du gouvernement par lesquelles le
parlement peut mettre en jeu la responsabilité collective du gouvernement. Il s’agit d’une part de la
motion de censure et de la question de confiance d’autre part.

- La motion de censure et motion de défiance


La motion de censure est une procédure parlementaire par laquelle les députés prennent l'initiative de
désavouer publiquement le gouvernement et de le sanctionner, en conséquence, en lui retirant leur
confiance. Le dictionnaire du droit public interne fait ressortir en ces termes la nature juridique de la
motion de censure : « Acte parlementaire non législatif et non délibéré en commission votée par une
assemblée politique visant à mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement »431. Si la motion
est adoptée, le Chef du gouvernement devra remettre sa démission au Chef de l'Etat ou demander à ce
dernier la dissolution du parlement ou de la chambre élue de manière à redonner la parole aux électeurs.

Les Constitutions et les pratiques constitutionnelles divergent. L’adoption d’une motion de censure
n’entraîne pas automatiquement la démission du gouvernement. En raison de sa gravité, la motion de
censure est enserrée dans un formalisme rigoureux rendant difficile son adoption (signature par un
nombre bien défini de députés, observation d'un délai de réflexion, adoption à une majorité absolue des
membres composant l'Assemblée). Elle constitue sans doute la conséquence extrême de la
responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement ou l’une de ses deux chambres. La motion
de défiance vise à désavouer un membre du gouvernement en le contraignant à la démission. Elle est
également appelée motion de censure individuelle. En Angleterre, la responsabilité pénale individuelle
des ministres par la procédure d’impeachment avait précédé la responsabilité politique collective du
cabinet432. L’Allemagne prévoit la motion de censure constructive dans la mesure où une motion contre
le chancelier n’est recevable que si elle indique en même temps le nom du candidat chancelier. Cette
innovation a été reprise dans plusieurs Etats européens comme l’Espagne, le Portugal. Elle est aussi

429 R. CAPITANT, « Régimes parlementaires », in Mélanges Carré de Malberg. Faculté de Droit et des Sciences politiques de

Strasbourg, 133, réimpression, Paris, Edouard Duchemin, 1977 consulté sur gallica.bnf.fr le 28 février 2022, pp. 31-57.
430 Voy. D. BARANGER et A. LE DIVELLEC, « Régime parlementaire », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité
international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 159-193, spéc. pp. 162-165, spéc.
p. 172.
431 M. TOUZEIL-DIVINA, Dictionnaire de Droit public interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 309.
432 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 188.

94
reprise dans certains Etats africains. A titre d’exemple, l’article 83 (5) de la Constitution du Lesotho de
1993 telle que révisée jusqu’en 2019 prévoit cette motion de censure « constructive »433.

Il convient de noter que le recours à la motion de censure est devenu une tactique que l’opposition
parlementaire peut mobiliser, dans la plupart des cas sans succès au regard de son poids numérique
peu consistant, pour mettre en difficulté la majorité et son gouvernement. La Revue Pouvoirs avait
édité, en 2000, un dossier consacré à la responsabilité politique des gouvernants. Certains auteurs,
notamment Christian BIDEGARAY, ont soutenu que la motion de censure, l’un des instruments
privilégiés de la mise en œuvre de la responsabilité politique du gouvernement, était devenue illusoire
quant à son aboutissement434. En effet, assurés du soutien de leur majorité, les ministres jouissent d’une
irresponsabilité de fait435. Cette évidence est aussi constatée en Afrique. Babacar GUEYE souligne qu’il
est « très rare qu’une majorité parlementaire renverse le gouvernement qu’elle est censée soutenir. (…)
Mais la représentation est pervertie, le parlement vassalisé lorsque l’unique ambition du parlementaire
est de plaire à l’exécutif dans la perspective d’une rétribution comme récompense. L’Assemblée
parlementaire réduite en un appendice du gouvernement, la justice sous contrôle, la séparation des
pouvoirs chahutée, la voie est dégagée pour le pouvoir personnel et le despotisme dans de nombreux
pays africains »436.

Le pouvoir du Parlement de renverser ou de provoquer la démission du gouvernement revêt de nos jours


un caractère purement théorique. La maîtrise du Parlement par un gouvernement majoritaire dilue toute
velléité d’un contrepoids parlementaire. Dominique ROUSSEAU soutient qu’au regard de l’évolution
contemporaine du régime parlementaire, « nulle part le Parlement n’est aujourd’hui un contrepoids au
pouvoir présidentiel ou primo-ministériel »437.

Selon Pierre ROSANVALLON plusieurs facteurs expliquent le fait que la responsabilité politique ne
fonctionne plus aujourd’hui. Du nombre de ces facteurs figurent le renforcement de l’exécutif se
traduisant notamment par l’élection directe des gouvernants ; la présidentialisation des démocraties
valorisant la responsabilité électorale devant les électeurs au détriment de la responsabilité politique
devant le Parlement438. Il préconise à cet effet la refondation de la responsabilité politique, parce que
son principe ne s’inscrit pas dans une logique mécanique d’imputation, mais participe plutôt « d’une
fiction démocratique permettant de maintenir la confiance publique en brisant le sentiment
d’impunité ». Cette nouvelle forme de responsabilité favorise l’implication des citoyens dans la vie
publique. Il s’agit, en d’autres termes d’une responsabilité devant les gouvernés, devant l’opinion439.

- La question de confiance
Elle est une initiative du gouvernement qui sollicite la confiance du Parlement sur sa politique générale,
son programme, un texte d’une importance particulière. La confiance peut être demandée par l'exécutif
pour mieux ressouder sa majorité. Le rejet de la question de confiance entraîne, généralement, la
démission du gouvernement. La question de confiance constitue dans ces conditions un moyen de

433 Art.83 (5) : « (5) A resolution of no confidence in the Government of Lesotho shall not be effective for the purposes of subsection
(4)(b) unless it proposes the name of a member of the National Assembly for the King to appoint in the place of the Prime Minister”
434 Ch. BIDEGARAY, « Le principe de responsabilité fondement de la démocratie. Petite promenade dans les allées du jardin des

délices démocratiques », Pouvoirs, n° 92, 2000, pp. 5-16.


435 Ch. BIDEGARAY, art.cit., p. 8 et s.
436 B. GUEYE, « Le mandat unique : un mandat pour le Président de la République en Afrique », in Démocratie en questions.

Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017, pp. 211-227,
spéc. à la p. 221 et s.
437 D. ROUSSEAU, « Le droit constitutionnel continue : institutions, garantie des droits et utopie », Revue du droit public, 2014, n°

6, 2014, pp. 1517-1533, spéc. à la p. 1524.


438 P. ROSANVALLON, Le bon gouvernement, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 264.
439 P. ROSANVALLON, Le bon gouvernement, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 268.

95
pression considérable du gouvernement sur le Parlement. Toutefois la démission du gouvernement en
cas de rejet de la question de confiance n’est pas automatique. Il existe différentes hypothèses. En
Allemagne par exemple le Chancelier peut démissionner suite au désaveu ; il peut continuer en
demandant au Président de la République de dissoudre le Bundestag (Chambre basse) dans les vingt-et-
un jours ou encore il peut décider de passer outre ce désaveu et de se maintenir en fonction. La
Constitution du Lesotho prévoit le mécanisme analogue : lorsque la motion de censure contre le
gouvernement est adoptée, le Premier ministre bénéficie d’un délai de trois jours pour présenter au roi
sa démission ou demander la dissolution du parlement440.

- Le droit de dissolution
La dissolution est un acte de gouvernement par lequel le Chef de l'Etat, de sa propre initiative ou sur
demande du gouvernement, révoque prématurément le mandat des députés. Elle abrège la durée de la
législature. Le droit de dissolution est considéré comme une des pièces maîtresses du régime
parlementaire. Il s'analyse comme la contrepartie du droit de l'Assemblée de renverser les ministres car,
sans elle, le cabinet se trouve pratiquement désarmé en face d'un Parlement qui peut le renverser à sa
guise. La dissolution permet de sauvegarder l'indépendance de l'exécutif et, en conséquence, l'équilibre
des pouvoirs. Elle permet en dernière instance aux électeurs de trancher les conflits opposant l'exécutif
et le législatif.

Certains auteurs relativisent les vertus du droit de dissolution comme instrument de défense de l’exécutif
contre le Parlement. Ils soulignent que la dissolution n’est pas un élément en soi indispensable au régime
parlementaire car certains Etats pratiquant un gouvernement parlementaire, comme la Norvège, ne la
prévoient pas441. La Corée du Sud pratique aussi un régime parlementaire dans lequel le Président
gouverne sans disposer de la prérogative de dissoudre le parlement monocaméral lequel peut, par une
motion votée à 2/3 des parlementaires et confirmée par la Cour constitutionnelle, le destituer442.

Pour Gilles TOULEMONDE, l’absence du droit de dissolution n’est pas incompatible avec le régime
parlementaire. Dans un Etat où le droit de dissolution serait absent il peut y avoir encore cet équilibre
politique, il peut y régner encore cet esprit d’équilibre avec la présence du seul critère de la
responsabilité gouvernementale443.

Marie-Anne COHENDET est du même avis en soutenant que le droit de dissolution n’est pas
indispensable à la définition d’un régime parlementaire, mais il est très important pour son équilibre444.
D’autres Etats ayant adopté le régime parlementaire comme la Corée du Sud privent leur Président du
droit de dissoudre l’Assemblée monocamérale.

Cette idée est aussi partagée par Pierre Lalumière et André Demichel qui sont formels : « le droit de
dissolution ne fait pas partie des mécanismes juridiques fondamentaux du parlementarisme. (…). Le
droit de dissolution est destiné à garantir l’autorité du roi contre des parlements dont la situation
juridique reste encore subordonnée (…). Il va de soi qu’en tout état de cause le droit de dissolution n’est
plus une prérogative royale. Le roi se contente de signer l’acte de dissolution dont l’initiative a été prise

440 Art. 87 (5) a de la Constitution du Lesotho du 27 mars 1993.


441Voy. D. BARANGER et A. LE DIVELLEC, « Régime parlementaire », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité
international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 159-193, spéc. à la p. 170. Ph.
LAUVAUX et Armel Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition mise à jour, Paris, Puf, 2015, p. 198 et s.
442 Pour plus de détails, voy. SOYEON SHIM, « La séparation des pouvoirs au bord du précipice : le rôle du contre-pouvoir de la

Cour constitutionnelle dans la procédure de destitution du Président de Corée du Sud », AFDC, Xe congrès, Juin 2017,
communication disponible à l’adresse https://docs.wixstatic.com/ugd/75bfc7_1b97e68825cc4d22bdbead66ea78a21b.pdf consultée
le 14 août 2017.
443 G. TOULEMONDE, Institutions politiques comparées. 3è éd., Paris, Ellipses, 2018, p. 62 et s.
444 M.-A. COHENDET, Droit constitutionnel. 4è éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 162.

96
par le gouvernement. Selon la pratique parlementaire la plus récente, il ne lui est même pas possible de
refuser sa signature »445.

La dissolution du parlement ou d’une de ses deux chambres procède d’un processus historique visant à
protéger avant tout les prérogatives royales contre le parlement dont les pouvoirs émergeaient. Plusieurs
Etats ayant adopté le régime parlementaire, qu’ils soient monarchiques ou républicains ont pris
l’habitude de consacrer dans les textes ou dans la pratique le droit de dissolution que certains
considèrent, compte tenu de l’évolution des rapports des forces entre l’exécutif et le législatif, comme
une contrepartie de la responsabilité politique du gouvernement devant le parlement. Ce droit de
dissolution est conçu dans cette optique comme une arme à la disposition du gouvernement. Cette
construction, partiellement fondée, doit être nuancée.

En outre la dissolution ne constitue pas toujours une arme de l’exécutif contre le Parlement (Assemblée
élue) à cause du pouvoir reconnu à ce dernier de voter sa propre dissolution ou mieux l’autodissolution.
Le Fixed-term Parliaments Act 2011 britannique du 15 septembre 2011, non seulement institutionnalise
l’autodissolution de la Chambre des Communes dont la proposition doit être votée par une majorité
qualifiée, mais aussi rationalise le recours au pouvoir discrétionnaire de dissolution dévolu à la
Couronne, mais exercé en pratique par le Premier ministre. Ce pouvoir s’exerce dans cette hypothèse :
si la Chambre des Communes adopte une motion de censure expresse contre le Gouvernement et
n’accorde pas expressément sa confiance, dans un intervalle de quatorze jours, au Gouvernement en
place (quel qu’il soit), la dissolution doit être prononcée446.

Malgré l’adoption de cette loi sur les parlements à durée déterminée tendant à rationaliser le recours à
la dissolution de la Chambre des Communes par le Premier ministre pour des raisons d’opportunité et
de stratégie politiques et d’assurer à ladite Chambre un mandat déterminé, la pratique subséquente
démontre que cette loi ne constitue pas un obstacle pour le Premier ministre de dissoudre
anticipativement ladite Chambre pour des raisons d’opportunité politique. A titre indicatif, Theresa
May, Premier ministre britannique, avait provoqué l’auto-dissolution de la Chambre des Communes le
19 avril 2017 deux ans après les élections législatives dans l’optique d’obtenir une majorité consolidante
capable de soutenir le processus de retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. La Chambre
des Communes avait voté à la majorité de 522 voix contre 13 une motion gouvernementale proposant
l’auto-dissolution447. Le but affiché était de renforcer la majorité conservatrice du Premier ministre dans
la perspective de négociations relatives au Brexit. Les élections législatives organisées pour la
circonstance n’avaient pas permis du Premier ministre de renforcer sa majorité parlementaire 448. Est-il
que le recours à cette stratégie dictée par l’effet des sondages favorables ne constitue pas moins un pari
risqué. Selon VANESSA BARBE qui a analysé les effets des élections législatives anticipées, le parti
conservateur de Theresa May avait perdu 13 sièges ainsi que la majorité absolue devant ainsi former un
gouvernement de coalition avec le parti nord-irlandais DUP449.

En décembre 2019 des élections législatives anticipées avaient été organisées et qui avaient permis de
conforter la majorité parlementaire des conservateurs favorables au Brexit. Le vote par le parlement
britannique de la proposition du Premier ministre avait ouvert la voie à la dissolution dudit parlement.

445
P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens. 2 è éd., Paris, PUF, 1978, pp.312-313.
446 Pour une analyse critique de cette loi, A. LE DIVELLEC, « Un tournant de la culture constitutionnelle britannique : le Fixed-
Term Parliaments Act 2011 et l’amorce inédite de rationalisation du système parlementaire de gouvernement au Royaume-Uni »,
Jus Politicum, n°7, 2012 disponible en ligne http://juspoliticum.com/Un-tournant-de-la-culture.html consulté le 21 août 2015.
447 Pour une analyse de cette dissolution, V. BARBE, « La dissolution de la Chambre des Communes et les élections anticipées du

8 Juin 2017 au Royaume-Uni », Constitutions, Juillet-Septembre 2017, p. 392-394.


448
A. ANTOINE, Droit constitutionnel britannique. 2è éd., Paris, LGDJ, 2018, p. 53.
449 Pour plus de détails, V. BARBE, « La dissolution de la Chambre des Communes et les élections anticipées du 8 Juin 2017 au

Royaume-Uni », Constitutions, Juillet-Septembre 2017, p. 392-394, spéc. à la p. 393.

97
La Fixed-Term Parliaments Act 2011 (FTPA) a été critiquée. Elle a été abrogée en 2022 par le
Dissolution and Calling of Parliament Act 2022 promulguée le 24 mars 2022. Celle loi restaure
le pouvoir de dissoudre existant avant 2011 et exclut tout contrôle juridictionnel de ce pouvoir de
dissolution450.

Le recours au droit de dissolution obéit à plusieurs stratégies ou options électorales. Sa


prospective peut inciter les parlementaires réfractaires à se souder autour de l’exécutif ou encore
le recours au droit de dissolution peut être dicté par des sondages favorables à l’exécutif. La
dissolution est de plus en plus pratiquée, non pas seulement pour demander au peuple la solution
d’une question précise, mais pour l’amener à arbitrer entre les différentes formations politiques
lorsqu’elles celles-ci se trouvent dans un équilibre de forces rendant impossible la constitution
d’un gouvernement stable451.

De nos jours le recours à la dissolution est rare et procède d’un choix politiquement motivé et
risquant. FOYER note que la dissolution est dangereuse lorsqu’elle est combinée avec le scrutin
majoritaire. Elle perd en grande partie sa vertu d’intimidation avec le scrutin proportionnel452.
Joël MEKHANTAR nous renseigne qu’en Grande Bretagne la dissolution a une signification
autre que celle de la contrepartie logique de la responsabilité gouvernementale. C’est un
instrument politique entre les mains du Premier ministre qui peut ainsi fixer la date des élections
générales. Cet instrument est en pratique employé dans quatre cas :- 1° Il peut s’agir de conforter
ou d’assurer une majorité au parti politique du Premier ministre. 2° La dissolution peut être
l’occasion pour un Premier ministre d’obtenir un mandat du pays sur un problème politique
nouveau. 3° Elle est obligatoire à l’échéance normale. 4° la dissolution peut permettre au Premier
ministre de choisir le moment le plus propice pour des élections compte tenu de la popularité du
gouvernement453.
A.1.2 L'évolution du régime parlementaire
Le régime parlementaire n'est pas uniforme. Il se décline de différentes manières dépendant de la
localisation du pouvoir de décision ou de la qualité des rapports entre l'exécutif et le législatif. Aussi,
est-on amené à distinguer, selon les situations, le régime parlementaire moniste et le régime
parlementaire dualiste d'une part, le régime parlementaire rationalisé et le régime parlementaire
majoritaire et minoritaire d’autre part. Ces distinctions relèvent plus de l’observation, de la pratique que
d’une construction dogmatique ou même d’un énoncé constitutionnel.
a) Les régimes parlementaires moniste et dualiste
Cette distinction se fonde sur la localisation du pouvoir de décision qui peut procéder d'une source ou
bien être réparti entre deux pôles de décision. Dans le cadre du régime parlementaire moniste, le pouvoir
procède d'une source unique qui est le parlement. Le Chef de l'Etat ne joue qu'un rôle effacé puisque le
cabinet ne peut compter que sur l'autorité que lui vaut la confiance du Parlement. Ce régime est parfois
appelé de primo-ministériel. Le Chef de l’Etat se limite à y exercer une fonction de magistrature morale
peu importe sa qualité (monarque ou Président élu au suffrage universel direct ou par voie
parlementaire).

450
V. BARBE, « Le Dissolution and Calling of Parliament Act 2022 : du renouveau du droit de dissolution aux
controverses sur les limites des pouvoirs constitutionnels du gouvernement au Royaume-Uni », Revue du Droit public,
N° 5, 2022, pp. 1413-1435, spéc. à la p. 1426.
451 451
P. LALUMIERE et A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens. 2 è éd., Paris, PUF, 1978, p. 333.
452 J. FOYER, « Les ministres entre eux : hiérarchie et collégialité », Pouvoirs, n° 36, 1986, pp. 103-116, spéc. à la p. 113.
453 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 215.

98
Le régime parlementaire est dit dualiste lorsque le pouvoir procède de deux sources qui sont d'une part
l'autorité du Chef de l'Etat et, d'autre part, la puissance issue de la représentation nationale. Il repose
donc sur ces deux centres d'impulsion de la vie politique. Historiquement, le régime parlementaire
dualiste correspond au régime parlementaire classique qui avait réussi à combiner les deux pouvoirs par
l'entremise du cabinet qui en était le trait d'union. Le cabinet doit bénéficier à la fois de la confiance des
chambres et de l'appui du Chef de l'Etat qui jouit encore de prérogatives importantes qui lui permettent
d'intervenir effectivement dans le fonctionnement du système. Il dispose plus spécialement d'un droit
de révocation des ministres ainsi assujettis à une double responsabilité devant les Chambres et devant
le Chef de l'Etat et d'un droit de dissolution discrétionnaire.
b) Le régime parlementaire rationalisé
Le régime parlementaire rationalisé est un concept forgé par le Doyen Boris MIRKINE
GUETZEVITCH entre les deux guerres mondiales par référence au régime allemand de Weimar (1919-
1933). La rationalisation est apparue comme une réponse institutionnelle à l'instabilité ministérielle qui
avait cours dans les régimes parlementaires européens jusqu'au lendemain de la deuxième guerre
mondiale. Elle vise à renforcer l'autorité de l'exécutif en codifiant, dans le dispositif constitutionnel, des
mécanismes, artifices rendant difficile le renversement du gouvernement par l'Assemblée ou faisant
prévaloir, en dernier ressort, la volonté du pouvoir exécutif sur celle du pouvoir législatif dans le
processus normatif. En d’autres termes, par parlementarisme rationnalisé, il convient d’entendre « les
formes d’encadrement de l’activité parlementaire par des dispositifs destinés à prévenir les risques
d’instabilité gouvernementale chronique inhérents aux régimes d’assemblée qui avaient constitué au
XIX è siècle, et encore dans l’entre-deux-guerres, l’idéal-type du parlementarisme. Ceux-ci constituant
pour l’essentiel à rendre plus difficile la mise en œuvre de la responsabilité ministérielle par l’adoption
de mécanismes procéduraux contraignants régissant le fonctionnement parlementaire (recours à la
dissolution, mise en place de délais limitatifs pour le dépôt d’une motion de censure, conditions de
majorité renforcée pour valider une telle motion, etc.(…), le but étant dans tous les cas de protéger
l’exécutif vis-à-vis du législatif… »454.
c) Le régime parlementaire majoritaire et le régime parlementaire minoritaire
En régime parlementaire, la majorité est une institution clé du système politique du fait que le
gouvernement tire sa légitimité ou sa confiance de cette majorité dont il a besoin pour réaliser son
programme. La majorité dans les régimes parlementaires peut être à l’état pur, diluée ou surdéterminée.
Selon Denis BARANGER, la Grande-Bretagne connaît un parlementarisme à l’état pur autrement
qualifié de modèle Westminster qui permet à un parti ou à une coalition, grâce au système électoral
majoritaire, de disposer de la majorité absolue des sièges pour gouverner. Le parlementarisme
majoritaire dilué se décline de différentes manières, notamment par l’inclusion d’une certaine dose de
la représentation proportionnelle une majorité se dégage ; ou encore par le biais de modèles dits
consociatifs en cours en Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche dont le propre consiste à mettre l’accent
sur la diversité des groupes qui composent le corps politique, et de viser à leur reconnaître une capacité
aussi grande que possible de participation au pouvoir. Le parlementarisme majoritaire surdéterminé est
illustré par la Vè République française dans laquelle le gouvernement compte sur le fait majoritaire,
c’est-à-dire, une situation dans laquelle un parti ou une coalition obtiennent la majorité absolue des
sièges à l’Assemblée nationale et soutiennent le même gouvernement ou du moins la même tendance
pendant toute la durée de la législature.455.

Le parlementarisme majoritaire apparaît comme la version contemporaine du régime parlementaire. Il


se fonde sur la logique majoritaire qui permet à un parti ou une coalition de partis de détenir la majorité
454
P. ROSANVALLON , Le bon gouvernement, Paris, Editions du Seuil, 2015, pp.174-175.
455
D. BARANGER, « Théorie et pratique du principe de majorité dans les droits constitutionnels européens », Jus Politicum, n° 15,
2016.

99
des sièges à la chambre élue du parlement et de contrôler le pouvoir d'Etat pendant toute la durée de la
législature. Le gouvernement qui est l'état-major de la majorité parlementaire bénéficie de cette
situation. Il ne court pas le risque d'être renversé par les députés en raison de la discipline de vote qui
prévaut à l'intérieur du parti. La soudure entre l'exécutif et sa majorité parlementaire bouleverse
l'architecture du régime parlementaire classique. La motion de censure tombe en désuétude pendant
toute cette période car, à moins d'une crise grave au sein de la majorité parlementaire, on voit
difficilement les députés renverser un gouvernement qui émane d'eux. De même, la dissolution change
de signification. Elle n'est plus la contrepartie de la motion de censure mais un moyen de provoquer des
élections anticipées au moment jugé opportun par le gouvernement, ou bien d'associer le peuple à la
prise de décisions fondamentales intéressant la collectivité nationale.

Au regard de l’évolution du régime parlementaire majoritaire, le critère de séparation des pouvoirs


devient de moins en moins prégnant au profit de la fusion entre la fonction législative et
gouvernementale ou mieux de la domination de l’organe législatif par l’une des composantes de
l’exécutif. La confrontation se déplace et met aux prises le couple majorité/opposition sous l’arbitrage
des juridictions constitutionnelles456. Les droits et privilèges de l’opposition y occupent une place de
choix.

Le régime parlementaire minoritaire constitue une exception car un gouvernement doit s’appuyer sur
une majorité parlementaire pour réaliser son programme. Dans certains Etats nordiques comme la
Norvège, la Suède et surtout le Danemark, il est possible qu’un gouvernement minoritaire puisse exercer
le pouvoir pendant une longue période selon la formule du parlementarisme négatif impliquant que « les
abstentions sont comptabilisées comme des marques de soutien au gouvernement, y compris lors d’un
vote de confiance. (…). Le Danemark peut ainsi se targuer d’un quasi-record mondial en matière de
formations minoritaires et, en raison du système proportionnel et même les partis très dominants comme
le SAP suédois n’ont pas toujours été en mesure de former des cabinets majoritaires seuls »457. La Suède
possède une longue tradition des gouvernements minoritaires, c’est-à-dire « ceux dont l’investiture, la
composition et le soutien à long terme ne permettent pas d’atteindre la majorité absolue des suffrages à
la chambre unique du parlement »458. Le régime parlementaire minoritaire peut aussi se manifester
lorsqu’un gouvernement minoritaire est toléré dans les Etats du parlementarisme majoritaire pendant
une certaine période limitée.

La pratique du parlementarisme offre un tableau sur lequel peuvent être dessinés différents modèles de
régime parlementaire : le modèle de Westminster459, le modèle allemand ou de Bonn460, le modèle
scandinave461. Nous pouvons y ajouter deux autres modèles : le modèle français caractérisé notamment

456 Pour plus de commentaires sur ce point, J-P. FELDAM, « La séparation des pouvoirs et le constitutionnalisme. Mythes et réalités
d’une doctrine et de ses critiques », RFDC, 2010/3, n° 83, pp. 483-496.
457 Y. AUCANTE, Les démocraties scandinaves. Des systèmes politiques exceptionnels ?, Paris, Armand Colin, 2013, pp. 112-113.
458 L. LEOTHIER, “Du parlementarisme minoritaire régulé au parlementarisme minoritaire démembré. Le legs de la crise

ministérielle suédoise survenue à l’issue des élections législatives de septembre 2018 », RFDC, n° 118, 2019, pp. 357-363, spéc. à
la p. 358.
459 C’est le système parlementaire classique, composé d’un monarque, d’une Chambre basse, d’un droit de dissolution, marqué par

la primauté de règles coutumières.


460 Il se distingue traditionnellement par sa rationalisation habile, et notamment sa motion de défiance constructive.
461 Il est caractérisé par la confiance présumée que détiendrait le gouvernement. Un gouvernement soutenu par une minorité peut

fonctionner tant qu’il ne réunit pas une majorité de parlementaires contre lui. Ces trois modèles sont puisés dans A. FAYE, « La
Constitution de 1958 met-elle en œuvre un modèle de régime parlementaire ? », in S. SEGALA et S. AROMATARIO (dir.), Les
modèles constitutionnels, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 153-177, spéc. à la p. 157 et s. « Les gouvernements des pays nordiques
obéissent généralement à la forme parlementaire, au sens où ils sont issus de l’assemblée et tolérés par celle-ci selon une doctrine
tacite de parlementarisme négatif : ceci implique que les abstentions sont comptabilisées comme des marques de soutien au
gouvernement, y compris lors d’un vote de confiance ». voy. Y. AUCANTE, Les démocraties scandinaves. Des systèmes politiques
exceptionnels ?, Paris, Armand Colin, 2013, p. 112.

100
par l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel direct et doté de pouvoirs d’orientation 462 et le
modèle de l’Afrique australe dont le trait essentiel résulte de l’absence du Premier ministre et de
l’élection du Chef de l’Etat463. L’Exécutif dans ce dernier modèle ressemble à celui américain. La
Constitution namibienne du 12 mars 1990 dessine un parlementarisme sui generis dans lequel le
Président de la République est Chef d’Etat et chef du gouvernement. Il est partie intégrante du
gouvernement. Le Premier ministre qu’il nomme défend ou conduit les affaires du gouvernement au
sein du Parlement. Le Premier ministre coordonne les activités du cabinet, conseille et assiste le
Président dans l’exécution des fonctions gouvernementales. Il est, avec les autres ministres, responsable
aussi bien devant le Parlement que le Président de la République. Pour certains auteurs, la Constitution
de Namibie précitée instaure un vrai régime semi-présidentiel464. C’est au regard de l’évolution du
régime parlementaire que Dominique CHAGNOLLAUD estime qu’il n’y a pas, en clair, un régime
parlementaire, mais des régimes parlementaires dont la forme a évolué avec le temps465.

Pour terminer, le régime parlementaire, tel qu'il a été historiquement sécrété en Angleterre, ne
correspond plus à la réalité contemporaine. Les typologies classiques ne rendent plus compte de la
situation actuelle. Pour ces raisons, il faut nuancer la portée de certains traits caractéristiques du régime
parlementaire (motion de censure, droit de dissolution, exécutif bicéphale, détermination de la politique
nationale par le gouvernement, participation de l'exécutif à l'exercice de la fonction législative,
compatibilité des fonctions ministérielles et du mandat parlementaire dans certains Etats) qu'il convient
de combiner avec la pratique, l’esprit et la culture du parlementarisme. A titre indicatif, la motion de
censure constitue un mécanisme assez obsolète du fait de la fusion entre le gouvernement et le parlement
ou encore la domination de ce dernier par le premier. Comme l’a bien constaté Dominique ROUSSEAU,
le pouvoir de sanctionner l’équipe gouvernante ne relève plus du Parlement mais du peuple lors des
élections générales se déroulant tous les quatre ou cinq ans : entre les deux moments électoraux, le
caractère démocratique du système est assuré par le contrôle juridictionnel, la garantie des libertés
publiques et le statut de l’opposition466. Le régime parlementaire peut se transformer ou dégénérer en
régime d’assemblée.
A.1.3 Le régime d’assemblée et/ou de confusion des pouvoirs
Le régime d’assemblée est celui au sein duquel le parlement assure une double prépondérance,
organique et fonctionnelle, sur le gouvernement qui est, régulièrement, soumis aux caprices des
assemblées sans avoir la moindre possibilité de démissionner ni de les déstabiliser. Dans un tel régime,
le gouvernement apparaît comme un simple organe d’exécution de la volonté parlementaire. Ce régime
conduit à l’instabilité du gouvernement467. Toutefois la qualification de régime d’assemblée peut se
référer, non pas à la forme de gouvernement, mais plutôt à un régime dans lequel le gouvernement ne
réussit pas à gérer l’activité législative du Parlement de manière à obtenir l’approbation des mesures
nécessaires à la réalisation de son programme malgré l’existence du rapport de confiance entre les deux
organes468.

462 La France, plusieurs Etats de l’Afrique francophone et certains Etats de l’Europe de l’Est. Ce modèle relève de ce qui est autrement
qualifié de « régime semi-présidentiel ».
463 Afrique du Sud, Botswana (à vérifier), Malawi (à vérifier), Ile Maurice (à vérifier).
464 B. CHANTEBOUT, « La Constitution namibienne du 9 février 1990, enfin un vrai régime semi-présidentiel ! », RFDC, n° 3,

1990.
465 D. CHAGNOLLAUD, Le Droit constitutionnel contemporain, 7 è éd., Paris, Dalloz, 2013, p. 137.
466 D. ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 96.
467 J.-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit constitutionnel, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2013, p. 237.
468 Voy. A. PIZZORUSSO, « Parlementarisme et régime d’assemblée en France et en Italie », in Mélanges Philippe Ardant. Droit

et politique à la croisée des cultures, Paris, LGDJ, 1999, pp. 21-26, spéc. à la p. 23. Pour l’auteur, les expériences de régime
parlementaire (celle de la France jusqu’en 1958 et celle de l’Italie durant l’hégémonie démocrate-chrétienne) justifient la
qualification de régime d’assemblée.

101
Ce régime ne fait pas l’unanimité dans la doctrine et les cas topiques pour son application à travers
l’histoire sont peu nombreux. L’utilité scientifique du régime d’assemblée est aussi questionnée.
Certains le rattachent aux régimes de séparation des pouvoirs alors que d’autres à ceux de confusion des
pouvoirs. Les critères sont subjectifs et la doctrine n’est pas concordante. Les auteurs s’accordent sur
un dénominateur commun : la domination de l’exécutif par le Parlement. Cependant la substance de
cette domination est aussi subjective selon les auteurs : l’absence de chef de l’Etat irresponsable, la
nomination directe des ministres par le Parlement ; le pouvoir de révocation du gouvernement ;
l’absence de droit de dissolution ; l’impossibilité pour le gouvernement de poser la question de
confiance. Au fait cette notion de régime d’assemblée, rarement utilisée aujourd’hui comporte un aspect
péjoratif469. Comme nous l’avons noté, le régime parlementaire est considéré comme un modèle dans
la mesure où il a inspiré les constituants de plusieurs Etats. Il a été contrarié aux Etats-Unis qui prirent
l’option d’instituer un autre régime différent du régime parlementaire. Ce régime est appelé, selon la
convention, régime présidentiel.

A.2 Le régime présidentiel


A.2.1 Contexte et émergence du régime présidentiel
L’expression « régime présidentiel » serait entrée dans la littérature juridique à partir de 1949 dans le
Manuel de Droit constitutionnel du Doyen Georges VEDEL pour qualifier le régime inventé et pratiqué
aux Etats-Unis. Certains auteurs (Walter BAGEHOT, Léon DUGUIT, Maurice HAURIOU) utilisaient
l’expression « gouvernement présidentiel » aux fins de rendre compte de la même réalité. Aujourd’hui,
principalement dans la littérature juridique francophone, l’expression « régime présidentiel » emporte
les suffrages. Francis HAMON et Michel TROPER notent à ce propos : « Pour rendre compte du
système constitutionnel américain, la doctrine a inventé une catégorie nouvelle, le régime présidentiel.
A vrai dire, le système américain est le seul membre de cette classe, de sorte que lorsqu’on veut analyser
le système présidentiel, c’est le système constitutionnel des Etats-Unis que l’on décrit »470. Selon la
doctrine dominante française le régime présidentiel procède de la séparation rigide des pouvoirs. Cette
thèse est contestée par Julien BOUDON dans plusieurs de ses écrits. Il soutient, à titre indicatif, que
« Jamais un Américain ne décrirait la Constitution de 1787 ou le régime politique américain comme
reposant sur une séparation rigide des pouvoirs. Les Juristes américains sont trop sensibles aux checks
and balances ou aux encroachments (empiétement) qui innervent le texte constitutionnel »471. Il se
demande par ailleurs si le régime présidentiel a un sens472.

A.2.2 Les traits caractéristiques du régime présidentiel


Le régime présidentiel est défini par la stricte séparation des pouvoirs. Il se reconnaît à leur
irrévocabilité mutuelle473. La marque essentielle de ce régime est l’irrévocabilité réciproque des organes
qui se traduit par l’absence de la responsabilité politique du gouvernement et l’inexistence du droit de
dissolution. Cette séparation rigide des pouvoirs ne postule pas l’indifférence entre l’Exécutif et le
Législatif qui sont appelés à collaborer. Cette collaboration peut être inscrite dans la Constitution ou
elle peut résulter de la pratique474. Les deux pouvoirs (Exécutif et Congrès) procèdent tous d'une même
légitimité populaire et démocratique: le suffrage universel.

469 Pour des commentaires sur l’inutilité scientifique du régime d’assemblée, ses origines ainsi que ses controverses, voy. A le
PILLOUER, « La notion de régime d’assemblée et les organes de la classification des régimes politiques », RFDC, 2004/2, n° 58,
pp. 305-333.
470 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, 32ème édition, Paris, LGDJ, 2011, p. 265.
471 J. BOUDON, « Le mauvais usage des spectres. La séparation rigide des pouvoirs », RFDC, 2009/2, n° 78, pp. 247-267, spéc. à

la p. 255.
472 J. BOUDON, Le frein et la balance. Etudes de droit constitutionnel américain, Mare &Martin, 2010.
473O. DUHAMEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Le Seuil, 2009, p. 227.
474 G. GONDOUIN, “ Propos sur la France et le régime présidentiel”, Revue du Droit public, n° 2, 1998, pp. 373-407, spéc. à la p.

374.

102
a) L’élection et les modalités d’élection du Président américain
L’élection du Président au suffrage universel a été progressivement considérée comme le critère
essentiel du régime présidentiel. Aux Etats-Unis, le Président est élu indirectement par un collège
constitué de 538 grands électeurs selon une procédure complexe dont les traits saillants sont résumés
par Philippe LAUVAUX et Armel LE DIVELLEC. Il est élu sur un « ticket » présidentiel avec son
Vice. Le collège comprend 538 électeurs correspondant aux 435 représentants, aux 100 sénateurs et aux
trois électeurs du district de Columbia. Conformément à la loi fédérale, les électeurs sont eux-mêmes
élus le mardi qui suit le premier lundi de novembre. Ils ne peuvent être membres du Congrès ni
fonctionnaires fédéraux. Ils sont élus dans la quasi-totalité des Etats au scrutin majoritaire de liste à un
seul tour. C’est la règle dite Unit rule, ou encore Winner-take-all : la liste qui obtient la majorité, même
relative est élue en son entier. Dès qu’une majorité de 538 électeurs, soit au moins 270 a été élue en
faveur d’un candidat, le nom du futur président est connu et il est partout considéré comme élu. En droit,
son élection n’est cependant acquise qu’après que les électeurs présidentiels aient voté, ce qu’ils font
lorsqu’ils se réunissent, le lundi suivant le deuxième mercredi de décembre, dans la capitale de leur
Etat475. Dans l’hypothèse où aucun candidat n’obtiendrait la majorité absolue des grands électeurs, le
Président est choisi par la Chambre des représentants parmi les trois meilleurs candidats ayant obtenu
plus de voix. Tel fut le cas pour Thomas Jefferson en 1800 et pour John Quincy Adams en 1824476.

La règle « The Winner takes all » pour l’élection de grands électeurs adoptée dans 48 Etats sur les 50
est souvent la cible des critiques. Le Président est élu sous un ticket avec le Vice-Président. Ils sont
ensuite investis le 20 janvier suivant au capitole. Pour se présenter à l’élection présidentielle le candidat
doit être âgé de 35 ans et être citoyen américain de naissance et résider sur le territoire des Etats-Unis
depuis quatorze ans. L’élection est préparée par les deux grands partis politiques (les Républicains et
les Démocrates) à travers des conventions aux cours desquelles sont désignés les candidats de deux
grands partis politiques précités. Ces conventions sont l’aboutissement d’un processus des primaires
organisées par chacun de ces deux grands partis politiques pour choisir parmi les différents candidats
internes aux partis celui dont la candidature s’imposera sur les autres. Les primaires peuvent être
ouvertes ou fermées. Elles sont ouvertes lorsque n’importe quel citoyen peut voter. Elles sont fermées
lorsque ne sont autorisés à y participer que les seuls électeurs affiliés au Parti concerné. Des modalités
particulières des primaires peuvent aussi être organisées. Il s’agit des primaires semi-ouvertes également
appelées « primaires modifiées ». Dans cette hypothèse tout le monde peut s’exprimer, mais chaque
votant ne peut voter qu’à une seule primaire soit la démocrate soit la républicaine étant donné
l’impossibilité de participer aux deux scrutins477.

Le choix de confier l’élection du Président américain aux grands électeurs procédait d’une option
délibérée. En effet le projet d’une élection directe par les citoyens avait été refusé tout comme l’idée de
nomination par le congrès478. En principe les grands électeurs sont tenus de confirmer le choix du
candidat pour lequel ils ont été élus. Etant donné qu’il appartient aux Etats d’adopter la législation
électorale relative aux grands électeurs, Arnaud COUTANT nous renseigne que sur les 50 Etats
américains, 30 ont adopté une législation obligeant le grand électeur à voter pour le candidat issu de son
parti. Certains d’entre eux prévoient des sanctions lorsque le grand électeur décide de ne pas voter pour
la personne prévue. Ces sanctions peuvent consister en l’annulation du vote, en remplacement du grand
électeur concerné, en des poursuites pénales ou en des sanctions pécuniaires. Le 19 décembre 2016, sur
les 306 grands électeurs désignés pour Donald TRUMP, seulement 304 ont voté en faveur alors que
pour Hillary CLINTON, créditée de 232 grands électeurs, s’est contentée de 227 grands électeurs du

475 PH. LAUVAUX et A. LE DIVELLEC, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème éd., Paris, PUF, 2015, pp. 315-320.
476 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 247 et s.
477 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 282.
478 P. ROSANVALLON, Le bon gouvernement, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 140.

103
fait que 5 ont refusé de voter en sa faveur. Ce système des grands électeurs a été critiqué, certains projets
de révision prônant le recours au mode proportionnel pour la désignation des grands électeurs ont été
promus sans succès479.

b) Mandat du Président américain


Le Président exerce un mandat de quatre ans. Il n’est rééligible qu’une fois. Le 22 è amendement entré
en vigueur en 1951 cristallise une coutume constitutionnelle instituée par le Premier Président des Etats-
Unis Georges Washington, une coutume observée par tous ses successeurs qui se sont abstenus de
briguer un troisième mandat jusqu’à la violation de cette coutume par Franklin Roosevelt qui fut réélu
quatre fois entre 1932 et 1945. En vertu de l’amendement XX du 2 mars 1932 et entré en vigueur le 6
février 1933 ( Presidential Transition Act) les mandats du Président et du Vice-président prennent fin à
midi, le vingtième jour de janvier correspondant aussi à l’entrée en fonction du nouveau Président et du
vice-président (Inauguration day). Entre l’élection (novembre) et l’entrée en fonction (20 janvier) se
caractérisant par la prestation de serment, une période de transition de quelques semaines précède la
passation des pouvoirs présidentiels, période au cours de laquelle le nouveau Président élu peut procéder
à la nomination des membres de son cabinet, s’enquérir de différents dossiers, etc480.
c) Le pouvoir de l’exécutif américain
L'exécutif du régime présidentiel procède du seul Président de la République qui est un représentant
élu du peuple au même titre que les parlementaires. Il est Chef d’Etat et détenteur du pouvoir exécutif.
Il exerce un pouvoir réglementaire autonome à travers l’adoption des « Executive orders » et dont le
nombre varie d’un Président à un autre. Le Président nomme et révoque les ministres (secrétaires d’Etat)
qui ne répondent que devant lui. Il dirige l’administration, nomme les fonctionnaires fédéraux. Il est
commandant en chef de l’armée. Il contrôle également dans une certaine mesure d’importantes agences
fédérales comme la CIA et la NASA.

Un autre pouvoir important du Président est celui de nommer, entre autres, les juges de la Cour suprême
des Etats-Unis pour un mandat à vie. Au regard de l’importance du pouvoir judiciaire dans le système
constitutionnel américain la nomination desdits juges est soumise à l’approbation du Sénat sans laquelle
le candidat désigné, à la suite d’un processus complexe, comprenant notamment des auditions devant
une commission spécifique du sénat, ne peut entrer en fonction. Cette nomination est en quelque
« négociée » entre le Président et le Sénat. Un bras de fer politique est susceptible de s’engager entre le
Président et le Sénat481. La personnalité du candidat, son passé, ses publications, ses orientations
idéologiques constituent autant d’éléments entrant en compte dans ce processus de nomination. En outre
une solennité entoure la nomination et l’approbation du candidat482. En cas de procédure d’impeachment
concernant le Président américain, le Sénat est érigé en juridiction pénale et présidé par le Chief Justice
ou mieux le Président de la Cour suprême.
d) Le législatif (Congrès américain)
Le parlement indépendant de l'exécutif détient la plénitude du pouvoir législatif qu'il exerce en l'absence
de toute ingérence de l'exécutif. Le Congrès américain (parlement) est composé de la chambre des
représentants et du Sénat. Chaque Etat est représenté par deux sénateurs élus au scrutin majoritaire à un

479 Pour plus de détails sur cette question, A. COUTANT, « Fédération ou démocratie aux Etats-Unis : Trump un nouveau Président
minoritaire », RFDC, 2017/3, n° 111, pp. 601-620.
480 Pour plus de détails sur les péripéties de cette période de transition, St. GRUET, « La passation des pouvoirs présidentiels aux

Etats-Unis : le Presidential Transition Act », Pouvoirs, 2009/3, n° 130, pp. 151-161.


481 Pour plus de détails, L. PIETRO VANONI, « La nomina dei giudici supremi tra scontro politico e diritto costituzionale: il caso

americano”, Diritto pubblico comparato ed europeo, n° 3, 2017.


482 Pour plus de détails sur les enjeux, la procédure de la nomination des juges à la Cour suprême des Etats-Unis, F.-H. BRIARD,

« La nomination des membres de la Cour suprême des Etats-Unis », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 58, 2018,
pp. 60-67.

104
tour pour un mandat de 6 ans renouvelable par tiers tous les deux ans. Seule la Louisiane organise le
scrutin majoritaire à deux tours. Par contre la Chambre des représentants tient compte du poids
démographique de chaque Etat et il compte 435 membres élus pour un mandat de 2 ans. La Chambre
des représentants et le Sénat exercent seuls le pouvoir législatif, y compris l’initiative des lois.
L’exécutif ne dispose pas de l'initiative législative, il ne peut interférer dans le travail législatif483. Au
demeurant, dans ce type de régime, l'incompatibilité entre le mandat parlementaire et la fonction
ministérielle est de rigueur. Le parlement est le législatif et tout le législatif. Il vote seul la loi et accorde
à l'exécutif des moyens d'action grâce au vote du budget. Le régime présidentiel ne consacre aucune
prééminence du Président de la République sur les autres institutions de la République. Au contraire, il
repose sur un équilibre entre les pouvoirs qui sont indépendants les uns des autres. A noter que c’est le
Vice-Président qui préside le Sénat, mais surtout pour les séances les plus solennelles du Sénat. Le Sénat
choisit un Président « pro tempore » à chaque renouvellement partiel parmi la majorité. Il n’a droit de
prendre part aux votes qu’en cas de partage des voix.

e) Les relations entre l’exécutif et le législatif dans le régime présidentiel


L’indépendance mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif constitue qualitativement la
différence entre un régime présidentiel et un régime parlementaire. Toutefois, l'indépendance n'est pas
absolue car des rapports sont souvent constitutionnellement organisés pour permettre aux pouvoirs de
mieux s'équilibrer. Les considérations ci-dessous se réfèrent principalement au régime présidentiel
américain.

- Interférences réciproques entre l’Exécutif et le législatif


La relation entre le parlement et l’Exécutif n’est pas toujours harmonieuse car, bénéficiant de son
indépendance, le Congrès peut contester et bloquer les mesures de l’exécutif sans mettre en jeu son
mandat ou celui du Président484. De son côté, le Président bénéficie du « privilège de l’exécutif ». Il
l’autorise ainsi que ceux qui l’assistent à se retrancher derrière le secret d’Etat et éviter ainsi d’avoir à
répondre aux demandes du Congrès et du pouvoir judiciaire. Ce privilège, parfois contesté par le
Congrès, n’est pas garanti par la Constitution. Cependant la Cour suprême fédérale a reconnu son
existence même s’il ne peut être invoqué pour dissimuler les preuves nécessitées par l’instruction d’un
procès criminel485. De même le Président américain peut recourir à la procédure d’ « Impoundment ».
Celle-ci constitue une pratique du Président des Etats-Unis qui décide de ne pas ordonnancer des
dépenses votées par le Congrès. L’impoundment est une arme du Président pour affirmer, dans un
régime de checks and balances, l’indépendance du pouvoir exécutif devant des dépenses votées par les
assemblées et qu’il considère comme démagogiques. La dissolution du Congrès ou la censure de
l’Exécutif ne figurent pas dans le régime présidentiel.

- Le droit de veto du Président américain


Bien que chaque organe soit fonctionnellement spécialisé, il participe également dans une mesure
accessoire aux autres fonctions486. C'est ainsi que le Président de la République peut s'opposer ou
retarder l'adoption d'une loi à travers son droit de veto (qui peut être un veto exprès ou un veto de poche).
Le Président dispose de 10 jours pour opposer son veto exprès aux lois adoptées par le Congrès. Le
veto, à moins que le Congrès ne décide de s’incliner à la volonté du Président, ne peut être levé que par
un vote à la majorité de deux tiers au Sénat et à la Chambre des représentants. Dans un arrêt de 1919 la

483 Au Bénin le Président de la République bénéficie aussi de l’initiative des lois. De même au Congo Brazzaville sous l’empire de
la Constitution du 20 janvier 2002. La Constitution de la Côte d’ivoire du 1 er août 2000 s’inscrit dans cette même perspective.
484 Ph. NORTON, « La nature du contrôle parlementaire », Pouvoirs, 2010, n° 134, pp. 5-21, spéc. à la p. 13.
485 PH. LAUVAUX et A. LE DIVELLEC, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition, Paris, PUF, 2015, p. 341.
486 Ph. LAUVAUX, « Le contrôle, source du régime parlementaire, priorité du régime présidentiel », Pouvoirs, 2010, n° 134, pp.

23-36, spéc. à la p. 25.

105
Cour suprême des Etats-Unis avait précisé qu’il s’agit des deux tiers des membres présents 487. Il a été
observé que dans la pratique du veto, il est très rare que le Congrès passe outre à un veto présidentiel488.
Le veto de poche constitue un instrument à la disposition du Président auquel il peut recourir lorsque la
session parlementaire tend à sa fin. Il permet au Président de retarder la promulgation de la loi et
d’empêcher le Congrès de lever le veto vu que la session parlementaire tend à sa fin. Ce veto ne peut
être utilisé que moins de dix jours avant l’ajournement du Congrès car le silence du Président au-delà
vaut approbation tacite. Par contre, en cas de silence après la transmission de la loi au Président par le
Congrès moins de dix jours avant la fin de session, en l’absence de promulgation expresse, la loi ne sera
pas considérée comme définitive et ne pourra entrer en vigueur 489. Il convient de préciser que le veto
présidentiel n’est pas divisible car le Président approuve ou rejette la loi en bloc. Il n’existe pas de veto
partiel ou item veto prévu au profit des gouverneurs dans certains Etats fédérés américains.

- Le droit de message du Président américain


Le Président intervient aussi dans le domaine législatif à travers le droit de message. Joël
MEKHANTAR nous informe que le Président américain adresse au minimum trois messages annuels
au Congrès : message traditionnel de janvier sur l’état de l’Union, le message sur le budget et celui sur
la situation économique et sociale. Il peut en adresser autant qu’il estime nécessaire. Il communique par
message soit par écrit soit en se rendant directement au capitole devant les Chambres réunies. En cas de
message oral aucun débat ne peut avoir lieu. L’existence de ce droit de message procure au Président
américain une prérogative presqu’équivalente à celle de l’initiative des lois dont il est
constitutionnellement dépourvu. A titre illustratif, ces messages, spécialement celui portant sur l’état de
l’Union, contiennent des suggestions au Congrès de voter tel ou tel texte. Ces véritables projets sont
entièrement rédigés. Il a été constaté que depuis la seconde guerre mondiale deux recommandations
présidentielles sur trois se sont traduites par des lois bien que le Congrès ne soit pas lié par lesdites
recommandations. C’est ainsi que tout en étant dépourvu du droit d’initiative législative, le Président
américain peut faire soutenir sa politique au Congrès en incitant les parlementaires qui lui sont
favorables à déposer des propositions reprenant les recommandations contenues dans lesdits
messages490.

- Le pouvoir sénatorial d’approbation ou ratification


De son côté, le Sénat est souvent investi d'un pouvoir de ratification des nominations présidentielles et
de donner son consentement à la ratification des traités internationaux négociés et signés par le Chef de
l'exécutif (avec le consentement du Sénat). Bien que le président dispose du pouvoir discrétionnaire de
nommer les Secrétaires d’Etat, le Sénat est tenu d’approuver lesdites nominations. Cependant cette
approbation ne constitue qu’une simple formalité. Le Sénat est présidé par le vice-Président.

- La mise en accusation du Président américain : l’impeachment


Le Sénat est juge de l'impeachment du Président de la République qui est mis en accusation par la
Chambre des Représentants au moyen du vote à la majorité simple d’un texte énumérant les motifs de
l’incrimination. La mise en accusation implique la transmission du dossier au Sénat pour jugement. La
procédure d’impeachment ne concerne pas uniquement le Président ou le vice-président, mais aussi les
hauts fonctionnaires fédéraux, notamment pour haute trahison, corruption, détournement des fonds. Si
l’accusé est le Président américain, le Sénat est présidé par le Chief Justice (Président de la Cour
suprême). La culpabilité ne peut être prononcée qu’à la majorité des deux tiers des présents. La

487 Cour suprême, Missouri Pacific Railway Company v. Kansas, 248 US 276, 1919, cité par J. MEKHANTAR, op.cit., p. 264.
488 Pour les statistiques d’utilisation du veto présidentiel, voy. J. MEKHANTAR, op.cit., pp. 264-
489 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 264.
490 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, pp. 261-262.

106
condamnation ne peut excéder la destitution et l’interdiction d’occuper un emploi public. La personne
condamnée redevient un simple citoyen indigne d’occuper tout emploi public. Comme justiciable
ordinaire, cette personne peut être jugée et condamnée491 . Dans l’histoire récente des Etats-Unis, le
Président américain fut mis en accusation par la Chambre des représentants dans l’affaire LEWINSKY
pour deux chefs d’imputation : parjure devant un Grand jury et obstruction à la justice. La résolution de
mise en accusation fut adoptée le 19 décembre 1998 aux termes du mandat de ladite Chambre. Le 12
février 1999 le Président Clinton fut finalement acquitté sans même que le Sénat accepte de discuter
d’une réprimande492. Le Président NIXON fut contraint de démissionner le 8 août 1974 avant sa mise
en accusation dans l’affaire du Watergate (espionnage au détriment du parti démocrate). Le Président
américain Donald TRUMP a fait face à la procédure d’impeachment à la fin du mois de janvier 2020
pour abus de pouvoir et entrave au congrès. Il a été acquitté par le Sénat.

- Contrôle par les Commissions parlementaires


Le contrôle du Congrès sur l’Exécutif n’est pas méconnu. Il peut s’effectuer par le truchement des
commissions parlementaires pour qu’il soit mieux informé de l’action de l’exécutif ou même les deux
chambres peuvent initier des commissions d’enquête sans que ces dernières ne débouchent sur la mise
en cause de la responsabilité de l’Exécutif. C’est le contrôle sans sanction même si la démission peut
être considérée dans certains cas comme la conséquence logique des conclusions de certaines
commissions d’enquête. Dans une contribution au titre évocateur, Philippe LAUVAUX considère que
le contrôle est prévu aussi bien dans le régime présidentiel que dans le régime parlementaire. Il distingue
à ce propos le contrôle ordinaire qui est commun aux deux régimes d’une part (il est de type informatif)
et le contrôle extraordinaire institué uniquement dans le cadre du régime parlementaire (il revêt le
caractère de sanction)493. La nature essentielle du contrôle parlementaire repose dans la possibilité de
contester les objectifs et l’action de l’exécutif494.

A.2.3 La remise en question du régime présidentiel américain


La construction du régime américain comme faisant partie du régime présidentiel est contestée par
Julien BOUDON qui considère d’ailleurs en passant que la séparation souple (régime parlementaire) et
séparation rigide (régime présidentiel) constituent « des vieilles lunes aux prémisses fragiles »495. Pour
ce dernier, la séparation des pouvoirs aux Etats-Unis n’est en rien rigide ou tranchée parce que
l’interdépendance et la collaboration règnent en maîtres. L’irrévocabilité réciproque n’est pas vérifiée.
L’impeachment ne traduit pas uniquement une responsabilité pénale, mais aussi politique le sénat étant
constitué juge pénal en l’occurrence. Seuls les membres du Congrès seraient immunisés contre toute
intrusion du Président ou des cours fédérales. En revanche le Président, le vice-président et les juges
fédéraux dépendent largement du Congrès, tant pour leur désignation que pour leur destitution
éventuelle. Même la séparation fonctionnelle n’est pas garantie à cause du partage de la fonction
législative et même exécutive entre le Président et le Congrès.

Julien BOUDON conclut son analyse en ces termes, sans doute iconoclastes, au regard des
enseignements reçus sur le régime politique américain identifié dans la quasi-totalité des manuels de
science politique et droit constitutionnel (francophones) au régime présidentiel : « La séparation des
pouvoirs aux États-Unis n’est en rien « rigide » ou « tranchée ». Une telle présentation, remontant à la
fin du XIXè siècle, est périmée ; elle doit être enfin abandonnée. Le régime américain, qui ne mérite
pas plus l’adjectif « présidentiel », repose sur une collaboration incessante entre les organes

491 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 274.


492 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 279.
493 Ph. LAUVAUX, « Le contrôle, source du régime parlementaire, priorité du régime présidentiel », Pouvoirs, 2010, n° 134, pp.

23-36.
494 Ph. LAUVAUX, art. cit., p. 26.
495 J. BOUDON, « La séparation des pouvoirs aux Etats-Unis », Pouvoirs, 2012, 2012/4, n° 143, pp. 113-122., spéc. à la p. 114.

107
constitutionnels – d’où les risques de paralysie (…) du gouvernement fédéral »496. Cette idée de Julien
BOUDON est partagée par Marie-Anne COHENDET qui procède à la synthèse du régime politique
américain en ces termes : « Au total, la séparation des pouvoirs est loin d’être clairement rigide ou stricte
sur tous les plans. Les Américains estiment même qu’ils pratiquent une séparation souple des
pouvoirs »497.

Les considérations précitées démontrent que la séparation des pouvoirs aux Etats-Unis n’est pas stricte
et que malgré la répartition des fonctions entre l’exécutif et le Congrès américain, chaque organe
participe de manière variable à l’exercice par l’autre de ses fonctions. Ainsi, le Congrès partage, d’une
certaine manière, la fonction législative avec le Prèsident. Celui-ci, de son côté, peut proposer des bills
par le biais des congressmen et peut également influencer le processus législatif par le recours au droit
de veto498. Le régime présidentiel américain a influencé ou inspiré certains Etats, notamment en
Amérique latine et en Afrique.

A.2.4 L’influence du régime présidentiel dans d’autres Etats


Le régime présidentiel, tel qu’enseigné dans la plupart des manuels de science politique et de droit
constitutionnel, avait été pris de mire par de nombreux Etats latino-américains qui en avaient fait, à
l’instar de certains Etats africains, un régime présidentialiste comme déformation du régime
présidentiel. Bien que les années 1990 aient fait souffler un nouveau vent démocratique sur de nombreux
Etats latino-américains qui ont essayé d’aménager des contre-pouvoirs pour assurer un certain
rééquilibrage des institutions politiques, l’hypertrophie présidentielle continue de constituer la loi
d’airain de ces régimes. Comme le dit si bien Victor AUDUBERT, « Ce qui distingue le
constitutionnalisme latino-américain, et en particulier le constitutionnalisme bolivien, c’est la fragilité
et la vulnérabilité des pouvoirs législatifs et judiciaires face au pouvoir exécutif et surtout face à la
fonction présidentielle »499.

A.2.5 Le sort du régime présidentiel dans le renouveau constitutionnel africain et latino-américain


Quoique le régime présidentiel n’ait pas connu meilleure fortune en dehors de son cadre natal, certaines
Constitutions africaines issues du renouveau constitutionnel des années 1990 et post instaurent le régime
présidentiel ou de type présidentiel avec une séparation « rigide » des pouvoirs entre l’exécutif et le
parlement, lequel peut être mono ou bicaméral. C’est notamment le cas des Constitutions béninoise de
1990, nigériane de 1999, ivoirienne de 2000 (et même celle adoptée par voie référendaire en octobre
2016) et congolaise de 2002 (Brazzaville). La Constitution de la Guinée du 7 mai 2010, élaborée avec
le concours d’experts notamment béninois, s’inspire du régime présidentiel « sui generis ». En Afrique
les régimes présidentiels se démarquent du régime présidentiel américain notamment par la participation
effective de l’Exécutif à la fonction législative à travers le droit d’initiative et la législation déléguée
(Bénin, Côte d’ivoire, Guinée) et parfois par l’instauration d’un bicéphalisme de l’Exécutif sous
contrôle du Président de la République. En effet l’institution des Premiers ministres dans les régimes
africains de type présidentiel comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, n’affecte pas la nature du
régime dès lors que le premier ministre et le gouvernement sont pleinement responsables devant le
Président qui les nomme et les révoque à sa guise et qu’il demeure le détenteur du pouvoir exécutif500.

496 J. BOUDON, art.cit., p. 122.


497 M.-A. COHENDET, Droit constitutionnel. 4è éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 163.
498 A.-C. BEZZINA et M. VERPEAUX, Textes constitutionnels et politiques, Paris, PUF, 2018, p. 575.
499 V. AUDUBERT, « Le continuisme de mandats présidentiels, une dérive caudilliste du pouvoir exécutif ? Réflexions à partir de

la Constitution bolivienne de 2009 », RFDC, 2016/4, n° 108, pp. 751-768, spéc. à la p. 766.
500 A propos de l’introduction de la figure du Premier ministre dans l’ordre juridique ivoirien ayant institué dès la première

Constitution post-indépendance du 3 novembre 1960 un régime politique de type présidentiel, voy. A. PRIVAT MEL « La réalité
du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien », RFDC, 2008/3, n° 75, pp. 513-549.

108
Nous pouvons identifier de nombreux rapprochements entre les expériences du régime présidentiel en
Amérique latine et dans les Etats africains : la prééminence du Président de la République
corrélativement à l’affaiblissement d’autres institutions qui lui sont politiquement subordonnées ; son
élection au suffrage universel direct pour un mandat à durée déterminée et dont le nombre est limité
nonobstant les tentatives avortées ou réussies d’élaguer ce verrou ; l’existence d’un gouvernement
parfois placé sous la responsabilité d’un Premier ministre responsable, dans une moindre mesure devant
l’Assemblée parlementaire élective. Le Président de la République demeure le détenteur exclusif du
pouvoir exécutif ; il participe à l’exercice du pouvoir législatif par le biais du droit d’initiative ;
l’existence de la procédure d’empêchement définitif par sa mise en accusation. Les diversités observées
dans la pratique du régime présidentiel en Amérique latine et parfois au sein du même Etat à des époques
différentes ont pu conduire Franck MODERNE à évoquer les « avatars du présidentialisme »501.

Notons par ailleurs que plusieurs Etats africains et latino-américains s’étaient inspirés, entre les années
1960-1990, du régime présidentiel américain en le dépouillant de ses éléments d’équilibre :
l’indépendance organique et l’irrévocabilité mutuelle. C’est pourquoi la doctrine a noté cette
« déformation » du régime présidentiel en le qualifiant de régime présidentialiste.

A.2.6 Le régime présidentialiste comme déformation du régime présidentiel


Dans le langage courant, par présidentialisme il convient d’entendre « les régimes qui se sont inspirés
du système des Etats-Unis mais qui n’ont pas respecté ce qui en fait le mérite essentiel, le partage
équilibré des pouvoirs et ont laissé le Chef de l’Etat accaparer toute l’influence politique »502. Il
constitue une dénaturation du régime présidentiel ou mieux une application déformée du régime
présidentiel. Il se traduit par une hypertrophie du pouvoir du Président de la République qui s'identifie
à l'exécutif et dispose de ressources juridiques et politiques lui permettant d'intervenir et de prendre une
part active au travail législatif qu'il peut ainsi orienter grâce à des moyens constitutionnels par lesquels
il peut agir sur l'ordre du jour, bloquer certaines initiatives du législateur, imposer ses projets et, s'il y a
lieu, « punir » l'Assemblée en prononçant sa dissolution, alors qu'il n'est pas responsable devant elle.

Il convient de préciser qu’en principe l’expression « déformation du régime présidentiel américain » ou


sa dénaturation, participe d’un registre contredisant la neutralité axiologique ainsi que l’objectivité. Il a
été démontré que le modèle sert d’inspiration et ne pourrait se situer dans une relation de conformité ou
de hiérarchisation avec des régimes reproduisant certains éléments du régime considéré comme modèle.
Tel est l’écueil, selon la plume de Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, auquel se heurtent certains
usages de la modélisation qui est de « convertir un outil devant permettre une lecture commode et
simplifiée des données juridiques éventuellement appelé à être ajusté en fonction d’évolutions ou de la
considération de certains facteurs de complexité, en un instrument de naturalisation et de
hiérarchisation. (…). Etablir l’existence d’un modèle constitutionnel américain par exemple, n’a pas
toujours eu pour seul horizon la désignation simplifiée de certaines techniques de séparation des
pouvoirs. Le modèle a souvent été mis en avant pour être promu et légitimé, et pour dévaloriser
corrélativement d’autres modèles, alors abaissés au rang de contre-modèles »503.

501 F. MODERNE, « Les avatars du présidentialisme dans les Etats latino-américains », Pouvoirs, 2001, n° 3, pp. 63-87 ; C. FAIVRE,
« La Colombie un régime présidentiel en trompe-l’œil- de la tentation du régime parlementaire », RIDC, 2006, pp. 861-883 ; S.
ZAMORA and J.R. COSSIO, « Mexican Constitutionalism after presidencialismo », International Journal of Constitutional Law,
vol. 4, n° 2, April 2006, pp. 411-437 ; V. AUDUBERT, « Le continuisme de mandats présidentiels, une dérive caudilliste du pouvoir
exécutif ? Réflexions à partir de la Constitution bolivienne de 2009 », RFDC, 2016/4, n° 108, pp. 751-768 ; C.M. HERRERA (dir.),
Le constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui ; entre renouveau juridique et essor démocratique, Paris, Kimé, 2015, 180 p ;
C. BERNAL PULIDO, Du néo constitutionnalisme en Amérique latine, Paris, L’Harmattan, 2015.
502 B. JEANNOT, Droit constitutionnel et institutions politiques, cité par A. KPODAR, « Bilan sur un demi-siècle de

constitutionnalisme en Afrique noire francophone », in F.J. AIVO (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle
pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Paris, L’Harmattan, 2014, pp. 89-126, spéc. à la p. 91.
503 V. CHAMPEIL-DESPLATS, op.cit., p. 341.

109
Les régimes parlementaires et présidentiels ont inspiré la plupart des Etats qui les ont reproduits
moyennant quelques correctifs ou quelques adaptations. Cette inspiration a conduit certains auteurs à
observer l’émergence de certains régimes appelés régimes politiques mixtes.

A.3 Les régimes politiques mixtes


Les Etats qui ont importé le régime parlementaire ont pu l'adapter à leur environnement alors que le
régime présidentiel exporté hors des Etats-Unis a rencontré des applications qualifiées parfois de
perverses créant les conditions dans la plupart des Etats à l’émergence des dictatures présidentielles
civiles ou militaires. Aussi, des formes intermédiaires ou mixtes ont été aménagées dans certains Etats.
Ces régimes mixtes sont appelés semi-présidentiels ou semi-parlementaires, même si au regard du
critère fondamental de la responsabilité politique du gouvernement, ils devraient être considérés comme
des variantes ou de sous-catégories du régime parlementaire. La Suisse présente un régime politique sui
generis appelé tantôt régime directorial tantôt régime collégial.
A.3.1 Les régimes semi-présidentiels ou semi-parlementaires
Le contenu du régime semi-parlementaire ne recoupe pas celui du régime semi-présidentiel, ce dernier
bénéficiant d’une large audience de la part d’une certaine doctrine par rapport au premier. Pour Luc
SINDJOUN, le régime semi-présidentiel de type bicéphale équivaut au régime semi-parlementaire504.
Bien qu’accepté par une partie de la doctrine et que la jurisprudence l’accrédite, le caractère mixte ou
spécifique du régime semi-présidentiel par rapport au régime parlementaire et présidentiel ne semble
pas avoir épuisé le débat sur sa valeur ajoutée. Il en est de même du régime semi-parlementaire peu
utilisé dans la doctrine. Ils font l’objet de développements ci-dessous.
a) Le régime semi-présidentiel

- Définition et traits caractéristiques du régime semi-présidentiel


Le régime semi-présidentiel est défini par le Lexique de science politique comme un « régime associant
des caractéristiques du régime parlementaire, auquel il emprunte l’existence d’un gouvernement et d’un
Premier ministre responsables devant le parlement, et du régime présidentiel, auquel il emprunte
l’élection du Président au suffrage universel »505. Maurice DUVERGER est considéré comme le
« géniteur » ou celui qui a « découvert » le régime semi-présidentiel inauguré dans la onzième édition
de son ouvrage506. Dans une contribution à un ouvrage collectif consacré aux régimes semi-
présidentiels, Maurice DUVERGER en fournit la définition et les éléments caractéristiques. Par régime
semi-présidentiel il entend les institutions d’une démocratie d’Occident qui réunissent les deux éléments
suivants : 1° Un Président de la République élu au suffrage universel et doté de notables pouvoirs
propres ; 2° Un Premier ministre et un gouvernement responsables devant les députés. Les institutions
ainsi définies sont en partie présidentielles, en partie parlementaires. Il recense à l’époque l’existence
de sept (7) Etats correspondant ou ont correspondu à ces critères : la République de Weimar (1919-
1933) ; la Finlande depuis 1919, l’Autriche depuis 1929, l’Irlande depuis 1937, l’Islande depuis1945,
la France depuis 1962, et depuis 1976 le Portugal507.
Les deux traits caractéristiques de ce régime peuvent être résumés : l’existence d’un Président élu au
suffrage universel (direct) et disposant de pouvoirs propres d’une part et l’existence d’un Premier
ministre, Chef du gouvernement soumis à la responsabilité du Parlement d’autre part. Le gouvernement

504 L. SINDJOUN, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 576 et s.
505 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 523.
506 M. DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Puf, 1970, p. 277. L’auteur va consacrer sur ce régime

d’autres contributions.
507 M. DUVERGER, « Le concept de régime semi-présidentiel », in M. DUVERGER (dir.), Les régimes semi-présidentiels, Paris,

PUF, 1986, pp. 7-17, spéc. à la p. 7.

110
est dirigé par un Premier ministre, Chef du gouvernement. Ce dernier est politiquement responsable
devant le parlement, lequel peut provoquer la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement
à travers l’adoption de la motion de censure. Le Président de la République peut dissoudre le parlement
ou l’une de ses Chambres. Le Chef de l'Etat reste toujours le Chef de l'exécutif. Le gouvernement, à la
différence de celui du régime parlementaire, n'est pas une institution de conception mais une simple
institution d'exécution, d'application et de concrétisation de la politique définie par le Président de la
République qui dispose d'un droit de vie et de mort politiques sur ses membres.

Ces propos méritent d’être relativisés dans le cadre de la cohabitation. L’une des particularités du régime
semi-présidentiel réside dans la possibilité d’aboutir à deux majorités divergentes : une majorité
populaire dont est imbu le Président de la République et une majorité parlementaire incarnée souvent
par le leader de l’opposition ou du parti, de la coalition majoritaire. Cette situation de divergence de
majorité est qualifiée de cohabitation. Celle-ci constitue « une situation résultant d’un antagonisme
politique fondamental entre le titulaire de la présidence de la République et la majorité à l’Assemblée
nationale à la suite de l’élection de l’un ou de l’autre »508. Elle opère une inversion de la dyarchie
inégalitaire entre le Président de la République et le Premier ministre. Comme le soulignent Philippe
ARDANT et Olivier DUHAMEL, cette inversion résulte du fait qu’« à la suprématie présidentielle des
temps ordinaires se substitue la suprématie primo-ministérielle »509. La France a connu trois périodes
de cohabitation (1986-1988 ; 1993-1995 et 19997-2002). L’appellation du régime semi-présidentiel,
bien qu’utilisée par une partie de la doctrine, ne fait guère l’unanimité. Son autonomie postulée par
rapport aux régimes parlementaire et présidentiel demeure incertaine.

- Incertitude et critique du régime semi-présidentiel


Pour Maurice DUVERGER, la France avait opéré une mutation en 1962 entre le régime parlementaire
(ancien) et le régime semi-présidentiel (nouveau). Il soutient que la réforme constitutionnelle du 6
novembre 1962 a décidé que le Président de la République serait désormais élu au suffrage universel.
Elle a profondément modifié la Constitution de 1958. Ainsi a pris fin la République parlementaire
établie depuis 1875. Pour lui, cette élection du Président de la République au suffrage universel
transforme le régime parlementaire en un régime nouveau, à caractère mixte qu’il qualifie de régime
semi-présidentiel510.

L’expression « régime semi-présidentiel », pourtant accréditée par certains auteurs tant français
qu’étrangers comme régime politique511, ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine française. Les
opposants à cette expression soutiennent que les innovations introduites à partir de la révision
constitutionnelle de 1962 n’ont pas ébranlé les fondements du parlementarisme rationalisé du fait du
maintien du principe de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement, le critère
essentiel de ce régime. G. GARCASSONNE qualifie ce régime de parlementarisme à très forte
domination présidentielle512 ou encore de « régime parlementaire à direction présidentielle »513. Par
ailleurs Guy CARCASSONNE est formel sur la nature du régime politique français : « (…). Ni
présidentielle, ni même semi-présidentielle, elle est tout bonnement parlementaire. Elle l’est
juridiquement, puisqu’un régime est qualifié parlementaire dès l’instant où l’exécutif y est responsable
devant le législatif (…). Elle l’est surtout politiquement, puisque, si une victoire à l’élection

508 M. DE VILLIERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 48.
509 Ph. ARDANT, « La dyarchie », Pouvoirs, n° 99, 1999, pp. 5-24, spéc. à la p. 8.
510 M. DUVERGER, Le système politique français. Droit constitutionnel et systèmes politiques, 19 è éd., Paris, PUF, 1986, p.

178.
511Voy. C. SKACH, « The Newest Separation of Powers : Semipresidentialism », International Journal of Constitutional Law,

January 2007, vol. 5, pp. 93-121.


512 G. GARCASSONNE, La Constitution , dixième édition, Paris. Editions du Seuil, 2011, p.34.
513 St. PINON, Les systèmes constitutionnels dans l’Union européenne. Allemagne, Espagne, Italie et Portugal, Bruxelles, Larcier,

2015, p. 11.

111
présidentielle donne des possibilités, seules les élections législatives attribuent réellement le
pouvoir »514.

Marie-Anne COHENDET ne retient pas l’expression « régime semi-présidentiel » satisfaisante dans la


mesure où on ne peut pas à la fois affirmer que les régimes parlementaires se définissent par la
responsabilité du gouvernement devant le parlement et prétendre, en même temps, que ces régimes ne
font pas partie de cette catégorie alors qu’ils ont cette caractéristique. Pour elle, le régime semi-
présidentiel constitue une sous-catégorie des régimes parlementaires et non une catégorie intermédiaire
entre le régime parlementaire et le régime présidentiel515.

Mathieu TOUZEIL-DIVINA critique aussi l’expression du régime semi-présidentiel. Selon lui il n’y a
d’abord effectivement pas nécessairement de concordance entre une prépondérance du Président au sein
d’un régime parlementaire et son élection au suffrage universel direct. L’Autriche nous en fournit le
cas. Ensuite le Président dont il s’agit ne dispose pas, en principe, des prérogatives qui sont celles du
Président américain. Le Président français dispose du droit de dissolution, mais pas de droit de veto.
Enfin cette notion met en avant une analyse politique selon laquelle le président de la République serait
le véritable siège et centre du pouvoir, ce à quoi précisément ne font pas référence les notions de régime
parlementaire et présidentiel. Aussi est-il préférable, conclut-il, pour paraphraser LE DIVELLEC de
parler d’un régime parlementaire à captation présidentielle516.

Cette évidence est également soulignée par Nicolas ROUSSELIER. Selon cet auteur, « l’identification
de la cinquième République à une forte domination présidentielle ne correspond pas en effet à la
définition du régime envisagé d’un strict point de vue juridique. Si l’on prend en compte la lettre de la
Constitution, le régime demeure de nature parlementaire »517.

A ces critiques nous pouvons ajouter une autre relative au régime parlementaire dans la conception de
Maurice DUVERGER. Le Chef de l’Etat serait détenteur de peu de pouvoirs ou des pouvoirs
honorifiques. Le Chef de l’Etat ne détient pas son pouvoir du suffrage universel. C’est dans cette optique
qu’il considère que le régime parlementaire repose sur l’existence d’une seule expression de la volonté
populaire par le suffrage universel ; celle qui résulte des élections législatives518. Cette affirmation doit
être relativisée et circonscrite uniquement aux Etats ayant adopté le régime parlementaire avec un
monarque héréditaire. Le régime parlementaire est compatible aussi bien avec une monarchie qu’une
république. Ce n’est pas l’étendue des pouvoirs du Chef de l’Etat ou la modalité de désignation du Chef
de l’Etat qui en constituent les traits caractéristiques. C’est plutôt cette responsabilité politique du
gouvernement devant la Chambre ou les chambres qui constitue le trait essentiel du régime
parlementaire. Ce critère essentiel est bien réuni dans ce que Maurice DUVERGER qualifie de « régime
semi-présidentiel ». En analysant les sept Etats ayant rempli les critères du régime semi-présidentiel, il
observe que l’Autriche, l’Irlande et l’Islande développent des régimes d’apparence semi-présidentielle,
leur pratique étant plus proche de celle des régimes parlementaires du fait que le Chef de l’Etat est élu
au suffrage universel et doté de pouvoirs propres, mais il ne les exerce pas en général. Il conclut que ces
Etats sont « semi-présidentiels en droit, parlementaires en fait, l’élu du peuple n’y ayant guère plus

514 G. GARCASSONNE, La Constitution , dixième édition, Paris. Editions du Seuil, 2011, p. 59. Notre soulignement.
515 M. A. COHENDET CHASLOT, Le Président de la République, Paris, 2ème édition, Dalloz, 2001, pp. 4-5 ; M-A. COHENDET,
« La classification des régimes, un outil pertinent dans une conception instrumentale du droit constitutionnel », L’architecture du
droit. Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 299-314, spéc. p. 303 et s. Voy. aussi Ph. LAUVAUX
et Armel Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition mise à jour, Paris, Puf, 2015, p.215.
516 M. TOUZEIL-DIVINA, Dictionnaire de Droit public interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 422 et s.
517 N. ROUSSELLIER, « Un pouvoir présidentiel encombré de sa force », in O. DUHAMEL, M. FOUCAULT, M. FULLA, M.

LAZAR (dir.), La Vè République démystifiée, Paris, Les Presses de SciencesPo, 2019, pp. 11-26, spéc. à la p. 11.
518 M. DUVERGER, « Le concept de régime semi-présidentiel », in M. DUVERGER (dir.), Les régimes semi-présidentiels, Paris,

PUF, 1986, pp. 7-17, spéc. à la p. 8.

112
d’importance que la reine d’Angleterre »519. Ces explications ne permettent pas de faire ressortir
clairement la différence entre régime semi-présidentiel et régime parlementaire.

Est-il que « le régime semi-présidentiel » ou du moins le régime dont les caractéristiques correspondent
aux composantes du régime qualifié par les uns de « semi-présidentiel » aurait concurrencé les deux
régimes politiques classiques (le présidentialisme et le parlementarisme) à telle enseigne que certains
auteurs considèrent ce régime comme un nouveau type de séparation des pouvoirs ayant inspiré les
réformes de nombreux Etats au lendemain de la chute du mur de Berlin. Plus de cinquante Etats au
monde auraient opté pour ce régime. Ainsi la plupart des Etats africains, la Croatie, la Biélorussie,
l’Ukraine, la Roumanie, la Pologne et la Russie ont adopté ce nouveau type520.

Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA521, le régime semi-présidentiel constituerait le


régime politique de droit commun en Afrique. En effet, dans une analyse synoptique de 54 Etats
africains, l’auteur recense 42 Etats qui se sont dotés du régime semi-présidentiel. Il retient
principalement deux critères pour dégager ledit régime : l’élection du Chef de l’Etat au suffrage
universel direct et le système des partis politiques (multipartisme avec parti dominant ou ultra-
dominant). Or ces deux critères ne sont pas pertinents aux fins de l’identification du régime politique
en général et du régime semi-présidentiel en particulier. Si ces deux critères qu’il utilise étaient
généralisés, la logique serait de nature à souligner qu’à l’exception des Etats où le Chef de l’Etat n’est
pas élu au suffrage universel direct, tous les autres Etats du monde se doteraient d’un régime semi-
présidentiel. Une telle conclusion est absurde. C’est pour cette raison que nous ne partageons pas cette
classification qu’il opère des régimes politiques en Afrique dans l’ouvrage précité.

Il résulte de considérations développées que le régime semi-présidentiel n’est autre qu’une variante du
régime parlementaire et appartient à cette classe. En effet, il a été soutenu que la valeur logique d’une
classification se mesure à sa conformité aux principes élémentaires de la logique522. EISENMANN, cité
par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, en retient trois : la clarté des définitions afin de reconnaître
sans équivoque dans quelle classe rentre chaque objet, le principe de cohérence, l’unité du critère de
distinction523. Partant de ces principes, il serait illogique et incohérent d’opposer le régime parlementaire
au régime semi-présidentiel alors que le critère essentiel d’identification du régime parlementaire est
aussi retenu dans le régime semi-présidentiel, à savoir la responsabilité politique du gouvernement
devant le parlement ou l’une de ses chambres. L’élection du Président de la République au suffrage
universel et la détention par ce dernier de certaines prérogatives propres ne constituent pas des éléments
essentiels dans la détermination ou la classification des régimes politiques. Ces considérations
intéressent aussi le régime semi-parlementaire moins promu par la doctrine. Maurice DUVERGER
reconnaîtra par ailleurs dans un article publié en 1996 que les régimes semi-présidentiel et semi-
parlementaire ne constituent que des modalités du parlementarisme524.
b) Le régime semi-parlementaire
Cette appellation est rarement usitée en doctrine. Ni le Lexique de science politique, ni le dictionnaire
du Droit constitutionnel et encore moins le Lexique de Droit constitutionnel n’y consacrent une

519 M. DUVERGER, « Le concept de régime semi-présidentiel », in M. DUVERGER (dir.), Les régimes semi-présidentiels, Paris,
PUF, 1986, pp. 7-17, spéc. à la p. 8.
520C. SKACH, « The Newest separation of Powers : Semipresidentialism », International Journal of Constitutional Law, January

2007, vol. 5, pp. 93-121.


521 A. MULUMBATI NGASHA, Le Peuple et la démocratie en Afrique, Louvain-La-Neuve, Academia L’Harmattan, 2019, pp. 21-

61.
522 V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 336.
523 V. CHAMPEIL-DESPLATS, op.cit., p. 336.
524 M. DUVERGER, « Les monarchies républicaines », Pouvoirs, n° 78, 1996, pp. 107-120, spéc. à la p.108 et s.

113
entrée525. Selon Maurice DUVERGER, en 1996, l’État d’Israël était entré dans un régime semi-
parlementaire en appliquant au Premier ministre l’élection directe au suffrage universel. Cette
innovation incarne le projet décrit en 1956 pour transposer le « monarque élu » qui représente en
Grande-Bretagne l’évolution moderne du régime parlementaire. Ce dernier s’est ainsi adjoint deux types
de « monarchies républicaines » dont le régime présidentiel des États-Unis est le troisième526. La plupart
des traits caractéristiques du régime semi-parlementaire sont présents dans le régime semi-présidentiel.
Maurice DUVERGER écrit à ce sujet : « Régime semi-présidentiel et régime semi-parlementaire ne
sont que des modalités du parlementarisme, puisque l’un et l’autre reposent essentiellement sur la
responsabilité du gouvernement devant le Parlement, et sur la dissolution qui les renvoie ensemble
devant les électeurs. Elles ont été imaginées pour permettre au système politique répandu dans toute
l’Europe occidentale et dans la plupart des autres démocraties de surmonter des défauts inhérents à sa
propre structure, qui sont apparus quand il a été substitué aux monarchies héréditaires ou établi en leur
absence »527. La liaison entre le Premier ministre élu au suffrage universel et sa majorité pendant toute
la législature les oblige à revenir ensemble devant le suffrage universel s’ils ne sont plus d’accord pour
gouverner528. L’utilisation rarissime de l’expression « régime semi-parlementaire » dans la doctrine
témoigne de peu d’empressement pour être retenu comme régime politique à part entière ou tout au
moins ne bénéficie pas de la même faveur accordée à son homologue régime semi-présidentiel. Le
régime politique suisse présente des traits spécifiques permettant de la classer parmi les régimes
politiques mixtes.
A.3.2 La particularité du régime politique suisse : un régime directorial
Le régime directorial constitue un régime dans lequel l’Exécutif est généralement collégial, n’est pas
responsable politiquement devant les assemblées, mais est tenu en dernière instance d’opérer dans le
plan de celles-ci529. La Suisse illustre mieux cette forme de régime politique. En effet, le régime
directorial suisse se distingue aussi bien du régime parlementaire majoritaire que du régime présidentiel.
Toutefois il emprunte certaines caractéristiques aux deux régimes politiques précités. L’un des traits
saillants du régime réside dans la collégialité de l’exécutif incarné par le Conseil fédéral. L’autorité
directoriale et exécutive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral de sept
membres. Chaque membre du Conseil fédéral est élu pour quatre ans et indéfiniment rééligible, trait
présidentiel, mais par le parlement, trait parlementaire. Le Conseil fédéral n’est pas responsable devant
le parlement, mais il est tenu d’appliquer la politique voulue par le parlement. Les pouvoirs du Chef de
l’Etat et du gouvernement sont confiés audit Conseil. Chacun des sept membres du Conseil fédéral
dirige un département ministériel530. L’Assemblée fédérale qui bénéficie de la suprématie sur le Conseil
fédéral, désigne annuellement parmi les sept membres du Conseil un Président du Conseil fédéral qui
est aussi le Président en titre de la Confédération, le primus inter pares. Il n’est ni un Chef de
gouvernement ni un Chef d’Etat, mais c’est le collège tout entier qui se prévaut de ce titre531.
Théoriquement le Conseil fédéral n’est pas responsable devant l’Assemblée fédérale même s’il est tenu
à se conformer aux directives de ladite assemblée. Il est des auteurs qui font toutefois noter l’existence
d’une responsabilité politique limitée du fait qu’elle ne peut jamais aboutir au limogeage d’un membre
525 O. NAY (dir.), Le Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017 ; M. DE VILLIERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire
du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015 ; P. AVRIL et J. GICQUEL, Lexique de Droit constitutionnel, 4 è éd.,
Paris, PUF, Que sais-je, 2013.
526 M. DUVERGER, « Les monarchies républicaines », Pouvoirs, n° 78, 1996, pp. 107-120, spéc. à la p. 120.
527 M. DUVERGER, op.cit., pp. 108 et s. Notre soulignement.
528 Idem.
529 Ph. LAUVAUX et Armel Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition mise à jour, Paris, Puf, 2015, p.

217. En Amérique du sud les premières Constitutions s’étaient inspirées du modèle collégial de l’Exécutif sous forme de triumvirat.
Pour une analyse appropriée, voy. H. GOURDON, « Révolution nord-américaine et révolution française : leur réception par le
constitutionnalisme des indépendances des Amériques méridionales », S. SEGALA et S. AROMATARIO (dir.), Les modèles
constitutionnels, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 215-261, spéc. à la p. 221.
530O. DUHAMEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 247-248.
531Ph. LAUVAUX et C-M. PIMENTEL, « Régimes non parlementaires », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité

international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 195-220, spéc. à la p. 208.

114
dudit Conseil532. Cette particularité suisse du directoire collégial n’est pas reprise en droit comparé. Ce
régime se rapproche aussi bien du régime présidentiel que du régime parlementaire.

B. Classification fondée sur des critères autres que la séparation des pouvoirs : une
approche privilégiée en science politique
Les classifications peuvent être multipliées à l’envi et dépendant parfois du goût de leurs auteurs.
Plusieurs critères sont utilisés à ce propos. A titre d’exemple, une typologie fondée sur les fonctions de
l’Etat repose sur le critère selon que les fonctions législative, exécutive et judiciaire sont remplies par
un seul organe (concentration des pouvoirs) ou par les différents organes selon que ces derniers sont
séparés (séparation des pouvoirs) ou qu’ils collaborent (collaboration des pouvoirs). Cette typologie
n’ajoute rien du fait que les éléments qui la composent sont ceux qui sont traditionnellement utilisés sur
la base du critère de séparation des pouvoirs.
Le nombre de partis politiques peut aussi déterminer la nature du régime politique selon qu’il est
monopartite, bipartite, multipartite parfait ou avec parti dominant ou ultra-dominant. Jean-Louis
VULLIERME, cité par le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, dresse une typologie de
régimes politiques en trois catégories : les régimes extraordinaires, les régimes oligo-démocratiques et
les régimes oligo-monarchiques533.
Les typologies de régimes politiques ne sont pas figées. Elles peuvent connaître l’usure du temps.
Certaines peuvent être abandonnées au profit d’autres ou encore les typologies peuvent évoluer en
intégrant de nouveaux critères. Les politistes bénéficient d’une liberté dans la détermination des critères
servant de base au classement des régimes politiques. Cette liberté explique l’existence de plusieurs
typologies de régimes politiques. Comme l’avait relevé Juan LINZ, les typologies émergent et
disparaissent en fonction de leur utilité analytique pour les chercheurs534. Certains politistes distinguent
les classifications traditionnelles et la classification institutionnelle535.
B.1 Les classifications traditionnelles
Parmi les classifications élaborées par les philosophes grecs de l’Antiquité, celles proposées par Aristote
dans Le Politique est la plus systématique et la plus complète. Une autre est celle proposée par
Montesquieu.
B.1.1 Classification des régimes politiques selon Aristote
Pour distinguer le mode d’exercice du pouvoir dans les cités grecques, Aristote combine deux questions.
La première est celle de la détention du pouvoir : qui exerce le pouvoir ? se demande le philosophe.
Cette question le conduit à distinguer les régimes au sein desquels le pouvoir est exercé par une
personne, ceux où il l’est par le plus grand nombre. La deuxième dimension qu’il prend en compte et
qui apparaît comme plus fondamentale, est celle de la manière dont le pouvoir est exercé, ce qui l’amène
à s’intéresser à la fois à l’orientation et aux modalités de l’exercice du pouvoir. Il en découle une
distinction entre les régimes orientés vers le bien commun et les régimes orientés vers l’intérêt
particulier de ceux qui exercent le pouvoir correspondant à des régimes corrompus par les détenteurs

532Ph. LAUVAUX et C-M. PIMENTEL, op.cit., spéc. p. 211.


533 J.-L. VULLIERME, Le concept de système politique, Paris, PUF, 1989, pp. 477-528 cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit.,
pp. 415-417. Les régimes extraordinaires sont les régimes d’exception s’écartant de l’ordre référentiel qui naissent des circonstances
exceptionnelles. Il distingue la tyrannie, la dictature et le régime à éclipse. Les régimes oligo-démocratiques sont caractérisés par le
fait que la démocratie est pratiquée par une petite partie seulement du peuple sous le contrôle de l’opinion de la grande partie. Les
régimes oligo-monarchiques sont des régimes où les pouvoirs publics sont monopolisés par un seul individu, qui les partage avec
quelques agents ou fonctionnaires qui lui sont subordonnés.
534 Juan LINZ cité par MOHAMMAD-SAID DARVICHE, « Les régimes politiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.),

Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 77-90, p. 80
535 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, pp. 76-83.

115
du pouvoir eux-mêmes. De son analyse résulte une distinction entre six types de régimes politiques dont
trois sont orientés vers le bien commun et dans lesquels le pouvoir est exercé par un (royauté ou
monarchie), par un petit nombre de personnes (l’aristocratie) et par le plus grand nombre (la
République). Les trois autres régimes, appelés corrompus constituent la dénaturation de trois régimes
politiques précédents dans la mesure où le détenteur du pouvoir l’exerce pour des fins étrangères au
bien commun, mais dans son intérêt. Ainsi la monarchie se transforme en tyrannie ; l’aristocratie en
oligarchie et la République en démocratie. Aristote considère la démocratie comme un régime
corrompu allant dans le sens des intérêts des plus pauvres contre les autres citoyens. Aristote écrit à une
époque de la dégénérescence de la démocratie athénienne où le pouvoir est exercé par des démagogues
et qui ont notamment fait condamner à mort Socrate536. Notons que cette classification dont la paternité
a été attribuée à Aristote ne correspond pas à la réalité. Elle a été esquissée dans l’ouvrage de Platon
portant sur le Politique, Aristote étant disciple de Platon. Platon évoquait déjà ces différentes formes de
gouvernement (monarchie, aristocratie, démocratie). La monarchie pouvait se présenter soit sous la
forme de la royauté, soit sous la forme de la tyrannie. Lorsque les riches imitent le véritable
gouvernement (aristocratie). S’ils se jouent des lois, l’aristocratie se transforme en oligarchie. Si le chef
unique n’agit ni selon les lois, ni selon les coutumes des ancêtres, s’il feint de préférer aux lois écrites,
ce qui lui paraît meilleur, tandis que la seule passion et l’ignorance président cette imitation, ce chef
unique est appelé tyran537.
B.1.2 Classification des régimes politiques selon Montesquieu
Dans son œuvre L’Esprit des Lois (1748), Montesquieu part de questionnements proches de ceux
d’Aristote en distinguant différents régimes à partir de la question « qui détient le pouvoir ? » en la
combinant avec celle du principe de fonctionnement de celui-ci. Si pour la première question il reprend
les mêmes distinctions qu’Aristote, il apporte des réponses différentes à la deuxième question en
distinguant trois principes. Le premier est la vertu au sens civique de respect des lois et de dévouement
à la collectivité et non au sens moral. La vertu est inculquée par l’éducation qui permet la transformation
de l’individu privé en personne dévouée au bien commun. Montesquieu qualifie de Républiques
l’aristocratie et la démocratie. Le deuxième principe est celui de l’honneur qui garantit le respect du
rang dans une société d’ordres, hiérarchisée, gouvernée par des règles ancrées dans une tradition
historique. L’honneur est pour Montesquieu le principe de fonctionnement de la monarchie. Le
troisième principe de fonctionnement d’un régime politique est la crainte qui caractérise le despotisme
et qui nivelle la société. Le despote gouverne de manière arbitraire et violente selon ses désirs,
contrairement aux autres régimes gouvernés par des lois. Il en résulte pour Montesquieu une distinction
fondamentale entre les régimes modérés au sein desquels « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il
faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir et les régimes sans limites au
pouvoir ».
La réflexion de Montesquieu a eu une grande influence sur l’analyse des régimes politiques. Elle a aussi
inspiré de manière significative les rédacteurs de la Constitution des Etats-Unis reposant sur le principe
des checks and balances-poids et contrepoids) tant d’un point de vue juridique que d’un point de vue
de la science politique. En effet, la question des rapports entre les différents pouvoirs, en particulier
entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif, est au cœur du droit constitutionnel, en particulier dans les
analyses des différents types de régimes démocratiques comme nous l’avons esquissé en partant du
critère de la séparation des pouvoirs. Par contre la distinction entre régimes modérés et régimes sans

536 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 76 et s.


537PLATON, Le politique ou de la royauté. Traduction Dacier et Grou. 1885, Paris, Librairie Charpentier et Cie, 1885, 322 p (Edition
électronique 2003, pp.9-144).

116
limites au pouvoir a nourri la réflexion de science politique sur les régimes non-démocratiques,
totalitaires et autoritaires.538
B.2 Classification institutionnelle
Historiquement, l’analyse des régimes s’est d’abord focalisée sur les régimes démocratiques dans une
perspective juridique centrée sur les rapports entre pouvoirs législatif et exécutif. Elle a été initiée par
Bagehot dans son ouvrage The English Constitution (1867) dans lequel il compare ce qu’il appelle le
gouvernement présidentiel caractérisant le régime des Etats-Unis et le gouvernement de cabinet
caractérisant le Royaume-Uni. L’opposition entre régime parlementaire et régime présidentiel procède
plus de la responsabilité politique du gouvernement devant le parlement (présente au sein des régimes
parlementaires et absente dans le régime présidentiel) plutôt que de la séparation souple et rigide des
pouvoirs comme nous l’avons étudié précédemment.
La classification institutionnelle proposée par Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et Patrick
HASSENTEUFEL se réfère principalement au premier critère que nous avons étudié, à savoir la
séparation des pouvoirs car le régime parlementaire et le régime présidentiel procèdent de ce critère539.
Ces trois auteurs concordent sur la nécessité de repenser cette classification binaire présentant plusieurs
limites. Selon eux, la première limite est liée au fait qu’un certain nombre de régimes entrent mal dans
ces deux catégories. C’est tout d’abord le cas des régimes d’assemblée, du régime directorial, des
régimes semi-présidentiels. La deuxième limite est liée à l’hétérogénéité de ces classifications
concernant en particulier la catégorie des régimes parlementaires regroupant un grand nombre de
régimes aux caractéristiques assez différentes. Elle concerne aussi celle du régime présidentiel. En
effet, si cette catégorie s’est longtemps focalisée essentiellement sur le cas des Etats-Unis, sa portée
s’est élargie avec la mise en place de régimes présidentiels à la suite de transitions démocratiques
mettant fin à des régimes autoritaires, particulièrement en Amérique latine et en Afrique. Cet
élargissement lui a aussi fait perdre en cohérence puisque dans certains cas le Président chef de
gouvernement, élu au suffrage universel, possède un droit d’initiative parlementaire540.
La troisième limite recensée par les trois auteurs réside dans le fait que ces classifications sont centrées
sur les rapports entre pouvoir exécutif et législatif alors que Montesquieu prenait également en compte
le pouvoir judiciaire qui joue un rôle croissant dans le fonctionnement des régimes démocratiques
contemporains avec le développement du contrôle de constitutionnalité. La quatrième limite vient du
fait que Montesquieu raisonnait plus en termes d’équilibre des pouvoirs que de séparation de ceux-ci.
Nous avons, dans le cadre d’un article, mis en exergue les limites de la classification binaire des régimes
politiques, son anachronisme avant de plaider pour la mise à jour des critères de classification541.
Pour les trois auteurs précités, les classifications des régimes politiques à base juridique ne permettent
pas d’appréhender directement le fonctionnement de ceux-ci. C’est pour cela qu’il a été notamment
proposé de distinguer au sein des régimes démocratiques, le parlementarisme (domination du législatif)
du présidentialisme (domination de l’exécutif dirigé par le Président) et du gouvernementalisme
(domination de l’exécutif dirigé par un chef de gouvernement responsable devant l’exécutif (sic). Cette
proposition demeure cantonnée aux rapports exécutif/législatif et elle ne permet pas de comprendre les
facteurs clefs de fonctionnement des régimes démocratiques, en particulier l’existence de majorités
stables (ou non) en lien avec les systèmes de partis et le mode de scrutin.

538 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp.77-78.
539 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, o Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés,

Paris, Armand Colin, 2018, p. 79.


540 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 81-82.
541 J. KAZADI MPIANA, « Les régimes politiques africains et la nécessité de l’aggiornamento des critères de classification », Revue

internationale de droit comparé, Juillet-Septembre 2018, n° 3, pp. 543-573.

117
C’est pour apporter quelques correctifs à la classification juridique que les travaux comparatifs de
science politique ont élargi les critères de comparaison en prenant en compte, au-delà de l’exécutif et
du législatif, non seulement le pouvoir judiciaire, les systèmes de partis et les modes de scrutin mais
aussi les rapports centre/périphérie et les modes de production des politiques publiques542.

B.3 Les classifications des régimes politiques privilégiées en science politique


Les classifications des régimes politiques les plus prisées par les politistes sont réparties en trois
catégories : les régimes démocratiques, les régimes totalitaires et les régimes autoritaires. Pascal
DELWIT le dit clairement : trois grandes catégories de régimes politiques sont communément abordées
dans la littérature politologique : les régimes autoritaires, les régimes totalitaires et les régimes
démocratiques. Toutefois l’auteur tient à souligner que la ligne de démarcation entre régimes
démocratiques et régimes autoritaires est poreuse dans plusieurs situations. Un même Etat peut donner
à voir tout à la fois des attributs de régime autoritaire et des attributs de régime démocratique543. JUAN
LINZ distingue les trois régimes (démocraties, autoritarismes et totalitarismes) à l’aide de quatre
critères : le degré de pluralisme (ou de monisme) ; la place de l’idéologie ; le niveau de mobilisation de
la société, les caractéristiques de la direction politique.
- Les démocraties
Elles sont idéalement caractérisées par : un important pluralisme politique et sociétal ; des idéologies
se confrontant librement dans un espace public pacifié ; une forte participation citoyenne fondée sur la
tolérance du droit des minorités ; une sélection des dirigeants régulée par un système juridique rationnel
sur la base d’élections libres et concurrentielles. Dans cette perspective plusieurs dimensions en
interaction, mais pas forcément congruentes contribuent à la consolidation d’un régime démocratique :
une société civile libre ; une société politique établissant des liens entre gouvernants et gouvernés fondés
sur la confiance ; un Etat de droit ; une société économique qui ne se réduit ni au seul marché ni à une
économie dirigée.
Le Lexique de science politique définit, de manière étroite, la démocratie comme un régime dans lequel
la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens, qui l’exercent à l’occasion d’élections libres et
disputées intervenant à intervalles réguliers. Dans cette perspective, la démocratie est pour reprendre la
formule de LINCOLN, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple544. En tant que régime
politique, le fonctionnement de la démocratie implique la réunion de trois conditions essentielles. Tout
d’abord la participation du peuple ; ce qui implique l’intervention des citoyens dans l’exercice du
gouvernement politique soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants- mais se limite
souvent, dans les faits, à une activité de contrôle sur les gouvernants (par le biais des élections). Ensuite
le pluralisme politique qui suppose le multipartisme mais aussi une structuration de la société permettant
la représentation de la diversité des intérêts et des groupes. Enfin, l’alternance au pouvoir ; ce qui
suppose que le pouvoir ne soit pas accaparé de façon continue par une seule force politique (ou une
seule coalition de forces. A ces trois conditions s’ajoutent deux exigences fondamentales et
indissociables qui sont le fondement du libéralisme politique : d’une part l’Etat de droit supposant un
système juridique étendu et stable, garanti par une justice indépendante ; d’autre part la protection des
droits fondamentaux, en particulier des libertés individuelles545. La démocratie est théoriquement le
régime politique dans lequel le peuple- demos- prend lui-même, ou par l’intermédiaire de ses

542 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp.82-83.
543 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 79.


544 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 153.
545 O. NAY (dir.), op.cit., p. 153.

118
représentants. Ce qui est supposé revenir au même, les décisions collectives afin de servir au mieux
l’intérêt général546.
- Le totalitarisme
Il est avant tout un refus absolu du pluralisme. Ce monisme se traduit par : une idéologie unique à forte
valeur ajoutée utopique et programmatique ; un parti unique : dominant l’appareil d’Etat, notamment
par un contrôle strict de l’appareil de contrainte (armée et police) par une milice et/ou des services de
renseignement ; mobilisant la population en vue du soutien du régime au moyen de ses organisations
satellites ; parfois par une direction politique menée par un chef charismatique, mais à défaut de
charisme, le dictateur ne dérogera pas au culte de la personnalité.
- L’autoritarisme
LINZ met l’accent sur la faiblesse de l’idéologie (au sens programmatique du terme), mais l’ancrage
d’une mentalité conservatrice dans d’importants secteurs de la société, un pluralisme faible mais pas
inexistant, une méfiance des dirigeants à l’égard de la mobilisation de la population et une organisation
politique à l’arbitraire limité (un recrutement des élites militaires et administratives partiellement basé
sur le mérite, une organisation légale partielle, etc.). A partir de ce type-idéal, il distingue les sous-types
suivants : les dictatures populistes, les bureaucraties autoritaires, les régimes mobilisateurs de la
décolonisation, les démocraties raciales et ethniques547.
B.3.1 Les régimes démocratiques

a) Considérations préliminaires
L’équipe scientifique du magazine The Economist a élaboré un indice de démocratisation autour de cinq
indicateurs cristallisés sur soixante variables : Un processus électoral juste et libre ; l’existence de
libertés civiles ; le fonctionnement du gouvernement ; la participation politique ; la culture politique.
Sur cette base, une typologie de quatre types de régimes a été établie : les démocraties pleines, les
démocraties défectueuses, les situations hybrides et les régimes autoritaires548. Les régimes
démocratiques actuels ont connu quatre (4) principales évolutions : la tendance au renforcement du
pouvoir exécutif, la tendance au contrôle judiciaire accru du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif
(en termes de contrôle de constitutionnalité et en termes de contrôle de la vie politique), l’affirmation
de la démocratie directe et le renforcement des pouvoirs locaux remettant en cause la distinction entre
Etats unitaires et fédéraux549.
b) Typologie de régimes démocratiques
Pascal DELWIT distingue trois grandes catégories de régimes démocratiques : les régimes d’assemblée,
les régimes parlementaires et les régimes présidentiels550.
- Régimes parlementaires

Pascal DELWIT définit le régime parlementaire « idéal-typique » comme celui où le gouvernement, qui
exerce le pouvoir exécutif au nom d’un chef d’Etat irresponsable, est responsable devant une assemblée
législative, elle-même susceptible d’être dissoute. Sous cette notion générique, on peut regrouper quatre
sous-catégories :

546 O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris, Manitoba/Les belles lettres, 2017, p. 92.
547 J. LINZ cité par MOHAMMAD-SAID DARVICHE, « Les régimes politiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science
politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 77-90, spèc. aux pp. 79-83.
548 Cité par P. DELWIT, op.cit., p. 81.
549 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 84-94.
550 L’auteur développe plus ou moins tout ce qui a été dit à propos de ces régimes dans le cadre de la classification fondée sur la

séparation des pouvoirs. P. DELWIT, op.cit., pp. 140-150.

119
i. Le régime de cabinet
ii. Le régime partitocratique ;
iii. Le régime semi-parlementaire ;
iv. Le régime semi-présidentiel
1) Le régime de cabinet
L’essentiel des fonctions de décision appartient au gouvernement, qui a pour devoir de les exercer dans
le respect des libertés constitutionnelles. Les pouvoirs parlementaires sont relativement amoindris. Le
parlement constitue plutôt la caisse de résonnance de l’opposition. L’exemple type est la Grande
Bretagne. Dans le régime politique britannique, le leader du parti vainqueur devient le Premier ministre
et forme le gouvernement. Il est responsable devant la Chambre des Communes. L’opposition quant à
elle forme le Shadow Cabinet (cabinet fantôme ou contre-cabinet) qui a pour vocation de faire des
contre-propositions à celles du gouvernement. Pour SEILER, cinq traits caractérisent le régime de
cabinet :
1° L’écrasante majorité des lois est l’œuvre du gouvernement. Dans l’acception juridique du terme,
l’essentiel du pouvoir législatif revient au gouvernement. Dans ce contexte, le parlement devient le lieu
d’explication et de ratification ;
2° Sauf crise majeure, le Cabinet est assuré de la confiance du parlement pendant toute la durée de la
législature ;
3° Une très forte concentration du pouvoir s’opère entre les mains du Premier ministre ;
4° Le parlement est le lieu symbolique majeur où s’exprime librement l’opposition. Celle-ci est
respectée ;
5° le bipartisme permet aux citoyens de choisir non seulement leurs représentants mais aussi leur
gouvernement551.

Dans le système politique britannique, le cabinet est un ensemble formé par le Premier ministre et ses
principaux ministres alors que le gouvernement désigne un ensemble plus vaste552.

2) Les régimes partitocratiques


Partitocratie vient de l’italien Partitocrazia. Dans un système partitocratique, l’essentiel du pouvoir
politique appartient aux directions de partis. Plusieurs éléments caractérisent la partitocratie. L’essentiel
du pouvoir appartient au gouvernement. Mais celui-ci l’exerce sur la base d’accords conclus entre les
partis qui sont membres de la majorité, en particulier l’accord du gouvernement, conclu en début de
législature. Les gouvernements partitocratiques ont, ou plus exactement avaient, une tendance à
l’instabilité mais ils ne tombent pas sur un vote de défiance de l’assemblée. La discipline des groupes
parlementaires est en général très forte. Il y a une forte concentration des pouvoirs au profit des
appareils de partis. Ce sont les partis qui ont véritablement droit de vie ou de mort sur les
gouvernements. Les régimes les plus souvent évoqués comme partitocratiques sont la Belgique et
l’Italie553.
3) Les régimes semi-parlementaires
L’apport de Pascal DELWIT dans l’identification des régimes semi-parlementaires est trop limité. Pour
cet auteur, les régimes semi-parlementaires sont des régimes où le Président de la République est élu au
suffrage universel ou par l’assemblée mais avec des pouvoirs très limités. L’auteur souligne une

551P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, pp. 142-142.
552 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 55.
553 P. DELWIT, op.cit., p. 144.

120
légitimité accrue ces dernières années pour cette fonction et une intervention dans la vie politique du
Président plus importante qu’auparavant. Dans les faits, le poste de Président de la République,
auparavant honorifique pour l’essentiel, gagne en importance et suscite donc plus de convoitise. La
compétition électorale se polarise sur l’attribution du mandat. Pour l’auteur c’est le cas en Autriche, en
Irlande, en Islande, au Portugal et en Finlande554.
4) Les régimes semi-présidentiels
Pour Pascal DELWIT, dans un régime semi-présidentiel, le Président de la République et le
gouvernement se partagent le pouvoir exécutif : il s’agit donc, en l’espèce d’un régime dualiste. La
France est citée en exemple. Tout ce que nous avons précédemment écrit sur le régime semi-présidentiel
dans le cadre des régimes politiques mixtes complète ces considérations développées par Pascal
DELWIT.
- Le régime présidentiel

Il convient de se référer aux considérations se rapportant à ce régime politique que nous avons
développées en partant du critère de la séparation des pouvoirs.
Cette catégorisation triptyque des régimes démocratiques (les régimes d’assemblée, les régimes
parlementaires avec leurs variantes ainsi que les régimes présidentiels) est simplifiée car d’autres
régimes démocratiques n’y sont pas repris. C’est le cas du régime directorial suisse illustrant mieux la
catégorie de régimes politiques mixtes. Les régimes démocratiques s’opposent généralement aux
régimes autoritaires. Cette distinction d’ordre académique et pratique ne peut dissimuler le risque de
basculement, selon les époques et au sein d’un même Etat, des régimes démocratiques vers les régimes
autoritaires.
B.3.2 Les régimes autoritaires

a) Considérations préliminaires
L’autoritarisme renvoie à la tendance d’une idéologie ou des pratiques d’un régime politique à valoriser
la concentration de la puissance dans l’exercice du pouvoir fût-ce au détriment des libertés. La catégorie
très large d’autoritarisme désigne le plus souvent des régimes définis par leur caractère non
démocratique. Plusieurs définitions des régimes autoritaires ont été proposés. Juan LINZ (1964) définit
les régimes autoritaires comme des systèmes à pluralisme limité mais non responsables à l’égard du
peuple, sans idéologie directrice élaborée (…) ni volonté de mobilisation intensive ou extensive, sauf à
certains moments de leur développement. Ces régimes peuvent soit supprimer les élections, soit tolérer
un pluralisme de façade en maintenant un système d’élections truquées ou en n’autorisant la compétition
qu’entre les partis tolérés par le pouvoir. Tout ou partie des médias sont censurés. Les droits de l’homme
ne sont pas respectés. La répression est relativement ciblée contre les opposants même si ces régimes
peuvent procéder à l’élimination de groupes sociaux entiers555.
Le régime autoritaire se caractérise par une forte concentration du pouvoir, par un niveau de
consentement trop faible, l’usage de la force et la répression contre l’opposition. Philippe De Lara
définit comme autoritaires « tous les pouvoirs politiques non responsables devant leur population et non
dotés d’une légitimité traditionnelle ». Pour cet auteur, l’autoritarisme peut aussi être défini par le
caractère abusif et arbitraire du pouvoir556. Partant de ces définitions, il est difficile de dégager de la
diversité des pouvoirs autoritaires une typologie satisfaisante d’autant plus que les pouvoirs autoritaires

554 P. DELWIT, op.cit., p. 144.


555 O. NAY, op.cit., p. 35.
556
Ph. De LARA, « Pouvoirs autoritaires et totalitaires », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques,
Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 81-89, spéc. à la p. 86.

121
peuvent être conservateurs, modernisateurs, oligarchiques, militaires ou civils557. A titre illustratif, une
typologie de ces régimes politiques autoritaires a été proposée.
b). Typologie de régimes autoritaires
L’analyse des régimes autoritaires a souligné la grande diversité de ces régimes. Cette observation a
conduit à l’élaboration de typologies au sein de cette catégorie cherchant à répondre aux questions
suivantes : qui détient le pouvoir ? sur quelles institutions le pouvoir est-il fondé ? Comment le pouvoir
est-il exercé ? Quelle est l’orientation du pouvoir (les valeurs qui le légitiment) ?
Ces questions aboutissent à des réponses formulées sous forme de différents types de régimes
autoritaires : Les régimes traditionnels (reposant sur des structures traditionnelles, l’organisation
sociale, religion qui forment la source de légitimité. Le pouvoir est transmis de façon héréditaire et la
patrimonialisation est très importante. Les monarchies du Golfe fondées sur le clan tribal et s’appuyant
sur des valeurs religieuses illustrent ce premier type de régimes autoritaires ; Les régimes clientélistes
(parfois appelés sultaniques) caractérisés par une forte personnalisation du pouvoir, une importante
patrimonialisation par un groupe familial restreint, une faible institutionnalisation et l’appui sur la
répression. La dictature des Duvalier à Haïti , celle de Ferdinand Marcos aux Philippines, celle du
général Ben-Ali en Tunisie ou la famille Assad en Syrie font partie de ce deuxième type.

Les régimes corporatistes (organiques) fondés sur une organisation spécifique de l’Etat reposant sur le
contrôle des groupes socio-professionnels et leur intégration à l’Etat. Ce fut le cas en Espagne lors du
régime franquiste ou celui de Salazar au Portugal. Les régimes militaires (prétoriens) qui sont dirigés
par l’armée comme institution (junte), qui contrôle le pouvoir politique et économique, avec une
dimension répressive forte. Ces régimes ont caractérisé dans le passé plusieurs Etats africains et latino-
américains. Les régimes mobilisateurs. Ils sont fondés sur un projet nationaliste, l’appel au peuple (ils
sont parfois aussi qualifiés de populistes) et une forte personnalisation. Il s’agit là aussi d’exemples
historiques : Peron en Argentine, Nasser en Egypte, Khadafi en Lybie, N’Krumah au Ghana… Les
régimes post-totalitaires. Ils renvoient aux régimes communistes (domination d’un parti unique) post-
staliniens faisant l’objet d’une routinisation bureaucratique et au pluralisme très limité558.
Guy Hermet a proposé une autre catégorisation de régimes autoritaires en distinguant quatre idéaux-
types de régimes autoritaires : les régimes du pouvoir patrimonial, les régimes de « Caudillos », les
dictatures libérales et les populismes. Pascal Delwit y ajoute les autoritarismes contemporains559.

i. Les régimes de pouvoir patrimonial


Les régimes de pouvoir patrimonial sont des situations dans lesquelles le patrimonialisme incarne le
mode de domination à l’échelle de l’Etat comme dans un foyer familial. Dans ce type de régime,
l’autorité patriarcale ne distingue pas les biens privés des biens publics. L’exercice de l’autorité
patriarcale est souvent l’exercice du pouvoir de clans familiaux. Les exemples les plus couramment
cités sont des Etats arabes du Proche-Orient : le Koweit, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis.

ii. Les régimes de « Caudillos »

557 Ph. De LARA, « Pouvoirs autoritaires et totalitaires », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), op.cit., .p.86.
558 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 105-106.
559 G. HERMET, « L’autoritarisme », in M. GRAWITZ, J. LECA (dir.), Traité de science politique. 2 les régimes politiques

contemporains, Paris, PUF, 1985 et G. HERMET, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique. XIXè-XX è siècle, Paris,
Fayard, 2001, cité par P. DELWIT, op.cit., pp.86-90.

122
Désignant à l’origine un chef de bande pendant les guerres de reconquête de la péninsule ibérique sur
les arabes, le terme « caudillo » s’applique aux leaders latino-américains qui, au regard de la seule
légitimité de la force et de leur capacité de conserver le pouvoir face à leurs rivaux, ont restauré un ordre
minimal bien qu’arbitraire et souvent sanguinaire dans les petits Etats libérés de la tutelle espagnole. La
forte présidentialisation des régimes politiques latino-américains et le mythe d’un homme providentiel
constituent des terrains fertiles pour l’affermissement du caudillisme560. Les régimes de pouvoir
patrimonial et le régime de caudillo ont certaines caractéristiques communes : l’appropriation privée de
l’Etat et des biens de l’Etat ; un fonctionnement de type clientélaire ou fondé sur le patronage ; la volonté
de se prémunir contre l’émergence d’une souveraineté populaire ; les formes de légitimité sont tantôt
liées au pouvoir charismatique tantôt liées à la tradition ; la religion-souvent catholique- joue aussi un
rôle essentiel de justification de ce type de pouvoir.

iii. Les dictatures libérales


La littérature distingue deux types de dictatures libérales : le bonapartisme ou autoritarisme
plébiscitaire et les diverses formes de populisme. Pour le Lexique de science politique, le bonapartisme
est une forme de pouvoir personnel dans lequel le Chef, directement investi par le peuple, dirige un
régime autoritaire en supprimant la séparation des pouvoirs et en s’appuyant sur sa légitimité populaire,
consacrée par des plébiscites561. Le césarisme est aussi proche du bonapartisme. Il indique, à l’image
du pouvoir mis en place par César dans la République romaine finissante et par la suite, de la pratique
politique des empereurs romains, la notion désigne un système politique dans lequel le pouvoir est
concentré dans les mains d’un seul homme qui gouverne de manière autoritaire en s’appuyant sur le
soutien du peuple562.

iv. Les populismes


Tout comme les régimes de type bonapartiste, le populisme a un rapport complexe au suffrage et à la
population dans la mesure où il y a affirmation du principe populaire et même volonté de mobilisation
populaire dans un cadre de libre expression du libéralisme économique. Il y a une exaltation du primat
de la volonté populaire sur les organisations intermédiaires- partis, syndicats… qui sont répudiées et les
structures intermédiaires- parlement-supposées capturer la volonté générale. Le Lexique de science
politique propose trois entrées de la notion du populisme. Les deux dernières nous semblent pertinentes.
Le populisme peut renvoyer à un « Ensemble d’arguments et de pratiques consistant, pour des hommes
politiques, à faire directement appel au peuple et à condamner l’inclination des élites, des représentants
parlementaires, des puissants ou de certains groupes spécifiques (…) à s’emparer de tous les pouvoirs
dans la société (gouvernement, administrations, centres économiques, institutions culturelles,
médias…) ou à défendre des intérêts corporatistes au détriment de la population ordinaire. Le populisme
s’appuie le plus souvent sur une rhétorique simpliste de dénonciation des élites » ou encore, le
populisme constitue un terme fourre-tout et péjoratif désignant des mouvements politiques perçus
comme illégitimes dans le jeu politique. La prolifération de mouvements dits « populistes » (néo-
populistes, nationaux-populistes…) dans les systèmes démocratiques contemporains rend
problématique l’usage du terme, d’autant que nombre de revendications démocratiques, dès lors qu’elles
font appel au peuple, pourraient facilement se voir taxées de populistes563.
Nous pouvons y ajouter aussi les démocratures.

560 V. AUDUBERT, « Le continuisme de mandats présidentiels, une dérive caudilliste du pouvoir exécutif ? Réflexions à partir de

la Constitution bolivienne de 2009 », RFDC, 2016/4, n° 108, pp. 751-768


561 O. NAY, Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 49.
562 O.NAY, op.cit., p. 66.
563 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p.p. 474.

123
v. Les démocratures.
La paternité de l’expression « démocrature » aurait été attribuée à Pierre HASSNER pour l’avoir
utilisée la première fois dès la chute du mur de Berlin pour qualifier la transition de certains pays sortant
du communisme, alors qu’ils avaient cessé d’être totalitaires sans être pour autant démocratiques564.
Pour Nicolas BAVEREZ, la démocrature se caractérise aujourd’hui par un mode de gouvernement
autoritaire organisé autour du culte d’un homme fort et de l’exacerbation des passions identitaires,
nationales et religieuses. Elle s’appuie non pas sur l’imposition d’une terreur de masse comme les
totalitarismes du XX è siècle, mais sur la répression ciblée de toute forme d’opposition politique. Elle
peut tolérer le suffrage universel et l’existence de plusieurs partis mais les élections, lorsqu’elles
existent, font l’objet de fraudes et sont manipulées par un vaste effort de propagande relayé à travers les
médias et les réseaux sociaux. Elle récuse les libertés individuelles et l’Etat de droit dont le formalisme
est supposé contrarier les intérêts fondamentaux du peuple et de la nation. La démocrature retourne
contre la liberté politique le capitalisme et la technologie. Elle reconnaît le capitalisme- notamment dans
sa dimension d’accumulation des richesses- mais ne répond pas aux exigences d’un marché régulé par
le droit. L’économie est contrôlée par des oligarchies proches du pouvoir, souvent par le biais de liens
familiaux, la société est placée sous surveillance à travers la tutelle des écoles et des universités, des
médias, des cultes religieux. La démocrature révère la force et la met en scène comme principe de
légitimité du pouvoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Elle désigne la démocratie comme ennemi et
entend favoriser l’avènement d’un monde post-occidental. L’auteur cite, parmi les exemples des
démocratures, la Russie, la chine, la Turquie565. Les régimes autoritaires sont proches de régimes
totalitaires, car ce qui le distingue réside dans l’idéologie ou mieux l’idéologie totale566. Contrairement
aux différentes typologies de régimes autoritaires, les régimes totalitaires présentent de nos jours un
intérêt historique limité.
B.3.3 Les régimes totalitaires
Selon le Lexique de science politique, le totalitarisme constitue un « système de domination totale dans
lequel l’Etat concentre tous les pouvoirs et intervient de façon autoritaire dans l’ensemble des activités
politiques, économiques et sociales. Lorsque l’Etat prend le contrôle de tous les secteurs de la société,
il devient total ». Les systèmes totalitaires désignent plus particulièrement des expériences politiques
réalisées au XX è siècle, dans un nombre limité de pays et à des périodes précises (l’URSS stalinienne,
l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste, la Corée du Nord, le Cambodge des Khmers rouges, la Chine des
années 1950-1960…)567.
Le totalitarisme est caractérisé par la volonté de faire table rase du passé et par la fusion de l’espace
public et l’espace privé. François FURET le définit par le culte de la volonté politique et l’intégration
de la totalité sociale au sein de l’Etat568. Raymond Aron a isolé cinq traits constitutifs du type-idéal
totalitaire : Le phénomène totalitaire intervient dans un régime qui accorde à un parti le monopole de
l’activité politique ; Le parti monopolistique est animé ou armé d’une idéologie à laquelle il confère une
autorité absolue et qui, par suite, devient la vérité officielle de l’Etat ; Pour répandre cette vérité
officielle, l’Etat se réserve à son tour un double monopole, le monopole des moyens de force et celui de
persuasion. L’ensemble des moyens de communication, radio, télévision, presse, est dirigé, commandé

564 P. GREMION et P. HASSNER, Vents d’Est, Paris, PUF, 1990 cité par N. BAVEREZ, « Les démocratures contre la démocratie »,
Pouvoirs, 2019, pp. 5-17, spéc. à la p. 6.
565 N. BAVEREZ, « Les démocratures contre la démocratie », Pouvoirs, 2019, pp. 5-17, spéc. à la p. 8 et s.
566 Ph. De LARA, « Pouvoirs autoritaires et totalitaires », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques,

Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 81-89, spéc. à la p. 84.
567 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 616 et s.
568
MOHAMMAD-SAID DARVICHE, « Les régimes politiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd.,
Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 77-90, spéc. à la p. 81.

124
par l’Etat et ceux qui le représentent. La plupart des activités économiques et professionnelles sont
soumises à l’Etat et deviennent, d’une certaine façon, partie de l’Etat lui-même. Comme l’Etat est
inséparable de son idéologie, la plupart des activités économiques et professionnelles sont colorées par
la vérité officielle. Tout étant désormais activité d’Etat et toute activité étant soumise à l’idéologie, une
faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute
idéologique569.
Philippe de Lara résume les traits caractéristiques des régimes totalitaires :
- Un parti unique qui détient le monopole de la vie politique ;
- Une idéologie qui imprègne la vie publique et les pouvoirs publics ;
- Un contrôle policier tendant à la terreur idéologique- toute activité étant soumise à
l’idéologie ;
- Une propagande intense et une mobilisation permanente des masses, contre les ennemis
mortels désignés par l’idéologie et pour la création d’un « homme nouveau » ;
- Un contrôle centralisé de la vie économique et sociale (ou du moins la volonté de réaliser
un tel contrôle) ;
- La figure du Guide suprême, à la fois Chef du parti, interprète autorisé de l’idéologie et
incarnation du peuple. Ce Guide fait l’objet d’un culte, d’une charismatisation570.

Juan LINZ énumère les trois conditions requises pour envisager de qualifier un régime totalitaire :
l’existence d’un centre de pouvoir moniste, bien que non monolithique ; l’existence d’une idéologie
exclusive, autonome et plus ou moins élaborée intellectuellement , à laquelle le leader, le groupe
dirigeant et le parti à leur service s’identifient afin de l’utiliser comme justification de leur politique ou
de la manipuler pour les légitimer et enfin la participation et la mobilisation active de la population
dans et pour des tâches collectives sont encouragées, exigées, récompensées et canalisées au sein d’un
parti unique et d’un grand nombre de groupes secondaires en situation de monopole571.
En résumé, le régime totalitaire se manifeste par l’aspiration de l’Etat à s’occuper de tous les aspects de
la vie sociale comme le fascisme en Italie. Ses caractéristiques essentielles sont : la proclamation de
l’idéologie officielle de l’Etat inculquée à travers les différents moyens de communication, la source
suprême du pouvoir réside dans le parti unique dont les structures se superposent avec celles de l’Etat,
la personnalisation du pouvoir incarnée par le chef charismatique. Le totalitarisme se fonde sur une
mobilisation permanente des masses572. Est-il que les doctrines totalitaires favorisent la concentration
des pouvoirs en se prononçant en faveur de l’établissement d’un régime fort dans lequel tout le pouvoir
est concentré entre les mains d’un chef unique. A travers le passé le fascisme et le nazisme ont représenté
les doctrines totalitaires. La doctrine marxiste est aussi en faveur de la concentration des pouvoirs car
l’Etat n’y est pas véritablement le centre de décision politique, mais c’est au Parti communiste qu’il
appartient de diriger la société et c’est en lui que se réalise la concentration des pouvoirs573.
Notons que ces différences « académiques » entre régimes démocratiques, autoritaires et totalitaires ne
sont pas étanches dans la pratique. Les frontières entre eux sont poreuses. Il en de même de la démocratie
et de la dictature. Comme l’a relevé MOHAMMAD-SAID DARVICHE, la distinction entre démocratie
et dictature est donc une question de degré et non de nature. Par définition, tout régime politique est

569 R. ARON, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965, pp. 284-285 cité par P. DELWIT, op.cit., p. 98.
570 Ph. De LARA, « Pouvoirs autoritaires et totalitaires », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques,
Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 81-89, spéc. à la p. 83.
571 J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, Armand Colin, 2000, p. 99 cité par P. DELWIT, op.cit., p. 99.
572 G. MORBIDELLI, L. PEGORARO, A. REPOSO, M. VOLPI, op.cit., p. 239 et s.
573 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, pp. 86-87.

125
d’une certaine manière hybride combinant, suivant la logique du compromis limité dans le temps, entre
principes et pratiques plus ou moins démocratiques (ou dictatoriaux)574.
Le régime politique se distingue du système politique. Il importe d’illustrer les rapprochements ainsi
que les divergences.

3. Différence entre régime politique et système politique


Les réalités scientifiques couvertes par ces deux notions sont fort différentes. Le système relève de la
science politique alors que le régime est un concept relevant du Droit constitutionnel. Le système est un
ensemble cohérent composé d'éléments qui sont en interaction entre eux, si bien que tout changement
affectant un de ces éléments se répercute sur les autres et sur le tout. Pour Marie-Noëlle SARGET, le
système politique est « l’ensemble des processus de décisions qui concernent la totalité de la société
globale. C’est un système décisionnel qui agit dans des conditions d’incertitude importante et non un
système programmé. C’est aussi un système régulateur, celui qui coordonne les interactions entre les
autres systèmes sociaux »575.

Le système politique peut être étudié indépendamment de la notion de régime politique. Pour Léon
Odimula, le système politique renvoie aux dispositifs et aux rôles différenciés interdépendants,
structurés par des normes de comportement dans le cadre de ces processus. Chacun des principaux
acteurs de ces processus, à savoir : les syndicats, les partis politiques, les associations et autres groupes
de pression, y compris le gouvernement, constitue pour les autres un environnement576. Pour Hanspeter
KRIESI, le système politique peut être défini selon une approche très large et très étroite. Dans la
première approche le système politique est constitué par tous les acteurs et toutes les actions qui
participent à la prise de décisions politiques ainsi qu’à leur mise en œuvre (…). Dans la deuxième, le
système politique comprend exclusivement les organisations et les personnes spécialisées dans la
politique. En dehors de l’Etat nous pouvons faire allusion à deux types d’organisations spécialisées dans
la politique. Il s’agit de partis politiques et d’associations d’intérêts577.

En science politique, sont privilégiées les fonctions remplies par les différents systèmes politiques. A
titre illustratif, Parsons dégage les fonctions des systèmes politiques au nombre de quatre : le maintien
du modèle (la capacité à assurer la stabilité des schèmes culturels institutionnalisés), la réalisation des
buts (la capacité de produire des objectifs qui sont propres au système, les objectifs vers lesquels le
système est censé tendre), l’adaptation (la capacité des structures de servir à d’autres usages) et
l’intégration (la manière dont la mise en harmonie des sous-systèmes peut contribuer à l’opération
maximale du système total) formant le système. Selon Almond Coleman, les systèmes politiques
partagent en général quatre traits communs : ils ont une structure politique (responsable de la coercition
physique légitime) ; les mêmes fonctions sont réalisées dans d’autres systèmes ; toute structure politique
est multifonctionnelle ; les systèmes politiques sont dits mixtes en ce sens qu’ils combinent, en de degrés
divers, des éléments de modernité et de tradition578. Selon le Dictionnaire de science politique, le
système politique, en tant que paradigme scientifique, désigne un mode de représentation conceptuelle
des interactions politiques et des institutions qui, dans un pays donné ou dans tout autre cadre de
pouvoir, déterminent les décisions auxquelles se soumettent la plupart des personnes ou entités

574 MOHAMMAD-SAID DARVICHE, « Les régimes politiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd.,
Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 77-90, spéc. à la p. 88.
575 M-N. SARGET, « L’évolution des systèmes politiques : les effets de la mondialisation », disponible en ligne à l’adresse

https://www.afscet.asso.fr/Ande02/MNSande02.pdf consulté le 4 mars 2017.


576 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, Manuel de science politique, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 37.
577 H. KRIESI, Les démocraties occidentales : une approche comparée, Paris, Economica, 1994, pp. 14-15.
578
Th. BALZACQ, et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, Deboeck, 2014, pp.142-147.

126
collectives incluses dans ce pays ou ce cadre579. Les fonctions du système politique peuvent être latentes
ou manifestes.

Selon David Easton, tout système politique reçoit des demandes et des soutiens qui sont transmis par
les « gardes-barrières » aux autorités ; celles-ci répondent par des actions et des décisions qui, une fois
passées par l’environnement du système politique à travers la boucle de rétroaction, se transforment en
nouveaux soutiens assurant ainsi la légitimité de ceux qui exercent, de manière rationnelle et
idéologique, ces rôles d’autorité580. Pour Jean-Louis Vullierme, d’après les principes généraux de la
systémique, un système quelconque n’est correctement décrit que s’il a été replacé dans son
environnement. Ceci vaut tout particulièrement pour les systèmes politiques qui ne peuvent en aucun
cas être considérés comme des organismes clos, puisqu’ils sont chacun virtuellement et en permanence
les prédateurs et la proie de chacun des autres. Etant donné que les différents systèmes politiques sont
en interaction, l’auteur utilise l’expression d’écosystème politique pour désigner la part de
l’environnement général d’un système politique, formée de tous les systèmes politiques extérieurs qui
sont en interaction avec lui. A l’intérieur d’un monde, tous les systèmes entretiennent des relations qui
sont toujours au moins culturelles581.

Le système politique peut aussi être conçu au regard des régimes politiques. Dès lors il entretient des
interactions avec le régime politique et prend toute une autre dimension.

4. Interactions entre régimes politiques et systèmes politiques


Le régime politique est un ensemble ordonné d'institutions et d'organes organisés par un droit positif
sous-tendu par des valeurs officiellement consacrées organisant le cadre d'action d'un pouvoir légitime.
Le régime politique est voulu et organisé tel que par le droit alors que le système est subi, imposé. Selon
le dictionnaire du Droit constitutionnel, le système politique désigne « le fonctionnement concret d’un
régime politique. Le système politique est le produit de l’interaction entre les règles constitutionnelles
(juridiques et politiques, écrites ou non) et les comportements des acteurs (gouvernants, électeurs)582.
Pascal DELWIT abonde dans cette même optique. En effet, un régime politique rend compte de la
manière spécifique dont sont organisés les pouvoirs publics : leur mode de désignation, leurs
compétences respectives, les règles juridiques et politiques qui gouvernent leurs rapports. Le système
politique inclut le régime politique. Il élargit le champ de l’analyse en y incluant l’étude des acteurs :
partis politiques, groupes de pression, systèmes de partis, médias, libertés publiques, mécanismes de
socialisation politique, système électoral, perspective historique etc583. Dans l’ouvrage portant sur le
système politique américain, une part importante est consacrée au régime politique américain complété
par l’étude des forces politiques et des politiques publiques584.

D’autres auteurs utilisent l’expression de système politique comme synonyme de régime politique ou
forme de gouvernement. Ainsi, selon J. BEAUDOUIN, les systèmes politiques désignent les grandes

579 G.HERMET et alii, Dictionnaire de science politique et des institutions politiques. 7 è éd. Revue et augmentée, Paris, Armand
Colin, 2010, p. 459.
580
G.HERMET et alii, Dictionnaire de science politique et des institutions politiques. 7 è éd. Revue et augmentée, Paris, Armand
Colin, 2010, p. 459.
581 J.-L. VULLIERME, Le concept de système politique, Paris, PUF, 1989, p. 441.
582 M. De VILLIERS, A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 358.
583 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 79.


584 M. FORTMANN et P. MARTIN (dir.), Le système politique américain. 5 è éd. Revue et augmentée, Montréal, Les Presses de

l’Université de Montréal, 2013. L’ouvrage analyse tour à tour les fondements culturels, constitutionnels et institutionnels du système
fédéral américain, les principaux centres de décision du gouvernement fédéral (Congrès, présidence, Cour suprême,), les principaux
processus (législatif, électoral, lobbying) et les principales forces qui s’affrontent dans le champ politique, les politiques publiques
et leur évolution dans les quatre secteurs les plus importants : économie, affaires sociales, politique étrangère et défense. P. 7.

127
catégories d’organisation des pouvoirs publics, à savoir les régimes démocratiques, les régimes
autoritaires et les régimes totalitaires585.

Olivier DUHAMEL préfère réserver l’expression « régime politique » aux normes ou règles, le système
politique au fonctionnement réel des institutions politiques. Selon lui on appelle « régime » l’ensemble
des règles constitutionnelles. Les critères permettant de distinguer plusieurs types de régimes se fondent
sur les règles relatives à l’attribution et à la révocation des pouvoirs. Le régime parlementaire est défini
par la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, le régime présidentiel par l’irrévocabilité
des pouvoirs issus d’une double élection, le régime semi-présidentiel par la double élection et la
révocabilité des pouvoirs586. Pour cet auteur, on appelle système politique, « l’exercice du pouvoir tel
qu’il résulte de la pratique dominante par opposition au régime politique qui renvoie aux règles relatives
à l’attribution et à la révocation des pouvoirs »587. Cette définition du système politique est retenue ici.
Elle est également reprise par le dictionnaire du Droit constitutionnel 588 et par Marie-Anne
COHENDET589.

Cette dernière entend par régime au sens strict comme étant l’ensemble des règles prévues par le texte
constitutionnel, et que l’on parle de système pour désigner la pratique, les faits, les actes d’application
de la Constitution.

La classification des régimes se fait en fonction des dispositions constitutionnelles relatives en


particulier à la responsabilité du gouvernement et à l’élection du Président. En revanche, la classification
des systèmes se fait en fonction de l’organe qui joue en pratique le rôle majeur dans la définition de la
politique nationale. On admet qu’est présidentialiste un système marqué par la prédominance du
Président et est parlementariste un système marqué par la prééminence du Parlement. Dans cette
seconde famille on observe des sous-catégories, en particulier celle de système gouvernementaliste en
cas de prééminence du gouvernement, et celle de système premier ministérialiste lorsque le Premier
ministre joue le rôle majeur. A l’exception de Chypre, elle conclut que tous les Etats de l’Union
européenne fonctionnent désormais de manière stable dans un système parlementariste, à l’exception
de la France en dehors des périodes de cohabitation590.

Analysant la cohabitation au regard de la vie politique et constitutionnelle française, Marie-Anne


COHENDET souligne que de tous les régimes parlementaires des Etats de l’Union européenne, la
France est le seul qui fonctionne régulièrement dans « un système présidentialiste, le seul dans lequel
les fluctuations dans l’interprétation de la Constitution au profit du chef de l’État sont aussi grandes, le
seul dans lequel le président parvient hors cohabitation à s’arroger le pouvoir de révoquer le Premier
ministre alors qu’il n’en a pas le droit »591.

Un régime peut être démocratique alors qu’il fonctionne dans un système non démocratique. C’est le
cas quand la Constitution établit toutes les règles pour qu’existe une démocratie, mais ces règles ne sont

585 J. BEAUDOUIN, Introduction à la science politique, Paris, Dalloz, 2000, p. 24, cité par L. ODIMULA LOFUNGUSO
KOS’ONGENYI, Manuel de science politique. Un outil au service de la gouvernance démocratique dans l’espace politique africain,
Paris, L’Harmattan RDC, 2016, p. 70.
586 O. DUHAMEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, seuil, 2009, p. 368.
587O. DUHAMEL, op.cit., p. 368. Cette différence est également retenue par M-A. COHENDET, « La classification des régimes, un

outil pertinent dans une conception instrumentale du droit constitutionnel », L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de
Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 299-314, spéc. p. 302. Le régime politique renvoie à l’évocation des règles prévues
par la Constitution et elle entend par système politique la pratique institutionnelle.
588 M. DE VILLIERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 358. Le

système politique désigne « le fonctionnement concret d’un régime politique. Le système politique est le produit de l’interaction
entre les règles constitutionnelles (juridiques et politiques, écrites ou non) et les comportements des acteurs (gouvernants, électeurs).
589 M.A. COHENDET, art.cit..
590 M. A. COHENDET, Droit constitutionnel. 4 è éd., Paris, LGDJ, 2019, pp. 175 ; 274.
591 M-A. COHENDET, « Cohabitation et Constitution », Pouvoirs, n° 90, 1999, pp. 33-57, spéc. à la p. 33.

128
pas respectées. De même la Constitution peut disposer que le Président est un arbitre alors qu’il est le
Chef de l’un des camps politiques. Le système de partis politiques exerce aussi une influence majeure
sur le système politique592. En d’autres termes, le système politique désigne l’ensemble des règles
constitutionnelles et des pratiques juridiques et extra juridiques à travers lesquelles fonctionnent les
institutions politiques d’un Etat, alors que le régime politique renvoie aux modes d’organisation et de
fonctionnement des institutions politiques de l’Etat, tels qu’inscrits dans sa Constitution593.

La notion de régime politique combine donc ces deux systèmes (juridiques et politiques) autour de trois
questions fondamentales : Comment est exercé le pouvoir politique (selon quelles règles et quelles
interactions) Qui exerce le pouvoir politique ? Dans quel but est exercé le pouvoir politique (quelles
sont les orientations de l’exercice du pouvoir politique)594 ?

5. Classification des systèmes politiques


La classification des systèmes politiques n’a pas suffisamment intéressé la doctrine. Les typologies
proposées sont celles en rapport avec les régimes politiques. Olivier DUHAMEL propose une
classification des systèmes politiques en partant des interactions avec le régime politique. Le régime
exerce une certaine contrainte sur la vie politique. En d’autres termes le régime fait le système. Trois
variables décisives ont été choisies et produisent des effets sur le système politique : l’élection populaire
du Président, l’élection des députés au scrutin majoritaire et l’existence d’un droit de dissolution. A titre
d’exemple, l’élection directe du président et l’élection majoritaire des députés provoquent une
bipolarisation renforcée, une superpuissance du président majoritaire, une personnalisation accrue du
pouvoir et une nationalisation extrême des élections. L’élection majoritaire des députés et la dissolution
pure provoquent le maintien de la bipolarisation, le renforcement de l’autorité du dissolvant ; l’élection
directe du président et dissolution, mais sans scrutin majoritaire conduisent à une limitation des effets
précédemment repérés595.

Olivier DUHAMEL distingue à ce propos l’existence de trois systèmes politiques qui interagissent avec
les régimes politiques. Il s’agit du système gouvernementaliste, présidentialiste et parlementariste. Dans
un système gouvernementaliste ou primo-ministérialiste, une majorité stable gouverne sous l’égide de
son chef, le Premier ministre ; dans un système présidentialiste, le gouvernement stable s’effectue sous
l’égide du Président élu du peuple ; dans un système parlementariste, le gouvernement instable résulte
d’une coalition non désignée par les électeurs et non dotée d’un leader incontesté596. Ce sont les régimes
politiques qui ont le plus mobilisé l’attention de la doctrine conduisant à l’élaboration de plusieurs
typologies de régimes politiques sur la base de différents critères. A elle seule la classification
constituerait un chapitre à part au regard des développements dont elle est porteuse. Au regard de leur
multiplicité, les régimes politiques ont fait l’objet d’un effort de classement ou de simplification en
regroupant ceux présentant beaucoup de propriétés comparables. Les systèmes politiques peuvent aussi
être classés selon d’autres critères. Drik Berg SCHOSSER recourt aux critères tels que le système de
parti, la base de la légitimité, le mode de recrutement à la tête de l’exécutif, la structure actuelle du
pouvoir, l’étendue du contrôle politique, l’orientation idéologique du système et la séparation verticale
ou horizontale des pouvoirs597.

592 M.-A. COHENDET, Droit constitutionnel. 4 è éd., Paris, LGDJ, 2019, p. 176.
593 J.T. HOND, “ De l’affirmation du caractère parlementaire du régime politique camerounais au regard de la Constitution du 18
janvier 1996 », in M. KAMTO, St. DOUMBE-BILLE, B : MIRANDA METOU (dir.), Regards sur le droit public en Afrique.
Mélanges en l’honneur du doyen Joseph-Marie BIPOUN WOUM, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 65-78, spéc. à la p. 66.
594 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 75.
595 Pour plus de détails, O. DUHAMEL, op.cit., pp. 367-376.
596 O. DUHAMEL, op.cit., p. 368.
597 DRIK BERG SCHOSSER, « Les systèmes politiques du Tiers-monde », in Droit, institutions politiques, Mélanges en hommage

à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1988, pp. 515-531. Voy. aussi MULUMBATI NGASHA, MWAMBA SINONDA,
MWANAKIBULU, Les systèmes politiques africains, Lubumbashi, Editions Africa, 1984, 126 p.

129
CHAPITRE V : LA PARTICIPATION POLITIQUE
La participation politique renvoie à un « ensemble des pratiques (voter, manifester, militer, participer à
des réunions…) et des manifestations d’intérêt (s’informer sur la politique, parler de politique…) des
gouvernés à l’égard des affaires publiques touchant la commune, la région, l’Etat ou même l’humanité
tout entière. Dans la théorie démocratique, la participation politique renvoie à l’intervention du citoyen
dans les affaires de la cité… »598. La participation politique et sociale recouvre toutes les formes
d’engagement des citoyens dans l’activité et le débat sociaux et politiques. L’engagement peut être
minimal voire inexistant. A l’inverse, il peut être très important. Traditionnellement, une distinction est
faite entre les formes de participation politique de type conventionnel et la participation politique non
conventionnelle. La première recouvre la participation considérée comme « institutionnalisée » ou en
rapport avec des institutions en place ; la seconde se situe en dehors des institutions599.

La participation politique peut prendre plusieurs formes. Il peut s’agir de la participation électorale, du
militantisme dans les partis politiques, les syndicats, l’implication dans les activités associatives, les
mouvements sociaux. Les manifestations, les grèves, les pétitions. Cette participation requiert la réunion
de certains préalables non cumulatifs. Nous retenons, à titre indicatif, trois principaux préalables, à
savoir la socialisation politique, la culture politique ainsi que la compétence politique.

1. Certains préalables à la participation politique

A. La socialisation politique
Elle est définie par le Lexique de science politique comme étant le processus par lequel les individus
acquièrent et intériorisent des systèmes de normes, de croyances, de valeurs, de dispositions et de
préférences relativement stables, présents dans leur environnement social, et susceptibles de structurer
leurs choix et leurs comportements. La socialisation est un processus qui accompagne l’intégration des
individus dans les lieux où s’échangent les connaissances sur le monde social et se construit l’identité,
comme la famille, l’école, le monde du travail, la communauté religieuse ou les réseaux sociaux. Ce
processus d’apprentissage social se poursuit tout au long de la vie600. En d’autres termes, elle désigne
les processus par lesquels les environnements dans lesquels les individus évoluent- familiaux, scolaires,
amicaux, professionnels, associatifs- transmettent certaines connaissances, valeurs ou jugements, et
favorisent certaines attitudes politiques601. Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, la
socialisation politique est le processus par lequel la culture politique est inculquée, transmise,
maintenue ou modifiée au sein des membres du système politique. Comme toute socialisation, la
socialisation politique s’appuie sur deux processus fondamentaux, à savoir la transmission et
l’acquisition. La socialisation politique remplit, dans un système politique, plusieurs fonctions dont les
principales sont : la légitimation des gouvernants, le recul de l’usage de la force par les gouvernants, le
soutien politique des membres du système, la pérennisation du système politique, la stabilisation du
système politique602.

Pour inculquer, transmettre, maintenir ou modifier la culture politique au sein des membres du système
politique on peut aussi recourir à la propagande politique conçue comme une technique pour influencer
les opinions, les attitudes, les habitus, les conduites des individus en manipulant, à des fins déterminées,
les représentations qu’ils se font d’eux-mêmes et de la société dans laquelle ils vivent603. La propagande

598 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 443.
599 P. DELWIT, op.cit., p. 333.
600 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p.. 574.
601 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, p. 128.


602 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 288.
603 Voy. A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 306.

130
est une tentative d’influencer l’opinion et la conduite de la société de telle sorte que les personnes
adoptent une opinion et une conduite déterminée. Ou encore la propagande est le langage destiné à la
masse ; elle emploie des paroles ou autres symboles que véhiculent la radio, la presse, le film. Le but
du propagandiste est d'influencer l'attitude des masses sur des points qui sont soumis à la propagande,
qui sont objets d'opinion ». La propagande se rapproche de la publicité en ce qu'elle cherche à créer,
transformer ou confirmer des opinions et qu'elle use en partie de moyens qu'elle lui a empruntés ; elle
s'en distingue en ce qu'elle vise un but politique et non commercial : les besoins ou les préférences que
suscite la publicité visent tel produit particulier, alors que la propagande suggère ou impose des
croyances et des réflexes qui modifient souvent le comportement, le psychisme et même les convictions
religieuses ou philosophiques. La propagande influence donc l'attitude fondamentale de l'être humain.
En cela elle peut être rapprochée de l'éducation ; mais les techniques qu'elle emploie habituellement et
surtout son dessein de convaincre et de subjuguer sans former, en font l'antithèse604.

Bref, les moyens de la propagande politique sont constitués notamment par la radio, la télévision, le
cinéma, les chansons, la danse, l’image, la presse, les ouvrages, les affiches, les tracts, les symboles, les
réseaux sociaux, le théâtre, les conférences, les causeries, communications politiques.

A la socialisation politique contribuent des liturgies politiques. Par liturgie il faut entendre « un
ensemble ordonné et traditionnel d’actes symboliques, de rites et de cérémonies »605. Les liturgies
politiques peuvent être entendues comme « des séries d’actes solennels, répétitifs et codifiés, d’ordre
verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique »606. Pour sa part, le Professeur Adrien
MULUMBATI NGASHA définit la liturgie politique comme « un rituel ou une cérémonie ayant des
conséquences médiates ou immédiates, directes ou indirectes sur l’organisation et le fonctionnement de
la vie politique »607.

Les liturgies peuvent prendre plusieurs formes, notamment le sacre du roi, les fêtes nationales ou
locales, les défilés, les fêtes du travail, les fêtes religieuses, les élections, les discours, la prestation de
serment, l’investiture du Premier ministre, l’ouverture ou la clôture des sessions parlementaires, les
congrès ordinaires des partis politiques, marches, universités d’été, , l’assistance aux messes, visite dans
des hôpitaux, la pose de la première pierre d’un bâtiment, le coup d’envoi d’une manifestation etc. Les
liturgies politiques peuvent remplir plusieurs fonctions selon le contexte dans lequel elles sont célébrées.
Elles peuvent notamment renforcer le consensus national, la solidarité, la socialisation politique, faire
connaître l’homme politique ou le candidat, se rassurer du soutien ou accroître sa popularité 608. Tous
ces événements peuvent être considérés comme procédant de la ritualisation.

L’usage des rituels permet de transformer un événement singulier limité dans le temps en un véritable
pilier de la structure sociale et politique : quelque chose qui se répète à long terme. La ritualisation y
parvient en imposant aux individus des gestes qu’ils doivent accomplir ensemble (ou tout au moins en
même temps, s’ils ne sont pas réunis), afin de rendre effective une intention commune. Toute
ritualisation réussie suppose trois conditions : il faut que soient distingués des moments à célébrer en
commun (pourquoi assigner à la fête nationale une date plutôt qu’une autre ?) ; les raisons de ces choix
doivent être oubliées lorsque leur commémoration sera devenue une routine ; il faut enfin que l’idée de
revenir sur ces décisions paraisse sacrilège, car elles seraient désormais sacrées et se référeraient à un

604 J.-M. DOMENACH, La propagande politique, Paris, PUF, Que sais-je, 1973, pp. 7-8.
605 L. MOULIN, Les socialisations, Gembloux, Ed. Duculot, 1975, p. 137 cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 123.
606 C. RIVIERE, Les liturgies politiques, Paris, PUF, 1985, p. 7 cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 123.
607 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 124.
608 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 126-132.

131
événement mythique609. Comme nous l’avons relevé, la socialisation politique vise à la transmission et
à l’assimilation d’une culture politique.

B. La culture politique
La culture politique est définie comme la trame des attitudes et des orientations individuelles que
partagent les membres d’un système vis-à-vis de la politique610. Selon le Lexique de science politique,
la culture politique est une notion forgée par G. Almond et S. Verba renvoyant aux connaissances, aux
représentations et aux jugements des citoyens sur le système politique. La culture politique naît de
l’intériorisation, à travers l’apprentissage et la socialisation, de certaines caractéristiques et pratiques
dominantes du système politique. A l’issue d’une enquête par sondages, les deux auteurs distinguent
trois types de culture politique : paroissiale, passive ou participante611.

Une culture politique est tout d’abord une compétence en politique et à propos des institutions (ou, un
savoir-faire et une capacité de compréhension respectivement utiles dans l’action politique et dans
l’action publique). Dans ce cas-là sa signification politique se rapproche de sa signification générale
(elle inclut des connaissances sur des faits et des idées). Une connaissance de base permet un minimum
de familiarité avec les jeux et les enjeux de la politique contemporaine. Dans une seconde acception, la
culture politique c’est ce que les membres d’une même communauté politique considèrent comme
naturel, tout ce qui serait de sens commun, donc tout ce qui les distingue des autres communautés
politiques où c’est parfois l’inverse qui est jugé normal612.

Au sein de la culture politique, on observe très logiquement deux types de cultures : une culture au sens
large du terme et une culture au sens restreint. La culture civique ou culture renvoie à un ensemble de
dispositions spécifiques : avoir une perception suffisante des institutions ; comprendre le régime, le
gouvernement, l’alternance majorité/opposition, donc connaître les modes de dévolution du pouvoir et
de l’autorité ; avoir des attitudes stables envers les acteurs et les structures politiques. Cette culture-ci
unit plutôt qu’elle ne divise, elle permet d’acquérir des vertus civiques. Sont des vertus civiques le fait
de s’informer régulièrement, de voter souvent, de chercher à servir l’intérêt général, mais aussi de bien
connaître ses droits humains et enfin accepter ses devoirs de citoyen (payer des impôts, être mobilisé
en cas de conflit, savoir que Nul n’est censé ignorer la loi)613.

Quatre types de culture politique ont été proposés: la culture politique paroissiale, la culture politique
de sujétion, la culture politique de participation et la culture politique sécularisée.

La culture politique paroissiale est caractérisée par le fait que les membres du système politique se
tournent, pour l’essentiel, vers des sous-systèmes politiques plus limités, tels le village, le clan, la tribu,
l’ethnie, la province. La culture politique de sujétion : elle est considérée comme une culture du donner.
Les membres du système politique sont conscients des avantages dont ils peuvent tirer du système
politique qu’ils considèrent comme quelque chose d’extérieur. Les membres n’ont presque pas
conscience de leurs droits, c’est-à-dire des devoirs du système politique à leur égard.

La culture politique de participation. Contrairement à la culture politique de sujétion, ici les membres
sont non seulement conscients de son existence et des avantages qu’ils peuvent tirer du système, mais
609 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,
Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 121.
610 G.A ALMOND et G.B. POWELL, Analyse comparée des systèmes politiques. Une théorie nouvelle, Paris, Editions

internationales, 1972, p. 39 cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 290.


611 O. NAY (dir.), op.cit., p. 138.
612 Y. SCHEMEIL, op.cit., p. 130.
613 Y. SCHEMEIL, op.cit., pp. 130-131.

132
aussi ils sont actifs dans ce sens qu’ils sont engagés dans la formulation ou l’expression des demandes
et dans la prise des décisions politiques. Les membres sont conscients de leurs moyens d’action sur les
dirigeants, de leurs possibilités d’infléchir le cours des événements politiques dans le sens qu’ils
souhaitent et cela en exerçant leur droit de vote, en signant des pétitions et en organisant des
manifestations publiques. C’est la politique du donner et du recevoir.

La culture politique sécularisée est caractérisée par les traits suivants. Dans la formation des attitudes
politiques, la composante cognitive l’emporte sur les composantes affectives et évaluatives. La raison
prévaut sur la passion. Le débat politique se fonde moins sur des comportements irrationnels et
idéologiques. Il porte davantage sur les faits concrets, sur des informations précises 614. La culture
politique peut développer certaines compétences, attitudes et orientations politiques chez les citoyens.

C. La Compétence politique
Elle désigne, en sociologie politique, la capacité des citoyens à se repérer et à intervenir dans le champ
politique. Elle se forge à la fois par l’intérêt personnel pour la politique, la socialisation politique (ou
politisation), l’apprentissage des connaissances politiques. Les sentiments de compétence et
d’incompétence politique chez les individus, sont corrélés à leur niveau d’études et à leur statut
social.615.
Les politistes s’intéressent d’une part à la participation politique conventionnelle, c’est-à-dire aux
conduites bien intégrées aux règles du jeu politique institutionnel. Parmi ces dernières, le vote et
l’appartenance à des organisations partisanes qui revendiquent un accès au pouvoir et d’autre part la
participation politique non conventionnelle, car les gouvernés manifestent souvent le désir de se faire
entendre des gouvernants sans nécessairement se soucier des échéances et des enjeux électoraux. Cette
participation est dite non conventionnelle dans la mesure où elle se développe en marge du jeu politique
institutionnel ou plus précisément, selon les dynamiques propres et autonomes616.

2. Les formes conventionnelles de la participation politique


Analyser les formes conventionnelles de la participation politique consiste à étudier le comportement
et la participation politiques à l’aune du fonctionnement normal et du rythme de la vie politique et
sociale617. La participation électorale est l’une de ces formes conventionnelles de participation politique.

A. La participation électorale
Elle s’inscrit dans l’ensemble plus vaste de la participation politique. L’élection en constitue le principal
mécanisme.

A.1 L’élection
Venant du latin electio et eligere qui signifient respectivement « choix » et « choisir », l’élection
désigne essentiellement un mode de désignation de personnes dont la nature est particulière, se
distinguant des autres par ses modalités et sa procédure. L’élection se distingue de la nomination. Celle-

614A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 290-293.


615O. NAY (dir.), Lexique de science politique. 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 97. Pour plus de développements, A. JOIGNANT,
« Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique », Revue française de science politique, 2007/6,
Vol. 57, pp. 799-817 ; L. BLONDIAUX, « Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? Retour critique sur un
concept classique de la science politique », Revue française de science politique, 2007/6, Vol. 57, pp. 759-774.
616 Ch. TRAINI, « Les mobilisations » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll.

Paradigme, 2019, pp. 31-46, spéc. à la p. 32.


617 P. DELWIT, op.cit., p. 333.

133
ci vient d’en haut alors que la première procède du bas 618. Pour le Lexique de science politique,
l’élection constitue une technique de désignation des gouvernants recourant à une procédure de vote.
Dans le domaine politique, l’élection peut concerner l’ensemble des citoyens, d’une minorité de
citoyens (désignés selon des critères restrictifs comme le cens ou la capacité) ou des électeurs habilités
à exprimer la volonté de groupes représentés (cas de grands électeurs dans les procédures de suffrage
indirect). Elle implique le plus souvent la prise en compte du principe majoritaire, même si
exceptionnellement, certaines institutions ou fonctions peuvent recourir, dans la pratique au principe
d’unanimité619. Pour le Vocabulaire juridique, l’élection se définit par opposition à la nomination. Elle
est une opération par laquelle plusieurs individus ou groupes, formant un collège électoral, investissent
une personne d’un mandat ou d’une fonction par un vote620. L’élection est l’acte principal qui légitime
la démocratie représentative comme régime politique621.

L’élection intéresse aussi bien le Droit constitutionnel que la science politique. Elle mobilise différents
organes et partenaires impliqués dans la participation à l’élection (candidats, partis politiques, société
civile, etc.), dans l’organisation (ministères, commissions électorales indépendantes), dans
l’observation (missions d’observation électorale), dans le règlement des contentieux électoraux. Tous
ces aspects ne font pas l’objet d’un traitement particulier de ce cours. Il se focalise à mettre en relief le
vote, la répartition des sièges ou la détermination des vainqueurs à l’issue d’une élection. L’élection
donne lieu à une compétition politique entendue de manière générale comme l’ensemble des
mécanismes, plus ou moins formalisés, qui régissent les relations concurrentielles qu’entretiennent les
acteurs et les organisations politiques en position de rivalité pour accéder aux positions de pouvoir622.
L’élection se manifeste par le biais d’un vote qui constitue un rituel à échéance.

Le pouvoir de suffrage est la forme moderne de légitimation de l’Etat en ce que son exercice permet par
voie directe ou indirecte la désignation par le peuple des titulaires de l’autorité de l’Etat 623. L’élection
n’est pas l’unique tremplin pour l’exercice d’une carrière politique. Si elle constitue la principale porte
d’entrée en politique, d’autres portes sont aussi aménagées comme la cooptation, la nomination, la
conquête etc. Les juristes analysent l’élection autour de principales règles et conditions régissant son
organisation et la détermination des résultats en se situant plus du côté des candidats, la perspective
politiste ou politologique privilégie l’étude du comportement électoral du point de vue de l’électeur.
Cela explique l’intensification des travaux en sociologie électorale et la construction de quelques
modèles explicatifs des votes.
A.2 Les modèles explicatifs des votes.
Pour comprendre pourquoi les électeurs votent et pour qui ils votent, il existe plusieurs modèles
explicatifs reposant sur la sélection et la hiérarchisation d’un certain nombre de variables. Deux
principales approches ont été privilégiées pour répondre à cette question : d’une part les approches
déterministes et d’autre part les perspectives individualistes. Les approches déterministes constituent
des modèles mettant en évidence l’importance des appartenances sociales dans les orientations
électorales. A. SIEGFRIED est considéré comme le précurseur ayant focalisé ses études sur cette
problématique. Pour lui c’est le milieu dans lequel les individus évoluent au quotidien qui façonne le
vote. Les résultats de ses recherches attirent l’attention sur l’importance des variables écologiques pour
expliquer le vote. Celui-ci résulte avant tout de l’environnement dans lequel évoluent les votants. Les

618 R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019, p. 28.
619 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 203.
620 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 348 et s.
621 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 151.


622 O. NAY (dir.), Lexique de science politique. 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 97.
623 D. REMY-GRANGER, « Le pouvoir de suffrage », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit

constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 369-412, spéc. p. 370.

134
orientations électorales sont en fait déterminées par les valeurs et les relations entre les groupes sociaux.
Les travaux de SIEGFRIED sur la sociologie électorale effectués en France de l’ouest ont été repris et
approfondis aux Etats-Unis par l’école de Columbia. Celle-ci prolonge la perspective écologique du
précurseur mais en se servant d’une méthode ou mieux d’une technique sur la base de sondages par
questionnaires. L’approche adoptée met aussi en exergue l’importance des collectifs dans l’adoption
des choix électoraux. Les Chercheurs de Columbia avaient axé leurs travaux sur l’élection présidentielle
américaine de 1940 sur la base d’un panel représentatif d’habitants d’un comté de l’Ohio qu’ils
interrogent à six reprises au cours de la campagne. Ils aboutirent à plusieurs constats, entre autres :
- La campagne exerce des effets très limités sur les attitudes des électeurs…dans la mesure
où ceux qui la suivent sont les plus politisés et ont les orientations politiques les plus
stabilisées ;
- Les individus tendent à voter comme on vote dans leur milieu d’appartenance. Le milieu
social, les relations interpersonnelles exercent un effet décisif.
Pour les auteurs de l’école de Columbia, une personne pense politiquement comme elle est socialement.
Les chercheurs de l’Université de Michigan au sein du Survey Research Center emboîtent le pas aux
chercheurs de l’école de Columbia. S’ils partagent une inclination pour l’explication par les variables
sociales, ils accordent davantage d’attention aux perceptions politiques des électeurs. La notion centrale
est celle d’identification partisane. C’est-à-dire l’attachement affectif et durable de l’électeur à l’un des
deux grands partis américains. Les trois quarts des personnes interrogées se disent démocrates ou
républicaines. Plus cette identification est forte, plus les choix seront fermes et stables. Les
identifications partisanes sont corrélées avec les appartenances sociales : les membres des minorités
ethniques, les catholiques ou les membres des syndicats s’identifient massivement au parti démocrate624.
Le paradigme de Michigan entendait nuancer le poids accordé par l’école de Columbia aux variables
sociologiques, en développant un modèle psycho-sociologique d’explication du comportement électoral
attentif à la socialisation et à la stabilité du comportement électoral. Les auteurs de ce courant forgèrent
la notion d’identification partisane, envisagée comme un déterminant majeur du vote, se reproduisant
au sein des familles et conduisant à la stabilité des attitudes politiques tout au long de la vie. Le
paradigme de Michigan fut contesté par les théories de l’électeur rationnel625.
Les perspectives individualistes émergent à partir des années 1960, en lien avec une transformation plus
générale des paradigmes dominants en sciences sociales, commencent à apparaître des approches
laissant une plus large place aux individus. Ces approches alternatives reposent sur une critique des
modèles déterministes : ceux-ci ne prendraient qu’insuffisamment en compte la volatilité électorale ;
c’est-à-dire les changements de vote des mêmes électeurs entre deux élections. En Grande-Bretagne,
entre 1964 et 1979, les deux tiers des électeurs auraient changé plusieurs fois leurs choix partisans.
L’une des illustrations des perspectives individualistes est le courant de l’électeur rationnel. Ce courant
gagne en importance au point de devenir le paradigme central aux Etats-Unis. Selon cette théorie,
l’électeur agit rationnellement, sur la base d’un raisonnement où il compare les coûts et les avantages
respectifs des choix électoraux. L’électeur est un homo economicus. C’est un calculateur utilitariste.
Selon les analyses, les électeurs évaluent les actions des gouvernements, à commencer par la
performance des sortants. Ils retiendraient principalement deux critères pour effectuer leur choix : le
taux d’inflation et le taux de chômage.

Les politistes ont également intensifié des travaux dans la recherche des variables explicatives des votes
aujourd’hui comme par le passé (le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, la classe sociale, la religion, la

624 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 136-139.
625
O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 367.

135
variable ethnique, la variable géographique, la variable émotionnelle)626. D’autres travaux se sont
focalisés sur la démobilisation électorale avec un regard particulier sur l’abstention électorale.

Bref, les politistes passent en revue dans ce domaine les différents comportements électoraux. Pascal
DELWIT a consacré un chapitre de son ouvrage aux élections et au comportement électoral 627. Y sont
étudiés tour à tour la non-inscription sur les listes électorales, l’abstention électorale, le vote blanc, les
méthodes d’analyse du comportement électoral, les grands modèles d’interprétation du comportement
électoral. Brièvement nous passons en revue certains points précités. La sociologie électorale distingue
l’électeur potentiel remplissant les prérequis d’une habilitation à s’inscrire : nationalité, majorité,
jouissance des droits civils et politiques et l’électeur inscrit pouvant effectivement revendiquer
l’exercice du droit de vote après inscription sur les listes électorales628. Le vote est devenu l’un des
champs des recherches en science politique et en sociologie politique en étudiant notamment le sens du
vote à travers le comportement des électeurs629.

A.2.1 Les modalités d’inscription sur les listes électorales

Les modalités d’inscription sur les listes électorales sont diversifiées. L’inscription est automatique et
ne nécessite aucune démarche. C’est le cas de la Belgique et de l’Espagne. Dans ce cas de figure,
l’ensemble des citoyens inscrits est équivalent à l’ensemble des citoyens susceptibles d’émettre un vote.
De par l’inscription au registre de la population dans une commune, un citoyen est ipso facto inscrit sur
les listes électorales.

L’inscription peut être obligatoire mais nécessite une démarche. C’est le cas en Grande-Bretagne où
s’opère une mise à jour mensuelle. Au Portugal la mise à jour est permanente. Pourtant, même si la
démarche est obligatoire, certains citoyens ne l’accomplissent pas. Dans ce cas, l’ensemble des inscrits
sur la liste électorale n’équivaut pas à l’ensemble des citoyens susceptibles d’émettre un vote. Enfin,
l’inscription peut être facultative comme en France ou aux Etats-Unis. Plus encore qu’en Grande-
Bretagne ou au Portugal, un certain nombre de citoyens ne pourront pas voter alors que ce sont des
électeurs potentiels. Aussi comparer le taux de participation électorale de pays différents nécessite-t-il
de connaître la dynamique d’inscription pour corriger l’approche en fonction de cette donnée630.
L’inscription électorale suppose, d’une manière générale, que l’Etat dispose d’un système effectif
d’identification des citoyens, notamment un registre d’état-civil performant. Elle n’est donc pas
possible, ou mal contrôlée, dans de nombreux pays en développement 631. En RDC, à chaque cycle
électoral le fichier électoral est renouvelé et la constitution des fichiers électoraux constitue un enjeu de
taille dans la crédibilisation du processus électoral. Selon qu’il est actualisé et comprend réellement le
nombre d’inscrits dans des conditions présentant toute la fiabilité du fichier électoral cela constitue un
pas important dans le processus de la transparence du processus électoral.

626X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 142-147.


627P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018. Chapitre V : Les élections et le comportement électoral.
628 S. STRUDEL, “ Le vote”, in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme,

2019, pp. 17-46, spéc. à la p. 21. Souligné dans le texte.


629 SPEL (Collectif Sociologie politique des élections), Les sens du vote. Une enquête sociologique (France 2011-2014), Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2016. Pour la RDC, à titre illustratif, KEN ANASTASE MWEMBU DIBWE, Election et ethnicité
en République démocratique du Congo. Regard sur les élections de 2006 dans la Ville de Lubumbashi, Paris, L’Harmattan, 2021 ;
A. LISONGOMI BATIBONDA, Afro marché électoral. Heuristique des ambivalences des pratiques électorales en République
démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2020, 240 p.
630 P. DELWIT, op.cit., pp. 201-202.
631 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 301.

136
A.2.2 L’abstention électorale

Pour le Lexique de science politique, l’abstention est un comportement consistant à ne pas participer à
l’acte de vote. L’abstention peut être ponctuelle, intermittente ou, plus rarement, systématique. En
France, le taux d’abstention est calculé à partir du nombre des électeurs qui, tout en étant inscrits sur les
listes électorales, n’ont pas participé au scrutin. Dans d’autres pays, la mesure plus exacte de l’abstention
électorale porte sur l’ensemble de la population en droit de voter, qu’elle soit inscrite ou non sur les
listes632. La sociologie électorale a mis en relief les principaux déterminants sociaux de
l’abstentionnisme de structure. Ce dernier augmente tendanciellement avec l’isolement, l’absence
d’intégration dans la société, la faiblesse du statut social et le faible niveau d’études. Les classes
populaires, bénéficiant d’un plus faible sentiment de compétence politique, tendent à s’abstenir
davantage, sauf si la participation à des organisations (partis politiques, syndicats, associations)
compense ce phénomène en contribuant à forger chez leurs membres un sentiment de compétence lié
au militantisme. Les théoriciens du choix rationnel tendent à expliquer l’abstention par la conviction
qu’ont les électeurs du faible poids de leur vote. Le reflux de la participation électorale dans les
démocraties contemporaines a conduit à examiner les facteurs de l’abstentionnisme de conjoncture. Dès
lors qu’il est volontaire, l’abstentionnisme devient un geste politique : il révèle le rejet, par certains
électeurs, de l’offre électorale. Dans certains cas, il révèle un refus plus général du système représentatif
(consécutif ou non à l’appel de certaines organisations à l’abstention)633. Il s’agit dans ce cas d’un
abstentionnisme de protestation. L’abstention signale en miroir les handicaps socioculturels, le
relâchement des sociabilités, la mise en jachère des loyautés collectives634. Les abstentionnistes peuvent
être déterminants dans l’issue des scrutins635. Dans les Etats où le vote est obligatoire comme en
Belgique le taux d’abstention est trop faible car, non seulement l’inscription est automatique, mais aussi
encourt des sanctions celui qui ne remplit pas ce devoir civique.

A.2.3 Le vote blanc

Il consiste à voter mais à refuser de choisir dans l’offre électorale. L’obligation de vote génère en général
un pourcentage de bulletins nuls et blancs proportionnellement plus élevé que lorsqu’elle est absente.
Dans les pays à vote non obligatoire, le vote blanc exprime en général deux attitudes. La première est
celle d’un nombre appréciable de citoyens intéressés par la politique mais déçus de l’offre politique ou
programmatique636. En d’autres termes, le vote blanc consiste à déposer dans l’urne une enveloppe vide
ou contenant un bulletin dépourvu de tout nom de candidat (ou de toute indication dans le cas d’un
référendum). Par contre le vote nul correspond à des bulletins déchirés ou annotés637. Le vote blanc se
distingue de l’abstention dans la mesure où le vote blanc est considéré comme un acte citoyen puisque
l’électeur s’est déplacé jusqu’à son bureau de vote et comme un acte politique signifiant l’impossibilité
du choix ou le refus du choix par l’électeur face à une offre politique jugée par lui insatisfaisante638.

632 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 1.
633 O. NAY (dir.), op.cit., pp. 1-2.
634 S. STRUDEL, “ Le vote”, in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme,

2019, pp. 17-46, spéc. à la p. 23.


635 M. FANSTEIN, « L’indice de Condorcet. Représentation et analyse des comportements électoraux », Revue française de science
politique, 2006/4, Vol. 56, pp. 653-709, spéc. à la p. 654.
636 P. DELWIT, op.cit., p. 221 et s.
637 S. STRUDEL, art.cit., p. 25.
638 S. STRUDEL, art., cit., p. 26.

137
A.2.4 Impact des campagnes électorales sur le vote

Les campagnes électorales exercent un attrait particulier sur les électeurs et cet attrait dépend d’un Etat
à un autre, d’une époque à une autre et aussi des enjeux de l’élection projetée : présidentielle ou
législative. Alors qu’en Afrique l’élection présidentielle est de tous les enjeux et galvanise l’électorat,
en Europe, à l’exception de certains Etats comme la France, ce sont les élections législatives qui
présentent beaucoup d’enjeux car elles permettent la détermination des majorités parlementaires et la
formation des gouvernements. Durant les campagnes électorales, les candidats mettent en œuvre tout le
dispositif susceptible de séduire et de convaincre les électeurs y compris les indécis. Ils tiennent à ce
propos des promesses non crédibles selon cette phrase devenue célèbre « les promesses n’engagent que
ceux qui les écoutent » ou encore « on fait campagne en vers mais on gouverne en prose »639. La
personnalité du candidat influence de plus en plus les électeurs plutôt que le parti ou le programme640.

Le politiste Benjamin PAGE, cité par Olivier BABEAU a montré que les hommes politiques ont
rationnellement intérêt à être les plus ambigus possibles. Cette ambiguïté maximise le soutien des
électeurs, certains d’entre eux comprenant, par une sorte de quiproquo, qu’il va dans leur sens. Le flou
permet ainsi en partie de contourner le problème de l’électeur médian qui condamnerait à être identique
aux autres candidats. Par des suggestions habiles, de soigneux flottements dans les promesses, le
candidat peut attirer sur son nom des personnes qui en réalité soutiennent des politiques opposées. Et
être élu, réellement, sur un malentendu641. Le choix final des électeurs dépend trop peu du programme
réel ou du sérieux du candidat, mais en grande partie de la somme confuse des impressions reçues le
concernant. La couleur d’une cravate, le charisme d’une personne, la trace d’une petite phrase qui aura
plu ou non, seront souvent les déterminants des choix. Le citoyen sera ainsi bombardé de tentatives
d’influence de son vote exactement comme il l’est de sollicitations commerciales. Pour ce faire, Olivier
BABEAU propose de quitter ce système traditionnel du vote à échéance éloignée comme unique moyen
de participation à la décision publique642.

Les candidats et/ou les partis disponibilisent des ressources humaines, matérielles, financières,
logistiques, de marketing pour accroître les possibilités de victoire. Ils investissent les médias (radio,
télévision, presse écrite, réseaux sociaux, etc.) ; soignent la communication en se faisant entourer de
conseillers en communication (spin doctor) pour « vendre » leur bonne image auprès des électeurs. Ils
peuvent recourir à plusieurs techniques pour se rallier la sympathie des électeurs en leur envoyant
parfois des lettres (le mailing), en organisant des visites personnelles faites par les candidats ou les
militants aux électeurs au nom du candidat (le convassing). L’objectif du convassing est de conforter
dans l’opinion des électeurs ceux qui sont favorables au candidat et de donner une bonne impression
aux électeurs indécis. D’autres techniques consistent dans les contacts personnels avec les électeurs, les
contacts téléphoniques (le phoning)643. Le poids de l’opinion publique favorable peut s’avérer
déterminant dans l’issue d’une élection.

A.2.5 Election et opinion publique

L’opinion publique est définie par le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA comme « une forme
de l’opinion, laquelle signifie un avis, un jugement émis sur un fait, un problème, une situation, une
personne, une décision, une mesure, une question quelconque »644. Elle peut se former à partir des faits

639 Cité par O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris, Manitoba/Les belles lettres, 2017, pp. 61 ;71.
640 B. MANIN, Principes du gouvernement représentatif, 3è éd., Flammarion, Champs essais, 2019, p. 279.
641 O. BABEAU, op.cit., p. 87.
642 O. BABEAU, op.cit., p. 250.
643 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., pp. 249-251.
644 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 133.

138
ou des situations notamment des informations obtenues à la suite des conversations, véhiculées par la
presse, les individus etc.

L’opinion publique est supposée majoritaire dans une population. Dans les démocraties, la notion
désigne les jugements et perceptions de la majorité de la population, telle qu’ils ressortent de l’analyse,
par des spécialistes de sciences sociales ou par des journalistes, de données agrégées issues d’enquêtes
et de sondages. L’opinion publique renvoie à l’opinion de la majorité, telle qu’elle est exprimée ailleurs
que dans les urnes. Aujourd’hui l’opinion publique est souvent réduite aux résultats des sondages. La
mesure de l’opinion pose de grandes difficultés qui expliquent les nombreuses critiques, de méthode et
de principe, adressées aux sondages. Pour Pierre Bourdieu, cité dans le Lexique de science politique,
l’opinion publique dans l’acception implicitement admise par ceux qui font les sondages d’opinion ou
ceux qui en utilisent les résultats (…) n’existe pas. L’une des raisons des limites de ces instruments de
mesure est que les citoyens n’expriment pas publiquement toutes leurs préférences : ils camouflent
certaines opinions, leurs jugements peuvent être influencés par les questions qu’on leur pose ; leurs
perceptions peuvent être fortement corrélées à des événements conjoncturels à forte charge
émotionnelle ou au traitement médiatique de certains sujets ; certaines catégories sociales sont sous-
représentées dans les enquêtes et les sondages. Les instituts de sondage ne mesurent pas toutes les
préférences645.

Au-delà de sa dimension purement politique, l'élection pose des problèmes de techniques juridiques qui
se réfèrent entre autres à la détermination du mode de scrutin utilisé ou aux systèmes électoraux. Un
système électoral peut être considéré comme un mécanisme qui permet de transformer en sièges les
suffrages exprimés par le corps électoral. Ce système est généralement organisé par les lois électorales
en complément à la Constitution646. C’est à l’aide des mécanismes de votes que les différents candidats
sont départagés. Parmi ces mécanismes figurent en bonne place les modes de scrutin.
A.3 Les principaux modes de scrutin
Le mode de scrutin est la technique utilisée pour départager les candidats à une élection. En d’autres
termes le mode de scrutin renvoie « à une technique d’organisation et d’agencement des votations et
des opérations électorales conduisant à l’identification des élus et l’attribution des sièges »647.

A.3.1 Les scrutins majoritaires

Ce mode de scrutin est le plus facile à saisir. Les scrutins majoritaires se caractérisent par leur simplicité
relative. Ils consacrent l'élection du candidat ou de la liste de candidats qui a obtenu le plus grand
nombre de suffrages exprimés. Le scrutin majoritaire peut être scindé en trois : la majorité absolue (Est
élu qui a obtenu plus de la moitié des votes (supérieur à 50 %). Elle est composée de la moitié plus une
comme il est coutume d’appeler). La majorité relative consacre la victoire de celui qui a obtenu le plus
de voix (inférieures à 50 %). Elle correspond au plus grand nombre de voix obtenues par un candidat.
La majorité qualifiée exige l’obtention d’un certain pourcentage plus important que la moitié des voix
en vue d’être élu. Par exemple le candidat doit réunir les 2/3 ou les ¾ ou un certain pourcentage648. Le
scrutin majoritaire peut être uninominal ou plurinominal, à un ou deux tours.

645 O.NAY (dir.), op.cit., p. 420.


646 T. E. FROSINI, « Sistemi elettorali e sistemi di partito », in P. CARROZZA, A. Di GIOVINE et G.F. FERRARI (dir.), Diritto
costituzionale comparato, Roma-Bari, Laterza, 2009, pp. 746-762, spéc. p. 749.
647 M. TOUZEIL-DIVINA, Dictionnaire de Droit public interne, Paris, Lexis Nexis, 2017, p. 307.
648 A. MAKENGO NKUTU, La théorie générale du droit constitutionnel et les institutions politiques. Sous la Ière, II è et IIIè

République de la République démocratique du Congo, Paris, L’harmattan, 2016, p. 68.

139
a) Le scrutin majoritaire uninominal
Le scrutin majoritaire uninominal est celui qui, dans chaque circonscription, attribue le seul siège en
compétition au candidat qui a obtenu le plus grand nombre des suffrages exprimés649. Dans le scrutin
uninominal, le choix des électeurs porte sur un seul nom, un candidat nommément désigné dans le cadre
d'une circonscription électorale donnée. Ce mode de scrutin est en vigueur en Angleterre, en France
pour les élections présidentielle et législatives. Il est également prévu en RDC pour l’élection
présidentielle et dans certaines circonscriptions à un siège pour les élections législatives. Le scrutin
uninominal met ainsi en exergue la personnalité des candidats.

b) Le scrutin majoritaire plurinominal ou des listes


Dans le cadre du scrutin plurinominal, le choix des électeurs porte sur plusieurs candidats inscrits sur
un même bulletin. C'est pour ces raisons que ce scrutin est également appelé scrutin de liste. Il se déroule
généralement dans des circonscriptions électorales plus étendues comportant plusieurs sièges à
pourvoir. Les électeurs sont ainsi invités à voter en faveur d’un nombre élevé de candidats se présentant,
soit à titre individuel, soit sur des listes650. Le scrutin de liste soumet les candidats à une plus grande
dépendance vis-à-vis des partis politiques qui confectionnent les listes. On peut dire que les électeurs
choisissent les partis politiques qui eux-mêmes cooptent les candidats. Toutefois, le scrutin de liste, peu
importe qu’il soit majoritaire ou proportionnel peut faire l'objet d'aménagements variables.

b.1 Le vote bloqué

Il met l'électeur devant l'obligation de voter pour ou contre une liste entière. Sont élus en application de
cette modalité les candidats placés en tête des listes par leurs partis politiques en concurrence du nombre
de sièges à pourvoir dans la circonscription. Les listes sont dites bloquées.

b.2 Le vote préférentiel

Une certaine latitude est reconnue à l'électeur qui peut modifier l'ordre de présentation des candidats sur
la liste établie par le parti en indiquant ses préférences. Est ainsi élu le candidat qui a été préféré par la
majorité d’électeurs. Les listes admettant l’expression des préférences sont également appelées listes
ouvertes.

b.3 Le panachage

Il permet à l'électeur de constituer sa liste à partir de la combinaison de plusieurs candidats figurant sur
différentes listes. Il autorise les électeurs de « rayer, sur leurs propres listes, les noms des certains
candidats pour les remplacer par d’autres, de leur choix, mais figurant sur d’autres listes. Selon cette
technique, les candidats élus sont ceux dont les noms sont repris sur la majorité des listes établies par
les électeurs »651. Le panachage est pratiqué en France pour les élections municipales dans les
communes de moins de 3.5000 habitants. Cette option était aussi possible en Belgique au plan local
jusqu’à la fusion des communes de 1970-1976. A l’échelle législative cette technique se pratique au
grand-Duché de Luxembourg et en Suisse. Dans chaque circonscription, l’électeur a autant de voix qu’il
y a de sièges à pourvoir. Avec ces différentes voix, il peut opter pour le même parti ou pour des partis

649 -L. ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, Louvain-la-Neuve, Academia l’Harmattan, 2014, p. 99.
650J -L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., p. 99.
651 J-L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., Le droit électoral congolais, Louvain-la-Neuve, Academia l’Harmattan, 2014, p. 100.

140
et des candidats différents652. Le vote préférentiel et le panachage sont des techniques visant à préserver
la liberté de choix des électeurs.

a) Scrutin majoritaire à un tour


Le candidat est élu à la majorité des suffrages obtenus à l'issue d'un scrutin unique. Ce mode de scrutin
est traditionnellement utilisé dans les démocraties anglo-saxonnes (Grande Bretagne, Etats-Unis). Il
permet l'élection d'un candidat ou de la liste qui a obtenu la majorité relative, c'est-à-dire le plus grand
nombre de voix à l'issue d'un seul tour de scrutin. Ce mode de scrutin se caractérise par une simplicité
et une efficacité incontestables car il pousse l'électeur à voter utile, c'est-à-dire en faveur de ceux des
candidats ou listes ayant des chances sérieuses d'être élus. Les marginaux sont alors purement et
simplement sacrifiés. Dans les élections législatives visant à assurer la pluralité d’opinions au sein du
parlement et la représentation de toutes ou de plusieurs tendances politiques, le scrutin majoritaire n’est
pas préférable.

b) Le scrutin majoritaire à deux tours

Ce mode de scrutin a particulièrement cours en France où il est utilisé pour l'élection du Président de la
République et celle des députés. Il a été repris au Mali pour l'élection présidentielle et les élections
législatives. En France, pour les élections législatives si aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue,
un deuxième tour est organisé et auquel ne peuvent participer que les candidats ayant obtenu un nombre
de suffrages au moins égal à 12,5% des électeurs inscrits. Pour être élu au second tour la majorité relative
suffit653. Les Constitutions du renouveau démocratique en Afrique des années quatre-vingt-dix avaient
pour la plupart instauré, pour l’élection présidentielle, le scrutin majoritaire à deux tours (Niger,
Sénégal ; Madagascar, Congo-Brazzaville, Bénin, Burundi etc.) Cependant les révisions
constitutionnelles intervenues dans certains Etats comme la RDC, le Gabon ont exprimé leur préférence
pour un scrutin unique.

Dans le scrutin majoritaire à deux tours, le candidat doit, pour être élu au premier tour, obtenir la
majorité absolue des suffrages exprimés, c'est-à-dire la moitié plus un des votants. Pour la Cour suprême
de justice de la RDC, faisant fonction de juge électoral, la majorité absolue est constituée par la somme
de suffrages dépassant la moitié des voix ou plus exactement plus de la moitié des voix 654. Cette majorité
absolue peut être assortie d’une condition supplémentaire de représentativité déterminée en fonction
d'un certain pourcentage des électeurs inscrits. Si cette condition n'est pas remplie, il y aura alors
ballottage et il faudra procéder à un second tour de scrutin à l'issue duquel la majorité relative suffit
(pour les élections législatives notamment). Prenons l'exemple de la circonscription électorale avec 5
sièges à pourvoir pour une élection législative avec 100.000 suffrages exprimés ; les 6 partis en
compétition obtenant respectivement : A. 29.500 voix ; B.25.000 ; C.15.000 ; D. 13.000 ; E. 10.500 ;
F.7.000. La majorité absolue est de 50.001. Aucune liste ne l’a obtenue. S’affronteront au ballotage les
listes A et B.

Ce mode de scrutin se caractérise, pour les élections présidentielles, par une pluralité de candidatures
au premier tour offrant ainsi aux électeurs une possibilité de choix et un regroupement des partis au
second tour par l'effet de l’élimination des candidats ayant obtenu moins de voix par rapport aux deux
candidats les mieux placés pour s’affronter au deuxième tour. Le scrutin majoritaire, nonobstant sa

652 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 192.
653 J. MEKHANTAR, op.cit., p. 70.
654 Cité par J-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, Louvain-la-Neuve, Academia l’Harmattan, 2014, p. 101.

141
simplicité, présente aussi des inconvénients notamment son manque de représentativité, la mise à l’écart
de certaines sensibilités de la vie politique655.

A.3.2 Le scrutin proportionnel

Le scrutin proportionnel, également appelé représentation proportionnelle, permet d'attribuer aux partis
un nombre de sièges au prorata des suffrages qu'ils ont obtenus. Ce scrutin assure une représentation
fidèle de toutes les tendances de l'opinion à l’issue de l’élection. Il est largement utilisé dans les Etats
européens et recommandé aux différents Etats africains. La loi électorale peut fixer le seuil pour
prétendre bénéficier d’un siège. Il peut s’agir de l’obligation de recueillir au moins 5% (Allemagne) de
suffrages pour jouir de la représentativité au sein de la Chambre basse (Bundestag). La représentation
proportionnelle peut être corrigée par certains mécanismes dits de quotas ou des sièges réservés à
certaines minorités. Ce système est notamment prévu dans la Constitution du Burundi du 18 mars 2005
qui accorde au groupe minoritaire au moins 40 % des sièges alors que ce groupe ne représente que moins
de 10 % de la population entière. Ce mécanisme s’inscrit dans le cadre de la réconciliation nationale et
du principe de l’« inclusivité » ou du « consociatisme » à promouvoir dans la gestion des affaires de
l’Etat.

Le scrutin proportionnel présente aussi des inconvénients notamment l’émiettement ou la


fragmentation du suffrage entre les différentes listes ; ce qui ne facilite pas la formation, dans des
régimes parlementaires, des gouvernements stables. Il favorise en outre la prolifération des partis
politiques dont la consistance n’est pas démontrée et agissent plus comme les relais des partis ayant une
certaine représentativité. La répartition des sièges dans le cadre de la représentation proportionnelle
obéit à des opérations complexes, à commencer par la détermination du quotient électoral.
a) La détermination du quotient électoral (QE)

C'est la base de l'opération de répartition des sièges qui sont attribués proportionnellement aux partis en
compétition en tenant compte du poids électoral de chaque parti apprécié en fonction du quotient
électoral. Pour obtenir ce quotient électoral, on divise les suffrages exprimés par le nombre de sièges à
pourvoir. Il existe différentes formules pour déterminer le quotient. La plus simple est le quotient de
HARE. Il s’agit du rapport entre le nombre de suffrages valablement exprimés dans la circonscription
(V) et le nombre de sièges à pourvoir (s). Q= V/S. Toutefois d’autres quotients sont parfois utilisés :
Le quotient de HAGENBACH-BISCHOFF. Q= V/S+1
Le quotient de DROOP. Q= (V/S+1)+1. Le quotient IMPERIALI Q= V/S+2.

Généralement c’est le quotient électoral de HARE qui est plus utilisé. Dans les exemples cités dans ce
cours c’est le quotient de HARE qui est pris en considération. Le quotient électoral peut être uniforme
lorsqu'il est fixé à l'avance. Il peut s'agir d'un quotient électoral national calculé à partir des suffrages
exprimés par l'ensemble des sièges à répartir à l'échelle de la nation. C’est notamment le cas du quotient
électoral fixé d’avance pour les élections législatives et provinciales de la RDC656. Tout comme il peut
être obtenu en divisant le nombre total d’habitants de la RDC par le nombre total des sièges à pourvoir
à l’Assemblée nationale et dont le nombre est fixé à 500 (cinq cents)657.

655 Pour plus de détails, N. SARR, Médiation et démocratisation. Essai sur une nouvelle technique de stabilisation du pouvoir en
Afrique noire francophone, Paris, L’Harmattan, Credila, Sénégal, 2018, p. 222.
656 Voy. Loi portant répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections législatives et provinciales du 17 août

2011.
657 Voy. article 115 de la Loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant

organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n°
11/003 du 25 juin 2011 (JORDC, 56ème année, n° spécial, 17 février 2015).

142
b) La répartition des restes
Quel que soit le mode d'attribution des sièges, la représentation proportionnelle laisse toujours subsister
des voix inutilisées qu'il faut réinjecter dans le circuit de répartition des sièges lorsqu’il en reste non
encore pourvus. Les sièges restants peuvent être attribués selon deux techniques : le système des plus
forts restes et le système de la plus forte moyenne. Dans cette optique, la représentation proportionnelle
est appelée approchée car elle répartit les restes à l’intérieur des circonscriptions, ce qui entraîne, pour
les listes, des voix non représentées dans les circonscriptions où elles ont été en compétition658.

- Le système des plus forts restes (largest remainder system)


La représentation proportionnelle au plus fort reste consiste à attribuer les sièges restant encore à
pourvoir aux listes qui ont obtenu le plus grand nombre de voix inutilisées et ce, par ordre décroissant.
Ce système favorise les petits partis car il n'est pas indispensable d'obtenir le quotient électoral pour
bénéficier de l'attribution des restes.

- Le système de la plus forte moyenne


La représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ne permet pas de procéder à l’attribution des
sièges en une seule opération car il faut raisonner, dans le cas d’espèce, au cas par cas, c’est-à-dire siège
par siège. Après une première répartition, un siège est fictivement attribué à chacune des listes de
candidats. On divise ensuite les suffrages obtenus par chaque liste par le total des sièges réels et du siège
fictif. Le premier siège à pourvoir sera attribué à la liste qui aura obtenu la plus forte moyenne. S’il reste
encore des sièges à pourvoir, on recommence la même opération pour chaque siège restant en tenant
compte à chaque fois du siège attribué lors de la distribution précédente et ce, jusqu’à l’attribution
définitive des sièges. Ce système favorise les grands partis.

Illustrons ce qui précède par les deux exemples suivants en prenant en considération la même
circonscription électorale avec 5 sièges à pourvoir pour une élection législative avec 100.000 suffrages
exprimés. Les 6 partis en compétition obtiennent respectivement : A. 29.500 voix ; B.25.000 ;
C.15.000 ; D. 13.000 ; E.10.500 ; F.7.000.
Pour déterminer le nombre de candidats élus pour chaque liste en présence, il faut d’abord déterminer
le quotient électoral qui, rappelons-le, est le rapport entre les suffrages exprimés par le nombre de siège
à pourvoir.

100.000
QE = --------------- = 20.000
5
Autant de fois, le quotient électoral est contenu dans les suffrages obtenus par une liste, autant de fois
celle-ci possède de candidats élus. Pour connaître le nombre d’élus de chaque liste, il faut diviser les
suffrages obtenus par la liste par le quotient électoral.

29.500
Liste A = ---------------- = 1 siège ; reste 9.500
20.000

658A. MAKENGO NKUTU, La théorie générale du droit constitutionnel et les institutions politiques. Sous la Ière, II è et IIIè
République de la République démocratique du Congo, Paris, L’harmattan, 2016, p. 69.

143
25.000
Liste B = --------------- = 1 siège ; reste 5.000
20.000

15.000
Liste C = --------------- = 0 siège ; reste 15.000
20.000

13.000
Liste D = --------------- = 0 siège ; reste 13.000
20.000

10.500
Liste E = --------------- = 0 siège ; reste 10.500
20.000

7.000
Liste F = ---------------- = 0 siège ; reste 7.000
20.000
Comme nous pouvons le noter, les 2 sièges ont été attribués après une première opération. Il reste 3
sièges à pourvoir qu’il faudra répartir selon deux techniques : celle du plus fort reste et celle de la plus
forte moyenne.

1°) Application de la représentation proportionnelle au plus fort reste

Ce mode de répartition consiste à attribuer les sièges non pourvus aux listes qui ont les plus grands
restes, c'est-à-dire de voix inutilisées. Peu importe que le quotient électoral soit ou non atteint.
L’application de cette technique de répartition des restes donne les résultats suivants:
-Liste C = 1 siège supplémentaire pour 15.000 suffrages restants.
-Liste D = 1 siège supplémentaire pour 13.000 suffrages restants.
-Liste E = 1 siège supplémentaire pour 10.500 suffrages restants.

Ce système est, à certains égards, injuste si plusieurs sièges restants sont à pourvoir car il favorise les
petits partis au détriment des grands. C'est ainsi que dans notre exemple, la liste A et la liste E ont
chacune un siège malgré l'énorme différence de voix obtenues avec 29.500 contre10.500.

2°) Application de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne

Avec cette technique, on part des sièges restants et on détermine les moyennes obtenues par chaque
liste à partir du rapport entre les suffrages obtenus et la somme des sièges réels et d'un siège fictif. La
liste qui a la plus forte moyenne disposera du premier siège restant à attribuer.

29.500
Liste A = ------------------------ = 14.750
1S réel + 1S fictif = (2)

144
25.000
Liste B = --------------- = 12.500
1SR + 1SF = (2)
15.000
Liste C = --------------- = 15.000
OSR + 1SF = (1)

13.000
Liste D = --------------- = 13.000
0SR+1SF(1)

10.500
Liste E = --------------- = 10.500
0SR + 1SF = (1)
7.000
Liste F = ---------------- = 7.000
OSR + 1SF = (1)
La liste C disposant de la plus forte moyenne avec 15.000 voix, le premier siège à pourvoir lui sera
attribué. Son siège fictif se transformera alors en siège réel. Ensuite, on reprend la même opération pour
l'attribution du second siège restant à pourvoir.

29.500
Liste A = ---------------- = 14.750
1S réel + 1S fictif = (2)

25.000
Liste B = --------------- = 12.500
1SR + 1SF = (2)

15.000
Liste C = --------------- = 7.500
1SR + 1SF = (2)
13.000
Liste D = --------------- = 13.000
0SR + 1SF = (1)

10.500
Liste E = --------------- = 10.500
0SR + 1SF = (1)
7.000
Liste F = ---------------- = 7.000
OSR + 1SF = (1)
La seconde opération est favorable à la liste A qui a la plus forte moyenne avec 14.500. Elle aura donc
le second siège restant à pourvoir. On continue la même opération pour l'attribution du dernier siège
restant à pourvoir.

29.500
Liste A = ------------------------ = 9.833
2S réels + 1S fictif = (3)
145
25.000
Liste B = --------------- = 12.500
1SR + 1SF = (2)
15.000
Liste C = --------------- = 7.500
1SR + 1SF = (2)
13.000
Liste D = --------------- = 13.000
0SR + 1SF = (1)
10.500
Liste C = --------------- = 10.500
0SR + 1SF = (1)

7.000
Liste F = ---------------- = 7.000
OSR + 1SF = (1)
Avec une moyenne de 13.000, la liste D aura le dernier siège restant à pourvoir.
L'application de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne au cas d'espèce donnera la
représentation parlementaire suivante :
Liste A = 2 sièges ; Liste B = 1 siège ; Liste C = 1 siège, Liste D = 1 siège.
Les listes E et F ne seront pas représentées alors que l'application du plus fort reste avait permis à la
Liste E d'avoir 1 siège. Ainsi qu'on peut le constater, cette technique est favorable aux grands partis659.

C) La représentation proportionnelle selon la méthode d'HONDT


La technique d'Hondt, du nom du juriste mathématicien belge, Victor D’HONDT, permet d'éviter les
incertitudes provenant des restes en aboutissant plus rapidement, à la suite d'opérations mathématiques, aux
mêmes résultats que la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Pour ce faire :-on divise
successivement le nombre de suffrages obtenus par chaque liste par les nombres cardinaux 1, 2, 3, jusqu'à
proportion du nombre de listes en compétition660 ;-on classe les quotients obtenus par les listes par ordre
décroissant jusqu'à concurrence du nombre de sièges à pourvoir ;-le dernier quotient est appelé
dénominateur commun ou nombre répartiteur ;-autant de fois que le dénominateur commun contenu dans
une liste, autant de fois cette liste aura d'élus. Le système d'Hondt permet d'éviter les restes. Il est
défavorable aux petits partis car ceux qui ont obtenu un nombre de voix inférieur au dénominateur commun
ne seront pas pris en compte dans la répartition des sièges. Le diviseur commun est également appelé highest
average system.

Restons toujours dans le cadre de la circonscription électorale où 5 sièges sont à pourvoir pour une élection
législative pour 100.000 suffrages exprimés, les 6 partis en compétition obtenant respectivement : A. 29.500
voix ; B.25.000 ; C.15.000 ; D. 13.000 ; E.10.500 ; F.7.000.

659 Cet exercice comme tant d’autres paragraphes de notre cours sont puisés du Cours du Professeur EL MBODJ :
http://www.elhadjmbodj.org/public/pdf/Cours_de_droit_const_Prof_Mbodj.pdf consulté au mois de février et mars 2015.
660 Pour Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, op.cit., p.108, le nombre de suffrages est divisé

successivement par 1, 2, 3 jusqu’à concurrence du nombre de sièges à pourvoir alors que pour El MBODJ ce nombre est divisé
jusqu’à concurrence du nombre de listes en compétition comme il se dégage de l’exemple précédemment illustré. Pour le dictionnaire
du droit constitutionnel, cette technique consiste à diviser les suffrages obtenus par chaque liste par successivement 1,2,3… dans la
limite du nombre de sièges à pourvoir. Les sièges sont ensuite attribués aux listes ayant obtenu les quotients les plus élevés. M. DE
VILLIERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition, Paris, Sirey, 2015, p. 127.

146
Liste A Liste B Liste C Liste D Liste E Liste F
29.500 25.000 15.000 13.000 10.500 7.000
14.750 12.500 7.500 6.500 5.250 3.500
9.833 8.333 5.000 4.333 3.500 2.300
7.375 6.250 3.750 3.250 2.625 1.750
5.900 5.000 2.600 2.600 2.100 1.400
4.916 4.166 2.166 2.166 1.750 1.166

Pour connaître le dénominateur commun également appelé chiffre répartiteur ou diviseur commun, on
range les quotients obtenus dans l'ordre décroissant jusqu'à concurrence du nombre de sièges à pourvoir
; soit 29.500 - 25.000 - 15.000 - 14.750 - 13.000. Autant de fois, ce dénominateur commun (13.000) est
contenu dans les suffrages obtenus par une liste, autant de fois cette liste aura de sièges. Les sièges
seront ainsi répartis aux listes. A : 2 sièges ; B : 1 siège ; C : 1 siège ; D : 1 siège. La technique d'Hondt
permet de contourner les difficultés résultant des restes. Elle n’intègre pas dans la répartition des sièges
tous les partis dont le nombre de suffrages obtenus est inférieur au dénominateur commun. Aboutissant
aux mêmes résultats que le système de la plus forte moyenne, cette technique est favorable aux grands
partis.

D) Les incidences des modes de scrutin


Maurice DUVERGER a dégagé, depuis 1946, trois lois sociologiques partant de l’incidence du scrutin
sur le système des partis politiques ; 1°) le scrutin majoritaire à un seul tour tend au bipartisme ; 2°) la
représentation proportionnelle tend au multipartisme ; 3°) le scrutin majoritaire à deux tours tend à un
multipartisme tempéré par des alliances. Il relativise ses propos en admettant que la relation entre les
régimes électoraux et les systèmes de partis n’est pas mécanique et automatique : tel système de parti ;
il pousse seulement dans le sens de ce système661.

Le choix d'un mode de scrutin est souvent guidé par des considérations stratégiques. Un tel choix est
loin d'être innocent car les majorités politiques qui s'expriment au Parlement sont souvent enclines de
choisir un mode de scrutin qui les avantage le plus. Le choix dépend dès lors de l'option entre l'efficacité
et la justice électorale. A cet égard, il a été relevé que les scrutins majoritaires sont plus favorables à
l'efficacité alors que la représentation proportionnelle assure une plus grande justice au détriment de
l'efficacité. Les scrutins majoritaires permettent la constitution de majorités parlementaires stables et
cohérentes en mesure de soutenir l'action du gouvernement pendant la durée de la législature tant que
la discipline est observée au sein de la coalition politique au gouvernement et que ce dernier bénéficie
de la confiance du Parlement.

La représentation proportionnelle photographie le plus fidèlement les fluctuations de l'électorat et assure


une représentation parlementaire de chaque parti en fonction de son poids électoral. Ce mode de scrutin
est équitable. Il est plus conforme à la justice électorale car il offre des chances de représentation
parlementaire aux petits partis. Néanmoins, cette justice est assurée au détriment de l'efficacité car la
représentation proportionnelle, encourage le fractionnement, donc la multiplicité des partis politiques.
Au contraire, l'absence de majorité parlementaire renforce le poids de l'appareil des partis à travers
l'emprise des états-majors partisans sur la volonté des militants ou sympathisants.

Au-delà de ses différentes variantes (scrutin majoritaire à un ou à deux tours), l’élection présidentielle
ne garantit pas la représentativité nationale du candidat élu. Plusieurs facteurs concourent à cette

661 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 197.

147
affirmation. Le poids de l’abstention électorale peut influer sur l’élection présidentielle là où le candidat
élu peut être l’expression d’un électorat numériquement faible. En outre, lorsqu’il est élu à tour unique,
le candidat qui remporte le scrutin dans une pluralité des candidatures est parfois l’expression d’une
minorité d’autant plus qu’il suffit de recueillir une voix plus que les autres candidats pour être élu. En
outre, comme le soutient C. GIRAUD, l’un des inconvénients du scrutin majoritaire consiste dans une
négligence complète de la position des électeurs n’ayant pas voté pour le candidat qui est élu. Il peut
n’être pas du tout représentatif de l’ensemble des électeurs662. C’est pourquoi certains auteurs préfèrent,
pour l’élection présidentielle au scrutin majoritaire, la méthode du jugement majoritaire élaborée par
M. BALINSKI et R.LARAKI663 ou encore le scrutin classificatoire.
A.4. La méthode du jugement majoritaire
Cette méthode, résumée par C.GIRAUD, consiste à demander d’abord aux votants d’attribuer en un
tour de vote des mentions aux candidats à l’élection présidentielle parmi les sept suivantes : 1. Excellent.
2. Très bien. 3. Bien. 4. Assez bien. 5. Passable. 6. Insuffisant. 7. A rejeter. Il suffit pour les électeurs
de cocher sur leur bulletin la mention qui leur paraît correspondre le mieux à chaque candidat. Ensuite
il faudrait dégager après le dépouillement le pourcentage de chaque candidat à l’élection présidentielle
pour chacune des mentions. Est considéré élu le candidat ayant la meilleure mention, autrement appelée
mention majoritaire664. Selon Olivier BABEAU, l’Australie utilise le système du classement majoritaire
depuis cent ans. On demande aux citoyens de noter une idée ou un candidat selon une échelle de mesure-
Excellent, très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, à rejeter. On classe ensuite les réponses pour
trouver la mention majoritaire, c’est-à-dire l’idée ou le candidat soutenu par une majorité. Ce scrutin est
proche du système « par approbation » : au lieu de demander aux électeurs de choisir une personne et
une seule- alors même qu’ils ne l’aiment pas, ceux-ci doivent indiquer, parmi les candidats, tous ceux
qui reçoivent leur approbation. Le candidat le plus approuvé est élu665.
A.5Le scrutin classificatoire
Etant donné que l’élection du Chef de l’Etat (non monarque) ne garantit pas pleinement l’expression de
la volonté populaire, certains auteurs ont proposé le recours au scrutin classificatoire. En effet, selon
David ANNOUSSAMY666, pour permettre la meilleure représentation du peuple dans son ensemble, le
système doit remplir deux conditions : d’abord permettre à toutes les tendances de se manifester, puis
offrir au citoyen la possibilité d’exprimer son opinion sur tous les candidats qui se seront présentés. Le
système permettant de la réaliser est le scrutin classificatoire. Dans ce scrutin, le citoyen est appelé non
pas à choisir un candidat parmi plusieurs mais à classer tous les candidats selon ses préférences. Les
voix de première préférence sont comptées d’abord. Si l’un des candidats a obtenu la majorité de ces
voix, il est déclaré élu. Sinon, on écarte le candidat qui a obtenu le moins de voix de première préférence
et on ajoute les voix de deuxième préférence dans les bulletins qui l’ont placé en première préférence
et l’on procède comme précédemment jusqu’à ce qu’un candidat ait obtenu la majorité des voix.

Illustration de ce scrutin :
Quatre candidats A,B,C et D, en présence et 35 millions de suffrages exprimés. Leurs voix de première
préférence sont respectivement de 13 millions pour A, 12 millions pour B, 8 millions pour C et 2
millions pour D. Aucun n’a la majorité de 17 millions 500 et plus. On élimine D. Les voix de deuxième
préférence des partisans de D sont un million pour A, 1 million 500 pour B et 500 pour C. On ajoute
662 C. GIRAUD, « Elections présidentielles : les mathématiques au service de la représentativité », RFDC, 2017/3, n° 111, pp. 621-
640, spéc. à la p. 624.
663 M. BALINSKI, R. LARAKI, « Majority Judgement: Measuring Ranking and Electing”, cité par C. GIRAUD, « Elections

présidentielles : les mathématiques au service de la représentativité », RFDC, 2017/3, n° 111, pp. 621-640.
664 C. GIRAUD, « Elections présidentielles : les mathématiques au service de la représentativité », RFDC, 2017/3, n° 111, pp. 621-

640, spéc. à la p. 637.


665 O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris. Manitoba/Les belles lettres, 2017, p. 239 et s.
666 D. ANNOUSSAMY, « Idées pour une meilleure élection présidentielle », RIDC, 2018, n°1, Janvier-Mars 2018, pp. 187-192.

148
ces voix à ces candidats. Ils ont respectivement : 14 millions, 13 millions 500 et 8 millions 500. Aucun
n’a encore la majorité. On élimine C. Les voix de deuxième préférence des partisans de c sont 3 millions
pour A et 5 millions pour B. On ajoute ces voix à A et B. Après sommation, A aura 17 millions et B 18
millions 500. B sera déclaré élu. Pour David ANNOUSSAMY, ce scrutin présente de nombreux
avantages et requiert de l’électorat certaines vertus. Il observe que le système classificatoire, en plus de
réduire la consultation populaire à une seule, reflète l’image complète de l’opinion publique. Il ne peut
se réaliser dans tous les Etats. Il exige un électorat instruit et habitué aux urnes.

Il convient par ailleurs de noter que la réalisation de ce scrutin devient de plus en plus laborieuse au
regard du nombre élevé de candidats à la présidence de la République et exige le recours, par l’organe
de gestion électorale, aux mécanismes informatiques les plus efficaces et crédibles.

Il existe aussi des scrutins mixtes combinant le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel.
La participation électorale n’épuise pas la participation politique. Celle-ci est complétée par la
participation politique partisane.

B. La participation politique partisane : les partis politiques

B.1 A la recherche d’une définition du parti politique


Il n’est pas aisé de dégager une définition satisfaisante des partis politiques d’autant plus que certaines
formations politiques refusent l’étiquette de partis politiques667 alors que leurs activités s’apparentent à
celles que les partis exercent de manière ordinaire. De même certains groupes d’intérêt n’exerçant pas
d’activités politiques à titre principal prennent la dénomination de parti politique668. Plusieurs
définitions ont été proposées par la doctrine et certaines sont institutionnalisées dans la mesure où elles
sont énoncées dans certaines lois.
B.2 Définitions institutionnelles des partis politiques
Les lois régissant les partis politiques proposent une définition « légale » ou « institutionnalisée » des
partis politiques. A titre illustratif, l’article 2 de la loi n° 04/002 du 15 mars 2004 portant organisation
et fonctionnement des partis politiques en RDC définit un parti politique et énonce sa mission : « il faut
entendre par parti politique, une association des personnes physiques de nationalité congolaise qui
partagent la même idéologie et le même projet de société, en vue de conquérir et d'exercer
démocratiquement et pacifiquement le pouvoir d'Etat. Les partis politiques concourent à l'expression
du suffrage, à la formation de la conscience nationale et à l'éducation civique »669. La Loi n° 2018-23
du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politiques en République du Bénin définit les partis
politiques au Bénin, détermine les principes et conditions régissant leur création, fonctionnement ainsi
que les objectifs à atteindre. Les six premiers articles de cette loi en donnent la mesure. Les partis
politiques sont « des groupes de citoyens, partageant des idées, des opinions et des intérêts communs

667 C’est l’exemple du Mouvement 5 étoiles (Movimento cinque stelle) en Italie qui refuse de s’identifier aux partis politiques. Ce
mouvement né de la contestation du pouvoir et des partis politiques a finalement participé aux élections politiques et constituent
depuis 2013 l’une des forces politiques en Italie et participent au gouvernement depuis 2018. Il est le produit de nouveaux
mouvements sociaux et utilise les réseaux comme le canal le plus privilégié pour la communication politique.
668 C’est le cas aux Etats-Unis du Mouvement « Tea Party ». E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes

partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76,
spéc. à la p. 48.
669 Notre soulignement. Francis HAMON définit un parti politique comme « une association dotée d’une certaine permanence, et

dont l’objet principal consiste à présenter des candidatures aux élections en vue d’être représentée au sein des institutions politiques,
et d’exercer le pouvoir à tous les niveaux (national, régional, local) ou à l’un de ces trois niveaux ». F. HAMON, « Le statut des
partis politiques », M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Distribution des
pouvoirs. Tome 2, Paris, Dalloz, 2012, pp. 413-440, spéc. à la p. 414.

149
et qui s'associent dans une organisation ayant pour objectif de conquérir et d'exercer le pouvoir, et de
mettre en œuvre un projet politique …».
B.3 Définitions des partis politiques selon la doctrine
Plusieurs définitions sont proposées selon qu’elles mettent l’accent sur l’organisation, les fonctions des
partis politiques ou les conditions de leur existence. Nous retenons quelques-unes de ces propositions
de définition. Pour Xavier CRETTIEZ, Jacques de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, les partis
politiques en démocratie, sont des organisations collectives structurées engagées dans la compétition
électorale en vue de l’exercice du pouvoir. De ce fait ils sélectionnent les candidats aux élections, ils
soutiennent et contribuent à leurs campagnes électorales, ils formulent des programmes et des positions
sur les différents enjeux de politiques publiques et participent activement au fonctionnement des
institutions politiques (législatives et parlementaires)670.
Les partis politiques constituent des « entreprises politiques dont l’objectif est la conquête du pouvoir
par la mobilisation de soutiens électoraux. En démocratie les partis participent à la compétition
électorale en présentant des candidats. Les partis sont des lieux de représentation politique, de
production idéologique, de mobilisation des soutiens et de sélection du personnel politique. En tant
qu’organisations regroupant des membres aux statuts et engagements divers (adhérents, sympathisants,
élus, permanents), ils sont aussi des espaces de compétition internes voyant s’affronter des courants plus
ou moins structurés animés par les prétendants à la direction du parti671. Max WEBER définit l’idéal-
type du parti dans une conception instrumentaliste. Il entend par partis « des associations reposant sur
un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un
groupement et à leurs militants actifs des chances- idéales ou matérielles- de poursuivre des buts
objectifs, d’obtenir des avantages personnels, ou de réaliser les deux ensemble »672.
D’autres auteurs ont associé la définition du parti politique au processus électoral. Pour Giovanni
Sartori, il n’est pas possible de penser le parti en dehors de la confrontation avec d’autres partis. Aussi,
un des éléments fondamentaux de la définition du parti est-il, selon le politologue italien Giovanni
Sartori, la participation à un processus électoral compétitif. Les partis sont les acteurs de la compétition
dans un cadre électoral libre673. Il définit le parti politique comme « tout groupement politique identifié
par une étiquette officielle, qui présente des candidats aux élections, et qui est capable de faire élire ces
candidats pour des mandats politiques674. Pour Pascal DELWIT, cette définition est restrictive car elle
exclut les partis, dans le cadre démocratique, qui ne se présentent pas toujours aux élections et surtout,
cela exclut du champ de l’étude des partis toutes les organisations politiques présentes dans les régimes
autoritaires675.
Joseph LaPalombara et Myron WEINER, dans une contribution publiée en 1966, dégagent les
principales caractéristiques des partis politiques ou plus exactement, les conditions nécessaires pour
prétendre à la définition scientifique d’un parti. Elles sont au nombre de quatre :
- La continuité de l’organisation. Un des éléments importants du caractère durable de
l’organisation est sa dépersonnalisation : le parti doit dépasser l’espérance de vie de son
fondateur, de son ou de ses dirigeants originels quels qu’ils soient ;

670 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, p. 162.
671 O.NAY (dir.), op.cit., pp. 444-445.
672 M. WEBER, Economie et société, Paris, Plon, 1971, p. 292 (réédition) cité par P. DELWIT, op.cit., p. 245.
673 G. SARTORI, Parties and Party systems. A framework for analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1976. Traduction

française: Partis et systèmes de partis. Un cadre d’analyse, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2011, cité par P.
DELWIT, op.cit., p. 245.
674G. SARTORI, op.cit., cité par E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E.
SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 49
675 P. DELWIT, op.cit., p. 245.

150
- La visibilité et le caractère complet de l’organisation. Pour avoir à faire avec un parti, ce
dernier doit être présent et repérable de l’échelon local à l’échelon national, voire
international aujourd’hui. Un parti digne de ce nom ne peut se contenter d’être présent à
un seul échelon ;
- La volonté dans le chef des dirigeants et des cadres du parti d’accéder au pouvoir et de
tenter de le garder, que ce soit seul ou dans le cadre d’une coalition. En d’autres termes,
pour le parti, il ne s’agit pas simplement d’influencer l’exercice du pouvoir ;
- L’adaptation du parti afin d’obtenir un soutien populaire maximal, en particulier à
l’occasion des échéances électorales, mais pas uniquement à ce moment676.
Pour Pascal DELWIT, cette définition, bien que représentant le plus petit dénominateur commun et sur
lequel bon nombre de politistes se basent pour étudier les formations politiques, comporte aussi des
limites. La principale est celle de l’omission du projet du parti politique. C’est cet axe du projet
qu’intègre Daniel-Louis SEILER. Ce dernier entend par partis politiques « des organisations visant à
mobiliser les individus dans une action collective menée contre d’autres, pareillement mobilisés, afin
d’accéder, seuls ou en coalition, à l’exercice des fonctions de gouvernement. Cette action collective et
cette prétention à conduire la marche des affaires publiques sont justifiées par une conception
particulière de l’intérêt général »677.
Neumann pour sa part définit le parti politique comme « l’organisation structurée des agents politiques
actifs dans une société, ceux qui visent le contrôle du pouvoir gouvernemental et qui entrent en
compétition pour le soutien populaire avec d’autres groupes défendant des points de vue différents678.
Les partis politiques ont été approchés sous deux angles différents : atomique et systémique. Du point
de vue interne, on s’est intéressé notamment à ce qui distingue un parti d’autres formes d’organisations
à caractère politique, aux origines et à l’émergence des partis, mais aussi à l’organisation des partis
politiques et aux fonctions qu’ils pouvaient exercer dans la compétition politique679. Les fondateurs des
partis politiques sont mus par la motivation de mieux défendre leurs intérêts politiques et de mieux
participer à la vie politique en conquérant et en exerçant le pouvoir politique680.
B.4 Naissance des partis politiques
L’existence des partis politiques est aussi ancienne que la politique elle-même. Mais les premiers partis
politiques institués dès l’Antiquité athénienne n’étaient nullement des associations structurées. Ils ne
constituaient que des groupements spontanés de personnalités animées d’un même idéal en vue de se
concerter sur les problèmes de l’heure. Au contraire, les partis politiques modernes constituent des
organisations structurées se caractérisant par quatre traits principaux :
- Une organisation durable,
- Une structure locale entretenant des rapports réguliers avec les responsables nationaux ;
- Une volonté délibérée de prendre le pouvoir et de l’exercer, seul ou en accord avec d’autres
partis ;
- Le souci de rechercher, à cette fin, le soutien populaire, soit à travers les élections, soit à
travers d’autres formes d’action681.

676 Cités par P. DELWIT, op.cit., p. 246.


677 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 247.
678 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science

politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spèc. à la p. 49
679 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science

politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spèc. à la p. 48.
680 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 149.
681 B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science politique, 13 è éd., Paris, Armand Colin, 1996, p.204.

151
Selon Max WEBER, les partis politiques modernes sont les enfants de la démocratie, du suffrage de
masse, de la nécessité d’une propagande et d’une organisation de masse, du développement d’une unité
extrême de la direction et d’une discipline très rigoureuse682.

C’est dans cette optique que Maurice DUVERGER rappelle que les partis politiques sont nés en même
temps que les procédures électorales et parlementaires. Ils sont apparus d’abord sous forme de comités
électoraux, chargés à la fois de donner à un candidat le patronage de notabilités et de réunir les fonds
nécessaires à la campagne683. Il explique mieux l’origine et le développement des partis politiques dans
son ouvrage. Dans l’ensemble, le développement des partis paraît lié à celui de la démocratie, c’est-à-
dire à l’extension du suffrage populaire et des prérogatives parlementaires. Plus les assemblées
politiques voient grandir leurs fonctions et leur indépendance, plus leurs membres ressentent le besoin
de se grouper par affinités afin d’agir de concert ; plus le droit de vote s’étend et se multiplie, plus il
devient nécessaire d’encadrer les électeurs par des comités capables de faire connaître les candidats et
de canaliser les suffrages dans leur direction. La naissance des partis est donc liée à celle des groupes
parlementaires et des comités électoraux. Cependant, certains manifestent un caractère plus ou moins
aberrant par rapport à ce schéma général : leur genèse se place en dehors du cycle électoral et
parlementaire684.

L’émergence des partis tient également à l’affirmation de la question ouvrière dans le cadre de la
révolution industrielle au cours du XIX è siècle. Le prolétariat ouvrier, ne pouvant compter sur des
ressources économiques a été contraint de compenser ces manques par un effort original d’organisation
et de structuration. Les partis ouvriers fondent dès lors une nouvelle façon de faire de la politique pour
contrer l’influence des élites traditionnelles jusqu’alors détentrices monopolistiques du pouvoir, d’abord
en s’organisant syndicalement puis en formant des partis politiques (En Allemagne le SPD est créé en
1875, au Royaume-Uni le parti travailliste est créé par les syndicats britanniques au tournant du siècle
pour assurer la représentation parlementaire des ouvriers, en France la SFIO regroupe les différents
courants socialistes en 1905).

De nombreuses raisons permettent d’expliquer l’émergence et le développement des partis politiques.


Les principales d’entre elles ressortissent aux transformations exceptionnelles liées aux révolutions
économique et politique du XIX è siècle. L’une des origines les plus importantes est l’extension
progressive du droit de suffrage, vers le suffrage universel. L’élargissement du vote entraîne
progressivement un passage de la démocratie de notables ou, plus justement du parlementarisme de
notables vers une démocratie libérale représentative. Ce ne sont plus quelques individus, quelques
personnalités ou quelques notables qui se présentent aux élections pour quémander le suffrage de
quelques dizaines ou centaines d’électeurs dans les premiers régimes parlementaires, mais beaucoup de
candidats s’agrégeant au nom d’intérêts communs et se présentent au suffrage de centaines de milliers
voire de millions d’électeurs. Dans cette optique, l’irruption des masses sur la scène politique et sur la
scène électorale est un phénomène fondamental. Les partis politiques sont des émanations des différents
conflits présents dans les sociétés. L’émergence, comme acteurs politiques, de classes sociales,
importantes en termes quantitatifs- la paysannerie et la classe ouvrière-, marque tout à la fois
l’importance d’un conflit social et entraîne l’agrégation de formations politiques représentant leurs
intérêts.

L’instauration d’un suffrage universel et l’émergence de la paysannerie et de la classe ouvrière comme


acteurs politiques et sociaux rendent compte d’un autre phénomène consubstantiel au développement

682 M. WEBER, Le savant et le politique, Paris, La Découverte, 2003 (1919), p. 162, cité par X. CRETTIEZ, J, De MAILLARD et
P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 162.
683
M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 184.
684 M. DUVERGER, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1980, p.26.

152
des partis politiques : la démocratisation de la société et la marche vers une démocratie libérale
représentative. Les lieux d’implantation premiers et privilégiés des partis politiques ont été l’Europe
occidentale et les Etats-Unis, pays les plus marqués par l’accélération de la révolution industrielle et les
mutations sociales, sociologiques et politiques qu’elle induit. Naissent aux Etats-Unis des partis
modernes. La raison principale en est la combinaison du suffrage populaire, du principe selon lequel
l’élection était le mode normal de nomination aux fonctions publiques et de la brièveté des mandats. La
construction des partis politiques est très souvent un processus lent. Il s’opère à partir du parlement ou
dans la société685.

En Afrique, la création des partis politiques s’intègre avant tout dans le vaste processus de
décolonisation et d’émancipation de la tutelle coloniale. Les partis politiques seront créés dans une
optique de contribuer à la lutte en faveur de l’octroi à l’indépendance. C’est autour de cet intérêt
commun que gravite l’essentiel des finalités des partis politiques. Une fois l’indépendance acquise
certains dirigeants africains étaient hostiles aux activités des partis politiques les accusant parfois d’être
au service des anciens colonisateurs. C’est dans cette perspective tout comme celle de fédérer les
différentes populations dans la création des nations africaines que le monopartisme a été identifié
comme le moyen le plus indiqué pour atteindre cette fin. Depuis les années 1990 l’Afrique a renoué
avec le multipartisme bien que certaines activités des partis de l’opposition et leurs dirigeants
connaissent des entraves ou la privation de leur liberté dans de nombreux Etats africains. Contrairement
aux partis politiques qui se sont constitués en Europe ou aux Etats-Unis sur la base des clivages sociaux
ou idéologiques, les partis politiques en Afrique se créent plus par opportunisme, clientélisme que par
la proposition ou l’adhésion à une idéologie politique bien élucidée. C’est le pragmatisme,
l’opportunisme et l’allégeance qui inspirent la création de nombreux partis politiques en Afrique.
L’ouverture démocratique, les compétitions électorales, la professionnalisation de la politique
constituent autant d’éléments pouvant expliquer la genèse et la prolifération de nombreux partis
politiques. Les partis politiques remplissent plusieurs fonctions.
B.5 Les fonctions des partis politiques
Les fonctions renvoient aussi aux besoins de l’ensemble social ou culturel. Les fonctions peuvent être
manifestes ou latentes selon la distinction proposée par Georges LAVAU ou Peter MERKL. La fonction
manifeste est une fonction que remplit un parti politique consciemment, volontairement et de manière
évidente. La fonction latente est une fonction qu’un parti remplit de facto sans toujours le savoir ou le
vouloir686. Qu’il s’agisse de la sélection des candidats, de la rédaction des programmes ou plus
conceptuellement, de la mise en œuvre du principe de responsabilité politique des gouvernants, les
partis politiques constituent le moyen indispensable pour rendre intelligible une série de processus, trop
complexes pour permettre mobilisation, participation et inclusion d’une large partie de la population.
Les partis sont également l’instrument de la gestion des relations entre élites elles-mêmes en formant
des groupes parlementaires ou en structurant l’expression des ambitions politiques. Les partis sont bien
considérés comme indispensables au fonctionnement de la représentation politique et de la démocratie
par une simplification drastique du jeu, en diminuant les nombre des acteurs autonomes, tout en
préservant au moins le pluralisme687.
Pascal DELWIT regroupe les principales fonctions des partis politiques en distinguant les fonctions
ci-après :

685 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, pp. 241-243
686 P. DELWIT,op.cit., p. 247

687 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique,

3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 51.

153
- La fonction de gouvernement faisant référence à l’exercice du pouvoir.
Cette fonction peut se manifester sous trois aspects principaux : a) la fonction de participation à la
création de gouvernements, b) la fonction de contrôle de la gestion gouvernementale et c) la fonction
disciplinaire, c’est-à-dire, celle qui établit une cohérence entre les instances du parti et ses représentants
extérieurs.
- La fonction de la relève politique.

C’est en leur sein que se recrute et qu’est sélectionné le personnel dirigeant pour les postes de
gouvernement. Les partis choisissent les candidats et assurent la relève des générations dirigeantes. Les
partis sélectionnent les élites politiques, partisanes d’abord, électives ensuite, gouvernementales enfin.
Cette fonction est aujourd’hui quelque peu dépassée, du moins en occident, où la formation et la
socialisation des élites dirigeantes s’opèrent dans les grandes universités et dans les grandes écoles. La
dynamique d’introduction des primaires pour la sélection des candidats pourrait affecter l’importance
de l’appareil central du parti dans ses prérogatives. Les primaires ou mode de désignation des candidats
du parti aux différentes élections politiques, notamment présidentielles par la base du parti élargie ou
non aux électeurs et sympathisants ont été organisées dans certains Etats européens s’inspirant de
primaires américaines. Mise à part cette parenthèse isolée des primaires, le parti demeure l’un de
principaux mécanismes pour accéder à la relève politique. Olivier BABEAU note à ce propos que le
passage obligé par le parti conditionne profondément la vie politique. Car, pour celui qui veut faire de
la politique, il est un premier champ de bataille688.
- La fonction programmatique.

Elle est constituée de la fonction idéologique qui donne une explication convaincante de l’état de la
société et des mécanismes qui président à son fonctionnement, et de la fonction d’agrégation des intérêts
dans laquelle le parti essaie de présenter un programme qui attire un maximum des gens en rencontrant
leurs intérêts. De la sorte, les partis contribuent à structurer les opinions dans la société. Chaque
formation politique présente sa version et sa vision de l’intérêt général par rapport à laquelle se
positionnent et se situent tout à la fois les citoyens et les autres acteurs sociaux. Pour plus d’information
sur la genèse et les usages des programmes politiques nous pouvons nous rapporter à cet ouvrage
collectif689.
- La fonction de médiation

Les partis politiques médiatisent les revendications de différents groupes sociaux vers le pouvoir et les
actions du pouvoir vers les différents groupes sociaux, ils sont de la sorte agents du conflit et…. De sa
résolution, en particulier du gouvernement. Cette fonction de médiation est cruciale pour la bonne
compréhension du processus décisionnel, pour l’action politique et pour la capacité des acteurs de la
décision à appréhender l’état de la société. Les partis contribuent à ce que l’on appelle dans l’analyse
des politiques publiques la mise à l’agenda : ce sont eux qui font émerger des problèmes nouveaux, ou
reformulent des questions anciennes, ou encore endossent en les reprenant à leur compte les
préconisations faites par les responsables de groupe d’intérêt ou de mouvements sociaux. Les parties
aident à la formation de la demande politique en cadrant le débat public afin que le processus de décision
gouvernemental prenne en compte les mesures qu’ils promeuvent, donnant ainsi satisfaction à celles et
ceux qui les ont soutenus. En ajustant leurs propositions de lois et projets législatifs aux contraintes du

688O. BABEAU, L’horreur politique. L’Etat contre la société, Paris, Manitoba/Les belles lettres, 2017, p. 233-238.
689 KARIM FERTIKH, M. HAUCHECORNE et N.BUE, Les programmes politiques. Genèse et usages, Rennes, Presses
universitaires de rennes (PUR), 2016.

154
monde réel, en revanche ils fabriquent une offre politique plus réaliste que ne l’étaient leurs promesses
de campagne690.
- La fonction de concourir à la légitimation du système politique.

Comme acteurs cruciaux de la démocratie, les partis ont largement contribué à légitimer le régime
démocratique et donc à faire vivre ses règles de fonctionnement.

- La fonction de socialisation auprès de leurs membres

Les partis politiques partagent cette fonction avec les organisations syndicales, coopératives, mutuelles,
…). Les partis politiques permettent de familiariser les citoyens avec la vie politique en leur donnant
l’occasion et les moyens de la comprendre et les instruments nécessaires pour se repérer par rapport aux
enjeux du moment et aux divisions idéologiques complexes. C’est la fonction de socialisation des
électeurs.
- La fonction tribunitienne dégagée par Georges LAVAU.

C’est la possibilité pour certaines catégories sociales d’utiliser un parti (le cas échéant, un syndicat)
pour exprimer leur exclusion du système politique et leur volonté d’y entrer. Le parti sert alors de tribune
pour ces catégories sociales691.
Toutes ces différentes fonctions peuvent être résumées en trois principales fonctions identifiées par V.O.
KEY en 1964. Il s’agit des fonctions exercées en rapport avec l’électorat, en tant qu’organisation, ou
dans le cadre de la participation gouvernementale. En rapport avec l’électorat, les partis sont considérés
comme simplifiant et structurant les choix électoraux (agrégation des intérêts), servant de canaux de
communication, éduquant les citoyens, participant à leur socialisation et à leur intégration dans le
système politique, générant des symboles d’identification et de loyauté, organisant les campagnes
électorales. Les partis sont également considérés comme canaux de participation politique
(participation/mobilisation).

En tant qu’organisations, les partis recrutent, forment et sélectionnent les leaders et les candidats
(recrutement du personnel politique), et développent des programmes politiques (fonction
programmatique). Dans leurs rapports avec le gouvernement, les partis remplissent aussi certaines
fonctions, telles que créer des majorités, organiser le gouvernement, l’opposition et le débat
(médiation/expression), mettre en œuvre des objectifs politiques, assurer la responsabilité pour les
actions gouvernementales, contrôler l’administration gouvernementale, entretenir la stabilité
gouvernementale, structurer les divisions parlementaires et organiser la représentation (fonction de
gouvernement, coordination et décision politique). Les tenants du modèle participatif de démocratie
insistent sur les fonctions de participation et de socialisation des partis. En s’adressant à des groupes
spécifiques (catégories socioprofessionnelles, confessionnelles, jeunes, femmes, personnes d’origine
étrangère, etc.) les partis peuvent de la sorte corriger l’effet des ressources individuelles comme facteur
déterminant de la participation. Par contre, les tenants de la vision libérale élitiste de la démocratie
soulignent l’importance des fonctions de gouvernement, telles que la représentation, le recrutement et

690Y. SCHEMEIL, op.cit., pp. 450-451.


691P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, pp. 247-253.

155
la formation du personnel politique. Enfin les tenants de la démocratie délibérative mettent l’accent sur
la fonction d’agrégation des intérêts692.

Les partis politiques sont omniprésents et organisent la compétition et l’exercice du pouvoir. Les partis
sont également les clés de lecture indispensables, tant pour le citoyen que pour le politiste, des
dynamiques politiques dans une perspective comparative. Ils ont été à l’origine de distinctions
structurantes pour les typologies de régimes et restent omniprésents dans les commentaires sur
l’actualité693.
B.7 Typologies de partis politiques

B.7.1 Diversité des critères

Il existe de nombreuses classifications ou typologies des partis politiques, articulées autour de certains
critères distincts : origines, objectifs, place dans la compétition, cycle de vie, idéologie ou organisation.
Ces classifications sont, par nature, comparatives. Elles ont été essentiellement développées dans un
contexte européen ou américain694. Il est improbable, dans le cadre de ce cours d’introduction à la
science politique, de recenser toutes les classifications et les critères retenus par les auteurs. Nous nous
limitons à évoquer certaines classifications qui ont le mérite d’englober dans une certaine mesure celles
ne faisant pas l’objet de traitement dans ce cours. Ces classifications proposent en outre des idéaux-
types abstraits. La classification sur la base de l’origine des partis reprend la distinction entre origine
parlementaire et extraparlementaire des partis politiques695. Une autre typologie reposant sur le critère
historico-idéologique oppose les partis de droite et de gauche.

L’approche organisationnelle constitue une perspective classique des typologies de partis politiques. En
effet, les premières typologies des partis politiques élaborées pour rendre compte de différences
observées entre partis, et assez reléguées à l’arrière-plan, opposaient à l’origine, comme chez Maurice
DUVERGER dans les années 1950, les partis de cadres (surtout actifs dans les campagnes électorales,
bien financés par des groupes d’intérêt et animés par leurs futurs élus) et les partis de masse (dont la
principale ressource était la masse des militants susceptibles de démarcher les électeurs). Les adhérents
constituent donc la matière même du parti des masses, la substance de son action. Sans adhérents, le
parti ressemblerait à un professeur sans élèves. Au point de vue financier, le parti repose essentiellement
sur les cotisations versées par ses membres : le premier devoir de la section est d’en assurer le
recouvrement régulier696.

Les partis de cadres reposent sur des notables à forte influence locale, ne cherchant pas à élargir leur
base militante et disposant de structures partisanes souples et peu hiérarchisées. Les partis de masses,
originellement présents dans le monde ouvrier (partis socialistes, puis partis communistes) reposent sur
un encadrement extensif de militants, possèdent une structure plus bureaucratisée et hiérarchisée (base
militante, comités ou sections au niveau local, conseil national, bureau politique, secrétaire général), un
financement reposant sur des cotisations militantes ( et non sur des dons comme les partis de cadre) et
défendent un programme développé soutenu par une idéologie affirmée, l’activité programmatique

692 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique,

3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 52.
693 E. VAN HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Y. DELOYE et J.-M. DE MERLE (coord.),
Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 575-610, spéc. à la p. 575.
694 Plus de détails et dans une approche comparative, E. VAN HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans »,

in Y. DELOYE et J.-M. DE MERLE (coord.), Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 575-610.
695 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science

politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 52 et s.
696 M. DUVERGER, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1980.

156
jouant un rôle central dans l’animation du parti. Leur activité est permanente et va au-delà des
campagnes électorales du fait de l’importance des activités de mobilisation également assurées par des
organisations relais. Enfin le parti est dominé par un groupe dirigeant situé au sommet de l’appareil697.
Pour Maurice DUVERGER, dans tous les partis de masse, les dirigeants forment un groupe assez
nettement distinct du reste des adhérents et des militants698.

B.7.2 Typologie et classification selon les systèmes de partis

Le système de partis est « l’ensemble structuré constitué des relations tantôt d’opposition, tantôt de
coopération qui existent entre les partis politiques agissant sur la scène politique d’une même société
politique »699. Selon Giovanni Sartori, le concept de système ne fait sens- dans un objectif de recherche
scientifique- qu’aux conditions (1) que le système présente des propriétés qui n’apparaissent pas à
l’observation de ses différentes composantes individuelles et (ii) que le système résulte de et consiste
en les interactions structurées de ses différentes composantes, impliquant en cela que ces interactions
dessinent les limites ou au moins la fermeture, du système. Les partis font système donc seulement
quand ils sont des parties (au pluriel) d’un système et un système de partis est précisément le système
d’interactions résultant de la compétition entre partis700.

L’un des critères traditionnels de classification repose sur le système de partis politiques en mettant
l’accent sur leur nombre. Il en résulte une classification binaire : le bipartisme et le multipartisme. Le
parti unique n’est pas pris en compte dans le système de partis politiques lequel se veut pluraliste.

a) Bipartisme
C’est le système dans lequel la confrontation politique s’articule pour l’essentiel dans une lutte entre
deux partis politiques principaux. La Grande Bretagne illustre le bipartisme avec l’existence du parti
travailliste et du parti conservateur. Le bipartisme fait surtout référence à une situation dominante dans
la répartition des sièges. On parle en général de bipartisme lorsque deux partis détiennent de 80 à 85
% de la représentation parlementaire701. A l’intérieur du bipartisme l’on distingue d’une part le
bipartisme parfait et d’autre part le bipartisme imparfait. Selon Pascal DELWIT, le bipartisme parfait
suppose que les deux partis détiennent 100 % des sièges- ce qui est rare. Il n’y a aucun Etat démocratique
où la confrontation ne concerne que deux partis. Et une distribution des sièges limitée à deux formations
est exceptionnelle. En termes de représentation parlementaire, deux Etats atteignent le bipartisme
parfait : les Etats-Unis. A l’exception de l’un ou l’autre représentant indépendant, tous les
parlementaires sont soit démocrates, soit républicains. L’autre exemple est celui de Malte où les
parlementaires appartiennent soit au parti travailliste, soit au parti nationaliste702.

Pour Blondel cité par Emilie Van HAUTE et Nicolas SAUGER, le bipartisme parfait est le système
dans lequel deux partis à peu près égaux se partagent au moins 80 % des voix (Etats-Unis et Royaume-
Uni avec quelques exceptions dans ce dernier cas)703 et le bipartisme imparfait, dit aussi système à

697 M. DUVERGER, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1951, cité par X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P.
HASSENTEUFEL, op.cit., p. 163.
698
M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 189.
699 D.-L. SEILER, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1993, 121 cité par P. DELWIT, Introduction à la science politique.

Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2018, p. 253.
700 G. SARTORI, op.cit., pp. 43-44 cité par E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX

et E. SAVARESE (dir.), Science politique, op.cit., p. 55.


701 P. DELWIT, op.cit., p. 253 et s.
702 P. DELWIT, op.cit., p. 254.
703 En Grande-Bretagne, les élections de mai 2010 n’avaient pas permis à l’un des deux grands partis de remporter une majorité

absolue des sièges. Le parlement était sans majorité (Hung Parliament). A. ALEXANDRE-COLLIER et E. AVRIL, Les partis
politiques en Grande-Bretagne, Paris, Armand Colin, 2013, p. 21. Aux Etats-Unis, le bipartisme et l’impossibilité d’émergence d’un

157
« deux partis et demi » dans lequel un troisième parti, plus petit que les deux autres, parvient à troubler
le jeu politique. Ce modèle a existé dans des pays connaissant un parti libéral pivot dans le système
(traditionnellement en Allemagne avec le FDP)704. Dans le bipartisme imparfait suggéré par Jean
Blondel, la compétition électorale se déroule à titre principal entre trois partis ; deux partis principaux
et un parti pivot, le King-maker. C’est ce cas d’école qui a prévalu dans le système politique allemand.
Le parti chrétien démocrate (CDU-CSU) affrontait le parti social-démocrate (SPD) et le petit parti
libéral (FDP). Captant entre 5 et 7 % des suffrages, ce dernier arbitrait. Il était donc le parti pivot, c’est-
à-dire la formation qui était au pouvoir presqu’en permanence et s’alliait tantôt avec un partenaire
politique, tantôt avec un autre705. En RDC, la Constitution du 24 juin 1967 avait prévu la possibilité
d’un système bipartisan qui n’eut que l’existence textuelle706, car le Mouvement populaire de la
Révolution (MPR) devint de fait l’unique parti politique avant d’être institutionnalisé en 1970707.

Le bipartisme ne se confond pas avec la bipolarisation. En effet, selon le Lexique de science politique,
la bipolarisation est une tendance de la vie politique à se structurer autour de l’affrontement entre deux
pôles idéologiques et partisans. La bipolarisation se traduit souvent par l’opposition entre gauche et
droite, mais elle ne conduit pas forcément au bipartisme. Les systèmes bipolaires se structurent autour
de clivages différents d’un pays à l’autre, découlant des tensions propres à l’histoire politique nationale.
La bipolarisation est favorisée par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui incite les forces
politiques à nouer des alliances électorales en vue du second tour 708. La RDC a vécu la bipolarisation
en 2006 lors de l’organisation du deuxième tour de l’élection présidentielle avec d’une part l’Alliance
pour la Majorité présidentielle (AMP) et l’Union pour la Nation (UN). Les violences qui résultèrent du
deuxième tour auraient été invoquées comme l’une des raisons pour lesquelles la révision
constitutionnelle de 2011 avait élagué de la Constitution la possibilité d’un deuxième tour par
l’instauration d’un scrutin présidentiel à tour unique.

b) Le multipartisme
C’est un système de partis dans lequel la confrontation politique s’agence dans une lutte qui met aux
prises plus de deux partis. L’environnement du système politique contribue à façonner soit un système
bipartite soit un système multipartite709. Le multipartisme se déploie aisément dans un régime politique
démocratique et garantissant la liberté d’expression et le pluralisme. Nous pouvons soutenir que le
multipartisme constitue la tendance généralisée des systèmes de partis politiques depuis l’effondrement
du Mur de Berlin. En Afrique, la vague de démocratisation amorcée depuis les années 1990 avait
réintégré le multipartisme après plus de vingt ans des partis uniques.

troisième parti sont dus partiellement à l’instauration d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour. L’électeur est contraint de faire
un choix utile, le vote en faveur du candidat mineur ne pouvant qu’être un vote de protestation. P. SICARD, Les partis et la vie
politique aux Etats-Unis, Paris, Armand Colin, 2012, p. 114.
704 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique,
3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 56.
705 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 259.
706 Art.4 de la Constitution du 24 juin 1967 : « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Il ne peut être créé plus

de deux partis dans la République. Ces partis s’organisent et exercent leurs activités librement. Ils doivent respecter les principes de
la souveraineté nationale, de la démocratie et les lois de la République ». Notre soulignement.
707 Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la Constitution. L’article 1 er de cette loi est rédigé en ces termes :

« L’article 4 de la Constitution est remplacé par la disposition suivante : Le Mouvement populaire de la Révolution est le seul parti
politique de la République Démocratique du Congo.
708 O. NAY (dir.), op.cit., p. 47.
709 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, p. 255.

158
Le multipartisme peut aussi revêtir différentes formes. Jean Blondel évoque à ce sujet l’existence d’un
multipartisme égalisé d’une part et des systèmes multipartites à parti dominant d’autre part. Le
multipartisme égalisé est un système dans lequel les partis et/ou les pôles en confrontation sont de forces
sensiblement égales. Il n’ y a pas un parti ou un pôle dominant par rapport aux autres. Tel est le cas de
la Belgique710. Par contre les systèmes multipartites à parti dominant sont ceux dans lesquels un parti
(ou un pôle) dominant, à savoir une formation politique qui glane à elle seule presque autant de suffrages
que l’ensemble des autres partis politiques en concurrence. Ce fut longtemps le cas en Suède, où le parti
social-démocrate suédois (SAP) obtenait très souvent presque autant de voix que ses adversaires de
droite réunis711. Pour le Professeur Adrien MULUMBATI NGASHA, le multipartisme à parti dominant
est un système de partis où il existe un parti fort et plusieurs petits partis. Il est à distinguer avec le
multipartisme à parti ultra-dominant dans lequel il existe plusieurs partis dont l’un dépasse de loin les
autres et obtient à lui seul la majorité absolue des sièges au parlement. Le parti ultra-dominant est aussi
autoritaire que le parti unique. Mais contrairement à ce qui se passe dans le monopartisme, dans le
multipartisme à parti ultra-dominant, il existe plusieurs autres partis politiques disposant de sièges au
parlement et pouvant critiquer le parti ultra-dominant712.

Giovanni SARTORI a procédé à une autre distinction dans le système multipartite. Il soutient que tous
les partis politiques ne devraient pas être pris en considération dans l’étude du système de partis. Il y a
des partis qui comptent (partis qui pèsent ou pertinents) d’une part et les partis moins importants ou non
pertinents d’autre part. Pour opérer cette distinction, il identifie quatre critères :

- Le poids électoral des partis ;


- La force parlementaire mesurée par le nombre de sièges obtenus ;
- Le potentiel gouvernemental, basé sur la durée de participation au gouvernement et
- Le potentiel de chantage d’un parti (partis anti-système permettant de les classer dans les
partis qui comptent). Le potentiel de chantage s’examine à l’aune des possibilités de
blocage du parti considéré. Cela peut tenir à sa capacité extra-institutionnelle713.
A partir de ces critères, G. SARTORI dégage quatre principales configurations partisanes : le
bipartisme, le pluralisme limité, le pluralisme extrême et le système atomisé. Pour cet auteur, la
configuration bipartite a lieu quand l’existence de tiers-partis n’empêche pas les deux partis principaux
de gouverner seuls, c’est-à-dire quand des coalitions ne sont pas nécessaires. Le pluralisme atomisé
consiste en une situation-très rare- où la présence d’un ou plusieurs partis politiques n’influe pas sur les
autres formations. Dans cette configuration, un très grand nombre de partis sont présents au
Parlement714. La distinction entre pluralisme limité et extrême est plus importante dans les systèmes
politiques compétitifs. Sartori dégage un critère numérique pour différencier les deux situations et le
degré de polarisation. Jusqu’à cinq partis pertinents, on serait dans une fragmentation faible, favorisant
un pluralisme limité. Au-dessus de cinq partis, l’effet des interactions multiples se complexifie
fortement. En l’absence de compétition idéologique forte, le pluralisme serait modéré et s’assimilerait
souvent au pluralisme limité. La présence d’une compétition idéologique forte favoriserait un pluralisme
polarisé ressortissant à la catégorie du pluralisme extrême715.

710 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2018, p. 256.
711 P. DELWIT, op.cit., p. 257.
712 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 163 et s.
713 G. SARTORI, op,cit., cité par P. DELWIT, op.cit., pp. 261-262.
714 G. SARTORI, op.cit. cité par P. DELWIT, op.cit., p. 263 et s.
715 G. SARTORI, op.cit., p. 265 et s.

159
B.8 L’organisation des partis politiques
Pour atteindre ses objectifs ou exercer ses activités politiques, un parti politique est structuré en autant
d’organes qu’il juge indispensable. Deux visions dominantes rendent compte de modèles
organisationnels des partis politiques. Dans la première vision, il est possible de dégager au sein des
partis politiques trois faces : le Party in Central office (organisation centrale du parti) comprenant les
responsables et permanents du parti ; c’est-à-dire les personnes détenant une fonction au sein de
l’organisation ; le Party in public office (mandataires du parti) qui comprend l’ensemble des personnes
détenant un mandat électif ou exécutif au nom du parti aux différents niveaux de pouvoir (ministres,
parlementaires, etc.) et le Party on the ground (base du parti) comprenant les personnes affiliées au parti
mais ne détenant pas de mandats ou fonction spécifique. Dans la deuxième vision, influencée par la
participation politique, la notion de Party on the ground est nuancée.

Généralement certains organes sont communs à plusieurs partis politiques et les dénominations peuvent
varier. Certains organes sont ouverts en étant plus représentatifs. C’est le cas du congrès ou des
assemblées du parti réunissant tous les membres ou les délégués du parti provenant de différents
horizons. Il se réunit selon une cadence allant d’un an à 5 ans. Il détermine les principales orientations
du parti et procède généralement à la désignation des candidats du parti aux différents échelons.

D’autres organes sont plus restreints et comprennent un noyau des membres appelé bureau politique,
ou comité exécutif ou comité central chargé de la direction du parti et de la mise en œuvre de différentes
résolutions du congrès. Il se réunit régulièrement autant de fois que les circonstances le requièrent.
L’organe restreint comprend un moteur qui est généralement le Secrétaire général du parti qui assure le
rôle de coordination des activités du parti et représente dans la plupart des cas le parti. Le Président du
parti politique exerce plus une fonction honorifique. Le parti, selon sa vocation et les moyens à sa
disposition, peut être représenté dans toutes les entités territoriales ou seulement dans certaines d’entre
elles en y implantant des fédérations, ou des comités et sections. Au sein des assemblées parlementaires
les élus du parti constituent seuls ou avec d’autres alliés des groupes parlementaires qui sont des organes
internes auxdites assemblées. Pour mieux exercer leurs activités les partis disposent d’une
administration et du personnel qu’ils peuvent rémunérer. Ils disposent de ressources financières,
matérielles, logistiques provenant de cotisations des membres, des dons, des legs, de produits de vente
de certains articles du parti et des financements publics dans les conditions déterminées par les
différentes lois nationales. A titre indicatif la RDC s’est dotée depuis 2008 d’une loi sur le financement
des partis politiques. Dans des Etats où la transparence n’est pas promue certains gestionnaires des
entreprises étatiques et paraétatiques contribuent au financement des activités des partis politiques
d’autant plus que c’est par le truchement des partis politiques qu’ils doivent leur nomination aux
différents postes de responsabilité.

DUVERGER distinguait plusieurs cercles concentriques correspondant à de degrés divers d’affiliation


et de lien au parti : électeurs, sympathisants, adhérents et militants. Les sympathisants développeraient
un lien plus fort avec le parti que les électeurs, sans pour autant passer le cap de l’adhésion formelle.
DUVERGER a recours à la métaphore pour les définir : « Le sympathisant ressemble à l’adhérent
comme le concubinage au mariage ». Il reconnaît cependant que la distinction n’est pas simple dans son
application. Cette représentation tend à souligner les variations d’intensité du lien au parti et de la
participation partisane, et implique qu’à chaque accroissement d’intensité, le pool de participants se
rétrécit. Il convient en outre de préciser que les partis ont développé des modes d’affiliation diversifiées
qui viennent brouiller les frontières classiques de l’adhésion (en ligne et hors ligne). La notion de
membre du parti correspond à celle d’adhérent. Le sympathisant se déclare favorable aux doctrines du
parti et lui apporte quelquefois son appui, mais demeure en dehors de son organisation et de sa

160
communauté : le sympathisant n’est pas membre du parti, à proprement parler716. Plusieurs formes
d’affiliation partisane ou des typologies des groupes intrapartisans ont été proposées717.
B.9 Participation partisane
Les études dédiées à la participation politique proposent des échelles de participation : elles vont du
moindre degré de participation politique vers le degré de participation le plus élevé. Classiquement, le
marqueur le plus connu en termes de participation conventionnelle est l’adhésion à un parti politique.
Dans le rapport au parti politique, cinq niveaux sont considérés en général : l’électeur, le sympathisant,
l’adhérent, le militant et le cadre/dirigeant718. Pascal DELWIT nous renseigne que certaines recherches
présentent jusqu’à dix échelles de participation partisane : a) les électeurs occasionnels ; b) les électeurs
réguliers ; c) les sympathisants ; d) les membres passifs :; e) les militants ; f) les cadres intermédiaires ;
g) les dirigeants nationaux ; h) les mandataires sous-nationaux ; i) les mandataires nationaux et j) les
permanents719.

B.9.1 Adhésion à un parti politique

Excepté dans les Etats marqués par des partis uniques dans lesquels l’adhésion ne constitue pas un acte
libre, dans la plupart des Etats aménageant un régime multipartite l’adhésion à un parti politique est un
acte libre. Ce principe de libre adhésion est désormais consacré dans certaines Constitutions et lois
africaines au lendemain de l’ouverture démocratique des années 1990. A titre illustratif, en RDC, alors
Zaïre, tout Zaïrois était d’office membre du Mouvement populaire de la Révolution (MPR), ex Parti-
Etat.

En adhérant librement à un parti ou à une organisation politique, on exprime une certaine communion
d’idées avec ceux-ci : avec leur programme, avec leurs idées voire avec leur mode de fonctionnement.
Les motifs de l’adhésion sont plus larges et plus variés que la seule communion d’idées. On peut adhérer
à un parti politique, voire militer sur la base d’une conviction ou d’une croyance : le soutien à telle ou
telle idéologie, à tel programme, à telle action qui justifieraient une participation active. Je peux être
d’accord avec les objectifs et le programme du parti. Mon accord peut se traduire par l’adhésion au
parti. Tout comme on peut adhérer et militer pour des motifs d’ordre individuel et collectif. Le
militantisme contribue souvent à des formes de communion, de fraternité et d’intégration. On peut aussi
adhérer à un parti politique pour marquer son appartenance communautaire ou par tradition familiale.
Dans les partis avec un référent à une communauté donnée- partis ouvriers, agrariens, régionalistes,
ethniques…, adhérer marque un sentiment d’appartenance à la communauté ou à la famille, dans le sens
restreint ou symbolique.

Un autre motif du militantisme réside dans toutes les rétributions que procure cet engagement (une
certaine sécurité, de nombreux avantages matériels et de multiples gratifications symboliques- prestige,
honneur, puissance…On peut aussi militer parce que l’on a certaines ambitions et que le militantisme
peut contribuer à les assouvir. C’est parfois le cas de ceux qui désirent faire une carrière politique. Ces
différentes raisons ne s’excluent pas l’une l’autre. Elles peuvent s’entrecroiser dans l’acte d’adhésion et
de militantisme. Elles évoluent aussi dans le temps. L’adhésion demeure un acte le plus marquant de la
participation partisane même si elle demeure dans la pratique et au regard de l’évolution un acte
minoritaire720. Parmi les adhérents, bon nombre sont des adhérents passifs. Il s’agit surtout de prendre
716 M. DUVERGER, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1980,p. 108.
717 E. VAN HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Y. DELOYE et J.-M. DE MERLE (coord.),
Politique comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 575-610, spéc. pp. 589-591.
718 P. DELWIT, op.cit., p. 333.
719 E. VAN HAUTE, Adhérer à un parti. Aux sources de la participation politique. Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles,

2009, p. 45 cité par P. DELWIT, op.cit., p. 333 et s.


720 P. DELWIT, op. cit., pp. 338-340.

161
sa carte de membre- ce qui est un acte important- de payer une cotisation mensuelle ou annuelle et,
parfois, de prendre part à certaines activités du parti. A partir d’enquêtes réalisées en 1991 et 2001,
Heidar et Saglie montrent que les adhérents passifs représentent plus de la moitié des membres des
partis norvégiens et que parmi les militants, l’investissement temporel reste mesuré. Dès lors que l’on
s’investit davantage, que l’on consacre du temps au parti ou à l’organisation, on entre dans le registre
du militantisme721.

B.9.2 Les militants

Le militantisme est un engagement actif et bénévole dans une organisation politique, syndicale ou
associative, ou dans une série d’actions collectives visant la défense d’une cause. Les militants se
distinguent des professionnels de la politique d’une part et des sympathisants et adhérents d’autre part.
A la différence des premiers, ils ne conçoivent pas l’activisme politique, syndical ou associatif comme
un métier à plein-temps et n’exercent pas de fonctions dirigeantes élevées dans leur organisation. A la
différence des seconds, ils consacrent un temps important à l’activité collective. Le critère du bénévolat
n’est pas toujours satisfaisant pour distinguer les militants des professionnels de la politique. La
rémunération ne supprime pas toujours l’activisme militant, ni ne compense les coûts sociaux que
supporte celui qui s’y adonne722. Les militants accomplissent consciemment et ouvertement, dans
l’écrasante majorité des circonstances, certaines tâches politiques : propagande en faveur des thèses du
parti, soutien à ses candidats, travail interne d’organisation et de réflexion. L’élément fondamental qui
distingue le militant de l’adhérent est le temps et l’énergie qu’ils consacrent au parti. Ce temps et cette
énergie sont beaucoup plus importants pour les militants que pour les adhérents.

B.9.3 Les dirigeants

L’étude des dirigeants politiques confirme la nature des relations observées entre hiérarchie sociale et
participation politique : plus on progresse dans la hiérarchie sociale, plus la participation tend à s’élever.
Trois modèles d’accession au niveau de dirigeants ont été mis en évidence. Le premier, quoiqu’il soit
en déclin, fait référence au notable, souvent issu d’une dynastie familiale. Le second est le cadre-
militant et incarne la voie classique d’élévation progressive dans les arcanes du parti et du paysage
institutionnel du pays dans lequel il œuvre. Le troisième est en développement. Il s’agit du professionnel
de la politique recruté au sortir de ses études ou dans la fonction publique, en raison de sa formation et
de ses capacités supposées par le niveau de son capital scolaire. Le temps de travail des cadres politiques
est très élevé en général. Plus la fonction de l’homme politique gagne en importance, plus le temps qu’il
y consacre s’allonge. La majorité des hommes et des femmes politiques ne sortent de la vie politique
qu’en raison de la maladie, de la vieillesse ou de la mort. Dès lors qu’il y a professionnalisation, il y a
vécu en commun et acquisition d’une expérience qui distinguent les hommes et les femmes politiques
des autres acteurs de la vie politique. Il y a par conséquent, comme dans toute situation professionnelle,
création d’un milieu ; ce qu’on appelle parfois le monde politique ou la classe politique723.

B.9.4 Recul de l’adhésion partisane et nouveaux espaces d’interférence politique

Il convient de souligner que les formations politiques sont confrontées à un fort recul de l’adhésion.
Plusieurs raisons ont été invoquées à cette fin. Parmi les raisons évoquées par Pascal DELWIT figurent
l’affaissement des idéologies structurantes et mobilisatrices comme la démocratie chrétienne, le
socialisme, le communisme, le libéralisme…qui ont perdu de leur valeur d’ordonnancement des
comportements ; l’érosion de l’importance partisane dans la gestion des affaires et de la représentation

721 P. DELWIT, op.cit., p. 340.


722 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 369.
723 P. DELWIT, op.cit., pp. 340-341.

162
(les partis ont perdu tout à la fois le monopole de la représentation mais aussi leur capacité d’influer de
manière massive ou substantielle sur le cours des événements) 724. Il convient de noter aussi que la
professionnalisation partisane avec l’avènement de partis électoraux professionnels centrés sur les
campagnes électorales et la communication des leaders, au sein desquels les conseillers en
communication (spin doctors) jouent un rôle clef et supplantent les instances officielles des partis. Leur
fonctionnement est également marqué par l’importance du recours aux sondages et une organisation
managériale tournée vers la recherche de financements725.

B.9.5 Critiques à l’égard des partis politiques

Les partis politiques ont été la cible de certaines critiques. Il leur est reproché entre autres, la tentation
oligarchique à l’œuvre dans de nombreuses structures au fur et à mesure de leur professionnalisation ;
la dépossession de la voix populaire par l’instauration d’un monopole de la parole au profit des
professionnels de la politique. Il en résulte un certain affaiblissement ou de-légitimation des partis se
traduisant aussi par un déclin militant et leur perte de cohérence idéologique. On assiste de ce fait à la
création de mouvements politiques se définissant comme « citoyens » et anti ou non-partis dont ils
cherchent à se démarquer par un fonctionnement horizontal, l’appui sur le militantisme numérique,
l’ouverture à la société civile et le refus des héritages idéologiques. On peut citer le mouvement
« Podemos » en Espagne, « 5 étoiles » en Italie, « La France Insoumise » et « La République en
Marche » en France726. Il est encore reproché aux partis politiques d’être le ferment de la désunion de
la nation et la source de la corruption de la politique. Les partis incarneraient de fait le signe de la
division. Ils ont été ceux qui ont le plus donné à voir la divergence des intérêts entre groupes sociaux et
la diversité des opinions. La multiplication des primaires, le succès des candidatures en dehors des partis
politiques traditionnels ou même ouvertement populistes, l’échec des partis à faire prévaloir leurs choix
dans les référendums qu’ils organisent en sont autant d’exemples727.
B.10. L’opposition politique
L’opposition constitue une composante de la démocratie représentative. Bien que son siège normal se
situe au sein des parlements, l’opposition peut se manifester et évoluer en dehors des enceintes
parlementaires. Elle fait de plus en plus objet de reconnaissance formelle ou informelle.

a) Définition « institutionnalisée » de l’opposition

Les différentes lois régissant le statut de l’opposition proposent une définition (restreinte) de
l’opposition. A titre illustratif, l’article 2 de la loi congolaise (RDC) sur le statut de l’opposition politique
définit celle-ci comme « le regroupement des partis politiques qui ne participent pas à l’Exécutif et/ou
ne soutiennent pas son programme d’action aux niveaux national, provincial, urbain, municipal ou local.
L’opposition politique est parlementaire ou extraparlementaire selon qu’elle exerce au sein ou en dehors
d’une Assemblée délibérante »728. L’article 2 de la Loi malienne n° 2015-007/ du 4 mars 2015 portant
statut de l’opposition est plus concis et entend par opposition politique « tout parti politique ou
groupement de partis politiques qui ne participe pas au gouvernement ou ne soutient pas l’action
gouvernementale… »729. Dans l’énumération des droits et obligations, des privilèges, parfois figés dans

724 P. DELWIT, op.cit., pp.342-344.


725 X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 171.
726 X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p.. 171.

727 E. van HAUTE et N. SAUGER, « Partis politiques et systèmes partisans », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique,

3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll. Paradigme, 2019, pp. 47-76, spéc. à la p. 48.
Loi n°07/008 du 04 décembre 2007 portant Statut de l’Opposition. JORDC, n° spécial, 48ème année, Kinshasa, 10 décembre 2007.
728

Tout parti politique appartenant à l’opposition politique peut soutenir l’action gouvernementale ou participer au gouvernement.
729

Toutefois, il perd d’office cette qualité de parti politique de l’opposition et doit faire une déclaration publique (art.6 de la loi précitée).

163
les textes et sans application, sont reconnus au leader de l’opposition, appelé parfois chef de file ou
porte-parole de l’opposition730. En Grande- Bretagne le Chef de l’opposition bénéficie d’un statut
spécifique. Sa rémunération émarge au budget depuis 1937. A la Chambre des Communes il siège en
face du Premier ministre pour les questions intéressant la Défense, les Affaires étrangères, et le
Commonwealth. Il préside un cabinet fantôme appelé Shadow cabinet, toujours prêt à succéder au
gouvernement en place731.

b) Définitions « politistes » de l’opposition

L’opposition est avant tout un fait social s’intégrant dans la lutte pour l’exercice du pouvoir. Elle
procède d’une compétition et de rapports de forces entre les acteurs politiques. Sous cet angle
« sociologique » et « politique », la définition de l’opposition ne peut s’épuiser dans celle proposée par
le législateur car elle est restreinte et utilisée pour le besoin de la loi organisant son statut. C’est pourquoi
une définition de l’opposition s’émancipant de ce cadre normatif est nécessaire pour compléter celle
énoncée par le constituant ou le législateur.
L’opposition, dans les régimes démocratiques, désigne les « partis ou les groupements politiques qui
sont en désaccord avec le gouvernement ou le régime politique. Elle se manifeste sur trois plans
différents : l’opposition au régime, l’opposition à l’ensemble des forces politiques se partageant
habituellement le pouvoir (opposition hors système) et l’opposition au sens traditionnel qui est
l’opposition sur les plans électoral et parlementaire au pouvoir en place »732..
L’opposition est avant tout une notion relevant de la science politique. Le Lexique de cette discipline
entend par opposition des formations politiques et parlementaires qui ne se reconnaissent pas dans les
titulaires du pouvoir ni ne soutiennent les politiques qu’ils mènent. L’opposition est donc avant tout une
notion politique, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. Il est malaisé de définir juridiquement
l’opposition dans la mesure où toute définition a priori peut figer les acteurs au-delà de ce qui est
souhaitable, voire acceptable. Les systèmes clairement fondés sur le bipartisme facilitent l’identification
d’une opposition et de son chef, auxquels sont attribuées des garanties, comme au Royaume-Uni, en
Allemagne ou en Espagne par exemple. Au contraire, dans les systèmes caractérisés par le
multipartisme, il n’ y a pas une opposition, mais plusieurs, qui n’acceptent pas qu’un seul chef733.

730 Au Royaume-Uni l’opposition bénéficie de beaucoup de prérogatives. A titre illustratif, le leader du principal parti de l’opposition
est légitimé à constituer une forme de contre gouvernement, parallèle ou gouvernement dans l’ombre (Shadow Cabinet). Il perçoit
une rémunération à ce titre. Il doit être consulté, dans certaines circonstances, aussi bien par la Reine que par le Premier ministre.
731 J. MEKHANTAR, Introduction au Droit public. Principes constitutionnels, Paris, Editions ESKA, 2019, p. 213.
732 G. NAHM-TCHOUGLI, « Le juge constitutionnel face aux conflits politiques en Afrique noire francophone », Revue juridique

et politique, 2012, n° 2, pp. 217-259, spéc. à la p. 227.


733 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 421 et s.

164
CHAP.VI : L’ACTION COLLECTIVE (FORMES DE PARTICIPATION POLITIQUE
NON CONVENTIONNELLES)

1. Notions préliminaires
La participation électorale et la participation partisane n’épuisent pas les formes de participation
politique. Si elles sont institutionnelles, d’autres formes de participation sont informelles et plus
nombreuses allant des actions promues par certains groupes jusqu’à celles des mouvements sociaux. Il
est question dans ce chapitre d’étudier les formes non conventionnelles ou institutionnelles de
participation politique avec un regard particulier sur les groupes d’intérêt et/ou groupes de pression et
de nouveaux mouvements sociaux ou procédant de ce que l’on peut appeler les mouvements citoyens
ayant comme vecteurs les réseaux sociaux. Pour certains auteurs les formes de participation politique
non conventionnelle peuvent se présenter sous la forme d’actions collectives, de mouvements sociaux,
de protestation et sont regroupés sous le chapeau des mobilisations734.

Christophe TRAINI renseigne qu’étudier les mobilisations revient à s’intéresser à des conduites sociales
présentant trois caractéristiques complémentaires : conduites collectives (impliquant une multitude
d’individus) ; une orientation vers le changement social (les mobilisations témoignent généralement de
l’existence d’une insatisfaction face à l’ordre présent du monde et d’une volonté de le modifier. Enfin
ces conduites se distinguent par leur dimension conflictuelle. Les mobilisations impliquent une relation
d’opposition, d’antagonisme et de confrontation avec un adversaire plus ou moins clairement
identifié735.

L’action collective renvoie à un processus de mobilisation collective, plus ou moins coordonné, ayant
pour objet la défense des intérêts symboliques ou matériels d’un groupe. Le terme d’action collective
peut désigner aussi bien les actions de protestation, des mouvements sociaux736. La mobilisation des
foules est le fait d’une forme de contagion des émotions qui touche les individus réunis en grand nombre.
Le leader y occupe une place de choix737. Avoir du leadership, c’est guider les autres. De ce mot vient
l’idée de guide, en anglais leader, une personne donnant à celles qui lui font confiance des arguments
pour les orienter dans l’univers complexe des mesures publiques. En science politique, on lui a
longtemps préféré le terme de charisme. Celui-ci insiste davantage sur les attentes des gens qui se
laissent séduire par une personnalité, attentes qu’ils projettent sur elle sans égard pour ses capacités à
les satisfaire738.

L’action collective peut être la résultante de certaines frustrations. Celles-ci ont intéressé les travaux
des sociologues. A titre indicatif, la frustration relative renvoie « au décalage entre des aspirations
sociales et les réponses effectives qui peuvent être apportées à ces aspirations. Ce décalage renforce les
frustrations sociales et, pour cette raison, apparaît susceptible de provoquer l’action collective, voire la
révolution, même quand les individus ne sont pas les plus pauvres d’une société739.

734 Ch. TRAINI, « Les mobilisations » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll.
Paradigme, 2019, pp. 31-46.
735 Ch. TRAINI, art.cit., p. 33.
736 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 3.
737 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, p. 244.


738 Y SCHEMEIL, op.cit., p. 466.

739 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 260

165
La réussite de l’organisation de l’action collective dépend de la capacité d’entrepreneurs à investir des
ressources utiles à la mobilisation et sur les structures plus ou moins professionnalisées des
organisations directrices740.

Pour Pascal DELWIT, la principale forme de participation politique extra-institutionnelle reste la


participation aux différents types de mouvements sociaux. Il entend par mouvement social « une forme
d’action collective, c’est-à-dire une action menée par plusieurs individus en même temps, de façon
concertée et intentionnelle. Celle-ci se traduit régulièrement par le travail dans des groupes et des
organisations de la société civile. Les groupes agissant dans la société n’ont pas vocation à participer au
pouvoir. Leurs objectifs sont autres : obtenir des pouvoirs publics les décisions de toute nature que les
groupes de pression estiment conformes à leurs intérêts, et empêcher l’adoption de celles qui leur
seraient contraires. Les organisations sociales peuvent avoir vocation à défendre des intérêts très larges
mais parfois aussi très spécifiques.

A la différence des partis politiques, la finalité des actions de ces acteurs vise à influencer les choix
publics dans l’optique favorable à leurs attentes. Ces acteurs peuvent être regroupés sous le
dénominateur commun de « groupe d’intérêt » et/ou groupe de pression constituant les acteurs
classiques ou traditionnels des formes non conventionnelles de participation politique. La diffusion de
l’internet, des réseaux sociaux ainsi que de leurs implications ont favorisé l’éclosion de nouvelles
formes de participation politique de la démocratie numérique (nouveaux mouvements sociaux). L’un
des leviers sur lesquels s’appuient les groupes et mouvements sociaux réside dans la mobilisation. Celle-
ci est une action collective plus ou moins durable visant la défense d’une cause, la promotion d’intérêts
matériels et/ou symboliques, ou la réalisation de buts partagés (ex. une grève, une campagne
internationale de défense des droits de l’homme)741. L’action collective peut présenter différentes
formes : groupes d’intérêt et/ou de pression, mouvements sociaux

2. Les groupes d’intérêt


Les groupes d’intérêt peuvent être définis comme « des organisations collectives défendant des groupes
(on parle alors de groupes d’intérêt exclusifs ou catégoriels) ou des principes (les groupes d’intérêt
inclusifs ou de conviction) en intervenant auprès des acteurs politiques et des autorités publiques
(directement ou indirectement). Les groupes d’intérêt ne sont pas directement engagés dans la
compétition pour le pouvoir et dans l’exercice de celui-ci mais l’influencent (par une participation
indirecte et des liens étroits avec des partis politiques)»742. Pour le Lexique de science politique, par
groupes d’intérêt il faudrait entendre des « Ensembles d’acteurs plus ou moins organisés cherchant à
défendre et promouvoir les intérêts particuliers d’un groupe ou d’un secteur d’activités, en influençant
notamment les pouvoirs publics (influence sur les programmes politiques et les politiques publiques) et
les médias (influence sur l’opinion publique). Leur taille, leur statut juridique, leur objet et leur
dénomination varient. Ils peuvent se présenter sous la forme de syndicats et d’organisations
professionnelles, d’associations laïques, d’organisations religieuses, de syndicats étudiants etc. Leurs
responsables se présentent souvent comme les responsables de la société civile plutôt que comme des
porte-parole d’intérêts catégoriels. Ils jouent un rôle essentiel dans la représentation de la cause et des
intérêts défendus. Ils se distinguent de partis politiques car ils défendent des intérêts plus spécifiques.
Ils ne participent pas directement à la compétition électorale, mais interviennent de façon variée dans la
vie politique (protestation, lobbying, production d’expertise, recours aux médias, participation
institutionnalisée à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques. La notion de groupe

740 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 262.


741 O. NAY (dir.), op.cit., p. 372.
742 X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,

Armand Colin, 2018, p.. 171.

166
d’intérêt est proche de celle de groupe de pression. Toutefois, les groupes d’intérêt ne sont pas
systématiquement orientés vers des actions en direction des pouvoirs publics743.

Les modes d’action des groupes d’intérêt sont variés et diversifiés, y compris leur mode d’expression.
Certains modes d’action sont directs alors que d’autres sont indirects. Les premiers visent à peser
directement sur les autorités publiques et s’inscrivent dans le cadre d’une interaction étroite avec des
acteurs politiques alors que les seconds sont destinés prioritairement à une opinion publique élargie
susceptible de peser sur les autorités publiques. Il est également possible de distinguer les modes
d’action qui s’inscrivent dans des stratégies d’influence (le plus souvent en passant par l’opinion
publique devenue cible du mouvement) et ceux qui s’inscrivent dans des stratégies de contestation (en
confrontation directe avec le pouvoir.

Le recours du mode d’action peut être apprécié au cas par cas ou encore le groupe d’intérêt peut intégrer
différents modes d’action. Certains auteurs constatent que depuis les années 1970 l’on assiste à une
professionnalisation et à une sophistication des modes d’action ainsi qu’au développement du recours à
d’autres modes d’action : l’action juridique et l’action contestataire en particulier. Il en découle une
diversification tant des modes d’action que des cibles d’action des groupes d’intérêt. Ils ont, à titre
illustratif, développé les actions de suivi et de veille de l’action des gouvernants et des autres autorités
publiques (monitoring), qui suppose des ressources d’expertise et matérielles, le financement des
campagnes électorales, la mobilisation à la base, l’action juridique et le recours aux médias 744. Les
manifestations de rue, la pétition, des dispositifs de sensibilisation visant à susciter des réactions
affectives qui prédisposent ceux qui les éprouvent à soutenir la cause défendue. Le caractère équivoque
des émotions sollicitées, permet d’interpeller et de rallier de larges publics de soutiens hétérogènes745.
C’est dire que le répertoire contemporain de l’action collective est infini et en constante recréation :
blocages de routes, grèves de la faim, sit-in, défilés, pages publicitaires achetées dans la presse ;
campagnes d’affichage ; appels à un cabinet de consultants (lobbying) ou encore colloques ; états
généraux ; entrevues discrètes professionnelles ou communiqués à presse746.
L’action collective s’exerce principalement par le biais des groupes d’intérêt et des groupes de pression.

3. Groupes de pression
Le terme « groupe de pression » s’applique à une catégorie d’organisations très large et très floue. Leur
trait commun, c’est qu’elles participent au combat politique de façon indirecte. Ils agissent sur le
pouvoir, tout en lui demeurant extérieur. Les groupes de pression cherchent à influencer les hommes au
pouvoir, mais non pas à mettre au pouvoir leurs hommes747. Le Professeur Adrien MULUMBATI
NGASHA définit un groupe de pression comme « une organisation qui, sur base de certaines affinités
ou solidarités, regroupe des individus qui, sans chercher à conquérir ni à exercer le pouvoir politique,
font pression sur les gouvernants pour les infléchir dans un sens plutôt que dans un autre, c’est-à-dire
pour les amener à agir dans un sens plutôt que dans un autre »748. Pour sa part, Michel Offerlé définit
les groupes de pression comme « des organisations politiques dont le but, la fonction, ne sont pas
orientés vers la prise et l’exercice du pouvoir (comme les partis politiques), mais vers la pression sur
les autorités politiques aux fins de faire reconnaître et prendre en compte leurs revendications »749. La
743 O. NAY (dir.), op.cit., p. 273.
744 X. CRETTIEZ, J. de MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 178-179.
745 Ch. TRAINI, « Les mobilisations » in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3è éd., Bruxelles, Bruylant, Coll.

Paradigme, 2019, pp. 31-46, spéc. à la p. 41.


746 M. OFFERLE, « Les groupes d’intérêt », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions

sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 195-204, spéc. à la p. 199.


747 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 201.
748 A. MULUMBATI NGASHA, Introduction à la science politique, op.cit., p. 181.

749M. OFFERLE, « Les groupes d’intérêt », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions
sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 195-204, spéc. à la p. 195 et s.

167
plupart des groupes de pression sont des organisations non-politiques dont l’essentiel de l’activité n’est
pas l’influence sur le pouvoir. Maurice DUVERGER distingue à ce propos deux catégories de groupes
de pression : les groupes exclusifs d’une part et les groupes partiels d’autre part. Un groupe de pression
est exclusif s’il s’occupe uniquement d’agir dans le domaine politique, d’intervenir auprès des pouvoirs
publics. Au contraire il est partiel si la pression politique n’est qu’une partie de son activité, s’il a
d’autres raisons d’être et d’autres moyens d’action. Dans cette optique, toute association, tout syndicat,
toute corporation peut être amené à utiliser la pression politique à un certain moment de son activité750.
Du point de vue de leur structure, il distingue, comme pour les partis politiques, les groupes de masse
et les groupes de cadres. Illustrent la première catégorie les syndicats ouvriers, les organisations
paysannes, les mouvements de jeunesse, etc. Les groupes de cadres s’adressent à des catégories sociales
peu nombreuses, mais influentes. C’est le cas des organisations corporatives de l’industrie, les
associations de hauts fonctionnaires, etc751.

4. Rapprochement entre groupes de pression et groupes d’intérêt


Le Lexique de science politique accorde deux entrées : l’une au groupe d’intérêt et l’autre au groupe de
pression. Les considérations développées autour de ces deux groupes sont tellement proches que la ligne
de démarcation n’est pas étanche. Pour le Lexique précité, les groupes de pression renvoient aux
« Organisations de statuts et de tailles très variés dont l’objectif est d’influer sur les décisions politiques
afin de protéger, faire reconnaître ou promouvoir des intérêts particuliers.

Ils se distinguent des partis politiques dans la mesure où ils ne participent pas directement à la
compétition électorale. Ils se distinguent également des syndicats, car ils n’ont pas de représentation
élective dans les entreprises. Ils peuvent prendre des formes diverses : groupes d’intérêt, organisations
religieuses, associations, ligues, fondations, think thanks. Certains groupes de pression interviennent de
façon réactive, en se mobilisant pour faire obstacle à des réformes qui pourraient leur porter tort.
D’autres agissent de manière proactive, en utilisant les réseaux dont ils disposent auprès des lieux de
pouvoir. Ils peuvent chercher à peser directement sur les décisions des dirigeants en poste. Ils peuvent
aussi intervenir de manière indirecte, en s’adressant aux partis politiques et en les finançant quand la
réglementation de la vie politique le permet752. Les groupes de pression sont eux-mêmes subdivisés en
deux sous-groupes : les uns défendant des intérêts professionnels et les autres des causes (à titre
illustratif la défense des droits de l’homme). Dans ce dernier cas, si les objectifs sont réalisés, ils ne
bénéficieront pas aux seuls promoteurs, aux seuls entrepreneurs de leur défense. Ils sont alors appelés
Groupes d’intérêt publics (public interest groups)753. En stylisant les modes d’action, Michel Offerlé
distingue les groupes de pression selon qu’ils ont la possibilité de mobiliser des ressources économiques,
des ressources numériques (appel au nombre), des ressources intellectuelles (recours à la légitimité
scientifique, à l’expertise), des ressources médiatiques (stratégie de scandalisation fondée sur l’appel à
l’émotion754. Jean MEYNAUD rapproche les groupes d’intérêt de groupes de pression. Les groupes
d’intérêt peuvent se transformer en organismes de pression à partir du moment où les responsables
utilisent leurs actions sur l’appareil gouvernemental pour faire triompher leurs aspirations ou
revendications. Un syndicat de producteurs se comporte en groupe d’intérêt s’il institue ou surveille par
ses propres moyens la répartition de la clientèle entre ses membres ; il devient groupe de pression s’il
tente d’obtenir des pouvoirs publics un texte réglementant l’entrée de nouveaux éléments dans le
domaine755.

750 M. DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 202.


751 M. DUVERGER, op.cit., p. 203 et s.
752 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 274.
753 M. OFFERLE, « Les groupes d’intérêt », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques, Paris, Editions

sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 195-204, spéc. à la p. 196.


754 M. OFFERLE, « Les groupes d’intérêt », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), op.cit., p. 200.
755 J. MEYNAUD, Les groupes de pression, Paris, PUF, 1965, p. 5 cité par A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p.181.

168
CHAPITRE VII : LES IDEOLOGIES POLITIQUES

1. Définition de l’idéologie politique


Selon LYMAN TOWER SARGENT, une idéologie est « un système de valeurs ou de pensée accepté
comme un fait établi ou comme une vérité par un groupe donné. Elle est formée d’un certain nombre
d’attitudes face aux diverses institutions et aux divers phénomènes de la société. Elle offre à ses adeptes
une image du monde à la fois tel qu’il est et tel qu’il devrait être et, ce faisant, elle ordonne l’univers, si
complexe pourtant, en un ensemble relativement simple et intelligible756. Les idéologies sont des
convictions ordonnées ou structurées. Le degré d’organisation et la simplicité de l’image qui en résulte
varient considérablement d’une idéologie à l’autre, et la complexité croissante du monde tend à brouiller
les images. En même temps, le schéma de base de chaque idéologie reste relativement stable757.

Le Lexique de science politique propose quatre entrées de l’idéologie, une notion polysémique et qui
n’a pas eu au cours de l’histoire une définition tranchée. Forgée à la fin du XVIII è siècle pour désigner
la science des idées, l’ambition de l’idéologie était de procéder à une analyse rationnelle des formes de
pensée et ainsi défaire tous les mythes et les fausses opinions héritées de la pensée métaphysique
traditionnelle. Pour Marx, l’idéologie n’est ni neutre ni objective : elle est un corpus d’idées fausses
servant les intérêts d’une classe sociale. Elle reflète l’état des rapports de force dans la société. Les
sciences sociales définissent le plus souvent les idéologies comme des systèmes cohérents et organisés
d’idées, d’opinions et de croyances permettant de produire une représentation et une explication du
monde. Les idéologies, en ce sens, ne sont pas des systèmes neutres : elles sont bien des systèmes
d’interprétation orientés de la société, associées à des valeurs et à des fins politiques, sociales,
économiques ou religieuses. Elles s’inscrivent dans les relations de pouvoir : elles permettent de servir
une domination établie et la consolidation d’un ordre d’un ordre politique ou au contraire de contester
une situation politique considérée comme légitime Dans le langage courant, les usages contemporains
du terme continuent de varier. Tantôt l’idéologie désigne un socle d’idées partagées de manière diffuse
dans la société (ex. le libéralisme, l’individualisme, la pensée des droits de l’homme) tantôt elle désigne
une doctrine ou une théorie particulière, formulée par une personnalité politique, un parti ou un groupe
social et destinée clairement à servir des intérêts politiques (ex. le nazisme, le marxisme-léninisme, le
néolibéralisme, le maoïsme, la salazarisme, le socialisme libéral)758.

L’idéologie est un système d’idées sur ce que devrait être le monde pour être vivable (ce sont des
croyances normatives et subjectives). C’est donc un savoir systématique, organisé, cohérent, fait de
principes philosophiques et éthiques que l’on voudrait voir appliquer le plus vite et du mieux possible,
chez soi et même ailleurs. C’est aussi un ensemble d’idées systématiques, qui se renforcent
mutuellement et ne dissocient pas facilement les unes des autres. L’idéologie ayant vocation à être
diffusée, l’idéologue est toujours prosélyte. Il cherche à convaincre les autres, à les rallier à son discours
en utilisant la force morale des valeurs auxquelles il croit. Mais l’idéologie, c’est aussi un ensemble de
perceptions hétéroclites sur les épisodes édifiants du passé dont on est fier, dont les héros sont des
modèles à imiter et que l’on célèbre à toute occasion. Enfin l’idéologie est un langage qui donne un sens
à la vie et à la politique759. Dans la définition qu’en donnent Daniel et Ian Parenteau, l’idéologie revêt
deux caractéristiques fondamentales, une conception du monde et un appel à agir sur celui-ci : « Dans
sa formule la plus simple, l’idéologie se définit comme une conception du monde et un programme
politique. L’idéologie porte toujours en elle ces deux dimensions inséparables. D’abord, en tant que

756 LYMAN TOWER SARGENT, Les idéologies politiques contemporaines, 7è éd., Nouveaux horizons, Paris, Economica, 1987, p. 2

et s.
757 LYMAN TOWER SARGENT, op.cit., p. 3.
758 O. NAY, op.cit., pp. 288-289.
759 Y. SCHEMEIL, op.cit., p. 481.

169
conception du monde, elle offre une manière de comprendre le monde en lui conférant un sens. Elle
prétend apporter une explication de ce qui est, de ce qui s’offre à voir et cela, en vue de mettre à jour sa
signification. Ensuite, dans la mesure où elle est un programme politique, toute idéologie porte toujours
déjà en elle, un appel à agir sur le monde »760. Les idéologies trouvent leur origine en Europe à la fin
du Moyen Age, à la Renaissance (XVI-XVII è siècles) lorsque les sociétés s’émancipent
progressivement d’un monde jusqu’alors fortement imprégné de référence à Dieu. La redécouverte, la
lecture et l’exégèse des textes philosophiques de l’Antiquité, l’essor de la science et surtout l’influence
des philosophes ont fait progressivement basculer les sociétés européennes vers une conception de la
nature et de l’univers où l’homme sera amené à jouer un rôle de plus en plus central761.

Dans son ouvrage précité, Pascal DELWIT consacre le chapitre VII aux idéologies, clivages et familles
politiques analysant tour à tour la pensée et la famille libérales, la pensée et la famille conservatrices, la
pensée et la famille démocrates chrétiennes, la pensée et la famille anarchistes, la pensée et la famille
socialistes (y compris la naissance du réformisme), la pensée et la famille communistes, la pensée et la
famille de l’écologie politique, la pensée et la famille de défense de la périphérie, la pensée et la famille
d’extrême droite762. LYMAN TOWER SARGENT analyse les différentes idéologies comme le
nationalisme, la démocratie, le capitalisme, le socialisme, le conservatisme, le libéralisme, le
communisme, le fascisme et le national-socialisme, l’anarchisme, les idéologies du Tiers Monde (le
non-alignement, les mouvements de libération nationale, le socialisme développementaliste, le
communisme dans le Tiers Monde, le capitalisme dans le Tiers Monde), le féminisme. Xavier
CRETTIEZ, Jacques De MAILLARD et Patrick HASSENTEUFEL analysent les idéologies politiques
dans une optique dialectique en distinguant notamment les idéologies de la modernité et celles qui lui
sont opposées dans une perspective historique et évolutive. Etant donné l’abondance des idéologies
politiques retenues par les auteurs précités, nous retenons comme canevas les idéologies politiques
proposées par l’œuvre commune de ces trois auteurs qui sera intégrée par des considérations y relatives
développées par d’autres auteurs notamment Pascal DELWIT, Adrien MULUMBATI NGASHA et
LYMAN TOWER SARGENT.

2. Les idéologies de la modernité


Par modernité, on désigne ici la recomposition générale qui affecte la pensée en occident entre les XV
è et XVIII è siècles, dynamique marquée par le déclin de l’influence de la métaphysique religieuse,
l’affirmation de la conception moderne de l’individu comme sujet et de la raison. Deux grands
ensembles idéologiques, le libéralisme et le socialisme, vont progressivement dominer le débat
politique, opposition qui trouvera son expression la plus aigüe dans la seconde moitié du XIX è siècle.
Il faut dire que le socialisme se construit très largement en réaction aux effets sociaux du capitalisme
industriel, dont le libéralisme (économique) constitue le socle.

A. Les libéralismes (pensée et famille libérales)


Historiquement la pensée libérale et les organisations qui s’en réclament ont défendu le
parlementarisme, le constitutionnalisme et la séparation des pouvoirs. A ce titre ils sont porteurs de la
modernité politique. Politiquement et philosophiquement, le pouvoir doit fonctionner sur la base d’une
séparation des pouvoirs dans la société763. Avant de devenir l’une des idéologies soutenant les
démocraties contemporaines, le libéralisme est d’abord une idéologie minoritaire et d’opposition. Il naît
vers la fin du XVII è siècle puisant très largement dans la pensée anti-absolutiste attachée à défendre

760 D. PARENTEAU, I. PARENTEAU, Les idéologies politiques. Le clivage gauche-droite, Québec, Les Universités du Québec,
2008, p. 9 cité par P. DELWIT, op.cit., p. 291.
761 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, p. 194.
762 P. DELWIT, op.cit.,pp. 291-332.
763 P. DELWIT, op.cit., p. 291.

170
l’individu face à l’Etat. Les auteurs qui s’en réclament ne se désignent pas comme tels puisque la notion
de « libéralisme » fut inventée au XIX è siècle. Le libéralisme désigne moins un ensemble idéologique
unifié qu’une sensibilité politique enrichie par des influences multiples. Malgré leur diversité, les
penseurs libéraux s’accordent sur une idée fondamentale : la liberté des individus doit être valorisée et
protégée contre les intrusions nées des exigences de la vie collective et de la concentration du pouvoir
politique dans les mains de l’Etat. C’est la question qui est au cœur des réflexions des premiers penseurs
libéraux, à l’instar de John Locke et de Charles de Montesquieu : protéger les libertés contre le pouvoir
arbitraire du roi.

Selon Olivier NAY, cinq grands principes en découlent :


- Le refus de l’absolutisme qui est un empiètement sur les droits des individus ;
- La défense de la liberté (droits à la sécurité, à la propriété, à la liberté religieuse, étendus
avec la Révolution française aux droits civiques ;
- Le pluralisme politique avec la création de corps intermédiaires et de contre-pouvoirs ;
- La souveraineté du peuple (entendue comme opposition à la souveraineté de droit divin
plus que souveraineté démocratique,
- La défense du gouvernement représentatif comme mode d’exercice modéré du pouvoir.
Dans l’économie libérale, le système économique est fondé sur les équilibres naturels qui naissent des
rencontres entre les agents libres et rationnels sur le marché. Trois principes sont ici centraux :
- La concurrence permet au mécanisme des prix de jouer un rôle de régulateur (mécanisme
automatique et impersonnel qui vaut mieux que la loi des hommes, susceptibles, eux, de se
tromper ;
- La poursuite de l’intérêt individuel concourt à l’intérêt général, ce que l’idée de « main
invisible » d’Adam Smith indique bien : Tout en ne cherchant que son intérêt personnel,
l’individu travaille souvent pour l’intérêt de la société ;
- L’Etat ne doit jouer qu’un rôle minimal (Etat gendarme ou veilleur de nuit parce que ses
interventions menacent les équilibres qui naissent des échanges libres entre les autres.
Ces principes vont constituer la base du capitalisme industriel du XIX è siècle dont les conséquences
économiques et sociales vont favoriser la genèse des idées socialistes et plus largement d’idéologies
révolutionnaires remettant en cause la propriété privée764.

B. La pensée et la famille anarchistes


L’anarchisme est une pensée politique qui voit le jour à la fin du XVIII è siècle mais dont le plein
déploiement intellectuel et politique s’opère au XIX è siècle avant de perdre en influence. Le point
commun de toute pensée et sensibilité anarchiste est un rejet radical de l’autorité politique et par-dessus
tout, de l’organisation politique souveraine par excellence de la modernité occidentale, l’Etat. D’un
point de vue idéologique, l’anarchie se fonde sur le rejet de tout rapport d’autorité, de toutes les formes
de pouvoir et donc de tout pouvoir politique. Dans ce cadre, l’Etat, forme moderne du pouvoir politique,
est une institution répudiée par les penseurs anarchistes. Dans la phase contemporaine, s’est développé
à droite un courant libertarien qualifié d’anarcho-capitaliste. Dans son expression la plus radicale, ce
courant considère que toute mission de l’Etat peut être prise en charge par un acteur privé.
L’autorégulation y est partout765.

764 Pour une histoire du libéralisme dans ses différentes déclinaisons politique, économique, voy. M. FLAMANT, Histoire du
libéralisme, Paris, PUF, Que sais-je, 1991.
765 P. DELWIT, op.cit., p.p.305-310.

171
C. Les socialismes (La pensée et la famille socialistes)
Le socialisme recouvre l’ensemble des idéologies et mouvements politiques rassemblés autour de la
contestation des effets sociaux du capitalisme et en appelant à un nouvel ordre économique, social et
politique fondé sur le partage des richesses et l’abolition de la propriété privée. Les différents
mouvements socialistes qui émergent au cours du XIX è siècle sont animés par la question de la justice
sociale dans des sociétés dominées par le capitalisme industriel, et dénoncent tant l’égoïsme de la société
bourgeoise que les inégalités et la pauvreté. Les thèses marxistes vont contribuer à légitimer
scientifiquement les idéaux socialistes et, surtout à leur donner une solide ossature intellectuelle.
La doctrine élaborée par Karl Marx et aidé par Friedrich Engels à partir de 1848 (date de la parution du
Manifeste du Parti communiste), repose sur un certain nombre de postulats et d’idées, entre autres :
- Les forces économiques sont le moteur de l’histoire, elles constituent l’infrastructure de la
dynamique historique ;
- Les transformations historiques reposent sur des luttes entre classes sociales, l’opposition
entre classes bourgeoise et prolétaire étant au cœur du capitalisme ;
- Dans une société capitaliste, la classe bourgeoise, qui détient le capital, confisque une
partie de la richesse, tandis que les ouvriers sont exploités ;
- Le prolétariat est au centre du projet révolutionnaire : par sa mobilisation il doit permettre
de briser le système capitaliste ;
- La destruction du capitalisme entraînera la collectivisation des moyens de production, la
distribution égalitaire des richesses et le dépérissement de l’Etat766.
Le socialisme va progressivement donner lieu à plusieurs conceptions, notamment l’articulation entre
partis et syndicat (et le rôle primordial donné à l’un par rapport à l’autre) ; la stratégie politique
privilégiant révolution ou réforme (et séparant les marxistes orthodoxes et les réformateurs
révisionnistes ou gradualistes ou encore le débat entre patriotisme et internationalisme767. La famille
socialiste/sociale-démocrate est la famille qui incarne le plus l’Etat social. Dans les matières publiques,
la période qui va de 1945 à 1975 est souvent présentée comme l’âge d’or de l’action socialiste. Le
retournement économique et social des années soixante-dix et les mises en cause de l’Etat ont constitué
un défi majeur pour les partis socialistes et sociaux-démocrates768.

D. La pensée et la famille communistes


Le communisme, tel que la notion est utilisée en histoire, désigne principalement les expériences
politiques qui, au XX è siècle, ont suivi une voie marxiste-léniniste. Il apparaît comme une branche du
socialisme. Le communisme soviétique, en particulier, poursuit le dessein révolutionnaire de renverser
le système capitaliste, pilier de la domination bourgeoise. Grace à la collectivisation des moyens de
production, au contrôle des échanges par la planification et à l’intensification de la production, il entend
mettre fin à la lutte des classes et établir une société égalitaire, sans classe, où tous les besoins de tous
les travailleurs pourraient être satisfaits et dans laquelle l’Etat serait voué à disparaître. D’une manière
générale, les régimes qui se sont identifiés au communisme marxiste (URSS, Chine, Vietnam, Cuba,
pays de l’Est, Mozambique…), les divers mouvements et partis communistes d’Europe de l’Ouest ou
les guérillas marxistes dans le monde, ont porté des idées souvent éloignées de la théorie initiale de
Marx. Ces expériences ont peu de références communes, si ce n’est l’ambition révolutionnaire de lutter
contre les inégalités sociales, de rompre avec l’économie capitaliste et d’établir une société sans classe.
L’idéologie communiste s’est consolidée en URSS et dans les pays de l’Est au prix de graves atteintes
à la liberté et d’une croissance continue de l’Etat policier. Il a constitué le socle de l’expérience

766 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., pp. 299-301.


767 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p. 301.
768 P. DELWIT, op.cit., pp. 310-

172
totalitaire vécue sous le stalinisme. En URSS, il a conduit à la dictature, à des violences policières
permanentes. Dans de nombreux pays, il a justifié les pires atteintes aux droits fondamentaux769.

E. La pensée et la famille démocrates chrétiennes


La démocratie chrétienne est une famille de pensée et d’action qui s’est développée au XIX è siècle
dans les pays catholiques où les prérogatives et la pensée de l’Eglise catholique étaient défiées par les
acteurs libéraux d’abord, socialistes ensuite. Pour le Lexique de science politique, la démocratie
chrétienne renvoie à la « famille politique apparue au XIX è siècle qui a fondé initialement son
originalité et ses principes d’action sur la volonté de concilier l’engagement politique en faveur de la
démocratie pluraliste avec les préceptes de l’Eglise catholique. Son apparition résulte d’un long
processus de conversion des catholiques à la démocratie représentative, qui s’est produit dans plusieurs
pays européens au XIX è siècle et au début du XX è siècle770.

3. Les idéologies de refus de la modernité


Il s’agit d’une part du conservatisme et d’autre part du fascisme.

A. Le conservatisme (la pensée et la famille conservatrices)


La pensée et l’action conservatrices sont avant tout une réaction à la double modernité du XIX è siècle :
l’avènement du parlementarisme et de la révolution industrielle. Le conservatisme est un courant
idéologique tout autant qu’une doctrine constituée, assez hétérogène, mais qui puise son unité dans une
commune hostilité au libéralisme et au socialisme, les deux grands matérialismes du XX è siècle. Le
conservatisme naît avec la pensée contre- révolutionnaire, en réaction directe aux événements de 1789
et aux excès des républicains. Cette pensée s’oppose à la fois à la terreur révolutionnaire comme pratique
mais bien plus généralement à la pensée libérale que la République naissante fait advenir. Le
conservatisme critique l’ordre libéral fondé sur le rationalisme abstrait. En faisant triompher le règne de
la raison individuelle en lieu et place de la seule raison divine, les penseurs libéraux font preuve d’un
orgueil immodéré. La critique porte aussi sur le refus du modèle démocratique et du culte du partage
égalitaire du pouvoir ; l’individualisme est jugé destructeur des sociétés libérales771.

En résumé, le courant conservateur puise son unité dans l’idée que l’individu doit se soumettre à un
ordre (religieux, coutumier, traditionnel) qui le dépasse et ne doit pas chercher à s’en affranchir. Sous
cette étiquette, de nombreux mouvements très différents vont essaimer soit en renouant avec une forme
de libéralisme économique (le libéralisme conservateur anglo-saxon), soit en s’érigeant sur le lit
traditionnel (le légitimisme monarchique en France) ou du nationalisme réactionnaire.

B. Le fascisme
Selon le Lexique de science politique, le fascisme désigne l’expérience politique de l’Italie qui suit
l’accession au pouvoir de B. MUSSOLINI en 1922 jusqu’à sa mort en 1945. Sémantiquement, le terme
tire son origine des faisceaux de combat (Fasci di combattimento), mouvement créé par Mussolini en
1919, transformé en Parti nationaliste fasciste en 1921. Anti-libéral, anti-démocratique, anti-
communiste, s’appuyant sur ses milices et sa police, le régime fasciste postule le primat de l’action
politique, la subordination totale du citoyen à l’Etat, la symbiose du parti unique et de l’Etat et la
suprématie absolue du Duce772. Le modèle type du fascisme italien (entre 1921 et 1943) témoigne d’un

769 P. DELWIT, op.cit., pp. 95-96.


770 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4 è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 154.
771 P. DELWIT, Introduction à la science politique. Troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2018, pp. 295-297.


772 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 243.

173
mouvement plus sensoriel qu’intellectuel et dirigé avant tout vers l’action : c’est la dimension
institutionnelle du fascisme qui le définit avec son appareil policier surdimensionné, son parti unique,
son absorption de l’Etat au service de ses ambitions, une organisation corporative de l’économie, une
suppression des libertés syndicales, un impérialisme extérieur affiché. D’un point de vue culturel, le
fascisme repose peut-être sur trois idées/sentiments forts : un nationalisme organique absolu, une
idéologie de l’homme nouveau et une glorification de la violence773.

Le fascisme est un phénomène politique moderne, nationaliste et révoluiionnaire, antilibéral et


antimarxiste, organisé en parti-milice (partito milizia), avec une conception totalitaire de la politique et
de l'État, avec une idéologie activiste et antithéorique, avec des fondements mythiques, virilistes et
antihédonistes, sacralisée comme une religion laïque, qui affirme le primat absolu de la nation, entendue
comme une communauté organique ethniquement homogène, hiérarchiquement organisée en un État
corporatiste, avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance et de conquête,
visant à la création d'un ordre nouveau et d'une civilisation nouvelle. Les éléments constitutifs de cette
définition viennent avant tout de l'expérience historique du fascisme italien. Le phénomène fasciste est
entré pour la première fois dans l'histoire avec l'accession au pouvoir du parti fasciste, qui a donné vie
à un régime de parti unique, dominé par la figure du chef, visant à la réalisation d'une expérience
totalitaire définie suivant les principes, les valeurs, les mythes et les objectifs de sa culture politique. À
ce titre, le fascisme italien est devenu un modèle pour les autres mouvements nationalistes
révolutionnaires et antidémocratiques, à commencer par le national-socialisme, qui marchèrent sur ses
traces et utilisèrent son expérience de parti et de régime pour créer, chacun suivant ses particularités
nationalistes et idéologiques propres, un État nouveau, un ordre nouveau et un homme nouveau774.

4. D’autres idéologies politiques


Elles sont nombreuses. Certaines émergent à partir des années 1960. Nous pouvons citer la pensée et la
famille de la défense de la périphérie regroupant les partis et mouvements critiquant l’exercice du
pouvoir au centre et promouvant des principes d’autonomie, de fédéralisation ou de décentralisation.
Certains mouvements et partis autonomistes visent leur auto-détermination. La pensée et la famille de
l’écologie politique agrègent des partis et mouvements engagés dans la lutte pour la protection de
l’environnement. La grande majorité des partis verts voient le jour au cours de la décennie quatre-vingt.
Dans leur promotion d’une autre approche de la démocratie et de la politique, les partis verts prônent
une extension de l’expression de la société civile et se déclarent favorables à toutes les formes possibles
de décentralisation. Partisans d’une approche centrée à l’origine sur la défense de l’environnement et
l’appel à la participation citoyenne, les verts ont peu à peu embrassé d’autres thématiques, en particulier
les questions socio-économiques ou la défense des services publics en pleine vague néo-libérale. Cet
approfondissement programmatique intervient dans un contexte de développement. Plusieurs partis
verts décrochent des mandats dans les enceintes parlementaires nationales ou subnationales, et se
doivent donc de se positionner sur toutes les questions775.
Nous ne pouvons ni en dresser l’inventaire exhaustif, ni les analyser dans toutes leurs différentes
déclinaisons. D’autres idéologies ont été développées dans le cadre des relations internationales. C’est
le cas du non alignement de certains Etats africains, asiatiques et sud-américains par rapport au
capitalisme et au communisme. Depuis l’effondrement de l’empire soviétique et le renforcement du
capitalisme, le non-alignement a perdu une grande partie de sa raison d’être. D’autres idéologies se
fondent sur des discriminations entre les individus au regard de leur sexe (féminisme), race (racisme),
de leur appartenance à une tribu (tribalisme) ou de leur appartenance à une aire géographique bien

773 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 306-307.
774 E. GENTILE, Qu’est-ce que le fascisme. Histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2004, p. 17.
775 P. DELWIT, op.cit., pp. 322-326.

174
déterminée (régionalisme). D’autres idéologies s’inscrivent dans les valeurs ou l’exaltation de la nation
(nationalisme). Le nationalisme est une idéologie qui place la nation et l’imaginaire national au cœur
de l’explication et de l’interprétation du monde. Il est mobilisé par des mouvements politiques qui
exercent le pouvoir dans un Etat ou qui cherchent celui-ci et qui surtout, justifient cet exercice ou cette
recherche du pouvoir avec des arguments nationalistes776.
Le pouvoir politique doit satisfaire les différentes demandes provenant de la population. Il dispose à cet
effet d’un éventail de possibilités, notamment en recourant aux politiques publiques.

776 TH. BALZACQ et alii, Fondements de science politique, Bruxelles, DeBoeeck supérieur, 2014, p. 216.

175
CHAPITRE VIII : LES POLITIQUES PUBLIQUES

1. Demandes et décisions politiques


Les Etats administrent, gèrent, conçoivent des politiques publiques dans les différents domaines. Ils
répondent aux différentes demandes politiques provenant de la société. Les demandes constituent
l’ensemble des problèmes auxquels les gouvernés sont confrontés et des besoins qu’ils ressentent777.
L’Etat peut y répondre de différentes manières : en adoptant la législation, en prenant des mesures
concrètes pour faire face à ces besoins ou en formulant des orientations et en adoptant des dispositions
pour régir différents secteurs. En d’autres termes, face aux demandes politiques, l’Etat recourt à la
décision politique qui peut être implicite ou explicite. La décision politique constitue un choix dans
l’avenir de la cité opéré au plus haut niveau par les responsables de la communauté. La décision
politique peut se présenter sous la forme de lois, ordonnances, arrêtés, mesures, etc778.

La décision est prise aux termes d’un processus impliquant l’intervention de plusieurs acteurs,
notamment l’administration, les différentes couches de la société et en amont elle est exécutée par
l’administration et les destinataires. La capacité pour les gouvernants à répondre favorablement aux
demandes de leurs citoyens (in put) est déterminante dans le soutien politique qu’ils peuvent s’attendre
des gouvernés.

Il convient de noter, avec Jacques CHEVALIER, que tout problème social ne débouche pas
nécessairement sur une prise en charge publique : encore faut-il qu’il entre dans le champ de perception
des autorités politiques en étant identifié comme problème susceptible d’appeler une intervention
publique. Cette identification suppose des processus cognitifs de définition et de qualification, passant
par la médiation d’un ensemble d’acteurs qui assurent le travail de mise en forme nécessaire, qui opèrent
le cadrage des problèmes779.

Les autorités politiques sont censées n’être guidées que par le souci de rechercher la meilleure solution
possible, dans une situation donnée ; elles sont tenues de faire preuve de cohérence, de rigueur et de
pertinence dans leurs arbitrages. La décision est donc conçue comme un choix conscient et délibéré,
effectué en connaissance de cause, entre plusieurs lignes de conduite possibles, en vue d’atteindre
certains résultats780. Un champ particulier s’est développé en science politique ces dernières années et
concerne l’analyse des politiques publiques.

2. Définition des politiques publiques


Selon le Lexique de science politique, les politiques publiques constituent un terme générique désignant
les interventions des autorités investies de puissance gouvernementale, qu’il s’agisse des collectivités
locales, des Etats ou des organisations supranationales. Il existe une multitude de définitions possibles
des politiques publiques. L’une des plus simples consiste à considérer que les politiques publiques sont
tout ce qu’un gouvernement choisit de faire ou de ne pas faire. . Le contenu des politiques publiques
varie en fonction du temps et de l’espace. Toute politique publique repose sur quatre éléments
principaux : des principes générant des conceptions particulières des problèmes à traiter et de l’Etat ;
des objectifs qui sont une déclinaison pratique des principes énoncés ; des procédures par lesquelles
sont élaborées et mises en œuvre les décisions ; enfin, des instruments qui sont les outils d’action
destinés à produire les effets concrets cohérents avec les principes et les objectifs énoncés781.

777 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 446.


778 A. MULUMBATI NGASHA, op.cit., p. 488.
779 J. CHEVALLIER, Science administrative, 6è édition mise à jour, Paris, PUF, Thémis Droit, 2019, p. 453.
780 J. CHEVALLIER, op.cit., p. 469.
781 O. NAY (dir.), op.cit., p.469.

176
Le concept de « politique publique » désigne les interventions d’une autorité investie de puissance
publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire
(Grawitz et Leca, 1985). .Ces interventions peuvent prendre trois formes principales : les politiques
publiques véhiculent des contenus, se traduisent par des prestations et génèrent des effets. Elles
mobilisent des activités et des processus de travail. Elles se déploient à travers des relations avec
d’autres acteurs sociaux collectifs ou individuels.782

La naissance des politiques publiques peut être circonscrite à une certaine période en Europe. Selon
P.MULLER, C’est à partir du milieu du XIXè siècle que l’on observe la mise en place de politiques
publiques dans la forme que l’on connaît aujourd’hui. Deux points doivent être soulignés ici. A) Dans
les pays où le phénomène est le plus précoce (en Europe, il s’agit de la France et de l’Angleterre), c’est
d’abord pour lutter contre les effets du marché que vont être mises en place les premières politiques
publiques. C’est pourquoi les premières politiques publiques eurent d’abord pour objet de prendre en
charge la question sociale. B) Ces politiques sont marquées avant tout par leur caractère sectoriel.
Chaque politique publique se constitue comme un secteur d’intervention correspondant à un découpage
spécifique de la société pour en faire un objet d’action publique783.

La politique publique est le produit de l’action et de l’interaction des acteurs qui la conçoivent, la
fabriquent et la labellisent. Elle est ce qu’ils en font et ce qu’ils en disent. Pas de politique culturelle,
par exemple, tant que les acteurs étatiques n’envisagent pas la culture comme une catégorie d’action
publique légitime784. Pour Jacques CHEVALIER, toute politique publique se présente sous la forme
d’un ensemble de mesures concrètes articulées entre elles, d’une grappe de décisions, formant un
programme ; elle implique la définition de finalités, d’orientations, de priorités, passe par le recours à
un ensemble d’instruments, suppose la mobilisation de ressources (juridiques, matérielles et
symboliques) afin d’atteindre les objectifs fixés ; mais, au-delà de cet instrumentum, elle constitue plus
généralement un cadre normatif s’appuyant sur un ensemble de valeurs, qui va donner sens aux actions
administratives ponctuelles785. P. le GALES et P. LASCOUMES, cités par Antoine MEGIE, définissent
la politique publique comme « l’action d’une autorité publique, seule ou en partenariat, pour traiter
d’une question perçue comme posant problème »786. Cinq éléments constitutifs se présentent dans toute
politique publique :

1) Le contenu renvoie aux instruments qui composent la politique. Ils peuvent être d’ordre
matériel, tels qu’une subvention, un texte de loi, la mise en place d’une agence ou encore un
changement dans le calcul du taux d’imposition.
2) Le programme est le cadre plus général dans lequel s’insèrent les différents instruments
susmentionnés.
3) L’orientation normative fait référence à la dimension cognitive de la politique, soit aux
idées qui la sous-tendent et la portent. Ce peut être des objectifs clairs et explicites, faciles à
analyser, mais cela peut aussi être de l’ordre du non-dit et de l’implicite et renvoyer aux valeurs,
aux croyances et aux préférences idéologiques des acteurs qui fabriquent la politique.
4) Le facteur de coercition renvoie au fait que, d’une manière ou d’une autre, l’action
publique vient contraindre les individus (publics ou privés) et leurs comportements. Elle fixe
en effet des règles, impose des cadres, définit ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, donne

782 L. BOUSSAGUET, S.JACQUOT (dir.), Dictionnaire des politiques publiques. 5 è éd., Paris, Presses Sciences Po, 2017, p. 408.
783 P. MULLER, Les politiques publiques, dixième édition, Paris, PUF, Que sais-je, 2011.
784 L. BOUSSAGUET, Les politiques publiques, Paris, PUF, Que sais-je, 2020, p. 16.
785 J. CHEVALIER, op.cit., p. 468.
786 A. MEGIE, « L’évolution des modèles d’analyse des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science

politique, 3 è éd., Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 109-123, spéc. à la p. 109.

177
des droits mais aussi des devoirs, crée des ayants droit et des non-bénéficiaires. Cette dimension
coercitive est évidente dans le cas des politiques réglementaires, comme l’est la politique de
l’environnement, qui établit des normes visant à limiter l’usage des voitures, incite à changer
d’équipements (automobiles électriques, isolation des maisons, etc.), ou impose le tri des
déchets.
5) Le ressort social regroupe quant à lui deux catégories d’individus : il y a, d’une part, tous
les acteurs qui interviennent dans le processus de production de la politique publique (de sa
conception jusqu’à sa mise en œuvre concrète sur le terrain), qu’ils soient publics ou privés ; et
d’autre part le public de la politique, c’est-à-dire ses ressortissants. En somme, pas de politique
publique sans acteurs, qu’il s’agisse des artisans de l’action publique ou de ses bénéficiaires787.

3. Identification des politiques publiques

Yves Mény et Jean-Claude Thoenig retiennent cinq éléments qui peuvent fonder l’existence d’une
politique publique :

- une politique est constituée d’un ensemble de mesures concrètes qui forment la « substance
» d’une politique ;
- elle comprend des décisions de nature plus ou moins autoritaire, cette dimension pouvant
être explicite (justice, police) ou latente par la définition de critères d’accès aux droits ;
- une politique s’inscrit dans un « cadre général d’action », ce qui permet de distinguer (en
principe) une politique publique de simples mesures isolées. Tout le problème est alors de
savoir si ce cadre général doit être conçu à l’avance par le décideur ou bien simplement
reconstruit a posteriori par le chercheur. Il est certain, en tout cas, que l’existence de ce
cadre général n’est jamais donnée et doit toujours faire l’objet d’une recherche ;
- une politique publique a un public (ou plutôt des publics), c’est-à-dire des individus,
groupes ou organisations dont la situation est affectée par la politique publique. Par
exemple : les automobilistes, les constructeurs, les entreprises de génie civil constitueront
à des degrés divers les ressortissants de la politique de la sécurité routière. Certains seront
passifs (les automobilistes) alors que d’autres s’organiseront pour influer sur l’élaboration
ou la mise en œuvre des programmes politiques ;
- enfin, une politique définit obligatoirement des buts ou des objectifs à atteindre, par
exemple réduire le nombre des accidents de la route, améliorer les conditions
d’hospitalisation des malades, assurer l’indépendance énergétique du pays788.

Les politiques publiques peuvent faire l’objet d’analyse et d’évaluation.

4. L’analyse des politiques publiques


L’analyse des politiques publiques se propose de connaître, d’expliquer, d’évaluer un ensemble
d’activités publiques, au sens où elles sont le fait d’agents publics, qu’elles se déroulent en public, à
destination d’un public précis (les étudiants, les paysans, les immigrés, les chômeurs) ou plus large (les
femmes, les contribuables, les conscrits). C’est l’aspect sectoriel qui justifie l’emploi du pluriel dans
l’expression politiques publiques, car il y en a autant que l’on peut distinguer de domaines dans lesquels
se déploie l’action publique789. Elle privilégie l’action des gouvernements (les policies. Les programmes
d’action). Une telle approche permet, d’abord, de comprendre comment sont gouvernés certains secteurs

787 L. BOUSSAGUET, Les politiques publiques, Paris, PUF, Que sais-je, 2020, p. 19.
788 P. MULLER, Les politiques publiques, dixième édition, Paris, PUF, Que sais-je, 2011, p.15.
789 Y. SCHEMEIL, Introduction à la science politique. Objets, méthodes, résultats, objectifs, 3 è éd. Revue et augmentée, Paris,

Dalloz, Les Presses de Sciences Po, 2015, p. 131.

178
d’action publique : quels sont les différents acteurs professionnels, politiques, citoyens, experts
impliqués et quelles relations entretiennent-ils ?

L’analyse se propose aussi d’aborder l’Etat à partir de ce qu’il fait, notamment parce que ce dernier est
producteur d’interventions publiques diverses. Par analyse de l’action publique, l’on entend le
questionnement sur les actions entreprises seules ou en partenariat par les autorités publiques. C’est au
cours du XXè siècle que s’est progressivement constitué un véritable champ de connaissances, avec des
questionnements propres790. Pour DYE, cité par Antoine MEGIE, analyser les politiques publiques
revient à interroger tout ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire791.

On peut distinguer deux grandes approches de l’action publique. Une première aborde les politiques
publiques d’abord et avant tout à partir de l’Etat. L’analyse porte sur de grands ensembles de politiques
(éducatives, énergétiques, agricoles, de sécurité, etc.) dont on interroge les conditions politiques
d’élaboration. L’approche est dite top down : on analyse les décisions publiques majeures à partir de
leur formation et (parfois) de leur mise en œuvre. Les élites administratives, notamment, préparent les
décisions, présélectionnent les options disponibles, produisent en amont le savoir et l’expertise
nécessaire. Une seconde approche, développée par la sociologie des organisations, s’est attachée à la
mise en œuvre des politiques, en mettant l’accent sur les échanges inter-organisationnels, les
arrangements, les concurrences. C’est ici un ensemble d’interventions dans un système d’action donné
(en matière de santé ou d’environnement par exemple) qui devient l’objet de l’analyse. Dans cette
seconde approche, les priorités établies en haut se voient questionnées, au regard des savoirs et priorités
des acteurs de terrain et des organisations à l’intérieur desquels ils agissent. Les agents subalternes se
voient donnés une certaine visibilité792.

L’action publique peut être analysée selon les séquences. Selon une grille proposée par JONES, les
politiques publiques peuvent être décomposées en cinq temps :

- Problem identification (mise sur agenda)


- Program development (elle concerne la formulation des propositions ; le choix des
solutions et enfin la légitimation de la décision. Il a souvent été d’usage de la réduire à la
décision. La décision prend la forme d’un flux continu de décisions et d’arrangements
ponctuels, pris à différents niveaux du système d’action).
- Program Implementation ( la mise en œuvre)
- Program evaluation
- Program termination.
Antoine MEGIE analyse les trois premières séquences de la politique, c’est-à-dire :
- La formulation d’une situation sociale, économique ou politique en problèmes publics ;
- L’attention portée à ce problème par le gouvernement ;
- La mise sur agenda de ce problème qui devient une politique publique potentielle. L’étudier
revient donc à s’intéresser à la manière dont les besoins sociaux sont définis comme
problème politique. A l’encontre de la conception objectiviste des problèmes publics, une
politique publique porte à la fois sur une idée du problème, une représentation du secteur
concerné et une théorie du changement793.

790 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, Introduction à la science politique, Cours, Exercices corrigés, Paris,
Armand Colin, 2018, pp. 201-202.
791 A. MEGIE, « L’évolution des modèles d’analyse des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), op.cit., p.

109.
792 X. CRETTIEZ, J. De MAILLARD et P. HASSENTEUFEL, op.cit., p.205.
793 A. MEGIE, “ L’évolution des modèles d’analyse des politiques publiques », in op.cit., p. 112 et s.

179
La mise sur « agenda » est l’une des étapes primordiales dans la définition d’une politique publique.
Selon la définition la plus couramment admise, l’agenda désigne l’ensemble des problèmes publics qui
déterminent, à un moment donné, l’attention et/ou l’action des pouvoirs publics. Par convention, on
décline cette métaphore de l’activité gouvernementale en distinguant un agenda systémique qui
rassemble les problèmes faisant l’objet d’une demande et d’une mobilisation sociales et l’agenda
institutionnel qui désigne l’ensemble des problèmes faisant effectivement l’objet d’une action
publique794. Garraud, cité par Antoine MEGIE, définit l’agenda politique comme « l’ensemble des
problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités
publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs décisions »795. Il n’existe pas un, mais
des agendas qui coexistent, tels que l’agenda systémique (relatif aux objets sociaux de la communauté
politique) et l’agenda institutionnel (en relation directe avec les gouvernements et leurs
préoccupations)796. La mise sur agenda ou program identification reflète une certaine diversité
conduisant à l’élaboration de cinq modèles se structurant autour du rôle central joué par certains acteurs :
- Le modèle de la mobilisation qui repose sur l’action de groupes organisés défendant ou
promouvant des intérêts particuliers ou généraux ;
- Le modèle de l’offre politique reposant sur l’action des organisations politiques ;
- Le modèle de la médiatisation reposant sur le rôle moteur des médias ;
- Le modèle de l’anticipation illustrant les cas de volontarisme des autorités publiques ;
- Le modèle de l’action corporatiste silencieuse dans laquelle les groupes organisés
parviennent à influencer l’autorité publique afin de produire une mise sur agenda sans
controverses ni conflits médiatisés797.

5. L’évaluation des politiques publiques


L’évaluation des politiques publiques est une « phase de l’action publique au cours de laquelle les
résultats des politiques conduites font l’objet d’un jugement en termes d’efficience, d’efficacité et/ou
de légitimité. Dans l’approche séquentielle des politiques publiques, l’évaluation constitue la dernière
phase qui suit logiquement la mise en œuvre. Il s’agit d’une phase réflexive, au cours de laquelle l’Etat
ou d’autres acteurs publics et privés produisent un jugement sur les décisions prises par référence à des
critères d’efficacité et/ou par rapport aux objectifs initialement fixés. En termes de contenu, l’évaluation
des politiques publiques va de l’audit comptable aux évaluations de programme, en passant par les
études d’impact »798.

La mise en œuvre (implementation) représente le processus d’application des décisions : c’est le


moment où la décision se confronte à la réalité. Travailler sur la mise en œuvre d’une politique publique
nécessite la prise en compte :
- De l’organisation des moyens de mise en œuvre ;
- De l’interprétation des directives par l’ensemble des acteurs ;
- Des modes d’application ou de non-application de ces directives.

794 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 8. Pour le dictionnaire des politiques publiques, dans
son acception la plus simple, la notion de « mise à l’agenda » ou, pour reprendre le vocable anglo-saxon, d’agenda-setting, désigne
l’étude et la mise en évidence de l’ensemble des processus qui conduisent des faits sociaux à acquérir un statut de « problème public
» ne relevant plus de la fatalité (naturelle ou sociale) ou de la sphère privée, et faisant l’objet de débats et de controverses médiatiques
et politiques. L. BOUSSAGUET, S.JACQUOT, P. RAVINET (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, 5 è éd., Paris, Les Presses
Sciences Po, 2019, p. 49.
795 A. MEGIE, « L’évolution des modèles d’analyse des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science

politique, 3 è éd., Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 109-123, spéc. à la p. 113.


796 A. MEGIE, art.cit., p. 113.
797 A. MEGIE, art.cit., p. 113.

798 O. NAY (dir.), Lexique de science politique, 4è éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 232.

180
La mise en œuvre constitue le résultat des interactions entre les objectifs légalement définis et les
dynamiques politiques.

Yannick RUMPALA estime que comme source informative, la démarche évaluative vise à « apprécier,
voire vérifier, mesurer et expliquer les effets d’une action publique. L’évaluation peut porter sur une
mesure, un programme (un ensemble structuré de mesures dans le cadre d’objectifs fixés et sur la base
de moyens déterminés, généralement dans un calendrier défini), une politique publique (un assemblage
de dispositifs et de procédures reliés par une orientation convergente)799. RYM FASSI-FIHRI nous
propose une définition assez élaborée de l’évaluation des politiques publiques. L’auteur écrit à ce
propos : « (…). Dans sa dimension positive, l’évaluation des politiques publiques constitue une forme
de contrôle continu visant à vérifier l’efficacité des décisions prises par le Gouvernement. Il ne s’agit
pas de s’opposer systématiquement aux choix politiques du Gouvernement mais de mesurer les résultats
obtenus en comparaison des objectifs poursuivis. La finalité est ainsi de trouver des causes des
dysfonctionnements et de proposer des solutions adéquates. En d’autres termes, l’évaluation des
politiques publiques peut se définir comme l’appréciation des moyens au regard des résultats, lesquels
mesurent notamment l’efficacité de la dépense publique, et plus généralement de la gestion de
l’Etat… »800. En outre l’évaluation suppose l’établissement des critères pouvant être quantitatifs,
qualitatifs et ce, au regard des objectifs fixés. Pour René DOSIERE, l’évaluation est une démarche
ouverte d’appréciation de l’efficacité de la politique publique en comparant ses résultats aux objectifs
et aux moyens mis en œuvre801.

Pour Jacques CHEVALLIER, l’évaluation d’une politique implique une appréciation globale, prenant
en compte objectifs, moyens et résultats : pertinence et cohérence des objectifs, efficacité (adéquation
des résultats aux objectifs fixés), efficience (ressources utilisées), impact (effets enregistrés) et encore
soutenabilité (capacité de répondre aux enjeux d’avenir). L’analyse peut être opérée de façon
rétrospective, en portant sur les résultats et effets enregistrés, réalisée de manière prospective, à partir
des résultats et effets prévisibles, ou encore pendant la phase de mise en œuvre »802.
Trois moments possibles de l’évaluation peuvent être distingués :
- L’évaluation ex post : elle est réalisée après qu’un programme soit terminé ou à un stade
suffisamment avancé d’une politique ;
- Des formes d’évaluation ex ante : elles sont réalisées avant qu’une politique ne soit
engagée ou une mesure mise en place. Il s’agit d’étudier davantage en amont la faisabilité
et/ou de pouvoir anticiper des effets. Etudes et analyses d’impact sont dans cette logique
et ont connu un développement notable ;
- L’évaluation in itinere (chemin faisant): elle est concomitante au déroulement d’une
politique, par exemple, à mi- parcours d’un programme si celui-ci a un calendrier bien
défini. Dans cette logique, des réalisations paraissent suffisamment avancées pour justifier
un bilan intermédiaire pouvant éventuellement permettre de réorienter une action ou de
repositionner des dispositifs803.

799 Y. RUMPALA, « L’évaluation des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3 è éd.,
Année 2020, Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 155-169, spéc. à la p. 155.
800 RYM FASSI-FIHRI, « Pour une classification des missions de contrôle gouvernemental du parlement », RFDC, n° 117, 2019, n°

1, pp. 73-95, spéc. aux pp. 90-91.


801 R. DOSIERE, « Le contrôle ordinaire », Pouvoirs, 2010/3, n° 134, pp. 37-46, spéc. à la p. 45.
802 J. CHEVALLIER, Science administrative, 6è édition mise à jour, Paris, PUF, Thémis Droit, 2019, p. 537.
803 Y. RUMPALA, « L’évaluation des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3 è éd.,

Année 2020, Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 155-169, spéc. à la p. 160.

181
Dans les dispositifs évaluatifs, l’attention est notamment orientée vers les résultats et effets d’une
politique, d’un programme ou d’une mesure qu’il va s’agir de mieux connaître et éventuellement de
comprendre804. Dans le cas d’évaluation des politiques publiques, l’on utilise certains critères :

- Le critère de pertinence : modalités de conception d’une action ou d’un dispositif. Il doit


permettre de vérifier si ses objectifs correspondent à des attentes ou des besoins, ou
concordent avec les problèmes identifiés ;
- La cohérence. Elle peut être appréciée de manière interne (par rapport à des principes ou
des valeurs, ou entre différents types d’objectifs) ou externe (par rapport à d’autres
structures ou organisations pouvant avoir un lien avec les interventions étudiées).
- L’effectivité : elle renvoie à la possibilité de percevoir des changements liés à l’action
publique évaluée et permet de commencer à aborder le degré de réalisation. Un tel critère
s’avère plus pertinent s’il est rapporté à des objectifs.
- Le critère d’efficacité : en rappelant la visée d’un problème initial à résoudre, sert à
déterminer dans quelle mesure des objectifs ont pu être réalisés.
- Le critère d’efficience intègre comme dimension supplémentaire celle des moyens
employés, étant entendu que ceux-ci doivent l’être le plus rationnellement possible, et avec
même fréquemment l’idée de pouvoir réduire les coûts à un niveau optimal.
- La perspective s’élargit lorsqu’il s’agit de s’intéresser à l’impact, qui permet notamment
de replacer les retombées dans une temporalité moins immédiate et de considérer au
surplus des effets moins prévus, voire peut-être négatifs ou indésirables.
- La pérennité ou la viabilité doit enfin permettre d’estimer dans quelle mesure les effets
souhaités pourront perdurer, au-delà du court terme805.
L’évaluation des politiques publiques est de plus en plus prise en compte dans les Constitutions en
confiant l’exercice de cette mission aux parlements. L’article 24, alinéa 1er de la Constitution française
du 4 octobre 1958 telle que révisée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 ajoute une nouvelle
compétence au parlement français consistant dans l’évaluation des politiques publiques : « Le Parlement
vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques »806. Cette
compétence a été reprise par certaines Constitutions africaines, notamment ivoirienne, sénégalaise,
gabonaise, tchadienne, consistant dans l’évaluation des politiques publiques. A titre indicatif, l’article
93 de la Loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire
énonce que « le Parlement vote la loi et consent l’impôt. Il contrôle l’action du gouvernement et évalue
les politiques publiques »807.
La Constitution de la RDC du 18 février 2006 ne prévoit pas de dispositions en matière d’évaluation
des politiques publiques. Cependant cette compétence est inhérente au parlement à travers son activité
de contrôle de l’activité gouvernementale et des services publics. C’est la loi organique n° 18/024 du
13 novembre 2018 portant composition, organisation et fonctionnement de la Cour des comptes (de la
RDC) qui attribue, à la Cour des comptes, des compétences expresses en matière d’évaluation,

804 Y. RUMPALA, « L’évaluation des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), Science politique, 3 è éd.,
Année 2020, Bruxelles, Bruylant, 2019, pp. 155-169, spéc. à la p. 156.
805 Y. RUMPALA, art.cit., p. 161.
806 Notre soulignement.
807 Loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire. Journal officiel de la République

de Côte d’Ivoire du 9 novembre 2016. L’article 59 de la Constitution du Sénégal telle qu’elle résulte de la révision par la loi
constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 : « (,,,) L’Assemblée représentative de la République du Sénégal porte le nom
d’Assemblée nationale. Elle exerce le pouvoir législatif. Elle vote, seule, la loi, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les
politiques publiques (…) ». L’article 36 nouveau de la Loi n° 001/2018 du 12 janvier 2018 portant révision de la Constitution de la
République gabonaise dispose : « Le Parlement vote la loi, consent l’impôt, contrôle l’action du gouvernement et évalue les
politiques publiques dans les conditions prévues par la présente Constitution ». Journal officiel de la République gabonaise du 24 au
31 janvier 2018, n° 382. L’article 112 de la Constitution du Tchad du 4 mai 2018 : « L'Assemblée Nationale vote les lois, contrôle
l'action du Gouvernement, évalue les politiques publiques et contrôle l'exécution des lois. Elle vote des résolutions dans les conditions
fixées par son Règlement Intérieur ». Notre mise en relief.

182
notamment des politiques publiques. Elle énonce, en son article 29 : « La Cour des comptes évalue les
politiques, les programmes et les actions publics mis en œuvre et lui transmis, selon le cas, par le
Gouvernement ou le Gouvernement provincial, l’organe exécutif de l’entité territoriale décentralisée
ainsi que les responsables des entreprises ou établissements publics et les organismes auxiliaires. Cette
évaluation donne lieu à des observations accompagnées de recommandations. A ce titre, le
Gouvernement ou le Gouvernement provincial, le collège exécutif de l’entité territoriale décentralisée
et les responsables susvisés sont tenus de lui transmettre tous les documents y afférents dès leur
adoption à leur niveau et après leur approbation par le Parlement, l’Assemblée provinciale, l’organe
délibérant local, l’assemblée générale, le conseil d’administration ou, le cas échéant, l’autorité
hiérarchique ou de tutelle. La Cour des comptes suit la mise en œuvre de ses recommandations »808.
Les acteurs des politiques publiques sont notamment les acteurs politiques et administratifs, les acteurs
non étatiques (groupes d’intérêts, action collective et mouvements sociaux), les acteurs intermédiaires
(experts). Ces derniers ont la capacité d’intervenir dans une multiplicité d’arènes parfois très
différentes ; de jouer le rôle d’intermédiaire entre différentes institutions ; de produire à la fois un
discours argumenté (activité généraliste) et les conditions d’un possible compromis (activité de
courtier). Ces deux dernières fonctions renvoient respectivement aux modèles théoriques des approches
cognitives et à une partie de la littérature sur le changement. Enfin les citoyens. Ces derniers occupent
une place privilégiée dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques 809. Bref, plusieurs
acteurs interviennent dans la définition des politiques publiques (l’Etat, les collectivités locales, les
Organisations internationales, les groupes sociaux, les individus etc.). C’est au regard de cette
hétérogénéité des intervenants qu’Yves Surel conclut qu’« il n’est donc pas aisé de répondre simplement
à la question de savoir qui gouverne les politiques publiques. Non seulement parce que les processus de
décision sont nécessairement pluralistes, complexes et divers d’une politique à une autre, mais aussi
parce que les évolutions récentes tendent à rompre avec des pratiques jusque-là éprouvées et
institutionnalisées en nourrissant démonopolisation, privatisation et dépolitisation810.
Les techniques qualitatives peuvent être utilisées pour apprécier le degré de satisfaction face à une
mesure ou un dispositif. Elles sont plus appropriées pour recueillir des opinions, des attentes, des
besoins dans des groupes ou populations plus ou moins larges. Questionnaires, entretiens, observations
directes, monographies font alors partie de la panoplie811.

CONCLUSION
Le cours de science politique ouvre de nombreuses fenêtres à la connaissance de la discipline d’autant
plus que ses objets ne sont pas fixés une fois pour toutes. Nous avons démontré que le contenu de ce
cours dépend largement de la discrétion de l’enseignant qui apprécie quelles sont les matières dont il
entend privilégier l’étude et celles, pour de nombreuses raisons, qui sont provisoirement mises à l’écart.
Il est vivement recommandé aux étudiants de compléter leurs connaissances par l’étude de certaines
thématiques qui n’ont pas trouvé d’espace dans cet enseignement. Pour ce faire, la bibliographie assez
sélective annexée à ce cours peut orienter ceux et celles des étudiants et étudiantes intéressés par la
science politique à se ressourcer davantage auprès de différents auteurs. Ils peuvent ainsi approfondir
leurs connaissances sur l’un et l’autre objet intéressant la science politique. Puisse ce cours susciter la
passion parmi les étudiants pour mieux comprendre et expliquer les faits politiques à l’aide des outils
pédagogiques et méthodologiques que la science politique mobilise à cet effet.

808 JORDC, 59 è année, N° spécial, Kinshasa, 24 novembre 2018. Notre soulignement.


809 A. MEGIE, art.cit., p. 118.
810 Y. SUREL, « Qui gouverne les politiques publiques ? », in J.-V. HOLEINDRE (dir.), Le Pouvoir. Concepts, lieux, Dynamiques,

Paris, Editions sciences humaines, Ouvrages de synthèse, 2014, pp. 156-162, spéc. à la p. 162.
811 Y. RUMPALA, « L’évaluation des politiques publiques », in Ch. ROUX et E. SAVARESE (dir.), op.cit., p. 163.

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812Nous prenons en considération dans cette bibliographie (sélective), les principaux ouvrages, articles, chapitres d’ouvrages,
communications, sur le support matériel et électronique, qui nous ont servi de base à l’élaboration de ce cours. Les textes
constitutionnels auxquels nous avons recouru ne figurent pas dans cette bibliographie.

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194
TABLE DES MATIERES
DESCRIPTIF DU COURS .................................................................................................................... 2
INTRODUCTION GENERALE ............................................................................................................ 4
1. Un cours au contenu variable en dépit des constances ............................................................ 4
2. L’androgynie et la polysémie du mot « politique » ................................................................. 7
3. La spécificité de la science politique ..................................................................................... 10
4. L’objet ou les objets de la science politique .......................................................................... 14
A. Conception minimaliste de l’objet de la science politique : l’étude de l’Etat ......................... 14
B. La conception maximaliste de l’objet de la science politique : l’étude du pouvoir ................. 15
C. La conception restrictive de l’objet de la science politique ..................................................... 15
D. La conception élastique de l’objet de la science politique : l’étude des faits politiques ......... 17
E. Quelques définitions de la science politique ............................................................................ 19
5. Les méthodes en science politique ........................................................................................ 20
A. Définition de la méthode ................................................................................................... 20
B. Individualisme et déterminisme méthodologique.............................................................. 21
C. Un bref inventaire des méthodes en science politique ............................................................. 22
6. Les techniques en science politique ...................................................................................... 24
A. L’observation..................................................................................................................... 24
B. Le questionnaire ................................................................................................................ 26
C. Les sondages...................................................................................................................... 27
7. L’encadrement de la science politique parmi les sciences sociales et ses rapports avec d’autres
disciplines .......................................................................................................................................... 30
A. Les sources de la science politique et quête d’autonomie de la discipline ........................ 31
B. Rapports entre science politique et Droit constitutionnel ........................................................ 32
C Rapports entre science politique et Sociologie politique ......................................................... 34
D. Rapports entre science politique et science administrative ............................................... 36
8. Les domaines couverts par la science politique..................................................................... 36
9. Intérêt de l’étude de la science politique dans la société ....................................................... 37
10. Les différentes postures en science politique ........................................................................ 38
CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DE LA SCIENCE POLITIQUE ............................................ 39
1. Apport de la philosophie grecque à la science politique ....................................................... 39
2. Apport des temps modernes à la science politique ................................................................ 40
3. Le tournant de la science politique au XIX et XX è siècle .................................................... 41
4. L’émergence de la science politique dans certains Etats ....................................................... 44
A. Dans quelques Etats développés ........................................................................................ 44
B. Dans les Etats en voie de développement.......................................................................... 45

195
CHAPITRE II : LE POUVOIR POLITIQUE ...................................................................................... 47
1. Les différentes conceptions du pouvoir ................................................................................. 47
2. Les différentes manifestations du pouvoir politique ............................................................. 49
A Le pouvoir diffus ..................................................................................................................... 49
B Le pouvoir personnel ou individualisé...................................................................................... 49
C. Le pouvoir institutionnalisé ..................................................................................................... 49
3. Modes d’acquisition ou de dévolution du pouvoir politique ................................................. 50
a) L’élection ............................................................................................................................... 50
b) L’hérédité .............................................................................................................................. 50
c) L’élection ................................................................................................................................... 50
d) La conquête ........................................................................................................................... 50
e) La cooptation ......................................................................................................................... 50
d) Le tirage au sort............................................................................................................................ 51
e) L’investiture .................................................................................................................................. 51
f) Les primaires ................................................................................................................................. 51
4. La structure du pouvoir politique .......................................................................................... 52
4.1 Le Parlement (Le législatif) ..................................................................................................... 52
4.2 L’Exécutif ................................................................................................................................ 53
4.3 Le pouvoir judiciaire ............................................................................................................... 53
5. La légitimité du pouvoir politique ......................................................................................... 53
6. Les fondements du pouvoir politique .................................................................................... 54
A. Les fondements théocratiques du pouvoir ou la conception judéo-chrétienne du pouvoir 54
B. Les fondements démocratiques du pouvoir ou conception gréco-romaine du pouvoir ..... 55
7. Les conséquences institutionnelles des théories démocratiques de la souveraineté ..................... 56
8. Techniques d’expression du peuple.............................................................................................. 58
9. Vers la crise de la démocratie représentative ........................................................................... 60
11. Le principe de la séparation des pouvoirs ......................................................................... 61
CHAPITRE III : L'ETAT ..................................................................................................................... 63
1. La notion d’Etat ..................................................................................................................... 63
2. La Sociogenèse de l’Etat ....................................................................................................... 65
A. Théories de la naissance de l’Etat et le fait étatique .......................................................... 65
A.1 Les théories conventionnelles de l’Etat ................................................................................. 65
A.2 Théorie hégélienne ................................................................................................................ 66
A.3 Théories marxistes de l’Etat .................................................................................................. 66
A.4 la théorie juridique de l’Etat ou théorie de l’institution ......................................................... 67
A.5 La théorie socio-historique de l’Etat ..................................................................................... 67

196
B. La dynamique de l’Etat ..................................................................................................... 67
3. Les éléments constitutifs de l’Etat ......................................................................................... 69
4. L’Etat et la souveraineté ........................................................................................................ 70
5. L’évolution des fonctions politiques de l’Etat ....................................................................... 70
A. L’Etat régulateur...................................................................................................................... 71
B. L’Etat protecteur ..................................................................................................................... 71
C. L’Etat providence .............................................................................................................. 71
D. L’Etat social ...................................................................................................................... 72
E. L’Etat de droit ................................................................................................................... 72
6. Formes de l’Etat .................................................................................................................... 73
A. L'Etat unitaire .................................................................................................................... 73
B. L’Etat régional ......................................................................................................................... 76
C. La Fédération (Etat fédéral) ..................................................................................................... 78
CHAPITRE IV : LES REGIMES ET LES SYSTEMES POLITIQUES ............................................. 83
1. Définition des régimes politiques .......................................................................................... 83
2. Classification des régimes politiques .................................................................................... 83
A. Classification des régimes politiques fondée sur le critère de la séparation des pouvoirs 85
A.1 Le régime parlementaire ........................................................................................................ 86
A.1.1 Les traits caractéristiques du régime parlementaire .......................................................... 88
A.1.2 L'évolution du régime parlementaire ................................................................................. 98
a) Les régimes parlementaires moniste et dualiste .............................................................. 98
b) Le régime parlementaire rationalisé ................................................................................. 99
c) Le régime parlementaire majoritaire et le régime parlementaire minoritaire ..................... 99
A.1.3 Le régime d’assemblée et/ou de confusion des pouvoirs ................................................ 101
A.2 Le régime présidentiel.......................................................................................................... 102
A.2.1 Contexte et émergence du régime présidentiel ............................................................... 102
a) L’élection et les modalités d’élection du Président américain ............................................... 103
b) Mandat du Président américain ............................................................................................. 104
c) Le pouvoir de l’exécutif américain .......................................................................................... 104
d) Le législatif (Congrès américain) ............................................................................................ 104
e) Les relations entre l’exécutif et le législatif dans le régime présidentiel ................................ 105
A.2.3 La remise en question du régime présidentiel américain................................................. 107
A.2.4 L’influence du régime présidentiel dans d’autres Etats .................................................... 108
A.2.5 Le sort du régime présidentiel dans le renouveau constitutionnel africain et latino-américain
..................................................................................................................................................... 108
A.2.6 Le régime présidentialiste comme déformation du régime présidentiel ......................... 109

197
A.3 Les régimes politiques mixtes .............................................................................................. 110
A.3.1 Les régimes semi-présidentiels ou semi-parlementaires.................................................. 110
A.3.2 La particularité du régime politique suisse : un régime directorial .................................. 114
B. Classification fondée sur des critères autres que la séparation des pouvoirs : une approche
privilégiée en science politique ................................................................................................... 115
B.1 Les classifications traditionnelles ......................................................................................... 115
B.1.1 Classification des régimes politiques selon Aristote ......................................................... 115
B.1.2 Classification des régimes politiques selon Montesquieu ................................................ 116
B.2 Classification institutionnelle ............................................................................................... 117
B.3 Les classifications des régimes politiques privilégiées en science politique ........................ 118
- Les démocraties................................................................................................................... 118
- Le totalitarisme.................................................................................................................... 119
- L’autoritarisme .................................................................................................................... 119
B.3.1 Les régimes démocratiques .............................................................................................. 119
B.3.2 Les régimes autoritaires .................................................................................................... 121
B.3.3 Les régimes totalitaires ..................................................................................................... 124
3. Différence entre régime politique et système politique ....................................................... 126
4. Interactions entre régimes politiques et systèmes politiques ............................................... 127
5. Classification des systèmes politiques................................................................................. 129
CHAPITRE V : LA PARTICIPATION POLITIQUE ....................................................................... 130
1. Certains préalables à la participation politique.................................................................... 130
A. La socialisation politique ................................................................................................. 130
B. La culture politique.......................................................................................................... 132
C. La Compétence politique................................................................................................. 133
2. Les formes conventionnelles de la participation politique .................................................. 133
A. La participation électorale ............................................................................................... 133
A.1 L’élection .............................................................................................................................. 133
A.2 Les modèles explicatifs des votes. ....................................................................................... 134
A.3 Les principaux modes de scrutin .......................................................................................... 139
A.4. La méthode du jugement majoritaire ................................................................................. 148
A.5Le scrutin classificatoire ........................................................................................................ 148
B. La participation politique partisane : les partis politiques ......................................................... 149
B.1 A la recherche d’une définition du parti politique ............................................................... 149
B.2 Définitions institutionnelles des partis politiques................................................................ 149
B.3 Définitions des partis politiques selon la doctrine ............................................................... 150
B.4 Naissance des partis politiques ............................................................................................ 151

198
B.5 Les fonctions des partis politiques ....................................................................................... 153
- La fonction de gouvernement faisant référence à l’exercice du pouvoir. ........................... 154
- La fonction de la relève politique. ....................................................................................... 154
- La fonction programmatique............................................................................................... 154
- La fonction de médiation .................................................................................................... 154
- La fonction de concourir à la légitimation du système politique. ....................................... 155
- La fonction de socialisation auprès de leurs membres ....................................................... 155
- La fonction tribunitienne dégagée par Georges LAVAU. ..................................................... 155
B.7 Typologies de partis politiques ............................................................................................ 156
B.8 L’organisation des partis politiques ..................................................................................... 160
B.9 Participation partisane ......................................................................................................... 161
B.10. L’opposition politique ....................................................................................................... 163
CHAP.VI : L’ACTION COLLECTIVE (FORMES DE PARTICIPATION POLITIQUE NON
CONVENTIONNELLES) ................................................................................................................... 165
1. Notions préliminaires .......................................................................................................... 165
2. Les groupes d’intérêt ........................................................................................................... 166
3. Groupes de pression ............................................................................................................ 167
4. Rapprochement entre groupes de pression et groupes d’intérêt .......................................... 168
CHAPITRE VII : LES IDEOLOGIES POLITIQUES ....................................................................... 169
1. Définition de l’idéologie politique ...................................................................................... 169
2. Les idéologies de la modernité ............................................................................................ 170
A. Les libéralismes (pensée et famille libérales) .................................................................. 170
B. La pensée et la famille anarchistes .................................................................................. 171
C. Les socialismes (La pensée et la famille socialistes) ....................................................... 172
D. La pensée et la famille communistes ............................................................................... 172
E. La pensée et la famille démocrates chrétiennes ..................................................................... 173
3. Les idéologies de refus de la modernité .............................................................................. 173
A. Le conservatisme (la pensée et la famille conservatrices) ............................................... 173
B. Le fascisme ...................................................................................................................... 173
4. D’autres idéologies politiques ............................................................................................. 174
CHAPITRE VIII : LES POLITIQUES PUBLIQUES ....................................................................... 176
1. Demandes et décisions politiques ........................................................................................ 176
2. Définition des politiques publiques ..................................................................................... 176
3. Identification des politiques publiques ................................................................................ 178
4. L’analyse des politiques publiques ...................................................................................... 178
5. L’évaluation des politiques publiques ................................................................................. 180

199
CONCLUSION .................................................................................................................................. 183
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE ................................................................................................................. 184

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