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Atlas des Royaumes connus

de Harley Stroh

Développement supplémentaire : Chris Doyle, Jeff LaSala, Rick Maffei


Édition : Aeryn «Blackdirge» Rudel
Illustration de couverture : Eric Lofgren
Illustrations intérieures : Doug Kovacs
Cartographie : Jeremy Simmons
Direction artistique : Jim Pinto
Développement de la gamme Dungeon Crawl Classics : Harley Stroh
Testeurs : Chris Beemer, Nolan Brown, Jeffery Burchell, JP Charpentier, Stephen Glicker, Carl Hall,
Andrew Jennings, Keith LaBaw, Seth Lipton, Bob Markee, Ian Ryan, Joey Turco, Erin K. Wetzel, Matthew Wetzel

www.Sans-Detour.com

Paru en anglais sous le titre Dungeon Crawl Classic - Punjar, The tarnished Jewel
Mise en page : Christian Grussi • Traduction : John Grümph

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Bienvenue à Punjar … munificence sans limite et de terribles tragédies. Telle est
Punjar, le Joyau terni – ici, la meilleure protection d’un
Où que l’on voyage à travers tout le monde connu, nulle guerrier est une lame vive et une chemise de maille ;
cité n’est plus mal famée, plus décadente ou plus mor- ici, personne ne semble remarquer les assassins qui se
telle que Punjar. C’est une triste collection, posée sur glissent silencieusement sur les toits noirs de suie ; ici, la
le sable de la côte, de taudis labyrinthiques, de ruelles magie ne connaît nulle contrainte.
enchevêtrées, de murs lépreux et d’échoppes pleines de
rats. Les quartiers surpeuplés de cette cité ont produit Aussi, faites jouer votre épée dans son fourreau, gardez
Punjar : Le joyau terni

quelques-uns des pires malfrats et des plus horribles une main sur votre bourse et aventurez-vous dans les
coquins qui ont jamais régné sur les innombrables trônes rues mal éclairées de Punjar. C’est le moment : un
du nord. Noircie par le feu, brutalisée par les guerres, brouillard noir monte des marais salants et la vieille
souillée et fétide, l’histoire de Punjar peut se lire dans ses ville vous fait signe…
rues chaotiques et ses ruines hantées par les spectres,
Ceux qui souhaitent explorer la cité de Punjar ne devraient
comme si les dieux eux-mêmes y avaient taillé d’in-
pas lire plus loin – non parce que cela gâcherait leur plaisir
nombrables cicatrices grimaçantes.
mais parce que les maîtres de jeu rusés utilisent toujours les
Mais Punjar est aussi la cité des opportunités et de l’opu- savoirs mal acquis pour conduire les tricheurs dans des pièges
lence, là où des fortunes sont gagnées en une nuit et encore plus mortels…
perdues avant l’aube ; là où les palais plaqués d’or des
Pour votre propre sécurité, joueurs, vous voilà prévenus !
marchands corrompus ont été construits sur le dos d’es-
claves exotiques ; là où même les miracles peuvent être
achetés si le compte est bon ; là où des sorciers voilés se
regroupent en sombres synodes pour y échanger de sinis-
… le Joyau terni
tres secrets ; là où les plus puissants des enchanteurs Trois des neuf premiers scénarios Dungeon Crawl Classics
frémissent à la seule pensée des secrets qui sommeillent se déroulent à Punjar et dans ses environs immédiats. En
sous le pavé des rues et le sable des courtines. vous familiarisant avec la cité, il vous sera plus facile de
mettre en scène ces aventures.
Par-dessus tout, Punjar est pleine de contrastes saisis-
sants. S’y côtoient un faste étonnant et la misère la plus Nombreux sont les érudits qui ont voué leur existence à
abjecte, des marchés bondés et des ruelles oubliées, des transcrire l’histoire atroce et les événements sordides
beautés obsédantes et la plus ardente des cruautés, une de Punjar ( Jeren l’ancien, notamment, et ses Scolies du

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Joyau Terni, particulièrement exaltées et que nous nous L’essentiel est que les personnages sentent que Punjar
garderons bien de relater ici). Bien loin de ces sommes est une cité vivante, où leurs actions – bonnes ou mau-
savantes, ce mince ouvrage n’est qu’un manuel élémen- vaises – auront des conséquences, des répercussions et
taire, destiné au MJ qui souhaiterait commencer une des récompenses. Des nobles éconduits reviendront
campagne au sein de la capitale décadente de la Province laver l’affront dans le sang ; des boutiquiers escroqués ou
méridionale : débordantes de vie, les rues pouilleuses volés engageront des thugs et des assassins pour assou-
de Punjar, autant que ses palaces rutilants, abriteront vir leur vengeance ; un mendiant pouilleux, aidé
d’innombrables aventures et intrigues. quelques semaines plus tôt, fera la différence entre un

Punjar : Le joyau terni


cul-de-sac mortel et une fuite inespérée. Des PNJ récur-
Un MJ a bien des moyens d’utiliser Punjar dans ses
rents, qu’ils soient alliés ou ennemis, sont ce qui donne
campagnes et il devrait se sentir libre d’altérer les des-
de la vie à une cité, et votre Punjar ne devrait pas être
criptions qui suivent pour mieux servir ses buts et ses
besoins. Voici quelques accroches : différente.

• Le sanctuaire : toute corrompue et inique qu’elle soit,


Punjar est une redoute civilisée au milieu de terres La cité d’un coup d’œil
sauvages et barbares. Les héros peuvent lancer des Punjar est dirigée par le Seigneur Trayr Sains, le maître
raids contre des forces maléfiques depuis la ville, puis auto-proclamé des Cieux et de la Terre, grand Dragon
s’y regrouper, y soigner leurs meurtrissures et y pla- de la mer de Lurie. Truand brutal ayant grandit dans
nifier leurs prochaines aventures. d’ignobles venelles, Sains se tailla une route hors des
• La cité souterraine : tous les donjons ne se trouvent taudis de la vieille ville et règne désormais sur Punjar,
pas dans les étendues sauvages. Traversée d’égouts en associant un art consommé de la diplomatie et une bien
ruine, parsemée de catacombes perdues et percée de cruelle fermeté. Il sait que tous ses sous-fifres ne cher-
passages secrets, Punjar offre plus que sa part d’ex- chent qu’à le détrôner ; aussi joue-t-il de leurs
plorations mortelles. La cité souterraine, ainsi qu’on chamailles, montant ses rivaux les uns contre les autres,
appelle l’ensemble de ces lieux, est un univers com- s’assurant ainsi qu’aucun n’aura jamais les ressources
plet et invisible qui repose douze pieds sous la surface pour l’affronter directement. Sinistre marionnettiste,
des rues. Les démons terrifiants qui s’y terrent et les tel un archiduc tout droit sorti des profondeurs des
secrets qu’elle dissimule suffiront à rendre fou le cham- enfers, Sains tisse sa toile et élabore sans cesse de nou-
pion le plus impavide. veaux complots mêlés d’intrigues complexes et de
mystérieuses conspirations.
• L’honorable société : personne ne peut vivre long-
temps à Punjar sans fréquenter ses marginaux et ses Bien qu’il soit un stratège accompli, Sains n’a aucun
intouchables. Que les personnages défient directe- héritier désigné ; rien actuellement ne pourrait empêcher
ment ses infâmes seigneurs du crime ou qu’ils mettent Punjar de sombrer dans la plus absolue des anarchies
leurs lames, leurs muscles ou leur astuce à leur ser- s’il venait à mourir. Beaucoup pensent que cette absence
vice, il est impossible de rester hors des guerres de succession n’est qu’un plan de plus, une manière pour
intestines qui déchirent le milieu. Et même, d’ambi- lui de se rendre indispensable aux habitants de la cité.
tieuses fripouilles pourraient envisager de se tailler un Sains est entouré d’un conseil de nobles et de divers
territoire dans la vieille ville, ajoutant leur nom à ceux maîtres de guilde. La table ne compte que treize sièges
des parrains de la cité. et, pour s’y asseoir, il faut payer. Cela a créé un jeu d’en-
• Les Portails Infernaux : ce qui semble n’être qu’une chères permanentes et les places s’arrachent pour des
manière familière, et bizarre, d’appeler les différentes sommes astronomiques – pour être perdues dès le mois
portes dans les murailles, prend une toute autre signi- suivant quand un rival surpasse l’offre d’un conseiller
fication pour ceux familiers du passé magique de la en place. Actuellement, le conseil compte cinq aristo-
cité. D’inquiétants portails sont en effet dissimulés crates, quatre maîtres de guilde, trois archiprêtres tandis
dans Punjar, sous le couvert de sceaux mystérieux et que le dernier siège est réservé au Seigneur de Punjar
ésotériques ; des portails vers d’autres lieux, d’autres lui-même.
plans et d’autres temps ; des portails dont les pouvoirs Les murs de la cité et les terres environnantes sont
sont jalousement gardés mais qui attirent des conjura- patrouillées par les Janissaires, une caste de guerriers
teurs, des démons et des vagabonds de l’univers entier.
féroces communément appelés « Dragons » – une réfé-
• Les héritiers du trône : pour des personnages ambi- rence directe à leurs armures d’écailles si particulières et
tieux, il n’y a pas de plus grand défi que de vouloir à leur effrayante efficacité sur le champ de bataille. Ils
revêtir le manteau du Seigneur Immortel. Trayr Sains, étaient jadis une soldatesque d’esclaves mais aujourd’hui,
le seigneur actuel, a gagné son trône par les complots les Dragons sont investis de titres héréditaires, pro-
autant que par la violence ; et son règne s’achèvera priétaires de vastes domaines et affranchis des lois du
certainement de la même manière. Est-ce que les héros commun. Organisés en compagnies informelles, les
seront assez puissants pour conquérir le pouvoir et Dragons tirent leur force d’une cavalerie lourde très
soumettre l’indomptable cité ? Plus important, seront- disciplinée, appuyée par des archers montés et des lan-
ils assez rusés pour garder ce pouvoir ? ciers.

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Les capitaines Dragons et leurs guerriers ne sont pas repérant les clients trop saouls qu’ils pourraient déva-
autorisés à détenir des propriétés et des demeures dans liser ou d’escrocs de haut-vol qui roulent des
l’enceinte de la cité. Par contre, ils possèdent tous des ventres-mous d’aristocrates décadents, les nuits de
manoirs fortifiés en dehors des murs. Ironiquement, ce Punjar ne sont pas avares d’opportunités et de dangers.
sont les Dragons, anciens asservis eux-mêmes, qui font
tourner l’infâme marché aux esclaves et ils emploient
L a loi et son absence
une noria de serfs dans leurs champs.
Interrogez les sages à propos de la cité et tous vous
Punjar : Le joyau terni

En fait, c’est presque un tiers des 75,000 âmes de la feront la même réponse : « à Punjar, chaque homme
cité qui vivent hors de ses murs, sur des terres arides est son propre empereur ». Cette boutade a deux sens.
ou trop salées, travaillant dans des plantations soigneu- Tout d’abord, elle rappelle que même le Seigneur
sement irr igués afin de nourr ir la population Immortel, maître de Punjar et de la Province méridio-
grandissante de Punjar. Dépendants des Dragons pour nale, fut jadis un simple pickpocket. Ensuite, elle suggère
leur sécurité, beaucoup sont les féaux d’un capitaine ou que tous les citoyens de la ville, du plus misérable des
d’un autre. Si Punjar devait un jour être attaquée, ce mendiants jusqu’aux redoutables maîtres des Assassins,
sont ceux qui vivent hors de la cité qui seraient les pre- sont notoirement mesquins, cupides et acerbes.
miers à tomber devant les envahisseurs, privant ses
habitants d’une ressource vitale – un fait qui n’est pas Cette culture rapace et violente est le reflet de la nature
étranger au seigneur Sains. Dernièrement, il a discrète- même de la cité. Si les Dragons président à la vie et à la
ment encouragé des capitaines Dragons à l’esprit rebelle mort de chacun hors des murs, ils sont profondément
à renforcer leurs manoirs pour en faire des citadelles à égoïstes et, dans la cité, leur influence ne s’étend guère
part entière. Une fois que ces forteresses seront achevées, au-delà de la portée de leur lame (ou de leurs flèches de
les agents de Sains révéleront la duplicité des capitaines, guerre à l’empennage vermillon). Sans garde urbaine
confisqueront leurs domaines et les confieront à des digne de ce nom pour veiller sur Punjar, chaque dis-
officiers plus jeunes – inspirant ainsi une nouvelle géné- trict et quartier de la cité ont dû se débrouiller pour
ration de seigneur Dragons plus loyaux. instaurer un semblant d’ordre.
Privée des abondantes ressources naturelles des terres du Les codes varient grandement selon les circonscrip-
nord, l’économie de Punjar est basée sur trois indus- tions, selon les quartiers – et même, dans certains
tries également douteuses : endroits du Vieux Punjar, selon les pâtés de maison.
En fonction du caractère du parrain local, les lois sont
• Le marché noir : ouvert et presque officiel, le marché
draconiennes, tyranniques, incompréhensibles ou
noir de Punjar est un défi lancé à la face de l’empire de
laxistes ; et elles changent en l’espace de quelques rues.
Crieste. Du simple marchand cherchant à éviter les
taxes impériales au flibustier qui vient écouler ses
prises de guerre, Punjar accueille des navires de toutes
origines et les opportunités sont nombreuses pour
ceux qui font de la débrouille un mode de vie.
• Les mines : les anciennes mines de fer de la cité four-
nissaient un minerai à peine utilisable et beaucoup
ont fermé, des décennies plus tôt. Aujourd’hui, des
chargements de minerai arrivent régulièrement de
l’intérieur des terres et les meilleures cargaisons sont
achetées par des marchands étrangers. Les forgerons
locaux savent façonner des clous et des outils, des
anneaux et des chaînes pour les esclaves, ainsi que des
armes et des armures de qualité inférieure – les lames
de Punjar sont célèbres pour leur fragilité et tout for-
ban digne de ce nom aura grand soin de porter une
arme venue de l’étranger. Les marchands, pour leur
part, font des affaires florissantes en vendant des armes
« importées » de terres imaginaires et très, très loin-
taines.
• Les divertissements : le quartier des plaisirs de Punjar
satisfait les désirs gaillards des marchands des mers
du sud, des capitaines pirates et de leurs matelots
assoiffés et pourvoit aux appétences sordides de la
noblesse débauchée de Punjar. S’éveillant avec la nuit,
les nombreuses tavernes et les bordels tapageurs ne
connaissent pas d’égal. Qu’il s’agisse de tire-laines

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Certains patrons peuvent être achetés avec de l’or ; d’au- transforme en un campement dense ; et nombreux sont
tres corrompus par des services ou des informations ; ceux qui, fuyant l’un des prédateurs de la Boucane, se
mais les aventuriers qui sont assez stupides pour s’atti- retrouvent dans un cul-de-sac mortel quand ils pen-
rer l’inimitié d’un boss seront vite expédiés à la Citadelle saient trouver un moyen de s’enfuir.
de Sombrecage, une prison insulaire au large de la cité.
La vie dans la Boucane est souvent courte et désespérée.
Là, les plus chanceux seront rapidement exécutés et
Ceux qui parviennent à survivre dans cet environne-
leurs corps abandonnés à l’appétit des corbeaux et des
ment cruel se blindent contre toutes formes de faiblesses.
goélands ; les autres seront condamnés à des vies (arti-

Punjar : Le joyau terni


L’honneur est un luxe que bien peu peuvent s’offrir, les
ficiellement) longues, enfermés dans les geôles qui
bonnes manières rien de plus qu’un vernis craquelé et les
donnent son nom à la citadelle.
amabilités dissimulent bien mal l’égoïsme. La plus
insigne des provocations suffit à rendre aux habitants
leur nature farouche et ceux qui se distinguent du lot se
Les quartiers désignent souvent comme des proies pour leurs com-
Punjar est divisé en quartiers, aussi appelés districts. Si pagnons de misère.
leurs frontières peuvent être invisibles, les traverser
La Boucane est dirigée par d’innombrables tyrans, ambi-
revient pourtant à changer de monde : le magnifique
tieux, prétentieux et violents, chacun dressé contre tous
palais du Seigneur Immortel, que jalousent tous les sou-
les autres pour accumuler le plus de pouvoir possible.
verains du nord, se tient à un jet de pierre des pires
Chaque maquereau, chaque entôleur, chaque brute se
taudis de ce monde, où des hommes désespérés ven-
prend pour un boss et chaque boss pour un empereur.
dent leurs enfants efflanqués en échange de quelques
Plus un homme est puissant, plus il est cruel – une
pièces.
vérité bien comprise par la jeunesse de la Boucane qui
Malgré le contraste saisissant entre la richesse insane rivalise de sauvagerie et de perversité. Les rares qui gar-
de ses nobles et de ses marchands et la pauvreté abjecte dent le pouvoir assez longtemps finissent rapidement par
de ses miséreux, une chose est vraie pour tout le monde attirer à eux une nuée de sycophantes dans une parodie
à Punjar : que vous soyez empereur ou mendiant, le de cour royale, avec ses officiers dépravés, ses généraux
prix de toute vie peut être mesurée en espèce sonnante et despotiques et son fou du roi.
trébuchante.
L’habitant typique de la Boucane s’habille de haillons
abandonnés, récupérés dans les poubelles du Souk. Ces
L a Boucane (Punjar l’ancienne) miséreux possèdent rarement plus d’une ou deux pièces
de cuivre rognées, bien que les plus chanceux aient par-
Nid à rat compact d’immeubles lépreux, de ruines
fois une petite cachette où, tels des écureuils, ils
fumantes et de gourbis branlants, le quartier de la
accumulent quelques poignées d’entre elles et même,
Boucane est le foyer des misérables et des pouilleux. Il
parfois, une pièce d’argent. Tout le monde, homme,
n’est nul espoir dans ce taudis abandonné des dieux,
femme, enfant, porte un couteau ou un poignard – du
seulement l’opportunité d’exploiter ceux qui vous entou-
tranchet rudimentaire confectionné à partir d’un vieux
rent. Bloqués à l’ouest par la Porte de la Peste (plus
clou aplati à la lame courbe soigneusement affûtée qui
généralement appelée la Porte Peste par les habitants du
sert à vider le poisson (et affectueusement appelée
quartier), bordés au sud par la rue Vague et au nord par
« l’étripeur »).
le quai des Passeurs, la plupart des Boucaniers vivent
une vie entière sans quitter jamais les frontières fétides Les habitants du quartiers portent fréquemment les
du district. cicatrices de la petite vérole – un mal terrible qui tue
d’innombrables personnes – et le scorbut prélève lar-
La Boucane est surtout remarquable par le grand âge de
gement son tribut sur les mâchoires de tous. Même les
ses immeubles. On y trouve partout d’antiques gar-
habitants les plus en forme arborent de nombreuses
gouilles de pierre et des murs aux appareils cyclopéens,
plaies suintantes et variqueuses, tandis que les infirmes
souillés par des siècles de crasse et de suie, qui remontent
ou les vieillards se voient amputés de leurs membres
à la fondation de la cité ; aussi communs sont les
pour éviter les infections.
immenses asiles et ateliers délabrés construits jadis pour
accueillir les pauvres et les miséreux dans une vaine Les visiteurs doivent faire très attention à se déguiser ou
tentative d’expérimentation sociale ; ici, les ruines noir- ils seront très rapidement repérés par les locaux (une
cies et charbonneuses de bâtiments ravagés par le feu dentition en bon état peut suffire à trahir un impos-
offrent un frêle abri à d’acrimonieux vagabonds ; et, teur). Les mendiants se ruent alors de toute part tandis
s’insinuant dans le moindre espace libre, s’étend une que les gredins commencent à cercler autour de leur
mer de tentes et de cabanes, de baraques de bric et de proie. Sans une véritable démonstration de force et de
broc, de taudis insalubres qui s’empilent et sédimen- violence (la seule valeur respectée ici), les personnages
tent depuis des générations. Ces structures éphémères peuvent s’attendre à être constamment agressés et talon-
peuvent mourir et fleurir en l’espace d’une nuit et ren- nés. S’ils sont originaires de la Boucane, ils seront
dent la navigation dans le quartier frustrante au mieux, considérés avec respect et crainte par les mômes, et avec
mortelle au pire – ce qui était une allée vide la veille se une amère jalousie par les ladres.

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Voici une brève liste des lieux les plus intéressants du mémoire, le Capitaine Jidair est le plus ambitieux des
quartier – bien que ce terme doivent être utilisé avec Dragons qu’on ait connu et ses pairs, effrayés, l’ont
précaution dans ce trou misérable oublié par les dieux. condamné à la Porte Peste dans l’espoir de stopper, ou au
moins de retarder, sa montée en puissance. Affaibli par
La rue Vague : dans l’ombre même en plein jour, la rue
la réticence de la compagnie qu’on lui a confié, le mince
Vague court aux pieds des falaises abruptes qui s’élè-
Jidair a été obligé de revoir sa stratégie et il remplace
vent jusqu’au palais du Seigneur Immortel. Cette allée
doucement les soldats de la garnison par des gardes
étroite est décidément immonde, couverte de détritus, de
Punjar : Le joyau terni

fidèles à sa maison. De leur côté, ses collègues ont bien


terre crottée et de bien pire encore, toutes choses jetées
compris que rien sinon la lame d’un assassin n’arrêtera
depuis le palais et s’accumulant en un tas d’immon-
jamais sa prétention et ils ont commencé à chercher un
dices pourrissantes. Chaque jour, les gones fouillent ces
garde compétent pour l’éliminer.
poubelles, luttant avec des rats sanguinaires (ou pire)
pour la conquête des meilleurs morceaux. Le chemin du ratier : il est ce qui ressemble le plus à une
véritable rue dans tout le quartier de la Boucane ; le
Le Vieux om, un vieux roublard infirme et grisonnant,
chemin du ratier accueille la plupart des boutiques et des
armé d’une masse impitoyable et d’un caractère de chien,
affaires implantées dans le coin – une douzaine de
surveille les gamins depuis son perchoir, au sommet
taverne, de salles de jeu, de monts-de-piété, de bordels
d’un mur de pierre à demi-effondré. Au service du Roi-
et tout ce qui va avec… Peu de ces établissements sont
Mendiant, il embobine les mômes les plus adroits et
ouverts durant la journée et la rue s’anime avec le cré-
les plus astucieux et les force à rejoindre la Société des
puscule. La nuit, le chemin est bondé de mercenaires
Mendiants, quand il ne vend pas les plus prometteurs à
sans emplois, de marchands ruinés, de forbans, de putes,
la Guilde des Voleurs.
de souteneurs et d’une multitude qui pense que dépen-
Quelques-uns des galopins les plus courageux ont ser quelques pièces fera passer le temps plus vite. Les
exploré un large tunnel de rats sanguinaires. Si ces indi- pickpockets et les voyous abondent et les étrangers au
gents sont dignes de confiance (une sacrée condition quartiers sont vite désignés à ces prédateurs.
en soi), les tunnels traversent les tas d’immondices et
Si toute la Boucane (et, en vérité, tout Punjar) est infesté
pénètrent à la base de la falaise, sous le palais. Que ce
de rats, le chemin du ratier connaît une densité peu
conte soit vrai ou non, la possibilité que des terriers de
commune de ces bestioles, ce qui a donné son nom au
rats puissent connecter les plus riches et les plus pauvres
voisinage. Les tentatives pour résoudre le problème ont
de la cité ont enflammé l’imagination des habitants de
toujours tourné à la tragédie – les chats sont désossés par
la Boucane – et l’histoire est racontée, encore et encore.
des hordes de rongeurs vicieux, les ratiers rentrent chez
Le quai des Passeurs : au pied d’une suite de petites eux pour trouver leur foyer infestés de puces et de larves
falaises qui bordent le nord de la Boucane, on a construit et les sorciers deviennent fous, persuadés d’entendre
des quais branlants, à partir de planches récupérées, de continuellement le trottinement d’une nuée de rats dans
tonneaux abandonnés et de vieilles cagettes. Utilisés prin- les murs. Les locaux parlent d’un vieux réservoir
cipalement par les contrebandiers du fleuve qui refusent construit aux origines de la cité ; là, à demi-englouti
de payer taxes et bakchichs, ces docks foireux sont détruits par la merde et les eaux usées, se tient la statue d’un
tous les printemps et reconstruits à la fin de l’été. énorme rat, couverte d’algues et de moisissure noire.
Escalader les falaises jusqu’à la Boucane n’est pas une Ceux qui affirment l’avoir vu de leurs yeux vu prétendent
mince affaire – il faut grimper le long d’un filet pourri, fait que les tunnels qui mènent au réservoir abritent des
de cordes épissées, de guenilles, de filins détrempés et Choses étranges, corrompues, aux yeux rouges, qui res-
de tripes de chat, le long des falaises puis des murs tent toujours en limite du champ de vision.
jusqu’aux créneaux. Les Dragons ne font généralement
La Vierge sans voix : au fond d’une ruelle appelée « le
pas attention aux passeurs qui grimpent les murs ; bien
Frisson » se niche l’enseigne de la Vierge sans voix.
que des capitaines particulièrement espiègles aient parfois
Taverne crasseuse et asile de nuit, la Vierge ne se dis-
utilisé les grimpeurs (et les gamins qui les servent) comme
tingue pas vraiment des centaines d’autres bouges qui
cibles improvisées pour des exercices de tir.
fleurissent dans la Boucane, si ce n’est par la réputa-
La Porte Peste : au cœur de la Boucane, la Porte Peste tion de sa clientèle. Pour une raison inconnue, des
(les habitants ont contracté le nom officiel pour d’évi- voyous en tout genre se retrouvent ici jours et nuits,
dentes raisons) surveille les fermes et les manoirs à pour boire, jouer aux dés ou fomenter des coups. Il n’y a
l’ouest de la cité. Servir à cette porte est considéré pas de meilleur endroit dans tout le quartier pour louer
comme une punition et ceux qui sont là sont le pire de un scélérat – et malheur aux Dragons et aux officiers
ce que leur compagnie peut offrir. du seigneur Sains qui mettent les pieds à la Vierge.
Le commandant actuel de la Porte Peste est le capi- La Vierge sans voix est tenue par un nommé Finris
taine Jidair, le cousin efféminé d’un important seigneur l’aveugle, un vieillard barbu à la stupéfiante capacité de
Dragon. Considéré comme une fiotte et un précieux jauger un client malgré son infirmité (ou, si on en croit
par les vétérans sous ses ordres, on s’accorde générale- certain, parce qu’il peut justement ignorer les appa-
ment sur le fait qu’il a été posté ici pour ne plus l’avoir rences pour se concentrer sur la vérité de chacun). Finris
dans les pattes. La vérité est, en fait, l’exact opposé : de n’est loyal envers aucun boss du quartier mais il per-

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met aux voleurs de la Guilde de boire gratuitement, en offre des prêts avantageux, loue du muscle pour inti-
échange de leur protection. Les larrons, afin de conser- mider un concurrent et ses agents sont passés maîtres
ver ce privilège, appliquent une justice toute simple : dans l’art d’organiser un « accident » bienvenu… mais
escroque Finris et tu perds un doigt ; menace le vieux et tout cela a un prix.
tu perds la vie. Une jarre derrière le bar est pleine de
Il n’est ici nul endroit hors de portée de la Guilde des
doigts coupés – un avertissement suffisant pour tous
Voleurs – elle est d’ailleurs un sujet bien trop passion-
ceux qui voudraient arnaquer le vieux Finris. nant pour qu’on la traite complètement dans ce livret, à

Punjar : Le joyau terni


part pour noter que, si quelques factions peuvent parfois,
souvent, s’affronter entre elles, une Guilde unie der-
Les Communs (l a vieille ville)
rière un objectif commun est une chose à craindre
À peine moins lugubre que la Boucane, situé juste au par-dessus tout.
nord, le quartier des Communs accueille la masse des
pauvres de Punjar. On y trouve plus de bâtiments récents Les habitants des Communs s’habillent généralement
– un contraste important avec les ruines de la Boucane. d’étoffes rugueuses tissées à la maison ou de rebuts du
Ce sont essentiellement des immeubles de bois et de Souk. La plupart portent des couteaux ou des poignards
stuc, blancs de chaux et déjà décrépis, couverts de tuiles mais ce sont avant tout des outils et ils ne servent
ou d’ardoises brisées. d’armes que dans la plus extrême des nécessités. Les
agents de la Guide portent des épées courtes et des
Les logements des Communs sont construits très près masselottes ; il est d’ailleurs d’usage de traiter les
les uns des autres, jusqu’au-dessus des rues et des venelles hommes et les femmes serrés dans des armures de cuir
pour gagner encore un peu de place dans ce taudis trop bien graissées et cloutées d’argent avec un certain respect
peuplé. C’est une véritable bénédiction pour les cam- mêlé d’effroi.
brioleurs car les rues sont si étroites qu’elles ne voient
jamais le soleil. Mais un simple incendie peut réduire en Voici une brève liste de quelques lieux intéressants et des
cendre une grande partie du quartier – et cela s’est déjà personnalités qui y sont associées :
produit. Pourtant, par ignorance mêlée de fatalisme, les Le Trou noir : irrigué par un mince filet d’eau de vidange
logements sont toujours plus serrés, toujours plus imbri- et parfois rempli par les trombes apportées par les tem-
qués. pêtes, le Trou noir est un bassin fétide, aux eaux sombres,
qui se situe dans le coin nord-est du quartier. Le liquide
Les Punjarans des Communs sont divisés en deux caté-
n’est certes pas potable et il tâche tout ce qu’il trempe.
gories distinctes. La première est constituée de
Le Trou s’étend sur quelques dizaines de mètres vers
prolétaires lassés, brisés par les conditions de vie brutales.
le sud puis disparaît brutalement au travers d’une vieille
Confrontés à des vies courtes, sinistres et sans aucun
grille d’égout rouillée.
espoir de jamais s’élever, ils exhibent les pires traits de la
nature humaine. Les mendiants pullulent, les déchets Les explorateurs qui ont pénétré dans la falaise à la
s’accumulent dans les rues et les maladies sont endé- recherche de la source ont découvert une petite caverne
miques. Les familles sont brisées et chacun contraint de qui s’étendait dans les ténèbres. Bien qu’elle soit utilisée
servir dans des ateliers obscurs où les patrons corrompus comme égouts, les spécialistes purent noter qu’elle était
exercent une loi de fer. parfaitement naturelle et devait appartenir à un ensem-
ble plus vaste qui s’étendrait sous la cité.
Néanmoins, pour des vauriens entreprenants et sans
scrupule, les Communs offrent un univers d’opportu- Au plus grand profit des érudits et des alchimistes, une
nités. Les citoyens appartenant à la Guilde des Voleurs pellicule luminescente flotte à la surface des eaux du
forment donc la caste supérieure du district. La Guilde Trou noir. Collecté là où le courant est le plus faible,
ce produit est légèrement inflammable ; deux hivers
plus tôt, tout juste, le Trou noir a été incendié et il brûla
durant quatre jours et quatre nuits.
Le Carré Turpide : servant de marché général pour le
quartier, le Carré Turpide est représentatif de l’ambiance
des Communs. Le jour, les marchands font de floris-
santes affaires en vendant de la nourriture en vrac –
pain gâté, légumes abîmés et produits marins de la veille
– et des objets de médiocre qualité.
Au crépuscule, le Carré prend une teinte plus sinistre.
Des lanternes rougeâtres et fumantes sont pendues
autour du périmètre tandis que des esclaves tatoués
dressent des tentes noires, que des biens interdits emplis-
sent les étals et que se rassemble une collection de
cracheurs de feu, de danseuses paillardes et de bardes au
talent douteux. À la nuit tombante, on trouve tout au

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Carré Turpide, pour peu qu’on y mettre le prix – épou- L a Cité des Morts
vantables idoles de dieux insanes, composantes de sorts Accueillant les tombeaux et les caveaux de la vieille
putrides, poisons mortels et bien plus encore… Ce mar- aristocratie de Punjar, la Cité des Morts est elle-même
ché noir est assez achalandé pour attirer des nobles des assez largement éteinte. En fait, comme les cryptes sont
Hauts Quartiers et des Courtines (encore qu’ils arri- surpeuplées et que le marais gagne chaque année sur
vent masqués et escortés de multiples gardes du corps). ses limites, aucune nouvelle tombe n’a été creusée en
On murmure que le Haut Seigneur lui-même daigne plus d’un siècle. Les familles qui y possèdent des mau-
Punjar : Le joyau terni

parfois examiner ces marchandises interdites et illé- solées bien établis continuent d’utiliser la nécropole
gales mais cela n’a jamais été confirmé. mais, avec chaque année qui passe, il y a de moins en
La Porte du Marais-Salant (ou Porte de la Bourbe) : moins de zélotes pour rendre hommages aux morts.
marquant la limite occidentale du quartier et fermant la rue Les cryptes encore existantes sont des merveilles du
du même nom, la Porte de la Bourbe ouvre la cité sur un travail de la pierre, chacune façonnée pour donner une
marécage profond et des marais-salants nauséabonds. Les vision particulière de la vie après la mort – les statues
Dragons assignés à la Bourbe sont habitués aux monstres d’anges grimaçants, de danseurs gracieux et de monstres
des marais et ils gardent toujours à portée de main une abominables abondent, formant une imposante ména-
baliste et quelques chaudrons d’huile bouillante. gerie lithique. Les tombes elles-mêmes vont du plus
En dehors des murs, à une portée de la porte, se tient un simple au plus extravagant. La plupart furent construites
hameau sans nom. Une dizaine de familles ou à peu avec l’intention particulière de tromper les pilleurs : on
près, marquées par des générations de consanguinité, ne compte plus les fausses entrées, les démons protec-
survivent là. Durant le jour, ils ratissent les marais avec teurs et les pièges élaborés et mortels.
leurs harpons barbelés et, à la nuit tombante, ils ren- Le passage du temps n’a pas été clément avec la Cité.
trent se terrer dans leurs huttes de boue et de roseaux. L’élévation des marais salants a conduit à l’effondre-
Ces pitoyables pêcheurs se nourrissent de poissons gras ment du mur sud de la nécropole et les sphaignes
et d’oignons sauvages, les échangeant parfois contre affamées ont englouti de nombreuses tombes. Comme
quelques outils de première nécessité, de la corde ou les marécages progressaient toujours plus loin, le cime-
des tissus rugueux. tière est devenu de plus en plus sauvage. Des plantes
Mais ils présentent un curieux mystère. Quand nulle grimpantes épaisses comme le bras s’accrochent par-
nuit ne passe sans que les portes soient attaquées par des tout, une mousse noire et putride couvre les pierres
hommes-lézards ou des trolls du sel, comment est-il tombales tandis que les sentiers pavés, jadis larges et
possible qu’un village de pauvres hères puisse ainsi res- confortables, sont réduits à de minces pistes bordées
ter indemne ? Si les pêcheurs ont une réponse, personne de buissons épineux et de mare d’eau stagnante à l’odeur
n’a daigné aller leur poser la question. Parfois, la mous- de décomposition avancée.
tache plongée dans leur choppe de bière, les Dragons Les légendes sont innombrables qui vantent les vastes
parlent à mots couverts de grands brasiers qui s’élèvent fortunes dissimulées dans les tombes ou mettent en
à la minuit sur les îles des marais et de sacrifices san- garde contre les cruelles sentinelles qui veillent en silence
glants adressés à des puissances maudites. sur les sépultures. Ces dernières années, une quantité
insigne de vaurien ambitieux (ou désespérés) ont déclaré
L’Échelle de la Suie : s’étendant le long du mur sep-
leur intention de piller un cénotaphe ou un autre – mais
tentrional de la Cité des Morts, l’Échelle de la Suie est
soit ils sont morts dans leur tentative, soit ils ont déni-
fréquentée par les nobles qui viennent rendre hom-
chés des trésors si majestueux qu’ils ont pu quitter
mage à leurs ancêtres. Suivies par des gardes du corps,
Punjar et disparaître à jamais. Peu importes les histoires
des ecclésiastiques servant la famille, des pleureuses et
et les rumeurs murmurées, il est commun de voir de
des porteurs d’encens, ces processions peuvent s’étirer sur
pâles lueurs danser entre les tombes lors des nuits de
des dizaines de mètres.
tempête.
Une partie du rituel destiné à honorer les défunts de
Punjar consiste à laisser, quelque part sur la route menant
à la Cité des Morts, une chandelle consacrée et allumée. Le Souk
Si la tradition commença certainement comme un acte Désignant à la fois le quartier tout entier et l’immense
propitiatoire contre les esprits maléfiques, elle évolua bazar qui lui donne son nom, le Souk est l’esprit même
(comme toutes choses en Punjar) en un étalage de de Punjar, le moteur de son économie ; il pulse, grouille,
richesse. Les familles nobles rivalisent de piété en plaçant s’affaire à toutes heures du jour et de la nuit. Des marins
le plus de chandelles possibles – le résultat est que chaque vident les bateaux à la lumière de la lune ; les étals
niche, appui de fenêtre, recoin de la rue reçoit des dizaines dégorgent de marchandises et des camelots à la voix
de bougies. Toutes les nuits, le passage est illuminé par des enrouée se relaient pour les proposer au chaland ; les
milliers de flammèches tremblotantes qui donnent son tavernes ne désemplissent pas. Il est difficile de ne pas se
nom à l’endroit. (Notez tout de même que trois des cinq retrouver mêlé à une aventure d’une sorte ou d’une autre
incendies les plus récents qui ravagèrent les Communs – les cris des larrons qui s’interpellent dans les ruelles
prirent naissance sur l’Échelle de la Suie.) obscures, les sourires de mystérieuses dames derrière

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leurs voilettes, le mouvement des capitaines-marchands équipe – un beau jeune homme ou une femme magni-
qui doivent embarquer avant que ne résonne la pro- fique, assistés d’une troupe de mendiants. Ces derniers
chaine sonnerie de la cloche du port qui rythme les attirent l’attention, bloquent les poursuites et font le
marées. guet tandis que les voleurs peuvent rafler la mise. Les
Le Souk est un mélange éclectique d’ancien et de réguliers du bazar savent passer outre les gentes paroles
moderne – les vieux hôtels particuliers en pierre de taille d’un « noble » élégant cherchant une escorte tandis que
des armateurs du premier âge d’or de la cité côtoient les braves héros fonceront certainement pour aider une
jeune fille en danger !

Punjar : Le joyau terni


des camps de tentes en pelure râpée hâtivement dressées
au cours de la nuit. Entre les deux, des bâtiments de Le Souk (le grand marché) : à l’intersection de la rue
bois et de torchis s’élèvent en hauteur, sur deux ou qua- de Guildes, de la rue de l’Or et de l’allée du Cuivre,
tre étages. S’il est moins dense que les Communs, le grand marché du Souk est l’une des merveilles de la cité,
Souk vibre d’une telle énergie qu’il peut rendre tout jalousée par les provinces du Nord. Il s’avère que si vous
autant claustrophobe que son voisin occidental. ne pouvez trouver un objet sur le Souk de Punjar, vous ne
On dit que tout homme, femme ou enfant du Souk a pourrez sans doute l’acheter nulle part. Tous les jours
toujours quelque chose en tête, un projet, une mani- de l’année, le Souk est un tumulte assourdissant
gance, un plan. Les résidents du quartier sont du genre d’aboyeurs déments, de mercenaires exotiques cherchant
entreprenant, doté d’un goût ardent pour la vie. Ils un emploi, de filou proposant des jeux d’argent et des
apprécient les risques autant que les récompenses et loteries, de jongleurs, de ménestrels, de vagabonds men-
sont toujours prêts à parier et à jouer. diant une piécette, de colporteurs qui proposent de la
petite bière et un assortiment douteux de « nourriture à
Allant de pair avec cet amour de la chance et des
gageures est l’assomption silencieuse – mais néanmoins emporter ».
intransigeante – que toutes les dettes doivent être payées. La concurrence pour les meilleures places est rude parmi
Ceux qui manquent à y remédier ou qui s’embrouillent les vendeurs ; les commerçants les plus anciens et les
avec des usuriers finissent toujours du mauvais côté du mieux établis dominent le marché. Les fortes têtes qui
manche. Les réguliers du Souk n’entretiennent aucune pensent pouvoir se tailler un domaine par la force et
illusion à propos de l’argent perdu mais encouragent les menaces se retrouvent souvent à flotter dans la rivière,
les thugs qu’ils engagent à « extraire l’or du sang » des des poissons dans la bouche et des crabes dans les
délinquants. oreilles. Si la violence n’est pas encouragée, les mar-
Les locaux accueillent les étrangers à bras ouverts – les chands expérimentés ne manquent pourtant pas de
rues sont un chamarré de vêtements, de couleurs, de contacts et de gros bras en cas de coup dur. Quelquefois,
races, d’aspects. Le Souk ne tolère ni le racisme, ni la les rivalités dégénèrent en véritables batailles rangées, les
bigoterie ; ce n’est certes pas une marque de haute tenue marchands laissant la place aux mercenaires et aux ruf-
morale mais simplement le pragmatisme de commer- fians qu’ils ont engagé pour le sale boulot. Le Seigneur
çants âpres au gain. Les seigneurs Drakéides, les Sains et les Dragons ignorent la plupart de ces que-
Tieffelins au sang démoniaque ou les trafiquants gnomes relles, confiant dans le fait que les boutiquiers les plus
se retrouvent tous dans le Souk pour boire, jouer, mar- retors l’emporteront. Ils n’interviennent que lorsque le
chander jusqu’à la dernière des pièces de cuivre, comme commerce de la ville tout entier est en danger.
si leur vie en dépendait. Dans le coin, l’or rend tous les
Actuellement, un nain corpulent du nom de Hrix
visiteurs égaux.
Ironblood est le Roi du Bazar. Grippe-sou et profiteur,
Voici une brève liste de lieux qui pourraient mériter Hrix possède un caractère atroce et une paranoïa légen-
l’attention des aventuriers : daire. On peut le trouver, chaque jour, en réunion avec
Le bazar de Porte Noire : situé à proximité de la porte des capitaines et des marchands, négociant les meil-
qui mène aux Communs, le bazar de Porte Noire est leures marchandises et les meilleurs prix. Son réseau
clairement un marché de seconde zone. Ici, les négo- s’étendant à travers tout le Souk, Hrix a les moyens
ciants sont moins francs que leurs collègues du Souk, d’entraver toute concurrence – et il n’hésite devant
leurs biens de moins bonne qualité et, d’une manière aucune extrémité pour boucler un conflit.
générale, le chaland doit faire très attention. Les came- Le premier concurrent de Hrix est un astucieux sei-
lots du coin sont bien connus pour leur persévérance gneur-marchand nommé Dramas le Faucon. Jeune et
obtuse, le volume de leur voix et leur détermination à ambitieux, le Faucon convoite le réseau de marchands de
vous vendre leur stock. Hrix. Il a tourné la cupidité du nain à son propre avan-
Peu de gens le savent mais le bazar de Porte Noire est tage, vendant ses biens très en-dessous de la valeur du
placé sous l’égide de la Guilde des Voleurs. Si peu de marché, une pratique que Hrix refuse de copier. Les
marchands sont effectivement des larrons, il y a tou- commerçants les plus vieux hésitent à traiter avec
jours un aréopage de ceux-ci mêlé à la foule, sondant Dramas, de peur des représailles, mais les nouveaux-
les poches, repérant les pigeons et les nouveaux-venus venus se sont rapidement tournés vers ses marchandises
à l’ostentatoire richesse. Les voleurs travaillent en bon marché et son attrayant harem de démarcheurs.

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La caserne de la Veille Sud : en surplomb du Souk et de crates et leurs dernières possessions furent données aux
la Grande Bourbe, les soldats de la Veille Sud sont compagnies d’esclaves-soldats.
notoirement corrompus. Les Dragons chevauchent
Confrontés à leur disparition, les nobles prirent leur
régulièrement à travers le marché, bousculant ceux qui ne
dernière ressource – leur lien au Seigneur Immortel – et
s’écartent pas assez vite et prélevant une « taxe de pro-
l’offrirent à celle qui en avait le plus besoin : la Guilde
tection » auprès des marchands et des voyageurs.
des Voleurs. Un pacte diabolique fut signé tandis que les
La plupart des commerçants ont accepté l’extorsion différentes factions de la Guilde soutenaient les patri-
Punjar : Le joyau terni

comme faisant partie de leur vie – et ils ont ajusté leurs ciens qu’elles avaient choisies et que ces derniers
prix en conséquence. Ceux qui tentent de résister sont agissaient et parlaient au nom de l’intérêt des-dites
sommairement exécutés, avec ce qu’il faut de rituel et de coalitions.
cérémonie pour que cela serve de leçon à tout le monde.
Cette pratique du patronage s’étendit comme un feu
La Veille Sud est dirigée par la Dame Raveynos, une de brousse au travers de l’aristocratie et, aujourd’hui,
guerrière mortelle sous tous ses aspects. Sa charge de toute lignée nobiliaire entretient des liens étroits avec des
capitaine lui a permis de se vautrer dans ses appétits factions de la Guilde des Voleurs. Les relations varient
cruels et, chaque nuit, des cris résonnent en provenance d’un membre à l’autre des familles mais le schéma glo-
de ses appartements, à la plus haute tour de la caserne. bal reste le même : les familles sont les marionnettes ; les
Les criminels pris par les Dragons de la Veille Sud ne criminels les manipulateurs.
survivent jamais assez longtemps pour connaître le tri-
Si les intrigues de la noblesse punjaran sont trop com-
bunal et la peur que la Dame Noire répand ne fait que
plexes pour être détaillées ici, il faut noter que chaque
renforcer l’influence de la garde sur le quartier.
famille entretient une garde composée des meilleurs
La cité flottante : ensemble hétéroclite de cabanes et guerriers et magiciens qu’elle peut se payer. Plus inquié-
de cahutes construites au-dessus de l’eau, la cité flot- tant pour les aspirants-voleurs, chaque maison entretient
tante est la version locale des taudis de la Boucane, un un maître-voleur – ce dernier sert deux objectifs : s’as-
bidonville instable où l’on vit comme des bêtes sau- surer de la coopération des nobles et empêcher la
vages. Les habitants de la cité flottante subsistent en concurrence de porter préjudice à « l’investissement ».
récupérant les déchets du Souk, les épaves qui dérivent
Voici une liste incomplète des maisons nobles qui entre-
sur l’estuaire et en acceptant tous les travaux que les
tiennent une présence importante dans les hauts
autres Punjarans refusent.
quartiers : Cainegont, Dev’shir, Drucaul, Farod, Indragi,
Comme son nom l’indique, la cité flottante est une Ororo, Sauronan, Rituzag, et Vagimmor.
communauté fermée et les visiteurs sont fermement
encouragés à ne pas en franchir les limites. Si la Guilde
des Voleurs a l’habitude de convoyer ses biens de contre- L a citadelle de Sombrecage
bande par dessous les quais, même elle évite de déranger La citadelle de Sombrecage s’élève hors des brumes
ceux qui ont leur foyer sur l’eau. marines à quelques distances de la terre, constant rappel
pour tous ceux qui voudraient contester les volontés du
Le Quartier haut et les Courtines Seigneur Immortel. Prison d’une cité remplie de cri-
Situés à l’est du palais somptueux du Seigneur Immortel, minel, Sombrecage est le foyer des pires bandits que
de l’autre côté du fleuve, le Quartier haut et les Punjar pouvait inventer.
Courtines sont le foyer de l’aristocratie de Punjar.
Les vagues de l’océan martèlent jour et nuit les murs de
Larges manoirs, murs blancs, jardins clos et petits bois
la citadelle. Ses tours austères ne portent aucune déco-
soigneusement entretenus forment l’essentiel du voisi-
ration, à l’exception de lanternes rouges et solitaires qui
nage – un contraste saisissant avec le quartier situé plus
guident les navires marchands à travers l’étroit passage
à l’est. Ici, la vie est calme et paisible, si on excepte les
vers le port. Nulle bannière flottant dans le vent du
bals costumés et les fêtes grandioses, ce qui sied parfai-
large, nulle gargouille penchée sur les prisonniers, seu-
tement aux plus vieilles et aux plus riches familles de la
lement des murs sinistres et de hautes tours, sentinelles
cité.
stoïques veillant en silence sur l’horreur.
Bien entendu, à Punjar, rien n’est réellement ce qu’il
Les prisonniers sont conduits à la citadelle par des
semble être et le vernis placide des hauts quartiers ne sert
barges, leur avant-bras marqué au fer qui les désigne à
qu’à dissimuler des secrets anciens et des pactes maudits.
jamais comme des enfants de la Sombrecage. Chaque
Les nobles de Punjar peuvent faire remonter leur héri- détenu est ensuite entravé aux poignets et aux chevilles ;
tage aux fondateurs de la cité, quand leurs ancêtres ceux que l’on suspecte de magie reçoivent des masques
n’étaient pas des dandys empoudrés mais des chefs de qui les empêchent de parler ; les guerriers et les voleurs
guerre qui régissaient de larges territoires d’une main de sont forcés d’enfiler de douloureux gants de métal qui
fer. Pourtant, au fil du temps, les nécessités économiques bloquent leurs pouces contre les paumes de leurs mains.
forcèrent toutes ces nobles familles à vendre leurs Ensuite, les prisonniers sont assignés à des équipes de
domaines afin de maintenir leur st y le de vie. travail et envoyés dans les profondeurs de la citadelle,
L’émergence des Dragons scella le destin des aristo- creusant toujours plus loin pour faire de la place à une

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population carcérale chaque jour plus nombreuse. On considère généralement que les Geôliers obéissent à
un être connu sous le nom de Maître Azdiel ; s’il fut un
Ceux qui ont eu le malheur d’offenser le Seigneur
jour un Humain (ou peut-être un Eladrin), on ne sait
Immortel reçoivent une punition terrible et immédiate –
pas quelle métamorphose aberrante il (elle ? cela ?)
quelque soit leur origine, le châtiment est le même : on
accepta avant de prendre le poste. Ceux qui ont vu le
coupe la langue et les pouces du détenu, on lui ajuste
Maître disent qu’il mesure plus de deux mètres de haut,
un masque de fer rugueux qui lui couvre la face et, alors
décharné comme un squelette malgré les lourdes robes
que ses compagnons vont travailler, il est emmené dans
pourpres qui l’habillent. Maître Azdiel porte habituel-

Punjar : Le joyau terni


le silence solitaire, glacé et aveugle d’une oubliette aussi
lement un lourd bâton d’obsidienne surmonté d’un rubis
profonde que le désespoir. La nourriture et l’eau lui sont
pulsant ou une grande épée massive dont le pommeau
apportés une ou deux fois par semaine mais les bour-
noir s’orne d’une pierre identique.
reaux oublient souvent de revenir aux fosses jusqu’à ce
qu’il faille y conduire une autre de ces âmes damnées. Les habitants de Punjar considèrent à l’évidence qu’il est
impossible de s’évader de la citadelle. Si on considère que
Ceux qui sont condamnés à l’enfermement survivent
les prisonniers sont envoyés peiner dans les profon-
rarement au-delà de dix semaines ; entre la cruauté des
deurs, la meilleure chance d’y parvenir est de tenter
matons, les conditions insalubres et les conflits avec les
l’exploit dans les deux premiers jours sur place. Même
autres prisonniers au sujet de l’eau et de la nourriture, les
ainsi, échapper aux Geôliers est une tâche difficile – ils
geôles prélèvent un terrible octroi. Ceux qui survivent à
portent de lourdes cottes de maille sous leurs robes et
ces conditions démentes sont incroyablement forts, phy-
leurs arbalètes sont particulièrement précises. Ensuite, il
siquement et mentalement – pour tout le bien que cela
reste à affronter les puissants courants marins qui envi-
peut leur faire. Un prisonnier sur cent voit la fin de sa
ronnent l’île de Sombrecage. À ce jour, si nombreux
première année et aucun d’entre eux n’a jamais vécu
sont ceux à avoir tenté de s’évader, aucun n’a survécu
au-delà de cinq (bien entendu, cela n’inclus pas ceux
pour raconter son exploit.
qui furent condamnés à une non-vie de servitude nécro-
mantique).
Les gardiens de la Sombrecage sont les Geôliers, des Le Pouce du Diable
factionnaires reconnaissables à leurs robes noires et Connu dans le monde entier comme le repaire du vice
pourpres. Ils sont rarement aperçus en dehors de la cita- et de l’illégalité, le Pouce du Diable porte bien son nom.
delle bien que, parfois, un trio soit envoyé dans la cité Perché sur la bordure orientale de la cité, c’est une petite
pour une mission précise – ce qui cause beaucoup de péninsule à une portée des villas nobiliaires et des quais
peur et d’excitation chez la population de Punjar. Les du Souk ; un éperon rocheux connu dans toute la cité
effectifs des Geôliers sont uniquement constitués d’en- pour ses délices étranges, les fortunes mal acquises qui s’y
fants sélectionnés dans les orphelinats de la ville – des échangent et le danger que l’on y court ; un quartier
enfants sans famille, sans attache, sans avenir, élevés renommé pour ses tavernes, ses guinguettes, ses cercles
dans une obéissance et une loyauté absolue envers le de jeu, ses receleurs et ses hôtels borgnes. Ses établisse-
Seigneur Immortel. Telle une guilde d’artisans, les ments attirent les riches comme les moins riches,
Geôliers sont divisés en rangs correspondants à leur dissimulant derrière une illusion d’opulence criarde l’ab-
accomplissement et à leurs savoirs – on présume qu’il jecte pauvreté du quartier. Les visiteurs qui ne quittent
faut parler d’initiés, d’apprentis, de compagnons et de pas les artères principales ont peu à craindre en dehors
maîtres, avec de nombreuses subtilités dans les titres et des escrocs et des emberlificoteurs ; mais derrière les
les degrés. Comme pour la plupart des guildes, les signes façades clinquantes et les architectures exotiques s’étend
et les symboles correspondants aux rangs sont absolu- un labyrinthe d’allées tordues, sombres, mauvaises où
ment secrets. chaque pas peut être le dernier.

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Durant le jour, le Pouce du Diable peut être confondu tiers la bourre, chacun affirmant qu’il est le plus rapide
avec tous les autres quartiers miséreux de Punjar mais, à à effectuer la traversée et il n’est pas rare qu’ils sabordent
la nuit, le district s’anime avec une férocité qui défie les navires de la concurrence ou qu’ils se lancent des
l’imagination. Des lampions sont accrochés dans les bordées d’injures bien senties tandis qu’ils convoient
rues, les rires rauques et le choc des pintes de bière cou- leurs passagers sur le goulet.
vrent les chants paillards qui s’échappent de partout,
Le Clos du fiel : le Clos du fiel est la place centrale du
les magiciens des rues font leurs tours et partout s’éta-
quartier, son cœur, sa croisée des chemins, où les visiteurs
Punjar : Le joyau terni

lent et s’offrent les tentations.


peuvent choisir les désirs et les intérêts qu’ils satisfe-
Chaque nuit, le quartier est plein de marins en bordée, ront ce soir – les chasseurs appellent de toutes les allées,
de seigneurs-marchands entourés de soudards et de de tous les portails et balcons, de toutes les fenêtres,
prêtres-mages, de mercenaires avinés qui célèbrent leurs pour attirer l’attention et tenter les esprits fébriles.
dernières victoires et de pauvres hères qui viennent
Le Clos tire son nom de la fontaine qui est en son cen-
dépenser un argent durement gagné. Les nobles et leur
tre : la belle jeune femme éplorée, le cœur brisé, qui se
suite sont des visiteurs réguliers, engoncés dans des
penche sur le bel homme agonisant est une référence à
capes anonymes et des masques qui dissimulent leurs
identité. la légende de la Dame au Héros – un seigneur de guerre
revint de la bataille pour tomber victime d’un puits
Il est facile de se perdre parmi la foule épaisse et les empoisonné par sa belle. Il est de notoriété publique
fêtards excentriques. Le Pouce du Diable accueille les que la fontaine est magique pour qui en boit l’eau. Mais
races les plus exotiques de Punjar – les Tieffelins et les il semble que les effets varient du tout au tout en fonc-
Drakéides n’attirent pas plus l’attention ici que n’importe tion des personnes.
qui d’autre. Si l’on ajoute à cela que les Dragons ne
mettent jamais les pieds dans le quartier, cela en fait
un bastion de la liberté et de l’indépendance. L a Ville neuve et l a Rive nord
Ce quartier sauvage et chaotique abrite une faune nom- Les quartiers de la Ville neuve et de la Rive nord sont les
breuse, capable de satisfaire tous les goûts et tous les désirs. adjonctions les plus récentes à la cité, construits au cours
Voici quelques-uns de ses lieux les plus intéressants. du dernier siècle pour loger la population sans cesse
croissante de Punjar. Les habitants de ces deux districts
Le taillis de la Mortegrive : au sud de la grande rue, là sont essentiellement des artisans accomplis et des mar-
où la péninsule rejoint le continent, le taillis est un chands – une toute autre catégorie sociale que les
ensemble de bois sombres et de chemins silencieux et quartiers de la rive sud.
abrités. Comme il est à la jonction entre le Pouce du
Diable et le Quartier haut, c’est là que les nobles vont se Ce sont sans doute les quartiers les plus stables de la
débauc her entre les br as de leurs maîtresses. cité – si personne ne nie la présence de la Guilde des
Malheureusement, de telles unions entre la noblesse et Voleurs, peu de citoyens affichent ouvertement leur allé-
les petites gens finit rarement bien ; à l’aube, on retrouve geances aux vauriens. Le racket est ici une affaire feutrée
souvent les corps de jeunes femmes – qu’elles se soient et certains marchands osent même se dresser contre
tuées d’un coup de lame empoisonnée, incapables de l’hégémonie des Voleurs, pour montrer l’exemple à leurs
supporter la vie sans leur amant, ou plus simplement voisins. Dans le passé, ces renégats étaient impitoya-
que ce dernier ait décidé de se débarrasser d’une trop blement écrasés par la Guilde mais, alors que la classe
encombrante compagnie. marchande s’enrichit doucement (et avec l’argent vient
le pouvoir), l’hégémonie des Voleurs est rapidement
La pince : la Pince est une étroite bande rocailleuse qui
remise en question.
s’étend à l’ouest de la Porte de Mer, le principal moyen
de passer entre le Pouce du Diable et la Rive nord. Des Le marché aux dieux : en remontant le long des quais
dizaines de bateaux, allant de la barge solidement accro- encombré des la Place du Commerce et en passant les
chée à de lourdes chaînes tendues en travers du chenal camelots de la Rue de la Chance, le visiteur peut enfin
à des coques de noix qu’il faut sans cesse écoper, font la trouver un miracle, l’absolution ou juste une chose dans
navette entre les deux rives. Les bateliers se tirent volon- laquelle croire, le tout pour une poignée de pièces de cuivre.

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Ici, au milieu de tentes-sanctuaires et d’estrades bran- Les temples qui s’étendent dans ce vaste espace com-
lantes qui engorgent la place centrale du district, on prennent d’ascétiques monastères, d’élégantes pagodes,
vous vend le salut et les croyances aux mêmes prix que d’inexpugnables forteresses. Tous sauf les plus puissants
toutes les autres camelotes de Punjar. Les Dieux, comme des temples ont maintes fois changé de propriétaires
toutes les autres commodités, sont une source de revenu (et de religion) au cours des siècles. Certains furent
pour les hommes et les femmes assez cauteleux pour rasés jusqu’aux fondations et reconstruits pour agréer
vous les vendre de la bonne manière. Sous chaque de nouveaux dieux, d’autres simplement dépoussiérés
masque de piété se dissimule une âme rapace avide de et les symboles changés sur les murs.

Punjar : Le joyau terni


numéraire – un objectif enfin atteint lorsqu’on parvient
à monter au quartier des temples au-delà du Grand À de rares exceptions, les temples sont dirigés par des
Escalier. Seuls les charlatans les plus astucieux ou ceux grands prêtres sans scrupule et jalousement gardés par
qui peuvent démontrer de la réalité de leur foi par des esclaves-soldats. Ils luttent pour atteindre la pré-
quelques miracles y parviennent. Les prêtres, vrais et éminence et prendre le contrôle du quartier, et ils ne
faux mélangés, cueillent dans la foule désespérée les l’abandonnent pas volontiers. Les religions qui faillissent
acolytes dont ils ont besoin pour se hisser à un plus ici sont celles qui ne peuvent empêcher des cultes plus
grand statut et, quand leur nombre est suffisant – et faibles de les renverser… et celles qui ne payent pas au
leurs coffres assez pleins – ils contemplent enfin le Seigneur Immortel les dîmes exorbitantes qu’il exige.
Grand Escalier et commencent à saper ceux qu’ils veu- Dominant le quartier de son imposante présence est la
lent supplanter. Forteresse du Temps, temple de Valdreth. Les légendes
Une foi véritable – pour la meilleure ou la pire des divi- disent qu’elle est le plus vieux bâtiment de Punjar, ses
nités – est difficile a trouver sur le marché aux dieux humbles pierres assemblées par un prêtre de l’Immuable
mais, au milieu des clameurs de la foule, les véritables alors que des monstres quadrupèdes hantaient encore le
pèlerins parlent doucement, offrant les clefs de leur monde. Les textes religieux que l’on peut lire dans sa
dieux à qui sait les entendre. C’est ainsi qu’ils luttent bibliothèque affirment aussi qu’il sera le dernier à tom-
contre les époustouflants tours de passe-passe de leurs ber lorsque les tempêtes du temps plongeront la cité
rivaux et les miracles de seconde main des thauma- dans l’oubli. La Forteresse et son clergé semblent être la
turges et des médicastres. seule structure permanente au milieu d’une mer de pré-
tendants. Aussi patients que le dieu qu’ils vénèrent, les
Parmi les orateurs les plus charismatiques du marché est
suivants de Valdreth supportent les calomnies envieuses
une demi-elfe qui se fait appeler Sœur Affliction.
des autres temples et les imprécations des charlatans
Affirmant être une prophétesse de Narrimunâth, le sei-
du marché. Le grand prêtre de la Forteresse du Temps
gneur des maladies, elle a déjà réuni une congrégation
est appelé l’Orateur Sénescent et on dit que l’actuel
imposante, notamment parmi les infirmes de Punjar –
en tout cas, ceux qui sont assez valides pour assister à ses orateur est l’homme le plus vieux de Punjar.
sermons dans la rue. Sœur Affliction a convaincu ses À cause de son éternelle vigilance, le Seigneur Immortel
disciples que leurs maux sont des bénédictions de permet à la Forteresse d’abriter la seule force armée du
Narrimunâth lui-même, la marque des faveurs du Dieu- quartier, les Chevaliers de Verre, un ordre de paladin
Rat. Ceux qui succombent à son étreinte recevront le voué à l’Immuable. Guerriers saints à la remarquable
confort de l’oubli mais les autres, qui résistent et sup- patience, les chevaliers maintiennent l’ordre dans le
portent, auront une récompense plus grande encore. La quartier mais n’empêchent personne de monter le Grand
demi-elfe, elle-même atteinte d’une fièvre gloussante Escalier. Ils pensent sincèrement que tous ceux qui
incurable, affirme que si un temple de Narrimunâth est cherchent les dieux, soient-ils canailles ou souverains,
construit à Punjar, alors sa « horde pieuse » sera guérie… doivent avoir la chance de les trouver. Ils ne rejettent que
et le pouvoir d’infliger les maladies à leurs détracteurs
leur sera offert. Les pouvoirs divins de Sœur Affliction
lui ont permis, pour le moment, d’empêcher les maladies
de ses suivants de se répandre – une mesure nécessaire
pour éviter que les Dragons ne viennent annihiler ses
efforts.

Le quartier des temples


Au sommet du Grand Escalier – un obstacle pécuniaire
autant qu’une épreuve de foi – s’étend une terre imma-
culée où de vrais temples s’élèvent au-dessus des rues du
communs pour la plus grande gloire des dieux. Le quar-
tier est un oasis au milieu du cloaque de Punjar, une
promenade de jardins luxuriants qui défient le climat sec
de la Province méridionale – on dit qu’il est l’œuvre
d’un jardinier spectral ou même des dieux en personne.

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la violence et la folie – et pourtant, les chevaliers sont les mation dont on dispose sur la Mère des Trolls fut rap-
seuls qui peuvent prévenir les conflits ouverts entre les portée par Talizien Redlance, un guerrier saint connu
temples rivaux. aussi sous le nom du Paladin Fou. Seul survivant d’une
expédition dans les cavernes, le Paladin Fou revint cou-
Parmi les temples les plus populaires du quartier, on
vert de bile et de tripes, crachant des imprécations sur
peut trouver ceux de Myna (la servante du destin),
une Mère des Trolls géante, gisant dans une caverne
Lasheeva (Dame Ruine), Xeluth (le destructeur) et
inondée pleine de d’immenses trésors volés aux hommes.
Yvyn (l’exécuteur vertueux). La maison Hoshuet, de la
Punjar : Le joyau terni

Cabale des Marchands, est un mécène connu du Les histoires du Paladin Fou auraient pu être ignorées
Tombeau, le temple de Lasheeva. Des rumeurs affir- s’il n’avait ramené une paire d’artéfacts : une épée en
ment parfois que le clergé de Dame Ruine prévoit de or à la facture ancienne et une griffe énorme, noire, de
destituer la Forteresse du temps comme temple domi- plus de 20 centimètres de long, arrachée à la patte d’une
nant du quartier ; d’autres murmurent que le culte de créature terrifiante.
Neshti, la dame des ombres, s’étend silencieusement On reconnaît communément qu’un dragon noir à l’âge
parmi la population des bas-quartiers, soutenant indéfinissable a sans doute élu domicile dans la Bourbe,
Valdreth et possédant un pouvoir au moins aussi grand bien que l’ancien n’ait pas été vu depuis près d’une
que celui des temples majeurs. décennie. Appelé Langue-de-Sel par les habitants de
Punjar, son nom (mais pas son vrai-nom) serait Saacata,
s’il faut en croire les magiciens et les érudits. Plus inté-
Les environs sauvages ressants, les spécialistes rappellent les signes vus lors
À Punjar, la différence entre une rue bondée, grouil- de la dernière rencontre avec le dragon : ses écailles
lante de monde, et un marais désolé et vide se mesure en incrustées de crasse portaient toutes des glyphes bril-
minutes de cheval. On peut pardonner aux habitants lantes honorant un dieu de la mort oublié. Certains
de Punjar, sans recul, sans perspectives, environnés d’im- professeurs audacieux ont avancé la théorie que le dra-
meubles bondés et de gens de toutes races et de toutes gon était devenu une liche, ou tentait de le faire – mais
origines, d’oublier que leur civilisation n’est qu’une chose la simple idée qu’un dragon noir ancien puisse aussi
éphémère dans la Grande Histoire des Royaumes être une créature non-morte à la puissance sans équi-
connus. Les rois comme les érudits affirment que la valente est plutôt insupportable.
sauvagerie et la barbarie sont la vraie nature des peuples
soit-disant « policés » ; les elfes, les nains et les hommes Moins épique mais plus immédiatement important
sont nés du chaos et de la violence et seront certaine- pour la vie quotidienne des Punjarans, des tribus
ment détruit par les mêmes flammes cruelles. d’hommes-lézards se sont installées dans les roselières
qui émaillent les marais. Plus agressifs et violents que la
Voici quelques-uns des points les plus remarquables du plupart de leurs semblables, ces bêtes belliqueuses sont
paysage à l’extérieur des murs de Punjar, là où l’épée et reconnaissables aux piercings élaborés qui ornent leurs
les crocs prennent le pas sur l’infime patine de la civili- silhouettes écailleuses. Souvent décorés de trophées san-
sation. glants découpés sur leur dernière victime, on dit que
La Grande Bourbe : constitué de marais-salants, cou- ces anneaux indiqueraient le rang de la bestiole dans
verts de roseaux herbeux et de trous marécageux, la sa tribu. Les hommes-lézards sont des créatures supers-
Grande Bourbe est le foyer de prédateurs de toutes titieuses, accrochées à leurs chamans et à leurs prophéties
sortes. Les marchands et les rouliers ne passent jamais grossières. Ceux qui ont sur vécu à une attaque
par les marais et ceux qui veulent s’y rendre doivent d’hommes-lézards ont racontée que celle-ci commença
traiter avec la curieuse populace qui survit dans un tau- par une volée de javelines et de flèches, suivie par une
dis à l’extérieur de la Porte de la Bourbe. Néanmoins, vague bondissante de grenouilles géantes ; derrière,
avant de s’aventurer dans les palus, ces pêcheurs exi- enfin, venaient les hommes-lézards. Il paraît même
gent des sacrifices de sang, jetés dans de grands feux, qu’ils auraient une sorte de « chevalerie » primitive,
afin d’apaiser leurs sombres divinités. Qu’on tienne montée sur le dos des plus grosses des grenouilles, por-
compte ou non de leur douteuse théologie, ces sacri- tant lances barbillonnées et boucliers de roseau.
fices doivent bien calmer quelque chose – ou ces nigauds La Flèche des araignées : au sud de la cité, là où les
auraient été dévorés par les créatures des marais depuis marais putrides se mêlent à l’océan, se dresse au sommet
bien longtemps. d’un éperon rocheux une tour noire et solitaire, battue
Les rôdeurs rapportent qu’ils croisent les pistes et les par les tempêtes et les ouragans depuis des siècles. On
crottes de toutes sortes de bêtes maudites. On sait de dit que la Flèche est plus vieille que Punjar elle-même
manière certaine que des Trolls du sel ont installé leur – ce ne serait sans doute pas une raison particulière
repaire dans les tourbières, leur terrifiante Mère rôdant pour attirer l’attention (après tout, les merveilles elfiques
quelque part dans les cavernes qui s’étendent le long et naines peuvent largement survivre à la moindre œuvre
des limites sud de la bourbe. Explorer ces grottes est des hommes) si la Flèche n’était pas une si curieuse
doublement dangereux car les marées peuvent les inon- construction : découpée dans un seul et unique bloc
der en l’espace de quelques heures, piégeant les d’obsidienne, les trente mètres de la tour ne présentent
malchanceux et les idiots. À ce jour, la meilleure infor- aucune trace de ciseau ou de burin, aucune trace de

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façonnage artisanal. Les experts nains appelés pour ins- miséreux ont dépassé les bornes, volant des marchands
pecter la tour restèrent dans l’expectative, incapable et montant des arnaques qui étaient jusqu’alors du
d’expliquer comment elle avait été construite et jurant domaine exclusif de la Guilde.
qu’ils ne connaissaient aucun autre exemple de cela dans Par peur des représailles, le Roi-Mendiant a choisit de
leurs annales ou leurs légendes. frapper le premier, louant les services d’une bande de
La Flèche noire est lisse comme un miroir. Ceux qui tueurs et de ruffians pour mener une guerre préemptive
se tiennent devant ses murs parfaits voient leur reflet contre les Voleurs.

Punjar : Le joyau terni


dans la pierre noire, à une différence près : leur image, Tout cela ne serait pas grand chose, les affaires habi-
identique dans tous les autres détails, est couverte de tuelles de la Boucane en quelque sorte, si dans son
toiles d’araignée poussiéreuses et grouille de petits ambition, le Roi-Mendiant n’avait cherché à passer des
arthropodes ténébreux – cette vue déstabilisante a causé pactes avec des puissances surnaturelles. Dans sa quête
plus d’un recul de surprise qui s’est fini au pied de la démente, il a déniché quelque chose de bien pire que
falaise, sur les rochers battus par les vagues. cela : une horreur faite d’ombre, piégée entre les monde
depuis des temps immémoriaux.
Si bien peu ont le courage d’explorer la Flèche, quelques
recherches révèlent néanmoins trois manières d’y péné- Maintenant, le Roi-Sorcier est manœuvré par l’horreur
trer. La première est la plus évidente : une paire de qu’il cherchait à dominer. Tous ses rêves de règne sur la
hauts portails verrouillés, moulés dans un métal inconnu Boucane ont été oubliés, remplacés par la seule adoration
et rivetés d’argent. Les portails sont fermés par cinq de l’entité. À la limite de la folie, plus cruel que jamais,
serrures, installées aux sommets d’un pentacle occupant le Roi-Mendiant dirige son empire depuis un charnier
le centre du pœcile. Chaque serrure est taillée dans une fétide où il conduit de sanglants holocaustes. Chaque
pierre différente (saphir, rubis, émeraude, diamant et rituel sacrificiel rapproche l’horreur d’ombre de sa libé-
jaspe sanguin). ration ; et alors une chape de terreur s’abattra sur les
habitants de la Boucane.
La seconde entrée est relativement évidente, elle aussi :
Il revient aux héros – de simples soudards – de repousser
une série de quatre fenêtres cerclant jusqu’au sommet de
l’horreur qui rôde aux limites du cœur des taudis. Leur
la tour, chacune faisant face à un point cardinal. Les
récompense sera la gratitude de la Guilde des Voleurs, le
quatre fenêtres sont ouvertes, sans cadre ou vitre, mais
butin d’or et de gemmes amassé par le Roi-Mendiant
des observateurs à l’œil d’aigle peuvent noter que toutes
au cours des dernières années et la connaissance interdite
semblent voilée d’une fine couche de toile, quelque soit de la magie des ombres.
la saison ou le temps.
La troisième entrée est seulement connue de quelques
personnes : un tunnel étroit taillé dans le flanc de la
Les héritiers de Punjar
falaise. Fermé par une simple grille en argent en forme Les Dev’shir sont l’une des familles les plus vieilles et les
d’énorme araignée aux chélicères effrayantes, le tunnel plus respectées de l’aristocratie punjaran – bien qu’à
semble courir directement à la tour, bien que, à cette Punjar, et surtout quand la famille Dev’shir est concer-
date, aucun explorateur ayant bravé ses ténèbres n’en née, le respect soit un simple euphémisme désignant
soit jamais revenu. la crainte. Elle possède une demeure de pierre, biscornue
et immense, et des terrains parfaitement entretenus
dans le Quartier haut. Le domaine est appelé le Pas-du-
Vent à cause de sa proximité avec les portes qui mènent
Aventures à Punjar au taillis de la Mortegrive et au sifflement spectral qui
À l’intérieur ou à l’extérieur de ses murs, Punjar est au s’en échappe quand le vent souffle du large. La famille
cœur d’une infinité d’aventures. La tour isolée de la s’enorgueillit de sa maison, trente-sept commis loyaux,
Flèche des araignées attire l’attention au sud, les la plupart au service de la famille depuis plusieurs géné-
Cavernes aux sanglots s’étendent silencieusement sous rations.
les eaux nauséabondes et la Grande Bourbe, qui abrite La fortune familiale est immense mais il reste bien peu
des horreurs sans nom aussi anciennes que le monde, de liquide de nos jours – la plus grande part est consti-
grignote chaque jour un peu plus la cité, comme une tuée de legs anciens, de mobilier volumineux ou de
entité vivante, maléfique. Tous ces mystères, et bien bibelots uniques. Les étages de la maison sont encom-
d’autres, attendent les héros assez courageux pour en brés d’objets hideux et voyants, de statues de maître, de
chercher les réponses. vieilles armures incrustées de métaux rares, de tapisseries
exotiques et de meubles sculptés dans des bois précieux.
La source des richesses a varié selon les générations.
Les soudards de Punjar Hadur Dev’shir, le patriarche qui s’installa à Punjar des
Au plus profond du cœur de la Boucane, le Roi- siècles plus tôt et fonda la famille, était un cavalier émé-
Mendiant (c’est le nom qu’il se donne) règne sur une rite, un éleveur de chevaux et un marchand. La vente de
foule bigarrée de gamins, de vagabonds et de bons-à- ses chevaux engendra des revenus conséquents et elle
rien. Durant longtemps, la Guilde des Voleurs s’est permit à la famille de construire de nombreuses écu-
désintéressée des petits délits commis par ces voleurs ries à l’extérieur de la cité, au nord. Les Dev’shir
indépendants, mais dernièrement le Roi-Mendiant et ses investirent ces profits dans d’autres affaires, avec des

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résultats variables – opérations minières, exportation de fer à demi-abandonnée. La piste s’arrêtera à un mou-
d’épices et de fruits ou soutien à des expéditions menées lin déserté qui surplombe Punjar. Là, les héros
par des chercheurs de trésor. La découverte des dépôts découvriront la vengeance d’une branche de la famille
de fer à l’ouest de Punjar, soixante-dix ans plus tôt, fail- depuis longtemps oubliée et devront empêcher ses
lit mettre la famille à genoux – malgré des capitaux machinations maléfiques.
phénoménaux engloutis dans l’affaire, les filons furent
épuisés en moins de cinq ans et la famille en fut réduite
à se tourner vers des commerces moins honorables pour Les trônes de Punjar
Punjar : Le joyau terni

conserver son train de vie et son pouvoir. Les affaires courantes du Pouce du Diable ont été bru-
talement interrompues trois mois plus tôt. Un marchand
Ces entreprises illicites inclurent le commerce des de passage laissa ses associés dans une taverne, un soir
esclaves, un peu de contrebande et l’achat de nombreux tard, et disparut simplement, abandonnant ses bagages
immeubles dans le voisinage de la rue de la Bourbe, dans une auberge proche. Des personnes s’évanouis-
dans la vieille ville. Ces bâtiments déglingués étaient sent parfois (ou pire) dans le quartier, et l’endroit est
loués aux pauvres et aux miséreux et abritèrent bientôt un nid de meurtriers et de mécréants de toutes sortes,
toutes sortes de commerces louches. Les rumeurs sont aussi cette disparition ne souleva pas d’intérêt dans un
nombreuses qui affilient les Dev’shir à la Guilde des premier temps. Néanmoins, peu après, un groupe de
Voleurs mais cela n’a jamais été prouvé. Il y a une dizaine trois solides dockers disparut à son tour, sans laisser de
d’année, la famille a « acquis » une conserverie dans la traces – suivit par un petit trafiquant du Palais de
Ville flottante. La famille s’est alors enrichie en expor- l’Imprévu (une maison de jeu locale), un tavernier de
tant des conserves de poisson et d’autres mets fins vers la Brasserie de la Strige Grasse et une paire de nobles
des destinations lointaines. Beaucoup estiment que les dames du Quartier haut. Le nombre de disparition sur
coûts sont réduits en achetant de grosses quantités de un temps si bref et le manque d’indices causèrent un
poisson de vase et en les vendant sous des dénomina- début de panique dans la population locale. Deux intré-
tions plus flatteuses. Certains murmurent même que la pides jeunes magiciens de l’école punjaran de sorcellerie
conserverie est un très bon endroit pour se débarrasser commencèrent à enquêter. Armés de puissantes
des ennemis de la famille. baguettes, ils patrouillèrent les rues et les ruelles du dis-
Les principaux membres de la famille sont le seigneur trict. Durant deux semaines, rien ne se passa – puis,
Abir Dev’shir, un homme chauve à la moustache en gui- soudainement, plus personne n’entendit parler d’eux !
don de vélo – il porte des pantalons bouffants lavande Dans le quartier, l’angoisse se transforma en pure terreur.
et des chemises trop grandes pour lui qui laissent appa- Pire, il y eut de nouveaux développements sinistres à
raître son torse velu et grisonnant. De nombreux anneaux cette histoire : des citoyens ont rapporté avoir vu une
ornent ses doigts et se balancent à ses oreilles. Sa femme, effrayante apparition dans les ruelles du district. Si la
la Dame Noura Dev’Shir, était jadis une beauté saisissante, fable est vraie, la forme spectrale aurait approché et
aux longs cheveux noirs et à la voix impérieuse ; c’est menacé plusieurs personnes, bien qu’il soit difficile de
aujourd’hui une vieille sorcière, sèche et ridée, qui s’ap- retrouver l’une d’entre elles qui aurait effectivement ren-
plique du maquillage à la truelle. Elle aussi se couvre de contré le fantôme. Pourtant, la rumeur enfle et souffle
bijoux voyants et les lourds parfums dont elle s’asperge sur les flammes de panique allumées par les dispari-
signalent sa présence d’une pièce à l’autre. tions. Récemment, d’autres ragots sont apparus : on
parlerait de nouveaux cultes et de créatures écailleuses
Les Dev’Shir n’ont qu’un seul héritier, Elam. C’est un
rôdant dans le coin.
libertin élégant et naïf de vingt-huit ans, aux cheveux aile
de corbeau, aux yeux bleu glacial et au fragile visage de
porcelaine. Il sait manier les lames et sa rapière favorite
n’est jamais loin de sa main. Elam fait des incursions
nocturnes dans les pires coins de Punjar, où il fréquente
des maisons de mauvaise vie et des tavernes bruyantes,
s’attirant régulièrement des ennuis – jamais assez
ennuyeux, d’ailleurs, pour que l’argent ne suffise pas à
tout arranger.
Récemment, Elam a découvert une amulette à vendre
chez un inquiétant prêteur sur gage du Souk. Le bijou
est un héritage familial, supposé enfermé à l’abri dans la
tombe de la famille, au cœur de la Cité des Morts.
L’arrogante famille préfère éviter de mêler les autorités
locales à cette affaire et offre une récompense substan-
tielle aux aventuriers qui voudraient bien examiner la
situation de près.
Est-ce les héros intrépides exploreront le caveau fami-
lial ou suivront-ils la piste du mont-de-piété ? l’enquête
les mène à une taverne miteuse du Pouce du Diable et
en dehors des limites de la cité, jusqu’à une vieille mine

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