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Panoptique - Jeremy Bentham

Research · December 2021


DOI: 10.13140/RG.2.2.19694.33605/1

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Matthieu Verry
Sorbonne Université
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Année Universitaire 2021 - 2022

Le panoptique
Jeremy Bentham

Présenté par Matthieu VERRY

Sous la direction de Monsieur le


professeur Cédric PATERNOTTE
Sommaire :

Introduction 2
Les grands axes du panoptique 4
A – Construction du panoptique via l’utilité économique 4
B – L’administration du panoptique 6
La rigueur du panoptique 8
A – Les trois règles du panoptique 8
B – La séparation des sexes et des classes 11
L’hygiénisme du panoptique 13
A – Le rythme de vie du panoptique 13
B – Instruction et réinsertion 15
Conclusion 16
Bibliographie 18

1
Introduction
L’approche originale de l’économie par les maisons de pénitences n’a pas été étudiée par
grand nombre de philosophes 1. Jeremy Bentham s’est confronté à ce sujet épineux au
XVIIIème où ces lieux d’arrêts étaient un mélange entre insalubrité et mort intellectuelle, entre
croupissement et destruction de l'Être. Le prisonnier se voit être celui qui est privé de sa
liberté en étant retenu malgré sa volonté. Ces maisons où siège la loi de la force dessine le
sujet d’étude de Bentham qu’il propose de réformer à l’aide d’un original bâtiment dénommé
panoptique. Bentham est un précurseur du libéralisme et a révolutionné la philosophie du
droit en étant l’instaurateur d’idées nouvelles autour du conséquentialisme 2. Dans un projet
d’élargissement de liberté via la philosophie de l'économie, ce philosophe refonde la
conception de la prison en lui donnant un souffle nouveau avec une vision basée sur la théorie
des jeux à somme nul soit pour la société, soit pour le condamné. En ce sens, la prison se
définit pour Bentham comme « un séjour où l’on prive de leur liberté des individus qui en ont
abusé, pour prévenir de nouveaux crimes de leur part »3. Il montre que ce lieu de pénitence
n’est pas prolifique ou productif, mais lieu d’un « supplice si horrible » 4.

C’est dans une période révolutionnaire avec l’invention du Ministère de la justice française en
1791 et l’impossibilité de déporter les prisonniers dans les colonies que la réflexion sur
l’emprisonnement connaît un fléchissement notoire : désormais, on est amené à approcher
ensemble le prisonnier, le surveillant et le bâtiment. La dimension pluridisciplinaire est au
cœur de l’économie. Ainsi, Bentham devient précurseur en écrivant Panoptique qui
révolutionne l’emprisonnement et par là même l’idée d’affranchissement. Le maître mot de
son ouvrage est la surveillance via l’inspection générale. L’apport de l’inspection dans les
maisons de pénitences ne peut se résumer à la dissémination de la gouvernance et à
l’élargissement de sa diffusion. La grande idée de son bâtiment est de pouvoir voir sans être
vu, renouvelant la relation entre prisonnier et inspecteur, l'approche de la pénitence et l’apport
si laborieux de la liberté. Dans cette optique, l’auteur souhaite faire sortir le prisonnier du
bagne en changeant sa manière d’être pour qu’il puisse mieux se réinsérer dans la société,
l’utilité de ce bâtiment est d’ôter la pensée de faire le mal. Plusieurs missions se voient doter
ce bâtiment grâce à l’obtention des fruits économiques qu’il obtient. Le principe panoptique

1 Dans cet écrit, nous nous intéresserons uniquement aux prisons.


2 Le conséquentialisme s’intéresse à juger une action par sa fin c’est-à-dire ses conséquences.
3 Bentham, Panoptique, p. 11.
4 Voir Pascal, Pensée.

2
qui est rentable peut s’adapter avec succès à tous les établissements où l’on doit réunir
l’inspection et l’économie 5. Par suite, Bentham transmet l’idée du panoptique carcéral à toute
institution comme les manufactures, les hôpitaux, les casernes, les écoles ou encore à tous les
emplois où un homme seul est chargé du soin de plusieurs – ce livre influencera la création de
l’inspection générale au sein des hôpitaux et maisons de force en 1782.
C’est suite à la révolution française, que Bentham écrit une lettre au député Philippe Garran
afin de transmettre ses idées outre-manche « la France, de tous les pays celui où une idée
nouvelle se fait le plus aisément pardonner, pourvu qu’elle soit utile ; […] est le pays qui
semble promettre au projet que je vous envoie sa meilleure chance » 6. Dans un premier temps,
la lecture de cet ouvrage présente Bentham comme un théoricien de l’incarcération faisant
disparaître toutes les idées sous-jacentes de son texte. L’auteur était conscient de l'importante
dimension économique du projet panoptique et était persuadé qu'une théorie économique
précise de sa gestion pourrait favoriser son approbation. C’est dans un second temps que
l’Assemblée nationale fera imprimé Panoptique en phase avec l’instauration du Code pénal
puis dans un troisième que la gestion économique du panoptique sera approuvée par le
Parlement britannique en 1794. Convaincu de son projet, Bentham finit par franchir le pas en
le réalisant en Angleterre avec l’aval du Premier ministre William Pitt avec l’achat d’un
terrain au bord de la Tamise, à Millbank. Malgré avoir repensé et retourné le système
économique par cette ingénieuse invention son projet finira par le ruiner, ce qui ne remet pas
en cause la prospérité d’un tel projet et l’avancée immense pour la philosophie de l’économie.
Comment le nouvel outil de l’inspection se voit renouveler la pensée économique ? C’est à la
lumière du libéralisme utilitariste que Bentham comprend cette question, ce néologisme de
son siècle vise à l’utilité renvoyant au courant qu’il fonde ayant pour principe l’apport du bien
afin d’obtenir l’utilité générale. En d’autres termes, l’utilitarisme va étudier la manière de
maximiser le bien-être collectif en se l’appropriant et le transmettant à ce qui les entoure.
C’est dans ce contexte que le livre de Bentham propose les instructions les plus complètes que
je vous propose de comprendre dans cet écrit.

5 Au départ les réflexions de Bentham sur la réforme du système judiciaire et pénitentiaire étaient

regroupées en vingt-et-une lettres écrites lorsqu’il se trouvait en Russie.


6 Bentham, Panoptique, p. 8.

3
Les grands axes du panoptique
A – Construction du panoptique via l’utilité économique

Fidèle à ses idées, Bentham assure que son projet apportera l’omniscience autrement dit le
contrôle total sur les condamnés. Son œuvre croit en l’homme en cherchant à l’éduquer ce qui
consiste à veiller à toutes ses actions pour l’influencer comme bon nous semble c’est-à-dire
vers le droit chemin de la vertu. Le fait de donner à un seul homme un pouvoir de surveillance
qui surpasse l’ensemble des forces réunies de plusieurs hommes est l’enjeu de la construction
de cette nouvelle maison de l’ordre, l’auteur souhaite « fixer la santé, la propreté, l’ordre,
l’industrie dans ces demeures jusqu’à présent infectées de corruption morale et physique,
fortifier la sécurité publique en diminuant la dépense au lieu de l’augmenter, et tout cela par
une simple idée d’architecture »7. Autrement dit, c’est une véritable réforme économique
complète de ces lieux d’ignominies qui apporte la bonne conduite des bagnards que propose
Bentham. Ne s’intéressant non pas au qui mais au quoi du prisonnier l’auteur souhaite
améliorer par ce projet les mœurs des personnes détenues pour l’après c’est-à-dire au retour à
la liberté du prisonnier. Faisant un état des lieux pessimistes, l’auteur s’appuie sur la réflexion
de John Howard qui est l’un des pionniers à alerter le grand public sur le manque, à tout
échelle, des maisons d’arrêts 8. Bentham en résulte le principe de l’inspection d’un nouveau
genre « donnant à ce seul homme une sorte de présence universelle dans l’enceinte de son
domaine […] l’opinion de sa présence est aussi efficace que sa présence même » 9. L’auteur
décrit cette nouvelle maison de pénitence comme un bâtiment circulaire – deux bâtiments
emboités l’un dans l’autre – sur six étages traversés par des galeries où s’établit une
communication entre les cellules fermées entre elles. Une tour sur trois étages se situe au
centre où y vivent les inspecteurs avec également l’ensemble du personnel, qui est environnée
d’une galerie transparente permettant aux regards d’accéder sans que les regards des autres
pénètrent, pour mieux dire « comme une ruche dont chaque cellule est visible d’un point
central »10. Bentham en émane le nom de panoptique exprimant l’idée qu’avec un seul mot
l’avantage de ce bâtiment en ressort : le pouvoir de voir d’un seul regard le tout. Pour mieux
dire, Bentham formule le principe architectural qui produit l’économie du regard. C’est ainsi

7 Bentham, Panoptique, p. 11.


8 Howard est un philanthrope du XVIIIème qui a inspecté nombre de prisons britanniques et européennes.
9 Bentham, Panoptique, p. 12 - 13.
10 Ibid.

4
que Bentham par le panoptique créer une surveillance par la prudence intéressée d’un seul
individu à défaut des systèmes basés sur la probité de plusieurs, l’auteur l’exprime dans cette
phrase où le panoptique s’est « être incessamment sous les yeux d’un inspecteur, c’est perdre
en effet la puissance de faire le mal, et presque la pensée de la vouloir » 11. Ce système
autoritaire, à première vue, se voit jouer sur les fonctions du capitalisme dans son
individualité. Par cet avantage essentiel en découle que tous – sous-inspecteurs comme
subordonnés – sont sous le joug de l’inspecteur en chef, autrement dit, « l’œil du maître est
partout ; il ne peut point y avoir de tyrannie subalterne, de vexations secrètes » 12. C’est donc à
seconde vue un système démocratique économique que nous propose Bentham.

Un autre grand avantage de mettre en place le panoptique est la simplification des métiers
d’inspecteurs et de magistrats. L’analyse de Bentham remet en cause l’aspect superficiel des
contrôles qui est fait pour lors en cachant l’horreur des prisons où est présent souvent
corruption et abus. En d’autres termes, lorsque le magistrat visite une prison, les prisonniers
se voient dicter les réponses qu’ils doivent faire, chose que combat le panoptique. Pour mieux
dire, c’est un cercle vicieux qui s’établit où plus les magistrats fuient les maisons d’arrêts,
plus elles sont dures à vivre aux condamnés, moins ils ont de chance d’obtenir un
adoucissement. C’est en ce sens que Bentham combat ce dirigisme indigne en cherchant le
bien-être d’un point de vue utilitariste avec le panoptique qui juge les actes des individus sur
leurs effets du bonheur des individus et de la collectivité. De même, le plaisir de chacun doit
être accepté tant qu’il ne nuit pas à autrui. La loi se voit ainsi protéger de la sphère
individuelle tout en devenant le gardien des intérêts. Comme nous le détaillerons plus bas, le
code du panoptique cherche à faire le pont entre intérêts individuels et intérêts généraux où se
base l’économie mais qui ne l’engendre pas d’elle-même. Autrement dit, comme l’exprime
Christian Laval cette nouvelle loi cherche la maximisation du bonheur privé imposant
l’efficacité de toutes choses 13. Ainsi, le panoptique semble au mieux trouver sa place dans une
société capitaliste reflétant l’homo oeconomicus qui avec un faible coût cherche à maximiser
le gain, à faire de grands profits. Pour mieux dire, la surveillance peut se résumer à un calcul
de chances qui se voit limiter en erreurs via cette nouvelle technologie. C’est ainsi que
Bentham joue sur cette rationalité calculatrice présente dans chaque individu pour interpréter

11 Bentham, Panoptique, p. 14.


12 Ibid.
13 Laval est un Professeur de sociologie spécialiste de la philosophie utilitariste de Jeremy Bentham.

5
l’individu et construire son panoptique où le prisonnier se voit imaginer le regard permanent
sur lui créant une utilité sociale.

B – L’administration du panoptique

Le panoptique a été construit en incorporant des recherches sur tous les degrés qu’une telle
architecture demande : architectes, économistes, expériences des hôpitaux, études des
nouvelles inventions. Ce n’est pas forcément la réalisation qui doit être jugée mais davantage
les moyens d’exécution c’est-à-dire l’essence même de l’idée. Obtenir un consensus sur
l’administration n’est pas affaire facile quand on sait que chaque homme possède ses propres
opinions et solutions ainsi selon un baromètre différent entre dureté et indulgence. Son
approche administrative voit renouveler certaines notions économiques de politiques de
marché et de relations principal-agent. Bentham base alors ses notions en s’intéressant au
problème de la jonction de l'intérêt et du devoir. En ces termes nouveaux, Bentham apporte de
grands axes d’administration qui sont transcendants aux idéaux de chacun.
La grande réponse qu’offre le panoptique est la sécurité tant interne qu’externe. La première
réponse visible qu’offre le bâtiment est la sécurité interne s’appuyant sur le principe même de
l’inspection qui s’opère par la forme des cellules, l’isolement de la tour d’inspection, le
rétrécissement des passages et encore bien d’autres aménagements qui assurent qu’aucun
individu s’échappe. La seconde réponse qu’offre le panoptique est la sécurité externe qui
protège des mouvements populaires et permet de fuir la prison si une grande menace existe
grâce selon les mots de l’auteur aux « détails si nombreux » 14. Bentham espère également que
seul la dissuasion de l’édifice fasse échouer tout mouvement de volonté destructive dû à
l’imposante architecture. En ce sens, la chapelle est munie de détails permettant d’accueillir
tous les dimanches tant des prisonniers que du public externe. Cette chapelle publique
exposée au regard de tous les citoyens serait l’invitation à rencontrer les yeux des prisonniers
qui se verraient vêtu d’un masque afin de ne pas révéler leur individualité, l’auteur écrit « ce
serait un théâtre moral dont les représentations imprimeraient la terreur du crime » 15. Faisant
référence aux mises en scène de la justice ou encore de l’inquisition Bentham pense que cela
permettrait de gagner en crédibilité et parle à l’âme des visiteurs comme des prisonniers.
Bentham joue ici la carte de la transparence économique en créant une scène théâtrale au sein
même de la prison. C’est ainsi que le public inspectera « tous les règlements relatifs à la

14 Bentham, Panoptique, p. 17.


15 Bentham, Panoptique, p. 19.

6
propreté, à la santé, et à la bonne administration du panoptique »16. Pour mieux dire, Bentham
répond à la question : qui garde les gardiens ? C’est-à-dire qui surveille les surveillants ?
L’auteur permet ainsi via l’ouverture à l’extérieur aux citoyens d’observer les prisonniers
mais également la façon dont ils sont traités par les surveillants.

Le panoptique en devenant théorie de gestion économique concerne l'architecture et suggère


des solutions ingénieuses pour résoudre les problèmes d'espace de travail, de réchauffement,
de modularité, de flexibilité, de surveillance, de communication interne et de logistique. La
localisation est concernée par l’ensemble de ces termes, c’est donc un équilibre optimal à
trouver entre économies d'échelle et économies de transport. Pour mieux dire, la maximisation
des économies d'échelle augmente la surface du bâtiment et donc augmente les coûts de
transport augmentant avec la distance mais diminuant avec de nombreux petits établissements
à courte distance. Ainsi, l'équilibre optimal dépend surtout de la densité de la population
criminelle présente dans une zone.
S’intéressant au choix des matériaux et à la bonne luminosité Bentham s’applique à écarter
tous les risques sans restreindre la liberté qui l’est déjà par le simple fait d’être condamné. Par
exemple, il s’applique à ne pas prendre des matériaux inflammables et réorganise la gestion
de la lumière. Bentham mise sur une multiplication de fenêtres contrairement à Howard qui
souhaite une ouverture unique par le haut. L’auteur souhaite multiplier les sources de lumière
pour les prisonniers car il a confiance en la sécurité du reste de son bâtiment tout en ne
négligeant pas les longues nuits d’hivers qui doivent être éclairées pour garder le principe
d’inspection du panoptique. C’est dans ce contexte que les fenêtres permettent d’augmenter la
santé et les résultats industriels avec des travaux qui demandent souvent beaucoup de lumière.
Autrement dit, la rentabilité augmente et la responsabilité des surveillants diminue avec la
lumière. Sur le chauffage et l’aération des cellules, l'auteur souhaite obtenir un bâtiment épuré
avec des tubes conducteurs de chaleurs permettant d’augmenter l’humanité et de continuer les
travaux sans interruption. De même, l’eau courante dans chaque cellule est nécessaire pour ne
pas dilapider du temps et de l’argent dans des emplois laborieux. C’est donc une affaire
d’économie de mettre en place ces solutions. Pour entrer dans la perfection de Bentham il faut
comprendre que le panoptique s’est étendu à une foule d’objets négligés à première vue ou
encore impossible au premier esprit de mettre dans les simples prisons. Ainsi, par cette
originalité Bentham pense qu’il est au cœur du panoptique, c’est-à-dire qu’il replace

16 Bentham, Panoptique, p. 19.

7
l’environnement actuel du condamné en lui donnant davantage d’humanité se traduisant par
conséquent à l’espace que la prison renferme. Les détails sont si nombreux dans son ouvrage
et tous justifiés d’un point de vue économique qu’il donne la solution c’est-à-dire la raison à
Bentham.

La rigueur du panoptique
A – Les trois règles du panoptique

Dans un objectif de réduction des coûts, le panoptique prend essence dans trois règles
complémentaires et distinctes mises en valeur dès les premières pages.
La première règle fait référence à la douceur en d’autres termes à la volonté de prendre soin
de l’individu. Plus le temps est long, plus le prisonnier sera nécessairement en souffrance,
rajouter du mal au mal c’est-à-dire de la peine à la peine ne permettra pas d’accompagner le
condamné à retrouver une vie plus salutaire. C’est ainsi que malgré des faits lourds commis
par un individu, Bentham réfute toutes les « souffrances corporelles, préjudiciables ou
dangereuses à sa santé ou à sa vie » 17. La violence se voit contraire à l’économie, cette règle
est mise à la première place puisqu’elle est fondée sur l'empreinte même de l’homme, sur sa
raison. Dans cette optique, la règle de douceur ne s’inscrit pas seulement dans une
bienveillance individuelle mais également et surtout dans un bien pour la société avec des
prisonniers plus ouverts sur les vertus du monde. Affectant à la fois la vie et la santé des
prisonniers, la non application de cette règle entraînera la fin de l’individu et donc la société.
Pour mieux dire, l’emprisonnement est un jugement qui est long et lourd de par l’application
de la loi, rajouter de l’agressivité n’aura que pour effet l’ajout d’une punition supplémentaire
pour l’affligé. Ainsi, la douceur permet d’atténuer la peine tout en ne renversant pas la justice,
rajouter de manière singulière la violence condamnera l’ensemble des hommes à rester dans la
peine plutôt qu’à en sortir. Autrement dit, les hommes jugés pour des faits de faibles ampleurs
sont tout autant condamnés par la violence que d’autres ayant commis de grandes
importances. Ainsi, rassembler les peines entre tous n’est pas la solution, « elles sont
équivalentes à une peine capitale, quoiqu’elles n’en portent pas le nom » 18. C’est donc au
législateur de faire régner la douceur sur la maison d’arrêt : si le pouvoir exécutif surpasse ses
fonctions par rapport au juridique l’auteur estime qu’il commet un homicide, de même si le

17 Bentham, Panoptique, p. 24.


18 Bentham, Panoptique, p. 26.

8
juridique accepte le surpassement de ses compétences par exemple en ne condamnant pas un
homme à mort, il le fait mourir d’une manière qui dure. L’auteur expose ainsi le fait que le
prisonnier n’est plus condamné pour sa faute mère qui est la raison de sa venue en prison mais
est punie en fonction de sa force de résistance face aux rigueurs de traitement.
Par cet axe, Bentham en découle la seconde règle qui s’appuie sur la sévérité. La sévérité est
la qualité de celui qui est sévère et plus généralement de ce qui est rigoureux. Bentham
comprend par cette règle que le bien-être physique d’un condamné ne doit pas être supérieur à
ceux qui sont innocents. Autrement dit, même si la santé du prisonnier doit être prise en
compte et ne doit pas être négligée, les conditions de vie de la classe la plus pauvre dans la
société doivent devenir le minima à apporter aux prisonniers. Le fait d’augmenter l’exigence
du niveau de vie dans les prisons en les rendant supérieures au monde libre ferait perdre le
sens de la peine, inciterait à ne pas respecter la loi en voulant aller dans une prison amenant à
la « tentation pour des hommes faibles et malheureux » 19. La règle de sévérité est donc de pair
avec celle de douceur en apportant à la fois une vision de bienveillance et à la fois de dureté.

La troisième règle se veut d’économie, Bentham offre sur celle-ci plus de détails en la plaçant
au premier ordre par rapport aux deux autres au sein de l’administration. Pour mieux dire,
cette règle se veut la fin des dépenses excessives en prenant exemple sur les ateliers comme
les manufactures. Bentham insiste sur le fait que la réussite et la prolifération est dû aux
intérêts personnels et cherche à « confier à la vigilance de l’intérêt personnel l’économie des
maisons de pénitence » 20. Par cette optique, l’auteur sépare par deux moyens la rentabilité
d’une administration : par contrat ou par confiance. L’administration par contrat consiste à
utiliser le temps de travail des prisonniers à l’usage d’une industrie via un accord avec le
gouvernement, l’administration par confiance caractérise une prison qui appartient à un
individu ou un comité et donc autonome de l’Etat en rendant une partie des produits créer au
trésor public. Bentham voit ainsi dans l’économie deux faiblesses « soit le péculat soit la
négligence »21. Dans ce contexte, l’auteur voit dans l’administration par contrat la meilleure
solution a contrario de l’administration par confiance exposée au péculat et à la négligence.
De même, Bentham estime que l’intérêt de l’administration par confiance est l’affection du
pouvoir comparé à l’administration par contrat qui ne vit que pour l’amour financier. C’est
ainsi que l’auteur pense que le temps donne raison à l’intérêt de l’argent comparé au pouvoir.

19 Ibid.
20 Bentham, Panoptique, p. 27.
21 Bentham, Panoptique, p. 28.

9
S’intéressant aux administrateurs désintéressés Bentham juge que leur esprit non entrepreneur
ne font que maintenir détruisant par-là la gouvernance de la prison. C’est également le salaire
exacerbé des directeurs qui est dénoncé par l’auteur laissant des hommes incapables aux
directions affaiblissant « la liaison qui doit exister entre l’intérêt et le devoir »22. Autrement
dit, Bentham pense que même l’administrateur qui ne cherche que l’honneur et le bien
public ne peut faire que moins bien qu’un entrepreneur. Par ce sens, l’auteur exprime l’idée
qu’aimer le pouvoir et l’autorité, c’est accepter la fatigue et les embarras et qu’aimer la prise
en poste de ses fonctions pour son vernissage de nouveauté n’assure en rien son goût dans le
temps. Ainsi les administrateurs travaillant pour la gratuité ne peuvent correctement
gouverner puisque leur source de motivation n’est pas la jalousie qui est selon l’auteur
l’essence même de la gouvernance économique. L’auteur continue de penser que c’est
l’entrepreneur par contrat qui se voit craint donc respecter et non l’administrateur qui travaille
gratuitement pour l’estime des autres. Par cet axe, Bentham dénigre également la gouvernance
par multiplicité des gérants qui « détruit l’unité du plan, cause une fluctuation perpétuelle
dans les mesures, amène la discorde ; et après une lutte longue et pénible entre les associés, le
plus fort ou le plus opiniâtre demeure maître du champ de bataille » 23.
Même si Bentham sait que son discours n’est pas suivi par la majorité et suscite l’indignation
pour cause d’inhumanité alors même qu’il permettrait d’amener des entrées d’argent au lieu
de débits. Pour justifier sa pensée ne croyant qu’à l’administration par entreprise, Bentham
s’appuie sur le paradoxe de ses contradicteurs qui veulent plus d’humanité laissant pour
premières victimes les prisonniers qui sont « les plus malheureux des êtres » 24. Ainsi, se
réfugier derrière le discours de l’humanité en le prenant comme assurance n’est pas justifiable
« dans le cas où il s’agit de lier l’intérêt d’un homme à la conservation de plusieurs »25.
Bentham a confiance dans la publicité du panoptique via ces trois règles avec la transparence
comme vu plus haut, qui permet à cette nouvelle architecture une ouverture à tout le monde,
l’auteur écrit, il suffit « d’un coup d’œil pour la voir tout entière » 26. En d’autres termes, c’est
la transparence contrôlée par les citoyens qui est la seule sécurité durable. Ainsi, c’est par
cette éthique que chaque individu peut juger si l’entrepreneur remplit les conditions de sa
place. Pour l’auteur c’est la seule solution pour éviter que le public généralement plus à même

22 Bentham, Panoptique, p. 29.


23 Bentham, Panoptique, p. 31.
24 Bentham, Panoptique, p. 32.
25 Ibim.
26 Bentham, Panoptique, p. 33.

10
de prendre parti pour la pitié que pour la rigueur écoute de manière plus importante les
plaintes des prisonniers que les raisons de l’entrepreneur. Ainsi, Bentham montre que
l’administration par contrat est la plus optimale tant sur la vigilance que sur l’économie.

B – La séparation des sexes et des classes

Afin de gagner en hygiène et d’un point de vue socialement économique, Bentham trouve bon
la séparation des sexes ainsi que des classes au sein du panoptique.
Dans sa première réflexion l’auteur estime que le fait d’avoir deux panoptiques distinctes
l’une de l’autre peut être la solution. Les faits de la réalité tant économique que structurelle le
pousse à écarter cette idée puisque moins d’un tiers des femmes composent les établissements
pénitentiaires. En ce sens, l’auteur décrit la manière d’agencer le panoptique en disposant
d’un côté les cellules des hommes et de l’autre les cellules des femmes dans le même
bâtiment.
Dans sa seconde réflexion, Bentham juge bon de séparer en classes et en compagnies le
bâtiment panoptique. En confondant toutes les populations, c’est-à-dire par exemple les
jeunes avec les personnes plus âgées ou encore les voleurs avec les assassins, ne va pas
permettre à l’individu de s’en sortir, l’auteur écrit « ce qui n’est corrompu qu’à demi est
bientôt attaqué d’une corruption totale »27. Autrement dit, le fait de vivre dans une prison
indispose le prisonnier à une réflexion de travail sur lui-même pouvant amener à un potentiel
repenti, l’auteur estime que cette ambiance délétère est due au bruit, à l’agitation constante, au
tumulte et à l’entassement.

Dans un autre point, Bentham affirme qu’associer l’ensemble des individus endurcit les
hommes contre la honte, l’auteur écrit « le monde qui nous environne est celui dont l’opinion
nous sert de règle et de principe » 28. En d’autres termes, l’assimilation du mal entraîne le
mauvais, le mal assimilant le peu de bien restant chez l’individu. C’est le nombre qui assimile
l’individu, ainsi plus les prisonniers sont nombreux plus la conscience de chaque individu
disparaît laissant place au désir bestial et à une pensée fabriquée par d’autres. Le modèle
radicalement opposé au nombre est la solitude absolue cherchant le repentir et la non
contagion d’idées mauvaises. Pour réfuter cette thèse Bentham s’appuie sur les travaux de

27 Bentham, Panoptique, p. 35.


28 Ibid.

11
Howard faisant tomber le prisonnier après un effet salutaire dans « le désespoir, la folie ou
l’insensibilité »29. Bentham ne réfute pas de manière radicale cette idée qui peut s’avérer à
court terme efficace contre des prisonniers à l’esprit contestataire. C’est de nouveau par
l’argument économique que la solitude est combattue par Bentham faisant naître des budgets
conséquents pour permettre la collaboration et utilisant la force de travail des condamnés tant
matériellement qu’intellectuellement rompant avec l’isolement. Le dernier modèle que défend
Bentham est d’agrandir les cellules pouvant accueillir entre deux et quatre prisonniers en les
internant par groupe. Ces groupes seraient constitués par l’inspecteur avec comme critère de
sélection « l’âge, le degré de leur crime, la perversité qu’ils montrent, leur application, et les
marques de leur repentir » 30. C’est dans une volonté de seconde chance, c’est-à-dire de laisser
faire aux condamnés leurs preuves de nouveau, que Bentham veut mettre en place ce
stratagème, il écrit « tous ceux qui sont enfermés sont coupables ; ils ne sont pas tous
pervertis » 31. Bentham ne s'intéresse pas seulement au présent du prisonnier mais également
au futur, lorsque le prisonnier retournera au monde. L’auteur voit dans les petites associations
de prisonniers une solution pour la sortie de prison, cela favorise l’amitié qui découle un
attachement durable et honnête, vertu permettant la réussite, il écrit « chaque cellule est une
île : les habitants […] sont redevables l’un à l’autre de tous les plaisirs que peut donner la
société, adoucissement nécessaire, sans lequel leur condition, qui n’est que triste, deviendrait
affreuse »32. Autrement dit, le fait de créer un lien fort entre anciens condamnés c’est-à-dire
un réseau a l’avantage de prévenir le condamné pour la suite puisqu’il se voit entouré d’un
soutien humain qu’est l’amitié dans son nouvel état de liberté.

Ainsi la grande idée de Bentham est de ne pas créer dans la prison une société générale et
confuse détruisant toute réflexion et ne permettant pas à l’individu de s’en sortir. Le fait de
permettre à l’individu de s’en sortir par lui-même allège la société d’un poids permettant de
faire des économies à l’Etat.

29 Bentham, Panoptique, p. 36.


30 Bentham, Panoptique, p. 38.
31 Ibid.
32 Bentham, Panoptique, p. 40.

12
L’hygiénisme du panoptique
A – Le rythme de vie du panoptique

Méticuleusement Bentham prévoit l’emploi du temps des prisonniers basés sur un système
rigoureux. L’auteur articule l’hygiène de vie pour les condamnés autour de plusieurs principes
qu’il expose l’un après l’autre. Pour mieux dire, dans un contexte oscillant entre économie,
justice, humanité et pour préparer leur réintégration dans la société Bentham se voit préparer
le quotidien des bagnards.
Selon l’auteur, c’est au gouverneur de la prison de décider à ses prisonniers quels travaux
faire. Lui seul sait quelles actions seront avantageuses comparés à d’autres, Bentham s’oppose
ainsi à la régulation par la loi de l’industrie dans un contexte où elle change en permanence et
doit varier selon les besoins. En d’autres termes, les travaux ne peuvent être ingérés par la loi
et sont considérés comme absurde s’ils sont rudes et pénibles sans raisons apparentes
justifiées par la simple raison de leur sort de condamné. Le travail doit chercher à être ludique
et occuper le prisonnier dans une démarche de consolation et de plaisir. L’occupation est
perçue comme une chance comparé à l’oisiveté forcée, quant au produit du travail il doit créer
une glorification tant du prisonnier que de la société puisque « le travail, le plus grand des
biens »33. Bentham révolutionne dans son argumentation la vision de l’époque du prisonnier
puisqu’il souhaite arrêter le travail forcé et le remplacer par le meilleur de l’individu qui
s’obtient via les récompenses au détriment des peines, Bentham résume cette idée par cette
phrase « la contrainte et la servitude n’avanceront jamais dans la carrière aussi loin que
l’émulation et la liberté »34. Bentham justifie ce propos en pensant que c’est la raison qui
forge la bonne volonté, si le condamné ne voit pas son intérêt il est difficile d’y mettre
l’énergie nécessaire pour son travail.

Le juste milieu doit être trouvé entre sédentarité et travail excessif avec une pause repas
octroyée au condamné. Autrement dit, le mélange des occupations est ce qui permet aux
maisons de pénitence de devenir saine. Le fil conducteur de Bentham est d’éviter un état de
captivité ce qui conduit selon lui à une mélancolie sombre ruinant la santé. Il reconnaît que
certaines limites doivent prendre place pour faire face à la gestion axée seulement sur le profit

33 Bentham, Panoptique, p. 42.


34 Ibid.

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afin de préserver la vie, la santé et l'équilibre mental des subordonnés. Par la suite, Bentham
s’intéresse à l’alimentation où il s’insurge contre les geôliers qui réduisent la quantité de
nourriture des prisonniers. Il exprime la pensée que l’humanité se doit de nourrir autrui à sa
faim afin d’éviter une torture intérieure plutôt qu’externe comme exprimée plus haut. A
contrario, l’auteur pense qu’il ne faut pas exagérer en proposant de la variété dans les
aliments des prisonniers. Par exemple, Bentham s’oppose à l’idée de Howard de donner deux
fois par semaine de la viande aux condamnés alors même que la plupart des habitants de la
campagne et des villes ne peuvent pas s’en procurer pour mieux dire l’auteur écrit « la
nourriture des prisonniers doit être la plus commune et la moins chère que le pays peut
fournir, parce qu’ils ne doivent pas être mieux traités que la classe pauvre et laborieuse » 35.
Bentham permet aux prisonniers d’acheter des aliments plus variés et plus succulents avec le
produit de leur travail. Il justifie son idée comme un excitant dans l’industrie en associant une
récompense. Afin que la raison soit toujours présente dans la prison et toujours dans l’idée de
ne pas donner plus que ce que tout le monde peut s'offrir, l'auteur exclut toute boisson
alcoolisée.
De manière très courte Bentham s’intéresse aux habits qui doivent dans une rigueur
d’économie, de santé et de bienséance porter des marques d’humiliation. Par exemple,
l’auteur souhaite faire des manches d’une longueur inégale pour les deux bras facilitant
l’identification au cours d’une potentielle évasion. En d’autres termes, l’habit doit être
grossier mais à la fois blanc et sans teinture afin d’améliorer la propreté et la santé. En
recherchant l’hygiène, Bentham souhaite l’ablution totale des individus comme dans la
religion puisque cela purifie l’âme et influence le corps défendant son propos avec la phrase
de Howard « les soins de propreté sont un stimulant contre la paresse »36. Dans la même idée,
les exercices en plein air peuvent s’avérer bon pour la santé du prisonnier et bon pour
l’économie s’il reste sous le joug de l’inspection, productif et appliqué à un travail utile. De
même, le sommeil doit être réglé en ne dépassant pas « plus de sept ou huit heures pour leur
sommeil »37.

35 Bentham, Panoptique, p. 44.


36 Bentham, Panoptique, p. 47.
37 Bentham, Panoptique, p. 49.

14
B – Instruction et réinsertion

Avec pour objectif d’assurer l’instruction pour permettre d’avoir à la sortie de prison des
travailleurs qualifiés, Bentham propose que le panoptique se transforme en école. D’abord
pour les personnes jeunes qui ont une longue route encore devant eux il est primordial de leur
donner une éducation digne, ensuite pour éviter que les prisonniers refassent de telles peines
en ayant la connaissance suffisante pour permettre un recul et devenir utiles à la société.
Combattre l’ignorance peut se caractériser dans les prisons avec des séances de lecture,
d’écriture ou encore d’arithmétique. Apporter la culture à tous permet en plus d’être formé
dans le travail, d’apporter un souffle nouveau dans la société avec un regard différent dû à
leur vécu unique de prisonnier. C’est le dimanche qui doit offrir cette opportunité pour les
prisonniers car il offre du temps libre, en suspendant des travaux mécaniques, il offre un
enseignement moral et religieux ou encore des choix que voudraient apprendre les
condamnés. La forme de cette instruction serait via un amphithéâtre découvert garantissant le
principe d’inspection et de séparation.

Dans un autre aspect Bentham s’intéresse aux châtiments les justifiant par le fait que des
offenses sont commises au sein même de la prison. En fonction de la nature du cas de
l’outrage l’auteur souhaite diversifier le châtiment en augmentant le nombre mais pas la
sévérité. Sous l’autorité du geôlier ou du magistrat, le bâillon, le refus de nourriture ou encore
le fait de placer l’individu dans une solitude absolue peuvent être utilisés. Afin d’assurer une
sécurité globale, les prisonniers jouent également un rôle s’appuyant sur la maxime
« dénoncez le mal ou souffrez comme complice » 38. Autrement dit, Bentham s’appuie sur des
idées de l’Antiquité qui transforme ce qui doit être gardé en se gardant mutuellement. Comme
vu plus haut, le fait de séparer en divisions, en compagnies permettrait de plus facilement
ajouter des microsociétés dans la prison et ainsi devenir caution de leur bonne conduite. Pour
garantir la réinsertion des prisonniers dans la société l’auteur amène trois idées de gardien et
de secours les comparant à « des enfants longtemps gênés, qui viennent d’échapper à la
surveillance de leurs maîtres » 39. Ces trois options permettent d’œuvrer à l’économie et au
bien-être de la société. La première option évoquée par Bentham s’appuie sur la collaboration
entre ancien prisonnier et armée, en d’autres termes d’anciens condamnés se verraient devenir
soldat puisqu’ils seraient accoutumés à l’obéissance. La seconde option soutient une

38 Bentham, Panoptique, p. 52.


39 Bentham, Panoptique, p. 53.

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collaboration qui pourrait voir le jour entre colonies et anciens prisonniers, afin d’obtenir des
individus préparés ayant connu une certaine éducation – le prisonnier ne serait pas forcé et
aurait les choix et les moyens de partir. La troisième option est de trouver une caution
humaine responsable qui représente le prisonnier dans toutes ses démarches pour le replacer
dans le droit chemin en cas de bifurcation permettant un suivi long du prisonnier. Ce garant
incarne la sagesse pouvant s’obtenir en échange d’une certaine somme ou auprès d’un ami ou
d’un parent. Cette infantilisation pourrait également être mise en place par le gouverneur de la
prison pour la moitié des prisonniers « parce qu’alors il serait intéressé à bien connaître ceux
avec lesquels il passerait ces transactions juridiques »40.
Dans le cas où un prisonnier n’aurait pris aucune de ces trois options Bentham propose la
construction d’un établissement subsidiaire fondé sur le même principe que le panoptique où
y règne plus de liberté « où l’on peut, en un mot, répandre autant de bien-être et de liberté que
cela peut être compatible avec les principes de sûreté, de la bienséance et de la sobriété » 41.
Cette manufacture non ordinaire c’est-à-dire un panoptique revisité permettrait d’assurer la
sécurité avec des règles axées sur le bienfait comme la chasteté du célibat, la fidélité du
mariage ou encore la suppression de l’ivrognerie. L’idée de donner une légère somme
d’argent au prisonnier à la fin de sa condamnation est rejeté par l’auteur car selon lui cela ne
créera qu’une jouissance passagère laissant une pauvreté qui reste et les séductions qu’offre
l’argent continuent d’environner ne délivrant pas des plaisirs éphémères.

Conclusion
En conclusion, par cette contribution, Bentham expose et renouvelle la vision de l’économie à
la lumière d’un nouveau bâtiment : le panoptique. Il permet de souligner des enjeux qui
conduisent à déplacer le regard épistémique de l’époque par la prise en compte de travaux
nouveaux et leur contribution majeure dans la manière où la peine est comprise et traitée à
l’heure des grandes révolutions intellectuelles. Dans un contexte où le désordre est roi, la
réforme de la prison qu’il propose est un véritable tournant permettant d’augmenter la sécurité
publique et de faire une véritable économie pour l’Etat. Sa contribution n’est pas sans
conséquence pour le philosophe des sciences qui se voit interpellé de l’extérieur dans son
questionnement et dans sa définition de l’épistémologie utilitaire par l’avènement d’un outil
nouveau et de nature architectural. Par cet écrit, Bentham devient précurseur dans de

40 Bentham, Panoptique, p. 55.


41 Ibid.

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nombreuses notions modernes économiques, tant dans les organisations que dans l'économie
publique en s’intéressant à la gestion des prisons. Il arrive à organiser l’économie de sa prison
en l’orientant vers des objectifs de diverses parties prenantes : les contribuables, le
gouvernement, les gestionnaires de contrats, les gardiens, les maîtres d'œuvre, les sous-
traitants et les prisonniers.

L’un des intérêts indéniables de la contribution de cet auteur est la clarification et l’apport de
certaines idées et notions philosophico-économiques dans notre société. Le point focal est
l’apport sur la vision de la moralité et in fine de l’esprit se jouant en profondeur par
l’inspection. Dans une perspective dont certaines questions ne sont pas sans rappeler celles
que reprend Michel Foucault, ce philosophe montre le bouleversement de nos rapports à
l’architecture et aux pouvoirs, à la responsabilité et à l'autorité elle-même. La popularité du
panoptique prendra sa référence moderne via les sciences sociales de Foucault et son livre
Surveiller et punir comprenant ce lieu architectonique comme la distinction du voir-être vu
c’est-à-dire « l’œil du pouvoir », un dispositif comportemental sur le conformisme déplaçable
à la politique. Par cet axe, on peut comprendre la manière dont la société a désindividualisé
l'exercice du pouvoir par l’omniscience. Pour mieux dire, le panoptique construit un sentiment
de présence de contrôle dans l’individu constant pour se voir maître d’un certain nombre
d’hommes, arme que les gouvernements utilisent aujourd’hui. D’autres penseurs comme
Christian Laval voit dans le panoptique « l’œil du peuple » permettant à une population
atomisée un contrôle, une meilleure transparence du gouvernement. Le panoptique se voit
concentrer : le contrôle social le plus instructif, le libre marché et la démocratie la plus
poussée. Les idées proposées par Bentham permettent aussi d’élargir le spectre d’utopie
totalitaire et ouvre à une diversité des modèles et par suite des questions épistémiques. A ce
titre, l’auteur ouvre à une réflexion sur les sociétés utilitaristes dans lesquelles nous vivons et
invite à redéfinir les grands piliers sur lequel se fonde notre société.

S’il ne s’agit de contester l’intérêt de la recherche, une lecture philosophique ne peut faire
l’économie de la prise en compte de la dimension problématique d’une telle innovation du
point de vue numérique dans la mesure où si cette nouvelle gestion numérique peut être au
service de la société dans son ensemble en rendant service à l’économie, il est aussi le lieu
d’une observation constante pour toutes les catégories de la population qui se soumettent en
donnant accès à leurs données en échange de la gratuité. Ils sont ainsi vecteur d’un
« Big Mother » faisant à moitié référence à George Orwell qui à la fois alimente et épie avec
une tour de contrôle dissimulée comme le souhaite le panoptique. Dans cette optique, au-delà

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du choix personnel de ne pas donner ses données informatiques dans une posture qui
revendique le droit à l’oubli ou à la déconnexion, une partie non négligeable de la population
mondiale se soumet à ce nouveau système basé sur la data pour obtenir la pseudo-gratuité par
la vente de nous-même.

Par ailleurs, on peut se demander à la lecture de ce livre si la question de la conscience n’est


pas insuffisamment travaillée et exposée par l’auteur. Si dans les mains d’un seul homme est
détenu le gouvernement afin de « faire le bien, et nul pour faire le mal » plusieurs autres de
ses expressions traduisent une vision philosophique qui absolutise la conscience positive, en
fait une réalité quasiment autonome du champ psychique. Certes, le panoptique agrège des
données humaines aux prisonniers, mais penser que le mal peut être totalement enlevé de
l’homme et par là même l’idée qu’il n’est pas réalisé, fait émerger une vision fermée de la
morale. Ce n’est pas sans difficulté puisque le mal n’est pas toujours volontaire. La
philosophie des sciences à l’ère de la modernité a su montrer le caractère relatif de la
conscience, sa dépendance avec des présupposés, mais aussi son inscription dans un univers
social et culturel. Bref, la conscience est souvent relative parce que aussi sociale, au sens large
du terme intégrant des règles. Pour le meilleur et pour le pire.

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