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Analyse des politiques publiques et sciences historiques :

quel(s) tournant(s) socio-historique(s) ?


Renaud Payre, Gilles Pollet
Dans Revue française de science politique 2005/1 (Vol. 55), pages 133 à
154

Article

R endre compte de ce qui fonde la spécificité d’une analyse historique des


politiques publiques, telle est la commande qui nous a été faite [1]. A priori, la
question semble légitime et elle paraît engager une série d’interrogations
1

stimulantes autour des méthodes historiennes et de l’éventuelle singularité du


regard historique, ou encore de la prise en compte de l’historicité de l’action
publique [2]. Pourtant, sans un minimum de précaution initiale, cette problématique
peut également engager le chercheur sur une piste épistémologique pour le moins
glissante, voire sans issue.

En effet, si l’on veut bien considérer les sciences sociales, au sens de Jean-Claude 2
Passeron [3] et dans une logique wébérienne, comme des sciences fondamentalement
historiques, il devient pour le moins difficile d’imaginer ce que serait un point de vue
analytique, dans l’espace de sciences sociales, qui ne soit pas historiquement situé. La
démonstration de Passeron repose, rappelons-le, sur la mise en évidence et la
discussion des différences épistémologiques fondamentales entre sciences de la
matière ou de la vie, d’un côté, et sciences sociales, de l’autre. En particulier, il énonce
que « la mise à l’épreuve empirique d’une proposition théorique ne peut jamais
revêtir, en sociologie, la forme logique de la “réfutation” (“falsification”) au sens
poppérien » [4]. Reste alors des formes d’exemplification, notion connotée
péjorativement chez Popper, mais qui, dans des sciences historiques et empiriques –
au sens de non-métaphysiques –, peut garder, selon Passeron, toute sa pertinence
heuristique, à condition, notamment, d’obéir à des protocoles d’enquête clairs et
strictement établis, permettant « aux sciences sociales de soumettre leurs assertions
théoriques à une épreuve empirique ». C’est pourquoi les questions du choix des
terrains et des matériaux empiriques, de l’objectivation des protocoles d’enquête et
de leurs conditions de réalisation sont centrales. Autrement dit, la dimension
proprement réflexive et critique du travail de recherche revêt, dans les sciences
sociales, une importance tout à fait cruciale.

Dans un cadre de sciences sociales ainsi défini, où histoire et sociologie sont 3


« épistémologiquement indiscernables », il apparaît donc que toute interaction
sociale à étudier est forcément située dans le temps, ainsi que dans l’espace physique
et social [5]. La question des approches proprement historiques des politiques
publiques n’a donc tout simplement aucun sens. Pour autant, il existe, dans le champ
des sciences humaines et sociales, des approches intellectuelles, des modes
particuliers de construction des objets scientifiques, des méthodologies, enfin, qui se
relient à des habitus professionnels, à des savoir-faire, à des impensés disciplinaires,
à des « tours de main », différenciés et liés, en bonne partie, à des positions, elles-
mêmes différentes dans l’espace académique [6].

L’analyse des politiques publiques, si elle n’échappe pas à cette règle générale, se 4
caractérise également par une série de modèles analytiques, de types de
problématisation et de recherches théoriques et empiriques qui, manifestement, ne
ressortissent pas à l’univers des sciences sociales. Elle s’est, en effet, constituée
originellement, aux États-Unis, comme science de l’action et science pour l’action [7].
Malgré cette dimension normative et prescriptive très marquée, une partie de ses
travaux pionniers s’inscrit tout de même dans une perspective de sciences sociales et
constitue une boîte à outils aujourd’hui encore souvent utilisée. L’analyse de l’État et
des institutions publiques, dans une perspective de sociologie historique anglo-
saxonne au départ traditionnelle, puis renouvelée, a, par ailleurs, permis d’affirmer
une nécessaire historicisation de ces objets. En France, si l’analyse de politiques
publiques est héritière de cette double filiation – dans et hors des sciences sociales –,
elle a aussi subi, avec quelques différences notables, les grandes inflexions qui ont
marqué la science politique comme discipline. Le souci de passer d’une analyse des
politiques publiques à une sociologie de l’action publique est une manière de prendre
en compte ces deux traditions imbriquées, au profit d’une approche qui soit
pleinement de sciences sociales. Cette dernière s’est construite notamment à partir
d’un double tournant qui a marqué la science politique française, sociologique
d’abord, socio-historique ensuite, et qui lui a permis de revendiquer une place
légitime dans l’univers des sciences sociales. En prenant l’exemple du
renouvellement actuel des études autour du gouvernement local, champ de
recherche traditionnel des policy studies [8], il est d’ailleurs possible de montrer que la
posture méthodologique proposée dans le cadre de la plupart des études socio-
historiennes constitue une tentative pour affirmer à nouveau et consolider ce
tournant de la science politique vers les sciences sociales. Elle induit, en effet, un
certain type de construction d’objet, dont on peut questionner les apports, mais
également les limites éventuelles et, surtout, la possible capacité à renouveler le
regard sur certains objets plus ou moins canoniques de la science politique et,
finalement, sur l’analyse des politiques publiques et la science politique elles-mêmes.
Il s’agit, au fond, de s’interroger sur la prise en compte différentielle de l’historicité
dans les principaux courants qui ont fondé l’analyse des politiques publiques, puis
qui ont marqué son développement, notamment dans le cas français.

Des policy studies à la sociologie historique de l’état :


quelle prise en compte de l’historicité ?

L’institutionnalisation académique d’une spécialité, que l’on peut englober sous le 5


terme générique et, aujourd’hui, reconnu « d’analyse de politiques publiques »,
résulte, en large partie, de la diffusion internationale d’un ensemble composite de
travaux de recherche et de rapports liés à des commandes institutionnelles, ainsi que
de tentatives de modélisation et de théorisation qui les ont accompagnés. Les policy
studies sont ainsi nées aux États-Unis, juste avant la Seconde Guerre mondiale et vont
s’y développer pour répondre à des questions spécifiques à ce pays, liées à un
contexte particulier, notamment de guerre froide, ainsi qu’à un système politico-
administratif et à un espace universitaire et de recherche propres. Cette spécialité
s’illustre par une série d’études et de recherches où les dimensions normatives et
prescriptives sont très souvent présentes, dans la lignée de travaux issus des études
de public administration, de la gestion et du management public. Mais il existe
également une tradition d’analyse des politiques publiques, inscrite dans le cadre des
sciences sociales et qui forme un ensemble extrêmement riche et relativement
homogène, constituant les bases d’une véritable sociologie de l’action publique au
sens que nous pouvons lui donner à l’heure actuelle [9]. Enrichie par les apports
renouvelés de la sociologie historique appliquée aux États et aux institutions
publiques, elle pose les bases d’une véritable science sociale de l’action publique,
constituant un réservoir d’idées, de modèles d’analyses et d’études empiriques
auquel il est encore possible de se référer.

Le legs intellectuel d’un trio fondateur (Simon, Lindblom,


Dahl) : policy studies et premières perspectives de sciences
sociales
Aux États-Unis, dans les années 1940, la genèse des policy studies prend place dans un 6
cadre intellectuel et dans un champ académique dominés par les théories
fonctionnalistes, en particulier, pour tout ce qui concerne les études de public
administration. Deux décennies plus tard, les approches systémistes, notamment à
travers les recherches portant sur l’analyse de programmes gouvernementaux [10],
offrent une grille de lecture qui reste assez formaliste et mécanique, dans le cadre
d’une spécialité en voie de consolidation institutionnelle, tant dans le champ
académique que politico-administratif. Les travaux dominants des années 1960 et
1970 intègrent alors largement les limites classiques du fonctionnalisme, ainsi que du
paradigme popularisé par David Easton et, en particulier, leurs dimensions
évolutionniste, mécanique et théoriciste, débouchant sur un point de vue macro,
synchronique et global qui n’est pas sans poser problème dans son rapport à l’histoire
et à l’historicité des phénomènes analysés.

Cette vision rationnelle, fonctionnelle et souvent systémiste de la décision et des 7


politiques publiques a très vite suscité de fortes critiques dans le champ académique,
alors qu’elle connaît, en même temps, un succès rapide et durable dans les domaines
de l’expertise, de l’aide à la décision, de la gestion et du management publics et, plus
généralement, parmi les décideurs eux-mêmes. Une attaque assez frontale est ainsi
portée à travers les travaux d’Herbert Simon aboutissant à la notion de « rationalité
limitée », ainsi que grâce à des auteurs comme Charles Lindblom ou encore Robert
A. Dahl [11]. Ces derniers développent respectivement les courants gradualiste ou
incrémentaliste, ainsi que polyarchique. Tous les trois partent, en fait, d’une critique
assez radicale des études de décision et de public administration, qu’ils jugent trop
normatives et théoriques, éloignées des réalités empiriques, telles qu’elles peuvent
être observées, et des comportements humains, tels qu’ils sont mis en évidence par
différentes observations et expérimentations socio-psychologiques ou à dimension
cognitive. Cette rupture vis-à-vis des études d’administration publique est bien
illustrée par un article de Robert A. Dahl, publié dès la fin 1947, qui, dans une certaine
mesure, ouvre la voie à une véritable science sociale de l’administration [12]. Le
politiste nord-américain cherche, en effet, à démontrer que l’association des études
administratives à une science of public administration pose problème. Ce qui gêne
Robert A. Dahl, c’est essentiellement la « formulation de lois universelles ou, plus
fréquemment, l’assertion selon laquelle de telles lois pourraient être formulées ». Il
revient alors sur l’idée qu’il existerait des principes régissant l’administration et
fonde ses critiques contre les écrits d’auteurs comme Willoughby [13] ou Gulick [14].
Selon lui, une science de l’administration publique exige des connaissances plus
fines et précises de « l’homme administratif » et sa rationalité concrète doit être
étudiée. L’administrative man n’est pas un homme « mécanique » disposant d’une
rationalité parfaite se confondant avec la stricte application des « lois universelles de
la science de l’administration ». Robert A. Dahl estime alors qu’aucune science de
l’administration n’est, en effet, possible tant que la place des valeurs normatives n’est
pas éclaircie, tant que la nature de « l’homme administratif » n’est pas mieux
comprise et sa conduite plus prédictible, et, enfin, tant qu’il n’y a pas de corpus solides
d’études comparatives qui dégagent des principes et des généralités à même de
transcender des expériences historiquement datées et géographiquement situées.
Car tel est le fondement de sa critique : l’ignorance des relations entre les
« principes » de la public administration et l’étude de leur application au sein d’un
milieu social, historique et géographique. Il se demande même, in fine, s’il existe
vraiment des principes indépendants de leur environnement. On est bien ici au cœur
d’une interrogation sur le caractère intrinsèquement contingent et irréductiblement
contextuel des actions humaines. Même dans une période où la dimension de
sciences appliquées des policy studies est très fortement marquée et où les paradigmes
fonctionnalistes et théoricistes dominent, il est remarquable que des chercheurs
comme Simon, Dahl ou Lindblom puissent développer une forme de doute
épistémologique radical sur les fondements mêmes des disciplines qui les ont formés
(sciences économiques, administration publique, études administratives et
industrielles, etc.).

Pour simplifier, on peut considérer que ce trio fondateur [15] s’illustre par une série 8
essentielle de travaux de recherche, d’enquêtes empiriques et de théorisations, qui
forment le cœur même de la réflexion originelle de science sociale au sein des policy
studies. Le gradualisme comme le courant polyarchique finissent par rompre avec une
interrogation centrée sur la rationalité d’action des décideurs pour proposer un
cadre analytique plus large visant à saisir les logiques plurielles des acteurs impliqués
dans les politiques publiques étudiées. C’est dans la même logique intellectuelle que
l’idée de rationalité limitée des acteurs est développée par Simon [16] dès l’après
Seconde Guerre mondiale ; notion qui sera au cœur même du renouvellement de la
sociologie des organisations nord-américaine [17] et qui constitue encore un
paradigme de base de cette spécialité [18]. Même si les dimensions d’aide à la décision
et les volontés prescriptives sont également présentes dans beaucoup de leurs
travaux, ce qui les éloigne d’une dimension « pure » de science sociale, on voit
également se développer des recherches empiriques précises et détaillées, fondées
sur l’observation quasi-ethnographique des milieux analysés, la consultation de
sources documentaires et, plus rarement, d’archives, l’utilisation des statistiques,
l’entretien enfin. Dans les premiers travaux universitaires et académiques, la
réflexivité méthodologique peut nous apparaître toutefois un peu lacunaire. Les
dimensions proprement historiennes de ces études restent, par ailleurs, souvent
embryonnaires et le détour par l’histoire ne semble pas toujours une nécessité.
Lorsqu’ils y recourent, il s’agit, le plus souvent, de réaliser une mise en perspective
diachronique assez rapide, liée, en général, à l’exploitation de sources de seconde
main, ainsi que d’éléments statistiques et chiffrés, qui permettent de dresser la toile
de fond de l’étude contemporaine en insistant sur les principales évolutions du
terrain investigué. Ces travaux n’en constituent pas moins un fonds commun d’une
grande richesse empirique, méthodologique et problématique, même s’ils restent
quelquefois éloignés des exigences d’une science sociale, telle qu’elle s’est imposée au
tournant du siècle en Europe [19] et, notamment, en Allemagne, puis en traversant
l’Atlantique [20]. Une autre tradition d’analyse, la sociologie historique, également
largement dominée par les travaux nord-américains, va alors jouer un rôle essentiel
pour imposer une sorte de nécessité diachronique et infléchir ainsi le regard sur
l’État, les institutions et les action publiques.

Le renouvellement des perspectives de sociologie historique


de l’état
Dans l’ensemble des sciences sociales, la sociologie historique occupe une place à 9
part. Pour Max Weber et ses épigones, la sociologie historique représente, en effet, le
projet incarné des sciences sociales et les deux termes sont donc totalement
superposables [21]. D’un autre côté, les enjeux et batailles disciplinaires ont tendu à
faire de la sociologie historique une simple spécialité, plutôt mineure d’ailleurs, de la
discipline sociologique [22]. Dans ce cadre, les premiers travaux importants de
sociologie historique comparative des institutions voient le jour également dans les
années 1960. Dans une logique très wébérienne, la sociologie historique de l’État, aux
États-Unis, en Grande-Bretagne, comme en France plus tardivement, conduit alors à
considérer la forme étatique comme un type de domination, historiquement et
géographiquement, situé, une forme concrète de gouvernement des sociétés qui
apparaît à l’issue d’un processus historique déterminé, long et relativement
complexe [23]. La tradition de sociologie historique anglo-saxonne, en intégrant la
dimension diachronique des phénomènes observés, y compris sur de très longues
périodes, et en posant la question de la sociogenèse et du développement des États
contemporains et des formes de l’action collective, finit par croiser le chemin de
l’analyse de politiques publiques.

Les recherches concernées se caractérisent, avant tout, par une approche macro- 10
sociologique et comparative, avec des études s’étalant sur plusieurs siècles (on
renvoie ici aux « classiques » : Anderson, Eisenstatd, Wallerstein, Moore, Tilly,
Skocpol, etc.). Ces dernières reposent plutôt sur l’exploitation de travaux de seconde
main et privilégient une démarche macro-sociologique de très long terme. Les
notions d’États forts ou faibles, la question de la plus ou moins grande autonomie
des acteurs politico-administratifs, celle des formes de régulation politique à l’œuvre,
la notion de répertoires d’action collective [24] fournissent toutefois des pistes de
réflexion stimulantes pour les analystes de l’action publique. Mais cette approche
débouche quelquefois sur une volonté typologique un peu trop systématique et peut
aboutir, paradoxalement, à gommer les effets de contexte et, finalement, l’historicité
même des processus étudiés. Beaucoup de recherches sont réalisées, le plus souvent,
à partir de données agrégées, souvent de seconde main, avec un nombre important
de variables, sans toujours que l’on sache vraiment si l’on travaille sur des données
comparables, voire même sur des objets qui renvoient à des réponses partiellement
différentes à des questions elles-mêmes construites de manière largement
différenciée [25]. Le courant plus récent du néo-institutionnalisme historique
n’échappe pas, tout à fait, à ce style de critiques [26]. Il ne s’intéresse d’ailleurs pas à
l’histoire, au sens propre du terme, mais bien aux processus de changement et aux
contraintes que le passé et la dépendance au sentiers institutionnels empruntés (path
dependencies) peuvent provoquer sur l’action présente.

Un renouveau des perspectives de sociologie historique dans l’analyse de l’action 11


publique se repère dans les décennies 1980 et 1990, à travers une série d’études
empiriques sectorielles, circonscrites et souvent nationales. Des analyses qui vont,
par la suite, permettre de préciser le regard et d’entrer dans une étude fine des types
d’interactions qui sous-tendent les formes mêmes de l’action publique dans
différents contextes historiques. La plupart de ces travaux prennent pour objets
l’analyse socio-historique et/ou comparée des États providence (Welfare States) et de
politiques sociales sectorielles [27]. Cette sociologie historique renouvelée entre en
résonance avec une série de recherches qui sont au fondement d’une nouvelle
spécialité, pluridisciplinaire, développée avant tout dans les départements d’histoire
des universités nord-américaines : la policy history (cf., en particulier, le Journal of
Policy History édité par le département de science politique de l’Université du
Missouri et fondé par le professeur d’histoire Donald T. Critchlow). Ce mouvement,
dans lequel les impératifs de professionnalisation et de spécialisation intra-
disciplinaires sont majeurs, rejoint largement les évolutions récentes de la sociologie
historique bien illustrées par la démarche socio-historique initiée en France, dans un
autre contexte et selon d’autres modalités.

Quel tournant socio-historique dans l’analyse de


l’action publique « à la française » ?

En France, l’analyse des politiques publiques semble avoir connu, avec quelques 12
différences significatives sur lesquelles nous insisterons, les mêmes grandes
inflexions intellectuelles qui ont marqué la science politique française comme
discipline académique. Globalement, cette dernière s’est en effet détachée
progressivement du droit public, la longue marche vers l’autonomie disciplinaire
renvoyant en particulier à deux phases successives de sociologisation des travaux
politologiques, dont la dernière est largement dominée par un tournant socio-
historique. Dans la spécialité qui nous intéresse, cette évolution se traduit par le
passage d’une analyse de politiques publiques à une perspective de plus en plus
unanimement revendiquée de sociologie de l’action publique. On peut toutefois
s’interroger pour savoir si l’analyse de politiques publiques a également, ou non,
connu une forme de « tournant historique » ayant fortement marqué la discipline
toute entière lors des deux dernières décennies.

Une première sociologisation des analyses de politiques


publiques
En France, il faut attendre la fin des années 1960 pour que, dans le domaine de 13
l’action administrative et politique, la science politique s’autonomise du droit et
rompe nettement avec une approche proprement juridique de la vie politique. Or,
cette culture juridique a beaucoup marqué les premières générations de politistes et
leur manière de construire des objets scientifiques. Les recherches qui pourront
fournir des bases, théoriques et empiriques, aux analyses de politiques publiques à
venir sont alors menées principalement par des juristes et certains politistes
spécialistes de science administrative. La dimension normative des travaux, ainsi
que leurs aspects descriptifs et appliqués dominent encore très largement cette
spécialité, enseignée dans les facultés de droit [28]. Il n’est pas neutre que l’intitulé
exact d’une des leçons de l’agrégation de science politique, dont la création ne date
que de 1971 [29], désormais devenue « administration, gestion et politiques
publiques », ait longtemps été « science administrative et politiques publiques ». Ces
approches de science administrative et la dimension proprement institutionnelle de
la plupart des premières recherches politologiques fournissent toutefois un cadre
d’intelligibilité non négligeable pour les politiques publiques. De ce point de vue, on
peut regretter qu’un travail de rapprochement et d’inventaire critique n’ait pas été
mené de manière systématique afin de mieux tirer partie des acquis de cette science
administrative, peut-être un peu vite sacrifiée sur l’autel de cette forme modernisée
et scientifique d’analyse de politiques publiques plus ou moins directement issue des
policy studies nord-américaines.

Dans une logique de développement finalement assez proche du modèle nord- 14


américain, l’influence sociologique principale que vont subir les recherches
administratives et institutionnelles hexagonales provient alors principalement des
travaux du Centre de sociologie des organisations [30]. Ces derniers participent de
cette ouverture de la discipline vers des enquêtes empiriques portant sur le
fonctionnement concret de l’administration et du système politico-administratif
français. C’est, en effet, en large partie sous l’influence de la sociologie des
organisations que la science politique française va changer son regard sur
l’administration et tendre à s’éloigner d’une vision juridique formaliste et classique.
L’administration n’est alors plus appréhendée comme une simple fonction
d’exécution. Elle est vue comme un espace des relations de pouvoir et la frontière
entre administration et politique est désormais conçue comme poreuse. Ainsi, le
comportement des acteurs, notamment au sein des organisations administratives et
bureaucratiques, n’est pas seulement prescrit par la fonction qui leur est impartie,
mais par des systèmes complexes d’interactions, ainsi que par des stratégies
personnelles, permettant notamment de se saisir des zones d’incertitudes présentes
dans les organisations, éléments que seule la méthode clinique – empirique et
inductive – peut mettre à jour. Dans la lignée des premiers travaux publiés par
Michel Crozier, directement inspirés des études développées précédemment aux
États-Unis, l’équipe du CSO a ainsi entrepris une série d’enquêtes, issues, le plus
souvent, de commandes institutionnelles, portant sur les processus de décisions
dans les administrations publiques, sur les relations entre instances centrales et
locales dans le système politico-administratif français. Les travaux exemplaires de
Pierre Grémion sur le pouvoir périphérique apportent notamment une dimension de
sociologie historique permettant d’aborder la question d’un modèle républicain
d’administration territoriale sur le temps long (Troisième-Cinquième République) et
de ses évolutions [31]. Ces très nombreuses et très consistantes études empiriques
intègrent alors souvent une réelle dimension de profondeur historique, même si elles
débouchent sur une tentative de modélisation, globale et largement a-historique, qui
aboutit à la mise en évidence d’un système dit de régulations croisées [32]. Au final, ce
dialogue interdisciplinaire entre sociologie et science politique, mené aussi dans
d’autres lieux que le CSO, mais souvent à partir de la sociologie des organisations,
amende une vision juridique et pyramidale de l’organisation politico-administrative
française et insiste sur le rôle des collectivités territoriales dans le cadre d’un système
politico-administratif à plusieurs niveaux [33].

Au même moment, d’autres dialogues sont noués entre sciences sociales et analyse 15
des institutions politico-administratives. Il faudrait ainsi regarder de plus près
l’étude des pouvoirs locaux telle qu’elle est mise en œuvre notamment au sein du
Centre d’étude et de recherche sur la vie locale (CERVL), fondé à Bordeaux en 1966 et
marqué par les travaux d’Albert Mabileau, dont on reparlera plus bas. Plus largement,
la recherche urbaine à dominante néo-marxiste renvoie également à de nombreuses
études empiriques sur « la scène politique locale et la politique municipale » [34]. En
science politique, cette question urbaine est, en partie, travaillée par des chercheurs
du Centre de recherche en science politique grenoblois qu’est le CERAT. Toutefois,
au début des années 1970, leur principal sujet de recherche est en passe de devenir
l’étude du processus de planification ou, plus largement, l’étude des idées en actions.
Il s’agit justement de tenter de dépasser la sociologie des organisations en observant
les rapports entre le jeu de certains acteurs et les structures économiques et sociales
qui l’encadrent. Ces études s’interrogent sur la manière selon laquelle des groupes
sociaux se constituent en acteur-médiateur en pensant leur position dans le monde
et en véhiculant une certaine représentation du monde. À partir de là, Lucien Nizard
et son équipe (Planification et société, 1974) mettent en évidence le fait que le processus
d’élaboration du plan consiste principalement en la construction et la diffusion d’une
représentation centrée sur l’idée de modernisation et de croissance [35]. Cette étude
repose sur l’identification d’une « communauté de planificateurs », construite
essentiellement autour du Commissariat général du plan, de la direction de la
Prévision du ministère des Finances et de l’INSEE. Ce triangle planificateur est alors
défini comme un groupe d’acteurs producteurs d’une vision du monde centrée sur
l’idée de modernisation qui allait se diffuser ensuite, via les commissions du plan
notamment, dans toute l’administration, ainsi que dans les milieux économiques.

C’est à partir de ces travaux que s’est forgée la notion de référentiel. L’ambition de 16
cette approche, retravaillée et requalifiée quelques années plus tard de cognitive,
consiste à étudier « les processus par lesquels sont produits et légitimés des
représentations, des croyances, des comportements, notamment sous la forme de
politiques publiques particulières dans le cas de l’État » [36]. Cette analyse de l’action
publique par les référentiels repose, de fait, sur une vision macro-historique à
tendance évolutionniste. L’ambition est, en effet, de mettre en évidence, sur le long
terme, les ruptures de référentiel qui aident à comprendre l’avènement d’un
référentiel modernisateur. C’est ainsi que Pierre Muller propose, pour analyser la
politique agricole, une vision sur un siècle, qui repose sur des travaux de seconde
main pour les périodes les plus anciennes [37]. À côté de ces travaux de sciences
sociales des institutions et des politiques publiques, la science politique va connaître
une autre inflexion sociologique liée à la sociologie critique [38]. Une inflexion qui
n’est pas sans nourrir quelques années plus tard un projet de socio-histoire du
politique.

Un tournant socio-historique dans l’analyse de l’action


publique ?
À partir du milieu et, surtout, de la fin des années 1980, on assiste à un net 17
renouvellement du dialogue entre histoire, sciences sociales et science politique.
L’approche qui en résulte tend à rompre d’abord avec la mobilisation érudite des
travaux historiques en science politique – le sempiternel chapitre historique des
thèses et ouvrages de science politique –, mais aussi avec les travaux originels de
sociologie historique que nous avons évoqué. La démarche porte davantage sur des
objets circonscrits, notamment du point de vue chronologique et sociologique. Ce
changement de focale apparaît directement lié à un renouvellement des méthodes,
ainsi qu’à l’influence plus ou moins directe de la micro-histoire, de la micro-
sociologie et des enquêtes ethnographiques. Le rapport au terrain et aux sources,
l’exploitation d’archives ou de matériaux de première main, la volonté de saisir avec
précision la complexité des interactions inter-individuelles et inter-institutionnelles
sont désormais au centre des enquêtes.

Le tournant historique s’éclaire, en partie, à la lumière du contexte institutionnel et 18


académique français de la fin des années 1980, marqué, notamment, par un repli
disciplinaire généralisé, alors que les années 1960 et 1970 avaient vu l’avènement de la
pluridisciplinarité ; ce repli est dû à la fois à la gestion de la pénurie de postes dans
l’enseignement supérieur et la recherche publique et à une professionnalisation de
plus en plus grande à l’intérieur des différentes disciplines. Cette double clôture, à la
fois institutionnelle et intellectuelle, permet de comprendre les bases du projet socio-
historique, qui tente d’assumer une posture intellectuelle ambitieuse tout en étant
réaliste quant aux hybridations disciplinaires alors possibles. Conscients de la double
clôture, les acteurs qui vont porter ce projet socio-historique vont tenter de renouer
avec une vision de sciences sociales épistémologiquement unifiées en décidant
d’ouvrir des dialogues entre disciplines à partir d’objets de recherche circonscrits. Le
rôle de la science politique – qui recherche une légitimité dans le champ des sciences
sociales – est ici central. En lien avec ce rôle et avec une revalorisation du politique
comme objet d’études au cours des années 1980 [39], l’objet politique est, en effet, l’un
des premiers à permettre ce dialogue. En septembre 1990 sort ainsi le premier
numéro de la revue Genèses, « Sciences sociales et histoire ». Son manifeste est très
explicite : « Genèses, sans invoquer pour autant la pluridisciplinarité – idée molle qui
présuppose la déférence aux découpages académiques et aux institutions qui les
perpétuent – sera un lieu où différentes approches de l’historicité pourront s’écouter
dialoguer ou s’opposer en connaissance de cause » [40]. Cette revue est, avec d’autres
institutions [41], l’un des espaces de discussion, d’échanges de travaux entre des
chercheurs provenant de disciplines diverses.
En ce qui concerne la science politique, ce tournant historique apparaît également 19
comme un phénomène générationnel. Il est rendu possible par l’accession aux postes
d’enseignants et de chercheurs d’une génération d’individus dont la socialisation à la
discipline est nettement distincte de celle de la génération précédente. La discipline
s’est autonomisée et s’est dotée d’instance de sélections distinctes de celles de droit
public. C’est par ailleurs une discipline désormais davantage ouverte aux sciences
sociales. Les premiers socio-historiens sont ainsi des lecteurs de la sociologie
constructiviste et critique précédemment citée, mais également de la micro-
sociologie urbaine, de la sociologie interactionniste, ou encore, entre autres, des
œuvres majeures de Michel Foucault et de Norbert Elias. Certains d’entre eux
assument même une filiation directe avec une tradition historique issue de l’École
des Annales et qui s’illustre notamment à travers la prééminence d’une école
française d’histoire sociale [42]. Les entrants dans la discipline bénéficient de
formations universitaires (il faudrait évoquer notamment le DEA de sciences sociales
de l’ENS et de l’EHESS), au sein desquelles sont promues les différentes méthodes
d’enquête en sciences sociales, intégrant méthodes sociologiques, anthropologiques,
ethnographiques et historiennes. De fait, les enquêtes socio-historiques se
caractérisent d’abord par un rapport central aux sources et à leur exploitation.
L’enquêteur est conduit à collecter des sources de première main, à amasser et
rassembler des matériaux souvent archivistiques et à réfléchir sur ce geste de
« mettre à part ». Ces interrogations sur la démarche et la conduite d’enquête, mais
aussi ces investigations menées à partir de matériaux improbables, ont nourri et
largement réanimé, dans les dix dernières années, une vive réflexion
méthodologique dont a pu bénéficier la science politique [43].

C’est ainsi que la socio-histoire – à côté de chantiers importants et stimulants sur le 20


vote et sur le métier politique – a contribué à imposer une nouvelle approche de
l’étatisation, entendue surtout comme un processus de « mise en
administration » [44]. De tels travaux expriment leur méfiance à l’encontre des
modélisations qui, à travers des définitions trop générales de la bureaucratie,
cachent les cas derrière des concepts macro-sociologiques. Il s’agit davantage, à
partir d’un matériau archivistique et documentaire, de revenir sur les « errements
inventifs des agents » placés « au cœur du dispositif étatique » [45] pour analyser à la
fois la genèse de formes administratives (des circulaires aux établissements publics,
en passant par les formulaires), de nouvelles frontières (notamment celles entre les
notables, les amateurs et les professionnels de l’administration) et l’invention de
nouvelles formes de décision.

Ces travaux se penchent en particulier sur l’érection de frontières délimitant l’action 21


étatique en scrutant bien souvent des réseaux d’acteurs, des réseaux de réformateurs
situés à l’entrecroisement de la sphère privée (philanthropie, industrie, associations,
etc.) et de l’administration. Il en est ainsi de l’action de la Société générale des
prisons au tournant du siècle, où l’on repère non seulement la genèse d’un savoir – la
criminologie –, mais aussi une réforme des politiques de lutte contre le crime [46]. La
réforme de l’éducation des sourds-muets dans la seconde moitié du dix-neuvième
siècle est également saisie à partir de l’analyse d’un réseau ponctuel d’acteurs publics
et privés [47]. En étudiant le travail politique de ces réseaux d’acteurs, l’ambition est
bien de saisir comment certaines questions se transforment en problèmes et en
horizons d’action pour les pouvoirs publics [48]. Ces enquêtes aident également à
comprendre comment ces nouveaux horizons transforment le travail même de l’État
et participent à sa bureaucratisation [49]. Enfin, pour cerner cette étatisation, des
études privilégient l’analyse de la fabrique des discours et des représentations de
l’État, de mythes constitutifs même de la réalité étatique, de savoirs et sciences de
gouvernement [50], qui, comme de nombreuses représentations, aident à faire tenir
les pouvoirs publics.

Autrement dit, ces travaux socio-historiques cherchent eux aussi à ouvrir la « boîte 22
noire » de l’État, mais en questionnant les différentes figures concrètes qu’il a pu
prendre, notamment au cours des deux siècles précédents. Dans une perspective
finalement assez proche de la sociologie des organisations, l’État est entendu ici
comme un ensemble d’acteurs individuels et collectifs et il est avant tout saisi à
travers ses pratiques, figures et usages concrets. Les acteurs qui le composent
possèdent des intérêts, poursuivent des intentions qui leur sont propres, disposent
de représentations et de valeurs plus ou moins partagées et sont situés dans des
relations d’interdépendance. En souhaitant dépasser l’opposition entre démarche
idiographique et démarche nomothétique, les travaux socio-historiques
reconnaissent étudier des cas et donc des acteurs singuliers. Ces derniers ne sont ni
des entités représentatives, ni des atomes de base isolables. L’acteur est le résultat
d’un processus à la fois social et individuel. Il est « à la fois le produit de multiples
interactions personnelles dans lesquelles il a été pris depuis la naissance et le produit
de multiples références culturelles et linguistiques auxquelles il a été exposé et qu’il
s’est appropriées successivement » [51]. Le processus n’est donc pas envisagé comme
un déroulement linéaire correspondant à un schéma évolutionniste liant passé et
présent de manière mécanique. Il est alors mis au jour par une sociologie
interprétative – compréhensive, au sens de Max Weber –, attentive aux points de vue
des acteurs et qui met en avant l’étude des fondements culturels, sociaux, politiques
et stratégiques des situations et contextes étudiés.

Ainsi, l’État est abordé à travers l’analyse des interactions entre acteurs locaux et 23
nationaux, centraux et périphérique, et même publics et privés. Mais ce
renouvellement des études sur l’État et l’étatisation a en grande partie et
paradoxalement été rendu possible par l’investissement des socio-historiens dans
l’analyse des gouvernements locaux.

L’étude renouvelée du gouvernement municipal comme


symbole d’un tournant socio-historique ?
Le pouvoir municipal a souvent été l’objet privilégié des recherches fondatrices en 24
matière d’analyse des politiques publiques [52]. La raison principale de cette
prééminence tient certainement au fait qu’il existe une certaine conjonction
temporelle entre le moment où ces formes de savoirs académiques et universitaires
s’élaborent et commencent à s’institutionnaliser, et l’époque où l’interventionnisme
étatique s’exacerbe et où l’espace municipal devient le réceptacle de nouvelles formes
de régulation de la société, ainsi que d’un large renouvellement de l’intervention des
pouvoirs publics. Alors que la philosophie politique avait réfléchi très largement tout
au long du grand 19e siècle (1789-1918) sur la forme générale des régimes politiques et
des États, la science sociale naissante se saisit aussi des questions de mise en œuvre
concrète des politiques sur des territoires et secteurs circonscrits, et à partir
notamment d’expériences communales. Mais au-delà de ces « origines municipales »
de l’analyse de l’action publique [53], le gouvernement municipal – notamment urbain
– est aujourd’hui non seulement un des objets les plus prolifiques des études de
politiques publiques, mais aussi un terrain sur lequel s’est bâtie une posture socio-
historienne revendiquée comme telle. Cette posture se caractérise, en particulier, par
des enjeux problématiques visant à « dé-localiser » l’analyse du pouvoir municipal en
se défaisant d’un regard stato-centré et par des exigences méthodologiques qui
fondent sa scientificité même, tout en limitant certainement ses ambitions
interprétatives.

Un enjeu problématique : « dé-localiser » [54] l’analyse du


pouvoir municipal
En 1985, au moment où est publié le Traité de science politique, force est de constater 25
que le nombre de politistes qui se prêtent alors à l’analyse du pouvoir local et, en
particulier, municipal [55] reste faible et leur localisation très circonscrite. Pourtant,
un tournant s’opère au cours des années 1980-1990. Le silence, ce « désintérêt quasi
séculaire », se brise, en partie, sous l’effet d’un pouvoir local supposé s’être
transformé à la suite des lois de décentralisation. Les éléments d’une « dimension
locale de la politique » [56] sont alors esquissés. Cette épaisseur propre à la vie locale
est interrogée, voire conceptualisée. Les lois de 1982 semblent ainsi contribuer
directement à l’émergence d’un véritable gouvernement local, autonome et affranchi
des tutelles traditionnelles [57]. Le nombre de travaux consacrés à cette notion connaît
ainsi une inflation sans précédent. La ville et le pouvoir urbain comptent même
désormais parmi les objets privilégiés de la science politique, et ce, à partir d’un
questionnement en termes de gouvernement urbain [58] ou de gouvernance
urbaine [59]. Les observateurs insistent sur le développement du gouvernement
municipal, associé au renforcement du pouvoir des maires et à une plus grande
capacité des municipalités à gérer leurs propres affaires depuis le vote des lois de
décentralisation. Ce serait essentiellement à la suite « de l’accélération des mutations
socio-économiques et de la multiplication des réformes qui ont touché peu ou prou la
totalité des systèmes locaux » que les recherches sur le pouvoir municipal saisi dans
sa singularité se seraient faites plus nombreuses. Le regard politologique est encore
aujourd’hui marqué par l’empreinte d’un systémisme un peu simplificateur, diffusé
notamment dans les travaux d’Albert Mabileau, et qui fait du « “gouvernement local”
[…] un élément constitutif – un sous-système – du système politique, dont les
performances contribuent largement à la régulation de ce dernier » [60] ; le spécialiste
du système local allant même jusqu’à déclarer qu’il « est exact que l’innovation a été
promue par le centre – comme ce fut d’ailleurs toujours le cas – et plus spécialement
par les hauts fonctionnaires techniciens des administrations parisiennes… » [61].

À y regarder de plus près, ces explications suggèrent plusieurs clefs de lecture. Elles 26
laissent croire que le désintérêt porté à un pouvoir municipal possédant ses
spécificités, ses dimensions propres, ne serait pas lié à un quelconque point aveugle,
mais bien à une simple absence d’objet. Derrière de tels arguments se dévoile une
vision historique assez linéaire. Il semble que les chercheurs, qui refusent de parler
en termes de « gouvernement municipal » avant les lois de décentralisation et le
milieu des années 1980, sont portés à évoquer l’histoire du pouvoir municipal en
considérant l’époque dont ils sont contemporains comme un aboutissement.
Concentrée sur les objets légitimes dans le champ politique, notamment les objets
consacrés par le législateur, une telle histoire se confondrait avec un lent processus
de centralisation s’achevant par les lois de décentralisation, véritable étape vers une
« modernisation » de l’administration urbaine [62]. Pareille vision historique, qui
confine à l’anachronisme, révèle certains effets de la domination d’une analyse stato-
centrée. Elle illustre la confusion existant entre les cadres de la connaissance – les
outils d’analyse prisonniers du modèle centre-périphérie – et la réalité appréhendée.
Les enquêtes socio-historiques peuvent nous aider à mieux discuter ce regard
historique singulier et, par là même, les possibles points aveugles de la discipline.

Les premiers travaux à dimension historique sur le pouvoir municipal s’inscrivent, 27


en fait, dans la continuité des recherches d’histoire sociale et d’histoire urbaine, qui,
depuis le milieu des années 1980, se sont concentrées sur la genèse d’un
aménagement urbain professionnalisé. À travers le prisme de la mise en forme de
nouvelles compétences urbaines, ces études mettent en évidence un moment
historique particulier, correspondant aux premières décennies du vingtième siècle.
Plus largement, cette perspective de socio-histoire urbaine, étudiant non seulement
les nouvelles professions liées à l’aménagement urbain, les nouvelles compétences et
politiques urbaines, mais aussi « le gouvernement des “hommes de la ville” » [63] et la
constitution des services municipaux [64], a contribué à forger un regard renouvelé
sur l’organisation municipale. Ces études tentent alors de dépasser une approche
visant à considérer le pouvoir local essentiellement dans sa dépendance à l’égard de
l’acteur étatique. Des monographies historiques communales, publiées surtout dans
les années 1980, offrent ainsi un éclairage nouveau sur le fonctionnement des
municipalités et l’organisation de leurs services [65]. De même, une partie des analyses
socio-historiques des politiques sociales, particulièrement en matière d’hygiène, de
santé et d’assistance publiques, a placé le pouvoir municipal au centre de ses
interrogations.

Les enquêtes sur la création des premiers bureaux municipaux d’hygiène permettent 28
ainsi de démontrer que les réalisations dites locales ont précédé, de dix à vingt ans, la
promulgation de la loi du 15 février 1902, loi relative à l’hygiène et à la protection de la
santé publique [66]. La législation nationale reprend l’édifice que les bureaux
municipaux et les services départementaux d’hygiène ont amorcé. Une certaine
« complémentarité » entre des espaces politiques municipaux innovants et
relativement indépendants et un État centralisé, lui-même en voie de
bureaucratisation, se met donc en place au cours de la Troisième République,
souvent qualifiée de véritable « âge d’or » des communes. À partir de la genèse des
politiques sociales et urbanistiques, de nombreux travaux, qui étudient les
municipalités dans leur fonctionnement concret, ont pu mettre en évidence une
certaine antériorité des politiques locales sur les politiques centrales, les premières
étant ensuite adoptées par voie de généralisation impulsée par le centre. Ces études
qui enquêtent, pour la plupart, sur le tournant du siècle et les premières décennies
du vingtième siècle, s’interrogent sur le degré d’autonomie des périphéries [67]. Les
écrits suggèrent de rompre avec une vision localisée du local, c’est-à-dire une analyse
du pouvoir municipal empreinte du regard et des représentations forgées par les
acteurs étatiques, analyse longtemps privilégiée par les études de science politique.

Ensuite, ces premières études se concentrent sur le gouvernement municipal et – 29


tout en cherchant à dépasser la césure policy-politics – prennent comme objet les
hommes qui dirigent la ville (élus et employés). Le gouvernement municipal devient
alors un prisme privilégié pour proposer un renouvellement des interrogations sur
l’action publique contemporaine. C’est, en tout cas, la conviction d’un certain
nombre de travaux récents consacrés aux « gouvernements municipaux en action »
et, plus largement, à la structuration de l’espace politique municipal [68]. Mieux
encore, les enquêtes sur le gouvernement municipal et sa structuration peuvent
aider à contextualiser certaines catégories de la science politique, à mettre en
évidence quelques-uns des points aveugles de cette discipline qui a longtemps
confondu politique et activité de l’État : une discipline qui a ainsi mésestimé et
négligé tout un ensemble d’activités, de règles du jeu, de logiques, de tactiques et
techniques politiques mises en œuvre dans d’autres espaces politiques que le seul
espace étatique.

Autrement dit, la perspective socio-historique conduit à se défaire de ce double 30


carcan consistant à n’envisager le pouvoir municipal qu’à travers une relation
verticale nouée avec l’État, à ne considérer son histoire qu’à partir d’un regard
rétrospectif et téléologique. D’autres enquêtes – mettant en œuvre d’autres
protocoles [69] – avaient déjà pu favoriser un tel déplacement du regard. Mais le
détour historique peut nous permettre de scruter la genèse de circulation d’hommes,
de savoir, d’innovation entre municipalités. Ces réseaux, parfois qualifiés
d’intermunicipaux [70], notamment transnationaux, de circulation de réalisations et
d’initiatives, ainsi que les traces qu’ils ont pu laisser offrent à nouveau l’opportunité
de se défaire d’un regard stato-centré [71]. Ces sites, construits en objets d’étude,
conduisent, aux côtés d’autres [72], à observer un autre lien que le seul « mode
pyramidal de circulation de l’innovation et de l’information » allant de
l’administration centrale vers les villes [73].

Entre exigences méthodologiques et limites interprétatives


Les enquêtes socio-historiennes sur le gouvernement municipal veulent contribuer à 31
l’étude de la structuration du pouvoir municipal saisie, bien souvent, à travers le
fonctionnement concret des municipalités et les spécificités de ces dernières. En
enquêtant, à travers les circulations entre municipalités, sur l’élaboration d’un ordre
politique municipal, ces travaux privilégient les enquêtes de terrain qui doivent
mettre en œuvre une démarche réflexive dans la constitution du corpus, le
rassemblement des matériaux et imprime cette exigence de scientificité au sens
passeronien du terme. C’est cette immersion dans le milieu étudié qui permet une
exploitation renouvelée des sources et au final un déplacement du regard.

La méthodologie des travaux de socio-histoire du gouvernement municipal se 32


caractérise d’abord par l’exploitation de matériaux de première main. Que ces
travaux portent directement sur l’action publique municipale et son caractère
innovant, sur la culture de l’administration municipale et les savoirs qui la font
tenir [74] ou encore sur la structuration d’un espace politique municipal [75], ils
renvoient tous à des enquêtes directement menées sur un terrain archivistique et
documentaire. Les enquêtes socio-historiques proposent une réflexion sur les
sources mobilisées elles-mêmes. En présentant les ficelles des enquêtes, les
procédures concrètes de recueil de données et de conduite de la recherche, les
travaux mettent en œuvre ce qui pourrait être caractérisé comme une ethnographie
socio-historique.

Les enquêtes socio-historiques sur le gouvernement municipal urbain reposent sur 33


des sociologies d’acteurs impliquant souvent des méthodes quantitatives :
prosopographie du personnel municipal [76], prosopographie des élus [77], analyse des
réseaux de réforme municipale [78]. Mais ces analyses de bases de données ne sont
rendues possibles que par une familiarité avec le milieu étudié, familiarité acquise
par des enquêtes qualitatives. Enfin, soulignons que, pour des raisons de temps et de
coûts liées à l’investissement empirique principalement, ces enquêtes portent sur des
périodes circonscrites autour de quelques décennies.

C’est avant tout le caractère réflexif de la démarche mise en œuvre – une attention 34
qui ne se porte pas seulement sur l’objet de l’enquête, mais aussi sur le travail de
l’enquêteur –, qui peut nous amener à faire le parallèle avec les enquêtes de terrain
d’ethnographie sociologique [79]. Ainsi, l’invention des sources, le rassemblement de
documents assez hétéroclites (des cartons d’archives municipales, mais aussi des
cartons d’archives nationales – qui sont essentiellement les résidus de l’activité de
contrôle du ministère de l’Intérieur et de la direction de l’Administration
départementale et communale sur l’action des municipalités –, des périodiques
d’administration communale ou encore des brochures et autres ouvrages consacrés à
l’organisation municipale) ne peut se passer d’interrogations sur la matérialité et la
nature même des matériaux. La plupart de ces documents sont, d’une part,
interrogés pour ce qu’ils disent sur l’organisation municipale et, d’autre part,
observés comme des institutions, parties intégrantes des objets d’étude.

Avec des ambitions méthodologiques clairement affirmées, les travaux socio- 35


historiques renouent avec certains des impératifs de la sociologie critique : réflexion
sur les découpages et les constructions d’objets ; contextualisation de catégories
d’analyses parfois trop vite considérées comme légitimes ; analyse de « boîtes
noires », jusqu’alors trop souvent pensées comme des objets quasi-naturels. Mais
l’ambition n’est pas ici de faire école, de forger un dispositif de concepts
contraignants qui, à terme, pourraient brider le chercheur, l’empêcher de traiter par
lui-même ses propres objets scientifiques, de les problématiser en fonction de ses
intérêts et questionnements personnels. C’est même plutôt la pluralité des modèles
analytiques qui semble dominer, la posture générale apparaissant avant tout
empirique et inductive. Toutefois, le rapport au terrain des socio-historiens n’est pas
sans soulever quelques questions et limites intrinsèques. Et d’abord, la question de la
période privilégiée : les enquêtes socio-historiques, dans la lignée d’une histoire
sociale davantage focalisée sur le 19e et sur le tournant des 19e et 20e siècles,
accordent, en effet, un net primat à la Troisième République. Les socio-historiens du
politique n’enquêtent pas sur des périodes précédant la Révolution et peu d’entre eux
encore s’intéressent à des périodes de l’après Seconde Guerre mondiale et, encore
moins, à des périodes récentes (années 1980-1990). Se pose alors la question de la
cumulativité de ces travaux. Qu’est-ce qui fait que ces enquêtes, sur des périodes très
circonscrites, peuvent en nourrir d’autres, sur d’autres périodes et notamment sur la
période contemporaine ? C’est là un argument présent dans les controverses sur la
démarche socio-historique et bien souvent déployé par les tenants d’une opposition
entre science du présent et socio-histoire, dont l’objet ainsi caricaturé serait le
passé [80]. Il s’agit pourtant d’un débat sans objet si l’on veut bien considérer, dans la
logique des Annales, que ces détours socio-historiques permettent d’interroger
d’abord et avant tout notre société contemporaine [81]. Un dialogue évident existe
d’ailleurs, qui porte bien souvent, dans une perspective de sciences sociales déjà
explicitée, sur la méthode et la démarche. Les approches sociologiques, les analyses
en termes de réseaux, les plongées prosopographiques, les précautions
méthodologiques et le regard réflexif de l’enquêteur sur son terrain sont débattus et
bien souvent partagés par les chercheurs en sciences sociales, quelle que soit la
distance historique qui les sépare de leur objet. Dialogue qui porte également – mais
en partie seulement – sur les résultats. Nous l’avons dit, les premiers travaux socio-
historiques sur les gouvernements urbains ont nourri toute une série d’enquêtes,
notamment doctorales, qui ont donné lieu à des groupes de travail, des colloques, des
numéros spéciaux de revue, des ouvrages. Il n’en demeure pas moins que, parmi les
spécialistes du gouvernement local, les travaux socio-historiques semblent garder
une place à part. Le dialogue entre socio-histoire de l’action publique et analyse des
politiques publiques peine par ailleurs à se nouer [82]. Mais ce dialogue difficile
renvoie à une troisième remarque sur l’approche socio-historique : sa réticence à
construire des modèles, à réifier des expériences singulières, à monter en généralité.
De fait, l’approche socio-historique tend à dénaturaliser et contextualiser certaines
catégories de la science politique. Le savoir ainsi produit à un caractère probabiliste
et surtout bien souvent fragmentaire. L’enquêteur peine à – voire, refuse de – passer
des fragments aux modèles, de cas singuliers à des lois générales. Ce savoir
hypothétique n’est pas propre à l’approche socio-historique, mais il caractérise,
comme nous avons pu le dire dans l’introduction, une bonne partie des sciences
sociales contemporaines.

Ce tournant socio-historique dans l’analyse de l’action publique (« à la française » ?) a 36


participé, de fait, à un processus plus large de spécialisation et de
professionnalisation de la science politique, marqué par une seconde phase de
sociologisation de ses objets, pratiques et méthodes d’enquête. Il joue un rôle dans la
discipline, bien au-delà du seul champ des politiques publiques. C’est d’ailleurs
pourquoi certains des acquis et conseils méthodologiques présentés ici peuvent
apparaître comme de simples règles de bon sens dans l’univers des sciences sociales.
Encore faut-il que ces règles soient connues, respectées et appliquées concrètement
dans l’ensemble des recherches académiques de politiques publiques. Alors que l’on
pourrait se croire quelquefois face à des critiques formalistes et tatillonnes, portant,
notamment, sur la posture de recherche, sur la capacité à présenter les sources
utilisées, ainsi qu’à objectiver leurs limites et biais éventuels, c’est, en fait, la
scientificité même de la démarche – au sens passeronien – et, donc, la capacité du
chercheur à proposer un espace informé de controverse, qui est ici en jeu. Ce dernier
ne peut, en effet, pas reposer sur un ensemble de lois et de savoirs circonscrits et
communément partagés, comme cela existe en général dans les sciences dites dures :

« Or, il n’existe aucun savoir nomologique de ce type [celui des sciences de la vie et 37
de la matière] qui guiderait le questionnement historique des sciences sociales :
l’histoire des sciences sociales suffit ici pour trancher, en nous montrant la
déception de tous les espoirs naturalistes qui ont été placés dans le rôle fondatif
d’une science nomologique-mère (successivement ou contradictoirement,
[83]
économie, démographie, psychologie ou linguistique)… »

Au final, l’enjeu porte sur la crédibilité et légitimité scientifiques des travaux de 38


recherche et sur leur possible cumulativité à l’intérieur d’un espace de controverses
unanimement partagé. On retrouve alors les postulats de base des « pères » de la
sociologie moderne, à l’instar de Max Weber, qui assignait l’ambition suivante à la
revue dont il avait pris la responsabilité en 1904 : « L’Archiv combattra
impitoyablement cette dangereuse illusion qui se figure qu’il est possible de parvenir
à des normes pratiques ayant une validité scientifique à la faveur d’une synthèse ou
d’une moyenne de plusieurs points de vue partisans » [84]. Nous partageons
pleinement cet adage, tant il est vrai que, sans accord sur les méthodes et les
principes d’exemplification, il ne reste plus que des points de vue singuliers et, donc,
au final, des querelles idéologiques, certes utiles et nécessaires, mais tout
simplement extérieurs au monde des sciences sociales ainsi défini.

Notes

[1] Ce texte est le fruit d’une intervention présentée, en mars 2003, dans le cadre du
séminaire du Pôle « action publique » du Centre de recherches politiques de
Sciences Po (Cevipof). Il a, par ailleurs, été discuté au sein du groupe de travail
« APSO » du CERIEP (Institut d’études politiques de Lyon) et lors d’une séance du
séminaire « Pratiques et méthodes de la socio-histoire du politique », animé par
François Buton et Nicolas Mariot au CURAPP (Amiens). Nous souhaitons
remercier les lecteurs qui nous ont permis, à ces occasions, de clarifier et d’enrichir
nos propos.

[2] On peut renvoyer, sur ce thème, aux actes du colloque d’Amiens : Pascale Laborier,
Dany Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF/CURAPP-GSPM, 2003.

[3] Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du


raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.

[4] Ibid, p. 375.

[5] Comme le rappelle opportunément Howard Becker : « Nous ne travaillons pas dans
le monde des physiciens, où nous pourrions prendre sur une étagère un échantillon
de substance pure et savoir que c’est la même substance […] que celle que n’importe
quel autre scientifique de la planète pourra manipuler sous le même nom. Aucune
de nos « substances » n’est pure. Ce sont des combinaisons historiquement
contingentes et géographiquement déterminées d’un certain nombre de
processus ; aucune de ces combinaisons ne peut être identique à une autre » (Les
ficelles du métier. Comment conduire des recherches en sciences sociales, Paris, La
Découverte, 2002, p. 152).

[6] Sur ces aspects des impensés disciplinaires, cf., entre autres, Gilles Pollet,
« Regards croisés sur la construction de la loi : d’une histoire sociale à une socio-
histoire de l’action publique », dans Jacques Commaille, Laurence Dumoulin, Cécile
Robert (dir.), La juridicisation du politique, leçons scientifiques, Paris, LGDJ, 2000 (Droit
et Société), p. 61-80.

[7] Wayne Parsons, Public Policy. An Introduction to the Theory and Practice of Policy
Analysis, Cheltenham, Edward Elgar, 1995.

[8] Nous employons ce terme de policy studies par commodité de langage, pour
désigner l’ensemble des travaux et auteurs qui a contribué à fonder, au départ aux
États-Unis, cet espace tout à la fois de recherche et d’aide à la décision, que l’on a
traduit en français par « analyse des politiques publiques » ou, quelquefois même,
par le seul vocable « politiques publiques ». Sur ce point, cf., notamment, Vincent
Spenlehauer, « Une approche historique de la notion de “politiques publiques”. Les
difficultés d’une mise en pratique d’un concept », Informations sociales,
« L’évaluation des politiques publiques », numéro spécial, 110, septembre 2003,
p. 34-45. Sur cette sociogenèse entre policy sciences et policy analysis, cf. Patrice
Duran, « Genèse de l’analyse des politiques publiques », dans Laurie Boussaguet,
Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po, 2004, p. 232-242.

[9] Sur cette posture de sociologie, ou de sociologie politique, de l’action publique, cf.,
entre autres et pour le cas français, Gilles Pollet, « Analyse des politiques publiques
et perspectives théoriques. Essai de modélisation à travers l’exemple des politiques
de retraite dans une perspective historique », dans Alain Faure, Gilles Pollet,
Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques, Paris,
L’Harmattan, 1995, p. 25-47 ; Jean-Claude Thoenig, « L’usage analytique du concept
de régulation », dans Jacques Commaille, Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la
régulation politique, Paris, LGDJ, 1998, p. 35-53 ; Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des
politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998 ; Patrice Duran, Penser l’action
publique, Paris, LGDJ, 1999 ; Jean-Pierre Gaudin, « L’action publique transversale et
le désenchantement du politique », dans Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le
gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris,
Economica, 2002, p. 227-237.

[10] Un ouvrage retrace cette institutionnalisation des analyses systémiques et de


programmes dans la policy analysis états-unienne : Ida R. Hoos, System Analysis on
Public Policy. A Critique, Berkeley, University of California Press, 1972 (revisited ed.).

[11] Sur la rationalité limitée de l’acteur et les comportements administratifs, cf.


Herbert Simon, Administrative Behavior. A Study of Decision-Making Processes in
Administrative Organization, New York, MacMillan, 1947 ; Models of Man, New York,
Wiley, 1958. Sur la dimension gradualiste de l’analyse de l’action publique, cf.
Charles Lindblom, « The Science of Muddling Through », Public Administration
Review, 19, printemps 1959, p. 79-83 ; Robert A. Dahl, Charles Lindblom, Politics,
Economics and Welfare, New York, Harper, 1959 ; Charles Lindblom, The Intelligence of
Democracy, New York, The Free Press, 1965 ; The Policy Making Process, Englewood
Cliffs, Prentice Hall, 1968 ; David Braybrooke, Charles Lindblom, A Strategy for
Decision, New York, Free Press, 1970 ; sur la polyarchie, cf. Robert A. Dahl, Who
Governs ? Democracy and Power in an American City, New Haven, New Haven Press,
1963 (trad. française : Paris, Armand Colin, 1971).

[12] Robert A. Dahl, « The Science of Public Administration : Three Problems », Public
Administration Review, 7 (1), hiver 1947, p. 1-11.

[13] William F. Willoughby, Principles of Public Administration, Baltimore, John Hopkins


Press, 1927.

[14] Luther Gulick, Lyndall Urwick (eds), Papers on the Science of Administration, New
York, Institute of Public Administration, 1937.

[15] Trio fondateur, dont il faudrait objectiver, avec précision, les liens intellectuels,
ainsi que ceux que ses membres entretiennent avec Harold Lasswell et son projet
de « policy sciences », autrement dit, d’une science politique et morale de la décision.
Sur ce point, cf. Vincent Spenlehauer, « Une approche historique de la notion de
“politiques publiques”… », art. cité ; Jean-Pierre Gaudin, « Policy science et premières
analyses du decision making », dans L’action publique. Sociologie et politique, Paris,
Presses de Sciences Po/Dalloz, 2004, p. 107-110.

[16] Herbert A. Simon (1916-2001) obtiendra le prix Nobel d’économie en 1976. Il fera à la
fois une carrière en tant qu’économiste (ses travaux étant plutôt utilisés dans les
sciences de gestion et le management), que psychologue et cybernéticien,
spécialiste d’intelligence artificielle.
[17] James G. March, Herbert A. Simon, Organizations, New York, Wiley, 1958. La
sociologie des organisations nord-américaine avait déjà produit une série de
travaux devenus depuis des classiques, autour notamment de cette autre trilogie
fondatrice composée de Selznick, Gouldner, Blau, dont, paradoxalement, aucun
des ouvrages n’a jamais été traduit en français : Philip Selznick, TVA and the Grass
Roots, Berkeley, University of California Press, 1949 ; Alvin W. Gouldner, Patterns of
Industrial Bureaucracy, Glencoe, Free Press, 1954 ; Peter M. Blau, The Dynamics of
Bureaucracy. A Study of Interpersonal Relations in Two Government Agencies, Chicago,
The University of Chicago Press, 1955.

[18] Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Le Seuil, 1977.

[19] Wolf Lepenies, Les trois cultures. Entre science et littérature, l’événement de la sociologie,
Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1990.

[20] Dorothy Ross, The Origins of American Social Science, Cambridge, Cambridge
University Press, 1991.

[21] On trouve chez Max Weber d’autres termes pour désigner son projet de science
sociale et, notamment, le terme Wirklichkeitswissenschaft (science de la réalité),
Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 152-153.

[22] La structuration même des configurations académiques et disciplinaires dans les


différents pays européens et aux États-Unis produit des effets plus ou moins
contrastés sur la spécialité « sociologie historique », qu’il faudrait pouvoir
objectiver précisément.

[23] Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, Sociologie de l’État, Paris, Grasset, 1979. Le travail
de Norbert Elias apparaît, bien sûr, ici comme précurseur, même s’il mettra du
temps à être connu et reconnu, notamment en France. La première édition
française de La dynamique de l’Occident date de 1976.

[24] Charles Tilly, La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.

[25] Cf. le bilan concernant l’étude comparée des politiques sociales et types de Welfare
States dressé par François-Xavier Merrien, L’État providence, Paris, PUF, 1997.

[26] Sur les différentes versions du néo-institutionnalisme, cf. Peter A. Hall, Rosemary
Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française
de science politique, 47 (3-4), 1997, p. 469-496.

[27] Par exemple : Anne-Marie Guillemard, Le déclin du social : formation et crise des
politiques de la vieillesse, Paris, PUF, 1986, pour le cas français ; Theda Skocpol,
Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of Social Policy in the United States,
Cambridge, Harvard University Press, 1992, pour les États-Unis ; dans une
perspective de comparaisons internationales maîtrisées : Douglas Ashford, pour
l’ensemble de son œuvre et, notamment, British Dogmatism and French Pragmatism :
Central-Local Policymaking in the Welfare State, Londres, Allen and Unwin, 1982 ; The
Emergence of the Welfare States, Oxford, Blackwell, 1986, ainsi que Peter Baldwin, The
Politics of Social Solidarity. Class Bases of the European Welfare State (1875-1975),
Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Sven Steinmo et al., Structuring
Politics : Historical Institutionalism in Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge
University Press, 1992, dans une perspective néo-institutionnaliste.

[28] Sur la science administrative considérée comme « l’étude de la seule


administration étatique » et très imprégnée par la doctrine traditionnelle du droit
public, cf. Jacques Chevallier, Danièle Lochak, La science administrative, Paris, PUF,
1987 (Que sais-je ?), p. 19-20 (1re éd. : 1980).
[29] Marc Milet, « L’autonomisation d’une discipline. La création de l’agrégation de
science politique en 1971 », Revue d’histoire des sciences humaines, 4, 2001, p. 95-116.

[30] Michel Crozier Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1986 (1re éd. : 1963),
p. 257-260. Cf. également sa contribution « Pour une théorie sociologique de
l’action administrative », dans le Traité de science administrative, Paris/La Haye,
Mouton, 1966.

[31] Pierre Grémion, Le pouvoir périphérique, Bureaucrates et notables dans le système


politique français, Paris, Le Seuil, 1976, p. 341.

[32] Michel Crozier, Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes organisés


complexes », Revue française de sociologie, 16 (1), 1975, p. 3-33.

[33] Cf. les travaux de Jean-Claude Thoenig et de Douglas Ashford : Jean-Claude


Thoenig, L’administration des routes et le pouvoir départemental. Vie et mort de la
vicinalité, Paris, Cujas, 1980 ; Jean-Claude Thoenig, Douglas Ashford, Les aides
financières de l’État aux collectivités locales en France et à l’étranger, Paris, Litec, 1981.

[34] Michel Amiot, Contre l’État, les sociologues. Éléments pour une histoire de la sociologie
urbaine en France (1900-1980), Paris, Éditions de l’EHESS, 1986 ; Dominique Lorrain,
« Un livre extrême. Manuel Castells et Francis Godard : Monopolville (1974) », dans
Bernard Lepetit, Christian Topalov (dir.), La ville des sciences sociales, Paris, Belin,
2001, p. 227-266.

[35] Pierre Muller, « Les politiques publiques comme construction d’un rapport au
monde », dans Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), op. cit., p. 153-179.

[36] Pierre Muller, Yves Surel, op. cit., p. 48-50.

[37] Pierre Muller, Le technocrate et le paysan, Paris, Éditions ouvrières, 1984.

[38] Il s’agit là d’une inflexion sociologique majeure issue d’un travail de


réappropriation des principaux outils et concepts de la sociologie critique et
constructiviste, développée autour de l’œuvre de Pierre Bourdieu. Il est assez
remarquable de constater que l’analyse de politiques publiques stricto sensu restera
largement réfractaire à ce courant de sociologie critique et aux nombreux débats et
querelles d’école qui vont ensuite animer une bonne partie de la communauté
scientifique française. Pourtant, on peut penser que ce dernier recèle une série
d’interrogations et de modèles d’analyse qui aurait pu susciter l’intérêt des
spécialistes de l’action publique.

[39] Sur le tournant politique de l’histoire, cf. Yves Déloye, Bernard Voutat (dir.), Faire
de la science politique. Pour une analyse socio-historique du politique, Paris, Belin, 2002,
p. 18 et suiv.

[40] « Sciences sociales et histoire », Genèses, 1, septembre 1990, pp. 2-3.

[41] Au début des années 1990 est créée une Association pour la socio-histoire du
politique, qui organise, en 1996, un premier colloque fondateur, à Grenoble, sur
l’étatisation de la société. Enfin, Michel Offerlé et Gérard Noiriel créent, à la fin des
années 1990, aux éditions Belin, une collection intitulée « Socio-Histoire ».

[42] Cf. Yves Lequin, « Histoire sociale », dans André Burguière (dir.), Dictionnaire des
sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 635-642.

[43] En témoignent les rubriques « Document » et « Savoir-faire » dans la revue Genèses.


[44] Nous pouvons nous reporter, à ce sujet, aux journées d’études de l’Association pour
la socio-histoire du politique organisées à Grenoble en avril 1996.

[45] Cf. l’introduction de Michel Offerlé, « Étatisations », Genèses, 28, septembre 1997.

[46] Martine Kaluszynski, La République à l’épreuve du crime. La construction du crime comme


objet politique (1880-1920), Paris, LGDJ, 2002.

[47] François Buton, « Bureaucratisation et délimitation des frontières de l’État. Les


interventions administratives sur l’éducation des sourds-muets au 19e siècle »,
Genèses, 28, 1997, p. 5-28.

[48] Sur l’objectivation du chômage et sa traduction en catégorie d’action publique, cf.


le travail de Christian Topalov, Naissance du chômeur (1880-1910), Paris, Albin Michel,
1994.

[49] Cf. les travaux de Vincent Viet sur l’inspection du travail (Les voltigeurs de la
République : l’inspection du travail en France jusqu’en 1914, Paris, Éditions du CNRS,
1994), ou encore ceux de Jean-Noël Rétière sur l’administration des tabacs (« Au
service de l’État. L’administration des tabacs avant 1914 », dans Martine
Kaluszynski, Sophie Wanich (dir.), L’État contre la politique ? Les expressions historiques
de l’étatisation, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 71-85).

[50] Olivier Ihl, Martine Kaluszynski, Gilles Pollet (dir.), Les sciences de gouvernement,
Paris, Economica, 2003 ; le numéro « Sur la formation des sciences de
gouvernement », Revue française de science politique, 53 (2), avril 2003 ; sur les lieux de
formation des serviteurs de l’État, cf. Rachel Vanneuville, « La référence anglaise à
l’École libre des sciences politiques. La formation de gentlemen républicains, 1871-
1914 », thèse de doctorat de science politique, Institut d’études politiques de
Grenoble, 1999 ; sur la formation des administrateurs coloniaux, cf. Véronique
Dimier, Le gouvernement des colonies : regards croisés franco-britanniques, Bruxelles,
Éditions de l’Université de Bruxelles, 2004.

[51] Ces propos sont ceux que tient Stéphane Beaud au sujet de l’ethnographie
sociologique : « Pour une ethnographie sociologique », dans Stéphane Beaud,
Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1997, p. 304.

[52] On ne dit pas souvent que les premiers travaux d’Herbert Simon, dans un cadre
d’expertise locale, portent sur les municipalités et, notamment, sur la mesure de
l’efficacité de l’activité municipale. Citons, entre autres, dans une littérature
particulièrement abondante : Herbert Simon, « Comparative Statistics and the
Measurement of Efficiency », National Municipal Review, 26, 1937, p. 524-527 ; « Can
Municipal Activities Be Measured ? », The Municipality, 32, 1937, p. 281-282 ; avec
Clarence E. Ridley, Measuring Municipal Activities, Chicago, International City
Managers’ Association, 1938 ; « State-Local Relations in City Planning », State
Government, 18, 1945, p. 68-71. Son célèbre ouvrage (Administrative Behavior, op. cit.) se
nourrit directement de ses recherches sur les administrations municipales.

[53] Pour les États-Unis, cf. notamment l’importance de la « municipal research » dans la
naissance d’une public administration, soulignée par Georges Langrod, La science et
l’enseignement de l’administration publique aux États-Unis, Paris, Armand Colin, 1954.

[54] Jean Joana, « Par-delà les notables. Une socio-histoire des espaces politiques locaux
sous la Troisième République en question », dans Yves Déloye, Bernard Voutat
(dir.), op. cit., p. 137-154.

[55] Yves Mény, « Les politiques des autorités locales », dans Madeleine Grawitz, Jean
Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, vol. 4, 1985, p. 423-465.
[56] Jacques Lagroye, « De l’objet local à l’horizon local des pratiques », dans Albert
Mabileau (dir.), À la recherche du local, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 132-166.

[57] François Rangeon, « Le gouvernement local », dans CURAPP, La gouvernabilité,


Paris, PUF, 1996, p. 166-173.

[58] Sur cette notion, cf. Dominique Lorrain, « De l’administration républicaine au


gouvernement urbain », Sociologie du travail, 4, 1991, p. 461-483.

[59] On trouvera des éléments de définition de cette notion dans l’article de Patrick le
Galès, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de
science politique, 45 (1), février 1995, p. 57-95.

[60] Albert Mabileau, Le système local en France, Paris, Montchrestien, 1994, p. 15 (1re éd. :
1991).

[61] Ibid., p. 13.

[62] Ibid., p. 8-9. Albert Mabileau, en introduction de son étude sur Le système local en
France, retrace ce qu’il nomme « une sédimentation historique », évoquant les
institutions politico-administratives de l’Ancien Régime à 1982. Cette
sédimentation est couronnée par la loi sur la décentralisation « qui légitime le
gouvernement local et par la même occasion l’institutionnalisation du système
local ».

[63] Bruno Dumons, Gilles Pollet, « De l’administration des villes au gouvernement des
“hommes de la ville” sous la Troisième République », Genèses, 28, 1997, p. 52-75.

[64] La thèse de Marie Vogel sur les polices urbaines sous la Troisième République met
en évidence la « captation » par l’État des innovations municipales et des résultats
d’un processus engagé par les édiles quelques décennies auparavant ; captation qui
s’opère en 1941, à travers l’étatisation des polices des villes, permise par
l’élimination des élus des municipalités urbaines (Marie Vogel, « Les polices des
villes entre local et national : l’administration des polices urbaines sous la
Troisième République », thèse de science politique, Université Pierre Mendès
France-Grenoble II, 1993).

[65] Parmi ces monographies, il faut citer le travail doctoral de Jean-Yves Nevers, qui
peut être considéré comme précurseur : Jean-Yves Nevers, « Système politico-
administratif communal et pouvoir local. Étude d’un cas : la municipalité radicale-
socialiste de Toulouse (1888-1906) », thèse de sociologie, Université de Toulouse II,
1975. Pour les monographies communales publiées dans les années 1980 et réalisées
par des historiens, cf., en particulier, Jean-Paul Brunet, Saint-Denis, la ville rouge
(1890-1939), Paris, Hachette, 1980 ; Bernard Meuret, Le socialisme municipal,
Villeurbanne (1880-1982), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982 ; Annie
Fourcaut, Bobigny, banlieue rouge, Paris, Presses de Sciences Po/Éditions ouvrières,
1986.

[66] Sur la réaction des autorités locales à la loi du 15 février 1902, dans un département
où une politique municipale de modernisation sanitaire avait été engagée bien
avant la loi, cf. Lucie Paquy, « Santé publique et pouvoirs locaux : le département de
l’Isère et la loi du 15 février 1902 », thèse de doctorat d’histoire, Université Lumière-
Lyon 2, 2001 ; Lucie Paquy, « Administrer l’hygiène urbaine à la fin du 19e siècle : le
cas de Grenoble », dans Bruno Dumons, Gilles Pollet (dir.), Administrer la ville en
Europe (19e-20e siècles), Paris, L’Harmattan, 2003, p. 163-185.

[67] Dans un cadre comparé, Vincent Viet, Hans Palm (dir.), Les politiques sociales des
communes en France et en Allemagne, Paris, La Documentation Française/Drees-Mire,
2004.

[68] Cf. les travaux rassemblés dans le numéro 53 de la revue Politix.

[69] Nous songeons à des études aux horizons intellectuels forts divers, mais qui,
toutes, insistent sur les spécificités de l’action publique municipale. Certaines,
nettement historiques, participent à un programme collectif sur le pouvoir local
initié à Bordeaux (Jacques Lagroye, Société et politique : Jacques Chaban-Delmas à
Bordeaux, Paris, Pédone, 1973), d’autres s’inscrivent davantage dans une optique
marxiste (Jean Lojkine, « Politique urbaine et pouvoir local », Revue française de
sociologie, 21 (4), octobre-décembre 1980, p. 633-665), d’autres, enfin, poursuivent la
tradition d’étude de l’organisation politico-administrative locale dans la filiation de
la sociologie des organisations (Olivier Borraz, Gouverner une ville, Besançon (1959-
1989), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998).

[70] Nous avons montré que c’est précisément dans la première moitié du vingtième
siècle que des groupements se forment pour porter le projet
« d’intermunicipalité ». À l’échelle nationale, comme transnationale, les premières
années du vingtième siècle voient se multiplier les espaces de confrontation entre
des réseaux importateurs et exportateurs de réalisations municipales et de
manières de penser le gouvernement des villes (Renaud Payre, « À la recherche de
la “science communale”. Les “mondes” de la réforme municipale dans la France de
la première moitié du vingtième siècle », thèse de doctorat de science politique,
Université Pierre Mendès France-Grenoble II/Institut d’études politiques, 2002).

[71] Le risque demeure alors de privilégier une approche très institutionnelle du


pouvoir local, au détriment d’un regard plus sociétal.

[72] Nous songeons ici aux travaux socio-historiques sur l’administration coloniale. Cf.,
en particulier, les travaux de Damien Deschamps, « La République aux colonies : le
citoyen, l’indigène et le fonctionnaire. Citoyenneté, cens civique et représentation
des personnes, le cas des établissements français de l’Inde et la genèse de la
politique de l’association (vers 1848, vers 1900) », thèse pour le doctorat de science
politique, Université Pierre Mendès France-Grenoble II/Institut d’études
politiques, 1998, et de Véronique Dimier, op. cit.

[73] Bruno Dumons, Gilles Pollet, Pierre-Yves Saunier, Les élites municipales sous la
Troisième République. Des villes du Sud-Est de la France, Paris, Éditions du CNRS, 1997,
p. 193.

[74] Cf., entre autres, « Municipal Connections : Cooperation, Links and Transfers
among European Cities in the Twentieth Century », Contemporary European History,
numéro spécial, 11 (4), novembre 2002 ; « Formation et transfert du savoir
administratif municipal », Annuaire d’histoire administrative européenne, 15, 2003
(numéro coordonné par Nico Randeraad) ; Bruno Dumons, Gilles Pollet (dir.),
Administrer la ville en Europe…, op. cit.

[75] « Le temps des mairies », Politix, 14 (53), 2001.

[76] Bruno Dumons, Gilles Pollet, Pierre-Yves Saunier, op. cit.

[77] Guillaume Marrel, « L’élu et son double. Cumul des mandats et construction de
l’État républicain en France du milieu du 19e au milieu du 20e siècle », thèse de
doctorat de science politique, Université Pierre Mendès France-Grenoble
II/Institut d’études politiques, décembre 2003.

[78] Renaud Payre, « À la recherche de la “science communale”… », cité.


[79] Stéphane Beaud et Florence Weber, dans leur Guide de l’enquête de terrain, pointent
les ressemblances entre le travail de terrain et le courant de la micro-histoire,
ressemblances qui résident dans « le suivi des carrières individuelles, importance
du détail, doute méthodique sur les catégories de classement et d’analyse » et qui
permettent aux historiens de se retrouver aux côtés des sociologues et
anthropologues derrière une même conception de l’observation entendue comme
« un style d’attention portée au monde social » (Stéphane Beaud, Florence Weber,
op. cit., p. 313).

[80] Cf. le texte de Pierre Favre, dans Pierre Favre, Jean-Baptiste Legavre (dir.),
Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1997.

[81] Rappelons que les tenants de l’École des Annales considèrent que l’historien est
toujours fils de son temps, puisqu’il pose des questions au passé, mais avec des
questionnements qui, eux, sont forcément contemporains et imprégnés du
contexte dans lequel il évolue. D’où cette double injonction souvent citée de Marc
Bloch : « Comprendre le présent par le passé […] Comprendre le passé par le
présent » (Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Armand
Colin, 1941, p. 44 et 47).

[82] Les travaux socio-historiques, précédemment présentés, sur le gouvernement des


villes sont rarement cités et pris en compte dans le cadre des études portant sur la
montée en puissance des métropoles européennes ou traitant des phénomènes de
gouvernance et de pouvoirs urbains, y compris sur le temps long.

[83] Jean-Claude Passeron, op. cit., p. 388.

[84] Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Press Pocket/Agora, 1992, p. 129
(1re éd. française : Paris, Plon, 1965).

Résumé

FrançaisQuelle est la spécificité de l’analyse historique des politiques publiques ? À


partir d’une définition des sciences sociales où histoire et sociologie sont de fait
« épistémologiquement indiscernables », cette question ne semble avoir aucun sens.
Toutefois, au sein des sciences sociales, les démarches intellectuelles et les
méthodologies sont reliées à des disciplines et donc à des constructions
sédimentaires et situées. D’où l’intérêt de faire appel à une histoire des principaux
courants qui ont fondé la policy analysis et de leur prise en compte différentielle de
l’historicité. Dans le cas français, un tournant socio-historique dans l’analyse de
l’action publique semble marquer une nouvelle phase de sociologisation de ses objets,
pratiques et méthodes d’enquête. L’article se focalise alors sur l’exemple du
renouvellement des recherches autour du gouvernement urbain et montre que la
posture épistémologique et méthodologique proposée constitue une tentative pour
affirmer à nouveau et consolider, avec d’autres, ce tournant irrépressible de la
science politique vers les sciences sociales.

EnglishEnglish abstract on Cairn International Edition

Plan
Des policy studies à la sociologie historique de l’état : quelle prise en compte de
l’historicité ?
Le legs intellectuel d’un trio fondateur (Simon, Lindblom, Dahl) : policy studies et
premières perspectives de sciences sociales
Le renouvellement des perspectives de sociologie historique de l’état

Quel tournant socio-historique dans l’analyse de l’action publique « à la française » ?


Une première sociologisation des analyses de politiques publiques
Un tournant socio-historique dans l’analyse de l’action publique ?

L’étude renouvelée du gouvernement municipal comme symbole d’un tournant


socio-historique ?
Un enjeu problématique : « dé-localiser » l’analyse du pouvoir municipal
Entre exigences méthodologiques et limites interprétatives

Auteurs
Renaud Payre

Renaud Payre est maître de conférences de science politique à l’Université Lyon II et


membre de Triangle (URL 5206). Il a récemment publié « La Préfecture de la Seine comme
“clearing house” municipal (1919-1947) », Jahrbuch für Europäische Verwaltungsgeschichte, 15,
2003, p. 89-108 ; « Les désillusions réformatrices. Le thème de la réforme municipale dans
la France de l’après Seconde Guerre mondiale », Revue française d’administration publique,
108, 2003, p. 593-602. Ses recherches actuelles portent à la fois sur une socio-histoire de la
science administrative comme science de gouvernement (vingtième siècle) et sur la
question des temporalités et de la longévité politiques (<renaud.payre@univ.lyon2.fr>).

Gilles Pollet

Gilles Pollet est directeur de l’Institut d’études politiques de Lyon et il est professeur de
science politique et membre de Triangle (URL 5206). Spécialiste de l’analyse des politiques
publiques, et notamment de la socio-histoire de l’action publique, des gouvernements
locaux et de l’État, il a notamment publié (avec Bruno Dumons, Pierre-Yves Saunier) Les
élites municipales sous la Troisième République. Des villes du Sud-Est de la France, Paris, CNRS
Éditions, 1997 (2002, CNRS Plus) ; et a dirigé (avec Martine Kaluszynski, Olivier Ihl) Les
sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003, ainsi que (avec Bruno Dumons),
Administrer la ville en Europe 19e-20e siècles, Paris, L’Harmattan, 2003 (<gilles.pollet@univ-
lyon2.fr>).

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2006


https://doi.org/10.3917/rfsp.551.0133

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