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Brevet d’entraînement – Antigone, Jean Anouilh, 1944

Document A – Antigone, Jean Anouilh, 1944

1 CRÉON
Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant...

ANTIGONE
5 Il fallait dire non, alors !

CRÉON
Je le pouvais. Mais, je me suis senti tout d'un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m'a pas paru honnête. J'ai dit « oui ».

10 ANTIGONE
Hé bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai pas dit « oui » ! Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, vos nécessités, vos
pauvres histoires ? Moi, je peux dire « non » encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos
gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».

15 CRÉON
Écoute-moi.

ANTIGONE
Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez dit « oui ». Je n'ai plus rien à apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là, à boire mes
20 paroles. Et si vous n'appelez pas vos gardes, c'est pour m'écouter jusqu'au bout.

CRÉON
Tu m'amuses.

25 ANTIGONE
Non. Je vous fais peur. C'est pour cela que vous essayez de me sauver. Ce serait tout de même plus commode de garder une petite Antigone
muette et vivante dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me faire tuer tout à
l'heure, vous le savez, et c'est pour cela que vous avez peur. C'est laid un homme qui a peur.

30 CRÉON, sourdement.
Eh bien, oui, j’ai peur d’être obligé de te faire tuer si tu t’obstines. Et je ne le voudrais pas.

ANTIGONE
Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas ! Vous n’auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ?
35 Dites-le donc, que vous ne l’auriez pas voulu ?

CRÉON
Je te l’ai dit.

40 ANTIGONE
Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c’est cela, être roi !

CRÉON
Oui, c’est cela !
45
ANTIGONE
Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m’ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre,
moi je suis reine.

50 CRÉON
Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c’est assez payé pour que l’ordre règne dans Thèbes. Mon fils
t’aime. Ne m’oblige pas à payer avec toi encore. J’ai assez payé.

ANTIGONE
55 Non. Vous avez dit «oui». Vous ne vous arrêterez jamais de payer maintenant !

CRÉON la secoue soudain, hors de lui


Mais, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J’ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut pourtant qu’il y en ait
qui disent oui. Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère...
60 Et le gouvernail est là qui ballotte. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire
un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce, pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent
siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse
peau et à leurs petites affaires. Crois-tu, alors, qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire «oui» ou «non», de se demander s’il ne
faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne
65 d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient
de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut-être celui qui t’avait
donné du feu en souriant la veille. Il n’a plus de nom. Et toi non plus tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait
un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?

70 ANTIGONE secoue la tête.


Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour
mourir.

CRÉON
75 C’est facile de dire non !
Document B – Antigone, mise en scène de Nicolas Briançon

I- Questions sur le texte (14 points)

1) « Je ne le voudrais pas », « Vous n’auriez pas voulu » (lignes 31 et 34)


a) Voudrais : conditionnel simple (ou présent), 1ère personne du singulier.
Auriez voulu : conditionnel composé (ou passé), 2ème personne du pluriel.
b) Antigone affirme ironiquement que, peut-être, Créon n’aurait pas voulu refuser une tombe à son frère,
Polynice.
c) Toutefois, il va réellement refuser une tombe à Polynice et condamner à mort ceux qui tenteront de
recouvrir son cadavre. Antigone sera mise à mort !

2) « Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m’ont fait aux bras, avec ma
peur qui me tord le ventre, moi je suis reine ».
Ici, il s’agit d’une antithèse opposant la condition physique d’Antigone après son arrestation et le fait qu’elle
se sente « reine ». Elle veut dire qu’en demeurant libre et en assumant ses convictions, elle est plus royale
que Créon ne le sera jamais. Pour elle, c’est cette terre sous ses ongles qui prouve sa volonté de résister,
d’être une femme libre et digne. Créon, en comparaison, est un esclave du pouvoir qu’il exerce !

3) Observez les lignes 57 à 69.


a) Créon emploie la métaphore filée du navire qui prend l’eau, pour évoquer l’exercice du pouvoir :
« Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère... Et le gouvernail est là qui ballotte. L’équipage ne veut
plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour
eux, avec toute la provision d’eau douce, pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se
déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs
petites affaires. »
b) Il veut montrer que le roi est comme le capitaine d’un navire. Il doit affronter des tempêtes, colmater les
fuites et gérer un équipage qui peut se mutiner à tout moment. Ce n’est pas une place enviable et ses
responsabilités sont nombreuses !

4) Antigone incarne la résistance passive. Tout d’abord, elle répète « NON » et ses réponses sont souvent
courtes et exclamatives. Elle n’a aucune volonté de débattre car elle sait que son avis ne changera pas. Elle
emploie un vocabulaire péjoratif pour s’adresser à son oncle (qui est tout de même roi !) : « C’est laid, un
homme qui a peur ». Enfin, elle a totalement accepté sa condamnation et emploie le champ lexical de la
mort avec un certain détachement : « Vous allez me faire tuer », « je vais mourir ». Ce présent à valeur de
futur proche prouve qu’elle a conscience que sa fin est imminente.

5) Créon est en position de faiblesse, ici. Tout d’abord parce qu’il ressent le besoin de se justifier au gré de
longues répliques, en développant la métaphore filée du navire qui prend l’eau. Un roi qui se justifie, ce n’est
pas bon signe ! De plus, il implore Antigone : « Aie pitié de moi. » Enfin, il utilise le conditionnel : « Je ne le
voudrais pas ». Or, c’est un roi ! Il ne devrait pas considérer ses désirs comme des hypothèses mais des
certitudes !
6) Cet extrait est résolument tragique car Antigone a accepté sa mort prochaine et l’évoque au futur proche :
« Vous allez me faire tuer », « je vais mourir ». De plus, la jeune femme emploie un futur prophétique :
« Vous ne vous arrêterez jamais de payer ». Elle semble consciente que la fatalité s’abattra éternellement
sur les Labdacides. « Payer », ici, ce n’est pas forcément mourir. Créon devra vivre avec le fardeau des
morts qu’il a causées.

II- Question sur l’image (2 points)


7) Cet arrêt sur image peut symboliser les rapports de forces opposant Antigone à Créon. Tout d’abord, Créon
est plus imposant et situé au premier plan, tandis qu’Antigone se situe au second plan. Toutefois, cette force
n’est qu’apparente. Le roi est assis et semble dépité tandis que la jeune femme se tient debout ! Le roi, tourné
vers sa nièce, semble vouloir dialoguer. Mais Antigone lui tourne le dos : elle refuse toute discussion ! Enfin,
cette dernière se situe dans la lumière, alors que Créon est plongé dans l’ombre !

III- Réécriture (4 points)


« Cela prendrait l’eau de toutes parts, ce serait plein de crimes, cela se disloquerait, le navire coulerait ! Et le gouvernail
serait là qui ballotterait. L’équipage ne voudrait plus rien faire, il ne penserait qu’à piller la cale !

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